B. LA DOUANE EST, EN FRANCE, L'ADMINISTRATION À L'ORIGINE DES PLUS IMPORTANTES SAISIES DE PRODUITS STUPÉFIANTS

1. Un rôle clé de la Douane dans les saisies de stupéfiants sur le territoire national
a) L'augmentation des saisies : une traduction de l'efficacité de la Douane ou de la hausse des flux de produits stupéfiants ?

La Douane a saisi plus de 115 tonnes de produits stupéfiants en 2021, soit 31,5 % de plus qu'en 2020 - année marquée par les confinements successifs du fait de la crise sanitaire - et 14,5 % de plus qu'en 2019 .

Saisies de produits stupéfiants par la Douane (en volume)

(en kilogrammes)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

La Douane communique également sur les saisies en valeur , ce qui permet de disposer de premières estimations quant au volume des flux financiers sous-jacents au trafic de stupéfiants . Ces estimations s'appuient toutefois sur des valeurs théoriques, qui ne sont ni les prix de production, ni les prix d'achat pour les consommateurs. Pour ces derniers, le prix dépend en partie de la pureté du produit.

Saisies de produits stupéfiants par la Douane (en valeur)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Comme souligné par la directrice générale des douanes, les résultats obtenus en matière de saisies peuvent être difficiles à interpréter : l'augmentation des saisies traduit tout autant l'expertise des agents des douanes en matière de contrôle des flux et le renforcement de leur coopération avec l'ensemble des administrations mobilisées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants que la croissance des échanges et de la production de ces produits, dans un contexte de hausse de la demande sur le marché européen .

Ainsi, dans le même temps, et selon les données publiées lors du deuxième comité interministériel contre les stupéfiants (2 mars 2022), les constatations de trafics ont augmenté de 24 % entre 2020 et 2021 pour s'établir à plus de 15 000 et le nombre de trafiquants mis en cause a augmenté de 21 % (18 756).

Pour la cocaïne par exemple, un rapport commun d'Europol et de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) 13 ( * ) souligne que la cocaïne est de plus en plus disponible sur le marché européen, avec une efficacité accrue des réseaux criminels pour entrer sur le territoire . Le trafic est décrit comme étant devenu à la fois plus compétitif et plus efficace, avec des routes plus directes vers les principaux centres de distribution européens. Les deux organisations estiment la production de cocaïne au niveau mondial à près de 1 800 tonnes en 2019, pour 200 tonnes saisies en Europe de l'Ouest et centrale et 250 tonnes saisies aux États-Unis .

L'évolution des saisies permet également de constater que certains produits sont plus facilement « détectables » ou circulent davantage que d'autres : c'est notamment le cas du cannabis, de la cocaïne et du khat. Ils forment ainsi la grande majorité des produits saisis, avec une hausse ces dernières années de la part de la cocaïne, premier produit stupéfiant consommé par les résidents français. Les saisies de cocaïne ont atteint leur plus haut niveau en 2021.

Evolution de la part de plusieurs produits stupéfiants
dans le total des saisies opérées par la Douane

(en %)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Les premières données disponibles pour l'année 2022 confirment ces tendances : les saisies de cannabis s'élevaient à 12,7 tonnes au 28 février 2022, et 4,9 tonnes pour la cocaïne. S'il faut bien sûr prendre avec prudence toute projection annuelle réalisée sur la base de ces deux premiers mois de l'année, le dynamisme des flux pour ces deux produits se confirme, ainsi que la forte tendance haussière constatée en 2021 .

Les saisies des autres produits stupéfiants sont plus fluctuantes, alors même que plusieurs rapports, de l'ONUDC comme d'Europol, ainsi que les personnes entendues par les rapporteurs spéciaux, s'inquiètent de la hausse de la consommation des amphétamines et des drogues de synthèse, avec des laboratoires de production désormais installés en Europe (Belgique, Pays-Bas). Les saisies de la Douane restent cependant encore limitées sur ces produits.

Évolutions des saisies de plusieurs
produits stupéfiants depuis 2012

(en kilogrammes)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

N'apparaissent pas sur ces graphiques, pour des raisons de lisibilité, le nombre de doses saisies pour certains produits, tels que l'ecstasy. Le constat est en revanche similaire, avec une forte hausse en 2021 : près d'1,1 million de doses ont été saisies en 2021, contre 834 000 doses en 2020, soit une hausse de 28 %.

