Rapport d'information n° 302 (2022-2023) de M. Philippe DOMINATI , fait au nom de la commission des finances, déposé le 1er février 2023

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N° 302

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er février 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) ,

Par M. Philippe DOMINATI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

Philippe Dominati, rapporteur spécial des crédits de la mission « Sécurités » a présenté, le 1 er février 2023, les conclusions de son contrôle budgétaire sur la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) de la direction générale de la police nationale.

Dans le contexte du projet de réforme de l'organisation de la police nationale, la DCPJ a récemment été mise sous le feu des projecteurs. La présente mission de contrôle a cependant été lancée bien en amont de cette réforme, avec pour objectif d'appréhender globalement les missions et l'efficacité de la DCPJ. Elle sera prochainement suivie des conclusions de la mission d'information de la commission des lois du Sénat sur l'organisation de la police judiciaire 1 ( * ) .

La DCPJ est un service de police judiciaire ; à ce titre, ses services, comme ceux d'autres directions de la police nationale et d'autres administrations (gendarmerie nationale, douanes, etc .) ont une vocation répressive. Ils recherchent les infractions, en rassemblent les preuves et en livrent les auteurs aux tribunaux, du vol de vélo au trafic international de stupéfiants.

La DCPJ est chargée de traiter le « haut du spectre » de la criminalité , à savoir en particulier la criminalité organisée, le terrorisme et les crimes et délits les plus graves et les plus complexes. Les affaires confiées aux services de la DCPJ représentent ainsi une part statistiquement marginale de la criminalité, mais particulièrement préjudiciable à la société . Dotée de moyens relativement satisfaisants, la DCPJ obtient des résultats probants, notamment en termes de taux d'élucidation des affaires qu'elle traite.

Aujourd'hui, la DCPJ est concernée par un projet de réforme de l'organisation de la police nationale. Si la nécessité de réformer l'organisation de la police nationale doit être soulignée, le projet de réforme en question suscite des inquiétudes légitimes pour ce qui concerne la police judiciaire.

I. LA DCPJ OBTIENT DES RÉSULTATS PROBANTS DANS LA LUTTE CONTRE LE HAUT DU SPECTRE DE LA CRIMINALITÉ, AVEC DES MOYENS HUMAINS ET MATÉRIELS RELATIVEMENT SATISFAISANTS

A. AU SEIN D'UNE ORGANISATION ÉTATIQUE DES SERVICES DE POLICE JUDICIAIRE PROTÉIFORME, LA DCPJ TRAITE AVEC EFFICACITÉ DU « HAUT DU SPECTRE » DE LA CRIMINALITÉ

La DCPJ constitue l'un des différents services de l'État compétents en matière de police judiciaire. Cette dernière relève en effet de différents services et de plusieurs administrations : police nationale, gendarmerie nationale, mais également douanes, services fiscaux, etc . Dans tous les cas, les personnels habilités exercent leurs missions de police judiciaire sous l'autorité directe du procureur ou du juge d'instruction en charge de l'affaire.

Au sein de la police nationale, la DCPJ, héritière des « brigades du Tigre » créées par Georges Clemenceau en 1907, a par principe la charge du traitement des affaires de tout type les plus graves , complexes ou spécialisées, et des affaires relevant de la criminalité organisée ou du terrorisme. Elle s'appuie, pour ce faire, sur ses services centraux et territoriaux. Dans le périmètre géographique de compétence de la préfecture de police de Paris, la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ-PP) exerce les mêmes missions, bien qu'un peu plus larges, sous l'autorité directe du préfet de police, et non de la DCPJ.

Les affaires confiées aux services de la DCPJ et de la DRPJ-PP représentent ainsi une part statistiquement marginale de la criminalité, mais particulièrement préjudiciable à la société. Par ailleurs, la DCPJ exerce des missions transversales au bénéfice de l'ensemble des services de police judiciaire, aux premiers rangs desquels la gestion de la coopération opérationnelle policière internationale et de la majorité des offices centraux interministériels de police judiciaire, qui ont notamment vocation à coordonner le travail des différents services d'investigation dans leurs domaines de compétence.

D'autres services de la police nationale prennent en charge les affaires judiciaires que ne traitent pas les services de la DCPJ, soit la très grande majorité. Il s'agit en particulier de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) , dont la part des effectifs en charge de missions de police judiciaire traite l'essentiel de la délinquance relevant de la police nationale.

Pour les affaires qui lui sont confiées, les services de la DCPJ obtiennent des résultats probants. Le taux d'élucidation des affaires varie ainsi de 74 % pour les contrefaçons à 95 % pour les affaires de trafic de stupéfiants . Ces taux sont notablement plus élevés que les taux moyens d'élucidation des différents services de la police nationale.

Le fonctionnement de la DCPJ connaît toutefois certains écueils, qui touchent d'ailleurs l'ensemble des services de police judiciaire de la police nationale. Tout d'abord , ses services ne sont pas compétents dans le périmètre géographique de la préfecture de police de Paris , situation qui peine aujourd'hui à être justifiée. En outre, la répartition du traitement des affaires fait parfois l'objet d'une certaine concurrence entre services de la police nationale , tout comme le partage de l'information, ce qui est préjudiciable à toute la filière. Enfin, le système des offices centraux interministériels de police judiciaire connaît un succès variable.

B. FACE À UNE CRIMINALITÉ TOUJOURS PLUS COMPLEXE ET SOPHISTIQUÉE, LA DCPJ S'APPUIE SUR DES MOYENS RELATIVEMENT SATISFAISANTS MAIS LOIN D'ÊTRE SURDIMENSIONNÉS

Les services de la DCPJ sont aujourd'hui confrontés à des faits criminels de plus en plus complexes et sophistiqués. La criminalité organisée, en particulier, s'est « mondialisée, complexifiée et massifiée », selon les termes de la direction générale de la police nationale. En outre, le développement technologique (informatique, crypto-monnaies, téléphonie, etc .) offre de nouvelles opportunités pour les criminels.

Dans ce contexte, la DCPJ dispose de moyens certains, mais en réalité loin d'être surdimensionnés . Si ses moyens financiers sont en hausse apparente, l'analyse budgétaire se révèle difficile en raison d'une faible lisibilité de l'architecture du programme 176 « Police nationale ». En 2021, selon la DGPN, les crédits du budget opérationnel de programme (BOP) n° 9 « police judiciaire et coopération internationale » (qui correspond au périmètre de la DCPJ) étaient de 28,9 millions d'euros en crédits de paiement. Néanmoins, ce BOP ne couvre qu'une partie des crédits qui financent la DCPJ.

Ses moyens en matériels sont globalement satisfaisants, en dépit de besoins à souligner, notamment s'agissant des équipements de pointe, des véhicules et dans le domaine du numérique. Il est d'ailleurs nécessaire que les moyens supplémentaires annoncés par la très récente LOPMI 2 ( * ) , à savoir une hausse cumulée du budget du ministère de l'Intérieur de 15 milliards d'euros sur les cinq années 2023 à 2027, soient en partie orientés vers l'augmentation des moyens matériels et technologiques consacrés à la lutte contre le haut du spectre de la criminalité, plutôt que sur de nouvelles dépenses de personnel, a fortiori catégorielles.

De même, si les effectifs de la DCPJ sont peu nombreux en proportion de ceux de la police nationale, ils sont ajustés à la part de la criminalité prise en charge par la DCPJ. Les effectifs de la DCPJ sont ainsi de 5 600 personnels, présents à 70 % dans les services déconcentrés. En revanche, des difficultés de recrutement apparaissent depuis quelques années, en particulier dans certains domaines ou pour certains corps . Alors qu'en 2018, 79 % des postes ouverts par la DCPJ à la mobilité interne des policiers dans le corps de commandement avaient été pourvus, ce taux était descendu à 37,5 % en 2021. En outre, le recours aux contractuels hautement qualifiés est aujourd'hui trop faible, y compris dans des domaines très techniques comme les crypto-monnaies par exemple. En outre, le sujet des formations initiale et continue des personnels doit être priorisé.

Par ailleurs, alors que certains services de la DCPJ s'appuient sur des moyens certains pour obtenir des résultats significatifs, à l'image de l'office antistupéfiants (OFAST) depuis sa création en 2020, d'autres services semblent disposer de moyens limités , en particulier en effectifs, au regard de leurs missions. Il en va notamment ainsi de la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF) et des deux offices centraux qu'elle chapeaute.

II. LA DCPJ EST AUJOURD'HUI CONCERNÉE PAR UN PROJET DE RÉFORME D'AMPLEUR DE LA POLICE NATIONALE, DONT LES MODALITÉS SUSCITENT DES INQUIÉTUDES S'AGISSANT DE LA POLICE JUDICIAIRE

A. UN PROJET DE RÉFORME PROFONDE DE LA POLICE NATIONALE AFFECTE DE MANIÈRE SIGNIFICATIVE LA DCPJ

Le constat d'un besoin de réforme de la police nationale fait l'objet d'un consensus. La police nationale manque aujourd'hui de cohésion et d'unité, ce qui génère des pertes d'information, d'efficacité et parfois même des logiques de concurrence.

Dans ce contexte, une grande réforme organisationnelle de la police nationale a été proposée par le livre blanc de la sécurité intérieure, publié en novembre 2020, s'appuyant sur des principes de transversalité, de décloisonnement, de déconcentration et de proximité avec le terrain. C'est sur ces bases qu'a été présenté, sans être formalisé, le projet de réforme aujourd'hui envisagé, et dont la mise en oeuvre est en partie engagée.

Le projet de réforme de l'organisation de la police nationale comprend deux axes principaux . D'une part, seraient créées quatre filières « métiers » dans le but évoqué de répondre à l'éclatement de missions entre directions : la sécurité et la paix publiques, le renseignement territorial, la police judiciaire, et les frontières et l'immigration irrégulière.

D'autre part, l'organisation centrale et territoriale de la police nationale serait modifiée afin d'établir des chefs de police compétents sur l'ensemble des filières aux échelons départemental et zonal. À l'échelon central, les quatre filières seraient chapeautées par des directions « nationales » , en lieu et place des directions centrales actuelles. Ces dernières se verraient retirer leurs missions de gestion d'un budget propre et de leurs personnels déconcentrés, sur lesquels leur ancienne autorité hiérarchique serait réduite à une autorité fonctionnelle . Elles seraient recentrées sur leur rôle de pilotage stratégique de la filière. À l'échelon déconcentré, serait installé un directeur départemental de la police nationale (DDPN) ayant une autorité hiérarchique sur les directeurs de chacune des filières et leurs services. Le DDPN serait lui-même placé sous l'autorité directe du préfet. Cette organisation serait déclinée au niveau zonal, selon des modalités qui restent à préciser.

De premiers éléments de la réforme ont déjà été mis en oeuvre . Tout d'abord, une nouvelle organisation de la police nationale a été mise en place dans les outre-mer . Elle réunit au sein d'une direction territoriale de la police nationale (DTPN) les différents corps de métiers de police dans chacun de ces territoires : sécurité publique, renseignement territorial, police aux frontières et police judiciaire. En outre, cette nouvelle organisation intégrée est expérimentée, sous la forme de directions départementales de la police nationale (DDPN), dans plusieurs départements de l'Hexagone depuis 2021.

Le projet de réforme recouvre ainsi notamment la DCPJ, via ses deux grands axes. D'une part, la réforme intègrerait la DCPJ à une nouvelle filière investigation plus large regroupant en particulier les effectifs de la DCPJ et ceux de la DCSP en charge de missions de police judiciaire. La mise en place d'une telle « filière investigation » constitue une déclinaison de la volonté d'organiser la police nationale en différents métiers. Mais elle vise en réalité également à répondre à des enjeux spécifiques à l'investigation et en particulier à l'engorgement des services d'investigation de la DCSP, à son déficit d'encadrement et, surtout, à un taux d'élucidation global en baisse au sein de la police nationale.

D'autre part, dans le cadre de la création des DDPN, les services actuels de la DCPJ dépendraient, aux côtés de ceux de la DCSP compétents en matière de police judiciaire, d'un directeur local de filière, lui-même sous l'autorité hiérarchique du DDPN, à son tour soumis au préfet. Le schéma serait similaire à l'échelon zonal.

B. LE PROJET DE RÉFORME ENVISAGÉ DOIT ENCORE ÊTRE MODIFIÉ S'AGISSANT DE LA POLICE JUDICIAIRE ET DOIT S'ACCOMPAGNER D'AUTRES MESURES

S'il est nécessaire de réformer la police nationale et de répondre rapidement à l'engorgement des services de la DCSP, les modalités de la réforme aujourd'hui envisagées présentent des risques s'agissant de la police judiciaire, et en particulier de la lutte contre le haut du spectre de la criminalité. Les auditions et déplacements conduits par le rapporteur spécial ont d'ailleurs été l'occasion de constater les inquiétudes fortes , pour une part tout à fait légitimes, de la majorité des personnes rencontrées, s'agissant de la police judiciaire.

Trop peu concerté et faisant l'objet d'un manque d'adhésion des personnels de la DCPJ, le projet de réforme souffre en outre notamment d'un écueil structurel s'agissant de la filière investigation : son échelon privilégié, à savoir le département. Héritiers des brigades du Tigre dont la création répondait justement au besoin d'une lutte contre certains types de criminalité dans un cadre géographique étendu, les services en charge de la lutte contre la criminalité la plus grave, complexe et spécialisée ne devront pas être corsetés par un cadre géographique trop étriqué .

Certaines modalités de la réforme initialement évoquées ont d'ailleurs été précisées ou ont fait l'objet de tempéraments. En outre, la vigilance du Parlement a permis d'inscrire, notamment à l'initiative des rapporteurs de la commission des lois du Sénat 3 ( * ) , dans le rapport annexé à la très récente loi LOPMI 4 ( * ) des mesures de sauvegarde importantes concernant la police judiciaire.

Il n'en demeure pas moins que le projet de réforme pose des difficultés s'agissant de la police judiciaire et doit être modifié.

En outre, la réforme devra être complétée par d'autres mesures , concernant notamment la dichotomie au sein de la police judiciaire entre la préfecture de police et le reste de la police nationale et s'agissant de certains besoins en matériels et en termes de compétences des services en charge de la lutte contre le haut du spectre de la criminalité. De plus, il est nécessaire de répondre à l'engorgement des services de la DCSP, sans déshabiller la DCPJ.

I. LA DCPJ OBTIENT DES RÉSULTATS PROBANTS DANS LA LUTTE CONTRE LE HAUT DU SPECTRE DE LA CRIMINALITÉ, AVEC DES MOYENS HUMAINS ET MATÉRIELS RELATIVEMENT SATISFAISANTS

A. AU SEIN D'UNE ORGANISATION ÉTATIQUE DES SERVICES DE POLICE JUDICIAIRE PROTÉIFORME, LA DCPJ TRAITE AVEC EFFICACITÉ DU « HAUT DU SPECTRE » DE LA CRIMINALITÉ

La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) de la police nationale constitue l'un des services de l'État compétents en matière de police judiciaire. Elle traite, tant à l'échelon central que dans ses services déconcentrés, du « haut du spectre » de la criminalité, c'est-à-dire une part de la criminalité statistiquement relativement marginale mais particulièrement préjudiciable à la société. Elle obtient en la matière des résultats très probants. En revanche, la répartition entre services de police judiciaire du traitement de la délinquance et le partage de l'information entre eux, y compris concernant la DCPJ, apparaissent encore insatisfaisants.

1. La DCPJ constitue l'un des nombreux services de l'État compétents en matière de police judiciaire
a) La définition, les acteurs et les procédures de la police judiciaire
(1) La police judiciaire, un terme polysémique

La notion de police judiciaire renvoie à différentes définitions , qu'il convient de distinguer 5 ( * ) .

Des points de vue juridique et fonctionnel , la police judiciaire se définit par rapport à la notion de police administrative. Cette dernière a une vocation préventive : elle vise à maintenir l'ordre public et à prévenir la commission d'infractions. À l'inverse, la police judiciaire a une vocation répressive : comme l'indiquait l'article 20 du code des délits et des peines du 3 brumaire, an IV, elle « recherche les délits que la police administrative n'a pu empêcher de commettre, en rassemble les preuves et en livre les auteurs aux tribunaux chargés par la loi de les punir ». Cette définition fonctionnelle, qui renvoie à la mission centrale d'investigation, est aujourd'hui reprise, sous réserve de différences rédactionnelles, par l'article 14 du code de procédure pénale qui énonce que la police judiciaire « est chargée (...) de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs (...) ». Lors de son audition, le directeur central de la police judiciaire, M. Jérôme Bonet, a ainsi résumé le rôle de la police judiciaire : « administrer la preuve et déférer les personnes en cause devant les tribunaux ».

La police judiciaire répond également à une définition organique et renvoie alors à l'ensemble des services de police judiciaire de l'État, qu'ils relèvent du ministère de l'Intérieur (police nationale et gendarmerie nationale) ou d'autres ministères, parmi lesquels ceux en charge des finances ou de l'environnement 6 ( * ) .

Enfin, dans les terminologies courante et policière , le terme de « police judiciaire » ou « PJ » fait le plus souvent référence à la direction centrale de la police judiciaire ( DCPJ ) et à ses services territoriaux, ainsi qu'à la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris ( DRPJ-PP ), le « 36 » 7 ( * ) , autonome de la DCPJ et répondant à l'autorité du préfet de police de Paris.

Le présent rapport s'appuie principalement sur cette dernière définition, puisqu'il porte sur la DCPJ. Néanmoins, l'action de cette dernière s'inscrivant dans les cadres juridique, fonctionnel et organique de la police judiciaire, les relations croisées entre ces différentes définitions le nourrissent également.

(2) Les acteurs et les procédures de la police judiciaire

La police judiciaire est, par définition, « judiciaire ». C'est donc fort logiquement qu'elle constitue avant tout une prérogative de l'autorité judiciaire . Comme l'énonce l'article 12 du code de procédure pénale « La police judiciaire est exercée, sous la direction du procureur de la République, par les officiers, fonctionnaires et agents désignés au présent titre ». Lorsqu'un juge d'instruction a été désigné, c'est lui qui exerce cette autorité. Plus largement, le procureur de la République ou le juge d'instruction dirigent l'action et l'accomplissement des procédures par les personnels de police judiciaire . En revanche, d'un point de vue administratif, ces derniers ne relèvent pas du pouvoir judiciaire mais du pouvoir exécutif . Il est donc possible de considérer schématiquement que les personnels en charge des missions de police judiciaire relèvent hiérarchiquement, notamment pour leur affectation et leur carrière, du pouvoir exécutif et fonctionnellement de l'autorité judiciaire, dans le déroulé des enquêtes.

L'article 15 du code de procédure pénale instaure quatre capacités de police judiciaire : officier de police judiciaire (OPJ), agent de police judiciaire (APJ), agent de police judiciaire adjoint (APJA) ainsi que fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées certaines fonctions de police judiciaire. Comme le rappelle le Conseil d'État 8 ( * ) , pour chacune de ces capacités, l'étendue et la nature des prérogatives de police judiciaire exercées sont fonction des exigences qui conditionnent l'attribution aux agents de la qualité correspondante. Elles sont donc décroissantes pour les OPJ, APJ et, enfin, les APJA. Ainsi, les garanties exigées pour avoir la qualité d'OPJ, définies par l'article 16 du code de procédure pénale, justifient que les OPJ disposent des prérogatives de police judiciaire les plus étendues et de pouvoirs propres, notamment celui de décider du placement d'une personne en garde à vue et des actes d'enquête les plus coercitifs ou les plus intrusifs. Pour les fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées certaines fonctions de police judiciaire, leurs prérogatives peuvent être importantes mais sont limitées à un domaine particulier.

Les conditions d'acquisition de la qualité et d'exercice
des missions d'OPJ, d'APJ et d'APJA

L'acquisition de la qualité d'OPJ résulte de la réussite à un examen, comportant des épreuves théoriques et techniques 9 ( * ) . Néanmoins la qualité d'OPJ ne suffit pas pour exercer les fonctions correspondantes. En effet, l'intéressé doit être affecté à un emploi comportant l'exercice des fonctions d'OPJ et recevoir une habilitation personnelle de la part de l'autorité judiciaire. Cette habilitation peut, selon les services d'affectation, présenter un périmètre géographiquement plus ou moins étendu, variant de l'échelon départemental à l'échelon national. Les OPJ de la DCPJ sont par exemple le plus souvent dotés d'une compétence nationale s'agissant des services centraux et interrégionale s'agissant des services territoriaux.

Les conditions d'acquisition de la qualité d'APJ sont moins strictes : disposent de cette qualité notamment les élèves-gendarmes affectés en unité opérationnelle et les gendarmes n'ayant pas la qualité d'OPJ, ainsi que les fonctionnaires des services actifs de la police nationale, titulaires et stagiaires n'ayant pas la qualité d'OPJ. Peuvent exercer les attributions attachées à la qualité d'APJ les personnels affectés à un emploi comportant cet exercice, sans besoin d'une habilitation judiciaire préalable.

Enfin, sont APJA notamment les fonctionnaires des services actifs de la police nationale qui ne sont ni APJ ni OPJ, les agents de police municipale et les gardes champêtres. L'habilitation judiciaire préalable n'est pas nécessaire pour l'exercice des missions d'APJA. 10 ( * )

Il convient par ailleurs de noter que les différents personnels habilités en matière de police judiciaire n'exercent pas tous des missions de police judiciaire à titre exclusif. Ainsi, un certain nombre d'entre eux, notamment au sein des services de la direction centrale de la sécurité publique de la police nationale, exercent également des missions de police administrative, comme le maintien de la paix publique via les patrouilles. C'est d'ailleurs parfois à cette occasion qu'ils constatent une infraction et entrent alors dans le cadre juridique du traitement de la délinquance, et donc de la police judiciaire.

Les personnels en charge de missions de police judiciaire s'appuient pour mener leurs enquêtes, sous l'autorité et la direction du procureur de la République ou du juge d'instruction, sur le droit applicable et en particulier le code de procédure pénale. Différents cadres d'enquête sont ainsi prévus. Certaines enquêtes s'appuient ainsi sur une initiative policière, qu'il s'agisse soit d'une enquête de flagrance en cas de délit ou crime flagrant, soit d'une enquête préliminaire, lorsque les conditions de la flagrance ne sont pas réunies. D'autres enquêtes sont déléguées aux personnels de police judiciaire par un magistrat, sur commission rogatoire ou dans le cadre d'enquêtes spécifiques de mort suspecte, de recherche des causes de la mort, de recherche des causes des blessures graves, de disparition inquiétante ou de localisation d'un fugitif. Chaque cadre d'enquête prévoit des prérogatives spécifiques pour les personnels de police judiciaire et des procédures particulières, une certaine complexité en résultant 11 ( * ) .

b) La police judiciaire vise à réprimer une délinquance qui peut être catégorisée en plusieurs types

La police judiciaire traite de l'ensemble de la délinquance, « du vol de vélo au trafic international de stupéfiants », selon les termes utilisés par le procureur de la République de Rennes, M. Philippe Astruc, lors de son audition. Elle traite de l'ensemble du champ infractionnel.

La délinquance peut ainsi être ventilée en trois strates 12 ( * ) , de gravité et/ou de complexité croissante.

La délinquance du quotidien renvoie au premier niveau ; elle correspond notamment aux atteintes aux biens de gravité limitée (vols à la tire, vols à l'étalage, dégradations, etc .) et aux atteintes aux personnes sans préjudice physique (menaces, incivilités, etc .). Ce type de délinquance constitue, numériquement, la masse la plus importante des faits enregistrés par les forces de sécurité intérieure.

La délinquance de complexité ou de gravité intermédiaire correspond au deuxième niveau ; elle renvoie notamment aux atteintes aux biens à caractère sériel (cambriolages, vols à main armée, vols d'automobiles, etc .) sans toutefois relever d'organisations criminelles structurées, aux atteintes graves aux personnes (certaines infractions à caractère sexuel, certaines formes de proxénétisme, certains homicides, etc .) ou encore au trafic de stupéfiants de rue ou à certaines escroqueries.

Le troisième et dernier niveau correspond à la délinquance spécialisée, à la criminalité organisée et au terrorisme . Numériquement, les faits relevant de la criminalité organisée ou du terrorisme sont peu nombreux sur le territoire national, mais ils représentent une menace significative et nécessitent la mise en oeuvre de moyens spécialisés. De même, la délinquance spécialisée, comme par exemple en matière d'infractions économiques et financières complexes, cause des dommages élevés et nécessite un traitement spécifique et spécialisé.

Cette ventilation de la délinquance par strate est schématique. En effet, certaines infractions se situent entre deux strates de délinquance, tandis que certains délinquants recourent à plusieurs niveaux de délinquance simultanément. Elle permet toutefois notamment d'éclairer l'organisation du traitement de la délinquance par les services de police judiciaire.

Enfin, d'un point de vue géographique , les actes infractionnels peuvent intervenir soit en « zone police », soit en « zone gendarmerie ».

c) Une délinquance dont la localisation, le type et le niveau de gravité appellent la compétence de principe de différents services de police judiciaire, sans préjudice du choix souverain de l'autorité judiciaire

Les services de l'État compétents en matière de police judiciaire relèvent de plusieurs ministères et de plusieurs directions générales et centrales. Si le procureur de la République ou le juge d'instruction dispose in fine d'une autorité souveraine dans le choix du service d'investigation, des critères de répartition entre services s'appliquent concrètement.

(1) Le choix souverain du service d'investigation par l'autorité judiciaire

L'article 12-1 du code de procédure pénale précise que « le procureur de la République et le juge d'instruction ont le libre choix des formations auxquelles appartiennent les officiers de police judiciaire », tandis que l'article D2 du même code énonce, dans le même sens, en son avant-dernier alinéa, que « Le procureur de la République et le juge d'instruction ont le libre choix des formations auxquelles appartiennent les officiers de police judiciaire territorialement compétents qui seront chargés de l'exécution de leurs réquisitions ou commissions rogatoires ».

Il en résulte qu' il est loisible aux procureurs de la République et aux juges d'instruction de confier tous types d'enquêtes à un ou plusieurs services compétents de leur choix , et notamment aux différents services de la police et de la gendarmerie nationales.

(2) Des services d'investigation nombreux, dont la compétence fait l'objet de principes de répartition

Les services de l'État compétents en matière de police judiciaire sont relativement nombreux et relèvent de plusieurs ministères et de plusieurs directions générales.

Afin de permettre la bonne organisation, l'efficacité et, le cas échéant, la spécialisation des services d'investigation, des principes de répartition des types d'affaires ont donc été posés tant entre administrations qu'entre services d'investigation au sein de celles-ci. Des protocoles ont également été dans certains cas conclus en leur sein et avec le ministère de la Justice pour en assurer, autant que faire se peut, le respect effectif. Le procureur de la République ou le juge d'instruction compétent peut toujours décider de faire exception à ces critères ; mais concrètement, il ne le fait que pour une faible part des dossiers.

(a) Les différents services de l'État compétents en matière de police judiciaire
(i) Les services du ministère de l'Intérieur et de la préfecture de police de Paris compétents en matière de police judiciaire

Les services du ministère de l'Intérieur, y compris ceux de la préfecture de police de Paris, sont chargés de l'essentiel de la mission globale de police judiciaire.

D'une part, la direction générale de la police nationale (DGPN) et les services de police de la préfecture de police de Paris traitent, pour la zone géographique relevant de la police, des missions de police judiciaire au sein de plusieurs directions compétentes en la matière, selon le cas, à titre principal ou subsidiaire. Au total, sont concernés par des missions de police judiciaire au sein de la police nationale 46 161 personnels, selon les documents budgétaires 13 ( * ) .

La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) , présentée en détails infra , constitue un service de la police nationale spécialisé dans les missions de police judiciaire, compétent en particulier en ce qui concerne la délinquance grave, complexe, spécialisée, organisée, transnationale ou terroriste . Ses activités, aux niveaux central et déconcentré, sont ainsi centrées à titre quasi-exclusif sur des missions de police judiciaire pour le haut du spectre , voire le très haut du spectre, de la criminalité . Ses compétences recouvrent une partie du troisième niveau de délinquance mais également une faible partie du deuxième niveau 14 ( * ) . Ses effectifs sont de 5 673 personnels, dont 3 800 enquêteurs. Au sein de l'organisation autonome de la préfecture de police de Paris, la direction régionale de police judiciaire de la préfecture de police de Paris ( DRPJ-PP ), qui ne relève pas de l'autorité de la DCPJ, effectue des missions quasiment identiques dans son périmètre géographique de compétence . Ses effectifs sont d'un peu plus de 2 200 personnels.

La direction centrale de la sécurité publique (DCSP) constitue la direction généraliste de la police nationale . Ses missions sont très diverses, s'étalant notamment de la sécurité de proximité et du maintien de la paix publique à la police judiciaire, en passant par le renseignement territorial. Près de 30 % des personnels de la DCSP sont dédiés à des missions de police judiciaire, soit environ 17 400 sur un total de 65 000 personnels, répartis notamment dans les sûretés départementales et sûretés urbaines des circonscriptions de sécurité publique et dans les directions départementales de la sécurité publique. La DCSP traite, avec la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne de la préfecture de police de Paris ( DSPAP ), de la masse des missions de police judiciaire au sein de la police nationale : s'occupant de la quasi-totalité de la délinquance de premier niveau en zone police, elle traite également de l'essentiel de la masse des infractions de deuxième niveau et d'une partie des infractions de troisième niveau, lorsqu'elles ne sont pas attribuées à la DCPJ.

