C. L'URGENTE RÉFORME DE LADOM

1. Ne pas rater le projet LADOM 2024 après de précédentes réformes incomplètes

La gestion du fonds de continuité territoriale a été confiée à l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) dès 201038(*).

Opérateur de l'État, LADOM était une société d'État, avant de devenir un établissement public administratif de l'État à partir de 201639(*), ce qui correspondait mieux à ses missions.

Selon l'article L.1803-10 du code des transports, LADOM a deux principales missions :

- 1° Contribuer à l'insertion professionnelle des personnes résidant habituellement outre-mer, en particulier les jeunes, en favorisant leur formation initiale et professionnelle hors de leur collectivité de résidence ainsi que leur accès à l'emploi ;

- 2° Mettre en oeuvre les actions relatives à la continuité territoriale qui lui sont confiées par l'État et par les collectivités territoriales ».

LADOM a donc dû mettre en oeuvre ces dernières années plusieurs réformes successives, en particulier en 2015 et 2021. Ces réformes contradictoires, et d'ampleur mesurée pour la seconde, n'ont pas permis de définir une véritable stratégie pour LADOM qui s'est surtout attaché à gérer des ajustements de dispositifs. Les moyens disponibles (subvention de fonctionnement, plafond ETP) sont restés stables.

La phase qui s'ouvre et qui doit déboucher sur l'adoption du projet « LADOM 2024 » sera donc décisive pour l'agence et ce pour plusieurs raisons :

- à compter du 1er janvier 2024, LADOM cessera les prescriptions de formation professionnelle dans une logique de rationalisation de l'action publique, qui se traduira par le transfert de cette activité à Pôle Emploi. Afin de préparer cette échéance, une période transitoire a été mise en place entre 2021 et 2023, avec un mécanisme de prescription partagée entre les deux opérateurs. LADOM abandonne donc une partie de ses missions, tout en conservant le suivi et l'accompagnement des demandeurs d'emploi en formation en métropole ;

- l'abandon de ces missions oblige à réinterroger et enrichir les missions de LADOM, notamment au regard des nouveaux enjeux d'attractivité des territoires ultramarins et d'accompagnement des étudiants ou porteurs de projets ;

- le contrat d'objectifs et de performances actuel arrive à échéance en 2023. Il faut donc le renouveler rapidement ;

- le rapprochement avec la Délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer et la visibilité des outre-mer (DIECFOMVI) doit devenir effectif ;

- après une longue période d'intérim un nouveau président et un nouveau directeur général ont pris leurs fonctions en début d'année pour donner une nouvelle impulsion à l'établissement.

Parmi les principaux défis à relever, votre délégation en distingue quatre :

- renforcer la présence et l'accessibilité sur les territoires ;

- une meilleure diffusion de l'information auprès des publics cibles ;

- la simplification des procédures administratifs et du traitement des demandes ;

- un pilotage stratégique en lien direct avec les territoires.

2. Un choc de simplification impératif

Les rencontres au sein des antennes de LADOM et les retours d'expérience d'usagers de LADOM, mais aussi des compagnies aériennes, ont fait ressortir un sentiment de complexité administrative dans les relations entre les usagers et l'agence.

La qualité du service et de l'accueil ne sont pas en cause.

Mais chaque demande d'aide exige un traitement lourd.

De la part des usagers d'abord, qui ne sont pas tous familiers des procédures dématérialisées, même si les agences accueillent les demandeurs qui n'y arrivent pas. Des petits détails, comme le fait pour une famille de ne pas pouvoir déposer une demande unique, mais pour chaque membre, alourdissent les démarches.

La fourniture de l'avis d'imposition pose souvent problème, en particulier pour les jeunes qui n'ont pas d'avis ou ne sont pas rattachés au foyer de leurs parents. S'agissant des aides aux sportifs, les clubs renoncent à déposer des demandes pour leurs membres, car chaque dossier est individuel, les demandes de groupe ne sont pas acceptées.

De la part de LADOM ensuite qui doit examiner précisément chaque dossier et qui dispose d'outils logiciels pas toujours performants. En 2021, la délivrance des ACT a été bloquée pendant plusieurs semaines en raison d'un souci technique. Un nouveau logiciel métier serait en cours de déploiement.

