EXAMEN EN DÉLÉGATION
La Délégation aux entreprises s'est réunie le jeudi 8 décembre 2022 pour l'examen du présent rapport.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Monsieur le président, chers collègues, nous sommes heureux de revenir vers vous pour la troisième fois pour évoquer le sujet du commerce extérieur de la France. La première présentation était un bilan d'étape et la deuxième le compte rendu de nos déplacements en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni. Le temps des conclusions est venu. On pourrait aisément se sentir découragé face à l'ampleur du problème ; mais cela n'est pas dans nos gènes de sénateurs et en particulier à la Délégation aux entreprises.
La question du commerce extérieur et du déficit de la balance commerciale en particulier pourrait paraître insurmontable tant l'évolution de la situation française est catastrophique.
Cette situation résulte d'une erreur stratégique que fut le choix, assumé par les gouvernements successifs, de la désindustrialisation. Tous les économistes entendus nous l'ont confirmé. La Cour des comptes le rappelle également, dans un rapport publié il y a deux mois. Elle y précise que parmi les grands pays industrialisés, la France est celui qui a connu la désindustrialisation la plus marquée au cours de ces 40 dernières années. La part de l'industrie dans le PIB a diminué de 10 points depuis 1980 pour atteindre 13,5 % en 2019, contre 24,2 % en Allemagne et 19,6 % en Italie ou 15,8 % en Espagne. Le classement de ces pays selon la part de l'industrie dans le PIB est exactement celui du classement des mêmes pays par la balance commerciale. Ce phénomène de désindustrialisation s'est accompagné de nombreuses délocalisations. Les entreprises françaises se sont délocalisées pour produire moins cher, ce qui a limité la baisse du pouvoir d'achat des Français sans nécessairement conquérir des marchés locaux. Seuls 3,2 millions d'emplois industriels sont recensés en France, contre 7 millions en Allemagne. Logiquement, la diminution du nombre d'entreprises industrielles, plus portées vers l'export que les autres, a entraîné un ralentissement des exportations industrielles : entre 2002 et 2020, elles n'ont augmenté, en valeur, que de 1 % contre 3,6 % en Allemagne.
Le résultat de cette désindustrialisation vous le connaissez. Nous avions déjà évoqué les chiffres devant vous, mais il n'est pas inutile de les rappeler brièvement :
L'année 2021 a été marquée par un déficit record de 84,7 milliards d'euros, contre 64,7 milliards en 2020 et 58 milliards en 2019. Soit moins 26,7 milliards en deux ans. Cette accélération de la dégradation, que l'on pourrait imputer à la crise sanitaire, n'est malheureusement pas la première depuis 2002, dernière année où la France a connu un solde commercial positif. La dégradation se poursuit en 2021, même si elle est moins forte qu'en 2020. Elle est en partie liée à un alourdissement de 17,9 milliards d'euros de la facture énergétique qui s'explique par la hausse des prix mondiaux de l'énergie. Et à la lecture des chiffres des trois premiers trimestres de l'année 2022 qui annoncent d'ores et déjà un déficit de 149,9 milliards d'euros. Certains commentateurs estiment que « la France a touché le fond », en soulignant l'impact des importations énergétiques.
On peut souligner l'importance du déficit dans le secteur de l'énergie pour l'année 2021. Mais considérer que la balance commerciale est en majorité dégradée par le coût des importations énergétiques, c'est ignorer les maux réels de la désindustrialisation.
Les conséquences sont également désastreuses lorsque l'on se compare aux autres membres de l'Union européenne. Les chiffres d'Eurostat, dont les méthodes de calcul diffèrent de ceux des douanes françaises puisqu'ils ne prennent pas en compte les mouvements commerciaux au sein des États membres, offrent néanmoins une comparaison européenne qui nous place au dernier rang. La France est très loin derrière la Grèce, la Roumanie et l'Espagne avec 109 milliards de déficit ! Je rappelle que les trois principaux clients de la France sont l'Allemagne, l'Italie et la Belgique, ayant tous trois une balance commerciale excédentaire.
Le déficit calculé par Eurostat montre notre dépendance à l'étranger ; il n'est dès lors pas étonnant de constater que la Chine est notre deuxième fournisseur, pour 63,8 milliards d'euros, après l'Allemagne, 81,4 milliards, et avant l'Italie, 46,3 milliards. Nous l'avons vu avec la crise sanitaire, cette dépendance soulève la question de notre souveraineté, mais nous y reviendrons plus tard.
Le drame de la désindustrialisation, au-delà des chiffres, se traduit à plusieurs niveaux.
L'économiste Thomas Grjébine parlait du « cercle vicieux » entraîné par la désindustrialisation : chômage endémique, affaiblissement de l'innovation et des compétences, fragilisation de l'économie et moindre résistance de notre pays aux chocs, tels qu'une crise sanitaire.
Pour Patrick Artus, la France doit faire face à un « triptyque infernal » découlant de la désindustrialisation et constituant des obstacles à toute décision de relocalisation. Pour l'économiste, ce triptyque se caractérise par :
1- la faiblesse des compétences de la population active : l'enquête PIAAC (programme international pour l'évaluation des compétences des adultes) de l'OCDE sur les faiblesses des compétences des adultes place la France en 21 ème position sur 24 pays étudiés ;
2- les surcoûts salariaux : même si l'on a vu que l'écart avec l'Allemagne n'est plus aussi fort qu'à la fin des années 1990, on observe néanmoins un surcoût de 20 % pour le salaire horaire -- cotisations sociales incluses -- par rapport à la zone euro hors France et une multiplication par 3,7 par rapport aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO) ;
3- Enfin, la pression fiscale pèse sur les entreprises : prise au sens large, elle représente 19 % du PIB contre 12 % dans la zone euro hors France. Il faudrait, selon Patrick Artus, une baisse des impôts de production trois fois plus importante que celle annoncée par le Gouvernement pour ramener la France au niveau des autres pays européens. Je me permets de rappeler que les aides aux entreprises représentent par ailleurs 8,4 % du PIB, ce qui fait d'ailleurs réfléchir à la cohérence et à la complexité d'un système qui taxe pour ensuite aider. La mission que notre Délégation a décidé de lancer sur la simplification est bienvenue pour appréhender cette situation.
J'ajouterais bien volontiers au « triptyque » le
recours systématique à la dette, que l'économiste
Jean-Marc Daniel avait résumé dans cette formule lors de notre
table ronde :
« Puisque nous n'arrivons pas à vendre, nous
nous vendons ». Ainsi notre position extérieure nette, qui
reflète l'endettement de la France vis-à-vis du reste du monde,
atteint 32,3 % du PIB, se rapprochant du seuil d'alerte européen de
35 %. Ce constat nous inquiète, contrairement au Gouvernement qui
se flatte d'attirer des capitaux étrangers pour racheter et investir en
France.
