EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 février 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial, sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti.

M. Claude Raynal , président . - Nous allons entendre une communication de notre collègue Christine Lavarde, à la suite du contrôle qu'elle a réalisé sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles (RGA) et de ses conséquences sur le bâti.

Vous vous rappelez sans doute que notre commission avait, sur son rapport, et à la suite d'une initiative sénatoriale, instruit la loi du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles. Ce contrôle s'inscrit donc dans le prolongement de ces travaux. Cette question est de plus en plus prégnante dans les territoires à cause de la répétition des épisodes de sécheresse.

Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial . - Mon rapport porte sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles (RGA) et de ses conséquences sur le bâti. Nous connaissons bien cette thématique au Sénat : elle faisait partie du champ d'études de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation, dont le président était Michel Vaspart, et la rapporteure Nicole Bonnefoy, et dont les travaux ont abouti à la proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, que nous avons adoptée en janvier 2020. On peut aussi citer la proposition de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, déposée par le député Stéphane Baudu, et promulguée le 28 décembre 2021. Le Sénat avait demandé à cette occasion des améliorations au regard du risque RGA.  Le Gouvernement devait ainsi rendre un rapport sur la localisation des risques en juin, mais on l'attend toujours... Cette question a aussi donné lieu à deux autres rapports. L'un de la Cour des comptes en février 2022 et l'autre de l'inspection générale des finances (IGF), de l'inspection générale de l'administration (IGA), et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) en 2021.

En application de l'article 161 de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS », une ordonnance a été présentée en Conseil des ministres le 8 février 2023.

Le risque de « retrait-gonflement des argiles » désigne les dommages causés aux constructions par le phénomène naturel de rétractation des sols argileux - qui sont structurés en feuillets - en période de sécheresse, suivi par le gonflement de ces sols lorsque la pluie revient. La succession de petits épisodes de sécheresse accroît le phénomène, qui se traduit par l'apparition de fissures dans les maisons. Le phénomène touche essentiellement les maisons individuelles, car les fondations des immeubles sont plus profondes et plus solides. Le risque RGA est très répandu en France : si les régions aux sols granitiques sont épargnées, on estime que 48 % du territoire national connaît une exposition moyenne ou forte au risque RGA. Dans le Gers et le Tarn, 80 % des maisons sont en zone RGA à aléa fort. À l'échelle nationale, 10,4 millions de maisons individuelles connaissent un risque RGA fort ou moyen, ce qui représente 54,2 % de l'habitat individuel.

Le risque RGA est intégré au régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat) depuis 1989. Pour bénéficier d'une indemnisation, il faut que la commune obtienne une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Mais seule la moitié des communes ayant déposé une demande de reconnaissance CatNat au titre des sécheresses de 2019 et 2020 l'ont obtenue, et au sein de ces communes, la moitié des dossiers d'indemnisation déposés par les personnes victimes d'un sinistre ont été classés sans suite par les experts mandatés par les sociétés d'assurance.

À la différence des autres risques intégrés dans le régime des catastrophes naturelles, comme les séismes ou les ouragans par exemple, qui sont à sinistralité immédiate, avec un lien immédiatement constatable entre l'événement et ses conséquences, le risque RGA est un phénomène progressif. Une succession de plusieurs sécheresses de taille moyenne peut occasionner des sinistres majeurs. Ce n'est pas parce qu'il a plu beaucoup que les maisons vont se fissurer immédiatement. Il est donc impossible d'attribuer une cause unique au RGA et c'est l'une des raisons qui expliquent les difficultés à assurer ce risque.

La France est le seul pays de l'Union européenne à avoir intégré ce risque dans un dispositif assurantiel public, le régime CatNat. Celui-ci est financé par une surprime prélevée sur l'ensemble des contrats d'assurance contre les dommages aux biens ; elle s'élève à 12 % sur l'assurance multirisque habitation. Les sociétés d'assurance proposent et gèrent les contrats d'assurance, et elles se réassurent auprès de la Caisse centrale de réassurance (CCR), qui elle-même bénéficie d'une garantie intégrale de l'État. En contrepartie de cette garantie, la CCR verse à l'État environ 100 millions d'euros par an. La garantie de l'État n'a été activée qu'une fois, en 2000, en raison de la tempête de 1999. L'État est donc gagnant avec ce régime.

