AVANT PROPOS

La Délégation sénatoriale aux outre-mer s'est intéressée de longue date à la problématique du foncier dans les outre-mer.

À l'exception de la Guyane, la rareté du foncier y est une donnée structurelle, liée à des facteurs qui ont été analysés dans ses précédents rapports1(*) : insularité et exiguïté des territoires, topographie accidentée, exposition aux risques naturels... L'intensité des conflits d'usage et l'affectation du foncier disponible sont des problèmes cruciaux dans les outre-mer.

En 2023, la délégation a décidé de se saisir à nouveau de ce sujet en se focalisant sur le foncier agricole, qui est la condition première de l'autosuffisance alimentaire. Le président de la République et le Gouvernement en ont fait un objectif à l'horizon 2030. Annoncé lors d'un déplacement d'Emmanuel Macron à La Réunion en octobre 2019, il figure dans les missions du ministre de l'agriculture et de la souveraineté agricole ainsi que de celles du délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer.

Au regard de cet objectif, le dernier recensement agricole2(*) réalisé en 2020, révèle une évolution préoccupante pour les outre-mer : la surface agricole utile (SAU) est globalement en recul dans les DROM, à l'exception de la Guyane dont la SAU augmente assez régulièrement depuis 1985. Mais ce département ne doit pas être « l'arbre qui cache la forêt ».

La Réunion, la Martinique et Mayotte enregistrent une baisse respectivement de 10 %, 12 % et 15 % sur la dernière décennie. Si la situation en Guadeloupe tend à se stabiliser, elle connaît tout autant les effets néfastes d'une spéculation foncière galopante3(*). Cette baisse vient s'ajouter à une diminution antérieure continuelle. De 1960 à 2020, la SAU martiniquaise par exemple a diminué de plus de 80 %. Parallèlement à ce phénomène de « rétractation »4(*), la superficie des friches s'est développée.

Cette évolution est à rapprocher de trois autres constats :

la diminution du nombre d'exploitations. On dénombre 26 700 exploitations en 2020. La Martinique et La Réunion ont perdu un cinquième de leurs exploitations agricoles en 10 ans. Cette diminution touche principalement les unités de production de faible dimension économique. Le recul est moindre au cours de la dernière décennie en Guadeloupe, de l'ordre de 8 %, mais ce département a perdu près de 10 000 hectares de SAU au cours des 20 dernières années ;

- l'importance des exploitations de petite et très petite taille. Ces exploitations, particulièrement fragiles, sont encore majoritaires et conservent un poids considérable en termes d'occupation de l'espace et de force de travail. Ces petites exploitations représentent plus de 90 % des exploitations ultramarines dans tous les territoires, et jusqu'à 99 % à Mayotte. Elles correspondent à une part importante de la SAU de chaque territoire (40 % en Martinique, 53 % en Guyane, 87 % à La Réunion, 90 % à Mayotte). La surface moyenne des exploitations agricoles est ainsi de moins de 6 hectares, contre environ 70 hectares dans l'Hexagone ;

une population des exploitants agricoles particulièrement âgée. Aux Antilles, plus d'un tiers des exploitants ont aujourd'hui plus de 60 ans, contre 25 % dans l'Hexagone. À Mayotte, cette proportion atteint même 42 %.

La crise du Covid-19 hier, comme celle de l'Ukraine aujourd'hui, ont bien montré l'importance vitale de la question alimentaire. Comme la délégation l'avait souligné dans son rapport de juillet 2020 sur l'urgence économique5(*), les circuits courts dans les outre-mer ont été particulièrement importants lors de la crise sanitaire. Le secteur agricole a été fortement sollicité pour alimenter la population. De multiples initiatives « qui honorent la production agricole outre-mer6(*) » ont permis d'assurer l'approvisionnement local et d'éviter une rupture dans la chaîne d'alimentation.

Les évolutions susmentionnées ne sont-elles pas de nature à compromettre l'objectif d'autosuffisance alimentaire pour les outre-mer ?

Au fil des auditions menées entre mars et juin 2023 et des observations recueillies au cours d'un déplacement en Martinique, de nombreuses causes au recul du foncier agricole en outre-mer ont été pointées : l'indivision, la spéculation foncière, l'urbanisation rampante, les difficultés économiques des exploitants, la faiblesse des retraites, les soutiens inégalement répartis...

Un sentiment d'urgence est ainsi ressorti des témoignages qui conduisent à dresser le constat général de l'existence de moyens financiers et de dispositifs juridiques importants et nombreux mais peu opérants face à un quadruple défi : une protection insuffisante des terres agricoles, une déprise croissante des terres exploitables, des entraves multiples à la transmission et une perte générale d'attractivité des métiers agricoles.

Sur la base de ce constat, le rapport formule une vingtaine de propositions articulées autour de 4 axes d'action :

sauvegarder les terres agricoles existantes ;

reconquérir des terres exploitables ;

transmettre pour assurer la relève des générations ;

aménager dans une perspective d'agriculture durable.

Il convient de préciser toutefois que le présent rapport ne couvre pas l'ensemble des outre-mer. Il s'est concentré sur les 5 départements et régions d'outre-mer ayant fait l'objet du recensement susmentionné. Il pourra être complété par des travaux ultérieurs de la délégation. Il n'aborde pas non plus la question spécifique de l'élevage.