N'oublions pas l'impact des normes franco-européennes qui, en l'absence de contrôle, ne s'appliquent pas aux importations qui concurrencent ainsi nos productions. Je pense par exemple à l'interdiction de diméthoate pour les cerises produites en France, aux exigences du bien-être animal pour nos poulets, aux normes bio s'appliquant aux bananes des Antilles françaises.
Enfin, je dois préciser que la difficulté du sujet que nous avons traité tient au fait qu'il n'y a pas de solution miracle, pas de mesure phare qui réglerait une grande partie du problème. En effet, la balance commerciale résulte de plusieurs politiques publiques trop souvent pensées en silos : fiscalité, recherche et innovation, formation et amélioration des compétences, etc. Toute approche doit donc être transversale et écosystémique.
Or, la Cour des Comptes, dont nous avons rencontré les représentants, ont confirmé ce que nous avions perçu des différentes auditions et tables rondes : la politique de soutien à l'exportation ne suit aucune stratégie, ni sectorielle ni géographique en dehors de l'Afrique ; comme la politique de relance et de réindustrialisation qui répond aux projets sans stratégie sectorielle. Rééquilibrer la balance commerciale se fera en accélérant les exportations, mais aussi en diminuant les importations.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Vincent Segouin a exposé quelques éléments sur le déficit abyssal lié à des choix stratégiques de la France ces quarante dernières années.
Nous allons voir maintenant la multitude des risques et des politiques publiques qui ont un impact sur le commerce extérieur.
En effet, la transversalité et la définition d'une stratégie sont indispensables tant les risques sont divers, impliquant de considérer l'objectif du commerce extérieur à travers le prisme de nombreuses politiques publiques. La question des services notamment permet d'illustrer cette nécessité.
Si le constat concernant la balance commerciale des biens est alarmant, il doit néanmoins être nuancé par la performance du secteur des services, dont la balance est, elle, excédentaire. Ce niveau est même très haut en 2021 avec un solde positif de 36,2 milliards d'euros. Ce chiffre est, outre le tourisme bien entendu, principalement le fait des services de transports, notamment les sociétés de transport maritime, mais également des services aux entreprises, services techniques, services professionnels, services de conseil en gestion.
Entre 2000 et 2021, les exportations de services ont augmenté de 140 % soit deux fois plus que les exportations de biens, et elles sont passées de 24 à 33 % des exportations totales. Donc la part des services augmente significativement. Par ailleurs, en 2021, les exportations de services ont représenté 25 % des crédits des transactions courantes pour la France, contre 16 % pour l'Allemagne et 13 % pour l'Italie. Dès lors, notre faiblesse en matière de biens est en partie compensée par notre excédent en matière de services. Et la place prépondérante des services dans l'économie française se perçoit également au sein des investissements à l'étranger. En effet, ils représentent 55 % du stock total d'investissements, contre 36 % pour l'industrie et le secteur manufacturier.
La question des services doit être centrale dans notre approche du commerce extérieur, tout d'abord parce que les bonnes performances des services en matière d'export compensent le très lourd déficit de la balance commerciale des biens, avec, en plus, l'excédent des revenus primaires, qui s'élevait à 81 milliards d'euros pour obtenir un solde des transactions courantes légèrement excédentaire, à hauteur de 9 milliards en 2021. Donc globalement, on peut dire que pour 2021, cela ne va pas si mal, puisque le solde de la balance des transactions courantes est excédentaire. Mais sur les 10 dernières années, il n'a été excédentaire que 2 ans et il sera à nouveau très largement déficitaire en 2022. Mais les services sont surtout essentiels parce qu'ils sont intrinsèquement liés aux biens exportés, dont ils sont souvent complémentaires. D'ailleurs, 40 % de la valeur ajoutée incorporée dans les exportations de biens est constituée en réalité de services.
Comme le rappelait Timothée Gigout Magiorani, économiste à la direction des paiements de la Banque de France, un bon nombre d'entreprises exportent à la fois des biens et des services, notamment dans le secteur industriel. Ainsi sont-elles 66 % dans le secteur pharmaceutique. Les entreprises qui exportent à la fois des biens et des services sont, en général, deux fois plus grosses que leurs concurrentes. Elles génèrent 40 % de valeur ajoutée supplémentaire et versent des salaires en moyenne 25 % plus élevés. Si la base industrielle se réduisait excessivement, bien entendu la capacité des entreprises françaises à exporter des services se réduirait, elle aussi, significativement. Donc ce n'est pas parce que nous avons un excédent en services qu'il faut négliger la balance commerciale.
Et comme l'a souligné la représentante de la direction générale du Trésor devant la délégation, la délocalisation des services représente, elle aussi, un risque, notamment avec le développement des technologies numériques. Aussi la formation, on y reviendra, est-elle essentielle, tout comme l'investissement dans les infrastructures numériques.
Or, si l'on entend souvent parler de personnes hautement qualifiées pour soutenir les projets de recherche de pointe développés en France, c'est moins vrai du plus grand nombre. Le rapport de 2020 de notre collègue Michel Canévet sur les compétences avait d'ailleurs déjà mis en évidence le niveau insuffisant de compétences disponibles, et l'impact négatif en matière de compétitivité hors-prix pour la France. En effet, les retombées de l'innovation, de la robotisation dans l'industrie sont limitées par le manque de compétences de la population active. Banque européenne d'investissement, France Stratégie, OCDE : toutes les études tirent la sonnette d'alarme sur ce sujet depuis un moment. Il constitue un véritable défi en matière de commerce extérieur. En négligeant cette politique publique de formation, nous pourrions être confrontés au phénomène de « télé migration » au profit des travailleurs des pays en développement, décrit par l'économiste Richard Baldwin. C'est pourquoi la lutte contre les délocalisations doit impérativement intégrer une stratégie relative aux services.
Un autre risque : celui de la propriété intellectuelle, notamment, en raison de notre dépendance à des data centers situés à l'étranger. On sait maintenant, après des expériences parfois douloureuses, que même si nos entreprises pensent avoir la complète propriété et maîtrise de leurs données, ce n'est pas le cas. D'ailleurs même sur les biens, le risque de dépendance est sous-estimé. Nous l'avions déjà évoqué devant vous. Nous connaissons en réalité mal nos véritables vulnérabilités en raison de l'insuffisante précision de l'origine des biens importés et comptabilisés par la direction des douanes.
