II. POUR UNE VRAIE POLITIQUE DE CONTINUITÉ TERRITORIALE : UNE AMBITION RÉPUBLICAINE AU CoeUR DE L'ÉQUITÉ ET DE L'ÉGALITÉ DES CHANCES

A. LA POLITIQUE DE CONTINUITÉ TERRITORIALE : UN CAUTÈRE SUR UNE JAMBE DE BOIS

1. Une politique désormais ancienne mais qui fait du surplace

Initialement prévue pour répondre aux problématiques de desserte aérienne et maritime en Corse depuis 1976 (voir infra), la politique de continuité territoriale a été étendue aux outre-mer très tardivement, il y a tout juste vingt ans.

L'article 60 de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer avait créé un premier mécanisme de versement par l'État, à chaque collectivité d'outre-mer, d'une dotation de continuité territoriale dont le montant évoluait avec la dotation globale de fonctionnement. Il revenait aux collectivités d'arrêter leur politique de continuité territoriale. En 2008, dernières années de cette dotation, son montant s'élevait en loi de finances à 33,3 millions d'euros.

Montant et utilisation de la dotation de continuité territoriale
de 2005 à 2007

 

2005

2006

2007

Montant de la dotation

28,9 M

29,8 M

30,6 M

Dotation consommée

24,5 M

26,8 M

47,7 M23(*)

Nombre de bons émis

58 151

71 698

121 553

À côté de la dotation, depuis 2002, le dispositif du passeport-mobilité avait été mis en place à destination des étudiants et des personnes en formation professionnelle. Ce dispositif rencontrait un vif succès. Les conditions d'éligibilité étaient assez souples : pas de conditions de ressources, achat des billets par les bénéficiaires.

Bilan du passeport-mobilité de 2005 à 2007

 

2005

2006

2007

Montant du dispositif

20,5 M

22,6 M

22,1 M (dont 17 M pour les étudiants)

Nombre de dossiers

21 516

22 108

24 177 (dont 17.534 étudiants)

Au total, en 2007, 52,7 millions d'euros étaient consacrés à la continuité territoriale.

La loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (LODEOM)24(*) a profondément réformé ce double dispositif (DCT et passeport mobilité) en globalisant les crédits au sein d'un fonds de continuité territoriale géré par un opérateur économique de l'État selon des modalités et conditions resserrées. L'objectif principal était de maîtriser les coûts croissants de la politique de continuité territoriale et de remettre de la cohérence dans le dispositif, les collectivités en faisant des usages très disparates. Cette réforme faisait suite à un rapport très critique de la Cour des comptes en 2008, pointant notamment une mise en oeuvre inégale selon les territoires et un risque de « dérapage » des coûts. En 2007, la consommation des crédits excéda largement l'enveloppe dédiée : 47,7 millions d'euros au lieu de 30,6.

Et l'objectif de maîtrise budgétaire fut atteint.

Source : DSOM. Les chiffres de 2004 à 2008 additionnent les crédits de la dotation de continuité territoriale et du passeport-mobilité

Encore aujourd'hui, les montants alloués à la continuité territoriale outre-mer demeurent dans des ordres de grandeur identiques et le nombre de bénéficiaires a plutôt eu tendance à diminuer.

2. Des objectifs ambitieux en affichage

La politique de continuité territoriale est définie aux articles L.1803-1 et suivants du code des transports. L'article L.1803-1 précise en particulier les grands principes qui guident cette politique nationale : « les pouvoirs publics mettent en oeuvre outre-mer, au profit de l'ensemble des personnes qui y sont régulièrement établies, une politique nationale de continuité territoriale. Cette politique repose sur les principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République. Elle tend à atténuer les contraintes de l'insularité et de l'éloignement et à rapprocher les conditions d'accès de la population aux services publics de transport, de formation, de santé et de communication de celles de la métropole, en tenant compte de la situation géographique, économique et sociale particulière de chaque outre-mer. Peuvent en bénéficier, dans des conditions prévues par la loi, des personnes résidant en France métropolitaine. »

Cette définition est ambitieuse. Elle excède la seule question des transports. Tous les ultramarins régulièrement établis sont dans le champ de cette politique, sans distinguer nécessairement selon les ressources. L'objectif est de rapprocher les conditions d'accès aux services publics essentiels dans les outre-mer de celles rencontrées en métropole.

Plusieurs aspects importants sont bien pris en compte aux articles suivants : les liaisons entre les outre-mer d'une même zone géographique, les liaisons intérieures quand elles sont particulièrement complexes, ainsi que le retour au pays.

Les articles 1 et 2, purement déclamatoires, de la loi n° 17-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer (loi dite EROM) avaient remis l'accent sur la continuité territoriale, en disposant en particulier que « la mise en place et le maintien de liaisons territoriales continues entre les différentes composantes du territoire de la République constituent un enjeu de souveraineté et une priorité de l'action de l'État25(*). La continuité territoriale s'entend du renforcement de la cohésion entre les différents territoires de la République, notamment les territoires d'outre-mer, et de la mise en place ou du maintien d'une offre de transports continus et réguliers à l'intérieur de ces territoires et entre ces territoires et la France hexagonale ».

Régulièrement, l'objectif de 200 000 billets aidés chaque année est lancé, comme en 2003 lors de la naissance de la politique de continuité territoriale, mais la réalité demeure très en retrait.

Derrière ces affichages ambitieux, les réalités de la politique nationale annoncée restent décevantes.

3. Des moyens toujours maigres

Depuis qu'une politique de continuité territoriale a été initiée en 2003, l'effort budgétaire annuel de l'État est demeuré compris entre 35 et 52 millions d'euros selon les années. Une seule fois, en 2007, les crédits consommés ont largement percé ce plafond en atteignant près de 70 millions d'euros, ce qui a notamment motivé la réforme de la LODEOM en 2009 et un serrage budgétaire.