Le service national de police scientifique (SNPS) , créé par un décret n° 2020-1779 du 30 décembre 2020 15 ( * ) , est rattaché directement au DGPN . Jusqu'en 2017, il s'agissait d'une sous-direction de la DCPJ. Ce service réunit et pilote au sein d'une structure unique l'ensemble des acteurs de la police scientifique de la police nationale et de la préfecture de police de Paris, quelles que soient les directions d'appartenance, au sein de 622 sites d'implantation répartis sur l'ensemble du territoire national. Ses 1 245 personnels concourent directement aux missions de police judiciaire sous ses angles scientifiques et techniques (examens, constatations, expertises, recherches, analyses scientifiques, etc .).

Enfin, d'autres directions centrales, et leurs services déconcentrés, de la DGPN traitent, à titre plus ou moins subsidiaire de missions de police judiciaire . La direction centrale de la police aux frontières ( DCPAF ), dont la mission centrale est de lutter contre l'immigration clandestine et de faire respecter la règlementation sur le droit au séjour en France, exerce ainsi des missions nombreuses de police judiciaire pour les infractions associées. La direction centrale des compagnies républicaines de sécurité ( DCCRS ), dont la mission principale est de maintenir et de rétablir l'ordre (violences urbaines, mouvements sociaux, diverses manifestations, etc .), exerce également des missions de police judiciaire s'agissant des infractions autoroutières. Par ailleurs, la direction générale de la sécurité intérieure ( DGSI ), qui ne relève pas de l'autorité de la DGPN mais constitue toutefois un service actif de la police nationale, dispose de compétences spécifiques de police judiciaire, notamment en matière d'enquête sur les infractions liées au terrorisme.

D'autre part, si le terme de « police » judiciaire pourrait induire en erreur de ce point de vue, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) dispose bien évidemment d'une compétence de même nature que la police nationale en matière de police judiciaire.

Les personnels de la gendarmerie nationale compétents en matière de police judiciaire traitent ainsi par principe de l'ensemble des infractions commises en « zone gendarmerie », qu'ils relèvent du premier, du deuxième ou du troisième niveau de délinquance.

La mission de police judiciaire s'exerce au sein de la gendarmerie nationale conformément à son organisation pyramidale hiérarchisée et à ses principes de complémentarité et de subsidiarité. Ainsi, en fonction de leur gravité et de leur technicité croissantes, les affaires relèvent :

- soit, par principe, de la compétence des personnels généralistes de la brigade ou de la compagnie ;

- soit, pour les affaires les plus graves ou complexes, des formations spécialisées de police judiciaire : les brigades de recherche (au niveau du groupement départemental) ou les sections de recherche (au niveau de la région de gendarmerie).

Organisation des formations spécialisées de police judiciaire
dans la région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes 16 ( * )

Source : région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes

Au niveau central, la sous-direction de la police judiciaire (SDPJ) de la DGGN suit, appuie et coordonne l'activité de police judiciaire des différentes unités de gendarmerie.

(ii) Les autres services compétents en matière de police judiciaire

Si l'essentiel de la fonction de police judiciaire est effectué par les personnels du ministère de l'Intérieur compétents en la matière, d'autres fonctionnaires dépendant d'autres ministères sont également compétents dans des domaines spécifiques.

En premier lieu, certains fonctionnaires dépendant de différentes administrations sont spécialement habilités à exercer certaines missions de police judiciaire . L'article 28 du code de procédure pénale précise ainsi que « les fonctionnaires et agents des administrations et services publics auxquels des lois spéciales attribuent certains pouvoirs de police judiciaire exercent ces pouvoirs dans les conditions et dans les limites fixées par ces lois ». Ils disposent souvent de prérogatives importantes, parfois plus larges que celles des OPJ ou APJ, mais dans des domaines limités. Ces fonctionnaires relèvent notamment des ministères compétents en matière de travail, de transports, de santé, d'économie, etc .

En deuxième lieu, certains personnels relevant du ministère en charge des finances 17 ( * ) ont des compétences de police judiciaire . Ainsi, en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale, des agents des douanes, spécialement désignés, peuvent être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires pour les infractions prévues par le code des douanes. L'article 28-2 du même code prévoit des dispositions similaires pour les agents des services fiscaux pour certaines infractions au code général des impôts et le blanchiment de ces infractions. Surtout, en application du décret n° 2019-460 du 16 mai 2019 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « service d'enquêtes judiciaires des finances » ( SEJF ), rattaché conjointement au directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI) et au directeur général des finances publiques (DGFIP), ses personnels composés d'officiers de douane judiciaire et d'officiers fiscaux judiciaires sont compétents pour rechercher et constater certaines infractions prévues par le code des douanes et le code général des impôts.

En dernier lieu, en application de l'article 28-3 du code de procédure pénale, des inspecteurs de l'environnement compétents pour la recherche et la constatation des infractions portant atteinte à l'environnement affectés à l'Office français de la biodiversité, spécialement désignés, peuvent être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires. En outre, en application des articles 22 à 24 du même code, les agents des services de l'État chargés des forêts, les agents de l'Office national des forêts et les gardes champêtres peuvent également se voir conférer des missions de police judiciaire dans leurs domaines de compétences.

(b) Des principes de répartition des compétences entre services s'appliquent

La répartition des affaires entre les différents services répond finalement à plusieurs critères :

- le domaine de l'infraction dans certains cas (code des douanes, forêts, fiscalité, etc .) ;

- la localisation de l'infraction (en particulier entre zone gendarmerie et zone police et au sein de cette dernière entre le périmètre géographique de la préfecture de police et le reste du territoire) ;

- la gravité, la complexité et la spécialisation de l'infraction (en particulier pour distinguer la compétence des services généralistes de la DCSP, de la DSPAP de la préfecture de police de Paris ou des brigades de gendarmerie et celle des services spécialisés de police judiciaire de la DCPJ de la police nationale ou des brigades de recherche ou sections de recherche de la gendarmerie nationale).

La répartition des compétences a dans certains cas été précisée et formalisée par différents protocoles .

Sur le même principe que le protocole conclu le 25 avril 2006 entre la DGGN et le ministère de la Justice, un protocole cadre a ainsi été signé le 20 décembre 2007 entre le DGPN et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice concernant les missions de police judiciaire. Ce dernier, qui est en vigueur, vise à définir le cadre d'une répartition des compétences judiciaires entre les services de la DCPJ et de la DCSP « en favorisant une adaptation des moyens humains, matériels et techniques des services en charge de ces missions conformément aux principes de répartition qu'il fixe ». Le protocole prévoit en outre qu'il soit prolongé localement et adapté aux spécificités de chaque ressort géographique, par l'élaboration de protocoles locaux. Après avoir rappelé le principe du libre choix du service d'enquête par l'autorité judiciaire, ce protocole précise, dans un tempérament concret bien que non contraignant à ce principe, la « nécessité de la parfaite information des procureurs de la République et magistrats instructeurs quant aux missions incombant aux services de la DCPJ et de la DCSP et à leur organisation. En effet, la saisine d'un service d'enquête ne saurait être décidée au seul regard de la nature de l'infraction mais doit également tenir compte des moyens dont dispose le service enquêteur dont la saisine est envisagée ». Le protocole énonce enfin la répartition concrète des compétences entre DCPJ et DCSP par catégorie et type d'infractions, comme présenté infra .

2. La DCPJ traite, aux niveaux central et déconcentré, le « haut du spectre » de la criminalité et constitue un acteur central de la coopération policière internationale et du fonctionnement des offices centraux de police judiciaire
a) Héritière des brigades du Tigre, la DCPJ a principalement la charge de la criminalité organisée, grave et complexe et s'occupe de la coopération policière internationale
(1) La DCPJ, souvent présentée comme une police d'élite, est héritière des « brigades du Tigre »

La direction centrale de la police judiciaire est née, sous d'autres formes, à la Belle Époque, sous la III e République, de la volonté de Georges Clemenceau de doter la France d'une « police chargée de seconder l'autorité judiciaire dans la répression des crimes et des délits » 18 ( * ) .

La France se trouve alors confrontée à des bandes organisées de malfaiteurs opérant à main armée sur plusieurs départements, avec des moyens de locomotion rapides, parmi lesquels l'on retient souvent les « bandits d'Hazebrouck », les « chauffeurs de la Drôme » ou la « Caravane à Pépère ».

Face à cette situation, sur proposition de Célestin Hennion, directeur de la Sûreté générale, Georges Clemenceau, alors président du Conseil et ministre de l'intérieur, fonde en 1907 par deux textes réglementaires, les structures qui sont à l'origine de la DCPJ d'aujourd'hui. Par un premier décret, il crée un contrôle général des services de recherches judiciaires placé sous le commandement du commissaire Jules Sébille, qui peut ainsi être considéré comme le premier « patron » de la police judiciaire française. En outre, par un second décret, il instaure douze brigades régionales de police mobile, les « brigades du Tigre » , surnom de Georges Clemenceau, chargées de combattre le crime organisé sur tout le territoire selon des périmètres géographiques de compétence étendus.

Leur création et leur vocation sont expliquées en ces termes par Georges Clemenceau, dans sa circulaire du 4 avril 1908 adressée aux préfets : « En procédant à une telle innovation, le Gouvernement a eu pour but unique de doter notre pays d'un organisme devenu indispensable de préservation sociale . Il a voulu faire rechercher et poursuivre par des agents expérimentés, se déplaçant rapidement, investis d'une compétence étendue, les malfaiteurs de toutes catégories, auxquels l'extension et le perfectionnement des moyens de communication offrent de jour en jour des facilités plus grandes d'évasion et que trop souvent ne peuvent atteindre les polices locales, indépendantes les unes des autres, sans contact de commune à commune, enfermées dans d'étroites et d'infranchissables juridictions » .

Ces brigades, dont la mission exclusive est la police judiciaire, obtiennent rapidement des résultats significatifs. Elles voient leur nombre s'accroître rapidement et atteindre 19 en 1920. En 1947, elles deviennent les services régionaux de police judiciaire, rattachés à compter de la création de la police nationale en 1966 à la DCPJ.

Logo actuel de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ)

Source : ministère de l'Intérieur

Aujourd'hui, le profil de Georges Clemenceau, associé à l'image d'un tigre, figure toujours sur le logo de la DCPJ.

(2) La DCPJ a principalement la charge de la criminalité organisée, grave et complexe et s'occupe de la coopération policière internationale
(a) Les principales missions de la DCPJ

La DCPJ a pour missions principales :

- de mener les enquêtes contre la criminalité la plus grave, complexe et spécialisée, contre la criminalité organisée et le terrorisme et dans les domaines nécessitant une grande technicité tant en matière financière que criminelle, ou d'importants moyens opérationnels ;

- au niveau opérationnel et au plan national, de centraliser les informations ainsi que de conduire et de coordonner les investigations et les recherches , avec les autres services français concernés de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la DGDDI, en liaison avec la justice et en s'appuyant notamment sur le rôle des offices centraux de la DCPJ 19 ( * ) ;

- de concevoir et de gérer des outils modernes d'enquête ;

- d'analyser la délinquance et la criminalité et de proposer aux autorités, si nécessaire après concertation avec les autres administrations et avec les professionnels du secteur privé (banques, transporteurs de fonds, fournisseurs d'accès à internet, etc .), les améliorations techniques ou juridiques utiles.

Concrètement, s'agissant de son rôle d'investigation opérationnelle, les compétences de la DCPJ et de ses services centraux et déconcentrés sont énoncées par le protocole cadre mentionné supra signé le 20 décembre 2007 entre le DGPN et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice concernant les missions de police judiciaire. Ce dernier précise que la DCPJ a pour mission, au sein de la police nationale, « la prévention et la répression des formes spécialisées, organisées ou transnationales de la criminalité et du terrorisme » (recoupant une partie du troisième niveau ainsi qu'une faible partie du deuxième niveau de délinquance), alors que la DCSP se charge de « la lutte contre la moyenne et petite délinquance et plus particulièrement la délinquance de voie publique, les violences contre les personnes, les violences urbaines ainsi que la lutte contre le trafic local de stupéfiants ».

La répartition de principe des compétences de police judiciaire au sein de la police nationale entre la DCPJ et la DCSP, par type d'infraction

Le protocole cadre précité signé le 20 décembre 2007 entre le DGPN et la DACG du ministère de la Justice concernant les missions de police judiciaire prévoit une répartition de principe des affaires criminelles entre la DCPJ et la DCSP par type d'infractions.

Au sein des atteintes aux personnes , sont, sauf exceptions, de la compétence des services de la DCPJ : les homicides et tentatives d'homicides, les enlèvements et séquestrations de personnes, le proxénétisme organisé au niveau régional, national ou international, la pédopornographie lorsqu'un réseau est impliqué, les viols présentant une particulière gravité (caractère sériel, pluralité de victimes, actes de tortures et de barbarie) et les atteintes à la santé publique ou à la sécurité alimentaire présentant une particulière gravité. Les autres infractions relèvent des services de la DCSP.

S'agissant des trafics de stupéfiants , les services de la DCPJ sont compétents lorsqu'est avérée l'existence d'un réseau structuré d'ampleur supra-départementale. Les autres dossiers (en particulier l'usage, la revente et le trafic local) relèvent de la compétence des services de la DCSP.

Concernant les atteintes aux biens , sont de la compétence des services de la DCPJ : les vols à main armée avec arme à feu dirigés contre les établissements bancaires, les transports de fonds et de valeurs, les commerces et établissements exerçant dans un domaine sensible (bijouterie, casino, PMU, etc .), et quelques autres types d'établissements ; les extorsions de fonds lorsqu'ils relèvent de la criminalité organisée ou que l'enquête nécessite d'importants moyens ; les vols et trafics d'oeuvres et objets d'art relevant d'un trafic organisé au niveau au moins régional ou portant sur un objet à forte valeur patrimoniale ou intervenus dans un musée ; certains vols spéciaux, certains réseaux de trafics de véhicules volés et certaines destructions, dégradations et détériorations de biens immobiliers. Les autres infractions relèvent des services de la DCSP.

S'agissant des affaires économiques et financières , elles relèvent de la compétence des services de la DCPJ quand elles sont d'une envergure excédant le cadre local, génèrent un préjudice important, demandent des investigations longues ou complexes ou requièrent l'intervention d'enquêteurs spécialisés. Les affaires de faux monnayage relèvent par principe des services de la DCPJ, sauf notamment lorsque le receleur opère de manière occasionnelle et en faible quantité. La DCPJ est également compétence pour les affaires de faux moyens de paiement, sauf lorsqu'elles ne nécessitent pas d'investigations lourdes et complexes. Les affaires de contrefaçons industrielles ou artistiques sont de la compétence de la DCPJ lorsqu'elles relèvent d'une structure organisée. Les affaires de fraude informatique et télématique sont également de la compétence de la DCPJ, sauf lorsqu'elles ne nécessitent pas d'investigations lourdes et complexes. Enfin, les affaires de blanchiment des produits du crime organisé sont de la compétence de la DCPJ. Les autres infractions relèvent des services de la DCSP.

Pour ce qui concerne les atteintes à la paix publique , sont de la compétence des services de la DCPJ : les actes de terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ; les trafics d'armes et de matières nucléaires, biologiques et chimiques ; les évasions d'établissement pénitencier relevant d'une organisation particulière ou concernant un individu dangereux ou relevant du grand banditisme ; les infractions graves commises dans les établissements pénitentiaires, dont les homicides ; les affaires de fabrication ou de trafic organisé de faux documents administratifs dont l'enquête est complexe ou d'envergure nationale ou internationale. Les autres infractions relèvent des services de la DCSP.

S'agissant des violences urbaines , qui recouvrent des atteintes aux personnes ou aux biens, leur traitement obéit à une logique de gestion territoriale de la délinquance et relève donc de la compétence des services de la DCSP. Néanmoins, il peut être sollicité de la DCPJ un soutien technique, logistique ou opérationnel.

Enfin, des co-saisines des services de la DCPJ et de la DCSP sont possibles , tandis que l'autorité judiciaire dispose toujours de la possibilité de faire exception à l'application des critères du protocole , sans avoir légalement à en justifier. Par ailleurs, la répartition des compétences doit s'appuyer, comme le rappelle le protocole, sur un partage d'information efficace entre les services de la DCPJ et de la DCSP, condition pour effectuer des analyses et recoupements notamment.

La doctrine de coordination de l'investigation entre les services territoriaux de la sécurité publique et de la police judiciaire publiée le 12 avril 2016 et co-signée par le DGGN, le DCSP et le DCPJ précise quant à elle en particulier les modalités d'échange d'informations entre les services de ces deux directions et les modalités générales d'une coordination locale stratégique de l'action judiciaire des services.

(b) La DCPJ, un acteur majeur de la coopération opérationnelle policière internationale

La DCPJ constitue un acteur majeur de la coopération opérationnelle policière internationale.

Face à une criminalité qui s'internationalise toujours davantage, l'apport de la coopération policière internationale est devenu un atout majeur et incontournable - de l'enrichissement à la résolution des enquêtes - pour l'efficacité de l'action des forces de sécurité. En charge de l'administration des trois canaux de coopération policière opérationnelle multilatérale que sont Interpol, Europol et Sirene (dans le cadre du système d'information Schengen, « SIS »), la DCPJ oeuvre au quotidien dans ce domaine pour l'ensemble des forces de sécurité (police, gendarmerie, DGSI, DGDDI, etc .) et les autorités judiciaires .

En 2021, la division des relations internationales (DRI) de la DCPJ a ainsi prêté son concours dans plus de 11 000 enquêtes françaises pour obtenir des informations auprès des pays étrangers et des institutions de coopération policière, soit un niveau jamais atteint jusqu'ici. En 2021, la section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL) de la DRI a ainsi échangé près de 430 000 messages avec nos partenaires étrangers, couvrant 194 pays via Interpol, 45 pays via Europol et 30 via Schengen, soit une hausse du volume des échanges de 15 % en un an. Cela représente en moyenne 1 200 messages traités par jour dans le cadre d'échanges d'informations alphanumériques ou biométriques.

Ce partage d'information a des effets concrets, qui se manifestent notamment - mais pas seulement - dans les arrestations de fugitifs. En 2021, 775 fugitifs ont été arrêtés à l'étranger sur la base de mandats d'arrêts européens français diffusés dans le « SIS » et 90 sur la base de notices rouges 20 ( * ) françaises diffusées par Interpol dans le monde ; en outre, 805 l'ont été en France sur le fondement de mandats d'arrêts européens étrangers diffusés dans le SIS et 80 dans le cadre de notices rouges étrangères.

b) La DCPJ s'appuie sur des services centraux et sur un maillage territorial

La DCPJ constitue l'une des directions actives de la direction générale de la police nationale (DGPN), aux côtés notamment de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et de la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS) 21 ( * ) .

Organigramme général de la Direction générale de la police nationale

Source : ministère de l'Intérieur

L'organisation de la DCPJ est notamment fixée par l'arrêté du 5 août 2009 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la police judiciaire.

À l'échelon central, la DCPJ comprend , pour un total de 1 687 personnels en 2022 (s'y ajoutent des personnels en services déconcentrés) :

- l'état-major , chargé notamment de la centralisation et de la diffusion de l'information opérationnelle ainsi que des relations avec le service d'information et de communication de la police nationale pour les actions de communication de la direction centrale. Il est également chargé de l'élaboration de la doctrine et de la stratégie de la DCPJ et coordonne les travaux menés par cette dernière en matière juridique ou technique ainsi qu'en matière d'organisation et de prospective (« EM », 53 personnels) ;

- la division des relations internationales (« DRI », 138 personnels), notamment en charge des canaux officiels de coopération internationale (Interpol, Europol, Schengen) ;

- l'Office anti-stupéfiants (« OFAST », 180 personnels) ;

- le service central des courses et jeux , qui a la particularité d'exercer également, outre ses missions de police judiciaire, des missions de police administrative en matière de surveillance de l'application de la réglementation dans les casinos, les cercles, les hippodromes et cynodromes, notamment (« SCCJ », 56 personnels) ;

- le département des technologies appliquées à l'investigation (« D@TA-i », 199 personnels) ;

- la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée (SDLCO, 471 personnels), comprenant notamment l'office central de la lutte contre le crime organisé (OCLCO), l'office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), l'office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), l'office central pour la répression du faux monnayage (OCRFM) et l'office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) ;

- la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité (SDLC, 152 personnels) ;

- la sous-direction antiterroriste (SDAT, 168 personnels) ;

- la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF, 189 personnels), comprenant notamment l'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) ;

- la sous-direction du pilotage et des ressources (SDPR, 81 personnels).

Organigramme général de la direction centrale de la police judiciaire

Source : direction générale de la police nationale

Au niveau déconcentré , une réforme de l'organisation est intervenue au 1 er janvier 2021 en application du décret n° 2020-1776 du 30 décembre 2020 22 ( * ) .

Cette réforme vise, selon le ministère de l'Intérieur, par la création de directions zonales , à mettre davantage en adéquation l'organisation territoriale de la DCPJ avec les ressorts territoriaux du ministère de l'intérieur (zone de défense et de sécurité) et du ministère de la justice (ressorts des cours d'appel), à prendre en compte l'évolution des bassins de criminalité pour améliorer la réponse opérationnelle et à optimiser le pilotage administratif, budgétaire et logistique des services territoriaux en mutualisant la gestion des ressources et des moyens au niveau des DZPJ.

Elle repose sur les évolutions suivantes :

- 7 directions zonales ont été créées , remplaçant les directions interrégionales de police judiciaires (DIPJ) et les directions régionales de police judiciaire (DRPJ). Seules les DRPJ de Versailles et de Paris (cette dernière étant par ailleurs autonome de la DCPJ 23 ( * ) ) ont conservé leur appellation et leur compétence territoriale ;

- les services régionaux de police judiciaire (SRPJ) ont été rebaptisés « directions territoriales de police judiciaire » (DTPJ) et sont au nombre de 18 ;

- les antennes de police judiciaire ont été transformées en « services de police judiciaire » (SPJ) et sont au nombre de 39.

Organisation déconcentrée de la direction centrale de la police judiciaire

Source : ministère de l'Intérieur

Le rapporteur spécial constate que les modalités de découpage zonal du territoire s'appuient notamment sur une direction zonale « sud » au poids particulièrement significatif. S'étendant de Tarbes à Bonifacio, elle couvre 3 régions (Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse), quatre des sept plus grandes villes françaises (Marseille, Toulouse, Nice, Montpellier) et des territoires marqués par de forts enjeux de criminalité. À elle seule, cette zone représente d'ailleurs 32 % des effectifs déconcentrés de la DCPJ 24 ( * ) .

c) La DCPJ, un acteur central du fonctionnement des offices centraux interministériels de police judiciaire

Face à la multiplicité de services compétents en matière de police judiciaire, des offices centraux ont été mis en place. Structures interministérielles placées au niveau des administrations centrales, ces offices ont la charge, dans leur domaine de compétence :

- de réaliser les enquêtes à forts enjeux, d'assurer la coordination des enquêtes judiciaires au niveau national et d'apporter un soutien aux enquêteurs dans les différents services déconcentrés ;

- d'élaborer les états de la menace dans leurs domaines de compétences ;

- de contribuer, de manière plus ou moins prononcée, à la définition des politiques publiques et à la mise en oeuvre d'une doctrine d'investigation.

Ces offices sont institués soit en tant que service au sein d'une sous-direction nationale d'une administration centrale, soit sous la forme juridique d'un service à compétence nationale qui, rattaché à un directeur d'administration centrale ou de direction générale, est amené à assurer un rôle de coordination et d'animation dans un domaine plus large.

Les offices centraux sont à ce jour au nombre de 14 et sont listés par l'article D8-1 du code de procédure pénale. Leur gestion est assurée pour dix d'entre eux par la police nationale, les quatre autres relevant de la gendarmerie nationale 25 ( * ) .

La DCPJ joue un rôle central dans le fonctionnement des offices centraux tant par le nombre d'entre eux dont la gestion lui est confiée que par le caractère stratégique de ceux-ci dans la lutte contre la criminalité . Au sein des 10 offices centraux relevant de la police nationale, 9 sont ainsi rattachés à la DCPJ 26 ( * ) :

- l'Office anti-stupéfiants (OFAST), qui a la particularité d'être un service à compétence nationale et d'être directement rattaché au directeur central de la police judiciaire, au même niveau que les sous-directions ;

- l'Office central pour la répression du faux-monnayage (OCRFM), l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), l'Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) et l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), tous rattachés à la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée de la DCPJ (SDLCO) ;

- l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), rattaché à la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité (SDLC) de la DCPJ ;

- l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), tous deux rattachés à la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière de la DCPJ (SDLCF).

Ces offices sont composés de personnels provenant de différents services et administrations . Ils comprennent des personnels de la police nationale et de la gendarmerie nationale et certains prévoient que le chef adjoint et un nombre significatif d'enquêteurs proviennent de l'autre force. En outre, pour certains d'entre eux, y sont également affectés des effectifs d'autres services et ministères, parmi lesquels le ministère de la Justice et le ministère des Finances. Les enquêteurs y disposent d'une compétence nationale.

Toutefois, l'efficacité des différents offices apparaît au final assez variable, en particulier s'agissant de leur capacité à piloter la filière au niveau national pour l'ensemble des services 27 ( * ) .

3. La DCPJ obtient des résultats probants sur la partie de la délinquance qu'elle prend en charge, quantitativement marginale mais particulièrement préjudiciable à la société
a) La délinquance prise en charge par la DCPJ, grave, complexe ou spécialisée est quantitativement marginale mais particulièrement nocive

Au sein des dossiers relevant de la police nationale au niveau national, la DCPJ prend à sa charge aux niveaux central et déconcentré les faits criminels les plus graves, complexes ou spécialisés. Il en va de même de la DRPJ-PP dans le périmètre géographique de compétence de la préfecture de police de Paris 28 ( * ) .

Les faits infractionnels relevant de la zone police pris en charge par la DCPJ et la DRPJ-PP, qu'il s'agisse de délits ou de crimes, sont les plus nocifs pour la société. Ce caractère socialement très préjudiciable peut notamment naître de la gravité de l'infraction, notamment s'agissant des atteintes aux personnes, de son coût économique, de l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, de son caractère international ou organisé ou encore de ses ramifications nombreuses et complexes. Plus largement, l'ensemble des plus grandes affaires criminelles des soixante dernières années, voire davantage, ont ainsi été traitées soit par la DCPJ soit par la DRPJ-PP.

Il n'en demeure pas moins que si le nombre de faits criminels et délictuels traités par la DCPJ sont importants, ils représentent une part marginale de l'ensemble de la délinquance .

Infractions enregistrées par les services de police et de gendarmerie nationales
en 2020 et 2021

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

En 2021, environ 11,4 millions d'infractions (contraventions, délits et crimes) ont été enregistrés par l'ensemble des services étatiques de sécurité, dont environ 4,5 millions de crimes et délits. Pour les crimes et délits, 45 % du total a été enregistré par la DCSP, 15 % par la préfecture de police de Paris (dont la très grande majorité par des directions autres que la DRPJ-PP) et moins de 1 % par la DCPJ (pour un total de 62 % du nombre total d'infractions enregistrées par la police nationale et 38 % par la gendarmerie nationale).

Parts des infractions pour les crimes et délits enregistrées par les directions
de la police et de la gendarmerie nationales de 2016 à 2021

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

L'essentiel de la délinquance relevant de la compétence de la police nationale est ainsi traité par la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne de la préfecture de police de Paris (DSPAP , équivalent de la DCSP au niveau national). À titre d'exemple, la DCPJ traite 0,1 % des atteintes aux biens (28 % pour la préfecture de police, dont l'essentiel pour la DSPAP, et 72 % pour la DCSP), 0,3% des atteintes aux personnes (23 % pour la préfecture de police, dont l'essentiel pour la DSPAP, et 76 % pour la DCSP) et 0,9 % des infractions économiques et financières (28 % pour la préfecture de police, dont l'essentiel pour la DSPAP, et 69 % pour la DCSP).

Même au sein de la grande criminalité 29 ( * ) , que l'on pourrait croire revenir naturellement à la DCPJ, la DCPJ et la DRPJ-PP ne traitent qu'une minorité de dossiers . Ainsi, 59 % de l'agrégat relève de la DCSP, contre 8 % pour la DCPJ et 29 % pour la préfecture de police (dont la majorité relève de directions autres que la DRPJ-PP).

b) La DCPJ obtient des résultats probants

L'efficacité des services de police judiciaire peut notamment être mesurée par le taux d'élucidation des affaires traitées . Ce taux met en rapport le nombre de dossiers pour lesquels le ou les auteurs du fait infractionnel ont été identifiés par rapport au nombre total de dossiers transmis aux services concernés, à la suite d'une plainte, d'un signalement ou d'un flagrant délit, notamment.

Ce taux s'étend pour la DCPJ, en fonction du type d'infractions, de 74 % à 96 %. En 2021 30 ( * ) , il était de :

- 74 % pour les contrefaçons ;

- 76 % pour le grand banditisme (dont les vols à main armée et le proxénétisme) ;

- 79 % pour les attentats, le terrorisme et les infractions à la législation sur les armes et explosifs ;

- 81 % pour les atteintes aux personnes et aux biens (dont les homicides volontaires et les affaires de moeurs) ;

- 84 % pour les infractions liées aux faux, aux escroqueries et à l'informatique ;

- 95 % pour le trafic de stupéfiants, international et national ;

- 96 % pour les infractions à la législation sur les sociétés, aux règles de la commande publique, la prise illégale d'intérêt et le trafic d'influence.

