Rapport d'information n° 427 (2022-2023) de M. Gérard LONGUET , fait au nom de la commission des finances, déposé le 15 mars 2023

Disponible au format PDF (2,3 Moctets)


N° 427

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 mars 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l' enquête de la Cour des comptes , transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF , sur la scolarisation des élèves allophones ,

Par M. Gérard LONGUET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Par courrier daté du 18 janvier 2022, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes la réalisation, au titre du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, d'une enquête relative à la scolarisation des élèves allophones, c'est-à-dire ceux dont la langue maternelle n'est pas le français.

Cette étude fait suite aux précédents travaux de la commission et de la Cour des comptes centrés sur les académies ultramarines 1 ( * ) . Le rapporteur spécial avait souligné dans l'enquête de 2020 les difficultés de scolarisation des élèves allophones dans ces académies, où ils représentent une part importante de la population scolarisée. Il avait notamment recommandé de mieux former les enseignants aux questions linguistiques et d'accroître les moyens des centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des élèves issus des familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) pour tenir compte des évolutions du nombre d'élèves allophones.

Le cadre de la présente enquête est beaucoup plus large, dès lors qu'il inclut les académies métropolitaines. Toutefois, afin de restreindre le champ des élèves concernés, seules seront abordées ici les situations des élèves au cours de leurs une à deux premières années de scolarisation en France, autrement dit les élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) .

La plus complète analyse sur ce sujet était jusqu'à présent un rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale (IGEN) et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) remontant à septembre 2009, intitulé La scolarisation des élèves nouvellement arrivés en France . Ce rapport soulignait qu'il s'agissait d'une politique « très peu évaluée », « dont l'efficience ne peut être mesurée » . Il mettait l'accent sur la diversité des situations locales, du fait notamment d'un pilotage pédagogique insuffisant entraînant un manque de lisibilité et des conditions d'accueil et d'enseignement très variables. La formation des intervenants était également jugée inadaptée.

Il est frappant de constater, près de 15 ans plus tard, à quel point ces critiques demeurent d'actualité et font écho aux remarques de la Cour des comptes, alors que le nombre d'élèves allophones a continué de croître . Si la scolarisation rapide et massive de jeunes Ukrainiens au printemps 2022 est un succès, elle a également pu souligner certaines fragilités du dispositif d'accueil des élèves allophones.

Pour donner suite à la remise de l'enquête par la Cour des comptes, la commission des finances a organisé le 15 mars 2023, une audition réunissant M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes ; Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, cheffe du service de l'instruction publique et de l'action pédagogique à la direction générale de l'enseignement scolaire et M. Daniel Auverlot, recteur de Créteil.

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

En s'appuyant sur les différents constats soulevés par la Cour des comptes, le rapporteur spécial souhaite mettre en avant les observations suivantes :

1. Il est nécessaire d'améliorer le pilotage national et l'animation du réseau des centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (casnav).

2. Le ministère de l'Éducation nationale gagnerait à mobiliser davantage les fonds européens destinés à la scolarisation des élèves entrant dans l'Union européenne.

3. Pour les élèves scolarisés en unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), établir des tests de niveau avant intégration dans le système ordinaire afin d'évaluer la performance de l'enseignement en UPE2A.

4. Le cadre posé par la circulaire n° 2012-141 d'octobre 2012 doit être révisé pour le mettre en cohérence avec les obligations de scolarisation à trois ans et de formation jusqu'à 18 ans.

5. La possibilité pour l'ensemble des enseignants de bénéficier de la certification « français langue seconde » dans le cadre de la formation continue doit être étendue.

I. LE DOUBLE FONDEMENT DE LA SCOLARISATION DES ÉLÈVES ALLOPHONES : LE MILIEU SCOLAIRE ORDINAIRE MAIS UN CADRE D'ENSEIGNEMENT ADAPTÉ

A. UN CADRE JURIDIQUE STABLE DEPUIS 2012 MAIS QUI N'EST PAS TOUJOURS RESPECTÉ DU FAIT DE MOYENS INÉGALEMENT RÉPARTIS

1. Le principe posé par les textes : tendre vers une scolarisation inclusive

Un élève est considéré comme un allophone nouvellement arrivé (EANA) quand, à la suite de son arrivée en France, il a des besoins éducatifs particuliers dans l'apprentissage du français langue seconde (FLS).

Le code de l'éducation prévoit à l'article L. 321-4 l'obligation de mettre en place des actions particulières pour l'accueil et la scolarisation des enfants allophones arrivant dans le premier degré et au collège. Il n'existe toutefois pas d'obligation identique pour les lycées.

Le cadre juridique de la scolarisation de ces élèves n'a pas évolué depuis plus d'une décennie et est déterminé par la circulaire n° 2012-141 d'octobre 2012 2 ( * ) .

Le principe fondamental fixé par la circulaire est le suivant : les élèves allophones arrivants ne maîtrisant pas la langue de scolarisation, en âge d'être scolarisés à l'école maternelle, les élèves soumis à l'obligation scolaire et les élèves de plus de 16 ans doivent être inscrits dans la classe de leur âge. L'inclusion dans les classes ordinaires constitue la modalité principale de la scolarisation .

Lors de leur entrée dans le système éducatif français, les élèves allophones sont inscrits dans une classe ordinaire correspondant à leur niveau scolaire, sans dépasser en théorie un écart d'âge de plus de deux ans . Ils sont généralement également pris en charge par les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A). Ces dernières se divisent entre les unités pédagogiques pour les élèves allophones arrivants ayant été scolarisés dans leur pays d'origine et les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants non scolarisés antérieurement (UPE2A NSA).

Les textes prévoient que la durée de scolarité d'un élève allophone ne doit pas excéder l'équivalent d'une année scolaire . Au-delà, ces derniers doivent intégrer le système scolaire classique. Le temps de scolarisation peut toutefois être porté à deux ans pour les élèves peu ou non scolarisés antérieurement.

En UPE2A, les élèves bénéficient d'un enseignement intensif du français d'une durée hebdomadaire de 9 heures minimum dans le premier degré et de 12 heures minimum dans le second degré , en parallèle des temps de fréquentation de la classe ordinaire où l'élève est inscrit. Sont également prévus l'enseignement de deux disciplines autres que le français. Plus généralement, la langue française comme discipline et comme langue instrumentale des autres disciplines « ne saurait être enseignée indépendamment d'une pratique de la discipline elle-même » selon le texte de la circulaire de 2012.

2. Une gestion très déconcentrée en lien avec le réseau des Casnav qui entraîne d'importantes inégalités de prise en charge selon les territoires

La politique de scolarisation des élèves allophones est très déconcentrée et relève pour l'essentiel des rectorats .

Dans les académies, la gestion est assurée par les centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des élèves issus des familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) 3 ( * ) . Le Casnav a pour mission principale « d'informer et d'accompagner les enseignants et les personnels d'encadrement par des conseils et une aide pédagogique aux équipes enseignantes, des actions de formation, la diffusion de documents pédagogiques ou d'autres ressources » 4 ( * ) .

Le pilotage par l'administration centrale est dans les faits assez lacunaire, notamment du fait de l'absence de données chiffrées consolidées , qui sera développée plus bas. Ainsi, un seul équivalent temps plein (ETP) est depuis 2022 consacré au suivi de la scolarisation des EANA et à l'animation du réseau des Casnav au sein de l'administration centrale. La Cour des comptes indique que « l'animation du réseau apparaît, en outre, relativement discontinue » , ce qui semble un euphémisme dès lors que le dernier colloque réunissant l'intégralité du réseau des Casnav remonte à avril 2019.

Cette situation, soulignée par la Cour des comptes dans la présente enquête, n'est pas une nouveauté. Ainsi, le rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale de 2009 mentionné plus haut critiquait un « pilotage pédagogique insuffisant » , les différences entre structures de scolarisation entraînant un manque de lisibilité et des conditions d'accueil et d'enseignement très variables. Le rapport réalisé en 2018 par l'institut national supérieur formation et recherche - handicap et enseignements adaptés (INSHEA) à la demande du Défenseur des droits soulignait de même les « conditions scolaires inégales, sources d'injustices pour les élèves et de frustrations pour les professionnels ».

Concernant les Casnav, la Cour montre de grandes différences dans la réalité de leur organisation et de leur fonctionnement , notamment du fait de moyens très variables selon les académies .

Ainsi, la Cour des comptes indique qu'un ETP s'occupe de 218 élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) pour le Casnav de Normandie, mais de 734 élèves à Créteil et 300 à Paris. En Guyane et à Mayotte, un ETP s'occupe respectivement de 153 et de 180 EANA, du fait d'une situation locale particulièrement complexe.

Ces importantes inégalités territoriales s'observent également dans la répartition des UPE2A et dans le nombre d'élèves par section. La Cour note ainsi « de fortes variations dans les effectifs par école et par enseignant. En Val-de-Marne, le nombre d'EANA varie, par exemple, d'une dizaine à 20 et plus par école, et de moins de 10 à plus de 40 par enseignant ». De fortes disparités entre les UPE2A et les arrondissements sont également visibles à Paris (de 4 à 24 élèves par dispositif). Lorsqu'il n'existe pas d'UPE2A ou à la sortie d'une UPE2A si l'élève n'est pas autonome, les EANA sont inclus en cursus ordinaire avec un soutien linguistique. C'est le cas de 21 % d'entre eux à la dernière rentrée.

En conséquence , le minimum de 9 heures de cours n'est pas toujours respecté : selon la Cour des comptes, en juin 2021, 430 élèves suivaient plus de 9 heures de français langue seconde et 282 d'entre eux bénéficiaient de moins de 9 heures.

Concernant la coordination avec les différents acteurs au-delà de l'Éducation nationale, celle-ci est également limitée . Le rapport présenté en 2018 au Défenseur des droits indique que « si les relations avec les partenaires locaux tels que la mairie et le département sont signalées comme centrales dans les missions du CASNAV et dans la scolarisation, celles-ci sont rares ». De même, les liens avec les structures associatives sont qualifiés de « souvent distendus et plutôt ponctuels, limités parfois aux problèmes administratifs ».

