B. OUVRIR LE PREMIER CHAPITRE D'UNE VRAIE POLITIQUE DE CONTINUITÉ TERRITORIALE

1. L'État, premier responsable

Lorsqu'en 2003, la politique de continuité territoriale a connu ses premiers balbutiements avec la création d'une dotation dédiée allouée aux collectivités, il avait été imaginé que cette dotation ne serait que la première brique. De 2003 à 2008, la dotation a varié entre 26 et 33 millions d'euros.

En effet, l'enveloppe de l'État devait être abondée à parité par des crédits européens et par une contribution des collectivités pour porter le dispositif complet à environ 90 millions d'euros avec l'objectif de faire voyager 200.000 personnes. Ces abondements additionnels n'ont jamais eu lieu.

S'agissant de cette conception originelle, une première observation portera sur le contre-exemple corse. Cette politique de continuité territoriale précurseur est intégralement financée par l'État.

On peut donc s'interroger sur les raisons pour lesquelles la continuité territoriale, s'agissant en particulier des liaisons entre les outre-mer et l'Hexagone, bénéficierait d'un régime fondamentalement différent.

Cela ne signifie pas que les collectivités qui le souhaitent devraient se voir interdire de renforcer les dispositifs en place. Mais on ne peut pas fonder la politique de continuité territoriale sur la participation des territoires.

Deuxième observation, au Portugal et en Espagne dont dépendent aussi des régions ultrapériphériques de l'Union européenne (Madères, les îles Canaries, les Açores), la politique de continuité territoriale est entièrement assumée par les pouvoirs centraux respectifs. Ils y consacrent des moyens sans commune mesure avec ceux de l'État français (voir infra).

Cette responsabilité première de l'État découle des grands principes qui orientent la politique de continuité territoriale : l'égalité et l'indivisibilité de la République, bien que le Conseil constitutionnel a considéré « que le principe dit de « continuité territoriale » n'a valeur constitutionnelle ni en lui-même ni comme corollaire du principe d'indivisibilité de la République »33(*).

L'État est compétent pour développer les infrastructures de transport d'intérêt national comme les autoroutes qui permettent de relier l'ensemble du territoire national. Le maintien et le développement de liaisons aériennes ou maritimes à des tarifs maîtrisés pour les ultramarins doivent être appréhendés dans cet esprit, en l'absence d'alternatives.

Enfin, il faut rappeler que l'article L.1803-1 du code des transports dispose que la politique de continuité territoriale « repose sur les principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République », trois principes dont l'État est le premier garant.

C'est d'ailleurs ce qu'a rappelé la Cour administrative d'appel de Bordeaux dans un récent arrêt du 21 décembre 2022 : « En vertu de l'article L.1803-10 du code des transports, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) est un établissement public de l'État à caractère administratif. Il a pour mission, en particulier, de mettre en oeuvre les actions relatives à la continuité territoriale qui lui sont confiées par l'État et de gérer les aides mentionnées à l'article L.1803-4 à L.1803-6. Ainsi, l'aide à la continuité territoriale relève d'une politique nationale de continuité territoriale fondée sur des principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République confiée à LADOM. Il est donc clair que les collectivités régionales ne peuvent se substituer à l'État en la matière. »

2. Des aides des collectivités territoriales en appui

Comme vu supra, en 2003, les collectivités s'étaient vues attribuer des dotations de l'État pour déployer les politiques de continuité territoriale et il avait été imaginé qu'elles participassent financièrement à due concurrence.

Certaines ont joué le jeu comme La Réunion, quand d'autres n'ont engagé aucun moyen supplémentaire, ni même fait usage des dotations de l'État comme la Guyane.

Après la refonte et la recentralisation de la politique de continuité territoriale à partir de 2009, certaines collectivités ultramarines ont maintenu ou développé des aides régionales à la continuité territoriale à côté du dispositif national.

Ce fut tout particulièrement le cas de la région de La Réunion34(*) qui de 2015 à 2020, à la suite du nouveau durcissement des règles de la continuité territoriale (notamment l'allongement du délai de carence de 1 à 3 ans pour l'ACT), décida de mettre en oeuvre sa propre politique, distincte ou concurrente de celle de LADOM.

Le tableau ci-dessous synthétise les principales différences entre les dispositifs régional et national de 2015 à 2020.

