N° 670

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1er juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) relatif aux propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil portant réforme du marché de l'électricité de l'Union,

Par MM. Daniel GREMILLET et Claude KERN,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin, vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Valérie Boyer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger.

L'ESSENTIEL

À partir de l'automne 2021, à la suite de la reprise consécutive à l'épidémie de Covid-19, les économies européennes ont été confrontées à une hausse particulièrement forte des prix des énergies fossiles. Cette crise a été aggravée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en février 2022. Les prix de gros du gaz et de l'électricité se sont alors envolés à des niveaux jamais atteints auparavant. Les conséquences sur les économies européennes ont été d'autant plus fortes que l'Union européenne était très dépendante des énergies fossiles, et en particulier du gaz russe.

Cette crise a mis en lumière les vulnérabilités de l'Union européenne dans le secteur énergétique et les limites du fonctionnement actuel du marché de l'électricité dès lors que l'Union européenne se trouve confrontée à un déficit de production énergétique. Elle a occasionné pour les consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, une très forte volatilité des prix du gaz et de l'électricité, dont les États membres ont limité l'impact par des mesures d'urgence.

Afin de rapprocher les prix de l'électricité de ses coûts de production et d'assurer une meilleure protection des consommateurs, la Commission européenne a présenté, le 14 mars 2023, ses propositions pour réformer le marché européen de l'électricité. Cette réforme est d'autant plus urgente et indispensable que le marché intérieur de l'énergie jouer un rôle central pour atteindre les objectifs du Pacte vert pour l'Europe.

La commission des affaires européennes a examiné cette réforme du marché de l'électricité, sur le rapport de MM. Daniel Gremillet et Claude Kern, et a conclu au dépôt de la proposition de résolution n° 669 (2022-2023) du 1er juin 2023, devenue résolution du Sénat n° 141 (2022-2023), le 19 juin 2023.

1. UNE CRISE QUI A REMIS EN QUESTION LE FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ EUROPÉEN DE L'ÉLECTRICITÉ

· Un mécanisme de formation des prix sur le marché de gros de l'électricité sous le feu des critiques

De nombreux États membres, et en particulier la France, ont estimé que le mécanisme de formation des prix sur le marché de gros de l'électricité, selon le principe du « merit order », consistant à faire appel aux unités de production électrique selon sur leur coût marginal de production croissant, était responsable de l'envolée des prix de l'électricité et ont appelé à revoir sa structuration. Ainsi, alors que le gaz entre pour une part très faible dans les coûts de production de l'électricité en France, son prix influence largement celui de l'électricité. L'électricité n'étant pas stockable, son prix s'ajuste en fonction de l'offre de production et de la demande de consommation, et connaît, par conséquent, des variations saisonnières, journalières et horaires, qui peuvent être très importantes. En outre, la prime assurantielle en matière de détermination des prix sur les marchés de gros a aussi pris une ampleur importante, notamment en France.

Sachant que la production d'électricité relève de technologies très différentes et substituables, la priorité est ainsi donnée aux offres de production les moins chères, et en général les plus propres, pour répondre à la demande. Le prix s'établit donc au niveau de la dernière centrale appelée qui fonctionne avec des énergies fossiles, ce qui apparaît paradoxal pour la France qui dispose d'un parc électrique décarboné particulièrement compétitif. En cas de hausse du prix du gaz, les producteurs d'électricité connaissent ainsi une augmentation de leurs coûts qui se répercute sur les prix de l'électricité.

· Un marché de l'électricité dominé par des signaux de court terme

La libéralisation du secteur de l'électricité en Europe a conduit à la création de marchés de gros qui organisent les échanges entre acteurs de marché et concourent à la formation des prix de marché à cette échelle. Le marché de l'électricité repose pour l'essentiel sur des stratégies de court terme. Les signaux de prix observés sur ces marchés ne sont en aucun cas déterminés, même en partie, par les coûts de production moyens de l'électricité. Ils reflètent des éléments de contexte ou d'anticipation, liés à la situation géopolitique et à la sécurité d'approvisionnement énergétique.

Afin de disposer d'un marché moins soumis aux fluctuations de court terme, et davantage aligné sur les coûts réels de production, le développement d'outils de couverture à long terme doit être encouragé et contribuera à créer des conditions favorables aux investissements dans les installations de production d'électricité décarbonée.

· Un réseau européen interconnecté, garant de la sécurité d'approvisionnement électrique

Le couplage des marchés de l'électricité, qui repose sur les interconnexions entre pays européens, permet d'améliorer l'efficacité du système électrique européen et de mutualiser les moyens de production complémentaires ainsi que les besoins en électricité, en ajustant l'offre et la demande sur l'ensemble des marchés couplés. Il a notamment permis de faire bénéficier les consommateurs européens de tarifs abordables jusqu'à la crise actuelle.

Les interconnexions entre États membres constituent la pierre angulaire du marché européen de l'électricité. L'intégration de la France au marché européen de l'électricité lui permet d'éviter ainsi près de quarante jours de coupure par an et d'économiser l'équivalent de la production d'environ dix centrales nucléaires ou vingt-quatre centrales à gaz.

Le marché européen de l'électricité a contribué à la résilience du système électrique européen au cours de ces derniers mois. Toutefois, ses règles du jeu sont apparues insuffisantes pour protéger les consommateurs finaux en temps de crise face à l'extrême volatilité des prix de l'énergie.

