II. QUAND LA MODE DE LA MONTÉE EN GAMME POUR TOUS S'AVÈRE ÊTRE UN MAUVAIS CALCUL

A. LE « TOUT MONTÉE EN GAMME » : UN CHOIX QUI VISAIT À COMPENSER LA PERTE DE COMPÉTIVITÉ

La stratégie suivie par la majorité gouvernementale, depuis le discours de Rungis du président de la République de 2018 pour lutter contre cette perte de compétitivité au long cours, s'inscrit dans la lignée des politiques agricoles françaises menées depuis la fin des années 1990 : puisque les produits français ne sont plus compétitifs, il faut qu'ils montent en gamme pour atteindre des marchés de niche plus rémunérateurs. Cela s'est traduit par une politique agricole à deux faces : d'un côté, une hausse des charges des agriculteurs, afin de contraindre aux transitions environnementales (surtranspositions, hausse de la fiscalité productive, augmentation du coût des intrants avec la loi Egalim). D'un autre côté, en contrepartie, une politique législative axée sur le rééquilibrage des relations commerciales avec la grande distribution dans le but de recentrer la production agricole sur le marché intérieur, mieux rémunéré. Rien d'étonnant, alors, à ce que le promoteur de cette politique axée sur le tout haut de gamme ait promu, en même temps, la signature d'accords de libre-échange, dès lors que, trompé par le mirage d'une nourriture française « premium » préservée dans ces accords, l'État estimait obtenir de nouveaux marchés de niche à l'exportation (CETA, négociations sur le Mercosur ou avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande...). Autrement dit : on prône une montée en gamme de l'agriculture française et de l'autre, on laisse entrer des produits « coeur de gamme » plus facilement.

« On connaît les résultats de la loi Egalim : nuls pour les recettes des paysans, négatifs sur leurs charges. Depuis 2017, la politique agricole française a le même bilan. »

B. UNE POLITIQUE QUI, GÉNÉRALISÉE À L'ENSEMBLE DE L'AGRICULTURE, CONDUIT À UNE IMPASSE

Quelques années plus tard, que constate-t-on ? L'agriculture française poursuit la lente érosion de son potentiel productif. Si la montée en gamme n'est pas une mauvaise solution pour certaines filières organisées ou certains produits ciblés, prise dans son ensemble et sans être accompagnée d'une politique de compétitivité, elle aboutit à mettre la France agricole dans une impasse. Trois exemples le démontrent.

1 - L'absence de politique de compétitivité affaiblit le revenu des agriculteurs et mite la filière laitière : c'est « l'effet emmental »

Faute de politique de compétitivité, le monde agricole, désirant maintenir ses parts de marché, se résigne à payer le différentiel de prix en diminuant le revenu des agriculteurs, fragilisant ainsi toute une filière. C'est l'effet « emmental », que subit la filière lait. Si la laiterie française est forte à l'export, elle ne le doit qu'à la faiblesse des revenus de ses éleveurs. Faisant peu appel à de la main d'oeuvre salariée pour limiter leurs charges, les exploitants agricoles travaillent plus de 60 heures par semaine sans s'octroyer un salaire suffisant. La France fait de la baisse des revenus de ses agriculteurs la source de sa compétitivité quand l'Allemagne le fait par des gains de productivité. Cette situation rogne petit à petit la résilience d'une filière d'ores et déjà confrontée à une décapitalisation de son cheptel ainsi qu'à une baisse du nombre de nouveaux installés.

2- Quand l'Etat veut se concentrer sur son marché intérieur par la montée en gamme et ouvre finalement ses portes aux importations : le renversant effet « tarte tatin »

Pour contrer cet effet « emmental » de baisse du revenu, les producteurs français peuvent être tentés de monter en gamme en se recentrant sur le marché intérieur, plus rémunérateur, quitte à réduire les exportations. En favorisant cela, l'État raisonne à l'envers. En réalité, par un renversement de situation, l'effet tarte tatin, applicable à la farine et à la pomme démontre qu'avec une telle stratégie les exportations baissent, mais les importations explosent, les produits étrangers plus compétitifs conquérant le « coeur de gamme » de la consommation.

3 - Vers une agriculture française qui se focalise sur le « repas du dimanche », en passe de devenir inaccessible à de nombreux Français pour les repas du quotidien ?

D'effet « emmental » en effet « tarte tartin », les producteurs sont enfin menacés de connaître l'effet « repas du dimanche », que connaissent les filières tomate et poulet, les produits français étant servis en de plus en plus rares occasions, laissant la place aux produits importés pour les repas du quotidien, en restauration hors foyer ou dans les plats transformés des familles les plus modestes.

Le poulet ne parvient plus à répondre à la demande française de filets de poulet à la coupe. Les importations ont quadruplé en 20 ans. En même temps, la consommation de poulet labellisé plafonne. Tout se passe comme si les Français consommaient un bon poulet du dimanche par mois, labellisé et produit en France, tout en acceptant de manger tous les jours du filet de poulet importé, issu d'élevages plus compétitifs.

Les producteurs de tomates se spécialisent dans des niches où la concurrence vient progressivement...les dénicher. Après avoir connu une division de la production de sauce tomate par quatre entre 1997 et 2007 (85 % d'importations en 2021), la filière tomate a voulu échapper à la concurrence marocaine en se spécialisant dans la production de tomates cerise, abandonnant ainsi le marché coeur de gamme aux tomates importées (qui ont aujourd'hui 30 % de parts de marché). Sauf que les importations de tomates cerise marocaines sont passées de 300 tonnes en 1995 à 70 000 tonnes. Les producteurs ont trouvé une nouvelle segmentation sur les tomates « anciennes », plus chères pour le consommateur, quitte à voir la production française se réduire par une baisse des rendements.