PREMIÈRE PARTIE

« ADMINISTRATION DE LA FRONTIÈRE
ET DE LA MARCHANDISE », LA DOUANE EST EN PREMIÈRE LIGNE FACE AU TRAFIC DE STUPÉFIANTS

En 2021, la Douane a saisi 115 tonnes de produits stupéfiants et réalisé près de 21 000 constatations .

Le trafic de stupéfiants représente une menace croissante pour la France et pour ses partenaires européens : au-delà de ses effets délétères sur la santé publique, il est également facteur de criminalité. Ainsi, Europol 2 ( * ) relève que le trafic de stupéfiants représente, en termes de réseaux et de criminels impliqués ainsi que de profits générés, la principale activité des organisations criminelles en Europe. La grande majorité des faits violents attribués aux organisations criminelles a trait au trafic de stupéfiants. 262 faits de violence entre délinquants ont été recensés en France en 2021 et 110 victimes de règlements de compte, dont 44 décès 3 ( * ) .

L'Europe est le deuxième plus grand marché du monde pour la cocaïne et l'un des plus grands centres mondiaux de production de drogues synthétiques (ecstasy et amphétamines) 4 ( * ) . En France, selon les données de l'Insee publiées pour l'année 2021, les ménages français auraient dépensé environ 4,8 milliards d'euros pour des produits stupéfiants 5 ( * ) . C'est deux fois plus qu'en 2010, quatre fois plus qu'en 2000.

Si plusieurs services de l'État ont pour mission de lutter contre le trafic de stupéfiants, l'action de la Douane, centrale, est pourtant méconnue . De par son positionnement, en tant qu'« administration de la frontière et de la marchandise », la Douane est au coeur du contrôle des principaux vecteurs d'entrée des stupéfiants sur le territoire national . Son rôle est d'autant plus appelé à se renforcer au cours des prochaines années que l'unification du recouvrement des taxes et impositions sous l'égide de la direction générale des finances publiques (DGFiP) a conduit la Douane à mener une revue stratégique de ses activités. La définition de la nouvelle stratégie de la DGDDI et de ses priorités à moyen terme a confirmé la place de la prévention et de la répression des trafics parmi ses missions fondamentales.

I. ADMINISTRATION EN CHARGE DU CONTRÔLE DES FLUX DE TOUTES LES MARCHANDISES, LA DOUANE EST AU CoeUR DE LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS

A. LA LUTTE CONTRE LES TRAFICS DE TOUTE NATURE FAIT PARTIE DES COMPÉTENCES MÉTIER DE LA DOUANE

La lutte contre les trafics de toute nature constitue une part prépondérante des missions de la Douane, alors même que l'essentiel de l'attention se focalise le plus souvent sur le contrôle des flux de marchandises (légales) aux frontières, en particulier depuis la décision du Royaume-Uni de sortir de l'Union européenne et du marché commun.

Dans le cadre de la démarche de performance de la Douane, trois objectifs sont ainsi érigés au rang de priorités :

- amplifier la lutte contre les trafics et la criminalité organisée et garantir la conformité des marchandises sur l'ensemble de la chaîne logistique ;

- optimiser et moderniser le traitement des flux de marchandises en frontière et consolider l'accompagnement des entreprises ;

- faire de la Douane une administration moderne et innovante.

La lutte contre le trafic de stupéfiants suppose la mobilisation de nombreux moyens - effectifs, renseignement, équipements - et une coopération accrue avec l'ensemble des services de l'État impliqués dans cette mission ainsi qu'avec les homologues de la Douane à l'étranger .

1. La lutte contre le trafic de stupéfiants, une mission essentielle de la Douane mais difficile à évaluer sur le plan budgétaire
a) Des effectifs mobilisés dans les deux branches « surveillance » et « opérations commerciales »

Les effectifs de la Douane sont classés selon deux branches : la branche « surveillance » (SU) et la branche « opérations commerciales et administration générale (ÀG/CO) ». En 2022, et dans les seules directions régionales - c'est-à-dire hors directions nationales et spécialisées - 6 518 agents sont affectés à la branche ÀG/CO et 6 740 à la branche SU.

