IV. AMÉNAGER DANS UNE PERSPECTIVE D'AGRICULTURE DURABLE

Le foncier agricole outre-mer est rare, faiblement valorisé pour lui-même et peu liquide. Dans cet environnement contraint, il est encore plus essentiel de créer les conditions d'une bonne exploitation des terres.

A. MIEUX ORIENTER LES FINANCEMENTS

Comme cela a été dit aux rapporteurs, « la question du foncier agricole dépasse le foncier agricole », car elle doit être appréhendée dans son environnement.

Pour protéger et développer le foncier, d'autres leviers peuvent être mobilisés sachant que des financements importants sont consacrés au soutien des agricultures ultramarines, tant au plan national qu'au niveau européen.

1. Adapter davantage les aides aux besoins des agricultures ultramarines
a) Des aides européennes, nationales et locales importantes

Selon l'observatoire de l'économie agricole d'outre-mer, service de l'ODEADOM, en 2021, les aides versées au secteur agroalimentaire représentaient 599 millions d'euros en 2021. À ces aides versées s'ajoutent également d'autres formes de soutiens nationaux, que sont notamment les régimes de fiscalité réduite sur le rhum et les exonérations/allègements de cotisations sociales, évalués au total à 203 millions d'euros.

Le total des soutiens était ainsi estimé à 802 millions d'euros.

Les missions de l'ODEADOM

Créé en 1984, l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM) est un établissement public administratif qui relève du ministère chargé de l'agriculture et du ministère chargé des outre-mer. Dédié au développement de l'économie agricole en outre-mer, il a pour objectif d'accompagner et promouvoir le développement durable de l'économie agricole en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion, en Martinique, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

En tant qu'établissement doté de compétences régionales et multisectorielles, l'ODEADOM intervient dans toutes les filières agricoles et a trois missions principales. Il s'agit d'un instrument d'application de la politique agricole dans ces territoires. Organisme payeur des aides nationales et européennes, il attribue notamment les aides du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI).

En outre, l'ODEADOM constitue un espace d'échange et de réflexion sur les filières agricoles et agroalimentaires entre les professionnels et l'administration. Enfin, l'établissement réalise des études spécifiques consacrées aux différentes filières à partir des données économiques, financières et techniques rassemblées par « l'observatoire de l'économie agricole dans les DOM ».

L'ODEADOM n'intervient pas directement sur les questions foncières. Pourtant, l'Office s'intéresse aux effets fonciers des dispositifs d'aides qui peuvent être mis en place comme les aides à l'hectare. Ces dispositifs peuvent inciter les agriculteurs à agrandir leurs exploitations ou à relâcher du foncier. Autrement dit, ces dispositifs peuvent avoir des effets sur la pression foncière ou encore sur la limitation des friches.

Par le passé, l'ODEADOM a fait l'objet de critiques quant à l'organisation de sa gouvernance, son fonctionnement et à l'efficacité de son action. Envisagée en 2006 et 2009 lors des réformes de rationalisation du dispositif national de gestion des aides publiques à l'agriculture, la fusion de l'ODEADOM avec FranceAgriMer a été écartée. Dans le cadre de la réforme portant réorganisation des services de l'État en 2022, l'opportunité de la suppression de cet établissement public a fait à nouveau débat. Néanmoins, au regard de son expertise en matière d'agriculture et d'élevage dans les outre-mer et grâce à une forte mobilisation des parlementaires, l'ODEADOM a finalement été maintenu.

Source : ODEADOM et DSOM

Les 599 millions d'euros d'aides se décomposaient ainsi :

- 321 millions versés au titre du programme POSEI (montant FEAGA et complément national dit « CIOM » cumulés) ;

- 130 millions versés au titre du second pilier de la PAC (Plan de développement rural) ;

- 1 million versé au titre des OCM (organisation commune de marché, fruits et légumes) ;

- 147 millions versés au titre des aides nationales.

Depuis 2016, l'ensemble des aides est à la hausse.

Des crédits importants sont mobilisés pour l'ensemble des questions agricoles : soutien aux filières, producteurs, jeunes agriculteurs...

Évolution des aides à l'agriculture ultramarine depuis 2015

Source : ODEADOM

b) Des aides européennes à adapter aux spécificités ultramarines

Les mécanismes d'aides peuvent avoir un effet important sur l'utilisation du foncier, selon les incitations choisies.

Dans l'Hexagone, les aides du premier pilier de la PAC sont liées à la surface des exploitations. Les agriculteurs déclarent leurs surfaces agricoles et reçoivent des subventions, indépendamment du niveau de production des exploitations. Ce choix s'explique par le souhait à une époque de réduire les surproductions, d'assurer un revenu régulier aux producteurs et d'entamer un virage vers une agriculture moins intensive.

En outre-mer, un choix différent a été fait compte tenu des particularités et des besoins de ces territoires. Depuis 1989, et ce choix n'a pas été remis en cause, les aides POSEI du premier pilier sont couplées à la production, pour inciter à produire plus.

M. Arnaud Martrenchar souligne que les agriculteurs ultramarins dont la production n'est pas connue ne peuvent donc pas bénéficier de ces aides. Dans les faits, la proportion de ces agriculteurs n'est pas négligeable, en particulier dans les filières moins structurées que celles de la canne et de la banane.

Régulièrement, des représentants du monde agricole ultramarin réclament la mise en place d'aides surfaciques, comme dans l'Hexagone.

