III. UN DIALOGUE POLITIQUE AVEC LA COMMISSION EUROPÉENNE QUI RESTE INÉGAL

1. Les avis politiques destinés à la Commission européenne

À l'issue de la victoire du « Non » aux référendums sur le traité instituant une Constitution pour l'Europe, en France et aux Pays-Bas, en 2005, le président de la Commission européenne d'alors, M. José Manuel Barroso, avait pris une initiative en faveur d'un dialogue direct avec les Parlements nationaux, centré sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Toutefois, depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne , le 1 er décembre 2009, qui prévoit un dispositif spécifique de contrôle de la conformité des textes européens au principe de subsidiarité, le dialogue avec la Commission européenne s'est recentré sur les questions concernant les orientations stratégiques et le contenu des documents adressés aux Parlements nationaux et a pris, pour cette raison, l'appellation de « dialogue politique ».

Ce dialogue politique est complémentaire des résolutions de l'article 88-4 de la Constitution qui s'adressent au Gouvernement qui représente la France dans les négociations au Conseil. Il permet en effet de faire connaître directement la position du Sénat aux institutions européennes, d'abord à la Commission européenne, à laquelle les avis politiques sont prioritairement adressés, mais aussi au Parlement européen, également destinataire de ces avis.

Dans ce cadre informel - qui demeure par conséquent suspendu à la bonne volonté de la Commission européenne -, la commission des affaires européennes adopte des avis politiques , en principe dans un délai de deux mois, en réaction aux documents qui lui sont adressés par la Commission européenne.

Celle-ci a pris l'engagement d'y répondre dans un délai de trois mois.

Ces réponses sont directement adressées au président de la commission des affaires européennes, avec copie au Président du Sénat. Elles sont généralement signées par M. Maro efèoviè, vice-président de la Commission chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective, et cosignées, dans la grande majorité des cas, par le commissaire européen en charge du secteur sur lequel porte l'avis politique.

Selon les derniers chiffres disponibles sur ce dialogue politique, en 2021 43 ( * ) , les Parlements nationaux des États membres de l'Union européenne ont adressé 360 avis à la Commission européenne contre 255 en 2020 (+35 %) et 159 en 2019. Parmi ces avis, 344 étaient des avis politiques et 16 étaient des avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité. Le nombre d'avis transmis connaît donc une nouvelle augmentation forte et démontre le souci de la majorité des Parlements nationaux de participer au dialogue politique européen. Ainsi, le nombre d'assemblées des Parlements nationaux de l'Union européenne n'ayant émis aucun avis est plus faible en 2021 (8 chambres sur 39) 44 ( * ) qu'en 2020 (12 chambres) ; il convient toutefois de remarquer que les chambres de 5 États membres 45 ( * ) s'abstiennent de participer à tout dialogue.

En 2021, les dix chambres les plus actives ont émis 285 avis, soit un peu plus de 79 % du total 46 ( * ) .

Parmi ces chambres, le Sénat se situe en 7 ème position. Du 1 er octobre 2021 au 30 septembre 2022 , la commission des affaires européennes du Sénat a adressé à la Commission européenne 15 avis politiques , contre 8 sur la même période en 2020-2021.

Ses avis, pour l'essentiel, concernaient les mêmes sujets que les résolutions européennes adoptées par la commission et adressées au Gouvernement :

Liste des avis politiques adoptés par le Sénat entre le 1 er octobre 2021 et le 30 septembre 2022

Texte

Rapporteur(s) de la commission
des affaires européennes

Législation européenne sur les marchés numériques - Digital Market Act (DMA) (7 octobre 2021)

Mmes Florence Blatrix Contat et Catherine Morin-Desailly

Nouvelle stratégie pour la politique commerciale européenne

(28 octobre 2021)

MM. Jean-François Rapin, président, et Didier Marie

Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA) (12 novembre 2021)

Mmes Pascale Gruny et
Laurence Harribey

Inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables

(24 novembre 2021)

MM. Daniel Gremillet, Claude Kern et Pierre Laurent

Législation européenne sur les services numériques - Digital Services Act (DSA) (8 décembre 2021)

Mmes Florence Blatrix Contat et Catherine Morin-Desailly

Subventions étrangères faussant le marché intérieur (8 décembre 2021)

Mme Christine Lavarde et
M. Didier Marie

Liberté académique en Europe

(9 décembre 2021)

M. André Gattolin

Programme de travail de la Commission européenne pour 2022 (3 février 2022)