Il n'a pas semblé utile de revenir en détail sur les facteurs historiques qui ont modelé le paysage de la propriété agricole sur ces territoires compte tenu des nombreux travaux sur le sujet. Une étude du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) réalisée à la demande de l'Agence française de développement et du ministère des outre-mer7(*), en a fait récemment une analyse à laquelle on pourra se reporter.

Sur le plan sémantique, en se rendant en Martinique, les rapporteurs ont pu constater l'emploi de vocables très différents selon les interlocuteurs pour traiter du même sujet : « autosuffisance alimentaire, autonomie alimentaire, souveraineté alimentaire, sécurité alimentaire... ». Le terme de souveraineté alimentaire, retenu par le Gouvernement, renvoie à l'idée d'un processus collectif de maîtrise des moyens de production, de recherche d'alternatives locales, et surtout à une démarche stratégique et décisionnelle impliquant fortement les acteurs politiques et du monde agricole.

C'est cette optique volontariste qui a été retenue dans le présent rapport.

Comme l'a rappelé le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire le 20 juin devant la délégation : « La question du foncier et de sa disponibilité est bien le préalable à toute question agricole, qu'il s'agisse du renouvellement des générations, des choix culturaux ou encore d'adaptation et de lutte contre le changement climatique. »

I. SAUVEGARDER LES TERRES AGRICOLES DÉJÀ CULTIVÉES

A. SANCTUARISER LE FONCIER AGRICOLE EXISTANT

1. Mener une politique volontariste de défense des terres agricoles
a) Un foncier agricole en rétractation

En outre-mer, le foncier est rare et menacé. Ce constat est encore plus vrai pour le foncier agricole.

Actuellement, comme l'indique l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM), les départements d'outre-mer (hormis la Guyane), se caractérisent par une part relativement faible de la SAU dans leur territoire : 33 % en moyenne (hors Guyane), soit 19 points en dessous de la moyenne nationale.

Le caractère insulaire et souvent montagneux de ces territoires, parfois densément peuplés, implique une proportion plus grande de surface non exploitable (sols artificialisés, côtes, roches, etc.). Mayotte se démarque cependant avec une SAU en proportion équivalente à celle de l'Hexagone, soit 53 % du territoire. La Guyane présente quant à elle un cas tout à fait atypique avec une surface boisée qui représente plus de 89 % de sa superficie totale du territoire, et une SAU de moins de 1% de celle-ci.8(*)

Dans tous les outre-mer existe un fort besoin de foncier aménageable afin de répondre à l'ensemble des demandes concurrentes des acteurs socioéconomiques, correspondant chacune à un besoin majeur de la population (logement, infrastructures, activités économiques...).

Les terres agricoles sont donc soumises à de multiples conflits d'usage. Le sentiment qui ressort des auditions est qu'elles se trouvent de plus en plus prises en tenaille entre l'urbanisation rampante et une politique environnementale renforcée par la législation récente.

Si le phénomène d'urbanisation a fait l'objet de nombreuses études9(*), dont les trois précédents rapports de la délégation sur le foncier, l'impact du droit de l'environnement sur les terres agricoles et de la protection des espaces naturel a été peu analysé mais n'en est pas moins réel. En raison du climat, la végétation se développe très rapidement dans les terres laissées en friche et tend à changer de statut.

À la question de savoir si l'environnement prendrait le pas sur les terres agricoles, Mme Yannick Louis-Hodebar du Conseil national des barreaux (CNB) a répondu : « En effet. Le scandale de la chlordécone a beaucoup marqué les esprits. Aujourd'hui, nous faisons bien plus attention aux règles de l'écologie, nous essayons de préserver l'eau, etc. Tous les territoires ultramarins subissent depuis des années les conséquences du réchauffement climatique. Nous sommes donc réticents à produire au détriment de l'environnement ».

Comme l'indique la Safer Martinique10(*), le développement des friches a des conséquences à moyen ou long terme sur la déclassification des espaces agricoles en zones naturelles plus ou moins protégées (EBC, ZNIEFF, sites inscrits...). Au-delà de 30 ans, la réglementation forestière induit de devoir payer 1 euro par m2 pour obtenir une autorisation de défrichement alors qu'il s'agit de remettre en culture une parcelle à vocation agricole.

Le Syndicat des Jeunes Agriculteurs de Guadeloupe11(*) a fait observer que certaines parcelles précédemment destinées à la culture de bois ont été sanctuarisées, comme s'il s'agissait d'espèces abritant des forêts endémiques, alors qu'elles pourraient accueillir des jeunes porteurs de projets. Il évoque une forme « d'extrémisme écologique ».

Comme sur l'ensemble du territoire national, on constate en conséquence une rétractation globale de la SAU des territoires ultramarins12(*). Le recensement agricole de 2020 fait apparaître pour les 4 DROM (hors Guyane) une baisse de 7,5 % en 10 ans. Ce recul global, quelque peu masqué par la progression de la SAU guyanaise de 44 %, doit alerter.

Chiffres clés du recensement agricole 2020 dans les DROM

   

SAU totale
(hectares)

Nombre de chefs ou coexploitants

Dont % de chefs et coexploitants de plus de 60 ans

La Réunion

2010

42 814

 

7 872

 

12 %

 

2020

38 650

- 10 %

6 561

- 17 %

22 %

+ 10

Guyane

2010

25 345

 

5 994

 

15 %

 

2020

36 429

+ 44 %

6 145

+ 3 %

17 %

+ 2

Guadeloupe

2010

31 400

 

7 900

 

23 %

 

2020

31 800

+ 1 %

7 300

-8 %

34 %

+ 11

Martinique

2010

24 982

 

3 400

 

25 %

 

2020

21 860

- 12 %

2 740

- 19 %

36 %

+ 11,1

Mayotte

2010

7 100

 

n.c.

