B. AUCUN DES DEUX SCÉNARIOS DE GÉNÉRALISATION DU SERVICE NATIONAL UNIVERSEL ÉTUDIÉS PAR LE GOUVERNEMENT N'EST PLEINEMENT SATISFAISANT

1. Deux scénarios de généralisation du service national universel sont étudiés par le Gouvernement

Deux scénarios de généralisation du SNU ont été présentés devant le rapporteur spécial par les services de la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel.

Le premier consiste à généraliser le SNU hors du temps scolaire , dans la lignée des expérimentations qui ont été menées jusqu'à présent. Dans le second, le SNU serait généralisé sur le temps scolaire , et de nombreux séjours de cohésion seraient organisés tout au long de l'année. Le second a la préférence de la secrétaire d'État .

Les deux scénarios de généralisation du service national universel

Scénario 1 : l'ensemble des élèves de classe de seconde effectuerait le séjour de cohésion hors du temps scolaire, très majoritairement au début du mois de juillet. Le nombre de séjours de cohésion organisés par an serait proche de celui des expérimentations menées actuellement, c'est-à-dire 3 ou 4 par an, et chacun de ces séjours réunirait plusieurs centaines de jeunes élèves en simultané.

Scénario 2 : l'ensemble des élèves de classe de seconde effectuerait le séjour de cohésion pendant le temps scolaire. Entre 13 et 15 séjours de cohésion seraient organisés par an, et chacun de ces séjours réunirait en simultané un nombre d'élèves inférieur à celui du premier scénario.

La différence entre les deux scénarios est plus significative qu'il ne semble au premier abord. Au niveau juridique, le deuxième scénario ramènerait l'obligation de participer au séjour de cohésion à l'obligation scolaire jusqu'à 16 ans révolus . En conséquence, les services de la secrétaire d'État estiment qu'une loi ne serait pas forcément nécessaire pour appliquer ce scénario , tandis qu'elle serait requise pour la généralisation du service national universel hors temps scolaire.

Pour cette raison, l'option d'un « mix » entre les deux scénarios n'est pas apparue crédible pour le rapporteur : si des séjours de cohésion étaient organisés en été, hors du temps scolaire, le dispositif ne serait plus entièrement assimilable à l'obligation scolaire.

Au niveau financier, le nombre de centres d'hébergement nécessaires en simultané est moins important dans le scénario 2 que dans le scénario 1, mais en revanche, les centres doivent être disponibles toute l'année. De même, il n'est pas nécessaire de recruter autant d'encadrants sur un temps court dans le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire par rapport au scénario d'une généralisation hors temps scolaire, mais cela implique que des encadrants soient affectés de manière quasiment permanente à l'organisation du service national universel.

Le tableau suivant présente les hypothèses retenues dans ce contrôle sur le nombre de centres de séjours et de centres d'hébergement requis dans les deux scénarios.

Les deux scénarios de généralisation
du service national universel : principaux chiffres

Scénario 1 : généralisation hors temps scolaire

Scénario 2 : généralisation sur le temps scolaire

Nombre de séjours

3 ou 4

Entre 13 et 15

Nombre de jeunes par séjour

Entre 210 000 et 280 000

Entre 56 000 et 64 615

Nombre de centres d'hébergement requis par séjour

Entre 1 400 et 1 867

Entre 374 et 431

Nombre de centres d'hébergement requis au total

Entre 2 100 et 2 800

Entre 748 et 862

Nombre d'encadrants requis par séjour

Entre 26 250 et 35 000

Entre 7 000 et 8 076

Nombre d'encadrants requis au total

Entre 39 375 et 52 500

Entre 14 000 et 16 153

Nombre de jours de travail moyen par encadrant

Entre 30 et 45

Entre 90 et 120

Source : commission des finances

Notes : les hypothèses retenues pour la construction de ce tableau sont les suivantes :

- « séjour » désigne ici une période où les jeunes partent en même temps effectuer le séjour de cohésion. Les chiffres données « par séjour » indiquent donc le nombre de centres et d'encadrants requis en simultané sur toute la France à une période donnée ;

- pour le nombre de séjours, les nombres retenus reprennent les estimations transmises par l'administration au rapporteur spécial ;

- pour le nombre de jeunes par séjours, le nombre total de jeunes devant effectuer un séjour de cohésion dans l'année pris pour référence est 840 000, qui est le nombre cité par les services de la secrétaire d'État chargée du service national universel ;

- pour le nombre de jours de travail moyen par encadrant, il est estimé que chaque encadrant fera en moyenne entre 2 et 3 séjours de cohésion dans le scénario 1, et entre 6 et 8 séjours de cohésion dans le scénario 2. Chaque séjour de cohésion représente 15 jours de travail (12 jours de présence des jeunes, et 3 jours de préparation).