Cette dimension est souvent négligée dans la réflexion relative au commerce extérieur et dans la définition des politiques publiques en France. C'est également le cas de la concurrence. Évidemment les notions de compétitivité prix et hors prix sont toujours rappelées, mais sans en tirer toutes les conséquences. C'est particulièrement vrai pour la compétitivité hors-prix qui dépend de nombreux facteurs dont l'environnement normatif, et le positionnement -- on a vu par exemple que la France a délaissé le haut de gamme dans des secteurs tels que l'automobile. Cela dépend aussi des caractéristiques des entreprises exportatrices, leur taille, leur management, et d'autres facteurs structurels tels que la qualification, les compétences ou la R&D.
Or sur tous ces aspects, nous avons le sentiment qu'il n'y a aucun pilotage stratégique pour la France. Nous évoquions tout à l'heure la question de la planification, elle nous semble essentielle. Les formations semblent toujours trop déconnectées des besoins de compétences, ce qui empêche d'ailleurs de concevoir aisément un nouveau positionnement plus haut de gamme de nombreuses productions comme en Allemagne par exemple. Nos collègues ont également montré dans leur rapport sur la transmission d'entreprise que nous manquons cruellement d'ETI, en majorité familiales, et que le cadre fiscal et législatif, au lieu de faciliter le développement de ces « championnes » à l'export, les contraint. Sur ce point, nous avons constaté, lors de nos déplacements, une différence essentielle avec l'Allemagne et l'Italie, qui explique en partie notre faiblesse du commerce extérieur. Les tentations sont même grandes de remettre en cause les dispositifs les soutenant, alors que les seules 5 400 ETI françaises représentent, quand même, 34 % de nos exportations ! Par ailleurs, la Cour des comptes l'a souligné, il semble exister une obsession française pour le nombre d'entreprises qui exportent. On se focalise sur le nombre d'entreprises exportatrices, quitte à aider en priorité des petites entreprises primo-exportatrices lesquelles, en réalité, n'ont pas un potentiel important. Nous devrions plutôt nous focaliser sur l'accompagnement des entreprises qui peuvent réaliser des chiffres d'affaires importants à l'étranger. En outre, le modèle économique de Business France pousse ses personnels à passer plus de temps à des missions commerciales payantes, comme les VIE (Volontariat international en entreprise) -- qui représentent une partie importante des recettes de Business France -- plutôt que de privilégier le conseil gratuit au profit des entreprises les mieux armées pour s'internationaliser. Or, on le voit bien, ce n'est pas un modèle gagnant comme nous l'avons constaté en Italie. L'agence homologue de Business France, ICE, propose des accompagnements gratuits, comme par exemple la participation non payante à des salons à l'étranger. Bref, le constat est celui d'un accompagnement des PME et des ETI ne suivant aucune logique, aucune stratégie réellement favorable au commerce extérieur sur le long terme.
Autre sujet négligé, la concurrence avec les entreprises des pays tiers ne semble pas non plus être un sujet pour les acheteurs publics qui privilégient trop souvent le moins disant, au détriment de nos entreprises françaises, alors que le ministère de l'Économie et des Finances a rappelé que le droit de la commande publique permettait l'utilisation de critères de choix des offres tels que le développement des approvisionnements directs, les performances en matière de protection de l'environnement, notamment l'impact écologique du transport des fournitures ou des personnels, ou encore les délais d'intervention d'un prestataire s'il est justifié par l'objet du marché public. Nos voisins européens, eux, n'hésitent pas à soutenir leurs entreprises nationales.
Enfin, la concurrence internationale ne nous a pas semblé suffisamment anticipée et prise en compte dans l'évaluation nationale de l'impact des décisions européennes. Le récent rapport que nous avons présenté avec nos collègues Martine Berthet et Jacques Le Nay a montré que les obligations de reporting en matière de RSE vont peser davantage sur les PME et ETI européennes. En outre, l'Union européenne n'utilise presque pas les instruments de défense commerciale, alors que les États-Unis y ont massivement recours. Nous avons souvent l'impression que l'Europe se tire une balle dans le pied et ne pose jamais, ou en tout cas très insuffisamment, les conditions de la réciprocité avec les États tiers.
Vous l'aurez compris, nous sommes encore loin de la prise de conscience de l'impact de nos décisions en matière de compétitivité hors-prix. Et cela se ressent dans l'accompagnement des PME et ETI à l'internationalisation.
M. Jean Hingray, co-rapporteur . - Florence Blatrix Contat et Vincent Segouin l'ont rappelé, à travers leurs deux interventions, il n'y a pas de solution miracle, mais une nouvelle stratégie à définir.
S'il n'y a pas de solution miracle pour redresser la balance commerciale et rendre nos PME et ETI plus compétitives, nous estimons que nous avons, collectivement, l'obligation de définir et mettre en oeuvre une véritable stratégie pour le commerce extérieur de la France.
C'est le fil conducteur de nos 10 propositions qui s'articulent autour d'objectifs stratégiques et d'objectifs opérationnels.
Tout d'abord, je tiens à rappeler que le Conseil stratégique de l'export, CSE, et la Team France Export, TFE, existent et constituent un indéniable progrès depuis la réforme issue de la stratégie dite « de Roubaix », présentée en 2018. Cependant, il ressort de nos auditions une carence de stratégie à long terme pour la France, et le besoin de renforcer la gouvernance de la Team France Export, ce que confirme l'analyse récente de la Cour des comptes.
Aussi notre proposition n° 1 vise-t-elle à définir une stratégie à long terme du commerce extérieur de la France, a minima, jusqu'à 2040, pour en définir les objectifs - notamment en matière de souveraineté économique - en identifiant les secteurs et compétences clés à soutenir. La définition de cette stratégie relève à la fois du Gouvernement et du Parlement ; elle pourrait s'appuyer sur une loi d'orientation économique pour la France. Mes collègues viennent de démontrer les terribles conséquences de choix stratégiques passés, ainsi que l'absolue nécessité de penser le commerce extérieur de manière écosystémique. Les pouvoirs exécutif et législatif doivent aujourd'hui assumer le rôle éminemment politique d'orientation de la politique globale du commerce extérieur, qui concerne tant les importations que les exportations.