 

n.c.

 

2020

6 000

- 15 %

4 320

n.c.

43 %

n.c.

Total 5 DROM

2010

131 641

 

25 166*

 

18 %*

 

2020

134 739

+ 2,35 %

27 066

 

29 %

 

Total hors Guyane

2010

106 296

         

2020

98 310

- 7,51 %

       

*Hors Mayotte
Source : AGRESTE, ministère de l'agriculture : recensement agricole 2020

Les causes de ce recul sont multiples et peuvent varier d'un territoire à l'autre. Le constat général rejoint largement les observations du rapport d'information de Chantal Berthelot et Hervé Gaymard13(*) de 2013 qui peut servir encore de référence. Il pointait un « effet en cascade » :

- à cause de la pression foncière et de la hausse des prix des terrains constructibles, on note la présence de multiples jachères dont les propriétaires espèrent qu'après déclassement, elles pourront devenir des terrains destinés à l'habitat ;

- les agriculteurs vendent aussi leurs terrains par lots pour s'assurer des liquidités en fin de carrière ; ces lots font l'objet de constructions multiples à usage d'habitation, de telle sorte que les parcelles cadastrales connaissent le phénomène du mitage, c'est-à-dire du zonage mixte agricole-urbain ;

- sur de telles parcelles mixtes, les Safer ne peuvent pas exercer leur droit de préemption et les Safer n'ont d'ailleurs pas assez de ressources.

Toutes les Safer confirment que dans un contexte insulaire où le besoin de logement est très fort et où on assiste à une envolée des prix du foncier constructible, il existe une très forte pression sur le foncier agricole et naturel. Or, le bas prix du foncier agricole (1 euro par m2 en Martinique par exemple) induit des phénomènes de contournement :

- le découpage parcellaire dans le but de vendre de petites surfaces à des particuliers ayant pour objectif à terme de construire, ou dans le cadre de successions où le terrain agricole est divisé en autant de parcelles que d'ayants droit souvent non-agriculteurs ;

- le refus de louer ou d'exploiter les terres agricoles par le propriétaire dans l'espoir de voir déclasser son terrain par le maire à court ou long terme.

Fondamentalement, comme l'a souligné M. Philippe Schmit, expert lors de l'audition d'Interco' Outre-mer : « Tant que [...] la valeur de production agricole est moindre que la valeur constructible, les actions publiques vont à l'encontre de la logique. [...] Tant que ce problème ne sera pas abordé, nous demeurerons dans une logique de défense du foncier agricole, alors que nous devrions être dans une logique de promotion de ce foncier ».

b) Une prise de conscience insuffisante

Si le phénomène de recul du foncier agricole est également préoccupant dans l'Hexagone, il revêt une acuité particulière outre-mer.

En premier lieu, la production agricole a crû moins vite que la population sur l'ensemble des DROM.14(*) La production agricole destinée à l'approvisionnement des marchés locaux (hors canne et banane) enregistre une tendance à la baisse sur la période 2009-2019, avec une diminution d'environ 900 tonnes par an. Cette baisse est particulièrement forte à La Réunion et à la Martinique, avec un rythme de - 1 480 à - 1 630 tonnes par an pour chacun de ces deux territoires sur cette même période (la Guyane se démarque au contraire par une croissance de sa production agricole de l'ordre de 2 180 tonnes en moyenne par an).

Ces évolutions s'observent également à travers l'analyse des surfaces agricoles en productions végétales (hors canne et banane) et animales, qui diminuent fortement aux Antilles (- 1 162 hectares en moyenne par an), augmentent légèrement à La Réunion (+ 87 hectares en moyenne par an), et plus fortement en Guyane (+ 789 hectares par an).

Si plus de 70 % des exploitations commercialisent leur production en circuits courts, les marchés locaux sont de plus en plus menacés par les produits d'importation.

En second lieu, le foncier en outre-mer revêt une dimension sensible, compte tenu des réalités culturelles et historiques.

L'attachement à la terre y est très fort mais assorti de préoccupations multiples, voire contradictoires. M. Maurice Gironcel, président d'Interco' Outre-mer, l'a rappelé avec force devant la délégation à l'occasion de la présentation du rapport sur l'enjeu du foncier en outre-mer15(*) : « Ayons à l'esprit que pour tous les élus de France, le foncier est la matière première de l'aménagement et du développement de nos territoires et les transformations environnementales et climatiques en font une matière particulièrement sensible plus encore à l'heure du « zéro artificialisation nette ». Mais pour l'élu d'outre-mer c'est aussi, davantage que dans l'Hexagone, un sujet de société, de culture, d'organisation des acteurs publics, d'outils, de gouvernance, raisons pour lesquelles toutes nos réflexions ont eu pour fil conducteur la dimension culturelle et historique de la terre, le rôle et la place de l'État dans le pilotage foncier, le désordre foncier (propriété, indivision, titrement...), la connaissance et la formation, enfin la planification et l'aménagement opérationnel ».