Enfin, la Cour note que « le ministère ne semble pas avoir de point de vue précis » sur les dynamiques d'implantation des UPE2A au sein des établissements scolaires, en particulier en articulation avec le réseau d'éducation prioritaire (REP+).

Le rapporteur spécial souligne qu'il est regrettable que l'administration centrale ne se soit toujours pas emparée du problème des disparités interacadémiques , pour aller vers une nécessaire harmonisation des moyens, ou à tout le moins vers une plus grande adaptation aux enjeux locaux.

B. UN NOMBRE D'ÉLÈVES RELATIVEMENT FAIBLE MAIS DES EFFECTIFS MAL CONNUS

1. Une population d'élèves peu nombreuse et encore mal appréhendée
a) Un nombre croissant d'élèves allophones

Les données sur la scolarisation des élèves allophones découlent pour l'essentiel de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'Éducation nationale.

D'après la DEPP, on dénombrait en 2018-2019 67 909 élèves allophones scolarisés dans l'élémentaire, en collège et en lycée ; 2 035 élèves pris en charge dans les missions de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) et 2 587 élèves en attente de scolarisation. En 2020-2021, ils étaient 64 564 et 66 641 en comptant les jeunes scolarisés dans les MLDS ou non scolarisés. D'après la DEPP, les élèves allophones représentent 6,9 %o des élèves . Au total, 9 600 écoles et établissements accueillent des élèves allophones .

Si les deux dernières années se caractérisent par une baisse des effectifs pendant la crise sanitaire, la tendance de long terme est celle d'une hausse constante des effectifs scolarisés. Seuls 39 000 élèves étaient scolarisés en 2003-2004, ce qui représente une hausse de 54 % en primaire et de 44 % au collège. L'augmentation très frappante que l'on peut observer au lycée (+ 300 %) résulte du très faible d'élèves scolarisés au lycée il y a une vingtaine d'année.

Évolution du nombre d'élèves allophones (EANA)

(en milliers)

Source : commission des finances d'après l'enquête de la Cour des comptes d'après la DEPP

Parmi les élèves allophones, les garçons représentent 59 % des effectifs au total , et jusqu'à 74 % des allophones scolarisés en lycée. Huit sur dix étaient déjà scolarisés avant leur arrivée en France.

b) Une répartition inégale sur le territoire, notamment du fait d'une concentration des élèves dans les académies ultramarines

Ces chiffres recouvrent une très grande diversité géographique, les élèves allophones étant concentrés dans quelques départements tels que Mayotte, la Guyane, les départements du Vaucluse et de l'Essonne. Dans ces départements, les élèves allophones représentent plus de 11 %o des élèves scolarisés, contre 6,9 %o au niveau national .

La Cour, suivant les données de la DEPP, indique que les principales régions en tension sont les académies franciliennes, les zones frontalières (Marseille, Lille, Strasbourg) et les métropoles.

Certaines académies sont à l'inverse nettement moins concernées que d'autres. Par exemple, les départements du Finistère, du Pas-de-Calais et de la Vendée comptent moins de 3 %o d'élèves allophones.

Concernant le cas particulier des académies ultramarines, le rapporteur spécial renvoie à l'enquête de la Cour et au rapport publié en 2020 5 ( * ) . Les problématiques y sont très différentes : la proportion d'enfants qui n'ont pas le français pour langue maternelle est estimée à 70 % en Guyane.

Effectifs d'élèves allophones (EANA) par académie

Source : enquête de la Cour des comptes

2. Un coût budgétaire essentiellement lié aux dépenses de personnel

La Commission européenne a également récemment souligné « la rigidité des financements visant à fournir des services et un soutien adéquat » aux élèves allophones 6 ( * ) .

Selon la Cour des comptes, le budget consacré annuellement à la scolarisation des élèves allophones au sein de la mission « Enseignement scolaire » s'élève à 180 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les dépenses de l'État et des collectivités pour la scolarisation en milieu ordinaire , les infrastructures scolaires et les temps périscolaires. Ces 180 millions correspondent donc en moyenne à un coût de 2 800 euros par élève de plus qu'un élève non allophone.

Crédits consacrés à la scolarisation des élèves allophones
au sein de la mission « Enseignement scolaire »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après la Cour des comptes d'après les documents budgétaires

Malgré la récente montée en charge des UPE2A dans les lycées, une part majoritaire des dépenses est consacrée au premier degré, c'est-à-dire pour l'essentiel à l'école primaire. Les dépenses du programme 141 - Enseignement public du second degré ne s'élevaient ainsi en 2022 qu'à 76 millions d'euros, contre 103 millions pour le programme 140 - Enseignement public du premier degré.

Part des dépenses en faveur des élèves allophones
scolarisés dans le premier degré

2020

2021

2022

55,54 %

57,62 %

57,63 %

Source : commission des finances

Ces montants sont en quasi-totalité (98 %) constitués de dépenses de personnel (titre 2).

D'après les données du ministère et la Cour, 1 648 ETP sont consacrés aux UPE2A . Sur l'année scolaire 2020-2021, on comptabilise au niveau national l 183 ETP (12,7 millions d'euros) de décharges pour assurer le « soutien scolaire et accompagnement des élèves migrants », ainsi que 364,5 indemnités pour missions particulières (IMP) pour un montant limité de 0,5 million d'euros.

Étonnamment, la Cour précise que « le nombre de personnels intervenant en Casnav ne peut pas en revanche être identifié par le système d'information ». Il est cependant surprenant que le ministère ne dispose pas d'une vision consolidée des effectifs enseignants consacrés par chaque académie.

Ventilation des crédits hors titre 2 consacrés à la scolarisation
des élèves allophones au sein de la mission « Enseignement scolaire »

(en euros)

Source : commission des finances d'après la Cour des comptes d'après les documents budgétaires

La Cour des comptes soulève une piste que le rapporteur spécial considère comme intéressante. L'Italie utilise massivement le fonds européen Asile, Migration, Intégration (FAMI) pour financer ses efforts spécifiques vis-à-vis des jeunes migrants, y compris leur scolarisation. La Cour indique qu'il « est regrettable que le ministère chargé de l'éducation n'y ait pas recours, pour des raisons qui ne lui ont pas été indiquées ».

3. Des évaluations du système de scolarisation des élèves allophones partielles et qui doivent être refondées
a) Des données sur les élèves incomplètes

Concernant le nombre d'élèves concernés, la Cour des comptes met en avant des « discordances parfois importantes » entre les chiffres qui lui ont été communiqués et les statistiques nationales .

Il est vrai que depuis 2014, date de transformation de la collecte des données sur le sujet, la publication des statistiques relatives à la scolarité des élèves allophones reste très nettement perfectible.

La Cour indique que « les chiffres n'ont pas été publiés pour l'année 2015-2016, ni pour l'année 2019-2020, tandis que ceux relatifs à l'année 2020-2021 ne l'ont été qu'en septembre 2022 ». En outre, pour l'année 2019-2020, l'administration a admis que les données étaient « statistiquement inexploitables » 7 ( * ) . Seuls les chiffres de 12 académies ont pu être validés, dont sept n'ont pas nécessité de correction.

Le rapporteur spécial insiste sur la nécessité de mener à bien un travail statistique complet et approfondi au niveau national. Il est par exemple curieux que ne soient pas publiées des données sur les langues les plus parlées par ces élèves, leur âge d'arrivée dans le système scolaire français ou leur orientation scolaire.

b) Une évaluation de l'efficience du système qui ne saurait se passer de tests réguliers sur le niveau des élèves

Au-delà du nombre d'élèves et de leur localisation, le rapporteur spécial regrette tout particulièrement qu'il n'existe pas de suivi de ces élèves et de leurs performances scolaires.

Les seules données disponibles sont celles issues du test dit « de positionnement » réalisé par les élèves à l'entrée dans le système scolaire, qui déterminera le niveau auquel ils seront scolarisés.

D'après la DEPP, plus de sept élèves allophones scolarisés dans le premier degré sur dix sont « à l'heure » , c'est-à-dire que leur âge correspond à l'âge théorique pour ce niveau de formation. À l'école élémentaire, les retards de 2 ans ou plus relèvent de l'exception (autour de 3 %). En revanche, au collège, la proportion d'élèves allophones « à l'heure » est nettement plus faible : six collégiens allophones sur dix sont en décalage par rapport à leur classe d'âge .

Retard scolaire des élèves allophones en élémentaire et au collège

Source : DEPP

La Cour l'indique directement : « actuellement, il n'existe pas de référentiel spécifique de l'éducation nationale pour évaluer les élèves sortant d'UPE2A ».

Autrement dit, à l'issue de leur année en UPE2A, les élèves rejoignent les classes ordinaires sans que n'aient été mises en place des évaluations de niveau, ni concernant leur niveau en français langue seconde, ni dans les disciplines générales qu'ils seront pourtant amenés à suivre. Le rapport remis au Défenseur des droits en 2018 précédemment mentionné l'indiquait déjà « la sortie effective du dispositif n'est quasiment jamais décidée au regard des performances scolaires de la classe d'âge de référence ou de la progression réalisée par l'élève depuis son arrivée dans le système éducatif ». Ce rapport note qu'il n'y a, à cet égard, qu'une très faible cohérence entre le suivi du besoin scolaire et les flux d'entrées et de sorties dans les dispositifs .

S'il ne s'agit pas de conditionner la sortie d'UPE2A à l'atteinte d'objectifs, il conviendrait de s'assurer que les élèves allophones seront en capacité de s'inscrire dans un contexte scolaire ordinaire . En outre, on voit mal comment il est possible de mesurer l'efficience du dispositif actuel en l'absence d'évaluation du gain apporté par la scolarité en UPE2A.

Plus largement, il est regrettable qu'il n'existe pas de suivi tout au long de la scolarité des élèves allophones, une fois ceux-ci intégrés au système scolaire ordinaire. Le rapporteur spécial reprend à ce titre la recommandation exprimée par la Cour d'établir un véritable suivi de cohorte , qui permettrait une analyse fine et sur le long terme des apports du dispositif d'accueil des élèves allophones.

