Rapport d'information n° 900 (2021-2022) de Mmes Annick BILLON , Alexandra BORCHIO FONTIMP , Laurence COHEN et Laurence ROSSIGNOL , fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 27 septembre 2022

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N° 900

SÉNAT

2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 septembre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur l' industrie de la pornographie ,

Par Mmes Annick BILLON, Alexandra BORCHIO FONTIMP, Laurence COHEN
et Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrices

Tome I - Rapport

(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen, Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer, Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.

AVANT-PROPOS

Pour la première fois dans l'histoire parlementaire, un rapport d'information est entièrement consacré aux pratiques de l'industrie pornographique .

Après plus de six mois de travaux, des dizaines d'heures d'auditions, une analyse des principaux contenus pornographiques en ligne aujourd'hui ; après avoir entendu, à huis clos, des victimes de violences dans le milieu pornographique ; après avoir constaté l'hypocrisie et le cynisme des représentants du secteur, les rapporteures dénoncent sans détour une industrie qui génère des violences systémiques envers les femmes de façon générale , que ce soit celles qui se retrouvent dans ces productions comme celles qui subissent une sexualité calquée sur les normes de violences véhiculées par le porno.

L'objectif du présent rapport est avant tout d'alerter le Gouvernement et l'opinion publique sur les violences perpétrées et véhiculées par et dans l'industrie pornographique, ainsi que sur les représentations sexistes, racistes, homophobes et inégalitaires qu'elle génère. Il s'agit d'établir un constat clair des pratiques et normes aujourd'hui promues par cette industrie.

Le rapport de la délégation s'intéresse donc aux pratiques de l'industrie pornographique à l'ère de la massification de la production, de la diffusion numérique et de la consommation des contenus pornographiques . Il traite essentiellement de la pornographie communément qualifiée de « mainstream », qui correspond aux contenus pornographiques les plus visionnés, s'adressant principalement à un public hétérosexuel. Il ne traite notamment pas spécifiquement de la pédopornographie : interdite et illégale, celle-ci relève bien évidemment de la classification pénale, sans que cela ne puisse faire l'objet d'aucun débat.

La pornographie renvoie à l'exploitation commerciale de la représentation explicite de pratiques sexuelles non simulées . Elle se distingue ainsi de l'érotisme et des scènes de sexe simulé dans le cinéma traditionnel.

Les conditions dans lesquelles s'est exercée cette activité ont significativement évolué : renvoyant d'abord à de la littérature pornographique puis à l'émergence, dans les années 1970, de films pornographiques abusivement associés à la libération sexuelle, la pornographie a franchi, à partir du milieu des années 2000, une nouvelle étape avec la massification de la diffusion de vidéos pornographiques en ligne générant un trafic mondial massif et véhiculant des contenus de plus en plus extrêmes et violents.

La pornographie est ainsi devenue une industrie mondialisée qui génère plusieurs milliards d'euros de profit chaque année, dans des conditions souvent opaques, et qui a fait de l'exploitation et de la marchandisation du corps et de la sexualité des femmes un business à l'échelle internationale. Cette industrie repose en grande partie sur des multinationales souvent basées dans des paradis fiscaux.

Dès lors, les rapporteures estiment nécessaire de prendre conscience de ce changement de paradigme et d'appréhender la pornographie comme une industrie qui contribue à banaliser socialement les actes sexuels violents envers les femmes et à ériger en norme des violences que l'on peut aujourd'hui qualifier de systémiques .

La délégation s'alarme tout particulièrement de l'accès facilité, démultiplié et massif des mineurs et jeunes adultes à des contenus pornographiques violents et toxiques . Le porno, y compris le porno le plus « trash » et extrême, est accessible gratuitement en quelques clics. Deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers de ceux de moins de 12 ans ont déjà été exposés à des images pornographiques, volontairement ou involontairement. Chaque mois, près d'un tiers des garçons de moins de 15 ans se rend sur un site porno.

Les conséquences sont nombreuses et inquiétantes : traumatismes, troubles du sommeil, de l'attention et de l'alimentation, vision déformée et violente de la sexualité, difficultés à nouer des relations avec des personnes du sexe opposé, (hyper) sexualisation précoce, développement de conduites à risques ou violentes, etc. Ces conséquences ne se limitent d'ailleurs pas au seul public mineur, le porno a également un impact sur les adultes, leurs représentations d'eux-mêmes, des femmes et de la sexualité.

Le présent rapport s'inscrit également dans un contexte particulier, celui du traitement pénal, pour la première fois en France, de violences commises dans un contexte de pornographie sur des femmes victimes de graves maltraitances, sexuelles, physiques et psychologiques, perpétrées par des criminels de l'industrie pornographique, faisant aujourd'hui l'objet de diverses mises en examen, notamment pour viol, viol aggravé, complicité de viol avec acte de torture et de barbarie, traite des êtres humains aux fins de viol, proxénétisme...

Les rapporteures saluent le travail mené par les enquêteurs et les magistrats du parquet et de l'instruction dans le cadre de ces dossiers. Elles souhaitent que les informations judiciaires en cours ouvrent la voie à la prise de parole et au dépôt de plaintes par d'autres victimes de violences pornographiques.

Elles saluent également le soutien apporté aux victimes par les associations de défense des droits des femmes et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui se sont, pour la plupart, constituées partie civile, aux côtés des victimes, dans le cadre des deux instructions judiciaires en cours (affaires dites French Bukkake et Jacquie et Michel ).

Elles saluent enfin les enquêtes circonstanciées de journalistes, véritables lanceurs d'alerte, qui ont permis d'informer l'opinion publique sur les pratiques de cette industrie et ont contribué à ouvrir les yeux de toutes et tous sur l'ampleur systémique des violences pornographiques.

Les rapporteures dénoncent fermement ces violences et expriment leur soutien aux victimes de cette industrie, notamment à celles qu'elles ont rencontrées dans le cadre de leurs travaux et qui leur ont courageusement livré un témoignage accablant sur les violences subies, les modes opératoires systématiques de leurs agresseurs et la difficulté à faire entendre leur voix.

De nombreux experts auditionnés par la délégation ont fait état d'une grande porosité entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie.

Au vu de ces constats et de l'omerta qui entoure encore aujourd'hui les violences pornographiques, les rapporteures appellent à une prise de conscience de toutes et de tous sur ce système de violences et à mettre un terme au déni et à la complaisance dont bénéficie encore l'industrie pornographique. Il y a urgence à engager un débat public sur les pratiques de cette industrie et sur son existence même .

Elles formulent vingt-trois recommandations qui s'articulent autour de quatre grands axes :

• faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique ;

• faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l'oubli ;

• appliquer enfin la loi sur l'interdiction d'accès des mineurs et protéger la jeunesse ;

• mettre en oeuvre les séances d'éducation à la vie sexuelle et affective et sensibiliser les parents, professionnels de santé et professionnels de l'éducation aux enjeux liés à la pornographie.

Avertissement : le contenu du présent rapport fait parfois référence à du langage sexuel explicite et à la description de scènes de violences sexuelles.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

IMPOSER DANS LE DÉBAT PUBLIC LA LUTTE
CONTRE LES VIOLENCES PORNOGRAPHIQUES

Recommandation n° 1 : Faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique.

Recommandation n° 2 : Faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d'incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle).

Recommandation n° 3 : Imposer aux sites pornographiques des messages d'avertissement, concernant des contenus violents, précisant qu'il s'agit d'actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles.

Recommandation n° 4 : Favoriser l'émergence de plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie en améliorant leurs conditions d'accueil, en formant les forces de l'ordre au recueil de plaintes de ces victimes spécifiques et en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique.

Recommandation n° 5 : Adapter au contexte spécifique des violences pornographiques les conditions d'écoute et d'accueil du numéro national 3919 dédié à la prise en charge de femmes victimes de violences.

Recommandation n° 6 : Traduire, dans les effectifs et les moyens matériels des services enquêteurs et des magistrats, la priorité politique donnée à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie.

FACILITER LES SUPPRESSIONS DE CONTENUS ILLICITES
ET LE DROIT À L'OUBLI

Recommandation n° 7 : Imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite.

Recommandation n° 8 : Assortir systématiquement les condamnations à l'encontre de producteurs de contenus pornographiques d'une disposition indiquant que toute diffusion des vidéos incriminées, sur tout support, est illégale.

Recommandation n° 9 : Créer une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements.

Recommandation n° 10 : Imposer aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait de vidéos formulées par les personnes filmées, et non plus par les seuls propriétaires de vidéos.

APPLIQUER ENFIN LA LOI SUR L'INTERDICTION D'ACCÈS DES MINEURS
ET PROTÉGER LA JEUNESSE

Recommandation n° 11 : Assermenter les agents de l'Arcom afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs.

Recommandation n° 12 : Confier à l'Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs, à l'encontre des sites pornographiques accessibles aux mineurs.

Recommandation n° 13 : Imposer aux sites pornographiques l'affichage d'un écran noir tant que l'âge de l'internaute n'a pas été vérifié.

Recommandation n° 14 : Définir, dans les lignes directrices de l'Arcom, des critères exigeants d'évaluation des solutions techniques de vérification de l'âge.

Recommandation n° 15 : Imposer le développement de dispositifs de vérification d'âge ayant vocation à servir d'intermédiaire entre l'internaute et les sites consultés, avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la CNIL.

Recommandation n° 16 : Établir un processus de certification et d'évaluation indépendant des dispositifs de vérification d'âge.

Recommandation n° 17 : Activer par défaut le contrôle parental, lorsqu'un abonnement téléphonique est souscrit pour l'usage d'un mineur.

Recommandation n° 18 : Mener une campagne de communication autour des dispositifs de contrôle parental.

ÉDUQUER, ÉDUQUER, ÉDUQUER

Recommandation n° 19 : Au niveau de chaque académie, publier une évaluation annuelle de l'application de la loi relative à l'éducation à la vie sexuelle et affective et désigner un délégué académique à l'éducation à l'égalité et à la sexualité.

Recommandation n° 20 : Aborder dans le cadre des séances d'éducation à la vie sexuelle et affective les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie.

Recommandation n° 21 : Recruter des professionnels de santé, formés en matière d'éducation à la santé et de conduite de projet, dans les établissements scolaires.

Recommandation n° 22 : Faire connaître, dans les établissements scolaires et directement sur les réseaux sociaux utilisés par les adolescentes et les adolescents, les ressources accessibles pour répondre à leurs questions en matière de sexualité.

Recommandation n° 23 : Sensibiliser les parents et mener une campagne de communication autour de la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr .

PREMIÈRE PARTIE : UN SYSTÈME DE VIOLENCES ENVERS LES FEMMES, AUJOURD'HUI ÉRIGÉ EN NORME PAR L'INDUSTRIE PORNO

« Sur Internet, on dit souvent que “ si quelque chose existe, il en existe également une version pornographique ”. Le moindre fantasme, le moindre désir le plus pervers sont représentés. Tout existe. » : ainsi s'exprimait Elsa Labouret, porte-parole de l'association Osez le féminisme ! , le 20 janvier 2022, à l'occasion de la première audition de la délégation aux droits des femmes consacrée aux pratiques de l'industrie pornographique.

L'industrie de la pornographie est aujourd'hui, d'abord et avant tout, une industrie , qui a fait de l'exploitation et de la marchandisation du corps et de la sexualité des femmes, notamment, un business à l'échelle mondiale .

Depuis une quinzaine d'années et l'avènement des « tubes », véritables robinets à images pornographiques sans aucun contrôle, la pornographie, en raison de ses nouveaux modes de diffusion, de production et de consommation , a généré un véritable système de violences à l'encontre des femmes.

Tant le volume existant des contenus pornographiques accessibles à toutes et tous que leur nature-même ont contribué à banaliser les actes sexuels violents envers les femmes et à ériger en norme des violences que l'on peut aujourd'hui qualifier de systémiques . La pornographie constitue donc aujourd'hui, à l'évidence, un élément important de la « culture du viol » dans notre société.

I. UNE MASSIFICATION DE LA DIFFUSION DU PORNO SUR INTERNET

L'architecture et le « visage » de l'industrie pornographique ont été profondément bouleversés au milieu des années 2000 avec l'apparition des « tubes », grandes plateformes numériques de diffusion de milliers de vidéos pornographiques, pour la plupart d'accès libre et gratuit , sans véritable contrôle a priori des contenus diffusés.

Cette massification, à l'échelle industrielle, de la diffusion du porno en ligne, et la diversification des supports de diffusion de contenus pornographiques accessibles à toutes et à tous, ont contribué à l'apparition de contenus de plus en plus « trash » et violents , à la mise en ligne de vidéos souvent piratées, sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits. Si bien que cette diffusion massive d'images et vidéos pornographiques gratuites et libres d'accès a permis de façonner un nouveau modèle économique et commercial dans lequel les violences systémiques à l'encontre des femmes sont devenues la norme .

A. LES TUBES, LEADERS DE LA PROPAGATION DES CONTENUS PORNOGRAPHIQUES

1. Un tournant au milieu des années 2000 : l'apparition des « tubes » et la massification de la pornographie en ligne, gratuite et libre d'accès
a) Les tubes, des robinets à images pornographiques, sans aucun contrôle

La massification de l'accès à la pornographie correspond à l'apparition, à partir de 2006-2007, de grandes plateformes Internet, appelées « tubes », qui diffusent gratuitement et sans aucune restriction d'accès, une multitude de contenus pornographiques, par ailleurs souvent piratés.

Ces nombreux sites de diffusion massive, dont les plus connus sont aujourd'hui Pornhub.com et Y ouporn.com , ont constitué un vecteur important de « popularisation » de l'accès démultiplié au porno et sont pour la plupart détenus par quelques sociétés financières dont le siège est souvent localisé dans des paradis fiscaux. Cette nouvelle architecture numérique a favorisé la mise en place d'un système opaque, dans lequel il est très difficile d'identifier les responsables du contenu diffusé, qui génère un chiffre d'affaires annuel de plusieurs milliards de dollars à partir de nombreux contenus émanant d'autres sites plus petits et piratés par les plus gros tubes .

Les tubes sont apparus dans le paysage économique mondial, entre 2006 et 2008, à la faveur de la conjugaison de deux phénomènes numériques de masse : l'explosion de l'utilisation du smartphone couplée à la technologie du streaming , inventée par les ingénieurs de YouTube . Dès lors, ces plateformes de diffusion massive de vidéos pornographiques ont eu pour seul objectif d'aspirer le maximum de contenus afin d'alimenter le marché mondial du sexe, de mettre en ligne des dizaines de milliers de vidéos à caractère sexuel et de les rendre accessibles gratuitement.

Le modèle économique sur lequel repose ces tubes consiste dans la diffusion de contenus majoritairement gratuits, souvent piratés, générant un énorme trafic et qui peuvent renvoyer vers d'autres contenus payants, des espaces de live cam ou des sites de performeurs qui mettent en ligne des vidéos payantes.

Lors de son audition par la délégation aux droits des femmes, le 29 mars 2022, l'auteure et réalisatrice de documentaires Ovidie a décrit aux rapporteures le modèle économique de ces plateformes numériques de la pornographie, qui avait fait l'objet de son documentaire diffusé en 2017, intitulé Pornocratie : les nouvelles multinationales du sexe , résultat d'une enquête de plusieurs années sur l'économie souterraine de la pornographie. Elle a notamment souligné que : « le modèle économique principal des plateformes consiste à générer des millions de clics et à vendre de l'espace publicitaire . Sur ces sites, les vidéos sont dans des cases et sur le côté il y a des publicités pour des sites de live cam ou des produits aphrodisiaques. Lorsque l'on regarde les montages des multinationales, qui ont de nombreuses annexes à Chypre, au Panama, en Irlande ou au Luxembourg, on comprend qu'il y a une circulation de l'argent qui est trouble et fait aussi partie de leur modèle économique. (...) Un grand nombre de professionnels ou anciens professionnels du milieu pornographique sont en guerre contre les plateformes, et pas uniquement parce qu'elles mettent à mal leur activité. Ces plateformes ne sont d'ailleurs pas détenues par des professionnels de l'industrie pornographique mais par des spécialistes de la circulation de l'argent . »

On assiste donc, depuis une quinzaine d'années, à une concentration du secteur économique de diffusion de la pornographie, dans lequel l'acteur économique clé n'est plus le studio, producteur de contenus, mais la plateforme numérique, vecteur de diffusion massive de contenus.

Lors de son audition par la délégation, Grégory Dorcel, PDG du groupe français Dorcel, producteur et diffuseur de contenus pornographiques en France, a ainsi indiqué aux rapporteures : « depuis sept à huit ans, des sites sauvages, notamment les tubes, diffusent des contenus pornographiques sans aucune restriction d'accès, pour des raisons purement commerciales, et au mépris de toutes les conséquences que cela peut avoir sur les enfants. Parallèlement, ces acteurs causent aussi un tort considérable à notre industrie. Avec eux, c'est la double peine : non seulement ils diffusent des contenus pornographiques à n'importe qui - y compris les enfants - mais ils diffusent également n'importe quoi : images extrêmes, avilissantes, etc. Ce nouveau système marketing a permis à quelques sociétés, qui animent ces sites, de réaliser près de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur un marché du X mondial d'environ 8 milliards d'euros . » Il a également précisé que ces sites « sont pour la plupart hébergés à l'étranger, dans des paradis fiscaux . »

En outre, dans ses réponses à un questionnaire adressé par les rapporteures de la délégation, le groupe Dorcel estime que « les tubes ont amené un accès sans limite aux contenus pornographiques (...), un affaiblissement des producteurs voire une dépendance économique, une déresponsabilisation éditoriale et une dérégulation complète sur le web, opposées à la régulation qui règne historiquement sur les réseaux TV. Nous collaborons de façon limitée avec les principaux tubes. Nous sommes réputés pour vouloir imposer aux tubes la protection des mineurs (...) et pour lutter contre le piratage. Nous ne partageons pas les mêmes intérêts que les tubes . »

Ainsi que l'indiquait à la délégation, au cours d'une table ronde réunissant chercheurs et juristes sur la production de contenus pornographiques, le 3 février 2022, Béatrice Damian-Gaillard, docteur HDR en sciences de l'information et de la communication, professeure à l'Université Rennes 1, chercheuse à Arènes (laboratoire CNRS) : « dans un contexte de concentration de ce secteur économique, l'acteur économique clé n'est plus aujourd'hui le studio mais la plateforme. La plupart des plateformes sont (...) aujourd'hui la propriété de l'entreprise multinationale de publication Internet spécialisée dans la pornographie, MindGeek . Parallèlement, les acteurs et actrices comptent de plus en plus sur les revenus qu'ils tirent, non plus des contrats avec les studios, mais des rémunérations qu'ils ou elles reçoivent sur leurs comptes personnels depuis des plateformes telles qu' Onlyfans . Les montages juridiques et économiques des structures vont donc aujourd'hui d'acteurs qui sont autoentrepreneurs à des groupes multinationaux . »

« L'acteur économique clé n'est plus aujourd'hui le studio mais la plateforme » Béatrice Damian-Gaillard, docteur HDR en sciences de l'information et de la communication, professeure à l'Université Rennes 1, chercheuse à Arènes

Dans la réédition datant de 2020 de l'ouvrage 1 ( * ) de référence de Gail Dines, sociologue américaine, intitulé Pornland : comment le porno a envahi nos vies , l'auteur de la postface Tom Farr, chercheur britannique au sein du CEASE 2 ( * ) , décrit très bien la structure entrepreneuriale de l'industrie du porno telle qu'elle existe aujourd'hui : « actuellement, la méga-entreprise derrière le rideau est Mindgeek , un conglomérat international qui possède plus de 80 % des sites pornographiques , y compris des sites majeurs et des studios de production comme Pornhub et Brazzers . Son fonctionnement consiste à racheter tous les sites rentables, puis à prendre une part des bénéfices au travers de leur hébergement, de la publicité et de la vente de produits. Les plus populaires d'entre eux sont les sites de type « tube » comme Pornhub et YouPorn , qui sont en réalité des gigantesques plateformes proposant un éventail presque illimité de contenus gratuits , avec toutes sortes d'images et de vidéos véhiculant des stéréotypes racistes, misogynes et pédocriminels. En particulier pour Pornhub , MindGeek réalise des bénéfices avec la publicité, grâce aux milliards de visites que le site enregistre chaque année, tandis que ceux qui apparaissent dans les vidéos voient leurs bénéfices diminuer, car la majorité du contenu du site est libre d'accès, conformément à la stratégie déployée par MindGeek sur l'ensemble de l'industrie ».

MindGeek, la multinationale du porno

L'entreprise MindGeek détient de nombreux tubes , ces plateformes agrégeant des contenus pornographiques en ligne, dont les plus connus sont Pornhub , YouPorn et RedTube .

En 2017, dans un documentaire intitulé « Pornocratie, les nouvelles multinationales du sexe », la réalisatrice Ovidie a dénoncé l'opacité autour de cette multinationale, dont il est quasiment impossible de connaître la structure capitalistique, les noms des réels propriétaires, le nombre de filiales ou encore les revenus.

Établie physiquement à Montréal, Mindgeek déclare employer 1 000 de ses 1 800 salariés sur le sol canadien. Cependant, elle a des activités dans le monde entier, possède des bureaux à Chypre, à Londres, à Bucarest et Los Angeles, et héberge du contenu à l'extérieur du Canada. Son siège social est basé au Luxembourg.

Son chiffre d'affaires annuel avoisinerait les 800 millions d'euros selon certaines estimations publiées dans la presse.

Le modèle économique de MindGeek repose non seulement sur les bénéfices générés par la publicité présente sur ses principaux sites de diffusion de contenus gratuits mais aussi sur sa plateforme de jeux en ligne ou encore sur certains abonnements payants permettant d'accéder à un autre type de contenus.

Le 4 décembre 2020, une enquête publiée par le New York Times faisait état de vidéos publiées sur le site Pornhub de victimes, parfois mineures, de viols dans le cadre de tournages pornographiques et de vidéos diffusées sans le consentement des femmes concernées. Suite à ces révélations, des compagnies telles que Mastercard et Visa ont bloqué leur accès à Pornhub . Le site Pornhub avait alors annoncé la suppression des vidéos publiées par des utilisateurs ne s'étant pas soumis au processus de « vérification » du site, soit plusieurs millions de contenus.

En outre, un cabinet d'avocats international a intenté, en 2021, une action en justice aux États-Unis contre MindGeek pour la mise en ligne de vidéos d'exploitation sexuelle présumée : trente-quatre femmes ont ainsi porté plainte contre MindGeek accusant l'entreprise d'avoir hébergé des vidéos de violences sexuelles dont elles ont été victimes.

Le 4 mars 2021, une centaine de victimes d'exploitation sexuelle appelaient également le Canada à mener une enquête criminelle à l'encontre de MindGeek , accusée de violer la législation canadienne en matière de protection de l'enfance.

Au mois de juin 2022, une nouvelle enquête publiée dans le magazine The New Yorker a fait état des échecs de la modération du site Pornhub se basant sur des témoignages de jeunes adolescentes mineures victimes de la diffusion d'images filmées sous la contrainte.

b) Quels revenus générés aujourd'hui par l'industrie mondiale de la pornographie ?

S'agissant des revenus générés par l'industrie mondiale de la pornographie, les chiffres dont a pu prendre connaissance la délégation diffèrent selon les interlocuteurs.

Grégory Dorcel, PDG du groupe Dorcel, principal leader de la production pornographique française, a évoqué devant la délégation un « marché mondial du X d'environ 8 milliards de dollars » de chiffre d'affaires.

Le groupe Dorcel a ainsi estimé la ventilation du chiffre d'affaires mondial de la pornographie :

- 2 milliards de dollars pour les tubes ;

- 1,5 milliard de dollars pour la live cam ;

- 2 milliards de dollars pour la production traditionnelle ;

- 2 milliards de dollars pour les plateformes de création de contenus (type Onlyfans , etc.).

Soit un marché global de l'ordre de 7,5 milliards de dollars auquel s'ajoute 1 milliard de dollars de chiffres d'affaires des groupes audiovisuels traditionnels en TV et VOD .

Un article 3 ( * ) publié sur le site capital.fr daté du 22 mai 2020, indique que, « depuis 2012, le chiffre d'affaires de l'industrie du X a bondi de 50 % pour passer à 7,5 milliards de dollars, et la plupart des grandes entreprises du secteur affichent une santé florissante. Il faut dire que, boostées par les avancées technologiques, ces sociétés - dont la plupart n'existaient pas il y a quinze ans - ont réussi à se façonner un modèle économique totalement nouveau, à des années-lumière des vieilles lunes du cinéma porno et autrement plus rentables ». Le même article précise, par ailleurs, que « pour maximiser les profits, ils appliquent à la porn industry les recettes de la Silicon Valley , inondent la planète avec leurs sites aux contenus gratuits, captent l'essentiel de la pub grâce à des techniques d'affiliation dernier cri et, fort de leurs milliards de connexions mensuelles, écrasent sans pitié la concurrence, à la manière de Google ou d' Amazon ».

Le trafic généré par les tubes est tel que même un faible pourcentage de « clics » sur les bannières publicitaires affichées sur ces sites suffit à les rentabiliser. L'article précité, publié sur le site capital.fr , cite ainsi Magalie Rheault, PDG d' Evil Angel , un des derniers producteurs indépendants de vidéos pornographiques : « il faut bien comprendre que MindGeek n'est pas une entreprise de porno, c'est une régie publicitaire. La nature du contenu ne les intéresse pas, ils veulent juste attirer le plus de visiteurs possible pour vendre des bannières et du trafic ».

Les associations féministes entendues par la délégation ont, quant à elles, fait état de « revenus du porno » beaucoup plus élevés à l'échelle internationale.

Ainsi, Claire Charlès, porte-parole de l'association Les Effronté.es , a souligné, lors de son audition le 20 janvier 2022, « tous ces contenus charrient énormément d'argent. 136 milliards de vidéos sont visionnés chaque année ; 35 % des vidéos sur Internet sont de la pornographie . Les revenus du porno s'élèvent à 140 milliards de dollars par an, dont 17 milliards aux États-Unis , soit plus que Netflix et la National Basketball Association ( NBA ) réunis. Nous devons nous interroger sur les intérêts financiers colossaux qui se cachent derrière cette industrie (...) ».

De même, Céline Piques, porte-parole de l'association Osez le féminisme ! , a indiqué à la délégation : « 25 % de la bande passante sur Internet sont aujourd'hui consacrés à la pornographie. C'est un problème financier mais aussi écologique, puisque l'industrie consomme énormément. Les milliards d'euros suivent derrière. En termes de contrôle européen ou mondial, les plateformes de diffusion type Pornhub ou xVideos sont hors de tout contrôle. MindGeek , la maison mère de Pornhub , est par exemple une société de droit canadien ayant placé son argent dans des paradis fiscaux, notamment en Europe, en particulier au Luxembourg . »

Dans son cinquième rapport mondial sur le système prostitutionnel, publié en 2019, la Fondation Scelles estimait, quant à elle, qu'en 2006, le chiffre d'affaires de l'industrie pornographique avait atteint 97,06 milliards de dollars, dont 13,33 milliards générés rien qu'aux États-Unis. Le premier chiffre correspond au chiffre d'affaires combiné des GAFAM ( Google , Apple , Facebook , Amazon , Microsoft ) et le second est largement supérieur aux 9 milliards de dollars enregistrés par l'industrie cinématographique américaine.

Cette recherche du profit à tout prix explique pourquoi l'industrie de la pornographie est devenue aveugle au contenu diffusé sur ces gros sites de streaming de vidéos X et a pu encourager la production de contenus de plus en plus violents, véhiculant des stéréotypes racistes, sexistes, homophobes et lesbophobes.

2. Les chiffres de consultation des principaux sites pornographiques dans le monde et en France
a) Les vidéos porno : plus d'un quart de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde

D'après des données internationales publiées sur le site SimilarWeb , parmi les 50 sites Internet les plus fréquentés au monde figurent six sites pornographiques , classés dans la catégorie « Adulte ».

Il s'agit des sites suivants : xVideos , classé 10 e site générant le plus de trafic au monde, Pornhub , classé 12 e , Xnxx , 13 e site, xHamster , 26 e site mondial, Realsrv , classé 44 e et enfin Stripchat , classé 48 e .

Le site Pornhub aurait généré un total de 42 milliards de visites en 2019 et afficherait un nombre de près de 220 000 vidéos vues chaque minute dans le monde .

D'après un rapport 4 ( * ) du think tank Shift Project , datant de juillet 2019, sur la sobriété numérique, les vidéos pornographiques hébergées sur des plateformes de streaming de contenus pornographiques ( Pornhub , YouPorn , xVideos , etc.), constituent plus d'un quart ( 27 %) de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde, 16 % du flux total de données sur Internet et 5 % du total des émissions de gaz à effet de serre dues au numérique .

Poids des vidéos pornographiques dans le trafic Internet mondial

de l'ensemble du trafic vidéo en ligne

du flux total de données sur Internet

des émissions de gaz à effet de serres dues au numérique

Source : The Shift Project, 2019

La demande de contenus pornographiques sur Internet est également très forte puisqu'elle correspond à une recherche sur huit sur ordinateur et à une recherche sur cinq sur mobile .

Outre son impact sociétal, cette consommation de bande passante sur Internet au niveau mondial a également une forte incidence environnementale .

Classement des sites Internet les plus fréquentés au niveau mondial

Classement

Site Internet

Catégorie

Durée moyenne de la visite

Pages/
visite

1

Google.com

Moteurs de recherche

00:10:59

8.70

2

Youtube.com

Streaming et TV en ligne

00:21:48

11.82

3

Facebook.com

Réseaux de médias sociaux

00:09:52

8.69

4

Twitter.com

Réseaux de médias sociaux

00:10:57

10.36

5

Instagram.com

Réseaux de médias sociaux

00:07:39

11.06

6

Baidu.com

Moteurs de recherche

00:05:37

8.03

7

Wikipedia.org

Dictionnaires et encyclopédies

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Source : SimilarWeb (août 2022)

b) La France : 4e pays le plus consommateur de porno dans le monde

En France, d'après les données publiées sur le site SimilarWeb en août 2022, cinq sites pornographiques sont classés parmi les cinquante sites les plus fréquentés, dont quatre sites situés dans le Top 25 : Pornhub , en 11 e position - avant lefigaro.fr ou lemonde.fr , xVideos , classé 18 e xHamster , classé 20 e site et Xnxx , classé 23 e . Le cinquième site le plus consulté est Stripchat.com .

Classement des sites pornographiques
parmi les trente sites les plus fréquentés en France

Classement

Site Internet

Catégorie

11

Pornhub.com

Adulte

12

Live.com

E-mail

13

Yahoo.com

Éditeurs d'actualités et médias

14

Netflix.com

Streaming et TV en ligne

15

Programme-tv.net

Streaming et TV en ligne

16

Ouest-France.fr

Éditeurs d'actualités et médias

17

Lefigaro.fr

Éditeurs d'actualités et médias

18

Xvideos.com

Adulte

19

Lemonde.fr

Éditeurs d'actualités et médias

20

Xhamster.com

Adulte

21

Lequipe.fr

Sports

22

Meteofrance.com

Cartes

23

Xnxx.com

Adulte

Source : SimilarWeb (août 2022)

D'après des données chiffrées que la délégation a pu consulter, en 2021 près d'un millier de sites pornographiques accessibles depuis la France est recensé pour les calculs d'audience, parmi lesquels environ un quart affiche une audience notable de plus 80 000 visiteurs uniques par mois. En outre, d'après les données fournies par le groupe Dorcel, les Français effectuent chaque mois un total de plus de 650 millions de visites sur l'ensemble des sites pornographiques accessibles dans le monde. En outre, sept Français sur dix consulteraient mensuellement au moins une plateforme pornographique.

En moyenne, en 2021, les sites pornographiques comptabilisent en France une audience mensuelle moyenne de 19,3 millions de visiteurs uniques (personnes qui se rendent chaque mois au moins une fois sur un site classifié « adulte »), soit 36 % des internautes français , dont 2,3 millions de mineurs , soit 12 % de l'audience.

Audiences des sept sites pornographiques mis en demeure par l'Arcom
(moyenne mensuelle du nombre de visiteurs uniques en 2021)

Ensemble

2-17 ans

18 ans et plus

Total Internet

53 367 023

7 919 377

45 447 646

Total catégorie Adulte

19 321 055

2 252 355

17 068 700

Pornhub

9 165 726

1 584 342

7 581 385

xHamster

4 522 531

343 542

4 178 989

XVideos

4 496 208

532 720

3 963 488

Tukif

2 888 879

388 107

2 500 772

Xnxx

1 012 710

35 103

977 606

Youporn

2 862 985

200 857

2 662 127

RedTube

788 248

45 005

743 243

Source : Arcom

Pornhub est le site pornographique qui génère le plus de trafic en France. D'après les données publiées en 2021 par ce site, la France se situe au quatrième rang mondial des pays les plus consommateurs de pornographie , en termes de nombre de consultations journalières, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon, et devant l'Italie.

L'audience mensuelle en visiteurs uniques de Pornhub en France s'élève, en 2021, à 7,6 millions de majeurs et 1,6 million de mineurs , soit 17 % de l'audience totale mensuelle du site en moyenne.

c) L'industrie de la pornographie en France dominée par deux acteurs principaux : les groupes Dorcel et ARES (« Jacquie et Michel »)

Le secteur de la pornographie en France regroupe au total une dizaine de sociétés de productions françaises avec autant de réalisateurs. Une vingtaine d'acteurs masculins travaillent pour ces sociétés. Les femmes intervenant dans ces productions sont, quant à elles, beaucoup plus nombreuses et leur nombre difficile à quantifier.

L'industrie de la pornographie en France est toutefois dominée par deux entités principales : le groupe Dorcel, à la fois producteur et diffuseur de contenus, et le groupe ARES (détenteur de la marque Jacquie et Michel ), qui se présente comme simple diffuseur de contenus.

(1) Dorcel, leader de l'industrie pornographique en France

Le groupe Dorcel, groupe français de plus de 45 ans d'existence, emploie une centaine de collaborateurs et réalise un chiffre d'affaires annuel de près de 35 millions d'euros .

Le groupe possède cinq sites Internet qui totalisent approximativement deux millions de visiteurs par mois .

Les activités du groupe sont réparties entre le média et le « retail » :

- son activité historique est l'activité média, qui regroupe l'achat et la production de programmes et l'édition de cinq chaînes de télévision diffusées auprès de 300 opérateurs tels que Orange , Free , SFR , etc. dans plus de 75 pays . Le groupe gère également les offres télé et VOD de dizaines d'opérateurs TV. Le groupe tourne environ 35 productions par an : vingt-cinq en France, cinq aux États-Unis, cinq en Hongrie et deux ou trois en Espagne ;

- l'activité retail représente près de la moitié du chiffre d'affaires du groupe et regroupe la fabrication et la distribution de produits et accessoires destinés au « plaisir sexuel » distribués dans leurs propres réseaux de magasins, en ligne et chez des distributeurs classiques tels que La Redoute , Veepee , Vente Privée , etc.

D'après les informations fournies par le groupe Dorcel aux rapporteures de la délégation, les sources de revenus concernant l'activité média du groupe se répartissent ainsi : la moitié est issue de la vente directe au public de chaînes TV et de contenus à l'acte et en abonnement ; l'autre moitié est issue de la vente aux opérateurs TV de contenus et de chaînes TV.

(2) ARES, multi-diffuseur de nombreux contenus pornographiques

Le groupe ARES détient 26 sites Internet , visités par une quinzaine de millions de personnes mensuellement d'après des données fournies par le groupe à la délégation.

La marque Jacquie et Michel est la plus connue en France mais le groupe détient également des marques telles que Colmax ou Hot Vidéo . La vidéo représente 15 % du chiffre d'affaires du groupe, qui s'est élevé à environ 20 millions d'euros en 2021. Le groupe emploie une cinquantaine de collaborateurs . Pour le reste de son activité, le groupe opère dans le retail (boutiques), les réseaux sociaux et les sites de rencontre.

Source : groupe ARES

Le catalogue vidéo du groupe est composé d'environ un millier de vidéos au total et le groupe diffuse environ cinq nouvelles vidéos par semaine.

Au cours de son audition par la délégation aux droits des femmes, le groupe ARES a fait savoir, par la voix de son avocate, Maître Charlotte Galichet, que le groupe « n'est pas producteur de contenus, mais seulement diffuseur ». Par ailleurs, il a précisé que « deux types de contenus sont diffusés : les uns, professionnels, réalisés par des actrices dont c'est la principale source de rémunération ; les autres, amateurs ou pro-amateurs, mettant en scène des intervenants ponctuels . »

Dans ses réponses à un questionnaire adressé par la délégation, le groupe ARES a également indiqué que « le groupe ARES ne produit aucun contenu, puisqu'il est diffuseur (...). Aussi le groupe ne donne aucune consigne aux producteurs co-contractants quant au produit final si ce n'est le respect de notre contrat et de notre charte. En d'autres termes, le groupe n'interfère jamais dans la réalisation ou le contenu des scènes. (...) Les seules consignes qui sont données aux producteurs sont d'ordre purement technique : luminosité de la scène, son, ambiance conviviale, et gimmick de la marque « merci qui ?... ». Aussi, et de manière très concrète, si des problèmes ou des dérives tels que révélés dans la presse apparaissaient sur des tournages, il n'y avait aucune remontée d'informations jusqu'au diffuseur : ni de la part du co-contractant producteur, ni de la part des victimes ».

Qu'il soit pourtant permis aux rapporteures de la délégation de questionner cette absence de responsabilité du diffuseur quant au contenu des vidéos diffusées sur ses sites et aux conditions dans lesquelles ces vidéos sont tournées et produites. Le statut de simple diffuseur n'exonère pas les dirigeants du groupe ARES de leurs responsabilités à l'égard des victimes présumées de productions diffusées sur les sites dont le groupe est propriétaire.

À cet égard, le journaliste Robin D'Angelo, auteur d'un ouvrage 5 ( * ) d'enquête sur le milieu de la pornographie en France, a précisé aux rapporteures lors de son audition par la délégation le 17 février 2022, « je me suis (...) intéressé au système économique de ce porno français . (...) On y observe réellement une hiérarchie, mâtinée de cynisme, entre les diffuseurs et les producteurs. Dans ce circuit, les diffuseurs font tout pour ne pas être légalement responsables des producteurs . Ils savent très bien que certaines vidéos sont tournées dans des conditions déplorables, avec des abus. Ils mettent tout en oeuvre pour ne pas être responsables . Je pense évidemment à Dorcel ou à Jacquie et Michel , qui installent des barrières. Ils essaient aujourd'hui de développer un marketing autour de vidéos éthiques, en mettant en place une charte. Comprenez bien que des années durant, ces sites ont bien été informés du fonctionnement de leurs producteurs. Ils ont réussi à se protéger légalement en n'étant pas directement liés à ces derniers . Une réflexion me semble nécessaire quant à l'interaction entre la responsabilité des plateformes qui diffusent et celle des producteurs . »

La délégation ne peut que souscrire à ce constat et rappeler l'engagement de la responsabilité du diffuseur quant au contenu diffusé même lorsque le diffuseur se dit étranger aux conditions de production de ce contenu .

B. LES RÉSEAUX SOCIAUX ET PLATEFORMES, DES DIFFUSEURS QUI FERMENT LES YEUX SUR LEURS RESPONSABILITÉS

Outre ces nouveaux diffuseurs de masse que sont devenus les tubes , la pornographie a également trouvé de nouveaux débouchés numériques, que ce soit les réseaux sociaux ou les plateformes alternatives, dites « personnelles », qui proposent du contenu pornographique payant et « exclusif ».

1. Les nouvelles plateformes numériques de partage de contenus personnels : « la pornographie à l'heure des circuits courts »
a) Le succès grandissant d'OnlyFans, « l'Instagram du porno »

Lors de son audition, le 20 janvier 2022, Céline Piques, porte-parole d' Osez le féminisme ! a indiqué aux membres de la délégation :

« Nous avons parlé des plateformes mainstream telles que Pornhub, Dorcel, xVideos ou Jacquie et Michel , mais tout un pan de la pornographie et de la prostitution se développe aujourd'hui sur des plateformes alternatives . J'appelle cela le proxénétisme 2.0. Je pense notamment à OnlyFans et Mym , qui fonctionnent comme Instagram , mais qui sont payantes. À l'origine, les consommateurs payaient pour accéder à des comptes de célébrités publiant des contenus exclusifs. Aujourd'hui, l'essentiel des revenus d' OnlyFans , qui prélève 20 % de ceux générés par les comptes, provient de contenus à caractère sexuel. Ces vidéos font littéralement de la publicité pour la prostitution et la pornographie. Elles incitent les jeunes filles, parfois mineures, à ouvrir un compte sur OnlyFans . Vous commencez à faire de la cam , ou des vidéos à caractère sexuel, sur OnlyFans . Les proxénètes et clients prostitueurs y recrutent ensuite des mineures ou des jeunes femmes. Un débat a porté sur le fait qu' OnlyFans devait bannir les contenus sexuels. Ils ont failli le faire en octobre dernier, mais ont fait machine arrière en se rendant compte que leur business model allait s'effondrer s'ils le faisaient . »

Le modèle économique de ces nouvelles plateformes numériques permettant le partage de contenus pornographiques est très différent de celui des tubes : les personnes qui détiennent un compte sur ces plateformes peuvent mettre en ligne leurs propres vidéos à caractère sexuel, souvent filmées avec un simple smartphone, et les vendent directement aux consommateurs, soit à l'unité soit via un système d'abonnement. La plateforme qui héberge ces contenus prélève une commission estimée entre 20 et 50 % des revenus générés par leur diffusion.

Ainsi, la plateforme propose le plus souvent à ses utilisateurs de s'abonner à des profils de « personnalités » afin de leur donner accès à des contenus exclusifs, pour un tarif pouvant varier de 4,99 à 49,99 dollars par mois en moyenne. Les producteurs de contenus invitent généralement leurs abonnés à les rejoindre sur cette plateforme depuis d'autres sites ou réseaux sociaux tels que Twitter ou Instagram .

Dans un article daté du 22 mai 2020, publié sur le site capital.fr , intitulé : « Pornhub, XVideos... les secrets des GAFA du sexe », le journaliste Jacky Goldberg indique au sujet de ces nouvelles plateformes de partage de contenus personnalisés : « le marché de ces sites, surnommés clipsites ou fansites , est estimé pour l'instant à 0,5 milliard de dollars, mais il ne cesse de croître. (...) les candidates sont chaque jour plus nombreuses. Il y a dans le monde entre 500 000 et un million de femmes qui vivent de ce business, calcule le PDG de l'hébergeur MojoHost , Brad Mitchell. C'est colossal ” ». Le journaliste poursuit en précisant qu'une des utilisatrices de la plateforme OnlyFans lui a révélé que son seul compte sur cette plateforme lui avait rapporté, en 2019, 150 000 dollars une fois retranchés les 20 % de commission et que, pour toucher une telle somme dans le circuit classique de la pornographie, il lui aurait fallu tourner 100 scènes à son tarif habituel de 1 500 dollars.

Lors de la table ronde organisée par la délégation avec des actrices, réalisatrices et productrices de films pornographiques, le 9 mars 2022, Carmina, actrice et réalisatrice de « films pornographiques alternatifs », a déclaré au sujet de ces nouvelles plateformes de partage de contenus : « en monétisant des contenus de manière indépendante, les plateformes comme OnlyFans ou même certains tubes permettent à qui le souhaite de se lancer facilement. On assiste à une diversification des contenus et des manières de filmer . »

De même, lors de la table ronde du 3 février 2022 autour de chercheurs et de juristes sur la production de contenus pornographiques, Béatrice Damian-Gaillard, docteur HDR en sciences de l'information et de la communication, professeure à l'Université Rennes 1, chercheuse à Arènes (laboratoire CNRS), a précisé devant la délégation que « les acteurs et actrices comptent de plus en plus sur les revenus qu'ils tirent, non plus des contrats avec les studios, mais des rémunérations qu'ils ou elles reçoivent sur leurs comptes personnels depuis des plateformes telles qu' OnlyFans . Les montages juridiques et économiques des structures vont donc aujourd'hui d'acteurs qui sont autoentrepreneurs à des groupes multinationaux . »

Fondée au Royaume-Uni en 2016, la plateforme de partage de contenus OnlyFans , qui visait à l'origine des fans de musique en leur proposant de suivre au plus près leurs artistes préférés, a commencé à attirer les producteurs de contenus à caractère sexuel après son rachat en 2018 par le propriétaire du site de streaming vidéo pour adultes MyFreeCams . Aujourd'hui, la plateforme affirme verser annuellement plus de 5 milliards de dollars à ses 1,5 million à 2 millions de créateurs de contenus dans le monde. Cette plateforme a vu sa fréquentation augmenter de 75 % en 2020, bénéficiant notamment de la crise sanitaire et des confinements successifs à travers le monde. Son audience serait aujourd'hui proche des 200 millions de visiteurs mensuels .

En outre, selon des projections publiées en mars 2021 par la société détentrice de la plateforme, OnlyFans projetait de passer d'un volume de transactions de 2,2 milliards de dollars en 2020 à près de 6 milliards de dollars en 2021 et 12,5 milliards de dollars en 2022, son chiffre d'affaires devant également être multiplié par cinq pour atteindre 2,5 milliards de dollars en 2022.

Source : statista.com 6 ( * )

Le 19 août 2021, OnlyFans avait pourtant annoncé son intention d'interdire, à compter du mois d'octobre 2021, « la publication de tout contenu sexuellement explicite », notamment les vidéos pornographiques payantes, alors même que ce site est connu et prisé pour le large catalogue d'images et de vidéos pornographiques qu'il propose, accessible sur abonnement principalement. Lors de cette annonce, la plateforme avait notamment indiqué que ces changements étaient nécessaires pour se conformer aux requêtes de leurs partenaires financiers et des services de paiement en ligne. Revenant sur cette décision une semaine plus tard, le 25 août 2021, la plateforme OnlyFans a finalement annoncé renoncer à son projet d'interdiction des contenus pornographiques ou sexuellement explicites.

Ce revirement s'explique sans doute par la véritable manne financière que représente, pour la plateforme, le partage de contenus pornographiques exclusifs par ses créateurs de contenus avec des utilisateurs de plus en plus nombreux à payer des abonnements pour accéder à ces contenus personnalisés.

b) La multiplication et la concurrence d'autres plateformes de monétisation de contenus pornographiques sur Internet

D'autres plateformes de partage de contenus personnels, pour la plupart à caractère sexuel, et proposant un service similaire à celui d' OnlyFans , ont récemment vu le jour dans la lignée du site aujourd'hui surnommé « l'Instagram du porno ».

Ainsi, des sites construits sur le modèle d' OnlyFans , avec un fonctionnement similaire basé sur un système d'abonnement pour un accès à du contenu exclusif, se multiplient, attirés par les revenus exponentiels générés par ce type d'activités.

C'est le cas par exemple du site français MYM , autre plateforme personnelle proposant également du contenu exclusif à caractère sexuel. Créée en 2019, elle a vu son nombre d'utilisateurs plus que doubler en 2020 et en recense à ce jour près de 9 millions, d'après des données publiées par le journal Le Monde 7 ( * ) au mois de septembre 2022. Des sites analogues tels que MyFreeCams , AVN Stars , Just For Fans , Unlocked ou encore Top4Fans , plateforme française, ont été créés pour rivaliser avec OnlyFans qui continue toutefois à dominer le marché de la monétisation de contenus pornographiques sur Internet.

Si ces sites exigent d'avoir plus de 18 ans pour être en mesure d'ouvrir un compte et de partager du contenu, il n'est pas rare que des mineurs parviennent à ouvrir un compte et à créer du contenu à caractère pornographique en utilisant une fausse identité ou en usurpant l'identité d'autrui, comme l'a révélé une enquête britannique de la BBC 8 ( * ) , publiée le 27 mai 2021, intitulée : The children selling explicit videos on OnlyFans .

La multiplication de ces plateformes pose donc question en matière de protection des mineurs et de lutte contre la prostitution virtuelle des mineurs .

2. Les réseaux sociaux et messageries privées, nouveaux vecteurs numériques de la pornographie

Outre l'apparition récente de ces plateformes de partage et de monétisation de contenus à caractère sexuel, les réseaux sociaux sont également devenus un vecteur grandissant de diffusion numérique de la pornographie. C'est le cas notamment de médias sociaux tels que Twitter ou Instagram . S'agissant des messageries privées, les échanges et téléchargements de contenus pornographiques via WhatsApp ou Snapchat sont également de plus en plus fréquents, surtout au sein du public adolescent.

Ainsi, une récente étude allemande 9 ( * ) , publiée au mois d'avril 2022, sur les habitudes des adolescents français concernant la pornographie en ligne a révélé les résultats d'un sondage Ifop réalisé en avril 2021, auprès de 1 000 jeunes, âgés de 15 à 17 ans, selon lesquels :

- 30 % d'entre eux ont été exposés à du contenu sexuel explicite via des vidéos ou images pornographiques, directement sur les réseaux sociaux ( Instagram , Twitter ou Reddit ), sans passer par des sites pornographiques ;

- 24 % d'entre eux déclarent avoir été exposés à ce type de contenus en le recevant ou le téléchargeant via des messageries privées , telles que WhatsApp ou Snapchat ;

- 17,6 % d'entre eux ont visionné ce type de contenus sur YouTube ;

- 29,5 % d'entre eux déclarent également accéder à ce type de contenus via des moteurs de recherche sur Internet tels que Google .

Ainsi que le déclarait devant la délégation, lors d'une table ronde organisée le 9 mars 2022, l'actrice, réalisatrice et productrice de films pornographiques Nikita Bellucci : « il n'est pas rare de trouver du contenu pornographique non flouté sur Twitter , même après plusieurs signalements. Twitter ne propose aucun dispositif pour réguler ces contenus, pas plus que Google , puisqu'il suffit de taper un mot clé à caractère sexuel dans la barre de recherche “ images ” pour découvrir des milliers de contenus pornographiques sans même avoir ouvert la moindre page d'un site porno . »

Les contenus pornographiques ou du moins en faisant la promotion ne sont également pas rares sur Instagram . Il convient néanmoins de noter qu'en septembre 2022 ce réseau social a décidé de supprimer le compte de Pornhub .

*

L'arrivée des tubes , véritables robinets à images pornographiques, a donc profondément bouleversé le secteur économique de la pornographie qui reposait auparavant essentiellement sur une consommation payante, à l'accès relativement encadré et règlementé, de contenus vidéos produits de manière « classique » par des entreprises fonctionnant sur le modèle de grandes productions cinéma.

Le besoin massif de nouveaux contenus pour alimenter ces plateformes a notamment constitué le point de départ de pratiques favorisant les violences sexistes et sexuelles envers les femmes, leur exploitation sexuelle ainsi que la production de contenus de plus en plus « trash » et violents pour alimenter les intérêts économiques de cette véritable industrie du sexe .

II. DES PRODUCTIONS QUI ATTEIGNENT LE PAROXYSME DE LA VIOLENCE

La pornographie consiste dans l'exploitation commerciale de la représentation explicite et filmée de pratiques sexuelles non simulées .

La massification de la diffusion du porno sur Internet, entraînée par l'apparition des tubes , grandes plateformes de diffusion numérique de dizaines de milliers de contenus pornographiques, a eu pour conséquence une évolution « systémique » de la pornographie qui peut aujourd'hui être considérée comme relevant d'un business mondialisé et massif du sexe.

Ce bouleversement systémique a radicalement modifié la production des contenus pornographiques, d'une part, en encourageant la pluralisation et l'éclatement des espaces de production, d'autre part, en normalisant les violences sexuelles et sexistes dans le porno.

Cette évolution historique et systémique rend aujourd'hui nécessaire l'adoption d'une nouvelle approche politique et sociétale de cette industrie que l'on peut, sans détours, qualifier de « prédatrice ».

A. UNE MARCHANDISATION DU SEXE ET DU CORPS DES FEMMES

1. Une massification et une mondialisation du business du sexe
a) Le porno, une affaire d'argent plus qu'une affaire de sexe

Les travaux de la délégation ont notamment mis en lumière le changement de paradigme et d'échelle des violences qui s'est opéré depuis les années 1970 dans l'industrie du sexe et plus spécifiquement dans celle de la pornographie .

L'industrie de la pornographie s'est massifiée et structurée autour de quelques acteurs économiques clés pour lesquels les enjeux de rentabilité ont pris le pas sur toute autre considération humaine : cette marchandisation du sexe et du corps des femmes à l'échelle mondiale a généré un système de violences envers les femmes, violences aujourd'hui érigées en norme sexuelle par cette industrie aveugle aux contenus qu'elle diffuse et aux souffrances qu'elle engendre, une industrie tournée vers la seule recherche de profits économiques.

Ainsi que le souligne le chercheur britannique Tom Farr dans la postface, publiée en 2020, du livre de Gail Dines Pornland 10 ( * ) initialement édité en 2010 : « les producteurs de porno ne s'intéressent pas tant à l'aspect « sexuel » (même si appeler cela du « sexe » revient à banaliser ce qui, dans tout autre contexte, serait considéré comme une agression physique) qu'à la manière dont leur dernier produit pourrait générer des profits ou des parts de marché. (...) Avant de lire Pornland , j'imaginais passivement que le porno était une affaire de sexe. Rien n'est plus faux. Le porno est une affaire d'argent . (...) ceux qui sont chargés d'alimenter le déluge de vidéos que l'on trouve sur Internet ne se soucient pas vraiment de ce qu'elles contiennent, qu'il s'agisse de violents gangs-bangs, de clichés rebattus comme le plombier venu « réparer un tuyau », d'incestes ou de productions dites amateurs. Ce qui les intéresse, c'est de tirer profit de ce qui est populaire ».

Il poursuit en évoquant notamment les liens entre l'industrie du porno et d'autres formes d'exploitation sexuelle, constituant ainsi un élément clé du commerce mondial du sexe. Selon lui, il est essentiel de prendre conscience que « l'industrie du porno est une machine entrepreneuriale hypercapitaliste ».

Au cours de ses auditions, la délégation a pu mesurer l'importance économique de cette industrie mais aussi la difficulté à évaluer avec précision les revenus qu'elle génère à l'échelle mondiale.

Claire Quidet, présidente du Mouvement du Nid , a ainsi indiqué à la délégation : « l'industrie du sexe, regroupant le porno et la prostitution, constitue une industrie colossale. Les intérêts économiques sont énormes. Nos opposants sont plus financés que nous. Nous affrontons donc un déséquilibre en termes de moyens pour pouvoir agir. C'est extrêmement frappant . »

Enfin, Céline Piques, porte-parole d' Osez le féminisme ! , a dénoncé « des systèmes mafieux et des zones de non-droit absolu, y compris en matière fiscale ».

b) Une nouvelle structuration des espaces de production pornographique

La massification de l'industrie de la pornographie a modifié la structuration des espaces de production pornographique :

- d'une part, comme évoqué précédemment, l'apparition des tubes , à savoir les plateformes numériques de diffusion des contenus pornographiques, a entraîné une concentration de ce secteur économique dans les mains de quelques multinationales propriétaires de ces tubes ;

- d'autre part, la nécessité de produire des centaines de milliers de contenus pornographiques pour alimenter ces tubes a abouti à une pluralisation des espaces de production et à l'apparition de nouveaux acteurs dans le secteur de la production de contenus pornographiques qui ont eu notamment pour conséquence une précarisation de la situation économique des femmes engagées dans ces productions .