Selon ce dernier, lorsque le sujet du foncier est évoqué avec les acteurs politiques et administratifs, la problématique agricole n'est pas la première mentionnée. Les enjeux collectifs du foncier agricole paraissent comme sous-estimés.

Du côté des particuliers, ce foncier n'est pas toujours considéré comme un outil de travail valorisable et les terres exploitées sont rarement considérées comme ayant une vocation agricole pérenne.

Une prise de conscience, ou « conscientisation » selon l'expression du président Maurice Gironcel, doit donc avoir lieu et en premier lieu par les collectivités publiques elles-mêmes, les communes en particulier, pour donner un caractère prioritaire à la protection du foncier agricole.

Pour Interco' Outre-mer, il serait judicieux de développer des processus de collaboration et de partenariat entre les entités publiques et privées du monde agricole, avec l'idée de privilégier la collaboration plutôt que la norme, autrement dit la co-construction.

Ceci soulève la question du modèle agricole que les collectivités souhaitent mettre en place sur chaque territoire, ce modèle étant naturellement différent pour chacun d'entre eux. L'objectif d'une souveraineté alimentaire pour 2030 constitue « une bonne approche », comme l'a rappelé le président de la collectivité territoriale de Martinique (CTM), pour faire émerger cet élan collectif et mobiliser les acteurs.

D'où l'importance aussi des stratégies agricoles de territoire pour définir ensemble le projet et les moyens à mobiliser pour tendre vers la souveraineté agricole en 2030. L'enjeu agricole appelle dans tous les territoires ultramarins à une action coordonnée entre les acteurs notamment pour définir la place accordée aux productions d'exportation, aux structures traditionnelles (jardins créoles notamment...) etc.

Le ministre Marc Fesneau a évoqué les feuilles de route territoriales qui ont été demandées en janvier 2023 et établies avec l'ensemble des acteurs locaux. Il y a derrière l'enjeu de la stratégie agricole l'idée d'un portage et d'une volonté politique à affirmer fortement.

Agir sur le foncier agricole nécessite aussi des outils de connaissances et de pilotage ainsi que de l'ingénierie qui de l'avis général font encore largement défaut.

Dans son rapport produit en 2022, le CIRAD regrettait par exemple que « la bibliographie existant sur le secteur agricole martiniquais est éparse (provenant de différentes sources d'information : Direction de l'alimentation de l'agriculture et des forêts (DAAF), ODEADOM, chambre d'agriculture), insuffisamment précise (elle est incomplète et non suivie dans le temps pour les données de structure des exploitations : âge des chefs d'exploitation, taille des unités de production, rendements etc.), datée (les données disponibles sur la structure et l'économie agricoles sont pour la plupart issues du recensement agricole de 2010), en cours d'évolution (cartographie CLD).

Ce caractère partiel et lacunaire des données rend difficile leur utilisation pour anticiper de manière fine les évolutions à venir même si une évolution à la baisse de l'activité agricole semble globalement se confirmer : déprise agricole expliquée par la baisse continue du nombre d'exploitations, de la SAU (dans un contexte de pression foncière) et le vieillissement accéléré des chefs d'exploitation qui se renouvellent peu et sont de plus en plus âgés ».

À cet égard, il faut se féliciter que l'objectif d'autosuffisance alimentaire et de transformation agricole ait permis de multiplier les études ces dernières années, tant au plan national (CIRAD, INRAE, AFD...) que sur les territoires.

Un temps menacé, l'ODEADOM constitue aujourd'hui un acteur clé de cette politique. Son Observatoire de l'économie agricole d'outre-mer a pour vocation de rassembler l'ensemble des données économiques, financières et structurelles, se rapportant aux agricultures des départements d'outre-mer. Les taux de couverture sont accessibles en ligne sur son site et le ministre a indiqué que les cibles seront publiées sur l'outil « pilote » de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) qui coordonne les politiques prioritaires du Gouvernement.

2. Mobiliser l'arsenal juridique disponible
a) Optimiser les outils de planification

L'ampleur de l'enjeu conduit à envisager une forme de sanctuarisation des terres concernées. Certains interlocuteurs évoquent l'idée « d'un bien commun à préserver » (Chambre d'agriculture de Martinique) ou encore d'une vocation agricole à inscrire dans les titres de propriété, à l'instar « des obligations réelles environnementales » (M. Philippe Schmit, expert auprès d'Interco' Outre-mer).

Des obligations réelles environnementales (ORE)
aux obligations réelles agricoles (ORA)

Instituées par la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, les obligations réelles environnementales (ORE) participent à la protection des espaces naturels et la préservation de la biodiversité. Les ORE, conclues sous forme de contrat, créent, sur un terrain ciblé, des obligations de faire en vue de créer un habitat ou un milieu ou de le faire évoluer vers un état écologique plus favorable. Les ORE peuvent également porter sur des obligations de ne pas faire, comme le fait de s'astreindre à une inconstructibilité d'un terrain afin de conserver un milieu écologique sain.

Elles peuvent être conclues pour une longue durée, jusqu'à 99 ans. Surtout ces obligations perdurent indépendamment des éventuels changements de propriétaire. Les ORE sont attachées au fond pas au possesseur.

S'inspirant d'outils existant dans certains pays, à l'instar de la Suisse où l'on trouve la « servitude écologique » ou encore du Canada qui a consacré les « servitudes de conservation », le législateur a conçu les ORE comme une faculté pour les propriétaires fonciers, ces derniers ne pouvant en aucun cas être contraints à y recourir.