II. UN SYSTÈME D'ACCUEIL DES ÉLÈVES ALLOPHONES QUI DOIT ÊTRE RÉVISÉ ET AMÉLIORÉ

A. UN DÉLAI DE SCOLARISATION SOUVENT TROP LONG DANS LE SECOND DEGRÉ

La circulaire de 2012 ne fixe pas de cadre visant à limiter le temps de latence entre la demande de scolarisation et l'entrée dans l'établissement.

On note à cet égard d'importantes différences entre le premier et le second degré. Dans le primaire, le placement dans une UPE2A se fait généralement lors de l'inscription, ce qui contribue à la maîtrise des délais, même si la part d'élèves toujours non affectés au bout de six mois a plus que doublé entre 2016 et 2020. Cependant, en 2020-2021 73 % des élèves allophones ont été affectés à une classe de primaire le jour même de leur test de positionnement , ce que le rapporteur spécial considère comme positif.

À l'inverse, on constate d'importants dérapages dans les délais d'affectation dans le second degré . La Cour met en avant « l'engorgement des structures d'accueil » et les périodes de fermeture estivale des structures de test. Ainsi, 15 % des collégiens et 25 % des lycéens attendent plus de trois mois, et respectivement près de 3,5 % et 5,4 % d'entre eux n'ont toujours pas de place plus d'un an après leur test de positionnement . Plus inquiétant, les délais augmentent par rapport à la rentrée 2016-2017. La part d'élèves qui n'étaient toujours pas scolarisés au bout de six mois a augmenté de 126 % au collège et 106 % au lycée.

La Cour indique que « parmi les 608 allophones en attente d'une scolarisation en juin 2021, 50 % ont passé leur test avant le 1 er janvier et ont donc connu plus de six mois d'attente, ce qui constitue un délai particulièrement long ». La scolarisation rapide de milliers d'élèves ukrainiens a pourtant prouvé qu'il était possible d'affecter rapidement de nombreux élèves.

Le rapporteur spécial s'étonne que la Cour indique également dans son enquête que, s'agissant des élèves ukrainiens, « la scolarisation rapide a en réalité été facilitée par le nombre de places existantes en UPE2A. En février 2022, le ministère a ainsi disposé d'une réelle marge de manoeuvre en remplissant les UPE2A existantes » 8 ( * ) . Outre que l'enquête ne précise pas l'ampleur et la nature de ces marges de manoeuvre, et qu'elle indique plus haut que le nombre maximal d'élèves par UPE2A était fréquemment dépassé, il est étonnant que des délais si longs d'affectation des élèves allophones subsistent par ailleurs .

Part des élèves allophones n'étant toujours pas scolarisés
plus de six mois après leur test de positionnement

2020-2021

2016-2017

Source : commission des finances

De tels délais sont difficilement acceptables, car ils contribuent au retard de scolarisation, qui est pourtant obligatoire, de ces enfants . En outre, le droit européen, au travers de la directive 2013/33/UE 9 ( * ) , prévoit un délai maximum de trois mois entre la date d'introduction de la demande de protection internationale dans le pays d'accueil et celle de scolarisation.

À titre de comparaison, en Allemagne, la Cour précise que les délais sont considérés comme « tolérables » dans le Land de Berlin lorsqu'ils n'excèdent pas quatre semaines.

En outre, il convient de garder à l'esprit que ce délai n'est que partiel. S'y ajoute celui entre la première prise de contact de la famille avec le ministère de l'Éducation nationale et la réalisation du test de positionnement, sur lequel il n'existe aucune donnée. Le rapporteur spécial considère qu'il est nécessaire de prendre en compte ce temps supplémentaire.

Le rapporteur spécial considère que la recommandation formulée par la Cour de fixer un objectif de délai maximal va dans le bon sens.

B. DES CATÉGORIES D'ÉLÈVES ENCORE LAISSÉES DE CÔTÉ PAR LE SYSTÈME ACTUEL

Au-delà des élèves en attente de scolarisation, il est parfois difficile pour certaines catégories d'allophones de bénéficier d'un dispositif adapté. Selon la DEPP, 10 % des élèves allophones sont scolarisés en milieu ordinaire sans soutien linguistique , ce qui constitue une proportion non négligeable et ne peut qu'interroger sur le fonctionnement global du système d'affectation. Il est notamment plus difficile pour les élèves en zone rurale d'avoir accès à une UPE2A.

Plus particulièrement, deux catégories de jeunes allophones ne sont pas prises en compte dans le système prévu par la circulaire de 2012.

Lors de la rédaction de la circulaire, la scolarisation à 3 ans n'était pas encore obligatoire et ne l'a été que depuis la loi de juillet 2019 pour une école de la confiance. En conséquence, la circulaire ne prévoit rien pour les enfants allophones à l'école maternelle, qui sont scolarisés en classes ordinaires et sans accompagnement particulier .

Selon la Cour des comptes, « le ministère n'envisage pas pour le moment de dispositif spécifique pour cette catégorie. Il considère que l'entrée dans la langue de l'école est une problématique commune à tous les élèves de maternelle ». Dès lors que le cadre législatif a changé, il est curieux de ne pas prévoir un dispositif d'accueil adapté aux jeunes enfants. Il est évident qu'un enfant ne maîtrisant pas le français lors de sa première scolarisation à 5 ans n'aura pas les mêmes problématiques qu'un enfant dont le français est la langue maternelle et a déjà accumulé un retard qui se répercutera à l'école primaire. À tout le moins, les enseignants de maternelle devraient pouvoir disposer d'une formation adaptée. Cela renvoie toutefois à des sujets de formation plus larges qui seront développés plus bas.

Le cadre posé par la circulaire de 2012 est tout aussi lacunaire concernant les jeunes de 16 à 18 ans , qui représentent 16,7 % du total des EANA. La loi pour une école de la confiance a prévu une obligation de formation jusqu'à 18 ans, qui n'existait pas en 2012 et n'est donc pas prévue par la circulaire en vigueur. Le rapporteur spécial se joint aux critiques émises par la Cour des comptes sur le « manque d'orientation nationale », qui indique que « les rectorats sont amenés à prendre des initiatives pour tenter de répondre aux besoins qui s'expriment, mais sans vision systématique et cohérente ».

La Cour indique que « sur environ 30 000 mineurs non accompagnés à fin 2019, seuls un peu plus d'un tiers étaient scolarisés au sein de l'éducation nationale. Il n'y a pas de mesure fiable permettant de s'assurer que les deux autres tiers étaient pris en charge dans d'autres dispositifs, en formation professionnelle ou en situation d'emploi. Il est probable qu'une partie de ces jeunes n'étaient dans aucune de ces catégories, contrairement à ce qu'exige la loi ».

Plus largement et au-delà du cas spécifique des mineurs non-accompagnés, le rapporteur spécial renvoie à la longueur des délais pour la scolarisation des lycéens allophones. Le ministère de l'Éducation nationale « admet une insuffisance de dispositifs adaptés pour les élèves d'âge du lycée », et la Cour souligne que la scolarisation en lycée « ne s'effectue pas dans des conditions optimales », notamment du fait de l'absence de plafond du nombre maximal d'élèves dans les UPE2A en lycée.

Le rapporteur spécial considère qu'il n'est pas possible de maintenir le cadre juridique actuel qui conduit à ne pas respecter des obligations légales.

C. UN EXEMPLE POSITIF : LA SCOLARISATION RAPIDE ET MASSIVE EN 2022 D'ÉLÈVES UKRAINIENS

Le rapporteur spécial s'est déjà penché dans un précédent rapport 10 ( * ) sur les premiers chiffres liés à l'arrivée en nombre d'élèves ukrainiens dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Depuis le 24 février 2022, ces enfants déplacés d'Ukraine sont accueillis dans les établissements et sont accompagnés de façon renforcée pour l'apprentissage du français, soit par une prise en charge en UPE2A soit en suivant des modules de français langue seconde.

20 075 élèves ukrainiens ont été accueillis en novembre 2022 (contre près de 100 000 en Allemagne) , dont 54 % des élèves ukrainiens dans le premier degré, 33 % au collège et 13 % au lycée. Cela représente une hausse d'un tiers du nombre d'élèves allophones scolarisés par rapport à la rentrée 2020-2021.

Le ministère de l'éducation nationale a mis en place une cellule nationale en charge du suivi et de la coordination ministérielle des questions liées à la crise ukrainienne. Les académies ont également été invitées à constituer, à leur niveau, une cellule Ukraine et à désigner un référent, qui échange régulièrement avec la cellule nationale.

Si le rapporteur spécial se félicite de la rapidité avec laquelle ces élèves ont intégré le système prévu pour les élèves allophones , il est curieux que le ministère ait considéré qu'il n'était pas nécessaire de créer de nouvelles UPE2A au vu de l'ampleur de la hausse des effectifs de ces classes.

Concernant le coût de l'ensemble de scolarisation de ces élèves, le rapporteur spécial avait indiqué en novembre dernier qu'il était dans l'ensemble difficile à évaluer, dans la mesure où les académies mobilisaient leurs marges budgétaires. La Cour des comptes parvient quant à elle à un coût total d'environ 25 millions d'euros , en tenant compte du coût moyen de la scolarisation des EANA. Ces montants doivent cependant être pris avec prudence, la Cour indiquant elle-même que « ce chiffre n'est, par construction, qu'une approximation ».

III. UNE FORMATION DES ENSEIGNANTS LACUNAIRE ET DONT LE CADRE DOIT ÊTRE ADAPTÉ

A. UNE ABSENCE DE CERTIFICATION OBLIGATOIRE À L'ENSEIGNEMENT DU « FRANÇAIS LANGUE SECONDE » QUI NE PEUT QU'INTERROGER

Enseigner en UPE2A implique d'être face à des élèves de langues et de cultures différentes, au niveau scolaire hétérogène et qui ont en commun de ne pas maîtriser le français. À ce titre, il serait logique que l'ensemble des enseignants en UPE2A soient titulaires d'une certification « français langue seconde » (FLS).