La charge annuelle liée au risque RGA a atteint plus de 1 milliard d'euros entre 2017 et 2020, contre 445 millions d'euros en moyenne depuis 1982. La Caisse centrale de réassurance (CCR) estime, dans son scénario « optimiste », que le régime CatNat ne dégagera plus assez de réserves pour couvrir les sinistres à l'horizon 2040, en raison notamment du coût du RGA.

Le coût de la sécheresse de 2022 est ainsi estimé entre 2,4 et 2,9 milliards d'euros ce qui la placerait nettement au-dessus du coût de la sécheresse de 2003 (1,6 milliard d'euros), qui est la sécheresse la plus coûteuse sur la période 1989-2021. Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), une sécheresse comparable à celle de 2003 devrait survenir une année sur trois entre 2020 et 2050, une année sur deux entre 2050 et 2080, et deux années sur trois entre 2080 et 2100.

France Assureurs évalue à 43 milliards d'euros le coût cumulé de la sinistralité sécheresse entre 2020 et 2050, ce qui représente un triplement du coût par rapport aux trois décennies précédentes (13,8 milliards d'euros entre 1989 et 2019). L'enjeu est donc la soutenabilité du régime CatNat en raison du risque de sécheresse.

Les sinistres supérieurs à 50 000 euros représentent 75 % du coût total des indemnisations, mais seulement 21 % des sinistrés. Parmi les vingt sinistres qui ont coûté le plus cher en termes de dommages assurés, quinze sont liés à des sécheresses.

Plusieurs pistes de réforme peuvent être envisagées.

La première consisterait à modifier la nature du régime et à sortir le risque RGA du régime des catastrophes naturelles. Mais cela reviendrait à remettre en cause les principes mêmes du régime : le principe de solidarité, d'abord, qui prévoit que les surprimes acquittées par les assurés qui résident dans des zones non exposées ou dans des immeubles contribuent à financer les indemnisations versées aux sinistrés ; le principe de mutualisation financière entre les risques, ensuite, qui existe au sein du régime CatNat au bénéfice du risque RGA et qui permet de réduire le niveau de la surprime pour tous les assurés.

Une hypothèse serait de créer un régime 100 % public, mais cela serait coûteux pour les comptes publics et il faudrait toujours s'appuyer sur les moyens d'expertise des assureurs.

Faut-il alors créer un régime 100 % privé ? Le risque serait alors d'exclure les profils risqués ou de voir les primes d'assurance exploser, écartant les plus pauvres.

Toutefois, cette piste n'est pas exclue à moyen terme. Les nouvelles constructions doivent satisfaire de nouvelles conditions depuis la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan : celle-ci impose d'informer l'acheteur d'un terrain du risque RGA et l'oblige à prévoir des fondations adaptées. La connaissance du risque RGA progresse et on peut mettre en place des mesures de mitigation du risque.

Une dernière possibilité serait de créer un fonds public pour couvrir les dommages dans les communes qui ne sont pas classées en état de catastrophe naturelle. Ce fonds coûterait entre 60 et 300 millions d'euros par an. Il y a un précédent avec le fonds comportant une aide exceptionnelle de 10 millions d'euros voté dans la LFI 2020, à la suite de l'épisode de sécheresse de 2018, pour venir en aide aux sinistrés non indemnisés par le biais du régime CatNat. Mais dans les faits, ce fonds s'est avéré inopérant : soit les sinistrés bénéficiaient de revenus qui ne les rendaient pas éligibles au fonds d'aide ; soit ils ne disposaient pas de moyens financiers suffisants pour assumer le reste à charge des travaux. Les crédits ont été très peu consommés.

Ma conclusion est que le cadre actuel est le moins mauvais possible, même si on pourrait envisager un régime privé dans une dizaine d'années.