 

LADOM

Région

Quotient familial (QF) <6000

360 euros

450 euros

6000=QF=11991

110 euros

300 euros

11991=QF=26030

non

300 euros

Fréquence

1 fois tous les 4 ans

1 fois par an

Sens Réunion-métropole

oui

oui

Sens métropole-La Réunion35(*)

non

oui

Cumul possible

non

non

Source : rapport d'information de l'Assemblée nationale n° 2289 du 3 octobre 2019

Dans ces conditions, il est évident que les demandeurs réunionnais ont déserté les aides LADOM au profit du dispositif régional. Dès 2016, l'aspiration de la demande réunionnaise est totale : 150 000 Réunionnais bénéficient des aides régionales, 17 des bons de LADOM.

La Réunion a longtemps masqué l'insuffisance des financements nationaux. Désormais, l'État ne peut pas faire autrement que d'accroître les financements.

Cette compétence de l'État, et donc cette responsabilité, a toutefois été confirmée par un récent arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux du 21 décembre 2022 qui a jugé illégal le dispositif de continuité territoriale mis en place par la région de La Réunion, en parallèle ou en concurrence du dispositif national.

On rappellera aussi que dans sa décision n° 2003-474 DC précité, le Conseil constitutionnel avait rappelé que la dotation de continuité territoriale constituait « une subvention versée par l'État aux collectivités d'outre-mer pour l'exercice d'une compétence facultative ».

Les aides de la région de La Réunion à la continuité territoriale
depuis le 1er avril 2022

Les résidents de La Réunion bénéficient, sous conditions de ressources, d'un soutien du Conseil Régional de La Réunion dont le dispositif a évolué au 1er avril 2022. Il vient désormais en complément de celui de LADOM, dans le cadre d'un partenariat.

En ce qui concerne l'aide à la continuité territoriale (ACT) :

- une aide de 100 euros en complément de celle de LADOM - d'un montant de 360 euros (475 euros depuis le 15 mars 2023) ce qui porte la valeur totale de l'aide à 460 euros (575 euros depuis le 15 mars 2023) - est attribuée aux personnes ayant un quotient familial inférieur ou égal à 6 000 euros ;

- pour les personnes ayant un quotient familial compris entre 11 991 euros et 6 001 euros, seule l'aide de LADOM est accordée pour une valeur de 360 euros (475 euros depuis le 15 mars 2023) ;

- pour les personnes ayant un quotient familial compris entre 26 030 euros et 11 992 euros, un bon de 200 euros est attribué par la région.

L'instruction des demandes dépend de LADOM pour les deux premiers cas. La région instruit le troisième cas de figure pour lequel seule une aide régionale est attribuée.

Un délai de carence de 3 années pleines doit être entre deux demandes. Ce délai est aligné sur celui de l'ACT de LADOM.

Source : site de LADOM

L'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Bordeaux ne semble toutefois pas remettre en cause la participation des collectivités au financement de la continuité territoriale, à la condition qu'elle s'organise dans le cadre d'une convention avec LADOM ou l'État. C'est cette stratégie partenariale qui doit servir d'orientation majeure pour le projet LADOM 24.

3. Augmenter l'effort budgétaire

Pour conduire une nouvelle politique de continuité territoriale ambitieuse, l'augmentation des crédits budgétaires en loi de finances est indispensable.

D'autres financements paraissent incertains.

Ainsi, la piste d'un financement européen complémentaire n'a pratiquement pas été évoquée, y compris pour les RUP.

Il n'existe à ce jour aucun financement européen en matière de transport aérien de passagers. Seul le fret maritime peut bénéficier de financements, via le FEDER (aide au fret) ou le programme POSEI, qui sont le plus souvent sous-consommés (voir infra).

En l'état des priorités affichées par l'Union européenne, un financement européen futur de la continuité territoriale paraît hypothétique.

La création d'une taxe sur les billets d'avion affectée serait aussi inopportune. Le secteur aérien est déjà grevé de nombreuses taxes et cela surenchérirait les tarifs des billets d'avion qui sont déjà élevés. Or, c'est l'objectif inverse qui est recherché.

La seule autre source de financement crédible à moyen terme est celle des collectivités précédemment évoquée. Les collectivités qui le souhaitent peuvent venir en appui, en particulier pour amplifier ou expérimenter des dispositifs spécifiques répondant aux besoins de leurs territoires. L'aide au retour pourrait être un beau champ d'expérimentation.