Par ailleurs, le contrat d'ORE est venu compléter un dispositif de mesures de maîtrise foncière existant déjà bien étoffé, bien que ce contrat, à l'inverse d'autres outils de maîtrise foncière, vise exclusivement la valorisation du patrimoine environnemental.

Lors de l'audition des responsables d'Interco' Outre-mer, l'idée de transposer cette protection juridique au foncier agricole a été évoquée. Cette piste mériterait d'être creusée.

Source : https://www.actu-juridique.fr/

Sans « révolutionner » le droit de propriété, il paraît déjà indispensable que les différents instruments de la planification foncière convergent vers l'objectif de préservation du foncier agricole.

Le rapport précité du CIRAD préconisait un travail de fond, à mener avec les collectivités territoriales, pour rendre les différents instruments de planification territoriale (schéma de cohérence territoriale, projet d'aménagement et de développement durable, plans locaux d'urbanisme...) complémentaires pour stopper l'artificialisation des sols.

Il existe en effet plusieurs niveaux de planification possibles au niveau régional, intercommunal, communal.

Au niveau régional, le schéma d'aménagement régional (SAR) semble l'instrument idoine car il définit la destination générale des différentes parties du territoire, laquelle fait l'objet d'une cartographie précise. Il pose cependant la question de la place réservée aux terres agricoles et de son articulation avec les schémas de cohérence territoriale (ScoT). Les SCoT sont un élément important, souvent cités16(*) car ils requièrent une projection dans le temps long et appréhendent le niveau intercommunal. Le SCoT est chargé d'intégrer les différents documents de planification supérieurs (schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), schéma régional de cohérence écologique (SRCE), schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET).

En tout état de cause, malgré sa lourdeur, la procédure de révision des SAR, actuellement en cours, en application de la loi Climat résilience est une opportunité à saisir absolument pour obtenir un engagement des différents partenaires en faveur de la préservation des terres agricoles et favoriser la reprise de surfaces à usage agricole.

De même, les plans locaux d'urbanisme (PLU) qui constituent la base de la protection du foncier agricole, comme l'a rappelé M. Serge Hoareau, vice-président du conseil départemental de La Réunion, doivent permettre une meilleure limitation des terrains constructibles.

Il faut noter toutefois que toutes les communes ultramarines ne sont pas dotées d'un PLU. À titre d'exemple en Martinique, sur les 34 communes, seules 28 en disposaient en 202217(*).

La mise en place de zones agricoles protégées (ZAP), outils pouvant être activés à des échelles de proximité comme les communes, est essentielle mais, il serait utile d'avoir un recensement des ZAP en outre-mer pour identifier les zones de protection existantes et mesurer le degré de protection à renforcer.

On sait par exemple, que certains outils, comme les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN), sont trop peu développés. Depuis la loi du 23 février 2005 sur le développement des territoires ruraux, les communes peuvent faire la demande d'un PEAN pour préserver les espaces périurbains non bâtis. Cette loi confie aux départements la définition de ces périmètres en accord avec les collectivités et les partenaires.

Chaque commune peut faire une demande de PEAN pour protéger un espace délimité, non urbain. Cette demande est envoyée au conseil départemental et le cas échéant à la communauté d'agglomération qui après accord sur la demande lance une enquête publique de faisabilité. Le PEAN est validé par l'État et la chambre d'agriculture.

À La Réunion, par exemple, la commune de Petite Île est la seule à avoir mis en place un PEAN. Comme l'a précisé M. Ariste Lauret18(*), directeur général délégué de la Safer : « Le PEAN de la commune de Petite-Île a été mentionné. Nous pensons que toutes les communes de l'île devraient suivre cette orientation pour protéger leurs meilleures terres, particulièrement celles qui ont bénéficié ou doivent bénéficier de l'irrigation (le périmètre MEREN, la zone des Hauts...) ».

M. Serge Hoareau, vice-président du conseil départemental, se veut optimiste pour La Réunion : « Six communes sont entrées dans cette démarche, qui consiste à délimiter des espaces dont les maires et le département souhaitent marquer le caractère agricole. Le PEAN n'a pas de caractère réglementaire. Il s'inscrit toutefois dans un plan d'action national défini par décret. Cela lui confère du poids. Je remercie le vice- président M. Bruno Robert d'avoir mis en avant cet outil. Effectivement, j'ai été le premier maire à mettre en oeuvre la démarche. Je peux regretter que la chambre d'agriculture ait émis un avis réservé sur ce premier PEAN, mais je constate que la situation évolue positivement. À mon sens, il s'agit du meilleur outil pour préserver et valoriser les espaces agricoles de La Réunion ».

L'attention a été appelée sur les difficultés croissantes à concilier les différents objectifs des documents d'urbanisme. Ainsi par exemple les SAR qui sont en cours de révision devraient reprendre les préconisations du schéma régional du patrimoine naturel et de la biodiversité (SRPNB) et l'État doit veiller à leur déclinaison dans les PLU et SCoT. Mais cet instrument tend à favoriser les espaces boisés classés.