La proposition n° 2 vise à rénover la gouvernance du Conseil stratégique de l'export, afin de piloter efficacement la stratégie nationale définie préalablement en intégrant les objectifs du commerce extérieur dans les différentes politiques publiques ayant un impact sur la balance des biens et des services tout en assurant la bonne coordination entre ces politiques. Le CSE ainsi rénové devrait sortir de l'enceinte de Business France dont il sert à conseiller le conseil d'administration, et devenir une instance à vocation interministérielle, en plus d'être multisectoriel, et coordonner les acteurs publics et privés. La proposition de résolution que nous proposerons pourra recommander au Gouvernement de demander un rapport annuel à la Cour des comptes sur la balance commerciale de la France, avec un suivi non seulement des exportations mais également des importations.
Déclinaison logique des précédentes propositions, la troisième d'entre elles concerne la Team France Export, qui doit traduire les orientations stratégiques sur le terrain et auprès des TPE, PME et ETI ayant un réel potentiel à l'international. Faisant écho aux recommandations de la Cour des comptes, nous estimons que l'unité d'action entre les différentes composantes de la TFE doit être renforcée et les résultats de son action dans les territoires, formellement présentés devant le Conseil stratégique de l'export.
Quatrième et dernière recommandation relevant des objectifs stratégiques, la proposition n° 4 vise à mieux intégrer la question des services dans la lutte contre les délocalisations. Cette proposition pourrait sembler redondante avec les précédentes, dans la mesure où elle devrait en tout logique en découler. Cependant, la leçon de l'erreur stratégique de la désindustrialisation nous pousse à insister sur la dimension des services, qui constitue aujourd'hui un atout pour la France, mais également un risque non négligeable si rien n'est fait pour en préserver la force. Cet objectif met donc l'accent sur les questions de formation, de compétences, et d'infrastructures numériques dans les territoires, comme outils de lutte contre les délocalisations.
Je passe maintenant aux objectifs opérationnels. La proposition n° 5 concerne les relocalisations et la réindustrialisation de la France, en facilitant la transmission d'entreprise et en soutenant les PME et ETI. Elle s'inscrit dans la suite logique du rapport de nos collègues Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann, et serait notamment mise en oeuvre à travers la proposition de loi qui reprendra toutes les propositions.
La proposition n° 6 vise à inciter les entreprises à « chasser en meute », puisque nous retenons de nos déplacements qu'il s'agit de l'une des grandes faiblesses de la culture française dans la conquête des marchés étrangers. Cette incitation peut s'appuyer sur une fiscalité ciblée et / ou la valorisation d'un label Made in France spécifique à l'export.
La proposition n° 7 a pour objectif d'organiser une campagne d'information sur les offres d'accompagnement des PME et ETI proposées par la Team France Export. Il s'agit également de s'inspirer de l'exemple italien en rendant gratuite la participation à des salons internationaux pour les entreprises françaises.
Parce que nous ne répéterons jamais assez l'importance des compétences en matière de compétitivité hors-prix, la proposition n° 8 vise à renforcer l'apprentissage des langues et les connaissances en économie, mathématiques, technologies ainsi qu'en matière de commerce international dans l'enseignement secondaire et dans l'enseignement supérieur.
La proposition n° 9 vise les vulnérabilités d'approvisionnement, qu'il s'agit de mieux identifier grâce aux données douanières que la Commission européenne pourrait mettre à disposition de la France.
Enfin, la proposition n° 10 vise à définir le contenu, le cadre et les règles éthiques de la constitution de fonctionnement d'une base de données française qui permettra, avec l'intelligence artificielle, d'accompagner finement les PME françaises à l'export. Une telle base serait constituée de données publiques, en open data , de données payantes, avec des études de cabinets notamment, des données des entreprises elles-mêmes, mais aussi des informations des réseaux sociaux dont l'activité pourrait être étudiée, via l'intelligence artificielle, et mise à profit pour orienter utilement les entreprises vers les marchés à l'export en quasi temps réel. Cette proposition fait à la fois écho au projet de base de données en cours de réalisation au ministère du commerce international britannique mais aussi aux travaux récents de la Cour des comptes, qui regrette le manque de partage d'informations utiles entre les membres de la Team France Export. La gestion de cette base pourra être confiée à un membre de la TFE dans le respect des règles en matière d'intelligence économique.
Voilà chers collègues le fruit de nos travaux qui, nous l'espérons, permettront au Sénat de mieux prendre en compte toutes les composantes du commerce extérieur. Nous proposons d'ailleurs d'assurer un suivi informel de ce sujet au long cours. Nous vous remercions pour votre écoute et votre patience.
À l'issue de la présentation, le débat suivant s'est engagé :
M. Serge Babary, président. - Bravo. Merci beaucoup, Madame, Messieurs les Rapporteurs, pour ce travail de grande qualité, très intéressant, et qui je pense a été apprécié par nos collègues. Il y aura une suite assez rapide puisque nous avons fait une demande d'inscription pour un débat en séance publique sur ce sujet en février. Je vous annonce par la même occasion que nous avons également demandé de débat en séance pour janvier, sur le thème de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Cela nous permettra d'assurer un suivi de nos travaux et que ce ne soit pas simplement des travaux de grande qualité, comme vous l'avez constaté, mais qui resteraient sans suites. Par ailleurs, nous allons essayer de rencontrer le ministre du Commerce extérieur, pour lui présenter les différents points que Jean Hingray vient de d'égrainer, et qui sont les propositions de nos rapporteurs. Il y a-t-il des questions ?
M. Michel Canévet, sénateur . - Je tiens à remercier vivement les trois rapporteurs et l'équipe de la délégation aux entreprises pour la qualité du travail qui vient d'être présenté sur un sujet d'actualité extrêmement important et préoccupant. Comme cela a été dit par mes collègues, nous arrivons à un niveau de déficit de la balance commerciale française tout à fait exceptionnel, et je crois qu'il convient de bien en identifier les raisons. Ils l'ont fait bien sûr, avec tact et compétences, mais ce que je voudrais leur demander, tout d'abord, concerne le déficit : si l'on en extrait les questions énergétiques, dont on voit bien qu'elles sont conjoncturelles, a-t-on pu identifier l'origine géographique essentielle des raisons de notre déficit s'agissant des importations ? Sait-on d'où viennent essentiellement les marchandises qui contribuent à ce déficit important de la balance commerciale française ? C'est mon premier point.
Ensuite, les rapporteurs ont évoqué la question du Conseil stratégique à l'export. Je suis allé au salon nautique mardi soir et j''ai visité le groupe Beneteau, premier opérateur mondial en matière de plaisance. il représente 10 000 emplois, avec son siège en Vendée, et 85 % de sa production part à l'export. Cela veut dire qu'il y a quand même des entreprises qui sont compétentes. De même, il y a quelques années, nous étions allés à Cognac avec la délégation aux entreprises, pour constater que 97 % de la production de cognac en France était exportée, ce qui est tout à fait extraordinaire et contribue donc à l'amélioration des chiffres de la balance commerciale.