La seconde piste de réforme consiste à revoir les critères d'indemnisation.

On pourrait prendre en considération l'exceptionnalité des dommages plutôt que l'exceptionnalité des causes. Il n'y aurait alors plus besoin d'obtenir un arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. L'apparition d'une fissure dans une maison permettrait automatiquement de demander une indemnisation. Tout reposerait sur les experts d'assurance. Il n'est pas sûr toutefois qu'ils soient assez nombreux pour faire face aux demandes. Ce mécanisme serait très onéreux, avec un coût annuel de 491 millions d'euros par an selon le CCR. Ce chiffre est d'ailleurs sous-estimé dans la mesure où, compte tenu de la période considérée, il ne prend que partiellement en compte l'accélération du phénomène de RGA due aux conséquences des dérèglements climatiques. Un contrôle a posteriori de l'État serait toujours nécessaire. Les sinistrés s'interrogent aussi parfois sur la fiabilité des expertises. Dans certains cas, les experts ne reconnaissent pas les faits, alors qu'ils semblent manifestes.

Pourquoi ne pas réserver alors l'indemnisation aux sinistres les plus graves ? Mais ce serait une remise en cause du caractère assurantiel du régime : une partie potentiellement significative des sinistrés qui sont aujourd'hui éligibles à une indemnisation ne le seraient plus dans le nouveau système. Une partie des cotisants ne bénéficieraient jamais du système.

De plus, selon la CCR, pour que cette mesure soit neutre financièrement pour le régime, il faudrait fixer un plancher d'indemnisation à 50 000 euros, avec un plafond fixé à 90 000 euros, et une franchise de 7 000 euros ! En abaissant le plancher à 10 000 euros, le coût pour le régime serait de 850 millions d'euros, sous réserve d'augmenter la surprime à 12 %. Ce n'est pas satisfaisant.

Il faudrait aussi voir comment traiter les sinistres non indemnisés dans le régime antérieur à cause de l'absence de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, mais qui devraient l'être désormais.

L'ordonnance examinée le 8 février en conseil des ministres prévoit de réserver les indemnisations aux sinistres les plus graves, c'est-à-dire, « aux dommages susceptibles d'affecter la solidité du bâti ou d'entraver l'usage normal du bâtiment ». Mais que signifie le mot « susceptibles » ? Les dommages qui ne seraient pas de nature à remettre en cause la solidité et l'utilisation normale du bâtiment, qualifiés « d'esthétiques », ne feraient plus l'objet d'indemnisations. Une fissure apparue sur une façade est-elle un dommage « esthétique » ou « susceptible » d'endommager la structure du bâtiment ? Cette rédaction exclue certains assurés, car elle ne prend pas en compte la perte de valeur du bien : en effet, une maison fissurée n'a plus aucune valeur de marché, alors qu'elle constitue souvent le patrimoine de toute une vie, notamment pour les plus modestes. La rédaction n'est pas satisfaisante. Le terme « susceptible » doit être précisé par voie réglementaire à l'avenir, et il est dommage que ce texte ne donne pas lieu à un examen parlementaire, nous n'aurions jamais maintenu une telle rédaction.

La dernière piste serait d'améliorer la précision du critère météorologique.

La reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle repose sur la combinaison d'un critère géologique - il faut prouver que le sol est argileux - et d'un critère hydro-météorologique - il faut prouver qu'il y a eu une hydratation intense du sol suivie par un épisode de sécheresse intense, qui doit être parmi les deux plus importants des 50 dernières années. Lorsque l'on sait par ailleurs que la maille météo est de 64 kilomètres carrés, en raison de la localisation des stations de Météo-France, on comprend que tant de communes ne soient pas reconnues en état de catastrophe naturelle ! Une possibilité serait de reconnaître automatiquement en état de catastrophe naturelle les communes dont le territoire est limitrophe d'une commune faisant l'objet d'un classement. L'incidence financière serait limitée sur le régime et cette mesure permettrait de résoudre, selon les années, entre 40 % et 65 % des recours intentés par des communes non reconnues.

