D. FACILITER LA TRANSMISSION DES COMPÉTENCES AU SEIN DE L'ENTREPRISE

Dans bien des cas, l'entreprise est le lieu où la formation peut-être la plus efficace, grâce au contact entre salariés plus expérimentés et nouveaux arrivants, et grâce à l'expérience concrète des gestes et des tâches quotidiens.

Pourtant, les dynamiques démographiques et les difficultés de recrutement peuvent mettre en péril la transmission des compétences au sein de l'entreprise. Dans l'industrie, par exemple, environ 30 % des salariés avaient plus de 50 ans en 2012, et sont aujourd'hui proches de la retraite ; contre environ 18 % de moins de trente ans.

La transmission des compétences au sein de l'entreprise est un levier puissant pour assurer la pérennité de l'activité et des savoir-faire, comme le relève par exemple le METI : il « participe entre autres de la transmission intergénérationnelle qui importe tout particulièrement aux ETI, entreprises de long-terme, souvent détentrices de savoirs très spécifiques qui conditionnent la robustesse de leur positionnement sur le marché »214(*). Le Conseil national de l'industrie a également pris note de cet enjeu primordial, indiquant qu'un « groupe de travail sur cette question a été créée au sein du CNI afin de proposer des mesures pour aider les entreprises de l'industrie à maintenir en emploi et à recruter des salariés expérimentés ». Parmi les trois grandes mesures priorisées par le groupe de travail figure « la valorisation de l'expérience professionnelle des seniors en favorisant la transmission des savoirs »215(*).

Pourtant, peu de dispositifs existent pour valoriser et favoriser explicitement cette transmission au sein de l'entreprise.

Avec l'allongement prévu des carrières consécutif à la réforme des retraites opérée par la loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour 2023, de nombreux seniors peuvent chercher à réinventer leur rôle au sein de l'entreprise, par exemple si leur santé ne leur permet plus d'assurer leurs missions antérieures.

Les rapporteurs appellent donc à approfondir la réflexion sur les modes de transmission de compétences qui existent au sein de l'entreprise. À ce titre, les dispositifs mis en place par certains établissements de « tutorat » ou de « mentorat » paraissent intéressants.

Une proposition du METI : le « contrat de mentorat »

Le METI a par exemple de créer des « contrats de mentorat », visant à faire travailler un jeune possédant des compétences nouvelles avec un senior expérimenté au sein de l'entreprise et déjà formé aux postes existants.

Ces contrats pourraient bénéficier d'une modulation à la baisse de la contribution à la formation professionnelle ou des cotisations sociales, voire d'une réduction du temps de travail du salarié senior, afin de prendre en compte leur intérêt en termes de formation et d'être plus incitatif vis-à-vis des salariés déjà en emploi dans l'entreprise.

Source : Réponses du METI au questionnaire de la délégation

L'opportunité de mettre en place des dispositifs incitatifs à de tels modes de transmission pourrait être évaluée. On pourrait par exemple envisager d'octroyer une « aide aux salariés formateurs », pour les salariés acceptant de conduire des missions de formation ou de mentorat au sein de leur entreprise et à destination des collègues moins expérimentés. De même, la « formation à la formation » pourrait être développée, car la transmission des compétences, elle-même, s'apprend.

De manière générale, l'ensemble des personnes entendues par les rapporteurs, représentants des entreprises comme de leurs salariés, s'est déclaré favorable à encourager la transmission des compétences au sein de l'entreprise. L'Université des métiers du nucléaire a ainsi insisté sur la nécessité de « dédier du temps à la montée en compétence », d'« organisation la capitalisation et la transmission des connaissances, grâce à des outils et à des méthodologies de transfert », de « promouvoir et valoriser le mentorat et le tutorat pour accompagner et compagnonner les nouveaux arrivants », ou encore d'« encourager les salariés à enseigner, s'engager dans la formation, leur allouer du temps et valoriser cet engagement, car en plus d'être compétents, ils sont passionnés ».216(*) La CFE-CGC, sollicitée par les rapporteurs, a indiqué que « le tutorat, pourtant essentiel dans le cadre de l'alternance, est globalement peu reconnu ni valorisé en entreprise et il est encore plus rarement rémunéré, ce qui n'est pas du tout incitatif, ni très cohérent au regard des ambitions affichées par les pouvoirs publics » 217(*), tandis que la CGT, s'est déclarée « très favorable à l'accueil des nouveaux salariés au sein d'une entreprise par des salariés plus expérimentés. Cela doit se faire obligatoirement avec leur accord, qu'ils aient un allègement de la charge de travail, qu'ils soient formés et que cet accompagnement soit valorisé et reconnu au niveau de leur classification et de leur rémunération »218(*).

Recommandation n° 30 :

Faciliter la transmission des compétences au sein de l'entreprise en :

 mettant en place des incitations pour les « salariés formateurs » ou les salariés acceptant des missions de mentorat au sein de l'entreprise ;

 « formant les formateurs », pour permettre aux salariés qui le souhaitent de prendre une plus grande part à la transmission des compétences au sein de l'entreprise.

Enfin, la loi « Avenir professionnel » a récemment donné une base légale à l'AFEST, ou « actions de formation en situation de travail ». Il s'agit d'une modalité de formation permettant à la personne de se former directement sur les machines ou dans les circonstances habituelles du poste, dans l'entreprise accueillante.

L'AFEST présente l'avantage de répondre ainsi à des besoins de formation très spécifiques, mais aussi de développer le volet « concret » de la formation, parfois perçue comme trop « scolaire » ou « hors sol » par les entreprises rencontrées par les rapporteurs ou les candidats eux-mêmes. Selon le CEREQ, « les modalités de formation restent encore dominées par la forme stage/cours, malgré les innovations introduites par la loi Avenir professionnel »219(*).

À titre d'exemple, l'OPCO Akto a accompagné en 2021 et 2022 une quinzaine de TPE-PME de région Ile-de-France, actives dans les secteurs de la restauration, du traitement des déchets entre autres - dans le déploiement d'AFEST. Des formations de soudeurs ont aussi été lancées en Nouvelle-Aquitaine, avec le soutien de Pôle emploi. L'OPCO EP accompagne également quatre branches professionnelles pour développer le recours à l'AFEST dans les entreprises (miroiterie, automobile, imprimerie...), tandis que 21 branches de son périmètre ont défini des modalités de financement de l'AFEST par les plans de développement des compétences220(*).

De tels dispositifs sont déjà fréquemment utilisés dans d'autres pays européens, mais restent peu développés en France. Centre Inffo estime par exemple que l'on se situe « encore dans une période d'expérimentation et d'exploration » de l'AFEST, « tant du côté des entreprises que des financeurs ». Là encore, la complexité du dispositif est souvent citée comme obstacle à sa mise en oeuvre, notamment dans les petites entreprises ne disposant pas de ressources dédiées ; et l'accompagnement est clé. Des référents pourraient être mis en place au niveau des branches ou des fédérations, pour accompagner son développement lorsque cela est pertinent et former des interlocuteurs dédiés au sein des entreprises intéressées.


* 214 Réponses du METI au questionnaire de la délégation.

* 215 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation.

* 216 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 217 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 218 Réponses de la CGT au questionnaire de la délégation.

* 219 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 220 Réponses de l'OPCO EP au questionnaire de la délégation.

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