MM. Jean-François Rapin, président, et Didier Marie

Ventes hors taxe du côté français du tunnel sous la Manche (10 février 2022)

MM. Jean-François Rapin, président, et Patrice Joly

Transparence de la publicité politique et du financement des partis politiques européens (17 février 2022)

M. Jean-François Rapin, président, et Mme Laurence Harribey

Politique européenne du patrimoine renforcée au service de l'attractivité des territoires (1 er mars 2022)

Mme Catherine Morin-Desailly et M. Louis-Jean de Nicolaÿ

Préservation des huiles essentielles de lavande menacée par la révision des règlements européens REACH et CLP (31 mai 2022)

M. Jean-Michel Arnaud

Programme d'action numérique de l'Union européenne à l'horizon 2030
(14 juin 2022)

Mmes Florence Blatrix Contat et Catherine Morin-Desailly

Devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité

(28 juin 2022)

M. Jacques Fernique, Mme Christine Lavarde et M. Didier Marie

Préservation des filières du patrimoine menacées par l'interdiction du plomb

(21 juillet 2022)

Mme Catherine Morin-Desailly et M. Louis-Jean de Nicolaÿ

Les 15 avis politiques adoptés par la commission des affaires européennes entre le 1 er octobre 2021 et le 30 septembre 2022, ont tous reçu une réponse de la Commission européenne. Le rapporteur se félicite de cette situation qui, comme l'année dernière, illustre le dialogue nourri et régulier instauré avec le collège des commissaires européens.

Toutefois, le respect du délai de trois mois dont dispose la Commission pour répondre aux avis politiques s'est fortement dégradé sur la période couverte par le présent rapport. Une telle évolution est peu compréhensible, d'autant moins que, sur une partie de la période examinée, la France exerçait la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne. En effet, parmi les 15 réponses reçues, 4 ont été envoyées dans le délai de trois mois (contre 5 sur 8 l'année dernière). Le taux de réponse dans le délai de trois mois s'est ainsi établi au niveau historiquement bas de 26,66 % , contre 62,5 % pour la session 2020-2021 et 80 % sur la session 2019-2020. Signalons cependant que, pour trois réponses, le retard constaté était égal ou inférieur à 5 jours.

Concernant la qualité des réponses apportées par la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique, votre rapporteur constate qu'elles sont globalement satisfaisantes sur leur contenu mais que la Commission européenne a néanmoins tendance à éluder les sujets les plus sensibles (ex : estimations chiffrées sur l'impact social du pacte vert ; constat de divergences sur la politique énergétique...).

Elle souhaite donc que les efforts entrepris par la Commission européenne soient poursuivis afin d'obtenir une information encore plus sincère et toujours exhaustive sur ses intentions ou ses difficultés éventuelles.

Cependant, dans la majorité des cas, les réponses de la Commission veillent, au moins partiellement, à prendre en compte les différents aspects abordés dans l'avis politique de la commission des affaires européennes.

Sur les 15 avis politiques adoptés pendant la période examinée, 13 ont fait l'objet de résolutions européennes ayant le même objet et ont donc déjà été indirectement commentés dans le présent rapport .

Il convient d'analyser les 2 avis politiques restants, respectivement relatifs à la « Nouvelle politique commerciale » et aux « ventes hors taxe du côté français du tunnel sous la Manche ».

• L'avis politique relatif à la consultation publique lancée par la Commission européenne, intitulée « Commerce et développement durable dans les accords commerciaux de l'Union européenne : réexamen de l'approche actuelle », du 28 octobre 2021

Cet avis politique, adopté sur le rapport des sénateurs Jean-François Rapin, président, et Didier Marie a, pour l'essentiel :

- approuvé l'orientation générale de la Commission européenne en faveur d'une « politique commerciale ouverte, durable et ferme », destinée à « renforcer l'autonomie stratégique de l'Union européenne », ainsi que la mise en place d'un responsable européen du respect des règles de commerce et d'un guichet unique de dépôt de plaintes ;

- rappelé que l'Union européenne devait s'affirmer comme puissance commerciale, centrée sur la défense de ses intérêts, « en promouvant ses normes , en veillant à garantir une concurrence loyale et des conditions de marché équitables et en travaillant à une réciprocité dans l'accès aux marchés publics et en matière d'investissements directs » ;

- constaté que, depuis 2006, l'Union européenne s'efforçait de favoriser le développement durable et une croissance inclusive en enrichissant ses accords commerciaux de chapitres à ce sujet (CDD) et souhaité renforcer leur suivi ;