L'ordonnance prévoit de réduire la période de temps considérée pour apprécier le caractère exceptionnel des événements climatiques : au lieu de 50 ans, on pourrait prendre en compte une période plus courte, par exemple décennale. Le curseur sera défini par voie réglementaire.

Elle prévoit aussi que l'état de catastrophe naturelle serait reconnu en cas de succession d'épisodes de sécheresse d'une ampleur inférieure au seuil du critère hydro-météorologique. Cette évolution serait susceptible de mieux prendre en compte la cinétique longue du risque RGA.

Le coût de ces mesures est difficile à évaluer, car le calibrage du dispositif n'est pas encore précisé. On attend les mesures règlementaires d'application. Au regard du scénario central envisagé par le Gouvernement, qui conduirait à accroître d'environ 15 % le nombre de communes reconnues en état de catastrophe naturelle, la CCR aurait chiffré le coût annuel des dispositions de l'ordonnance pour le régime CatNat à 200 millions d'euros. L'ordonnance n'apporte donc pas de réponse au défi de la soutenabilité financière du régime à moyen-long terme.

L'ordonnance pose un autre problème : elle rend obligatoire d'affecter les indemnités aux réparations. Mais si la maison est en plus une passoire thermique, est-il pertinent de réparer une fissure, alors qu'il conviendra de procéder à des travaux de rénovation énergétique par la suite ? De même, réparer une fissure peut coûter très cher, parfois plus que le coût de construction d'une maison neuve, soit 183 000 euros en moyenne. Ne faut-il pas laisser aux sinistrés la possibilité de déménager ou de reconstruire in extenso une maison plus performante sur le plan énergétique ?

Une piste de réforme est négligée par tous les rapports : c'est la prévention.

Pour les maisons nouvelles, qui répondent aux normes de la loi Élan, la sinistralité devrait être quasiment nulle. Mais le problème demeure à moyen terme pour le stock de maisons individuelles construites avant l'imposition de ces nouvelles règles.

Il existe deux types de mesures de prévention. Les mesures verticales consistent à agir directement sur la structure du bâtiment. Elles peuvent par exemple consister en une rigidification de la structure par l'injection de résine, ou en l'installation de micropieux au niveau des fondations. Cela suppose des travaux d'ampleur et cela coûte cher, entre 21 000 et 76 000 euros par maison, mais ces mesures sont efficaces.

Les mesures de prévention horizontales, moins coûteuses, visent, quant à elles, à agir sur l'environnement du bâtiment, afin de limiter la variation de la teneur en eau du sol. Il s'agit de mettre en place un système de drainage des eaux pluviales ; ou à installer des écrans anti-racinaires, car les racines de arbres aggravent le problème de sécheresse en pompant l'eau, ou à couper les arbres situés trop près des maisons. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a développé un nouveau système, dit MACH (Maison confortée par humidification), qui permet d'évaluer l'hydratation du dol par des capteurs et de le réhydrater en cas de besoin. Ces mesures de prévention coûtent nettement moins cher, de 5 000 à 35 000 euros par maison, avec une moyenne à 10 000 euros par maison. N'est-ce pas la voie à privilégier ?

La puissance publique doit jouer son rôle. Il est regrettable que le risque RGA soit exclu du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier, alors que la vocation de ce dernier est justement de financer la prévention. Le ministère objecte qu'il convient d'être sûr que chaque euro dépensé procure des économies, mais si on ne fait rien, on ne fera aucune économie ! Il importe de soutenir les start-ups qui font de la recherche dans ce domaine, le quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA 4) pourrait être mobilisé à cette fin. Nous préconisons enfin de financer en priorité des expérimentations de techniques de prévention du risque RGA dans les communes qui ont fait une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour cause de sécheresse, mais qui ne l'ont pas obtenue.

En conclusion, je dois reconnaître ma frustration, car je n'ai pas trouvé de solution optimale pour garantir la soutenabilité dans la durée du régime CatNat. L'ordonnance n'apporte aucune réponse ni quant à la soutenabilité ni quant aux attentes des sinistrés.