Pour 2019, dernière année de référence avant la crise sanitaire, la loi de finances inscrivait des crédits de paiements de 42 millions d'euros en faveur de l'action « continuité territoriale » contre 51,5 millions d'euros en loi de finances pour 2012. Le décrochage a eu lieu en 2015, avec une baisse de 20 % de l'enveloppe, à la suite d'une réforme de l'aide à la continuité territoriale ayant précisément pour objectif de contenir la hausse des dépenses. En particulier, le délai entre deux demandes d'ACT est passé de un an à trois ans.

Il existe donc une sorte de plafond implicite restreignant la solidarité nationale au profit de la continuité territoriale dans les outre-mer à une enveloppe budgétaire maximale de 50 millions d'euros, voire moins. Chaque fois que ce plafond a été crevé ou menacé de l'être, les conditions d'obtention des aides ont été resserrées.

Source : DGOM

Source : DGOM

Pourtant, simultanément, pour prendre la seule période 2012-2019, l'inflation cumulée a été de 7,8 % et la population des DROM a cru de 4 %. L'effort budgétaire réel en faveur de la continuité territoriale pour les habitants des territoires ultramarins a donc baissé de plus de 30 % sur cette période.

En 2022, année qui marque le début d'un retour à la normale après la crise sanitaire, les crédits de l'action « continuité territoriale » marquent un léger redressement à 45 millions d'euros pour accompagner la réforme des aides adoptée en 2021. Ce frémissement est aussi commandé par le retour d'une forte demande en provenance de La Réunion. Le dispositif régional très avantageux mis en place de 2014 à 2020 avait en effet complètement siphonné les demandes en provenance de ce territoire, alors même que La Réunion est l'outre-mer le plus peuplé. Ce n'est qu'artificiellement que l'État a pu contenir son enveloppe budgétaire, du fait que La Réunion - soit un tiers de la population ultramarine - ne la sollicitait pas.

En 2023, sous l'impulsion du Parlement, les crédits votés en loi de finances sont portés à 53 millions d'euros, tout en notant que le projet de loi de finances initiale maintenait inchangés les crédits de l'action « continuité territoriale ». La violente réalité de la hausse des prix, aussi bien l'inflation générale que le prix des billets d'avion, ne rendait plus tenable le maintien d'une enveloppe contrainte en deçà de 50 millions d'euros.

4. L'éligibilité aux dispositifs de continuité territoriale : une maille trop serrée et des publics très segmentés

La stagnation, voire le reflux, des moyens budgétaires consacrés à la continuité territoriale semble avoir été la ligne directrice de cette politique depuis sa création.

En conséquence, les orientations et les modalités de cette politique ont été définies et modifiées à plusieurs reprises pour respecter cet impératif budgétaire strict.

Les réformes des aides intervenues en 2009 et en 2015 l'illustrent. La politique de continuité territoriale n'a pas été définie par rapport aux besoins réels des populations ultramarines, mais en fonction d'une enveloppe maximale préétablie.

Les modifications successives des aides ont abouti à ce que les conditions d'obtention soient resserrées. Il faut néanmoins distinguer selon les types d'aides, chacune s'adressant à un public déterminé.

a) Une segmentation des aides souvent obscure pour le public

LADOM propose près d'une dizaine de dispositifs, chacun ayant ses propres critères pour répondre à différentes problématiques : études, formation, stage, sport, culture, recherche, recherche d'emploi, voyage.

Les travaux de la mission ont mis en évidence la faible connaissance de plusieurs d'entre eux par leurs publics cibles. À défaut d'un travail de simplification et de regroupement des dispositifs, ce constat révèle un vrai problème de communication vers les publics éligibles, qui est d'ailleurs identifié par les agences de LADOM.

De même, selon les territoires, en particulier les collectivités d'outre-mer, les dispositifs sont plus ou moins sollicités. En Guyane, l'ACT, voire les passeports étudiants, sont sous-utilisés par rapport aux autres territoires comparables.

b) L'aide à la continuité territoriale (ACT) : un cumul de critères pour tamiser finement les demandes

Créée en 2009, l'ACT dite classique est le dispositif de droit commun qui s'adresse à tous les ultramarins pour aider au financement des déplacements entre l'outre-mer de résidence et l'Hexagone. Il suffit donc d'être un résident ultramarin, sans condition d'âge. Il n'est pas nécessaire de se prévaloir d'un motif particulier de voyage. Toutefois, deux conditions restreignent en pratique le nombre de bénéficiaires.

Le premier couperet est celui des ressources. Pour en bénéficier, les personnes doivent dépendre d'un foyer fiscal dont le quotient familial est inférieur ou égal à 11 991 euros. Ce plafond fait l'objet de critiques unanimes26(*).

Pour donner des ordres de grandeur, cette condition de ressources correspond approximativement à des revenus nets imposables de 1 000 euros par mois pour un célibataire, 1 500 euros pour une mère célibataire, 3 000 euros pour un couple avec deux enfants. Ces niveaux de revenus paraissent d'autant plus faibles que dans les outre-mer, le coût de la vie est nettement plus cher que dans l'Hexagone.

Il faut enfin remarquer que le quotient familial au sens de l'administration fiscale est moins favorable que le quotient familial au sens de la CAF, en particulier pour les parents isolés. En effet, le quotient CAF compte deux parts pour un parent isolé, alors que le quotient fiscal compte une seule part. Or, la proportion de parents isolés dans les outre-mer est nettement plus élevée que dans l'Hexagone.

Le second couperet est la fréquence. La réforme introduite par le décret n° 2015-166 du 13 février 2015 a instauré un droit quadriennal (après trois années révolues) et non annuel.

Le résultat de ces restrictions successives a été une chute brutale du nombre de bénéficiaires, bien loin des objectifs proclamés en 2003 de 200 000 bénéficiaires.