Mais ces financements locaux ne pourront que rester marginaux et au service de stratégies territoriales.

4. Élargir le périmètre des aides

Les travaux ont mis en lumière plusieurs cas de figure négligés ou ignorés par les aides actuelles. Le périmètre des aides doit donc être revu.

a) Soutenir les déplacements entre les outre-mer au même titre que ceux vers l'Hexagone

La politique de continuité territoriale a longtemps ignoré les déplacements entre les outre-mer36(*). L'ACT ne les prend toujours pas en compte. Les autres dispositifs le permettent, mais ces déplacements régionaux demeurent marginaux :

- dans le cadre du PMFP formation, 52 actions de formation et 21 stages pratiques en inter DROM, soit 4% des mesures PFMP ;

- pour les oraux de concours, 6 mesures délivrées en inter DROM, soit 1% ;

- dans le cadre du passeport mobilité stage professionnel, 18 stages, soit 5% des PMSP ;

- dans le cadre du passeport pour la mobilité des études, 978 inter-DROM, soit 11% des bénéficiaires d'un PME.

Ce meilleur score pour le PME s'explique notamment par l'existence de l'université des Antilles présente sur la Martinique et la Guadeloupe.

Pourtant, les auditions et les déplacements de la mission ont fait ressortir le besoin d'ouvrir ces territoires à leur environnement régional, de les y connecter, à commencer par les territoires français entre eux.

L'ACT devrait donc être pleinement ouverte aux déplacements entre les outre-mer avec un tarif adapté. La communication des antennes locales de LADOM devra être réorientée en ce sens, afin de présenter ces aides aux déplacements régionaux au même titre que les aides vers l'Hexagone. Le bénéfice d'un bon LADOM pour un déplacement inter-outre-mer ne ferait pas courir le délai de carence des ACT vers l'Hexagone. Et inversement.

Cette proposition est reprise à la proposition n° 5.

b) Du domicile à l'aéroport international : un coût non pris en compte

Citant l'exemple des Guyanais qui doivent venir du fleuve par avion ou par pirogue pour pouvoir prendre l'avion à Cayenne, quitte à devoir y dormir une nuit, Maël Disa, président de LADOM, a posé la question du périmètre des aides actuelles. L'aide doit-elle commencer à l'aéroport ou, dans certains cas, au domicile, si le coût de transport entre le domicile et l'aéroport est important ?

Certains territoires comblent cette lacune des aides de l'État. Ainsi, en Polynésie, le pays a créé un dispositif dédié aux boursiers polynésiens depuis leur île de résidence jusqu'à l'Hexagone. 100 % du prix des billets d'avion entre leur île d'habitation et Tahiti sont pris en charge.

Il paraît indispensable que le projet LADOM 2024 intègre ces coûts, via une aide spécifique de continuité intérieure lorsque le trajet est lié à un vol en continuation vers l'Hexagone ou un autre territoire ultramarin. Pour les étudiants ou les personnes en formation, bénéficiant de la prise en charge complète du billet d'avion entre l'aéroport international et l'Hexagone, le trajet intérieur devrait l'être aussi.

Seraient notamment concernés les déplacements entre l'intérieur de la Guyane et le littoral, des îles polynésiennes vers Papeete, des îles du sud vers la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy ou Saint-Martin vers la Guadeloupe, de Futuna vers Wallis ou des îles Loyauté vers Nouméa.

c) Le retour, une priorité grandissante

L'intégralité des responsables de collectivité entendus, mais aussi les acteurs économiques, ont alerté sur la fuite des talents et des jeunes qualifiés. Une proportion importante des étudiants ne revient pas sur les territoires.

La question du retour prend encore une autre acuité dans les outre-mer en déprise démographique, comme la Guadeloupe et la Martinique.

Cette préoccupation des territoires a trouvé un écho favorable dans les réflexions en cours sur les évolutions de la continuité territoriale et des missions de LADOM.

D'ores et déjà, Isabelle Richard, sous directrice des politiques publiques à la DGOM, a indiqué qu'une expérimentation devrait débuter en Guadeloupe et à Saint-Martin dès la rentrée 2023 et à compter de 2024 en Martinique pour les étudiants. LADOM proposera un appui en amont, dès la définition du projet d'études, dans la perspective d'un éventuel retour, en adéquation avec les perspectives d'emploi actuelles et futures sur ces territoires. Une aide supplémentaire serait ainsi versée aux étudiants effectuant leur cursus en métropole, sous réserve que leur domaine d'études réponde aux besoins des entreprises ultramarines et que ces jeunes s'engagent à retourner dans leur territoire d'origine au terme de leurs études. Ils pourraient néanmoins prendre un emploi de courte durée après l'obtention de leur diplôme dans l'Hexagone.