De même, l'amélioration de la connaissance sur les risques naturels et la définition plus précise du zonage correspondant peut réduire la SAU. M. Ariste Lauret, directeur général délégué de la Safer, a indiqué19(*) que « les travaux d'amélioration foncière ont été limités dans certaines zones depuis l'instauration des plans de prévention des risques (PPR). Des zones de déprise se sont ainsi mises en place ». Constat partagé par le président de la Safer : « la prochaine mise en oeuvre de l'arrêté préfectoral sur les zones de non traitement (ZNT) risque fort d'accentuer les friches et de diminuer encore la SAU ».

Les difficultés de la lutte contre l'artificialisation des terres sont aussi illustrées par le report de l'application de la loi zéro artificialisation nette (ZAN) dans les outre-mer.

La difficile application de la loi ZAN dans les DROM

La loi Climat et résilience du 22 août 2021 a formulé un double objectif : réduire de moitié le rythme d'artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente et atteindre d'ici à 2050 une artificialisation nette de 0 % (ZAN), c'est-à-dire au moins autant de surfaces « renaturées » que de surfaces artificialisées.

Pour obtenir un meilleur partage de l'effort de réduction de l'artificialisation entre l'État et les territoires, une proposition de loi sénatoriale visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » a été adoptée par le Sénat en mars 2023 et est en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Son article 10 vise explicitement les outre-mer.

Il prévoit que dans un délai de douze mois après son adoption, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport relatif à l'impact de l'application aux territoires ultramarins de l'objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050. Ce rapport présentera des éléments chiffrés d'appréciation de cet impact, ainsi que des propositions visant à améliorer la prise en compte des spécificités ultramarines, notamment en termes de droit de l'urbanisme, d'insularité, de diversité des types d'habitat, de recul du trait de côte, de topographie et de développement économique et touristique.

Dans ces territoires, l'objectif « ZAN » suscite en effet de fortes inquiétudes et nécessitera un accompagnement particulier des services de l'État.

La mise en oeuvre de la stratégie de sobriété foncière dans les territoires ultramarins soulève des questions spécifiques, notamment en ce qui concerne les données nécessaires pour apprécier les consommations d'espaces au cours de la décennie précédant la promulgation de la loi Climat résilience : certaines données sont inexistantes ou incomplètes, par exemple celles issues des fichiers fonciers qui ne permettent pas d'appréhender correctement la consommation d'espace dûe à l'habitat informel. Il est par conséquent compliqué, pour les collectivités ultramarines, de déterminer correctement les efforts à fournir, faute de connaître la trajectoire passée.

Conscient de ces spécificités, le législateur a déjà introduit un principe d'adaptation au bénéfice des territoires ultramarins puisqu'aux termes de l'article 194 de la loi Climat résilience, les schémas d'aménagement régionaux (SAR) doivent fixer une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette des sols ainsi que, par tranche de dix années, un objectif de réduction du rythme de l'artificialisation.

Néanmoins, à la différence des schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET), la loi n'impose pas aux SAR de fixer un objectif intermédiaire de réduction d'au moins 50 % de cette consommation dès 2031. Il revient donc aux collectivités de définir leurs cibles d'artificialisation, en fonction de leurs contraintes.

La phase de révision des schémas d'aménagement régionaux, actuellement en cours selon le ministre des outre-mer, sera l'occasion pour les exécutifs régionaux d'opérer la déclinaison territoriale et de définir les objectifs de réduction de l'artificialisation territoire par territoire.

Cette procédure permet de donner du temps aux responsables locaux paraît raisonnable car ce texte aurait pu provoquer un blocage général des stratégies en cours d'élaboration des collectivités concernées, comme l'ont indiqué les autorités de la Martinique aux rapporteurs.

Source : rapport du Sénat sur la PPL- ZAN

Surtout, pour être efficaces, les règles d'urbanisme doivent être non seulement renforcées mais surtout respectées et contrôlées, notamment au niveau des autorisations de construire délivrées par les communes (avec avis de la DAAF pour les zones agricoles).

Or, en se rendant sur place, les rapporteurs ont constaté que les manquements à la police de l'urbanisme sont d'une grande ampleur dans les territoires, phénomène présenté comme parfois un élément de la « culture locale ». Beaucoup de constructions illégales ne font pourtant l'objet d'aucune sanction, ni démolition et il n'est pas rare que les procès-verbaux d'infraction soient laissés sans suite chez le procureur.

Dans un rapport récent (décembre 2022), Interco' Outre-mer a pointé les multiples aspects de ce « désordre foncier » qui pénalise directement le foncier agricole, notamment :

le nombre élevé de constructions sans permis : présent sur tous les territoires, selon des intensités variables, ce phénomène difficile à mesurer fait l'objet d'estimations élevées aux Antilles (de l'ordre de 30 à 40 % selon les communes), en Guyane et à Mayotte (de 50 à 90 % selon les territoires). La construction sans autorisation apparaît notamment encouragée par l'importance de l'auto-construction ; la complexité des autorisations en elles-mêmes (disproportion entre l'exigence des pièces et plans fournis au regard de la simplicité de la construction envisagée) ; la méconnaissance par la population des documents d'urbanisme ; les fréquentes absences de suite donnée aux procès-verbaux d'infraction...

la multiplication d'occupations illégales : autre fléau, souvent dénoncé, elle est particulièrement forte sur les territoires soumis à une immigration clandestine massive. L'occupation illicite concerne aussi bien les terrains publics que privés. La sénatrice de la Guyane Mme Marie-Laure Phinéra-Horth a plusieurs fois indiqué que les installations illégales n'ont cessé de prendre de l'ampleur sous la pression migratoire et que les agriculteurs en souffraient...