Nombre de bénéficiaires de l'aide à la continuité territoriale
de 2012 à 2019

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Guadeloupe Saint-Martin

Saint-Barthélemy

16631

19677

18530

6523

8074

9069

7136

8023

Martinique

22410

25094

26879

7390

6222

7764

9199

8677

Guyane

554

940

1726

1665

1396

1958

2249

2183

La Réunion

38607

44583

42283

506

4

30

32

46

Mayotte

2407

3436

3876

2331

1900

2025

1377

1460

SPM

28

29

42

20

16

5

0

3

Wallis-et-Futuna

270

152

409

266

288

271

327

443

Polynésie française

863

722

670

613

469

444

492

435

Nouvelle-Calédonie

2601

2977

3277

1306

1147

1640

1689

1568

TOTAL

84371

97610

97692

20620

19516

23206

22501

22838

Source : DGOM

La réforme des aides en 2021 et surtout le retour de la demande réunionnaise a fait bondir en 2022 le nombre de bons émis à 48 035 (+ 136 % par rapport à 2019).

Malgré ce rebond, le constat est celui d'une aide très contrainte qui n'est pas à la hauteur des besoins, d'autant que le public éligible n'a souvent pas les moyens d'assumer le reste à charge.

c) L'ACT dite spécifique pour les doctorants, les artistes et les sportifs : un échec

La réforme de 2021 a créé les ACT dites spécifiques à destination des doctorants, sportifs et artistes.

Cette catégorie d'aides cible pour la première fois des talents.

La principale différence avec les ACT classiques est la fréquence à laquelle on peut en bénéficier. Alors que les ACT classiques ne peuvent être sollicitées que tous les trois ans révolus, ces ACT spécifiques peuvent être demandées tous les ans pour les doctorants, deux fois par an pour les artistes et acteurs et quatre fois par an pour les jeunes espoirs sportifs.

Les autres conditions sont identiques à celle de l'ACT classique : montant, ressources. En revanche, l'ACT spécifique est versée uniquement en remboursement. Elle ne donne pas lieu à la délivrance d'un bon pour l'achat du billet. Il faut donc faire l'avance des fonds.

La création de ces aides devait répondre à un besoin. En effet, si d'autres financements existent pour les artistes ou les sportifs, ils sont plus lourds à obtenir, souvent dans le cadre d'appels à projet ou de demandes de subvention.

C'est le cas de deux fonds : le fonds d'échange à but éducatif, culturel et sportif (FEBECS), et le fonds d'aide aux échanges artistiques et culturels de l'outre-mer (FEAC). Ces deux dispositifs permettent de participer à la prise en charge financière de dépenses liées aux frais de transport dans le cadre d'échanges éducatifs, sportifs ou culturels, ou de soutenir la diffusion des productions artistiques des territoires ultramarins.

Malheureusement, l'ACT spécifique est à ce jour un complet échec. En 2022, 21 bons ont été attribués.

Cet échec est d'autant plus inquiétant que la situation du milieu sportif ultramarin, et en particulier du haut niveau, devient de plus en plus précaire à cause de la hausse extraordinaire des dépenses de déplacement. René Méril, président du comité territorial olympique et sportif de la Martinique, a indiqué que pour les ligues, les billets d'avion représentaient les deux tiers de leurs dépenses sur tous les déplacements.

Ces coûts croissants sont assurés essentiellement par les parents ou les sportifs eux-mêmes et certains ne peuvent plus suivre. Pourtant le haut-niveau exige de se confronter régulièrement aux meilleurs de sa catégorie au niveau régional, national ou européen.

René Méril s'est déclaré très inquiet sur l'avenir du haut niveau dans les outre-mer, pourtant pourvoyeurs historiquement de nombreux champions, si des dispositifs ambitieux d'aides à la continuité territoriale ne sont pas mis en place. La condition de ressources lui paraît en particulier rédhibitoire.

d) Le passeport pour la mobilité des études : peut mieux faire

Le passeport pour la mobilité des études est le plus ancien dispositif puisqu'il existe depuis 2002, avant même la création de la dotation de continuité territoriale en 2003.

Le passeport pour la mobilité des études (PME), qui est destiné aux personnes en formation initiale (les étudiants de tous les territoires ainsi que les lycéens des collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Saint-Barthélemy). L'aide consiste en la prise en charge à 50 % du coût du billet d'avion si les ressources sont inférieures à 26 631 euros par an, et à 100 % pour les étudiants boursiers d'État sur critères sociaux et les lycéens.

À côté de ce passeport, existe aussi le passeport pour la mobilité en stage professionnel (PMSP), destiné aux élèves et étudiants inscrits en terminale professionnelle ou technologique, en section de technicien supérieur, en institut universitaire de technologie, en licence professionnelle ou en master. L'aide concourt au financement des titres de transport dans le cadre du stage prévu par la formation lorsque le référentiel de formation impose une mobilité hors du territoire de la collectivité où l'intéressé réside ou que le tissu économique local n'offre pas le stage recherché dans le champ d'activité et le niveau de responsabilité correspondant à la formation (392 bénéficiaires en 2022). À noter que plus de 20 % de l'activité PMSP concerne des stages à l'international, majoritairement à destination de l'Union européenne. Des actions de communication sont prévues en 2023 afin de renforcer la visibilité de ces dispositifs et dynamiser l'activité.

Le PME est sans doute, avec le passeport pour la mobilité professionnelle, l'aide qui répond le mieux aux besoins d'une partie des jeunes souhaitant s'orienter vers des études qui ne peuvent être poursuivies sur leur territoire.

En 2022, 9 276 étudiants ont bénéficié du PME, soit un niveau toujours inférieur à 2019. La relative décroissance du nombre de bénéficiaires peut aussi s'expliquer par l'augmentation des offres de formation et de diplômes dans les outre-mer.

Les étudiants ont néanmoins des critiques nombreuses sur les aides à la continuité territoriale qui ne prennent pas assez en considération l'intensité que peut avoir le déracinement des étudiants, ni la cherté de la vie. Le dispositif est aussi jugé peu souple pour s'adapter à des situations régionales particulières. Ainsi, les ACT ne prennent pas en charge les transports passagers par bateau entre la Martinique et la Guadeloupe, alors que beaucoup d'étudiants étudient entre les deux îles.

