B. LA DISPONIBILITÉ DES CENTRALES DANS LE CONTEXTE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE N'EST PAS ENCORE TOTALEMENT ASSURÉE

L'enjeu du changement climatique ne doit pas s'apprécier seulement du point de vue de la sûreté nucléaire stricto sensu , c'est-à-dire de la prévention des accidents nucléaires, mais aussi de la disponibilité des centrales .

En effet, des événements climatiques peuvent conduire à la réduction de la puissance, voire à l'arrêt de centrales, soit parce que les conditions pour qu'elles puissent fonctionner avec toutes les garanties de sûreté ne sont pas remplies, soit parce qu'elles pourraient causer un risque à leur environnement proche, et en particulier à l'eau.

Cet enjeu de la disponibilité des centrales est majeur, dans la mesure où il touche à la souveraineté énergétique de la France . Au cours de l'été 2022, l'élévation des températures ou les niveaux d'étiage ou particulièrement les centrales de Golfech, Chooz, Bugey, Tricastin, Saint Alban et du Blayais. L'ASN a accordé une dérogation pour l'ensemble de ces sites, soit pour éviter l'arrêt des centrales, soit pour limiter les diminutions de puissance.

1. Le risque d'étiage doit faire l'objet d'investigations complémentaires

Les projections climatiques tendent à montrer que les sécheresses vont devenir de plus en plus fréquentes dans les décennies à venir. Une étude du BRGM de 2018, indique qu'une sécheresse comparable à celle de 2003 devrait survenir une année sur trois entre 2020 et 2050, une année sur deux entre 2050 et 2080, et deux années sur trois entre 2080 et 2100.

Toutefois, l'ASN a indiqué en audition qu'il existe peu d'études fiables sur l'évolution du débit des cours d'eau sur plusieurs décennies. En effet, le débit dépend de la pluviométrie, qui est difficilement prévisible sur le temps long. Le risque est néanmoins élevé et EDF considère ainsi l'évolution de l'étiage comme « défavorable » 12 ( * ) .

L'enjeu, d'un point de vue de la sûreté nucléaire, et de préserver une capacité de pompage d'eau minimale pour assurer le refroidissement. Jusqu'à présent, les fleuves n'ont jamais atteint des étiages amenant à avoir des craintes pour le fonctionnement des centrales , y compris lors de la sécheresse de 2003 et celle de l'été 2022, mais cette possibilité est intégrée dans les mesures de sûreté .

La situation d'étiage exceptionnelle a ainsi été prise en compte dès la conception des centrales . Par exemple, concernant la centrale nucléaire de Cattenom, un seuil hydraulique a été mis en place pour garantir un niveau d'eau minimum. En 2004 et en 2012, des scénarios complémentaires ont été intégrés dans la prévention du risque d'étiage afin de prendre en compte les risques de rupture de barrages.

Toutefois, l'IRSN considère que l'étiage fait partie des risques pour « lesquels l'état des connaissances évolue rapidement », et l'institut souligne dans ses avis « le besoin d'investigations complémentaires de la part d'EDF » (avis IRSN VD4900 2019-00019).

De plus, les mesures de rétention de l'eau face à la diminution du débit des fleuves peuvent conduire à des conflits portant sur l'usage de la ressource en eau .

2. Les normes relatives à l'impact des rejets des centrales sur le milieu naturel en période de forte chaleur doivent faire l'objet d'une révision

L'ensemble des enjeux environnementaux des centrales porte sur l'eau, et ils sont de trois ordres :

- les rejets d'effluents radioactifs liquides nécessitent un débit minimal du fleuve pour garantir leur dilution optimale , c'est-à-dire qu'ils ne soient plus présents en des quantités telles qu'ils auraient un impact sur l'environnement et la santé humaine. Bien entendu, les effluents radioactifs liquides ne sont jamais rejetés s'ils présentent un danger. Ainsi, il est possible de les entreposer en attendant que les conditions deviennent adéquates. Toutefois, « les épisodes de sécheresse récents (2019 et 2022) ont montré que les capacités d'entreposage dont dispose chaque centrale atteignent parfois leur limite de capacité » 13 ( * ) , ce qui peut conduire à l'arrêt de la centrale ;

- le réchauffement de l'eau et de l'air conduit au développement de micro-organismes pathogènes au niveau des tours aéroréfrigérantes , qui nécessitent des traitements biocides pouvant finir par aller dans le fleuve. Concernant ce point, l'ANS reconnaît qu'il s'agit d'un sujet préoccupant , et préconise : « qu'EDF développe des technologies qui préviennent le développement de ces microorganismes pathogènes ou mette au point des traitements biocides efficaces impliquant beaucoup moins de rejets chimiques dans l'environnement » 14 ( * ) ;