Ces taux apparaissent relativement élevés, d'autant qu'ils sont globalement en hausse depuis 2012. En effet, en comparaison, les taux d'élucidation pour l'ensemble des services de police nationale et de gendarmerie nationale étaient beaucoup plus faibles en 2021, par exemple 31 ( * ) :

- 18 % pour les vols avec violence ;

- 10,5 % pour les cambriolages ;

- 67 % pour les homicides.

L'efficacité de la DCPJ , reflétée par les taux d'élucidation doit être interprétée au regard de plusieurs éléments. Elle apparaît d'autant plus remarquable qu'elle concerne des infractions souvent complexes ou spécialisées et relevant de la criminalité organisée, commis par des criminels pour certains aguerris aux techniques policières d'investigation et s'appuyant parfois sur des relais internationaux. En outre, elle illustre la qualité et la spécialisation des personnels de la DCPJ.

Les services de la DCPJ mènent une lutte quotidienne, souvent avec succès, contre le haut du spectre de la criminalité : exemples récents

Exposés à des personnes souvent aguerries et s'appuyant sur des moyens toujours plus importants et organisés, les services de la DCPJ et de la DRPJ-PP sont lancés dans une lutte quotidienne afin d'identifier et d'interpeller les criminels. Ces services connaissent d'importants succès, dont on peut citer quelques exemples récents.

Ces services sont par exemple parvenus début 2021, notamment avec la participation active et déterminante de la police belge, à infiltrer l'application de communication « Sky Ecc », réputée inviolable et qui garantissait à ses usagers la discrétion des échanges. Cette application était utilisée par des trafiquants de stupéfiants du monde entier pour échanger, a priori sans s'exposer aux écoutes policières. Ce succès des polices française, belge et hollandaise a permis d'accéder à l'ensemble des échanges, en temps réel, permettant d'établir une cartographie complète des différents projets criminels et de révéler, au passage, les rapports de force entre les groupes de trafiquants. Sur la base de ces informations, plusieurs opérations policières d'ampleur ont été déployées, aboutissant à la mise en examen de 111 personnes pour ce qui concerne la France. Concernant les saisies, 795 kilogrammes de cocaïne ont été découverts à la suite d'enquêtes ouvertes grâce aux révélations de la messagerie cryptée, tandis que les dossiers mis au jour par ces informations portent le volume de saisies de cocaïne à 11,15 tonnes. Pour le cannabis, ces chiffres s'élèvent respectivement à 1 300 kg et 4,8 tonnes 32 ( * ) .

À l'échelle déconcentrée, les services de la DCPJ mènent également quotidiennement des enquêtes et opérations d'ampleur. À titre d'exemple, en 2021 et 2022, les services de la direction zonale de la police judiciaire « Sud » ont traité avec succès, parmi bien d'autres, des affaires d'homicides et d'assassinats, d'enlèvements et de séquestration et des règlements de compte sur fond de trafic de stupéfiants, de trafics d'armes, d'association de malfaiteurs en vue de commettre des crimes (notamment un projet d'assassinat en Corse), et le démantèlement d'un réseau de voleurs de montres de luxe.

En sens inverse, cette efficacité doit néanmoins être mise en regard avec la faible proportion de dossiers pris en charge par la DCPJ et de la plus grande probabilité de pouvoir élucider des faits graves - mêmes complexes - que des délits de masse, souvent de faible envergure, commis par des délinquants pour une part occasionnels, que traitent la DCSP.

4. Le cas de la lutte contre le trafic de stupéfiants, fléau majeur pour la France : la DCPJ, un acteur central et efficace via le rôle et l'action de l'OFAST
a) Le fléau des trafics de stupéfiants internationaux, nationaux et locaux frappe fortement la France

Le trafic de stupéfiants constitue l'un des fléaux majeurs de la criminalité, si ce n'est le plus central . Il s'étend du trafic international de matière première au point de deal local et touche l'ensemble des pays. Le marché des stupéfiants constitue ainsi le premier marché criminel au monde et en Europe . En outre, il génère pour les trafiquants des profits cumulés considérables qui nourrissent d'autres formes de criminalité , de toutes sortes, tandis qu'il suscite des effets sanitaires délétères pour les consommateurs et, dans certains cas, des enjeux de paix publique, comme l'illustre l'exemple du crack à Paris.

Malheureusement, la France n'échappe pas au phénomène, loin de là. L'offre de stupéfiants y est importante , la France étant située géographiquement à un carrefour du trafic. Plusieurs pays voisins connaissent en effet une production importante de drogues, parmi lesquels le Maroc et l'Espagne (cannabis), les Pays-Bas et la Belgique (drogues de synthèse), et la Colombie (en ce qui concerne la Guyane, pour la cocaïne). En outre, l'Espagne, les Pays-Bas (port de Rotterdam) et la Belgique (port d'Anvers) servent pour les trafiquants de point d'entrée en Europe, de même que le port du Havre notamment en France. Enfin, la France constitue une zone de transit (pour le cannabis et les drogues de synthèse) et de rebond (pour la cocaïne) vers d'autres pays d'Europe et du monde.

D'autre part, la consommation et donc la demande de stupéfiants est significative en France.

Favorisée par la disponibilité des produits, la consommation est diffusée sur l'ensemble du territoire et concerne toutes les catégories socio-économiques. La consommation s'est progressivement développée, outre les centres urbains, dans les zones périurbaines et rurales de l'hexagone. L'on estime ainsi à 900 000 le nombre d'usagers quotidiens de cannabis et à 600 000 celui d'usagers annuels de cocaïne.

Les territoires ultramarins sont quant à eux touchés pour certains en outre par des enjeux spécifiques , parmi lesquels la diffusion de la drogue « ice » en Polynésie française, la drogue « chimique » à Mayotte et le crack dans les Antilles françaises. En Guyane , s'ajoute le problème majeur, qui va en s'aggravant, du trafic de cocaïne en provenance des pays voisins vers l'hexagone (comme point final ou point de rebond vers d'autres pays), notamment par le système des « mules » 33 ( * ) . Ainsi, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, l'on estime que 15 % à 20 % de la cocaïne qui entre en France a été transporté par une « mule » en provenance de Guyane. Ce vecteur s'est fortement développé ces dernières années. Plusieurs contrôles systématiques organisés en 2022 à l'aéroport Felix Éboué de Cayenne pour l'ensemble des passagers - qui avaient été prévenus la veille par la compagnie aérienne de ce contrôle - de vols à destination de Paris ont ainsi été l'occasion d'intercepter un nombre important de mules mais également de constater l'absence d'un nombre tout à fait anormal de passagers, pouvant atteindre jusqu'à 30 %.

Par ailleurs, de nouvelles menaces apparaissent , parmi lesquelles la consommation de nouveaux produits de synthèse (NPS) et de protoxyde d'azote. Les utilisateurs tendent en outre de plus en plus à consommer plusieurs stupéfiants différents . Par ailleurs, le niveau de concentration moyen de certaines drogues explose, notamment s'agissant du THC 34 ( * ) dans le cannabis ; pour la résine de cannabis, la concentration en THC, qui était de 16 % en 2012, atteint 28 % en 2021.

Dans ce contexte, une multitude de groupes criminels français et étrangers se livrent au trafic de stupéfiants sur l'ensemble du territoire français. Peuvent être distingués trois types de trafic. Tout d'abord, les micro-réseaux autonomes, peu structurés, opérant au niveau local et générant des bénéfices modérés. Ensuite, les réseaux professionnalisés, structurés et cloisonnés, issus d'autres formes de délinquance ou des quartiers dits « sensibles », aux capacités financières parfois importantes. Enfin, les réseaux étrangers de type mafieux (par exemple, des groupes albanais) ou communautaires (par exemple des filières surinamaises ou sénégalaises) 35 ( * ) .

En 2021, ont ainsi été saisis des quantités très importantes de stupéfiants :

- 112 tonnes de cannabis (+ 16 % par rapport à 2020) ;

- 102 000 pieds de cannabis (- 12 % par rapport à 2020) ;

- 26,5 tonnes de cocaïne (+ 102 % par rapport à 2020), avec la double difficulté du vecteur maritime (notamment Le Havre et Dunkerque) et des passeurs ( in corpore et extra corpore , et dans les bagages) ;

- 1,3 tonne d'héroïne (+ 16 % par rapport à 2020) ;

- 1,5 million de comprimés d'ecstasy / MDMA (+ 18 % par rapport à 2020) et 226 kg d'amphétamines / méthamphétamines (- 68 % par rapport à 2020).

b) La DCPJ a su se faire, via la création de l'OFAST, un acteur central et efficace de la lutte contre le trafic de stupéfiants en France, qui doit continuer de constituer une priorité majeure des forces de sécurité

La lutte contre le trafic de stupéfiants mobilise, par sa nature, un nombre important de services de l'État . Sont principalement concernées la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la direction générale de la police nationale (DGPN). Au sein de cette dernière, plusieurs services sont compétents, aux premiers rangs desquels la DCSP, la DCPJ et les services de la préfecture de police de Paris, la DCPJ et la DRPJ-PP ayant vocation à traiter des dossiers les plus lourds et à forts enjeux, parmi lesquels le trafic international de stupéfiants.

Dans un contexte d'une présence et d'une consommation importante de stupéfiants sur l'ensemble du territoire, d'une forte mobilité des trafiquants et de la multiplicité des services de l'État compétents pour traiter le phénomène, une coordination et une gouvernance solides de la lutte contre le trafic de stupéfiants sont indispensables et demeuraient jusqu'à récemment lacunaires.

C'est à ce besoin qu'a su répondre efficacement la DCPJ, via la création de l'Office anti-stupéfiants (OFAST), afin de répondre aux écueils de l'ancien Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), sous sa forme et ses missions d'alors, face à des trafics en pleine expansion et devenus une menace mondiale.

(1) La création de l'OFAST

Décidée au Conseil de défense et de sécurité nationale du 25 juin 2019, la création de l'OFAST a été formalisée par le décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 36 ( * ) , précisé par un arrêté du 27 décembre 2019 38 ( * ) . Entré officiellement en fonction le 1 er janvier 2020, l'OFAST répond à une volonté de mieux organiser et structurer la lutte contre le trafic de stupéfiants en France . Sa création constitue l'une des mesures du plan national de lutte contre les stupéfiants adopté en septembre 2019.

Logo actuel de l'Office anti-stupéfiants (OFAST)

Source : ministère de l'Intérieur

Sur le modèle de l'organisation mise en place en matière de lutte contre le terrorisme autour du rôle central de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), l'OFAST a été désigné comme chef de file de la lutte contre les trafics de stupéfiants. À ce titre, il porte la politique publique de lutte en la matière, en s'appuyant sur le plan national de lutte contre les trafics de stupéfiants, pour l'ensemble des services de sécurité.

Contrairement à l'ancien OCRTIS, l'OFAST est un service à compétence nationale et est directement rattaché au directeur central de la police judiciaire (DCPJ). Cette forme juridique a été choisie pour favoriser l'interministérialité et permettre un meilleur pilotage des politiques publiques. L'interministérialité irrigue également sa composition et son fonctionnement, par la présence de personnels issus des différentes administrations parties prenantes de la lutte contre le trafic de stupéfiants (policiers, gendarmes, magistrats, agents de la DGDDI, de la DGFIP et de l'administration pénitentiaire). En outre, alors que les missions de l'OCRTIS étaient principalement opérationnelles, celles de l'OFAST s'articulent autour de plusieurs axes : la conduite d'enquêtes judiciaires à forts enjeux, le renseignement et le recueil et le partage d'informations et les actions stratégiques et de coordination.

(2) L'organisation de l'OFAST au niveau central

À l'échelon central , l'OFAST, dirigé par une contrôleuse générale de la police nationale secondée par un magistrat de l'ordre judiciaire détaché, est organisé en trois pôles qui répondent aux objectifs assignés par son décret constitutif.

Les effectifs centraux, d'environ 80 personnes à la création de l'OFAST, s'établissent en 2022 à environ 180 personnels et devraient à terme atteindre 235 , soit un triplement des effectifs initiaux. En comparaison, les effectifs de l'OCRTIS n'ont jamais dépassé 105 personnels, ce qui témoigne des efforts fournis par la police nationale et par les autres administrations en faveur de l'OFAST et de la lutte contre les trafics de stupéfiants, ce dont le rapporteur spécial se félicite.

Organigramme général de l'OFAST

Source : ministère de l'Intérieur

Le Pôle stratégie, dirigé par une administratrice des douanes, est notamment chargé :

- de diffuser la connaissance en matière de produits, de trafics et de routes et d'établir, tous les ans, un état de la menace sur la base de ses travaux ;

- d'assurer la production statistique en matière de saisies de stupéfiants, du suivi du plan national de lutte contre les stupéfiants et du plan de lutte contre les addictions ;

- d'engager les actions internationales de coopération stratégique, institutionnelle ou technique nécessaires à l'OFAST. Dans cette optique, il produit, en lien avec les structures dédiées de formation, des outils de formation adaptés au bénéfice des différents acteurs chargés de la lutte contre les stupéfiants.

Le Pôle renseignement, dirigé par un colonel de la gendarmerie nationale, s'inscrit dans le cadre du rôle de l'OFAST comme service de renseignement dit du « second cercle ». À ce titre, il met en oeuvre des techniques de renseignement, dans le cadre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Ce pôle est notamment chargé de :

- recueillir les renseignements opérationnels relatifs aux trafics de stupéfiants susceptibles de concerner le territoire national ou impliquant des ressortissants français ;

- analyser et enrichir les renseignements par des investigations administratives à l'étranger comme sur le territoire national ;

- diffuser, selon les règles de protection du secret en vigueur, le renseignement élaboré au profit de l'OFAST, des services et unités d'enquête nationaux et étrangers et des services nationaux de renseignement.

En sa qualité de chef de file, l'OFAST anime la participation des services de renseignement à la lutte contre les trafics de stupéfiants. Ainsi, dans le cadre du plan national d'orientation du renseignement (PNOR), il anime et coordonne la fiche d'orientation stratégique (FOS) « stupéfiants », en lien avec le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT).

Enfin, le Pôle opérationnel , dirigé par un commissaire divisionnaire de police, est notamment chargé d'assurer la conduite des enquêtes judiciaires à forts enjeux, et leur coordination lorsque plusieurs autres services y prennent part.

(3) L'organisation territoriale de l'OFAST

L'OFAST est en outre chargé d'animer son réseau de 14 antennes et de 10 détachements, qui couvre l'ensemble du territoire national . Il exerce une autorité fonctionnelle - mais non hiérarchique - sur ses personnels déconcentrés, qui sont rattachés aux échelons territoriaux de la police nationale ou de la gendarmerie nationale. Au total, ces effectifs déconcentrés atteignent environ 500 personnels.

L'OFAST compte 14 antennes rattachées pour 12 d'entre elles à des services de la police nationale (Ajaccio, Bordeaux, Cayenne, Fort de France, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Orléans, Rennes, Strasbourg, Versailles). Les antennes de Papeete et de Saint-Denis de la Réunion sont pour leur part rattachées à des groupements de gendarmerie.

Organisation déconcentrée de l'OFAST

Source : ministère de l'Intérieur

Chefs de file dans les territoires, les 14 antennes sont chargées du pilotage des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) 39 ( * ) implantées dans leur ressort, mais également de la remontée centralisée de l'information opérationnelle et de l'élaboration d'un état de la menace au niveau territorial. Outre la conduite de leurs propres enquêtes, les antennes exercent des missions de conseil et d'appui opérationnel au profit de l'ensemble des services territoriaux concernés par la lutte contre les trafics.

Les 10 détachements de l'OFAST (Bayonne, Grenoble, Le Havre, Montpellier, Mulhouse, Nantes, Perpignan, Pointe-à-Pitre, Toulouse, Saint-Martin) sont quant à eux placés sous l'autorité des antennes, dont ils dépendent. Les détachements ont une vocation exclusivement opérationnelle ; ils pilotent la CROSS du chef-lieu de leur implantation et s'assurent de la bonne transmission des informations et du renseignement à destination de leur antenne.

Par ailleurs, l'OFAST compte 104 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) , soit environ une par département. Leur action est centrée sur le recueil et l'analyse du renseignement, afin d'organiser et d'animer l'échange d'informations entre les services territoriaux concernés par la lutte contre les trafics (police judiciaire, sécurité publique, gendarmerie nationale, douane, renseignement territorial). Elles n'ont pas vocation à réaliser des enquêtes administratives ou judiciaires, mais peuvent communiquer aux acteurs concernés toute information utile pour diligenter une enquête ou mettre en oeuvre des techniques de renseignement.

En outre, l'OFAST comprend une entité implantée dans les deux grands aéroports parisiens, la brigade des plateformes aéroportuaires (BPA), laquelle comprend 3 groupes d'enquêtes judiciaires : 2 groupes implantés à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et un groupe à l'aéroport d'Orly, pour un total de 22 effectifs. Cette brigade vise notamment à lutter contre les groupes criminels chargés de l'importation de stupéfiants opérée par des passeurs.

De plus, l'OFAST central est par ailleurs doté d'une CROSS nationale, qui coordonne la remontée du renseignement produit par 104 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) implantées dans les départements.

Enfin, deux CROSS thématiques, la CROSS portuaire et la CROSS aéroportuaire, ont été créées en septembre 2021 pour renforcer le partage de renseignement opérationnel entre les services concernés par les trafics de stupéfiants par voie maritime, aérienne et postale. Co-pilotées par l'OFAST et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), ces CROSS thématiques ont également pour objectifs d'analyser les caractéristiques de ce phénomène (groupes criminels, personnels compromis, routes, modes opératoires, etc .) et d'élaborer des stratégies conjointes de démantèlement des réseaux.

(4) Une organisation, un fonctionnement et une efficacité de l'OFAST salués

Les auditions et déplacements menés par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater qu'en seulement 3 ans d'existence, l'OFAST a su démontrer le bien-fondé de son organisation et de son fonctionnement et faire la preuve de son efficacité.

Là où le rôle de coordination et de gouvernance des forces de sécurité intérieure n'est pas toujours mis en oeuvre avec succès par les différents offices centraux de police judiciaire 40 ( * ) , l'OFAST semble parvenir à exercer pleinement le sien. Son rôle officiel de chef de file , qui n'est pas reconnu aux autres offices, assoit sa légitimité auprès des différents services concernés. De même, alors que l'interministérialité et le mélange de personnels de différents services demeurent parfois marginaux pour certains offices, l'OFAST s'appuie effectivement sur la force de cette diversité de personnels , de la direction de l'office à ses services territoriaux. Enfin, la dimension opérationnelle de l'OFAST, qui prend à son compte les dossiers à forts enjeux, ne semble pas s'opérer dans une « logique de prédation » des « beaux dossiers », selon les termes utilisés par la directrice de l'OFAST lors de son audition, mais de répartition cohérente entre les différents services compétents d'un point de vue opérationnel. En outre, la dimension opérationnelle ne semble pas prendre le pas sur les autres fonctions essentielles de l'office , à savoir le rôle stratégique et de renseignement.

Concrètement, d'un point de vue opérationnel, l'OFAST poursuit sa montée en puissance , qui se traduit par une capacité accrue de coordination et d'appui au profit des antennes et détachements de l'OFAST et des services d'investigation partenaires et par une riposte orientée vers les organisations criminelles d'envergure nationale et internationale. La brigade nationale anti-stupéfiants (BNAS) de l'OFAST s'occupait par exemple en 2021 de 85 dossiers d'enquête dont 80 conduits en co-saisine, dont 72 avec des services centraux ou territoriaux de la DCPJ, 5 avec des sections de recherches de la gendarmerie nationale et 3 avec le service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF).

Concernant le renseignement et l'information, le pôle concerné a contribué directement ou indirectement, en France et à l'étranger, à interpeler 94 individus, saisir 38,2 tonnes de cannabis, 9,2 tonnes de cocaïne, 15 kilogrammes d'héroïne, 1 185 000 euros, 52 véhicules et 2 hélicoptères. Concernant l'activité de la CROSS nationale et du réseau des CROSS en 2021, 13 733 informations ont été reçues par l'ensemble des CROSS (59 % proviennent du portail de signalement accessible et utilisable par les citoyens), dont 5 394 informations ont fait l'objet d'une note de renseignement (39 %). Ces notes portaient dans la majorité des cas sur des trafics de stupéfiants (96,5 %), et dans les autres cas sur des infractions liées au blanchiment, à la recherche des fugitifs condamnés dans le cadre de trafics, ou à d'autres infractions. Elles ont été à l'origine de l'ouverture de 85 procédures douanières et 1 412 procédures judiciaires (taux de judiciarisation de 28%).

Au niveau stratégique, l'OFAST a élaboré et met en oeuvre la doctrine nationale de la lutte contre les trafics de stupéfiants, qui s'applique aux différents services de l'État qui participent à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cette doctrine organise la remontée et le partage de l'information entre les différents acteurs, sous le pilotage et la coordination de l'OFAST. Elle prévoit également les restitutions opérées par l'OFAST au bénéfice des services contributeurs, en termes d'information, d'analyse et de renseignement opérationnel. Elle définit en outre le rôle et les missions des différents acteurs (en particulier : DCSP, DCPJ, préfecture de police, DCPAF, DGSI, gendarmerie nationale, et DGDDI) et fixe les conditions du pilotage stratégique mis en place aux niveaux central et territorial.

Assis sur une légitimité forte conférée par son rôle officiel de chef de file, son statut de service à compétence nationale et son rattachement direct au directeur central de la police judiciaire, doté de moyens humains certains et incarné par une direction volontariste, l'OFAST constitue à ce jour une réussite. Le rapporteur spécial, qui constate que tous les offices ne disposent pas ni de la même légitimité ni des mêmes moyens, considère qu'un tel modèle devrait être reproduit dans d'autres domaines de la criminalité.

5. La répartition du traitement de la délinquance, le partage d'information et la coopération entre services de police judiciaire, y compris concernant la DCPJ, apparaissent encore insatisfaisants
a) L'exception de la préfecture de police de Paris en matière de police judiciaire

Historiquement, l'organisation policière française a longtemps été caractérisée par un dualisme inégalitaire : non seulement la préfecture de police de Paris est resté indépendante de l'institution chargée de la police sur le plan national, mais elle bénéficiait également d'une forme de prééminence.

Ce dualisme inégalitaire s'expliquait avant tout par la difficile émergence d'une structure chargée de façon autonome et pérenne de la police au niveau national 41 ( * ) . Alors que l'existence de la préfecture de police n'a jamais été remise en cause depuis sa création en 1800, le ministère de la police a été supprimé à quatre reprises entre 1796 et 1853. Par la suite, si la préfecture de police et la sûreté, devenue « nationale » en 1934, demeurent indépendantes, il subsiste entre les deux institutions un écart important sur le plan des moyens matériels et humains.

À cet égard, si la loi Frey de 1966 42 ( * ) , conséquence directe de l'affaire « Ben Barka », constitue un indéniable point de rupture avec la mise en place de la police nationale, l'unification avec la préfecture de police est imparfaite : elle concerne essentiellement les statuts des personnels, et non l'organisation administrative.

De ce fait, tout en ayant perdu sa prééminence, la préfecture de police conserve aujourd'hui une place à part au sein de la police nationale, caractérisée par l'absence de lien hiérarchique entre le préfet de police et le directeur général de la police nationale. Nommé par décret du président de la République en Conseil des ministres, le préfet de police est ainsi placé sous l'autorité directe du ministre de l'intérieur, et non du directeur général de la police nationale.

Cette spécificité apparaît directement liée à la multiplicité des pouvoirs du préfet de police. Interrogée à ce sujet par le rapporteur spécial en 2016 43 ( * ) , la préfecture de police justifiait en effet l'absence de lien hiérarchique entre les deux autorités par le « large panel de compétences » du préfet de police - et plus spécifiquement par son statut de représentant de l'État. Le préfet de police étant au « même niveau que le préfet de zone de défense et de sécurité dans la zone, le préfet de région dans la région et le préfet de département dans le département », il ne saurait être placé sous l'autorité du directeur général de la police nationale, « à l'instar de tous les autres préfets territoriaux ».

Ainsi, l'ensemble des services de police de la préfecture de la police de la préfecture de police répondent de l'autorité du préfet de police et non de celle des directions centrales de la DGPN. Il en va non seulement ainsi de la direction du renseignement (DR-PP), de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) et de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP, équivalent de la DCSP de la DGPN au niveau national), mais également de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ-PP), à la différence des services déconcentrés de la DCPJ sur le reste du territoire, qui relèvent à ce jour de l'autorité de cette dernière et non de celle du préfet.

Créée en 1913 et communément appelée le « 36 » 44 ( * ) , la DRPJ-PP dispose ainsi d'une compétence géographique propre à Paris et dans les trois départements de la petite couronne : les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. Forte d' un peu plus de 2 200 personnels , elle couvre une population d'environ 6,8 millions d'habitants.

Logo de la direction régionale de la police judiciaire
de la préfecture de police de Paris (DRPJ-PP), le « 36 »

Source : ministère de l'Intérieur

Ses compétences matérielles sont similaires à celles de la DCPJ, à savoir le haut du spectre de la criminalité sur les dossiers les plus graves et complexes concernant notamment le terrorisme, la grande délinquance, la criminalité organisée, le grand banditisme, la criminalité économique et financière, la cybercriminalité, le proxénétisme ou encore le trafic de stupéfiants.

Organigramme de la direction régionale de police judiciaire
de la préfecture de police de Paris (DRPJ-PP)

Source : préfecture de police de Paris

De même que la DCPJ et ses services déconcentrés, la DRPJ-PP intervient aux côtés d'autres services également compétents en matière de police judiciaire dans son périmètre géographique de compétence . En effet, la DOPC et, surtout, la DSPAP (à l'instar de la DCSP au niveau national), s'occupent d'une proportion très significative de la délinquance, en particulier du premier et du deuxième niveaux. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial à l'occasion des déplacements et auditions menés, il convient toutefois de remarquer que la DRPJ-PP prend à sa charge un spectre d'infractions plus étendu que la DCPJ et ses services déconcentrés . En effet, si les brigades 45 ( * ) de la DRPJ-PP s'occupent très majoritairement du haut du spectre de la criminalité, les différents districts de police judiciaire de la DRPJ s'occupent également d'une partie de la délinquance intermédiaire à Paris. Il n'est en outre pas rare que l'autorité judiciaire, afin de désengorger les services de la DSPAP, saisisse la DRPJ-PP plutôt que la DSPAP sur des dossiers qui n'auraient pas forcément relevé de la DCPJ et de ses services sur le reste du territoire.

En 2017 46 ( * ) , la DRPJ-PP avait traité 9 287 infractions, pour 5 023 gardes à vue. En comparaison, la même année, la DCPJ avait traité 12 371 infractions, pour 10 028 gardes à vue. Globalement, il apparaît que la DRPJ-PP traite un flux d'infractions représentant environ 75 % de l'activité de la DCPJ, avec des effectifs représentant environ 40 % de ceux de la DCPJ. Ces chiffres s'expliquent probablement par le fait que le spectre de la criminalité traité par la DRPJ-PP est un peu plus large que celui de la DCPJ.

Le rapporteur spécial constate, comme il l'a déjà fait par le passé 47 ( * ) , que l'autonomie de la DRPJ-PP vis-à-vis de la DCPJ ne présente aujourd'hui pas de véritable justification autre qu'historique. En effet, l'enchevêtrement des compétences et des zones d'intervention apparaît en décalage avec le caractère très proche des missions et le caractère identique des personnels affectés à la DRPJ-PP ou à la DCPJ (lesquels sont le plus souvent successivement affectés au cours de leur carrière à la DCPJ et à la DRPJ-PP).

En outre, l'organisation actuelle est susceptible de se traduire non seulement par une déperdition de moyens mais également par des difficultés de coordination - voire des conflits dans la répartition des dossiers -, y compris dans le cadre des enquêtes. C'est d'ailleurs précisément pour remédier à cette dernière difficulté qu'une unification de l'organisation policière avait été envisagée en 1966 à la suite de l'affaire « Ben Barka ».

Par ailleurs, elle est source de complexité budgétaire, notamment s'agissant de la DRPJ-PP. En effet, si le préfet de police n'est pas placé sous l'autorité hiérarchique du DGPN, il dispose d'une autonomie budgétaire très limitée vis-à-vis de ce dernier dans la mesure où l'architecture budgétaire du programme « Police nationale » fait du préfet de police un simple responsable de budget opérationnel de programme (BOP), soumis en ce sens aux décisions du responsable de programme, le DGPN, qui définit les enveloppes et les modalités de gestion. La plupart des dépenses n'étant pas déconcentrées, elles relèvent ainsi directement de la DGPN, à l'instar des dépenses de personnel (le DGPN affecte ainsi à la préfecture de police un schéma d'emplois), de l'essentiel les dépenses immobilières (à l'exception des loyers et des travaux d'entretien mineurs) et de la dotation en véhicules.

Dans le schéma actuel de la police nationale, le rapporteur spécial considère qu'il serait logique d'intégrer la DRPJ-PP dans les cadres national et déconcentré de la DCPJ. Toutefois, l'organisation de la police nationale pourrait avoir vocation à évoluer à très court terme via notamment la création d'une filière investigation au niveau national regroupant les effectifs compétents en matière de police judiciaire de la DCSP et les services de la DCPJ, comme développé infra . Dans ce nouveau schéma, s'il est mis en oeuvre, il conviendrait donc également que la nouvelle organisation de la police nationale couvre le périmètre de la préfecture de Paris, ce qui n'est pourtant pas prévu par le projet de réforme actuel 48 ( * ) .