Pour les doctorants, la fréquence des aides est aussi inadaptée pour leur permettre de se déplacer aussi fréquemment que nécessaire.

La question de l'aller-retour en cours d'année pour se ressourcer est l'autre grande demande. Elle est jugée indispensable pour préserver l'équilibre psychologique et les conditions de réussite des étudiants ultramarins.

Enfin, même si les textes le permettent, la communication de LADOM demeure trop orientée vers des aides à destination d'études dans l'Hexagone. Pourtant, un accompagnement plus fort en faveur de cursus dans l'environnement régional pourrait être souvent privilégié.

e) Les passeports mobilité pour la formation professionnelle et assimilés

Le passeport pour la mobilité de la formation professionnelle (PMFP) est destiné aux personnes en formation professionnelle en mobilité et aux personnes inscrites dans une démarche d'insertion professionnelle. L'aide comporte aussi un volet destiné aux personnes devant se présenter aux épreuves d'admission des concours de catégorie A et B de la fonction publique et des concours d'accès aux grandes écoles. Elle consiste en la prise en charge de 100 % du coût du billet d'avion.

Ce dispositif est globalement plébiscité avec d'assez bons résultats et une grande qualité de services rendue par LADOM. Les antennes territoriales de LADOM en Hexagone sont entièrement dédiées à l'accompagnement de ces demandeurs d'emploi en formation (accueil, hébergement, suivi).

Toutefois, il est en perte de vitesse avec une baisse régulière du nombre de bénéficiaires pouvant s'expliquer en particulier par l'amélioration des offres de formation sur les territoires.

Cette baisse qui semble s'accélérer en 2022 peut aussi s'expliquer par les ratés de la mise en oeuvre du partenariat avec Pôle emploi à partir de 2021. En effet, l'année 2022 a été marquée par l'opérationnalisation de l'accord cadre LADOM-Pôle emploi signé le 14 septembre 2021 qui prévoit en particulier le transfert, à compter du 1er janvier 2022, de l'achat des formations relevant de la mesure « Mobilité Formation Emploi » (MFE) du PMFP et des rémunérations des stagiaires de la formation professionnelle associées aux actions « MFE » à Pôle emploi. LADOM cessera toute prescription de formation à compter du 1er janvier 2024, Pôle Emploi assumant l'intégralité de cette mission.

Au-delà des soucis techniques, notamment d'accès à certains logiciels communs, plusieurs difficultés ont été relevées et devront être réglées d'ici un an :

- le cahier des charges de Pôle emploi n'est pas adapté aux spécificités des formations en mobilité. Le principal point de difficulté porte sur les délais d'ouverture des actions de formation, de positionnement et de validation des inscriptions, peu compatibles avec le délai nécessaire à la recherche d'un hébergement pour la période de mobilité en métropole ;

- certains organismes de formation demandent la participation à une réunion en présentiel afin de valider l'inscription à la formation, ce qui n'est pas compatible avec l'éloignement géographique des candidats ultramarins ;

- les équipes de LADOM constatent des difficultés persistantes des conseillers Pôle emploi outre-mer à prescrire une AFC dans l'Hexagone car d'une part, leur priorité est de trouver une formation localement, et d'autre part, cette démarche est nouvelle et doit être mieux appropriée par les équipes Pôle emploi outre-mer ;

- la communication conjointe LADOM-Pôle emploi en outre-mer doit continuer à s'intensifier afin de rendre plus visible et compréhensible le partenariat entre les deux opérateurs ;

- les relations entre les équipes de LADOM et de Pôle emploi en France hexagonale doivent continuer à être renforcées.

La situation doit être vite redressée.

5. Des aides inadaptées à la saisonnalité

L'ACT, ainsi que les autres aides forfaitaires, présentent un inconvénient majeur : elles ne s'adaptent pas au prix réel des billets.

Les montants des bons sont censés couvrir 40% du prix des billets (50% depuis le 15 mars 2023). Toutefois, ce pourcentage n'est pas calculé sur la base du prix réel, ni sur celui du prix moyen constaté, mais sur la moyenne du prix d'achat des billets d'avion par les bénéficiaires de l'ACT.

Pour reprendre les propos de Yves Goument, chargé de mission économie territoriale et économie du transport aérien à la sous-direction des politiques publiques de la DGOM, « il ne s'agit donc ni d'un prix tout public ni d'un prix de haute saison. Les populations aidées s'attachent effectivement à choisir les billets les moins chers et leurs enfants bénéficient de tarifs réduits. En conséquence, la moyenne des tarifs retenus est plutôt basse, selon les chiffres de LADOM :

- 688 euros en Guadeloupe ;

- 728 euros en Martinique ;

- 970 euros à La Réunion ;

- 2 061 euros en Nouvelle-Calédonie ».

Les personnes éligibles à l'aide et ayant de très faibles revenus, sont aussi les plus sensibles au reste à charge et recherchent autant que possibles les prix les plus bas (réservation très en avance, hors saison...)

En somme, l'aide forfaitaire est calculée sur la base d'un plancher bas. Cette méthode de calcul, protectrice pour les finances publiques, n'est en revanche pas adaptée à la réalité de la plupart des ultramarins qui ne peuvent pas tous programmer leur déplacement six mois à l'avance ou échapper à la haute saison.

Pour prendre l'exemple de la Martinique, le montant de l'ACT censé couvrir 50 % du prix total du billet depuis le 15 mars 2023 s'élève à 340 euros. Le reste à charge variera donc énormément selon le prix réel du billet : 388 euros si le prix du billet est bien de 728 euros, plus de 660 euros si le prix excède les 1 000 euros comme c'est désormais fréquemment le cas. Dans cet exemple, le taux réel de prise en charge passe ainsi de 50 % à moins de 34 %.

Un tel reste à charge conduira fréquemment des bénéficiaires de l'ACT à renoncer au bon sollicité, faute de pouvoir supporter le reste à charge. En 2022, 48 035 bons ACT ont été réalisés sur un total de 59 273 bons émis, soit un taux de réalisation des bons émis de 81 %.