- convenu que la Commission européenne avait effectué « un premier effort de transparence », en particulier avec la publication d'études d'impact avant l'ouverture et avant la conclusion de chaque négociation commerciale, ainsi que des directives de négociation. La commission des affaires européennes a toutefois demandé que ces études d'impact ne portent plus seulement sur des données agrégées de l'Union européenne mais aussi sur des données « par secteurs économiques concernés et par zones géographiques » ;

- constaté surtout l'insuffisante association des parlements nationaux aux négociations commerciales , non seulement du fait de la compétence exclusive de la Commission européenne pour mener ces négociations mais également de la méthodologie employée, par exemple dans les accords avec le Canada ou le Mercosur, et appelé la Commission à rectifier le tir en assurant un partage d'informations étroit et régulier avec eux, sur le modèle des négociations menées avec le Royaume-Uni ;

- souhaité la prise en considération non seulement du paquet « ajustement à l'objectif 55 », mais également des droits de l'Homme et des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du Travail (OIT) dans les accords commerciaux, prôné une coopération européenne accrue en matière de conduite responsable des entreprises et invité la Commission à développer les outils pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales ;

- rappelé sa volonté de modernisation du fonctionnement de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et de restauration de son organe d'appel du système de règlement des différends.

Dans sa réponse en date du 2 février 2022 , la Commission européenne a remercié la commission des affaires européennes de son soutien, tant sur l'intégration des objectifs de développement durable que sur la réforme de l'OMC. Elle n'a simultanément pris aucun engagement concret pour mieux associer les Parlements nationaux aux négociations commerciales.

• L'avis politique sur la proposition de directive relative aux comptoirs de vente hors taxe situés dans le terminal français du tunnel sous la Manche, adopté le 10 février 2022

Cet avis, adopté sur le rapport des sénateurs Jean-François Rapin, président, et Patrice Joly, est intervenu dans le cadre du réaménagement nécessaire de la relation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni concernant les liaisons transmanche , à la suite du « Brexit ».

Cet avis concernait plus spécifiquement la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2008/118/CE et la directive 2020/262 en ce qui concerne les comptoirs de vente hors taxes situés dans le terminal français du tunnel sous la Manche.

En effet, à la suite du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, le 31 décembre 2020, la liaison fixe transmanche est devenue une liaison transfrontalière entre l'Union européenne et un pays tiers.

Or, conformément à la directive (UE) 2020/262, les compagnies de transbordeurs avaient réintroduit les ventes hors taxes de biens à bord de leurs navires pendant les traversées maritimes vers le Royaume-Uni. De tels comptoirs avaient été également ouverts dans les ports de Calais et de Dunkerque, ainsi qu'au terminal anglais de la liaison fixe transmanche (Folkestone).

De ce fait, la résolution a souligné la nécessité de réintroduire une concurrence équitable au profit du terminal français de cette liaison (Coquelles) et appuyé les dispositions de la proposition de directive en ce sens.

Dans sa réponse en date du 30 mars 2022, la Commission européenne a confirmé que cette proposition de directive tirait les conséquences du « Brexit » concernant les conditions de concurrence sur le trafic transmanche et a remercié la commission des affaires européennes pour son soutien.

Ainsi, le dialogue politique avec la Commission européenne est globalement satisfaisant . En effet, la Commission européenne veille à répondre systématiquement aux observations de la commission des affaires européennes du Sénat et, dans ses réponses, apporte, le cas échéant, la confirmation qu'elle partage les vues de cette dernière (avis politique sur les liaisons transmanche) ou apporte des compléments utiles à sa réflexion. Toutefois, ce dialogue est perfectible car certaines des réponses proposées manquent d'éléments chiffrés ou juridiques pour appuyer la démonstration de la Commission européenne et, lorsque cette dernière est en désaccord avec les positions exprimées par les sénateurs, elle a tendance à rester silencieuse sur les motifs de divergence existants et à ne pas offrir une perspective de dialogue complémentaire (ex : place des Parlements nationaux dans la politique commerciale ; réorientation de la stratégie « de la ferme à la fourchette » au regard de la nécessité d'assurer l'autonomie alimentaire de l'Europe).

2. Pour l'avenir, la nécessité pour le Sénat de faire connaître ses avis encore plus tôt

Pour l'avenir, la transmission d'avis politiques du Sénat en amont de la présentation des initiatives législatives par la Commission européenne, plus exactement au stade où cette dernière effectue des consultations publiques , semble pertinente , quoiqu'exigeante en termes d'anticipation des échéances.