Le déménagement récent du siège de la DRPJ-PP dans le quartier Clichy-Batignolles constitue à cet égard une opportunité de renouveau de son organisation - y compris en termes d'image, comme en témoigne l'exemple du New Scotland Yard à Londres.

b) La répartition du traitement de la délinquance fait parfois l'objet d'une certaine concurrence entre services compétents, tout comme le partage de l'information
(1) Une répartition des dossiers faisant dans certains cas l'objet d'une concurrence - voire de conflits - entre les services enquêteurs

Si la règle du libre choix du service enquêteur par le procureur de la République ou le juge d'instruction, associée aux principes de répartition des affaires entre services, parfois formalisés par différents protocoles 49 ( * ) , pourrait laisser penser que les choses s'organisent de façon fluide, la réalité est régulièrement différente. Concernant certains dossiers, des logiques conflictuelles de concurrence sont parfois constatées entre directions de la police nationale et entre cette dernière et la gendarmerie nationale.

(a) Une dynamique de concurrence entre la police et la gendarmerie nationale est régulièrement constatée

S'agissant de la répartition des dossiers entre la police et la gendarmerie nationales, il n'existe pas, à la connaissance du rapporteur spécial, de protocole écrit permettant d'en clarifier les principes, à la différence de la répartition des dossiers entre la DCPJ et la DCSP par exemple. En effet, le protocole conclu le 25 avril 2006 entre la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et le ministère de la Justice ne fait pas référence aux services judiciaires de la police nationale ni à un quelconque partage fonctionnel ou territorial entre les deux forces, y compris dans les domaines où les risques de chevauchements sont forts, comme celui du trafic de stupéfiants. Le protocole se contente de ce point de vue d'énoncer la compétence judiciaire générale de la DGGN sur l'ensemble du territoire national. Il en résulte que le critère de base de la répartition des dossiers entre la police et la gendarmerie nationale repose sur le critère géographique des zones « police » et « gendarmerie ». Un tel état de fait est, selon le rapporteur spécial, triplement préjudiciable.

En premier lieu, le critère géographique des zones « police » et « gendarmerie » est peu adapté à la répartition de dossiers de police judiciaire, surtout s'agissant du haut du spectre de la criminalité, qui ignore les frontières, en particulier d'un niveau si précis.

En deuxième lieu, le caractère trop général de ce critère favorise des conflits d'interprétation et une logique de concurrence dans la répartition des dossiers, qu'ils soient sollicités par tous les services, pour les plus prestigieux, ou qu'ils fassent l'objet d'un conflit négatif de compétence, pour les moins demandés. C'est en particulier le cas lorsque les faits concernés ne relèvent pas clairement d'une zone ou de l'autre, ce qui peut arriver fréquemment. En outre, il arrive que des enquêtes d'initiative policière soient menées sur les mêmes personnes par chacune des deux forces, sans que celles-ci ne le sachent.

En dernier lieu, l'absence de répartition matérielle des dossiers, par type de délinquance, conduit à ce que tant la police nationale que la gendarmerie nationale développent des moyens matériels et des compétences dans l'ensemble des domaines infractionnels, ce qui ne peut aboutir qu'à des déperditions de moyens et d'efficience, d'autant que les effectifs de chacune des deux forces (notamment les effectifs déconcentrés de la DCPJ et des sections de recherche de la gendarmerie) semblent être affectés dans les territoires sans réelle concertation entre elles 50 ( * ) .

Le rapporteur spécial constate que cette situation est insatisfaisante et considère qu'une répartition plus claire des compétences doit être prévue entre les services de la gendarmerie nationale et ceux de la police nationale et faire l'objet d'un protocole cadre tripartite 51 ( * ) , décliné au niveau local, entre la DGGN, la DGPN et la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice.

(b) La répartition des dossiers entre les services de la DCPJ et de la DCSP fait également parfois l'objet d'une logique de concurrence

Au sein des dossiers revenant aux services de la police nationale, la répartition ne se fait pas non plus toujours de façon fluide entre les services de la DCPJ et ceux de la DCSP , comme l'a constaté le rapporteur spécial lors des déplacements et auditions qu'il a menés.

Les principes de répartition des dossiers entre la DCPJ et la DCSP fixés par le protocole-cadre signé le 20 décembre 2007 entre le DGPN et la DACG du ministère de la Justice , présenté supra , sont certes largement appliqués.

Néanmoins, des logiques de concurrence et de conflit apparaissent plus ou moins fréquemment au niveau local sur certains dossiers entre les services de ces directions. Là encore, les dossiers les plus prestigieux sont souvent sollicités par les différents services, tandis qu'il n'est pas rare que les services déconcentrés des deux directions cherchent à échapper à certains dossiers jugés moins intéressants. En outre, le caractère bien plus engorgé par la masse de dossiers à traiter des services de la DCSP nourrit dans certains cas des relations globalement difficiles avec les services de la DCPJ, ce qui peut compliquer encore la répartition des dossiers.

(2) Un partage de l'information entre services d'investigation qui doit encore être renforcé

Le partage de l'information disponible entre services enquêteurs constitue l'une des clés de l'efficacité de la répression policière. Il conditionne notamment les recoupements et la célérité des opérations. Il est d'autant plus indispensable que les services compétents sont multiples et que la répartition concrète des compétences n'est pas toujours fluide.

Le code de procédure pénale fait d'ailleurs du partage de l'information une obligation pour les services d'investigation. Il énonce, en son article D2-1 que « Les officiers de police judiciaire des différents corps ou services entretiennent, à tous les échelons, des relations de coopération et d'aide réciproque, dans le respect des règles administratives et des procédures hiérarchiques en vigueur. » En son article D5, il précise que « Lorsqu'ils participent à une même enquête, les officiers ou agents de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale collaborent constamment dans l'intérêt de la justice. Ils mettent en commun leur compétence, leurs aptitudes et les moyens complémentaires dont ils disposent. » En outre, l'ensemble des forces de police et de gendarmerie ont l'obligation de faire remonter les informations aux offices centraux, qui se chargent de les diffuser.

Ce partage d'information est en partie effectif. Des efforts ont d'ailleurs été déployés ces dernières années pour l'améliorer. La création successive de différents offices centraux y a ainsi participé et a favorisé la transversalité du partage de l'information tant au sein de la police nationale que de la gendarmerie nationale. En outre, la police nationale cherche à structurer une filière de l'information criminelle en son sein et à favoriser le partage de l'information. Ont ainsi notamment été créées dans les services déconcentrés de la DCPJ des cellules opérationnelles de rapprochement et d'analyse des infractions liée (CORAIL), qui fournissent aux enquêteurs de la DCSP des informations recoupées sur la criminalité sérielle pour favoriser l'élucidation des affaires. De même les cellules du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) informent notamment tant les services de la DCPJ que ceux de la DCSP (ainsi que ceux de la gendarmerie nationale). Par ailleurs, le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO) de la DCPJ participe à ces échanges et à la diffusion de l'information.

Il n'en demeure pas moins que le partage de l'information est encore insuffisant non seulement entre la gendarmerie nationale et la police nationale mais également entre les services de la DCPJ et ceux de la DCSP. Elle résulte tant d'une certaine logique de concurrence entre ces services que d'un manque d'outils et de temps. Trop souvent, des informations recueillies par un service ne sont pas ou ne peuvent pas - pour des raisons aussi simples parfois que des différences de droits d'accès ou de types de logiciels - être utilisées et valorisées par l'autre.

Il est d'ailleurs révélateur que la doctrine de coordination de l'investigation entre les services territoriaux de la sécurité publique et de la police judiciaire publiée le 12 avril 2016 et co-signée par le DGGN, le DCSP et le DCPJ insiste sur la nécessité et sur les modalités de partage de l'information criminelle entre ces services, qui devrait aller de soi au sein d'une même administration.

c) Le système des offices centraux de police judiciaire, communs avec la gendarmerie nationale, connaît un succès variable

Les offices centraux de police judiciaire, présentés supra , dont 9 sur 14 sont gérés par la DCPJ 52 ( * ) et dont le principe et les objectifs généraux font l'objet d'un consensus, connaissent en réalité un succès variable.

Dans leur rôle opérationnel de police judiciaire sur les dossiers à forts enjeux qui leur sont directement dévolus, leur efficacité est reconnue, quel que soit le domaine, en dépit de moyens matériels et humains différents.

En revanche, leur vocation interministérielle, et leurs rôles de coordination stratégique de l'investigation de l'ensemble des services d'investigation dans leurs domaines de compétences, de soutien aux enquêteurs dans les services déconcentrés et de partage de l'information font l'objet d'un succès variable , comme les auditions du rapporteur spécial ont été l'occasion de le constater. Si l'OFAST, qui bénéficie de moyens ambitieux et d'un statut spécifique 53 ( * ) , fait figure de modèle de réussite d'un office central de ces points de vue, il n'en va pas de même pour tous, y compris parmi ceux gérés par la DCPJ.

Comme le soulignait la Cour des comptes en 2021 54 ( * ) , leur fonctionnement est généralement en réalité fortement orienté vers leur force de rattachement , tandis que le niveau des effectifs prévus en provenance de l'autre force est rarement totalement atteint. Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, la DGPN précise ainsi que « La DCPJ constate néanmoins depuis plusieurs années un désengagement certain de la gendarmerie » au sein de certaines sous-directions et donc de certains offices centraux.

Or, l'existence d'un office central qui ne parvient pas à accomplir ses missions stratégiques et de coordination , pour des raisons qui peuvent être variables (manque de moyens, lacunes dans la stratégie de coordination, périmètre de compétences inapproprié, etc .) est pénalisant . D'une part, elle révèle un manque d'organisation dans le domaine concerné. D'autre part, elle contribue elle-même à la complexité de l'organisation administrative et à la dispersion des moyens en ajoutant un acteur supplémentaire, l'office central. Comme le soulignait le livre blanc de la sécurité intérieure publié en novembre 2020, il est nécessaire de dresser un inventaire et de réaliser une évaluation du fonctionnement de ces structures.

De ce point de vue, il convient d'être prudent quant à l'utilisation du système des offices centraux. Lorsqu'ils sont maintenus ou lors de leur création, ils doivent faire l'objet d'une ambition globale et de moyens certains, à l'image de l'OFAST.

B. FACE À UNE CRIMINALITÉ TOUJOURS PLUS COMPLEXE ET SOPHISTIQUÉE, LA DCPJ S'APPUIE SUR DES MOYENS RELATIVEMENT SATISFAISANTS MAIS LOIN D'ÊTRE SURDIMENSIONNÉS

Les moyens humains et matériels de la DCPJ sont généralement considérés comme étant satisfaisants. Néanmoins, face à une criminalité, en particulier du « haut du spectre », de plus en plus complexe et sophistiquée, ces moyens sont en réalité loin d'être surdimensionnés. La DCPJ, qui s'appuie sur l'architecture budgétaire hétérodoxe de la police nationale, fait face à certains besoins en équipement et se trouve aujourd'hui exposée dans certains domaines à des difficultés de recrutement.

1. La criminalité, en particulier du « haut du spectre », est de plus en plus complexe et sophistiquée

Les services de police font aujourd'hui face à des défis toujours plus grands en termes de criminalité. Alors que, schématiquement, les effectifs de la DCSP font face, avec de plus en plus de difficultés, à une délinquance de masse et à judiciarisation croissante des faits infractionnels, les services de la DCPJ sont quant à eux confrontés à des faits criminels de plus en plus complexes et sophistiqués.

En effet, la criminalité organisée, en particulier, s'est « mondialisée, complexifiée et massifiée » , selon les termes de la DGPN dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial. Dominée à 80 % par des organisations françaises, elle est aussi, et ce de manière croissante, le fait de groupes étrangers, particulièrement actifs dans le domaine de la délinquance sérielle. Ces groupes français et étrangers sont en recherche permanente d'innovation criminelle, mettent en oeuvre des contre-mesures face aux techniques policières et disposent des surfaces financières parfois très importantes. S'agissant de la menace terroriste, ses modalités et ses modes opératoires évoluent rapidement, ce qui complexifie le travail de la police.

En outre, le développement technologique (informatique, crypto-monnaies, téléphonique) offre de nouvelles opportunités pour les criminels. Il en va ainsi tant pour ce qui concerne les contre-mesures générales développées par ces derniers (utilisation de messageries cryptées par exemple rendant les écoutes téléphoniques policières inopérantes) que le développement de certains champs de criminalité directement liés à l'informatique. Ainsi, les menaces en matière de cybercriminalité et de délinquance économique et financières sont désormais beaucoup plus fortes et préjudiciables aux victimes et à la société.

Dans ce contexte, le travail des services de la DCPJ est de plus en plus ardu et nécessite toujours plus de temps et de moyens humains, y compris en termes de compétences, de matériels et de technologies.

2. Une architecture budgétaire hétérodoxe, des crédits budgétaires en légère hausse et un suivi de la performance étranger à la culture de la DCPJ
a) Une architecture budgétaire hétérodoxe du programme 176 « Police nationale », qui se reflète sur celle de la DCPJ

L'architecture budgétaire du programme 176 « Police nationale » présente des particularités qui se déclinent notamment pour la DCPJ. En effet, si les dépenses de personnel (dites du « titre 2 ») sont ventilées au sein des six actions du programme 176, l'ensemble des autres dépenses (de fonctionnement, d'investissement, d'intervention et les opérations financières) sont regroupées au sein de l'action n° 6 intitulée « Commandement, ressources humaines et logistique ». Il en résulte une lisibilité très réduite de la ventilation de ces dernières dépenses par type de missions, alors même que l'existence de six actions pourrait en principe le permettre.

L'action n° 5 du programme 176, intitulée « Missions de police judiciaire et concours à la justice », ne correspond pas au périmètre de la DCPJ (ceci n'est d'ailleurs pas anormal, l'esprit de la LOLF visant à regrouper les moyens budgétaires en fonction des politiques publiques et non des structures administratives). En effet, d'une part, elle recouvre uniquement les dépenses de personnel, sans inclure les autres dépenses. En outre, le périmètre des dépenses de personnel prises en compte est beaucoup plus large que la seule DCPJ puisque sont intégrés l'ensemble des effectifs affectés à des missions de police judiciaire, à savoir notamment l'ensemble des effectifs de la DCPJ, de la DRPJ-PP et du service national de police scientifique (SNPS) et la partie des effectifs de la DCSP (30 %), de la DSPAP et de la DOPC de la préfecture de police qui concourent aux missions de police judiciaire. Sont concernés au total, selon les documents budgétaires, 46 161 personnels 55 ( * ) , pour un montant total de 2,77 milliards d'euros de dépenses de personnel. Il convient de noter, enfin, qu'il s'agit d'une simple estimation, la méthode de calcul consistant à multiplier le montant total des crédits de personnel du programme 176 par l'estimation du pourcentage de personnels affectés à des missions de police judiciaire, en l'occurrence 46 161 personnels, sans en prendre en compte par exemple d'éventuelles différences de rémunération.

Au sein du programme 176, dont le responsable est le directeur général de la police nationale (DGPN), un budget opérationnel de programme (« BOP ») est dédié, en exécution budgétaire, à la DCPJ : le BOP 9 « police judiciaire et coopération internationale », dont le responsable est le directeur central de la police judiciaire (DCPJ). Le BOP 9 ne couvre pas les dépenses de personnel (qui relèvent directement du responsable du programme 176, le DGPN) ni les dépenses d'investissement, qui sont portées à la fois par le service de l'achat, de l'innovation et de la logistique du ministère de l'intérieur (SAILMI, programme 176), la direction de l'évaluation de la performance et des affaires financières et immobilières (DEPAFI, programmes 176 et 216) et la direction du numérique pour les systèmes d'information (programme 216). Ainsi, les dépenses d'investissement dans l'immobilier, l'acquisition de véhicules, les dépenses pour les réseaux radio et les infrastructures, réseaux et câblages ainsi que les dépenses relatives aux fichiers policiers ne figurent par exemple pas dans le périmètre du BOP 9, qui est centré essentiellement sur les dépenses de fonctionnement.

Le BOP 9 se décline, selon de nouvelles modalités mises en place en 2022 à la suite de la réforme zonale de la police judiciaire, en 9 unités opérationnelles (UO) :

- 7 UO correspondant aux directions zonales et régionales ;

- 2 UO à vocation nationale : d'une part, l'UO « Dép@rtement des technologies appliquées à l'investigation » (D@TA-i), qui gère les commandes spécifiques liées au renouvellement du parc informatique de tous les services de la direction et, d'autre part, l'UO « dépenses centralisées ».

L'UO « dépenses centralisées » correspond au budget des sous-directions et services centraux implantés en région parisienne. Elle assure également le financement des équipements ou projets centralisés. Elle est organisée en 9 centres de coûts, correspondant à chaque sous-direction ou service central. Les prévisions budgétaires et le suivi de l'exécution sont effectués par sous-direction et non par l'office central, les dépenses de fonctionnement étant mutualisées sur le périmètre des sous-directions. Enfin, l'UO « dépenses centralisées » prend également en charge certaines dépenses à vocation transversale, notamment concernant le service interministériel d'assistance technique (SIAT), qui en plus d'être en charge des opérations d'infiltration, met à disposition des services déconcentrés des équipements de pointe.

Outre sa dotation budgétaire annuelle via le BOP 9 du programme 176, la DCPJ bénéficie également de financements de projets par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) relevant du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » et de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) relevant du programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice ».

Enfin, la DCPJ sollicite des acquisitions d'équipements et matériels divers via les plans d'équipement (PEQ) organisés par le SAILMI et par le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure (STSISI). Ces PEQ donnent notamment lieu à des dotations en équipements techniques (armes, munitions, kits FTA, moyens radio, etc .). En outre, la DCPJ bénéficie d'un budget pour le plan de renouvellement de son parc automobile (PRA), également géré par le SAILMI, qui lui permet d'effectuer des commandes de moyens mobiles dans les limites de la dotation allouée. Elle bénéficie enfin de certains fonds européens.

Au total, il apparaît que tant l'architecture budgétaire du programme 176 que les différentes sources de crédits budgétaires pour la DCPJ sont difficilement lisibles. En outre, cet état de fait réduit les marges de manoeuvre et la responsabilisation des responsables d'UO et de BOP.

b) Des moyens budgétaires en hausse apparente

En 2021 , selon la DGPN, les crédits du BOP 9 notifiés étaient de 28,5 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 28,9 millions d'euros en crédits de paiement (CP). En comparaison, les crédits de paiement disponibles étaient de 20,5 millions d'euros en AE et de 26,2 millions d'euros en CP en 2019.

Évolution de 2015 à 2021 des crédits de paiement notifiés et exécutés du budget opérationnel de programme n° 9 « police judiciaire et coopération internationale »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, sur la base des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Cette hausse apparente doit toutefois être relativisée à plusieurs égards. En premier lieu, des variations importantes apparaissent en fonction des années, tant s'agissant des crédits notifiés que des crédits exécutés. En outre, le BOP 9 ne retrace qu'une partie des dépenses de la DCPJ, à l'exclusion notamment des dépenses de personnel et d'une partie significative des dépenses d'investissement, tandis que des transferts en gestion sont effectués depuis le BOP 9 vers d'autres BOP. Enfin, d'autres crédits viennent compléter les financements, relativisant les écarts de financement du BOP 9 en fonction des années.

Ainsi, en 2021, la DCPJ a notamment bénéficié de 1,1 million d'euros de l'AGRASC en 2022, contre 700 000 euros en 2021. S'agissant de la MILDECA, l'abondement est de 6,7 millions d'euros en 2022, contre 1,9 million d'euros en 2021. En outre, en 2021, la DCPJ a bénéficié de financement du SAILMI lui permettant de renouveler 533 véhicules et d'un plan d'équipement de 1,77 million d'euros concernant notamment les armements et munitions.

Au total, les moyens budgétaires de la DCPJ sont en hausse apparente ces dernières années, même si la complexité et le manque de lisibilité de la gestion du programme 176 s'agissant de la DCPJ en rendent l'analyse difficile.

c) Un suivi de la « performance » qui ne fait pas partie de la culture de la DCPJ

Si la performance de la DCPJ fait bien l'objet d'indicateurs via notamment les taux d'élucidation, les dossiers en stocks et le nombre d'affaires traitées, le suivi de la performance en termes de dépenses budgétaires, matérielles et de temps dans le cadre des différentes enquêtes apparaît lacunaire, voire inexistant, comme l'a constaté le rapporteur spécial lors des auditions et déplacements qu'il a menés.

Entendu en 2019 par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, le directeur central de la police judiciaire, M. Jérôme Bonet, déclarait au sujet du coût des enquêtes de la DCPJ qu'il s'agissait « d'une question qui va à l'inverse de nos habitudes et de nos traditions. Nos priorités, si nous les cumulons, correspondent à l'ensemble du champ infractionnel. Il est de tradition française de ne pas renoncer à poursuivre telle infraction au bénéfice de telle autre. De sorte que nous n'avons jamais mené de travaux sur le coût des enquêtes » .

Le rapporteur spécial considère que les enjeux financiers ne doivent bien évidemment pas constituer un facteur central dans le choix des enquêtes à mener ou dans leurs modalités. Un suivi plus fin des moyens et du temps mobilisés pour les enquêtes pourrait toutefois présenter un caractère informatif intéressant.

3. Les moyens humains et en matériels de la DCPJ, bien que relativement satisfaisants, n'en restent pas moins limités
a) Un niveau de moyens en matériels généralement présenté comme satisfaisant, mais ne répondant pas entièrement à la sophistication croissante de la criminalité

Concernant les équipements, entendu en 2019 par la même commission d'enquête précitée de l'Assemblée nationale sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, le directeur central de la police judiciaire, M. Jérôme Bonet déclarait que « l'augmentation du nombre des agents s'est effectivement accompagnée d'un accroissement de nos budgets d'équipement - sans doute moins rapide que celui de nos personnels. Néanmoins, nous sommes une direction très correctement équipée. »

Lors de son audition par le rapporteur spécial, ce dernier a réitéré ces propos, tout en soulignant que la sophistication croissante de la criminalité crée forcément des besoins importants. Ainsi qu'il le déclarait en 2019, « par définition, la police judiciaire a été et est toujours en retard sur les délinquants. [...] Cette course technologique nous oblige à plus d'agilité en termes budgétaire. Notamment du fait des contraintes que peuvent parfois nous imposer des règles des marchés publics pour des matériels très spécialisés. Chaque fois que nous déjouons un nouveau stratagème, il est écrit dans nos procès-verbaux, tout comme la technique que nous avons employée. [...] Le délinquant en attendant son procès a le temps de comprendre les actions qui ont été menées pour parvenir à son arrestation et, en quelques mois, les techniques que nous avons mises en place peuvent être déjouées - en tout cas, elles le seront par lui. La course technologique est donc fondamentale. »

De ce point de vue, le rapporteur spécial a constaté à l'occasion des auditions et déplacements que si les équipements étaient effectivement satisfaisants comparés notamment à ceux de la DCSP, il est important que des efforts supplémentaires soient fournis .

À titre d'exemple, la DCPJ dispose de 5 IMSI-catchers à l'échelle nationale, appareils de surveillance utilisés pour intercepter le trafic des communications mobiles, récupérer des informations à distance ou pister les mouvements des utilisateurs des terminaux 56 ( * ) . Ce dispositif, particulièrement utile aux services de la DCPJ et parfois indisponible en raison de son utilisation par un autre service, devrait être accessible en plus grand nombre. En outre, les investissements nécessaires devront être fournis pour les adapter à la technologie 5G.

De même, le rapporteur spécial a constaté lors des auditions et déplacements que les personnels de la DCPJ, pourtant amenés pour une part significative à intervenir sur le terrain dans des conditions dangereuses, peuvent voir la fréquence de leur entraînement au tir être freinée par la disponibilité des stands de tirs (que ces structures dépendent de la police nationale ou du secteur privé), qui sont en nombre trop peu nombreux pour répondre au besoin. Le rapporteur spécial considère qu'il est indispensable de mettre fin à cette situation, au besoin en construisant des stands de tirs et en fournissant la formation continue et le matériel associé (munitions, armes, etc .).

Concernant le parc automobile , la DCPJ dispose de 3 125 véhicules. Les véhicules légers ont un âge moyen d'environ 5,7 ans, au même niveau que pour l'ensemble de la police nationale. Dans le cadre du plan de renouvellement de son parc automobile (PRA), la cible de commande de la DCPJ était de 200 véhicules en 2022. Le rapporteur spécial estime, comme l'ont révélé les auditions et déplacements qu'il a menés, qu'il convient d'assurer tant un rajeunissement du parc que la diversification des véhicules disponibles - y compris via l'affectation de voitures saisies -, pour des raisons opérationnelles et de maintenance. En outre, il convient de prendre en compte dans la dotation de la DCPJ et de ses services déconcentrés l'augmentation du coût des véhicules à l'achat, ainsi que du prix des carburants. Par ailleurs, les retours d'expérience sur l'utilisation des véhicules verts, font apparaître l'inadaptation à ce jour des motorisations électriques aux missions judiciaires (filatures, surveillance, etc .), notamment face au risque constaté de pannes de batterie en cours d'opération.

Le parc automobile de la DCPJ

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

S'agissant des enjeux immobiliers , la politique du ministère de l'Intérieur et donc de la DCPJ relève de la DEPAFI (direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier) du ministère de l'Intérieur, qui met en oeuvre la programmation budgétaire pluriannuelle en liaison avec les responsables de programmes et les services constructeurs territoriaux (en particuliers les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur, les SGAMI).

Les services de la DCPJ sont installés soit dans des locaux loués dont la gestion du bail est assurée par la DEPAFI sur un budget dédié, soit dans des locaux de la propriété de l'État (principalement les hôtels de police). La DCPJ n'est propriétaire d'aucun bien immobilier et ne gère pas de dépenses afférentes aux baux, qui relèvent des SGAMI ou du budget centralisé DEPAFI. Seules les dépenses relatives aux travaux d'entretien léger ou d'aménagement relèvent du BOP 9 de la DCPJ. Les auditions et déplacements effectués ont permis de constater l'état correct des locaux visités, bien que le l'extension et le déménagement de plusieurs services dans les locaux de Nanterre (OFAST et services centraux de la DCPJ) interrogent sur leur soutenabilité s'agissant de la place disponible.

Au total, si les moyens en matériels et équipements de la DCPJ apparaissent relativement satisfaisants, en particulier au regard de la situation de la DCSP, il n'en demeure pas moins qu'un effort budgétaire doit être fait pour répondre aux besoins . De ce point de vue, les moyens annoncés par la très récente loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur ( LOPMI ) 57 ( * ) , à savoir une hausse cumulée du budget du ministère de l'Intérieur de 15 milliards d'euros sur les cinq années 2023 à 2027, devront être en partie orientés vers la hausse des moyens matériels et technologiques consacrés à la lutte contre le haut du spectre de la criminalité, y compris dans le domaine numérique. Pour ce faire, ils ne devront pas faire l'objet d'un effet d'éviction par une hausse des dépenses de personnel , notamment du fait de mesures catégorielles, comme c'est trop souvent le cas.

b) Des effectifs limités mais globalement satisfaisants

Pour accomplir ses diverses missions, la DCPJ dispose d'effectifs relativement limités au regard de l'ensemble de la police nationale. À fin juillet 2022, les effectifs de la DCPJ étaient de 5 673 personnels (dont 3 800 enquêteurs), dont environ 70 % sont affectés dans les services déconcentrés. Parmi ces 5 673 personnels, environ 400 personnels sont mis à disposition par d'autres administrations, parmi lesquels entre 180 et 200 viennent de la gendarmerie nationale ; d'autres proviennent de la DGFIP, de la DGDDI et du ministère des Armées, notamment.

Si la DCPJ connaît une légère baisse de ses effectifs depuis 2020 (5 794 personnels cette année-là), elle avait bénéficié d'importantes hausses entre 2016 et 2019. L'effectif de référence pour 2022 a été fixé pour la DCPJ à 5 538, ce qui implique une baisse progressive des effectifs dans les prochaines années. Néanmoins, l'effectif de référence est supérieur de plus de 350 personnels à celui de 2019 (5 177 effectifs), selon les informations fournies par la DGPN.

La répartition des effectifs au niveau central témoigne tant des caractéristiques de la criminalité que des priorités fixées à l'action policière.

Répartition en pourcentage des effectifs dans les services centraux de la DCPJ

Source : commission des finances, sur la base des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Cette répartition varie d'ailleurs dans le temps. À titre d'illustration, comme cela est développé supra , alors que les effectifs de l'ancien Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS) n'ont jamais dépassé 105 personnels, ceux de l'OFAST devraient prochainement atteindre 235 personnels, soit plus du double, témoignant ainsi de la priorité accordée à la lutte contre le trafic de stupéfiants. En sens inverse, les effectifs de la sous-direction anti-terroriste (SDAT) de la DCPJ, qui étaient de 114 personnels en 2014, ont fortement cru à compter de 2015 dans un contexte des attentats perpétrés en France, pour atteindre 226 personnels en 2018, avant de redescendre progressivement depuis (168 en 2022), alors que le nombre et l'intensité des attentats ont réduit. Une telle agilité dans la répartition des effectifs d'une administration centrale doit être soulignée.

La répartition des effectifs au niveau déconcentré par zone géographique est, en toute logique, plus stable et relève d'une adaptation aux bassins de population et de criminalité.