Ces lourdeurs, dans un contexte de hausse des demandes d'ACT, allongent les délais de traitement de demandes qui peuvent atteindre 15 jours à trois semaines, comme en Guadeloupe actuellement.

De la part des compagnies aériennes enfin. Les bons ACT délivrés par LADOM ne peuvent pas être utilisés en ligne. Le bénéficiaire doit donc se rendre en agence de voyage ou au guichet de la compagnie, laquelle traitera ensuite manuellement le bon papier pour se faire payer. Les compagnies jouent le jeu, mais ces procédures ne sont pas fluides et très chronophages comme l'ont confirmé Air Caraïbes et Air France.

Cette situation archaïque n'est pas acceptable. Il est impératif de pouvoir digitaliser les bons afin d'acheter son billet en ligne. Des accords avec les compagnies doivent être conclus pour mettre en place ces bons ou avoirs digitalisés.

La conséquence de tous ces petits obstacles est que beaucoup de demandes sont rejetées ou abandonnées. Par exemple, à l'antenne de Guadeloupe, sur 18 000 demandes d'ACT en 2022, seulement 7000 ont été accordées.

Par ailleurs, certaines méthodes doivent évoluer, afin de moins subir la hausse des billets et de ne pas se cantonner à délivrer des bons. Lors de son audition, Maël Disa, président de LADOM, a identifié plusieurs pistes intéressantes pour plafonner le prix des billets aidés par LADOM. L'une d'entre elles consisterait à négocier un volume de billets avec les compagnies sur lesquels elles s'engageraient à ne pas dépasser un prix plafond.

La rénovation des méthodes de travail de LADOM, plus proactives, doit être poursuivie, en gardant comme cap la simplification des démarches des usagers et des opérateurs.

Proposition n° 11 : Simplifier toutes les procédures de LADOM, notamment en digitalisant les bons de voyage utilisables auprès des compagnies aériennes.

3. Mettre LADOM au service des collectivités ultramarines

L'exemple de La Réunion est le plus symptomatique.

De 2015 à 2020, la région La Réunion a adopté sa propre politique d'aide à la continuité territoriale en parallèle de celle de LADOM, car jugeant la politique nationale insuffisante.

Ce cas paroxystique met en lumière le manque de coopération et de coconstruction de la politique de continuité territoriale avec les territoires.

Cette critique n'est pas contradictoire avec l'affirmation de la responsabilité première de l'État pour financer et mettre en oeuvre la politique de continuité territoriale au titre de la solidarité nationale et de l'indivisibilité de la République.

En revanche, il faut souligner avec la même force que la continuité territoriale est une politique publique stratégique pour des territoires insulaires ou enclavés et qu'à ce titre, comme toutes les politiques publiques, elle ne devrait plus se construire seule. La coconstruction est incontournable. La formation sur les métiers en tension, la politique de retour, notamment sur ces métiers, l'accompagnement des étudiants, le développement du sport et de la culture sont autant de sujets vitaux pour les territoires et sur lesquels la continuité territoriale est une variable clé.

La coconstruction est d'autant plus nécessaire que la situation est très variable selon les territoires, comme les priorités. Niveaux de vie, évolutions démographiques, besoins de main d'oeuvre, retour au pays ... Chaque territoire est différent.

Or, dans l'ensemble, les relations entre LADOM et les régions et départements demeurent faibles. Dans les collectivités du Pacifique et à Saint-Pierre-et-Miquelon, où ce sont les services de l'État qui assurent les missions de LADOM, le constat est sans doute plus marqué encore. Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, a souligné la très grande discrétion des services de l'État sur son territoire.

Cette évolution de LADOM, plus tournée vers les territoires, a néanmoins débuté.

Le précédent réunionnais - et ses limites - a conduit LADOM et la région de La Réunion à conclure une convention pour permettre à la région de déployer des aides complémentaires de celles de LADOM depuis le 1er avril 2022. Ce nouveau dispositif est nettement moins disant par rapport au précédent.

En Guadeloupe, une convention est en cours de discussion entre le département et LADOM, en particulier sur l'accompagnement des étudiants et des personnes en formation.

À Saint-Martin, une convention a été signée avec la collectivité pour mieux soutenir les demandeurs d'emploi en formation.

Les exemples se multiplient.

Enfin, il est certain que le récent arrêt précité de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, qui a jugé qu'une collectivité territoriale ne pouvait pas créer son propre dispositif de continuité territoriale indépendamment de celui de l'État, devrait encore accélérer ces initiatives de contractualisation.