En effet, les directions générales de la Commission européenne sont alors en phase d'écriture des projets de textes et sont toujours intéressées par des contributions « de terrain » nourrissant leur réflexion.

La commission des affaires européennes du Sénat a d'ailleurs déjà participé à de telles consultations, récemment encore avec la transmission de son avis politique précité, adopté en réponse à la consultation publique lancée par la Commission européenne, intitulée « Commerce et développement durable dans les accords commerciaux de l'Union européenne : réexamen de l'approche actuelle ».

Cependant, jusqu'en 2021, les contributions transmises par les Parlements nationaux ou certains de leurs membres n'étaient pas distinguées de celles envoyées par des particuliers, par des associations ou par des entreprises.

Consciente de cette difficulté, la Commission européenne a simplifié sa procédure de consultation en 2021 et espère désormais une participation accrue des Parlements nationaux à cette procédure : « Les Parlements nationaux sont directement concernés par la simplification des consultations publiques grâce à l'introduction d'un « appel à contributions » unique, qui remplace plusieurs consultations antérieures à différents stades de l'élaboration des politiques, sur le portail « Donnez votre avis » amélioré. Les contributions que les Parlements nationaux et régionaux ou les collectivités nationales, régionales et locales peuvent décider d'apporter sont clairement définies et distinguées des contributions des autres parties prenantes. » 47 ( * )

3. Le dialogue politique prend aussi la forme de rencontres avec la Commission européenne

Les relations entre la Commission européenne et les Parlements nationaux prennent également la forme de nombreux contacts bilatéraux et de visites incluant les auditions de commissaires européens 48 ( * ) . À cet égard, si le développement de la visioconférence a permis d'élargir les modalités d'échanges, le Sénat attache une grande importance aux rencontres « sur site » avec les interlocuteurs de la Commission européenne.

Ces dernières ont pris les formes suivantes :

- visites des membres de la Commission européenne au Sénat : e ntre le 1 er octobre 2021 et le 30 septembre 2022, le collège des commissaires s'est rendu au Sénat, le 7 janvier 2022, pour le lancement de la présidence française de l'Union européenne (PFUE) et 3 commissaires européens ont été auditionnés par la commission des affaires européennes 49 ( * ) ;

- déplacements du président et des rapporteurs de la commission des affaires européennes, ainsi que des rapporteurs des commissions compétentes au fond , auprès des cabinets des commissaires et des fonctionnaires de la Commission européenne, du Conseil et du Parlement européen, à Strasbourg ou à Bruxelles. Sur la période concernée, il faut d'abord mentionner le déplacement à Bruxelles de la délégation du Sénat menée par M. Gérard Larcher, Président du Sénat, et M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, le 29 novembre 2021, au cours duquel les sénateurs avaient pu échanger avec la Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, et le commissaire européen au marché intérieur, M. Thierry Breton. En outre, 3 déplacements de rapporteurs du Sénat ont été organisés sur la période examinée 50 ( * ) ;

- participation conjointe des sénateurs et des commissaires européens aux diverses conférences interparlementaires européennes organisées sur un rythme semestriel. À cet égard, il convient de rappeler que la France a présidé le Conseil de l'Union européenne au cours du premier semestre 2022, ce qui a conduit le Sénat et l'Assemblée nationale à accueillir un certain nombre de réunions interparlementaires européennes. Pour le Sénat, signalons l'accueil :

- de « la COSAC 51 ( * ) des présidents » ou « petite COSAC », qui rassemble les présidents des commissions des affaires européennes des parlements des États membres de l'Union européenne (13 et 14 janvier 2022), et qui a précédé, comme de coutume, la réunion plénière de la COSAC (qui a eu lieu à l'Assemblée nationale en mars 2022). Dans ce cadre, deux groupes de travail ont été constitués à l'initiative des deux chambres du Parlement français 52 ( * ) et le groupe de travail relatif au rôle des Parlements nationaux dans l'Union européenne, mené par le Sénat, a adopté des conclusions substantielles à ce sujet  (voir III) ;

- de la conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) (24 et 25 février 2022) ;

- d' une conférence sur l'autonomie stratégique économique de l'Union européenne (13 et 14 mars 2022), en présence du commissaire Thierry Breton ;

- d' une conférence sur les défis migratoires (15 et 16 mai 2022).