Florence Svetecz, secrétaire générale de LADOM, a révélé que la consultation LADOM 2024 avait placé la question de l'aide au retour parmi les trois les plus citées. L'accompagnement au retour ou à l'installation, pour renforcer le développement des territoires, est une priorité politique désormais incontournable.

C'est aussi dans cet esprit que le dispositif Cadres d'avenir Mayotte va être étendu dès 2023 à la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin au travers d'une expérimentation d'une durée de cinq ans.

Le programme « Cadres d'avenir »

Il vise à sécuriser le parcours universitaire d'étudiants ultramarins à haut potentiel dans l'Hexagone par un accompagnement dédié. Les candidats retenus bénéficient sous conditions :

- de la prise en charge du transport pour rejoindre le lieu d'études (en totalité pour les boursiers d'État, ou à 50 % pour les non boursiers sous plafond de ressources) ;

- du versement d'une aide pour les frais d'installation ;

- du versement d'une indemnité mensuelle pendant une durée maximale de 5 ans. Le total cumulé des aides financières ne peut pas dépasser la somme de 808 euros mensuels pour les étudiants, 1 021 euros mensuels pour les étudiants relevant du dispositif d'excellence et 1 433 euros mensuels pour les professionnels ;

- d'un accompagnement renforcé et personnalisé pendant la formation.

Le Préfet de Mayotte organise la sélection des futurs étudiants en fonction des besoins locaux et du niveau des candidats.

Pour ce faire, les bénéficiaires présentent un projet professionnel pour lequel ils sont recrutés, financés et accompagnés durant leur formation en mobilité en raison de l'inexistence ou de la saturation de la filière d'études dans la collectivité de résidence. Il n'y a pas de conditions de ressources.

En contrepartie, les bénéficiaires s'engagent à revenir exercer dans leur collectivité d'origine durant une période minimale de trois ans et maximale de cinq ans (en fonction de la durée des études) afin de contribuer au développement économique et social de leur territoire.

88 Mahorais en ont bénéficié en 2022.

Selon la DGOM, le déploiement de ce dispositif en Guadeloupe, à Saint-Martin et en Martinique, s'explique par un besoin plus prégnant de cadres. La déprise démographique accélérée est l'autre raison. En effet, entre 2014 et 2020, la population de Guadeloupe a diminué de 0,7 % par an en moyenne. En Martinique, sur la même période, cette diminution est d'environ 1 % par an. Saint-Martin connaît également une baisse de 2,1 % en 2021 par rapport à l'année précédente. Les départs de jeunes vers l'Hexagone pour se former y atteignent aussi des proportions plus importantes que dans les autres DROM : aux Antilles, entre 2011 et 2021, 44 % des jeunes de 21 à 29 ans ont ainsi quitté leur région de naissance.

La délégation ne peut qu'encourager cette orientation nouvelle en faveur d'un accompagnement au retour et appelle à l'amplifier en étroit partenariat avec les collectivités.

Proposition n° 4 : Soutenir et amplifier, en partenariat avec les collectivités ultramarines, les dispositifs accompagnant ou encourageant le retour des jeunes actifs sur les territoires et placer cette priorité au coeur de LADOM 2024.

5. Assouplir significativement les critères d'éligibilité

Très ciblées et segmentées, les aides existantes ne touchent souvent qu'un public restreint. Sans ambiguïtés, les critères devront être assouplis.

a) Ouvrir l'ACT à un plus grand nombre de bénéficiaires

Les deux points noirs de l'ACT classique sont les conditions de ressources et la fréquence quadriennale.

Sur ces deux points, des améliorations très significatives doivent être décidées.

Le plafond de ressources est unanimement jugé trop bas. Un point de référence pourrait être le plafond utilisé pour le bénéfice du passeport pour la mobilité des études qui est fixé à 26 631 euros.

Par ailleurs, dans le cadre de son nouveau partenariat avec LADOM, La Réunion accorde une aide à la continuité territoriale aux personnes ayant un quotient familial compris entre 11 992 et 26 030 euros.