Marie Maurisse, journaliste, auteure de Planète Porn, Enquête sur la banalisation du X 11 ( * ) , ouvrage sur le secteur de la pornographie, a ainsi décrit, lors de son audition par la délégation le 17 février 2022, l'évolution de l'économie de ce secteur :

« Par le passé, de grosses entreprises faisaient leur travail de manière classique, comme de grandes productions de cinéma. Le secteur était concentré entre les mains de quelques groupes . De ce fait, le milieu était assez lucratif. Les consommateurs payaient les films qu'ils achetaient ou louaient. C'était assez cher. Les personnes qui travaillaient dans le milieu bénéficiaient de conditions de vie relativement bonnes. On pouvait gagner de l'argent. Les abus existaient mais ils étaient, selon moi, assez encadrés et limités. En outre, les acteurs et actrices étaient plus connus et moins nombreux . »

Elle poursuit en expliquant qu'« avec l'arrivée des sites Internet, tout cela a volé en éclats . Ils ont transformé le secteur économique, dans lequel les acteurs d'avant ne gagnent plus autant d'argent. Les consommateurs paient beaucoup moins pour consommer de la pornographie, voire plus rien . (...) Il y a beaucoup plus de petits producteurs isolés, qui produisent leurs petits films et les diffusent sur Internet . (...) Les personnes travaillant dans ce secteur sont alors moins unies. Leur parole est moins organisée et collective pour essayer d'imposer des règles et des chartes. (...) Nombreux sont ceux qui franchissent des limites morales, éthiques et légales. Ce constat est le même partout . »

En outre, la distinction classiquement opérée dans le milieu de la pornographie entre un secteur « professionnel » et un secteur « amateur » apparaît aujourd'hui de moins en moins pertinente au vu de la réalité du secteur et de l'extrême porosité entre les acteurs de ces deux univers, à tel point que certains spécialistes du monde de la pornographie, tel Robin D'Angelo, journaliste et auteur d'un ouvrage 12 ( * ) d'enquête sur le milieu du porno français, pointent l'existence de producteurs de contenus dits « pro-am », mi-professionnels mi-amateurs. Il s'agit, pour la plupart, de petits producteurs qui se présentent comme produisant du contenu « amateur », alors même qu'ils proposent également du contenu dit scénarisé pour les diffuseurs industriels et qu'ils ont parfois recours à des acteurs et actrices dits « professionnels ».

Lors de son audition par la délégation, Robin D'Angelo a indiqué aux rapporteures : « j'ai tendance à ne pas opérer de distinction entre une pornographie industrielle et une pornographie amateure . C'est pour moi la même chose. L'amateur, c'est surtout une question d'esthétisme et de mise en scène. Les gens qui sont derrière le porno amateur en France sont les mêmes que ceux qui gèrent l'industrie dite scénarisée . Il n'y a absolument pas de différence. Les individus qui vont proposer des services d'agent en Europe de l'Est, qui peuvent d'ailleurs récupérer des femmes françaises, vont pouvoir les introduire dans des circuits dits amateurs également. La frontière est très floue. J'ai tendance à voir cette idée de professionnalisation et d'industrie du porno comme une sorte de maquillage . C'est tout le procédé de Dorcel, qui se qualifie de professionnel réalisant des productions scénarisées et indique ne pas faire d'amateur. La réalité en est bien éloignée. Leurs producteurs qui produisent des contenus scénarisés font également de l'amateur. (...) Je ne vois pas de différence entre un tournage amateur et scénarisé. (...) Dans les deux cas, on reste dans une forme de marginalité totale . (...) Beaucoup d'actrices dites professionnelles vivent dans des situations de précarité totale . »

La précarité économique des « actrices » a également été constatée par la journaliste Marie Maurisse qui a précisé lors de son audition par la délégation, s'agissant de tournages dans le secteur dit « amateur » en France : « j'ai assisté à des scènes surréalistes. Des femmes très précaires, en grande difficulté économique et sociale, étaient présentes sans savoir ce qu'elles faisaient là, sans savoir comment elles avaient atterri là, parce qu'elles avaient besoin d'argent. Elles faisaient ça pour quelques dizaines d'euros. Elles sont abusées, bien qu'elles aient techniquement donné leur accord. C'est un cercle infernal. Les scènes sont extrêmement violentes . »

Elle a ajouté, à ce sujet, « en assistant à ces tournages, j'ai compris que les producteurs étaient attentifs au contrôle de l'âge, qu'ils vérifiaient bien la carte d'identité de la personne pour s'assurer qu'elle ait au moins 18 ans. Ils semblaient très prudents à ce sujet, de ce que j'ai pu constater. En dehors de cet élément, il n'y avait absolument aucune règle, aucun contrôle , pas même concernant le port du préservatif. Souvent, la femme se retrouve seule face à des groupes d'hommes. C'était d'une violence très difficile à observer pour une journaliste . »

Pour contourner cette industrie prédatrice et sortir d'une certaine précarité économique et sociale, certaines « actrices » du milieu pornographique décident de développer leur propre marque en ligne, comme le soulignait Marie Maurisse devant la délégation : « Certaines disposent de leur site Internet et de leur propre chaîne sur Chaturbate ou autres sites de live. Elles organisent des rendez-vous en direct avec des clients. Tout se passe à travers la caméra. Le rapport sexuel n'est pas réel. Grâce à ces plateformes, elles gagnent plus d'argent et complètent ainsi les revenus perdus dans le cinéma X classique . »

C'est ainsi que s'est récemment développé le phénomène des camgirls , dont l'activité s'apparente toutefois à des services sexuels tarifés même en l'absence de contact physique réel entre le client et la camgirl .

c) Une concentration géographique des principaux lieux de tournage

Aujourd'hui les principaux lieux de tournage de films pornographiques se situent, d'une part, en Amérique du Nord , majoritairement aux États-Unis où les principaux centres de production se trouvent à Los Angeles, Las Vegas et le sud de la Floride ; d'autre part, en Europe de l'Est , principalement à Budapest, capitale de la Hongrie, et en République Tchèque.

Aux États-Unis , la structuration et la professionnalisation de l'industrie des films pour adultes ( adult films industry ) a entraîné un certain encadrement des conditions de tournage sans pour autant permettre de lutter contre la banalisation de pratiques extrêmes ni contre la pression exercée, sur les actrices notamment, pour accepter ces pratiques.

À la demande de la délégation, la division de la législation comparée du Sénat a mené une recherche 13 ( * ) sur l'encadrement des conditions de tournage et la protection des acteurs participant à des films à caractère pornographique aux États-Unis. Les informations fournies tendent à montrer qu'il s'agit d'un milieu peu régulé par la loi mais plutôt par des codes de conduite ou des procédures internes.

Ainsi, si plusieurs tentatives de régulation ont eu lieu, notamment en Californie, elles se sont soldées par une opposition de la plupart des personnes de la profession. Mis à part la « mesure B » imposant le port du préservatif lors des tournages, les tentatives législatives visant à encadrer les conditions de tournage n'ont pas abouti.

En 2012, le comté de Los Angeles a soumis au vote des électeurs la « mesure B » 14 ( * ) , qui a été adoptée par près de 57 % des votants. Elle figure désormais dans le code du comté et dispose 15 ( * ) :

- que les producteurs de films pour adultes doivent obtenir des autorités un « permis de santé publique » ( public health permit ), lequel sera valide pendant deux ans à compter de la date de délivrance, sauf révocation. Dans le comté de Los Angeles, aucun producteur de films pornographiques ne peut s'engager dans une réalisation à des fins commerciales s'il ne dispose pas d'un permis de santé publique valide de production de films pour adultes. Ce permis doit être affiché sur les lieux de tournage à un endroit visible par les acteurs ;

- et que l'utilisation de préservatifs est obligatoire pour tous les actes sexuels anaux ou vaginaux lors de la production de films pour adultes afin de protéger les acteurs contre les infections sexuellement transmissibles.

Lors de son audition par la délégation, Marie Maurisse, journaliste qui a enquêté sur le secteur de la pornographie et s'est notamment rendue aux États-Unis pour les besoins de son enquête, a indiqué avoir constaté dans ce pays la mise en place de mesures pour contrôler et encadrer les pratiques de l'industrie pornographique « notamment sur les tarifs, la manière dont ils étaient rémunérés (à la journée), ce qu'ils pouvaient faire ou non, le respect de leur envie d'accepter telle ou telle pratique . » Elle a pu y observer « une forte place des syndicats et des associations défendant les travailleuses du secteur. Il y a davantage de procès en cours. Il y a quelques années, quand je m'y suis rendue, un certain contrôle était encore assuré . »

Toutefois, elle a également constaté une pression de plus en plus forte sur les actrices « pour faire un maximum de choses devant la caméra » et une « banalisation de pratiques assez extrêmes telles que les gorges profondes ».

Toutes les actrices rencontrées par Marie Maurisse aux États-Unis lui ont dit « constater une baisse de qualité dans les tournages. Aujourd'hui, en une journée, elles font beaucoup plus de choses que par le passé. Elles doivent tourner plus de scènes qu'auparavant, ce qui est plus fatigant et éprouvant. Les tarifs ont également diminué. Pour pouvoir continuer à travailler, ces personnes, payées à la journée, doivent élargir leur spectre de possibilités. Une actrice qui refusait certaines pratiques - la sodomie, par exemple - est aujourd'hui poussée à les accepter . »

Outre les États-Unis, le nouvel eldorado des tournages de films pornographiques se situe en Europe de l'Est , plus précisément à Budapest, capitale de la Hongrie. Pour son enquête sur l'économie du milieu de la pornographie, Marie Maurisse s'est rendue en Hongrie et a fait état, devant la délégation, d'une situation désastreuse en termes de respect de la dignité humaine :

« La situation m'a semblé mille fois pire à Budapest , qui a émergé comme place de pornographie parce que tout était devenu trop contraignant et trop cher aux États-Unis (...) À Budapest, tout est plus simple et plus souple. La pornographie y est légale. Toute une industrie s'y est mise en place, avec des agences, des studios où sont filmées les scènes. On y trouve une main d'oeuvre à volonté de jeunes femmes très peu chères, originaires des pays de l'Est, notamment de la Russie, qui viennent gagner leur vie de cette manière. (...) Les filles sont ramenées à Budapest où elles signent des sortes de contrats. Techniquement, certaines pratiques sont interdites mais les contrôles sont très peu fréquents. Tout se fait sous le radar. J'ai recueilli des témoignages assez extrêmes de jeunes filles mineures dont la première relation sexuelle s'est déroulée devant une caméra. Des producteurs et acteurs connus pour des pratiques extrêmes se rendent là-bas car ils savent qu'ils ne seront pas inquiétés . Typiquement, sur ces tournages, même lorsque la fille sait qu'elle va faire de la pornographie, la situation dérape lorsqu'elle arrive sur le plateau de tournage. Elle se retrouve à faire des tas de choses qu'elle ne souhaitait pas faire, dont elle n'était pas informée, y compris des scènes assez violentes. C'est très traumatisant pour ces femmes . À Budapest, je n'ai à l'époque pas constaté d'encadrement spécifique en la matière . »

La délégation déplore cette exploitation de la vulnérabilité économique et psychologique de femmes, souvent très jeunes , en situation d'exploitation sexuelle et livrées à elles-mêmes sur ces tournages pornographiques où elles subissent violences et pressions pour accepter des pratiques sexuelles souvent extrêmes. En outre, il n'est pas rare qu'elles soient placées sous soumission chimique (alcool, drogues ou médicaments) pour pouvoir réaliser certaines scènes particulièrement violentes ou douloureuses.

Les tournages professionnels qui ont lieu en France aujourd'hui sont très peu nombreux , à savoir ceux réalisés dans le cadre de sociétés de production dites « professionnelles » et diffusés sur des sites payants ou par le diffuseur hertzien historique de films pour adultes Canal+ . Ainsi, lors de son audition par la délégation le 9 mars 2022, l'actrice et réalisatrice Nikita Bellucci a indiqué aux rapporteures : « j'ai commencé à une époque où de multiples sociétés de production, de petite ou moyenne importance, existaient encore. Elles ont aujourd'hui toutes disparu ou ont été absorbées par les deux entités que sont Dorcel et Jacquie et Michel . Les tournages en France se font rares : la plupart des productions se font avec l'aide de Canal+ , diffuseur historique. Les actrices ne font plus carrière, puisqu'il n'y a pratiquement plus d'écosystème économique. »

En revanche, nombreux en France sont les tournages dits « amateurs » qui se déroulent dans des conditions déplorables et sordides, dans des appartements privés, voire des hangars ou des caves, avec des femmes souvent recrutées par des petites annonces diffusées dans des journaux ou via les réseaux sociaux Twitter et Instagram comme l'a notamment souligné Robin D'Angelo, journaliste et auteur de l'enquête précitée sur le milieu de la pornographie en France, lors de son audition par la délégation le 17 février 2022 : « sur le recrutement, j'ai (...) été frappé de la force des réseaux sociaux. Généralement, quand les producteurs repèrent une jeune femme publiant des photos un peu sexy sur Twitter ou Instagram , ils vont tous se passer son compte et essayer de la contacter en messages privés pour lui proposer des tournages . »

Il a également rappelé ce que recouvre la « réalité d'un tournage porno , qui se passe de la façon suivante : on arrive dans une pièce, avec des gens qui fument des joints, voire qui sniffent un rail de coke. Des acteurs arrivent à la dernière minute. Les actrices attendent dans leur coin, souvent dans une perspective d'argent rapide, et pas d'exercer un travail. Les billets passent de main en main. L'économie est (...) informelle avec des problématiques d'abus qui sont structurelles (...) ».

2. Une machine à broyer les femmes
a) Des violences sexuelles, physiques et verbales envers les femmes massivement répandues dans le milieu du porno

Les travaux de la délégation ainsi que les récentes recherches et enquêtes sur le milieu de la pornographie ont mis en évidence le caractère systémique et massif des violences envers les femmes perpétrées dans ce milieu, qui plus est sur des femmes souvent dans des situations de précarité et de vulnérabilité économiques et psychologiques extrêmes.

L'évolution du modèle économique de l'industrie pornographique a eu pour conséquence l'apparition de contenus prônant une sexualisation de la violence poussée à son paroxysme, notamment dans ce qu'il est d'usage d'appeler le « gonzo », un genre pornographique ultra violent, autrefois marginal et aujourd'hui devenu presque la norme parmi les millions de vidéos diffusées sur les tubes .

La massification de la pornographie en ligne et l'industrialisation de ce secteur économique, qui s'est traduite à la fois par l'émergence de grosses multinationales détentrices des principales plateformes numériques de diffusion du porno et par l'éclatement et la multiplication des sources de production des contenus pornographiques pour alimenter les tubes , ont eu pour conséquence :

- d'une part, la construction d'un système de domination et de violences faites aux femmes dans l'industrie pornographique ;

- d'autre part, l'affirmation d'une division sexuée et « racialisée » des rôles dans les rapports sexuels charriant un ensemble de stéréotypes misogynes, racistes, lesbophobes et hypersexualisés , poussés à l'extrême.

(1) La construction d'un système de domination et de violences faites aux femmes

Lors de leur audition par la délégation aux droits des femmes le 20 janvier 2022, les associations féministes entendues par les rapporteures ont fait part de violences sexuelles commanditées dans le milieu du porno et de témoignages de femmes ayant participé à des tournages pornographiques et ayant subi des violences physiques, verbales et psychologiques.

Sandrine Goldschmidt, chargée de communication au Mouvement du Nid , a fait part du témoignage de Nadia , initialement publié dans la revue Prostitution et société en 2016 :

« Moi, la “beurette”, j'étais la seule arabe. Le porno est un milieu fermé et très raciste. Mais il utilise toutes sortes de femmes , j'en ai même vu une de 200 kilos, et il réunit toutes les perversions imaginables. Quand on se rebelle, on nous dit : “ Il y a de la demande ”. Il y a ce qu'on appelle le “ gonzo ” : on prend des coups très violents, on se fait cracher dessus, tirer par les cheveux. J'ai tourné comme seule femme avec 35 types. Tous masqués. J'ai eu la peau brûlée par le sperme ... J'avais dit : pas de scato, pas d'uro, pas de zoophilie. Il a fallu que je me batte sans arrêt. J'ai connu une fille qui s'est suicidée après avoir tourné des scènes avec un chien. Le truc tournait sur Internet. Elle avait 18 ans. Maintenant, je réalise que la pornographie, c'est de l'esclavage moderne . J'ai été vraiment humiliée. À côté, j'ai trouvé que dans la prostitution il y avait au moins des hommes gentils ; j'ai été violée une seule fois et je n'ai pas été torturée. Le X, c'est des viols à répétition, c'est inhumain . »

Sandrine Goldschmidt a également déclaré devant la délégation : « ces violences sont extrêmement répandues . Elles sont la règle dans cette industrie, pas l'exception . (...) Il s'agit de violences sexuelles commanditées . Le consentement est extorqué par l'argent et l'exploitation de la vulnérabilité. Des violences extrêmes sont infligées à des femmes qui sont filmées. (...) Le fait que ces actes sexuels tarifés soient obtenus dans le cadre de l'industrie du film ne les rend pas légitimes, ni légaux. C'est selon nous un facteur aggravant de la violence . »

Elle a précisé que « ce n'est pas le fait de représenter la sexualité, mais de commanditer des violences sexuelles pour y parvenir qui pose problème . Il est tout à fait possible de représenter la sexualité humaine sans recourir à ces procédés. Après tout, il n'est pas nécessaire de tuer pour représenter le meurtre . »

La sociologue américaine Gail Dines, auteure en 2010 d'un ouvrage publié aux États-Unis intitulé Pornland : comment le porno a envahi nos vies 16 ( * ) , a montré à quel point les violences extrêmes dans le milieu du porno ne sont pas exceptionnelles dans le paysage de cette industrie mais au contraire de plus en plus répandues. Elle y dénonce le virage de l'industrie porno vers le hardcore en précisant que le sexe gonzo et ses châtiments corporels sont devenus la norme et ont évincé le porno plus soft : « j'étudie l'industrie du porno depuis plus de deux décennies. Néanmoins, la vitesse à laquelle le porno hardcore et cruel en est venu à dominer Internet m'a stupéfaite. Au fil des ans, j'ai vu les images devenir de plus en plus hardcore, mais elles étaient encore loin de la brutalité du gonzo désormais banal. Internet a entraîné une révolution du porno ».

À cet égard, elle cite l'une des rares études 17 ( * ) ayant été réalisées sur le contenu pornographique contemporain qui « nous apprend que la majorité des scènes de cinquante films pornographiques parmi les plus loués sur le marché contient des abus physiques et verbaux à l'encontre des exécutantes. 88 % des scènes en question présentent des agressions physiques dont des fessées, des gifles, des « gaggings 18 ( * ) ». 48 % présentent des agressions verbales, comme l'emploi des termes « salope » ou « pute ». Les chercheurs concluent qu' en combinant les agressions physiques et verbales, près de 90 % de ces scènes présentent au moins un acte agressif, avec en moyenne près de douze mauvais traitements par scène ».

Les chiffres cités par la Fondation Scelles dans son cinquième rapport 19 ( * ) mondial sur le système prostitutionnel en 2019, au sein de son chapitre intitulé Pornographie : toujours pas une histoire d'amour , sont du même ordre et révèlent que les scènes de violence tournées dans le milieu pornographique sont nombreuses. Ainsi, en 2010, un échantillon de 55 films , sélectionnés parmi les meilleures ventes du site Adult Video News , a été étudié pendant sept mois par des chercheurs. Après analyse de 304 scènes de pornographie, les résultats sont les suivants : près de 90 % des scènes contenaient des actes de violence . Presque la moitié des scènes ( 48,7 %) comportaient de la violence verbale , la grande majorité de ces violences étaient des insultes , le reste contenant des menaces . En outre, il a été noté que les violences verbales sont les prémices des violences physiques quasi omniprésentes .

Lors de son audition le 20 janvier 2022 par la délégation, Claire Charlès, porte-parole de l'association Les Effronté.es , a fait part aux rapporteures de « véritables actes de torture, de violence inouïe, dans une recherche de déshumanisation, pas du tout de liberté sexuelle comme le prétendent les défenseurs de cette industrie . »

Elle a également rappelé devant la délégation que « 88 % des scènes pornographiques contiennent de la violence explicite. Le porno dit trash il y a quelques dizaines d'années est devenu le porno mainstream d'aujourd'hui. Les contenus les plus violents sont les plus regardés. Les vidéos figurant dans les top rated contiennent des pratiques extrêmement violentes : la pratique du gagging , ou étouffement avec le pénis lors d'une fellation pouvant aller jusqu'au vomissement de la femme victime ; double ou triple pénétration, dans un même orifice ; étranglements, Bukkake (...) où une cinquantaine d'hommes font subir des fellations et éjaculent ensuite sur le visage d'une actrice, qui peut en subir des brûlures ; des femmes enceintes de huit mois, et donc un abus de faiblesse. S'y ajoutent des catégories telles que le BDSM (pratiques sadomasochistes) avec des femmes hurlant de douleur. Ce n'est pas du cinéma, pas de la simulation. Nous ne pouvons pas considérer qu'une femme qui pleure et qui saigne feint ou simule. Quiconque en serait témoin dans l'espace public ne pourrait pas tolérer ce type de violences. Quand c'est de la pornographie, personne ne le remet en question. C'est ce qui ne nous semble plus acceptable. Des infractions caractérisées telles que du racisme, du sexisme ou de la pédocriminalité, de la lesbophobie, des incitations à la haine raciale sont diffusées. »

Le journaliste Robin D'Angelo a également précisé à la délégation avoir constaté, au cours de son enquête sur le milieu du porno « pro-am 20 ( * ) » en France, dans le milieu de la pornographie « une forme de normalisation de la violence , assez marquante et assez forte » qui conduit forcément à des abus.

Il a notamment raconté avoir « été confronté à un producteur qui avait vendu à son diffuseur une scène de sodomie. L'actrice avait à l'origine donné son accord mais arrivée au moment de tourner la scène, elle ne voulait plus réaliser cette pratique . Le problème, c'est qu'elle s'était engagée au préalable à la réaliser quoi qu'il arrive. Le producteur s'estimait dans son bon droit, il avait vendu cette pratique à son diffuseur. L'actrice ayant donné son accord préalable, il a insisté jusqu'à ce qu'elle cède . C'est évidemment un abus sexuel . Si on se place d'un point de vue professionnel et qu'on considère la pornographie comme un métier comme un autre, on peut toutefois estimer que l'actrice n'était pas dans son droit. C'est le point de vue du producteur, qui a terminé la scène en disant « Dis donc, tu crois qu'une patineuse artistique ne se foule jamais la cheville ? » avant de lui dire « Toi, tu es vraiment la CGT du trou de balle ». À partir du moment où on considère l'échange, la transaction sexe contre argent comme un métier comme un autre, on va se retrouver confrontés à ces situations d'abus. (...) Un consentement ne se basant que sur une transaction expose forcément à des abus . »

La scénarisation du viol et l' érotisation de la violence sexuelle participent également de ce système de domination et de violences envers les femmes érigé par l'industrie de la pornographie à l'échelle mondiale.

Ainsi que le soulignait Claire Quidet, présidente du Mouvement du Nid , lors de son audition par la délégation le 20 janvier 2002 : « la pornographie réactive à l'infini le vieil adage selon lequel un “ non ” n'est pas toujours à prendre en compte ou à respecter, et qui dirait que les rares limites exprimées par les personnages féminins ou féminisés ne sont pas respectées. La scénarisation du viol est d'ailleurs un argument commercial souvent mis en avant . »

En effet, parmi les catégories de contenus pornographiques que l'on peut trouver sur les plateformes numériques de diffusion de vidéos porno, on retrouve très régulièrement des noms de catégories incitant au viol comme l'a souligné Claire Charlès, porte-parole de l'association Les Effronté.es , « vous trouverez (...) la catégorie des viols , avec des mots clés sans ambivalence : surprise anale, surprise fuck, prise par surprise, faciale non voulue ... Ce sont des incitations à commettre des crimes. (...) Il existe également des catégories enlèvement ou séquestration avec les mots clé enlèvement, kidnapping , ou humiliation , avec des insultes sexistes, correspondant aux mots clés pleurs, tears, elle pleure, douleur ou crachat . Encore une fois, ce n'est pas feint. Lorsque la femme pleure, elle pleure vraiment . »

À cet égard, ainsi que le soulignait Céline Piques, porte-parole de l'association Osez le féminisme ! , devant la délégation aux droits des femmes le 20 janvier 2022 : « d'un point de vue juridique, les vidéos et leurs synopsis sont condamnables pour apologie de crime, de pédocriminalité, d'inceste, de haine raciale ou de lesbophobie. Ce sont toutes des incitations à commettre des crimes, punies par la loi. Les plateformes pourraient être poursuivies pour le caractère illégal de ces vidéos. »

La procureure de la République de Paris, Laure Beccuau , lors de son audition par la délégation le 15 juin 2022, a pour sa part rappelé que « les incriminations applicables aux sites pornographiques violents sont nombreuses : viol aggravé, agression sexuelle, actes de torture et de barbarie, traite des êtres humains, proxénétisme. La lutte contre ces infractions est significative car le milieu pornographique est quasi-exclusivement celui de la violence ».

Violences lors des tournages pornographiques

des scènes comportent des violences physiques

des scènes comportent des agressions verbales

mauvais traitements par scène en moyenne

Sources : Fondation Scelles , Gail Dines, Mouvement du Nid

(2) Un ensemble de stéréotypes misogynes, racistes, lesbophobes et hypersexualisés

Outre les violences exercées à l'encontre des femmes qui tournent dans des productions pornographiques, le porno véhicule également un ensemble de stéréotypes misogynes, racistes, lesbophobes, inégalitaires et hypersexualisés qui contribuent à renforcer les violences et maltraitances envers les femmes dans la société en général.

Pour reprendre les propos du sociologue Mathieu Trachman dans son livre-enquête Le travail pornographique 21 ( * ) , « les pornographes ne mettent pas seulement en images des fantasmes, ce sont des hommes qui mettent en scène des corps féminins ».

Comme le soulignait très justement, lors de son audition, Claire Quidet, présidente du Mouvement du Nid , la pornographie conforte « des stéréotypes, des identités de genre et des rôles sexuels. Il s'agit là d'une représentation d'un univers très hétéronormé où les hommes sont à l'initiative et où les femmes sont réceptives. L'hypersexualisation et l'objectification des filles et des femmes y est la norme . »

En promouvant une division sexuée et « racialisée » des rôles dans les rapports sexuels, la pornographie génère également, outre ces stéréotypes sexistes, de nombreux stéréotypes racistes, comme le soulignait devant la délégation Claire Charlès, porte-parole de l'association Les Effronté.es :

« Vous trouverez aussi le côté raciste, extrêmement présent, avec les catégories interracial , mettant en scène des hommes noirs animalisés avec une frêle jeune femme blonde, stéréotypée aryenne, illustrant le côté « ils violent nos femmes ». L'imaginaire raciste est très présent. Vous trouverez également la catégorie black , avec des mots clés tels que monster dick et autres stéréotypes coloniaux et racistes trouvables dans les synopsis des vidéos . »

Elle précise que toutes les catégories raciales sont représentées au sein des vidéos diffusées sur les sites pornographiques : « asiatique avec le stéréotype de la femme soumise, beurette avec le stéréotype de la “ salope ” devant être “ souillée ” par des hommes blancs... Lorsque vous cherchez des vidéos sur Internet, vous ne tombez que sur ce genre de contenus. Ce n'est ni anodin ni marginal. Ils représentent la grande majorité des vidéos. C'est ce que recherchent les gens. On flatte leurs plus bas instincts, ceux qui ne peuvent pas s'exprimer dans la société. Toutes ces représentations racistes sont encadrées par la liberté d'expression. Normalement, ils ne devraient pas pouvoir être exprimés. Dans n'importe quel autre film, sur n'importe quel autre support, ils seraient censurés, interdits. Dans la pornographie, il y a cette zone de non-droit dans laquelle on peut expérimenter les stéréotypes racistes qui vont créer ou flatter des fantasmes racistes ou sexistes chez les gens . »

La délégation estime en effet que l'ensemble des vidéos pornographiques qui véhiculent ce genre de représentations basées sur des stéréotypes et clichés sexistes, racistes ou lesbophobes, constitue assurément une atteinte à la dignité humaine qu'il faut dénoncer.

b) Une porosité avérée entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie

De nombreux experts auditionnés par la délégation dans le cadre de ses travaux sur l'industrie de la pornographie ont fait état d'une porosité évidente entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie . Des passerelles existent en effet entre prostitution et pornographie.

C'est ainsi qu'Elvire Arrighi, chef de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) au ministère de l'intérieur, a déclaré devant la délégation lors de son audition le 18 mai 2022, « la porosité entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie est évidente . Mes enquêteurs, dans leur travail quotidien sur Internet pour démanteler des réseaux de proxénétisme, tombent très régulièrement sur des annonces vantant l'expérience des prostituées dans le domaine de la pornographie. Il y a un acronyme bien connu : PSE , à savoir porn star experience , ce qui veut tout dire. L'intersection est incontestable : celles qui sont exploitées dans le domaine de la prostitution le sont également régulièrement dans le cadre de la pornographie . »

Sonny Perseil, docteur HDR en science politique, chercheur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), a présenté à la délégation, lors de son audition le 3 février 2022, le résultat de ses recherches sur les « cadres de la pornographie » et fait état du caractère prostitutionnel de la pornographie : « quand des personnes acceptent contre rétribution de réaliser des prestations sexuelles - ce qui est le cas parfois pour des films présentés par leur marketing comme amateurs -, on peut commencer à parler de prostitution. En plus de ce premier niveau d'explication par la définition même de la prostitution en tant qu'acte sexuel tarifé, tout un faisceau d'indices a conduit à établir plus rigoureusement cette qualification prostitutionnelle . »

De même, l'évolution des pratiques prostitutionnelles caractérisée, notamment, par un déplacement de la prostitution de rue vers la prostitution dans des appartements privés avec une mise en relation directe du client et de la personne prostituée via des sites de petites annonces, alimente les liens de plus en plus étroits qui existent entre l'activité prostitutionnelle et la pornographie. Ainsi que le soulignait également Sonny Perseil devant la délégation le 3 février 2022, « en France, l'activité prostitutionnelle a largement abandonné la rue pour investir en masse les sites Internet d'escorts. S'agissant de ces derniers, il est intéressant de noter l'influence de la pornographie sur l'offre de services sexuels, l'acronyme PSE - Porn Star Experience - décrivant bien la tendance des prostituées comme des clients d'offrir et de demander, sur le marché des échanges économico-sexuels, des performances autrefois réservées aux hardeurs . Ainsi, l'activité pornographique paraît avoir un effet direct sur le marché de la prostitution . »

Le chercheur a également évoqué l'apparition récente d'une forme alternative de commercialisation de contenus pornographiques sur Internet : les webcams qu'il a qualifié d'activité « emblématique car parfaitement hybride entre prostitution et pornographie . Si le client reste devant son écran, afin d'obtenir une forme de jouissance, il a la possibilité de guider et de solliciter des actes sexuels accomplis par une hôtesse. Ce n'est pas la première fois que des contacts directs entre un client et une actrice pornographique sont constatés. (...) cette systématisation de l'interaction entre un client extérieur au champ professionnel de la pornographie et une femme qui joue devant son écran avec les usagers - en leur parlant, en exécutant leurs demandes sexuelles personnalisées, seule, avec des accessoires ou des partenaires - finit de démontrer la confusion entre pornographie et prostitution . »

Sur le terrain, l'enquête du journaliste Robin D'Angelo, auditionné par la délégation, a également révélé des liens évidents entre pornographie et prostitution, ainsi qu'il en faisait état devant la délégation le 17 février 2022 : « j'ai recueilli beaucoup de témoignages de femmes en situation de prostitution, à qui un client a proposé de rencontrer une connaissance qui produit du porno. C'est ainsi qu'on passe d'un univers à l'autre. Les producteurs ont pour objectif de toujours recruter de nouvelles femmes pour alimenter en permanence le flux des tubes. Lorsque des sites web tels que VivaStreet publiaient des annonces de prostitution, ils allaient contacter en masse les femmes qui se prostituaient sur ces sites pour les recruter. La passerelle est évidente. D'ailleurs, beaucoup d'actrices pornographiques ne peuvent pas vivre uniquement de ces tournages et officient en tant que gogo danseuses dans des boîtes de nuit, ou se prostituent à côté . Le “ travail du sexe ” est à 360 degrés. Les liens sont très forts . »

Les associations féministes entendues par la délégation, au cours d'une table ronde le 20 janvier 2022, constatent également ces liens étroits dans le cadre de leurs interventions. Sandrine Goldschmidt, chargée de communication au Mouvement du Nid , a ainsi indiqué à la délégation que « les équipes de terrain du Mouvement du Nid - qui accompagne plus de 1 200 personnes en situation de prostitution chaque année - nous ont régulièrement fait remonter des témoignages de personnes qu'elles accompagnaient, faisant état de ces liens étroits entre prostitution et pornographie. Celles qui venaient à l'association pour être accompagnées et/ou être aidées à sortir de la prostitution racontaient souvent avoir également été exploitées dans la pornographie . Par ailleurs, celles qui n'avaient pas directement été exploitées pouvaient avoir été filmées, parfois à leur insu, pour que ces vidéos soient utilisées à titre de chantage pour les maintenir dans la prostitution . »

C'est pourquoi les associations féministes estiment que la pornographie n'est autre que de la prostitution filmée qui recouvre toutes les facettes de l'activité prostitutionnelle : achat d'actes sexuels, proxénétisme et violences prostitutionnelles.

Pour le Mouvement du Nid , « le porno, c'est du proxénétisme à l'échelle industrielle ».

Cette position est également celle défendue par Élisabeth Moiron-Braud , magistrate, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), qui a souligné, lors de son audition par la délégation le 18 mai 2022, la grande similarité entre la pornographie et la prostitution : « il s'agit de la marchandisation des corps dans le but de satisfaire le plaisir d'autrui. La seule différence est que dans la prostitution, le plaisir d'autrui c'est celui du client, dans la pornographie c'est celui de la personne qui prend du plaisir à regarder les images . » Elle a, par ailleurs, ajouté : « pour moi, la pornographie et la prostitution sont à rapprocher. Le producteur d'un film peut être considéré comme un proxénète puisqu'il tire profit d'actes sexuels réalisés par des tiers. C'est aussi un client, puisqu'il achète l'acte sexuel, pour le filmer . »

3. Une négation du droit à l'image des personnes filmées
a) Une cession du droit à l'image souvent quasiment illimitée

Bien souvent, les seuls contrats signés par les personnes participant à des tournages pornographiques sont des contrats de cession de droit à l'image.

Matthieu Cordelier, avocat en droit de la propriété intellectuelle et en droit des médias, qui intervient notamment aux côtés de femmes victimes d'abus d'exploitation de leur image, a ainsi indiqué devant la délégation : « Le plus souvent, avec des productions d'amateurs, soit il n'y a pas de contrat, soit il y a un contrat de cession de droit à l'image sur un territoire et une durée illimités, pour une rémunération de 300 euros. »

Liza Del Sierra, actrice et aujourd'hui réalisatrice, a témoigné devant la délégation de ces pratiques de cession illimitée de son droit à l'image : « Tout au long de ma carrière, j'ai dû signer environ 1 500 contrats dans lesquels je cédais mon droit à l'image pour 99 ans. Autrement dit, après ma mort, des gens continueront de se masturber sur moi ! ».

En outre, les femmes recrutées par des producteurs prétendument amateurs n'ont pas toujours conscience de la diffusion qui sera faite de leur image. Il peut leur être affirmé que les scènes filmées sont uniquement destinées à des particuliers ou bien à des sites spécialisés payants à l'étranger, quand bien même par la suite les vidéos sont en réalité accessibles gratuitement sur Internet dans le monde entier.

Des parties civiles dans l'affaire dite « French Bukkake » ont ainsi indiqué aux rapporteures que les producteurs leur avaient assuré que les scènes filmées étaient « pour du privé » ou à tout le moins « pas diffusées en France ». La diffusion non consentie de leurs vidéos sur des sites Internet accessibles depuis la France a chamboulé leur vie, leur activité professionnelle et leurs relations familiales et amicales.

Selon Matthieu Cordelier, « certains procureurs, pour se débarrasser du sujet, partent du principe que si vous avez donné votre consentement pour la prise de vue, vous avez donné votre consentement pour la diffusion. Tel n'est pas le cas, et c'est tout le problème ! Si j'accepte de faire un tournage porno, cela signifie-t-il que j'accepte que le film soit diffusé gratuitement sur tous les portails du monde ? Ou bien avais-je dans l'idée que le film serait diffusé sur un portail payant, dont l'accès serait limité ? La question du type de diffusion est importante. »

b) Des vidéos presque impossibles à retirer une fois en ligne

Pour permettre aux femmes ayant participé à des films pornographiques de tourner la page, l'arrêt de la diffusion de leurs vidéos est indispensable. Il relève de leur droit à l'image et de leur droit à l'oubli.

Les parties civiles dans l'affaire « French Bukkake » entendues par les rapporteures ont souligné les difficultés dans leur vie quotidienne mais aussi les traumatismes engendrés par le maintien en ligne des scènes violentes qu'elles ont été contraintes de tourner. Toutes ont exprimé leur crainte permanente d'être reconnues : « Je suis finie, toutes les vidéos restent à vie sur Internet, j'ai une épée de Damoclès au-dessus de ma tête, quelqu'un peut me reconnaître dans la rue ou à mon travail . » ou encore « Pour la société, je suis une actrice porno. Je vis dans la peur que quelqu'un me reconnaisse car je travaille dans un milieu composé à 80 % d'hommes ». L'une des victimes a confié aux rapporteures avoir le sentiment de revivre sans cesse les viols subis : « Cela fait six ans que j'ai subi tous ces viols et que cela continue car c'est sur Internet. Je suis violée tous les jours, à chaque fois que ces vidéos sont visionnées . »

Si les vidéos sont indispensables dans un premier temps pour la construction des dossiers par les enquêteurs et magistrats, leur retrait par la suite est un enjeu crucial pour les victimes, ainsi que l'a souligné devant la délégation Laure Beccuau, procureure de la République au Parquet de Paris : « Dans le dossier French Bukkake , on pourrait très bien imaginer que, dans vingt ans, l'une d'entre elles retrouve sur un site pornographique la vidéo où elle est violée ou humiliée. Le droit à l'oubli n'existe pas pour elles. C'est un enjeu de reconstruction des victimes . »

Selon l'avocat Matthieu Cordelier qui intervient auprès d'anciennes actrices souhaitant obtenir le retrait de scènes tournées, « ces jeunes femmes sont coincées. À 24 ou 27 ans, elles souhaitent entrer dans la vie professionnelle, mais il y a toujours quelqu'un qui les aura vues dans un film. C'est un véritable préjudice. D'où l'intérêt de protéger ces individus contre eux-mêmes, exactement comme on le fait pour un salarié ou un consommateur . »

Obtenir le retrait de vidéos diffusées en ligne relève d'un parcours du combattant quasiment impossible.

Pour le retrait d'une vidéo mise en ligne sur leur site, les producteurs dits amateurs réclament généralement entre 3 000 et 5 000 euros, soit dix fois plus que la rémunération obtenue pour la scène en question .

Robin D'Angelo, journaliste d'investigation indépendant et auteur d'une enquête sur le milieu du porno français 22 ( * ) , a témoigné de ces pratiques d'extorsion : « lorsqu'une actrice veut faire supprimer une vidéo en France, elle rachète ses droits. Jacquie et Michel orientera une actrice demandant le retrait d'un film vers le producteur qui l'a tourné, qui lui demandera de payer entre 2 500 et 3 000 euros la vidéo, montant correspondant aux frais engagés (cachet de l'actrice et des acteurs, du réalisateur et des monteurs, location...). On refait payer les femmes pour supprimer leur vidéo, ce qui illustre encore une fois l'engrenage ou la perversité qui s'installe une fois qu'on tisse une relation commerciale sur ces pratiques. »

De même, Matthieu Cordelier a indiqué à la délégation : « j'ai vu de petits producteurs demander 5 000 euros pour un contrat de droits à l'image payé 300 euros [...] L'absence de contrat me donne des armes pour demander le retrait des contenus. En revanche, cela coûte très cher à la victime en honoraires d'avocat. Ne serait-ce qu'en frais postaux, il y en a souvent pour plus cher que la rémunération perçue pour faire une vidéo . »

Si les femmes parviennent à obtenir le retrait d'une vidéo d'un site, elles n'ont aucune garantie que cette vidéo n'a pas entre-temps été téléchargée sur un autre site et qu'elle ne continuera pas à être diffusée sur de nombreux autres sites et en particulier sur les tubes , peu soucieux du droit à l'image.

Matthieu Cordelier distingue deux catégories d'acteurs économiques. D'un côté, les grands sites pornographiques établis « comme la société Dorcel ou les portails Pornhub et YouPorn [qui] sont plutôt respectueux, les contenus étant retirés quasiment du premier coup, parfois même à la suite d'un simple courriel. Parce qu'ils ont une activité économique qu'ils veulent durable, ils sont respectueux des droits. » De l'autre, des productions d'amateurs qui alimentent les plateformes ou créent leur propre site et ne respectent aucune règle. Pour lui, « le problème, c'est que les plateformes d'hébergement n'effectuent aucun contrôle a priori . »

La responsabilité des plateformes d'hébergement de contenus rejoint les constats qu'a pu faire Marie Maurisse, journaliste d'investigation, correspondante en Suisse du journal Le Monde et auteure de Planète Porn - enquête sur la banalisation du X 23 ( * ) : « Si vous êtes une actrice et que vous souhaitez supprimer une vidéo qui vous porte préjudice, il faut non seulement que le producteur, peut-être français, la retire de son site - ce sera relativement facile, ou du moins faisable, après un certain nombre de procédures - mais il faudra aussi supprimer tous les teasers et extraits des tubes pornos, beaucoup plus difficilement atteignables. Les producteurs eux-mêmes m'indiquaient ne pas avoir d'interlocuteurs fixes sur ces plateformes et ne pas vraiment savoir comment elles fonctionnent, alors même qu'ils y publient des contenus et en sont parfois membres premium. Une fois que la vidéo est diffusée sur Internet, il est très compliqué de l'en supprimer. Ces plateformes sont pilotées par des sociétés extrêmement opaques et difficilement atteignables. Elles répondent assez peu aux demandes légales, du moins jusqu'à présent . »

De même, Céline Piques, porte-parole de l'association Osez le féminisme!, qui s'est constituée partie civile dans l'affaire « French Bukakke », a souligné devant la délégation que les victimes dans cette affaire « n'arrivent pas à obtenir le retrait des vidéos de leurs viols. Les plateformes ne contrôlent pas, ou peu, les vidéos uploadées . Même si un diffuseur retire une vidéo, rien n'empêche un quidam de l'extraire et de la ré-uploader . Même quand ces femmes obtiennent le retrait d'une plateforme, la vidéo réapparaît. Les contenus échappent à tout contrôle. Les plateformes ne répondent à aucune injonction de la loi. »

Maître Louise Bouchain, avocate de plusieurs parties civiles dans le même dossier, a indiqué aux rapporteures : « Nous sommes confrontés à la difficulté d'une procédure judiciaire très fastidieuse qui n'aboutit pas. Aujourd'hui, le processus est d'écrire au titulaire du compte, puis à l'hébergeur, puis d'introduire une action en justice. Les difficultés sont décuplées lorsqu'il s'agit d'actions en France relatives à des comptes qui sont à l'étranger : même si on obtient une décision judiciaire, nous ne sommes pas en capacité de la faire exécuter . » En outre, selon elle, « il faut démontrer le contenu illicite de la vidéo auprès des hébergeurs. Les difficultés liées à la qualification du contenu me semblent une vraie question à laquelle il faut trouver des solutions et à laquelle nous devons tous réfléchir . »

Charlotte Galichet, avocate du groupe ARES, détenteur de Jacquie et Michel , a affirmé devant la délégation que le groupe traite les demandes de retrait qui leur sont transmises « au cas par cas, avec humanité » et « a déjà retiré des contenus dans ce cadre » tout en affirmant qu'« en droit, aucune contrainte légale n'oblige à retirer une vidéo récente, le consentement du contrat devant prévaloir. » et que la formulation d'une demande de retrait auprès des plateformes de type YouPorn ou Pornhub par une équipe interne ne relevait que « d'une bonne pratique du groupe ». Une fois encore, les rapporteures ne peuvent que relever le cynisme et l'hypocrisie de ce groupe.

Charlotte Galichet a également distingué les plateformes comme YouPorn ou Pornhub qui, selon elle, « retirent les vidéos lorsque le groupe ARES en fait la demande » et « des sites sauvages, le plus souvent spécialisés dans le piratage, [pour lesquels] le retrait est quasiment impossible à obtenir . »

Les actrices reconnues ayant tourné dans des productions professionnelles se heurtent elles aussi à la difficulté d'obtenir le retrait de leurs vidéos, comme en a témoigné Liza Del Sierra devant la délégation : « Le droit à l'oubli reste une utopie. J'ai moi-même tenté, au moment de l'obtention de mon diplôme d'infirmière, de faire supprimer les contenus piratés sur des plateformes de masse auxquelles je n'ai jamais cédé mes droits à l'image. Mon avocat est toujours sur le coup : il continue d'envoyer un recommandé par semaine... La possibilité du déréférencement existe, mais la procédure est très longue et très fastidieuse . »

Le moyen le plus efficace d'obtenir le retrait d'une vidéo semble être de se faire passer pour le propriétaire des droits. Le droit d'auteur des producteurs est davantage protégé que le droit à l'image des personnes filmées. Ainsi, une partie civile dans l'affaire « French Bukkake » a indiqué aux rapporteures : « Sur toutes les plateformes, on se confronte à un formulaire à remplir pour demander la suppression de la vidéo. J'ai dû faire croire aux plateformes que j'étais propriétaire de la vidéo et qu'ils étaient en train de mettre en ligne la vidéo sans mon accord, c'était le seul moyen car les seules personnes qui peuvent remplir le formulaire c'est en cas de vol des images . »

Grégory Dorcel, président du groupe Dorcel, a mis en avant devant la délégation l'action de son groupe pour faire respecter ses droits d'auteur, laissant entrevoir une possibilité de conjonction d'intérêts : « Depuis sept ans, nous nous battons pour que les tubes respectent le code pénal français et les copyrights , c'est-à-dire qu'ils arrêtent de pirater nos contenus. Pour vous donner une idée de l'ampleur de ce travail, je rappelle que depuis sept ans, nous avons demandé 15 millions de suppressions de vidéos auprès de ces plateformes et auprès de Google qui les référence systématiquement, ce qui nous pose problème car ce sont autant de mises en avant de ces contenus et de ces plateformes pirates . »

B. LES AFFAIRES « FRENCH BUKKAKE » ET « JACQUIE ET MICHEL », PARTIE RÉCEMMENT ÉMERGÉE DE L'ICEBERG DES VIOLENCES PORNOGRAPHIQUES EN FRANCE

Révélée par la presse 24 ( * ) à la fin de l'année 2020, l'affaire dite French Bukkake , du nom du site pornographique détenu par le producteur Pascal OP, aujourd'hui mis en examen pour « viols en réunion, traite aggravée des êtres humains et proxénétisme aggravé », dans le cadre d'une procédure judiciaire en cours, constitue, sans nul doute, un tournant dans le traitement judiciaire des violences pornographiques .

De même, l'ouverture d'une deuxième information judiciaire, dans le cadre d'une procédure distincte, à l'encontre notamment de Michel Piron, PDG du groupe ARES, propriétaire de la marque Jacquie et Michel , un des sites pornographiques français les plus consultés, mis en examen au mois de juin 2022 pour complicité de viol et traite des êtres humains en bande organisée, témoigne de la volonté des enquêteurs et de la justice de porter une plus grande attention aux violences sexistes et sexuelles commises dans le milieu dit du « porno français ».

1. Un milieu jusqu'à présent « sous-enquêté »

Jusqu'à l'ouverture d'une enquête préliminaire au début de l'année 2020, puis d'une information judiciaire à l'encontre de plusieurs producteurs, réalisateurs et acteurs du milieu pornographique français, dans le cadre de l'affaire French Bukkake , les violences pornographiques et leur traitement judiciaire constituaient un angle mort de notre politique pénale .

Ainsi que le soulignait devant la délégation le 17 février 2022 le journaliste Robin D'Angelo, auteur en 2018 d'un ouvrage sur le milieu du porno français 25 ( * ) , « jusqu'à présent , on avait l'impression que ce milieu était sous-enquêté par la police . Jusqu'à ce qu'il fasse l'objet d'un battage médiatique, un site comme French Bukkake , aujourd'hui au coeur d'une enquête tentaculaire, a pu exister pendant dix ans dans une indifférence totale. En réalité, il y avait déjà tout pour sanctionner ce type de pratiques . »

De même, Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) au sein de la direction centrale de la Police judiciaire au ministère de l'intérieur, a indiqué à la délégation, lors de son audition le 18 mai 2022, que l'Office n'avait encore jamais eu à traiter de telles affaires mais qu'il était toutefois arrivé que « certaines victimes prostituées dans des affaires de traite et de proxénétisme aient été par le passé actrices dans le domaine de la pornographie . »

Elle a par ailleurs précisé qu'« en tant que cheffe de file de la lutte contre la traite à vocation sexuelle, (...) l'Office doit être, à tout le moins, avisé des enquêtes menées par les services territoriaux de police ou de gendarmerie dans son domaine de compétence et peut tout à fait se voir confier l'enquête dès lors qu'elle a un caractère particulièrement complexe ou vaste. En l'occurrence, nous n'avons eu connaissance des deux enquêtes en cours , (...), que par voie de presse . »

Ce témoignage interroge sur l'existence d'un possible dysfonctionnement administratif dans la mesure où la principale instance administrative en charge, à l'échelle nationale, de la lutte contre la traite à vocation sexuelle n'a pas été saisie, ni même informée, de l'ouverture de deux enquêtes préliminaires, l'une par la gendarmerie nationale, l'autre par la police judiciaire de Paris.

Jusqu'en 2020, l'absence d'enquêtes sur des violences sexistes et sexuelles commises dans le milieu pornographique français était surtout le signe d'une absence de prise de conscience par les pouvoirs publics de l'ampleur systémique de ces violences .

2. Les qualifications pénales accablantes retenues par le Parquet de Paris dans le cadre de l'affaire « French Bukkake »

La délégation a entendu, le 15 juin 2022, Laure Beccuau, procureure de la République, et Hélène Collet, vice-procureure de la République, au Parquet de Paris.

Au cours de cette audition, Hélène Collet a précisé à la délégation que le Parquet de Paris avait eu à traiter « d'un dossier véritablement novateur : une enquête ouverte sur d'éventuelles infractions à caractère sexuel commises dans le milieu de la pornographie . »

D'après les informations fournies à la délégation par le Parquet de Paris, « tout a commencé par un renseignement judiciaire de la section de recherches de Paris : dans le cadre de son activité de surveillance du réseau Internet , ce service de gendarmerie a remarqué le site French Bukkake . Ce dernier proposait des vidéos en ligne, mais aussi, et c'est ce qui faisait sa particularité, un abonnement payant permettant à certains clients d'accéder à davantage de vidéos et, surtout, de participer à des tournages de films pornographiques , donc d'avoir des relations sexuelles. La section F3 du Parquet de Paris a été saisie, car elle est en charge, notamment, du proxénétisme et de la traite des êtres humains. Une réunion a été organisée au début de l'année 2020 (...) Il a alors été décidé d'ouvrir une enquête préliminaire, la section de recherches de Paris demeurant saisie de l'affaire, et de retenir trois qualifications : le proxénétisme, la traite des êtres humains et le viol . »

a) Une enquête préliminaire de huit mois

Comme indiqué par la vice-procureure du Parquet de Paris, dès le début de l'enquête, il a été décidé d'allouer à ce dossier novateur des moyens importants, qu'ils soient humains ou techniques.

Le dossier a été inscrit au sein du « bureau des enquêtes » du Parquet, dont les magistrats suivent plus spécialement une trentaine d'enquêtes, ce qui a permis une coordination renforcée avec la section de recherches de Paris, avec des réunions toutes les semaines pour faire des points précis sur l'avancée de l'enquête.

L'enquête préliminaire a duré huit mois : elle a mobilisé diverses techniques, dont une cyber-infiltration : « un gendarme de la section de recherches s'est présenté comme un client pour constater que, en cas d'abonnement payant, le site proposait bien une participation à des tournages pornographiques. »

Des contacts ont également été noués avec des associations, notamment de défense des victimes du proxénétisme et de la traite d'êtres humains, pour tenter de retrouver des participantes à ces films, de les auditionner et de savoir si elles déposaient plainte ou non.

À la fin de cette enquête préliminaire, le dossier a été transmis à la section F3 du Parquet qui est composé de huit magistrats. Il a été décidé d'ouvrir une instruction au cours du mois d'octobre 2020 et de confier l'affaire à un magistrat instructeur.

Ainsi que le soulignait Hélène Collet, vice-procureur de la République au Parquet de Paris : « un travail considérable a donc été réalisé sur ce dossier : trois enquêteurs de la section de recherches de Paris lui étaient intégralement dédiés, qui bénéficiaient d'un appui technique très important pour exploiter les très nombreuses vidéos récupérées en ligne ou lors des interpellations. Aujourd'hui, trois magistrats instructeurs sont co-saisis. Et même si le dossier est maintenant ouvert à l'instruction, un magistrat du Parquet en particulier, secondé par deux collègues, demeure affecté à son suivi , avec toujours une forte coordination au sein de la section, car de nombreuses questions juridiques se posent sans cesse . »

b) Trois qualifications pénales retenues : proxénétisme, traite des êtres humains et viol

Au terme de cette enquête préliminaire, trois qualifications pénales ont été retenues à l'encontre des personnes mises en examen dans le cadre de cette affaire :

- la première qualification est celle de proxénétisme , tel que défini à l'article 225-5 du code pénal. Le proxénétisme consiste dans le fait d'avoir assisté, aidé ou protégé la prostitution d'autrui, tiré parti de la prostitution d'autrui ou entraîné une personne en vue de la prostitution. La prostitution est elle-même définie, non pas par le code pénal, mais de façon prétorienne, par un arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 1996, selon lequel la prostitution « consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu'ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d'autrui ».