6. Les aides au fret : le supplice de Tantale

Le transport de marchandises entre les départements d'outre-mer, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis et Futuna et le marché européen ou celui des pays tiers, comme en inter-DOM, subit des surcoûts importants résultant de la distance entre ces entités géographiques et de leur éloignement des principales routes et ports maritimes.

Pour les régions ultrapériphériques, les autorités françaises ont obtenu de la Commission européenne l'autorisation de mettre en oeuvre un régime d'aide d'État de soutien au fret destiné à compenser ce handicap structurel.

À la suite, l'article 24 de la loi n°2009-594 du 27 mai 2009 a créé une aide au fret nationale aux entreprises situées dans les outre-mer précités.

Elle finance :

- le transport vers une entreprise ultramarine des matières premières ou produits entrant dans un cycle de production en provenance de pays tiers et des départements et collectivités territoriales ultramarines ;

- le transport des matières premières et produits issus d'un cycle de production dans une entreprise ultramarine vers les départements et collectivités territoriales ultramarines ;

- l'importation de déchets en provenance de l'Union européenne, des départements et collectivités territoriales ultramarines et des pays tiers ;

- le transport de déchets vers l'Union européenne et les départements et collectivités territoriales ultramarines.

Cette aide a donc pour objectif (les déchets mis à part) d'améliorer la compétitivité des activités de production dans les outre-mer. En revanche, les importations de produits de consommation ne peuvent en bénéficier.

La base de l'aide est égale au coût prévisionnel annuel hors taxes des dépenses de transport le plus économique, maritime ou aérien, incluant les assurances, les frais de manutention et de stockage temporaire avant enlèvement.

Le dispositif national de l'aide au fret vient en complément de crédits européens mobilisés aux mêmes fins. À côté de l'aide au fret de l'État, une aide au fret européenne analogue peut donc être mobilisée.

Dans la plupart des territoires l'instruction des dossiers de demande est ainsi effectuée par les services instructeurs de l'autorité de gestion FEDER, avant transmission du dossier aux services déconcentrés de l'État en amont du versement de l'aide nationale.

L'aide européenne peut couvrir jusqu'à 100 % du coût du fret annuel, tandis que l'aide nationale ne peut prendre au charge que 50 % au maximum. Toutefois, le montant de l'aide apportée par l'État ne peut dépasser 25 % de la base éligible, lorsque l'entreprise bénéficie de l'aide européenne.

Néanmoins, les modalités de fonctionnement font que les deux dispositifs d'aide au fret sont perçus comme lourds et complexes par les entreprises concernées.

Les délais sont très longs et son impact économique s'en trouve relativisé. Il faut aussi rappeler que toutes les importations ne sont pas éligibles mais uniquement les produits entrant dans un cycle de production.

Il en résulte une sous-consommation des crédits votés, alors même que ceux-ci sont déjà faibles, en particulier s'agissant de l'aide au fret de l'État.

En 2021, les crédits ouverts en loi de finances initiale s'élèvent à 7,8 millions d'euros en AE et 6,5 millions d'euros en CP. La consommation constatée a été de 4,1 millions en AE et 2,4 millions en CP (36 % de consommation des crédits).

En 2022, les crédits ouverts en LFI s'élèvent à 8,3 millions d'euros en AE et 7 millions d'euros en CP. La consommation constatée au 6 octobre 2022 s'établit à 9,4 millions d'euros en AE mais à seulement 1,5 million d'euros en CP (21 %).

Pour 2023, les crédits ouverts s'élèvent à 7,8 millions d'euros en AE et 5,35 millions d'euros en CP, compte tenu de la sous-consommation constatée.

Le graphique ci-dessous précise les volumes respectifs de l'aide versée au titre des crédits européens et de l'aide versée au titre de l'État, sur la période 2015-2019.

On observe que la part État est très faible et que la part européenne, nettement plus significative, tend à diminuer.

Les interlocuteurs ont tous considéré que l'aide au fret n'était pas un outil adapté pour diminuer la charge du fret sur le coût de la vie dans les outre-mer. Les montants disponibles, les activités éligibles et la complexité des dossiers n'en font pas un outil opérationnel. Hormis quelques grandes entreprises de transformation, les acteurs économiques s'en détournent.

7. Un rêve inaccessible ? Le modèle corse

Au cours des auditions et des déplacements, le modèle de la continuité territoriale entre la Corse et le continent a été cité de très nombreuses fois. Ce modèle sert de référence ou de point de comparaison pour diverses raisons.

Tout d'abord, c'est le plus ancien puisque le premier dispositif remonte à 1976, soit plus d'un quart de siècle avant la loi du 21 juillet 2003.

Ce dispositif s'est construit progressivement, évoluant pour se conformer à la réglementation européenne, souvent dans la douleur à la suite de lourdes condamnations. Le modèle corse est donc riche d'enseignements par son ancienneté et l'expérience acquise.

Ensuite, le modèle corse est intéressant car dans sa conception et son périmètre, il est très différent de la politique de continuité territoriale outre-mer. D'une part, il couvre aussi bien le transport maritime de marchandises que le transport aérien de passagers. D'autre part, le transport aérien et maritime entre la Corse, Paris et les métropoles du sud de la France est opéré dans le cadre de délégations de service public. Les compagnies sont directement financées dans le cadre de ces DSP pour proposer un tarif résident aux habitants de la Corse et assurer des liaisons régulières toute l'année. Il n'existe donc pas de dispositif d'aides individuelles.

Enfin, la dernière raison pour laquelle le modèle corse attire de plus en plus les regards ultramarins est son apparente générosité et ambition. Pour le transport passager, il garantit un tarif fixe résident, identique toute l'année, annulable et remboursable à tout moment, sans conditions de ressources. Pour le fret, le tarif applicable est équivalent au tarif qui serait en vigueur si une route reliait le continent à la Corse.

