CONCLUSION GÉNÉRALE


« Il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante »

(Montesquieu, Lettres persanes , 1721).

Le présent rapport entend améliorer le processus de fabrique de la norme. Car il est essentiel d'agir surtout de manière préventive , avant que la norme n'apparaisse, plutôt que de s'épuiser à simplifier les normes déjà produites, avec le risque d'erreurs et de nouvelle complexité que chacun connaît. Le rapport propose ainsi six recommandations afin de corriger les défauts qui affectent actuellement les mécanismes de production normative. Il privilégie des solutions simples qui peuvent être mises en oeuvre, pour l'essentiel, à droit constant , c'est-à-dire par simple engagement des acteurs de la norme .

Vos rapporteurs sont convaincus que le suivi de ces recommandations permettrait d'atteindre l'objectif recherché de lutte contre l'inflation des normes imposées aux collectivités territoriales.

Toutefois, d'autres options sont à l'étude et rien ne doit être, a priori , exclu eu égard à l'ampleur du mal.

Ainsi, l'option de l'adoption d'une règle « deux pour un » pour les textes législatifs a même été examinée par vos rapporteurs. Elle conduirait à imposer l'abrogation de deux normes législatives pour l'adoption d'une seule. Les recommandations du rapport devraient néanmoins permettre d'atteindre l'objectif mais, si ce n'était pas le cas, sans doute pourrait-on envisager une étape supplémentaire passant par l'expérimentation, en accord avec toutes les commissions permanentes, d'une règle de cette nature.

De même, pourrait-on envisager, en ultime recours, d' inscrire dans la Constitution le double impératif de simplification et de stabilité des normes applicables aux collectivités territoriales. Certes, le Conseil constitutionnel a vu dans l'accessibilité et à l'intelligibilité de la loi un objectif de valeur constitutionnelle découlant de la combinaison des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 39 ( * ) . Pour autant, il est légitime de s'interroger, à terme, sur l'inscription de ces objectifs dans la loi fondamentale. Rappelons, à cet égard, que le 12 janvier 2016, à l'initiative de M. Rémy Pointereau, notre assemblée a adopté un tel projet de révision constitutionnelle 40 ( * ) insérant, après l'article 39 de la Constitution, un article 39-1 ainsi rédigé : « Les objectifs de simplification et de clarification du droit s'appliquent à la loi et au règlement, sans préjudice des conditions d'exercice des libertés publiques ou des droits constitutionnellement garantis ». Ce texte n'a pas été examiné par l'Assemblée nationale. Une telle révision constitutionnelle aurait pour intérêt majeur, au -delà de sa portée symbolique , de « discipliner » non seulement l'exécutif lors de l'élaboration des projets de lois puis des textes règlementaires mais aussi le législateur .

De même pourrait-il être envisagé, si les recommandations à droit constant du présent rapport ne produisaient pas les effets escomptés, d'inscrire dans notre Constitution le principe de stabilité de l'environnement juridique et fiscal dans lequel évoluent les collectivités territoriales. On l'a dit, l'emballement normatif compromet l'impératif de performance de l'action publique locale. Le changement perpétuel des règles du jeu et des compétences a pour effet de désorganiser les repères et les pratiques professionnelles des acteurs locaux. Il ne leur donne pas le temps nécessaire aux apprentissages des nouveaux textes, produisant un effet de lassitude devant l'importance des « mises à jour » qu'ils doivent opérer et celles... qu'ils redoutent pour l'avenir. Outre un effet d'épuisement et de désarroi, le rythme accéléré d'évolution du droit entretient chez les élus le sentiment d'une très forte insécurité juridique . En effet, les modifications fréquentes et parfois profondes des textes applicables aux collectivités territoriales peuvent remettre en cause des organisations ou des compétences issues de lois territoriales antérieures. Une telle réforme de notre loi fondamentale pourrait fortement inciter le législateur à limiter ses interventions dans un même domaine de l'action publique. À cet égard, les Pays-Bas s'efforcent, dans le cadre du programme de coalition, à ne voter, sur une matière donnée (telle que le droit de l'urbanisme), qu' une seule loi par législature (au maximum).

Au final, vos rapporteurs en sont convaincus, c'est surtout une forte volonté politique commune et une autodiscipline qui permettront un profond changement de culture et de pratiques . Ce changement doit s'opérer autour d'un objectif : celui de l'efficacité de l'action publique et de la norme utile, qui s'oppose à la norme contre-productive, qui bloque ou entrave l'action publique. Tous les producteurs de la norme doivent ainsi procéder à un changement de logiciel permettant de passer de l'addiction aux normes à l'obsession de l'efficacité.

Gageons que le présent rapport contribuera à cette salutaire prise de conscience.


* 39 cf. n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, cons. 2 à 7, n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, cons. 35 et 36

* 40 Voir le dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl15-197.html

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