- enfin, les rejets de la centrale peuvent échauffer les cours d'eau, ce qui peut avoir des conséquences sur la biodiversité . Pour cette raison, les canicules de l'été 2022 ont failli conduire à l'arrêt de plusieurs centrales : « L'augmentation de la fréquence et de l'intensité des épisodes de sécheresse et de canicule est de nature à augmenter l'occurrence de situations d'arbitrage entre une nécessité publique de production d'électricité et la protection de la faune et de la flore des fleuves. » 15 ( * ) . Le seuil de référence de la température de l'eau en aval, c'est-à-dire après rejets de la centrale, à partir de laquelle il est considéré qu'elle présente un risque pour le milieu aquatique est de 28°.

Il faut cependant noter que les conséquences des rejets des centrales sur la température de l'eau diffèrent fortement selon le type de centrale considéré . Dans le cas des centrales à circuit « fermé », les tours aéroréfrigérantes permettent de limiter l'échauffement de l'eau à quelques dixièmes de degré .

En revanche, les centrales à circuits « ouverts » peuvent échauffer de manière significative les cours d'eau, ce qui a pu conduire à limiter leur puissance en période de fortes chaleurs. Les réacteurs concernés sont ceux de Tricastin, Saint-Alban et les réacteurs n° 2 et n° 3 de Bugey.

Centrales à circuit ouvert et centrales à circuit fermé

Les centrales nucléaires dîtes en « circuit fermé » possèdent une tour aéroréfrigérante, qui permet de refroidir l'eau qui a été réchauffée par le condenseur de la turbine. L'eau ainsi refroidie retourne ensuite vers le condensateur. On parle de circuit « fermé » car le refroidissement ne nécessite pas un passage par le fleuve. Une partie de l'eau s'évapore néanmoins au moment de son passage dans la tour aéroréfrigérante, et cette évaporation doit être compensée par un nouveau prélèvement dans le fleuve. L'eau rejetée n'a quasiment pas de conséquences sur l'échauffement du cours d'eau.

Les centrales nucléaires dîtes en « circuit ouvert » ne possèdent pas de tour aéroréfrigérante. Une fois que l'eau a traversé le condensateur de la turbine, elle est intégralement rejetée dans le fleuve. Ainsi, leurs rejets conduisent à une plus forte augmentation de la température des cours d'eau en comparaison des centrales en circuit fermé.

En France, la majorité des réacteurs sont en circuits fermés. On compte 8 réacteurs en circuit ouvert.

Source : commission des finances

Schéma d'une centrale nucléaire en circuit ouvert

Source : IRSN

Schéma d'une centrale nucléaire en circuit fermé

Source : IRSN

Pourtant, la limite de l'échauffement de l'eau est définie de manière absolue : si l'eau était déjà à 28° en amont de la centrale, même si l'influence des rejets sur la température de l'eau est minime, elle doit cesser sa production. Pour cette raison, la centrale de Golfech, qui est une centrale à circuit fermé, aurait dû s'arrêter durant l'été 2022, si l'ASN n'avait pas accordé une dérogation. Cette situation n'est pas satisfaisante ni du point de vue de la disponibilité des centrales, ni de celui de la protection de la biodiversité .

Le rapporteur spécial partage donc le constat de la Cour des comptes qui estime que « l'existence de seuils de températures pour les rejets des centrales est essentielle mais la fixation des valeurs est ancienne et mérite d'être interrogée ». Il est en particulier nécessaire de distinguer le cas des centrales à circuit fermé, où l'impact des rejets sur la température de l'eau est très faible, et celui des centrales à circuit ouvert, qui peuvent échauffer l'eau de plusieurs degrés .

La révision de ces normes devra également prendre en compte les dernières recherches menées sur les effets de la température de l'eau sur les êtres vivants aquatiques . L'ASN indique ainsi : « Un programme de recherche Thermie-Hydrobiologie a été mené entre 2016 et 2021 par plusieurs institutions scientifiques (dont notamment l'INRAE) et EDF au sujet du rapport entre la température des cours d'eau et les effets sur la biologie aquatique. Ce programme sera poursuivi sur la période 2023-2027 . » 16 ( * )


* 12 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 13 Réponses de l'ANS au questionnaire du rapporteur spécial

* 14 Réponses de l'ANS au questionnaire du rapporteur spécial

* 15 Réponses de l'ASN au questionnaire du rapporteur spécial.

* 16 Réponses de l'ASN.

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