Si théoriquement, l'affectation en UPE2A est effectivement prioritairement attribuée aux enseignants certifiés FLS, cela n'est cependant pas le cas en réalité. En l'absence de données consolidées au niveau national sur le nombre d'enseignants certifiés FLS en UPE2A , la Cour a cependant montré de nombreuses difficultés dans certaines académies.

Pour le premier degré, la circulaire de 2012 prévoit que tout enseignant volontaire peut être affecté à une UPE2A, indépendamment de sa certification ou non. Pour le second degré, aux termes de la circulaire, tout professeur de lettres doit pouvoir prendre en charge l'enseignement FLS.

En Normandie, par exemple, parmi les enseignants du premier degré en UPE2A, 66 % sont certifiés FLS et 10 % engagés dans la formation, mais 24 % ne sont pas certifiés. Parmi ceux du second degré dans la même académie, la moitié n'est pas certifiée. Plus étonnant, la Cour indique que « les enseignants qui ont la certification ne sont pas forcément ceux affectés en UPE2A ».

La Cour considère qu'il serait souhaitable de mettre en place une politique systématique de généralisation de cette certification pour ces enseignants . Le rapporteur spécial considère que cela doit passer à court terme par une mobilisation prioritaire des enseignants certifiés FLS en UPE2A et à long terme par une obligation de certification ou à tout le moins d'engagement dans une certification pour enseigner en UPE2A . Si l'obligation de certification rend nécessairement le recrutement des enseignants en UPE2A plus complexe, elle apparaît indispensable pour garantir l'efficacité du dispositif. Il ne peut être attendu des enseignants qu'ils permettent en un an à des élèves non francophones de rejoindre une classe ordinaire s'ils ne sont pas en parallèle formés.

B. LA FORMATION INITIALE COMME CONTINUE À LA PRISE EN CHARGE D'ÉLÈVES ALLOPHONES RESTE TRÈS FAIBLE

Cette question de la certification FLS cristallise une partie des interrogations sur la formation des enseignants à l'enseignement à des élèves allophones. Mais les déficiences de formation vont au-delà de ce seul sujet.

Il convient à ce titre de distinguer enseignants en UPE2A et enseignants en classe ordinaire accueillant des élèves allophones.

Concernant ces derniers, qui sont nombreux, tout enseignant du second degré souhaitant se former pour adapter ses pratiques pédagogiques en classe ordinaire, a théoriquement la possibilité de se présenter à l'examen de certification complémentaire FLS au sein de son académie. La Cour note toutefois qu'en pratique, « l'interprétation de ces textes dans certaines académies réserve cette possibilité à ceux qui ont déjà mis en oeuvre des enseignements ou des stages dans ce domaine, et donc aux enseignants de français ».

En outre, la certification FLS est accessible uniquement en parallèle d'un Capes disciplinaire ou par la formation continue. La Commission européenne a indiqué dans le rapport de 2019 précédemment mentionné que la France était le seul pays avec le Royaume-Uni à ne pas avoir de programme de formation spécifique pour l'enseignement de la langue d'instruction en tant que deuxième langue.

Les comparaisons internationales sont de manière générale peu à l'avantage du système français. Selon les résultats de l'enquête Talis menée par l'OCDE, seuls 8 % des enseignants de notre pays se sentent « bien préparés » ou « très bien préparés » pour enseigner en milieu multiculturel ou plurilingue , contre 26 % en moyenne dans l'OCDE. Pour 6 % d'entre eux, l'enseignement en milieu multiculturel ou plurilingue figure au programme de leurs activités de formation continue, contre 22 % en moyenne dans l'ensemble de l'OCDE 11 ( * ) .

La formation continue des enseignants à l'accueil des élèves allophones reste très partielle. En 2020-2021, seuls 0,26 % des enseignants du premier degré et 2,2 % des enseignants du second degré avaient suivi une formation continue sur ce thème . Le rapporteur spécial appelle à une mobilisation sur ce point, mais souligne que la progression observée au cours des dernières années va dans le bon sens.

Concernant les enseignants en UPE2A, au-delà de la certification FLS, la Cour des comptes note que « de nombreux enseignants sont affectés à des UPE2A sans formation particulière ». Dans la mesure où les conditions d'enseignement sont sensiblement différentes de celles expérimentées en classes ordinaires, il serait souhaitable de généraliser des modules de formation continue à ces enseignants.

TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 15 mars 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la scolarisation des élèves allophones.

M. Claude Raynal , président . - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la scolarisation des élèves allophones.

La scolarisation rapide et massive de jeunes Ukrainiens au printemps 2022 a été considérée comme un succès. Mais elle a aussi souligné certaines fragilités du dispositif d'accueil des élèves allophones, c'est-à-dire dont la langue maternelle n'est pas le français. Or la plus complète analyse sur ce sujet remontait à près de 15 ans, dans un contexte de croissance continue du nombre d'élèves allophones scolarisés en France. Il manquait donc une étude consolidée. C'est la raison pour laquelle la commission des finances a commandé à la Cour des comptes une enquête sur le sujet.

Nous recevons M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête. Pour nous éclairer sur le sujet et répondre aux observations de la Cour, sont également présents Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, cheffe du service de l'instruction publique et de l'action pédagogique à la direction générale de l'enseignement scolaire et M. Daniel Auverlot, recteur de Créteil.

M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes . - J'ai le plaisir de venir présenter devant vous le rapport de la Cour sur la scolarisation des élèves allophones. Ce document vous a été transmis dans le cadre de la demande d'enquête de la part du président de la commission des finances du Sénat, en application de l'article 58-2° de la loi organique du 1 er août 2001. Les contours de cette enquête ont été précisés dans la lettre de cadrage que le Premier Président vous a adressée le 20 avril 2022.

L'enjeu d'intégration de ces jeunes est en effet majeur, pour éviter qu'ils ne soient pénalisés par rapport aux enfants de même génération. Ce sujet bénéficie aujourd'hui d'une actualité particulière compte tenu de la présence sur le territoire de nombreux jeunes réfugiés ukrainiens. L'enquête n'a pas eu pour objet de traiter de l'ensemble des élèves ne parlant pas ou mal français à l'entrée en maternelle ou au cours de la scolarité, mais bien de se concentrer, conformément à la définition reconnue sur le plan international et par le ministère de l'Éducation nationale, sur les « élèves allophones nouvellement arrivés sur le territoire - EANA » c'est-à-dire nouvellement arrivés en France et dont la langue maternelle n'est pas le français. Un jeune est considéré comme EANA quand, arrivant sur le territoire, il a des besoins éducatifs particuliers dans l'apprentissage du français, mis en évidence par un test de positionnement.

Au cours de l'année scolaire 2020-2021 (dernier chiffre connu), 64 564 EANA ont été scolarisés en école élémentaire, en collège ou en lycée. Leur nombre a très probablement diminué jusqu'en mars 2022 du fait de la crise sanitaire, puis a augmenté depuis cette date compte tenu des enfants réfugiés ukrainiens scolarisés. 23 % des EANA n'ont pas été scolarisés antérieurement, ou très peu, dans leur pays d'origine.

L'obligation d'instruction s'applique désormais dans notre pays pour les jeunes de 3 à 16 ans, et une obligation de formation existe de 16 à 18 ans, pouvant passer par un emploi, un stage ou un apprentissage. Elle est applicable pour tous ceux qui, quel que soit leur statut ou leur nationalité, sont présents en France. Elle s'applique donc aux EANA arrivant sur le territoire et dont la langue maternelle n'est pas le français. Cette question est particulièrement sensible outre-mer en Guyane et à Mayotte, compte tenu de la démographie et des flux migratoires dans ces régions, dans un contexte d'existence de plusieurs langues maternelles autres que le français.

Pour donner à ces élèves les mêmes chances de réussite que les autres, il est nécessaire de prévoir un soutien linguistique, en tout cas dans une phase initiale. L'objectif est, dans la logique de l'école inclusive, qu'ils s'insèrent progressivement et le plus rapidement possible dans un cursus ordinaire.

Les EANA, tout en étant inscrits dans une classe ordinaire, effectuent ainsi leur début de scolarité dans une unité spécifique, les unités pédagogiques pour élèves allophones nouvellement arrivés (UPE2A), pour un maximum d'un an ou de deux ans s'ils sont non scolarisés antérieurement. Ils en sortent de manière progressive au fur et à mesure notamment de leurs progrès en langue française. Le coût de ce dispositif spécifique est d'environ 180 millions d'euros, en supplément de celui d'un élève en classe ordinaire.

L'enquête de la Cour, qui a comporté de nombreuses visites de terrain dans les rectorats et un parangonnage international en Allemagne et en Italie, a montré que le système en place avait des mérites, mais qu'il souffrait de plusieurs difficultés.

En 2020-2021, 91 % des EANA ont bénéficié d'un accompagnement linguistique, dont 62 % en UPE2A ordinaire, 8 % en UPE2A pour les non scolarisés antérieurement, 19 % inclus en cursus ordinaire avec un soutien linguistique et 2 % soutenus par un autre dispositif. La baisse du nombre d'EANA pendant la crise sanitaire n'a pas entraîné de diminution du nombre d'UPE2A dans cette même période, ce qui a contribué à une insertion rapide des réfugiés ukrainiens dans le dispositif.

Le système parvient souvent à une bonne personnalisation des parcours lors de la première année, ce qui est indispensable compte tenu de profils très hétérogènes. Comme le montre la situation des élèves réfugiés ukrainiens, la problématique est par exemple très différente pour des EANA normalement scolarisés avant leur arrivée en France et pour ceux qui n'ont pas été scolarisés antérieurement. Il est de ce point de vue regrettable que les données statistiques sur leur nombre et les délais d'affectation soient produites de manière imparfaite et irrégulière.