M. Claude Raynal , président. - Votre rapport montre la complexité de la question. Comme élus locaux, nous connaissons bien ce régime des catastrophes naturelles. Nous sommes nombreux à avoir dû faire une demande de classement. Même si des règles précises existent, dans la réalité, il y a une part d'aléatoire. Certaines communes sont classées, d'autres pas. Selon le nombre de cas dans l'année ou l'état des caisses, les réponses sont plus ou moins favorables.... Enfin, on ne peut que déplorer nos lacunes en matière de prévention.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Le système manque de lisibilité. Les modalités d'obtention de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle peuvent sembler obscures. Vous montrez bien qu'il faudrait, pour trouver un mécanisme juste, non pas procéder par ordonnance, mais bien plutôt par voie législative.

Il importe aussi de veiller à ce que les normes de construction soient bien respectées, ce qui n'était pas toujours le cas, car certains étaient tentés de les négliger pour obtenir des marchés ! Il faut aussi mettre l'accent sur la prévention, d'autant plus que vos propositions s'inscrivent parfaitement dans la logique de la transition climatique.

Ce rapport pose des jalons en vue d'une évolution du système. Je souligne enfin que, lorsque l'état de catastrophe naturelle est reconnu, le coût des assurances augmente par la suite, car le risque n'est plus incertain, mais avéré.

M. Arnaud Bazin . - Ce sujet est important, tant sur le plan financier qu'humain. Pour la plupart des Français, leur maison représente en effet le fruit du travail de toute une vie. Il faut conserver les principes de mutualisation et de solidarité. Le risque RGA est susceptible d'augmenter à l'avenir, mais il en va de même d'autres phénomènes naturels, comme les tempêtes ou les inondations, dans la mesure où les épisodes climatiques extrêmes devraient se multiplier. Nous aurions tort de séparer les risques.

Ma question porte sur les obligations constructives : je voudrais savoir si leur cartographie correspond à celle des risques géologiques, ou à celle des zones connaissant une sinistralité au titre du régime des catastrophes naturelles. Comment sont traités les sinistres dans le cas où les obligations constructives n'auraient pas été respectées ?

M. Albéric de Montgolfier . - La question du changement climatique et des catastrophes naturelles ne se limite pas à la sécheresse ni au RGA. Elle concerne aussi d'autres phénomènes tels que l'érosion du trait de côte, comme nous le rappelle la destruction de l'immeuble Signal en Gironde, ou les inondations. Il convient donc d'apprécier si on se limite au cas du RGA ou si on adopte une vision plus globale.

Notre rapporteur a raison de souligner qu'obliger les sinistrés à utiliser l'indemnité d'assurance pour réparer les dommages n'a pas de sens, surtout dans une zone à risque. Ne pourrait-on pas prévoir que lorsque le coût des travaux dépasse une certaine part de la valeur vénale de l'immeuble, l'indemnité d'assurance puisse être utilisée pour racheter un autre bien, et non simplement pour faire des réparations ?

M. Vincent Éblé . - Élu d'un département, la Seine-et-Marne, dont le nom comporte, hasard des homonymies, le terme de « marne », j'ai été confronté au problème des catastrophes naturelles.

Vous proposez de reconnaître automatiquement en état de catastrophe naturelle les communes dont le territoire est limitrophe d'une commune qui a obtenu ce classement. Mais la géographie du RGA n'est pas concentrique : dans mon département, la géographie du risque est plutôt linéaire, car ce problème concerne les communes situées le long de la Marne.

Le problème de fond est l'évolution du système assurantiel : celui-ci est menacé dès lors que les connaissances permettent d'avoir une appréciation beaucoup plus fine des risques et de lever la part liée aux incertitudes et aux aléas. C'est le cas en santé par exemple : les assureurs cherchent à apprécier de manière toujours plus fine le risque posé par les assurés au regard de certaines pathologies. Finalement, ceux qui ont un risque élevé paient très cher leurs primes d'assurance, au risque de les exclure du système. Cela met en péril la notion de mutualisation. Peut-être faudrait-il imposer aux assureurs une mutualisation intégrale.