À l'inverse de la DGOM, la délégation n'estime pas que la réglementation européenne interdise de relever très significativement ce plafond. Comme exposé infra, les précédents corses, portugais et espagnols démontrent que la condition de ressources est subsidiaire lorsque les obligations de service public ou les aides concernent des insulaires.

S'agissant du délai de carence, là encore le délai de trois ans révolu est jugé très insuffisant. Un retour au délai en vigueur jusqu'en 2015 (un an) doit être envisagé.

Le troisième point relevé très fréquemment est l'absence d'aides pour les déplacements inter-outre-mer (voir supra).

Ces trois axes doivent fonder la réforme de l'ACT pour LADOM 2024.

Proposition n° 5 : Renforcer l'aide à la continuité territoriale en :

- relevant très significativement le plafond de ressources ;

- réduisant le délai de carence ;

- élargissant l'aide aux déplacements entre les territoires ultramarins ;

- créant une aide additionnelle spécifique de continuité intérieure lorsque le trajet pour rejoindre l'aéroport international de départ depuis son domicile nécessite de prendre un avion ou un bateau.

b) Rendre enfin effectives les aides aux sportifs et aux artistes

Créée en 2021, l'ACT dite spécifique devait bénéficier aux sportifs, artistes et doctorants. Toutefois, deux ans plus tard, le bilan est quasi nul. Ces dispositifs ne sont pas utiles en l'état.

Comme pour l'ACT classique, le relèvement des conditions de ressources est indispensable pour rendre ces aides enfin opérantes. Le seuil actuel est ridiculement bas, en particulier dans les milieux sportifs ou culturels où le niveau socio-professionnel est sensiblement plus élevé. Le seuil de 26 631 euros serait cohérent.

En outre, un énorme travail de communication reste à faire auprès des acteurs sportifs et culturels (clubs, associations, ligues, comités territoriaux olympiques et sportifs...) qui ignorent l'existence de ces aides.

S'agissant du cas particulier des équipes sportives, la levée de toute condition de ressources doit être étudiée. En effet, en pratique, la gestion des demandes d'aides par les clubs ou les associations est impossible. Les dirigeants refusent, à juste titre, de demander les avis d'impôt des participants.

Autre difficulté, comme souvent, il s'agit d'aides a posteriori, en remboursement, ce qui suppose l'avance de tous les frais.

Enfin, la délégation partage avec la DGOM sa préoccupation d'ouvrir l'ACT spécifique à d'autres publics prioritaires, en particulier les porteurs de projet, créateurs de valeur pour les territoires. Isabelle Richard a cité l'exemple des start-ups ultramarines en situation d'iniquité avec celles de la métropole pour leurs levées de fonds ou leurs participations aux salons professionnels.

Proposition n° 6 : Rendre effective l'ACT spécifique au profit des sportifs et artistes en :

- relevant très significativement le plafond de ressources ;

- supprimant la condition de ressources pour les équipes ;

- avançant l'aide sous la forme de bons ;

- élargissant le bénéfice de ces aides aux porteurs de projet et aux talents.

c) Assouplir encore les aides à la continuité funéraire

Si l'ACT funéraire a été peu sollicitée à ses débuts, les chiffres pour 2022 montrent une nette accélération avec 363 aides accordées.

L'élargissement de l'ACT aux frères et soeurs des défunts fut une évolution importante.

Toutefois, comme pour l'ACT classique, la condition de ressources mérite d'être relevée.

Les limites du dispositif actuel sont soulignées en creux par le dispositif réunionnais qui comble les insuffisances.

En effet, la région a mis sur pied un dispositif avec deux volets :

- la création d'un numéro d'appel unique région département afin de permettre une assistance coordonnée de tous les acteurs ;

- la mise en place d'une convention de partenariat entre la région et le conseil départemental afin que les familles éligibles puissent être aidées dans des conditions optimales.

Dans le cadre de la continuité funéraire, la participation régionale est de 860 euros. Elle concerne l'aide au déplacement pour les obsèques en métropole ou pour un déplacement accompagnant un transport de corps vers La Réunion. La participation du conseil départemental s'élève à 5 000 euros maximum, uniquement pour le rapatriement de corps.