Une première difficulté réside dans l'adaptation de l'offre aux besoins. Jusqu'en 2020, les délais d'affectation dans une classe se sont allongés notamment dans les zones les plus concernées par les flux migratoires. Le plus préoccupant est le nombre non marginal d'élèves non scolarisés dans le secondaire au bout d'un long délai : au bout de six mois, 3,7 % des EANA de collège et 6,8 % des élèves de lycée ne sont pas scolarisés. Il est difficile de mettre en place des dispositifs UPE2A en primaire dans les territoires ruraux à habitat dispersé. Après l'UPE2A, le soutien linguistique n'est plus effectué dans le primaire, si ce n'est dans le cadre du fonctionnement de la classe ordinaire. Ceci contraste avec ce qui existe dans plusieurs autres pays, où un soutien linguistique spécifique s'étend sur plusieurs années.

Deuxième difficulté, la formation très insuffisante des enseignants. Une étude récente de l'OCDE donne des résultats très préoccupants. 8 % des enseignants de notre pays se sentent « bien préparés » ou « très bien préparés » pour enseigner en milieu multiculturel ou plurilingue, contre 26 % en moyenne dans l'ensemble de l'OCDE. Le nombre de jours de formation continue consacré à ce sujet est en 2020-2021 de 0,26 % du total des formations dans le primaire et de 2,2 % dans le secondaire, soit un chiffre nettement inférieur à la proportion du nombre d'élèves allophones. Même si aucune donnée nationale n'existe en ce domaine, de nombreux enseignants en UPE2A ne disposent pas d'une certification « français langue seconde » (FLS).

Plusieurs actions ont été entreprises pour l'accompagnement des enseignants. Les centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) animent ces initiatives. Leur mise en réseau est cependant perfectible.

Troisième difficulté, les carences de l'évaluation. Le diplôme d'étude en langue française (DELF) valide des compétences en langue de communication orale et écrite. Les EANA peuvent passer cet examen gratuitement les deux premières années de leur arrivée en France. Mais son passage est facultatif et ne constitue donc pas un indicateur systématique de l'avancée dans l'apprentissage de la langue. Ceci permettrait pourtant une objectivation de l'apport du dispositif, débouchant ensuite sur un soutien pédagogique plus précis. Il inciterait à construire des compétences de français dans différentes disciplines scolaires, et donc à une prise en compte du FLS par d'autres enseignants que ceux de français.

Comme dans les pays européens visités, les données d'évaluation sont très parcellaires et parfois anciennes. C'est d'autant plus dommageable que les difficultés initiales de ces jeunes peuvent expliquer en partie le nombre d'élèves se retrouvant au bout du compte en situation d'échec scolaire. Il n'existe pas en particulier d'étude de suivi de cohorte des EANA à partir de la date de leur premier test de positionnement.

La question des élèves allophones de plus de 16 ans et de moins de 6 ans mérite enfin d'être posée. S'agissant des EANA de plus de 16 ans, l'écart important entre leur nombre et celui des mineurs non accompagnés pris en charge par les conseils départementaux laisse penser qu'une bonne partie de ces derniers ne bénéficie d'aucune formation. De nombreux facteurs extérieurs à l'éducation nationale expliquent cette situation, mais le dispositif du ministère peut y contribuer. Il souffre en effet d'un manque d'orientation nationale, la circulaire de 2012 étant très floue sur le sujet. Aucun texte n'a depuis précisé la politique à mener en la matière. Les rectorats sont amenés de ce fait à prendre des initiatives pour tenter de répondre aux besoins, mais sans vision systématique et cohérente. Les dispositifs sont récents, insuffisants, et souvent peu inclusifs. Il n'y a aucun plafond du nombre maximal d'élèves dans les UPE2A dans les lycées. Ces structures sont le plus souvent insérées dans les lycées professionnels, ce qui pose le problème de l'inclusion. Certaines sont de fait en réalité « fermées », c'est-à-dire sans inclusion en cours d'année ni cours commun avec des classes ordinaires à l'exception de l'éducation physique et sportive (EPS).

Pour les EANA de moins de 6 ans, le ministère n'envisage pas pour le moment de dispositif spécifique pour cette catégorie. Il considère que l'entrée dans la langue de l'école est une problématique commune à tous les élèves de maternelle. Pourtant, la question mérite d'être posée compte tenu de ce qui peut se pratiquer dans d'autres pays.

Le rapport aborde enfin la mobilisation du ministère pour l'accueil des jeunes réfugiés ukrainiens. 17 677 jeunes élèves ukrainiens ont été accueillis au 24 mai 2022 dans les écoles, collèges, lycées français. Ces chiffres sont inférieurs à ceux de l'Allemagne (100 000 enfants) et l'Italie (27 000). 57 % des élèves ukrainiens sont scolarisés à l'école primaire, 33 % au collège et 10 % au lycée. Il a été établi dans certains rectorats une « fast track » pour l'inscription : le jeune peut s'inscrire dans un établissement scolaire le plus proche de son hébergement sans passer par les préfectures et avant même tout test linguistique. Le délai entre la première prise de contact et l'inscription en établissement scolaire a pu ainsi s'établir à deux ou trois semaines.

Le soutien linguistique est principalement passé par des enseignants itinérants rémunérés en heures supplémentaires. Il a été accepté que les élèves suivent des cours sur la plate-forme du ministère ukrainien de l'éducation, mais au sein de l'établissement scolaire et dans la mesure du possible en dehors des cours. Cela a pu nécessiter des adaptations ponctuelles d'emploi du temps. Au 12 mai 2022, 97 enseignants réfugiés ukrainiens étaient recrutés ou en cours de recrutement. Ils sont majoritairement francophones et enseignants en Ukraine dans diverses disciplines.

Les recommandations que nous faisons et que vous retrouverez au début du rapport répondent à ce diagnostic, notamment la fixation d'un objectif de délai maximal pour l'accès à l'éducation d'un EANA et l'entrée dans le dispositif ; la mise en oeuvre dans le primaire d'un soutien spécifique pour les EANA au-delà de la première ou des deux premières années de présence sur le territoire ; la généralisation de la certification FLS pour les enseignants en UPE2A ou l'évaluation systématique du niveau en français des EANA à la sortie des UPE2A.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Je voudrais remercier nos invités pour leur travail très approfondi sur le sujet difficile de l'évolution assez spectaculaire et différenciée de l'accueil des élèves allophones nouvellement arrivés.

Ce rapport va sans doute susciter des réactions de la part du ministère de l'Éducation nationale ainsi que des retours du terrain de la part du recteur de l'académie de Créteil, qui viendront éclairer les travaux de notre commission.

Le nombre d'élèves allophones est conséquent et en évolution rapide. On dénombre aujourd'hui 85 000 EANA, dont environ 20 000 Ukrainiens. Il s'agit donc d'un véritable défi quantitatif.

La répartition de ces élèves entre les rectorats est toutefois très contrastée. En effet, les situations de Mayotte et de la Guyane diffèrent largement de celles des rectorats métropolitains, avec un taux de 2 % de nouveaux arrivants, pour une moyenne métropolitaine de l'ordre d'à peine 0,5 %.

Par ailleurs, les différences par rectorat en France métropolitaine sont aussi significatives. Elles sont inversement proportionnelles au dynamisme démographique des régions. Les régions les plus dynamiques, comme celles de l'Ouest français, sont également celles qui sont les moins concernées par l'accueil d'EANA.

À ce titre, l'idée de cohorte permet en effet de mieux comprendre pourquoi une région en particulier est bénéficiaire de nouveaux arrivants de façon significativement supérieure, proportionnellement à une autre région. La première explication est liée à un phénomène de capillarité, dès lors que l'on va là où on a des parents, ce qui crée des effets cumulatifs. Si l'on part du principe que les besoins seront d'autant plus forts qu'il y a déjà une présence d'EANA, cela pourrait permettre de simplifier les prévisions d'accueil.

Il ressort du rapport de la Cour des comptes que la circulaire de 2012 qui constitue le cadre juridique actuel aurait besoin d'être actualisée, sur des questions liées d'abord et avant tout à la connaissance statistique et au suivi des élèves. Il est nécessaire d'être informé de la répartition des élèves allophones, de leur évolution démographique, mais aussi de leur niveau scolaire. Les Casnav ont des moyens différenciés, du fait de la pression démographique contrastée entre les rectorats. Dans les rectorats où la pression est forte, il y a toutefois un vrai besoin de suivi sur les arrivées et les performances des différents établissements.

En ce qui concerne plus précisément les moins de six ans et l'obligation de scolarisation dès trois ans, leur apprentissage est plus aisé car les jeunes enfants ont des facilités à acquérir un langage qui n'est pas le leur. En revanche, pour les plus de 16 ans, l'apprentissage est plus compliqué car il peut se mêler à un sentiment de déclassement. En effet, il est difficile d'exprimer toutes les nuances de sa pensée dans une langue qui n'est pas la sienne.

Concernant les mineurs non accompagnés, vous avez en face de vous de nombreux élus avec des responsabilités départementales, pour lesquels le statut de mineur non accompagné n'est qu'un statut administratif d'attente et ne correspond souvent pas à une réalité. Lorsque nous avons des mineurs qui peuvent accéder à des formations professionnelles par l'apprentissage, il semble que cela se passe très bien. Cela permet une perspective d'insertion plus rapide et bien identifiée. Pour les nouveaux arrivants qui ne sont pas mineurs non accompagnés, il n'y a pas nécessairement de réseau. Ils sont pris en charge par des familles qui jouent le jeu ou non. Dans la mesure où cette prise en charge repose sur le volontariat, l'amélioration du suivi statistique est très délicate.

S'agissant de la grande différence d'encadrement par rectorat, est-ce une différence issue de l'expression des besoins, ce qui est légitime ? ou bien est-ce une différence fortuite, liée à un plus grand nombre d'enseignants volontaires ?

Sur la formation professionnelle, notre commission souligne régulièrement la faiblesse de la formation continue, toutes catégories confondues. Gérer des jeunes qui n'ont pas eu de formation scolaire, ou dans une culture très différente, n'est pas une tâche aisée. Il est donc souhaitable qu'il y ait dans ce domaine plus de volontariat, mais aussi plus de certifications liées à de vraies formations.