La continuité territoriale corse est intégralement financée par une dotation de l'État, approuvée chaque année en loi de finances. Cette dotation s'élève à 187 millions d'euros par an depuis 2009 pour une population d'environ 350 000 habitants, dont 90 millions pour la seule continuité aérienne. Pour 2022, une dotation complémentaire exceptionnelle de 30 millions d'euros a été accordée pour tenir compte de l'inflation et de la hausse des prix du carburant.

Effort budgétaire par habitant pour la continuité territoriale aérienne
en 2022 (en euros)27(*)

 

Corse

Outre-mer

Dépenses de l'État par habitant en faveur de la continuité territoriale

257

16

Source : DSOM

Cet écart gigantesque éveille des interrogations, pour ne pas dire d'autres sentiments, chez de nombreux ultramarins qui rêveraient d'un dispositif analogue ou approchant pour les outre-mer. La très grande majorité des personnes auditionnées ou rencontrées lors des déplacements ont même pointé une forme de différence de traitement injustifiée ou par trop inégale entre la Corse et les outre-mer.

En premier lieu, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a statué sur cette différence de traitement en « considérant que, par sa situation géographique et son régime statutaire, la collectivité de Corse ne se trouve pas, eu égard à l'objet de la loi déférée, dans la même situation que les collectivités régies par les articles 72-3 et suivants de la Constitution ; que, de même, les personnes originaires d'outre-mer qui vivent en métropole se trouvent, eu égard à l'objet de la loi, dans une situation différente de celle des personnes résidant outre-mer ; que, par suite, le principe d'égalité n'est pas méconnu par l'article 60 de la loi déférée »28(*).

En deuxième lieu, la Corse et les outre-mer se trouvent dans des situations objectives différentes comme le rappelle le Conseil constitutionnel. La proximité géographique fait que les liens économiques, sociaux, culturels, familiaux sont encore plus étroits qu'entre l'Hexagone et ses outre-mer.

En dernier lieu, les conditions de mise en place d'une continuité territoriale sont très différentes. En matière aérienne, les liaisons avec la Corse sont du court-courrier, alors que l'outre-mer requiert du long courrier. Ce sont deux univers différents en termes de fréquences, de coûts, de logistiques, d'organisation du travail, de concurrence... De la même manière, les liaisons maritimes pour le fret se font en direct depuis le sud de la France, alors que les outre-mer sont desservis par des routes commerciales transocéaniques.

Néanmoins, malgré ces situations incomparables, et en écartant l'idée de dupliquer maladroitement le système corse, il est impossible de ne pas s'interroger sur le fossé abyssal qui sépare l'effort budgétaire en faveur de la continuité territoriale pour la Corse de celui en faveur des outre-mer.

Pour de bonnes ou mauvaises raisons, ce fossé est de plus en plus perçu comme la marque d'une profonde iniquité. L'effet de contraste exacerbe les aspirations à une politique de continuité territoriale outre-mer plus ambitieuse.

Le dispositif de continuité territoriale entre la Corse et le continent

L'article L.1121-1 du code des transports dispose que « les modalités de mise en oeuvre du service public de continuité territoriale entre la Corse et la France continentale sont définies par les articles L. 4424-18 et L. 4424-19 du code général des collectivités territoriales ».

La continuité territoriale entre la Corse et la France continentale s'organisent donc dans le cadre d'un service public.

De 1976 à 1991, l'État a organisé ce service public. Depuis la loi du 13 mai 199129(*), c'est la collectivité territoriale de Corse (CTC), devenue « Collectivité de Corse » le 1er janvier 2018, qui met en oeuvre les obligations de service public, pour les transports entre la Corse et la France.

Néanmoins, le dispositif demeure intégralement financé par l'État, à travers une « dotation de continuité territoriale » (DCT). D'un montant de 187 millions d'euros, la DCT est allouée annuellement pour financer les obligations faites aux transporteurs.

Créé le 26 mai 1992 par la CTC, l'office des transports de la Corse (OTC) est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), qui élabore et met en oeuvre la politique régionale de la collectivité en matière de transports aériens et maritimes pour le compte de la collectivité de Corse. L'établissement négocie notamment les conventions de délégation de service public (CDSP) avec les compagnies et gère l'enveloppe de la DCT.

Le dispositif aérien repose sur plusieurs délégations de service public, pour l'exploitation des services aériens réguliers entre les quatre aéroports de Corse, et les aéroports de Paris Orly, Marseille, et Nice, pour un coût total de 90 millions d'euros. Ces délégations imposent également aux transporteurs des obligations en termes de capacités, de fréquences des liaisons, ainsi que des tarifs fixes via le « tarif résident », qui permet aux « résidents corses » de bénéficier d'un tarif préférentiel. Vers les aéroports de Marseille et de Nice, le tarif pour l'aller-retour est de 42 euros hors taxes, soit environ 100 euros TTC. Le montant des taxes est donc supérieur au prix du billet lui-même. À destination de Paris, le tarif résident s'élève à 199 euros TTC aller-retour. À ce tarif, les billets sont annulables et modifiables. Le dispositif est financé par la DCT, via une compensation financière versée aux délégataires.

L'absence de définition du « résident corse » a longtemps permis à la diaspora de bénéficier de ce tarif, alors qu'elle ne résidait pas sur le territoire. De nombreux abus ont néanmoins conduit la collectivité à préciser cette notion lors du renouvellement des DSP en 2020. Désormais, seuls les voyageurs rattachés à un foyer fiscal domicilié en Corse, ainsi que les étudiants, peuvent en bénéficier. L'avis d'impôt sur le revenu est l'unique justificatif valable. L'instauration d'un tarif « diaspora » serait en cours d'études.

Ces DSP sont soumises au règlement européen n° 1008/2008 du 24 septembre 2008 qui établit les règles communes pour l'exploitation des services aériens dans la Communauté.