L'action de la Douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ne se mesure pas seulement à l'aune des saisies réalisées, mais également à celui des personnes physiques mises en cause . Sur cet aspect, le constat est le même : le nombre de mises en cause est en hausse sur le long terme, avec une augmentation significative en 2021 après un léger reflux en 2020, du fait de la fermeture des frontières pendant les confinements.

Nombre de personnes physiques mises en cause
par la Douane pour des faits liés aux produits stupéfiants

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Il est toutefois dommage de ne pas pouvoir disposer des données relatives aux retenues douanières ou aux visites domiciliaires en matière de trafic de stupéfiants, qui permettraient de donner un autre aperçu de l'activité des services douaniers dans la lutte contre les trafics de stupéfiants. Ces données étaient disponibles jusqu'en 2016 et devraient l'être bientôt de nouveau pour les années 2019 et suivantes, la DGDDI ayant décidé de reprendre la rédaction de ce bilan.

b) La Douane, à l'origine de la majorité des interceptions de produits stupéfiants sur le territoire national

Quatre services et administrations réalisent des saisies de stupéfiants sur le territoire national : la DGDDI, la direction générale de la police nationale (DGPN) 14 ( * ) , la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la Marine nationale. De par son positionnement aux frontières et sa mission de surveillance des flux, la Douane est à l'origine de la majorité des saisies de produits stupéfiants sur le territoire national .

Part de la Douane dans les saisies
de produits stupéfiants en 2021

(en tonne et en %)

* en millions de doses

Source : commission des finances, d'après les informations transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Les rapporteurs spéciaux considèrent que cette part de la Douane dans les saisies, au regard des effectifs potentiellement impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, est un indicateur plutôt positif de l'efficacité de la Douane, avec un bon ratio de saisies par agent .

La prédominance de la Douane dans les saisies s'explique par une répartition des tâches qualifiée de « naturelle » par le directeur général adjoint de la police nationale : la Douane intervient sur les flux, la police intervient sur les trafics et les organisations criminelles , en descendant jusqu'aux consommateurs, par le biais notamment des amendes forfaitaires délictuelles 15 ( * ) .

En réalité, la distinction apparaît moins nette : la Douane, notamment par le biais de la DNRED, dispose de compétences et de prérogatives importantes lui permettant de mener des enquêtes et de démanteler des organisations criminelles. Il y a d'ailleurs eu par le passé quelques frictions entre les différents services , même si, de l'avis de plusieurs personnes auditionnées, la coopération s'est améliorée avec la création de l'Office antistupéfiants. Les services de police et de gendarmerie peuvent par ailleurs tirer profit de l'exercice par les services douaniers des prérogatives spécifiques qui leur sont confiées par le code des douanes.

La Douane joue donc plutôt le rôle de « premier rideau », en interrompant un certain nombre de flux et en empêchant les produits d'atteindre les circuits de commercialisation . Cet asséchement du marché doit être poursuivi, et couplé à un asséchement des flux financiers (cf. infra ).

2. La Douane, administration à part entière des plans interministériels de lutte contre le trafic de stupéfiants

La Douane contribue aux plans interministériels mis en place pour améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants. Elle y joue un rôle clé de par ses prérogatives stratégiques en matière de contrôle des flux, sa présence dans tous les territoires métropolitains et ultra-marins ainsi que sa participation à la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d'argent.