M. Christian Bilhac . - Lorsque les catastrophes naturelles étaient rares, la solidarité pouvait jouer, mais elles se multiplient : RGA, érosion du trait de côté, inondations, etc. La solution, pour l'instant, est de ne pas reconnaître l'état de catastrophe naturelle de manière automatique, en dépit des demandes des maires. J'ajoute que si certains voient leur maison perdre toute sa valeur à cause des fissures, le fisc n'en tient pas compte dans ses évaluations...

Je suis plus dubitatif sur certaines mesures horizontales : à l'heure où l'on cherche à reboiser, est-il pertinent de couper les arbres à proximité des constructions ?

Entre le risque climatique et le risque sociétal, les collectivités territoriales ne trouvent plus d'assureur. Il convient d'être vigilant sur ce point. Il ne faudrait pas que les particuliers soient dans la même situation.

M. Éric Bocquet . - La presse régionale avait recensé 1 600 particuliers concernés par le RGA dans le Nord et le Pas-de-Calais. Combien de particuliers et de communes sont concernés en France ? Vous avez évoqué un fonds public : comment serait-il financé ?

M. Marc Laménie . - Quand une commune n'est pas reconnue en état de catastrophe naturelle, comment peut-on aider les particuliers concernés ? Le risque RGA est-il pris en compte parmi les informations collectées par les notaires lors des ventes de maison ?

Mme Isabelle Briquet . - Notre rapporteur a raison de souligner l'importance de la prévention. Nous avions mis l'accent sur ce point lors de l'examen de la proposition de loi Baudu. L'intégration du fonds Barnier dans le programme budgétaire 181 « Prévention des risques » a-t-elle permis d'améliorer l'indemnisation des sinistrés et la prise en charge des sinistrés ?

M. Jean Pierre Vogel . - Dans la Sarthe, nous avons rencontré des sinistrés dont les maisons avaient des fissures dans les murs porteurs, alors que leur commune n'avait pas été reconnue en état de catastrophe naturelle.

Que se passe-t-il lorsque le sinistre concerne une ancienne exploitation agricole, toujours classée comme siège d'exploitation, qui a été rachetée par des particuliers qui n'ont pas la capacité professionnelle agricole ? Les propriétaires ne sont pas en mesure de réparer leur maison parce qu'ils n'obtiennent pas de permis de construire dans la mesure où ils n'ont pas le statut agricole.

Beaucoup d'entreprises refusent de réaliser des travaux dans une maison sinistrée, car elles ont peur d'être mises en cause en cas de nouveau sinistre et de ne pas être couvertes par leur assurance de responsabilité civile décennale. Dans d'autres cas, l'entreprise ne peut commencer les travaux que plusieurs mois, voire plus, après le sinistre. Les prix peuvent avoir augmenté entre-temps et son devis peut alors être nettement supérieur à l'indemnisation versée par l'assurance, sans qu'il soit possible de la réévaluer. Les propriétaires n'ont parfois plus les moyens alors de faire les travaux.

M. Thierry Cozic . - Le régime de reconnaissance des catastrophes naturelles n'est plus adapté. Dans la Sarthe, la problématique des maisons fissurées est importante : une commune sur deux est touchée. Une fois que la commune est reconnue en état de catastrophe naturelle, une habitation sur deux seulement obtient une indemnisation. Mais selon l'association Urgence maisons fissurées, dans la Sarthe, neuf propriétaires sur dix n'obtiennent pas d'indemnisation. L'association a fait le choix de recruter son propre expert pour aider les particuliers. Les assureurs ont-ils la volonté de ne pas assurer le RGA ? Comment accompagner les sinistrés ?

Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial . - En ce qui concerne les normes de construction dans les zones soumises au risque RGA, le cadre est fixé par l'article 68 de la loi Élan. Les caractéristiques techniques ont été précisées dans une circulaire publiée en juillet 2022. En 2024 sera créée une police administrative chargée de vérifier la conformité des fondations des constructions par rapport au cadre réglementaire. Toute nouvelle construction dans une zone d'aléa moyen ou fort devra respecter ces normes techniques. L'ancien n'est pas concerné.

