AVANT-PROPOS

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a créé une mission d'information sur les modalités de gestion des personnels accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), devenus en quelques années le second métier de l'Éducation nationale en termes d'effectifs et les acteurs principaux d'une certaine vision de l'école inclusive. Confié à Cédric Vial (Savoie, rattaché LR), ce travail de contrôle entend dresser un état des lieux de la scolarisation des élèves en situation de handicap (ESH), en abordant son fonctionnement organisationnel, son approche culturelle de la prise en compte du handicap, et le rôle de ses personnels-chevilles ouvrières. La mission ne traite délibérément pas de la question du statut, de la rémunération et du temps de travail des AESH, problématique pourtant essentielle, mais devant faire l'objet d'une analyse spécifique et d'un travail dédié par le ministère de l'Éducation nationale.

À l'issue d'une très large série d'auditions, le rapporteur constate que la politique d'inclusion scolaire s'est traduite depuis plusieurs années par une augmentation importante des moyens financiers et humains dédiés, ce qui a contribué à une amélioration sensible des capacités de prise en charge, sans réussir pour autant à répondre aux attentes des enfants et des familles concernés, et en mettant parfois l'institution scolaire en difficulté.

La massification de l'accompagnement humain, sans modification profonde du système d'organisation et de gouvernance de la part de cette institution, a atteint ses limites, et nuit désormais à une politique qualitative et efficiente d'inclusion scolaire. Le rapporteur appelle donc à inverser l'ordre des valeurs, en faisant de l'accessibilité (physique, matérielle et pédagogique) la priorité qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, la compensation (par une aide humaine) ne devant intervenir qu'en complément, même si elle reste essentielle. C'est dans ce cadre culturel rénové, qu'il plaide pour une organisation administrative corrigée, une prise en charge des ESH plus qualitative et continue, un accompagnement des familles plus poussé et un métier d'AESH professionnalisé.

Ses vingt recommandations viennent enrichir les travaux de la récente Conférence nationale du handicap, qui doit ouvrir une nouvelle étape en faveur de l'école inclusive.

I. LES LIMITES D'UN SYSTÈME D'INCLUSION SCOLAIRE REPOSANT SUR « LE TOUT AIDE HUMAINE » : INVERSER L'ORDRE DES PRIORITÉS EN FAVEUR DE L'ACCESSIBILITÉ

La loi « Handicap » du 11 février 2005 marque un tournant dans la conduite de la politique publique du handicap, en la faisant désormais reposer sur un principe - la garantie, pour toute personne handicapée, d'accéder aux droits fondamentaux reconnus à tout citoyen - et sur deux dispositifs complémentaires - d'une part, la mise en oeuvre de mesures de compensation, d'autre part, l'obligation d'accessibilité de l'ensemble de la chaîne des déplacements. En matière scolaire, la loi affirme le droit pour chaque enfant à une scolarisation en milieu ordinaire, au plus près de son domicile, ainsi qu'à un parcours scolaire continu et adapté. Après cette première avancée, une nouvelle étape est franchie avec la loi du 8 juillet 2013 sur la refondation de l'école, qui consacre pour la première fois le principe d'inclusion scolaire, en vertu duquel c'est à l'école de s'adapter pour accueillir chaque enfant, quels que soient ses besoins particuliers.

En un peu moins de vingt ans, la mise en oeuvre de ce cadre législatif fondateur s'est concrétisée par une progression constante du nombre d'élèves en situation de handicap (ESH) scolarisés en milieu ordinaire : entre 2004 et 2022, leurs effectifs sont ainsi passés de 134 000 à 430 000, soit une hausse de 220 % sur la période. Elle s'est également traduite par le déploiement de mesures de compensation, au premier rang desquelles la notification d'une aide humaine, sous la forme de l'intervention des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). Ces professionnels, qui ont pris en 2014 le relai des anciens auxiliaires de vie scolaire (AVS), ont pour mission d'accompagner les ESH à l'école, dans les actes de la vie quotidienne et dans l'accès aux apprentissages. Représentant aujourd'hui une population de 125 000 personnes, les effectifs d'AESH ont, ces dernières années, connu une très forte croissance, de plus de 50 % entre 2017 et 2022.

