II. UNE DEMANDE SOCIALE DIFFUSE ET DÉLICATE À TRADUIRE

A. UNE DEMANDE MAL DÉFINIE

La demande sociale d'accès à une aide active à mourir couvre deux réalités très distinctes : celles d'une demande d'apaisement de certaines souffrances irréductibles en fin de vie, et celle d'une demande d'autodétermination en toutes circonstances.

La mission rejoint le CCNE dans le constat que les hypothèses de souffrance irréductibles en fin de vie se sont diversifiées, et que ces situations-limites peuvent ne pas entrer dans les cases dessinées par la loi Claeys-Leonetti. Il est des personnes atteintes d'affections incurables et invivables, qui souhaitent mourir précocément. L'exemple le plus connu est celui de la maladie de Charcot, dont les personnes atteintes savent dès le diagnostic qu'elles sont condamnées.

Les échanges réalisés avec des spécialistes, et les études publiées sur la question, montrent toutefois que les souhaits de mort provoquée sont rarissimes chez ces personnes, infiniment plus que ceux des bien-portants à qui la question est posée par voie de sondage et qui se projettent à leur place.

B. DES MODALITÉS D'ENCADREMENT EXCESSIVEMENT COMPLEXES

Quand bien même le principe d'une aide active à mourir serait jugé recevable, les problèmes posés par sa mise en oeuvre semblent toutefois insolubles.

1. Le fait générateur est impossible à délimiter précisément

Le CCNE propose de l'envisager dans le même cas de figure que celui de la sédation profonde et continue de la loi de 2016, mais pour les patients dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. De nombreux interlocuteurs de la mission, et le Gouvernement lui-même d'après ses premiers travaux, disent vouloir circonscrire le périmètre de l'aide active à mourir aux patients atteints de pathologies particulièrement graves et incurables, voire en exclure les demandes justifiées par des souffrances psychiques, ou bien encore celles des mineurs. Ces encadrements apparaissent fragiles : dans les pays qui ont rendu possible l'aide active à mourir, la pression à l'élargissement progressif des critères est forte, et difficilement résistible par les pouvoirs publics.

Il semble donc illusoire de penser que les verrous posés sur la procédure dans un premier texte pourraient constituer de sérieuses garanties de sécurité pour l'avenir. Des évolutions législatives ultérieures seraient toujours présentées comme des ajustements, éventuellement justifiés par l'application du principe d'égalité et une conception toujours plus subjective de la dignité, conformément à la rhétorique des droits subjectifs dans laquelle est formulée la demande d'aide active à mourir.

2. Un acte particulièrement complexe à encadrer

Les modalités de réalisation de l'acte lui-même sont aussi délicates à arrêter que les critères matériels d'accès au dispositif sont complexes à définir. Que la question se porte sur l'appréciation de la situation médicale du patient, sur le moment de l'acte ou encore sur l'évaluation de l'autonomie du demandeur, aucune réponse précise ne peut être apportée de manière satisfaisante, si du moins l'on prétend encadrer solidement le dispositif.

En outre, alors que le débat se concentre sur le principe même de l'aide active à mourir, peu distinguent le suicide assisté de l'euthanasie. Et peu s'interrogent sur les personnes qui pourraient effectivement en bénéficier, alors même que le CCNE soulignait que le suicide assisté présentait la faiblesse de n'être pas accessible aux personnes atteintes de certaines affections paralysantes.

La commission ne peut enfin qu'adhérer pleinement aux fortes réticences des soignants à leur participation aux actes d'euthanasie ou de suicide assisté. Ces derniers ne relèvent pas du soin, et pourraient créer une confusion dans la relation entre le patient et les soignants qui l'accompagnent.

3. Un contrôle a posteriori qui relève souvent du seul constat

Les exemples étrangers invitent également à relativiser les arguments selon lesquels il serait possible de construire un dispositif français plus encadré que ceux des pays ayant déjà ouvert l'aide active à mourir.

D'une part, le modèle belge a bien montré ses limites, la commission de contrôle se bornant à constater le recensement des seules déclarations qui lui sont adressées, sans pouvoir auditer les pratiques ou contrôler les professionnels. Quant au système néerlandais, pourtant présenté comme particulièrement encadré, il n'a pas permis de contrôler le recours toujours plus important à l'euthanasie. Les proportions de décès par euthanasie atteignent dans ce pays un niveau qui interdit de penser qu'elle reste limitée aux personnes placées dans des situations de souffrance réfractaire et au pronostic vital engagé à court ou moyen terme.

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