Un certain nombre d'entreprises, effectivement, ne veulent pas intervenir sur ces sinistres de peur d'être mises en cause au motif d'une mauvaise exécution du chantier. Elles craignent, en cas par exemple de réapparition d'une fissure sur une façade, de se voir reprocher d'avoir mal réalisé les réparations précédentes, alors que la fissure peut provenir d'un nouvel événement climatique. Réparer les fissures n'est qu'un palliatif, pour traiter véritablement le problème, il faut souvent reprendre les fondations. Ce problème est vif dans les endroits où la sinistralité est forte.

Je n'ai parlé que du régime RGA. Les dommages provoqués par la grêle et les vents violents, par exemple, sont exclus de la garantie CatNat, car ils relèvent d'un autre régime.

Nous proposons de nous intéresser aux indemnités d'assurance supérieures au prix de construction d'une maison individuelle : 170 dossiers dépassent ce seuil chaque année.

Je vous rassure monsieur Éblé, j'ai évoqué l'extension du périmètre aux communes voisines, mais j'ai bien précisé dans mon rapport qu'il fallait prendre en compte la nature du sous-sol : il faut suivre les limites de la poche d'argile, qui ne suivent pas les limites cadastrales.

Le problème de l'assurance des collectivités déborde la question du RGA. Cette question pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un travail de notre commission.

Les particuliers touchés par le RGA, mais qui ne sont pas dans une commune reconnue en zone de catastrophe naturelle n'ont droit à aucune indemnisation. C'est pourquoi nous proposons de réaliser les expérimentations sur les techniques de prévention du risque RGA portant sur l'environnement du bâti dans ces communes pour donner une « seconde chance » à ces sinistrés.

La budgétisation du fonds Barnier est récente. Nous manquons encore de recul pour faire une évaluation, mais on ne constate pas pour le moment une moindre consommation des crédits. Par ailleurs, un problème est que le fonds vert reprend un certain nombre de mesures de prévention alors que celles-ci relèvent aussi du fonds Barnier. On observe ainsi un éclatement des lignes budgétaires. Les donneurs d'ordre ne sont pas les mêmes et cela ne contribue pas à la lisibilité du financement de la prévention.

La question de Jean Pierre Vogel est très spécifique. Je pense que le nombre d'occurrences de reprises d'exploitations agricoles par des particuliers non agricoles est assez réduit, et que personne ne s'est encore vraiment penché sur cette question.

Sur la période 1989-2021, le nombre de sinistres indemnisés était de 972 000, soit une moyenne annuelle de 30 000. Le nombre annuel de communes qui demandent à être reconnues CatNat est de 2 000 en moyenne - jusqu'à 6 000 certaines années. On ne connaît pas encore les statistiques pour l'été 2022. La reconnaissance CatNat passe par une commission interministérielle présidée par le ministère de l'intérieur : je vous invite à lire mon rapport sur la proposition de loi de Stéphane Baudu.

Dans ce texte, nous avions d'ailleurs renforcé la possibilité pour les sinistrés de bénéficier d'une contre-expertise : désormais, l'assuré peut avoir son propre expert d'assurances au moment de la constatation du sinistre. Nous avons aussi amélioré l'information des sinistrés sur l'évolution de leur dossier, afin d'éviter qu'ils aient à attendre des mois pour recevoir les conclusions de l'expert.

L'ordonnance prévoit une harmonisation des rapports d'expertise et un mécanisme de sanction des experts qui ne manifesteraient pas assez d'indépendance par rapport à leur employeur.

Il faudrait envisager de mettre en place dans les départements soumis à de forts aléas le dispositif qui s'applique dans la Sarthe. L'association départementale, à laquelle les maires participent, est d'un grand secours pour aider les sinistrés, auprès desquels elle assure un rôle de conseil dans leurs démarches. Elle permet aussi à un maire qui a déjà vécu une situation de catastrophe naturelle de faire un retour d'expérience auprès d'un autre maire qui doit déposer un dossier RGA.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page