N° 542

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 avril 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1)
relatif aux
États généraux de la simplification, organisés au Sénat
le 16 mars 2023,

Par Mme Françoise GATEL et M. Rémy POINTEREAU,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; MM. Rémy Pointereau, Guy Benarroche, Mme Agnès Canayer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Bernard Delcros, Mmes Corinne Féret, Michelle Gréaume, MM. Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Mme Patricia Schillinger, M. Pierre-Jean Verzelen, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Franck Montaugé, Cédric Vial, Jean Pierre Vogel, secrétaires ; Mmes Nadine Bellurot, Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Laurent Burgoa, Thierry Cozic, Mmes Chantal Deseyne, Catherine Di Folco, MM. Thomas Dossus, Jérôme Durain, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Jean-Michel Houllegatte, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Christine Lavarde, Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin, Hervé Maurey, Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Philippe Mouiller, Olivier Paccaud, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Mme Sylvie Robert, MM. Jean-Yves Roux, Laurent Somon, Lucien Stanzione.

AVANT-PROPOS

Chacun est conscient que les normes applicables aux collectivités sont trop nombreuses et trop complexes : le code général des collectivités territoriales a ainsi triplé de volume entre 2002 et 2022 et approche le million de mots.

C'est pourquoi le Sénat a organisé le 16 mars 2023, à l'initiative de la délégation aux collectivités territoriales, les États généraux de la simplification. Cette manifestation, placée sous le haut patronage de Gérard Larcher, président du Sénat, a réuni de nombreux acteurs concernés par les enjeux de la simplification, au premier rang desquels le Conseil national d'évaluation des normes et les associations d'élus locaux.

Ces États généraux se sont déroulés en trois temps.

La première table-ronde a permis de faire remonter des témoignages de terrain, en s'appuyant notamment sur les résultats de la consultation en ligne des élus locaux, consultation que le Sénat a menée en janvier 2023. En effet, il appartient à l'ensemble des acteurs de la production de normes de prendre collectivement la mesure de toutes les conséquences négatives de leur poids pour les collectivités. Non seulement l'inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation, mais elle en augmente significativement le coût, parfois de façon disproportionnée, notamment pour les petites communes, aux ressources techniques et financières limitées.

La seconde table-ronde a, quant à elle, permis d'explorer des solutions simples et efficaces pour l'avenir pour remédier collectivement à cette prolifération normative. Cette table-ronde a notamment mis en lumière les recommandations du rapport publié par la délégation le 26 janvier 2023 et intitulé « Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! » signé par Françoise Gatel et Rémy Pointereau. Ce rapport propose des solutions à droit constant pour « casser la machine infernale » de la norme, en s'appuyant avant tout sur une forte volonté politique et non sur la création de nouveaux outils juridiques.

Enfin, cette manifestation a abouti à une signature inédite et ambitieuse d'une Charte d'objectifs communs, engageant le Sénat et le Gouvernement, en présence du CNEN. Il s'agit là d'un pacte de confiance et de responsabilité, pacte qui pourrait être étendu, à l'avenir, à d'autres acteurs majeurs de la norme. En effet, seules des actions collectives et coordonnées permettront d'agir efficacement pour enrayer ce phénomène d'obésité normative, préjudiciable au développement des territoires.

L'objectif est donc de donner une forte impulsion pour engager un réel changement de culture et de pratiques tant au niveau des acteurs politiques que de l'administration, dans le souci de l'efficacité de l'action publique locale jusqu'au dernier habitant et au dernier kilomètre. Car c'est bien à une nouvelle culture de la norme qu'il nous faut nous atteler, autour de trois principes : la subsidiarité, la sobriété et la confiance.

Signature de la charte engageant le Sénat et le Gouvernement

I. « SIMPLICATION DES NORMES, PASSER DU CONSTAT AUX SOLUTIONS », FRANÇOISE GATEL, PRÉSIDENTE DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Je vous remercie d'être venus aussi nombreux pour ce sujet qui constitue une véritable oeuvre collective d'affirmation d'intention. Je voudrais excuser le président du Sénat, Gérard Larcher, qui assure ce matin la présidence d'une séquence importante consacrée à la réforme sur les retraites. Il nous rejoindra en fin de matinée avec le ministre Christophe Béchu, qui représentera Madame Borne.