Si la vice-procureure du Parquet de Paris, Hélène Collet, a estimé devant la délégation, le 15 juin 2022, qu'à son sens « les qualifications juridiques de prostitution et de proxénétisme ne s'appliquent pas en tant que telles au phénomène de la production de films pornographiques », elle a également souligné que la qualification de proxénétisme avait, en l'espèce, été retenue dans le cadre de l'enquête préliminaire car « on est ici dans un cas très exceptionnel : (...) ce qui a attiré l'attention de la section de recherches et du Parquet de Paris, c'est que ce site proposait à ses clients, via le paiement d'un abonnement, de participer au tournage et à la relation sexuelle . Nous entrions ainsi dans le schéma classique de la prostitution (...) Nous avons donc pu retenir la qualification de proxénétisme au stade de l'enquête, puis de l'instruction. Il y avait bien prostitution et le producteur du film et son équipe tiraient profit de cette activité prostitutionnelle . » ;

- la deuxième infraction retenue est celle de traite des êtres humains aux fins de viol : la traite des êtres humains est définie à l'article 225-4-1 du code pénal avec trois éléments indispensables à sa qualification. D'abord, une action de la part des auteurs : recruter, transporter ou héberger les victimes. Ensuite, les auteurs doivent utiliser un moyen auprès des victimes : menacer, contraindre, commettre des violences à leur égard ou leur promettre une rémunération ou tout autre avantage. Enfin, l'action doit avoir une finalité : exploiter la victime à des fins de proxénétisme, de viol ou de toute autre infraction. Pour cette infraction, le consentement de la victime est indifférent, comme pour le proxénétisme. Ainsi que l'expliquait à la délégation Hélène Collet, vice-procureure de la République au Parquet de Paris, cette qualification a pu être retenue dans le cadre de cette enquête « parce qu'un système de recrutement des participantes pour les tournages avait été mis en place. Un profil particulier avait été ciblé : des femmes jeunes, en proie à des difficultés sociales, économiques ou familiales. Une rémunération importante leur était promise : voilà le moyen. Enfin, le but était de les amener sur les tournages aux fins de commettre des viols . »

La qualification de traite des êtres humains est complémentaire de celle de proxénétisme . Quand elle est retenue, elle permet de mettre au jour une organisation en amont de la commission des infractions, une entente préalable, ce qui donne une envergure au dossier. Elle permet aussi une meilleure prise en charge des victimes, avec un dispositif national d'accompagnement et d'hébergement et la possibilité de témoigner de manière anonyme. Enfin, elle facilite la coopération internationale car la traite des êtres humains est plus fréquemment réprimée par les États que le proxénétisme. Dans le dossier en question, des investigations internationales ont été menées, notamment pour retracer des flux financiers ;

- la troisième et dernière qualification pénale retenue est celle de viol : ainsi que le soulignait la vice-procureure du Parquet de Paris devant la délégation, « cela pourrait être la qualification la plus fréquemment retenue dans un contexte de pornographie . En effet, comme vous l'avez compris, certains tournages donnent lieu à des dérives, avec des violences sexuelles. Le visionnage de certains films diffusés sur les plateformes et l'audition de participantes ont révélé que leur consentement pouvait ne pas être respecté lors des relations sexuelles. (...) contrairement au proxénétisme et à la traite des êtres humains, l'absence de consentement est indispensable à la qualification de viol . (...) Il nous est apparu, indépendamment de la dureté des actes ou des questions morales, que la qualification de viol pouvait être retenue, le consentement à la relation sexuelle étant inexistant pour certaines scènes . »

Le Parquet a rappelé à la délégation que, dans le cadre de cette affaire, 43 parties civiles s'étaient constituées ainsi que des associations , et que douze personnes avaient été mises en examen . L'instruction en cours durera encore plusieurs mois ; le Parquet et les magistrats instructeurs se prononceront à l'issue de celle-ci.

Lors de son audition par la délégation le 20 janvier 2022, Céline Piques, porte-parole de l'association Osez le féminisme ! , association qui s'est constituée partie civile dans le cadre de ce dossier, a souligné que « nous assistons au plus gros procès de l'histoire en termes de violences sexistes et sexuelles dans le milieu de la pornographie , avec trois juges d'instruction, 500 hommes incriminés et 50 victimes. Il va faire date et permettre d'insister sur la chaîne de responsabilité du producteur au diffuseur. C'est essentiel . »

La délégation salue l'implication de l'institution judiciaire dans ce dossier qui, à bien des égards, constitue une première dans notre pays , en raison, d'une part, de la prise en considération des violences faites aux femmes dans le contexte pornographique, d'autre part, du nombre de victimes identifiées à ce stade et du grand nombre d'entre elles qui se sont constituées parties civiles, grâce notamment à la mobilisation des associations féministes.

Il a en effet été indiqué aux rapporteures que, bien souvent dans ce genre de dossier, les victimes disparaissent ou n'ont pas les moyens financiers et humains de se constituer partie civile.

Lors d'une audition à huis clos par les rapporteures de la délégation de certaines victimes constituées au dossier et de leurs conseils, le 29 mars 2022, Maître Lorraine Questiaux, avocate de plusieurs victimes, a salué une institution judiciaire à l'écoute, pour la première fois dans ce type de dossier.

Au cours de cette même audition, les rapporteures ont surtout été frappées par le récit accablant fait par les victimes constituées au dossier des violences subies dans le cadre de tournages pornographiques pour le site French Bukkake . Les rapporteures considèrent que ces violences constituent , pour les victimes, des actes de torture et de barbarie .

3. Le témoignage glaçant des victimes dans le dossier « French Bukkake » devant la délégation aux droits des femmes

Sans dévoiler l'identité des victimes, les rapporteures souhaitent faire part du témoignage glaçant que certaines leur ont livré au cours d'une audition qui s'est tenue à huis clos le 29 mars 2022 et qui n'a pas donné lieu à publication d'un compte rendu.

Toutes les victimes entendues par les rapporteures ont témoigné, dans ce dossier, de violences similaires, commises dans le cadre de modes opératoires et de méthodes de «recrutement » identiques.

a) Des similitudes dans les parcours des victimes « recrutées »

Les victimes entendues par les rapporteures ont toutes témoigné d'un contexte similaire ayant favorisé leur recrutement par le producteur Pascal OP dans le cadre de tournages pornographiques pour le site French Bukkake : leur très jeune âge au moment des faits, une précarité économique manifeste, un besoin d'argent imminent ainsi qu'une fragilité sociale et souvent psychologique.

Une des victimes s'est ainsi exprimée devant les rapporteures de la délégation : « j'ai 24 ans et les faits se sont produits il y a six ans . (...) J'étais une jeune fille avec beaucoup de naïveté et d'innocence. (...) Depuis six ans, je ne fais que survivre. » Elle a également fait part de son besoin d'argent au moment de son « recrutement » et des failles dont elle souffrait à titre personnel. Évoquant les hommes qui l'ont recrutée et fait tourner dans des productions pornographiques, elle a indiqué : « ils savaient que j'avais des soucis d'argent et que dans mon environnement c'était compliqué et que j'avais des difficultés. Mais aucune femme aujourd'hui ne devrait avoir à subir cela. Ils vont jouer sur cela : elle était d'accord. C'est un lavage de cerveau. Ils ont su que j'étais une proie, j'étais la proie idéale pour eux, c'est comme ça qu'on rentre là-dedans . »

Une autre victime a témoigné du fait qu'elle avait été recrutée « au moment opportun » lorsqu'elle s'était retrouvée « sans ressources pendant un mois ». Elle a précisé aux rapporteures : « j'avais besoin de cet argent tout de suite. Je devais payer mes factures et mon loyer sinon je perdais mon appartement ». Elle a également révélé avoir été victime de violences dès son plus jeune âge et a indiqué : « le manque d'argent est une de mes phobies, j'ai peur d'être à la rue. Aucune d'entre nous n'était consentante. Nous étions consentantes à avoir de l'argent mais pas à ce qui nous est arrivé . »

Une autre victime précise qu'elle a perdu toute source de revenu pendant le premier confinement et qu'elle a, par conséquent, commencé à entamer ses économies. C'est la raison pour laquelle elle a accepté un tournage pornographique à la fin du premier confinement dans le but de se faire « beaucoup d'argent » rapidement.

b) Un mode de recrutement identique via un faux profil sur les réseaux sociaux

Outre une similitude dans les parcours évoqués, les victimes entendues par les rapporteures ont toutes exposé un mode de recrutement identique, via le faux profil d'une jeune femme, prénommée Axelle , créé sur les réseaux sociaux ( Facebook ou Instagram ).

Une des victimes a indiqué aux rapporteures avoir été recrutée « par un faux profil, quelqu'un qui m'a parlé sur Facebook ». Elle a évoqué de longues et nombreuses discussions avec ce profil frauduleux, un travail de longue haleine engagé par ce recruteur : « on nous parle tous les jours. La personne se présente comme une escort, elle me dit que c'est merveilleux, que c'est magique, qu'elle a de l'argent à gogo. (...) Derrière ce faux profil de fille, il y avait un homme . »

Une autre victime a indiqué aux rapporteures de la délégation avoir connu Axelle , même faux profil Facebook déjà cité, à 19 ans, à un moment où elle était très fragile : « Axelle m'a dit qu'elle travaillait pour une agence de luxe, qu'elle faisait des vidéos. Je lui explique que je suis en difficulté, que je veux reprendre mes études. Elle me propose 2 000 euros la passe pour trois heures : c'est énorme quand on a 19 ans, qu'on est étudiant et qu'on a un loyer à payer. (...) J'avais besoin de cet argent tout de suite. Je devais payer mes factures et mon loyer sinon je perdais mon appartement . ». Par la suite, ce faux profil la met en relation avec le producteur Pascal OP qui lui propose un tournage de scènes pornographiques en lui précisant que ces vidéos ne seront pas diffusées en France.

Une autre victime a indiqué aux rapporteures de la délégation avoir été contactée par la même Axelle sur le réseau social Instagram : « elle se veut très amicale. (...) Elle est escort, elle gagne beaucoup d'argent . » À la fin du premier confinement, Axelle revient vers elle pour lui proposer un tournage pornographique qu'elle accepte en raison de difficultés financières : « Axelle m'avait relancée. Elle me propose de rencontrer quelqu'un dans un hôtel. Le client donne l'argent à l'intermédiaire et une fois qu'il est parti, le rabatteur te donne l'argent. C'était à Strasbourg, je n'avais pas du tout confiance. J'opte pour la vidéo. J'ai six scènes prévues à Paris. Je dis (...) que je veux être payée en espèces . »

Une fois recrutées, toutes les victimes décrivent également les mêmes scènes de violences, verbales, physiques, sexuelles et psychologiques : des pratiques sexuelles imposées, des rapports forcés avec un nombre de partenaires auquel elles n'avaient pas consenti ainsi qu'un chantage sexuel et financier lorsqu'elles demandent, a posteriori , le retrait des vidéos tournées et diffusées.

c) Des violences commises assimilables à des actes de torture et de barbarie

Les témoignages de victimes recueillies par les rapporteures ainsi que les propos de leurs conseils ont confirmé un mode opératoire basé sur des violences sexuelles et une aliénation physique et psychologique des victimes. D'après Maître Lorraine Questiaux, avocate de victimes parties civiles dans ce dossier, ce mode opératoire serait consubstantiel à l'industrie pornographique et témoignerait d'un continuum de violences exercées à l'encontre des femmes prises au piège de cette industrie.

L'aliénation des victimes débute souvent par un premier viol, qualifié de « viol de soumission ». Ainsi que le précisait Maître Lorraine Questiaux aux rapporteures de la délégation : « le mode opératoire est toujours le même : il consiste à violer une première fois pour soumettre les victimes, ensuite elles vont moins opposer de résistance, ce qui rendra plus difficile de définir et qualifier le viol » par la suite.

Au sujet de ce concept de soumission acquise par le viol, une des victimes entendue par les rapporteures a précisé : « le premier viol, avec tous les stratagèmes, a fait de moi un robot qui ne fait qu'obéir à des hommes qui m'ont lobotomisée, a banalisé ces actes. Je ne côtoyais pas du tout le monde de la pornographie avant cela . »

Puis, dans le cadre des tournages de scènes pornographiques, les victimes décrivent toutes des rapports sexuels forcés, des pratiques sexuelles imposées auxquelles elles n'avaient pas consenti, des violences physiques et sexuelles, un quasi processus de « déshumanisation ».

Une victime a ainsi déclaré aux rapporteures de la délégation :

« Personne ne peut subir ce genre de violences. Je le dis avec beaucoup de recul, ce que j'ai vécu, c'est de l'ordre de la torture , je me suis protégée en me mettant en mode robot. »

Les victimes ont décrit des scènes de viol par surprise , avec un nombre important de partenaires auquel elles n'avaient pas consenti et des actes sexuels forcés auxquels elles n'avaient pas non plus consenti tels que des pénétrations anales ou de multiples pénétrations simultanées.

Une victime a expliqué aux rapporteures avoir été séquestrée dans une maison dont elle ne connaissait pas la localisation : « cela s'est passé en très peu de temps. En deux semaines, j'arrive sur Paris. Ils viennent me chercher et là mon esprit sort de mon corps. J'avais besoin d'argent. Je pensais être dans l'Oise mais j'étais en Normandie, en pleine campagne, sans argent. On me fait boire et signer un papier qui est un soi-disant contrat ». Elle relate également avoir subi des violences sexuelles mutilantes à plusieurs reprises, elle évoque le tournage de plusieurs scènes de viol : « on me demande ce que je fais, je dis que je ne fais pas d'anal, pas de double pénétration. La première scène commence (...) pendant cette scène, [on] me tient et une autre personne entre en moi. (...) Cette scène se termine, je vais aux toilettes et je saigne, ce n'était pas dans le scénario. Une deuxième scène commence, à même le sol. Je ne savais pas ce qui allait se passer. À partir du moment où le type enlève son pantalon, ce n'est plus du cinéma, j'ai peur qu'il vienne me prendre par surprise. Dès le lendemain matin, je subis une autre scène. (...) Je ne voulais même pas qu'il y ait trois personnes. La scène se passe, c'est très violent, je n'ai rien à dire . »

Cette victime raconte également avoir dû manger la même nourriture que celle donnée aux chiens du producteur, une carcasse de poulet comme seul repas pendant plusieurs jours. Elle a expliqué aux rapporteures :

« ... dès le début, on a essayé de me déshumaniser, de me traiter comme un objet. Pourtant, je l'ai fait, j'ai mangé la nourriture du chien. Je n'avais plus aucune estime de moi (...) » .

Une autre victime a fait état devant les rapporteures de la délégation de la soumission contrainte et de la manipulation subie : « Je fais ma première scène. J'avais spécifié que je voulais un rapport protégé, pas de sodomie. Au final, on me dit “ fais pas chier, ça va aller vite ”. On ne se rend pas compte que c'est un viol, que c'est de la torture. La manipulation que l'on subit est très importante . (...) On a mal, on est impuissante, on se fait insulter ; le but c'est qu'on obéisse. On est dans une forme de soumission totale . Et on se dit qu'on a accepté d'être là. (...) Puis il y a eu un tournage avec un autre homme, encore un viol, de la sodomie forcée, pourtant cette personne était au courant de tout ce que je refusais. (...) Le lendemain matin, avec un quatrième homme, toujours pas de préservatif, encore un rapport anal forcé. (...) J'ai subi des violences verbales, physiques, psychologiques. Pendant les scènes, je demandais d'arrêter, je voulais arrêter. J'avais dit mon choix d'un seul partenaire . »

Elle conclut en précisant :

« Personne, à part les femmes qui ont vécu des choses similaires, ne sait ce qui se passe réellement sur ces tournages, dans ce milieu . »

d) La quasi-impossibilité pour les victimes de faire retirer les vidéos incriminées

Les victimes ont fait part aux rapporteures de la délégation de leur quasi-impossibilité d'obtenir, par la suite, le retrait des vidéos des scènes tournées. Lorsqu'elles en ont fait la demande auprès du producteur aujourd'hui mis en examen, il leur a notamment été demandé de payer pour supprimer les vidéos mais la somme requise était supérieure à celle gagnée pour les tournages. Une des victimes s'est vue proposer de « devenir son esclave sexuelle à vie » ou « d'exercer dans des bordels à Bruxelles pour une rente à vie ».

Une autre victime a insisté sur la viralité de la diffusion de la vidéo dès sa mise en ligne et sur ses conséquences : « la vidéo est parue sur un site accessible en France. À partir de là, le lynchage a commencé. (...) Je me suis fait lyncher sur Internet. La vidéo était partout, sur les réseaux sociaux, sur Facebook , sur Twitter , sur des sites accessibles depuis la France et l'étranger, cela a fait le tour du monde, jusqu'à New York et Montréal. Je me suis fait harceler en bas de chez moi, j'ai reçu des lettres de menaces . »

4. L'affaire Jacquie et Michel et la mesure du cynisme de ses représentants devant la délégation aux droits des femmes

Dans le cadre d'une autre procédure, distincte de l'affaire French Bukkake , une enquête préliminaire de la police judiciaire de Paris a été ouverte en septembre 2020 concernant des tournages pornographiques diffusés par des sites détenus par le groupe ARES, principalement la marque Jacquie et Michel , après un signalement adressé en juillet 2020 au Parquet de Paris par trois associations féministes : Osez le féminisme ! , Les Effronté-es et le Mouvement du Nid .

Cette enquête a abouti à l'ouverture d'une deuxième information judiciaire, distincte de la procédure visant le site French Bukkake , et à la mise en examen pour complicité de viol et traite des êtres humains en bande organisée, le 17 juin 2022, de Michel Piron , fondateur du site pornographique Jacquie et Michel et PDG du groupe ARES, aux côtés de trois autres personnes - un ancien acteur et deux anciens réalisateurs - ayant également fait l'objet de l'enquête préliminaire et mis en examen pour viols, complicité de viol, proxénétisme et traite des êtres humains en bande organisée . L'un des mis en examen est, par ailleurs, poursuivi pour complicité de viol avec acte de torture et de barbarie .

À ce stade, d'après les informations rendues publiques, sept plaignantes sont constituées au dossier. En outre, les informations révélées par la presse 26 ( * ) font état de méthodes de recrutement et de modes opératoires similaires à ceux décrits précédemment dans le cadre du dossier French Bukkake : pratiques sexuelles non consenties, viols de soumission, violences physiques et psychologiques, chantage financier pour accéder à la demande de retrait des vidéos, etc.

Lors de la rencontre entre les rapporteures de la délégation et des victimes parties civiles au dossier de l'affaire French Bukkake , le 29 mars 2022, Maître Lorraine Questiaux, par ailleurs avocate de certaines plaignantes dans le dossier Jacquie et Michel , avait alors indiqué aux rapporteures : « il y a actuellement une affaire ouverte, au stade de l'enquête préliminaire, contre Jacquie et Michel dans laquelle une quinzaine de femmes plaignantes relatent les mêmes modes opératoires avec des protagonistes différents de l'affaire dite du French Bukkake . Nous sommes impliqués dans les deux dossiers ; il y a des plaintes individuelles, des plaintes disséminées dans différents parquets en France ; l'instruction révèle des actes de torture, de barbarie, de violence extrême, dont les modes opératoires sont les mêmes dans les deux affaires. »

Lors de son audition par la délégation le 20 janvier 2022, Céline Piques, porte-parole de l'association Osez le féminisme ! , déclarait également : « Jacquie et Michel a mis en place un système d'extorsion de fonds. Une fois que la vidéo a été uploadée , 3 000 à 5 000 euros sont demandés aux femmes pour la supprimer. Le retrait n'est pas effectif. Si elle est retirée du site Jacquie et Michel , elle a pu être récupérée entre temps par n'importe quel particulier pour être téléchargée à nouveau sur une autre plateforme, puisque personne ne contrôle le téléchargement des contenus . »

Rétrospectivement, l'audition par la délégation de représentants du groupe ARES, le 11 mai 2022, apparaît particulièrement empreinte de cynisme, non seulement parce qu'ils mettaient alors en avant la mise en place par le groupe d'une « charte éthique et déontologique sur les conditions de tournage » mais aussi parce qu'ils s'abritaient derrière leur statut de simple diffuseur pour se dédouaner de toute responsabilité s'agissant de la production des contenus diffusés.

Ainsi, Vincent Gey, responsable des opérations du groupe ARES détenteur de la marque Jacquie et Michel , déclarait devant la délégation : « il est assez compliqué pour les collaborateurs du groupe de se trouver systématiquement attaqués par des personnes qui usent de tous les raccourcis et amalgames pour nuire à l'ensemble de la profession. Celle-ci ne compte qu'une part infime de personnels inattentifs au bien-être de celles et ceux qui fabriquent les contenus . » De même, il affirmait qu'« il est bon que les personnes qui ont eu ou auraient eu affaire à des producteurs malveillants n'hésitent pas à les dénoncer . Les incidents, voire crimes ou délits potentiels qui ont largement été relayés par les médias, sont vivement condamnés par ARES. Ils nous ont conduits à formaliser les grands principes de ce que nous considérons comme les prérequis d'un tournage . ». Il affirmait également que « le respect de la personne est l'une des valeurs de notre groupe . D'autre part, le bien-être des modèles est gage de qualité des contenus . »

Enfin, il s'émouvait du fait que « le déferlement d'attaques contre notre profession et notre groupe , par le biais de fausses informations énoncées par des associations radicales, voire abolitionnistes, et relayées sans vérification par la presse, pourrait, à terme, mettre en danger les seules entités capables de proposer des contenus adultes réalisés dans un cadre sécurisé et transparent . »

Que penser aujourd'hui de ces déclarations à la lumière des récentes mises en examen, le 17 juin 2022, du PDG du groupe ARES, Michel Piron, et de trois autres hommes, pour viols, complicité de viol, complicité de viol avec acte de torture et de barbarie, proxénétisme et traite des êtres humains en bande organisée, si ce n'est qu'elles n'étaient que pur cynisme ?

Suite à l'audition de représentants du groupe ARES par la délégation le 11 mai 2022, ce dernier a adressé aux rapporteures un courrier daté du 13 mai 2022 qui précise : « à titre liminaire, nous tenons à réaffirmer avec la plus grande fermeté que nous nous plaçons aux côtés des victimes et nous ne tolérons aucun abus d'aucune sorte qui aurait pu avoir été commis par des producteurs indépendants. (...) Il convient de rappeler que le groupe ARES n'a pas été mis en examen et n'a à ce jour toujours pas été entendu alors même qu'il a sollicité son audition. (...) Par ailleurs, nous réaffirmons ici, par écrit, qu'aucune vidéo litigieuse n'a pu être diffusée par notre groupe (...) ».

Dans ce même courrier, le groupe affirme également que « l'enquête judiciaire ouverte en juillet 2020 n'a été révélée que par la presse, en violation du secret de l'instruction, et aucun procès ni aucune audition n'a été constaté à date (sic). Le rôle de diffuseur que nous avons a créé un amalgame et nous avons hâte de pouvoir l'expliquer aux enquêteurs afin de montrer le sérieux de nos entreprises et la volonté féroce que l'industrie pour adultes soit tout aussi respectable et respectée que toute autre industrie ».

Au vu de la mise en examen pour complicité de viol et traite des êtres humains en bande organisée du PDG du groupe ARES intervenue le 17 juin 2022, le groupe n'a manifestement pas convaincu les enquêteurs ni les juges d'instruction du « sérieux de ses entreprises »...

Suite aux propos de Charlotte Galichet, avocate du groupe ARES, qui affirmait également devant la délégation, le 11 mai 2022, qu'« ARES n'est pas producteur de contenus, mais seulement diffuseur », les rapporteures sont en droit de se montrer sceptiques quant à cet axe de défense mis en avant par le groupe au vu des qualifications pénales retenues dans le cadre des mises en examen intervenues en juin 2022, notamment celle de son principal dirigeant, Michel Piron.

5. Des pratiques consubstantielles à l'industrie pornographique ?

La délégation salue le travail mené par les enquêteurs et par les magistrats du parquet et de l'instruction dans le cadre de ces dossiers de violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie. Elle souhaite que les informations judiciaires en cours ouvrent la voie à la prise de parole et au dépôt de plainte par d'autres victimes de violences pornographiques .

Au cours d'une table ronde de la délégation, organisée le 9 mars 2022, réunissant des « actrices, réalisatrices et productrices de films pornographiques », interrogées sur le fait de savoir si d'autres personnes de l'industrie pornographique pourraient être incriminées dans le cadre d'affaires similaires, plusieurs ont répondu par l'affirmative.

Ainsi, Nikita Bellucci, actrice et réalisatrice, a précisé devant la délégation : « des enquêtes sont en cours ; j'ai moi-même été auditionnée par la section de recherche voilà deux semaines. (...) D'autres personnes devraient être bientôt inquiétées, oui, et ces personnes n'ont pas pris la mesure de ce qui est reproché à celles qui se trouvent actuellement en détention . »

De même, une autre actrice, Knivy, a indiqué : « oui, en effet, certains vont bientôt devoir rendre des comptes concernant leurs agissements passés. Toutes les personnes concernées n'ont pas encore été mises en examen, mais un travail est en cours . » Elle a également indiqué, évoquant notamment le dossier French Bukkake , « nous dénombrons de très nombreuses victimes . Je suis en contact avec une des commissaires de police qui gère l'affaire “ Pascal OP-Matt Hadix ”. Nous sommes plus d'une soixantaine à avoir subi, à nos débuts ou en cours de carrière, des actes de manipulation divers et variés. J'ai aussi été victime de certains incidents . Ces personnes savent comment nous piéger pour nous faire tourner des scènes qu'on ne désire pas faire ou qui ne figurent dans aucun contrat . »

Les deux informations judiciaires précitées, ouvertes parallèlement, témoignent de méthodes et de modes opératoires similaires n'ayant pour autre objectif que de tirer avantage de la vulnérabilité des victimes.

La délégation ne peut que constater l'ampleur actuelle des violences sexistes et sexuelles commises à l'encontre des femmes dans le milieu pornographique : plus que des « dérives » au sein de l'industrie du porno, les rapporteures estiment que cette industrie a contribué, pour des raisons essentiellement économiques et commerciales, à ériger un véritable système de domination dans lequel les violences envers les femmes sont devenues la norme .

C. DES FORMES DE PORNOGRAPHIES « PLUS RESPECTUEUSES DES PERSONNES » ? UNE GOUTTE D'EAU DANS UN OCÉAN DE VIOLENCES

Au cours de ses travaux, la délégation a été amenée, à l'invitation de certains de ses intervenants, à réfléchir aux notions de « pornographie éthique » ou de « pornographie respectueuse des personnes ».

Certains chercheurs et sociologues ont notamment fait valoir devant la délégation l'existence de pornographies multiples dont une pornographie non violente et l'ont invitée à ne pas considérer la pornographie comme un système de violences en soi mais comme une industrie aux multiples visages qui a certes connu, au cours de la dernière décennie notamment, une recrudescence de violences et de « pratiques » déviantes, mais qui a également cherché à encadrer ces pratiques et à mettre en place des conditions de tournage « plus respectueuses des personnes ».

La délégation a bien évidemment souhaité entendre toutes les parties prenantes de cette industrie et les a laissées s'exprimer librement. Elle considère toutefois que l'ampleur des violences sexuelles, physiques et verbales constatées dans le milieu de la pornographie ne constitue pas de simples « dérives » mais que celles-ci revêtent un caractère systémique.

Ces violences ne sauraient être occultées par des initiatives extrêmement minoritaires et marginales sur le marché des contenus pornographiques ni par des mesures cosmétiques et sans aucun fondement juridique mises en place par les professionnels du secteur .

1. Une réglementation du secteur souhaitée par certains professionnels
a) Une pornographie plurielle ?

Certains sociologues et chercheurs entendus par la délégation au cours de ses travaux ont estimé qu'il n'existe pas une mais des pornographies et que la pornographie ne doit pas être considérée comme problématique ni violente en soi mais comme le reflet de dérives constatées au sein de nos sociétés modernes. Ils invitent donc à distinguer entre plusieurs « genres » pornographiques.

Ainsi, Sonny Perseil, docteur HDR en science politique, chercheur au Cnam, estime que l'on « peut parler de la pornographie plurielle ou des pornographies. Elles sont extrêmement diversifiées. Il existe des productions sans aucune violence, avec uniquement des adultes consentants qui savent très bien ce qu'ils font, qui maîtrisent le cadre de leur activité. Ils refusent ou acceptent les rôles selon leur propre choix et négocient certaines prestations ou les rejettent. Les situations sont multiples . »

De même, Béatrice Damian-Gaillard, docteur HDR en sciences de l'information et de la communication, professeure à l'Université Rennes 1, chercheuse à Arènes (laboratoire du CNRS), a indiqué que, dans le contexte de transformation économique du secteur de la pornographie, « le studio continue d'être un échelon de production important, mais avec des pratiques extrêmement diversifiées. Celles-ci vont de l'organisation illégale reposant sur la manipulation, comme l'illustrait la série d'articles du Monde intitulée Plaintes contre X , aux politiques de production soucieuses des conditions de travail des acteurs et des actrices. Dans ce dernier cas, nous observons des modalités telles que le travail autour du consentement, la participation des acteurs à l'écriture du scénario, ou des modes de rémunération différents, comme c'est le cas chez Puppy please ou Carré Rose. »

Enfin, Florian Vörös, docteur en sociologie, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Lille, rattaché au laboratoire Geriico et à l'Institut des sciences sociales, a exposé devant la délégation l'idée selon laquelle « l'érotisation de la domination et des violences masculines, que nous pouvons qualifier de culture du viol, n'est pas spécifique au porno. Elle traverse tous les domaines de la production culturelle, des plus populaires aux plus légitimes . » En outre, il a également estimé, pour sa part, que « les controverses sur la violence dans la pornographie amènent les entreprises diffusant ces images à privilégier leur réputation avant la lutte effective contre les violences. Elles appliquent donc des règles avant tout orientées vers la moralisation de leur image . » Il en a conclu que « les dispositifs de régulation de la pornographie fonctionnent souvent de manière arbitraire et discriminatoire. Ils ne sont pas des leviers efficaces dans la lutte contre les violences sexuelles . »

b) Des initiatives de certains professionnels visant à encadrer la production de contenus pornographiques

Certains professionnels du secteur de l'industrie pornographique, entendus par la délégation, ont souhaité mettre en avant des initiatives visant à encadrer la production et les tournages de contenus pornographiques.

En réalité, ces initiatives ont été prises sous la pression, d'une part, du vote de législations visant à lutter contre l'exploitation sexuelle et la traite des êtres humains, avec notamment, en France, la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, d'autre part, de la dénonciation des violences sexuelles subies par les femmes, notamment dans le domaine de la production culturelle et cinématographique, avec l'avènement du mouvement #Metoo en 2017.

Certains producteurs et diffuseurs de contenus pornographiques ont mis en place des dispositifs censés encadrer leurs pratiques et les contenus diffusés : « chartes déontologiques » ; contrats signés entre la production et les actrices/acteurs détaillant avec précision les pratiques sexuelles acceptées ou non par les exécutantes et exécutants, prévoyant la faculté pour les actrices et acteurs de retirer leur consentement quant au tournage d'une scène à tout moment, et fixant la durée de cession du droit à l'image ; présence d'un « coordinateur d'intimité » sur chaque tournage...

Lors de son audition par la délégation aux droits des femmes le 11 mai 2022, Grégory Dorcel, président du groupe Dorcel, qui était accompagné de Maître Matthieu Cordelier, avocat intervenu de manière indépendante dans l'élaboration d'une charte déontologique, a expliqué aux rapporteures avoir « souhaité l'élaboration d'une charte qui puisse être rendue publique et servir de référence, de standard, afin qu'aucun novice non professionnel ne puisse être piégé par manque d'informations . (...) Nous avons donc lancé et financé un groupe de travail indépendant, dont la mission a consisté à auditionner de nombreux professionnels, à identifier les problèmes rencontrés et à analyser les attentes, afin d'élaborer une charte qui y réponde véritablement . »

Ce groupe de travail était notamment composé de l'actrice Liza Del Sierra, auditionnée le 9 mars 2022 par la délégation, de Maître Matthieu Cordelier, avocat indépendant, et du sociologue Alexandre Duclos.

Liza Del Sierra a indiqué à la délégation : « durant quatre mois, nous avons mené des entretiens, recueilli et analysé les attentes et suggestions faites librement, sous couvert d'anonymat, par trente-et-une personnes. Toutes ces données nous ont permis d'élaborer une première version sur laquelle ont pu revenir les participants puis Matthieu Cordelier, avocat spécialisé dans l'e-réputation et le cyberharcèlement. Le 21 avril 2021, nous avons publié la charte déontologique et ses dix-huit recommandations concrètes. Il s'agit d'un travail perfectible, mais sérieux et honnête, d'un acte de responsabilité. C'est avec fierté que je peux dire que de nombreuses actrices réclament l'application de la charte déontologique pour se présenter en tournage. Diverses productions semblent la mettre en oeuvre et le revendiquent. Les deux plus grands diffuseurs français que sont Canal+ et Dorcel ont contractualisé l'application de la charte. Tout cela démontre une envie généralisée d'instaurer un cadre et une reconnaissance pour toute une industrie trop souvent niée, ce qui a probablement permis à une minorité de perpétrer des abus . »

L'avocat Matthieu Cordelier a précisé devant la délégation, au cours de son audition le 11 mai 2022, que « la charte traite notamment de la sécurité au travail, du respect de l'hygiène, notamment de l'utilisation du préservatif, et du respect de l'intimité. Puisqu'il n'existe pas de convention collective à proprement parler ni de règles juridiques adaptées, nous avons voulu inventer de nouvelles règles se fondant sur les doléances des acteurs et des actrices. Le point d'orgue de cette construction juridique est l'obligation précontractuelle d'information des acteurs et des actrices, même si la réalité du tournage peut être légèrement différente, à la suite d'absences inopinées . »

Il a également indiqué que « la question de la formalisation du contrat est liée à la présence d'un tiers de confiance, qui est également prévue dans la charte. (...) Ce tiers de confiance serait présent en permanence sur le plateau, pour chaque tournage. Il serait choisi par l'acteur et pourrait être proposé par la production. Il jouerait le rôle d'une sorte de syndicaliste, en faisant l'interface entre les acteurs et la production, dans n'importe quelle situation d'inconfort. Il pourrait suspendre la production et faire modifier le scénario . »

Ce « tiers de confiance » est également dénommé « coordinateur d'intimité » par la société Dorcel qui a indiqué à la délégation avoir systématisé sa présence sur ses tournages.

En outre, Grégory Dorcel a déclaré devant la délégation le 11 mai 2022, « nous pensons néanmoins que d'autres actions s'imposent. En effet, les pratiques criminelles évoquées se sont développées principalement autour de contenus pornographiques d'amateurs et d'indépendants diffusés principalement sur le web , sans aucune régulation. À l'inverse, les producteurs traditionnels ont toujours travaillé en répondant à un cadre légal et sociétal, mais aussi aux chartes éditoriales des différents diffuseurs. En tant que diffuseurs, nous appliquons nous mêmes depuis longtemps des chartes éditoriales strictes qui bannissent les contenus violents, dégradants ou humiliants. Nous avons décidé d'aller plus loin et commencé à imposer ces chartes de production aux cent vingt producteurs internationaux dont nous diffusons les films. Nous nous donnons ainsi trois à cinq ans pour que 100 % des contenus que nous diffusons y répondent. Nous pensons que les diffuseurs ont un grand rôle à jouer pour imposer ces standards et il semble que d'autres grands diffuseurs français rejoignent cette idée. Si nous souhaitons généraliser ces pratiques, tout ne peut être réglé par les seuls diffuseurs . »

Au cours d'une audition par la délégation le 11 mai 2022, Vincent Gey, responsable des opérations du groupe ARES, détenteur de la marque Jacquie et Michel , a également mis en avant la mise en place d'une « charte éthique et déontologique sur les conditions de tournage . (...) Ce document établit notamment les bonnes pratiques et règles en matière de comportements sur les tournages : vérification du casier judiciaire, tests médicaux, recueil des consentements, pratiques acceptées ou refusées, devoir absolu de respecter les principes arrêtés en amont. Les producteurs désireux de collaborer avec ARES doivent, au préalable, signer cette charte . »

Les rapporteures ne peuvent toutefois que constater l'ironie des propos tenus alors par ce responsable du groupe ARES au vu de la mise en examen du PDG du groupe qui a suivi cette audition, en juin 2022, pour complicité de viol et traite des êtres humains en bande organisée.

Au cours de leur audition par la délégation le 9 mars 2022, les actrices, réalisatrices et productrices de films pornographiques réunies autour d'une table ronde, ont également exprimé le souhait d'un encadrement de leur activité. Ainsi, Nikita Bellucci a indiqué : « notre profession a besoin d'être reconnue pour se structurer, besoin d'être encadrée pour se professionnaliser et besoin d'un droit du travail en relation avec sa réalité . » tandis que Liza Del Sierra a précisé : « nous avons besoin de conventions collectives pour l'industrie. Nous avons besoin de syndicats pour faire entendre les voix des performeurs et des techniciens sur le long terme. Nous avons besoin d'audits pour vérifier que le cadre est bien respecté. Nous avons besoin de groupements d'employeurs pour professionnaliser le secteur . »

Les professionnels du secteur ont également proposé de limiter la durée des contrats de cession de droits à l'image.

Ainsi, la charte déontologique élaborée notamment par Liza Del Sierra préconise des contrats de cession de droits à l'image de cinq ans, avec tacite reconduction. Selon Liza Del Sierra, lorsque les productions ont signé la charte, « par simple courrier recommandé, un acteur ou une actrice peut demander, au bout de cinq ans, le retrait des scènes pornographiques, qui seront coupées au montage . »

Charlotte Galichet, avocate du groupe ARES, a également mis en avant des tentatives d'encadrement des cessions de droit à l'image, qui apparaissent cependant très limitées : « Les producteurs avec lesquels ARES travaille font signer aux intervenants un document classique de cession de droit à l'image, précisant le territoire, les moyens et la durée de la diffusion, ainsi que la rémunération. S'agissant d'Internet, le territoire de diffusion et le consentement ont vocation à être mondiaux. Certains producteurs étrangers, dont ARES peut distribuer les contenus, utilisent d'autres documents, conformes à leur législation nationale. Dans ce cadre, les intervenants sont rémunérés pour l'exploitation de leur image sur des durées de dix à trente ans. Le groupe travaille avec les producteurs indépendants pour plafonner cette durée à dix ans non renouvelables pour une scène réalisée par des amateurs, et quinze ans non renouvelables pour un long métrage . »

c) Quid du porno dit « éthique » ou alternatif ?

Certains producteurs de contenus pornographiques, majoritairement des femmes qui sont souvent à la fois actrices, réalisatrices et productrices de ces contenus, défendent la possibilité de pratiques « plus respectueuses des personnes filmées » et évoquent la notion de pornographie « éthique » ou alternative.

C'est le cas par exemple de Carmina , que la délégation a entendue dans le cadre de ses travaux, le 9 mars 2022, et qui s'est alors présentée comme actrice, réalisatrice et productrice de courts-métrages pornographiques alternatifs. Elle a décrit le milieu alternatif comme produisant « un porno différent de celui qu'on voit dans les médias, un porno qui s'écarte de la norme. C'est un milieu qui dénonce les agressions sexuelles qui se produisent dans notre métier et les mauvaises conditions de travail, qui lutte contre les productions sexistes et racistes et qui oeuvre pour changer les représentations des minorités et des sexualités . »

Elle a notamment créé sa société de production Carré Rose et son label « pour pouvoir produire de la manière la plus éthique possible » et « faire des films qui portent [ses] valeurs féministes intersectionnelles, respectueux des acteurs et des actrices et de leur consentement, mais aussi des techniciens et des techniciennes qui participent à la création des films . » Elle a également indiqué à la délégation souhaiter « mettre en avant le plaisir et les fantasmes féminins et montrer que la femme peut être sujet d'une représentation pornographique plutôt qu'un objet. Je m'efforce d'être la plus inclusive possible, de mettre en avant les minorités visibles, les personnes LGBTQ+, de représenter des corps, des expressions de genre et des sexualités différents . »

Elle a également décrit aux rapporteures sa façon de travailler sur un tournage : « les actrices et acteurs sont toujours au courant des personnes avec lesquelles ils vont tourner. Je demande si le choix des partenaires convient, ainsi que le contexte et le scénario du film. J'informe les acteurs et actrices qu'ils peuvent venir accompagnés s'ils le souhaitent. Je demande, bien évidemment, les dépistages nécessaires à la sécurité de chaque participant à la scène. Aucune pratique sexuelle n'est imposée ni chorégraphiée, tous les actes sont laissés libres aux actrices et aux acteurs. Ils peuvent d'ailleurs en discuter et en décider seuls avant la scène sans que ni ma présence ni ma validation soient nécessaires. Ma priorité, à chaque tournage, est que chacun et chacune se sente en sécurité, soit satisfait de sa journée et du résultat et se sente à tout moment en position de dire non . »

Les films qu'elle réalise et produit sont payants et accessibles uniquement sur Internet et sur son propre site.

Elle a toutefois reconnu devant la délégation faire ses films « de manière artisanale, sur un marché dominé par de grandes multinationales, dont le modèle de fonctionnement ne laisse pas de place à l'humain et privilégie toujours l'argent. J'ai choisi, autant que possible, de ne pas travailler avec elles pour respecter mes valeurs. Mais tout le monde n'est pas toujours en mesure de refuser cet argent. On doit alors choisir entre travailler avec des personnes ou des sites dont on ne partage pas les valeurs ou ne pas travailler du tout . »

La délégation ne méconnaît pas l'existence de ce type d'initiatives visant à produire du contenu sexuel pour adultes de façon « alternative », en dehors du véritable système de violences décrit précédemment, issu du modèle économique imposé par les grandes plateformes numériques de diffusion massive de contenus pornographiques violents, sexistes et racistes.

Les rapporteures estiment toutefois que ce type de productions, extrêmement minoritaires sur le marché de la pornographie et par ailleurs marginales en termes de public consommateur, ne constitue que l'arbre qui cache l'immense forêt des violences pornographiques aujourd'hui .

2. Des mesures cosmétiques et marginales qui ne sauraient constituer une solution
a) Une voie règlementariste et « pseudo-éthique » vouée à l'échec

Au vu des travaux menés par la délégation pendant plusieurs mois sur l'industrie de la pornographie, qui ont confirmé l'ampleur des violences commises à l'encontre des femmes dans ce milieu, les rapporteures n'ont pas été convaincues par la voie « règlementariste » prônée par certains professionnels du secteur visant à encadrer juridiquement les tournages, ni par la promotion d'un porno différent, dit « éthique » ou « alternatif », qui véhiculerait des valeurs féministes et inclusives .

D'une part, ce type de productions pornographiques n'est pas économiquement viable, la demande pour ce genre de contenus étant plus que marginale et leur accessibilité particulièrement limitée et confidentielle.

Lors de son audition par la délégation le 17 février 2022, le journaliste Robin D'Angelo , auteur d'une enquête sur le milieu de la pornographie en France, a ainsi déclaré aux membres de la délégation : « évidemment, je crois qu'il peut exister une pornographie éthique. Cette question est totalement légitime. Pour autant, il faut comprendre qu'aujourd'hui les consommateurs de pornographie ne veulent pas regarder une pornographie éthique . (...) La pornographie éthique et féministe (...) est économiquement marginale . (...) Les quelques réalisatrices réalisant ce type de films ne peuvent absolument pas en vivre . Elles en réalisent un par an, avec des bouts de ficelle, les tournant souvent avec des copains. Finalement, peut-il y avoir une pornographie éthique à partir du moment où il y a une monétisation du rapport sexuel allant contre le désir ? Cela devient compliqué. On pourrait faire une pornographie reposant sur le désir des acteurs. Simplement, elle n'est pas rentable et ne satisfait pas la moitié du public . »

« Il faut comprendre qu'aujourd'hui les consommateurs de pornographie ne veulent pas regarder une pornographie éthique . » Robin D'Angelo, journaliste

Interrogée sur ce point par les rapporteures, Carmina , actrice, réalisatrice et productrice de courts-métrages pornographiques « alternatifs », l'a d'ailleurs reconnu : « quelle part représentons-nous dans l'industrie pornographique ? J'évolue dans un milieu relativement différent de celui de mes collègues : un porno minoritaire , objet politique, portant un message et des revendications forts. La masse des productions se trouve gratuitement sur Internet, alors que les films que je produis, comme les nombreuses productions existantes qui se trouvent être non sexistes, féministes, éthiques, sont payants . »

D'autre part, le discours règlementariste , vantant l'élaboration de « chartes déontologiques », la présence de « coordinateurs d'intimité » ou la signature de contrat incluant des clauses sur le consentement à certaines pratiques, est largement utilisé par certains producteurs de contenus pornographiques comme un pur argument marketing ou de feminist washing , une façon de se donner une bonne conscience féministe pour produire un contenu par nature sexiste, et non par réel engagement.

S'il fallait s'en convaincre, l'exemple de la « charte éthique et déontologique sur les conditions de tournage », mise en place par le groupe ARES, détenteur de la marque Jacquie et Michel et vantée par Vincent Gey , responsable des opérations du groupe ARES, lors de son audition par la délégation le 11 mai 2022, est emblématique de ces opérations de communication menées par certains professionnels de cette industrie pour convaincre l'opinion publique de leurs « bonnes intentions ». Rappelons que quelques semaines seulement après cette audition, le PDG d'ARES, Michel Piron, était mis en examen pour complicité de viol et traite des êtres humains en bande organisée.

Lors d'une table ronde avec des chercheurs, sociologues et juristes sur la production de contenus pornographiques, Florian Vörös , docteur en sociologie, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Lille, rattaché au laboratoire Geriico et à l'Institut des sciences sociales, a notamment fait valoir au sujet de ce genre d'initiatives visant à encadrer les pratiques du milieu pornographique : « ce qui relève du feminist washing - je pense que cette charte affiche une dimension marketing visant à revaloriser la marque et ses produits sur le marché - doit être distingué d'un engagement sincère contre les causes structurelles du sexisme et des violences dans le milieu pornographique. Nous avons besoin d'enquêtes pour en savoir plus. S'agit-il uniquement de redorer l'image des entreprises écornées dans une affaire publique ? Observons-nous au contraire un changement profond des rapports de genre ? Qui détient le pouvoir au sein des entreprises pornographiques ? Tant que les hommes le détiendront structurellement, tant qu'il y aura une organisation et une distribution genrées du travail, le contexte de domination masculine favorisera les violences sexuelles ».

En outre, s'agissant de l'existence d'un porno éthique , Florian Vörös a également déclaré devant la délégation : « nous devons nous méfier de ces mots valises à la mode. Les studios peuvent utiliser cette étiquette comme un argument marketing pour se distinguer et laisser sous-entendre que les autres acteurs du secteur ne sont pas éthiques. Si je dis moi-même que je suis un sociologue éthique, j'implique peut-être que les autres ne le sont pas. Il s'agit d'un geste commercial dans un champ donné, afin de se distinguer des autres . (...) Il y a ce qui relève des conditions de tournage, des représentations ou autres. Nous pourrions imaginer un studio produisant des représentations intéressantes dans de mauvaises conditions de tournage, par exemple. Nous avons besoin de plus de connaissances en sciences sociales et de plus de discussions avec tous les acteurs et toutes les actrices de la production pour rendre les situations plus éthiques . »

En tout état de cause, les rapporteures considèrent le concept même de pornographie éthique comme une aberration sémantique, une contradiction dans les termes.

« Il faut invisibiliser le porno éthique pour qu'on arrête de nous l'opposer systématiquement. Invoquer la possibilité d'une pornographie éthique permet trop souvent d'évacuer le débat sur la pornographie en général . » Maître Seydi Ba, avocat d'une victime partie civile dans l'affaire « French Bukkake»

Ainsi que le formulait très justement une victime, constituée partie civile au dossier de l'affaire French Bukkake , entendue à huis clos par les rapporteures le 29 mars 2022, « pornographie et éthique sont des termes qui n'ont rien à voir ensemble. (...) Il n'y a pas de porno éthique possible. Dès lors qu'on comprend ce qu'est le porno, on est censé comprendre que cela ne devrait plus exister, que la pornographie devrait être interdite . (...) Je pense que le porno est une « idéologie » et qu'il est là pour répondre à un besoin assez déshumanisant. Sur les sites pornographiques, les vidéos sont classées par catégories : beurette , gang-bang , qui peut subir cela ? Des bukkake , des choses aussi violentes, contre nature ? Ce n'est pas normal d'accepter ça . »

b) Le contrat et la notion de « consentement commercial » en matière sexuelle : un non-sens juridique

Les velléités règlementaristes des professionnels du secteur de la pornographie reposent notamment sur le principe du « droit au contrat » pour les actrices et acteurs de productions pornographiques et sur la description détaillée dans ce contrat des pratiques sexuelles consenties ou non par les exécutants. Le respect du consentement des actrices et acteurs serait alors garanti par la présence sur chaque tournage d'un tiers de confiance ou « coordinateur d'intimité ».

Outre que les rapporteures doutent de l'efficacité des faibles moyens mis en oeuvre par les producteurs et diffuseurs pour assurer le respect des clauses de ces contrats et contrôler les conditions réelles de fabrication du contenu produit et diffusé, elles estiment également que ce type de contrats ne fait que matérialiser « l'achat de contrainte sexuelle », ainsi que le soulignait notamment Robin d'Angelo, journaliste et auteur d'une enquête sur le milieu de la pornographie en France, lors de son audition par la délégation le 17 février 2022.

Tout d'abord, en matière sexuelle, le consentement d'autrui à telle ou telle pratique doit pouvoir être retiré à tout moment. Stipuler préalablement dans un contrat son consentement à une telle pratique sexuelle peut, sur le papier, sembler constituer une avancée pour les actrices et acteurs de contenus pornographiques. Pourtant cette notion reste juridiquement très fragile dans la mesure où, d'une part, le consentement a pu être obtenu en raison de la vulnérabilité psychologique et de la précarité économique dans laquelle se trouve la partie prenante au contrat, d'autre part, si le consentement en matière sexuelle n'est pas considéré comme réversible à tout moment, il est, par nature, vidé de sa substance.

Comme le soulignait Sandrine Goldschmidt, chargée de communication au Mouvement du Nid , lors de son audition par la délégation le 20 janvier 2022, « le simple fait d'écrire le consentement à une pratique sexuelle dans le contrat annule la possibilité même de consentement, puisqu'il signifie que l'employeur peut se retourner contre l'employée si celle-ci refuse finalement une pratique acceptée à l'avance. Pour que le consentement en matière sexuelle ait un sens, il doit à tout moment être réversible . »

Sur la question du contrat, Robin D'Angelo a également rappelé devant la délégation qu'« aborder le problème du porno par la question des contrats est en décalage avec la réalité d'un tournage porno (...) L'économie est tellement informelle avec des problématiques d'abus qui sont structurelles que l'aborder par la question des contrats me semble cynique et en décalage . »

En outre, il a souligné que « la question des contrats rejoint celle du consentement. Nous ne sommes pas tous égaux devant ce dernier. Le consentement d'une jeune femme de 19 ans en rupture familiale et exposée à des violences depuis ses 15 ans n'aura pas du tout la même valeur que celui d'une femme de 35 ans, insérée socialement, qui fait du porno pour son plaisir, si tant est que cela existe . (...) Ce sujet pose la question intrinsèque à la pornographie qui est celle d'une forme de monétisation de la contrainte sexuelle . Veut-on mettre en place un contrat pour en faire un milieu comme un autre ? Toute la question vise à trouver un équilibre entre une réduction des risques pour ces femmes et le positionnement de la société vis-à-vis de cet achat de contrainte . J'ai été témoin en permanence de cet achat de contrainte . »

Sur la notion de règlementation et d'encadrement juridique formel des tournages pornographiques, il a indiqué à la délégation avoir « recueilli des témoignages assez hallucinants en Europe de l'Est. Une actrice russe m'indiquait par exemple qu'elle avait signé avec une agence un contrat la tenant pour un certain nombre de scènes à réaliser chaque année. Elle ne voulait plus les tourner. Ce contrat était factice, puisqu'on ne peut pas obliger une personne à avoir un rapport sexuel. Cette femme ne voyait pas les choses de cette manière et craignait de se retrouver dans une situation d'illégalité. Cette histoire illustre bien la perversité que peut induire une forme de légalisation . Ces agences que l'on retrouve aux États-Unis, à Budapest ou à Prague sont des portes d'entrée pour ces abus. Ce métier recrute beaucoup d'individus en situation de vulnérabilité . C'est là où le serpent se mord la queue . »

Les rapporteures estiment en effet que les contrats visant à encadrer l'achat d'actes sexuels et le consentement en matière sexuelle constituent une impasse juridique dans un secteur où les violences sexuelles, physiques et verbales sont devenues systémiques.

Ainsi que le soulignait Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains au ministère de l'intérieur, lors de son audition par la délégation le 18 mai 2022, dans la pornographie, « les actes, même consentis, découlent d'une nécessité matérielle et d'une précarité économique dont souffrent ceux qui s'y livrent plutôt que d'un choix libre et éclairé . (...) C'est bien l'esprit de notre droit de dire que, même si l'intérêt économique est partagé, personne ne doit profiter matériellement des services sexuels tarifés d'un tiers. La notion de dignité humaine est objective et supplante dans notre droit celle du consentement, qui est, elle, subjective, et donc sujette à manipulation . Dès lors, la question que nous devons nous poser dans le cas de la pornographie n'est pas : s'agit-il d'un accord commercial ? En effet, aucun contrat ne peut être fait au sujet d'une activité illégale . (...) Le droit pénal prime, peu importe le consentement des actrices, peu importent les contrats signés . »

De même, Hélène Collet, vice-procureure de la République au Parquet de Paris, lors de son audition par la délégation le 15 juin 2022, au sujet notamment de l'affaire French Bukkake en cours d'instruction, a précisé : « le viol est caractérisé dès lors qu'il n'y a plus consentement. La signature d'un contrat au préalable ne constitue pas un élément d'excuse. Le contrat, qui relève du civil, n'est pas exonératoire de la responsabilité pénale . Si une actrice ayant signé ce contrat n'est plus consentante en cours de scène, la qualification pénale peut être retenue . »

Enfin, Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, lors de cette même audition, a précisé aux rapporteures : « sur le sujet de l'état du droit, je désire revenir à la question du consentement. L'industrie pornographique a bien identifié cet enjeu. Je ne crois pas qu'un contrat soit valide simplement parce qu'il a été signé. Le consentement doit être éclairé : celui qui le signe ne doit pas être en position de vulnérabilité . Or c'est le cas de la plupart des victimes. Surtout, le code pénal indique que l'on ne peut consentir à n'importe quoi . Ainsi, autrefois, alors que les duels avaient été interdits, les duellistes étaient condamnés parce que l'on ne saurait consentir à sa propre mort. L'aide au suicide est interdite au même titre. On ne peut pas davantage consentir à sa propre torture, à sa propre humiliation. Je ne peux imaginer que l'on réduise cette affaire à des contrats signés . »

III. UNE CONSOMMATION MASSIVE, BANALISÉE ET TOXIQUE, CHEZ LES ENFANTS ET ADOLESCENTS COMME CHEZ LES ADULTES

Le porno n'est plus aujourd'hui ce magazine ou cette cassette VHS achetés discrètement dans des boutiques spécialisées et au contenu que les consommateurs d'aujourd'hui qualifierait de « soft ». Le porno, y compris le porno le plus extrême et « trash », est aujourd'hui à portée de clic, accessible à toutes et tous en ligne, gratuitement, et sans aucune barrière ni garde-fou. Sa consommation est devenue massive, chez les adultes mais aussi chez les adolescents voire chez les enfants. D'ailleurs, en violation totale du code pénal qui réprime toute diffusion de contenu pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.