Un dispositif a également été mis en place pour assurer la continuité maritime. Une obligation tarifaire en faveur des résidents est imposée aux délégataires sans compensation financière. La compensation ne concerne que les tarifs liés au fret, dont les montants maximums sont fixés dans les conventions, ainsi que des charges d'exploitation, de carburant et d'investissement. Le dispositif fait coexister des opérateurs en concurrence, soumis à un régime d'OSP (Corsica Ferries vers Toulon, par exemple), et des opérateurs sous DSP (La Méridionale et la Corsica Linea), qui opèrent des liaisons entre Marseille et la Corse.

Le 20 décembre 2022, l'Assemblée de Corse a voté l'attribution de la DSP maritime de 2023 à 2029, pour une compensation annuelle de 106,6 millions d'euros.

La tarification du fret est désormais maîtrisée en dépit de l'inflation, sans indexation sur les cours - très fluctuants - des carburants. Des contrats de couverture carburant à vingt-quatre mois permettent de fixer une compensation tout en améliorant la qualité du service et en palliant la flambée des prix. Le tarif du fret a été défini selon la méthode de l'équivalent routier, consistant à faire comme s'il existait une autoroute entre le quai continental, à Marseille, et les quais corses. Le tarif est de 40 euros hors taxes et redevances par mètre linéaire. Il est légèrement en dessous du tarif routier longue distance.

S'agissant du trafic passager maritime, il est essentiellement opéré dans un cadre concurrentiel (85 % du trafic).

8. Les RUP, une priorité pour le Portugal et l'Espagne

En annexe du présent rapport, une étude de droit comparé présente de manière détaillée les politiques de continuité territoriale déployées par les États membres de l'Union européenne vis-à-vis de leurs outre-mer respectifs.

Si les Pays-Bas et le Danemark - ainsi que le Royaume-Uni - ont mis en oeuvre des politiques modestes, voire aucune, il n'en va pas de même pour l'Espagne et le Portugal qui se trouvent être dans une situation assez analogue à la France, hormis les distances.

En effet, l'Espagne et le Portugal sont respectivement les deux seuls États membres, avec la France, avec des territoires ayant le statut de région ultrapériphérique et regroupant des populations importantes.

En Espagne, au nom des « circonstances propres au caractère insulaire » reconnues par la Constitution, les résidents des communautés autonomes des Canaries, des Baléares et des villes autonomes de Ceuta et Melilla bénéficient de réductions tarifaires représentant 75 % du prix du billet, sur toutes les liaisons aériennes directes vers ou depuis le reste du territoire national, ainsi qu'entre les îles.

Ce subventionnement très large représente un coût très élevé pour l'État (823 millions d'euros en 2023 contre 783 millions d'euros en 202230(*)).

Au Portugal, les statuts des régions autonomes des Açores et de Madère prévoient explicitement le principe de continuité territoriale, défini comme le besoin de corriger les inégalités structurelles liées à l'éloignement et à l'insularité.

L'État portugais finance une « subvention sociale de mobilité » en faveur des personnes qui résident et travaillent dans les régions autonomes de Madère et des Açores, et des étudiants, qui effectuent des voyages entre le continent et les archipels. D'un montant variable, cette subvention de mobilité permet aux bénéficiaires de payer un prix plafond, variable selon le trajet et leur situation (résident ou étudiant).

L'effort budgétaire par habitant présente des écarts importants.

Effort budgétaire par habitant en faveur de la continuité territoriale

 

Espagne

Portugal31(*)

France

Dotations budgétaire en millions d'euros (2022)

783

17

45

Population outre-mer ou insulaire concernée (en million)

3,5

0,5

2,8

Dépense par habitant des outre-mer ou insulaire (en euros par habitant)

223

34

16

Au-delà de l'effort budgétaire nettement plus conséquent en Espagne et au Portugal, les différences par rapport au dispositif français portent sur leurs conceptions.

Au Portugal et en Espagne, la condition de résidence est pratiquement la seule imposée. Il ne s'agit pas d'aides individuelles ciblées sur certains publics dits prioritaires.

La deuxième différence majeure est que ce ne sont pas des dispositifs forfaitaires indépendants des prix réels des billets. Au Portugal, un prix plafond est fixé et tout dépassement de ce plafond donne lieu au remboursement de la différence. En Espagne, il n'y a pas de tarif résident, mais une réduction du prix du billet en pourcentage de celui-ci. Quel que soit le prix du billet, une réduction de 75 % s'applique.

Tarifs résident au Portugal

 

Entre les Açores et le continent

Entre Madère et le continent

Entre les Açores et Madère

Étudiant

99

65

89

Résident (habituel ou équivalent)

134

86

119

Source : CTT (la Poste portugaise)

Au Portugal, la demande de remboursement doit être demandée après le vol auprès de la Poste portugaise.

En Espagne, le système est d'une très grande simplicité puisque la réduction de 75 % est directement appliquée par la compagnie aérienne au moment de l'achat du billet. La compagnie est ensuite indemnisée mensuellement par l'État. La vérification du statut de résident se fait ensuite soit à l'embarquement, soit en amont de l'achat via une plateforme numérique SARA (Sistema de Acreditacion de Residencia Automatica). Le Portugal devrait basculer sur un système analogue à l'Espagne pour éviter l'avance des frais par les usagers.

Enfin, on notera qu'aussi bien au Portugal qu'en Espagne, les tarifs résidents sont mis en oeuvre dans un contexte concurrentiel parfait, sans délégation de service public ou monopole.

Exemples de capture d'écran sur les sites de deux compagnies low cost pour des liaisons vers les RUP espagnols

Page d'explication sur le site de la compagnie Vueling à destination des bénéficiaires du tarif résident des zones insulaires et de Ceuta et Melilla

Capture d'écran du panier d'achat d'un vol aller-retour Barcelone-Tenerife (3h30 de vol) mi-aout 2023 au tarif résident sur le site de la compagnie Ryan Air. Tarif normal : 342,45 euros. Après application du tarif résident en ligne : 119,72 euros.

Comme dans le cas de la Corse, cette comparaison ne doit pas conduire à vouloir plaquer les dispositifs portugais ou espagnol sur les outre-mer français. Mais ils sont riches d'enseignement et aident à repenser un système français qui pourrait être plus simple pour les usagers, tout en conservant un marché concurrentiel.