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval, cheffe du service de l'instruction publique et de l'action pédagogique . - L'accompagnement et le suivi des élèves allophones nouvellement arrivés est un sujet qui tient à coeur à la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO).Nous partageons les constats qui ont été portés par la Cour, avec laquelle nous avons longuement échangé, même si nous ne souscrivons pas entièrement à ses conclusions.

Je voudrais revenir sur certains points. Il y a une accentuation du regard porté sur les élèves allophones depuis quelques années. Cela est dû d'une part à l'arrivée des élèves d'origine ukrainienne l'année dernière et, d'autre part, aux vagues successives d'arrivées d'élèves allophones dont les parcours sont très hétérogènes.

Accompagner les élèves allophones est une mission institutionnelle qui demande un accompagnement quasi-individuel, compte tenu de la grande diversité des besoins.

Je voudrais aussi redire que le contexte a très largement évolué. La loi sur l'école de la confiance de 2019 prévoit une obligation d'instruction à 3 ans qui rend la circulaire de 2012 sur l'organisation de la scolarité des élèves allophones nouvellement arrivés presque archaïque. Cette loi prévoit également la mise en place d'une obligation de formation pour les 16-18 ans, qui est différente de ce qui existe dans le cadre de l'instruction, et qui permet une meilleure insertion professionnelle et sociale des jeunes les plus âgés dans notre pays.

L'ensemble de ces éléments amène à ce que l'on se réinterroge aujourd'hui sur ce qui peut être proposé. En particulier, le pilotage national du réseau des Casnav est un élément qui a été particulièrement sensible au printemps 2022.

L'arrivée des jeunes Ukrainiens nous a amené à renforcer le pilotage national du réseau des Casnav, désormais beaucoup plus sollicité par la DGESCO, car nous avons dû définir dans des temps très courts des modalités d'accueil et d'organisation, malgré une répartition territoriale très différente de ce à quoi nous étions habitués. L'académie de Nice a été particulièrement sollicitée, ce qui n'est pas le cas dans le cadre habituel de la scolarisation des élèves allophones.

Historiquement, l'accompagnement des élèves allophones était traité localement avec des indicateurs spécifiques qui n'étaient pas nécessairement consolidés en même temps et avec les mêmes critères. Le pilotage national est une façon de sensibiliser l'ensemble des académies sur la nécessité d'avoir un suivi et des indicateurs partagés, notamment d'un point de vue statistique, comme le souligne la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'Éducation nationale.

Le pilotage de l'accompagnement au niveau national nous permet d'identifier les évolutions nécessaires à l'accompagnement des élèves allophones dans le cadre historique classique des 6-16 ans, mais également de s'interroger sur les modalités de l'accompagnement des moins de 6 ans, dans le cadre de l'obligation d'instruction, et des plus de 16 ans, a minima dans le cadre de l'obligation de formation.

L'obligation d'instruction des enfants de moins de 6 ans et l'obligation de formation des jeunes de plus de 16 ans nous amènent à réinterroger la circulaire de 2012.

Plus largement, ce nouveau contexte nous oblige à nous réinterroger sur les modalités d'accueil des élèves ayant des besoins particuliers, dans une logique d'école inclusive.

En l'occurrence, les besoins liés au français en langue scolaire et en langue seconde, avec des nuances entre les deux, et la façon dont cet accompagnement se déploie sont cruciaux. Cet accompagnement initial renforcé a pour but de donner à ces jeunes une autonomie dans la suite de leurs parcours. Cet objectif est d'autant plus crucial pour les élèves allophones de 3 à 6 ans, dès lors que l'école maternelle est aussi l'école du langage.

Il est donc nécessaire de faire des efforts sur la formation continue des professeurs qui interviennent en maternelle, notamment sur l'apprentissage de la langue. Premièrement, les constellations du « plan Français » prévoient une obligation, pour les professeurs, d'avoir 30 heures minimum de formation continue sur l'apprentissage du français une fois tous les 6 ans.

Deuxièmement, pour tenir compte de l'expérience de l'arrivée des élèves ukrainiens en mars 2022, nous fluidifions certains dispositifs. Vous parliez des dispositifs fermés ou des dispositifs ouverts. Je rappelle que les UPE2A sont des unités dans lesquelles un élève n'est inscrit que pour certains cours, le reste de sa scolarité se déroulant en classe ordinaire.

Il s'agit d'un sas d'aller-retour entre une classe ordinaire - lycée ou collège - correspondant à son niveau scolaire et un refuge pour avoir un apprentissage particulier de la langue française. Avoir des unités sans mur et en réseau qui permettent, dans des territoires peu denses, d'offrir malgré tout un accompagnement adapté, fait partie des expériences qui ont été menées pour permettre l'accueil des Ukrainiens. Ce dispositif doit sans doute être renforcé, à la fois en s'appuyant sur des personnels qui ont été formés à l'apprentissage du français en langue seconde, mais également en allant au-delà de dispositifs qui peuvent être réducteurs en termes de capacités d'accompagnement.

Je vais conclure mon propos introductif avec la formation des professeurs. Nous travaillons sur le repérage des professeurs qui ont une formation, sans forcément disposer d'une certification en FLS, afin de valoriser ces compétences dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience (VAE) et leur permettre d'acquérir une certification qui leur permettra d'être identifiables par les services des rectorats. Ces certifications sont valorisées au sein des Casnav quand les besoins se font sentir.

M. Daniel Auverlot, recteur de Créteil. - J'ai bien sûr été très intéressé par le rapport de la Cour des comptes et nous avons eu des échanges très riches. Je suis accompagné de monsieur Daniel Guillaume, responsable du Casnav qui oriente et scolarise dans notre académie de nombreux élèves.

M. Daniel Guillaume, responsable du Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) de l'académie de Créteil. - Il compte entre 6 000 et 6 500 élèves pour l'académie de Créteil.

M. Daniel Auverlot. - Je souhaiterais rebondir sur huit points en parfaite complémentarité avec ce que vient d'exposer Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval et en vous livrant quelques observations de terrain.

Mon premier point est que l'apprentissage du français est d'autant plus facile qu'on a commencé jeune. Ainsi, en-dessous de six ans, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'avoir des structures dédiées. Ce que j'observe dans les écoles maternelles de l'académie de Créteil, c'est que le bas-langage, le travail du professeur sur le vocabulaire et la compréhension ou encore la lecture répétée des contes font que les enfants progressent très vite. De plus, le jeu avec les autres enfants est un moment d'échange favorisant l'acquisition du langage.

La deuxième observation est celle de la question de la sortie de l'UPE2A. Les élèves sont dans de bonnes conditions au sein de cette structure, ils disposent d'un étayage en français et sont inclus de manière variable à l'intérieur des classes ordinaires. Mais la question se complique quand ils sortent de l'UPE2A et arrivent au collège puisqu'après y être restés deux ans, ils sont basculés en classe de 4e ou 3e alors qu'ils n'ont pas nécessairement le niveau en langue écrite de leurs camarades. La question est alors celle de la prise en compte par les professeurs de cette différence. On peut, en effet, avoir des élèves de très bonne volonté, mais qui étant évalués uniquement sur de l'écrit, et sans regard particulier, se retrouvent avec des notes très faibles, ce qui a des conséquences en termes de motivation et de perception d'eux même. Et comme l'affectation en lycée, en particulier professionnel est contingentée et repose sur les notes, ils peuvent subir une double peine. Des élèves qui n'ont pas tout à fait le niveau des autres, mais qui pour autant s'ils étaient dans leur langue d'origine pourraient très bien réussir en lycée professionnel, vont se retrouver dans une autre filière que celle demandée.

Le troisième point concerne la situation particulière des 16-18 ans, puisqu'il s'agit de jeunes qui ont besoin de s'insérer rapidement dans la vie active et de disposer d'un métier. Leur situation est plus compliquée car il est nécessaire de leur apprendre à la fois le français courant et un français de spécialité professionnelle, comme dans le bâtiment ou la restauration. Pour ces jeunes, l'apprentissage est notamment un vrai sujet sur lequel travailler.

Le quatrième point est que l'académie de Créteil n'est pas uniforme. Elle comprend deux départements très urbains avec un établissement scolaire tous les 400 mètres, et un département, la Seine-et-Marne, qui représente à lui seul la moitié de l'Île-de-France. Par conséquent, le traitement des élèves allophones n'est pas le même. Il y a dans le département de la Seine-et-Marne des élèves allophones isolés pour lesquels l'accompagnement, à moins de prendre de longs transports, ne peut pas se faire dans les UPE2A. Dans ce cas, nous passons par un accompagnement à partir d'heures supplémentaires effectuées par les enseignants. C'est peut-être une mission à étudier dans le cadre du « pacte » sur la revalorisation des rémunérations des enseignants.

Le cinquième point est celui de l'adéquation des besoins aux dispositifs existants, en particulier en collège. Si dans le premier degré, en cas d'afflux soudain d'élèves allophones, il est possible de mobiliser un titulaire sur zone de remplacement pour l'affecter sur une UPE2A nouvellement créée à cet effet, en collège, c'est en revanche plus compliqué. En effet, les structures sont fixées pour la rentrée au 1er septembre et il est donc impossible de savoir ce qui va se passer d'une année sur l'autre et en particulier s'il y aura une adéquation géographique entre l'arrivée d'allophones et l'emplacement de nos UPE2A

Le sixième point que je souhaite souligner est la spécificité du dossier ukrainien, avec, en particulier, des inscriptions qui ont été extrêmement rapides et des élèves qui maîtrisaient parfaitement les codes de l'école. Les autorités ukrainiennes avaient en parallèle exprimé, au-delà de l'apprentissage du français, le besoin de continuité pédagogique avec leurs programmes scolaires.

Le septième point est celui de la formation des enseignants, qui comprend deux types d'approche. Tous nos enseignants ont besoin d'être sensibilisés aux élèves à besoin éducatif particulier, sur ce point des formations existent dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) dans le cadre d'un module d'environ 25 heures. En parallèle, la maîtrise de l'enseignement en français langue seconde est particulièrement difficile. De plus, dans l'académie de Créteil, une part importante des enseignants souhaite chaque année partir et retourner dans l'académie dont ils sont originaires. Se pose alors la question de leur investissement puisque nombreux sont ceux qui hésitent à suivre une formation en FLS alors qu'ils envisagent de quitter l'académie dans les trois ans et ne sont pas certains de retrouver ensuite une classe équivalente.