Une autre critique porte sur le versement de l'aide en remboursement a posteriori, et non sous la forme de bons. Dans ces moments de grande urgence et détresse, il serait judicieux de laisser aux personnes les deux options, certains pouvant préférer partir tout de suite et se faire rembourser au retour, d'autres, par manque de moyens peuvent ne pas avoir d'autres choix que d'attendre le bon avant de prendre leur billet. Une instruction en urgence est alors nécessaire.

Enfin, la continuité funéraire demeure imparfaite pour assurer le transport de corps. L'aide, toujours sous condition de ressources strictes, se limite à 1000 euros, quand il n'est pas rare que le coût final s'élève à 4 ou 5000 euros.

Par ailleurs, Clara de Bort, directrice générale de l'ARS de Guyane, a fait part d'un « cas de conscience » à propos du retour des corps des personnes évacuées et malheureusement décédées. Le rapatriement du corps n'est pas pris en charge par la sécurité sociale, sauf si le décès est consécutif à un accident du travail. La caisse générale de sécurité sociale ne peut intervenir que par le biais de son enveloppe d'action sociale et dans la limite de 2000 euros. Elle considère que ce rapatriement devrait rester de la responsabilité de la CGSS et être pris en charge intégralement. La délégation partage cette appréciation.

Proposition n° 7 : Lever les freins actuels à une continuité funéraire apaisée en :

- relevant très significativement le plafond de ressources ;

- donnant la possibilité de bénéficier d'un bon et non d'un remboursement ;

- revalorisant le montant de l'aide maximale pour le transport des corps à 5 000 euros ;

- faisant prendre en charge par la sécurité sociale le rapatriement des corps des personnes décédées à la suite de leur évacuation sanitaire.

d) Pour des aides à la mobilité des étudiants qui améliorent le confort de vie

Le passeport pour les mobilités des études (PME) est certainement le dispositif qui rencontre le meilleur succès depuis le début de la politique de continuité territoriale.

Toutefois, il demeure perfectible.

Les étudiants et associations étudiantes rencontrées ou auditionnées ont formulé de nombreuses propositions d'amélioration qui tiennent compte de la réalité et des difficultés rencontrées par des jeunes déracinés pour poursuivre leurs études.

À cet égard, plusieurs collectivités ultramarines proposent des aides importantes en complément du PME, conscientes de ses insuffisances.

Ainsi, la région La Réunion a mis en place un « Bon Ressourcement Étudiant », d'un montant de 400 ou 800 euros selon les revenus, pour revenir une fois au cours de l'année universitaire. Rentrer se ressourcer sur sa terre natale auprès de ses proches est essentiel pour l'équilibre de ces jeunes, en particulier les premières années. Cela contribue à l'excellence et à la réussite éducative des étudiants. En 2022, La Réunion a accordé près de 2 500 bons de ressourcement au cours de la période de mai à décembre 2022, sur le trajet métropole Réunion.

À Saint-Barthélemy, la collectivité attribue une aide annuelle de 1 000 euros par an à tous les étudiants ou lycéens scolarisés en dehors de l'île.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, la collectivité accorde aussi à tous les étudiants une bourse de 530 euros par mois, ainsi que des aides au déplacement vers le Canada ou l'Hexagone. En effet, compte tenu des conditions de ressources, très peu de personnes peuvent bénéficier du PME.

La délégation estime que plusieurs améliorations notables doivent être apportées au PME.

La première consiste à supprimer la distinction entre boursier d'État et non boursier et à prendre en charge l'intégralité du coût du billet pour tous les étudiants justifiant d'un quotient familial inférieur à 26 631 euros. Cette distinction n'est pas comprise par les étudiants, d'autant que certains perçoivent des bourses sans être boursier d'État.

La deuxième consiste à prendre un charge un second aller-retour en cours d'année les deux premières années des études. Cette proposition s'inspire du bon de ressourcement réunionnais.

La troisième, avec le même souci de favoriser le bon démarrage des étudiants et de résister au choc du déracinement, serait de prendre en charge l'accompagnement d'un parent au début de la première année. La présence d'un parent pour préparer la bonne installation de l'étudiant est une nécessité.

Enfin, la quatrième a été suggérée directement par les étudiants de l'université des Antilles. En sens inverse, il s'agirait de prendre en charge un aller-retour pour des étudiants hexagonaux qui souhaiteraient réaliser leur master outre-mer. Cette mesure serait de nature à valoriser les cursus dans les outre-mer qui sont aussi porteurs d'excellence.