On notera aussi qu'à la différence des liaisons entre la Corse et le continent, certaines des liaisons espagnoles ou portugaises sont des vols moyen-courrier d'une durée de 3 h 30.

9. Les prémices d'un nouvel élan depuis 2021

Depuis deux ans, plusieurs éléments et facteurs, internes ou externes, montrent que le statu quo qui prévaut plus ou moins depuis une dizaine d'années n'est plus tenable.

Tout d'abord, la réforme des aides intervenues en 2021 a marqué une première inversion de tendances, après une série de réformes antérieures qui avaient resserré les conditions d'éligibilité (conditions de ressources, fréquences...).

Le décret n°2021-845 et l'arrêté du 28 juin 2021 a revalorisé l'ACT sur les liaisons au départ des collectivités du Pacifique. Sur les DROM, la modification a consisté à supprimer la distinction entre le tarif simple et le tarif majoré, et à aligner tous les tarifs sur le taux majoré. Une ACT spécifique pour les sportifs et artistes a été créée et l'aide à la continuité funéraire pour assister à des obsèques a été élargie aux frères et soeurs.

Entrée en vigueur en pleine crise sanitaire, les effets de cette réforme ont été en partie brouillés par le contexte général, d'autant qu'au même moment le dispositif réunionnais très avantageux s'éteignait. Les demandes des Réunionnais ont donc afflué sur le dispositif de LADOM aussi rapidement qu'elles l'avaient déserté en 2015. L'analyse des données de LADOM pour 2021 et 2022 demeure donc délicate.

Source : LADOM

Ensuite, comme évoqué plus haut, la loi de finances pour 2023 a permis de revaloriser les crédits du fonds de continuité territoriale de 6 millions d'euros. Le Gouvernement a ainsi décidé d'utiliser ces crédits pour revaloriser significativement la prise en charge des billets d'avion pour les bénéficiaires de l'aide à la continuité territoriale (ACT)32(*).

En effet, les montants qui prévalaient jusqu'ici sur l'ACT, fixés par un arrêté en date du 28 juin 2021, avaient été calculés initialement pour réduire le reste à charge à financer par les voyageurs à environ 40 % du prix du billet aller-retour. Or, les récentes hausses du prix du transport aérien ont eu pour conséquence d'abaisser le niveau de prise en charge par l'ACT en dessous de 40 % dans tous les territoires, ce qui augmentait d'autant le reste-à-charge pour les bénéficiaires de l'aide.

Montants de l'ACT depuis le 8 mars 2023

Collectivité

Précédents montants de l'ACT

Montants d'ACT revalorisés

Variation du montant d'aide

Guadeloupe

270 €

340 €

70 €

Martinique

270 €

340 €

70 €

Guyane

300 €

390 €

90 €

Réunion

360 €

475 €

115 €

Mayotte

440 €

535 €

95 €

Saint-Barthélemy

270 €

495 €

225 €

Saint-Martin

270 €

495 €

225 €

Saint-Pierre-et-Miquelon

480 €

530 €

50 €

Wallis-et-Futuna

846 €

1 235 €

389 €

Polynésie française

640 €

935 €

295 €

Nouvelle-Calédonie

670 €

980 €

310 €

Source : DGOM

Outre cette revalorisation, la loi de finances pour 2023 doit aussi permettre :

- une extension du Passeport pour la mobilité de la formation professionnelle (PMFP) pour les demandeurs d'emploi inscrits dans un parcours de Validation des acquis de l'expérience (un million d'euros) ;

- une ACT pour le deuxième accompagnateur familial d'enfants évacués sanitaires (un million d'euros) : l'aide passerait à 100 % du prix du billet d'avion (le premier accompagnateur familial est pris en charge par la sécurité sociale). Les modalités précises de déploiement de cette mesure sont en cours d'expertise, en lien étroit avec le ministère de la santé et de la solidarité.

Par ailleurs, le programme « Cadres d'avenir », qui s'applique aujourd'hui à Mayotte (« cadres de Mayotte »), sera étendu en 2023 à la Guadeloupe, en Martinique et à Saint-Martin par l'intermédiaire d'une expérimentation d'une durée de cinq ans.


* 23 Cette sur-consommation des crédits a été financée par les excédents accumulés les années précédentes.

* 24 Articles 49 et 50.

* 25 Sur cet aspect, comme vu supra, l'État est intervenu à plusieurs reprises pour maintenir et développer une offre concurrentielle des compagnies sur la plupart des lignes reliant l'Hexagone aux outre-mer, facteur de baisse des prix.

* 26 Dans les collectivités du Pacifique, les seuils sont un peu plus élevés. Ainsi à Wallis-et-Futuna, il est fixé à 14 108 euros (soit 1 683 532 FCFP).

* 27 Pour la Corse, 90 millions d'euros (pour le calcul, il n'a pas été tenu compte de la dotation exceptionnelle de 30 millions cette année-ci) et 350 000 habitants. Pour les outre-mer, environ 45 millions d'euros pour 2,8 millions d'habitants.

* 28 Décision n° 2003-474 DC du 17 juillet 2003 sur l'article 60 de la loi de programme relative à l'outre-mer.

* 29 Loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse.

* 30 346 millions d'euros en 2017. La remise n'était alors que de 50 %.

* 31 Chiffres de 2015. En 2019, le coût de la subvention sociale de mobilité s'élevait à 70 millions d'euros, en raison selon les autorités de probables fraudes massives, plutôt qu'à une hausse du nombre de bénéficiaires légitimes.

* 32 Arrêté du 2 mars 2023 portant modification de l'arrêté du 18 novembre 2010 pris en application de l'article 13 du décret n° 2010-1424 du 18 novembre 2010 fixant les conditions d'application des II, III, IV et V de l'article 50 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer et les limites apportées au cumul des aides au cours d'une même année, publié au Journal officiel du 7 mars 2023.

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