Avons-nous une idée claire du travail réalisé par ces conseillers stratégiques auprès de la DGE, donc à Bercy ? Existe-t-il bien un lien entre le Conseil stratégique à l'export et les conseils stratégiques par filière ? Il y a aussi un autre dispositif qui existe dans notre pays, qui s'appelle les conseillers du commerce extérieur, est-ce que ce dispositif est efficace ? Ce dispositif existe depuis longtemps, mais est-ce que nos rapporteurs considèrent qu'il produit effectivement des résultats intéressants ?
De plus, ils ont fort opportunément évoqué l'idée de l'identification des approvisionnements pour nos entreprises. Je sais qu'en Bretagne, par exemple, le Conseil régional a mené une étude intitulée « Reloc en Bretagne », pour essayer d'identifier tout ce qui vient de l'extérieur de la Bretagne et qui pourrait être éventuellement réinternalisé en faisant appel aux entreprises ou en créant des activités localement.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Pour répondre à la première question, quels sont les secteurs en déficit et quels sont ceux en excédent ? Vous le verrez dans le rapport, l'énergie représente 43 milliards d'euros de notre déficit total en 2021. Hors énergie, nous sommes les grands perdants sur le matériel de transport, le textile, l'habillement, l'automobile, les autres biens d'équipement, les produits informatiques, électroniques et puis les autres produits industriels et divers. Là où nous sommes excédentaires pour 2,6 milliards d'euros, c'est la pharmacie -- peut-être pas pour très longtemps -- et les produits agricoles et agroalimentaires. Dans le cadre de mes travaux à la commission des Finances, j'ai travaillé sur le sujet des produits agricoles et agroalimentaires et, encore récemment, cet excédent était porté par les vins et spiritueux. Cependant, pour l'ensemble des autres marchés nous étions perdants et l'excédent était en baisse constante. Pour le reste des secteurs excédentaires, il s'agit de la chimie, des parfums et cosmétiques, puis de l'aéronautique et du spatial. Nous avons vraiment perdu de grands secteurs de l'industrie.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Pour compléter sur le déficit par pays, nous avons bien entendu un déficit avec la Chine, ce qui est bien connu, mais, y compris au sein de l'Union européenne avec nos principaux partenaires, nous avons un déficit : il est de 13 milliards d'euros avec l'Allemagne, 7 milliards avec l'Italie, 8 milliards avec la Belgique. Nous avons également un déficit avec l'Espagne. En somme, nous avons aussi, avec nos partenaires européens, des déficits que nous n'avions pas avant, et qui se sont creusés. Et pour compléter ce que disait Vincent Segouin, nous sommes spécialisés dans le luxe, dans l'aéronautique mais aussi dans la pharmacie, une spécialité que nous avons perdue, et nous ne parvenons pas à recréer de nouvelles spécialités. Pourtant, tout l'enjeu est d'en créer dans les secteurs d'avenir. Comment construire des spécialités dans ces secteurs ? Nous avons déjà pris beaucoup de retard dans le numérique par exemple, avec beaucoup de nos start-up françaises qui sont rachetées par des entreprises américaines. Il nous faut donc nous projeter aussi sur les secteurs d'avenir et savoir reconstruire des spécialités, des formes de compétitivité, et je crois que c'est cela que nous avons le plus perdu. Finalement, par rapport à d'autres pays, nos spécialités sont moins porteuses. Nous avons mal su les conserver et aujourd'hui, nous sommes un peu incapables d'en construire de nouvelles. Il y a donc un vrai enjeu sur la construction de nouveaux avantages comparatifs avec de nouvelles spécialités.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Sur la question des conseillers à l'export, nous sommes un peu dubitatifs, voire pessimistes, parce qu'il est vrai qu'il s'agit là davantage d'une action verticale par branche et par secteur géographique, qu'une action transversale avec une véritable stratégie. C'est cela que nous voulions surtout souligner dans nos propos. Une des personnes auditionnées nous a dit que sur un ou deux secteurs cela marchait plutôt bien, mais sur le reste, notre avis est plutôt pessimiste, dubitatif, voire négatif.
M. Serge Babary, président. - Je peux compléter sur le Conseil stratégique à l'export. J'ai assisté, le 14 juin dernier, à un tel Conseil, à la demande de la Délégation. J'y ai indiqué que nous faisions un travail sur le commerce extérieur. Mon témoignage est également assez pessimiste pour ce genre d'instance puisqu'en réalité -- c'était Franck Riester qui était ministre à l'époque -- il y avait une quarantaine de personnes autour de la table, et la réunion s'est limitée à un tour de table individuel où chacun a indiqué où il en était, ce qu'il faisait, etc. Il faut avoir en tête qu'aujourd'hui la stratégie, s'il y en a une, c'est ce que souhaite, veut ou décide le ministre. Il n'y a rien d'autre. Le roi est nu. Nous avons, depuis, un nouveau ministre. Pour ceux qui ne connaissent pas son nom, il s'agit de M. Olivier Becht. Nous l'avons récemment entendu mais ne l'avions pas rencontré jusqu'alors. Dès lors je vous propose que nous allions lui présenter notre rapport. En résumé, pour la stratégie, en effet, il faut que la proposition n° 2 du rapport s'applique, c'est-à-dire qu'il y ait une vraie stratégie, que ce ne soit pas uniquement l'idée d'un ministre et que tout s'arrête quand le ministre s'en va. Je ne sais pas du tout quelle est la stratégie du commerce extérieur de la France, et il serait intéressant de le demander à M. Olivier Becht.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Pour compléter les propos du président, je pense qu'il nous faudrait aussi aller voir le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, parce que vous l'avez bien compris, nous avons un problème à l'extérieur, mais aussi et surtout un problème à l'intérieur. Je rebondis sur la question de Michel Canévet sur l'initiative « Reloc en Bretagne » : heureusement que les régions lancent des initiatives pour relocaliser ! Selon moi, l'avantage des régions, et la Bretagne est un modèle sur le sujet, c'est qu'elles s'intéressent aux entreprises. En Normandie aussi, on s'intéresse aux entreprises en particulier à celles qui vont être rentables en dépit des normes et aux contraintes franco-françaises. En effet, relocaliser une entreprise ayant une faible marge, qui va être handicapée, ce n'est pas soutenable. On sait pertinemment que produire en France coûte plus cher, donc il faut une plus-value dans le produit, que l'on puisse reporter le coût supérieur, et donc, forcément on privilégie des produits qui peuvent avoir de la marge. J'ai beaucoup de craintes pour la relocalisation de produits à faible marge. J'évoque les masques anti-covid, qui ont coûté beaucoup d'argent public. On se réjouissait de la relocalisation, sans connaître son caractère pérenne. L'utilisation de l'argent public en France est une catastrophe sans nom ! Le second point c'est l'administration française. On l'a bien vu par rapport aux pays visités, notre administration cherche à punir nos entreprises, plutôt qu'à les aider à conquérir d'autres marchés. Cette attitude n'existe nulle part ailleurs qu'en France.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Je voudrais revenir sur la question des régions. Certes, les régions peuvent jouer un rôle intéressant, mais il faut en entrevoir les limites. On ne peut pas comparer, en termes de moyens, de force de frappe, nos régions françaises avec les Länder allemands. Nos régions disposent de budgets très limités et leurs interventions en termes économiques sont très faibles par rapport à l'intervention que peut avoir l'État. C'est la limite de leur intervention.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Je vous rejoins sur cette limite à l'intervention des régions. Ce que je voulais dire, c'est que les régions créent un sens, montrent une direction, que l'État devrait suivre. Si l'on veut regagner la conquête de l'électronique, il faut que ce soit porté par les régions, et que l'État soit derrière pour porter des projets de grande envergure. Mais aujourd'hui, on ne le ressent pas, l'État est là pour distribuer de l'argent plus qu'autre chose.