La délégation souhaite, par la compilation de données détaillées et parfois exclusives, provoquer une prise de conscience générale quant à l'ampleur de ce phénomène, encore trop méconnu et mésestimé. Ses conséquences sont nombreuses et graves. Pour notre jeunesse en premier lieu, qui entre dans la sexualité « biberonnée » au porno. Mais aussi pour la société dans son ensemble : le porno produit une érotisation de la violence et des rapports de domination et ne fait qu'encourager et renforcer une culture du viol et des violences envers les femmes.

A. UN ACCÈS SANS LIMITE NI GARDE-FOU, EN VIOLATION DU CODE PÉNAL

1. Des contenus accessibles à toutes et tous en ligne, en dépit de la loi en interdisant l'accès aux mineurs

L'article 227-24 du code pénal interdit la fabrication, le transport et la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, ainsi que le commerce, de tout message « à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger » lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur. Ces infractions sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

a) Une régulation relativement stricte des contenus diffusés au cinéma et dans les médias audiovisuels

En 1961, un décret 27 ( * ) institue une commission de contrôle des films cinématographiques chargée d'émettre un avis sur tous les films avec quatre niveaux de classification : tous publics, interdiction aux mineurs de moins de 13 ans, interdiction aux mineurs de moins de 18 ans et interdiction totale. Cet avis est requis par le ministère de la culture en préalable à l'octroi d'un visa d'exploitation.

La loi dite Giscard de 1975 28 ( * ) introduit un régime spécial pour les « films pornographiques ou d'incitation à la violence » , en excluant ces films, ainsi que les salles de cinéma spécialisées dans leur projection, du bénéfice de toute forme d'aide sélective ou subvention et en leur imposant un taux de TVA majoré ainsi qu'une taxe à hauteur de 20 % de leurs bénéfices. Elle crée ainsi une nouvelle catégorie de classification (dite des « films X »), qui entraîne une interdiction de représentation à tous les mineurs. Elle ne donne pas pour autant de définition de la pornographie. Cette activité de définition est opérée par le rapport Genevois qui retient deux critères : la non-simulation des actes sexuels et l'intention d'ensemble de l'oeuvre.

Désormais, la commission et les comités de classification disposent de cinq niveaux de classification : tous publics, interdiction aux mineurs de moins de 12 ans, interdiction aux mineurs de moins de 16 ans, interdiction aux mineurs de moins de 18 ans, interdiction aux mineurs de moins de 18 ans avec classement « X ». Chacune de ces mesures peut être accompagnée d'un avertissement destiné à l'information du spectateur sur le contenu de l'oeuvre ou certaines de ses particularités.

Cependant, le dernier classement « X » date de 1996 et la dernière salle spécialisée a fermé en 2019.

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication 29 ( * ) a fait du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) le garant, dans les médias, du respect de la dignité de la personne humaine et de la protection des mineurs. À cette fin, le CSA a mis en place des signalétiques et imposé des contraintes aux éditeurs et distributeurs. La diffusion de programmes pornographiques (dits de catégorie V) est soumise au respect d'une recommandation du 15 décembre 2004 30 ( * ) : diffusion uniquement sur certaines chaînes, entre minuit et cinq heures du matin, avec un système de verrouillage, activé dès la première utilisation et de nouveau lors de toute modification du contexte de visionnage . Une délibération du 20 décembre 2011 précise la mise en oeuvre de ces règles pour les services de médias audiovisuels à la demande, avec en particulier une possibilité de commercialisation de ces contenus uniquement dans le cadre d'offres payantes, par abonnement ou à l'acte, et l'obligation de mettre en place un système de verrouillage spécifique actif dès la première utilisation du service et de nouveau à chaque tentative d'accès à l'espace réservé aux programmes « adultes ».

Ainsi, les films pornographiques diffusés depuis 1985 sur Canal+ le premier samedi du mois respectent un certain nombre de règles : double cryptage, diffusion après minuit, préservatif obligatoire, interdiction de la violence, des gifles et des claques, pas de mise en scène de rapports tarifés ou de viols, etc.

b) Une régulation quasi inexistante sur Internet

S'il n'a longtemps eu aucune compétence s'agissant d'Internet, le CSA - aujourd'hui l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) - est désormais chargé de la régulation systémique des plateformes ayant une activité d'intermédiation en ligne, telles que les plateformes de partage de vidéo, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les agrégateurs et les magasins d'application.

Contrairement aux médias audiovisuels, où elle assure un contrôle contenu par contenu, l'Arcom ne contrôle pas chaque contenu publié en ligne mais s'assure que les plateformes ont mis en oeuvre des outils et moyens afin de répondre aux grands objectifs de politique publique en matière de lutte contre les contenus illicites et préjudiciables et de protection du public. Elle intervient particulièrement en matière de lutte contre la manipulation de l'information et contre la haine en ligne. Elle s'assure que les plateformes mettent bien en oeuvre, de façon transparente et équilibrée, leurs obligations de signalement ou encore de modération.

À l'initiative du Sénat, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales 31 ( * ) a précisé que les infractions prévues à l'article 227-24 du code pénal sont constituées y compris si l'accès du mineur résulte d'une simple déclaration de celui-ci indiquant qu'il est âgé d'au moins dix-huit ans. Les sites pornographiques ne peuvent donc plus se contenter d'une réponse positive à la simple question « Avez-vous plus de 18 ans ? ».

Pour autant, force est de constater que l'accès aux sites pornographiques demeure aujourd'hui encore extrêmement aisé pour n'importe quel public . Aucun contrôle de l'âge n'est prévu pour accéder aux sites Pornhub , YouPorn , Xnxx , Tukif , etc.

Fenêtre d'accueil au moment de l'accès à des sites pornographiques

Source : vérifications de la délégation en juillet 2022

De même, aucun contrôle de l'âge de l'utilisateur n'est effectué sur les réseaux sociaux où le principe de l'auto-déclaration domine . En théorie, les réseaux sociaux sont interdits au moins de 13 ans et ne sont accessibles aux adolescents de 13 à 15 ans qu'avec le consentement de leurs parents en plus de celui du mineur, au titre du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Or de nombreux comptes sur Twitter ou Instagram affichent des contenus pornographiques ou font la promotion de contenus disponibles sur d'autres sites, comme Onlyfans . Des avertissements sont parfois affichés mais tel n'est pas toujours le cas et un simple clic permet de passer outre l'avertissement.

Message d'avertissement sur Twitter
en cas de contenus sexuellement explicite

Pour reprendre les propos d'Israël Nisand, gynécologue et obstétricien, lors de son audition par la délégation, « donner aux enfants des images porno dans la rue, c'est un délit passible de prison, mais le faire sans aucun contrôle ni limitation, c'est possible sur la toile pour les milliardaires d'Internet, avec un effet d'amplification sur les réseaux sociaux, le tout dans un silence assourdissant, c'est business as usual. »

2. Une exposition de plus en plus précoce, volontaire mais aussi subie, notamment par les plus jeunes

La majorité des adolescents et adolescentes a déjà vu des contenus pornographiques en ligne, de manière volontaire ou non.

Selon un sondage Opinionway d'avril 2018 32 ( * ) , réalisé auprès de jeunes de 18 à 30 ans, 82 % de ces jeunes adultes avaient vu des images pornographiques avant 18 ans, 62 % avant 15 ans, 31 % à 12 ans ou moins, 11 % avant 11 ans. Cette tendance est plus marquée chez les hommes : 70 % avaient vu des images pornographiques avant l'âge de 15 ans.

Taux d'exposition à des images pornographiques

en fonction de l'âge et du sexe

Source : Sondage Opinionway réalisé auprès d'un échantillon de 1 179 personnes représentatif de la population française âgée entre 18 et 30 ans, avril 2018

Chiffres clés de l'exposition des mineurs au porno selon l'association Ennocence

Source : Infographie réalisée par l'association Ennocence

Ces tendances s'accentuent au fil des années et l'exposition à des contenus pornographiques est de plus en plus précoce. L'association Open (Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique), qui effectue des actions de prévention en matière d'appréhension des outils numériques et intervient tout particulièrement sur la thématique de la pornographie, a alerté la délégation sur cette dégradation de la situation : les intervenants sont désormais sollicités au niveau de l'école primaire alors qu'ils n'intervenaient par le passé que dans des collèges et lycées.

a) Des possibilités d'exposition accrues par l'élargissement des pratiques numériques des enfants et adolescents

Ainsi que l'a exposé devant la délégation Sophie Jehel, maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université Paris 8, chercheure au Centre d'études sur les médias, les technologies et l'internationalisation (CÉMTI), avec l'élargissement des pratiques numériques des enfants et des adolescents, du temps passé sur les plateformes, du nombre de comptes et la diversification des activités qui y sont menées, se sont accrues les occasions de rencontres avec des contenus sexuels qui étaient moins présents et moins accessibles sur les autres médias, en particulier dans l'audiovisuel ou le cinéma.

Ainsi, selon une étude Médiamétrie de 2019, l'âge d'acquisition du premier téléphone est désormais de 9 ans et 9 mois et à 12-13 ans près des deux tiers des enfants ont un téléphone et accès à Internet librement .

Taux d'utilisation d'équipement numérique par les enfants selon leur âge

Taux de possession d'équipement numérique par les enfants selon leur âge

Source : Médiamétrie - Étude réalisée en ligne en septembre 2019 auprès de 2 087 parents d'enfants âgés de moins de 15 ans pour le compte de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique et de l'Unaf

Selon Sophie Jehel, la moitié des enfants âgés de 11 à 14 ans se rendent sur les réseaux sociaux. Plus de 70 % des 15-16 ans sont présents sur au moins quatre réseaux sociaux, le plus souvent Instagram , Snapchat , YouTube , TikTok .

Or la confrontation à des images sexuelles se fait en grande majorité via un smartphone et par l'intermédiaire de trois canaux principaux : les sites pornographiques dédiés, les comptes de réseaux sociaux et messageries numériques, enfin les sites de téléchargement illégal.

b) Un accès précoce à des contenus pornographiques sur des sites dédiés mais aussi sur les réseaux sociaux, plateformes et messageries numériques

Les sites pornographiques sont le premier canal d'accès aux contenus pornographiques. Selon un sondage Ifop 33 ( * ) , réalisé en avril 2021 auprès d' adolescents âgés de 15 à 17 ans , 41 % des adolescents interrogés ont déjà consulté des sites pornographiques . Selon un précédent sondage Ifop de 2017 34 ( * ) portant sur cette même classe d'âge, cette proportion était de 63 % chez les garçons et 37 % chez les filles. L'âge moyen de premier visionnage d'une vidéo pornographique est de 14 ans .

Les adolescents consultent quasi exclusivement des sites pornographiques gratuits, tels que - par ordre de consultation - Pornhub (1 580 000 visiteurs mineurs en moyenne chaque mois en 2021), Xvideos (530 000), Tukif (390 000), xHamster (340 000) et Youporn (200 000).

Au-delà de ces sites dédiés, les réseaux sociaux et messageries numériques sont devenus, pour les jeunes, un canal d'accès et de diffusion, en échange privé ou en publication, d'images et de vidéos sexuelles. Aujourd'hui, de plus en plus d'adolescents et adolescentes accèdent à la pornographie sur des plateformes comme Onlyfans ou Mym mais aussi sur des réseaux comme Instagram , Snapchat ou Twitter . Selon le sondage Ifop de 2021, 31 % des adolescents de 15 à 17 ans ont eu accès à de la pornographie sur des réseaux sociaux et 24 % via des messageries , c'est-à-dire, dans ce dernier cas au moins, directement entre jeunes.

Thomas Rohmer, président de l' Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique ( Open ), a mis en avant devant la délégation la perméabilité entre le monde des influenceurs sur les réseaux sociaux, qui adoptent pour certains ou certaines des comportements hyper sexualisés, et l'apparition de nouvelles plateformes largement centrées sur la vente de vidéos et de photos à caractère sexuel.

c) Des expositions parfois involontaires voire subies

Le visionnage de contenus pornographiques peut être involontaire ou subi, à l'occasion de recherches sur Internet, du visionnage ou du téléchargement d'un film ou d'un dessin animé, de discussions sur des réseaux sociaux ou des messageries instantanées... En particulier, les sites de téléchargement ou de streaming comportent fréquemment des panneaux publicitaires ou des fenêtres pop-up à caractère sexuel et le film téléchargé peut comporter des séquences pornographiques en lieu et place du film attendu.

Selon le sondage Ifop de 2017, plus de la moitié des adolescents de 15 à 17 ans sont déjà tombés par hasard sur un extrait vidéo à caractère pornographique .

Alors que le sondage Opinionway précité indique qu'à 12 ans un enfant sur trois a déjà été exposé à des images pornographiques, le plus souvent de façon involontaire, des acteurs associatifs entendus par la délégation estiment que la première exposition involontaire intervient souvent dès l'école primaire .

Une enquête menée par Sophie Jehel a fait apparaître que la rencontre avec des images sexuelles était d'abord involontaire pour les filles, souvent au moment d'un téléchargement illégal. Contrairement aux garçons, peu de filles entre 15 et 17 ans ont confié à son équipe consulter ce type de site volontairement, ou seulement de façon très exceptionnelle, avec des amies. En revanche, les jeunes filles sont tout autant sujettes que les garçons à des expositions involontaires. Le sondage Ifop de 2017 ne fait ainsi apparaître aucune différence genrée s'agissant de l'exposition involontaire, contrairement aux résultats relatifs à l'accès volontaire à des sites pornographiques.

La réception non désirée par les jeunes filles d'images sexuelles ( nudes ), envoyées le plus souvent par de jeunes garçons, est un phénomène en plein essor . Sophie Jehel a ainsi indiqué à la délégation qu'au sein de l'Observatoire des pratiques numériques des adolescents en Normandie, avec lequel elle travaille depuis 2014 afin de suivre l'évolution des pratiques numériques de 3 000 à 7 000 adolescents, 20 % des filles disent recevoir des images violentes ou choquantes non désirées. Lors d'un déplacement des rapporteures au collège Rosa Parks de Gentilly (94), la réception non désirée d'images sexuelles a été confirmée par toutes les adolescentes rencontrées.

Arthur Vuattoux, maître de conférences en sociologie à l'Université Sorbonne Paris Nord, membre de l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS-USPN, EHESS, CNRS UMR 8156, Inserm U997), co-auteur de l'ouvrage Les jeunes, la sexualité et Internet , a en outre évoqué devant la délégation des expériences de pornographie sous contrainte, mentionnant l'exemple d'une jeune fille à qui son partenaire imposait de regarder de la pornographie pendant leurs rapports.

3. Des pratiques de consommation banalisées et parfois intensives, chez les jeunes comme chez les adultes
a) Une consommation généralisée, surtout chez les jeunes hommes

Selon des données consultées par la délégation, portant sur l'année 2021, chaque mois , en moyenne, 19 millions de visiteurs uniques se connectent à au moins un site pornographique, soit un tiers des internautes français . Parmi ceux-ci, 2,3 millions de mineurs .

Les contenus consultés sont pour une immense majorité des contenus gratuits. Or pour reprendre les propos du philosophe Romain Roszak dans son ouvrage La séduction pornographique 35 ( * ) , « la gratuité d'une bonne partie de l'offre redouble le sentiment qu'il s'agit d'une consommation innocente, qui ne se paye de rien ».

Les 15-49 ans sont les principaux consommateurs de ce type de site : la moitié des internautes de cette classe d'âge s'y rend tous les mois.

Les différences de consommation entre femmes et hommes sont notables à tout âge. 56 % des hommes de plus de 18 ans se rendent sur des sites pornographiques chaque mois, contre 21 % des femmes. Parmi les internautes de moins de 15 ans, 28 % des garçons se rendent sur ces sites tous les mois, contre 13 % des filles .

Les données recueillies par Sophie Jehel, au sein de l'Observatoire des pratiques numériques des adolescents en Normandie, montrent une progression de la consommation chez les jeunes filles mais qui reste toujours nettement inférieure à celle des jeunes hommes : en 2018 les garçons étaient 32 % à consulter des sites à caractère sexuel contre seulement 3 % des filles ; en 2021, ils sont 40 % contre 11 % des filles.

Selon Ludivine Demol, chercheuse-doctorante en Sciences de l'information et de la communication à l'Université Paris 8, auteure de travaux sur la consommation pornographique des jeunes, « les garçons, pour être considérés comme des hommes, doivent s'intéresser à la sexualité et à la pornographie ». Leur découverte du porno se fait seul ou en groupe, s'intégrant dans la socialisation à la masculinité. Ils découvrent en général la pornographie et la masturbation de façon simultanée. Quant aux filles, elles ont majoritairement accès à la pornographie via un pair : frère, cousin, copain, petit copain.

b) Des pratiques intensives de visionnage inquiétantes

Il n'existe pas aujourd'hui d'étude générale de prévalence des pratiques intensives de visionnage de porno. Cependant, des sondages, enquêtes et témoignages font apparaître des pratiques particulièrement inquiétantes.

Pour Arthur Vuattoux, « la pornographie peut être analysée comme l'un des usages centraux d'Internet à l'adolescence, en lien avec la sexualité ». La consommation de contenus pornographiques débute généralement par des phases de visionnage assez intense de pornographie avant l'entrée dans la vie sexuelle, au début de l'adolescence . Ensuite, dès que commence la sexualité relationnelle, ces phases de visionnage s'espacent et laissent place à d'autres expériences, reléguant la pornographie à de l'accessoire. Cela corrobore les données recueillies par Sophie Jehel qui indiquent que la consultation de sites pornographiques est particulièrement élevée à 15 ans puis qu'elle diminue.

Consultation de sites pornographiques

chez les adolescents garçons de 15 à 17 ans

ont déjà surfé sur un site pornographique

le font au moins une fois par semaine

le font tous les jours

Source : Sondage Ifop : « Les adolescents et le porno : vers une « Génération Youporn » ? », 2017

Le sondage Ifop de 2021 précité montre des écarts importants entre les pratiques moyennes et les pratiques médianes, témoignant de pratiques intenses de visionnage chez certains jeunes. Les jeunes interrogés se sont en moyenne connectés à un site porno au cours des 24 derniers jours mais le nombre médian de jours depuis la dernière consultation est de quatre : la moitié des adolescents ayant déjà consulté des sites pornographiques l'ont donc fait au cours des quatre jours précédents.

Divers professionnels entendus par la délégation ont alerté sur l'augmentation des pratiques de visionnage intensif de porno. Samia Bounouri, infirmière scolaire, secrétaire départementale du syndicat SNICS-FSU, a ainsi évoqué le cas d'élèves de sixième visionnant plusieurs fois par jour des vidéos pornographiques .

Si ces pratiques concernent des adolescents de tout milieu, elles sembleraient plus fréquentes chez des jeunes en situation de vulnérabilité, conflit ou souffrance. Sur la base d'entretiens menés avec des jeunes se déclarant addicts au porno, la chercheuse Ludivine Demol a ainsi estimé devant la délégation que la consommation massive de pornographie vient répondre à une demande d'évasion et de recherche de plaisir immédiat chez des jeunes qui sont souvent déjà dans des situations de vulnérabilité et de conflit.

Certaines pratiques intensives de visionnage de contenus pornographiques s'inscrivent dans le temps. Le risque de développer des comportements addictifs apparaît d'autant plus élevé que la première exposition aux images pornographiques a été précoce. Lors de son audition par la délégation, Maria Hernandez-Mora, psychologue clinicienne spécialisée dans les addictions sexuelles et cybersexuelles, a indiqué que la quasi-totalité de ses patients ont visionné des contenus pornographiques avant l'âge de 12 ans. Tous se souviennent des premières images visionnées, dont ils ne parviennent pas à se défaire.

En outre, une étude qu'elle mène sur 1 001 personnes adultes, dans le cadre d'une thèse sur les addictions sexuelles, indique une prévalence d'usage compulsif du porno d'environ 4 % dans la population et de 11 % chez les hommes . Elle voit dans le porno « la drogue par excellence, car elle peut être consommée dans l'anonymat total, en tout lieu et en toutes circonstances avec une accessibilité hors normes, de manière totalement gratuite, et de manière infinie. »

4. Un accès à des contenus de plus en plus violents, toxiques pour les mineurs comme pour les adultes

Les rapporteures estiment qu'il faut absolument sortir de représentations faussées, datées ou édulcorées du porno. Le porno n'est plus ce qu'il a pu être il y a trente ou quarante ans : les contenus proposés sont de plus en plus nombreux et de plus en plus violents. Ce phénomène est étroitement lié au développement des tubes .

Les professionnels du porno eux-mêmes le reconnaissent, quand ils n'en profitent pas pour se dédouaner de leurs propres responsabilités. Pour Grégory Dorcel, président du groupe Dorcel, « avec eux [les tubes], c'est la double peine : non seulement ils diffusent des contenus pornographiques à n'importe qui - y compris les enfants - mais ils diffusent également n'importe quoi : images extrêmes, avilissantes, etc. ».

Certains contenus sont indubitablement illicites et leur diffusion est condamnable. Selon des chiffres communiqués à la délégation par Céline Piques, porte-parole de l'association Osez le féminisme ! , lors d'une audition le 20 janvier 2022, Pornhub recense 71 608 vidéos faisant l'apologie de l'inceste et de la pédocriminalité, ainsi que 2 462 vidéos ayant pour mot clé « torture ».

De façon générale, les contenus proposés construisent une érotisation de la violence et lient plaisir et domination. Selon une étude portant sur 304 scènes pornographiques sélectionnées parmi les meilleures ventes du site Adult Video News en 2010, citée par un rapport de la Fondation Scelles 36 ( * ) , 90 % des scènes pornographiques contiennent de la violence explicite .

Lors de l'audition précitée du 20 janvier 2022, Claire Charlès, porte-parole de l'association Les Effronté.es , a évoqué devant la délégation plusieurs catégories qui seraient inacceptables sur tout autre support : fantasme familial avec des titres tels que « daddy fucks his teen daughter » ; fantasme pédocriminel avec la catégorie teen ou des actrices habillées en écolières ; interracial « mettant en scène des hommes noirs animalisés avec une frêle jeune femme blonde » ou avec des titres comme « jeune beurette souillée par des bites d'hommes blancs » ; viols avec des mots clés comme « surprise anale , surprise fuck , prise par surprise » ; enlèvement et séquestration ; humiliation et douleur ; prostitution ; esclave...

La délégation a elle-même recensé les termes utilisés sur les six sites pornographiques les plus consultés en France et pu constater l'omniprésence de vidéos dont la catégorisation ou la description relèvent de crimes et délits ou à tout le moins incitent incontestablement à la violence .

Exemples de catégories et nombre de vidéos par catégorie
sur les six sites pornographiques les plus consultés en France

Incitation à la pédocriminalité

Incitation à l'inceste

Stéréotypes racistes

Violence extrême affichée

Pornhub

école (5 933),

teen (149 223)

fantasme familial (31 548)

interracial (30 453)

sexe intense (51 248), hard (128 028), gangbang (7 362 vidéos)
bukkake (2 964 vidéos)

XHamster

ado amateur, ado vierge, écolière japonaise, adolescentes anales hardcore

secrets de famille, baise maman, demi soeur, tabou mère

grosse bite noire, cocufiage interracial, écolière japonaise

sexe brutal, hardcore, adolescentes anales hardcore

XVideos

teenage-girl-porn (278 593), teen-hardcore (610 652)

famille dérangée (42 222), mom and son (350 924), step-daughter (55 112)

interracial (68 626), big black dick (598 474), slave (31 372)

gangbang (28 917),
hard (189 195),
rough (106 017)

Tukif

dépucelage (533), teen (24 377)

famille (2 530)

interracial (7 277)

brutal (3 143),
hardcore (3 006), extrême (1 353), gangbang (1 912)

Xnxx

teen anal (849 319), old man young girl (383 890)

famille (52 356), family therapy (50 760), frère et soeur (258 246)

interracial (99 821), big black cock (830 191)

gangbang (28 792), bukkake (223 085),
anus béant (27 462), hardcore (4430726)

Youporn

teen (197 997)

step fantasy (5 028)

interracial (31 927)

rough sex (37 619), gangbang (6 023)

Exemples (non pondérés) de catégories disponibles sur les six sites pornographiques les plus visités en France

Source : recherches effectuées par la délégation aux droits des femmes du Sénat (juillet 2022)

Descriptif de la catégorie « sexe sauvage » sur le site Jacquie & Michel TV

Source : capture d'écran du site jacquieetmicheltv.net (juillet 2022)

Claire Charlès a conclu son énumération des termes recensés sur les sites pornographiques par cette réflexion que la délégation fait sienne : « Dans n'importe quel autre film, sur n'importe quel autre support, ces contenus seraient censurés, interdits. Dans la pornographie, il y a cette zone de non-droit dans laquelle on peut expérimenter les stéréotypes qui vont créer ou flatter des fantasmes racistes ou sexistes chez les gens. »

Ce droit au fantasme et le jeu de l'offre et de la demande sont les éléments mis en avant par les professionnels du secteur entendus par la délégation pour justifier l'existence de tels contenus .

« Je ne soutiens pas ni ne participe à ce type de pratique mais n'oublions pas non plus qu'il y a une offre et une demande. S'il existe une offre et une demande pour une scène de bondage où une femme suspendue au plafond est arrosée de Nutella , qu'y trouver à redire ? La question du consentement est centrale mais c'est bien sur l'existence d'une offre et d'une demande qu'ont surfé les grandes plateformes voleuses de contenus et diffuseuses de masse en proposant tout et n'importe quoi, hors de tout contrôle, au gré de hashtags de niche . » Liza Del Sierra, ancienne actrice, aujourd'hui productrice et réalisatrice

« Chacun a le droit de fantasmer. Ce n'est pas à nous de juger ce que les gens ont envie de regarder et ce qu'ils ont envie de tourner, y compris s'il s'agit de fantasmes hors du commun. [...] On n'a pas à réguler les contenus sur lesquels les gens ont envie de fantasmer. » Carmina, actrice, réalisatrice et productrice

Si les contenus violents ne sont pas forcément les plus recherchés par les utilisateurs, ils leur sont cependant très vite proposés . En effet, parmi les vidéos figurant sur la page principale des sites ou dans l'onglet « vidéos les plus regardées », figurent des titres comme : « orgie de cauchemar interracial hardcore », « j'ai baisé ma demi-soeur », « beau-fils jaloux prend sa belle-mère », « une jolie teen se fait enculer pour la première fois », « anal accidentel inattendu » ou « college fille cul et chatte étirées » ( sic ).

En cas d'accoutumance au porno, les consommateurs vont se diriger vers des contenus de plus en plus violents . Selon la psychologue Maria Hernandez-Mora, le phénomène de tolérance, pour le porno comme pour les drogues, conduit le consommateur à visionner des contenus de plus en plus choquants afin d'atteindre une excitation sexuelle à laquelle il ne parvient plus avec les contenus initiaux.

Une recherche 37 ( * ) a montré que ce phénomène d'accoutumance était rapide . Cette recherche a porté sur deux groupes de quatre-vingt personnes chacun. Le premier groupe était exposé à de la pornographie non violente une heure par semaine pendant six semaines. Le deuxième groupe n'était exposé pendant la même période qu'à du contenu non pornographique. Deux semaines après la fin de la première période, le premier groupe regardait des films pornographiques de plus en plus violents, alors que le deuxième groupe arrêtait le visionnage de ces mêmes films au bout de deux minutes. Les vendeurs de contenus pornographiques interrogés par les chercheurs, après cette première expérience, ont confirmé que les demandes de leurs clients réguliers évoluaient en général des « activités sexuelles communes » aux « activités sexuelles atypiques ».

Si des contenus plus respectueux des personnes peuvent exister, ils semblent peu visionnés. Sophie Jehel a affirmé avec force devant la délégation : « je n'ai jamais entendu parler de pornographie éthique par les adolescents. Ils finissent par trouver banales des choses normales dans la pornographie, comme la sexualité à plusieurs, le fait qu'une femme se retrouve face à quatre ou cinq hommes . »

B. UNE JEUNESSE EN DANGER

1. Des traumatismes voire des « viols psychiques » pour les plus jeunes

Le visionnage d'images pornographiques a des conséquences différentes selon l'âge auquel il intervient mais peut choquer à tout âge. Dans le sondage Opinionway d'avril 2018 précité, réalisé sur des jeunes de 18 à 30 ans, 66 % des femmes et 38 % des hommes déclarent que les images pornographiques les ont choqués la première fois .

Lorsque la première exposition à ces images survient avant 12 ans, elle est le plus souvent involontaire et peut conduire à des traumatismes importants.

Selon Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne spécialisée dans l'enfance et l'adolescence et présidente de l'association e-enfance , avant la puberté, ces images sont une effraction psychique qui sidère les enfants, leur fait peur, et parfois les fascine et les excite. Ils ne sont pas préparés à voir ces images violentes, car les enfants n'ont pas de représentation psychique de la sexualité génitale des adultes et sont violemment agressés par ce qu'ils ont tout à coup sous les yeux. Nombre d'entre eux gardent le silence et se sentent en faute. Selon elle, ce silence, cette culpabilité et la prégnance des images qu'ils ont vues provoquent chez bon nombre d'entre eux des troubles anxieux, proches de ceux que l'on retrouve dans un syndrome de stress post-traumatique : troubles du sommeil, cauchemars, agitation, maux de ventre, de tête, crise d'angoisse.

Pour Maria Hernandez-Mora, psychologue clinicienne spécialisée dans les addictions sexuelles et cybersexuelles, il est possible de parler de « viol psychique » : pour l'enfant, les images pornographiques constituent des images traumatiques qu'il n'est pas capable d'analyser . La sexualité, qui était auparavant source de saine curiosité infantile, devient alors, suite à ce premier contact précoce, objet de dégoût et de fascination en même temps. Choqué et plein de questionnements, l'enfant est amené à revenir regarder ce contenu, afin de pouvoir l'intégrer et le comprendre.

Des adolescents plus âgés peuvent également être bouleversés par les images qu'ils ont vues. Samia Bounouri, infirmière scolaire en Seine-Saint-Denis, secrétaire départementale du syndicat SNICS-FSU, a décrit devant la délégation les symptômes qu'elle-même et ses collègues pouvaient constater lors de consultations infirmières dans des établissements scolaires : sentiment de culpabilité, de honte et de dégoût, obnubilations avec des scènes qui reviennent en flash-back à tout moment dans la journée, céphalées, troubles du sommeil et de l'alimentation, difficultés à se concentrer, chute des notes, repli sur soi, scarifications, etc. Les jeunes concernés peuvent aussi présenter des troubles du comportement inhabituels : attitude agressive ou violente, mimétisme avec des situations vues sur les écrans, dessins à caractère sexuel sur des cahiers d'école, bruitages, par exemple des gémissements de femmes, insultes à caractère sexuel dont ils ne comprennent parfois même pas le sens.

Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation et directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant au CNRS ( LaPsyDÉ ), a exposé devant la délégation les conséquences que peut avoir le visionnage de porno sur un cerveau en développement. À l'adolescence, le système limbique est beaucoup plus réactif et affecté par ce qu'il voit. Aussi, l'exposition répétée à des images choquantes produit à chaque fois la même réaction émotionnelle très forte, ce qui peut créer un traumatisme .

Comme l'a mis en avant devant la délégation Béatrice Damian-Gaillard, docteure HDR en sciences de l'information et de la communication, professeure à l'Université de Rennes 1, chercheuse à Arènes, le contexte de réception joue beaucoup sur la façon dont l'enfant reçoit et s'approprie les images visionnées. La confrontation avec des images choquantes est d'autant plus bouleversante pour un enfant qu'il n'a pas la possibilité de parler de ce qu'il a vu, de mettre des mots sur ce qu'il ressent, ni de décrypter les images. Les réactions des adultes et la création d'un espace de dialogue sont cruciales.

2. Une vision déformée et violente de la sexualité
a) Le porno, lieu d'apprentissage de la sexualité par défaut

La pornographie a un impact sur la façon dont les adolescents et les jeunes adultes abordent leur entrée dans la sexualité. Elle constitue leur première voire seule référence de ce que peuvent être des rapports sexuels . Une enquête 38 ( * ) indique que les jeunes regardent des contenus pornographiques pour quatre raison principales : se préparer à la sexualité ; découvrir des pratiques ; se masturber ; comme carburant du fantasme. La recherche d'informations sur la sexualité apparaît comme un facteur clé des premiers visionnages volontaires de contenus pornographiques.

« Nous n'éduquons pas nos enfants à la sexualité ; rassurez-vous, la pornographie le fait à notre place » Israël Nisand, gynécologue et obstétricien

Le sociologue Arthur Vuattoux, qui a mené une enquête avec Yaëlle Amsellem Mainguy ayant donné lieu à la publication de l'ouvrage Les jeunes, la sexualité et internet 39 ( * ) , estime que le visionnage de la pornographie est peu dissociable, dans le récit qu'en font les jeunes, d'autres dimensions de leurs activités en ligne, notamment la recherche d'informations . Ainsi, certains jeunes ont indiqué aux chercheurs avoir visionné des contenus pornographiques la première fois parce qu'ils voulaient savoir à quoi ressemblait un rapport sexuel et qu'il s'agissait du seul outil permettant d'avoir accès des images explicites. Pour Arthur Vuattoux, « le recours à des contenus pornographiques est peut-être révélateur des failles de notre système éducatif ».

Certaines catégories intitulées « pédagogique » (ou « instructional » en anglais), « entraînement » ou « tutoriel » incitent d'ailleurs les jeunes à considérer qu'il s'agit de ressources légitimes en matière d'information sur la sexualité.

Or les jeunes adolescents et adolescentes ont très peu de capacité de distanciation face aux images reçues .

Une étude 40 ( * ) portant sur l'impact des images violentes, sexuelles et haineuses sur les adolescentes, menée par Sophie Jehel, a montré que les jeunes adolescents garçons recevaient les images pornographiques comme une préparation à la sexualité. Selon elle, le visionnage des images pornographiques ne conduit pas à leur mise à distance mais plutôt à la banalisation des pratiques montrées. Elle parle d'adhésion-croyance : l'adolescent spectateur se projette dans l'image et la considère comme vraie.

Cela rejoint des constats émis devant la délégation par Simon Benard-Courbon, substitut du procureur de la République, co-référent prostitution et traite des êtres humains des mineurs à la division de la famille et de la jeunesse (Difaje) du tribunal judiciaire de Bobigny : « Les jeunes garçons que je rencontre pensent que ces échanges sexuels sont la norme sexuelle. Les films pornographiques qu'ils regardent à un moment où ils sont en construction et se socialisent vont influer sur leurs rapports aux femmes en général et dans leur vie sexuelle ».

Certains jeunes peuvent avoir du recul par rapport aux images visionnées mais sans pour autant que ce soit suffisant pour qu'ils puissent s'en abstraire. Ainsi, Ovidie, réalisatrice de documentaires, a fait part à la délégation de certains échanges qu'elle a eus au cours de ses interventions dans des collèges et lycées du département de la Charente. Elle estime qu'il y a aujourd'hui une génération qui entre dans la sexualité en ayant été à la fois « biberonnée au porno » et dans le même temps sensibilisée aux notions de consentement, de harcèlement, de revenge porn , etc. dans la lignée de #MeToo et que les jeunes sont tiraillés entre ces deux visions.

Arthur Vuattoux a souhaité relativiser devant la délégation l'influence de la pornographie sur la sexualité des jeunes à plus long terme, estimant qu'en grandissant les jeunes acquièrent davantage de recul sur les images visionnées, intègrent le fait qu'il ne s'agit pas de la réalité et apprennent à sélectionner les images qu'ils visionnent. Pour autant, les jeunes rencontrés dans le cadre de sa recherche étaient âgés de 18 à 30 ans et disposaient d'un recul qui est rare chez un adolescent de 15 ou 16 ans.

b) Des normes de domination et de violence

Le porno impose des scénarios, des normes, des codes : les jeunes gens ne se construisent plus leur propre univers fantasmatique et souhaitent - ou se sentent tenus de - reproduire les pratiques visionnées, coller à des scénarios précis, enchaîner certains actes... Selon l'enquête Ifop de 2017 précitée, 45 % des adolescents de 15 à 17 ans ayant déjà eu un rapport sexuel ont déjà essayé de reproduire des scènes ou pratiques de films pornographiques. C'est le cas de 60 % des adolescents homosexuels.

Les adolescents abordent la sexualité sous l'angle de la performance, avec la peur de ne pas être à la hauteur de ce qu'ils ont vu et qu'ils pensent être la norme. Comme l'a relevé Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne, « l'idéal pornographique est tyrannique et angoissant . »

Certaines pratiques, autrefois marginales, se développent chez les adolescents. Ovidie a ainsi évoqué devant la délégation une augmentation de pratiques BDSM (bondage, discipline, domination, soumission) « sans filet », c'est-à-dire sans le « contrat de consentement » qui existe habituellement entre adultes adeptes de ces pratiques.

La référence à des pratiques visionnées dans des films pornographiques est en outre utilisée pour justifier une culture oppressive de la sexualité. Ainsi Israël Nisand, gynécologue et obstétricien, a témoigné devant la délégation recevoir en consultation des jeunes femmes qui lui demandent si elles doivent accepter de refaire, à la demande de leur petit ami, ce qu'ils ont ensemble regardé dans des films porno.

Plus globalement, ainsi que l'a exposé devant la délégation Sophie Jehel, maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université Paris 8, le porno tend à renforcer la construction d'une culture viriliste de la sexualité des hommes, qui passe par la domination sexuelle des femmes , et dont la consommation est vécue bien souvent par les jeunes filles, mais aussi par les jeunes homosexuels, comme une agression. Elle estime que la culture pornographique dans son ensemble vient renforcer les codes de la domination masculine et rend particulièrement difficile l'éducation à l'égalité et à la parité.

Pour la psychologue Béatrice Copper-Royer, « il y a incontestablement, via ces vidéos pornographiques, un renforcement des discours misogynes, une représentation caricaturale des stéréotypes de l'homme hyper viril et dominateur et de la femme soumise et consentante. Pour faire plaisir à sa petite copine, il faudrait lui taper sur les fesses et la tirer par les cheveux ... »

Cette présentation déformée et sexiste de la sexualité a été dénoncée avec force par Elsa Labouret, porte-parole d' Osez le féminisme ! : « Un garçon cherchant des informations sur la sexualité et tombant sur la pornographie va apprendre que le plaisir de l'autre ne compte pas, que les lesbiennes aiment coucher avec un homme, que les femmes aiment la violence, que seule la pénétration donne du plaisir, que la pénétration anale, double ou triple, est banale et très facile. Il va découvrir de multiples endroits très créatifs où déposer son sperme. Il va apprendre qu'une vulve lisse, sans poils, aux lèvres symétriques, est la norme. Il va apprendre à ressentir de l'excitation en voyant une femme en larmes, complètement dissociée, aux yeux vides. » Quant aux filles, « elles vont apprendre que la sexualité comportera des violences, qu'elles sont utilisables et pénétrables, sans compter toutes les violences qui s'exercent sur elles par les hommes qui en regardent. »

Les scénarisations de viols dans les vidéos pornographiques et le non-respect constant du « non » de la femme » ont également des répercussions sur l'idée que se font les jeunes de la notion de consentement. Comme s'est insurgé Israël Nisand, « ce qu'on apprend aux jeunes hommes dans la pornographie, c'est que si une femme dit non, en fait ça veut dire oui, et que si vous poussez plus loin jusqu'à la faire bien jouir parce que vous êtes bien viril, elle va vous remercier alors qu'elle disait non au départ. La pornographie, c'est un apprentissage au non consentement . » Il estime que « la pornographie est un traité sur la virilité. Elle assume la déshumanisation systémique de toutes les femmes et leur humiliation, la suprématie des “ vrais hommes ”, avec une apologie de l'érection, de la pénétration des trois offices féminins et de l'éjaculation. »

3. Une (hyper) sexualisation précoce et un développement des conduites à risques ou violentes

Les professionnels constatent un développement de comportements sexualisés chez les jeunes adolescents voire les enfants. L'appréhension de ces comportements ne pas doit se limiter aux seuls rapports sexuels par pénétration vaginale, les pratiques sexuelles des jeunes ayant fortement évolué.

Israël Nisand, gynécologue et obstétricien, a insisté devant la délégation sur les évolutions de la sexualité et des questionnements des adolescents, s'appuyant notamment sur l'ouvrage Sexualisation précoce et pornographie 41 ( * ) de Richard Poulin, sexologue canadien, qui, selon lui, « montre bien comment la pornographie sexualise les enfants et chosifie les femmes » et « démontre que les pratiques violentes sont directement proportionnelles à la précocité et à l'intensité de la consommation d'images pornographiques ».

Les demandes et envois de nudes ou de vidéos d'actes sexuels sont aujourd'hui extrêmement développés chez les adolescents et adolescentes . Ils s'envoient des images d'eux-mêmes nus ou dans des postures impudiques, notamment via Instagram ou Snapchat .

Les données recueillies en 2020 et 2021 au sein de l'Observatoire des pratiques numériques des adolescents en Normandie illustrent ce phénomène : sur Snapchat , 16 % des garçons et 11 % des filles disent envoyer des snaps intimes ou provocants ; sur TikTok , 11 % des garçons et 7 % des filles ont publié des vidéos sensuelles ou sexy, dans un cadre qui n'est plus privé.

La question de l'échange de contenus à caractère sexuel contre rémunération via ces supports de diffusion se pose également.

Au cours d'une table ronde avec des acteurs institutionnels spécialisés dans la lutte contre la traite des êtres humains et la cybercriminalité, organisée le 18 mai 2022 par la délégation, Simon Benard-Courbon, substitut du procureur de la République, co-référent prostitution et traite des êtres humains des mineurs à la division de la famille et de la jeunesse (Difaje) du tribunal judiciaire de Bobigny a ainsi déclaré : « il n'est pas besoin de passer par des plateformes spécialisées : il suffit d'échanger par SMS, Whatsapp ou Facebook des images ou vidéos dénudées, avec une rémunération qui vient par la suite. En outre, ces activités sont cachées, elles se produisent dans le huis clos de la chambre ou de la salle de bain. (...) Dans une affaire de l'an dernier, une adolescente de 16 ans se confie à un membre du personnel éducatif ; elle se dit victime de harcèlement scolaire de la part d'élèves qui prétendent qu'elle se livre à des actes sexuels. Elle explique qu'elle correspond avec des hommes qu'elle ne connaît pas à qui elle envoie des photos dénudées, en échange de quoi elle reçoit divers cadeaux : abonnements à des chaînes payantes, livres et vêtements. Lorsque les policiers l'entendent, elle précise qu'elle n'a jamais réalisé de prestations sexuelles physiques ».

La diffusion de ces contenus à caractère sexuel via des plateformes spécialisées, les réseaux sociaux ou des messageries privées, pose la question de la porosité entre la pornographie et la prostitution.

Le visionnage de contenus pornographiques contribue par ailleurs à banaliser aujourd'hui les actes sexuels et les conduites à risque chez les adolescents et adolescentes .

Selon Thomas Rohmer, président de l' Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique ( Open ), « certaines pratiques sexuelles sont extrêmement banalisées dans les établissements scolaires, ce sont aussi des pratiques stéréotypées qui émanent du milieu pornographique et se sont diffusées sur le terrain : par exemple, la fameuse “ totale ”, c'est-à-dire, pour être clair, le trio fellation-sodomie-éjaculation faciale . » Cela rejoint le témoignage de Simon Benard-Courbon, substitut du procureur de la République, co-référent prostitution et traite des êtres humains des mineurs à la division de la famille et de la jeunesse (Difaje) du tribunal judiciaire de Bobigny : « La fellation est devenue un acte tout à fait anodin pour la plupart des adolescents - mes collègues et moi le constatons régulièrement dans les affaires de violences sexuelles . »

Ainsi que l'a exposé devant la délégation Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation et directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant au CNRS (LaPsyDÉ), les adolescents sont plus enclins à prendre des risques : « s'ils sont exposés à des contenus pornographiques dans lesquels les acteurs ne sont pas protégés, ils pensent non pas à l'éventualité d'une MST, mais plutôt à la recherche du plaisir grâce à une relation sexuelle . »

De nombreux professionnels entendus par la délégation, que ce soit dans les domaines de l'éducation, de la santé ou de la justice, ont établi un lien entre la banalisation de la consommation de pornographie et l'augmentation de la prostitution des mineurs , qui ont toutes deux pris leur essor pendant les années 2010. Sur la base de son expérience de substitut du procureur de la République au tribunal judiciaire de Bobigny, Simon Benard-Courbon a ainsi affirmé : « il y a un lien certain entre la pornographie en ligne et l'essor du proxénétisme sur les mineures, avec des jeunes consommateurs qui peuvent devenir des clients ou des proxénètes »

Les phénomènes de violences et harcèlement sexuels de jeunes sur d'autres jeunes sont également en hausse : envois de nudes non sollicités de sexe en érection à des jeunes filles, partages d'images sexuelles sans le consentement de la personne concernée, pressions envers les plus jeunes pour visionner des vidéos pornographiques, attouchements voire agressions sexuelles. Gordon Choisel, président de l'association e-nnocence, a évoqué devant la délégation une augmentation des cas de viols en réunion chez des enfants de 12-13 ans qui filment ces agressions dans les cours de récréation ou les toilettes de l'école, reproduisant des actes visionnés en ligne.

C. UNE MENACE POUR L'ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ

Il serait naïf de croire que l'impact des images véhiculées aujourd'hui par l'industrie pornographique se limiterait aux seuls mineurs. Ces images ont également un impact sur les adultes, qu'ils en consomment ou non. Pour reprendre les propos d'Elsa Labouret, porte-parole d' Osez le féminisme !, « il ne suffit pas de ne pas en regarder pour ne pas être influencé ». La sociologue américaine Gail Dines évoque ainsi une « société de cerveaux pornifiés » .

Le porno a des conséquences sur les rapports entre hommes et femmes, sur leur sexualité, sur leurs représentations d'eux-mêmes et d'autrui, ainsi que sur la diffusion de représentations sexistes et violentes dans l'ensemble de la société.

Ces phénomènes sont d'autant plus préoccupants que les codes du porno ont infiltré la culture populaire, les médias, la publicité, les émissions de téléréalité, les jeux vidéo...

À rebours, il est également possible de considérer que le porno n'est que le miroir grossissant des pratiques et représentations sexistes du reste de la société et que ses usages doivent être resitués dans un contexte plus global de rapports sociaux inégalitaires. Telle est l'analyse de Florian Vörös, docteur en sociologie, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Lille, rattaché au laboratoire Geriico et à l'Institut des sciences sociales, pour qui « l'érotisation de la domination et des violences masculines, que nous pouvons qualifier de culture du viol, n'est pas spécifique au porno. Elle traverse tous les domaines de la production culturelle, des plus populaires aux plus légitimes » .

1. Une érotisation de la violence et des rapports de domination

La pornographie banalise et rend acceptables les stéréotypes sexistes et les violences à l'encontre des femmes. Bien plus encore, elle conduit à une érotisation généralisée de la violence et des rapports de domination .

Pour reprendre les propos du sociologue Florian Vörös dans son ouvrage Désirer comme un homme 42 ( * ) , « l'érotisation des stéréotypes sociaux et la mise en scène spectaculaire de la domination sexuelle sont deux caractéristiques récurrentes de la pornographie ». Tout en estimant que le porno n'est pas la cause unique des rapports de domination et que « les imaginaires genrés et racialisés du porno opèrent à l'intérieur de systèmes de signification et de domination plus larges qui organisent nos vies quotidiennes », il ajoute que « les idées de conquête et de possession des corps féminins sont bien au coeur des imaginaires masturbatoires hétérosexuels ».

Dans un ouvrage fondateur intitulé Pornography : Men possessing Women 43 ( * ) , la féministe radicale Andrea Dworkin mettait déjà en évidence cette érotisation de la possession des corps féminins et la dynamique de domination masculine produite par le porno.

Margot Fried-Filliozat, sexothérapeute, a témoigné devant la délégation de l'influence que le porno a sur sa patientèle, en vaste majorité des femmes n'appréciant pas leur vie sexuelle, voire en souffrant. Elle estime qu'elles sont largement victimes de pratiques inspirées à leur conjoint par le porno : le désir de l'homme est au centre et il y a peu de préliminaires, peu de tendresse, peu d'amour, peu de communication.

Au-delà de pratiques qui peuvent être consenties, les professionnels évoquent un accroissement des pratiques violentes. Laure Beccuau, procureure de la République au Parquet de Paris, a établi devant la délégation un lien entre la lutte contre l'industrie pornographique violente et la lutte contre les violences conjugales , des hommes tendant à vouloir reproduire des scènes violentes dans leur vie intime.

Dans une décision remarquée de 1992 44 ( * ) , la Cour suprême du Canada avait été la première cour au monde à estimer qu'il existe un lien entre la pornographie en général et la violence perpétrée à l'encontre des femmes dans la société.

2. Des normes corporelles oppressantes

La pornographie dite mainstream véhicule des normes corporelles stéréotypées et déformées : corps minces et musclés, seins et pénis proéminents, parties génitales entièrement épilées et lisses, etc. La réalisatrice de documentaires Ovidie l'a affirmé devant la délégation lors de son audition : « personne n'échappe à l'imprégnation des codes du porno qui a pénétré dans tout notre environnement médiatique et culturel, dans la publicité notamment, les jeux vidéo, le cinéma, etc. Ainsi même lorsqu'on ne regarde pas de porno, on va, entre 18 et 25 ans, être intégralement épilé parce que c'est la norme . »

Lors d'un déplacement au collège Rosa Parks de Gentilly (94), les rapporteures ont pu échanger avec des professeurs et des membres de l'équipe éducative, et notamment avec une professeure de SVT (sciences de la vie et de la terre) qui leur a fait part de son expérience lorsqu'elle a souhaité actualiser les schémas des appareils reproducteurs, alors totalement datés dans bon nombre de manuels scolaires. La présence de poils pubiens sur ces schémas avait fortement interpellé des garçons de sa classe de quatrième qui étaient convaincus de l'absence de poils chez les femmes, sur la base de ce qu'ils avaient pu visionner dans des films pornographiques.

Le sociologue Arthur Vuattoux a évoqué devant la délégation les discours des jeunes qu'il a rencontrés dans le cadre de son enquête précitée. Les jeunes ont spontanément expliqué lors des entretiens l'influence de la pornographie sur leur sexualité en matière de normes corporelles : « ils voient bien que tous ces corps sont identiques, épilés, minces ». Il existe également un phénomène de comparaison de la taille des organes sexuels qui peut mettre une pression sur certains.

Samia Bounouri, infirmière scolaire en Seine-Saint-Denis, secrétaire départementale du syndicat SNICS-FSU, a confirmé ces questionnements des jeunes sur leur corps et leur normalité physique, par rapport aux acteurs dont ils voient les « performances ».

Selon la psychologue Béatrice Copper-Royer, la taille du sexe peut terriblement inquiéter les garçons et réactiver une angoisse de castration, ainsi qu'un manque de confiance en eux .

Les idées irréalistes sur l'apparence des organes génitaux féminins comme masculins, véhiculées par le porno, ont des incidences sur les adultes eux-mêmes, parfois jusqu'à la recherche d' opérations chirurgicales pour se conformer aux stéréotypes véhiculés .

Selon Catherine Bergeret-Galley, première vice-présidente de la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens (SOFCEP), auditionnée par la délégation, le porno a des effets sur les demandes formulées par les femmes et les hommes qui consultent les chirurgiens esthétiques plasticiens. Certains hommes sont convaincus qu'ils ont un micro-pénis et en font une obsession. Certaines femmes considèrent quant à elles qu'une vulve de petite fille, dépourvue de tout poil, entièrement fermée, sans débordement des lèvres internes, constitue la norme.

Les chirurgiens esthétiques plasticiens se retrouvent également parfois en situation d'expliquer à leurs patientes les dangers de la violence sexuelle et les risques de déchirure et de mutilation que comportent certaines pratiques sexuelles inspirées du porno.

3. Des troubles et violences engendrés par des consommations intensives de porno

Les pratiques intensives de visionnage de porno ont des conséquences chez les jeunes comme chez les adultes, comme l'a exposé la psychologue Maria Hernandez-Mora devant la délégation. Des études de neuro-imagerie ont montré des atteintes dans les circuits neurocognitifs. Des études ont également montré que le cerveau humain réagissait au porno comme aux drogues, avec un phénomène d'accoutumance et de tolérance. Afin de trouver le plaisir ou le soulagement recherché, le cerveau demande de nouvelles doses, plus fréquentes ou plus intenses .

En outre, les doses de dopamine libérées en situation de visionnage de porno sont si intenses que le cerveau ne réagit plus en situation sexuelle physique . Cela a des conséquences cliniques sexologiques : dysfonctions érectiles, éjaculations retardées, vaginisme.

Maria Hernandez-Mora a ainsi expliqué que ses patients aux pratiques de visionnage intensives lui faisaient fréquemment part de leur difficulté à avoir une satisfaction sexuelle avec leur partenaire et de leur besoin d'amener à leur imaginaire des images pornographiques mais aussi d'ajouter des formes de violence à leurs échanges sexuels afin que leur corps atteigne l'excitation nécessaire.

Des études 45 ( * ) ont pu établir des liens entre consommation de pornographie et attitudes violentes . Des corrélations ont été mises en évidence, indiquant qu'en moyenne, des individus consommant plus fréquemment du porno sont davantage susceptibles de manifester des attitudes agressives et de se livrer à des agressions sexuelles.

D'autres symptômes de l'usage problématique du porno ont pu être mentionnés par Maria Hernandez-Mora : envahissement de la pensée par les images pornographiques, irritabilité et crises de colère, perte de contrôle, impact dans les responsabilités quotidiennes, anxiété et dépression, sentiments de honte et de dégoût de soi, symptômes d'abstinence physiques et psychologiques, ruptures sentimentales, altération de la capacité à créer du lien, difficultés pour vivre l'intimité, tendance accrue à l'infidélité.