En prévision du projet LADOM 2024, il faut aller plus loin et faire de LADOM un opérateur au service des territoires et de leurs collectivités. Des conventions de partenariat devraient être obligatoirement signées avec toutes les régions, départements et collectivités d'outre-mer pour compléter, adapter ou expérimenter des dispositifs en lien avec les projets de développement local.

Les dispositifs d'aide ou d'accompagnement au retour sur les territoires devraient être un des principaux champs de cette nouvelle contractualisation.

À terme, dans l'esprit de ce qui avait été d'ailleurs imaginé initialement lors de la réforme de la LODEOM en 2009, les antennes locales de LADOM pourraient être transformées en groupement d'intérêt public (GIP).

Des partenariats avec des collectivités hexagonales, en particulier les régions, sont aussi souhaitables pour améliorer l'accueil des ultramarins. L'accompagnement des étudiants, qui figure au rang des probables priorités à venir de LADOM, pourrait se développer en s'appuyant sur des partenaires locaux (CROUS, régions ...), LADOM jouant le rôle de fédérateur ou de coordinateur, plutôt que de faiseur. L'association des collectivités hexagonales et un enjeu, afin de renforcer les liens entre des territoires et des populations très éloignées.

Autour d'un tronc commun (la politique nationale de continuité territoriale), LADOM mettrait en oeuvre des politiques territorialisées. Ce n'est qu'à cette condition que l'agence rayonnera comme le guichet unique de la mobilité dans les outre-mer.

Proposition n° 12 : Mettre LADOM au service des projets de territoire définis par les collectivités ultramarines dans le cadre de partenariats financiers et stratégiques pluriannuels, voire dans le cadre de groupements d'intérêt public (GIP).

4. Une présence sur les territoires à repenser ?

LADOM compte environ 150 collaborateurs40(*) et dispose de 18 implantations. Dans les COM et la Nouvelle-Calédonie, ce sont les services de l'État qui agissent pour le compte de LADOM.

Ses effectifs se répartissent approximativement ainsi : 38 % dans les antennes outre-mer (6), 33 % dans les antennes hexagonales (11) et 28 % au siège à Paris.

a) Des antennes territoriales en Hexagone sous-exploitées ?

Comme l'a rappelé Isabelle Richard, sous directrice des politiques publiques à la DGOM, les 11 implantations territoriales dans l'Hexagone assurent une présence dans les grandes régions afin de piloter la mise en oeuvre opérationnelle du projet de formation des demandeurs d'emploi ultramarins en mobilité, depuis l'arrivée sur le lieu de formation jusqu'à leur insertion professionnelle.

Ces 11 implantations qui représentent un tiers des effectifs et des coûts de fonctionnement importants ont donc une seule mission : assurer le suivi et l'accompagnement en métropole des bénéficiaires de passeport pour la mobilité de la formation professionnelle. En 2019, 2 938 personnes en ont bénéficié, 1 583 en 2021 et 1 695 en 2022. La tendance était baissière avant la crise sanitaire.

Ces missions sont importantes et sont bien réalisées. Mais elles concernent un public restreint qui plus est tendanciellement en baisse.

Selon LADOM, cette tendance peut s'expliquer par des facteurs à déplorer pour certains ou à poursuivre pour d'autres :

- le démarrage difficile de l'accord-cadre entre LADOM et Pôle Emploi, avec une période d'adaptation et de transition plus longue qu'anticipée ;

- la persistance d'une frilosité à la mobilité dans la suite de la crise sanitaire ;

- le développement de l'offre de formation locale, LADOM et Pôle Emploi n'intervenant qu'en cas d'indisponibilité de l'offre de formation sur le territoire du demandeur ;

- un marché du travail ultramarin plus dynamique.

Quelles que soient les raisons, les antennes hexagonales ont une activité 40 % moindre par rapport à 2019.

Cette mono-activité interroge. Deux orientations très différentes doivent être explorées :

- soit mettre un terme à ce maillage hexagonal pour recentrer tous les moyens de LADOM sur les outre-mer. Les missions actuelles de ces antennes pourraient être assumées par les régions métropolitaines ou d'autres acteurs dans le cadre de conventions contre compensation ;

- soit confier de nouvelles missions aux antennes hexagonales.