M. Daniel Laurent, sénateur . - Je souhaiterais juste confirmer ce que disent Vincent Segouin comme l'ensemble des rapporteurs. C'est un constat que nous faisons au niveau local également. Nous avons parlé des produits d'exportation qui sont excédentaires, comme l'aéronautique, les vins et spiritueux, les produits pharmaceutiques, etc. mais ce ne sont que des produits de luxe avec des marges importantes, très importantes ! Donc je ne vois pas comment nous allons nous en sortir, avec les charges, les normes et les difficultés administratives qui contraignent les entreprises. J'ai fondé une entreprise, que ma famille dirige encore aujourd'hui, et nous constatons ces contraintes tous les jours. C'est de plus en plus difficile. Il est certain que de plus en plus d'entreprises vont tomber, car elles n'y arrivent plus. Je peux aussi vous donner l'exemple des entreprises de construction navale à La Rochelle, qui ont des carnets de commandes très fournis. Il n'y a donc que les produits de luxe qui arrivent à tirer leur épingle du jeu. Mais dans tous les autres secteurs, nous voyons bien un déficit prégnant, qui se creuse de plus en plus.
M. Jean-Pierre Moga, sénateur . - Je souhaiterais remercier mes collègues pour cet excellent rapport, et je partage également ce qui a été dit par Vincent Segouin. Premièrement, pour pouvoir exporter, il faut fabriquer. Si nous ne fabriquons rien, nous n'exporterons rien. Nous avons externalisé pendant des années -- et pas par hasard ! -- car fabriquer en France c'est le parcours du combattant. Relocaliser, c'est difficile. Il faut trois à quatre ans pour construire une usine en France, avec les déclarations, les permis, les études d'impact, etc. nous sommes l'un des pays où cela demande le plus de temps. À l'inverse, partout dans le monde, on construit beaucoup plus vite. Dans l'entreprise dans laquelle je travaillais, nous avions voulu mettre en place un processus industriel américain, et nous nous étions heurtés aux normes françaises. Je suis certain que les américains ont des normes tout à fait acceptables, pourtant, il a fallu un ou deux ans pour que nous puissions mettre en place ce processus, car nous avons été contraints d'en changer de nombreuses sections pour nous conformer aux strictes normes françaises.
Ensuite, je souhaiterais rappeler qu'il y a certaines choses que nous ne faisons plus du tout en France. Hier, à l'occasion d'une rencontre autour de l'art de la table, nous évoquions l'argenterie. À cause du risque de migration des métaux lourds, nous ne fabriquons plus d'argenterie en France, et en plus nous n'avons plus de chromeurs. Dès lors, nous faisons chromer nos produits hors de France, dans des pays sans normes où les effluents sont contaminés aux métaux lourds et se jettent ensuite dans les fleuves. Nous pourrions avoir en France des normes qui permettent de limiter ce type de pollution, pour permettre à cette industrie de se relancer, mais pour cela il faudrait aller beaucoup plus vite sur le plan administratif. Il nous faut des normes bien sûr, mais il faut qu'elles soient acceptables et qu'elles permettent de maintenir une qualité convenable de fabrication, et de l'environnement.
Aussi, je souhaiterais rappeler, comme cela a été mentionné par mon collègue, le problème des charges. Nous sommes le pays champion du monde du montant des charges appliquées aux salaires, et cela aussi fait obstacle à la revitalisation de certaines activités.
Enfin, nous avons parlé de la production de produits pharmaceutiques qui contribue aux exportations, mais pour une usine chimique classée SEVESO, il devient difficile de trouver un endroit où s'implanter rapidement.
Tous ces obstacles rendent les choses très difficiles et votre rapport le souligne.
Mme Martine Berthet, sénatrice . - Je m'associe aux remerciements de mes collègues.C'est un rapport très intéressant qui établit bien l'impact de ce déficit crucial pour notre économie. C'est un rapport qui relie différents sujets que nous avons traités ou que nous allons traiter au sein de la Délégation aux entreprises, tout débouche sur le déficit de notre commerce extérieur, et cela rappelle l'importance des travaux menés dans le cadre de la Délégation.
Sur les propositions du rapport, elles sont toutes intéressantes mais je souhaiterais revenir sur la proposition n°6, « Inciter les entreprises à chasser en meute ». Je souhaiterais donner l'exemple du cluster Montagne qui existe en Savoie et se déplace « en meute », avec des entreprises spécialisée dans la technologie et d'autres dans les services. S'il y a des Jeux Olympiques d'hiver, elles vont s'y rendre ensemble pour évaluer ce qu'il est nécessaire de créer et d'installer pour le bon déroulement de ces Jeux, et permettre à l'ensemble des entreprises du cluster de tisser des liens avec des partenaires, ce qui leur donne beaucoup de force à l'export.
J'ai aussi une remarque sur la question du matériel. Avec le groupe d'études « Métiers d'art », nous sommes allés dans le Gard à la rencontre d'entrepreneurs qui veulent recréer des filatures -- notamment pour la fabrication de bas collants qui était une force en France -- mais ils sont confrontés à des difficultés de matériel. Il est très difficile de retrouver le matériel nécessaire à la filature, car ces filières n'existent presque plus en France. Il faut donc retrouver de l'ingénierie, il faut re-fabriquer ce que nous avons perdu, car nous avons tout laissé partir.