Les agents de ces deux branches sont amenés à intervenir dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, qui mobilise l'ensemble des services de la surveillance - brigades terrestres et groupes interministériels de recherche (GIR) par exemple - ainsi que les agents des bureaux en charge du fret express et postal pour ce qui relève des services des opérations commerciales. À ces effectifs s'ajoutent ceux des directions spécialisées, notamment plus de 750 enquêteurs et agents de renseignement douanier et plus de 240 officiers de douane judiciaire.

La Douane recourt également à des compétences particulières , parmi lesquelles des marins (environ 500 agents), des personnels aériens (environ 150 agents), des maîtres de chien (environ 250 agents) ou encore des informaticiens (environ 400).

Il n'y a toutefois pas de données plus précises sur les missions sur lesquelles sont affectés, à titre principal ou secondaire, les agents de la Douane.

b) Des crédits difficiles à évaluer

S'il existe des informations quant au coût des scanners, des vedettes ou des aéronefs, trois types d'équipement particulièrement utilisés dans la lutte contre les stupéfiants, il est en revanche impossible, en l'état des données budgétaires, de pouvoir évaluer avec précision le montant des crédits mobilisés par la Douane pour assurer sa mission de lutte contre les trafics de toute nature , et encore moins en ne retenant que les seuls produits stupéfiants.

Les crédits alloués à la Douane sont retracés au sein de la mission « Gestion des finances publiques », sur le programme 302 « Facilitation et sécurisation des échanges ». Deux actions ont plus particulièrement trait aux missions de la Douane en matière de contrôle des flux de marchandises illicites : l'action 01 « Surveillance douanière des flux de personnes et de marchandises et lutte contre la grande fraude douanière » - 536,1 millions d'euros en crédits de paiement pour 2022 - et l'action 03 « Préservation de la sécurité et de la sûreté de l'espace national et européen » - 147,4 millions d'euros.

La Douane a transmis une ventilation indicative des crédits de l'action 01 :

Ventilation indicative des crédits de paiement
portés par l'action 01 du programme 302
de la mission « Gestion des finances publiques » pour 2022

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

L'action 01 totalise 7 323 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2022, soit une baisse de 3 % (232 ETPT) par rapport à 2021, compte tenu notamment du transfert de certaines missions fiscales de la Douane à la DGFiP. Ces effectifs correspondent aux brigades de surveillance douanières présentes sur les frontières terrestres, portuaires, aéroportuaires ainsi que sur les noeuds routiers et autoroutiers, aux services régionaux d'enquête qui réalisent les contrôles douaniers et fiscaux des entreprises, à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et au service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF).

2. Pour lutter contre le trafic de stupéfiants, la Douane mobilise l'ensemble de ses compétences et de ses directions

En plus de la participation des services territoriaux des deux branches de la Douane, il faut également retenir, dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, le rôle joué par les directions spécialisées : la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), le service d'enquête judiciaire des finances (SEJF), la direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD) et le service commun des laboratoires (SCL).

a) Le renseignement, un facteur clé dans la stratégie de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants

La direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) est un acteur central de la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants. Son objectif est d'entraver les filières d'approvisionnement et d'identifier les commanditaires et leurs complices. Pour certaines de ses enquêtes, elle peut par exemple demander aux services douaniers de ne pas saisir les produits stupéfiants afin de pouvoir les suivre et d'obtenir des informations sur l'organisation criminelle ou le réseau impliqué dans le trafic. Ce sont les « livraisons surveillées ». La DNRED a ainsi saisi directement 3,3 tonnes de stupéfiants en 2021 - ces chiffres excluant les concours apportés par la direction aux autres services douaniers.

Comptant 769 ETP en 2021 , la DNRED se structure autour de trois directions : la direction du renseignement douanier , la direction des enquêtes douanières et la direction des opérations douanières , appuyées par les services centraux (secrétariat général, contrôle interne, gestion des ressources humaines, etc.). Elle dispose de plus d'une vingtaine d'implantations territoriales , sous la forme d'échelons et d'antennes.