Cette seconde hypothèse est celle privilégiée par LADOM et le ministère des outre-mer pour répondre à des demandes non satisfaites d'accompagnement.

C'est en particulier le cas des étudiants. LADOM envisage de renforcer son action de proximité à l'égard des étudiants par un accompagnement psychologique, une assistance à l'installation et un suivi pour favoriser les projets de retour à l'issue des études.

b) Dans les outre-mer, augmenter la visibilité

L'accès des publics cibles aux services et aux dispositifs de LADOM est un point clef pour toute réussite d'une politique publique.

La critique d'un manque de visibilité et d'accessibilité de LADOM est revenue régulièrement, en dépit de progrès remarqués ces dernières années. Elle peut expliquer l'insuccès de certaines aides qui ne parviennent pas à trouver leur public.

On observe en effet des écarts substantiels selon les territoires. Les données indiquent par exemple une faible activité de LADOM en Guyane sur la plupart des dispositifs, proportionnellement à la population. Mayotte mobilise mieux les aides en comparaison, en particulier sur le PME (Mayotte représente 42 % des bénéficiaires en 2021 contre 6 % pour la Guyane). Sur le PMSP, Mayotte représente 25 % des bénéficiaires, devant La Réunion, contre 8 % en Guyane.

Depuis quelques années, les agences de LADOM s'ouvrent pourtant de plus en plus en améliorant leur accueil téléphonique, en allongeant les horaires d'ouverture, en développant la communication. LADOM intervient aussi dans des lycées, comme en Guyane pour sensibiliser les lycéens aux possibilités qui leurs sont offertes de poursuivre en métropole des études qui ne sont pas proposées en Guyane.

La présence au sein des Maisons France Services doit aussi être systématique pour aller vers les publics cibles.

Certains territoires souffrent de l'absence de présence de LADOM. Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont été délaissés41(*).

On peut enfin questionner l'absence de LADOM dans les collectivités du Pacifique. Les services de l'État y assurent la délivrance des aides à la continuité. Des dotations dédiées leur sont versées chaque année. Toutefois, au vu des résultats obtenus, en particulier en Polynésie française42(*), force est de constater que les aides bénéficient à très peu de personnes comparativement à d'autres territoires. Pourtant, les critères sont sensiblement les mêmes. La création d'unités de LADOM en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie mériterait d'être étudiée à l'occasion du projet LADOM 2024.

Lors de son audition, Maël Disa, président de LADOM, a déclaré que « Nous (LADOM) ne sommes ni une agence de voyages ni une succursale de Pôle Emploi. En premier lieu, nous oeuvrons d'abord pour le lien entre les hommes et les femmes, entre les Français, où qu'ils soient sur le territoire. En outre, nous favorisons l'ouverture du champ des possibles pour tous les Français, où qu'ils soient, pour que la question de la mobilité ne soit pas un frein - autant que faire se peut, avec les moyens qui sont les nôtres - pour qu'un jeune ou un moins jeune, qu'il habite à Paris intra-muros, à Fort-de-France ou à Cayenne, ait les mêmes chances de réussite et qu'il soit uniquement limité par ses compétences intellectuelles, techniques ou manuelles. À mon sens, c'est le rôle de la République et c'est la mission principale de LADOM ».

Cette profession de foi doit être au coeur du projet LADOM 24 et passe par un recentrage de LADOM sur des missions d'accompagnement personnalisé et de partenariats au service des territoires et de leurs collectivités.


* 38 LADOM avait succédé en 2006 à l'Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer (ANT). L'ANT avait elle-même succédé au Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer (BUMIDOM), qui fut un organisme public français chargé d'accompagner l'émigration des habitants des départements d'outre-mer vers la France métropolitaine dès 1963. Le bilan du BUMIDOM est très critiqué, notamment pour avoir vidé des territoires ultramarins de leurs forces vives dans des conditions discutables.

* 39 Cette agence a été refondée par la loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer.

* 40 Plafond d'emploi de 124 ETP pour 2021.

* 41 Une antenne devrait ouvrir très prochainement à Saint-Martin, rattachée à LADOM en Guadeloupe.

* 42 À l'inverse, à Wallis-et-Futuna, les bénéficiaires de l'ACT sont assez nombreux. L'administration supérieure de l'État assure un service de proximité et d'accompagnement qui est bien connu de la population.

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