Répartition en pourcentage des effectifs déconcentrés entre les directions zonales de police judiciaire (DZPJ)

Source : commission des finances, sur la base des réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Au final, il apparaît globalement, comme les auditions ont été l'occasion de le constater, que la DCPJ est globalement correctement dotée en effectifs.

c) Des enjeux de ressources humaines pour la DCPJ, en particulier s'agissant de l'attractivité de la filière investigation, de la qualité du recrutement et de la formation, et de la capacité à recruter et conserver les personnels contractuels hautement qualifiés
(1) Une DCPJ qui n'est pas à l'abri de la crise d'attractivité de l'ensemble de la filière d'investigation policière

L'ensemble des services d'investigation de la police nationale connaissent aujourd'hui une certaine désaffection des personnels , davantage d'ailleurs qu'au sein de la gendarmerie nationale. Ce constat, unanime, est rappelé par le rapport annexé à la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur ( LOPMI ) 58 ( * ) , alors que le nombre d'officiers de police judiciaire (OPJ) est jugé globalement insuffisant au sein de la DCSP.

Cette désaffection pour les services d'investigation a plusieurs causes , comme l'a constaté le rapporteur spécial au cours des auditions et déplacements qu'il a menés :

- une forte complexité de la procédure pénale , présentée comme s'accroissant, chronophage et réduisant l'efficacité des procédures ;

- des conditions de travail peu favorables à un certain équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée , en ce que les fonctions supposent une disponibilité quasiment totale, y compris la nuit et le week-end en cas de besoin, à la différence des personnels affectés aux patrouilles par exemple, qui ont en principe des horaires fixés à l'avance ;

- une judiciarisation croissante des faits infractionnels par les citoyens, aboutissant à un alourdissement de la charge de travail, y compris sur des faits sur lesquels les chances d'élucidation sont faibles ;

- la crainte d'une mise en cause personnelle en cas de défaillance , notamment à l'occasion d'une procédure médiatisée ;

- une réponse pénale de la Justice et une exécution des peines prononcées apparaissant parfois comme décevantes aux yeux des services d'investigation ;

- une incitation financière réduite à occuper les postes d'investigation.

Ce sont les services d'investigation de la DCSP qui sont les premiers touchés par les difficultés susmentionnées et par la désaffection qui en découle. En effet, la DCPJ apparaît moins affectée par ce phénomène en raison, sans doute, de la nature de la criminalité traitée, d'une faible exposition aux infractions de masse, d'une possibilité de travailler sur le « temps long », de moyens matériels plus importants et, enfin, de son statut officieux de police d'investigation d'élite.

Néanmoins, la DCPJ n'est pas à l'abri de cette désaffection croissante, qui l'affecte d'ailleurs en partie déjà aujourd'hui dans certains domaines, ainsi que l'a rappelé le directeur central de la police judiciaire, M. Jérôme Bonet, lors de son audition. Des postes peinent ainsi à trouver preneur. Il en va de même à la DRPJ-PP ; lors de son audition, son directeur, M. Christian Sainte, a ainsi indiqué que la DRPJ-PP peinait parfois à recruter dans certaines sous-directions.

Or, cette désaffection pourrait continuer à croître si des mesures fortes ne sont pas prises pour la contrecarrer.

Des premières réponses ont d'ailleurs été apportées pour rendre la filière plus attractive. Il a ainsi été annoncé que les OPJ bénéficieront désormais d'une accélération de carrière et la prime qui leur est versée a été revalorisée de 20 % (de 1 080 euros à 1 296 euros par an) ; elle serait réservée à compter de décembre 2022 à ceux qui sont effectivement sur un poste d'OPJ, pour en renforcer le caractère incitatif, ce qui est cohérent avec l'objectif de la prime, qui ne doit pas se transformer en mesure catégorielle déconnectée du poste occupé. Le rapporteur spécial n'a pas connaissance à ce jour du nombre exact de bénéficiaires. En outre, il est prévu une accélération de carrière des personnels exerçant des missions d'investigation.

Il convient, outre ce volet incitatif, de répondre aux différentes causes de la désaffection. Ainsi, la simplification de la procédure pénale reste un enjeu majeur. De même, il est nécessaire de libérer du temps aux personnels d'investigation pour effectuer leur coeur de métier, en leur permettant de déléguer les tâches non stratégiques et administratives à d'autres personnels. En ce sens, la création d'assistants d'enquêtes prévue par la très récente loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur ( LOPMI ) 59 ( * ) y contribuera. Par ailleurs, il est indispensable d'assurer la montée en charge des effectifs d'investigation, même si cela concerne surtout la DCSP.

Le rapporteur spécial considère que le sujet de la désaffection pour la filière d'investigation constitue un enjeu sérieux pour la police nationale, y compris pour la DCPJ. Il est indispensable d'y répondre par des mesures fortes en termes de carrières, de conditions de travail, de simplification de la procédure pénale et de rationalisation de l'utilisation du temps des personnels.

(2) Le recrutement, y compris de personnels externes à fortes compétences, et la formation constituent des enjeux centraux pour la DCPJ
(a) Les enjeux de recrutement au sein des personnels de la police nationale et le sujet de la formation initiale

La DCPJ est concernée par plusieurs enjeux de recrutement et de formation. En tant que service d'investigation, elle doit parvenir à attirer des candidats en dépit d'une certaine désaffection policière actuelle pour la matière. En tant que service spécialisé sur les dossiers graves, complexes et spécialisés, elle doit parvenir à recruter des personnels qualifiés ou les former à cet effet. Enfin, dans un environnement criminel de plus en plus complexe et sophistiqué, notamment dans un contexte de développement technologique, le rapporteur spécial considère que la DCPJ doit pouvoir recruter des personnels externes hautement qualifiés et parvenir à les fidéliser sur le moyen terme.

Le recrutement des personnels de la DCPJ ne présente pas de particularité forte au sein de la police nationale . Ainsi, les policiers qui y sont affectés ont suivi, comme les autres policiers, leur formation initiale dans les écoles de police ou à l'École nationale supérieure de police (ENSP). Néanmoins, les services de la DCPJ ne constituent pas, sauf exceptions, des postes de sortie de ces écoles. Ce n'est qu'à compter du second poste d'affectation qu'une mutation dans un service de la DCPJ peut avoir lieu, à la demande du fonctionnaire concerné et sur la base des postes ouverts par la DCPJ. Un entretien a alors lieu avec les responsables du service concerné. Selon les réponses de la DGPN au questionnaire du rapporteur spécial, « le profil recherché est le goût pour le travail en investigation et pour la procédure pénale, l'appétence pour le travail en équipe et la disponibilité ». De façon logique, le fait d'avoir la qualité d'OPJ constitue un atout supplémentaire pour intégrer un service de police judiciaire. Au 1 er septembre 2022, 84 % des effectifs du corps d'encadrement et d'application 60 ( * ) par exemple affectés en DCPJ disposaient de la qualification OPJ. À défaut, la formation à la qualification d'OPJ est proposée par la DCPJ, le taux de réussite des candidats provenant de cette direction étant de 87,50 % en 2022.

Si la DCPJ parvient globalement à pourvoir l'essentiel des postes ouverts aux mouvements de mutation, il n'en demeure pas moins qu'une part notable ne trouve pas preneur . Cette proportion tend en outre à augmenter, tandis que la mise en place d'une « cartographie OPJ » en 2021 constitue une difficulté supplémentaire en ce qu'elle limite le nombre d'OPJ au sein des services de la DCPJ, ce dont s'étonne le rapporteur spécial.

En ce qui concerne le corps d'encadrement et d'application, alors que 99 % des 200 postes ouverts ont été pourvus en 2021, ce taux est descendu à 90 % en 2022, avec 216 agents retenus pour 240 postes ouverts. La mise en place de la « cartographie OPJ » a en effet limité les ouvertures de postes à 50 postes OPJ pour 190 APJ, ce qui a diminué le nombre de candidatures potentielles. Le rapporteur spécial considère qu'il s'agit d'un problème pour la DCPJ.

Pour ce qui est du corps de commandement, le taux de postes pourvus apparaît faible aujourd'hui. Alors que 79 % des postes étaient pourvus dans le cadre du mouvement de mutation 2018, ce taux est descendu à 37,5 % en 2021. Ce taux devrait être à peine supérieur en 2022 ; un mouvement ponctuel initié durant l'été a d'ailleurs permis de pourvoir seulement 39 % des postes publiés, correspondant pourtant à des vacances de postes prioritaires de la DCPJ.

Enfin, les diffusions des postes vacants du corps de conception et de direction permettent de pourvoir la très grande majorité des postes vacants, avec un taux supérieur à 95 %.

Il convient de noter que ces taux moyens cachent des différences entre spécialités ; ainsi, les postes ouverts dans le domaine de la délinquance économique et financière prennent parfois plus difficilement preneurs par exemple.

Dans ce contexte, le rapporteur spécial considère qu'outre la nécessité de répondre globalement aux causes de la désaffection pour la filière d'investigation policière évoquées supra , il est nécessaire d'apporter des solutions spécifiques à la DCPJ pour y répondre, ainsi que le propose d'ailleurs la DGPN dans ses réponses au questionnaire. Elles doivent également viser à assurer la complétude et la qualité du recrutement de cette direction aux exigences fortes.

Dès les épreuves des concours d'entrée en école de police, il serait envisageable de prévoir la possibilité pour les candidats de choisir des options orientées sur l'investigation, ce qui permettrait de recruter et d'identifier des profils potentiels pour la DCPJ.

À l'occasion de la scolarité en école de police, pourraient être proposés des tests de présélection et la possibilité de suivre des modules de formation portant sur certaines spécialités liées à l'investigation. De ce point de vue, l'évolution intervenue à compter de 2022 consistant à assurer la formation à la qualification d'OPJ au sein des écoles de police constitue une avancée importante. Si une partie des élèves ne réussira pas, à l'issue de la formation, l'examen d'OPJ 61 ( * ) , le taux de policiers disposant de la qualification va augmenter et, en tout état de cause, une initiation plus précise à la filière d'investigation sera offerte à tous les policiers. Il pourrait également être envisagé de donner la possibilité aux élèves de faire des périodes de stage plus longues (que cela soit en investigation, en renseignement, ou en ordre public notamment), ce qui permettrait une meilleure orientation en sortie d'école.

Enfin, il importe de faire davantage connaître le rôle de la DCPJ, et plus largement de la filière investigation, au grand public, et notamment aux jeunes. Les distinctions entre les différents métiers de la police nationale sont en effet encore trop méconnues. Une communication plus active de la DCPJ de ce point de vue apparaît nécessaire, y compris dans les salons d'orientation pour élèves et étudiants. Il en irait de même en cas de mise en place d'une « filière investigation », comme le prévoit la réforme actuellement envisagée 62 ( * ) .

(b) Les enjeux de recrutement et de fidélisation de personnels externes à la police nationale

Comme cela est développé supra , la criminalité d'aujourd'hui, en particulier celle traitée par la DCPJ, est toujours plus complexe, plus sophistiquée, plus spécialisée, plus internationale et plus technologique. Face à ce constat, le rapporteur spécial considère qu'il serait profondément dommageable de se dispenser de compléter la compétence des policiers par celle de personnels extérieurs hautement qualifiés dans certains domaines techniques.

Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, la DGPN précise que la DCPJ recourt à des contractuels pour répondre à des missions ponctuelles ou spécifiques, et qui ne peuvent être assurées par des policiers en raison de la technicité et du haut niveau d'expertise exigés. Entre 2020 et 2022, le nombre de contractuels a d'ailleurs augmenté de 55 personnels, soit une hausse de 80 % en 2 ans. Néanmoins, le taux de contractuels reste particulièrement faible au sein de la DCPJ, représentant entre 1 % et 2 % du total des effectifs . Pourtant, sauf exception, le nombre de candidatures aux postes ouverts aux contractuels est considérablement plus élevé que celui observé pour les postes ouverts aux mouvements de policiers, parfois plus de 15 fois supérieur.

À titre d'illustration, alors que les crypto-monnaies sont devenues un vecteur majeur pour la criminalité, la DCPJ dans son ensemble dispose seulement de 16 spécialistes ou personnels qualifiés ou en formation dans ce domaine 63 ( * ) , selon les informations recueillies par le rapporteur spécial. Seuls trois d'entre eux disposent du niveau supérieur « tracing-demixing » 64 ( * ) . La sous-direction de la lutte contre la criminalité financière ne dispose ainsi, selon la DGPN, que d'un seul personnel impliqué dans une formation en crypto-monnaies, ce qui apparaît inquiétant. Sur ces 16 personnels, 13 sont des policiers, qui sont donc épaulés par seulement trois contractuels.

Si l'exemple des crypto-monnaies est révélateur, le recrutement de contractuels spécialisés apparait nécessaire dans de nombreux autres domaines techniques : téléphonie, analyse de la donnée ( data scientists ), informatique, etc .

Le recrutement de contractuels spécialisés doit ainsi faire l'objet d'une stratégie globale consistant à reconnaître sa nécessité, en dépit de la qualité et des compétences certaines des policiers, et à mettre en place les conditions de sa réussite. Celle-ci doit passer notamment par un niveau de rémunération suffisant. En effet, la DCPJ se trouve dans ces domaines en concurrence avec le secteur privé et l'attractivité de la fonction policière au sein de la DCPJ ne peut pas suffire à compenser un différentiel de rémunération trop important.

En outre, la stratégie mise en place doit viser à fidéliser ces personnels qui, trop souvent, ne restent qu'un temps trop limité pour rejoindre ensuite d'autres perspectives professionnelles : outre le sujet des rémunérations, des perspectives de carrière de moyen terme doivent donc pouvoir être offertes à ces contractuels.

(c) L'enjeu de la formation continue

Outre leur formation initiale en école de police ou à l'ENSP, les personnels de la DCPJ suivent des formations continues.

La direction des ressources et des compétences de la Police nationale (DRCPN), responsable de l'UO « Formation », intégrée dans le BOP n° 1 « commandement et soutien », au sein du programme 176 de la police nationale, octroie aux directions des services actifs de la police nationale des droits de tirage sur l'enveloppe annuelle qui lui est notifiée. Ces crédits permettent à ces directions d'organiser des formations, ouvertes aux fonctionnaires affectés sur l'ensemble du territoire national.

La DCPJ disposait ainsi en 2022 d'une dotation de 400 000 euros au titre de la formation continue. Compte tenu des nombreuses spécialités de la DCPJ, l'objectif est, selon les informations recueillies par le rapporteur de « permettre à chaque fonctionnaire de police, dès son arrivée, de recevoir une formation spécialisée lui permettant d'évoluer avec efficacité dans son domaine d'activité en fonction de son affectation : constatations dans une enquête criminelle, enquête suite à un attentat, lutte contre la délinquance économique et financière, saisie des avoirs criminels, cybercriminalité, renseignement criminel, maîtrise des techniques d'intervention en opération ou réglementation dans le domaine des courses et des jeux par exemple ». En 2021, la DCPJ a ainsi organisé des sessions de formations au profit de 8 854 présents 65 ( * ) , dont une partie relève d'autres directions d'emploi que la DCPJ. En outre, 12 349 personnes présentes 66 ( * ) de la DCPJ ont été formées par d'autres directions.

Le rapporteur spécial considère que la formation constitue également un enjeu central pour la DCPJ, tant ses personnels sont amenés à traiter d'une criminalité qui évolue et se complexifie sans cesse. Il constate que le montant alloué à la DCPJ pour la formation est modeste au regard de son importance stratégique. Il souscrit en revanche à deux priorités fixées pour la formation pour ces prochaines années : le trafic de stupéfiants et la cybercriminalité.

En outre, le projet de la création d'un centre national de formation à l'investigation, pour l'ensemble de la filière investigation, est particulièrement intéressant. Il concernerait à la fois la mise en place d'une filière investigation dès l'école et d'un cursus de formation continue avec l'acquisition de compétences spécifiques.

4. Le cas de la SDLCF : une sous-direction au coeur de la criminalité du XXIe siècle mais qui souffre d'une visibilité et de moyens limités
a) Des infractions économiques et financières toujours plus nombreuses et préjudiciables et une préoccupation forte des citoyens

Depuis une vingtaine d'années et a fortiori ces dernières années, ont été observées plusieurs tendances dans le domaine de la criminalité économique et financière :

- la professionnalisation et l'internationalisation des réseaux de blanchiment utilisant de nouvelles technologies ;

- la hausse du nombre d'infractions économiques et financières et la baisse du taux d'élucidation global (police et gendarmerie nationales) ;

Évolution de 2012 à 2021 des faits constatés, des faits élucidés et des taux d'élucidation en matière d'infractions économiques et financières par les forces de sécurité

Source : sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF)

- la sophistication croissante de la délinquance dite astucieuse (escroqueries, abus de confiances, détournement de fonds, abus de faiblesse, etc .) ;

- une attente forte des citoyens concernant les atteintes à la probité (corruption, trafics d'influence, prise illégale d'intérêts, détournement de fonds publics, favoritisme etc.), et les infractions financières (faux, falsifications de cartes de crédit, infractions au droit des sociétés, etc .) et la fraude fiscale ;

- des réformes législatives et institutionnelles récentes durcissant le cadre juridique applicable : création de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, de l'Agence française anticorruption, du Parquet national financier, du Service d'enquêtes judiciaires des finances, etc .

b) La sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF) regroupe depuis 2019 les services de la DCPJ compétents dans le domaine

Dans ce contexte, à la suite de la scission, en 2019, de l'ancienne sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière (SDLCODF), ont été mises en place, outre la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée (SDLCO), une sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF). Cette réforme visait à renforcer tant le positionnement et l'efficacité du dispositif déployé par la DCPJ en matière de prévention et de répression de la grande délinquance financière que les capacités de coordination des services centraux de la DCPJ chargés de la lutte contre les différentes formes de criminalité organisée hors champ financier.

Logo de la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF)

Source : ministère de l'Intérieur

La SDLCF a pour mission la prévention et la répression des formes complexes, organisées et transnationales de la criminalité financière . La SDLCF comprend en son sein deux offices centraux :

- l'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), chargé d'affaires complexes et sensibles notamment en matière de lutte contre les atteintes à la probité, au financement de la vie politique et la fraude fiscale ;

- l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) chargé notamment de la lutte contre le blanchiment de fonds, le financement du terrorisme, les escroqueries transnationales et l'identification des avoirs criminels via la plate-forme d'identification des avoirs criminels (PIAC).

La SDLCF participe également à la lutte contre le trafic de drogue par son action ciblée contre le blanchiment de trafic de stupéfiants, la DCPJ ayant mis en place une stratégie nationale et pluridisciplinaire pour neutraliser les groupes criminels manipulant les profits très élevés du trafic international de stupéfiants en s'attaquant spécifiquement aux réseaux de collecteurs chargés d'écouler l'argent généré par le trafic.

La SDLCF s'appuie en outre sur la brigade nationale d'enquêtes économiques (BNEE) et la coordination nationale des groupes interministériels de recherche (CNGIR). De plus, la SDLCF est également composée d'une division d'appui opérationnel comprenant notamment :

- le service interministériel de renseignement et d'analyse stratégique de la criminalité financière (SIRASCO-F), notamment chargé de l'évaluation de la menace et des échanges avec Europol et Interpol ;

- la section de la preuve numérique assistant les enquêteurs dans leurs investigations informatiques et digitales ;

- la section de la formation chargée de la mise en oeuvre des stages thématiques ;

- le bureau des officiers de liaison, deux officiers de police de la SDLCF étant détachés auprès de Tracfin 67 ( * ) , au profit de l'ensemble des services de la police nationale et de la DRPJ-PP.

Organigramme de la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF)

Source : ministère de l'Intérieur

Selon une logique identique aux autres domaines de compétences de la DCPJ, la DCSP prend à sa charge au sein de la police nationale les dossiers de délinquance économique et financière qui ne relèvent pas de la DCPJ et donc de la SDLCF , soit la grande masse des affaires, à savoir toutes celles qui ne sont pas d'une envergure excédant le cadre local, ne génèrent pas un préjudice très important, ne demandent pas des investigations longues ou complexes ou ne requièrent pas l'intervention d'enquêteurs spécialisés.

c) Les moyens de la SDLCF apparaissent limités

De même que s'agissant des moyens - notamment humains - de la DCSP en matière de délinquance économique et financière, dont le constat unanime est le caractère largement insuffisant face à la masse des affaires, les moyens de la SDLCF au sein de la DCPJ apparaissent limités.

En 2021, les faits traités par les services centraux et territoriaux de la SDLCF ont représenté 32 % de l'ensemble des faits traités (soit environ 4 000 faits traités) et 30 % des faits solutionnés. Or les effectifs de la SDLCF sont réduits au regard de la quantité d'affaires traitées. Selon les informations recueillies au cours de l'audition de la SDLCF à Nanterre, le nombre d'enquêteurs 68 ( * ) est de 136 au niveau central et de 415 au niveau déconcentré, soit 551 enquêteurs au total, dont un nombre significatif d'agents de la DGFIP. Au niveau central, le nombre total de personnels, dont les enquêteurs, a d'ailleurs été réduit de 199 en 2020 à 189 en 2022.

Au total, un tiers des affaires relevant de la DCPJ sont donc gérées par moins de 10 % des effectifs . En outre, la SDLCF se plaint d'une difficulté à pourvoir certains postes ouverts aux mouvements de policiers, puisque ces dernières années, il y a parfois moins de candidats que de postes ouverts. Cette situation, que l'on retrouve dans les services correspondants de la DRPJ-PP, s'explique notamment par la nécessité d'investir un domaine qui peut apparaître technique au premier abord . En outre, il n'est pas rare que les personnels partent peu de temps après être devenus pleinement opérationnels, ce qui prend en effet plusieurs années. Il est donc important de rénover la gestion des ressources humaines dans cette filière, y compris en s'appuyant sur des contractuels sur les postes ou les dossiers les plus techniques.

S'agissant des moyens matériels, s'ils sont globalement satisfaisants, des logiciels informatiques plus performants, notamment concernant l'analyse des crypto-monnaies et de la comptabilité des grandes entreprises, seraient utiles.

Le rapporteur spécial constate certes que, pour ce qui concerne les enjeux opérationnels, le taux d'élucidation moyen des affaires par la SDLCF est élevé, à 87,3% en 2021 (contre 26,7 % pour l'ensemble de police nationale, 19,8 % pour la préfecture de police et 34,6 % pour la gendarmerie nationale). Néanmoins, en premier lieu, ce taux n'est pas homogène puisque le taux d'élucidation de l'OCRGDF est plus faible, à 70 % ; il convient d'ailleurs de noter que ses effectifs sont passés de 90 en 2020 à 68 en 2022. En outre, le nombre d'affaires en stock dans l'ensemble des services de la SDLCF augmente : de 5 083 en 2019, elles sont de 6 161 à fin juin 2022.

Par ailleurs, les deux offices centraux de la SDLCF semblent peiner, avec leurs moyens limités et une charge de travail importante, à mettre en oeuvre les rôles stratégiques d'un office central : la coordination stratégique de l'ensemble de la filière d'investigation dans leurs domaines de compétences, un soutien aux services de la DCSP et de la gendarmerie nationale, un rôle d'impulsion, etc . En outre, son caractère interministériel semble être remis en cause par ce que la DGPN qualifie, dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, de « désengagement certain de la gendarmerie » au sein de la SDLCF.

Les exemples contrastés de l'OFAST et des deux offices de la SDLCF témoignent finalement du fait que la mise en place d'un office ne garantit pas le succès de ses missions, en particulier s'agissant de son rôle de coordination et d'impulsion de l'action de l'ensemble des services d'investigation dans leurs domaines. Le rapporteur spécial remarque d'ailleurs que si l'OFAST peut être posé en exemple, c'est sans doute surtout avant tout parce qu'il dispose d'un statut, d'une légitimité de chef de file et de moyens dont tous les offices ne disposent pas. Or, si la lutte contre le trafic de stupéfiants doit indéniablement constituer une priorité centrale de la DCPJ, il convient également, à partir du moment où il a été jugé nécessaire de créer un office, de lui donner les moyens d'accomplir ses missions essentielles.

II. LA DCPJ EST AUJOURD'HUI CONCERNÉE PAR UN PROJET DE RÉFORME D'AMPLEUR DE LA POLICE NATIONALE, DONT LES MODALITÉS SUSCITENT DES INQUIÉTUDES S'AGISSANT DE LA POLICE JUDICIAIRE

La police nationale fait aujourd'hui l'objet d'un projet de réforme d'organisation d'ampleur, dont certains éléments sont déjà mis en oeuvre. Cette réforme recouvre notamment la DCPJ, dont les modalités d'organisation seraient modifiées. Si le principe d'une réforme de la police nationale fait l'objet d'un consensus, les modalités de la réforme aujourd'hui présentées, bien que récemment améliorées notamment grâce aux apports du Parlement et en particulier du Sénat dans le cadre de la très récente loi LOPMI 69 ( * ) , suscitent des inquiétudes légitimes s'agissant de son volet « investigation ».

A. UN PROJET DE RÉFORME PROFONDE DE LA POLICE NATIONALE AFFECTE DE MANIÈRE SIGNIFICATIVE LA DCPJ

1. Le projet de réforme, envisagé dès 2020 et partiellement lancé, vise à mettre en place une organisation plus pyramidale et plus déconcentrée de la police nationale
a) Un constat général partagé : une police nationale trop cloisonnée et souffrant d'un manque d'unité

Le constat d'un besoin de réforme de la police nationale est globalement partagé par tous et est largement documenté 70 ( * ) . Depuis la loi Frey de 1966 71 ( * ) , qui a créé la police nationale en rassemblant les personnels de la sûreté nationale et de la préfecture de police, aucune réforme de grande ampleur n'a modifié l'organisation de la police nationale. Or cette organisation apparaît aujourd'hui inadaptée et trop peu lisible.

Comme le précise le livre blanc de la sécurité intérieure publié en novembre 2020, « la police nationale d'aujourd'hui s'est constituée progressivement par la création de structures spécialisées qui ont été conçues pour accomplir des missions particulières (police aux frontières, police judiciaire, police technique et scientifique, renseignement, maintien de l'ordre, protection des hautes personnalités, intervention spécialisée) » . Or ces directions centrales sont devenues au fil du temps autant de silos trop étanches, verticaux et indépendants les uns des autres. La police nationale souffre ainsi d'un manque de cohésion et d'unité , qui génère des pertes d'information, d'efficacité et parfois même des logiques de concurrence et réduit finalement la possibilité de mettre en oeuvre une stratégie globale d'emploi des forces sur les différents territoires.

Ce manque d'unité et de gouvernance crée en outre un manque de lisibilité de l'organisation de la police nationale, notamment pour le citoyen. Cet enjeu se reflète d'ailleurs dans un manque certain d'incarnation publique de la fonction policière, en particulier à l'échelon local. Alors que les responsables des différents échelons de la gendarmerie nationale sont bien identifiés, la fonction de chef de police - longtemps incarnée, y compris au cinéma, par le commissaire de police, figure de la ville - est aujourd'hui diluée.

b) Le projet de réforme, dont les contours étaient déjà dessinés par le livre blanc de la sécurité intérieure, prévoit notamment la création de filières et la mise en place de directeurs départementaux de la police nationale
(1) L'inspiration du projet de réforme : le livre blanc sur la sécurité intérieure de 2020

Les modalités d'une grande réforme organisationnelle de la police nationale font l'objet de réflexions depuis de nombreuses années au sein du ministère de l'Intérieur. Les travaux organisés dans le cadre de la préparation du livre blanc de la sécurité intérieure , qui ont débuté alors que M. Christophe Castaner était ministre de l'Intérieur et se sont achevés alors que M. Gérald Darmanin lui avait succédé, ont notamment traité de ce sujet.

Publié en novembre 2020, le livre blanc sur la sécurité intérieure évoquait ainsi des pistes de réformes. Plaidant pour la mise en oeuvre des principes directeurs de transversalité, de décloisonnement, de déconcentration et de proximité avec le terrain « au plus proche de la population à protéger », le livre blanc évoquait deux hypothèses de transformation de la police nationale.

La première option évoquée consistait principalement à créer une filière judiciaire unique regroupant les enquêteurs des services de la DCPJ et de la DCSP sous l'autorité d'un seul directeur central, à recentrer les différentes directions centrales sur la stratégie, le pilotage et l'évaluation et à privilégier la déconcentration, en s'appuyant sur les différents échelons territoriaux et en créant un échelon zonal pour chacune des directions. En outre, était proposée l'unification de la police nationale en outre-mer avec la mise en place de directions territoriales uniques de la police nationale réunissant l'ensemble des corps de métiers de police dans chacun de ces territoires.

La seconde option évoquée, similaire dans son esprit mais beaucoup plus profonde, poursuivait le même objectif de rassembler les « briques » d'un même métier sous l'autorité d'un chef de filière positionné à chaque échelon territorial, mais « en poussant la logique de clarté et de simplicité jusqu'à son terme en instaurant une gouvernance unifiée », c'est-à-dire des chefs communs ayant autorité localement sur les différentes filières. Elle consistait principalement à :

- regrouper, afin de répondre à l'éclatement de missions communes entre différentes directions, l'ensemble des métiers et des spécialités de la police au sein d'un nombre limité de « filières métiers » (paix et ordre publics, investigation, renseignement territorial, protection aux frontières, protection et intervention) assorties de missions transverses, telles que les ressources humaines et les moyens ou la coopération internationale ;

- mettre en place des directions nationales - en remplacement des directions centrales - rattachées au DGPN, déchargés des tâches de gestion des personnels ou des moyens et en charge uniquement de piloter chacune des filières compétentes ;

- instituer des directeurs déconcentrés uniques de la police nationale en charge des directions territoriales de la police nationale aux niveaux départemental et zonal, regroupant les effectifs de police de chacune des filières. Les nouvelles directions départementales de la police nationale disposeraient de l'autorité hiérarchique sur tous leurs services et assureraient la gestion « opérationnelle » des personnels et des moyens (en lien avec les SGAMI), tandis que les directions « filières » nationales joueraient un rôle d'animation et de coordination sur les agents relevant de leurs filières respectives ;

- dessiner, sur la base de ces évolutions, une nouvelle cartographie budgétaire en clarifiant la répartition des compétences et en s'appuyant en particulier sur les directeurs départementaux et zonaux - et les préfets - et le DGPN ;

- repenser l'articulation de la préfecture de police avec la DGPN.