Enfin, le dernier point que je souhaite souligner concerne le délai contractuel qui serait souhaitable entre le moment où un parent manifeste son intention que son enfant aille à l'école de la République, et le moment de son affectation. Sur le terrain, tous les points que j'ai développés précédemment font qu'il est extrêmement difficile d'avoir un véritable délai contractuel qui nous imposerait de scolariser à telle ou telle échéance. À moins de scolariser sans dispositif d'accompagnement, ce qui risquerait d'être contreproductif.

M. Daniel Guillaume . - J'ai en effet trois points à développer : le moment de la scolarisation, le suivi de cette scolarisation et enfin un focus sur les plus de 16 ans.

Sur la difficulté à scolariser, on doit distinguer le premier et le second degré. Dans le premier degré, la famille se rend en mairie puis l'enfant est scolarisé dans l'école de proximité, l'évaluation n'intervenant qu'ensuite. Il n'y a donc pas de délai. Dans le second degré, on commence par une évaluation qui précède parfois largement le moment de la scolarisation. Quelles évolutions sont possibles à ce sujet ? Cela dépend en général de la situation antérieure. On l'a vu avec les élèves ukrainiens qui étaient scolarisés antérieurement dans de bonnes conditions, mais qui ont une langue assez éloignée de la nôtre, ce qui est source de difficultés.

Je souligne au passage un aspect qui n'apparait dans le rapport de la Cour des comptes, qui concerne à la fois le premier et le second degré. Il s'agit du cas des enfants qui vivent dans des bidonvilles. Beaucoup d'entre eux sont allophones. Les repérer et les raccrocher au wagon de l'enseignement est un enjeu considérable. On évalue qu'il y en a environ 2 000 dans l'académie de Créteil dont très peu sont scolarisés. Ce chantier ne doit pas être négligé.

Concernant ensuite le suivi de ces élèves, en dépit de la circulaire de 2012 qui prône leur inclusion, le système est concentré sur la première et deuxième année, avec des difficultés d'inclusion sur lesquelles je reviendrai. Or existe un consensus scientifique pour dire que la langue de communication peut s'acquérir en six mois, tandis que la langue de scolarisation, plus difficile d'accès, y compris pour des élèves francophones, peut nécessiter jusqu'à six ou sept ans d'apprentissage. C'est pourquoi la concentration sur une ou deux années de la quasi-totalité des moyens est une démarche qui pose question. Nous avons collectivement à réfléchir pédagogiquement à un suivi plus longitudinal dans les UPE2A mais aussi dans les classes ordinaires, en tenant compte de ce que cela requiert en matière de formation. À ce sujet, l'arrivée d'enfants ukrainiens en nombre a constitué un temps intéressant, puisque certains enseignants ont découvert que des enfants allophones disposaient de vraies aptitudes scolaires, ce qu'ils ne réalisent pas toujours en raison de l'obstacle linguistique.

Enfin, sur la question des plus de 16 ans, il me semble avoir lu dans le rapport que la majorité des EANA de plus de 16 ans seraient des mineurs non accompagnés. Je ne crois pas que ce soit exact à la lumière de ce que nous constatons. Il y a beaucoup de profils d'élèves parfaitement scolaires qui intègrent un lycée et qui réussissent d'excellentes études. On est en train de le constater avec les élèves ukrainiens, dont le défi a toutefois consisté pour certains d'entre eux à passer des examens comme le baccalauréat, et notamment l'épreuve anticipée de Français en classe de première qui les met forcément en difficulté après des délais de scolarisation en France assez brefs. C'est pourquoi nous réfléchissons à des modalités d'accès à l'enseignement supérieur qui n'impliquent pas nécessairement pour eux l'obtention du baccalauréat.

Concernant les autres élèves de plus de 16 ans, soit les mineurs accompagnés, soit les élèves qui n'ont pas un profil scolaire - ou qui ont suivi une scolarisation en pointillés - je rejoins M. le recteur pour dire que nous devons explorer certaines voies comme l'apprentissage. C'est une démarche que nous sommes en train de construire avec l'appui de moyens européens. Je souligne au passage que le recours extrêmement complexe, pour ne pas dire sophistiqué, que nous avons dû mettre en oeuvre pour avoir accès aux moyens européens était lié aux moyens limités dont nous disposons par ailleurs pour les accompagner dans l'enseignement secondaire, notamment en filière professionnelle.

La scolarisation de ces élèves s'accompagne en parallèle d'autres difficultés : l'évaluation de leur âge réel d'une part mais aussi les conditions de régularisation de séjour pour une partie d'entre eux d'autre part. Ces questions se prolongent très vite par toutes les problématiques autour de l'accompagnement des jeunes majeurs.

M. Claude Raynal , président . - Dès que l'on aborde les enjeux liés à l'Éducation nationale, la complexité est de mise, à tout le moins pour ceux d'entre nous qui ne maitrisent pas forcément tous les tenants et les aboutissants. Je me réjouis que nous ayons réuni des intervenants nous donnant une vision complémentaire, à la fois une vision administrative d'ensemble mais aussi le point de vue du terrain.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je m'interroge en premier lieu sur cette double difficulté qui touche les moins de 6 ans et les plus de 16 ans. Je considère que jusqu'à l'école maternelle, l'essentiel de la démarche vient des familles, même si les pouvoirs publics ont un rôle central à jouer. Vous avez mentionné les obstacles à la scolarité des enfants vivant dans des bidonvilles et je signale, à partir de mon expérience de terrain, la très grande complexité pour les élus à accompagner la scolarisation de certains enfants chez les gens du voyage. Les pouvoirs publics n'ont pas nécessairement les moyens de contraindre à la scolarisation qui constitue pourtant le premier vecteur d'intégration, à la fois pour les enfants mais aussi pour les familles.

Sur les plus de 16 ans, je considère qu'il n'est pas normal que l'on soit autant dans le flou sur la responsabilité de l'État, qui doit pouvoir aussi intervenir avec les collectivités territoriales.

Je retiens également de vos interventions les insuffisances en matière de formation des enseignants, même s'il faut relativiser ce chiffre puisqu'il reflète des disparités régionales importantes.

Enfin, je m'interroge sur l'impact de la densité de l'habitat : le fait d'être en zone rurale est-il facilitateur pour opérer un suivi plus individualisé des élèves ? Ce paramètre doit être pris en compte car l'intégration par l'école est essentielle. Je me souviens de l'exemple, il y a quelques années, d'un enfant syrien scolarisé dans l'école élémentaire de mes enfants, qui ne parlait pas un mot de français au début de l'année scolaire et a fini premier de sa classe.

M. Jérôme Bascher . - Ma première question est la suivante : existe-t-il une différence de traitement pour les élèves allophones entre l'enseignement public et l'enseignement privé ? J'ai pu le constater dans le cas ukrainien, dans lequel les capacités d'accueil ont pu être très variables. Par ailleurs, la catégorie « allophone » ne recouvre-t-elle pas des catégories trop différentes, entre une immigration aisée et une immigration plus difficile ? Sur ce point, la problématique de l'intégration se pose, y compris en dehors de l'école. Je constate, dans une UPE2A que je connais, les difficultés de certains élèves dont la résidence n'est pas stable et dont le parcours d'asile est parfois humainement très difficile : placés dans un Casnav, ils peuvent être déplacés dans un autre Casnav quelques mois plus tard. Prenez-vous assez en compte le fait que l'année scolaire n'est pas forcément le rythme adapté au suivi des élèves allophones ?

M. Thierry Cozic . - Je voudrais apporter un témoignage. J'ai eu connaissance, dans le département de la Sarthe, d'une situation particulière : l'arrivée sur un territoire de nombreuses familles afghanes avec une trentaine d'enfants accueillis dans l'établissement scolaire d'une petite commune. Il me semble que les moyens alloués à l'Éducation nationale ne sont pas suffisants pour accueillir ces élèves : dans cette petite école qui comptait auparavant une centaine d'élèves et une petite équipe de six enseignants soudés, cinq des six enseignants ont demandé leur mutation un an après l'arrivée des trente élèves allophones, du fait du manque de moyens. Aujourd'hui, l'Éducation nationale est-elle en capacité de répondre aux demandes spécifiques de ces enfants par un accompagnement dédié ?

M. Daniel Breuiller . - Je souhaitais également partir d'un témoignage personnel pour évoquer un doute quant au recensement des élèves allophones. J'ai été maire d'Arcueil à l'époque où une classe d'UPE2A avait été créée dans la commune voisine de Gentilly. Huit enfants d'Arcueil avaient été installés dans cette classe. Lorsqu'une nouvelle classe UPE2A a été ouverte à Arcueil, vingt-cinq enfants y ont immédiatement été scolarisés, il y avait donc des besoins non-pourvus. Pour cette raison je pense que le nombre d'enfants allophones scolarisés en UP2A est très inférieur au nombre d'enfants qui auraient besoin de cette structure. En ce qui concerne la scolarisation en maternelle, j'ai constaté que le vocabulaire dont disposent les enfants est très dépendant du milieu familial. Si dans le milieu familial on ne parle pas français, les inégalités dans la capacité de réussite scolaire se creusent. Jérôme Bascher a évoqué le sujet du lieu de résidence : de nombreux enfants scolarisés à Arcueil vivaient dans des squats, or l'évacuation d'un bidonville se traduit par une déscolarisation des enfants, alors que la durée et la stabilité de la scolarisation sont très importantes pour l'insertion. Une dernière question : je ne comprends pas que les progrès réalisés n'aient pas été évalués pour déterminer si les dispositifs de renforcement des apprentissages en français doivent être poursuivis plus longuement.

