N° 387

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er mars 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur l' organisation de la police judiciaire ,

Par Mme Nadine BELLUROT et M. Jérôme DURAIN,

Sénatrice et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

L'ESSENTIEL

Le projet de réforme de l'organisation territoriale des services de la police nationale initié par le ministre de l'intérieur et porté par le directeur général de la police nationale (DGPN) a été à l'origine de vives contestations qui ont commencé à l'été 2022. Celles-ci tiennent notamment aux répercussions supposées de ce projet sur les services exerçant des missions de police judiciaire dans la police nationale.

La commission des lois du Sénat a en conséquence créé en son sein une mission d'information relative aux conséquences de cette réforme sur la police judiciaire dès le 14 septembre 2022. Quelques jours après était annoncée une mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale1 ( * ) puis, en octobre 2022, une mission confiée aux inspections générales de l'administration, de la justice et de la police nationale2 ( * ).

Les travaux de la commission des lois du Sénat visaient à évaluer la pertinence de l'organisation actuelle de la police judiciaire dans la police nationale, à se positionner sur le projet proposé par l'exécutif et, le cas échéant, à formuler des propositions permettant de préserver l'efficacité des services d'investigation.

Après deux déplacements, plus de 120 personnes entendues parmi lesquelles l'ensemble des représentants de la police et de l'autorité judiciaire des départements expérimentateurs, la commission des lois formule 22 recommandations qui s'ordonnent autour de deux axes :

- prévoir un moratoire de la réforme jusqu'aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 , afin de pouvoir préparer son entrée en vigueur dans de bonnes conditions sans mettre en difficulté la sécurité des grands évènements à venir ;

- rééquilibrer au plus vite les effectifs entre voie publique et investigation, afin de faire face aux stocks préoccupants de procédures judiciaires dans la police nationale et d'assurer le bon fonctionnement de la future filière investigation.

I. UNE FILIÈRE JUDICIAIRE EN CRISE DANS LA POLICE NATIONALE, QUI NE PARVIENT PLUS À RÉPONDRE AUX ENJEUX DE LA CRIMINALITÉ DU XXIE SIÈCLE

A. UN FONCTIONNEMENT EN SILO DES SERVICES EXERÇANT DES MISSIONS DE POLICE JUDICIAIRE AU SEIN DE LA POLICE NATIONALE, INADAPTÉ À LA CRIMINALITÉ DU XXIE SIÈCLE

La police judiciaire est chargée, comme en dispose l'article 14 du code de procédure pénale, « de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs ». Elle s'exerce sous le contrôle et la direction de l'autorité judiciaire.

Au niveau national, la police nationale traite environ 70  % de la délinquance générale et plus de 83  % de la grande criminalité. En dehors de la préfecture de police de Paris, deux directions couvrent l'essentiel des missions de police judiciaire dans la police nationale : la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

La DCSP traite quantitativement la part la plus importante des infractions enregistrées par les services de police, soit 98  % des faits constatés et 96  % des faits élucidés . Elle est en charge de la lutte contre la petite et moyenne délinquance , en particulier la délinquance de voie publique, les violences contre les personnes, les violences intrafamiliales, les violences urbaines ainsi que la lutte contre le trafic local de stupéfiants. Elle constitue une direction généraliste comptant 65 000 personnels dont 14 874 sont affectés à la filière judiciaire

La DCPJ , quant à elle, est une direction spécialisée en charge de la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme, la cybercriminalité ainsi que les formes graves et complexes de la délinquance spécialisée . Elle emploie 5 640 personnels dont 3 800 enquêteurs répartis entre les services centraux et territoriaux.

Chacune de ces directions dispose d'une grande autonomie de fonctionnement , tant en termes opérationnel que de gestion des ressources humaines ou de gestion budgétaire. Cette organisation fragmentée apparaît toutefois peu lisible et inadaptée . Cela s'ajoute à un mode de fonctionnement fortement centralisé et vertical , chacun des services déconcentrés ne rendant en pratique compte qu'à sa direction centrale sans qu'il n'y ait suffisamment d'interactions entre services au niveau local, ce qui pèse sur l'efficience de l'action de la police nationale .

Nous assistons aujourd'hui à l'émergence de nouvelles formes de criminalité marquées par l'internationalisation des phénomènes criminels , l'individualisation de la société ou encore le développement des nouvelles technologies . De nouvelles formes de criminalité ont également émergé, qui mêlent supra territorialité - voire déterritorialisation (avec la cybercriminalité par exemple) - et autonomisation des groupes à l'échelon local. Ce lien très fort entre délinquance locale et trafics d'envergure internationale nécessite une circulation fluide de l'information entre les services en charge de la « délinquance du quotidien » et ceux luttant contre la criminalité organisée afin de mettre en place des synergies et une stratégie globale de lutte contre la délinquance et la criminalité.


* 1 Qui a rendu son rapport le 8 février 2023. Rapport d'information n° 821 de M. Ugo Bernalicis et Mme Marie Guévenoux sur la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la création des directions départementales de la police nationale , fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale et déposé le 8 février 2023. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/reforme_police_judiciaire_creation_ddpn .

* 2 Qui a rendu son rapport en janvier 2023 : Bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations des directions départementales de la police nationale , Inspection générale de l'administration, Inspection générale de la justice, Inspection générale de la police nationale, janvier 2023. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/rapport-igaigpnigj-reforme-de-police-nationale

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