Le principal atout de la direction réside dans sa double affiliation douanière et renseignement, qui lui donne accès à deux types d'instruments juridiques : la DNRED peut d'une part mettre en oeuvre les pouvoirs conférés par le code des douanes (saisie, retenue douanière, contrôle des flux, enquêtes administratives, visite domiciliaire 6 ( * ) ) et elle peut d'autre part, en tant que service de renseignement du premier cercle 7 ( * ) , mettre en oeuvre l'ensemble des techniques de renseignement prévues aux articles L. 851-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.

Au sein de la direction du renseignement, trois divisions sont respectivement consacrées à l'analyse (ex. détection des menaces), au ciblage des contrôles et aux stupéfiants. La division « analyse » comprend le service « Cyberdouane », chargé de collecter des informations sur internet et de mener des opérations en ligne. Par exemple, et avec l'autorisation du parquet, les agents de Cyberdouane peuvent réaliser des « coups d'achat », c'est-à-dire se faire passer pour des clients et acheter des stupéfiants en ligne, pour ensuite remonter vers la source des trafics.

Un exemple de saisie par la DNRED et Cyberdouane

Au mois de mai 2021, et après plusieurs mois d'investigation par le service Cyberdouane sur le darknet , les agents de la DNRED sont parvenus à identifier les administrateurs de la plateforme « Le Monde Parallèle », qui proposait à la vente divers produits et services illicites, dont des stupéfiants. Les deux administrateurs ont été interpellés et la plateforme démantelée.

L'opération contre cette plateforme s'inscrivait à la suite du démantèlement de deux autres plateformes en 2018 et en 2019 et devait permettre de désorganiser encore davantage le trafic de drogues utilisant le darknet pour alimenter le marché français.

Source : communiqué de presse n° 1031 du 21 mai 2021 , MM. Le Maire et Dussopt, ministre de l'économie, des finances et de la relance et ministre délégué chargé des comptes publics

La DNRED peut également être amenée à coopérer avec des services de police étrangers. Ce fut le cas par exemple au mois de juin 2021, une opération menée avec la police fédérale brésilienne ayant abouti à la saisie de quatre tonnes de cannabis sur un voilier parti du Portugal.

b) Le service d'enquête judiciaire des finances

Créé le 1 er juillet 2019, le service d'enquête judiciaire des finances (SEJF), issu de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude 8 ( * ) , résulte de la transformation du service national de douane judiciaire (SNDJ). Dirigé par un magistrat, il se compose d'environ 240 officiers douaniers judiciaires et d'une quarantaine d'officiers fiscaux judiciaires . Le service ne dépend de la DGDDI que pour ses fonctions support : la direction ne générale connait pas de ses affaires en cours ni de leur avancement.

Avec la DNRED, le SEJF a contribué à identifier, entraver et démanteler 93 organisations criminelles 9 ( * ) en 2021, pour un objectif fixé à 75 dans le projet annuel de performances 10 ( * ) .

Si le SEJF n'est pas compétent en matière de stupéfiants, il peut en revanche intervenir sur le volet blanchiment des produits issus du trafic de stupéfiants et transmettre les informations recueillies au cours de ses enquêtes aux services compétents. Sur les 30 467 condamnations pour infraction à la législation sur les stupéfiants prononcées en 2021, 356 avaient trait à des faits de blanchiment ; 1 731 à des infractions douanières.

Dans sa stratégie pour la période 2022-2025, la Douane insiste particulièrement sur ce point : « la lutte contre les trafics illicites doit être conjuguée à la lutte contre le blanchiment des produits illicites qu'ils génèrent. [...] la Douane est la force de frappe naturelle pour le faire » 11 ( * ) .

c) La direction nationale garde-côtes des douanes

La direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD), créée le 1 er juillet 2019, dispose en 2022 d'un budget d'environ 31 millions d'euros et de près de 900 ETP. À ces crédits doivent être ajoutés 6,5 millions d'euros liés au renouvellement d'un marché de maintien en condition opérationnelle de sa flotte d'hélicoptères EC 135.