Elle est ainsi impliquée dans le plan interministériel de lutte contre le trafic de stupéfiants (« Plan stupéfiants », septembre 2019) et dans la déclinaison de sa mesure 20, le plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane :

- le « Plan stupéfiants », qui vise à renouveler les modalités de coopération entre les services de police, de gendarmerie et de la douane comprend 55 mesures. Trois sont pilotées par la DGDDI sur les vecteurs terrestre, maritime (conteneurs) et fret express et postal ;

- le plan de lutte contre les « mules » de Guyane, désormais pleinement repris au sein de la mesure n° 20 du « Plan stupéfiants », est piloté par la direction des affaires criminelles et des grâces (ministère de la justice). Les 27 agents des douanes de la brigade de surveillance de l'aéroport Félix Eboué à Cayenne sont quasiment exclusivement dédiés à la lutte contre les passeurs de cocaïne. Ils s'appuient pour cela sur le travail des cinq agents de la cellule de ciblage. À Orly, principal aéroport d'arrivée pour les vols en provenance de Guyane, la lutte contre ces passeurs fait partie des priorités des 155 agents des brigades de surveillance, aidés dans cette tâche par les 16 agents de la brigade d'investigation locale et de ciblage (BILC).

3. Un réseau à l'international et une coopération multilatérale sources d'importantes saisies

La Douane dispose de son propre réseau international en ambassade : les attachés douaniers . Ils sont 19 en poste en 2022 au sein des ambassades et consulats de Washington, Miami, Bogota, Sao Paulo, La Haye, Londres, Madrid, Berlin, Belgrade, Dakar, Dubaï, Pékin, Bangkok et Moscou. C'est un poste de moins qu'en 2021, le poste d'attaché douanier à Rabat ayant été fermé.

La plupart des attachés douaniers disposent d'une compétence régionale puisque ce sont en tout 78 pays qui sont couverts : l'attaché douanier en poste à la Haye est ainsi accrédité sur la zone des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg. Ils interviennent comme relais entre les services opérationnels douaniers français et les services partenaires étrangers pour des interventions opérationnelles, sur tous les types de vecteurs de trafic de stupéfiants.

Il y a également un officier de liaison douanier et deux experts nationaux détachés auprès d'Europol, et cinq experts techniques internationaux sont sous contrat avec l'Union européenne ou avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et participent à des projets en lien avec la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ils sont en poste à Alger, Niamey, Abidjan, Dakar et Tunis. Par ailleurs, dans le cadre de la constitution progressive d'un corps européen de 10 000 garde-frontières et garde-côtes sous uniforme Frontex, la Douane devrait y détacher plusieurs personnels, des douaniers français étant déjà mis à disposition de l'agence européenne.

En 2021, plus de 3 300 renseignements opérationnels ont été transmis par le réseau des attachés douaniers aux services de la DGDDI en charge de la lutte contre la fraude, tandis que 7 880 collaborations opérationnelles ont été réalisées avec les services de la DNRED et 203 soutiens opérationnels apportés au SEJF. 62 livraisons surveillées internationales de produits stupéfiants ont également été réalisées.

Les personnes auditionnées par les rapporteurs spéciaux se sont montrées très positives sur le travail accompli par les attachés douaniers et le volume des saisies réalisées grâce à la coopération internationale illustre l'apport de ces agents dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Coopération internationale dans le domaine
de la lutte contre le trafic de stupéfiants

(en kilogrammes de produits saisis)

*ÀRE : affaires réalisées à l'étranger, affaires réalisées par des autorités étrangères sur renseignement opérationnel émanant de la DGDDI.

**LSI : livraisons surveillées internationales, découverte de produits stupéfiants sur le territoire

Source : commission des finances, d'après les données transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects

Si la décomposition par type d'opération n'est pas encore disponible, le chiffre des saisies opérées à l'étranger sur renseignement de la Douane française en 2021 est tout à fait inédit , avec 10,9 tonnes de cocaïne et 70,3 tonnes de cannabis saisies. La DGDDI explique cette très forte hausse par rapport à 2020 par un rebond dû à la sortie de la crise sanitaire et par l'expertise de la Douane en matière de renseignement maritime.


* 13 UNODC and EUROPOL, The illicit trade of cocaine from Latin America to Europe - from oligopolies to free-for-all? , Cocaine Insights 1, UNODC, Vienna, September 2021.

* 14 Incluant, dans les données transmises, la police judiciaire, l'Office antistupéfiants, la direction centrale de la sécurité publique, la préfecture de police de Paris et la police de l'air et des frontières.

* 15 La procédure de l'amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs de produits stupéfiants a été généralisée au 1 er septembre 2020. Près de 134 000 amendes ont été adressées entre le 1 er septembre 2020 et le 31 décembre 2021.

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