Or l'offre de soins est aujourd'hui très limitée, peu de réponses cliniques existent pour faire face à ces pratiques intensives de visionnage de porno et à leurs conséquences. Il apparaît donc nécessaire de former les professionnels de santé en addictologie à la prise en charge des addictions sexuelles et cybersexuelles et de mettre en place une offre de soins spécialisée au sein des centres d'addictologie.

DEUXIÈME PARTIE - LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION POUR LUTTER
CONTRE LES VIOLENCES PORNOGRAPHIQUES

Face à l'ampleur des violences pornographiques et de leurs conséquences sur notre jeunesse comme sur l'ensemble de la société, les rapporteures souhaitent imposer dans le débat public la lutte contre ces violences et en faire une priorité de politique publique et pénale. Souhaitant ouvrir les yeux de toutes et de tous sur un système mondial de violences faites aux femmes, les rapporteures questionnent l'existence même de l'industrie pornographique .

Les rapporteures émettent également des recommandations de nature à faciliter les suppressions de contenus pornographiques illicites ou dont la diffusion n'est plus souhaitée par les principaux intéressés. Il s'agit d'empêcher toute diffusion de contenus pédopornographiques, de contenus affichant des violences sexuelles ou incitant au viol ou à la haine, mais aussi de permettre aux femmes et hommes ayant participé à des tournages pornographiques de tourner la page.

Elles formulent, par ailleurs, des recommandations concrètes afin d'appliquer enfin la loi interdisant l'exposition des enfants et adolescents à des contenus pornographiques.

Enfin, le développement de solutions techniques de blocage de l'accès aux sites pornographiques doit s'accompagner d'une éducation ambitieuse de la jeunesse, articulant éducation à la sexualité, à l'égalité, aux médias et aux usages du numérique. La délégation déplore une nouvelle fois les lacunes des séances d'éducation et d'information à la sexualité, quasi inexistantes dans bon nombre d'établissements scolaires, et appelle à enfin les mettre en oeuvre sur tout le territoire.

I. IMPOSER DANS LE DÉBAT PUBLIC LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES PORNOGRAPHIQUES

Au vu des constats posés par la délégation sur l'ampleur systémique des violences pornographiques actuelles et de l'omerta qui entoure encore ce système de violences, les rapporteures jugent essentiel, d'une part, d'ouvrir enfin les yeux de la société dans son ensemble sur ces violences, d'autre part, d'engager un débat public sur les pratiques de l'industrie pornographique et sur son existence même, mettant ainsi fin au déni et à la complaisance dont elle bénéficie aujourd'hui .

Recommandation n° 1 : Faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique.

A. OUVRIR LES YEUX DE TOUTES ET TOUS SUR UN SYSTÈME MONDIAL DE VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

Si le présent rapport de la délégation aux droits des femmes ne devait avoir qu' une seule finalité , ce serait de faire la lumière sur les violences systémiques à l'encontre des femmes engendrées par l'industrie mondiale de la pornographie aujourd'hui.

1. Pour une prise de conscience collective des violences commises par l'industrie de la pornographie

Les rapporteures estiment indispensable une réelle prise de conscience des pouvoirs publics et de l'opinion publique sur ce que recouvre aujourd'hui la grande majorité de la production de contenus pornographiques dans le monde et en France.

C'est pourquoi elles plaident pour :

- que les conditions dans lesquelles se déroulent la plupart des tournages pornographiques soient connues de toutes et tous ;

- que les consommateurs, occasionnels ou réguliers, de contenus pornographiques disponibles sur les grandes plateformes numériques de diffusion appelées tubes , soient informés des dessous de fabrication sordides de cette industrie prédatrice qui exploite des femmes très souvent en situation de grande précarité et vulnérabilité économiques, sociales et psychologiques ;

- que tous les parents d'enfants et d'adolescents soient pleinement conscients que ces derniers seront confrontés, au cours de leur minorité, volontairement ou non, de façon répétée, intensive ou épisodique, à du contenu pornographique violent ;

- et qu'enfin la société dans son ensemble identifie l'influence des normes de violences et de domination ainsi que les stéréotypes misogynes, racistes, souvent lesbophobes et hypersexualisés, véhiculés par l'industrie de la pornographie aujourd'hui.

2. Faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique pénale en France
a) Renforcer l'arsenal pénal de lutte contre les violences pornographiques

Ainsi que le rappelait Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, lors de son audition par la délégation le 15 juin 2022, le Parquet de Paris a été la première juridiction nationale à s'emparer du sujet de la pornographie sous son aspect pénal , au cours de l'année 2020.

Les rapporteures partagent pleinement la volonté exprimée par la procureure de la République de Paris lors de son audition de faire de « la lutte contre l'industrie pornographique violente une priorité de politique pénale » dont les motifs « s'inscrivent d'abord dans les priorités plus larges de politique publique : lutte contre les violences conjugales, pour l'égalité femmes-hommes, protection des mineurs ».

Les rapporteures jugent nécessaire de renforcer les dispositions du code pénal afin que les violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie de même que l'incitation, dans du contenu pornographique, à commettre des violences, soient pénalement réprimées.

Pour ce faire, plusieurs pistes, notamment législatives, sont ouvertes :

- transposer, aux violences commises dans un contexte de pornographie et à leur représentation non-simulée, l'infraction punie par l'article 421-2-5 du code pénal relative à la provocation directe à commettre un acte terroriste et à l'apologie de ces actes. Il s'agirait ainsi d'ajouter au code pénal un délit de provocation directe à des actes de violence ou d'humiliation sexuelle ou d'apologie de ces actes par le biais de la diffusion d'images d'actes non simulés ;

- imposer l'insertion, au sein des contenus pornographiques mettant en scène des actes non simulés de viols ou agressions sexuelles, d'un bandeau indiquant que les scènes représentées peuvent constituer des infractions criminelles ou délictuelles, afin de sensibiliser les consommateurs de ces contenus ;

- renforcer l'arsenal répressif à l'encontre des sites pornographiques diffusant des vidéos dont le contenu relève d'une infraction pénale et qui ne retireraient pas ce contenu après signalement, pouvant aller jusqu'au blocage de l'accès à ces sites.

Recommandation n° 2 : Faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d'incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle).

Recommandation n° 3 : Imposer aux sites pornographiques des messages d'avertissement, concernant des contenus violents, précisant qu'il s'agit d'actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles.

b) Permettre l'émergence et le traitement des plaintes des victimes

Au-delà des politiques publiques, il existe également un enjeu plus individuel qui est celui de permettre l'émergence des plaintes des victimes . Ainsi que le soulignait Laure Beccuau devant la délégation le 15 juin 2022 : « l'une des participantes à cette industrie avait déclaré dans un article qu'elle avait longtemps vécu dans l'idée que l'on ne pouvait pas violer une actrice de porno. Si nous n'affirmons pas cette lutte, les victimes continueront à le penser. (...) Il faut un changement de paradigme . »

Au cours de leurs auditions, la difficulté de porter plainte pour les femmes victimes de violences sexuelles dans le milieu de la pornographie a en effet été portée à la connaissance des rapporteures.

Lors de son audition par la délégation le 9 mars 2022, Nikita Bellucci , actrice, réalisatrice et productrice de contenus pornographiques, s'est ainsi exprimé devant les rapporteures : « Pourquoi ai-je dû pousser la porte de cinq commissariats pour que ma plainte soit prise en compte ? Pourquoi avoir dû entendre des propos tels que : « Vous comprenez, Mademoiselle Bellucci, ce que vous décrivez, ce sont les risques du métier et vous avez signé pour ça ». Elle a également ajouté à ce sujet : « quand nous faisons état de violences, on nous répond la plupart du temps que nous avons signé et que nous savions où nous mettions les pieds : nous ne sommes jamais prises au sérieux . »

La journaliste Marie Maurisse, auteure en 2018 d'un ouvrage 46 ( * ) intitulé Planète Porn, Enquête sur la banalisation du X , a également souligné devant la délégation, lors de son audition le 17 février 2022, « la difficulté pour une actrice porno de porter plainte , et même ne serait-ce que de s'avouer à elle-même que ce qu'elle a subi était un viol. C'est très dur de le réaliser et de le dénoncer. La parole commence à peine à se libérer. Ces abus ont mis énormément de temps à être dénoncés, parce que ces femmes pratiquent une activité considérée comme dégradante par la plupart des gens. Elles sont considérées comme des sous-personnes et n'ont donc pas à se plaindre. Plusieurs actrices m'ont indiqué avoir à plusieurs reprises tenté de dénoncer des viols dans le cadre de leur activité et avoir été confrontées à des rires ou à des moqueries. C'est très difficile . (...) il existe des lois et (...) il faut les faire respecter. Oui. Encore faut-il éveiller les victimes au fait qu'elles ont des droits et qu'elles peuvent se défendre . »

Le droit pénal actuel devrait permettre de réprimer les violences subies par les femmes y compris dans un contexte de pornographie. Selon Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, 90 % des productions pornographiques pourraient être incriminées pour viols, viols aggravés, agressions sexuelles ou traite des êtres humains .

Dès lors, les rapporteures plaident pour une amélioration des conditions d'accueil des victimes de viol ou d'agression sexuelle dans un contexte de pornographie et pour une réelle prise en compte de leur parole par les forces de l'ordre.

À cet effet, il leur apparaît nécessaire de :

- former les forces de l'ordre , notamment les policiers, pour faciliter l'écoute, le dépôt de plainte et la prise en considération de la parole des personnes victimes de viols ou d'agressions sexuelles dans le cadre de tournages pornographiques ;

- faciliter le suivi par les victimes de leur dossier avec un contact unique au sein du commissariat ou du poste de gendarmerie où la plainte a été déposée afin de ne pas multiplier les interlocuteurs différents, ce qui pourrait être source d'angoisse supplémentaire pour les femmes violées ou agressées dans un contexte de pornographie ;

- sensibiliser et former les intervenants et intervenantes de la ligne nationale d'écoute 3919 dédiée au traitement des violences faites aux femmes, gérée par la Fédération nationale solidarité femmes ( FNSF ), au recueil de la parole et à la prise en charge de femmes victimes de violences pornographiques ;

- communiquer sur la possibilité pour les femmes victimes de violences sexuelles dans un contexte de pornographie de s'adresser au 3919 .

Recommandation n° 4 : Favoriser l'émergence de plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie en améliorant leurs conditions d'accueil, en formant les forces de l'ordre au recueil de plaintes de ces victimes spécifiques et en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique.

Recommandation n° 5 : Adapter au contexte spécifique des violences pornographiques les conditions d'écoute et d'accueil du numéro national 3919 dédié à la prise en charge de femmes victimes de violences.

Améliorer la prise en charge des victimes de violences pornographiques et faire de la lutte contre ces violences une priorité de politique pénale nécessitent bien évidemment des moyens humains et matériels supplémentaires car les dossiers pourraient être à l'avenir de plus en plus nombreux. La procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, a notamment pointé, lors de son audition par la délégation le 15 juin 2022, la nécessité d'effectifs supplémentaires pour les services enquêteurs et pour les magistrats , afin d'absorber le nombre croissant de dossiers potentiels traitant de violences commises dans un contexte de pornographie.

Recommandation n° 6 : Traduire, en effectifs et en moyens matériels des services enquêteurs et des magistrats, la priorité politique donnée à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie.

B. DOIT-ON CONTINUER À TOLÉRER L'EXISTENCE DE L'INDUSTRIE PORNOGRAPHIQUE ?

Au vu de la réalité et de l'ampleur des violences, non seulement véhiculées par l'industrie de la pornographie, mais également commises dans le cadre de tournages pornographiques, les rapporteures ne croient ni au bien-fondé ni à la réelle sincérité des initiatives règlementaristes qui viseraient à encadrer la production de contenus pornographiques.

La question que les rapporteures estiment nécessaire de se poser collectivement aujourd'hui est la suivante : doit-on encore continuer à tolérer l'existence d'une industrie qui génère de telles violences et maltraitances envers les femmes, qui promeut un système de domination et de marchandisation du corps des femmes et qui peut avoir des conséquences désastreuses sur la construction de l'identité sexuelle du jeune public notamment ?

C'est une question qui anime les réflexions des mouvements féministes depuis de nombreuses années : dès la fin des années 1970, le mouvement Women Against Pornography , mené par Andrea Dworkin et Catherine MacKinnon aux États-Unis, avait dénoncé la violence de cette industrie à l'encontre des femmes. Les associations féministes engagées dans la lutte contre le système prostitutionnel entendues par la délégation ont également récemment élargi leur combat à la lutte contre l'industrie pornographique et les violences qu'elle génère.

Conscientes de la puissance économique de cette industrie mondiale, de l'audience planétaire des sites pornographiques et du niveau mondial de consommation de contenus pornographiques aujourd'hui, les rapporteures appellent avant tout à une réflexion coordonnée sur le plan international, et d'abord européen, quant à la réalité des pratiques de l'industrie pornographique.

Au cours de ces six mois de travaux, plusieurs options et pistes de réflexion ont été portées à la connaissance de la délégation que les rapporteures recommandent aujourd'hui de soumettre au débat public .

1. Les infractions de proxénétisme et de traite des êtres humains sont-elles applicables à l'industrie de la pornographie ?

Les associations féministes, entendues par la délégation le 20 janvier 2022, ont toutes plaidé pour une extension de la définition du proxénétisme aux activités de l'industrie pornographique.

Ainsi, Sandrine Goldschmidt, chargée de communication du Mouvement du Nid , a estimé que « sont concernés ceux qui organisent, diffusent, font la publicité ou qui en bénéficient : producteurs, réalisateurs, maquilleurs, cameramen... Tous les diffuseurs, les chaînes de télévision, les réseaux de diffusion par câble, satellite ou voie hertzienne, une grande partie des réseaux de distribution de la presse, les techniciens qui contribuent à la production, mais aussi les appartements utilisés pour les tournages, répondent à la définition du proxénétisme . »

Céline Piques, porte-parole d' Osez le féminisme ! , a pour sa part demandé que la pornographie « cesse d'être cette zone de non-droit et que les lois actuelles s'y appliquent comme elles peuvent s'appliquer sur la prostitution et sur le proxénétisme dans le cadre de réseaux de traite . »

De même, Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), a estimé nécessaire, devant la délégation le 18 mai 2022, de s'interroger sur l'applicabilité des infractions de proxénétisme et de traite des êtres humains à l'encontre de l'industrie pornographique .

Écartant d'emblée de sa réflexion la pédopornographie, pour laquelle l'illégalité est évidente, et les situations « de violence extrême, de tromperie quant à la nature des actes sexuels à réaliser, de contrainte physique et de viols collectifs dans le contexte de tournages pornographiques, puisque, de ces situations absolument dramatiques découlent de manière claire et incontestable des responsabilités pénales pouvant être qualifiées de différentes manières, notamment de traite des êtres humains », elle a posé la question du parallèle juridique qui peut être établi entre « l'industrie pornographique classique » et « le proxénétisme et la traite des êtres humains ».

Dès lors, selon Elvire Arrighi, se pose la question de savoir si l'exploitation sexuelle , actuellement réprimée dans le code pénal par les infractions de traite à vocation sexuelle et de proxénétisme, vise uniquement les situations de prostitution au sens traditionnel du terme ou si elle vise également des situations de pornographie .

a) La notion de « consentement commercial » ne permet pas de distinguer le proxénétisme de l'industrie pornographique

Pour Elvire Arrighi, dans la pornographie, « les actes, même consentis, découlent d'une nécessité matérielle et d'une précarité économique dont souffrent ceux qui s'y livrent plutôt que d'un choix libre et éclairé . »

Dans les cas de prostitution au sens classique du terme, l'existence du consentement de la personne qui se livre à des actes sexuels n'empêche pas de matérialiser les infractions de proxénétisme et de traite. En effet, l'esprit de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, et des textes internationaux que la France a signés à ce sujet, repose sur l'idée que les victimes doivent être protégées contre leur propre consentement et que la contrainte n'a pas besoin d'être présente pour caractériser l'infraction. Dès lors, d'après Elvire Arrighi, « c'est bien l'esprit de notre droit de dire que, même si l'intérêt économique est partagé, personne ne doit profiter matériellement des services sexuels tarifés d'un tiers . »

Dans le cas de la pornographie, la question qu'il convient de se poser n'est donc pas « s'agit-il d'un accord commercial ? » puisque le droit pénal prime, peu importe le consentement des actrices et peu importent les contrats signés. Ainsi que le précisait Elvire Arrighi devant la délégation, « le consentement permet de distinguer un viol d'un acte sexuel consenti. Il ne permet en rien de distinguer le proxénétisme de l'industrie pornographique . »

b) La problématique de la définition de la prostitution et de son applicabilité à la pornographie

Une fois écartée la problématique du consentement, demeure celle de la définition de la prostitution.

Ainsi que le rappelait Elvire Arrighi, l'infraction de proxénétisme en France présuppose, sans la définir, l'existence de la prostitution . L'article 225-5 du code pénal définit en effet le proxénétisme comme le fait d'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ; de tirer profit de la prostitution d'autrui. De même, la traite des êtres humains à vocation sexuelle, définie à l'article 225-4-1 du code pénal, repose, elle, sur l'existence de proxénétisme, et donc, par ricochet, de la prostitution.

D'après Elvire Arrighi, la question qu'il convient de se poser est donc la suivante : « est-ce que pornographie égale prostitution ? ».

À cet égard, elle a rappelé que la répression du proxénétisme est particulière puisque, dans ce cadre, on poursuit une activité par référence à une autre activité, la prostitution, qui elle-même n'est ni définie, ni réprimée par la loi.

En l'absence de définition législative de la prostitution, il convient dès lors de se tourner vers sa définition jurisprudentielle, établie par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 mars 1996 selon lequel, « la prostitution consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques, de quelque nature qu'ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d'autrui . »

Ainsi que l'a précisé Elvire Arrighi, « le récent phénomène des camgirls , ces shows érotiques via webcam souvent rémunérés, ne peut satisfaire aux exigences de cette jurisprudence, les victimes étant pour la majeure partie seules face à leur écran, bien que rémunérées par le spectateur. Il n'y a donc pas de contact physique. D'où la création, en 2021, d'une infraction spécifique pour couvrir ce type de situation quand les victimes sont mineures . »

Un arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2022 a d'ailleurs confirmé cette interprétation : la Cour de cassation a en effet rejeté la possibilité d'étendre la définition jurisprudentielle de la prostitution, et avec elle celle du proxénétisme, pour y inclure le caming, qui consiste, pour des cam girls ou cam boys , à proposer, moyennant rémunération, une diffusion d'images ou de vidéos à contenu sexuel, le client pouvant donner à distance des instructions spécifiques sur la nature du comportement ou de l'acte sexuel à accomplir. La Cour a estimé que ces pratiques, qui n'impliquent aucun contact physique entre la personne qui s'y livre et celle qui les sollicite, ne peuvent être assimilées à des actes de prostitution, dont la définition n'a pas été étendue en ce sens par le législateur.

En revanche, Elvire Arrighi estime que le cas de la pornographie est différent puisqu'il y a effectivement contact sexuel physique entre au moins deux personnes filmées contre rémunération .

Elle considère dès lors que « l es trois critères de la jurisprudence de 1996 sont remplis par la pornographie : l'activité satisfait le besoin sexuel d'autrui , implique une rémunération ainsi qu'un contact physique . Le bémol, c'est que la personne qui rémunère n'est pas celle qui profite de l'acte sexuel, ni physiquement, ni derrière son écran. Celui qui rémunère n'est pas le client, c'est le producteur et il en tire un bénéfice uniquement financier et non pas lié aux services sexuels. Dans la prostitution traditionnelle, on a le trio victime client proxénète. Dans la pornographie, on a le trio victime spectateur producteur. (...) Au-delà du circuit financier, distinct, la relation sexuelle matérielle d'au moins deux individus existe bien mais l'acte sexuel physique n'est pas réalisé par le client, qui lui est derrière son écran, tout comme dans le cas des camgirls . Au final, le consommateur de plaisir, si j'ose dire, ne rémunère pas et ne profite pas d'un contact réel et physique avec la personne rémunérée, et ces deux éléments se distinguent de la situation traditionnelle de la prostitution . »

Elle en conclut qu'il revient au législateur de définir la prostitution et de dire si elle couvre également les cas de contacts sexuels matériels dans le cadre de productions pornographiques : « s'il précise qu'elle couvre ces cas, alors le proxénétisme et la traite à vocation sexuelle seront systématiquement caractérisés dans le cas de productions pornographiques . Alternativement, la jurisprudence pourrait évoluer, en tranchant dans un cas d'espèce qui concerne la pornographie . »

À cet égard, on peut rappeler que le rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs rendu en juin 2021 à Adrien Taquet, alors secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, recommandait l'introduction dans le code pénal d'une définition élargie de la prostitution ainsi rédigée : « la prostitution consiste à se prêter contre rémunération ou avantages en nature, ou la promesse de l'un d'eux, à des relations sexuelles physiques ou virtuelles ».

Elvire Arrighi a estimé que cette définition de la prostitution permettrait d'englober la pornographie . Elle a toutefois estimé qu'il n'appartenait pas à la police judiciaire de se prononcer d'un point de vue éthique ou moral sur la nécessité d'appliquer les infractions de proxénétisme et de traite à vocation sexuelle à l'industrie pornographique : « nous avons seulement le devoir d'appliquer la loi, toute la loi. C'est le rôle du magistrat ou du législateur de faire évoluer le droit. C'est une question de politique pénale tant pour le déclenchement de l'action (ouvre-t-on une enquête pour proxénétisme ou traite ? Les poursuites sont-elles possibles ?) que pour la jurisprudence au moment du jugement (l'infraction est-elle caractérisée ?) . »

c) L'interprétation du Parquet de Paris dans le cadre des instructions en cours

Lors de leur audition par la délégation le 15 juin 2022, la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, ainsi que la vice-procureure de la République au Parquet de Paris, Hélène Collet, ont développé une interprétation juridique différente en estimant que « certains éléments sont nécessaires, et même indispensables, afin de retenir la qualification juridique de prostitution ».

Ainsi, Hélène Collet a fait valoir que les qualifications juridiques de prostitution et de proxénétisme ne s'appliquent pas en tant que telles au phénomène de la production de films pornographiques , dans la mesure où « l'actrice et l'acteur du film, qui participent physiquement à la relation sexuelle, ne se rémunèrent pas entre eux : ils sont payés par le réalisateur de la production. Ce dernier ne participe pas physiquement à la relation sexuelle. Enfin, le film pornographique vise en premier lieu à satisfaire le spectateur qui ne participe à aucun moment à la relation sexuelle physique et ne rémunère pas non plus directement les acteurs . »

Interrogée par les rapporteures sur les évolutions juridiques possibles qui permettraient de poursuivre pour traite d'êtres humains ou proxénétisme les producteurs de films pornographiques, elle a indiqué qu'il « existe déjà un panel d'infractions dans le code pénal dont certaines ont pu être retenues. Les évolutions souhaitables porteraient sur la prévention, davantage que sur la répression . »

Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, a quant à elle estimé qu'en l'état du droit, pour que toute démarche de l'industrie pornographique puisse relever du proxénétisme, il faudrait une évolution législative. Rappelant que « les incriminations applicables aux sites pornographiques violents sont nombreuses : viol aggravé, agression sexuelle, actes de torture et de barbarie, traite des êtres humains, proxénétisme », et que ces qualifications pénales devraient permettre de « lutter contre 90 % de l'activité de l'industrie pornographique », elle a estimé que « prendre le risque de poursuites contre les 10 % de films restants risquerait d'aboutir à des relaxes . »

Spécifiquement interrogée par les rapporteures sur le fait de savoir si des amendements législatifs portant sur la définition du proxénétisme seraient utiles, Laure Beccuau a répondu : « Non je ne pense pas (...) Dans les dossiers les plus significatifs, on n'a pas besoin de poursuivre pour proxénétisme, au vu du nombre d'actes violents associés. Je ne suis pas totalement convaincue qu'étendre la qualification de proxénétisme nous permette quelque chose de plus. On peut déjà utiliser les qualifications de complicité [de viol] (...) ou [de] traite d'êtres humains ».

d) Élargir la définition de la traite des êtres humains en y incluant la pornographie ?

Lors de son audition par la délégation, Élisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) a jugé nécessaire d' établir un lien juridique entre la traite des êtres humains et la pornographie .

Elle a souligné que « la traite des êtres humains dans un but d'exploitation sexuelle est un marché très lucratif et c'est la troisième source de profits criminels au monde, après le trafic de drogue et le trafic d'armes. Cette infraction est définie à l'article 225-4-1 du code pénal, qui recouvre notamment les agressions sexuelles et le proxénétisme, étant observé que les affaires d'exploitation sexuelle sont le plus souvent poursuivies pour proxénétisme. La traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle est la forme d'exploitation la plus répandue dans le monde et elle couvre également la prostitution . »

Elle a rappelé qu'en droit français, la définition de la traite des êtres humains dans un but d'exploitation sexuelle est large et couvre de nombreuses situations : « il s'agit de recruter une personne vulnérable, en échange d'une rémunération ou d'un autre avantage, en vue de l'exploiter sexuellement. Il est possible d'y raccrocher la pornographie, ainsi que nous le faisons avec la prostitution . La définition de la traite prévoit en outre qu'il s'agit de mettre la victime à sa disposition personnelle ou à celle d'un tiers afin de commettre des infractions telles que le proxénétisme ou des infractions sexuelles . »

Dès lors, elle a invité à faire le lien entre pornographie et traite des êtres humains jugeant nécessaire de « réfléchir sur l'introduction de la pornographie dans la définition de l'exploitation sexuelle dans les textes européens ou internationaux et dans notre législation nationale . »

Elle a notamment cité les travaux préparatoires à la révision de la directive européenne du 5 avril 2011 47 ( * ) sur la lutte contre la traite des êtres humains et regretté que « bien que l'exploitation sexuelle soit un sujet majeur, la pornographie, en l'état, n'en fait pas partie . »

Elle a également suggéré de réfléchir à introduire, au sein de l'article 225-4-1 du code pénal, « la pornographie comme un des buts de l'exploitation dans la définition de la traite des êtres humains . »

Cette proposition se rapproche d'une préconisation adressée aux rapporteures par Maître Lorraine Questiaux, avocate et conseil de victimes dans l'affaire dite French Bukkake , qui suggère d'introduire dans la loi une définition de l'exploitation sexuelle et une nouvelle catégorie de crime d'exploitation sexuelle, qui inclurait la pornographie. Cette définition mériterait néanmoins d'être affinée afin qu'un champ trop large ne menace pas de rendre de telles dispositions inapplicables.

Articles du code pénal portant définition du proxénétisme
et de la traite des êtres humains

Article 225-5

Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :

1° D'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ;

2° De tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution ;

3° D'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire.

Le proxénétisme est puni de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

Article 225-4-1

I. - La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes :

1° Soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ;

2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

3° Soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ;

4° Soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage.

L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit.

La traite des êtres humains est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.

2. La question du respect de la dignité humaine et de l'atteinte aux droits fondamentaux

Les associations féministes entendues par la délégation ont également encouragé les rapporteures à considérer les productions pornographiques à travers le prisme de l'atteinte aux droits fondamentaux et du respect de la dignité humaine . Elles estiment qu'une définition claire de ce qu'est la pornographie et de sa finalité s'impose afin de mettre des mots sur les violences et les stéréotypes sexistes ou racistes qu'elle véhicule.

Au cours de l'audition à huis clos par les rapporteures de victimes parties civiles au dossier de l'affaire dite French Bukkake , le 29 mars 2022, Maître Lorraine Questiaux, avocate et conseil de plusieurs victimes, a ainsi considéré que « les images pornographiques constituent, dans leur globalité, une atteinte aux droits fondamentaux puisqu'elles sont la représentation d'images dégradantes, humiliantes, avilissantes des femmes . Elles sont sexistes et donc illégales, contraires au principe de dignité, d'égalité entre les femmes et les hommes, contraires aux principes qui doivent protéger les individus. Le Conseil de l'Europe mentionne la pornographie dans sa recommandation de 2019 sur la prévention et la lutte contre le sexisme . »

Dans le prolongement de cette réflexion, les rapporteures s'interrogent également sur la possibilité d'appliquer aux productions pornographiques le principe jurisprudentiel de respect de la dignité humaine défini par le Conseil d'État dans sa jurisprudence Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995 48 ( * ) , pour lequel « le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public ».

En l'espèce, il s'agissait d'une décision de la justice administrative visant à protéger l'ordre public en confirmant la légalité d'un arrêté municipal interdisant un spectacle de « lancer de nains » dans une discothèque de Morsang-sur-Orge, estimant que cette attraction portait atteinte au respect de la dignité humaine qui est une des composantes de l'ordre public . Dans cette même décision, le Conseil d'État a considéré que « le respect du principe de la liberté du travail et de celui de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir de police municipale interdise une activité même licite si une telle mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l'ordre public ; que tel est le cas en l'espèce, eu égard à la nature de l'attraction en cause ».

Lors de son audition par la délégation aux droits des femmes le 18 mai 2022, Elvire Arrighi, commissaire divisionnaire, chef de l'OCRTEH, en évoquant le parallèle juridique entre l'industrie de la pornographie, d'une part, et le proxénétisme et la traite à vocation sexuelle d'autre part, a fait référence à la notion de respect fondamental de la dignité humaine, estimant que cette dignité « pouvait être bafouée par l'exploitation sexuelle et la marchandisation des corps ».

Dès lors que l'on considère que l'exploitation sexuelle, pénalement réprimée par les infractions de traite et de proxénétisme, vise non seulement les situations de prostitution mais également les activités pornographiques, il est légitime de poser la question du respect de la dignité humaine par les productions pornographiques.

S'agissant des contenus pornographiques violents et dégradants, outre les représentations portant atteinte aux droits fondamentaux qu'ils véhiculent, c'est aussi la question de la non-simulation des actes sexuels représentés qui se pose. Dès lors, les rapporteures estiment légitime de s'interroger sur la possibilité de proscrire toute représentation non simulée d'actes sexuels à l'écran.

*

Les réflexions développées ci-dessus par les rapporteures constituent autant de pistes sur lesquelles elles recommandent de fonder le débat public concernant les pratiques actuelles de l'industrie de la pornographie.

II. FACILITER LES SUPPRESSIONS DE CONTENUS ILLICITES ET LE DROIT À L'OUBLI

A. EMPÊCHER TOUTE DIFFUSION DE CONTENUS ILLICITES

1. Responsabiliser les diffuseurs
a) Imposer des amendes dissuasives en cas de diffusion de contenu illicite

La diffusion de contenus illicites (pédocriminalité, viol filmé, incitation au viol, à l'inceste ou à la haine raciale, etc.) en ligne est inacceptable et doit être strictement empêchée. Alors qu'aujourd'hui les diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, ferment largement les yeux sur les contenus qu'ils diffusent, la mise en place d'amendes apparaît comme la seule solution pour les amener à prendre leurs responsabilités.

S'agissant de la pédocriminalité, il est important de rappeler que l'article 227-23 du code pénal interdit toute diffusion d'image ou représentation à caractère pornographique d'un mineur, et ce y compris s'il s'agit d'une représentation virtuelle, sous forme de dessin animé par exemple. Comme l'a relevé Julie Leonhard, docteur HDR en droit privé et sciences criminelles, maître de conférences à l'Université de Lorraine, lors de son audition par la délégation, « des décisions de justice ont encore récemment condamné des mangas ou hentaïs allant trop loin. Lorsqu'un juge considère qu'une image virtuelle de mineur doit être qualifiée de pornographique, il condamne, alors même qu'aucun vrai mineur n'y figure. La volonté n'est pas de protéger uniquement les mineurs mais aussi leur représentation fictive . »

La lutte contre la diffusion de pédopornographie doit en outre tenir compte de l'avènement de plateformes et réseaux sociaux sur lesquels les adolescents et adolescentes se mettent eux-mêmes en scène dans des postures ou actes à caractère sexuel.

Recommandation n° 7 : Imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite.

b) « Name and shame »

Mettre le focus sur les contenus illicites diffusés par des plateformes a un effet de réputation qui peut les contraindre à supprimer des contenus.

Ainsi, en décembre 2020, le New York Times a publié un article accusant Pornhub d'héberger des vidéos de viols ou diffusées sans le consentement des femmes concernées, certaines mineures au moment des faits. Les sociétés Visa et Mastercard ont alors bloqué les transactions avec la multinationale Mindgeek , qui détient notamment Pornhub et Youporn . Certes, les contenus des tubes sont majoritairement gratuits et leur modèle économique repose sur la vente d'espaces publicitaires mais de nombreux sites pornographiques proposent également des contenus payants, notamment des vidéos « long format » ou des « live cams ».

À la suite de ce scandale, Pornhub a supprimé toutes les vidéos publiées par des utilisateurs n'ayant pas passé le processus de vérification de Pornhub , soit près de dix des treize millions de vidéos de la plateforme, selon un décompte réalisé par le magazine Vice .

La délégation a quant à elle pu constater la suppression de certains contenus à la suite de ses auditions. Cela semble être le cas de vidéos dites « interracial » sur les sites de Dorcel.

Les affaires en cours et les décisions de justice le moment venu pourront également inciter, voire contraindre, les plateformes à supprimer les contenus des producteurs mis en cause. Ces décisions pourraient préciser que toute diffusion, par tout autre site, des scènes incriminées ou de leurs copies, est illégale, afin de faciliter leur retrait.

Recommandation n° 8 : Assortir systématiquement les condamnations à l'encontre de producteurs de contenus pornographiques d'une disposition indiquant que toute diffusion des vidéos incriminées, sur tout support, est illégale.

2. Pour une montée en puissance de Pharos

Tout contenu illicite sur Internet peut être signalé à la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation (Pharos) par des particuliers, des associations, des administrations ou des acteurs d'Internet.

Tout signalement est instruit. Cinquante agents, policiers et gendarmes, qui travaillent 24h/24, 7j/7, traitent les signalements en temps réel, dans les minutes qui suivent leur dépôt, récupèrent l' URL signalée, mènent des constatations et prennent toutes les mesures conservatoires nécessaires - captures d'écran ou enregistrements. Au besoin, des rapprochements avec d'autres signalements ou des recherches complémentaires sont opérés.

Pharos recherche ensuite une qualification pénale. En effet, cette cellule ne peut engager d'action que si une infraction pénale est caractérisée.

Si une infraction pénale est caractérisée, Pharos oriente le signalement vers les services de police ou de gendarmerie territorialement compétents ou des services centraux.

Selon des données transmises par Jean-Baptiste Baldo, commandant de police, chef de Pharos, en 2021 Pharos a traité, toutes catégories confondues, 265 000 signalements. En matière de proxénétisme, Pharos a reçu 141 signalements et en a transmis 83 sans procédure à l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH). En matière de traite des êtres humains, la plateforme a reçu huit signalements, dont six transmis à l'OCRTEH. Enfin, en matière de racolage, il y a eu 62 signalements, dont douze transmis à l'OCRTEH. En revanche, la pornographie ne constitue pas une rubrique dans la base de Pharos .

Pharos dispose également d'un pouvoir de police administrative en matière de pédopornographie et de lutte contre le terrorisme ainsi que d'un pouvoir d'injonction à supprimer des contenus illicites. Si l'hébergeur ou l'éditeur ne s'y soumet pas, cette cellule peut bloquer les contenus en obtenant la dérivation des requêtes vers une page du ministère de l'intérieur ou le déréférencement. Les mesures prises par Pharos ont empêché 3,5 millions de consultations en 2021, dont 90 % concernaient de la pédopornographie.

Ce pouvoir de police administrative ne concerne que la pédopornographie et la lutte contre le terrorisme . Dans les autres domaines, Pharos ne peut s'appuyer que sur l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, dite LCEN, et demander à l'éditeur ou à l'hébergeur de mettre fin au trouble suscité par le contenu illicite, mais sans pouvoir d'injonction.

Une montée en puissance de Pharos dans la lutte contre les contenus illicites comportant des violences sexuelles est nécessaire. Ceci suppose de davantage communiquer sur la possibilité de signaler à Pharos tout contenu illicite et notamment toute vidéo porno affichant du contenu illicite.

Un important travail de recensement et de signalement est d'ores et déjà effectué par des associations féministes, afin d'obtenir le retrait des vidéos les plus violentes et manifestement illicites. Ainsi, en janvier 2022, l'association Osez le féminisme ! a indiqué avoir procédé à 200 signalements auprès de Pharos, essentiellement sur les sites Pornhub et Jacquie et Michel .

La création d'une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos permettrait de faciliter les signalements et leur comptabilisation. Actuellement les catégories sont les suivantes : mise en danger des personnes (risque imminent d'atteinte à la vie ou annonce de suicide), terrorisme (menace ou apologie), menaces ou incitation à la violence, pédophilie ou corruption de mineur sur Internet, incitation à la haine, trafic illicite, incitation à commettre des infractions, escroquerie (hors spam ) et injure ou diffamation. Les viols filmés et la pornographie violente ne rentrent ainsi dans aucune de ces catégories.

Recommandation n° 9 : Créer une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos afin de faciliter et de mieux comptabiliser ces signalements.

B. SIMPLIFIER LE RETRAIT DES VIDÉOS ET LE DROIT À L'OUBLI

1. Limiter la durée de cession du droit à l'image

Selon l'avocat Matthieu Cordelier, « à l'heure actuelle, le droit à l'image n'est protégé que par l'article 9 du code civil, en matière de protection de la vie privée. Par conséquent, il n'existe aujourd'hui aucune disposition légale permettant d'encadrer la manière dont on cède son image. Ma proposition vise tout simplement à aller dans le sens d'une limitation géographique, temporelle et financière pour ce qui concerne le droit à l'image . »

Une réflexion pourrait être menée sur une limitation des contrats de cession de droit à l'image. De telles dispositions pourraient s'appliquer à des personnes ayant participé à des tournages pornographiques et souhaitant bénéficier d'un droit à l'oubli.

2. Imposer aux plateformes des procédures de retrait de vidéos

Il est indispensable d'imposer aux plateformes la mise en place de procédures permettant aux personnes filmées, et non uniquement aux propriétaires des vidéos, de demander le retrait des vidéos.

La protection des droits d'auteur des propriétaires de vidéos semble en effet relativement efficace, du moins sur les grandes plateformes. Ainsi la loi dite DMCA ( Digital Millennium Copyright Act ) de 1998 permet d'apposer une vignette sur les contenus et de demander le retrait des vidéos en cas de piratage par des sites étrangers. Les réalisatrices et cam girls entendues par la délégation ont estimé que cette procédure était efficace pour obtenir le retrait de contenus piratés.

Recommandation n° 10 : Imposer aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait de vidéos formulées par les personnes filmées, et non plus par les seuls propriétaires de vidéos.

3. Encourager le recours au déréférencement

Arnaud Vergnes, responsable juridique de Google France , a indiqué devant la délégation que tout utilisateur peut notifier à Google tout contenu pornographique illicite et que Google peut procéder alors à une mesure de déréférencement de la page Internet visée, en dehors de toute décision de justice. Ainsi si un contenu de revenge porn est publié, la victime peut demander à Google de déréférencer l' URL de la page Internet concernée et de bloquer les contenus explicites apparaissant lors d'une recherche portant sur ses nom et prénom.

Tout individu peut faire valoir son droit à l'oubli sur le moteur de recherche pour demander le déréférencement d'un contenu pornographique associé à ses nom et prénom. Ce droit peut être utilisé par les hommes et femmes ayant tourné dans des films pornographiques.

III. APPLIQUER ENFIN LA LOI SUR L'INTERDICTION D'ACCÈS DES MINEURS ET PROTÉGER LA JEUNESSE

A. BLOQUER TOUT SITE OU RÉSEAU PROPOSANT DES CONTENUS PORNOGRAPHIQUES SANS CONTRÔLE DE L'ÂGE DES UTILISATEURS

1. Exploiter et améliorer toutes les possibilités de recours administratifs et judiciaires contre les sites porno accessibles aux mineurs

Des possibilités de recours judiciaire existent et des actions en justice ont été entreprises, à la fois au civil et au pénal, afin de bloquer les sites pornographiques en infraction avec l'article 227-24 du code pénal qui interdit toute diffusion de contenu pornographique susceptible d'être vu par un mineur. Cependant, ces recours n'ont toujours pas conduit au blocage systématique des sites pornographiques accessibles aux mineurs.

a) Des voies de recours confiées à l'Arcom

L' article 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales confère au président du CSA - aujourd'hui de l'Arcom - une compétence pour intervenir à l'endroit de tout éditeur de service de communication au public en ligne, établi en France ou non, qui permet à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique, en violation de l'article 227-24 du code pénal.

Ce dispositif juridique n'est effectif que depuis octobre 2021 : le projet de décret d'application a fait l'objet d'une notification à la Commission européenne, qui a formulé des observations en juillet 2021, et le décret a été publié le 7 octobre 2021.

L'intervention du président de l'Arcom à l'égard de l'éditeur prend la forme d'une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé. L'éditeur dispose alors d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations. À l'issue de ce délai, le président de l'Arcom a la faculté, en cas d'inexécution de l'injonction et si le contenu reste accessible aux mineurs, de saisir le président du tribunal judiciaire de Paris afin que ce dernier ordonne, au terme d'une procédure accélérée au fond, le blocage technique de l'accès au service en cause par les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Le président de l'Arcom peut également demander à ce que soit ordonnée toute mesure destinée à faire cesser le référencement du service par un moteur de recherche ou un annuaire.

Sur ce fondement, le président de l'Arcom a, en décembre 2021, mis en demeure cinq sites pornographiques d'empêcher leur accès aux mineurs : Pornhub , Tukif , Xnxx , Xhamster et Xvideos . En avril 2022, il a mis en demeure deux autres sites : YouPorn et Redtube .

En mars 2022, le président de l'Arcom a saisi le tribunal judiciaire de Paris et assigné les FAI aux fins de blocage de cinq sites pornographiques ( Pornhub , Tukif , Xnxx , Xhamster et Xvideos ).

Une audience s'est tenue le 6 septembre 2022. Cependant, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ayant été soulevée par la société chypriote MG Freesites , éditrice du site Pornhub , le tribunal n'a pu se prononcer sur ce dossier au fond. Dans l'attente de la décision relative à la transmission ou non de la QPC à la Cour de cassation, mise en délibéré au 4 octobre 2022, le tribunal a ordonné une médiation entre l'Arcom, les éditeurs de sites pornographiques et les FAI, suggérant également d'associer la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Compte tenu du manque de dialogue entre ces acteurs au cours des deux dernières années et des réticences formulées par l'Arcom, il est peu probable que cette médiation soit couronnée de succès.

Une décision du tribunal judiciaire au fond permettant de faire appliquer l'article 227-24 du code pénal constituerait un signal fort que la délégation appelle de ses voeux.

Elle pourra être suivie de nouveaux recours en justice afin de bloquer davantage de sites. Certes, à ce stade, la saisine du président de l'Arcom s'est concentrée sur les sites ayant le plus grand nombre de visiteurs uniques (entre un et neuf millions de visiteurs uniques pour chacun des cinq sites ayant fait l'objet d'une saisine du tribunal judiciaire). Cependant, selon un sondage Ifop d'avril 2022, seuls 25 % des adolescents qui consultent des sites pornographiques l'ont fait exclusivement sur l'un des huit sites visés par l'Arcom dans des courriers envoyés en mars 2021 ( Pornhub , Tukif , Xnxx , Xhamster , Xvideos , Jacquie et Michel , Jacquie et Michel TV et Jacquie et Michel TV 2 ), les autres ont également consulté des sites différents.

Des associations de protection de l'enfance et des associations féministes ont d'ores et déjà saisi l'Arcom d'une centaine de sites en infraction avec l'article 227-24 du code pénal.

Il faudra par la suite s'assurer que les FAI et les moteurs de recherche exécuteront les décisions de justice une fois celles-ci prononcées et procéderont au blocage et déréférencement des sites.

La Fédération française des télécoms (FFT), par la voix de son directeur général Michel Combot, s'est engagée devant la délégation à appliquer les décisions de blocage selon les délais indiqués par le juge, comme les FAI l'ont fait par le passé pour de précédentes décisions de justice. Michel Combot a néanmoins relevé les difficultés soulevées par l'utilisation de VPN 49 ( * ) ou de logiciels intégrés aux navigateurs qui permettent de court-circuiter les systèmes de blocage mis en place par les FAI. Un blocage par adresse IP plutôt que par DNS rendrait plus difficile ces contournements.

De même, Arnaud Vergnes, responsable juridique de Google France , a indiqué devant la délégation que Google procédera au déréférencement des sites incriminés dès lors que la décision de justice lui sera notifiée.

Au-delà de cette décision de justice extrêmement attendue, la procédure de blocage des sites pornographiques apparaît largement perfectible . Guillaume Blanchot, directeur général de l'Arcom, a reconnu devant la délégation que « la procédure mise en place par le législateur est complexe ».

Actuellement l'Arcom doit procéder par voie d'huissier afin de constater les infractions. Assermenter les agents de l'Arcom pour leur permettre de constater les infractions des sites permettrait d'accélérer et de réduire le coût de ces constatations.

Recommandation n° 11 : Assermenter les agents de l'Arcom afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs.

En outre, le président de l'Arcom ne peut demander un blocage ou un déréférencement d'un site qu'après avoir mis en demeure ce site. Pour reprendre un parallèle formulé par Godron Choisel, président de l'association Ennocence, « vous avez quelqu'un qui deale au coin de la rue et vous le mettez en demeure d'arrêter de dealer , sinon vous appellerez la police ». L'Arcom est même allée plus loin en écrivant aux sites pornographiques pour leur demander de formuler des observations, avant de juger que ces observations n'étaient pas suffisantes et de les mettre en demeure.

Guillaume Blanchot, directeur général de l'Arcom, a justifié la prudence de l'Arcom par la nécessité de donner à ses décisions toutes les garanties nécessaires face à des sites pornographiques qui « se sont entourés des meilleurs avocats de la place de Paris » et sont « dans une approche contentieuse ».

Il a également indiqué que l'Arcom est soumise à des contraintes procédurales qui s'inscrivent dans le cadre de l'Union européenne : « Du fait de l'application du principe du pays d'origine, inscrit dans la directive e-commerce, nous devons informer de la procédure l'État membre où est établi l'éditeur des sites et lui demander s'il compte lui-même mettre en oeuvre des actions à l'égard de ces sites. Parallèlement, nous devons aussi informer la Commission européenne. La mise en oeuvre de ces garanties allonge la durée de la procédure, d'autant que nous devons en amont identifier l'éditeur et son établissement géographique . »

Face à ces différentes lourdeurs, Maître Laurent Bayon, avocat des associations e-Enfance et La Voix de l'Enfant , préconise, dans une contribution écrite adressée à la délégation, une refonte de la procédure existante. Il questionne notamment le recours à une procédure accélérée au fond, qui aboutit à une décision définitive et non provisoire, contrairement à celle rendue en référé ; ce qui lui apparaît peu adapté dans la mesure où le blocage doit pouvoir être levé si le site prend des dispositions pour respecter l'article 227-24 du code pénal. Il suggère de s'inspirer de la procédure judiciaire existante en matière de diffusion de manifestations sportives, qui permet de bloquer des sites pirates.

Une autre solution, privilégiée par la délégation, consisterait à confier à l'Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives à l'encontre des sites pornographiques ne respectant pas la loi, afin de rendre son action contre ces sites plus efficace, plus simple et plus rapide.

En Allemagne, la Commission pour la protection de la jeunesse ( KJM ), qui relève des Länder , est directement compétente pour prononcer des mesures de blocage de sites pornographiques. Ainsi, en mars 2022, la KJM a décidé d'une mesure de blocage par les FAI à l'encontre du site pornographique le plus utilisé en Allemagne, xHamster .

Laure Beccuau, procureure de la République au parquet de Paris a suggéré devant la délégation la mise en place d'une sanction administrative, sur le même modèle que ce qui existe en matière de lutte contre la haine en ligne, pour les sites ne respectant pas la loi en matière d'accès des mineurs.

En effet, en matière de lutte contre la haine en ligne, il est possible d'infliger une sanction administrative de 20 millions d'euros ou de 6 % du chiffre d'affaires mondial aux organismes ne respectant pas l'injonction de fermer les sites contenant des propos haineux.

Créer une sanction administrative aussi lourde ne serait pas sans avoir un effet dissuasif plus efficace pour les sites pornographiques. Le recours à cette sanction pourrait être judicieusement confié à l'Arcom, déjà compétente en matière de lutte contre la haine en ligne.

Recommandation n° 12 : Confier à l'Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs, à l'encontre des sites pornographiques accessibles aux mineurs.

b) Des recours ouverts aux particuliers et associations

La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) 50 ( * ) organise des possibilités de recours civil contre des hébergeurs, éditeurs et opérateurs.

Lors d'une audition avec des associations, Gordon Choisel, président de l'association Ennocence , a estimé que la procédure civile s'est révélée dans plusieurs cas efficace pour bloquer et déréférencer certains sites.

En juillet 2021, les associations e-Enfance et La Voix de l'Enfant ont assigné en référé devant le tribunal judiciaire de Paris les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) dans le but d'ordonner le blocage de neuf sites ( Pornhub , mrsexe , iciporno , Tukif , xnxx , xhamster , Xvideos , Youporn et Redtube ) exposant des mineurs à des contenus pornographiques en violation de l'article 227-24 du code pénal. S'appuyant sur l'article 6.I-8 de la LCEN (dans sa version antérieure à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République 51 ( * ) ) et sur l'article 835 du code de procédure civile, les associations faisaient valoir qu'il existait un trouble manifestement illicite résultant de l'exposition des mineurs à la pornographie qu'il convenait de faire cesser.

Par jugement du 8 octobre 2021, le tribunal judiciaire a reconnu qu'il était établi par constats d'huissier qu'il existait un trouble manifestement illicite. Cependant, il a estimé que l'assignation des seuls FAI n'était pas recevable faute d'action préalable à l'encontre des éditeurs des sites pornographiques dont il était sollicité le blocage, voire des hébergeurs. Par un arrêt du 19 mai 2022, la cour d'appel de Paris a confirmé ce jugement.

Des recours formulés à l'encontre des éditeurs de site dans un premier temps puis des FAI dans un second temps pourraient en revanche prospérer.

La délégation estime néanmoins que la responsabilité de la lutte contre les pratiques des sites pornographiques ne doit pas reposer sur des associations, aussi impliquées soient elles, mais incombe aux pouvoirs publics, et en tout premier lieu à l'Arcom .

2. Imposer un véritable contrôle de l'âge des internautes avant tout accès à un contenu pornographique

La délégation tient à affirmer de façon ferme ce qu'elle considère comme une évidence : un contrôle de l'âge de l'internaute doit être assuré avant tout accès à des sites pornographiques mais aussi aux réseaux sociaux qui doivent pouvoir bloquer l'accès des mineurs à tout compte ou contenu pornographique. Il ne s'agit ni plus ni moins que de faire appliquer la loi.

Une étude 52 ( * ) de législation comparée commandée par la délégation montre qu'aujourd'hui aucun pays démocratique n'est parvenu à mettre en place une législation pleinement satisfaisante et efficace afin d'interdire l'accès des mineurs aux contenus pornographiques. Ainsi, faute de solution technique satisfaisante, le Royaume-Uni a dû renoncer en 2019 aux dispositions du Digital Economy Act de 2017 qui imposaient une vérification de l'âge pour l'accès aux contenus pornographiques en ligne. Pour autant, plusieurs pays travaillent aujourd'hui à des solutions. L'approche adoptée par la Commission pour la protection de la jeunesse dans les médias ( KJM ) en Allemagne apparaît particulièrement intéressante.

De ce point de vue, la délégation juge primordial que l'Arcom adopte une démarche davantage proactive . L'autorité a affirmé, par la voix de son directeur général Guillaume Blanchot, considérer qu'il n'a pas de mission a priori s'agissant des dispositifs de vérification d'âge qui peuvent être envisagés par les sites ou par d'autres prestations. Elle estime que ce n'est qu'une fois que ce dispositif est effectivement mis en place qu'il doit s'assurer qu'il répond aux critères permettant d'empêcher que les mineurs puissent accéder aux contenus pornographiques. La délégation considère toutefois qu'il s'agit d'une vision extrêmement restrictive des missions de l'Arcom.

La délégation invite tout d'abord l'Arcom à rédiger des lignes directrices . En effet, l'Arcom n'a toujours pas fait usage de la compétence qui lui a été donnée de publier des lignes directrices relatives à la fiabilité des procédés techniques permettant de s'assurer que les utilisateurs souhaitant accéder à un contenu pornographique d'un service de communication au public sont majeurs.

Elle recommande la mention au sein de ces lignes directrices de la nécessité d'opérer le contrôle de l'âge dès l'entrée sur le site, avant même de visionner la moindre image même floutée . Un écran noir doit s'afficher sur les smartphones et ordinateurs des utilisateurs dont l'âge n'a pas été vérifié.

Un tel écran noir existe sur le site Internet de Canal+ et MyCanal :

Recommandation n° 13 : Imposer aux sites pornographiques l'affichage d'un écran noir tant que l'âge de l'internaute n'a pas été vérifié.

La délégation recommande également la définition, au sein des lignes directrices de l'Arcom, de critères exigeants d'évaluation des solutions techniques proposées . Actuellement aucun critère n'est défini a priori .

L'Arcom pourrait s'inspirer des démarches entreprises par les autorités de régulation allemandes : la Commission pour la protection de la jeunesse dans les médias ( KJM ) et l'Agence fédérale pour la protection de la jeunesse ( BzKJ ). La KJM a développé une procédure d'évaluation positive des solutions techniques de contrôle de l'âge. Elle peut également évaluer les nouvelles solutions techniques des entreprises, à la demande de ces dernières. Constatant le manque d'effectivité de certains systèmes, la KJM a défini différents critères d'évaluation des solutions techniques. Elle exige ainsi que la vérification de l'âge s'effectue en deux étapes interconnectées : une indentification personnelle, permettant de vérifier la majorité, et une authentification lors de chaque session. Au mois de mars 2022, la KJM a conclu à une évaluation positive pour 90 solutions techniques de vérification de l'âge.

Plus largement, une coopération entre régulateurs des pays européens et des échanges au niveau européen apparaissent indispensables afin de définir des critères communs et ainsi exercer une pression plus forte sur les éditeurs de sites pornographiques.

Recommandation n° 14 : Définir, dans les lignes directrices de l'Arcom, des critères exigeants d'évaluation des solutions techniques de vérification de l'âge.

Des sociétés ont d'ores et déjà développé des solutions.

Ainsi, le groupe ARES, détenteur de Jacquie et Michel , a développé une solution appelée My18Pass destinée à bloquer tout contenu porno tant que l'utilisateur n'a pas fourni la preuve de sa majorité, au moyen d'une carte bancaire, via le service Straceo , ou d'une vérification d'âge par la société Yoti . Après un premier message à l'entrée du site l'invitant à déclarer qu'il est majeur, l'utilisateur a accès aux différentes catégories et vidéos, avec des images sexuellement explicites. Cependant, il ne peut accéder au contenu intégral des vidéos qu'après avoir prouvé sa majorité. En outre, dans ses réponses adressées à un questionnaire des rapporteures de la délégation, le groupe ARES a indiqué que tous ses sites disposent du label RTA, « bout de code qui indique aux logiciels de contrôle parental que nos sites sont interdits aux mineurs et qu'il faut donc le bloquer ».