(2) Le projet de réforme vise à mettre en place une organisation plus pyramidale et plus déconcentrée de la police nationale, en s'appuyant sur des filières métiers et sur un nouveau directeur départemental de la police nationale

Le projet de réforme de la police nationale, dont les modalités précises n'ont pas été entièrement formalisées à ce jour publiquement, découle largement des pistes de réforme évoquées par le livre blanc de la sécurité intérieure, en puisant d'ailleurs dans les deux options évoquées par ce dernier.

D'un point de vue global, la réforme vise à répondre aux écueils de l'organisation de la police nationale en s'appuyant sur quatre « filières métiers » identifiées et en établissant de véritables chefs de police, compétents sur l'ensemble des filières , en redéfinissant au passage la répartition des autorités hiérarchique et fonctionnelle, tant aux niveaux central que déconcentré.

S'inspirant sans doute de l'esprit de l'organisation de la gendarmerie nationale, le projet de réforme tend finalement à rendre le fonctionnement de la police nationale plus pyramidal et plus déconcentré, en s'appuyant en particulier sur l'autorité et la gouvernance du nouveau directeur départemental de la police nationale (DDPN) et des préfets , en particulier des préfets de département.

Concrètement, la réforme consiste, en premier lieu, à créer des « filières » complémentaires entre elles dans l'objectif de répondre à l'éclatement de missions pourtant communes entre directions, et à offrir à chacun des métiers de la police nationale une identité, une culture partagée et une cohérence dans l'action. Il s'agit aussi de favoriser une approche globale et pluridisciplinaire dans l'appréhension et le traitement des problèmes de sécurité intérieure. Quatre « filières métiers » seraient ainsi mises en place :

- la sécurité et la paix publiques ;

- le renseignement territorial ;

- la police judiciaire ;

- les frontières et l'immigration irrégulière.

Ces quatre filières métiers recouperaient les missions des principales directions centrales actuelles mais en en modifiant la répartition des compétences, autour de « métiers ». À titre d'exemple, la filière « police judiciaire » regrouperait en son sein les missions correspondantes, aujourd'hui réparties entre la DCPJ et la DCSP en particulier.

En second lieu, la réforme prévoit une modification de l'organisation centrale et territoriale de la police nationale visant à établir de véritables chefs de police , compétents sur l'ensemble des filières, en redéfinissant la répartition des autorités hiérarchique et fonctionnelle.

Au niveau central , sur le modèle du fonctionnement du service central du renseignement territorial depuis 2014 72 ( * ) , les quatre filières seraient chapeautées par des directions « nationales » - en lieu et place des directions centrales actuelles . Comme le proposait le livre blanc, ces directions nationales seraient recentrées sur leur rôle stratégique et de pilotage de leur filière respective et sur la gestion des entités nationales, en particulier opérationnelles , placées directement sous leur autorité. Elles se verraient en revanche retirer leurs missions de gestion d'un budget propre et de leurs personnels déconcentrés, sur lesquels leur ancienne autorité hiérarchique serait réduite à une autorité fonctionnelle.

À l'échelon déconcentré , le département serait consacré comme l'échelon territorial de référence pour l'animation et la coordination opérationnelle de l'action de l'ensemble des services implantés sur le territoire . Ainsi - et c'est là le coeur de la réforme - seraient mises en place des directions départementales de la police nationale (DDPN) regroupant les services des quatre filières. Le directeur départemental aurait une autorité hiérarchique sur les directeurs de chacune des filières et leurs services . Cette direction unique de police vise, selon la DGPN, à apporter des synergies, une rationalisation et une optimisation des moyens de la police nationale, au service d'un renforcement de sa gouvernance territoriale et de ses capacités opérationnelles en fonction des besoins, et notamment de la présence policière sur la voie publique. Le directeur unique de la police pourrait ainsi allouer les forces en fonction des priorités opérationnelles, par exemple la sécurité du quotidien, le démantèlement des trafics, la lutte contre l'immigration clandestine, etc .

Le DDPN serait placé sous l'autorité directe du préfet , dont il deviendrait l'interlocuteur naturel pour l'ensemble des sujets touchant à la police nationale, quelles que soient les filières concernées. Comme l'exprimait clairement le livre blanc en indiquant que « la réorganisation de la police nationale doit être l'occasion de réaffirmer l'autorité des préfets de département », la réforme envisagée est ainsi largement structurée autour de l'autorité du préfet de département.

Cette organisation serait déclinée au niveau zonal, selon des modalités qui restent à être précisées . Un directeur zonal de la police nationale serait ainsi institué ( DZPN ). Placé sous l'autorité du préfet de zone de défense et de sécurité, il en serait l'interlocuteur naturel pour les sujets qui concernent la police nationale. Il serait assisté, comme à l'échelon départemental, d'adjoints compétents pour chacune des filières métiers, relais des directions nationales et chargés d'assurer le pilotage stratégique de leur filière dans la zone, sur la base d'une autorité fonctionnelle - et non hiérarchique - sur les directeurs départementaux de filières. Le DZPN aurait quant à lui, vis-à-vis des DDPN une autorité dont il reste à déterminer les contours, ces derniers relevant avant tout de l'autorité des préfets de département.

(3) De premiers éléments de la réforme ont déjà été mis en oeuvre ou sont en cours d'expérimentation

À ce jour, deux premiers éléments de la réforme ont été mis en oeuvre.

D'une part, les directions centrales qui n'en étaient pas déjà dotées - dont la DCPJ - ont vu la création de directions zonales , dans un objectif global de déconcentration. S'agissant de la DCPJ, il s'agissait en particulier 73 ( * ) , selon la DGPN, de mettre davantage en adéquation leur organisation territoriale avec les ressorts territoriaux du ministère de l'intérieur et du ministère de la Justice, à prendre en compte l'évolution des bassins de criminalité pour améliorer la réponse opérationnelle et à optimiser le pilotage administratif, budgétaire et logistique des services territoriaux en mutualisant la gestion des ressources et des moyens au niveau zonal. À ce jour, les DZPJ répondent de l'autorité de la DCPJ, et non du préfet de zone de défense et de sécurité.

D'autre part, une nouvelle organisation de la police nationale a récemment été mise en place dans certains territoires ultramarins . Le décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 74 ( * ) a ainsi créé, à compter du 1 er janvier 2020, une direction territoriale de la police nationale (DTPN) dans trois territoires : en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Comme l'annonçait le livre blanc, ce modèle a été étendu à compter du 1 er janvier 2022 à d'autres territoires ultramarins par le décret n° 2021-1876 du 29 décembre 2021 75 ( * ) , à savoir la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, et la Polynésie française.

Cette nouvelle organisation, qui résulte directement de la proposition en ce sens formulée par le Livre blanc, qui la justifiait par « les nombreuses spécificités de ces territoires et leur isolement géographique », réunit au sein de la DTPN les différents corps de métiers de police dans chacun de ces territoires : sécurité publique, renseignement territorial, police aux frontières et police judiciaire.

Concrètement, en application de l'article 3 du décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 précité, le directeur territorial de la police nationale, nommé « par arrêté du ministre de l'intérieur parmi les fonctionnaires du corps de conception et de direction de la police nationale », est « sous réserve des dispositions du code de procédure pénale relatives à l'exercice des missions de police judiciaire , (...) placé sous l'autorité du préfet de département ou du représentant de l'État dans la collectivité ». S'agissant de la sécurité publique, du renseignement territorial et de la police aux frontières, « il est le conseiller » du préfet.

Une distinction est toutefois opérée pour ce qui concerne la police judiciaire. En effet, l'article 3 dudit décret précise que pour ce qui concerne les opérations de police judiciaire, le DTPN « pourvoit, sous la seule direction de l'autorité judiciaire, à [leur] exécution (...) par les services relevant de son autorité ».

Les DTPN ultramarines sont composées :

- d'un état-major commun, ce qui est favorable au partage d'information ;

- d'un service territorial de sécurité publique ;

- d'un service territorial de police aux frontières ;

- d'un service territorial de police judiciaire ;

- d'un service du renseignement territorial ;

- d'un service territorial du recrutement et de la formation ;

- et d'un service territorial de gestion des ressources ;

- éventuellement, d'un service territorial de recherche, assistance, intervention et dissuasion (RAID) 76 ( * ) .

Cette nouvelle organisation de la police nationale dans les territoires ultramarins ne répond, en réalité, pas uniquement à une volonté de s'adapter à des enjeux spécifiquement ultramarins, mais constitue de facto une préfiguration de la nouvelle organisation, avec d'éventuelles adaptations, dont le ministère de l'Intérieur et la DPGN souhaitent la mise en place sur l'ensemble du territoire national.

Cette organisation est aujourd'hui expérimentée dans plusieurs départements de l'Hexagone . Sont concernés huit départements : depuis janvier 2021, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales et la Savoie, et, depuis février 2022, le Calvados, l'Hérault, l'Oise, le Puy-de-Dôme et le Haut-Rhin.

Cette expérimentation, à la différence des territoires ultramarins, se fait à « droit constant », les personnels des quatre filières métiers restant rattachés à leur direction centrale d'origine, ce qui implique, comme le rappelle la DGPN, que sa réussite dépend en partie de la bonne volonté des effectifs de fonctionner selon un mode plus intégré.

2. Le projet de réforme affecte la DCPJ en l'intégrant à une nouvelle filière investigation plus large et en faisant dépendre ses services déconcentrés du nouveau directeur départemental de la police nationale

La réforme envisagée de l'organisation de la police nationale affecte la DCPJ, via son intégration à une large « filière investigation » et au placement de ses services déconcentrés sous l'autorité du nouveau directeur départemental de la police nationale (DDPN).

a) La création d'une filière investigation constitue une déclinaison de la réforme globale de la police nationale mais vise également à répondre à des problèmes qui sont spécifiques aux services de police judiciaire

Le projet de réforme de l'organisation de la police nationale prévoit la création d'une « filière investigation » regroupant en particulier les effectifs de la DCPJ et ceux de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) en charge de missions de police judiciaire 77 ( * ) . Cette filière investigation répondrait d'une certaine manière, dans l'esprit, à l'unité de la sous-direction de la police judiciaire (SDPJ) de la gendarmerie nationale.

La mise en place d'une telle « filière investigation » constitue une déclinaison de la volonté d'organiser la police nationale en différents métiers. Mais elle vise en réalité également à répondre à des enjeux spécifiques à l'investigation dans la police nationale. Elle part de ce point de vue de différents constats 78 ( * ) .

Tout d'abord, la création de la filière investigation vise à tirer les conséquences, selon la présentation de la DGPN, du fait que les services d'investigation de la DCSP traitent d'affaires dont un part relève d'un niveau de gravité et de complexité de même niveau que certaines affaires confiées à la DCPJ , y compris s'agissant de la grande criminalité. Même si la DCPJ traite en réalité en moyenne des dossiers beaucoup plus graves, complexes et spécialisés que la DCSP, la répartition des dossiers est en effet moins dichotomique que l'on pourrait le croire au premier abord 79 ( * ) . En outre, d'autres administrations s'investissent aussi dans les missions de police judiciaire, ce qui plaiderait selon la DGPN pour une unification de la filière investigation au sein de la police nationale.

Ensuite, il existe un déficit d'encadrement dans les services d'investigation de la DCSP (5 %) par rapport à ceux de la DCPJ (30 % 80 ( * ) ). Ainsi, la mise en place de la nouvelle filière permettrait, selon la DGPN, de faire bénéficier l'ensemble des enquêteurs de l'expérience et de la compétence des encadrants expérimentés et plus nombreux, en proportion, de la DCPJ.

En outre, et c'est là l'un des enjeux majeurs servant de justification centrale de ce volet de la réforme de la part de la DGPN, les taux d'élucidation des différentes catégories d'infractions par l'ensemble des services d'investigation de la police nationale sont source d'inquiétude , tant en termes de dynamique sur les dix dernières années qu'en comparaison des résultats de la gendarmerie nationale.

Les taux d'élucidation sont en effet globalement en baisse notable depuis une dizaine d'années pour l'ensemble de la police nationale , même s'il existe des exceptions 81 ( * ) . À titre d'exemple, entre 2010 et 2019, le taux d'élucidation a baissé de 12 points pour les violences non crapuleuses (de 76 % à 64 %), de 15 points pour les violences sexuelles (68 % à 53 %) et de 3 points pour les atteintes aux biens, pour s'établir au niveau très bas de 12 % dans ce domaine (contre 15 % en 2010).

Le différentiel de taux d'élucidation apparaît en outre important avec la gendarmerie nationale dans plusieurs domaines importants . Pour les violences physiques aux personnes, il est de 80,5 % pour la gendarmerie nationale contre 53 % pour la police nationale. De même, pour les atteintes aux biens, il est de 17,5 % pour la gendarmerie nationale contre 12 % pour la police nationale. Par ailleurs, s'agissant des escroqueries et infractions assimilées, il est de 46 % pour la gendarmerie nationale contre 30,5 % pour la police nationale.

Par ailleurs, hors infractions à la législation sur les étrangers, le nombre des personnes mises en cause par les services de police entre 2010 et 2019 a baissé de près de 9 %, soit 63 000 mis en cause en moins. À titre d'exemple, alors qu'en 2010, le ratio était d'une personne mise en cause pour 6,6 vols constatés, aujourd'hui ce ratio est d'un pour 8 82 ( * ) .

Alors que les taux d'élucidation par les services de la DCPJ tendent quant à eux en moyenne à légèrement progresser ces dernières années et le nombre de mis en cause par ses services à se stabiliser, la baisse d'efficacité globale de la mission d'investigation de la police nationale doit principalement être attribuée aux difficultés de la DCSP en matière de police judiciaire.

Comme développé supra , en charge de la très grande majorité des actes infractionnels, les services de la DCSP sont aujourd'hui engorgés . La DCSP fait en outre face à un phénomène de désaffection policière pour l'investigation qui la touche plus fortement que la DCPJ. Au final, le stock de dossiers à traiter par enquêteur apparaît aujourd'hui en moyenne très élevé, ce qui réduit mécaniquement leur efficacité. Alors que le nombre moyen de dossiers par enquêteur de la DCPJ était de 8 en 2021 (dont 5 pour les services centraux et 9 pour les services territoriaux), ce taux est considérablement plus élevé pour la DCSP. À titre d'illustration, dans le périmètre de compétence du parquet de Rennes, en 2022, le rapporteur spécial a pu constater qu'alors que le nombre de dossiers par officier de police judiciaire des services territoriaux de la DCPJ était relativement comparable à la moyenne nationale précitée, il atteignait près de 105 pour les effectifs de la DCSP, dont plus de 235 pour le commissariat de Fougères.

Enfin, le traitement des infractions économiques et financières est aujourd'hui insatisfaisant , étant inégal selon les ressorts, les champs infractionnels et les services compétents 83 ( * ) .

Or, cette situation globale dégradée de différents points de vue en matière d'investigation au sein de la police nationale doit être mise en regard avec le fait que sur la période de 2010 à 2019, le volume global de la délinquance traitée par les services de la police nationale a en réalité assez peu varié , avec une moyenne de 2,4 millions de crimes et délits enregistrés par an. En outre, de 2015 à 2020, les effectifs actifs consacrés à la mission de police judiciaire, hors personnels scientifiques et techniques, a augmenté, selon la DGPN , de 21% pour la DCSP, de 20 % pour la DCPJ et de 6 % pour la préfecture de police de Paris (dont 9 % pour la DSPAP et 1 % pour la DRPJ-PP), hors personnels techniques et scientifiques.

Dans ces conditions, la réforme vise à traiter de aspects organisationnels des services d'investigation pour en renforcer l'efficacité, notamment en unifiant les capacités, en améliorant la coordination des services en charge des enquêtes et en offrant à ces derniers un encadrement renforcé et un pilotage unique.

S'appuyant sur 23 000 enquêteurs, compétents du vol de vélo au trafic international de stupéfiants et pilotée par une direction nationale dédiée - qui se substituerait à la DCPJ -, l'objectif serait que la filière bénéficie de son unité et de structures communes.

b) Une filière investigation relevant au niveau déconcentré de l'autorité des nouveaux directeurs départementaux et zonaux de la police nationale

La DCPJ serait également concernée par l'autre grand volet de la réforme, celui de la création des directions départementales de la police nationale (DDPN) et des directions zonales de la police nationale (DZPN).

En effet, comme les trois autres filières (sécurité et la paix publiques, renseignement territorial, et frontières et immigration irrégulière), les services territoriaux de la DCPJ ont vocation à être intégrés dans ces nouvelles structures intégrées. Dans le cadre de ce nouveau fonctionnement, les services actuels de la DCPJ dépendraient, aux côtés de ceux de la DCSP compétents en matière de police judiciaire, d'un directeur de filière, lui-même sous l'autorité du directeur départemental de la police nationale (DDPN), à son tour soumis au préfet . Le schéma serait identique à l'échelon zonal.

Une telle réforme constituerait une évolution majeure pour les services territoriaux de la DCPJ , sous plusieurs aspects. Tout d'abord, ils seraient amenés à travailler de façon plus proche avec les services de la DCSP localement compétents, dans le cadre d'une filière commune et sous l'autorité de chefs communs. En outre, alors que ces services répondent aujourd'hui in fine de l'autorité de la DCPJ et de ses déclinaisons territoriales (directions zonales, directions territoriales et services de police judiciaire), compétentes hiérarchiquement et fonctionnellement sur eux, la nouvelle direction nationale de la filière judiciaire ne conserverait sur eux qu'une autorité fonctionnelle . L'autorité hiérarchique serait ainsi exercée par le DDPN , ce qui constitue une évolution majeure, source d'importantes inquiétudes développées infra . En outre, les moyens humains et matériels auraient également vocation à être gérés par la DDPN et, éventuellement, la DZPN, et non plus par la DCPJ et par ses déclinaisons territoriales.

B. LE PROJET DE RÉFORME ENVISAGÉ DOIT ENCORE ÊTRE MODIFIÉ S'AGISSANT DE LA POLICE JUDICIAIRE ET DOIT S'ACCOMPAGNER D'AUTRES MESURES

Le rapporteur spécial considère , comme cela est développé supra , qu'il est aujourd'hui nécessaire de réformer l'organisation de la police nationale.

Néanmoins les travaux qu'il a menés en amont de la publication du présent rapport l'amènent à considérer que les modalités de la réforme aujourd'hui envisagées posent d'importantes difficultés s'agissant de la police judiciaire, et en particulier de la DCPJ.

Les auditions et déplacements qu'il a conduits ont d'ailleurs été l'occasion de constater les doutes et inquiétudes fortes de la majorité des personnes rencontrées s'agissant de la police judiciaire.

Bien que dessiné sous la forme de propositions générales dès la publication du livre blanc de la sécurité intérieure en novembre 2020, le projet de réforme n'a probablement pas été assez concerté et discuté s'agissant de son volet judiciaire. Il a fait dans ce domaine l'objet d'un accueil en forme de tir de barrage, notamment de la part d'une partie des effectifs de la DCPJ, d'élus, de magistrats (dont certains de leurs plus éminents représentants), d'avocats et d'observateurs des sujets policiers.

Certaines modalités du projet de réforme initialement évoquées ont d'ailleurs été précisées ou ont fait l'objet de clauses de sauvegarde (distinction difficile à opérer en l'absence de formalisation écrite du projet initial de réforme). En outre, la vigilance du Parlement, et en particulier du Sénat et des rapporteurs de la commission des lois 84 ( * ) , a permis d'inscrire dans le rapport annexé à la très récente loi LOPMI 85 ( * ) , des mesures de sauvegarde importantes face aux risques engendrés par la réforme pour les services actuels de la DCPJ et donc pour la lutte contre le haut du spectre de la criminalité.

Il n'en demeure pas moins que la réforme proposée reste insatisfaisante s'agissant de la police judiciaire, notamment et surtout parce qu'elle s'appuie sur un échelon inadapté en la matière, le département, et qu'elle n'a pas su convaincre les personnels concernés. Ce projet de réforme fera l'objet d'une analyse complémentaire de la mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire de la commission des lois du Sénat 86 ( * ) .

En outre, la réforme devra être complétée par d'autres types d'évolutions, concernant notamment la dichotomie au sein de la police judiciaire entre la préfecture de police et le reste de la police nationale et de certains besoins en matériels et en termes de compétences des services en charge de la lutte contre le haut du spectre de la criminalité. En outre, il faudra répondre à l'engorgement des services de la DCSP, sans déshabiller la DCPJ, afin de renforcer globalement la filière judiciaire de la police nationale pour traiter avec efficacité tous les types de délinquance et de criminalité.

1. Le projet de réforme, trop peu concerté, suscite des inquiétudes pour partie tout à fait légitimes s'agissant de son volet relatif à la police judiciaire

Le projet de réforme, trop peu concerté initialement, a suscité et continue de susciter des inquiétudes pour ce qui concerne les missions et services dépendant aujourd'hui de la DCPJ et, plus largement, l'ensemble de la nouvelle filière investigation envisagée. Ces critiques et inquiétudes, dont une part est tout à fait fondée, sont de divers ordres.

a) Un manque de concertation de la réforme, notamment s'agissant de son volet relatif à la police judiciaire et en particulier à la DCPJ

Le projet de réforme de la police nationale ne peut certes pas être présenté comme étant une surprise apparue en 2022. En effet, des discussions et des concertations au sujet de la réforme de la police nationale et de l'investigation ont lieu depuis plusieurs années, y compris récemment dans le cadre de l'établissement du livre blanc sur la sécurité intérieure, finalement publié en novembre 2020, et à l'occasion du Beauvau de la Sécurité en 2021. Le livre blanc formulait ainsi l'essentiel de l'esprit de la réforme aujourd'hui envisagée.

Néanmoins, comme l'indiquait le livre blanc, un projet de réforme de cette ampleur générait mécaniquement une possibilité de « déstabilisation provisoire de l'institution, focalisée sur une réorganisation aussi profonde ». Face à ce risque, le livre blanc suggérait « qu'un dispositif d'accompagnement soit mis en place afin que les territoires et les effectifs soient associés et informés. En effet, l'adhésion des personnels sera le gage de la réussite de cette entreprise de régénération. »

Or, si des efforts ont été fournis en ce sens, le projet ayant notamment fait l'objet de premiers échanges avec les syndicats, ils n'ont pas été suffisants, loin de là, en particulier s'agissant du volet de la réforme relatif à l'investigation, qui suscite le plus de craintes et touche directement à l'avenir des missions et de leur exercice pour toute une administration, celle de la DCPJ. Cette situation a contribué à une exacerbation des craintes et inquiétudes, notamment de la part de ses effectifs, aboutissant à l'émergence d'un fort mouvement de contestation. Son apogée s'est matérialisé par un accueil houleux du directeur général de la police nationale par les services de la DCPJ de Marseille, conduisant finalement à ce que M. Éric Arella, directeur de la zone « sud » de la police judiciaire, soit démis de ses fonctions.

Si les discussions et la concertation ont finalement été renforcées courant 2022, il apparaît que le projet de réforme a fortement pâti de ses modalités initiales de conduite du changement.

b) Le risque d'une modification de l'équilibre des priorités entre la lutte contre le haut du spectre de la criminalité et celle contre la délinquance du quotidien et intermédiaire

L'une des principales inquiétudes de ce volet de la réforme est relative à ses effets sur les priorités qui seront fixées à la future filière investigation, en particulier à l'échelle locale.

En effet, comme cela a été développé supra , la DCSP connaît aujourd'hui d'importantes difficultés en matière de police judiciaire : elle est engorgée, présente des taux d'élucidation en baisse, tandis que ses enquêteurs souffrent d'un faible taux d'encadrement 87 ( * ) .

En outre, le traitement de la délinquance du quotidien, qui relève des services de la DCSP, fait l'objet d'une attention croissante de la part des responsables politiques et des citoyens. Dans son courrier du 30 août 2022, le DGPN indique d'ailleurs que « la lutte contre la petite et moyenne délinquance mérite qu'on lui accorde la même attention que celle portée aux affaires relevant de la criminalité organisée ou de la délinquance spécialisée ». Cette position peut se justifier au regard de l'impact sur les citoyens de la délinquance du quotidien et des difficultés de la DCSP à la traiter. Il convient néanmoins d'être prudent quant à une éventuelle modification de l'équilibre des priorités policières. Le rapporteur spécial rappelle en effet que le haut du spectre de la criminalité du quotidien continue de constituer une menace majeure pour la société française. Se propageant souvent à bas bruit, elle nourrit en réalité tant les crimes les plus graves que la violence du quotidien, notamment par les trafics qu'elle génère. En Belgique, le ministre de la Justice a d'ailleurs récemment fait l'objet, en septembre 2022, d'une tentative d'enlèvement vraisemblablement mise au point depuis l'étranger par des trafiquants de drogue 88 ( * ) . Si les moyens affectés à la lutte contre le haut du spectre de la criminalité n'étaient pas maintenus, de tels risques pourraient malheureusement potentiellement se concrétiser en France. En outre, la criminalité organisée se renforcerait, générant dans la foulée une hausse de l'ensemble de la délinquance, y compris du quotidien.

Il n'est pas déraisonnable de penser que la mise en place d'une filière investigation puisse s'accompagner d'une tendance à affecter davantage qu'auparavant les services dépendant aujourd'hui de la DCPJ sur des dossiers moins graves, complexes ou spécialisés afin de répondre plus fortement à la délinquance du quotidien et désengorger les services de la DCSP . Une telle tendance s'accompagnerait mécaniquement d'une réduction du temps disponible pour lutter contre le haut du spectre de la criminalité, ce qui pourrait générer des effets négatifs d'autant plus rapides que les criminels s'adaptent très rapidement aux priorités policières, y compris à l'échelle européenne.

Un tel risque est renforcé par le fait que les services dépendant actuellement de la DCPJ dans les territoires seraient désormais soumis à l'autorité du nouveau DDPN (ou du DZPN au niveau zonal), compétent hiérarchiquement sur les différentes filières et répondant lui-même à l'autorité du préfet. Dans une telle organisation, le préfet pourrait en effet être tenté de s'inspirer de la forte autorité qu'il exerce déjà aujourd'hui vis-à-vis du directeur départemental de la sécurité publique (dans ses missions de paix et sécurité publiques) pour la reproduire demain sur la filière judiciaire, y compris sur la partie du « haut du spectre » de la criminalité qui relève aujourd'hui des services de la DCPJ. Et ce, afin de privilégier l'affectation des effectifs à la prévention et au traitement de la délinquance du quotidien, qui constituent des éléments d'attention majeurs pour le préfet, par rapport à des affaires plus complexes et spécialisées, qui dépassent en outre très souvent le cadre géographique d'un département. Le fait que la DRPJ-PP, soumise hiérarchiquement au préfet de police, traite d'ailleurs d'un spectre de dossiers plus large que les services de la DCPJ dans le reste du territoire 89 ( * ) peut contribuer également à nourrir ce type d'inquiétudes.

Il convient toutefois de noter que l'autorité judicaire ne perdra pas ses prérogatives de principe de choix du service enquêteur et continuera de décliner la politique pénale du Gouvernement et d'être l'autorité compétente pour diriger l'action des forces de police judiciaire, ce qui limitera de fait les marges de manoeuvre du préfet. Concrètement, le dialogue qui s'opère localement entre les procureurs, responsables de la politique pénale à l'échelle locale, et le préfet, responsable de la politique de sécurité publique - qui n'est jamais véritablement étrangère à la lutte contre la délinquance, en particulier du quotidien - sur l'affectation des moyens d'investigation se poursuivra, mais dans des conditions plus favorables au préfet que précédemment.

Le rapporteur spécial considère évidemment qu'il est indispensable d'accorder une grande attention à la délinquance du quotidien et intermédiaire, traitée par la DCSP. L'engorgement actuel de ces services et le baisse de leur taux d'élucidation doivent être endigués. En revanche, cela ne peut se faire au prix d'une baisse des moyens mobilisés en faveur de la lutte contre le haut du spectre de la criminalité. La création d'une filière investigation devrait donc se faire dans des modalités telles qu'elle ne mène pas à une telle évolution.

Il convient d'ailleurs de ce point de vue de se garder de la tentation d'opposer caricaturalement les services de la DCPJ et de la DCSP. En effet, au cours des différentes auditions menées, le rapporteur spécial a souvent constaté que les effectifs de la DCPJ étaient régulièrement présentés comme des « seigneurs », voire des « nantis », quand d'autres y voient une « élite », par opposition à une DCSP moins valorisée. Une telle opposition nourrit les logiques conflictuelles, alors qu'il n'y a finalement pas de fonction plus importante que l'autre. En outre, cette opposition pourrait finalement contribuer à décrédibiliser les inquiétudes exprimées par les effectifs de la DCPJ, au motif qu'ils chercheraient à protéger un pré-carré. Or, il est bien nécessaire de s'assurer que l'organisation mise en place garantira la préservation des moyens de lutte contre le haut du spectre de la criminalité, de même qu'elle permettra de lutter contre la délinquance du quotidien et la délinquance intermédiaire.

c) La réforme de la police nationale s'appuie globalement sur l'échelon départemental, qui se révèle inadapté à la lutte contre le haut du spectre de la criminalité

Le projet de réforme présente une autre source de critiques s'agissant de son échelon privilégié, à savoir le département . En effet, si cet échelon correspond peut-être aux enjeux de sécurité et de paix publique, au traitement de la délinquance du quotidien (DCSP), voire au maintien de l'ordre (DCCRS), d'autant plus qu'ils coïncident peu ou prou avec les compétences matérielles et géographiques du préfet, il en va tout à fait différemment du haut du spectre de la criminalité prise en charge par les services de la DCPJ, en particulier la criminalité organisée.