Lors des auditions, La Réunion a souvent été donnée en modèle pour être parvenue à stabiliser sa SAU, avec la récupération d'une partie des terres en friche, sur la période 1988-2010 (les surfaces en friche et les landes ont régressé de près de 9 500 hectares). Or, comme l'ont montré les échanges, ce résultat a été obtenu par une politique volontariste des communes et des collectivités territoriales pour lutter contre l'étalement urbain et pour densifier les habitations20(*).

Proposition n° 1 : Sanctuariser le foncier agricole dans les outils de planification, notamment dans les schémas d'aménagement régional (SAR), et par le développement des périmètres de protection des espaces agricoles et naturels (PEAN).

b) La CDPENAF : la polémique permanente est-elle justifiée ?

Face aux menaces, les commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) jouent un rôle-clé.

Les CDPENAF ont été instaurées par la loi d'avenir sur l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014. Cette loi a défini ses champs d'intervention : contribution à la limitation de la consommation des espaces NAF et à leur préservation ; inventaire des friches d'un territoire ; définition des potentialités de reconversion en terres agricoles et forestières ; instauration du principe de compensation agricole.

La CDPENAF intervient à deux niveaux :

- elle statue sur les dossiers individuels des porteurs de projets ;

- elle se prononce sur les documents d'urbanisme, notamment ceux présentés par les maires.

En pratique, la CDPENAF émet un avis dans un grand nombre de procédures : document d'aménagement ou d'urbanisme (si déclassement de terres agricoles) ; projet d'opération d'aménagement et d'urbanisme dans les communes disposant d'un document d'urbanisme (si réduction des surfaces naturelles, agricoles et forestières) ; projet d'opération d'aménagement et d'urbanisme dans les communes soumises au RNU (si réduction des espaces non encore urbanisés) ; projet d'élaboration, de modification ou de révision d'un document d'urbanisme entraînant le déclassement d'espaces NAF...

Pour ce faire, la CDPENAF réunit sous la présidence du préfet les représentants des administrations (DAAF, DEAL), des collectivités (collectivité territoriale, maire), des professionnels (chambre d'agriculture, Safer, propriétaires agricoles), des associations et avec voix consultative, l'ONF.

En 2021, les CDPENAF ont rendu 1 100 avis sur des autorisations d'urbanisme, répartis entre avis favorable et défavorable, et 85 % d'avis favorables (dont 57 % avec réserves) sur les documents d'urbanisme.21(*)

Elles font l'objet d'une double critique, à la fois sur la composition et sur la portée de l'avis qu'elles délivrent.

Sur leur composition :

Pour certains, cette composition devrait être modifiée pour que la commission soit réellement l'expression d'une réflexion partagée et pour éviter que la commission soit considérée comme la courroie de transmission des avis de l'État.

Interco' Outre-mer notamment propose d'élargir la composition à d'autres instances (EPCI, CDAC et CDNPS22(*)). Ainsi, la composition de la CDPENAF pourrait être modulable par exemple, pour y faire siéger des représentants des EPCI dont les stratégies en matière d'aménagement et de développement sont au premier rang des compétences et responsabilités. L'élargissement conduirait à modifier les missions de la CDPENAF, en unifiant cette commission avec d'autres instances existantes (CDNPS + CDPENAF + CDAC), afin d'en faire une Conférence territoriale de l'aménagement.

Mais, pour les partisans du statu quo, la composition de ces instances est le résultat d'un équilibre complexe et fragile, qu'il n'y a pas lieu de modifier. Elle réunit déjà les principaux représentants du monde agricole. Le changement de composition, pour y faire entrer d'autres partenaires n'irait pas forcément dans le sens des intérêts agricoles.

Sur l'avis conforme :

L'avis conforme sur les décisions d'urbanisme est très controversé.

Pour beaucoup d'acteurs23(*), c'est un facteur déterminant de la lutte contre l'artificialisation et du maintien de la destination agricole des terres24(*). Pour les partisans du maintien de l'avis conforme, la pression foncière reste plus importante dans les territoires insulaires, le maintien de cette disposition reste donc impératif contre l'artificialisation des sols. Il permet aussi de soulager les maires d'une partie de la pression exercée par les propriétaires pour déclasser leurs terrains.

Pour d'autres et notamment les maires, l'exigence d'un avis conforme de la CDPENAF est jugé anormale, déresponsabilisant, alors qu'un avis simple suffit dans l'Hexagone. L'avis conforme est perçu comme une mise sous tutelle. N'ouvrant droit à aucun recours, l'avis conforme tendant à figer et à fermer les positions.

Comme l'a indiqué la sénatrice de La Réunion, Mme Viviane Malet : « Les maires instruisent les dossiers, mais la décision leur échappe, il faudrait un débat en amont, et de la cohérence dans l'aménagement, ou bien on se retrouve avec des tracteurs sur une quatre-voies parce que les agriculteurs habitent loin de leurs champs, mais qu'on leur a refusé de construire un bâtiment agricole... ».