M. Christian Bilhac . - D'abord, je remarque que la scolarisation des élèves allophones n'est pas nouvelle. Il y a cent ans dans le massif central, 50 % des enfants qui arrivaient à l'école ne parlaient pas le français, c'était une réalité du quotidien. Et puis avec les flux migratoires, nombre de réfugiés espagnols sont arrivés, qui ne parlaient pas non plus français. Or malgré quelques difficultés, leur scolarisation s'est bien passée. Car l'école ne fait pas tout, et l'intégration des enfants passe aussi par l'intégration, par exemple, dans l'équipe de football locale. Dès lors, existe-t-il des passerelles, au niveau de l'Éducation nationale, avec des associations qui promeuvent le vivre ensemble, qui pourraient favoriser l'apprentissage de la langue en dehors de l'école ?

M. Jean-Marie Mizzon . -Je pense également que les associations, qui sont un fabuleux vecteur de cohésion, peuvent apporter beaucoup. Monsieur le Recteur, vous avez dit que tout se passait bien jusqu'à l'UP2A, mais qu'une rupture se produisait à ce niveau. Le manque de maîtrise du français, notamment de l'écrit, en est-il la cause ?

M. Daniel Auverlot . - Tout d'abord, concernant le privé, c'est le recteur qui distribue les moyens du privé. Nous intégrons cet aspect dans nos échanges avec les établissements privés, singulièrement maintenant que les indices de position sociale (IPS) sont devenus du domaine public et montrent qu'il existe des différences importantes entre le public et le privé.

Le deuxième sujet, c'est que, vous avez raison, il n'y a pas une catégorie homogène d'allophones. J'ai le souvenir d'avoir rencontré des élèves de 7 ou 8 ans qui étaient d'anciens enfants soldats et dont la scolarisation n'était bien évidemment pas facile.

Troisième sujet, lorsque 30 enfants allophones arrivent dans une école de 100 élèves, la question n'est pas uniquement celle des moyens, mais aussi celle de l'accompagnement des équipes. Le quatrième sujet est celui du vocabulaire. Je rejoins ce qu'a dit Daniel Guillaume : il y a le vocabulaire courant d'une part et le vocabulaire scolaire et culturel d'autre part. J'ai souvenir d'un élève français qui, lors d'un cours d'histoire auquel j'assistais, lisait sur le fronton d'un temple grec « Athéna Nike », comme la marque bien connue, et non « Athéna Nikè ». La question de l'acquisition du vocabulaire culturel et de référence n'est pas quelque chose qui concerne uniquement les allophones, mais tous les élèves et qui est par ailleurs singulièrement liée à l'origine sociale et culturelle. Cinquième point, je rejoins totalement ce qui a été dit sur les associations qui peuvent faire le trait d'union entre les familles et l'école. Concernant plus particulièrement le sport, je rappelle que depuis deux ans, l'Éducation nationale a dans son giron les sujets jeunesse et sport. La continuité scolaire, périscolaire et extra-scolaire en lien avec les élus locaux, est donc un sujet tout à fait intéressant. On se rappelle que dans les années 1950, l'intégration dans les mines de la population polonaise s'est fait par les clubs sportifs et singulièrement par le football.

Dernier point, un sujet essentiel est celui de l'accompagnement des élèves à la sortie de l'UPE2A lorsqu'ils ont encore besoin d'un accompagnement particulier par l'ensemble des professeurs qui, parfois, ne sont pas conscients de la situation.

M. Daniel Guillaume . - Je voudrais revenir sur un point qui prolonge cette considération et qui répondrait en même temps à une question sur la formation. C'est précisément pour cet après-UPE2A que les enseignants ont besoin de formation, avec une prise de conscience du fait que cet aspect fait partie de leur mission au sein de l'éducation nationale. J'insiste par ailleurs sur le fait que la différence entre francophones et allophones n'est pas non plus étanche au sein de notre personnel lui-même. J'ai pu constater à divers égards que beaucoup d'enseignants sont tout à fait sensibilisés à cette question qui renvoie à des dimensions personnelles pour eux.

Mme Rachel-Marie Pradeilles-Duval . - Je voudrais revenir sur l'intégration hors de l'école. Intégrer les élèves allophones, c'est aussi travailler avec leur famille et je rappelle qu'il existe le dispositif « Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants » (OEPRE) qui nous permet d'accompagner les parents d'élèves. C'est aussi une façon de favoriser pour les familles l'intégration et la compréhension culturelle et linguistique de notre pays et donc favoriser la réussite des élèves. Cela s'articule bien sûr avec les associations partenaires de l'école.

Je rappelle aussi que le dispositif « vacances apprenantes » a permis d'accueillir des élèves ukrainiens pendant les vacances de printemps l'année dernière, dans un cadre culturel, sportif associatif très différent et complémentaire de celui de l'école.

Je voudrais revenir sur une question liée à l'évaluation en sortie de dispositif. Plutôt que le diplôme d'études en langue française (DELF) qui a été proposé par la Cour des comptes, nous souhaitons favoriser la présentation du diplôme de compétence en langues qui permet d'évaluer le niveau en français langue étrangère et en français langue scolaire et langue seconde avec les nuances qui ont été évoquées tout à l'heure. Le référentiel de compétences européen sur les langues va d'un niveau où on est capable de se présenter avec des nuances très faibles jusqu'au niveau complètement fluide de locuteurs natifs. Ce diplôme permet de se positionner sans échec et de construire la suite pour donner un accompagnement adapté à l'élève compte tenu son niveau en français.

M. Nacer Meddah . - J'ai entendu beaucoup de témoignages qui me parlent beaucoup. Il ne faut pas croire que, à la Cour des comptes nous soyons insuffisamment conscients de ce qu'est la réalité du terrain. On voit qu'au travers de cette problématique particulière nous sommes conduits à aborder la question plus large de l'apprentissage du français.

Je souhaiterais insister sur trois points. Toute la difficulté de l'exercice qui nous a été demandé est d'abord un problème d'identification. Sans données fiables, solides et complètes, il est difficile de se prononcer, en particulier dans l'optique d'une approche finement territorialisée comme le souhaitait le rapporteur spécial. Il est évident que les problématiques ne sont pas les mêmes dans une zone frontalière, une zone rurale ou une zone urbaine. Il faut absolument mettre en place des dispositifs pour avoir des données sur lesquelles on puisse bâtir un vrai suivi de cohorte. Il est élémentaire de se poser la question de qui sont ces élèves afin de déterminer dans un second temps ce qu'ils sont devenus.

Par ailleurs, il existe à l'étranger des dispositifs progressifs qui s'inscrivent dans la durée quand nous avons des dispositifs très ponctuels d'un an ou deux. Certains élèves vont maîtriser le français au bout de deux ans, d'autres vont rencontrer des difficultés. Si on veut véritablement les aider à maîtriser la langue et ensuite à trouver toute leur place dans notre pays, il n'y a bien entendu pas que l'école, mais cela suppose qu'on leur offre des dispositifs dans la durée.

Autre point sur lequel je souhaite insister, on ne fera rien sans les enseignants. Quand on voit que 8 % des enseignants indiquent qu'ils ne sont pas préparés à s'occuper d'élèves allophones, cela ne peut qu'interroger. Cela suppose peut-être qu'on les motive davantage, par la rémunération ou par des formations adaptées, même s'il existe le problème de la mobilité des enseignants évoqué par M. le recteur.

Enfin, il nous faut des indicateurs. Je veux bien qu'on discute longtemps sur le DELF ou le diplôme de compétence en langue, mais ce qui est important, c'est de savoir s'ils constituent des indicateurs fiables et robustes sur lesquels on va pouvoir véritablement construire une évaluation.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Nous n'avons pas assez traité les problèmes géographiques spécifiques. Je pense à Mayotte et à la Guyane, qui sont quand même des sujets majeurs qui méritent d'être évalués.

On retrouve à l'occasion du traitement et de l'accompagnement des élèves allophones deux données fortes et permanentes de l'enseignement. La première est le temps long de l'enseignement : le langage de la scolarisation n'est pas le langage de la socialisation. Je crois qu'il faut être lucide, c'est vrai pour tous les élèves. C'est pour cela que ma conviction personnelle est que l'apprentissage du français, de la langue française, de la lecture française, de l'écriture française est un devoir absolu parce que c'est la meilleure façon d'approfondir ses propres connaissances. Deuxième élément fort, je crois simplement que la famille est indispensable au succès scolaire des enfants. C'est la raison pour laquelle je défends la politique familiale, mais je n'ouvrirai pas ce débat à cet instant.

M. Claude Raynal, président. - Merci à tous.

La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes et du compte rendu de l'audition en annexe à un rapport d'information de M. Gérard Longuet.

ANNEXE :
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES
À LA COMMISSION DES FINANCES

Consultable uniquement au format PDF


* 1 L'enseignement scolaire en outre-mer : des moyens à mieux adapter à la réalité des territoires, rapport d'information de M. Gérard LONGUET, fait au nom de la commission des finances, n° 224 (2020-2021) - 10 décembre 2020.

* 2 Circulaire n° 2012-141 du 2 octobre 2012 relative à l'organisation de la scolarité des élèves nouvellement arrivés en France.

* 3 Circulaire du 2 octobre 2012.

* 4 Enquête de la Cour des comptes.

* 5 L'enseignement scolaire en outre-mer : des moyens à mieux adapter à la réalité des territoires, rapport d'information de M. Gérard LONGUET, fait au nom de la commission des finances, n° 224 (2020-2021) - 10 décembre 2020.

* 6 Commission européenne/EACEA/Eurydice, 2019. L'intégration des élèves issus de l'immigration dans les écoles en Europe: politiques et mesures nationales. Rapport Eurydice.

* 7 Réponse au questionnaire budgétaire 2023 du rapporteur spécial.

* 8 P. 68.

* 9 Article 14 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale.

* 10 Projet de loi de finances pour 2023 : Enseignement scolaire, rapport général n° 115 (2022-2023) de M. Gérard LONGUET, fait au nom de la commission des finances, 17 novembre 2022.

* 11 OCDE, Étude TALIS sur la formation initiale des enseignants , janvier 2018.

Page mise à jour le

Partager cette page