En effet, les ramifications de ce type de criminalité sont bien plus larges que le département. La création des brigades du Tigre, dont les services de la DCPJ sont les héritiers, visait d'ailleurs justement à répondre à une criminalité de plus en plus mobile, équipée et violente 90 ( * ) , constat qui apparait renforcé un siècle plus tard.

Le rapporteur spécial considère, comme beaucoup des interlocuteurs qu'il a rencontrés, que l'application du cadre départemental du projet de réforme globale apparaîtrait finalement à la fois anachronique et largement inadaptée pour ce qui concerne les missions relevant aujourd'hui de la DCPJ et destinées à être intégrées à la filière investigation .

L'échelon départemental pose en outre des problèmes très concrets. La DCPJ est en effet aujourd'hui structurée au niveau déconcentré en directions zonales (DZPJ), en directions territoriales de police judiciaire (DTPJ, au niveau régional) et en services de police judiciaire (SPJ). Ainsi, même le niveau le plus déconcentré des SPJ dépasse le cadre départemental, ces derniers ayant une compétence sur plusieurs départements, selon une logique de traitement de bassins de criminalité. Dans ces conditions, il existe un risque, en l'absence de garde-fou, que les SPJ implantés dans un département mais compétents dans plusieurs autres se voient incités voire contraints par le nouveau DDPN de leur lieu d'implantation de concentrer leur action dans son département, ce qui générerait d'importantes difficultés pour les départements voisins.

Si la DGPN a précisé récemment que le cadre départemental ne serait pas exclusif pour la mise en oeuvre de ces missions, le cadre zonal étant en partie maintenu dans certains cas 91 ( * ) , il n'en demeure pas moins que l'échelon départemental reste central dans la réforme alors qu'il n'est pas adapté dans ce domaine.

d) Le risque évoqué d'une réduction de la portée concrète du principe du choix souverain par l'autorité judiciaire du service enquêteur

Des représentants de magistrats ont fait part de leur inquiétude quant au caractère effectif, en cas de mise en oeuvre du projet de réforme, du libre choix du service enquêteur par l'autorité judiciaire.

Si le principe du choix souverain par les magistrats du parquet du service d'investigation, y compris au sein des services de la police nationale, n'est pas remis en cause par la réforme, la crainte formulée est que l'établissement d'une filière judiciaire aboutisse à une dilution des différents services existants aujourd'hui, et en particulier de la distinction entre services spécialisés sur le haut du spectre de la criminalité et les autres. Une telle situation limiterait de facto la portée du choix offert au magistrat, en tous cas au sein de la police nationale.

Une telle inquiétude résulte in fine du souhait des magistrats de continuer de disposer de la forte compétence des effectifs actuels de la DCPJ sur les dossiers les plus graves, complexes ou spécialisés. Selon les termes de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, les magistrats craignent que la réforme conduise à « détruire quelque chose qui fonctionne », la DCPJ, dont les services seraient, selon un constat particulièrement sévère pour les autres services d'investigation, « les seuls qui sont arrivés à garder la qualité dans les enquêtes ».

e) Un risque d'interférence préfectorale - et politique - dans certains dossiers de police judiciaire qui est en réalité très limité

Si, jusqu'ici le représentant local de la DCPJ échange fréquemment avec le préfet , le plus souvent à l'occasion de réunions communes avec les représentants de la DCSP, de la DCPAF et de la DCCRS, il n'informe le préfet que de ce que ce dernier « a à en connaître » , selon l'expression utilisée par le préfet du Rhône, M. Pascal Mailhos, lors de son audition. Il l'informe par exemple des opérations de police judiciaire d'ampleur susceptibles d'affecter la sécurité publique, par exemple les interpellations de personnes dangereuses en fuite. De même, si la relation est naturellement beaucoup plus étroite entre le préfet et le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP), dont l'essentiel des missions entre dans le champ des compétences matérielles du préfet, le préfet ne cherche pas à interférer dans le traitement des dossiers relevant des missions de police judiciaire de la DDSP.

La crainte évoquée par certains est qu'à l'issue de la réforme, cette situation évolue. En établissant l'autorité du nouveau DDPN sur la nouvelle filière judiciaire et donc sur les services actuels de la DCPJ, le projet de réforme offrirait au préfet une possibilité d'interférence - sous une hypothétique pression politique locale ou nationale - dans certains dossiers sensibles de police judiciaire , par exemple ceux qui concernent la probité des élus. Ce risque semble en réalité limité . Au sein de la préfecture de police de Paris, le préfet de police dispose d'ailleurs d'une autorité hiérarchique sur le directeur régional de la police judiciaire, selon un schéma qui ressemble de ce point de vue à celui qui serait mis en place au niveau de l'ensemble des départements français de l'hexagone. Or, la DRPJ-PP ne connaît pas d'interférence de la part du préfet de police dans la gestion des enquêtes judiciaires.

Par ailleurs, le cadre réglementaire qui serait mis en place par la réforme devrait logiquement s'inspirer de celui applicable dans les directions territoriales de la police nationale (DTPN) dans les outre-mer. Or ce dernier énonce que si le DTPN est, en matière de sécurité publique, de renseignement territorial et de police aux frontières le « conseiller » du préfet de département, il en va différemment pour ce qui concerne les opérations de police judiciaire, pour lesquelles il « pourvoit, sous la seule direction de l'autorité judiciaire, à [leur] exécution (...) par les services relevant de son autorité » 92 ( * ) .

Enfin, il convient de rappeler qu'il fait partie de la culture administrative des préfets d'avoir connaissance et conscience des limites de leurs fonctions et des compétences de l'autorité judiciaire. En outre, à toutes fins utiles, des garde-fous supplémentaires ont été ajoutés dans le cadre de la réforme, afin de limiter les hypothétiques risques en la matière 93 ( * ) .

f) Un bilan de la nouvelle organisation de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations dans certains départements de l'hexagone reste à être fourni

La mise en place des directions territoriales de la police nationale (DTPN) dans les outre-mer et l'expérimentation des nouvelles DDPN dans huit départements de l'hexagone font l'objet de retours divergents de la part de la DGPN et de différents représentants du personnel.

D'un côté, la DGPN, qui en fait globalement un bilan très positif, indique que cette nouvelle organisation a permis un renforcement de l'efficacité de la police nationale , notamment en améliorant la coordination et l'échange d'informations entre toutes ses composantes, en optimisant la présence des effectifs sur le terrain et en valorisant et en partageant les compétences et le savoir-faire de chacun. En outre, la DGPN indique que la mise en place d'un état-major départemental commun aux forces de police, permettant un partage exhaustif des informations entre les filières, a renforcé la capacité à déployer une stratégie globale à l'échelle du territoire. À titre d'exemple, un processus simplifié de diffusion des notes du service de renseignement territorial à la filière investigation par l'état-major commun et un accroissement global du partage d'informations ont permis d'alimenter des enquêtes en judiciarisant des éléments fournis par le service de renseignement territorial. En outre, des opérations associant mieux les diverses spécialités de la police ont pu être mises en oeuvre, selon la DGPN.

D'un autre côté, des représentants du personnel, et notamment certains syndicats et l'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ), ont souligné des difficultés apparues lors de la mise en oeuvre de ces expérimentations , voire des dérives fonctionnelles consistant à affecter aux services de la DCPJ des dossiers ou missions qui ne relèvent normalement pas de ces services. Selon un représentant de l'Association nationale de police judiciaire (ANPJ) 94 ( * ) , dans l'Oise, les services de la DCPJ auraient été co-saisis avec ceux de la DCSP sur certains dossiers pour pouvoir garantir l'accomplissement des missions dans un délai raisonnable, tandis qu'en Savoie, le préfigurateur de la DDPN aurait refusé d'appliquer l'orientation pénale du procureur sur les affaires de blanchiment. En outre, les services de la DCPJ de Chambéry seraient, toujours selon l'ANPJ, désormais systématiquement saisis des violences intrafamiliales, tandis qu'en Guyane, les services de la DCPJ auraient été mis à` contribution pour des missions parfois éloignées de leur périmètre habituel.

Le rapporteur spécial constate tout d'abord que les départements concernés par les expérimentations ne couvrent pas les départements les plus peuplés ou connaissant les enjeux de criminalité les plus aigus , ce qui aurait pourtant été intéressant pour juger de l'opportunité de la réforme, en particulier s'agissant de la police judiciaire. Par ailleurs, il sera nécessaire pour en faire un bilan d'attendre que la mission d'évaluation du bilan de la création des DTPN dans les outre-mer et des expérimentations des DDPN, qui a été confiée à l'Inspection générale de l'administration et à l'Inspection générale de la police nationale (l'Inspection générale de la justice y étant associée en ce qui concerne les relations entre les autorités judiciaires et la police judiciaire) rende ses conclusions définitives.

2. Le projet de réforme, qui a fait l'objet d'évolutions, n'est néanmoins pas satisfaisant en l'état et devra en outre être accompagné rapidement d'autres mesures

Face aux inquiétudes relatives à la police judiciaire, la réforme a fait l'objet de précisions ou de clauses de sauvegarde, ainsi que de déclarations visant à rassurer les effectifs. En outre, le Parlement a inscrit dans le rapport annexé à la très récente loi LOPMI 95 ( * ) des mesures de sauvegarde importantes face aux risques engendrés par la réforme pour les services actuels de la DCPJ et donc pour la lutte contre le haut du spectre de la criminalité. Néanmoins, la réforme reste insatisfaisante en l'état et doit être modifiée. En outre, elle devra s'accompagner rapidement d'autres types de mesures.

a) Le projet de réforme a fait l'objet de précisions ou de clauses de sauvegarde s'agissant de la police judiciaire

Face aux inquiétudes et aux risques effectifs de la réforme s'agissant de son volet relatif à l'investigation, la DGPN et le ministère de l'Intérieur ont apporté des précisions ou des clauses de sauvegarde au projet de réforme.

Premièrement, afin de répondre aux inquiétudes quant au risque de moindre priorisation, par rapport à aujourd'hui, de la lutte contre le haut du spectre de la criminalité, il a été précisé que les effectifs dépendant aujourd'hui de la DCPJ ne seront pas mis à contribution pour traiter des enquêtes aujourd'hui dévolues aux effectifs de la DCSP, ni pour traiter les dossiers en stock de cette dernière . Le DGPN a ainsi précisé que l'ambition du projet de réforme « n'est donc pas de remettre en question ce qui fonctionne bien, mais de pouvoir s'appuyer sur l'expertise de la DCPJ pour en faire bénéficier tous les services d'investigation ». Les effectifs de la DCPJ continueraient de travailler sur le même type de dossiers, en s'appuyant sur le soutien logistique de la nouvelle DDPN. En outre, aucun agent de la DCPJ ne serait contraint de changer de métier ou de résidence administrative

Une doctrine de la police judiciaire , actuellement en cours d'élaboration et dont le caractère important a été souligné par de nombreuses personnes auditionnées par le rapporteur spécial, viendra préciser l'organisation et le fonctionnement de la filière investigation, identifier ses missions et garantir notamment la préservation du temps long nécessaire à l'aboutissement des affaires graves, complexes ou spécialisées. Concrètement, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, dans l'hypothèse dans laquelle un DDPN aurait la tentation d'affecter les services relevant actuellement de la DCPJ sur des dossiers ou des tâches relevant plutôt des effectifs de sécurité publique ou de les monopoliser pour les dossiers relevant de son propre département au détriment des départements voisins, le directeur départemental de la filière judiciaire pourrait saisir le directeur de la filière au niveau zonal, qui pourrait à son tour saisir son directeur zonal de la police nationale afin de mettre fin à la situation. Il est toutefois rappelé que l'autorité du DZPN sur le DDPN reste à définir, ce dernier dépendant avant tout du préfet de département. En outre, la direction nationale de la police judiciaire aura la responsabilité de l'application et du respect des termes de la doctrine. Néanmoins, là encore, il convient de noter que cette dernière ne disposera pas de l'autorité hiérarchique sur ses services territoriaux pour s'en assurer, ce qui implique qu'il y ait une volonté d'assurer le respect de la doctrine de la part des DDPN et des DZPN.

En outre, pour s'assurer que les DDPN soient personnellement intéressés aux attentes de l'autorité judiciaire, le projet de réforme prévoit désormais que le futur DPPN serait noté non seulement par le préfet mais également par les procureurs. En outre, la DGPN insiste également sur le fait que le poste de DDPN ne sera pas systématiquement dévolu à l'actuel directeur départemental de la sécurité publique (DDSP), mais pourra également être pourvu par une personne issue de la DCPJ ou d'une autre direction.

Deuxièmement, il a été rappelé que la future direction nationale de la police judiciaire conservera les mêmes structures centrales , notamment les offices centraux qui continueront de s'appuyer sur les antennes déconcentrées. En outre, la DGPN s'est engagée à ce que l'échelon zonal reste l'échelon privilégié pour la lutte contre la criminalité organisée . Par ailleurs, le Parlement a inscrit dans le rapport annexé à la loi LOPMI que l'échelon zonal devra être privilégié également pour le traitement de la criminalité complexe ou présentant une particulière gravité.

En outre, il a été décidé que la cartographie territoriale des services de la DCPJ, qui ne s'appuie pas sur l'échelon départemental, serait préservée et adaptée aux bassins de criminalités et qu'aucun service ne serait supprimé. Les enquêteurs continueront à pouvoir agir en dehors de leur territoire d'affectation sur la base de leurs compétences judiciaires zonales ou nationales, selon le cas.

Troisièmement, afin de rassurer et prévenir tout risque d'interférence des préfets - par exemple sous une hypothétique pression politique - dans des dossiers d'enquêtes judiciaires sensibles, il est prévu que les dossiers relatifs à la probité des élus soient traités à l'échelon zonal.

La vigilance du Parlement dans le cadre de la réforme de la police nationale l'a conduit dans le cadre de l'examen du projet de loi LOPMI, notamment à l'initiative des rapporteurs de la commission des lois du Sénat 96 ( * ) à l'occasion de la commission mixte paritaire, à inscrire dans le rapport annexé de la loi plusieurs mesures de sauvegarde formalisant et complétant les engagements pris par la DGPN et le ministère de l'Intérieur s'agissant de la DCPJ.

Le rapport annexé à la loi précise ainsi notamment qu'« aucun policier affecté à la direction centrale de la police judiciaire ne sera conduit, par cette réforme, à changer de direction ou de mission sans son accord. Cette réforme garantira une filière judiciaire plus efficace afin de répondre tant aux enjeux de la délinquance de proximité qu'aux graves menaces liées à la criminalité organisée . Conformément aux articles 12 et 12-1 du code de procédure pénale, les magistrats conserveront le libre choix du service enquêteur . Cette réforme s'effectuera sans modifier la cartographie des services exerçant des missions de police judiciaire au sein de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) : le maillage territorial actuel sera maintenu et adapté aux évolutions des bassins de délinquance, aucun service de police judiciaire n'étant supprimé. Les offices centraux seront conservés et confortés par des antennes locales . Les offices centraux et l'échelon zonal seront privilégiés pour le traitement de la criminalité organisée, complexe ou présentant une particulière gravité . Pour assurer ses missions, l'échelon zonal de la police judiciaire disposera de moyens humains et budgétaires propres afin de garantir le bon traitement de ces infractions graves et complexes . » Il précise également, dans sa version adoptée par le Parlement, qu' « au niveau départemental, le pilotage en fonction des priorités sera affirmé par la généralisation des directions uniques de la police nationale, appelées directions départementales de la police nationale (DDPN), sous réserve des spécificités de la police judiciaire ».

b) Le projet de réforme doit être modifié s'agissant de la police judiciaire

Le rapporteur spécial considère que les modalités actuelles du projet de réforme, dans son volet investigation et en particulier concernant la DCPJ, ne sont pas satisfaisantes. En particulier, le projet de réforme a été trop peu concerté et voit ses chances de réussite de sa mise en oeuvre d'ores et déjà profondément réduites par le manque d'adhésion des personnels, tandis que l'échelon départemental, central dans la réforme, apparaît anachronique et inadapté dans ce domaine. D'autres risques, développés supra , doivent en outre être relevés.

Si des évolutions du projet de réforme sont venues tempérer certains des risques qu'il engendrerait en matière de police judiciaire, ces clauses de sauvegarde peuvent également être interprétées comme autant d'indices des écueils structurels de la réforme proposée, auxquels il n'est aujourd'hui pas pleinement répondu. Il en résulte finalement autant de limites aux ambitions globales de la réforme, dont l'objet était notamment d'unifier les services d'investigation, d'assurer l'autorité d'un DDPN compétent pour affecter les forces disponibles selon les besoins identifiés localement, ou encore de rationaliser les structures préexistantes. La nouvelle organisation proposée - qu'elle résulte du projet de réforme initiale ou de précisions ultérieures - entraîne en outre sur certains points une certaine complexité, notamment s'agissant des modalités concrètes de mise en oeuvre d'une nouvelle doctrine d'investigation, de la nécessité de mettre en place des garde-fous à l'autorité du DDPN, ou concernant les modalités d'évaluation de ce dernier par exemple. De même, la décision évoquée de maintenir finalement certains services de police judiciaire au sein de la DCPAF (en particulier les brigades mobiles de recherche) et sous son autorité hiérarchique directe et non au sein de la future direction nationale de la police judiciaire 97 ( * ) , au motif d'une nécessaire connaissance spécialisée sur les filières, sur les réseaux de passeurs ou sur la fraude documentaire, témoigne de la difficulté à assurer la lisibilité et la cohérence de la réforme telle qu'envisagée initialement s'agissant de la filière investigation.

Le projet de réforme, dont il est prévu la mise en oeuvre s'agissant de la création des directions nationales début 2023 et dans son ensemble d'ici fin 2023 , au motif qu'il est attendu que l'année 2024 soit exigeante pour les forces de sécurité 98 ( * ) , doit finalement être modifié.

Tant le directeur général de la police nationale, M. Frédéric Veaux, que le directeur central de la police judiciaire, M. Jérôme Bonet, sont des figures très respectées et des fins connaisseurs de la DCPJ , direction dont ils sont tous deux issus. Le rapporteur spécial considère donc qu'ils sont en mesure de proposer de nouvelles modalités de la réforme s'agissant de la police judiciaire selon une déclinaison de possibilités pouvant aller de l'exclusion de la DCPJ du périmètre de la réforme en maintenant son autonomie, à la création d'une filière investigation regroupant les effectifs de la DCPJ et les effectifs de police judiciaire de la DCSP, mais selon une organisation autonome, avec des services rattachés directement à une direction « centrale » ou « nationale » disposant d'une autorité hiérarchique sur eux.

En outre, la réforme doit encore être précisée sur plusieurs points, au-delà même d'ailleurs de la police judiciaire.

En premier lieu, la nouvelle cartographie budgétaire reste à être présentée avec précision. Elle revêtira une importance fondamentale dans la mise en oeuvre de la nouvelle organisation de la police nationale, soit en donnant corps à l'autorité des nouveaux DDPN et DZPN et en réduisant ainsi drastiquement celle des futures directions nationales, soit au contraire en réduisant les marges de manoeuvre réelles desdits nouveaux directeurs. S'agissant des services de la DCPJ, il est notamment très important que des moyens budgétaires propres leur soient attribués, aux différents échelons, ce qui ne correspond pas à l'esprit initial de la réforme.

Plus largement, les gains ou coûts budgétaires de la réforme doivent être davantage pris en compte dans le processus de décision des modalités de celle-ci . De ce point de vue, le rapporteur spécial s'étonne d'ailleurs que le projet de loi de finances pour 2023, qui portait sur l'année de mise en oeuvre prévue de la réforme, n'ait pas fourni de prévisions quant à ses conséquences budgétaires. De même, il n'a pas obtenu de réponse précise sur ce point de la part de la DGPN dans le cadre de son questionnaire.

En deuxième lieu, comme l'indique la DGPN elle-même, cette réforme doit s'appuyer, notamment à l'occasion de la création de « filières métiers », sur une rénovation de la gestion des ressources humaines , en particulier pour les effectifs affectés en services déconcentrés. Or, les précisions ne sont encore qu'assez peu nombreuses en la matière.

En troisième lieu, le rapporteur spécial insiste également sur la nécessité de prendre en compte, de manière pragmatique, les contraintes concrètes qui doivent être intégrées dans la conception de toute réforme organisationnelle. Il en va en particulier ainsi des enjeux immobiliers, qui ne sont au demeurant pas sans conséquence budgétaire.

En effet, la mise en place de nouvelles filières métiers et a fortiori d'un nouveau directeur départemental unique de la police nationale, suppose de pouvoir s'appuyer notamment sur des locaux qui favorisent l'exercice de sa mission. Or, lors de ses déplacements, le rapporteur spécial a constaté l'éclatement actuel de l'implantation de services qui auraient vocation demain à être rapprochés au sein de filières communes et sous l'autorité d'un directeur départemental unique . Une telle situation pourrait constituer un frein très concret à l'effectivité de la réforme. Plus largement, le rapporteur spécial insiste sur la nécessité de s'interroger et d'assurer une concertation sur les modalités matérielles de mise en oeuvre de la réforme (ou des ajustements de la réforme à prévoir), s'agissant notamment du rapprochement géographique des différents services, de l'emplacement du bureau des futurs DDPN, des personnels qui lui seront affectés, des moyens pour lui d'être visible de l'ensemble des services, etc .

En dernier lieu, divers enjeux restent à être clarifiés, en particulier s'agissant de la répartition des rôles de différents acteurs ayant des compétences en lien avec la police nationale, à la suite de la création des nouvelles fonctions de DDPN et de DZPN . À titre d'exemple, le rôle du DZPN vis-à-vis des DDPN, en principe soumis avant tout à l'autorité du préfet de département, devra être clarifié. Il en va de même s'agissant de leurs adjoints, pour chaque filière. En outre, il conviendra de clarifier la répartition respective des rôles, au niveau zonal, entre les secrétaires généraux des SGAMI, les DZPN et les préfets délégués à la défense et à la sécurité et éviter les éventuels doublons de compétences. Enfin, il conviendra de faire en sorte, si la réforme est mise en oeuvre, que le DDPN exerce effectivement, hors le cas de la police judiciaire, ses prérogatives de chef unique ; il serait en effet profondément dommageable pour le succès de la nouvelle organisation qu'il ne se révèle qu'être un échelon de plus, coincé entre les directeurs de filière et le préfet, lequel s'implique structurellement plus que par le passé sur les sujets policiers.

c) La réforme devra être complétée par d'autres mesures essentielles concernant la police judiciaire et en particulier la DCPJ

Le débat sur le projet de réforme organisationnelle de la police nationale ne doit pas occulter le fait que cette dernière ne traite pas de tous les enjeux, développés supra , qui concernent aujourd'hui la DCPJ et l'ensemble de la filière investigation de la police nationale.

Tout d'abord, le projet de réforme, qui a une vocation nationale et vise à apporter une modification profonde à l'organisation de la police nationale, n'inclut pourtant pas dans son périmètre la préfecture de police de Paris. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, la réforme pourrait, après avoir été mise en oeuvre au niveau national, être appliquée dans un second temps à la préfecture de police de Paris, selon des modalités qui ne sont pas connues. Comme cela a été développé supra , il conviendrait logiquement que la nouvelle organisation de la police nationale, si elle est mise en oeuvre, couvre le périmètre de la préfecture de Paris 99 ( * ) .

Ensuite, le projet actuel de réforme organisationnelle ne saurait suffire à répondre aux enjeux auxquels font face les services d'investigation.

D'une part, il importe de s'assurer que les services de la DCSP et de la DCPJ disposent des moyens en effectifs, en formations, en compétences extérieures et en matériels à la hauteur des défis toujours plus graves et sophistiqués auxquels ils font face. Comme le rapporteur spécial l'a développé supra , les moyens annoncés par la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur ( LOPMI ) 100 ( * ) devront notamment être orientés en ce sens, sans subir un effet d'éviction au profit des dépenses de personnel, en particulier catégorielles, comme cela est trop souvent constaté. Le rapporteur spécial se félicite d'ailleurs qu'à la demande du ministre de l'Intérieur, le directeur général de la police nationale a précisé que les capacités opérationnelles spécialisées dont dispose aujourd'hui la DCPJ (équipements de pointe, brigades de recherche et d'intervention, cyber, etc .) seront renforcées au service de l'ensemble des services d'investigation.

D'autre part, il convient de répondre à la désaffection de la fonction d'investigation au sein de la police nationale, en particulier au sein de la DCSP, sans pour autant déshabiller la DCPJ . Cela nécessitera notamment de valoriser les carrières concernées, de simplifier la procédure pénale, de déployer des outils numériques qui simplifient réellement le travail des enquêteurs, d'avoir recours à des personnels assistant les enquêteurs sur les tâches les plus simples, de recruter d'avantage d'officiers de police judiciaire pour limiter le stock de dossiers par enquêteur, et de renforcer le taux d'encadrement des enquêteurs.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 1 er février 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Philippe Dominati, rapporteur spécial, sur la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

M. Claude Raynal , président . - Nous allons entendre maintenant la communication de M. Philippe Dominati, rapporteur spécial des crédits de la mission « Sécurités », sur la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

M. Philippe Dominati , rapporteur spécial . - Dans le contexte du projet de réforme de l'organisation de la police nationale, la police judiciaire a récemment été mise sous le feu des projecteurs. Mais la mission que la commission m'a confiée sur la direction centrale de la police judiciaire a, en réalité, été lancée bien en amont. C'est donc naturellement que mon objectif, dans le cadre du contrôle, a d'abord été d'examiner globalement les missions, les moyens et l'efficacité de la DCPJ et de ses différents services, en l'état de l'organisation de la police nationale.

C'est sur la base de cet examen global, détaché de l'actualité brûlante, que j'ai pu ensuite procéder à une analyse de la réforme envisagée pour ce qui concerne son volet relatif à la police judiciaire. Il me semble que cette méthode garantit une certaine solidité de l'analyse.

Je me permets de commencer par définir la notion de « police judiciaire ».

Alors que la police administrative vise à maintenir l'ordre et à prévenir la commission d'infractions, la police judiciaire renvoie à l'inverse à la partie répressive de la fonction policière. Elle consiste à rechercher ou à constater les infractions, à en rassembler les preuves, à en déterminer les auteurs et à livrer ces derniers aux tribunaux, qu'il s'agisse d'un vol de vélo ou d'un trafic international de stupéfiants.

La mission de police judiciaire incombe aux personnels habilités à exercer ces fonctions, en particulier les officiers de police judiciaire (OPJ). Plusieurs services sont compétents en France en la matière. Outre la police nationale, la gendarmerie nationale est compétente dans sa zone, tout comme des services relevant d'autres ministères s'agissant de certains types d'infractions, notamment fiscales, douanières ou environnementales.

Dans tous les cas, les personnels concernés dépendent administrativement du pouvoir exécutif, mais sont placés fonctionnellement sous la direction directe de l'autorité judiciaire - le procureur ou le juge d'instruction - dans l'accomplissement de leurs missions. C'est d'ailleurs le magistrat du parquet qui décide du choix du service d'investigation, même si des critères de répartition des dossiers entre services s'appliquent.

Ces éléments étant précisés, je vous propose de vous livrer en cinq points mon analyse sur la direction centrale de la police judiciaire et sur la réforme envisagée.

Mon premier point vise à présenter et à mettre en perspective le travail opérationnel de la DCPJ.

Contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser penser, la direction centrale de la police judiciaire ne constitue qu'un service parmi d'autres en charge des missions de police judiciaire, même au sein de la seule police nationale. Dans le périmètre de cette dernière, ce sont en réalité les services généralistes de la direction centrale de la sécurité publique, la DCSP, qui traitent l'essentiel de la masse des affaires judiciaires, en particulier la délinquance du quotidien et la criminalité d'intensité moyenne. Il faut aussi mentionner, au sein de l'organisation autonome de la préfecture de police de Paris, la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne, la DSPAP.

Les services de la DCPJ traitent finalement, à l'échelle nationale, moins de 1 % des crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie nationales. À titre de comparaison, la direction centrale de la sécurité publique en traite 45 %.

Ces équilibres se reflètent dans le nombre de dossiers traités par officier de police judiciaire en fonction des services. Le nombre moyen de dossiers par OPJ est de huit dans les services de la DCPJ. Pour ce qui concerne les services de la DCSP, ce nombre est beaucoup plus élevé : dans le périmètre du parquet de Rennes, en 2022, ce taux atteignait 105 dossiers par OPJ, et même 235 pour le commissariat de Fougères. Pour mémoire, alors que les missions de police judiciaire occupent 46 161 emplois au sein de la police nationale, toutes directions confondues, les effectifs de la DCPJ s'élèvent à 5 673 personnes.

Mais si la DCPJ traite d'une part marginale de la criminalité d'un point de vue statistique, elle a la charge de la criminalité la plus grave, la plus complexe et la plus sophistiquée pour l'ensemble des types d'infractions. C'est ce qui fait souvent dire qu'il s'agit d'une police d'élite. Certains parlent même de « seigneurs » de la police, voire de « nantis ». Une sorte de clivage prévaut ainsi au sein de la police judiciaire entre la DCPJ et la DCSP.