Des aides surfaciques ont été mises en place par exception à Mayotte, car une trop infime proportion des agriculteurs était assez structurée pour pouvoir déclarer des productions. Sans le choix d'une aide surfacique, très peu d'aides auraient été versées à Mayotte. De plus, cette mesure a incité les agriculteurs à déclarer leurs surfaces, alors que beaucoup d'entre eux ne l'avaient pas fait.

Dans le même sens, un rapport produit en 2022 par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) préconisait le recours à une aide par exploitation.

Toutefois, selon M. Arnaud Martrenchar, la mise en place des aides surfaciques dans l'ensemble des outre-mer a des inconvénients : « Imaginons l'affectation d'une enveloppe de près de 20 millions d'euros pour une aide surfacique. Immédiatement, les 20 millions d'euros sont consommés sans qu'un seul kilogramme de plus ne soit produit ». En revanche, une aide surfacique pourrait inciter les exploitants à remettre en culture des terres incultes. Elle soutiendrait l'exploitation de terres moins commodes à travailler (pentes, moins accessibles). Elle limiterait la déprise agricole en sécurisant financièrement les agriculteurs.

Proposition n° 17 : Dans le cadre du programme POSEI, introduire une part d'aides surfaciques calculée sur la base des terres incultes remises en exploitation ou des terres plus difficiles à travailler.

2. Mieux orienter les aides vers les petites exploitations et les jeunes agriculteurs
a) Les fortes disparités dans l'accès aux aides

Les aides sont concentrées sur certaines productions et bénéficient en conséquence à certains territoires plus qu'à d'autres.

Disparités entre les filières d'abord. M. Arnaud Martrenchar a confirmé le constat de niveaux d'aide globale (UE et nationale) fortement différenciés entre les filières maraîchères et les filières dites de « grandes cultures » que sont la canne-sucre et la banane. Ces aides fortes à la canne et à la banane préexistaient au POSEI. Elles permettent à ces filières bien structurées et pourvoyeuses d'emplois de faire face aux augmentations des coûts de production et à la concurrence internationale.

Répartition des aides par filière en 2021 et évolution depuis 2015

Source : ODEADOM

Ces graphiques montrent que les filières exportatrices bénéficient de l'essentiel des aides et la tendance ne réduit pas ces écarts. La banane et la canne-sucre-rhum représentent 55 % des aides.

Ces différences sont la source d'un fort sentiment d'injustice chez les producteurs des filières moins structurées et moins tournées vers l'exportation.

Disparités entre les territoires ensuite. Cette répartition par filières se répercute nécessairement sur la répartition géographique des aides. La Guyane et Mayotte perçoivent des aides nettement inférieures, respectivement 23 et 13 millions d'euros en 2021, contre 283 pour La Réunion, 144 pour la Martinique et 135 pour la Guadeloupe.

Répartition des aides par filière par DROM en 2021

L'objectif de souveraineté alimentaire devrait conduire à mieux orienter les aides vers des productions animales et végétales. L'État le fait ponctuellement en accompagnant les productions locales de diversification, notamment les fruits et légumes par un abondement des crédits CIOM.

Mais, il faut sans doute aller plus loin, en cohérence avec les objectifs fixés de rééquilibrage au profit de productions destinées à l'alimentation locale.

b) Un accompagnement nécessaire

Sur le modèle des points accueil installation (PAI), une demande de simplification de l'accès aux aides remonte des exploitants, en particulier dans les filières les moins organisées.

La création sur chaque territoire d'un point d'entrée unique est nécessaire et il doit être connu.

Le constat est aussi que les filières les plus structurées sont celles qui captent le mieux les aides existantes, européennes ou nationales. Ainsi, l'Union des Producteurs de Banane de la Martinique Banamart fait en quelque sorte office de point d'entrée unique. Elle assure pour ses membres le préfinancement des aides, puis la gestion et le suivi des dossiers d'aides. Cet exemple est celui des filières de culture d'exportation.

Plus généralement, la subrogation pour préfinancer les subventions et éviter aux exploitants d'avoir à en faire l'avance en totalité doit être développée. Cette avance peut être le fait des organisations de producteurs ou bien des collectivités. L'Agence française de développement (AFD) pourrait être aussi un partenaire possible. Dans le cadre de sa stratégie Trois Océans, l'Agence a créé des outils de préfinancement de subventions européennes et d'État en direction des collectivités territoriales. Il conviendrait d'étudier dans quelles mesures un outil financier analogue pourrait bénéficier aux organisations de producteurs des filières les moins structurées à ce jour, en particulier les cultures maraîchères.

Malgré les différences entre chaque type de cultures ou d'élevage, il paraît indispensable que toutes les filières parviennent à se structurer pour capter les aides au bénéfice de leurs membres.

Enfin, un autre exemple d'accompagnement nécessaire est celui de Mayotte. Un problème est celui de la formation des jeunes. Il dépasse largement la seule question des aides européennes, mais son impact est direct. En effet, au niveau des formations, le brevet professionnel responsable d'entreprise agricole (BPREA) a remplacé en 2021 la capacité professionnelle agricole (CPA). Or, selon M. Soumeila Moeva, président du Syndicat des Jeunes Agriculteurs de Mayotte, il n'y a eu qu'une seule promotion en 2022. Ces formations sont normalement financées par le conseil départemental, mais l'offre de formation 2023 n'a toujours pas été publiée et le lycée agricole ne peut pas lancer les inscriptions pour cette formation essentielle. Or, pour bénéficier des fonds européens, un jeune agriculteur doit être titulaire du BPREA.

Proposition n° 18 : Mieux orienter les régimes d'aides, notamment le POSEI, vers l'agriculture de diversification et développer le préfinancement des aides à la filière maraîchère (fruits et légumes).