Message affiché lors de l'accès au site Jacquie & Michel TV

La délégation a entendu Julie Dawson, directrice des affaires réglementaires de Yoti, qui a mis en avant les spécificités des solutions proposées par cette société britannique, en particulier un système de vérification d'âge par analyse faciale qui repose non sur une reconnaissance faciale mais sur une estimation d'âge avec le recours à de l'intelligence artificielle.

Cependant, les diverses solutions proposées aujourd'hui, encore loin d'être généralisées, apparaissent imparfaites. Il s'agit de trouver des solutions techniques satisfaisantes permettant de satisfaire tout à la fois les exigences de protection de la jeunesse et celles de confidentialité des données à caractère personnel .

Comme l'a mis en avant devant la délégation Bertrand Pailhès, directeur des technologies et de l'innovation à la Cnil, il est nécessaire d'éviter la collecte directe de données identifiantes, notamment de cartes d'identité et d'historiques de navigation, par les sites pornographiques. La vérification de l'âge entraîne en effet un risque de collecte et de croisement des données personnelles, ce risque étant renforcé pour les acteurs qui proposent un ensemble de services adossés à une solution mutualisée de vérification de l'âge. Les systèmes d'estimation de l'âge par analyse faciale pourraient également être détournés pour capturer des vidéos à l'insu des personnes.

La Cnil a publié en juillet 2022 une note 53 ( * ) analysant les principaux types de systèmes de vérification de l'âge afin de préciser sa position sur le contrôle de l'âge sur Internet ainsi que la façon dont les éditeurs de sites pornographiques pourraient remplir leurs obligations légales. Elle y constate que les systèmes actuels sont contournables et intrusifs.

Ce constat rejoint celui opéré par le PEReN en mai 2022 dans une note 54 ( * ) d'analyse technique des différentes solutions de vérification d'âge. Selon le PEReN, actuellement aucun service en ligne n'utilise de méthode complètement fiable de vérification d'âge. Surtout, aucune solution de vérification de l'âge n'est à la fois performante, totalement transparente pour l'utilisateur et peu intrusive en matière de traitement de données à caractère personnel.

Première solution : le recours à une carte bancaire , via une prise d'empreinte ou un micro-paiement. Cette solution a pour principaux avantages d'être facile à mettre en oeuvre et peu intrusive. Cependant, il est possible de disposer d'une carte bancaire avant 18 ans.

Interdire la gratuité des contenus pornographiques pourrait apparaître comme une solution. En effet, les mineurs consultent aujourd'hui exclusivement des sites gratuits. En outre, les parents exercent généralement un certain contrôle sur les paiements de leurs enfants sur Internet, que ce soit par le biais d'une validation de tout paiement en ligne sur leur propre téléphone ou d'un suivi des transactions bancaires effectuées. Cependant, le Conseil constitutionnel ne manquerait pas de considérer qu'il s'agit d'une atteinte trop grande à la liberté d'entreprendre et à la liberté de commerce des éditeurs de sites pornographiques dont le modèle économique repose aujourd'hui sur la gratuité et sur la génération de trafic.

Deuxième ensemble de solutions : la vérification par consultation d'une base de données nationale , avec par exemple l'utilisation de la carte d'identité. Outre leur faible acceptabilité sociale, ces solutions comportent le risque de connaissance par l'exploitant de la base de données du site qui va être visité.

Troisième ensemble de solutions : les solutions fondées sur des données biométriques ou des estimations algorithmiques sur la base du contenu publié ou utilisé par l'utilisateur . Celles-ci nécessitent toutefois la collecte de données concernant potentiellement des enfants de moins de 13 ans. En outre, leur marge d'erreur est importante.

Dès lors, afin de prendre en compte les enjeux de protection et de confidentialité des données, le recours à un dispositif de tiers de confiance ou de double anonymat apparaît indispensable . Telle est la conclusion à laquelle sont parvenus le PEReN et la Cnil. Il s'agit d'imposer que les sites pornographiques, et plus largement tout site soumis à une obligation de vérification d'âge, ne réalisent pas eux-mêmes les opérations de vérification de l'âge mais s'appuient sur des solutions tierces dont la validité aura été vérifiée de manière indépendante.

Vérification de l'âge via un tiers de confiance

Source : Infographie réalisée par la Cnil

Le PEReN propose une solution consistant à rediriger l'utilisateur vers un service tiers qui effectue la vérification de l'âge et génère un jeton en retour à destination d'un service requérant. Une extension sur le terminal de l'utilisateur (baptisée VerifAge) assure l'interface entre le service requérant et le service tiers certificateur. Le service requérant ne disposerait ainsi d'aucune donnée de l'utilisateur ayant permis le contrôle de l'âge et le service certificateur ne connaîtrait pas le service requérant.

Schéma de principe du mécanisme de double anonymat
avec extension de navigateur

Source : PEReN

Le Laboratoire d'innovation numérique de la Cnil, en partenariat avec Olivier Blazy, professeur à l'École polytechnique, et le PEReN, ont développé un prototype de ce mécanisme de vérification de l'âge par double anonymat qui en démontre la faisabilité technique 55 ( * ) . Selon la note précitée de la Cnil, « cette démonstration permet de prouver qu'il est possible, à travers un système de tiers, de garantir la protection de l'identité de l'individu et le principe de minimisation des données, tout en maintenant un haut niveau de garantie sur l'exactitude des données transmises ».

La solution proposée par le PEReN et la Cnil est à ce jour la plus opératoire. Il convient donc d'encourager une montée en gamme de systèmes permettant de délivrer une preuve d'âge, qui soient totalement indépendants des sites pornographiques et dont l'utilité ne soit pas limitée à la preuve de majorité sur les sites pornographiques, afin de garantir leur indépendance.

Recommandation n° 15  : Imposer le développement de dispositifs de vérification d'âge ayant vocation à servir d'intermédiaire entre l'internaute et les sites consultés, avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la CNIL.

En parallèle, une procédure d'évaluation et de certification indépendante des fournisseurs de preuve de l'âge doit être mise en oeuvre. Comme mis en avant par la Cnil, il s'agit en particulier d'évaluer les taux de faux positifs et de faux négatifs à la limite de 18 ans mais aussi d'assurer la conformité des dispositifs au RGPD.

Dans la note précitée, la Cnil précise que « cette démarche de labellisation pourrait s'inspirer, en les simplifiant, des modalités d'encadrement existant pour les prestataires de vérification d'identité à distance (PVID), qui impose une qualification de l'ANSSI sur la base de standards précis et auditables ».

Recommandation n° 16 : Établir un processus de certification et d'évaluation indépendant des dispositifs de vérification d'âge.

B. GÉNÉRALISER LES DISPOSITIFS DE CONTRÔLE PARENTAL ET DE NAVIGATION SÉCURISÉE, EN SENSIBILISANT ET FORMANT LES PARENTS

1. Des outils nombreux

De nombreux outils de contrôle parental, gratuits ou non, existent aujourd'hui, proposés à la fois par les fournisseurs d'accès à Internet (FAI), les constructeurs de terminaux (smartphone, tablette, ordinateur, console de jeux...), les fournisseurs de systèmes d'exploitation et les moteurs de recherche. Ils permettent de filtrer et de restreindre l'accès à certains contenus. La délégation s'est penchée sur ces différents outils, qu'elle appelle à faire davantage connaître.

Dans ses réponses à un questionnaire envoyé par les rapporteures de la délégation, la Fédération française des télécoms a indiqué que depuis 2006, tous les opérateurs incluent le contrôle parental dans leurs offres . Ils proposent désormais des outils de contrôle parental lors de la souscription de comptes familiaux et ont mis en place un parcours de souscription spécifique pour les familles.

Les FAI permettent de paramétrer trois types de profil : enfant, adolescent et adulte. Avec le profil enfant, destiné au moins de 10 ans, le parent sélectionne limitativement les sites auxquels il peut avoir accès (liste blanche). Avec le profil adolescent, l'utilisateur a accès à tous les sites web sauf ceux que les parents ont exclus (liste noire).

Les FAI pourraient aller plus loin en activant par défaut le contrôle parental lors qu'un abonnement téléphonique est souscrit pour l'usage d'un mineur .

Recommandation n° 17 : Activer par défaut le contrôle parental, lorsqu'un abonnement téléphonique est souscrit pour l'usage d'un mineur.

La loi Studer du 2 mars 2022 56 ( * ) a introduit une obligation d'installation par défaut d'un dispositif de contrôle parental sur les équipements terminaux permettant de naviguer sur Internet vendus en France. Lors de la première mise en service de l'équipement, une activation doit être proposée de façon gratuite.

La délégation se félicite de l'avancée que constitue cette installation par défaut tout en déplorant que rien n'ait été prévu s'agissant du parc existant. Le décret d'application devrait être publié courant septembre, les rapporteures n'ont pu encore en prendre connaissance.

L'écosystème Google propose quant à lui un outil de contrôle parental appelé Family Link qui permet aux parents de superviser l'utilisation du numérique par leurs enfants . Il permet de contrôler le temps d'écran ou de bloquer le téléchargement de certaines applications, mais surtout de filtrer les résultats de recherche grâce à la fonctionnalité SafeSearch consultable sur google.com/safesearch .

Ce filtrage est activé par défaut pour les utilisateurs connectés sous le contrôle parental Family Link , pour ceux connectés avec un compte de moins de 18 ans et pour tous les utilisateurs que Google suspecte d'avoir moins de 18 ans à partir d'une analyse automatisée de l'utilisation de ses services. Cette dernière approche est récente : elle a été annoncée par Google à l'été 2021.

Si des utilisateurs, pour lesquels SafeSearch n'est pas activé par défaut et qui ne l'ont pas mis en oeuvre, entrent pour la première fois une requête sur le moteur de recherche qui pourrait proposer des résultats choquants, par exemple pornographiques, un avertissement est alors affiché en haut de la page pour les en informer et les inviter à activer SafeSearch . La délégation se félicite de ce dispositif mais estime qu'il serait pertinent d'afficher systématiquement cet avertissement, sans se limiter à la première recherche.

2. Des outils encore trop peu utilisés par les parents

Selon une étude Médiamétrie réalisée en 2019 pour le compte d'Open et de l'Unaf, plus de la moitié des parents d'enfants de moins de 15 ans n'utilisent aucun moyen de contrôle de la navigation de leur enfant sur Internet .

Usage de solutions techniques par les parents pour contrôler
les pratiques numériques de leurs enfants

Source : Étude réalisée en septembre 2019 auprès de 2 087 parents d'enfants âgés de moins de 15 ans, pour le compte d' Open et de l' Unaf

Au sein du protocole d'engagements signé en février 2020 en vue de lutter contre l'exposition des enfants aux contenus pornographiques en ligne, figure pourtant l'engagement des acteurs économiques de faire connaître les outils de contrôle parental.

Des actions ont d'ores et déjà été menées. Ainsi, en octobre 2021, Google a édité un livret avec les associations de protection de l'enfance - e-Enfance , l' Union nationale des associations familiales ( Unaf ), l' Observatoire de la parentalité et l'éducation numérique ( Open ) - qui a été distribué à plus d'un million d'exemplaires sous forme de supplément dans les magazines nationaux et la presse régionale. En mai 2021, l' Unaf , l' Open , La ligue de l'Enseignement , le Cofrade 57 ( * ) et Google France ont également lancé des vidéos de sensibilisation.

Une nouvelle campagne de communication apparaît aujourd'hui nécessaire. Elle devra mettre l'accent non seulement sur la nécessité d'installer des outils de contrôle parental mais aussi sur l'importance de bien paramétrer ces outils . Pour cela, les parents doivent être accompagnés afin d'être en mesure de paramétrer correctement les équipements de leurs enfants au moment de l'acquisition de l'équipement numérique mais aussi par la suite, pour l'adapter à l'âge de leur enfant.

Recommandation n°  18 : Mener une campagne de communication autour des dispositifs de contrôle parental.

La délégation a conscience que des outils existent et continueront à se développer pour contrer les solutions techniques destinées à bloquer l'accès des mineurs aux contenus pornographiques. L'enquête Ifop de 2021 précitée montre ainsi que 40 % des jeunes connaissent l'existence de dispositifs de type VPN , dont 9 % savent les utiliser. Un VPN ( virtual private network ) est un logiciel informatique qui permet de chiffrer ses données et de modifier son adresse IP . Il est ainsi possible d'accéder à des contenus qui ne sont pas accessibles en France ou qui sont bloqués par un fournisseur d'accès à Internet.

Si les solutions techniques ne parviennent pas à s'adapter parfaitement aux outils de contournement, il s'agit à tout le moins de réduire au maximum l'accessibilité des mineurs aux contenus. Pour reprendre les propos de Gordon Choisel, président de l'association Ennocence, « plus tard arrivera l'âge de la première exposition, plus tard arrivera la banalisation, plus tard arrivera l'accoutumance . »

Le caractère nécessairement imparfait des solutions techniques rend l'enjeu éducatif absolument crucial, tant pour les enfants et les adolescents que pour les parents et les professionnels de l'éducation et de la protection de l'enfance. Comme l'a évoqué Olivier Gérard, coordonnateur du pôle « Médias-usages numériques » de l' Unaf , il s'agit en particulier de faire comprendre aux jeunes pourquoi les solutions techniques évoquées sont mises en place et pourquoi il n'est pas nécessairement bon de chercher à les contourner . Le contrôle parental doit s'accompagner d'un dialogue et d'un accompagnement entre parents et enfants. Pour reprendre les propos de Thomas Rohmer, président d' Open « le contrôle parental a souvent été présenté à tort comme une sorte de solution miracle (...) des parents avaient l'impression que le job était fait à partir du moment où les outils étaient déployés dans la famille. »

IV. ÉDUQUER, ÉDUQUER, ÉDUQUER

A. APPLIQUER ENFIN LA LOI SUR L'ÉDUCATION À LA SEXUALITÉ

Tous les intervenants entendus par la délégation se sont accordés pour dénoncer l'échec de l'éducation à la sexualité en France aujourd'hui . Les enfants et les adolescents sont bien souvent laissés seuls avec leurs questionnements et sans espace de discussion.

« Le porno est une réponse malsaine à une préoccupation saine » Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne spécialisée dans l'enfance et l'adolescence, présidente de l'association e-enfance

« Si les enfants souhaitent accéder à des contenus pornographiques, c'est d'abord parce qu'ils se posent des questions sur la sexualité » Olivier Gérard, coordonnateur du pôle « Médias-usages numériques » de l' Unaf

« Pour le SNICS-FSU, il n'est pas possible de laisser l'industrie de la pornographie faire l'éducation à la sexualité des jeunes mineurs, futurs citoyens de demain . » Samia Bounouri, infirmière scolaire en Seine-Saint-Denis, secrétaire départementale du syndicat SNICS-FSU

« La pornographie est devenue le principal moyen d'éducation sexuelle devant la défaillance des pouvoirs publics à faire leur travail en matière d'information à la sexualité . » Israël Nisand, gynécologue et obstétricien

« Voici trois décennies en France que l'on rencontre un échec cuisant en matière d'éducation sexuelle » Thomas Rohmer, directeur de l' Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique ( Open )

1. Appliquer a minima les trois séances annuelles d'éducation à la vie affective et sexuelle prévues par la loi depuis 2001

La loi Aubry de 2001 58 ( * ) a instauré des séances d'éducation à la sexualité. L'article L312-16 du code de l'éducation prévoit qu'une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène.

Or la loi n'est absolument pas appliquée. Les élèves ne bénéficient bien souvent que de quelques cours de SVT (sciences de la vie et de la terre) dédiés à l'enseignement de la reproduction en classe de quatrième.

Ces séances doivent être programmées, avec un calendrier annuel . Il n'est plus possible de se contenter comme aujourd'hui d'interventions « pompiers » en réaction à une crise dans l'établissement (agression sexuelle, vidéo de revenge porn qui circule...). Comme l'a déploré Thomas Rohmer, président d' Open , « comment voulez-vous avoir une réflexion apaisée dans des espaces d'émotion tels que l'on peut juste tenter d'éteindre l'incendie ? » Une mobilisation au long cours de toute l'équipe éducative est nécessaire.

Il s'agit d'entrer dans une optique de prévention et, ainsi que le résumait devant la délégation Ovidie, réalisatrice de documentaires intervenant régulièrement dans des établissements scolaires, « le luxe de la prévention, c'est le temps ».

La délégation a conscience des nombreuses missions assignées aux chefs d'établissement et aux enseignants et de la difficulté à intégrer dans des emplois du temps contraints de telles séances.

Certains parents peuvent également exprimer des réticences face à l'éducation à la sexualité, notamment pour des motifs religieux ou idéologiques. Plusieurs témoignages recueillis par la délégation ont mis en lumière des tabous dans certaines familles sur l'information de leurs enfants en matière sexuelle et tout particulièrement de leurs filles. Ces tabous peuvent être intériorisés par les enfants et adolescents eux-mêmes. Sophie Jehel, auteure d'une étude 59 ( * ) portant sur l'impact des images violentes, sexuelles et haineuses sur les adolescentes, a ainsi témoigné de sa surprise face à des jeunes filles de 15 à 17 ans qui lui ont déclaré qu'elles étaient des enfants, que la sexualité ne les intéressait pas et qu'elles avaient peur qu'aborder ces sujets abîme leur réputation.

Cependant, les parents apparaissent en majorité demandeurs d'un relais sur ces questions qui ne sont pas toujours faciles à aborder directement avec leurs enfants.

En outre, l'éducation à la sexualité est inscrite dans la loi comme mission de l'Éducation nationale, il s'agit d'une priorité d'éducation et de santé, et il est indispensable de ne pas transiger sur cette exigence. Ces séances pourraient être évoquées lors des réunions de rentrée scolaire avec les parents d'élèves afin de mieux expliquer leur importance et leur contenu.

Recommandation n° 19 : Établir un tableau de bord annuel, par académie, de la mise en oeuvre des séances d'éducation à la vie sexuelle et affective et désigner un délégué académique à l'éducation à l'égalité et à la sexualité, afin d'accentuer la pression pour la mise en oeuvre de ces séances.

2. Élargir le champ des sujets de discussion abordés pour y inclure la pornographie

Les séances d'éducation à la vie affective et sexuelle doivent pouvoir être des lieux de discussion et d'échanges sur les questions que se posent les enfants et adolescents. Il ne doit pas s'agir uniquement d'un enseignement descendant, de l'intervenant informant l'élève. Les jeunes sont en demande d'espaces de discussion leur permettant de s'exprimer et d'échanger dans un cadre sécurisant, au sein duquel ils ne se sentent pas jugés.

Ces séances ne doivent également pas être uniquement des séances de prévention contre les grossesses non désirées et les infections sexuellement transmissibles (IST).

Pour autant, l'intégration de professionnels de santé est souhaitable. Une approche par la santé semble en effet plus efficace auprès des adolescents et adolescentes qu'une approche « moralisatrice » ou culpabilisante .

L'intervention de professionnels formés, intérieurs comme extérieurs à l'établissement est indispensable. Si face à des professionnels extérieurs, les jeunes peuvent avoir moins de crainte de se sentir jugés, ils peuvent également se sentir moins à l'aise pour s'exprimer qu'avec les professeurs qu'ils connaissent. Ces enjeux ont été mis en avant par les professeurs rencontrés - particulièrement impliqués - lors d'un déplacement des rapporteures au collège Rosa Parks de Gentilly (94). Il paraît donc primordial de conjuguer les deux types d'intervention.

Les séances d'éducation à la vie affective et sexuelle doivent s'inscrire plus largement dans une éducation à l'égalité et une éducation aux compétences socio-émotionnelles qui incluent les notions d'intimité et de respect de l'autre, de son consentement, de sa sexualité.

Ainsi que l'a mis en avant devant la délégation Margot Fried-Filliozat, sexothérapeute, il convient d'avoir une vision extensive du consentement : il ne s'agit pas seulement d'expliquer aux adolescents et adolescentes qu'ils ont le droit de dire non, il faut également leur donner les ressources pour savoir comment dire non mais aussi exprimer leur pensée, leurs émotions et leurs désirs.

Il est nécessaire que ces séances intègrent une sensibilisation au sujet de la pornographie et des représentations qu'elle véhicule. Ces sujets devraient dans l'idéal être abordés avant même la première exposition à des contenus pornographiques, soit dès l'école primaire. Il convient de donner aux jeunes des grilles de lecture pour qu'ils puissent faire face à une exposition quasiment inévitable aujourd'hui à de tels contenus, d'une manière qui ne soit pas vécue comme normalisatrice ou violente.

Alors que la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel 60 ( * ) a prévu des séances d'information sur la marchandisation du corps, la production pornographique ainsi que la prostitution physique et virtuelle doivent pouvoir être abordées dans ce cadre. La délégation attire tout particulièrement l'attention des professeurs et intervenants extérieurs sur la nécessité de ne pas minimiser de telles pratiques, notamment par l'emploi de termes tels que « michetonnage » ou « travail du sexe ».

Recommandation n° 20 : Aborder dans le cadre des séances d'éducation à la vie sexuelle et affective les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie.

3. Faciliter l'accès des jeunes à des informations de qualité en matière de sexualité

Les jeunes doivent pouvoir accéder à des ressources de qualité pour répondre à leurs questions en matière de sexualité. L'objectif est que le porno ne soit pas la seule réponse à leurs questions.

Il est indispensable de maintenir des professionnels de santé - médecins, infirmiers et psychologues - dans les établissements scolaires . Les adolescents ont bien souvent besoin d'une réponse rapide à leurs questionnements et ce sont ces professionnels qui sont en première ligne pour répondre rapidement. La délégation tient à saluer leur engagement. Actuellement l'Éducation nationale ne compte que 7 700 infirmiers pour 62 000 sites scolaires et 13 millions d'élèves. C'est trop peu.

En outre, les professionnels doivent être formés. Lors de son audition par la délégation, Samia Bounour, infirmière scolaire en Seine-Saint-Denis, secrétaire départementale du syndicat SNICS-FSU, a proposé le développement de formations initiales et continues permettant d'actualiser les connaissances en matière d'éducation à la santé et de conduite de projet. À cette fin, le syndicat SNCIS-FSU recommande la création du master Infirmier conseiller de santé (ICS) et la mise en oeuvre du Développement professionnel continu (DPC).

Recommandation n° 21 : Recruter des professionnels de santé, formés en matière d'éducation à la santé et de conduite de projet, dans les établissements scolaires.

Un effort de communication doit également être mené autour des ressources disponibles en ligne, par exemple :

• la websérie Sexotuto 61 ( * ) produite par Maïtena Biraben et Alexandra Crucq ( Mesdames Productions ), avec le soutien de Salto , Santé publique France et du ministère chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes ;

• les vidéos « libres ! » d'Ovidie 62 ( * ) ;

• la série « ados : le porno à portée de clic » 63 ( * ) ;

• la série « sex talk » 64 ( * ) ;

• le site onsexprime.fr de Santé Publique France 65 ( * ) .

Il apparaît primordial de sensibiliser directement les jeunes sur les réseaux sociaux qu'ils utilisent et qui constituent aujourd'hui leur principale source d'informations. Certains contre-discours positifs émergent sur ces réseaux. Thomas Rohmer, fondateur de l'association Open , a ainsi mis en avant les actions menées par certaines « instagrameuses » comme celle animant le compte @tasjoui . La Région Ile-de-France, dans le cadre d'une campagne « Le porno, c'est pas la ref » a lancé un compte Instagram @pas_la_ref , qui décrypte les conséquences de l'exposition des jeunes aux contenus pornographiques et aborde le consentement, le mythe de la performance et bien d'autres clichés véhiculés par le porno.

Recommandation n° 22 : Faire connaître, dans les établissements scolaires et directement sur les réseaux sociaux utilisés par les adolescentes et les adolescents, les ressources accessibles pour répondre à leurs questions en matière de sexualité.

B. DÉVELOPPER L'ÉDUCATION AUX MÉDIAS, AUX USAGES DU NUMÉRIQUE ET À L'ÉGALITÉ

1. Développer l'esprit critique des jeunes

De nombreux professionnels entendus par la délégation ont souligné la nécessité de développer l'esprit critique des jeunes sur les images au sens large, pour leur permettre de les réévaluer et de prendre de la distance.

C'est notamment le rôle de l'enseignement moral et civique (EMC) et de l'éducation aux médias et à l'information (EMI). Cependant, ces enseignements devraient intervenir davantage en amont dans la scolarité des élèves.

La délégation estime intéressante la démarche entreprise par Ovidie qui anime des ateliers d'écriture scénaristique qui permettent aux jeunes de prendre du recul sur la construction d'images et de discours.

Il s'agit également de poursuivre la sensibilisation des jeunes aux dangers d'Internet.

2. Sensibiliser et former également les adultes

Parents et professionnels de l'éducation et de la protection de l'enfance doivent être sensibilisés aux usages par les jeunes du numérique et des contenus sexuels. Trop de parents n'en ont pas conscience ou estiment leur enfant protégé de ces contenus.

Ainsi, une étude réalisée par Open et l' Unaf montre qu' un quart des parents ne considère pas qu'il existe un risque d'exposition à la pornographie dans l'espace numérique , ce qui, selon Olivier Gérard, coordonnateur du pôle « Médias-usages numériques » de l' Unaf , montre « la méconnaissance et l'incompréhension de ces univers par certains parents ». Lorsqu'il leur est demandé ce qui les inquiète le plus, 44 % seulement des parents disent être inquiets du risque pornographique pour leur enfant, c'est-à-dire moins d'un parent sur deux.

Il apparaît donc nécessaire de davantage sensibiliser les parents et de faire mieux connaître la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr . Ce site propose des conseils aux parents pour accompagner leurs enfants dans leur vie numérique comme dans leur vie sexuelle et affective et fournit des tutoriels pour mettre en place des outils de contrôle parental.

Recommandation n° 23 : Sensibiliser les parents et mener une campagne de communication autour de la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr

L' Unaf a également mis en avant devant la délégation les actions nécessaires en matière d'aide à la parentalité et tout particulièrement à la parentalité numérique. Il s'agit de permettre aux parents non pas nécessairement de répondre à toutes les questions de leurs enfants mais d'être en mesure de les orienter et les guider vers des ressources, des outils ou des lieux appropriés. Cet accompagnement des parents doit s'inscrire dans un cadre plus général d'accompagnement des pratiques numériques de leurs enfants.

Selon l'étude Médiamétrie pour Open et l' Unaf précitée, 44 % des parents ne se sentent pas ou pas assez accompagnés dans l'encadrement de la pratique numérique de leur enfant. Parmi les actions qu'ils jugent indispensables pour les accompagner : le partage de conseils pratiques ; des outils non-numériques pour aborder la question des écrans avec leurs enfants ; un soutien technique.

Selon son fondateur Thomas Rohmer, l'association Open a été l'une des premières à afficher le mot pornographie au sein de ses modules de formation et d'accompagnement, ce terme ayant longtemps dérangé le monde de la formation. Aujourd'hui cette thématique est la plus réclamée des thématiques proposées, tant par les parents que par les professionnels de la protection de l'enfance qui constatent un besoin de formation et d'accompagnement en la matière.

Dans le département de la Charente, Open et Ovidie ont travaillé pendant dix-huit mois en lien avec la délégation départementale aux droits des femmes, qui les a missionnés, à la fois pour voir les enfants, mais aussi les parents et l'ensemble des professionnels, dans le but d'ouvrir des espaces de discussion autour d'un sujet devenu complètement tabou dans l'enceinte des établissements scolaires.

De telles initiatives, en lien avec les associations de parents d'élèves et les associations familiales, doivent être encouragées.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le mardi 27 septembre 2022, sous la présidence d'Annick Billon, présidente, la délégation a examiné le rapport d'information.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi un rapport qui, je pense, fera date. Jamais un rapport parlementaire ne s'était penché sur les pratiques de l'industrie pornographique et sur leurs conséquences pour les femmes mais aussi pour l'ensemble de la société.

Avec mes trois collègues co-rapporteures Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, nous nous sommes emparées de ce sujet, sur lequel nous avons travaillé pendant plus de six mois .

Nous avons mené des dizaines d'heures d'auditions. Nous avons entendu toutes les parties prenantes, avec des prises de position souvent différentes, parfois déroutantes, toujours enrichissantes. Ont ainsi nourri nos réflexions : des chercheurs, des associations féministes, des professionnels du secteur - producteurs, diffuseurs, actrices et réalisatrices -, des magistrats, des professionnels de santé, des associations de protection de l'enfance, ou encore, entre autres, l'Arcom, la Cnil et le PEReN. Nous avons également entendu, à huis clos, des victimes de l'affaire dite French Bukkake, cette affaire sordide révélée par Le Parisien et Le Monde, qui a permis de mettre au grand jour les pratiques de producteurs sans scrupules qui ont brisé la vie de dizaines de femmes. Une cinquantaine de victimes sont parties civiles dans cette affaire et douze individus ont été mis en examen pour proxénétisme, traite des êtres humains et viol. Par ailleurs, une deuxième affaire, dite Jacquie et Michel, a conduit à la mise en examen pour complicité de viol et traite des êtres humains en bande organisée, le 17 juin 2022, de Michel Piron, fondateur du site pornographique Jacquie et Michel et PDG du groupe ARES, aux côtés de trois autres personnes. À la lumière des révélations judiciaires, les propos qu'avaient tenus, devant notre délégation, les représentants du groupe ARES apparaissent aujourd'hui emprunts de cynisme et d'hypocrisie.

Nous avons également analysé les principaux contenus disponibles aujourd'hui sur les sites pornographiques les plus consultés, ceux que l'on appelle des tubes - des plateformes en ligne qui proposent gratuitement des dizaines de milliers de vidéos. Je pense important de le dire ici : il faut sortir de toute vision datée, faussée et édulcorée du porno. Le porno aujourd'hui ce sont des contenus violents, dégradants, humiliants. Les scènes dans lesquelles un homme - et plus souvent des hommes, parfois jusqu'à 50 - infligent des violences physiques et sexuelles à une femme sont devenues la norme.

Ce sont ces violences et leur banalisation qui nous ont amenées à des prises de position fortes au sein de ce rapport. Après tout ce travail, il n'était pas possible pour nous de présenter un rapport tiède et timide.

Nous dénonçons une industrie qui génère des violences systémiques envers les femmes, que ce soit celles qui se retrouvent dans ces productions ou celles qui subissent une sexualité calquée sur les normes de violences véhiculées par le porno.

Nous nous inquiétons également tout particulièrement de l'accès des mineurs à ces contenus. Aujourd'hui, la loi - plus précisément l'article 227-24 du code pénal - n'est toujours pas appliquée : en un clic, tout internaute, même mineur, peut accéder sans aucun contrôle aux sites pornographiques. Nous formulons des recommandations concrètes pour contrôler enfin l'âge des utilisateurs de ces sites.

Mes trois collègues co-rapporteures vont vous présenter dans le détail nos principaux constats et recommandations.

Vous avez sous les yeux L'Essentiel du rapport, qui synthétise les principaux constats et reprend l'intégralité des vingt-trois recommandations. Vous avez reçu ce document dès hier ainsi que le plan et l'avant-propos du projet de rapport.

Sachez que les quatre rapporteures que nous sommes portons collectivement ce rapport, qui a fait l'objet de nombreuses réunions et concertations.

Je laisse sans plus tarder la parole à ma collègue rapporteure Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure . - La présidente l'a dit : c'est un rapport inédit sur l'industrie pornographique car jusqu'à présent aucune institution publique, aucun service d'inspection de l'État, ni aucune assemblée parlementaire, ni France Stratégie ne s'était penché sur le fonctionnement, la structure et l'influence de l'industrie pornographique dans nos sociétés.

Une définition préalable : la pornographie renvoie à l'exploitation commerciale de la représentation explicite de pratiques sexuelles non simulées. Elle se distingue ainsi de l'érotisme et des scènes de sexe simulé dans le cinéma traditionnel.

Les conditions dans lesquelles s'est exercée cette activité ont significativement évolué : renvoyant d'abord à de la littérature pornographique puis à l'émergence, dans les années 1970, de films pornographiques abusivement associés à la libération sexuelle, la pornographie a franchi, à partir du milieu des années 2000, une nouvelle étape avec l'arrivée des tubes et la massification de la diffusion de vidéos pornographiques en ligne.

La pornographie est devenue une industrie mondialisée, dans une économie globale mondialisée et dans une mondialisation globale des échanges et communications. C'est une activité qui génère plusieurs milliards d'euros de profit chaque année, concentrés dans les mains de quelques grandes multinationales souvent basées dans des paradis fiscaux. C'est pourquoi nous pensons que le porno est aujourd'hui plus une affaire d'argent qu'une affaire de sexe.

Pour alimenter les tubes et générer un trafic massif, fondement de leur modèle économique, la production de toujours plus de contenus, et de contenus de plus en plus extrêmes et « trash », est devenue nécessaire. Le nombre de producteurs s'est multiplié, sans qu'il n'y ait plus de réelle distinction entre le secteur dit professionnel et un secteur amateur en pleine expansion.

Aujourd'hui, les vidéos pornographiques hébergées sur des plateformes de streaming de contenus pornographiques constituent plus d'un quart (27 %) de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde, 16 % du flux total de données sur Internet et 5 % du total des émissions de gaz à effet de serre dues au numérique. Un site comme Pornhub aurait généré un total de 42 milliards de visites en 2019 et afficherait un nombre de près de 220 000 vidéos vues chaque minute dans le monde.

Notre rapport s'inscrit également dans un contexte particulier, celui du traitement pénal, pour la première fois en France, de violences commises dans un contexte de pornographie sur des femmes victimes de graves maltraitances, sexuelles, physiques et psychologiques. Les auteurs de ces violences font aujourd'hui l'objet de diverses mises en examen, pour viol, viol aggravé, complicité de viol avec acte de torture et de barbarie, traite des êtres humains aux fins de viol, proxénétisme, etc.

Les témoignages que nous avons recueillis, en particulier lors d'une audition à huis clos de victimes de l'affaire dite French Bukkake , ont mis en évidence des similitudes marquantes et sordides :

- dans les méthodes de recrutement des producteurs, ciblant des jeunes femmes précaires et vulnérables ;

- dans les modes opératoires : un viol initial dit de soumission pour briser la victime, un processus de déshumanisation, des manipulations, des actes sexuels forcés, des partenaires multiples imposés, des viols... ;

- et enfin, souvent, un chantage a posteriori : pour obtenir le retrait d'une vidéo, les producteurs exigent de 3 000 à 5 000 €, soit dix fois plus que la rémunération obtenue pour la scène tournée.

Nous estimons que ces pratiques ne constituent pas des dérives, comme on peut souvent le lire, mais sont inhérentes à l'industrie pornographique aujourd'hui. Il s'agit donc de violences systémiques.

Selon des chiffres publiés par la Fondation Scelles , 90 % des scènes pornographiques comportent des violences sexuelles, physiques ou verbales. Ces violences ne sont pas simulées. Elles sont bien réelles pour les femmes filmées.

Certains professionnels de l'industrie pornographique ont voulu mettre en avant une réglementation et un encadrement du secteur avec des contrats détaillant les pratiques sexuelles acceptées ou non, des chartes dites déontologiques, la présence d'un « coordinateur d'intimité » sur les tournages...

Mais le consentement en matière sexuelle est par nature réversible à tout moment. Nous estimons qu'en matière de pornographie, le soi-disant « droit au contrat » avancé par certains revient tout simplement et cyniquement à monétiser la contrainte sexuelle et ouvre la voie à l'exploitation commerciale de la vulnérabilité économique, sociale et psychologique dans laquelle se trouvent la très grande majorité des femmes engagées sur ces tournages.

Beaucoup d'experts auditionnés par la délégation ont d'ailleurs fait état d'une porosité avérée entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie.

Les mesures largement « marketing » mises en avant par certains ne nous ont pas convaincues.

Si nous ne méconnaissons pas l'existence d'initiatives visant à produire du contenu sexuel pour adultes de façon « alternative », nous estimons que ce type de productions, extrêmement minoritaires et par ailleurs marginales en termes de public consommateur, ne constitue que l'arbre qui cache l'immense forêt des violences pornographiques aujourd'hui.

Après avoir abordé la question de la production et de la diffusion des contenus porno, je laisse maintenant la parole à ma collègue Alexandra Borchio Fontimp qui va traiter de la question de leur consommation.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, co-rapporteure . - La consommation de porno est aujourd'hui massive et banalisée, chez les adolescents comme chez les adultes. Nous avons pu accéder à des données Médiamétrie qui confirment ce que les sondages indiquent sur l'ampleur de ce phénomène.

Quelques chiffres me semblent particulièrement éclairants, s'agissant de la France :

- chaque mois, 19 millions d'internautes se rendent sur des sites porno, parmi lesquels 2,3 millions de mineurs ;

- chaque mois, près d'un tiers des garçons de moins de 15 ans se rend sur un site porno ;

- enfin, ces sont deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans qui ont déjà eu accès à des images pornographiques, volontairement parfois mais aussi bien souvent involontairement, à l'occasion de recherches internet, de discussions sur les réseaux sociaux ou du téléchargement d'un film ou dessin animé.

Ces chiffres sont alarmants. Et pourtant rien n'est fait ! L'article 227-24 du code pénal réprime toute diffusion de contenu susceptible d'être vu par un mineur et précise même, depuis la loi du 30 juillet 2020, que les sites porno doivent s'assurer de la majorité de l'internaute sans se contenter d'une simple déclaration. Cependant, tous les sites comme Pornhub ou Youporn sont aujourd'hui aisément accessibles, en un seul clic, sans aucune vérification d'âge.

De même, aucun contrôle de l'âge de l'utilisateur n'est effectué sur les réseaux sociaux où le principe de l'auto-déclaration domine. Or de nombreux comptes sur Twitter ou Instagram affichent des contenus pornographiques ou font la promotion de contenus disponibles sur d'autres sites, comme Onlyfans. Des avertissements sont parfois affichés mais tel n'est pas toujours le cas et un simple clic permet de passer outre l'avertissement.

Les conséquences sur la jeunesse de cette exposition massive au porno sont inquiétantes. Les psychologues, neuroscientifiques, infirmières et professionnels de l'éducation que nous avons entendus nous ont dressé un tableau sombre des effets qu'ils constatent chaque jour sur les jeunes qu'ils accompagnent : des traumatismes, des troubles du sommeil, de l'attention et de l'alimentation, une vision déformée et violente de la sexualité, des difficultés à nouer des relations avec des personnes du sexe opposé, une sexualisation précoce, des conduites à risques ou violentes...

Ces conséquences ne se limitent d'ailleurs pas au seul public mineur, le porno a également un impact sur les adultes, sur leurs représentations d'eux-mêmes, des femmes et de la sexualité.

Pour s'en convaincre, il est important de préciser la nature des contenus auxquels les internautes ont aujourd'hui accès. Nous nous sommes penchées sur le porno aujourd'hui proposé sur les tubes les plus visités en France. Les vidéos sont de plus en plus violentes, extrêmes et dégradantes. Vous avez des milliers de vidéos recensées dans des catégories comme « sexe brutal » « ado amateur », « fantasme familial », « interracial », « gangbang », et pire encore.

Si ces contenus ne sont pas forcément les plus recherchés, ils sont cependant très rapidement proposés à l'internaute sur la page principale des sites ou dans l'onglet « vidéos les plus regardées ». Des recherches ont en outre montré qu'en cas d'accoutumance au porno, les consommateurs se dirigent vers des contenus de plus en plus violents.

Nous ne pouvons plus nous dissimuler derrière des difficultés techniques pour tolérer une diffusion de porno sans aucune limite ni garde-fou. Le contrôle de l'accès aux contenus pornographiques et la protection de notre jeunesse doivent, selon nous, constituer une priorité et donner lieu à l'adoption des solutions concrètes que nous proposons, comme ma collègue Laurence Cohen va vous l'exposer.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure . - Il me revient maintenant de vous présenter nos principales recommandations pour lutter contre les violences pornographiques et leurs conséquences. Je me réjouis que nous soyons parvenues avec les quatre rapporteures à un consensus en la matière.

Au nombre de vingt-trois, nos recommandations se déclinent en quatre grands axes :

- premièrement, faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique et pénale.

Chacun et chacune d'entre nous doit prendre conscience des conditions sordides dans lesquelles se déroulent la plupart des tournages pornographiques.

Nous recommandons notamment :

- de faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d'incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle), comme ce qui existe en matière d'apologie du terrorisme ou d'appel à la haine ;

- et d'imposer aux sites pornographiques des messages d'avertissement, concernant des contenus violents, précisant qu'il s'agit d'actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles. Il est temps non seulement de responsabiliser les sites mais aussi celles et ceux qui regardent ces contenus pornographiques.

Nous souhaitons aussi que les forces de l'ordre soient formées au recueil des plaintes des victimes spécifiques que constituent les femmes victimes de l'industrie pornographique.

Enfin, nous appelons à une réflexion plus globale sur l'existence même de l'industrie pornographique.

Notre deuxième axe de recommandation concerne la suppression de contenus illicites et le droit à l'oubli.

Les diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, ne sauraient s'exonérer de leurs responsabilités :

- des amendes doivent être imposées aux diffuseurs dès lors qu'ils ne suppriment pas tout contenu illicite qui leur a été signalé ;

- les diffuseurs doivent établir des procédures permettant aux personnes filmées, et non plus aux seuls propriétaires des vidéos, d'obtenir gratuitement le retrait de vidéos dans lesquelles elles apparaissent. Nous insistons sur l'importance de la gratuité : aujourd'hui c'est un parcours semé d'embûches pour les femmes filmées, de qui il est exigé des sommes importantes qui dépassent la rémunération qu'elles ont perçue.

Nous recommandons également la création d'une catégorie « violences sexuelles » au sein de Pharos, la plateforme qui traite des signalements de contenus illicites en ligne, afin de faciliter et de mieux comptabiliser ces signalements.

Notre troisième axe de recommandation concerne le blocage de l'accès des mineurs aux contenus pornographiques.

Nous appelons l'Arcom à adopter une démarche davantage proactive, notamment par l'adoption de lignes directrices qui devront préciser :

- que les sites porno doivent afficher un écran noir tant que la majorité de l'internaute n'a pas été confirmée ;

- et quels critères les dispositifs de vérification d'âge doivent respecter.

À ce titre, nous appelons au développement de dispositifs de vérification d'âge ayant vocation à servir d'intermédiaire entre l'internaute et les sites consultés, avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la Cnil.

Nous pensons que, pour plus d'efficacité, pourrait également être confiée à l'Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives aux montants dissuasifs à l'encontre des sites porno restant accessibles aux mineurs.

Enfin, tous les parents doivent prendre conscience de la nécessité d'installer un dispositif de contrôle parental sur les équipements de leurs enfants. Nous recommandons qu'un tel dispositif soit activé par défaut lors de la souscription d'un abonnement téléphonique pour un mineur.

Enfin, notre quatrième et dernier axe de recommandation traite des questions d'éducation.

Les trois séances annuelles d'éducation à la vie sexuelle et affective, prévues par la loi, sont encore largement absentes d'un grand nombre d'établissements. Nous avons évoqué ce sujet de nombreuses fois au sein de la délégation. Afin d'accentuer la pression pour l'application de la loi, nous demandons la publication d'une évaluation annuelle de sa mise en oeuvre au niveau de chaque académie, ainsi que la désignation d'un ou d'une délégué(e) académique à l'éducation à l'égalité et à la sexualité. Nous souhaitons que les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie soient abordés dans le cadre de ces séances.

Nous recommandons également le recrutement de professionnels de santé, formés en matière d'éducation à la santé et de conduite de projet, dans les établissements scolaires. Ils sont essentiels pour répondre aux interrogations des adolescents et adolescentes.

Enfin, nous appelons à une campagne de communication afin de faire connaître auprès des adolescents et adolescentes et de leurs parents les ressources accessibles pour répondre à leurs questions en matière de sexualité.

Nous sommes bien sûr à votre disposition pour développer davantage l'une ou l'autre de nos recommandations.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Comme vous l'avez vu, nous avons fait le choix dans ce rapport d'avoir des propositions réalistes et pragmatiques face aux pratiques de l'industrie pornographique. Il s'agit d'imposer ce sujet dans le débat public.

Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions et entendre vos réactions.

Mme Valérie Boyer . - Tout d'abord, merci pour ce travail nécessaire. Comment expliquez-vous que les dispositions législatives, notamment celles destinées à faire en sorte que les mineurs n'aient pas accès à ces contenus traumatisants, ne soient pas mises en place ?

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - L'industrie pornographique a fortement évolué depuis vingt ans. Avant, la pornographie diffusée à la télévision était très encadrée. Avec l'apparition des tubes dans les années 2006-2007, nous avons assisté à une massification de la diffusion, de la production et de la consommation.

Les vecteurs de diffusion de la pornographie évoluent rapidement.

Je vais prendre un exemple, celui d'Onlyfans. Au départ c'était un réseau social qui permettait d'avoir une relation privilégiée avec des stars. Désormais c'est un réseau investi par des personnes lambda , dont des mineurs, qui envoient des images sexuelles contre rémunération. Lors d'un déplacement au collège de Gentilly, une collégienne nous a expliqué qu'une de ses amies gagnait 400 € par mois en envoyant des photos à caractère sexuel sur Onlyfans. Onlyfans avait décidé, en 2021, de retirer les contenus à caractère sexuel explicite de ce réseau mais il a finalement fait volte-face : l'essentiel de ce réseau désormais, ce sont les contenus sexuels.

En outre, la pornographie est un monde opaque. Les principaux professionnels du secteur sont aujourd'hui des spécialistes de la finance hébergés dans des paradis fiscaux

Tout cela peut permettre d'expliquer pourquoi les lois et réglementations sont difficiles à appliquer.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Nous n'avons pas le même traitement politique des vidéos d'apologie du terrorisme et des vidéos pornographiques. Il faut des décisions de justice. Ce sont des procédures relativement complexes. Nos recommandations visent d'ailleurs à accélérer les procédures, notamment en assermentant les agents de l'Arcom ou en traitant les vidéos montrant des scènes dégradantes et portant atteinte à la dignité humaine comme on traite les vidéos d'apologie du terrorisme ou de pédocriminalité.

Enfin, il faut des enquêteurs formés et des moyens d'enquête. Nous en manquons.

Il faut aussi réfléchir au sacro-saint principe de la liberté du net.

Mme Dominique Vérien . - Merci aux quatre rapporteures pour ce rapport collégial, pour les auditions qui étaient parfois choquantes mais malheureusement fort instructives, et pour des propositions qui sont pour la plupart des mesures pratico-pratiques. En particulier, donner plus de pouvoir à l'Arcom, pour constater directement des infractions, me semble une bonne chose.

Il faut aussi protéger les mineurs qui ne savent pas que ce qu'ils vont voir va influencer leur perception de la sexualité et de leur relation à l'autre et va leur porter préjudice. Nous avons vu lors des auditions qu'il y avait désormais des solutions plus simples et moins intrusives pour contrôler l'âge des internautes. Jusqu'à présent pour contrôler la majorité de l'utilisateur, il n'y avait pas beaucoup de solutions, sauf à communiquer des données à des entités qui ne sont pas forcément très recommandables. Aujourd'hui il existe par exemple des logiciels d'analyse faciale qui permettent de déterminer si la personne face à la caméra a plus ou moins de 18 ans. La proposition de labelliser ces dispositifs de vérification d'âge est une façon pratique de vraiment protéger les enfants. De la même façon, avoir un écran noir tant que la vérification d'âge n'est pas faite me semble une proposition pratique.

Ce sont des propositions qui me semblent plus réglementaires que législatives et donc rapidement applicables. J'espère donc que votre rapport sera lu.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Compte tenu de la pression médiatique que nous avons depuis plusieurs semaines, nous ne doutons pas que le rapport va être lu et relu...

M. Jean-Michel Arnaud . - Je m'associe aux félicitations pour la rédaction de ce rapport.

J'ai participé à certaines auditions qui pour certaines étaient insoutenables, avec la description d'actes de barbarie institutionnalisés. Je vous remercie pour toutes les femmes confrontées à ce crime organisé.

Je pense que votre travail a déjà eu un retentissement, au-delà des suites juridiques qui pourront suivre. Nous avons pu voir que le curseur a bougé ces derniers mois, avec notamment des mises en examen, et avec encore aujourd'hui des gardes à vue dans le cadre de l'affaire Jacquie et Michel .

Avez-vous des pistes pour porter ce sujet à une échelle qui ne soit pas uniquement française ? Nous sommes face à un réseau de criminalité organisé à l'échelle européenne et mondiale, un réseau de traite de femmes. Derrière ce business de l'argent, il y a des paradis fiscaux, des comptes offshores ... Le président de la République a évoqué à plusieurs reprises la nécessité d'élargir le mandat du procureur européen chargé des questions de cybercriminalité. J'ai assisté à une audition du commissaire européen au numérique Thierry Breton qui a des ambitions fortes au niveau européen. Je pense qu'il faut voir comment nous pouvons agir au niveau européen, en plus des propositions que vous pouvez formuler et que je soutiens.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Nous déposerons une proposition de résolution pour donner une autre caisse de résonance au rapport.

Il faut que le rapport apporte un regard nouveau sur la pornographie, pour que le regard de l'opinion change.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure . - Le fait de publier un rapport parlementaire sur ce sujet est en soi un événement.

Nos constats montrent que les problèmes sont systémiques. Rendre public le rapport ouvre déjà la possibilité de susciter une prise de conscience, en particulier chez ceux qui regardent des contenus pornographiques.

On nous a démontré lors de nos auditions la porosité entre prostitution et pornographie. Il est important de rappeler que le but recherché est de faire de l'argent, sans considération pour les conditions de tournage.

Il faut évidemment travailler au niveau européen et au niveau mondial. Il faut bien commencer quelque part, c'est ce que nous faisons.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Notre rapport sera lu à l'étranger car tout le monde a le même problème.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, co-rapporteure . - Ce travail, avec six mois d'enquête et des dizaines d'heures d'auditions sur un sujet assez tabou, a été difficile.

Nous avons deux objectifs.

Tout d'abord, nous voulons ouvrir les yeux de la société sur cette industrie et la situation des femmes. Il ne faut pas imaginer que la plupart des actrices sont consentantes. Les témoignages à huis clos de victimes étaient éclairants. La plupart du temps ce sont des femmes en grande précarité qui sont manipulées. Ce qu'on voit à l'écran est bien loin de la réalité qu'elles vivent.

Ensuite, nous voulons absolument protéger les mineurs. Il faut réguler l'accès. Des outils existent. Nous avons par exemple entendu une entreprise britannique qui a un système d'analyse faciale, qui a une marge d'erreur d'estimation de l'âge de seulement un an. Il faut maintenant que l'Arcom joue son rôle.

Il faut aussi insister sur l'importance de l'école et de l'éducation. Il n'est pas question d'aller expliquer la pornographie aux enfants mais il faut leur expliquer l'importance du respect de soi-même. Il y a des familles dans lesquelles ces sujets sont abordés mais ce n'est pas le cas de tous. L'école a un rôle à jouer, même si on lui en demande déjà beaucoup.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Je tiens à préciser que nous avons fait le choix de ne pas être sur une position réglementariste qui n'est pas réaliste.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Il faut agir à l'échelle internationale. S'il y a une proposition de résolution, il faut que ce soit une proposition de résolution européenne.

Je verrais très bien se créer une alliance de parlementaires contre la pornographie.

Le rapport sera évidemment lu à l'étranger.

Je pense qu'il faut aller très vite et très fort après la publication de ce rapport. Bravo à vous.

Mme Victoire Jasmin . - Je salue votre courage et le travail que vous avez fourni.

Le rapport de notre collègue Pierre Ouzoulias sur la vie étudiante évoquait déjà le cas de jeunes femmes qui proposent des services sexuels pour des raisons financières et je me réjouis que vous ayez creusé ce sujet.

Les enfants sont souvent plus aguerris que leurs parents en matière de technologie. Il faut donc vraiment que les parents soient sensibilisés.

Vous recommandez le recrutement de professionnels de santé formés, s'agit-il des professionnels qui sont déjà dans les établissements et quelles formations imaginez-vous ? Dans les années 2000 avait été créé un DU de sexologie. Est-ce que vous pensez que les professionnels de santé devraient suivre un tel cursus ?

J'espère que ce rapport permettra une prise de conscience à tous les niveaux.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - La médecine scolaire ferait partie du dispositif pour protéger les adolescents si elle existait réellement...

Il faut que les séances d'éducation à la vie sexuelle et affective soient mises en place. Il faut aussi que ces séances évoluent. Expliquer l'anatomie sexuelle à des adolescents déjà exposés depuis longtemps à des contenus sexuels explicites n'est sans doute pas pertinent. Il faut des programmes clairs pour éviter de trop fortes disparités dans les enseignements entre établissements.

M. Hussein Bourgi . - Merci pour le travail réalisé.

J'ai eu l'occasion de rencontrer des femmes concernées par le tournage de films pour l'un des sites que vous avez évoqué. Je les ai rencontrées avec un avocat, ainsi qu'avec des universitaires. Il y a des enjeux financiers énormes derrière ces tournages.

Depuis les années 1990, le gonzo , venu des États-Unis, est arrivé dans le porno. Il y a une forme de surenchère, il faut que les contenus soient le plus trash et le plus hard possible. Les réalisateurs français ont voulu montrer qu'ils pouvaient faire mieux ou plutôt pire que les réalisateurs américains.

Le porno a aussi évolué sous l'influence de pratiques venues du Japon, d'érotisation des collégiennes et lycéennes. De plus en plus de plateformes monnayent aujourd'hui des images de mineures.

Le rapport que vous sortez est très attendu.

Cependant, les stratégies de contournement sont déjà à l'oeuvre du fait des enjeux financiers colossaux. Elles sont de deux ordres :

- les tournages se font de moins en moins en France, à l'exception de Jacquie et Michel. Les tournages se font beaucoup en Europe de l'Est ;

- les plateformes vont se déplacer dans des pays sans encadrement législatif.

D'où la nécessité d'avoir une réflexion au niveau international. Il faut que le Gouvernement porte ce sujet qui n'apparait pas forcément prioritaire mais qui l'est. Il faut porter le sujet à travers le prisme de la protection de l'enfance pour qu'on ne nous oppose pas un pseudo objectif moralisateur.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Des spécialistes nous ont parlé de l'addiction au porno. Le porno est la drogue parfaite car gratuite et accessible à tout moment. L'addiction au porno conduit à une demande de contenus de plus en plus extrêmes, et justement de gonzo.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure . - Notre rapport montre bien que les violences sont systémiques et que les personnes recrutées pour les tournages sont des proies. Ce sont des femmes fragiles à qui on fait miroiter de l'argent facile mais qui se trouvent ensuite dans des conditions abominables.