Mon deuxième point concerne les moyens et l'efficacité des services de la DCPJ. Ses moyens semblent globalement satisfaisants. Partout où je me suis rendu, mes interlocuteurs m'ont indiqué qu'ils avaient les moyens de remplir leur mission.

Je relève néanmoins des besoins dans certains domaines, notamment s'agissant du rajeunissement du parc automobile, âgé de 5,7 ans en moyenne. La DCPJ doit aussi se doter de méthodes et d'équipements de pointe pour faire face à la course technologique permanente avec les criminels. Je rappelle d'ailleurs que dans les procédures judiciaires, les policiers sont obligés de décrire les modalités concrètes selon lesquelles a été menée l'enquête, ce qui est susceptible de permettre aux criminels de s'adapter et de trouver de nouveaux moyens pour échapper à la police.

Les effectifs de la DCPJ sont corrects. Ils sont répartis entre les services centraux, à hauteur de 30 %, et les services déconcentrés, à hauteur de 70 %. J'ai néanmoins constaté l'apparition récente de difficultés de recrutement pour certains corps et certains postes de la DCPJ. Il est également indispensable de recruter davantage de personnels extérieurs hautement qualifiés dans les domaines techniques. Aujourd'hui, la DCPJ ne dispose par exemple que de trois contractuels spécialistes des crypto-monnaies: c'est trop peu, d'autant que certains, comme c'est le cas dans d'autres services spécialisés, peuvent être tentés de rejoindre le secteur privé, qui leur offre des ponts d'or pour valoriser leurs compétences.

S'agissant ensuite de l'efficacité des services de la DCPJ, les résultats sont globalement très bons. Les taux d'élucidation sont élevés, alors qu'ils baissent dans l'ensemble de la police nationale, et cela justifie en partie la réforme. Je vais y revenir.

Mon troisième point porte, au-delà du rôle opérationnel de la DCPJ, sur ses fonctions stratégiques. En premier lieu, la direction est l'acteur central de la police nationale pour la coopération policière internationale opérationnelle. Elle gère quotidiennement les canaux opérationnels de coopération d'Interpol, d'Europol et de Schengen pour le compte de l'ensemble des forces de sécurité, y compris la gendarmerie et la DGSI. En 2021, elle a ainsi échangé 430 000 messages avec près de 194 pays, soit près de 1 200 messages par jour, dans des langues différentes. Ce partage d'informations porte ses fruits : à titre d'exemple des résultats obtenus, 775 individus recherchés par la police française ont ainsi pu être arrêtés à l'étranger, tandis que 805 individus recherchés par d'autres polices ont été arrêtés en France.

La DCPJ est aussi un acteur majeur du fonctionnement des offices centraux de police judiciaire. Ces structures interministérielles spécialisées visent à répondre à l'éclatement des services d'investigation entre différentes administrations. Ils ont, dans leur domaine de compétence, deux missions principales. Tout d'abord, réaliser en propre les enquêtes. Ensuite, jouer un rôle de partage de l'information, de coordination et de gouvernance pour l'ensemble des services d'investigation. Parmi les 14 offices centraux existants, 10 sont rattachés à la police nationale, dont 9 à la seule DCPJ. Cette répartition témoigne d'ailleurs du rôle stratégique central de la DCPJ. Le plus connu de ces offices est l'Ofast, l'office central antistupéfiants, mais il en existe d'autres, pour les violences aux personnes, la traite des êtres humains, la cybercriminalité, la grande criminalité financière - peut-être l'un des moins bien pourvus -, etc .

Le système des offices centraux connaît en réalité un succès variable, malgré un succès partagé pour ce qui concerne les dossiers opérationnels à fort enjeu qu'ils traitent directement. Certains offices assurent efficacement leur mission de coordination de la filière, avec l'appui des autres services de l'État. En revanche, d'autres peinent, notamment parce qu'ils manquent parfois de moyens, à exercer ce rôle, auquel cas on peut s'interroger sur l'opportunité de leur existence. S'agissant des moyens, les deux offices rattachés à la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière manquent de spécialistes et leurs effectifs ont été réduits ; par ailleurs, il n'existe pas dans ce domaine de réelle gouvernance commune avec les services des douanes et des finances publiques.

J'en viens, et c'est mon quatrième point, à la réforme de l'organisation de la police nationale. Celle-ci est nécessaire. La police nationale manque aujourd'hui de cohésion et d'unité. On ne peut d'ailleurs que constater la différence d'organisation entre la police, très morcelée, et la gendarmerie.

La réforme envisagée comprend deux axes principaux. Le premier axe consiste à regrouper les services de la police nationale en quatre filières structurées autour de quatre « métiers » : la sécurité et la paix publiques, le renseignement territorial, la police judiciaire, et les frontières et l'immigration irrégulière.

Le second axe de la réforme consiste à modifier la répartition des rôles au sein des niveaux central et déconcentré de la police nationale. La déconcentration doit permettre de rapprocher les services des territoires et d'augmenter, grâce à la proximité avec le terrain, leur efficacité. À l'échelon central, les quatre filières seraient chapeautées par des directions nationales qui ne disposeraient plus d'une autorité hiérarchique sur leurs personnels. À l'échelon déconcentré serait installé un directeur départemental de la police nationale, le nouveau DDPN, disposant d'une autorité hiérarchique sur les directeurs locaux de chacune des filières. Le DDPN serait lui-même placé sous l'autorité directe du préfet.

La DCPJ est ainsi concernée par les deux grands axes de la réforme. C'est ce qui a suscité les remous que l'on connaît. Ce sera mon cinquième point.

S'agissant du volet « police judiciaire » de la réforme, ses instigateurs constatent que la DCPJ ne traite que 1 % des affaires, les plus graves. L'idée est de faire partager l'expertise de la DCPJ avec les autres services, pour soulager la DCSP. La presse relaie d'ailleurs aujourd'hui à l'envi les mauvais chiffres de la délinquance, qui augmente, essentiellement dans le champ couvert par la DCSP. La réforme vise ainsi à intégrer la DCPJ à une nouvelle « filière investigation » plus large, qui regrouperait les effectifs de la DCPJ et ceux de la DCSP en charge de missions de police judiciaire.

La création des directions départementales de la police nationale fait aussi l'objet de critiques pour ce qui concerne la police judiciaire.

Le premier défaut de la réforme est le manque de concertation à l'occasion de la conception du projet de réforme. Il s'agit même d'une crise de confiance. La concertation, même en prenant en compte le Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020 et le Beauvau de la sécurité en 2021, a été timide. Les officiers de police judiciaire des services actuels de la DCPJ ont l'impression que l'on va leur demander, dans le futur schéma prévu par la réforme, d'effectuer des missions qui ne sont pas les leurs, comme cela avait été le cas lors de la crise des gilets jaunes : assurer la sécurité sur la voie publique par exemple n'est pas dans les missions de la police judiciaire. L'organisation n'est en outre pas la même : concrètement, à la DCSP, les emplois du temps sont établis à l'avance, avec des gardes, tandis qu'à la DCPJ, il faut s'adapter à la criminalité, à toute heure de la journée ou de la nuit.

La deuxième critique porte sur l'échelon retenu, le département. L'échelon du département est privilégié par la réforme car il constitue le niveau central de l'organisation de l'État au niveau déconcentré. Les services actuels de la DCPJ dépendraient ainsi d'un directeur local de la filière investigation, lui-même sous l'autorité hiérarchique du DDPN, et non plus de la DCPJ. Mais certains craignent que cet échelon conduise à casser quelque chose qui fonctionne, la DCPJ, alors que la criminalité qu'elle traite dépasse le cadre du département. Rappelons-nous que la création des brigades du Tigre par Georges Clemenceau, dont la DCPJ est l'héritière, visait justement à répondre à la nécessité de lutter contre certains types de criminalité dans un cadre géographique étendu. Les enquêteurs de la DCPJ craignent en outre d'être mobilisés sur des affaires de délinquance du quotidien, et de ne plus pouvoir intervenir en appui des enquêtes dans les départements voisins. Je rappelle en effet que les services de police judiciaire, le niveau le plus déconcentré des services de la DCPJ, ont une compétence interdépartementale. Les procureurs sont aussi inquiets ; il pourra être tentant, en effet, pour un DDPN de favoriser la résolution des cas les plus simples de la délinquance du quotidien - le vol de mobylette par exemple - plutôt que celle des délits et crimes plus graves, qui réclament plus d'heures d'enquête et davantage de moyens. La départementalisation soulève donc d'importants problèmes.

En outre, la réforme ne s'applique pas à la préfecture de police de Paris. Or, on peut se demander si ses services de police judiciaire ne devraient pas, comme ailleurs, être rattachés au directeur général de la police nationale. Le déplacement des services de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police du 36, quai des Orfèvres, vers le nouveau palais de justice, à l'image de la création en Angleterre du New Scotland Yard , pourrait être l'occasion de regrouper les services de police et d'unifier l'organisation de la police nationale.

Le bilan des expérimentations de la création de directions départementales de la police nationale n'est en outre pas connu à ce jour. Ces expérimentations concernent d'ailleurs très peu de départements très denses en population.

En outre, la réforme a été précédée de la création de zones de police judiciaire, notamment pour s'adapter à la carte judiciaire. S'agissant de la cartographie, je note qu'elle semble déséquilibrée : la zone sud regroupe un tiers des effectifs et s'étend de la Corse aux Pyrénées, comptant quatre des sept plus grosses villes de France - Montpellier, Toulouse, Nice et Marseille. Son patron, M. Éric Arella, personne emblématique et efficace, a été démis de ses fonctions, juste avant les fêtes, dans le contexte de la fronde contre la réforme de la police judiciaire, et cela crée des remous.

Des incertitudes demeurent aussi sur les conséquences budgétaires de la réforme. Le PLF pour 2023 n'a apporté aucune précision sur ce sujet, alors même qu'il portait sur l'année de mise en oeuvre de la réforme. Les conditions matérielles de mise en oeuvre de cette dernière, notamment d'un point de vue immobilier, ne sont pas non plus précisées. Sera-t-il possible dans tous les départements de regrouper dans un même lieu, sous l'autorité du DDPN, tous les services de police, qui sont actuellement dispersés ?

Cette réforme confortera l'autorité du préfet. Un tiers de l'activité du préfet est lié à la sécurité et au maintien de l'ordre. Il n'a qu'un seul interlocuteur lorsqu'il s'adresse à la gendarmerie, mais plusieurs lorsqu'il s'adresse à la police : s'il peut s'adresser évidemment actuellement au directeur départemental de la sécurité publique, les services de la police judiciaire, de la police aux frontières et du renseignement territorial ont plus d'autonomie. Demain, il n'en aura plus qu'un du côté de la police nationale, le DDPN. C'est pourquoi certains qualifient cette réforme de « préfectorale ».

Pour conclure, j'ai finalement constaté que la DCPJ fonctionnait bien, avec de bons résultats et des moyens adaptés. Mais celle-ci est impactée par la réforme de la police nationale.

M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie pour cette communication très intéressante, qui a vocation à préparer un rapport budgétaire, qui comportera, le cas échéant, une analyse des dimensions financières de cette réforme de la police.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Vous avez évoqué les différences d'organisation entre la gendarmerie et la police. Quelle organisation vous semble la plus efficace ?

M. Marc Laménie . - Nombre de gendarmes sont aussi officiers de police judiciaire. Je voudrais savoir comment la réforme de la police judiciaire affectera les zones couvertes par la gendarmerie ? De même, quelle sera l'articulation avec les autres acteurs, comme le ministère de la justice ou encore le ministère de l'économie, dont dépendent les douanes ?

M. Vincent Capo-Canellas . - Vous évoquez dans votre rapport l'organisation « protéiforme » de la police judiciaire, expression qui porte en creux une critique de l'organisation actuelle. Il me semble que la formule pourrait être appliquée aussi à la police nationale. Vous avez d'ailleurs décrit la multiplicité des services intervenant dans les départements. Une réforme semble nécessaire, mais la réforme proposée est, selon vous, insuffisante. Quelle réforme proposez-vous ?

En outre, vous avez souligné l'organisation spécifique de la police en petite couronne, dans le périmètre de la préfecture de police de Paris, dont les compétences seront d'ailleurs accrues provisoirement avec les jeux Olympiques. Quels seront les effets de la réforme à cet égard ? Doit-on s'attendre à centralisation accrue autour du préfet de police ? La réforme entraînera-t-elle un accroissement des difficultés ou bien s'accompagnera-t-elle de moyens accrus ?

M. Rémi Féraud . - Élu de Paris, je voulais poser la même question ! Quelle sera la place de la préfecture de police de Paris ? Quelles seront les implications budgétaires de la réforme à Paris et en petite couronne ? La réforme ne s'inspire-t-elle pas, d'ailleurs, du modèle parisien ?

M. Antoine Lefèvre . - Les organisations syndicales s'inquiètent des nouvelles méthodes de recrutement et de formation des officiers de police judiciaire depuis la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). La crise des vocations dans la police judiciaire ne risque-t-elle pas de s'accentuer avec la départementalisation ?

M. Philippe Dominati , rapporteur spécial . - La carte des zones de police et des zones de gendarmerie n'a pas changé depuis des années : or la criminalité périurbaine se développe dans les zones de gendarmerie, mais 75  % des délits les plus graves ont lieu dans les zones de police. La différence pour le citoyen est que le gendarme est plutôt bien identifié, même s'il existe des brigades d'investigation en civil. Les méthodologies de la police et de la gendarmerie sont différentes. L'essentiel du traitement de la délinquance, de la criminalité, du trafic de drogue, des atteintes aux personnes ou aux biens culturels relève de la police nationale. C'est pourquoi la DCPJ est très attachée aux bassins de criminalité. L'organisation de la gendarmerie a peut-être inspiré la réforme à travers la définition de quatre métiers ou filières pour la police. Les gendarmes, en effet, font de l'investigation, du renseignement territorial, de la sécurité publique et même de la police aux frontières. C'est sans doute ce qui a inspiré la volonté de regrouper les services de police judiciaire.

Monsieur Laménie, il existe un protocole entre les ministères de l'intérieur et de la justice pour définir la répartition des affaires entre les services de police judiciaire de la police nationale : la DCPJ sera chargée des crimes graves, tandis que les affaires de petite délinquance relèveront de la DCSP. Toutefois, il n'y a pas de protocole entre la gendarmerie et la police nationale, et il y a parfois des conflits de compétence. Le directeur général de la police nationale déplore d'ailleurs un désengagement de la gendarmerie dans certains offices centraux interministériels de police judiciaire, tel l'Ofast, par exemple, ce qui est préoccupant.

La direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris traite une part du spectre de la criminalité plus large que la DCPJ. La préfecture de police est organisée en districts : trois districts parisiens et les districts départementaux. En réalité, la police judiciaire à Paris traite une partie importante de la criminalité pour permettre à la sécurité publique de traiter le grand nombre d'affaires sur la voie publique : ce modèle a peut-être inspiré en partie la réforme. Le préfet de police dépend directement du ministère de l'intérieur, et non du directeur de la DCPJ. Comme le taux d'élucidation est meilleur à Paris, on espère obtenir de meilleurs résultats dans tous les départements en s'inspirant de cette organisation. En ce qui concerne les jeux Olympiques, le ministre de l'intérieur a pris l'engagement, alors que je lui indiquais que cette réforme était géographiquement incomplète, de faire une réforme d'ensemble de la police incluant la préfecture de police de Paris, après les jeux Olympiques. Toutefois, on en revient au problème de la départementalisation pour la police judiciaire.

Monsieur Lefèvre, le problème de la réforme est en effet le carcan des départements : on a créé en 2021 les zones de police judiciaire, attendons de voir si cette organisation est meilleure. Et j'ai effectivement constaté une crise des vocations au sein de la police judiciaire de la police nationale, surtout au sein de la DCSP.

Monsieur le président, cette communication contribuera à préparer mon rapport spécial. Sur le plan financier, il est difficile à ce stade d'y voir clair sur les conséquences de la réforme envisagée, d'autant que la DGPN n'a pas été en mesure de fournir des éléments sur point. On verra si la réforme est appliquée. Je n'ai pas voulu faire de recommandations pour le moment. La commission des lois a par ailleurs créé une mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire, qui rendra prochainement ses conclusions.

M. Claude Raynal , président . - Je vous remercie.

La commission a autorisé la publication de la communication du rapporteur spécial sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Rennes - 19 septembre 2022

Préfecture

- M. Emmanuel BERTHIER, préfet d'Ille-et-Vilaine, préfet de la région Bretagne et préfet de la zone de défense et de sécurité « Ouest ».

Tribunal judiciaire de Rennes

- M. Philippe ASTRUC, procureur de la République de Rennes.

Direction zonale de la police judiciaire (DZPJ) « Ouest »

- M. Pascal GONTIER, commissaire général, directeur zonal adjoint.

Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) d'Ille-et-Vilaine

- M. Lucas TOGNI, directeur départemental.

Paris - 4 octobre 2022

Préfecture de police de Paris

- M. Laurent NUÑEZ, préfet de police, préfet de zone de défense et de sécurité de Paris.

Direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris (DRPJ-PP)

- M. Christian SAINTE, directeur ;

- M. Vianney DYEVRE, commissaire général, chef de l'état-major ;

- Mme Virginie LAHAYE, commissaire général, cheffe de la brigade des stupéfiants ;

- M Jérémy RANSINANGUE, commissaire de police, adjoint au chef de l'état-major ;

- Mme Marie-Claire BIROT, commandant de police, responsable de la cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) de Paris.

Nanterre - 24 octobre 2022

Office anti-stupéfiants (OFAST)

- Mme Stéphanie CHERBONNIER, contrôleuse générale des services actifs de la police nationale, cheffe de l'OFAST ;

- Mme Alexandra FELZINES, commandant de police, cheffe de la cellule synthèse, coordination et communication de l'OFAST.

Sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF)

- M. Thomas de RICOLFIS, contrôleur général, sous-directeur ;

- Mme Anne-Sophie COULBOIS, commissaire divisionnaire, cheffe de l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) ;

- M. Guillaume HEZARD, commissaire divisionnaire, chef de l'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF).

Lyon - 28 octobre 2022

Préfecture

- M. Pascal MAILHOS, préfet du Rhône, préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes et préfet de la zone de défense et de sécurité « Sud-Est ».

Direction zonale de la police judiciaire (DZPJ) « Sud-est »

- M. Christophe ALLAIN, commissaire général, directeur zonal.

Région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes

- M. le Général de corps d'armée Laurent TAVEL, commandant de la région de gendarmerie.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale de la police nationale (DGPN)

- M. Frédéric VEAUX, directeur général ;

- M. Stanislas CAZELLES, préfet, directeur des ressources et des compétences de la police nationale ;

- M. Hadrien HADDAK, conseiller budgétaire du directeur général.

Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ)

- M. Jérôme BONET, directeur central ;

- Mme Séraphia SCHERRER, commissaire de police, chargée de mission pour le suivi de la réforme de la police nationale.

Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)

- M. le Général d'armée Christian RODRIGUEZ, directeur général ;

- M. François DESMADRYL, directeur des soutiens et des finances ;

- M. le colonel Alexandre MALO, sous-directeur de la police judiciaire ;

- M. le lieutenant-colonel Antoine LAGOUTTE, chef du bureau de la synthèse budgétaire.

Syndicat Alliance Police nationale

- M. David-Olivier REVERDY, secrétaire national adjoint « Province ».

FSMI-FO Unité SGP Police

- M. Franck FIEVEZ, secrétaire national ;

- M. Yann BASTIÈRE, délégué national.


* 1 Dont les rapporteurs sont Madame Nadine BELLUROT, sénatrice, et M. Jérôme DURAIN, sénateur. Le président de la commission des lois est M. François-Noël BUFFET, sénateur.

* 2 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 3 MM. Marc-Philippe DAUBRESSE et Loïc HERVÉ, sénateurs.

* 4 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 5 Voir notamment Droit de la police, Hervé Vlamynck, 7 e édition, 2021.

* 6 Voir infra .

* 7 En référence à l'ancienne adresse de la DRPJ-PP, le 36, quai des Orfèvres, la DRPJ-PP ayant son siège depuis 2017 au 36 - toujours -, rue du Bastion.

* 8 Avis du Conseil d'État du 10 mars 2022 sur la première version du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 9 Sont toutefois OPJ sans avoir à passer d'examen les personnes exerçant certaines fonctions, parmi lesquelles les maires et leurs adjoints, les officiers et les gradés de la gendarmerie nationale, les inspecteurs généraux, les sous-directeurs de police active, les contrôleurs généraux et les commissaires et officiers de la police nationale.

* 10 Droit de la police, Hervé Vlamynck, 7 e édition, 2021.

* 11 Voir infra .

* 12 Ventilation directement inspirée de celle proposée par le ministère de l'intérieur en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

* 13 Voir infra , Projet annuel de performance, Projet de loi de finances pour 2023, Mission « Sécurités ».

* 14 Voir supra pour la définition des « niveaux » de délinquance .

* 15 Décret n° 2020-1779 du 30 décembre 2020 portant création du service à compétence nationale dénommé service national de police scientifique.

* 16 Les « BR » sont les brigades de recherche et les « SR » sont les sections de recherche. Les groupes interministériels de recherches (GIR), anciennement dénommés groupes d'intervention régionaux, sont des services qui luttent contre différents types de délinquance, notamment financière. Ils peuvent être composés de gendarmes, de policiers, d'agents des douanes, des impôts, de l'URSSAF, ou encore de l'inspection du travail.

* 17 Aujourd'hui le ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

* 18 https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/Organisation/Direction-Centrale-de-la-Police-Judiciaire/Histoire-de-la-police-judiciaire

* 19 Voir infra .

* 20 Une notice rouge est une demande adressée, via Interpol, aux services chargés de l'application de la loi du monde entier à l'effet de localiser une personne et de procéder à son arrestation provisoire dans l'attente de son extradition, de sa remise ou d'une mesure similaire conforme au droit. Les personnes concernées sont recherchées par le pays membre à l'origine de la notice, ou par un tribunal international. La notice rouge n'est pas un « mandat d'arrêt international » (qui n'existe d'ailleurs pas, à la différence du mandat d'arrêt européen). Les pays membres d'Interpol appliquent leur propre droit pour décider d'arrêter ou non la personne.

* 21 Article 6 du décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer.

* 22 Décret n° 2020-1776 du 30 décembre 2020 portant organisation des services territoriaux de police judiciaire de la police nationale.

* 23 Voir supra .

* 24 Voir infra .

* 25 L'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP), l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), l'Office central de lutte contre le travail illégal, l'exploitation par le travail et la fraude en matière sociale (OCLTI) et l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité et les crimes de haine (OCLCH).

* 26 L'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM), qui s'est substitué au 1 er janvier 2023 à l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST), est quant à lui rattaché à la Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) de la police nationale.

* 27 Voir infra .

* 28 Voir supra .

* 29 Agrégat recensant les crimes et délits les plus graves : les homicides, les règlements de compte entre malfaiteurs, les vols à main armée, les grands trafics de stupéfiants, les attentats, etc .

* 30 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 31 Projet annuel de performance, Projet de loi de finances pour 2023, Mission « Sécurités ».

* 32 https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/18/sky-ecc-l-application-prisee-des-traficants-mine-d-or-des-enquetes-sur-le-crime-organise_6150398_3224.html

* 33 Les « mules » sont des passeurs qui transportent la drogue, pour certains « in corpore », au péril parfois de leur vie.

* 34 Tétrahydrocannabinol, molécule aux effets psychotropes contenue dans le cannabis.

* 35 Réponses de la DGPN au questionnaire du rapporteur spécial et audition de la directrice de l'Ofast.

* 36 Décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 37 portant création du service à compétence nationale dénommé Office anti-stupéfiants.

* 38 Arrêté du 27 décembre 2019 portant création d'antennes et de détachements de l'Office anti-stupéfiants et diverses dispositions relatives à la création de l'office.

* 39 Voir infra .

* 40 Voir infra .

* 41 Olivier Renaudie, La préfecture de police.

* 42 Loi n° 66-492 du 9 juillet 1966 portant organisation de la police nationale.

* 43 Rapport d'information de M. Philippe DOMINATI, fait au nom de la commission des finances n° 353 (2016-2017), 1 er février 2017, La préfecture de police de Paris : qui trop embrasse mal étreint ?

* 44 En référence à l'ancienne adresse de la DRPJ-PP, le 36, quai des Orfèvres, la DRPJ-PP ayant son siège depuis 2017 au 36 - toujours -, rue du Bastion.

* 45 Voir organigramme ci-dessus.

* 46 Année la plus récente pour laquelle le rapporteur spécial dispose de données comparables pour la DRPJ-PP et la DCPJ. Il n'y a pas de raison de penser que les équilibres aient significativement évolué.

* 47 Notamment au sein de son rapport d'information, fait au nom de la commission des finances n° 353 (2016-2017), 1 er février 2017, intitulé La préfecture de police de Paris : qui trop embrasse mal étreint ?

* 48 Voir infra .

* 49 Voir supra .

* 50 Voir également sur ces sujets le rapport de la Cour des comptes, demandé par la commission des finances du Sénat, sur le bilan du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur, mai 2021.

* 51 Une telle proposition de conclusion d'un protocole tripartite fait globalement l'objet d'un consensus. Elle avait notamment déjà été formulée par la Cour des comptes dans son référé de 2015 sur la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales.

* 52 Voir supra .

* 53 Voir supra .

* 54 Rapport de la Cour des comptes, demandé par la commission des finances du Sénat, sur le bilan du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur, mai 2021.

* 55 Projet annuel de performance, Projet de loi de finances pour 2023, Mission « Sécurités ».

* 56 Pour ce faire, l'IMSI-catcher simule le fonctionnement d'une antenne-relais en s'intercalant entre le réseau de l'opérateur de téléphonie et le matériel surveillé.

* 57 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 58 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 59 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 60 Les personnels actifs de la police nationale sont répartis en 3 corps : le corps de conception et de direction (commissaires de police), le corps de commandement (officiers de police) et le corps d'encadrement et d'application (gardiens de la paix).

* 61 Soit en raison d'une note insuffisante à l'issue du premier module de formation de 4 semaines, soit en raison d'un échec à l'examen à l'issue du second module.

* 62 Voir infra .

* 63 13 relèvent de la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité (SDLC), 1 de la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF) et 2 du service central des courses et des jeux (SCCJ).

* 64 La typologie policière distingue 3 niveaux croissants : « tracing initié », « tracing » et « tracing demixing ».

* 65 Un personnel peut être présent à plusieurs formations.

* 66 Idem .

* 67 Service de renseignement français chargé de la lutte contre le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme mais aussi contre la fraude fiscale, sociale et douanière.

* 68 Une part des personnels de la SDLCF ne relève pas de la fonction d'enquêteur : personnels administratifs, techniques, etc .

* 69 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 70 Rapports d'information du Sénat et de l'Assemblée nationale, référés de la Cour des comptes, rapports inter-inspections générales, etc .

* 71 Loi n° 66-492 du 9 juillet 1966 portant organisation de la police nationale.

* 72 Aujourd'hui rattaché à la DCSP.

* 73 Voir supra .

* 74 Décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 portant création et organisation des directions territoriales de la police nationale.

* 75 Décret n° 2021-1876 du 29 décembre 2021 portant création des directions territoriales de la police nationale de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion, et de la Polynésie française.

* 76 Article 4 du décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 portant création et organisation des directions territoriales de la police nationale.

* 77 Mais également, a priori , des services relevant aujourd'hui d'autres directions centrales.

* 78 Rappelés pour certains, et dans des termes parfois différents, par le courrier du Directeur général de la police nationale M. Frédéric Veaux, du 30 août 2022 transmis aux policiers en charge de la police judiciaire.

* 79 Voir supra .

* 80 Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial lors des auditions.

* 81 À titre d'exemple, entre 2010 et 2019, le nombre des trafics de stupéfiants démantelés par les services de police a plus que doublé et le nombre des trafiquants mis en cause a progressé de 52 %. Sur la même période, les saisies de cannabis ont augmenté de 30 %, les saisies de cocaïne de 178 % et les saisies d'avoirs criminels de 39 %.

* 82 Source : réponses de la DGPN au questionnaire du rapporteur spécial.

* 83 Voir supra .

* 84 MM. Marc-Philippe DAUBRESSE et Loïc HERVÉ, sénateurs.

* 85 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 86 Dont les rapporteurs sont Madame Nadine BELLUROT, sénatrice, et M. Jérôme DURAIN, sénateur. Le président de la commission des lois est M. François-Noël BUFFET, sénateur.

* 87 Voir supra .

* 88 https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/25/en-belgique-un-projet-d-enlevement-du-ministre-de-la-justice-a-ete-dejoue_6143066_3210.html

* 89 Voir supra .

* 90 Voir supra .

* 91 Voir infra .

* 92 Voir supra .

* 93 Voir infra .

* 94 https://www.actu-juridique.fr/penal/reforme-de-la-police-judiciaire-chronique-dune-mort-redoutee/

* 95 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 96 MM. Marc-Philippe DAUBRESSE et Loïc HERVÉ, sénateurs.

* 97 https://www.aefinfo.fr/depeche/682776-reforme-de-la-police-la-paf-conservera-par-exception-ses-unites-de-police-judiciaire-et-rebaptisera-son-office-central

* 98 Principalement en raison de l'organisation en France des Jeux Olympique de Paris.

* 99 Voir supra .

* 100 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

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