2. Les expérimentations ont été menées jusqu'à présent dans l'optique d'une généralisation hors temps scolaire, ce qui rend leurs enseignements limités pour le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire

Le scénario d'une généralisation hors temps scolaire présente des faiblesses majeures : il n'existe ni un nombre suffisant de centres d'hébergement, ni un nombre suffisant d'encadrants en France pour accueillir des centaines de milliers de jeunes sur l'espace de quelques semaines .

Par ailleurs, le coût d'une généralisation hors temps scolaire n'est pas chiffré par les services de la secrétaire d'État ni par la direction de la jeunesse, de l'éduction populaire et de la vie associative (DJEPVA), ce qui semble indiquer que ce scénario est a priori abandonné.

Le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire soulève également de nombreuses interrogations . L'articulation du séjour de cohésion avec le déroulement de l'année scolaire n'a pas été détaillée, et surtout, il n'a pas eu d'indications sur le fait de savoir si les élèves de seconde auraient ou non le même nombre d'heures de cours . En outre, l'encadrement ainsi que la disponibilité des centres d'hébergement continuent de présenter des difficultés majeures.

Plus généralement, la généralisation du service national universel sur le temps scolaire suppose une articulation entre l'administration du SNU et l'éducation nationale qui reste à construire . L'absence des élèves pendant les deux semaines du séjour de cohésion aura un impact sur la structuration des programmes, et fera l'objet d'oppositions au sein de l'éducation nationale.

La perte de deux semaines de cours pour les élèves de seconde serait en effet particulièrement dommageable , et si le SNU devait être généralisé sur le temps scolaire, il serait nécessaire que les élèves puissent rattraper ces deux semaines.

Il faut relever que les expérimentations qui se sont déroulées entre 2019 et jusqu'à cette année ont été menées dans l'optique d'une généralisation hors du temps scolaire, ce qui limite les enseignements qu'elles peuvent apporter pour la généralisation du SNU sur le temps scolaire .

En effet, les centres d'hébergement disponibles ne sont pas les mêmes entre la période des vacances et le temps scolaire : alors que l'hébergement des jeunes s'appuyait pour une part importante sur des établissements scolaires, ceux-ci ne seront désormais plus disponibles. De plus, de nombreux chefs de centre dans la phase expérimentale sont des directeurs d'établissements scolaires, qui ne seront plus disponibles non plus .

Tous ces éléments conduisent à s'interroger sur la sincérité des expérimentations qui ont été menées jusqu'à présent . De nombreuses alertes avaient été émises, au moins dès la session de 2021, sur l'impossibilité technique de généraliser le service national universel hors temps scolaire, mais l'expérimentation a été reconduite dans des formes similaires en 2022 et en 2023. On peut interpréter l'augmentation relativement faible de l'objectif de jeunes devant participer au séjour de cohésion entre 2022 et 2023 comme le signe que l'option d'une généralisation hors temps scolaire était progressivement abandonnée, mais l'objectif d'une généralisation du SNU sur les vacances d'hiver et d'été restait pourtant affirmé.

La mise en oeuvre du scénario d'une généralisation sur le temps scolaire nécessiterait ainsi de nouvelles années d'expérimentation du séjour de cohésion. Cette situation est regrettable, et souligne les lacunes de la préparation du SNU lors du quinquennat précédent.

3. Quel que soit le scénario retenu, la généralisation du service national universel devrait au moins requérir une loi
a) Dans le scénario d'une généralisation hors du temps scolaire, une réforme de la Constitution serait nécessaire

Dans le scénario d'une généralisation du service national universel hors du temps scolaire, une loi constitutionnelle serait probablement requise . Dans un avis du 20 juin 2019, le Conseil d'État a estimé que l'article 34 de la Constitution ne permettait pas d'imposer des sujétions aux citoyens que pour des enjeux de défense. Le SNU n'étant pas un service militaire, la mise en place d'un séjour de cohésion obligatoire nécessiterait donc la révision de cet article.

La Cour des comptes, dans son rapport sur la formation à la citoyenneté d'octobre 2021, souligne également que « le cas des jeunes qui refuseraient le SNU (nouveaux objecteurs de conscience) et de ceux qui ne respecteraient pas certaines règles liées à la vie dans les centres doit aussi être prévu » 15 ( * ) .

Enfin, les jeunes étrangers n'ont aujourd'hui pas le droit de participer au service national universel. Cette situation est bien sûr particulièrement dommageable .

Ne pas permettre à des jeunes volontaires de participer au séjour de cohésion car ils ne possèdent pas la nationalité française va à l'encontre de l'objectif de cohésion sociale que se fixe le service national universel . Cette situation a été déplorée par l'ensemble des personnes auditionnées par le rapporteur spécial.

La DJEPVA ainsi que les services de la secrétaire d'État chargée du service national universel ont néanmoins indiqué que des réflexions étaient actuellement en cours pour permettre à ces jeunes d'effectuer le séjour de cohésion.

b) Dans le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire, une loi serait probablement nécessaire

Les problématiques juridiques sont différentes dans le cas du scénario d'une généralisation du service national universel sur le temps scolaire.