Il faut démonter les pratiques de cette industrie au sein de laquelle les femmes ne sont pas considérées à l'égal des hommes.

Le porno normalise des relations violentes entre femmes et hommes, et non d'égale à égal.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure . - Il n'y a pas de droit sans morale, ni de société sans morale. Nous légiférons selon une morale ou des morales. Nous sommes là pour protéger la dignité de l'être humain et, en l'espèce, la dignité des femmes.

Il faut que les gens oublient le porno du passé, qui n'existe plus.

Lors d'une audition avec des réalisatrices, qui nous défendaient la possibilité d'une pornographie dite éthique, j'ai voulu évoquer l'éthique des contenus. La réalisatrice m'a répondu qu'elle ne faisait que répondre à la demande du client... Or le client veut de plus en plus de contenus extrêmes.

J'aimerais reprendre les propos d'une psychologue que nous avons entendue, qui nous expliquait que la curiosité des adolescents en matière sexuelle était normale et saine, mais que ce n'était pas normal qu'ils trouvent les réponses à leurs questions dans le porno.

Le porno colonise le cerveau de ceux qui y sont addicts, qu'ils soient mineurs ou adultes.

Mme Valérie Boyer . - Est-ce que ce rapport a évoqué le coût social et psychologique du porno ? Cela colonise effectivement les cerveaux et la sexualité. Les jeunes ont une image déformée de la sexualité avant même d'entrer dans la sexualité. Les images ont vraiment une emprise sur ceux qui sont addicts. C'est un enjeu de santé publique, c'est un fléau.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - La consommation intensive de porno a des conséquences nombreuses : des traumatismes, des troubles de l'attention, une vision déformée de la sexualité, une sexualisation précoce...

Il y a aussi des conséquences en matière de demandes de chirurgie esthétique.

Je pense que s'attaquer au porno est essentiel dans la lutte contre les violences sexuelles et conjugales. Le porno violent conduit à des comportements violents. Je pense notamment au témoignage d'une infirmière qui nous a rapporté le cas d'un couple de jeunes adolescents amoureux : lorsque ces jeunes ont décidé d'avoir une relation sexuelle complètement consentie, la jeune fille a été traumatisée car son petit ami a reproduit des pratiques qu'il avait vues dans des films porno et qu'il imaginait être la norme.

Mme Lana Tetuanui . - Merci de donner un coup de pied dans la fourmilière. Ce que vous décrivez fait froid dans le dos ! Si nous ne faisons rien, nous sommes complices d'une traite humaine. Il faut protéger les futures générations de cette industrie.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure . - Nous passons au vote sur les recommandations du rapport.

Le rapport et ses conclusions sont adoptés à l'unanimité.

S'agissant du titre, nous adoptons ce titre fort et percutant : « Porno : l'enfer du décor ».

Nous en avons donc fini avec l'examen de ce rapport d'information.

Nous espérons que vous serez les ambassadeurs de ce rapport, notamment auprès de vos groupes respectifs.

Merci à tous !

ANNEXES

1.

RECOMMANDATIONS : TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI

2.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

3.

DÉPLACEMENT

4.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES REÇUES PAR LES RAPPORTEURES

5.

CONSULTATION DU DOSSIER EN LIGNE

( rapport et comptes rendus des auditions)

6.

NOTES DE LÉGISLATION COMPARÉE :

sur l'accès des mineurs aux contenus pornographiques

sur la protection des acteurs et l'encadrement des conditions de tournage aux États-Unis

1. RECOMMANDATIONS : TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI

Objet (formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

Imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques

1

Faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique

Gouvernement,
Parquets

Lois, règlements, circulaires

2022-2023

2

Faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d'incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle)

Gouvernement,
Parlement

Code pénal

2022-2023

3

Imposer aux sites pornographiques des messages d'avertissement, concernant les contenus violents, précisant qu'il s'agit d'actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles.

Gouvernement,
Parlement

Loi

2022-2023

4

Favoriser l'émergence de plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie

Ministère de l'intérieur, forces de l'ordre

Circulaires, bonnes pratiques

2022-2023

5

Adapter au contexte spécifique des violences pornographiques les conditions d'écoute et d'accueil du numéro national 3919 dédié à la prise en charge de femmes victimes de violences

Numéro d'écoute 3919

Bonnes pratiques

2022-2023

6

Traduire dans les effectifs et les moyens matériels des services enquêteurs et des magistrats la priorité donnée à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie

Gouvernement

Loi de finances

2023, et jusqu'à la fin du quinquennat

Faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l'oubli

7

Imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite

Gouvernement,
Parlement

Loi

2022-2023

8

Assortir systématiquement les condamnations à l'encontre de producteurs de contenus pornographiques d'une disposition indiquant que toute diffusion des vidéos incriminées, sur tout support, est illégale

Gouvernement,
Parlement,
Tribunaux

Loi

2022-2023

9

Créer une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements

Ministère de l'intérieur

Mesure administrative

2022-2023

10

Imposer aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait de vidéos formulées par les personnes filmées, et non plus par les seuls propriétaires de vidéos

Gouvernement

Loi ou règlement

2022-2023

Appliquer enfin la loi sur l'interdiction d'accès des mineurs et protéger la jeunesse

11

Assermenter les agents de l'Arcom afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs

Gouvernement,
Parlement,
Arcom

Loi

2022-2023

12

Confier à l'Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs, à l'encontre des sites pornographiques accessibles aux mineurs

Gouvernement,
Parlement,
Arcom

Loi

2022-2023

13

Imposer aux sites pornographiques l'affichage d'un écran noir tant que l'âge de l'internaute n'a pas été vérifié

Arcom

Lignes directrices
de l'Arcom

2022

14

Définir, dans les lignes directrices de l'Arcom, des critères exigeants d'évaluation des solutions techniques de vérification de l'âge

Arcom

Lignes directrices
de l'Arcom

2022

15

Imposer le développement de dispositifs de vérification d'âge ayant vocation à servir d'intermédiaire entre l'internaute et les sites consultés, avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la Cnil

Arcom

Lignes directrices
de l'Arcom

2022-2023

16

Établir un processus de certification et d'évaluation indépendant des dispositifs de vérification d'âge

Gouvernement,
Anssi

Règlement

2022-2023

17

Activer par défaut le contrôle parental, lorsqu'un abonnement téléphonique est souscrit pour l'usage d'un mineur

Opérateurs
téléphoniques

Loi ou règlement

2022-2023

18

Mener une campagne de communication autour des dispositifs de contrôle parental

Gouvernement

Campagne de communication

2022-2023

Éduquer, éduquer, éduquer

19

Au niveau de chaque académie, publier une évaluation annuelle de l'application de la loi relative à l'éducation à la vie sexuelle et affective et désigner un délégué académique à l'éducation à l'égalité et à la sexualité

Gouvernement,
rectorats

Rapport

2023

20

Aborder dans le cadre des séances d'éducation à la vie sexuelle et affective les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie

Ministère
de l'éducation
nationale

Règlement ou circulaires

2022-2023

21

Recruter des professionnels de santé, formés en matière d'éducation à la santé et de conduite de projet, dans les établissements scolaires

Gouvernement,
rectorats

Lois de finances, décisions administratives

2023 et jusqu'à la fin du quinquennat

22

Faire connaître, dans les établissements scolaires et directement sur les réseaux sociaux utilisés par les adolescentes et les adolescents, les ressources accessibles pour répondre à leurs questions en matière de sexualité

Gouvernement, établissements
scolaires

Campagne de communication

2022-2023

23

Sensibiliser les parents et mener une campagne de communication autour de la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr

Gouvernement

Campagne de communication

2022-2023

2. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

JEUDI 20 JANVIER 2022

- Claire CHARLÈS

Porte-parole de l'association Les Effronté.es

- Sandrine GOLDSCHMIDT

Chargée de communication du Mouvement du Nid

- Elsa LABOURET

Porte-parole de l'association Osez le féminisme !

- Céline PIQUES

Porte-parole de l'association Osez le féminisme !

- Claire QUIDET

Présidente du Mouvement du Nid

JEUDI 27 JANVIER 2022

- Carole BIENAIMÉ BESSE

Membre de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM)

JEUDI 3 FÉVRIER 2022

- Béatrice DAMIAN-GAILLARD

Docteure HDR en sciences de l'information et de la communication, professeure à l'Université Rennes 1, chercheuse à Arènes (laboratoire CNRS)

- Julie LEONHARD

Docteur HDR en droit privé et sciences criminelles, maître de conférences à l'Université de Lorraine

- Sonny PERSEIL

Docteur HDR en science politique, chercheur au CNAM

- Florian VÖRÖS

Docteur en sociologie, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Lille, rattaché au laboratoire Geriico et à l'Institut en sciences sociales

JEUDI 17 FÉVRIER 2022

- Robin D'ANGELO

Journaliste, auteur de Judy, Lola, Sofia et moi, enquête sur le milieu du porno dit amateur

- Marie MAURISSE

Journaliste, auteure de Planète porn, enquête sur la banalisation du X

MERCREDI 9 MARS 2022

- Nikita Bellucci

Actrice, réalisatrice et productrice

- Carmina

Actrice, réalisatrice et productrice de courts métrages pornographiques alternatifs

- Liza del Sierra

Ancienne actrice, productrice et réalisatrice

- Knivy

Actrice et cam girl , membre de la commission Pornographies et webcam du Syndicat du travail sexuel (Strass)

MARDI 29 MARS 2022

- Seydi BA, Saida BENOUARI, Louise BROCHAIN, Jamila OUERGHI ET Lorraine QUESTIAUX

Avocats, accompagnés de parties civiles dans l'affaire dite French Bukkake

- Ovidie

Réalisatrice de documentaires

MERCREDI 30 MARS 2022

- Grégoire BORST

Professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation et directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant au CNRS ( LaPsyDÉ)

- Samia BOUNOURI

Infirmière scolaire en Seine-Saint-Denis, secrétaire départementale du Syndicat national des infirmier.es conseiller.es de santé (SNICS-FSU)

- Béatrice COPPER-ROYER

Psychologue clinicienne spécialisée dans l'enfance et l'adolescence, présidente de l'association e-Enfance

- Ludivine DEMOL

Chercheuse-doctorante en sciences de l'information et de la communication à l'Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis, auteure de travaux sur la consommation pornographique des jeunes

MERCREDI 30 MARS 2022

- Sophie JEHEL

Maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis, chercheuse au Centre d'études sur les médias, les technologies et l'internationalisation (CÉMTI), chercheure associée au Centre d'analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias (CARISM)

- Arthur VUATTOUX

Maître de conférences en sociologie à l'Université Sorbonne Paris Nord, membre de l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS-USPN, EHESS,CNRS, UMR 8156, Inserm U997), co-auteur de l'ouvrage Les jeunes, la sexualité et Internet

MERCREDI 27 AVRIL 2022

- Gordon CHOISEL

Président de l'association ennocence

- Olivier GÉRARD

Coordonateur du pôle « Médias-usages numériques » de l'Union nationale des associations familiales (Unaf)

- Thomas ROHMER

Président de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open)

MERCREDI 11 MAI 2022

- Grégory DORCEL

Président de la société de production Dorcel

- Matthieu CORDELIER

Avocat intervenu de manière indépendante sur le projet de charte déontologique du groupe Dorcel

- Vincent GEY

Responsable des opérations du groupe Ares, détenteur de la marque Jacquie & Michel

- Charlotte GALICHET

Avocate du groupe Ares

MERCREDI 18 MAI 2022

- Elvire ARRIGHI

Commissaire divisionnaire, chef de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), Direction centrale de la Police Judiciaire, ministère de l'intérieur

- Jean-Baptiste BALDO

Commandant de police, chef de la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) à la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité du ministère de l'intérieur

- Simon BENARD-COURBON

Substitut du procureur de la République, co-référent prostitution et traite des êtres humains des mineurs à la division de la famille et de la jeunesse (Difaje) du tribunal judiciaire de Bobigny

- Élisabeth MOIRON-BRAUD

Magistrate, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof)

MERCREDI 1 ER JUIN 2022

- Catherine BERGERET-GALLEY

Première vice-présidente de la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens (SOFCEP)

- Margot FRIED-FILLIOZAT

Sexothérapeute, intervenante en éducation sexuelle et affective

- Maria HERNANDEZ-MORA

Psychologue clinicienne spécialisée dans les addictions sexuelles et cybersexuelles, fondatrice de l'association Déclic-Sortir de la pornosphère

- Israël NISAND

Gynécologue-obstétricien

MERCREDI 8 JUIN 2022

- Guillaume BLANCHOT

Directeur général de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)

- Michel COMBOT

Directeur général de la Fédération française des télécoms (FFT)

- Julie DAWSON

Directrice des affaires réglementaires de Yoti

- Olivier ESPER

Responsable des relations institutionnelles de Google France

- Florent LABOY

Directeur adjoint du Pôle d'expertise de la régulation numérique (PEReN), structure interministérielle rattachée au ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

- Bertrand PAILHES

Directeur des technologies et de l'innovation de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil)

- Lucile PETIT

Directrice des plateformes en ligne de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)

- Arnaud VERGNES

Responsable juridique de Google France

MERCREDI 15 JUIN 2022

- Laure BECCUAU

Procureure de la République au Parquet de Paris

- Hélène COLLET

Vice-procureure de la République au Parquet de Paris

3. DÉPLACEMENT

Mardi 31 mai 2022 : visite du collège Rosa Parks de Gentilly
(Val-de-Marne)

Rencontre avec l'équipe pédagogique du collège et des élèves de 3 e

4. CONTRIBUTIONS ÉCRITES REÇUES PAR LES RAPPORTEURES

- Maître Laurent Bayon , avocat des associations e-Enfance et La Voix de l'Enfant ;

- The Poken Company .

5. CONSULTATION DU DOSSIER EN LIGNE (RAPPORT ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS)

Le lien vers le dossier « Pornographie »

http://www.senat.fr/commission/femmes/missions/pornographie.html

6. NOTES DE LÉGISLATION COMPARÉE

L'ACCÈS DES MINEURS AUX CONTENUS PORNOGRAPHIQUES

À la demande de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, la division de la législation comparée du Sénat a réalisé une étude sur les conditions d'accès des personnes mineures à la pornographie, dont les contenus en ligne, en Allemagne, en Australie et au Royaume-Uni.

Dans ces trois pays, l'accès à la pornographie est réservé aux adultes. Cependant, la diffusion de contenus à caractère pornographique sur Internet, souvent par des fournisseurs basés à l'étranger, remet en question l'effectivité de l'interdiction aux mineurs et montre, s'agissant de l'Allemagne et de l'Australie, les limites de la co-régulation entre puissance public et secteur privé.

Parmi les trois pays étudiés, seule l'Allemagne exige actuellement la mise en place d'un système de vérification pour accéder aux sites pornographiques. Après avoir écarté un tel système dans le projet de loi sur la sécurité en ligne adopté en 2021, le gouvernement australien étudie actuellement cette possibilité. Par ailleurs, au Royaume-Uni, un nouveau projet de loi instituant une obligation de restriction d'accès aux contenus pornographiques en ligne est en cours d'examen par le Parlement, après l'échec de la loi de 2017 sur l'économie numérique instituant un régulateur chargé de la vérification de l'âge.

En Allemagne, l'obligation de vérification de l'âge pour accéder à des sites pornographiques a été complétée par de nouvelles mesures de prévention concernant les plateformes en ligne interactives. Depuis 2019, les autorités régulatrices des médias de certains Länder , soutenues par la Commission à la protection de la jeunesse, ont également multiplié les recours à l'encontre des sites pornographiques afin de faire respecter l'obligation de vérification de l'âge par les sites Internet basés à l'étranger, y compris en prononçant une mesure de blocage par les fournisseurs d'accès à Internet.

L'ACCÈS DES MINEURS AUX CONTENUS PORNOGRAPHIQUES

I. L'ALLEMAGNE

En Allemagne, le droit de la protection de la jeunesse dans les médias se caractérise, d'une part, par sa complexité, inhérente au partage des compétences entre l'État fédéral et les Länder selon les différents types de médias et, d'autre part, par le recours à la co-régulation avec le secteur privé.

L'offre de contenus pornographiques aux mineurs est interdite par le code pénal. Par conséquent, l'accès à de tels contenus est, en principe, réservé à des groupes d'utilisateurs fermés, âgés de plus de 18 ans. En pratique, les contenus pornographiques sont souvent accessibles sans aucune vérification de l'âge, à partir de sites Internet ayant leur siège à l'étranger.

Face à ce constat, une révision de la loi fédérale sur la protection de la jeunesse a été adoptée en 2021 tandis qu'au niveau des Länder , des actions ont été lancées depuis 2019 pour garantir l'effectivité des normes de protection existantes.

A) LES DISPOSITIONS NORMATIVES VISANT À PROTÉGER LES JEUNES DE CERTAINS CONTENUS EN LIGNE

Aux termes de l'article 184 du code pénal allemand 66 ( * ) , l'offre et la mise à disposition de contenus pornographiques à des personnes mineures âgées de moins de 18 ans ou la diffusion de tels contenus dans un lieu accessible aux mineurs sont des délits pénaux, passibles d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à un an, ou d'une amende.

Les dispositifs de protection des mineurs face aux contenus inappropriés ou dangereux - dont les contenus pornographiques - reposent, d'une part, sur la loi fédérale relative à la protection de la jeunesse et, d'autre part, sur l'accord entre les Länder sur la protection de la dignité humaine et la protection des jeunes dans les médias audiovisuels et numériques.

1. La loi fédérale relative à la protection de la jeunesse

À l'origine, la loi fédérale du 23 juillet 2002 relative à la protection de la jeunesse 67 ( * ) traite de la protection des enfants et des adolescents dans l'espace public (restaurants, salles de jeux, etc.) et de la limitation de la diffusion de certains contenus dans les médias sur support (presse écrite, vidéos, CD Rom et DVD). Les dispositions relatives à la protection de la jeunesse face aux médias audiovisuels ( Rundfunk ) et sur Internet ( Telemedien ) sont prévues dans l'accord des Länder du 8 mars 2002 sur la protection de la dignité humaine et de la jeunesse dans les médias audiovisuels et numériques ( Jugendmedienschutz-Staatsvertrag , ci-après JMStV) 68 ( * ) . Cette distinction juridique selon le type de média s'expliquait par la répartition des compétences entre l'État fédéral et les Länder 69 ( * ) .

Conformément au contrat de coalition des partis au pouvoir (CDU/CSU et SPD) pour la 19 e législature, la loi fédérale sur la protection de la jeunesse a été amendée en 2021 en vue de l'adapter à la réalité des médias contemporains et de renforcer le niveau de protection. Constatant le phénomène de « convergence des médias » selon lequel les canaux de diffusion ne peuvent plus être distingués pour un même contenu, le champ d'application de la loi a été étendu à la diffusion des médias en ligne ( Telemedien ). La répartition des compétences a également été clarifiée : l'État fédéral est responsable de la définition du cadre général en matière de prévention et de protection de la jeunesse dans les médias, tandis que les Länder demeurent compétents pour mettre en oeuvre les mesures individuelles de suivi des contenus.

Selon l'article 15 alinéa 2 de la loi sur la protection de la jeunesse, les contenus pornographiques relèvent automatiquement de la catégorie des médias portant gravement atteinte aux jeunes. Dès lors, et ce conformément à l'article 184 du code pénal, ces contenus ne peuvent être proposés, donnés ou rendus accessibles aux enfants et adolescents mineurs dans les médias sur support et dans les médias en ligne, ainsi que dans les lieux accessibles aux jeunes et les commerces de détail.

La définition de la pornographie en droit allemand

Le concept de pornographie n'est pas défini par la loi allemande. La jurisprudence de la cour suprême fédérale ( Bundesgerichtshof , BGH) estime qu'« Une représentation doit être considérée comme pornographique si, ignorant les autres rapports humains, elle met les rapports sexuels au premier plan d'une manière grossière ou outrancière et que sa tendance générale vise exclusivement ou principalement l'intérêt du spectateur pour les choses sexuelles » (voir BGH St 23,44 ; 37,55).

Une distinction est faite par le BGH entre la pornographie dite « dure » (pornographie juvénile, animale ou violente) et la pornographie dite « simple ».

Source : KJM, Tätigkeitsbericht März 2019 - Februar 2021

La principale mesure de prévention de la diffusion de contenus pornographiques aux mineurs passe par l'obligation pour les prestataires de services de s'assurer que ces contenus ne sont accessibles qu'aux adultes, conformément à l'article 4 de l'accord entre les Länder sur la protection de la jeunesse dans les médias (voir infra ).

S'agissant plus spécifiquement des contenus accessibles sur Internet, la loi sur la protection de la jeunesse prévoit l'obligation pour les prestataires de services 70 ( * ) de mettre en place un mécanisme de plainte (§ 24a, alinéa 1) permettant aux utilisateurs de signaler toute offre non autorisée telle que définie à l'article 4 de l'accord des Länder - c'est-à-dire des contenus portant atteinte à la jeunesse, dont les contenus pornographiques - ainsi que tout contenu pouvant porter préjudice au développement de l'enfant ou de l'adolescent 71 ( * ) . Ce mécanisme de plainte recoupe en partie l'obligation prévue à l'article 3 de la loi de 2017 sur les réseaux sociaux ( Netzwerkdurchsetzungsgesetz , ci-après NetzDG) 72 ( * ) , tout en étant plus exigeante dans la mesure où il ne concerne pas seulement les contenus interdits. Cette obligation ne s'applique pas si l'offre en Allemagne compte moins d'un million d'utilisateurs.

Tenant compte de l'utilisation croissante par les enfants et les jeunes de plateformes numériques interactives, dont le contenu peut être généré par les utilisateurs eux-mêmes, l'article 24a de la loi sur la protection de la jeunesse, tel que révisé en 2021, introduit deux nouvelles mesures de prévention qui peuvent s'avérer pertinentes pour prévenir l'accès à des contenus pornographiques par des mineurs :

- la mise à disposition par le prestataire d'un système de notation des contenus audiovisuels générés par défaut par les utilisateurs, incitant ces derniers à noter la pertinence des contenus réservés aux adultes correspondant à la catégorie d'âge « plus de 18 ans » ;

- et, lorsque l'utilisateur a classé des vidéos générées automatiquement comme étant réservées aux adultes, la mise à disposition par le fournisseur de moyens techniques de vérification de l'âge pour ces contenus.

Ces obligations ne s'appliquent pas aux prestataires de services en ligne dont les offres ne s'adressent pas aux enfants et aux adolescents et ne sont généralement pas utilisés par eux (par exemple, les sites et réseaux sociaux à caractère professionnel), ni aux offres journalistiques et éditoriales, dont le prestataire est directement responsable de la création des contenus 73 ( * ) . En revanche, la révision de 2021 précise que les prestataires de services qui ne disposent pas de siège social en Allemagne - notamment les grandes plateformes internationales - sont soumis aux obligations de prévention de la loi sur la protection de la jeunesse.

L'Agence fédérale pour la protection des enfants et des adolescents dans les médias ( Bundeszentrale für Kinder- und Jugendmedienschutz , ci-après BzKJ) 74 ( * ) est principalement responsable de la tenue de la liste des médias portant atteinte à la jeunesse (§ 17a JuSchG). Depuis 2021, elle est également chargée de contrôler la mise en oeuvre et l'adéquation des mesures de prévention prises par les plateformes sur Internet (§ 24b JuSchG). Si l'Agence fédérale constate qu'un prestataire n'a pas pris de mesures de prévention ou que ces mesures sont insuffisantes, une procédure contradictoire s'engage. Si le prestataire ne donne pas suite aux demandes de l'agence à l'issue de cette phase contradictoire, la BzKJ peut ordonner des mesures conservatoires et infliger une amende pouvant aller jusqu'à 50 millions d'euros 75 ( * ) .

2. L'accord entre les Länder sur la protection de la jeunesse dans les médias

L'accord entre les Länder du 8 mars 2002 sur la protection de la jeunesse dans les médias - JMStV - a pour objectif d'offrir aux enfants et adolescents 76 ( * ) une protection uniforme sur le territoire allemand contre les offres qui entravent ou mettent en danger leur développement ou leur éducation ou violent la dignité humaine ou d'autres droits protégés par le code pénal, dans les médias audiovisuels et sur Internet.

Les nouvelles obligations introduites lors de la révision de la loi fédérale sur la protection de la jeunesse n'ont pas d'impact sur l'accord JMStV, dont les règles sont confirmées et demeurent pleinement applicables aux médias audiovisuels et en ligne.

L'accord JMStV classe les offres de contenus audiovisuels ou numériques en trois catégories :

i) les contenus interdits en toutes circonstances (§ 4 alinéa 1 JMStV). Il s'agit de contenus interdits par le code pénal, même aux adultes, comme par exemple les contenus faisant l'apologie de la violence et des discours de haine, le matériel de propagande et la pornographie enfantine, juvénile, violente et impliquant des animaux ;

ii) les contenus interdits à certains groupes (§ 4 alinéa 2 JMStV). Entrent principalement dans cette catégorie la pornographie pour adultes, les contenus classés comme réservés aux adultes en raison du risque pour le développement de l'enfant ou du jeune et les contenus figurant sur la liste des contenus portant atteinte à la jeunesse établie par l'agence fédérale BzKJ. Les fournisseurs de contenus relevant de cette catégorie doivent s'assurer qu'ils ne sont accessibles qu'aux adultes, par des groupes d'utilisateurs fermés, notamment au moyen de systèmes de vérification de l'âge (voir infra ) ;

iii) les contenus pouvant altérer le développement (§ 5 alinéa 4 JMStV). Il s'agit de contenus autorisés mais qui peuvent inhiber ou ralentir le développement des enfants ou adolescents en ce qu'ils tendent à les désorienter socialement ou sexuellement, à encourager des attitudes violentes ou à susciter des peurs excessives. Les fournisseurs de tels contenus doivent veiller à ce que les mineurs des tranches d'âge respectives ne puissent pas accéder aux contenus qui leur sont déconseillés, par exemple à l'aide de filtres ou de la limitation des horaires de diffusion.

La mise en oeuvre de l'accord JMStV repose sur un système d'« autorégulation réglementée » ( regulierte Selbstregulierung ) dans lequel les rôles sont répartis de la façon suivante :

- la Commission pour la protection de la jeunesse dans les médias ( Kommission für Jugendmedienschutz , ci-après KJM), en tant qu'instance commune aux autorités régulatrices des médias des Länder , contrôle le respect des dispositions de l'accord JMStV et propose aux autorités des Länder des mesures individuelles à prendre à l'encontre des prestataires de services audiovisuels et sur Internet. La KJM est aussi chargée de déterminer les heures de diffusion de certains contenus, d'approuver les technologies de chiffrement et de blocage, de définir les critères de reconnaissance des programmes de protection de la jeunesse et de soumettre à l'agence BzKJ des demandes d'indexation de contenus portant atteinte à la jeunesse ou interdits ;

- les entreprises prestataires de services peuvent faire appel à des organismes d'autorégulation volontaire ( Einrichtungen der Freiwilligen Selbstkontrolle ), reconnus par la KJM 77 ( * ) , afin de vérifier le contenu de leurs offres et de s'assurer du respect des règles de protection de la jeunesse (§ 19 JMStV).

Le concept « d'autorégulation réglementée »
dans le droit de la protection de la jeunesse allemand

Le système d'« autorégulation réglementée » ( regulierte Selbstregulierung ) signifie que les prestataires eux-mêmes sont responsables d'assurer la protection des enfants et des jeunes lors de la conception de leur offre. Avant de diffuser des contenus, ils doivent vérifier sous leur propre responsabilité si leur offre peut nuire au développement ou porter atteinte aux enfants et aux jeunes et prendre les mesures de protection appropriées.

Pour s'acquitter de leur responsabilité, les prestataires peuvent recourir à des organismes d'autorégulation volontaire ( Einrichtungen der Freiwilligen Selbstkontrolle ). Si les prestataires se conforment aux exigences des organismes d'autorégulation reconnus et si les décisions desdits organismes demeurent dans la marge d'appréciation qui leur est conférée par la loi, les mesures de surveillance du fournisseur par la KJM ou l'autorité régulatrice des médias du Land sont exclues.

Source : KJM, Tätigkeitsbericht März 2019 - Februar 2021

B) LA MISE EN OEUVRE DES MESURES DE LIMITATION DE L'ACCÈS À LA PORNOGRAPHIE

Selon le droit de la protection de la jeunesse, certains contenus interdits aux mineurs, comme la pornographie, ne peuvent être diffusés à la télévision ou sur Internet que s'il est garanti qu'ils ne sont accessibles qu'à un groupe fermé d'utilisateurs excluant les enfants et les adolescents. Cette garantie passe par le déploiement de systèmes de vérification de l'âge.

La Commission pour la protection de la jeunesse dans les médias (KJM), relevant des Länder , joue un rôle central dans l'évaluation des solutions techniques de vérification de l'âge ainsi que dans le contrôle du respect des normes de protection de la jeunesse. Constatant qu'en pratique de nombreux sites Internet pornographiques sont librement accessibles, la KJM a renforcé ses exigences en matière de contrôle de l'âge et lancé plusieurs procédures à l'encontre de sites et de réseaux sociaux basés à l'étranger.

L'articulation avec les nouvelles compétences de l'Agence fédérale pour la protection de la jeunesse (BzKJ) concernant les plateformes numériques constitue un enjeu important pour les prochaines années.

1. Les moyens techniques de contrôle de l'âge

L'accord JMStV ne prévoit pas de procédure pour la reconnaissance des solutions techniques de vérification de l'âge ou de restriction d'accès à des groupes fermés d'utilisateurs. C'est pourquoi la KJM a développé sa propre procédure d'évaluation positive 78 ( * ) des solutions techniques de contrôle de l'âge. Elle peut également évaluer les nouvelles solutions techniques des entreprises, à la demande de ces dernières.

Constatant le manque d'effectivité de certains systèmes, la KJM a introduit, en décembre 2019, de nouveaux critères d'évaluation des solutions techniques de vérification de l'âge, plus exigeants. Ainsi, la vérification de l'âge pour les groupes d'utilisateurs fermés doit s'effectuer en deux étapes interconnectées 79 ( * ) :

- à travers au moins une identification personnelle, permettant de vérifier la majorité. Un « contact personnel entre personnes présentes » est considéré comme nécessaire pour minimiser les risques de contrefaçon et de contournement. Ce contact personnel peut être effectué par un contrôle du visage de la personne ( face-to-face Kontroll ), avec une comparaison des données figurant sur la pièce d'identité officielle. Dans certaines conditions, il est possible de se référer à un précédent contrôle de l'âge des personnes physiques effectué lors de l'ouverture d'un compte bancaire ou la signature d'un contrat de téléphonie mobile. Dans tous les cas, une simple présentation d'une copie de la carte d'identité ou une identification par webcam ne suffit pas (à moins qu'elle ne soit assortie d'un programme permettant de comparer les données biométriques de la pièce d'identité) ;

- et une authentification lors de chaque utilisation (session). L'authentification sert à garantir que seule la personne identifiée, et dont l'âge a été vérifié, a accès à un groupe d'utilisateurs fermé et vise à rendre plus difficile la transmission des autorisations d'accès à des tiers non autorisés. En principe, une authentification par mot de passe attribué personnellement peut suffire. La KJM encourage cependant des solutions techniques limitant la transmission de l'autorisation d'accès à des tiers non autorisés (par exemple, grâce à un hardware (puce de la pièce d'identité, carte SIM) associé à un mot de passe ou un code PIN à usage unique généré par un token ) 80 ( * ) .

Au mois de mars 2022, la KJM a conclu à une évaluation positive pour 90 solutions techniques (globales ou partielles) de vérification de l'âge 81 ( * ) . Parmi ces solutions figure un logiciel d'évaluation de l'âge au moyen de l'intelligence artificielle et de l'apprentissage automatique ( maschinelles Lernen ) : à l'aide de grands ensembles de données d'images faciales, le logiciel calcule la correspondance probable entre l'âge de la personne présentée et l'âge des personnes du jeu de données. Pour une plus grande sécurité, la KJM souligne que le seuil d'accès doit être fixé cinq ans au-dessus de celui spécifié par le JMStV (par exemple, pour accéder à un contenu réservé aux personnes de plus de 18 ans, les utilisateurs doivent être reconnus par le système comme ayant au moins 23 ans) 82 ( * ) . Dans son dernier rapport d'activité, la KJM recommande le développement continu de nouvelles solutions techniques plus efficaces 83 ( * ) .

Les organismes d'autorégulation jouent également un rôle important pour aider les entreprises dans le choix et la mise en place de systèmes de vérification de l'âge fiables. Pour les sites Internet et plateformes de vidéos en ligne, l'organisme d'autorégulation réglementée des prestataires de services multimédia (FSM) propose à ses entreprises membres des tests et des certifications de contenus et de logiciels 84 ( * ) .

La KJM constate cependant que l'utilisation par les enfants et les adolescents de smartphones , pour accéder à des applications et des sites Internet, rend le contrôle parental plus difficile et que les solutions techniques de protection ne sont pas encore suffisantes 85 ( * ) . Ceci a conduit la commission à envisager des instruments d'application de la loi inédits, pouvant aller jusqu'à des mesures de blocage d'accès de sites à l'encontre de fournisseurs d'accès à Internet.

2. Le contrôle exercé par la Commission pour la protection de la jeunesse (KJM)

Depuis 2019, la KJM a renforcé son action de surveillance, en partie déléguée au centre d'expertise jugendschutz.net , commun à l'État fédéral et aux Länder 86 ( * ) . Les procédures initiées par les autorités régulatrices de certains Länder ont conduit la KJM à lancer des procédures à l'encontre de plusieurs grandes plateformes de vidéos pornographiques et de réseaux sociaux dont le siège se situe à l'étranger.

En juin 2020, la KJM a statué sur trois procédures, lancées par l'autorité régulatrice des médias de Rhénanie-du-Nord-Westphalie contre des sites pornographiques basés à Chypre 87 ( * ) . Dans les trois cas, la KJM a constaté des violations des dispositions du JMStV, ces sites offrant des contenus pornographiques librement accessibles sans garantir que les enfants et les jeunes n'y ont pas accès. La KJM a par conséquent interdit la diffusion de ces offres sous leur forme actuelle. Selon le président de la KJM, « l'autorité régulatrice des médias de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a déjà parcouru un long chemin en informant et en consultant une grande variété d'acteurs nationaux et étrangers. Ceci comprenait une audition des fournisseurs, en coordination avec le régulateur des médias chypriote. Si, malgré les décisions désormais prises par la KJM, il n'est toujours pas possible de convaincre les prestataires d'adapter leurs offres de manière conforme à la loi, la KJM est prête à poursuivre dans cette voie et à épuiser toutes les voies de recours disponibles. Il est inacceptable que des fournisseurs d'une telle portée, qui s'adressent spécifiquement à un public allemand, ignorent la loi allemande malgré la mise en danger évidente des enfants et des jeunes » 88 ( * ) .

En novembre 2021, le tribunal administratif de Düsseldorf a confirmé la compétence de la KJM pour prononcer cette mesure d'interdiction. Les fournisseurs avaient argué du fait que le siège des plateformes étant basé à Chypre, et non en Allemagne, les normes de protection de la jeunesse allemande ne trouvaient pas à s'appliquer. Le juge, à l'inverse, a estimé que le principe du pays d'origine ne trouvait exceptionnellement pas à s'appliquer, sous peine d'augmenter sensiblement le risque d'accès des mineurs aux contenus pornographiques 89 ( * ) . Face à l'inaction de certains de ces prestataires de sites Internet, la KJM a introduit un nouveau recours devant le tribunal administratif supérieur (OVG) de Münster, actuellement pendant.

En outre, la KJM a décidé, en mars 2022, d'une mesure de blocage par les fournisseurs d'accès à Internet à l'encontre du site pornographique le plus utilisé en Allemagne, xHamster . Elle fait suite à une première décision de mars 2020, à la suite de laquelle l'autorité régulatrice des médias de Rhénanie-du-Nord-Westphalie avait demandé à la société Hammy Media Ltd basée à Chypre et fournisseur de xHamster , de rendre le site conforme à la loi et d'effectuer un contrôle de l'âge des utilisateurs. En l'absence de mise en conformité, la KJM a demandé aux autorités régulatrices des Länder où la société dispose de représentants d'ordonner des mesures de blocage du site aux cinq principaux fournisseurs d'accès à Internet en Allemagne 90 ( * ) . Pour la KJM, cette mesure de blocage constitue un moyen de dernier recours qui a vocation à agir comme un signal vis-à-vis des autres fournisseurs de contenus pornographiques. « L'objectif de cette approche, au moins à moyen terme, est la mise en conformité des sites pornographiques - c'est-à-dire d'établir de nouveaux standards pour cette branche. Les interdictions d'accès sont des mesures qui ne peuvent être indifférentes aux sociétés pornographiques et qui contribuent à exercer une pression pour qu'elles vérifient l'âge de leurs utilisateurs » 91 ( * ) . Selon certains médias spécialisés, le fournisseur de la plateforme pornographique a contourné ce blocage en changeant simplement le nom de domaine pour l'Allemagne (.deu ou lieu de .de), la décision du régulateur allemand ne s'appliquant pas automatiquement à tous les domaines distribuant des contenus identiques (contrairement au droit applicable en matière de droits d'auteurs).

Détail de la procédure initiée par l'autorité régulatrice des médias
de Rhénanie-du-Nord-Westphalie à l'encontre de sites pornographiques

« Selon le principe de la responsabilité graduée, une procédure est d'abord ouverte contre le fournisseur de contenus . Si celui-ci est basé dans un autre pays européen, le responsable des affaires européennes de la conférence des directeurs des autorités régulatrices des médias des Länder allemands (DLM) doit d'abord contacter le régulateur des médias étranger responsable avant toute intervention de l'autorité des médias du Land compétent. La Commission européenne est également impliquée dans ces procédures .

« Si le fournisseur de contenu ne peut être identifié ou qu'un acte administratif définitif contre lui ne peut y être exécuté en raison de son siège social à l'étranger, l'étape suivante consiste à intenter une action contre l'hébergeur .

« Conformément au § 2 de la loi sur les médias en ligne (TMG), est également responsable en tant que fournisseur de services toute personne juridique qui se contente de mettre à disposition des contenus numériques étrangers. Selon le § 20 (4) du JMStV, en lien avec le § 7 (3) TMG, les prestataires de services sont responsables de la suppression des informations ou du blocage de l'utilisation des informations ordonnés par l'administration, même s'ils n'avaient (jusqu'à présent) aucune connaissance de l'activité illégale. Les principes de responsabilité de l'article 14 de la directive 2000/31/CE (E-Commerce) ont été transposés au § 10 TMG. Conformément au § 20 paragraphe 1 et 4 JMStV, en lien avec le § 109 de l'accord entre les Länder sur les médias (MStV), les autorités régulatrices des Länder peuvent également prendre des mesures contre le prestataire de services pour bloquer les contenus de tiers conformément au § 10 TMG, à condition que le blocage soit techniquement possible et raisonnable et que les mesures à l'encontre du fournisseur de contenus soient irréalisables ou aient peu de chance d'aboutir .

« Étant donné que les hébergeurs sont, eux aussi, principalement basés dans d'autres pays européens, le responsable des affaires européennes de la DLM doit au préalable contacter ou consulter le régulateur des médias étranger responsable ainsi que la Commission européenne .

« Si les poursuites contre l'hébergeur n'aboutissent pas non plus, les autorités régulatrices des Länder doivent prendre en dernier ressort des mesures contre les fournisseurs d'accès à Internet afin qu'ils rendent l'accès aux sites Internet illégaux beaucoup plus difficile grâce à un blocage DSN et protègent ainsi les enfants et les adolescents de contenus inadaptés .

« Afin d'agir efficacement contre le danger, les autorités régulatrices contactent d'abord les cinq plus gros fournisseurs d'accès en Allemagne (...). Les poursuites contre les autres fournisseurs d'accès suivront graduellement . »

Source : KJM, Tätigkeitsbericht März 2019 - Februar 2021

Outre les actions à l'encontre de sites pornographiques, la KJM et les autorités régulatrices des médias des Länder de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et du Schleswig-Holstein ont pris, en 2020, des mesures contre plusieurs profils diffusant des contenus pornographiques sur le réseau social Twitter . Les détenteurs de ces profils n'ayant pu être identifiés, les autorités régulatrices des médias ont tenu Twitter responsable en tant qu'hébergeur. Twitter s'est par la suite assuré que ces profils ne puissent plus être consultés par les utilisateurs dont le profil est paramétré en Allemagne.

L'information des parents sur les solutions techniques
de filtrage des appareils et des sites Internet

Les paramètres de protection des enfants et de filtrage sur les ordinateurs, smartphones , sites Internet et applications étant très variés et souvent difficiles à trouver pour les parents, les autorités régulatrices des médias de Brême, Bade-Wurtemberg et de Mecklembourg-Poméranie ont créé un portail Internet ( medien-kindersicher.de ) informant les parents sur les solutions techniques de filtrage pour enfants, pour les différents types et marques d'appareils et les principaux fournisseurs de contenus.

3. Les actions de l'Agence fédérale pour la protection de la jeunesse dans les médias (BzKJ)

À la suite de la révision de la loi fédérale sur la protection de la jeunesse, la nouvelle Agence fédérale pour la protection des enfants et des adolescents dans les médias (BzKJ) a vu ses compétences et ses moyens renforcés. Un an après l'entrée en vigueur de la loi, le recul demeure insuffisant pour apprécier l'efficacité des nouvelles dispositions, notamment les obligations concernant les contenus vidéo générés automatiquement sur Internet.

Le directeur de l'agence constatait, en mai 2022, que l'agence devait poursuivre le développement des liens et du dialogue avec les fournisseurs de contenus et les différents acteurs impliqués dans la protection des enfants et des jeunes dans les médias, en particulier la KJM, les organismes d'autorégulation volontaire et le centre jugendschutz.net .

Afin de servir de base à ce processus de dialogue, la BzKJ a publié, en mai 2022, une deuxième édition de l'atlas sur les dangers pour les enfants et les adolescents dans le monde numérique. La pornographie sur Internet y est identifiée comme l'un des dangers auxquels la jeunesse est confrontée. Selon des enquêtes réalisées en 2018, environ 2 % à 6 % des enfants entre 6 ans et 13 ans interrogés avaient été confrontés au moins une fois à des contenus pornographiques sur Internet. Chez les adolescents, 32 % des 14-15 ans et 47 % des 16-17 ans avaient vu au moins une fois une vidéo à caractère pornographique 92 ( * ) .

II. L'AUSTRALIE

Le gouvernement australien considère que « l'accès des mineurs à des services et contenus en ligne inappropriés pour leur âge ou potentiellement dangereux est une préoccupation majeure en matière de sécurité en ligne pour la communauté australienne » 93 ( * ) .

En 2017, une enquête menée par l'Institut australien des études familiales a indiqué que près de la moitié des enfants âgés de 9 à 16 ans étaient régulièrement exposés à des images sexuelles. En 2018, le Bureau du commissaire à la sécurité en ligne ( eSafety Commissioner ) a publié un rapport intitulé Parentalité et pornographie : les résultats de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni , selon lequel 33 % des parents ont indiqué que l'accès à la pornographie était l'une de leurs principales préoccupations pour la sécurité en ligne des enfants. Ce rapport a également estimé que 40 % des expositions des mineurs à la pornographie était accidentelle.

Pourtant, la production et la vente de films pornographiques ou le chargement de telles vidéos sur Internet sont interdits dans la plupart des États australiens. Dans ces États, le visionnage de contenus pornographiques classiques, hébergés sur des serveurs étrangers, n'est toutefois pas illégal.

Afin de minimiser l'accès des enfants et adolescents aux contenus inappropriés et potentiellement dangereux, dont les contenus pornographiques, l'Australie a adopté, en 2021, une nouvelle loi sur la sécurité en ligne. L'approche retenue continue de reposer sur la co-régulation, tout en renforçant les pouvoirs du commissaire à la sécurité en ligne. S'agissant des contenus pornographiques, une proposition de mise en place d'un système obligatoire de vérification de l'âge est attendue en décembre 2022.

A. LA LOI SUR LA SÉCURITÉ EN LIGNE

Une nouvelle loi sur la sécurité en ligne ( Online Safety Act ) a été adoptée en 2021 et est entrée en vigueur le 23 janvier 2022 94 ( * ) . Elle complète et renforce les dispositions de la loi de 2015 ( Enhancing Online Safety Act 2015 ) et certaines parties de la loi sur les services audiovisuels de 1992 ( Broadcasting Services Act 1992 ). Elle modernise le système de classification des contenus en ligne, oblige les entreprises du numérique à adopter des codes de conduite règlementant l'accès aux contenus potentiellement dangereux et renforce les pouvoirs du commissaire à la sécurité en ligne « eSafety ».

1. La classification des contenus en ligne

Selon la loi sur la sécurité en ligne ( Part 9, Division 1 ) 95 ( * ) , les contenus en ligne illégaux et à accès restreint ( illegal and restricted online content ) désignent un large ensemble de contenus allant des contenus les plus dangereux, comme les images d'abus sexuel sur des enfants ou de terrorisme, à des contenus moins graves mais qui ne devraient pas être accessibles à des mineurs. Ils sont classés par référence au système national de classification ( National Classification Scheme 96 ( * ) ) qui s'applique aux films, publications et jeux informatiques. Ainsi :

- la « classe 1 » correspond aux contenus dont la classification serait refusée dans le système national ( Refused Classification, RC ), comme par exemple les contenus montrant des scènes de sexe, de toxicomanie, de crime, de cruauté, de violence ou des phénomènes révoltants ou odieux enfreignant les normes de moralité, de décence et de bienséance généralement admises par des adultes raisonnables, les contenus dépeignant de façon offensante une personne qui est ou semble être un mineur de moins de 18 ans (en particulier, les contenus pédopornographiques) ou encore les contenus incitants au crime ou à la violence ;

- la « classe 2 » est elle-même subdivisée en deux sous-catégories, à savoir la classe 2A comprenant les contenus classés X18+ (montrant des scènes d'activité sexuelle non simulée entre adultes consentants, c'est-à-dire de la pornographie dite mainstream ), et la classe 2B comprenant des contenus classés R18+ (représentations d'activités sexuelles simulées, de nudité, de violence ou de consommation de drogue) 97 ( * ) , en vertu du système de classification nationale. Les contenus de classe 2 sont considérés comme inappropriés pour le grand public et/ou pour les enfants et adolescents de moins de 18 ans. Les films et vidéos classés X18+ sont interdits à la vente et à la location dans tous les États australiens, à l'exception du Territoire de la Capitale australienne (Canberra) et du Territoire du Nord 98 ( * ) . Dans tous les États, le fait de regarder des contenus pornographiques en ligne n'est cependant pas répréhensible pour les adultes.

Le ministre compétent en matière de télécommunications peut adopter des « attentes minimales en matière de sécurité en ligne » ( Basic Online Safety Expectations, Online Safety Act, Part 4 ) précisant les attentes à l'égard des fournisseurs de services sur Internet. Il est notamment attendu que ceux-ci « adoptent des mesures raisonnables pour minimiser l'accès à des contenus de classe 1 (...) » et, s'agissant des contenus de classe 2, « pour s'assurer que des mesures technologiques ou d'une autre nature sont mises en place pour restreindre l'accès des enfants à ces contenus » 99 ( * ) . La loi ne rend pas obligatoire la mise en place d'un système de restriction d'accès ou de vérification de l'âge pour les contenus de classe 2, ni ne prescrit de solution technique spécifique mais attend que les entreprises du numérique concernées adoptent des mesures minimales 100 ( * ) . De plus, elle donne au commissaire à la sécurité en ligne le pouvoir d'ordonner la mise en place d'un système d'accès restreint pour des contenus de classe 2B (c'est-à-dire inappropriés pour les moins de 18 ans) hébergés en Australie ( cf . infra ).

2. L'adoption de codes de conduite par l'industrie

Dans le modèle australien, la restriction de l'accès aux contenus pornographiques en ligne passe principalement par la co-régulation entre les acteurs privés et les autorités gouvernementales. La loi sur la sécurité en ligne ( Part 9, Division 7 ) exige que les différentes branches de l'industrie numérique 101 ( * ) élaborent et adoptent de nouveaux codes de conduite pour prévenir ou limiter la diffusion de contenus potentiellement dangereux. Les codes de conduite et standards préexistants, adoptés en application de la loi sur les services audiovisuels de 1992, étaient en effet considérés comme dépassés, trop limités dans leur champ d'application et mal ou insuffisamment mis en oeuvre 102 ( * ) .

Ces codes de conduite doivent être enregistrés auprès du commissaire pour la sécurité en ligne eSafety . Les associations d'entreprises peuvent adopter une approche graduelle consistant à adopter d'abord le code relatif aux contenus les plus dangereux (classe 1) d'ici juillet 2022, puis les codes relatifs aux contenus inappropriés pour les enfants (classe 2) d'ici décembre 2022 103 ( * ) .

Suivant une approche fondée sur l'obligation de résultat plutôt que sur l'obligation de moyens, la loi sur la sécurité en ligne ne prescrit pas le contenu des codes de conduite mais fournit une longue liste d'exemples des questions pouvant y être traitées. Celles-ci entrent globalement dans trois catégories : i) les mesures visant à créer et à maintenir un environnement en ligne sûr ; ii) les mesures visant à donner les moyens aux usagers de gérer l'accès aux contenus de classe 1 et de classe 2 ; iii) les mesures relatives à la transparence et à la responsabilité.

Le commissaire à la sécurité en ligne eSafety a publié onze recommandations, à l'aune desquelles il procède à l'enregistrement des codes de conduite, ainsi que des modèles de codes et des exemples de mesures attendues pour atteindre les résultats fixés. Dans la mesure du possible, les codes doivent « donner aux adultes australiens l'autonomie et le contrôle sur le contenu en ligne auquel ils peuvent accéder, qu'ils peuvent créer et partager » 104 ( * ) .

Les recommandations de eSafety pour l'élaboration
des codes de conduite par l'industrie du numérique

Contenu des codes

1. Les codes traitent des problèmes d'accès, d'exposition et de distribution des contenus de classe 1 et de classe 2.

2. L'application des codes ne doit pas être limitée aux services fournis à partir de l'Australie.

Conception des codes

3. Les associations de l'industrie élaborent un ensemble de principes de rédaction communs afin de faciliter l'élaboration des codes.

4. Les codes adoptent une approche réglementaire fondée sur les résultats et les risques, soutenue par des mesures de mise en conformité claire, s'appliquant aux acteurs de l'industrie dont les services ou appareils présentent le plus grand risque en ce qui concerne les contenus de classe 1 et de classe 2.

Élaboration des codes

5. Les associations de l'industrie préparent tous les codes pour un enregistrement d'ici juillet 2022 ou adoptent une approche progressive dans l'élaboration des codes. Dans le cadre de l'approche progressive, les codes traitant des contenus les plus dangereux doivent être déposés d'ici juillet 2022 et ceux traitant des contenus inappropriés pour les enfants d'ici décembre 2022.

6. Les associations de l'industrie limitent le nombre de codes élaborés.

Enregistrement des codes

7. Les associations de l'industrie s'engagent largement dans un dialogue avec les entreprises des branches du secteur afin de s'assurer qu'elles représentent de façon adéquate chaque branche couverte par un code.

8. Les associations de l'industrie mènent des consultations significatives auprès de l'industrie et du public.

9. Les associations de l'industrie engagement un dialogue avec eSafety tout au long du processus d'élaboration des codes.

Conformité et mise en oeuvre

10. Les participants de l'industrie traitent en premier ressort les rapports et les plaintes concernant les contenus de classe 1 et de classe 2 et la conformité aux codes. eSafety agira comme un « filet de sécurité » si la résolution d'une plainte n'est pas satisfaisante.

11. Les codes incluent une clause de révision (par exemple, douze mois après leur adoption, puis tous les trois ans).

Source : eSafety, Industry Codes position paper, 2021

Concernant les moyens pour prévenir l'accès ou l'exposition des enfants à des contenus de classe 2 (dont les contenus pornographiques), eSafety cite les mesures suivantes : la mise en place de systèmes de vérification de l'âge, l'activation par défaut de paramètres de sécurité comme le mode de recherche sécurisée ou des procédures d'évaluation des risques et des impacts sur la sécurité qui tiennent spécifiquement compte des utilisateurs de moins de 18 ans. Pour ce qui concerne les hébergeurs de contenus de classe 2 en Australie, eSafety évoque comme mesures la conclusion avec les clients de contrats stipulant les exigences d'hébergement, la mise en place de fonctionnalités de signalement et de technologies de « hachage » 105 ( * ) efficaces.

Les entreprises du numérique sont responsables de la mise en oeuvre des codes de conduite et doivent traiter en premier ressort les plaintes des usagers. eSafety peut également recevoir des plaintes et enquêter sur d'éventuelles violations des codes ( cf . infra ).

Parallèlement, eSafety encourage les entreprises à adopter de façon volontaire l'initiative « sécurité par la conception » ( Safety by Design initiative ) qui leur permet d'évaluer les risques pour la sécurité de leurs utilisateurs et, le cas échéant, leur propose des moyens pour améliorer celle-ci 106 ( * ) .

3. Les pouvoirs du commissaire à la sécurité en ligne « eSafety »

Créé en 2015, initialement uniquement pour les enfants, le commissaire à la sécurité en ligne eSafety est une agence gouvernementale indépendante spécifiquement dédiée à la sécurité en ligne. Son champ de compétences fut étendu aux adultes en 2017 et ses pouvoirs ont été significativement renforcés par la loi sur la sécurité en ligne de 2021. Outre ses rôles de coordination et de conseil auprès des entreprises et des citoyens, eSafety gère quatre mécanismes de plainte ou de signalement de contenus préjudiciables en ligne :

- un mécanisme anti-harcèlement en ligne ( cyberbullying ) pour les Australiens âgés de moins de 18 ans ;

- un mécanisme de plainte contre les abus en ligne ouvert aux adultes (nouvellement créé par la loi sur la sécurité en ligne de 2021) ;

- un mécanisme de plainte concernant les images intimes mises en ligne sans le consentement de la personne ( image-based abuse ) ;

- et un mécanisme de signalement et d'enquête concernant les contenus en ligne illégaux et restreints potentiellement dangereux (contenus de classe 1 et de classe 2).

