B. LA TECHNOLOGIE, UN FACTEUR QUI DEMEURE DÉCISIF

1. La haute technologie reste un facteur de différenciation

La technologie reste un facteur clef sur le champ de bataille d'un conflit symétrique :

- Elle est garante de la crédibilité de la dissuasion nucléaire , dont on a déjà évoqué l'importance ;

- Elle fait la différence dans les premières phases d'un conflit ( entrée en premier ) : missiles de croisière, missiles balistiques et, à l'avenir, missiles hypersoniques (domaine dans lequel les Russes ont particulièrement investi), moyens de suppression des défenses aériennes ennemies ;

- Elle détermine la précision des frappes , donc la maîtrise des dommages. Si la Russie fait peu de cas des conséquences de ses frappes sur la population et les infrastructures civiles, ce ne serait pas le choix d'armées telles que la nôtre. C'est l'une des raisons pour lesquelles il n'est pas question de faire l'impasse sur des technologies de précision.

- La rapidité et la précision des armes peuvent dans certains cas compenser l'absence de quantité disponible (un tir suffit pour atteindre la cible) tout en réduisant les besoins logistiques, mais à condition d'être accompagnés de moyens de guerre électronique ;

- L'utilisation efficace d'une masse d'équipements nécessite des moyens d'information et de communication sophistiqués ainsi que le développement du combat collaboratif.

L'enjeu n'est donc pas de développer la masse au détriment de la technologie mais de répondre au juste besoin dans chaque phase du conflit et de ne pas utiliser des armements surspécifiés pour atteindre un objectif qui pourrait l'être avec un rapport coût/efficacité bien moindre.

La haute technologie est le carburant des industries de souveraineté (par exemple, l'industrie spatiale) ; c'est en outre un moteur pour l'économie.

2. L'agilité technologique : le rôle des drones

L'agilité technologique est essentielle à la résilience.

À l'ère numérique, la quantité n'est pas exclusive de la technologie : des technologies sophistiquées sont disponibles (le smartphone ) au plus grand nombre à un coût limité. La technologie grand public rend aujourd'hui de grands services aux soldats ukrainiens. Il faut continuer évidemment à utiliser des technologies militaires de pointe sécurisées mais sans se priver des technologies du monde civil, ni entrer dans des cycles d'innovation si longs que la technologie risque d'être obsolète quand elle sera déployée. Tous les moyens à disposition doivent pouvoir être utilisés, à condition de maîtriser les risques associés.

Sur un autre plan, les guerres récentes ont confirmé l'usage à grande échelle de drones et munitions télé-opérées (MTO) , en complément d'autres moyens.

Après avoir été utilisés à titre principal pour des missions ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance), les drones servent aujourd'hui aussi d'effecteurs, en étant intégrés aux dispositifs offensifs, en coordination avec l'artillerie et l'usage de MTO, avec un gain en termes de précision des frappes et un raccourcissement de la boucle décisionnelle.

Dans le conflit d'Ukraine, le rôle des drones est d'autant plus déterminant que l'usage de l'aviation et des hélicoptères est restreint par l'absence de supériorité aérienne acquise. Le risque de pertes de vies humaines et le rapport coût/efficacité défavorable des avions/hélicoptères milite pour l'usage de drones. Leur coût, relativement modéré, en font des équipements dans une certaine mesure consommables, comme le sont des munitions, du moins s'agissant des petits drones et MTO.

En 2020, au début de la guerre du Haut-Karabagh, l'Azerbaïdjan possédait ainsi une vingtaine de drones israéliens (Heron, Hermès 900...) et une dizaine de drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE) turcs Bayraktar TB2, auxquels il faut ajouter environ 250 munitions télé-opérées (MTO), d'origine israélienne, qui ont joué un rôle décisif dans le conflit du Haut-Karabagh. La commission a publié à l'époque deux rapports tirant les enseignements de l'usage déterminant des drones dans ce conflit 12 ( * ) . Mais les évolutions sur ce sujet en France ne sont que très récentes (voir ci-après III).

À partir de la deuxième phase de la guerre d'Ukraine, lorsque l'armée russe a redéployé son effort vers le Donbass, la concentration d'artillerie sur des fronts peu étendus a incité les deux Parties à une utilisation intensive de drones peut coûteux pour la reconnaissance et l'acquisition de cible.

Parmi la gamme de drones employés, on trouve :

- de petits drones quadricoptères commerciaux adaptés ;

- des drones à voilure fixe low cost (par exemple le drone Orlan-10 russe) ;

- des drones MALE : le TB2 côté ukrainien et le drone Orion côté russe.

90 % des drones utilisés par les forces armées ukrainiennes depuis le début du conflit ont été perdus 13 ( * ) :

- La durée de vie moyenne d'un petit drone quadricoptère est de trois vols ;

- Celle d'un petit drone à voilure fixe de six vols.

Qui plus est, une part importante des missions réalisées par ces drones aboutit à un échec, notamment dans le cas de drones volant sur des trajectoires préprogrammés (sans transmettre de données pour plus de sécurité) ou en raison des manoeuvres défensives adverses (brouillage, destruction physique...). Un tiers environ seulement des missions réalisées par des drones dans cette guerre auraient été couronnées de succès.

La réglementation doit s'adapter à cet usage nouveau des drones pour permettre l'entraînement car, comme l'établit l'étude du RUSI pour le Royaume-Uni, « aujourd'hui, il y a moins de restrictions administratives pour tirer un obus de 155 mm au-dessus de routes civiles que pour y faire voler un système de drones afin de surveiller ce qui est frappé ».

De façon générale, le secteur des petits drones civils a été particulièrement dynamique en France au cours de la dernière décennie, grâce à une réglementation de 2012 sur les usages. Il faudra veiller à ce que les nouvelles règles qui seront édictées au niveau européen préservent ce dynamisme dans un secteur par essence dual.

6. Généraliser la présence de drones dans les unités en tant qu'outil de reconnaissance mais aussi de frappe est une nécessité

L'innovation de masse, duale, de rupture, en cycle court doit être mieux valorisée. La guerre d'Ukraine confirme le rôle devenu prééminent des drones, en particulier l'importance de disposer de munitions télé-opérées, de coût modéré, considérées dans une certaine mesure comme des équipements consommables au même titre que les autres munitions. L'expérience ukrainienne montre que 90 % des drones de ce type sont perdus, avec des durées de vie de l'ordre de trois à six vols en moyenne.

La France dispose de drones MALE Reaper, armés, très utiles dans des guerres asymétriques, mais qui, compte tenu de leur vulnérabilité et de leur coût, se révèleraient difficilement exploitables dans un contexte symétrique.

Dans ce type de conflit, pour survivre, toutes les unités terrestres doivent être équipés d'engins non pilotés, tant pour le renseignement que pour le ciblage et la frappe. Des moyens de lutte anti-drones sont, de la même façon, indispensables.


* 12 « Se préparer à la « guerre des drones » : un enjeu stratégique », Rapport d'information n° 711 (2020-2021) de MM. Cédric PERRIN, Gilbert ROGER, Bruno SIDO et François BONNEAU ; « Haut-Karabagh : dix enseignements d'un conflit qui nous concerne », Rapport d'information n° 754 (2020-2021) de M. Olivier CIGOLOTTI et Mme Marie-Arlette CARLOTTI.

* 13 RUSI (Royal United Services Institute for Defence and Security Studies), Preliminary Lessons in Conventional Warfighting from Russia's invasion of Ukraine : February-July 2022, Mykhaylo Zabrodskyi, Jack Watling, Oleksandr V Danylyuk and Nick Reynolds.

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