Proposition n° 8 : Muscler le passeport pour la mobilité des études (PME) en :

- supprimant la distinction entre boursier et non boursier ;

- prenant en charge un second aller-retour pour les congés scolaires les deux premières années des études ;

- prenant en charge l'accompagnement d'un parent lors de la première installation ;

- ouvrant l'éligibilité aux étudiants hexagonaux souhaitant réaliser leur master ou leur stage outre-mer.

6. Simplifier les aides au fret

Les constats très réservés sur l'aide au fret (voir supra) ont conduit à adopter en loi de finances pour 2023 l'article 193 qui prévoit la remise au Parlement, dans un délai de six mois, « d'un rapport relatif aux crédits budgétaires dédiés à l'aide au fret au sein de la mission « outre-mer ». Ce rapport devra présenter une liste de solutions à mettre en oeuvre afin de faciliter l'accès à cette aide, notamment en permettant au minimum la consommation totale des crédits ».

Votre délégation attendra les conclusions de ce rapport et en fera état dans le cadre du suivi de la présente mission.

Parmi les pistes de réflexions pour simplifier le dispositif, sont déjà évoqués l'utilisation d'un barème forfaitaire pour le versement des aides européennes et le découplage de l'aide européenne et de l'aide nationale.

De manière plus structurelle, la question est celle de la réorientation ou non de l'aide au fret comme outil de lutte contre la vie chère. Si tel était l'objectif, il conviendrait d'augmenter les moyens alloués et d'étendre le bénéfice de l'aide au fret aux importations de produits agricoles et de produits de première nécessité.

Toutefois, ce changement de priorité peut aussi avoir des effets indésirables, le premier étant de favoriser encore plus l'importation au détriment d'une relance des productions locales, notamment en matière agricole. L'aide au fret, en se concentrant sur les activités de transformation et de production, soutient la réindustrialisation des territoires. Une solution intermédiaire pourrait être de créer une aide au fret spécifique sur les produits de première nécessité, afin de gommer ou atténuer le surcoût du transport dans les territoires pénalisés par une double insularité : par exemple, entre Marie-Galante et la Guadeloupe continentale ou entre les communes du littoral en Guyane et les communes de l'intérieur. Cette aide au fret spécifique n'aurait pas l'inconvénient de favoriser l'importation de produits dans les outre-mer, mais seulement l'avantage de réduire les écarts de coût sur un même territoire. Ce soutien pourrait aussi se traduire par une participation financière à des DSP locales sur le fret sur le modèle de la DSP corse sur le fret maritime entre Marseille et les ports corses.

Proposition n° 9 : Simplifier l'aide au fret et étudier les conditions d'une aide au fret sur les produits de consommation courante qui ne fragiliserait pas les productions locales.

7. La faisabilité de tarifs résidents pour les ultramarins

La hausse des prix des billets d'avion dans le contexte inflationniste, le redémarrage fort de la demande après la crise sanitaire et la sensibilité plus forte des lignes outre-mer à la saisonnalité font que les prix atteignent désormais des prix stratosphériques à certaines périodes, en particulier si la réservation est tardive.

Face à cette situation, les ACT au forfait ne suffisent plus à assurer la continuité territoriale pour de nombreuses personnes, d'autant que ces aides vont aux plus pauvres pour lesquelles le reste à charge est insupportable.

Ce constat, partagé par Maël Disa, le nouveau président de LADOM, doit conduire à engager rapidement des études pour la mise en oeuvre d'un mécanisme de plafonnement des prix des billets pour les résidents. En somme, des tarifs plafonds « résidents ».

Une première option, la moins ambitieuse, consisterait à fixer un tarif plafond « résident » pour les seuls bénéficiaires des ACT.

Lors de l'achat du billet, les bénéficiaires d'un bon délivré par LADOM ne paieraient que la différence entre le tarif plafond « résident » et le bon ACT. Si le prix du billet est inférieur au tarif plafond, le voyageur paie le prix normal après déduction de l'ACT. Si le prix du billet est supérieur au prix plafond, le voyageur paie seulement la différence entre le tarif plafond « résident » et le bon ACT, le dépassement étant pris en charge directement par l'État.

Une deuxième option, plus ambitieuse, consisterait à appliquer un tarif plafond « résident » à tous les résidents ultramarins. Le mécanisme serait donc similaire au modèle portugais. La résidence fiscale pourrait être le principal critère, comme en Corse. Naturellement, le tarif plafond varierait selon les outre-mer.