2. PRENANT LE RELAIS DES MESURES D'URGENCE, LA RÉFORME ATTENDUE DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ N'EN BOULEVERSE PAS L'ARCHITECTURE ACTUELLE

· Des mesures d'urgence proposées dès le début de la crise et adoptées par le Conseil

La Commission européenne a proposé des mesures d'urgence et de nouveaux mécanismes de solidarité pour maîtriser, à très court terme, la flambée des prix de l'énergie dans l'Union européenne. Plusieurs règlements ont ainsi été adoptés par le Conseil concernant les objectifs de remplissage des installations de stockage de gaz dans les États membres, la réduction de la demande de gaz et d'électricité, l'instauration de mécanismes de prélèvement sur les recettes des producteurs d'énergie, la création d'une plateforme pour les achats communs de gaz ainsi que la fixation d'un prix plafond du gaz. Enfin, a été adopté un cadre en vue d'accélérer la procédure d'octroi de permis et le déploiement de projets dans le domaine des énergies renouvelables.

· Une réforme du marché de l'électricité appelée de leurs voeux par un certain nombre d'États membres qui conserve le principe de la tarification au coût marginal

Composée de trois textes, la réforme du marché européen de l'électricité, présentée le 14 mars 2023 par la Commission européenne, se concentre sur trois objectifs principaux qui visent à accélérer les investissements, en particulier dans les énergies renouvelables, en garantissant un revenu stable aux producteurs, à réduire l'impact de la volatilité des prix des combustibles sur les factures d'électricité des consommateurs, et à les protéger contre les éventuelles prochaines hausses de prix. Il est également prévu d'améliorer la protection de l'Union contre les manipulations du marché de gros de l'énergie. Des recommandations sont aussi formulées en faveur du stockage de l'énergie.

Cette réforme ne modifie pas les fondamentaux de l'organisation du marché européen de l'électricité, qui continue à reposer sur le système actuel de tarification marginale (« merit order »). La Commission européenne n'a pas accédé à la demande de certains États membres qui souhaitaient un découplage total entre le prix du gaz et celui de l'électricité, considérant qu'il était le socle de l'intégration du système électrique européen. L'enjeu de cette réforme est d'encourager la signature de contrats de long terme pour la fourniture d'électricité, et ainsi de favoriser les investissements dans de nouvelles capacités de production, ce qui conduirait à rapprocher le prix de l'électricité de ses coûts réels de production.

3. OBTENIR UNE REFORME PLUS SUBSTANTIELLE ENTRANT EN VIGUEUR RAPIDEMENT

Tout en considérant favorablement la réforme proposée par la Commission européenne, la commission des affaires européennes appelle à en accroître l'ambition en envoyant des signaux de long terme clairs pour assurer la décarbonation du système électrique et encourager ainsi les investissements dans la transition énergétique.

· Le constat d'un impact limité sur les marchés de court terme

En conservant le principe de l'ordre de mérite, la réforme proposée préserve la logique actuelle de fonctionnement du marché. Par conséquent, elle ne devrait pas avoir d'effet immédiat sur les marchés de gros de court terme, d'autant plus qu'elle nécessitera d'être transposée dans les législations des États membres et d'être adaptée aux spécificités nationales.

La proposition de résolution, adoptée par la commission des affaires européennes, souligne aussi la nécessité que cette réforme soit adoptée au plus tôt, et avant la fin du mandat de la Commission européenne. Elle estime, en outre, que ses effets économiques et sociaux doivent être évalués régulièrement pour en mesurer la pertinence.

· Garantir le respect du principe de neutralité technologique et le développement des outils de long terme

Les rapporteurs considèrent que la réforme doit, en effet, permettre de faire bénéficier l'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, de la compétitivité de l'électricité nucléaire produite en France. À ce titre, les accords d'achat d'électricité (ou Power Purchase Agreements - PPA) doivent pouvoir être conclus pour la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées, ainsi qu'à partir d'hydrogène quelle que soit son origine, et, par conséquent, couvrir aussi l'énergie nucléaire, en vertu du principe de neutralité technologique. De même, les contrats d'écart compensatoire (ou Contracts for Difference - CfD) doivent pouvoir s'appliquer à tous les investissements réalisés dans la production d'électricité à partir d'énergie nucléaire et de toutes sources d'énergies renouvelables. Ils doivent aussi prendre en compte le cycle de vie des différents actifs.

· Assurer une meilleure protection des consommateurs

Afin de faire face à la volatilité des prix, les rapporteurs estiment que les critères requis, en termes d'intensité et de durée, pour déclarer une situation de crise des prix de l'électricité doivent être moins restrictifs pour permettre l'activation des mécanismes de soutien de façon optimale. Une telle décision doit être du ressort des États membres, et non de la Commission européenne comme elle l'envisage dans sa proposition. Par ailleurs, les interventions publiques ciblées sur l'ensemble des consommateurs finaux en matière de prix devraient pouvoir être assouplies et pérennisées.

Afin de renforcer la protection des consommateurs dans le cadre de la souscription de contrats de fourniture d'électricité, la commission des affaires européennes préconise de rendre optionnelle la souscription à des contrats à tarification dynamique. En outre, en cas d'impayés de facturation par les clients et ménages vulnérables, elle préconise que la baisse de puissance du compteur soit privilégiée aux interruptions de fourniture.

· Respecter le principe de subsidiarité

La commission estime que la réforme doit pleinement respecter le principe de subsidiarité. Dans ce cadre, les États membres doivent voir préservés leurs pouvoirs de régulation et leurs moyens d'action en matière de surveillance des marchés de l'énergie et de lutte contre les abus de marché ainsi qu'en matière d'évaluation des besoins en flexibilité et de définition du champ et des modalités des différents contrats de long terme.

· Encourager le stockage de l'électricité

Dans sa proposition de résolution, la commission des affaires européennes appelle à considérer l'ensemble de la chaîne de valeur des projets de stockage de l'énergie sous toutes ses formes, pour apprécier leur impact, et à intégrer au système énergétique toutes les sources d'énergies décarbonées, en vertu du principe de neutralité technologique.

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