Les positions ne sont néanmoins pas figées. À La Réunion par exemple, M. Serge Hoareau a indiqué que depuis quelques mois, à trois reprises au moins, la chambre d'agriculture a réaffirmé, par la voix de son président, qu'elle était favorable au maintien de l'avis conforme de la CDPENAF. Il a ajouté qu'en revanche, « les maires demandent une révision de la composition et de la doctrine de la CDPENAF. Il importe en effet d'éviter une mainmise de la chambre d'agriculture et de préserver l'indépendance des agriculteurs dans le dépôt des demandes de permis de construction en zone agricole. À défaut, les maires demanderont à l'État, c'est à dire à la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF), d'instruire et de délivrer les autorisations d'urbanisme en zone agricole. Du fait de l'avis conforme de la CDPENAF, les maires n'ont en effet plus de légitimité à se prononcer sur le dépôt d'un permis en zone agricole ».

Interco' Outre-mer propose pour sa part une solution audacieuse : laisser chaque territoire ultramarin juger de l'opportunité de faire ou non évoluer la portée de l'avis. Chaque outre-mer devrait pouvoir choisir entre : nuancer l'avis, l'accorder sous réserve, revenir à un avis simple avec recours possible ou conserver l'avis conforme.

Lors de son audition le 20 juin, le ministre Marc Fesneau a admis la haute sensibilité du sujet : « Lors de notre déplacement à La Réunion, j'ai perçu la sensibilité de ce sujet. Je suis pour ma part plutôt favorable à l'avis conforme, parce que c'est un outil de régulation lorsqu'il y a une forte pression, ce qui est le cas à La Réunion - je prends exemple sur ce que nous avons fait pour l'agrivoltaïsme. Cependant, l'avis ne saurait venir sans instruction, il faut une présentation argumentée du projet, il faut du dialogue, tout le monde en a besoin et c'est, je le crois, la meilleure façon d'avancer. »

Mais il a estimé que « La CDPENAF ne peut pas être le seul lieu où l'on discute de la préservation du foncier. La planification me paraît le meilleur moyen de dépassionner le débat, de rassurer les uns et les autres sur l'action conduite... J'en suis d'autant plus convaincu que, comme ministre de l'agriculture, je me trouve au coeur de planifications nombreuses touchant des sujets majeurs comme l'eau, la forêt, la biomasse, l'énergie... et qu'il faut articuler. J'ai été récemment frappé, lors d'une séance de restitution, de voir combien les acteurs étaient en demande d'une approche globale, qui articule les différents sujets. Tous ces leviers sont liés, de la biomasse au carbone, et vous avez raison : la stratégie permet de dépassionner le débat et de mettre en perspective ».

A minima, il est proposé de systématiser le principe de pré-CDPENAF, déjà pratiqué dans certains territoires comme la Martinique, pour encourager le dialogue en amont et peut dépasser le côté « tribunal » de la CDPENAF, en particulier pour les documents d'urbanisme qui supposent un fort investissement de la part des élus et qui vivent mal le côté abrupt d'un avis négatif. Il est avéré que sur certaines demandes notamment de déclassement sur des surfaces parfois importantes, les échanges préalables permettent souvent de les réduire.

Proposition n° 2 : Maintenir l'avis conforme des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers mais en instituant une phase obligatoire (pré-CDPENAF) de concertation, pour éviter les décisions couperets.


* 1 Entre 2015 et 2017, elle a produit trois rapports dont M. Thani Mohamed Soilihi a été le rapporteur coordonnateur : https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations.

* 2 Recensement agricole 2020 dans les DROM : premiers enseignements complétés par les données Agreste de 2022 - ODEADOM, janvier 2022.

* 3 Table ronde sur la situation de la Guadeloupe, le 1er juin 2023.

* 4 Audition de M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, le 6 avril 2023.

* 5 « L'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du Covid-19 », rapport d'information n° 620 (2019-2020) du 9 juillet 2020 fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, par M. Stéphane Artano, Mmes Viviane Artigalas et Nassimah Dindar.

* 6 Audition de M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, le 6 avril 2023.

* 7  https://www.cirad.fr/espace-presse/communiques-de-presse/2022/autosuffisance-alimentaire-outre-mer.

* 8 Agreste-Graph'agri2022.

* 9 « Conflits d'usage en outre-mer - un foncier disponible rare et sous tension », rapport d'information n° 616 (2016-2017) du 6 juillet 2017 fait nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, par M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur coordonnateur, MM. Daniel Gremillet et Antoine Karam, rapporteurs.

* 10 Plan pluriannuel d'activités 2022-2028.

* 11 Table ronde Guadeloupe, le 1er juin 2023.

* 12 Audition de M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, le 6 avril 2023.

* 13 Rapport d'information n° 1510 (2022- 2013) de Chantal Berthelot et Hervé Gaymard fait au nom de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale.

* 14 Voir « La couverture des besoins alimentaires dans les DROM », Observatoire des économies agricoles ultramarines, le 1er mars 2021.

* 15 « L'enjeu du foncier en outre-mer », Interco' Outre-mer, décembre 2022.

* 16 Audition de la FNSafer, le 2 mars 2023.

* 17 Source Safer Martinique.

* 18 Table ronde La Réunion.

* 19 Table ronde La Réunion, le 1er juin 2023.

* 20 Table ronde La Réunion, le 1er juin 2023.

* 21 Réponses au questionnaire Ministères.

* 22 EPCI : Établissement public de coopération intercommunale, CDAC : Commission départementale d'aménagement commercial et CDNPS : Commission Départementale Nature Paysages Sites.

* 23 Les services centraux des ministères notamment

* 24 Audition des ministères, le 8 juin 2023.