Une troisième option consisterait à avoir deux tarifs plafonds. D'une part, un tarif plafond assez élevé pour tous les résidents ultramarins (option 2). D'autre part, un tarif plafond correspondant au prix moyen constaté, soit en théorie le double des ACT, pour les bénéficiaires des bons de l'ACT (pour prendre l'exemple de la Guyane, le bon valant 390 euros depuis le 8 mars dernier, le tarif plafond serait fixé à 780 euros pour les bénéficiaires de ces bons). De cette façon, ils seraient assurés de ne jamais avoir un reste à charge supérieur à 50 % du prix.

Ces mécanismes de tarifs plafonds pour les résidents présentent l'avantage de préserver un système concurrentiel, sans recourir à une DSP. Les expériences portugaise et espagnole démontrent que cela est compatible avec la réglementation européenne.

En Corse, un dispositif analogue avait aussi été provisoirement déployé en 2003, dans l'attente d'un nouvel appel d'offre pour la DSP. La commission européenne l'avait déclaré conforme à la réglementation européenne sur les aides d'État, en précisant notamment que « l'aide doit avoir un caractère social, c'est-à-dire qu'elle ne doit en principe couvrir que certaines catégories de passagers tels que les enfants, les handicapés, les personnes à faibles ressources etc... Toutefois, dans le cas d'une liaison desservant une région insulaire, l'aide peut couvrir la totalité de la population de la région »37(*).

Toutefois, trois risques sont à circonscrire, les trois soulevant la même question : quel tarif plafond arrêter ?

Le premier risque est celui d'une incitation des compagnies à relever leurs prix, l'État prenant en charge tous les dépassements du plafond. Ce risque paraît néanmoins limité. D'une part, parce que les résidents ultramarins ne représentent qu'une part minoritaire des passagers sur la plupart des lignes. Des prix excessifs feraient fuir les autres voyageurs, en particulier les touristes, qui sont majoritaires. D'autre part, si de telles pratiques se répandaient, l'image des compagnies serait très dégradée et l'État régulateur interviendrait. Les lignes vers les outre-mer font partie des plus surveillées par la DGAC.

Le deuxième risque est celui d'une perte de l'incitation des voyageurs ultramarins à rechercher le meilleur tarif. En effet, si on a la garantie de ne pas payer trop cher, on peut plus facilement se permettre de réserver à la dernière minute, y compris en haute saison. Pour éviter cet écueil, le tarif plafond ne doit pas être trop bas, afin de maintenir une incitation à rechercher des prix raisonnables. Un tarif plafond qui prendrait en compte une variation saisonnière dite normale sur une liaison internationale (+15% par rapport au prix moyen constaté selon la DGAC) pourrait être une base de travail. L'objectif serait donc d'écrêter la volatilité excessive des billets à la hausse, mais sans supprimer totalement la variation saisonnière normale.

Enfin, le troisième risque est celui d'une non maîtrise budgétaire de ce dispositif. Il est incontestable qu'un effort budgétaire important sera nécessaire. Il dépendra en particulier du bon calibrage des tarifs plafonds en fonction des facteurs précités : intensité concurrentielle de la ligne, part des passagers ultramarins, écart avec le prix moyen constaté.

Proposition n° 10 : Réduire l'impact de la saisonnalité des prix des billets d'avion grâce à un tarif plafond pour les résidents.


* 33 Décision n° 2003-474 DC du 17 juillet 2003 sur la loi de programme pour l'outre-mer.

* 34 D'autres territoires complètent de manière plus ponctuelle les dispositifs de l'Etat. Ainsi, le territoire de Wallis-et-Futuna a créé une aide supplémentaire prenant en charge 50% du prix des billets d'avion des étudiants non boursiers. Une aide au rapatriement de corps a aussi été créée.

* 35 Pour les personnes nées à La Réunion vivant dans l'Hexagone, personnes nées d'un parent natif de La Réunion, personnes rattachées à un foyer fiscal domicilié à La Réunion, pères et mères d'un enfant mineur né à La Réunion ou né d'un parent natif de La Réunion.

* 36 Entre les outre-mer appartenant au même environnement régional : Antilles-Guyane, océan Indien, océan Pacifique.

* 37 Décision C(2003)663fin du 5 mars 2003.

Les thèmes associés à ce dossier