Ces réunions ont permis aux sénateurs de sensibiliser leurs homologues sur les priorités européennes de la France et du Sénat, tout en s'informant des positions politiques des autres parlementaires des États membres. Elles ont été aussi autant d'occasions d'échanges bilatéraux, formels et informels, en marge des sessions plénières de ces conférences, afin de nouer des relations de confiance.

Enfin, une délégation du Sénat 53 ( * ) a participé aux travaux de la Conférence sur l'avenir de l'Europe 54 ( * ) . Cette Conférence était un engagement de la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, afin de mieux écouter la voix des citoyens des États membres. Retardée par la pandémie de Covid et par des désaccords entre institutions, la Conférence a entamé ses travaux le 9 mai 2021 et les a achevés le 9 mai dernier, avec la présentation d'un Rapport sur les résultats finaux contenant 49 propositions, détaillées en 300 mesures. Son travail a été très dense, d'autant qu'en pratique, sa réflexion sur les propositions a été concentrée sur un semestre.

Au final, la Conférence a défendu un approfondissement de l'intégration européenne , préconisant, à titre principal :

- concernant les questions institutionnelles , la reprise des propositions habituellement portées par le Parlement européen, telles que la réforme des élections européennes pour mettre en place une circonscription unique dans laquelle seraient élus une partie des eurodéputés sur une liste transnationale , et la désignation du président de la Commission européenne à partir du système des candidats tête de liste (ou Spitzenkandidaten ), bien qu'une élection directe par les citoyens européens soit également envisagée. Pour rappel, le rapport d'information de la commission des affaires européennes 55 ( * ) avait qualifié ces propositions de « fausses bonnes idées », dans la mesure où elles comportent des risques importants sans garantir une réelle démocratisation de l'Union ;

- un passage de l'unanimité à la majorité qualifiée dans tous les domaines (en particulier, pour la prise de décision habituelle dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC)), sauf l'élargissement et l'État de droit ;

- dans le domaine de la défense , la mise en place de « forces armées communes », « utilisées à des fins d'autodéfense et destinées à prévenir toute action militaire agressive de quelque nature que ce soit, ayant la capacité de fournir une assistance en temps de crise, y compris en cas de catastrophe naturelle » ;

- en matière d'immigration et d'asile , un accès uniformisé de l'ensemble des demandeurs d'asile de l'Union au marché du travail ;

- la consolidation de la monnaie unique , ainsi que l'achèvement de l'Union bancaire en zone euro et de l'Union des marchés de capitaux ;

- en matière sociale, l'introduction de salaires minimaux légaux et le renforcement des droits des travailleurs des plateformes ;

- la transformation de la santé et des soins en compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres et, contre l'avis de la délégation du Sénat, un ciblage prioritaire des investissements dans le secteur public.

L'avenir des travaux de la Conférence est cependant très incertain. En effet, si le Parlement européen a voté une résolution pour soutenir ses propositions « ambitieuses et constructives », demandant en particulier l'extension des domaines à la majorité qualifiée, le Conseil européen, dans ses conclusions des 23-24 juin 2022, en a simplement « pris note ».

En effet, la Conférence a représenté un incontestable exercice de démocratie participative (ses travaux ont ainsi été alimentés par de nombreux panels citoyens, organisés au niveau tant européen que national ou local, et par une plateforme numérique en ligne) mais la délégation du Sénat a eu souvent le sentiment que les panels citoyens manquaient de représentativité, leurs propositions étant « en quelque sorte inspirées par le Parlement européen. »

En outre, si les représentants des Parlements nationaux ont accepté que les propositions des groupes de travail soient transmises au comité exécutif pour publication du rapport final, ils ont bien expliqué que cette acceptation de publication ne valait pas accord sur le fond des propositions . Eu égard au rôle des Parlements nationaux, les conclusions de la Conférence sont d'ailleurs très en retrait des recommandations initiales , se contentant d'évoquer la possibilité d'un droit d'initiative indirecte des Parlements nationaux - le « carton vert » - et une réforme imprécise de la subsidiarité.

Certaines des propositions du rapport final sont sources de bouleversements potentiels des équilibres actuels et nécessiteraient une révision des traités européens. Ainsi, comme le rappelait la sénatrice Gisèle Jourda, la proposition relative aux « forces armées communes » est « un enjeu de souveraineté éminemment sensible » et il « semble nécessaire d'être prudent en la matière ».