À première vue positive, cette dynamique haussière interpelle : alors que le rythme d'augmentation du nombre d'ESH est de l'ordre de 6 % à 7 % par an, le taux de croissance du nombre de notifications d'aide humaine est deux fois plus rapide, atteignant 12 % à 13 % par an.

Si le rapporteur se félicite de la hausse des moyens dédiés à l'accompagnement humain des ESH, il estime toutefois que le phénomène de massification de l'aide humaine traduit aussi les dysfonctionnements d'un système d'inclusion scolaire, qui a privilégié une logique quantitative, à travers le développement exponentiel de mesures de compensation, au détriment d'une démarche qualitative, qui appelait à mettre une égale priorité sur les enjeux d'accessibilité. Il revient d'abord à l'école de s'adapter et la possibilité de recourir à l'aide humaine ne doit pas conduire l'institution scolaire à s'exonérer de sa responsabilité pédagogique.

Tous les acteurs de l'école inclusive que le rapporteur a auditionnés dressent unanimement le même constat : celui d'une systématisation de l'aide humaine, désormais ancrée dans les esprits et les pratiques. Cette « culture maximaliste de l'accompagnement humain », reposant sur un « contrat social collectivement partagé privilégiant la compensation à l'accessibilité » - telles que ces expressions lui ont été rapportées -, s'est formée à partir de l'imbrication de trois besoins : le besoin d'accompagnement de l'enfant, le besoin de réassurance des parents et le besoin de soutien du corps professoral. Pour répondre à chacun d'entre eux, le recours à l'aide humaine est devenu au fil des années le principal moyen d'inclusion scolaire.

Or ce système atteint aujourd'hui ses limites :

· il donne parfois lieu à des prescriptions d'accompagnement humain sans lien évident avec le handicap de l'enfant (ou ne reposant pas sur un handicap médicalement reconnu, comme dans le département de Seine-Saint-Denis qui reconnaît un handicap dit « social ») ;

· il est dans l'impossibilité de faire face aux besoins générés par cette « course en avant », l'Éducation nationale étant dans l'incapacité de mettre en oeuvre, de manière efficiente, le flux des prescriptions émanant des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ;

· il repose sur des professionnels, les AESH, représentant désormais le deuxième métier de l'Éducation nationale en termes d'effectifs, alors que cette dernière n'était pas préparée à la gestion d'un tel nouveau corps, si bien qu'aujourd'hui, son organisation se révèle inadaptée voire défaillante ;

· il génère des effets pervers en termes de prise en charge des ESH : « externalisation » de la mission d'inclusion scolaire de l'enseignant vers l'AESH, qui a parfois tendance à « faire écran » entre l'enfant et son professeur ou ses camarades ; maintien de l'enfant dans une forme de dépendance à son AESH, dont le rôle est parfois associé à une « béquille » ; segmentation des temps de l'enfant, la continuité de l'accompagnement humain n'étant pas garantie sur une même journée ; inadéquation constatée, dans le cadre d'une aide mutualisée, entre le temps où l'aide est nécessaire et celui où elle est mise en oeuvre.

Face à cette situation, dont rien n'indique qu'elle a atteint un palier - l'augmentation du nombre de notifications devrait se poursuivre sur un rythme élevé, alors qu'il est déjà difficile de recruter des accompagnants en nombre suffisant -, le rapporteur appelle à inverser l'ordre des priorités, en revenant à l'esprit du corpus législatif de 2005 et de 2013 : sortir de la logique quantitative du « tout aide humaine » pour entrer dans une démarche plus qualitative, centrée sur les besoins de l'enfant afin de l'accompagner vers la réussite scolaire et plus d'autonomie.

Ce changement de paradigme suppose d'opérer un rééquilibrage en faveur de l'accessibilité, entendue au sens global (accessibilité du bâti, adaptation de la pédagogie et des supports, accessibilité éducative, accessibilité numérique...), qui doit désormais être la priorité, la compensation ne devant venir qu'en appui de celle-ci. C'est à cette condition sine qua non que l'école deviendra réellement inclusive1(*) et non uniquement intégrative2(*).


* 1 Notion selon laquelle c'est à l'école de s'adapter pour apporter une réponse scolaire au plus près des besoins de chaque élève.

* 2 Notion selon laquelle c'est à l'enfant de s'adapter à l'école ordinaire avec l'aide de dispositifs spécialisés.