Mesdames et Messieurs les représentants d'associations d'élus, Monsieur le président de l'ANCT, Madame la secrétaire générale du Gouvernement, Monsieur le premier vice-président de la délégation aux collectivités Rémy Pointereau, Monsieur Mathieu Darnaud, président de la délégation à la prospective, et très souvent mon binôme sur les sujets de collectivités, Mesdames et Messieurs les intervenants,

Il me revient d'ouvrir ces États généraux, qui constituent une grande ambition. Notre détermination collective se doit en effet d'être ambitieuse, car nous poursuivons un triple objectif. Le premier, qui sera débattu au cours de la première table ronde, est le recueil des témoignages de terrain. Le Sénat a à coeur de nourrir sa réflexion à partir de la réalité des choses, et l'écoute du terrain est particulièrement importante. Nous procédons ainsi régulièrement, au-delà de nos expériences personnelles, à des consultations d'élus. Personne ici ne sera surpris d'apprendre que la norme se situe en haut de toutes les préoccupations de tous les élus quels qu'ils soient. C'est un sujet récurrent qu'il est important de prendre en compte. La surenchère de la norme présente des conséquences financières considérables, à un moment où l'argent public est rare. Il est plus que jamais nécessaire et salutaire d'optimiser cet argent public et de se désengager du corset de la norme pour agir.

La norme, qui est nécessaire et utile, peut aussi, lorsqu'elle devient obèse, ralentir des projets, voire les empêcher. Deux chiffres sur le coût de l'inflation normative. Le premier provient de la Direction générale des collectivités locales et évalue à près de 2 milliards d'euros le coût total de cette inflation normative entre 2017 et 2021 pour les collectivités. Le dernier rapport d'activité du CNEN évalue à 2,5 milliards d'euros pour la seule année 2022 le coût des normes, ce qui veut dire 30 % de plus que le total cumulé pour 2017-2021. Ces derniers chiffres pourraient d'ailleurs être sous-évalués.

Le deuxième objectif dont nous souhaitons parler aujourd'hui est l'exploration de solutions simples, efficaces et pleines de bon sens. Avec Rémy Pointereau, nous ne nous sommes pas intéressés aux stocks mais à l'évitement de la surenchère de normes. Nous nous sommes donc tournés vers l'avenir en tentant de définir un mode de fabrication de la norme qui soit plus vertueux, ou plus rigoureux, et qui aboutisse à un résultat plus pertinent. Ce sera le thème de la deuxième table ronde. Je pense souvent à la manière dont les élus locaux, et notamment les maires, procèdent à la mise en oeuvre d'un projet. Ils font de l'étude d'impact sans le savoir quand ils essayent de mesurer les différentes conséquences et les effets collatéraux d'une décision avant sa mise en oeuvre.

Nous proposons donc une méthode collective pour remédier à cette prolifération normative. L'idée est de se discipliner, de faire preuve de plus de rigueur.

Le troisième objectif est particulièrement intéressant et remarquable : il souligne la prise de conscience collective d'une urgence et d'une impérieuse nécessité. À la fin de ce colloque, nous allons procéder à la signature d'une charte d'engagements, cosignée par le président du Sénat au nom du Sénat, et par le ministre Christophe Béchu, représentant du Gouvernement. Nous serons naturellement largement soutenus et confortés par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN).

Comme nous pensons que dire c'est bien, mais que faire c'est mieux, nous avons souhaité que ce colloque ne soit pas que de la parole, mais qu'il nous engage collectivement. Retrouver la conscience de nos concitoyens nous oblige tous. En effet, la situation est grave et nous avons même parfois dépassé le stade de la gravité. Il importe donc que la fabrique de la loi et de la norme, portée et réalisée par tous les acteurs, conduise à une véritable efficacité avec une pertinence bien dosée.

Les causes sont connues, elles sont multiples. Il est difficile de faire sans norme puisqu'il y a une complexité des sujets. Nous devons prendre en compte de très belles intentions : objectifs environnementaux, objectifs sanitaires, objectifs d'égalité des droits. Ces excellentes intentions, quand elles se croisent, fabriquent de la complexité. Il faut à cela ajouter un principe de précaution inscrit dans la Constitution, et qui doit se conjuguer avec la judiciarisation qui augmente. Aujourd'hui, quelques maires ont ainsi interpelé la ministre Madame Faure pour demander s'il ne pouvait pas y avoir une norme nationale sur l'amplitude de l'éclairage public. En effet, certains élus font face à des plaintes de leurs concitoyens en raison des risques d'insécurité induits par la diminution de cet éclairage public.

Cette charte d'engagements constitue un pacte de confiance et de responsabilité que nous signerons avec beaucoup de volonté et de détermination, et aussi beaucoup d'humilité, car nous savons que le miracle attendu ne se produira pas demain. Néanmoins, cette charte résonne comme un appel à l'ordre au fur et à mesure de l'avancée de nos travaux. Nous vous promettons que nous évaluerons la réalisation de cette charte d'engagements.

Nous devons parvenir au Sénat à un changement de culture et de pratique et penser que l'efficacité ne vient pas de la norme, mais de la confiance dans les élus locaux, dans l'intelligence des territoires, dans la nécessité de s'adapter. Nous devons nous atteler à une nouvelle culture de la norme. Je pense que nous pouvons guérir en entreprenant un traitement de choc. Nous construirons une meilleure loi autour de trois principes : la subsidiarité, la sobriété et la confiance

Je vous remercie. Nous allons maintenant démarrer la première table ronde.

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