Concernant les contenus illégaux et restreints, eSafety dispose de trois moyens gradués de mise en conformité ( Online Safety Act, Part 9, Divisions 3-4 ). L'agence peut émettre :

- des notifications informant les fournisseurs de services en ligne (réseaux sociaux ou autre service sur Internet) que eSafety a connaissance de la diffusion de contenus illégaux ou restreints, de classe 1 (contenus interdits), de classe 2A (pornographie sans violence) ou de classe 2B (contenus présentant des scènes de nudité, violence ou de drogue inappropriés pour les moins de 18 ans), à deux reprises ou plus au cours des douze derniers mois. Ces notifications ont un caractère informel et l'absence de réponse par les entreprises concernées n'entraîne aucune pénalité ;

- des demandes de retrait ( removal notice ) pour les contenus de classe 1 ou de classe 2A. Ces avis sont émis à la discrétion d' eSafety et peuvent être adressés au fournisseur ou à l'hébergeur de services en ligne. L'absence de mise en conformité, dans les 24 heures ou dans un délai plus long précisé par eSafety , peut entraîner une amende pouvant aller jusqu'à 500 unités de pénalités (111 000 dollars australiens, soit 74 495 euros) ;

- des demandes de mesure correctrice ( remedial notice ) exigeant de la part du fournisseur de service ou de l'hébergeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour retirer les contenus de classe 2B disponibles sur son service ou mettre en place un système d'accès restreint, dans un délai de 24 heures ou plus défini par eSafety . La loi sur la sécurité en ligne de 2021 donne à eSafety le pouvoir de déterminer ce que constitue un système d'accès restreint. L'agence a publié sa décision en la matière en janvier 2022 107 ( * ) . En cas de non-respect de la décision, l'entreprise est passible d'une amende pouvant s'élever jusqu'à 500 unités de pénalités.

La définition des « systèmes d'accès restreint »
(Restricted Access Systems)

En application de la loi sur la sécurité en ligne, eSafety a adopté, en janvier 2022, une décision précisant les exigences minimales pour qu'un système soit reconnu comme un système d'accès restreint en vertu de la loi australienne :

« Le système de contrôle d'accès doit :

- exiger une demande d'accès au contenu et une déclaration du demandeur attestant qu'il est âgé d'au moins 18 ans ; et

- fournir des avertissements quant à la nature du contenu ; et

- fournir des informations de sécurité aux parents et aux tuteurs sur la manière de contrôler l'accès au contenu ; et

- intégrer des mesures raisonnables pour confirmer qu'un demandeur est âgé d'au moins 18 ans ; et

- limiter l'accès au contenu à moins que certaines étapes ne soient respectées, ce qui peut inclure l'utilisation d'un code PIN . »

Source : Online Safety (Restricted Access Systems) Declaration 2022

La loi sur la sécurité en ligne de 2021 donne également à eSafety le pouvoir de prononcer des demandes de suppression de liens ou de suppression d'applications donnant accès à des contenus de classe 1 (illicites), et ce, y compris pour les contenus diffusés ou hébergés depuis l'étranger et accessibles à des Australiens, ce qui constitue une nouveauté.

La portée des pouvoirs du commissaire à la sécurité en ligne concernant les contenus pornographiques (2A) ou inappropriés pour les moins de 18 ans (2B) est plus limitée. Les demandes de retrait ou mesures correctrices relatives à ce type de contenus ne peuvent concerner que les services fournis à partir de l'Australie 108 ( * ) . Les sites Internet ou services fournis depuis l'étranger ne sont pas concernés.

Selon le rapport annuel d'activité de eSafety pour 2020-2021, l'action de l'agence s'est concentrée sur les contenus illicites (classe 1), en particulier ceux à caractère pédopornographique 109 ( * ) (14 633 enquêtes réalisées en 2020-2021 pour des contenus de classe 1, dont 98 % présentant des scènes d'abus sexuel d'enfants) 110 ( * ) . À la suite de ces enquêtes, il a été mis en évidence que deux contenus étaient hébergés en Australie, ce qui a donné lieu à une demande de retrait. Les autres contenus potentiellement interdits hébergés à l'étranger sont notifiés aux fournisseurs de filtres parentaux (appartenant au Family Friendly Filter scheme ) afin que l'accès à ces contenus soit bloqué pour les utilisateurs des filtres. Les contenus à caractère plus grave sont signalés aux forces de l'ordre. En revanche, le rapport ne fait pas état de décisions ou d'enquêtes d' eSafety concernant des contenus pornographiques en 2020-2021.

B. LE PROJET D'INTRODUCTION D'UN SYSTÈME DE VÉRIFICATION DE L'ÂGE POUR LA PORNOGRAPHIE

La loi sur la sécurité en ligne de 2021 ne prévoit pas l'introduction obligatoire d'un système de vérification de l'âge pour les contenus pornographiques. Cette question avait été débattue lors des travaux préparatoires au projet de loi. Le gouvernement avait néanmoins conclu que des analyses plus approfondies étaient nécessaires pour mettre en oeuvre un tel système en Australie 111 ( * ) .

Dans une contribution remise en novembre 2019 à la Chambre des Représentants, le commissaire à la sécurité en ligne eSafety avait recommandé de développer au préalable un écosystème numérique adéquat et d'adopter une approche proportionnée 112 ( * ) . « La vérification de l'âge est une solution possible pour traiter et minimiser l'accès des enfants et des jeunes à la pornographie en ligne. Cependant, pour résoudre efficacement le problème, il faudra une combinaison et une superposition de solutions technologiques » 113 ( * ) , comme le filtrage, le blocage par les fournisseurs d'accès à Internet, la sécurisation des réseaux Wifi ou des fonctionnalités de recherche sécurisée au sein des plateformes de contenus.

En mars 2020, la commission de la politique sociale et des affaires juridiques de la Chambre des Représentants a rendu un rapport, intitulé Protéger l'âge de l'innocence , sur la vérification de l'âge pour les paris et la pornographie en ligne 114 ( * ) . Dans ce rapport, les députés recommandent au gouvernement de charger le commissaire à la sécurité en ligne eSafety de l'élaboration rapide d'une feuille de route pour la mise en oeuvre d'un système obligatoire de vérification de l'âge. Cette recommandation a été soutenue par le gouvernement qui a officiellement demandé à eSafety , en juin 2021, de préparer cette feuille de route 115 ( * ) .

L'agence eSafety a réalisé, entre novembre 2021 et février 2022, une première phase de consultation de l'ensemble des parties prenantes (industries du divertissement pour adultes et du travail du sexe, plateformes et services en lignes, fournisseurs d'accès à Internet, chercheurs, ONG de défense du bien-être des enfants, de défense des droits numériques, etc.) et lancé un appel à témoins 116 ( * ) . Ces travaux devraient s'achever en décembre 2022 avec la remise au gouvernement du rapport final. Selon la presse, les principales options technologiques envisagées par eSafety seraient les technologies de reconnaissance faciale et le programme d'identité numérique développé par l'Agence fédérale de transformation numérique ( Digital Transformation Agency ( DTA )) 117 ( * ) . Ce programme intitulé Trusted Digital Identity Framework ( TDIF ), déjà utilisé pour l'accès aux sites et services gouvernementaux, est actuellement en cours d'expérimentation pour restreindre l'accès aux jeux et à la vente d'alcool en ligne aux plus de 18 ans 118 ( * ) .

III. LE ROYAUME-UNI

Le Royaume-Uni tente depuis plusieurs années de limiter, voire d'empêcher, l'accès des enfants aux contenus pornographiques.

En 2016, le ministère du numérique, de la culture, des médias et des sports avait ouvert une consultation sur la mise en place d'un dispositif de vérification de l'âge sur Internet. Le résultat de cette consultation montrait que les avis étaient partagés, avec 44 % des répondants en faveur d'un tel dispositif et 48 % qui y étaient défavorables.

Le gouvernement britannique a toutefois conclu que « ne rien faire » n'était pas une option et que la vérification de l'âge, bien que « n'étant pas une panacée » 119 ( * ) , serait introduite via le projet de loi sur l'économie numérique.

Votée en 2017, la partie de cette loi sur la vérification de l'âge pour l'accès aux contenus pornographiques en ligne n'est pas entrée en vigueur. Un nouveau projet de loi, répondant aux mêmes objectifs, est actuellement en cours de discussion au parlement britannique.

A. LA TENTATIVE D'ENCADREMENT PAR LA LOI SUR L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

Le Royaume-Uni a adopté en 2017 la loi sur l'économie numérique ( Digital Economy Act ) 120 ( * ) , dont l'un des objectifs consistait à limiter l'accès à la pornographie en ligne. La partie concernée de cette loi n'est cependant jamais entrée en vigueur.

1. Les dispositions de la loi sur l'économie numérique

La troisième partie de la loi sur l'économie numérique impose l'obligation aux sites Internet pornographiques commerciaux d'empêcher l'accès des mineurs.

Pour contrôler cette obligation, la loi institue un régulateur chargé de la vérification de l'âge ( age-verification regulator ), désigné par le secrétaire d'État, après une procédure parlementaire de validation. Cette fonction peut également être occupée par plusieurs personnes conjointement.

Le régulateur a le pouvoir :

- d'exiger des informations de la part d'un fournisseur de contenu Internet ou de toute personne que le régulateur estime être impliquée dans la mise à disposition de matériel pornographique sur Internet à des fins commerciales au Royaume-Uni ;

- d'imposer des pénalités financières s'il estime que quelqu'un contrevient ou a contrevenu aux dispositions ou n'a pas satisfait à une obligation de fournir des informations. Cette pénalité ne peut être imposée si la faute a cessé et au-delà d'un délai de trois ans après sa commission. Le montant de la pénalité est fixé par le régulateur au niveau qu'il estime approprié. Il ne peut cependant pas excéder 250 000 livres (plus de 295 000 euros) ou 5 % du chiffre d'affaires admissible de la personne, selon ce qui est le plus élevé ;

- de notifier une contravention aux prestataires de services en matière de paiement (à l'instar de PayPal ) et aux prestataires de services annexes, si ce tiers intervient dans le transfert des fonds dans le cadre d'un paiement pour l'accès à du matériel pornographique ou à du matériel interdit mis à disposition sur Internet par la personne contrevenante ;

- d'ordonner aux fournisseurs de services Internet de bloquer l'accès au matériel. L'avis émis doit (i) identifier la personne contrevenante ; (ii) indiquer l'infraction commise ; (iii) demander au fournisseur de services Internet de prendre les mesures précisées dans l'avis ou de mettre en place des dispositions qui paraissent appropriées au fournisseur afin d'empêcher l'accès au matériel incriminé ; (iv) fournir toute information susceptible d'aider le fournisseur d'accès à Internet à se conformer à l'avis ; (v) fournir des informations sur les modalités de recours ; (vi) fournir tout autre détail que le régulateur juge approprié.

Le fournisseur d'accès doit se conformer à toute exigence qu'il reçoit de la part du régulateur. Ce dernier doit cependant, au préalable, informer le secrétaire d'État et la personne contrevenante dans un avis motivé.

2. Un dispositif jamais mis en application

Si la loi a reçu la sanction royale ( royal assent ) en avril 2017, la partie 3 n'a cependant pas réellement été mise en application.

En février 2018, le secrétaire d'État a désigné le British Board of Film Classification ( BBFC ) comme régulateur chargé de la vérification de l'âge. Dans l'exercice de ses fonctions, le BBFC était censé : (i) émettre des notifications exigeant des informations de la part des fournisseurs d'accès à Internet ou de toute autre personne impliquée dans la mise à disposition de pornographie en ligne au Royaume-Uni ; (ii) émettre des mises en demeure lorsqu'une personne a contrevenu aux dispositions de la loi ; (iii) notifier les prestataires de services de paiement et les prestataires de services auxiliaires lorsqu'une personne a enfreint les dispositions de la loi ou mis en ligne du matériel pornographique extrême au Royaume-Uni ; (iv) émettre des mises en demeure aux fournisseurs d'accès à Internet leur demandant de bloquer l'accès lorsqu'une personne a enfreint les dispositions de la loi ou rendu du matériel pornographique extrême disponible en ligne au Royaume-Uni ; (v) publier un rapport sur l'impact et l'efficacité de la vérification de l'âge ; (vi) publier des lignes directrices sur les dispositifs de vérification de l'âge.

Le BBFC a ainsi publié en octobre 2018 des lignes directrices en matière de vérification de l'âge, dans lesquelles il énonçait les critères d'évaluation de la conformité aux exigences de la loi de 2017. Dans ces lignes directrices, le BBFC indiquait qu'il comptait adopter une « approche réglementaire proportionnée ». Il précisait également, s'agissant des normes en matière de vérification de l'âge, qu'« une gamme de solutions pour vérifier l'âge en ligne est actuellement disponible sur les services de pornographie hébergés au Royaume-Uni. Ces solutions s'appuient sur de nombreux ensembles de données, notamment la vérification de l'âge des cartes de crédit, des passeports, des permis de conduire et des téléphones portables. La vérification de l'âge est le plus souvent fournie par des prestataires tiers » 121 ( * ) .

Le BBFC précisait également les critères à partir desquels il examinerait si un dispositif de vérification de l'âge était conforme aux dispositions de la loi de 2017, à savoir :

- l'existence d'un mécanisme de contrôle efficace vérifiant que l'utilisateur final est âgé de 18 ans ou plus au moment de l'inscription ou de l'accès au contenu pornographique ;

- l'utilisation de données pour vérifier l'âge qui ne peuvent ni être raisonnablement connues d'une autre personne sans vol ou utilisation frauduleuse de données ou de documents, ni facilement obtenues ou prédites par une autre personne ;

- l'exigence selon laquelle chaque visite ou accès est subordonné à des contrôles, tels qu'un mot de passe ou des numéros d'identification personnels, et qu'un utilisateur doit être déconnecté par défaut, à moins qu'il ne demande à ce que ses informations de connexion soient mémorisées ;

- la présence de mesures qui authentifient les données de vérification de l'âge et de mesures efficaces pour empêcher l'utilisation par des robots ou des algorithmes.

À l'inverse, ne sont pas suffisantes les mesures suivantes, prises isolément : (i) compter uniquement sur l'utilisateur pour confirmer son âge sans recouper les informations, par exemple en utilisant un système de case à cocher ou en demandant à l'utilisateur de saisir sa date de naissance ; (ii) utiliser une clause de non responsabilité générale telle que « toute personne utilisant ce site Web sera considérée comme ayant plus de 18 ans » ; (iii) accepter la vérification de l'âge par l'utilisation de méthodes de paiement en ligne qui ne requièrent pas que l'utilisateur ait plus de 18 ans ; (iv) vérifier avec des informations facilement accessibles au public ou facilement connues telles que le nom, l'adresse et la date de naissance.

Les dispositions relatives à la vérification de l'âge devaient entrer en vigueur le 15 juillet 2019. Toutefois, en juin 2019, le gouvernement britannique a tout d'abord annoncé que la mise en oeuvre de cette partie de la loi serait retardée d'environ six mois, en raison d'un défaut d'information à la Commission européenne. En octobre 2019, le gouvernement a finalement indiqué que la partie 3 n'entrerait pas en vigueur mais que les objectifs de la loi seraient atteints via de nouvelles propositions du gouvernement pour lutter contre les nuisances en ligne 122 ( * ) .

B. UNE NOUVELLE RÉPONSE EN COURS D'ÉLABORATION

Après avoir annoncé que la partie 3 de la loi sur l'économie numérique n'entrerait pas en vigueur, le gouvernement a fait part de son intention de l'abroger en octobre 2020. En parallèle, un autre dispositif cadre a été imaginé, à la suite de la publication d'un livre blanc sur les nuisances en ligne ( online harms white paper ).

1. Le livre blanc sur les nuisances en ligne

Le livre blanc sur les nuisances en ligne répond à l'ambition de faire du Royaume-Uni « l'endroit le plus sûr au monde pour aller sur Internet » et présente les mesures envisagées par le gouvernement britannique en matière de sécurité en ligne. Ce paquet regroupe des mesures législatives et non législatives afin de rendre les entreprises plus responsables de la sécurité de leurs utilisateurs en ligne, en particulier les enfants et autres groupes vulnérables.

Le livre blanc propose d'inscrire dans la loi un nouveau devoir de vigilance envers les usagers, qui sera supervisé par un régulateur indépendant. Les entreprises seront tenues responsables de la lutte contre un ensemble complet de préjudices en ligne, allant des activités et contenus illégaux aux comportements nuisibles mais pas nécessairement illégaux.

Une consultation publique a été ouverte entre avril et juillet 2019 pour recueillir les points de vue sur divers aspects de ce plan, notamment concernant : (i) les services en ligne qui entreraient dans le champ d'application ; (ii) les options offertes en matière de nomination d'un organisme indépendant pour mettre en oeuvre, superviser et faire respecter le nouveau cadre réglementaire ; (iii) les pouvoirs dont disposerait un tel organisme ; (iv) les mécanismes de recours ouverts aux utilisateurs ; (v) les mesures visant à garantir que le dispositif est ciblé et proportionné.

Dans sa réponse à la consultation publique, le gouvernement britannique a indiqué que :

- sont notamment concernées « les catégories de contenus et d'activités préjudiciables affectant les enfants, telles que la pornographie ou les contenus violents » 123 ( * ) ;

- le dispositif a vocation à être le plus complet possible pour protéger les enfants. En particulier, il reprendra les objectifs de la partie 3 de la loi sur l'économie numérique pour protéger les enfants contre l'accès à la pornographie en ligne, mais aussi contre un éventail plus large de contenus préjudiciables et inappropriés pour leur âge. Les entreprises visées devront évaluer la probabilité que les enfants accèdent à leurs services ;

- seuls les services susceptibles d'être accessibles aux enfants devront se doter de protections supplémentaires. Cette approche est celle adoptée dans l' Age Appropriate Design Code 124 ( * ) , qui oblige les entreprises à appliquer les quinze normes du code pour la protection des données personnelles des enfants, lorsqu'elles ont évalué que les enfants sont « susceptibles d'accéder » à leur service ;

- l'Office des communications (OFCOM) sera l'autorité de régulation en charge des contenus nuisibles sur Internet.

La réponse du gouvernement à la consultation publique précise que « le cadre réglementaire créera une obligation légale, pour les entreprises exploitant des services susceptibles d'être accessibles aux enfants, de fournir un niveau de protection plus élevé pour les enfants, de prendre des mesures raisonnables pour les empêcher d'accéder à des contenus inappropriés pour leur âge ou préjudiciables, et pour les protéger d'autres activités nuisibles. Cela comprend le fait d'être la cible de délinquants (par exemple, dans les cas d'exploitation sexuelle et d'abus d'enfants). L'approche différenciée met l'accent sur la sécurité des enfants en ligne. Toutes les entreprises visées seront tenues d'évaluer si leur service est susceptible d'être utilisé par des enfants et, le cas échéant, de prendre des mesures pour les protéger. (...) Le gouvernement s'attend à ce que le régulateur accorde la priorité à la protection des enfants dans son approche des mesures d'application » 125 ( * ) .

Le nouveau dispositif législatif fait partie du projet de loi sur la sécurité en ligne, déposé le 17 mars 2022 devant le parlement 126 ( * ) .

2. Le projet de loi sur la sécurité en ligne

À la suite des conclusions du livre blanc, un texte sur la sécurité en ligne a été publié en mai 2021 sous la forme d'un avant-projet. Un comité mixte de députés et de pairs a été créé en juillet 2021 pour effectuer un examen pré-législatif. Ce comité mixte a entendu plus de cinquante témoins et a reçu plus de deux cents pièces écrites, puis a publié un rapport et des recommandations en décembre 2021. En réponse, le gouvernement a modifié l'avant-projet de loi puis a déposé le projet ainsi modifié le 17 mars 2022. Ce texte est actuellement en cours de discussion à la chambre des Communes.

Dans sa version actuelle, ce projet de loi propose d'imposer des obligations ( duties ) aux fournisseurs de services Internet ou de moteurs de recherche en matière de contenu illégal, de contenu préjudiciable aux enfants et de contenu légal mais préjudiciable aux adultes. Tous les services devraient protéger les utilisateurs contre les contenus illégaux, avec des devoirs supplémentaires pour les services susceptibles d'être accessibles aux enfants, dans la mesure où ils ont un lien avec le Royaume-Uni. Tous les services fournissant du contenu pornographique auraient le devoir d'empêcher les enfants d'accéder à ce matériel (par exemple, par la vérification de l'âge).

Outre l'objectif général selon lequel les fournisseurs de contenus pornographiques en ligne ont l'obligation de veiller à ce que les enfants ne soient « normalement pas en mesure de rencontrer » ce contenu (par exemple en utilisant la vérification de l'âge), il y aurait également une obligation « d'établir et de conserver une trace écrite sous une forme facilement compréhensible » : (i) des mesures prises et des politiques mises en oeuvre pour se conformer à l'obligation de non accessibilité ; (ii) de la manière dont le fournisseur, lorsqu'il a décidé et mis en oeuvre les mesures et politiques nécessaires, a tenu compte de l'importance de protéger les utilisateurs du Royaume-Uni contre une violation de toute disposition légale ou règle de droit concernant la confidentialité.

L'OFCOM serait chargée de publier des lignes directrices sur la manière de se conformer à ces obligations. L'OFCOM sera également dotée de pouvoirs d'exécution lui permettant d'infliger des amendes pouvant atteindre 18 millions de livres (21,2 millions d'euros) ou 10 % du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise (selon le montant le plus élevé), ainsi que des mesures de restriction des activités après demande auprès d'un tribunal.

LA PROTECTION DES ACTEURS ET L'ENCADREMENT DES CONDITIONS DE TOURNAGE AUX ÉTATS-UNIS

À la demande de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, la division de la législation comparée du Sénat a mené une recherche sur l'encadrement des conditions de tournage et la protection des acteurs participant à des films à caractère pornographique aux États-Unis.

Les informations trouvées tendent à montrer qu'il s'agit d'un milieu peu régulé par la loi mais plutôt par des codes de conduite ou des procédures internes.

Ainsi, si plusieurs tentatives de régulation ont eu lieu, notamment en Californie, elles se sont soldées par une opposition de la plupart des personnes de la profession. Mis à part la « mesure B » imposant le port du préservatif lors des tournages, les tentatives législatives visant à encadrer les conditions de tournage n'ont pas abouti.

La Free Speech Coalition , association professionnelle de l'industrie des films pour adultes ( adult films industry ), précise sur son site Internet que les principaux centres de production des films pour adultes aux États-Unis sont Los Angeles, Las Vegas et le sud de la Floride.

1. L'encadrement législatif des conditions de tournage et la protection des acteurs

Au niveau fédéral, le code des États-Unis prohibe la participation des mineurs à un tournage de film pornographique. À cette fin, la loi fédérale impose des exigences de vérification du nom et de l'âge ainsi que de tenue de registres, aux producteurs de contenus sexuellement explicites 127 ( * ) . Ces registres sont susceptibles d'être contrôlés par les autorités.

Au niveau des États fédérés, la Californie est particulièrement active pour essayer d'encadrer les tournages. Toutefois, plusieurs tentatives se sont soldées par des échecs, avec notamment une opposition forte au sein du milieu concerné.

A. EN CALIFORNIE, PLUSIEURS TENTATIVES D'ENCADREMENT DES CONDITIONS DE TOURNAGE

La Californie a tenté à plusieurs reprises d'encadrer les tournages de films pour adultes, avec plus ou moins de succès.

En 2012, le comté de Los Angeles a soumis au vote des électeurs la « mesure B » 128 ( * ) , qui a été adoptée par près de 57 % des votants. Elle figure désormais dans le code du comté et dispose 129 ( * ) :

- que les producteurs de films pour adultes doivent obtenir des autorités un « permis de santé publique » ( public health permit ), lequel sera valide pendant deux ans à compter de la date de délivrance, sauf révocation. Ce permis est octroyé sur demande, après dépôt d'un formulaire et paiement des frais associés. Une preuve que le demandeur a suivi avec succès un cours de formation sur les agents pathogènes à diffusion hématogène - dont par exemple, le VIH et l'hépatite B - doit être jointe. Dans le comté de Los Angeles, aucun producteur de films pornographiques ne peut s'engager dans une réalisation à des fins commerciales s'il ne dispose pas d'un permis de santé publique valide de production de films pour adultes. Ce permis doit être affiché sur les lieux de tournage à un endroit visible par les acteurs ;

- et que l'utilisation de préservatifs est obligatoire pour tous les actes sexuels anaux ou vaginaux lors de la production de films pour adultes afin de protéger les acteurs contre les infections sexuellement transmissibles. Cela doit également faire l'objet d'un affichage clairement visible sur le tournage (la taille de la police ne pouvant être inférieure à 36).

Certains producteurs ont attaqué cette mesure devant les tribunaux, au motif qu'elle violait le premier amendement de la Constitution. Leurs recours, en première instance comme en appel, ont été rejetés.

Parmi les autres initiatives californiennes, on peut noter, à titre d'exemple, les mesures suivantes :

- l'autorité californienne de santé et sécurité au travail ( California Occupational Safety and Health Administration , ci-après Cal/OSHA ), via sa norme Cal/OSHA Bloodborne Pathogens ( BBP ) 130 ( * ) , oblige les employeurs à protéger la santé et la sécurité des employés par des « précautions universelles ». L'autorité Cal/OSHA a interprété cette norme comme s'étendant à l'industrie des films pornographiques et exige que les employeurs de cette industrie fournissent et garantissent l'utilisation de préservatifs et mettent en oeuvre des mesures pour protéger les employés contre les infections sexuellement transmissibles. Cette obligation ne couvre pas les personnes ayant le statut de « contractants indépendants » ( independent contractors ) 131 ( * )132 ( * ) ;

- la « proposition 60 » 133 ( * ) , qui est la traduction à l'échelle de l'État de la disposition du comté de Los Angeles : il s'agissait d'inscrire dans le code du travail de Californie des exigences supplémentaires en matière de santé et de sécurité au travail sur les plateaux de tournage de films pour adultes. Parmi les mesures figuraient : (i) le fait que les producteurs de films pour adultes doivent fournir des préservatifs et veiller à ce que les acteurs les utilisent ; (ii) l'obligation pour les producteurs de détenir une licence auprès de Cal/OSHA valable deux ans et d'informer Cal/OSHA à chaque réalisation d'un film pour adultes, de payer les coûts des vaccins de prévention des infections sexuellement transmissibles liées au travail des acteurs, des tests et des examens médicaux, et de tenir des registres prouvant qu'ils se sont conformés à ces exigences ; (iii) la possibilité pour les autorités d'engager des poursuites, en cas de non-conformité aux exigences normatives, dans un délai d'un an à compter de la découverte ; (iv) l'extension de la responsabilité en cas de violation des règles de santé et de sécurité aux distributeurs et agents ; (v) la possibilité pour toute personne d'engager des poursuites pour violation de ces règles. Soumise au vote des électeurs en 2016, cette proposition a été rejetée (54,3 % des votants) ;

- en 2020, deux élues californiennes ont déposé une proposition de loi ( AB2389 - adult performers : employment rights ) 134 ( * ) visant notamment à enregistrer les personnes tournant dans les films pour adultes via la possession d'une licence d'exploitation et la prise d'empreintes digitales. Devant l'opposition forte rencontrée par ces deux mesures, les deux élues ont supprimé de la proposition de loi le relevé d'empreintes et remplacé la licence par un programme de certification. La proposition a ensuite été abandonnée.

B. AU NEVADA, AUCUN CADRE PARTICULIER N'A ÉTÉ MIS EN ÉVIDENCE

La mise en place de certaines règles, comme le port du préservatif pour les tournages dans le comté de Los Angeles, a provoqué un transfert des productions vers d'autres lieux, dont le Nevada. Ainsi, le nombre d'autorisations de tournage de films pour adultes à Los Angeles est passé de 485 en 2012 à 40 en 2013. Parallèlement, le nombre d'autorisations de tournage dans le comté de Clark County au Nevada (où se trouve Las Vegas), a augmenté de plus de 50 %, sans qu'il soit possible de déterminer la part de films pour adultes. À cette période, le Nevada était réputé pour n'avoir pas de règles spécifiques en matière de production de films pornographiques.

Cette augmentation du nombre de productions, associée à la découverte de deux cas de positivité au virus HIV après un tournage dans le Nevada, ont conduit en 2015 les autorités à s'interroger sur l'opportunité de mettre en place une réglementation plus stricte, équivalente à celle existant pour la prostitution, pour les films pour adultes 135 ( * ) .

À ce jour, le code administratif de l'État du Nevada ne semble pas contenir de telles mesures 136 ( * ) . La recherche n'a pas permis non plus de mettre en évidence des règles spécifiques entourant le tournage des films pour adultes ou protégeant les acteurs dans le Nevada.

2. Une industrie essentiellement régulée en interne

Les recherches tendent à montrer que le milieu du film pour adultes se régule en interne plutôt que par des dispositions législatives. À titre d'exemple, on présentera le dispositif PASS en matière de protection de la santé et le code de conduite adopté par la société de production de contenu pour adultes Gamma Entertainment .

C. LE DISPOSITIF PASS EN MATIÈRE DE SANTÉ ET DE DÉPISTAGE

PASS 137 ( * ) est une organisation à but non lucratif dédiée à la santé et à la sécurité des travailleurs des films pornographiques. Elle a été fondée en 2011 par la Free Speech Coalition et vise à simplifier les tests de dépistage. Le dispositif associé ( PASS database ) crée une politique de test standard pour les acteurs de films pour adultes et exploite un centre d'échange numérique en matière de données sur la capacité de tournage.

L'organisation travaille en partenariat avec des laboratoires qui effectuent des tests de dépistage d'infections sexuellement transmissibles et autres maladies infectieuses aux États-Unis et au Canada. Ces laboratoires transmettent ensuite les données d'autorisation de travail à la base de données gérée par l'organisation.

La base de données PASS ne stocke que des données binaires (oui ou non) sur les « autorisations de travail », aucun résultat de test individuel n'est téléchargé. Le personnel clinique de la société effectuant les tests détermine ainsi, en fonction des résultats du protocole de test, si l'acteur ou l'actrice est autorisé(e) à tourner. Plus précisément :

- le protocole de test nécessite neufs tests différents concernant sept infections sexuellement transmissibles ;

- les autorisations de tournage valent pour quatorze jours à compter de la date du premier prélèvement ;

- les résultats sont généralement communiqués dans les 48 heures suivant le prélèvement ;

- en cas de risque potentiel d'infection important pour le groupe d'acteurs, la production est suspendue jusqu'à ce que le risque soit traité.

Ainsi que l'indique la page internet de PASS , « le but de la base de données PASS est de fournir une vérification de la possibilité de travail des équipes, donc en participant à PASS, [un acteur] montre [qu'il est] à jour et que [il a] choisi un laboratoire de test participant. Les principaux producteurs de films pornographiques ont accepté d'utiliser ce système afin de se conformer aux normes de l'industrie en matière de tests, de vérifier que les tests que les acteurs apportent avec eux n'ont pas été falsifiés et pour protéger les acteurs et les équipes en cas d'incident de sécurité sanitaire » 138 ( * ) .

D. LA CHARTE DE CONDUITE DE LA SOCIÉTÉ DE PRODUCTION GAMMA

La société Gamma a élaboré en 2019 sa propre charte de conduite, qui rappelle en introduction que « Il est de la responsabilité [des dirigeants] de travailler consciencieusement pour rappeler à chacun que ce qui est fourni est un divertissement et que sa création ne donne à personne le droit d'abuser des pouvoirs et opportunités qui se présentent en travaillant dans cette industrie. La frontière entre personnel et professionnel est parfois difficile à distinguer dans l'industrie du divertissement pour adultes, c'est pourquoi il est de la plus haute importance pour les dirigeants, à la fois sur le plateau et en dehors, de se souvenir de leur responsabilité d'établir des standards de conduite professionnelle. Toutes les personnes impliquées dans la création et la production de divertissements pour adultes doivent se tenir individuellement et collectivement responsables afin de fournir un lieu sûr où chacun peut travailler et créer » 139 ( * ) .

La charte précise :

- le comportement attendu des contractants, sous-traitants et mandataires

Ceux-ci doivent maintenir des limites appropriées dans leurs relations professionnelles avec les acteurs et ne pas utiliser le pouvoir inhérent à leur fonction pour exercer une autorité déraisonnable sur les acteurs ou membres de l'équipe. Les réunions ne doivent pas prêter à confusion quant à leur nature professionnelle.

Les contractants, sous-traitants et mandataires ne doivent pas : (i) exercer une quelconque forme de harcèlement (physique, psychologique ou sexuel) ; (ii) exiger ou solliciter des faveurs sexuelles de la part des acteurs ; (iii) offrir du travail ou des cadeaux contre des faveurs sexuelles à l'occasion du casting ; (iv) accepter, à l'inverse, de cadeaux ou de faveurs sexuelles contre un rôle dans le film ou un traitement préférentiel sur le plateau de tournage ; (v) effectuer des paiements, cadeaux ou faveurs en dehors des paiements appropriés ; (vi) posséder, distribuer, ou être sous l'influence de l'alcool ou de drogues sur le tournage ; (vii) partager un logement privé pour la nuit avec un acteur ayant joué ou devant jouer dans une production de Gamma (sauf autorisation préalable) ou voyager seul avec un acteur.

En outre, au moins deux membres de l'équipe doivent se trouver sur le plateau de tournage en même temps qu'un acteur, aucun interprète ne devant être seul lors du tournage d'une scène pornographique. Plus généralement, il est recommandé dans la mesure du possible d'interagir avec les acteurs en présence d'autres personnes. Il est également demandé d'être honnête dans toutes les déclarations faites aux acteurs, et plus globalement de communiquer avec toutes les personnes de façon professionnelle et respectueuse. Tout acte de harcèlement ou toute violation du code de conduite doit être rapporté à Gamma .

Par ailleurs, la politique en matière de go-see , audition pendant laquelle la personne reçue pourrait être amenée à se dénuder, à tenir des poses suggestives et à lire quelques lignes pour déterminer si elle pourrait jouer dans un film, est encadrée par la charte. En l'occurrence, celle-ci interdit tout go-see privé, sous peine de résiliation du contrat, et indique qu'un acteur sera rencontré en étant préalablement sélectionné comme « extra » à l'occasion d'une production réelle, la rencontre ayant donc lieu sur le plateau.

Enfin, s'il peut être nécessaire d'organiser des rencontres postérieures au tournage, par exemple dans l'hypothèse où l'acteur aurait oublié des affaires personnelles sur le lieu de tournage, qu'il aurait des documents à signer ou encore que sa présence est requise pour des photos ou enregistrements, ces rencontres doivent se faire de façon sécurisée pour toutes les parties. Ainsi, en cas d'oubli d'objets personnels ou de documents à signer, cela peut être organisé ailleurs que sur le lieu de tournage dans un lieu ordinaire ou via une tierce personne comme un agent. Si la présence de l'acteur est nécessaire pour finaliser la production, il est nécessaire de le contacter et d'organiser la rencontre un jour de production où deux autres personnes au minimum sont présentes. Aucun acteur ne doit être invité seul dans la maison d'un contractant ;

- le comportement attendu des acteurs

Au même titre que le personnel intervenant dans la production, les acteurs sont tenus de respecter les dispositions de la charte de conduite les concernant. En premier lieu, ils doivent présenter une pièce d'identité en cours de validité comportant une photographie et doivent avoir rempli et signé tous les documents nécessaires avant le début du tournage. Il leur est également demandé d'apporter leurs résultats de tests de moins de quatorze jours sur le lieu de tournage avant le début de celui-ci.

Il est interdit aux acteurs d'apporter de l'alcool ou des drogues illégales sur le plateau et ils doivent se présenter sur les lieux de tournage sobres et en capacité d'effectuer le travail prévu.

S'agissant des équipes, lieux de tournage et accessoires, ils doivent être traités avec respect. Les acteurs sont tenus d'éteindre leurs téléphones ou de les mettre en silencieux pendant le tournage et ne peuvent passer d'appels ou envoyer de messages que pendant les pauses. Ils ne peuvent pas prendre de photos du tournage ou du décor, sauf accord spécifique.

Les acteurs sont également encouragés à faire part à tout moment de tout problème de santé ou de sécurité qui serait présent sur le plateau.

Enfin, les acteurs sont tenus de rédiger avant le début du tournage une liste indiquant les actes et scénarios avec lesquels ils ne sont pas à l'aise. Cette liste fera l'objet d'une discussion puis sera signée par les différentes parties. Elle doit être respectée à l'occasion du tournage.


* 1 Pornland : comment le porno a envahi nos vies , Gail Dines, Éditions LIBRE, 2020.

* 2 Centre pour en finir avec toutes les exploitations sexuelles.

* 3 Pornhub, XVideos... les secrets des GAFA du sexe , article de Jacky Goldberg, publié sur le site capital.fr le 22 mai 2020.

* 4 Climat : l'insoutenable usage de la vidéo en ligne , The Shift Project, juillet 2019.

* 5 Robin D'Angelo, Judy, Lola, Sofia et moi , Éditions Goutte d'Or, 2018.

* 6 « OnlyFans ne pouvait pas renoncer à sa poule aux oeufs d'or », article de Tristan Gaudiaut, 26 août 2021.

* 7 OnlyFans, Mym... Ces réseaux sociaux où des jeunes font commerce de leur vie sexuelle , article de Margherita Nasi, publié le 23 septembre 2022 sur le site du Monde .

* 8 The children selling explicit videos on OnlyFans , article de Noel Titheradge et Rianna Croxford, publié le 27 mai 2021 sur le site de BBC News .

* 9 Lessons from France on the regulation of Internet pornography : How displacement effects, circumvention, and legislative scope may limit the ef?cacy of Article 23 , article de Neil Thurman, Asmik Nalmpatian et Fabian Obster, publié le 5 avril 2022.

* 10 Gail Dines, Pornland : comment le porno a envahi nos vies , éditions LIBRE, 2020.

* 11 Marie Maurisse, Planète Porn, Enquête sur la banalisation du X, Éditions Stock, 2018.

* 12 Robin D'Angelo, Judy, Lola, Sofia et moi , Éditions Goutte d'Or, 2018.

* 13 Voir la note de législation comparée en annexe du présent rapport sur la protection des acteurs et l'encadrement des conditions de tournage de films à caractère pornographique aux États-Unis.

* 14 Safer Sex in the adult industry act .

* 15 https://library.municode.com/ca/los_angeles_county/codes/code_of_ordinances?nodeId=TIT11HESA_DIV1HECO_CH11.39ADFISHTIPUPO

* 16 Gail Dines, Pornland : comment le porno a envahi nos vies , Éditions LIBRE, 2020.

* 17 « Aggression and Sexual Behavior in Best-Selling Pornography : A Content Analysis Update », étude de Robert J. Wosnitzer et Ana J. Bridges présentée au 57e congrès annuel de la International Communication Association à San Francisco du 24 au 28 mai 2007.

* 18 Le fait de pratiquer des fellations jusqu'à l'étouffement.

* 19 5 e rapport mondial de la Fondation Scelles « Système prostitutionnel - Nouveaux défis, nouvelles réponses » https://www.rapportmondialprostitution.org/

* 20 « professionnel-amateur ».

* 21 Mathieu Trachman, Le travail pornographique. Enquête sur la production de fantasmes , La Découverte, 2014

* 22 Robin D'Angelo, Judy, Lola, Sofia et moi , Éditions Goutte d'Or, 2018.

* 23 Marie Maurisse, Planète Porn - enquête sur la banalisation du X , Éditions Stock, 2018 .

* 24 Pornographie : quatre mises en examen à Paris pour « viol, proxénétisme et traite d'être humain », Le Parisien, 19 octobre 2020 ; « Tu seras moins naïve la prochaine fois » : les dessous sordides de l'enquête sur le roi du porno amateur ; Le Parisien, 16 mars 2021 ; L'enquête tentaculaire qui fait trembler le porno français, Le Monde (16,17, 18 et 20 décembre 2021) .

* 25 Robin D'Angelo, Judy, Lola, Sofia et moi , Éditions Goutte d'Or, 2018.

* 26 Article du Monde le 15 juin 2022 : L'empire du porno Jacquie et Michel dans le viseur de la justice ; Article du Figaro le 22 juin 2022 : J'étais pétrifiée - le récit d'une femme expliquant avoir été violée sur un tournage de Jacquie et Michel .

* 27 Décret n° 61-62 du 18 janvier 1961 portant règlement d'administration publique pour l'application des articles 19 à 22 du code de l'industrie cinématographique.

* 28 Articles 11 et 12 de la loi n° 75-1278 du 30 décembre 1975 de finances pour 1976, ainsi que le décret d'application n° 76-11 du 6 janvier 1976 .

* 29 Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite loi Léotard .

* 30 Recommandation n° 2004-7 du 15 décembre 2004 aux éditeurs et distributeurs de services de télévision diffusant en métropole et dans les départements d'outre-mer des programmes de catégorie V.

* 31 Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

* 32 Sondage OpinionWay , #MoiJeune - Les 18-30 ans et la pornographie , avril 2018.

https://www.opinion-way.com/fr/sondage-d-opinion/sondages-publies/opinion-societe/societe/opinionway-et-20-minutes-moijeune-les-18-30-ans-et-la-pornographie-avril-2018.html

* 33 https://www.ifop.com/publication/etude-sur-les-effets-et-consequences-de-la-loi-du-30-juillet-2020-sur-le-visionnage-de-contenus-pornographiques-par-les-adolescents-francais/

* 34 Sondage Ifop : « Les adolescents et le porno : vers une « Génération Youporn » ? », 2017.

https://www.ifop.com/publication/les-adolescents-et-le-porno-vers-une-generation-youporn/

* 35 Romain Roszak, La séduction pornographique , L'échappée, 2021.

* 36 Chapitre La Pornographie : toujours pas une histoire d'amour , au sein du 5 e rapport mondial de la Fondation Scelles « Système prostitutionnel - Nouveaux défis, nouvelles réponses »

https://www.rapportmondialprostitution.org/

* 37 Max Waltman, The Politics of Legal Challenges to Pornography : Canada, Sweden, and the United States , 2014 .

* 38 Clarissa Smith, Feona Atwood et Martin Baker, Les motifs de la consommation de pornographie (2015) .

* 39 Arthur Vuattoux et Yaëlle Amsellem Mainguy, Les jeunes, la sexualité et internet (2020).

* 40 Sophie Jehel, Les adolescents face aux images violentes, sexuelles et haineuses : stratégies, vulnérabilités, remédiations. Comprendre le rôle des images dans la construction identitaire et les vulnérabilités de certains jeunes (2018).

* 41 Richard Poulin, Sexualisation précoce et pornographie , La Dispute, 2009 .

* 42 Florian Vörös, Désirer comme un homme : Enquête sur les fantasmes et les masculinités , La Découverte, 2020.

* 43 Andrea Dworkin, Pornography : Men possessing Women , The Women's Press Ltd, 1981.

* 44 Cour suprême du Canada, Affaire Butler, 27 février 1992.

* 45 En particulier : Paul J. Wright, Robert S. Tokunaga, Ashley Kraus, A Meta-Analysis of Pornography Consumption and Actual Acts of Sexual Aggression in General Population Studies , 2016 .

* 46 Marie Maurisse, Planète Porn - enquête sur la banalisation du X , Éditions Stock, 2018 .

* 47 Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes.

* 48 CE, Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n° 136727.

* 49 virtual private network : logiciel informatique qui permet de chiffrer ses données et de modifier son adresse IP.

* 50 Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique .

* 51 Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République .

* 52 Voir l'étude en annexe du présent rapport.

* 53 https://www.cnil.fr/fr/verification-de-lage-en-ligne-trouver-lequilibre-entre-protection-des-mineurs-et-respect-de-la-vie

* 54 Pôle d'Expertise de la Régulation Numérique, Détection des mineurs en ligne : peut-on concilier efficacité, commodité et anonymat ? , mai 2022.

https://www.peren.gouv.fr//rapports/2022-05-20%20-%20Eclairage-sur-detection-mineurs_FR.pdf

* 55 https://linc.cnil.fr/demonstrateur-du-mecanisme-de-verification-de-lage-respectueux-de-la-vie-privee

* 56 Loi n° 2022-300 du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à Internet.

* 57 Conseil français des associations pour les droits de l'enfant.

* 58 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

* 59 Sophie Jehel, Les adolescents face aux images violentes, sexuelles et haineuses : stratégies, vulnérabilités, remédiations. Comprendre le rôle des images dans la construction identitaire et les vulnérabilités de certains jeunes (2018).

* 60 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées

* 61 https://www.lumni.fr/programme/sexotuto

* 62 https://www.arte.tv/fr/videos/RC-020447/libres/

* 63 https://www.lumni.fr/programme/ados-le-porno-a-portee-de-clic

* 64 https://www.france.tv/slash/sex-talk/

* 65 https://www.onsexprime.fr/

* 66 Strafgesetzbuch (StGB), § 184 Verbreitung pornographischer Inhalte

* 67 Jugendschutzgesetz (JuSchG).

* 68 Staatsvertrag über den Schutz der Menschenwürde und den Jugendschutz in Rundfunk und Telemedien (Jugendmedienschutz-Staatsvertrag - JMStV).

* 69 Presque chaque Land possède sa propre autorité régulatrice des médias, à l'exception des Länder de Berlin et de Brandebourg, qui partagent une autorité commune, tout comme Hambourg et le Land de Schleswig-Holstein. Au total, il existe donc quatorze autorités régulatrices des médias, qui coopèrent pour la définition de lignes directrices communes au sein de commissions centrales.

* 70 Sont définis comme prestataires de services au sens de la loi du 26 février 2007 sur le numérique, toute personne physique ou morale qui met à disposition son propre service d'information et de communication électronique ( Telemedien ) autre qu'un service de télécommunication classique ou audiovisuel, ou celui d'un tiers, ou fournit un accès à leur utilisation. Entrent notamment dans cette catégorie les services de vente en ligne, les plateformes de vidéo qui ne sont pas liées à une chaîne télévisée, les moteurs de recherche sur Internet mais aussi les fournisseurs d'accès.

* 71 Définis à l'article 5 de l'accord des Länder .

* 72 Gesetz zur Verbesserung der Rechtsdurchsetzung in sozialen Netzwerken (Netzwerkdurchsetzungsgesetz - NetzDG), § 3 .

* 73 Dans ce dernier cas, le prestataire de services est soumis aux obligations prévues par les articles 54 et suivants de l'accord des Länder sur l'audiovisuel.

* 74 Créée en 2021, à l'occasion de la révision législative en remplacement du Centre fédéral de contrôle des médias portant atteinte aux jeunes ( Bundesprüfstelle für jugendgefährdende Medien ).

* 75 https://www.bzkj.de/bzkj/ueberuns/aufgaben

* 76 Le droit allemand considère comme un enfant tout mineur de moins de 14 ans et comme un adolescent un mineur âgé de 14 ans ou plus et de moins de 18 ans.

* 77 La KJM reconnaît quatre organismes d'autorégulation : FSF, compétente pour la télévision et les plateformes de vidéo en ligne, FSM dans le domaine des services multimédias, FSK.online pour l'industrie du film en ligne et USK.online pour les programmes informatiques.

* 78 La KJM ne communique que sur les évaluations ayant abouti à un résultat positif de conformité avec les exigences de protection de la jeunesse.

* 79 https://www.kjm-online.de/aufsicht/technischer-jugendmedienschutz/unzulaessige-angebote/altersverifikationssysteme

* 80 https://www.kjm-online.de/fileadmin/user_upload/KJM/Aufsicht/Technischer_Jugendmedienschutz/KJM-AVS-Raster.pdf

* 81 https://www.kjm-online.de/service/pressemitteilungen/meldung/kjm-bewertet-sieben-weitere-altersverifikationssysteme-positiv-1

* 82 https://www.kjm-online.de/service/pressemitteilungen/meldung/kjm-bewertet-yoti-age-scan-als-technisches-mittel-positiv

* 83 KJM, Tätigkeitsbericht März 2019 - Februar 2021, p. 59.

* 84 https://www.fsm.de/online-jugendschutz/jugendmedienschutz-in-der-praxis/

* 85 https://www.kjm-online.de/service/pressemitteilungen/meldung?tx_news_pi1%5Bnews%5D=4826&cHash=faf6ef201d23b877624d67cb61f0a121

* 86 https://www.jugendschutz.net/ueber-uns/wer-wir-sind

* 87 Selon l'hebdomadaire Die Zeit , les trois sites concernés sont Pornhub , Youporn et Mydirtyhobby . Voir : https://www.zeit.de/digital/internet/2020-06/pornografie-minderjaehrige-medienschutz-pornoplattform-sperre?page=11

* 88 https://www.kjm-online.de/service/pressemitteilungen/meldung?tx_news_pi1%5Bnews%5D=4826&cHash=faf6ef201d23b877624d67cb61f0a121

* 89 Verwaltungsgericht Düsseldorf, 27 L 1414/20

* 90 https://www.kjm-online.de/service/pressemitteilungen/meldung/kjm-beschliesst-sperrung-von-xhamster

* 91 https://www.kjm-online.de/themen/vorgehen-porno-portale

* 92 https://www.bzkj.de/resource/blob/197826/5e88ec66e545bcb196b7bf81fc6dd9e3/2-auflage-gefaehrdungsatlas-data.pdf , p. 175.

* 93 https://www.esafety.gov.au/about-us/who-we-are

* 94 https://www.legislation.gov.au/Details/C2021A00076

* 95 Ces dispositions abrogent les annexes 5 et 7 du Broadcasting Services Act de 1992.

* 96 Le National Classification Scheme est un accord de coopération entre le gouvernement australien et les gouvernements des États et des territoires.

* 97 Les contenus de classe 2B incluent certains contenus pornographiques mais embrassent des types de contenus plus variés.

* 98 https://www.classification.gov.au/classification-ratings/what-do-ratings-mean#MA

* 99 Online Safety Act, Part 4, Division 2, Section 46.

* 100 Afin de tenir compte des Basic Online Safety Expectations de la loi, l'entreprise Google a annoncé en mars 2022 son intention d'exiger la présentation d'une pièce d'identité ou d'une carte de crédit de la part des utilisateurs de YouTube et de GooglePlay tentant d'accéder à certains contenus pour adultes en Australie. https://www.itnews.com.au/news/google-rolling-out-age-verification-on-youtube-play-store-in-australia-577499

* 101 À savoir les fournisseurs de réseaux sociaux, boîtes de messagerie électronique, messagerie instantanée, jeux, services de rencontres, moteurs de recherche, fournisseurs d'applications, fournisseurs d'accès à Internet, hébergeurs de sites ainsi que les fabricants et fournisseurs d'équipements utilisés pour accéder aux services en ligne.

* 102 Lynelle Briggs AO, Report of the Statutory Review of the Enhancing Online Safety Act 2015 and the Review of Schedules 5 and 7 to the Broadcasting Services Act 1922 ( Online Content Scheme ), October 2018, https://www.infrastructure.gov.au/sites/default/files/briggs-report-stat-review-enhancing-onlinesafety-act2015.pdf

* 103 eSafety Commissioner, Development of Industry codes under the Online Safety Act, September 2021, https://www.esafety.gov.au/sites/default/files/2021-09/eSafety%20Industry%20Codes%20Position%20Paper.pdf

* 104 Ibid.

* 105 Utilisées en informatique et en cryptographie, les fonctions de hachage permettent, à partir d'une donnée fournie en entrée, de calculer une empreinte numérique servant à identifier rapidement la donnée initiale.

* 106 https://www.esafety.gov.au/industry/safety-by-design

* 107 Online Safety (Restricted Access Systems) Declaration 2022

https://www.legislation.gov.au/Details/F2022L00032/Explanatory%20Statement/Text

* 108 Pour vérifier si cette condition est remplie, eSafety prend en compte différents facteurs comme l'hébergement du site en Australie ou l'inscription du fournisseur de services au registre des entreprises australiennes.

* 109 Dans le cadre du réseau International Association of Internet Hotlines ( INHOPE ) qui a pour but de combattre la diffusion d'images présentant des scènes d'abus sexuel des enfants.

* 110 https://www.esafety.gov.au/sites/default/files/2021-10/ACMA%20and%20eSafety%20annual%20report%202020-21_0.pdf

* 111 Online Safety Bill 2021, Explanatory memorandum , p. 39,

https://parlinfo.aph.gov.au/parlInfo/download/legislation/ems/r6680_ems_3499aa77-c5e0-451e-9b1f-01339b8ad871/upload_pdf/JC001336%20Clean4.pdf;fileType=application%2Fpdf

* 112 https://www.aph.gov.au/DocumentStore.ashx?id=2c35bb2c-4a68-428b-af67-cf05ff17052e&subId=673265

* 113 Ibid.

* 114 https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/House/Social_Policy_and_Legal_Affairs/Onlineageverification/Report

* 115 Australian Government response to the House of Representatives Standing Committee on Social Policy and Legal Affairs report “Protecting the Age of Innocence”,

https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/House/Social_Policy_and_Legal_Affairs/Completed_inquiries

* 116 https://www.esafety.gov.au/about-us/consultation-cooperation/age-verification

* 117 https://www.lismorecitynews.com.au/story/7596265/hushed-talks-over-expansion-of-age-checks-for-online-pornography/

* 118 https://www.canberratimes.com.au/story/7445505/mastercard-joins-up-with-govt-digital-agency-for-age-verification-push/

* 119 https://researchbriefings.files.parliament.uk/documents/CBP-8551/CBP-8551.pdf

* 120 https://www.legislation.gov.uk/ukpga/2017/30/contents

* 121 https://researchbriefings.files.parliament.uk/documents/CBP-8551/CBP-8551.pdf

* 122 https://questions-statements.parliament.uk/written-statements/detail/2019-10-16/HCWS13

* 123 https://www.gov.uk/government/consultations/online-harms-white-paper/outcome/online-harms-white-paper-full-government-response

* 124 https://ico.org.uk/for-organisations/guide-to-data-protection/ico-codes-of-practice/age-appropriate-design-code/

* 125 https://www.gov.uk/government/consultations/online-harms-white-paper/outcome/online-harms-white-paper-full-government-response

* 126 https://bills.parliament.uk/bills/3137

* 127 U.S. Code , titre 18, sections 2257 et 2257A

https://uscode.house.gov/browse/prelim@title18/part1/chapter110&edition=prelim

* 128 Safer Sex in the adult industry act .

* 129 https://library.municode.com/ca/los_angeles_county/codes/code_of_ordinances?nodeId=TIT11HESA_DIV1HECO_CH11.39ADFISHTIPUPO

* 130 https://www.dir.ca.gov/title8/5193.html

* 131 https://www.dir.ca.gov/dosh/adultfilmindustry.html

* 132 À titre indicatif, la charte de bonne conduite émise par la société Gamma (voir infra ) indique que la relation entre les interprètes et la production/un contractant ne doit pas être vue comme une relation employeur/employé.

* 133 https://lao.ca.gov/BallotAnalysis/Proposition?number=60&year=2016

* 134 https://leginfo.legislature.ca.gov/faces/billTextClient.xhtml?bill_id=201920200AB2389

* 135 https://www.cbsnews.com/losangeles/news/nevada-considers-condom-requirement-that-caused-porn-production-to-flee-l-a/

* 136 https://www.leg.state.nv.us/nrs/nrs-441a.html

* 137 PASS signifie « Performer Availability Screening Service », soit service de vérification de la disponibilité des acteurs.

* 138 https://www.passcertified.org/pass-database/faq

* 139 https://www.gammae.com/famedollars/newsletter/images/Gamma%20Films%20Group%20-%20Code%20of%20Conduct%20-%20Feb%201%202019.pdf

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