En effet, d'après la secrétaire d'État, l'obligation de participer au séjour de cohésion se retrouverait alors mêlée avec « l'obligation scolaire », qui s'applique pour les jeunes français ou étrangers jusqu'à 16 ans révolus. Les services de la secrétaire d'État ont d'ailleurs ajouté qu'en conséquence, ce scénario de généralisation du SNU ne nécessiterait pas nécessairement une loi.

L'obligation scolaire

L'obligation scolaire est le sujet des articles L. 131-1 à L. 131-13 du code de l'éducation. L'article L. 131-1 en énonce le principe : « l'instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans ». La loi Jules Ferry du 28 mars 1882 avait porté l'obligation jusqu'à 13 ans, et l'ordonnance n°59-45 du 6 janvier 1959 l'a prolongée jusqu'à l'âge de 16 ans révolus.

L'obligation scolaire impose l'inscription de l'enfant dans un établissement d'enseignement public ou privé, ou la mise d'une éducation à domicile dans les conditions définies par la loi. L'obligation scolaire suppose également l'assiduité aux cours (article L. 131-8).

Les objectifs de l'instruction obligatoire sont les suivants : « d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté . » (article L. 131-1-1)

Le respect de l'obligation scolaire fait l'objet d'un contrôle et de sanctions prévus aux articles R. 131-1 à R. 131-19 du code de l'éducation.

Toutefois, il n'est pas certain que l'obligation de participer au séjour de cohésion puisse se « fondre » entièrement dans l'obligation scolaire .

Premièrement, la situation des jeunes qui seraient en classe de seconde alors qu'ils ont plus de 16 ans n'est pas définie. Seraient-ils toujours obligés de participer au séjour de cohésion ? Quelles seraient les conséquences s'ils n'y participent pas ?

De plus, il n'est pas certain que l'obligation scolaire s'étende à l'ensemble des activités du séjour de cohésion. En effet, à l'heure actuelle, les sorties scolaires ne sont obligatoires que lorsqu'elles s'inscrivent sur le temps scolaire au sens strict, c'est-à-dire qu'elles se déroulent au même moment que les cours : « Les sorties scolaires obligatoires sont celles qui s'inscrivent dans le cadre des programmes officiels d'enseignement ou des dispositifs d'accompagnement obligatoires et qui ont lieu pendant les horaires prévus à l'emploi du temps des élèves » 16 ( * ) . En conséquence, dès lors que la sortie ou le voyage scolaire prévoit une nuitée, il n'est pas obligatoire d'y participer.

Il n'est pas évident de déterminer si la règle énoncée par la circulaire peut être modifiée par voie réglementaire, ou si elle est l'expression d'un principe qui ne peut être modifié que par une loi. La Cour des comptes, dans son rapport sur la formation à la citoyenneté, semble soutenir la seconde option, en rattachant les contraintes imposées par le séjour de cohésion aux libertés individuelles, au sens de l'article 66 de la Constitution : « en cas d'obligation, les modalités du séjour de cohésion (obligation à résidence pendant le séjour de cohésion sociale) et des MIG (obligation d'accomplir une tâche d'intérêt général non rémunérée pendant 12 jours), constituent des atteintes aux libertés individuelles » 17 ( * ) .

Il est donc probable que la généralisation de deux semaines de séjour de cohésion en hébergement collectif, même sur le temps scolaire, suppose au moins d'adopter une loi .

c) Une loi serait également nécessaire pour garantir le nombre d'heures de cours des élèves de seconde

Enfin, l'organisation du temps scolaire soulève également des difficultés juridiques . La mise en place de deux semaines de séjour de cohésion au cours d'une année reviendrait a priori à retrancher autant d'heures de cours pour les élèves de seconde, tandis que l'article L. 521-1 du code de l'éducation dispose que : « L'année scolaire comporte trente-six semaines ».

Or, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2019-278 L du 11 juillet 2019, a rappelé que la disposition de l'article L. 521-1 du code de l'éducation a bien une valeur législative , et ne peut donc être modifiée par un règlement 18 ( * ) .

Au-delà de la question de sa faisabilité juridique, le simple fait de « retirer » deux semaines de cours aux élèves de seconde est en soi critiquable . Bien que la classe de seconde soit réputée moins « chargée » que celles de première et de terminale, il n'en reste pas moins qu'elle présente des enjeux importants sur les élèves. Elle risquerait également d'augmenter la pression pesant sur les enseignants pour terminer les programmes dans les temps.


* 15 Cour des comptes, « La formation à la citoyenneté », octobre 2021, page 71

* 16 Circulaire n°2011-1172 du 3 août 2011 relative aux sorties et voyages scolaires au collège et au lycée.

* 17 Cour des comptes, « La formation à la citoyenneté », octobre 2021, page 71.

* 18 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2019278L.htm

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