M. Daniel Salmon, sénateur . - Merci pour ce rapport très éclairant. La situation est en effet assez dramatique depuis plusieurs décennies. Cependant, nous ne devons pas succomber à la tentation d'imputer ce résultat à notre société qui serait trop normative. Il y a sans doute des normes à revoir, mais au-delà des normes, ce qui pose surtout problème c'est l'absence de clauses miroirs. Effectivement, ce que l'on s'impose nous-même, nous devons l'imposer et empêcher l'importation de produits étrangers qui n'ont pas respecté ces normes. Je pense surtout aux normes environnementales, mais également aux normes sociales. Je pense donc qu'il nous faut être vigilants à ce propos, et rester armés face aux défis de protection de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique.
Pour revenir sur le déficit de notre balance commerciale, il faut exporter, oui, mais pas à n'importe quel prix. L'une des solutions pour réduire ce déséquilibre est de reconquérir le marché intérieur et limiter les importations. Cela me semble essentiel.
Sur la question de la valeur ajoutée, je pense également qu'il n'est pas forcément utile de se focaliser sur cette question, mais plutôt se poser la question de la souveraineté. Pour reprendre l'exemple des masques, ce n'était pas par hasard. Nous nous sommes retrouvés prisonniers de nos importations étrangères de masques. Il me paraît donc important d'inclure également des produits à faible valeur ajoutée, s'ils répondent à des questions de souveraineté, comme c'était le cas des masques. Mais dans ce cas, il faut assurer la commande publique. Or, on s'aperçoit que nos hôpitaux n'achètent pas forcément les masques qui sont produits dans des usines françaises que l'on a relocalisées à grand coup d'argent public. On parle souvent de patriotisme mais il semble souvent absent sur ces questions. On ne peut pas se contenter de gagner deux ou trois centimes sur un masque et faire couler les entreprises locales. Il y a donc un certain nombre de points à revoir en gardant en tête l'idée de conserver notre modèle. En revanche, nous perdons des marchés face à d'autres pays européens. Cette question m'interroge davantage car nous devrions avoir à peu près le même cadre normatif au sein de l'Europe.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - J'aime bien la formule de Daniel Laurent « On vit dans le luxe », et je la partage à 200 %.
Pour répondre à Jean-Pierre Moga, oui, le temps pour construire en France est démesuré. Cela rejoint notre constat d'une administration qui n'est pas partenaire des entreprises.
Je suis mille fois d'accord avec la remarque de Daniel Salmon sur l'application des clauses miroirs. Dans mon rapport dans le cadre des travaux de la commission des Finances, nous faisions remarquer que nous augmentons les effectifs pour contrôler le respect des normes françaises dans les productions agricoles, pour les produits français, sans voir ni contrôler si les mêmes normes sont appliquées sur les produits importés. L'exemple le plus flagrant est le cas du diméthoate , qui a été interdit en France. Pour les agriculteurs, cela signifie une production de cerises qui peut varier de 100 à 20 : jamais un jeune ne s'installera avec des conditions pareilles ! Le consommateur veut de la cerise sans diméthoate pour la protection de la santé publique. Mais pendant ce temps-là, on importe des cerises de Turquie qui contiennent du diméthoate, sans même vérifier s'il y a des résidus, des traces ou pas. Les pays s'entretuent. Ni plus ni moins. Donc pour l'application des clauses miroirs, je suis mille fois d'accord.
Sur la souveraineté, l'argent public prélevé sur des entreprises ultra bénéficiaires doit soutenir des entreprises qui ne trouvent pas forcément de rentabilité. C'est le cas par exemple de l'agriculture : on apporte des aides pour maintenir notre agriculture car on en a besoin pour assurer notre sécurité alimentaire en cas de problème climatique dans le monde. On ne veut pas vivre que des importations. Je n'ai aucun problème avec ce constat, et je considère que c'est de la bonne utilisation de l'argent public. En revanche, taxer fortement les entreprises pour ensuite saupoudrer l'argent public et distribuer des chèques, je trouve cela ridicule et je pense qu'il faut arrêter cette gabegie. Choisissons les bonnes entreprises, assumons d'apporter du soutien à des entreprises parce qu'elles nous assurent la sécurité ou l'alimentation.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Pour répondre à Daniel Salmon sur les clauses miroirs, nous partageons tous la nécessité de réduire les dépendances également. L'économie mondiale doit aussi réduire sa dépendance au commerce extérieur. Il faut se mettre dans la perspective du changement climatique qui va imposer de réduire les transports individuels, nécessiter de travailler sur des relocalisations, et nous interroger sur le fait de vouloir toujours plus de commerce extérieur ou non. Ce sont des questions qu'il faudra poser aujourd'hui, car dans dix ans, quand on payera le vrai prix du transport, avec le vrai prix du carbone, cela creusera notre déficit commercial. Notre stratégie, indispensable, doit également être décidée à l'aune de ces nouvelles données, qu'il ne faut pas négliger, ce qui nécessitera d'ailleurs des investigations complémentaires de la part de notre Délégation.
Mme Marie-Christine Chauvin, sénateur . - Un grand merci aux rapporteurs pour la qualité de leur rapport, qui n'est pas rassurant, car il met le doigt sur des choses certes douloureuses mais devant être soulignées. Je souhaiterais insister sur le fait que l'État ne doit pas se désengager des régions, au risque de créer de grandes disparités entre elles. Je ne parle pas uniquement des choix politiques, mais surtout des capacités financières des régions, qui sont très différentes. Je vais prendre deux régions proches, et que je connais bien : la Bourgogne-France-Comté, où les moyens sont vraiment réduits, et la région Rhône-Alpes où les moyens sont énormes. Il n'y a qu'un kilomètre à franchir mais cela peut-être très différent pour une entreprise d'être d'un côté ou de l'autre. Alors non, l'État n'a pas le droit de se désengager totalement des régions.
Je souhaiterais également revenir sur les freins à l'installation. Nous avons déjà évoqué les normes, les lourdeurs administratives qui prennent beaucoup de temps, mais je souhaiterais mentionner l'acceptation des contraintes d'une activité économique. En effet, si l'on relocalise, et Jean-Pierre Moga en a parlé en creux, il faut accepter qu'une usine, parfois, s'installe avec certaines nuisances, du bruit, parfois du trafic de camions. Aujourd'hui cela n'est plus possible pour certaines personnes. Pour ceux de mes collègues qui viendront en déplacement dans le Jura, vous verrez dans le bourg où vous serez ce soir, il n'y a pas d'usine. Or, il y a une usine de fabrication de pellets qui souhaiterait s'installer, ce qui représenterait 35 emplois, dans la zone artisanale donc pas directement en centre-ville. Mais quelques voisins s'y sont opposés en raison du passage de camions. Je crois que si l'on veut relocaliser, si on veut de l'emploi, certes cela fera de la circulation, mais cela fera aussi de la vie. Le jour où nous n'aurons plus de bruit, plus d'odeurs, plus de circulation, et bien il n'y aura plus de vie, et cela il faut oser le souligner.