La direction représente la Douane dans la gouvernance de l'action de l'État en mer , sous l'égide du secrétaire général de la mer au niveau central et des préfets maritimes ou des délégués du Gouvernement pour l'action de l'État en mer dans les territoires ultra-marins. La DNGCD participe ou mène des opérations de lutte contre les trafics en haute mer . Le comité interministériel antistupéfiants a ainsi souligné la complémentarité, pour l'action de l'État en mer, des services de renseignement et d'enquête (DNRED, Office antistupéfiants) et des moyens d'intervention, à savoir essentiellement ceux de la Douane et de la Marine nationale 12 ( * ) .

Les moyens de surveillance aérienne et maritime à disposition de la DNGCD lui permettent de détecter des mouvements anormaux de bateaux en mer, qui sont ensuite analysés pour cibler les actions de contrôle. Les informations ainsi exploitées sont enrichies de celles reçues de la DNRED ou des autres partenaires de la douane en mer. Fortement impliquée dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, la direction est à l'origine de la saisie de 6,5 tonnes de produits stupéfiants en 2021 , après 7,8 tonnes en 2019 et 753 kilogrammes en 2020.

La DNGCD, comme elle en a fait la démonstration aux rapporteurs spéciaux lors de leur déplacement au Havre, dispose également d'une flotte de drones , mobilisable sur des opérations de surveillance de marchandises. Ces drones sont considérés comme des aéronefs d'État, au même titre que les avions, et ne sont donc pas soumis aux règles de l'aviation civile. Leurs opérateurs doivent suivre une formation d'État spécifique pour être agréés.

d) Les laboratoires, un service commun mutualisé

Le service commun des laboratoires (SCL) est rattaché à deux directions : la DGDDI et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Ses crédits sont portés par le programme 218 « Conduite et pilotage des politiques économiques et financières » de la mission « Gestion des finances publiques » et s'élèvent à 7,6 millions d'euros en 2022.

Le SCL, structuré autour de pôles de compétence nationaux, dispose d'un champ d'intervention extrêmement vaste en matière douanière puisqu'il couvre les produits soumis à fiscalité, la régulation des échanges commerciaux mais aussi la protection de la santé publique et de l'environnement et la lutte contre la fraude et les produits illicites.

Son rôle est primordial : lorsque les tests « simples », effectués au moment de la saisie, ressortent négatif alors qu'il existe de très fortes présomptions quant à la nature illicite du produit, les services douaniers peuvent consigner la marchandise pendant 10 jours et demander au laboratoire de procéder à des tests en urgence. Ces tests permettent ensuite aux douaniers d'identifier et de détecter de nouvelles méthodes de dissimulation des produits stupéfiants.


* 2 Europol (2021), European Union serious and organised crime threat assessment, À corrupting influence: the infiltration and undermining of Europe's economy and society by organised crime , Publications Office of the European Union, Luxembourg.

* 3 Comité interministériel de lutte contre les stupéfiants du 28 mai 2021.

* 4 Office des Nations Unies contre la drogue et le crime - World Report 2022 .

* 5 Insee, Consommation des ménages en 2021 - Consommation effective des ménages par fonction, 31 mai 2022.

* 6 À noter, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 60 du code des douanes concernant la visite domiciliaire. La déclaration d'inconstitutionnalité prendra effet au 1 er septembre 2023, ce qui laisse au législateur le soin d'y apporter les modifications nécessaires pour en assurer la conformité à la Constitution ( Décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022).

* 7 Confirmé par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

* 8 Article 2 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* 9 La définition retenue pour les organisations criminelles répond à la définition fixée au niveau européen par la décision-cadre 2008/841/JÀI du Conseil du 24 octobre 2008 relative à la lutte contre la criminalité organisée. Une organisation criminelle est une association structurée établie dans le temps, de plus de deux personnes agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions punissables d'une peine privative de liberté d'au moins quatre ans, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier et/ou un avantage matériel.

* 10 Projet annuel de performances de la mission « Gestion des finances publiques », programme 302 « Facilitation et sécurisation des échanges », annexé au projet de loi de finances pour 2021.

* 11 DGDDI, « La Douane change. Stratégie 2022-2025 de la direction générale des douanes et droits indirects », 7 décembre 2021.

* 12 Comité interministériel contre les stupéfiants du 28 mai 2021.

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