A contrario , d'autres propositions demeurent peu abouties, à l'image de celles émises en matière d'État de droit : « le rapport final se contente de pétitions de principe et d'une vision exclusivement punitive, illustrée par le mécanisme de conditionnalité, et par la nécessité, affirmée avec vigueur, de sanctionner les violations constatées par « toutes les voies juridiques nécessaires ». On aurait pu aussi souhaiter que des préconisations soient faites pour mieux définir l'État de droit, mieux garantir la liberté d'expression des citoyens en Europe et conforter les initiatives d'intérêt général comme le service volontaire européen. »

Par ailleurs, aucune proposition concrète n'a été émise dans le domaine de l'agriculture. De même, si le rapport final souligne la prise de conscience de la Conférence sur l'importance des enjeux numériques pour l'Union européenne, il ne contient aucune proposition pour réduire la dépendance stratégique de l'Union européenne dans ce domaine à l'égard des acteurs étrangers, « ce qui est regrettable au vu des enjeux actuels. »


* 43 Rapport annuel 2021 de la Commission européenne sur l'application des principes de subsidiarité, de proportionnalité et sur les relations avec les parlements nationaux, en date du 1 er août 2022 (COM(2022) 366 final).

* 44 Chambre des représentants de Belgique ; Bundestag allemand ; Vouli chypriote ; Riigikogu estonien ; Saeima lettonne ; Chambre des députés du Luxembourg ; Drzavini svet et Srzavni zbor slovènes.

* 45 Chypre ; Estonie ; Lettonie ; Luxembourg ; Slovénie.

* 46 Cortes generales espagnoles (57 avis) ; Assembleia da Republica du Portugal (54 avis) ; Sénat tchèque (47 avis) ; Camera Deputatilor de Roumanie (27 avis) ; Bundesrat allemand (24 avis) ; Senat de Roumanie (18 avis) ; Sénat français (17 avis) ; Eerste Kaamer néerlandaise (17 avis) ; Poslanecka snemovna tchèque (12 avis) ; Camera dei Deputati d'Italie (12 avis).

* 47 Rapport COMM(2022) 366 final précité.

* 48 En 2019, année de transition, les membres de la Commission européenne ont participé à 55 visites et réunions avec les parlements nationaux, après 140 en 2018, dont une seule en France (à l'Assemblée nationale), après 24 en 2018. Au total, 915 visites de ce type ont eu lieu au cours du mandat de la Commission Juncker. Par ailleurs, Michel Barnier, le négociateur en chef de l'Union européenne pour le Brexit, a rencontré 13 parlements nationaux.

* 49 M. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, a été auditionné le 28 octobre 2021. M. Didier Reynders, commissaire européen à la justice a été auditionné le 7 décembre 2021. Et M. Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne en charge des relations interinstitutionnelles et de la prospective, a été auditionné le 8 février 2022.

* 50 Déplacement d'une délégation de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable à Bruxelles avec rencontre du vice-président Frans Timmermans, en charge du « Pacte vert » (10 février 2022) ; déplacement à Bruxelles des rapporteurs de la commission des affaires européennes, Jacques Fernique, Christine Lavarde et Didier Marie, sur le devoir de vigilance des entreprises (19 mai 2022) ; déplacement à Bruxelles des rapporteurs de la commission des affaires européennes, Jean-Yves Leconte et André Reichardt, sur le Nouveau pacte sur la migration et l'asile (7 juillet 2022).

* 51 Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires.

* 52 La réunion des Présidents de la COSAC ayant décidé par consensus, le 14 janvier 2022, la création de ces groupes de travail : l'un sur la place des valeurs au coeur du sentiment d'appartenance à l'Union européenne, l'autre sur le rôle des Parlements nationaux au sein de l'Union européenne

* 53 Désignés par le Président du Sénat pour représenter le Sénat au sein de cette Conférence, M. Jean-François Rapin, président, fut membre du groupe de travail de la Conférence sur les enjeux de santé et Mme Gisèle Jourda a siégé dans le groupe de travail « L'Union européenne dans le monde ».

* 54 Les citations relatives au bilan de la Conférence sur l'avenir de l'Europe sont tirées de la communication des sénateurs Gisèle Jourda et Jean-François Rapin devant la commission des affaires européennes, le 15 juin 2022.

* 55 Rapport d'information n°735 (2020-2021) sur les listes transnationales et les candidats tête de liste aux élections au Parlement européen, des sénateurs Jean-François Rapin et Laurence Harribey au nom de la commission des affaires européennes, 5 juillet 2021.

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