M. Gilbert-Luc Devinaz, sénateur . - Je souhaiterais à mon tour vous remercier pour votre rapport que je trouve fort éclairant et fort intéressant. Je pense que l'on paye une situation qui part de loin. Lorsque j'étais en quatrième, le professeur de géographie nous expliquait comment allait se développer l'industrie sur le territoire national, et que nous allions garder l'ingénierie en France et développer des usines, non pas en Chine comme aujourd'hui, mais en Afrique et en Afrique du Nord. Il concluait en disant qu'il fallait qu'on travaille bien à l'école, pas pour faire Sciences Po, mais plutôt une école d'ingénieur. Je pense que cela s'est mis effectivement en place et qu'on le paye fortement aujourd'hui. Je souhaiterais appuyer ce qu'a dit Vincent Segouin : si l'État accorde des aides à des entreprises, il faut contrôler ces aides. On est en droit d'attendre un « retour sur investissement » et de chercher à comprendre pourquoi quand il n'y a pas.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure . - Pour compléter, je souhaiterais revenir sur une proposition que nous avons peut-être un peu moins développée, et qui concerne la dimension pédagogique, le fait de renforcer l'acculturation à l'économie. En effet, en dehors des élèves des cursus en économie, il y a peu d'enseignement de l'économie, sous toutes ses formes : l'économie traditionnelle, l'économie sociale et solidaire qui a un autre rôle à jouer. Globalement, cet enseignement est à renforcer. L'enseignement des langues aussi doit être priorisé, car dans certaines auditions cela revenait parmi nos faiblesses. Lors de nos déplacements à l'étranger, nous avons rencontré beaucoup de francophones, mais je ne suis pas certaine que l'inverse soit vrai. De même, il faudra mettre l'accent sur certains enseignements clés pour notre compétitivité à l'avenir. Nous sommes très inquiets face à la baisse du niveau en mathématiques, face au fait que de moins en moins d'élèves choisissent ces spécialités, face à la chute du nombre de filles parmi ces élèves. Cela concerne également le numérique. La dimension éducative est donc primordiale, à travers la culture à l'économie mais aussi dans l'orientation, qui doit évoluer pour orienter les élèves vers les métiers de demain. C'est une dimension essentielle qu'il ne faut pas négliger et que nous avions assez peu évoquée jusqu'à maintenant dans nos échanges.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur . - Il faudrait également renforcer l'apprentissage de la finance. Cela rejoint la question de l'acceptation par la population soulevée par Marie-Christine Chauvin. Aujourd'hui on hésite entre confort et inconfort, on met en balance les nuisances et l'absence de nuisance, et on choisira plutôt « pas de nuisance », sans penser qu'elles accompagnent l'emploi. Nous avons une civilisation qui va de plus en plus vers l'entre soi, vers l'égoïsme.Cela est mortifère et il faut à tout prix inverser cette tendance. Il faut que l'on comprenne que si on installe une entreprise, c'est de l'emploi. S'il y a de l'emploi, ce seront des enfants à scolariser et une vie économique.
Je souhaiterais rebondir sur ce qu'a dit Gilbert-Luc Devinaz. En effet, tout ça vient de loin. C'est vrai qu'à une certaine période on annonçait aux enfants qu'on allait délocaliser les ateliers. Le Royaume-Uni assume complètement ce choix stratégique. Les Britanniques estiment -- je caricature peu -- qu'ils sont un pays civilisé, disposant de matière grise, et qu'il faut profiter d'avoir des relations commerciales étroites avec certains pays qui peuvent un travail manuel et polluant, pour délocaliser ces activités chez eux et produire moins cher. C'est clairement assumé a transparu de nos échanges à l'occasion de notre déplacement à Londres. En France aussi on a suivi cette stratégie, mais sans vraiment l'assumer, ce qui est encore pire. On a transféré une partie des activités en conservant la recherche, mais aussi les entreprises produisant une forte valeur ajoutée. Mais on n'assume pas clairement nos choix. Si on en est là, c'est à cause de cette horrible stratégie. Il nous faut à tout prix rebondir et inverser le curseur. Investir de l'argent public d'accord, mais pour quel résultat ? Presque tous les membres de notre Délégation viennent du monde de l'entreprise ; lorsqu'on investit c'est pour obtenir un résultat. Or, on investit de l'argent public sans savoir, sans vérifier les résultats. Arrêtons ! Il faut des indicateurs. J'ai été choqué d'entendre ce matin que des agences de cotation françaises allaient être rachetées par des sociétés américaines. Pourquoi l'État n'empêche-t-il pas cela ?
M. Jean Hingray, co-rapporteur . - Pour finir sur une note optimiste, ces dernières interventions me font penser à un vosgien célèbre qui était président sous la IIIe République. Je pense qu'il faudrait remettre au goût du jour et à l'honneur Jules Méline, ancien ministre de l'agriculture, qui avait, à l'époque où la France avait fait des choix stratégiques en défaveur de nos agriculteurs, mis en place des barrières douanières pour aider nos agriculteurs. Nous serions bien à même d'être éclairés par cet exemple où, à une période en France où notre agriculture était au bord du gouffre, il y a un homme qui a relevé la situation, et cela devrait nous servir d'exemple pour faire la même chose pour l'industrie.
M. Serge Babary, président. - Merci pour cet échange qui montre l'intérêt de chacun pour ces sujets qui sont considérables : il y va, en réalité, de l'avenir de notre économie, de la place de notre pays dans le monde et de notre souveraineté. Nous allons assurer un suivi politique du rapport, au sens noble du terme, c'est-à-dire dans la pédagogie, dans la communication et auprès des responsables. Je pense que c'est le meilleur travail que nous puissions faire maintenant à partir de ces travaux. Je remercie à nouveau les rapporteurs, au nom de chacun, et je vais mettre ce rapport aux voix pour son adoption. Y-a-t-il des oppositions ? Des abstentions ?
Le rapport d'information sur les difficultés des ETI et PME en matière de commerce extérieur est approuvé à l'unanimité.