CHAPITRE III :

LE RENSEIGNEMENT, COEUR BATTANT DE LA RIPOSTE DÉMOCRATIQUE AUX INGÉRENCES ÉTRANGÈRES

Le sujet de la lutte contre les ingérences étrangères a été le fil conducteur des travaux de la Délégation parlementaire au renseignement au cours de l'année écoulée. On a longtemps pensé que des conflits millénaires seraient solubles dans l'économie de marché. Or la réponse est négative et le réveil brutal pour nos démocraties occidentales, particulièrement vulnérables dans la confrontation globale qui s'opère sous nos yeux.

Les ingérences étrangères, parce qu'elles représentent une menace protéiforme, omniprésente et durable ouvrent un nouveau cycle du renseignement, coeur battant de notre riposte démocratique.

I. LES INGÉRENCES ÉTRANGÈRES EN FRANCE : UNE MENACE PROTÉIFORME, OMNIPRÉSENTE ET QUI S'INSCRIT DANS LA DURÉE

La France est une grande puissance politique, militaire, économique, scientifique, culturelle. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'elle fasse l'objet d'agressions protéiformes émanant de l'étranger, visant à infléchir ses positions, à saper sa cohésion nationale, à connaître ses intentions ou encore à voler ses savoir-faire. Ces puissances étrangères profitent également d'une forme de naïveté et de déni qui a longtemps prévalu en Europe, même si le retour de la guerre sur notre continent a permis une prise de conscience collective sur la nécessité de protéger notre souveraineté, dans toutes ses dimensions.

A. LES INGÉRENCES ÉTRANGÈRES, RÉVÉLATRICES D'UN CHANGEMENT D'ÉPOQUE

1. Un terreau favorable aux ingérences étrangères

Démêler le vrai du faux entre l'influence et l'ingérence n'est pas toujours chose facile tant la frontière peut se révéler ténue. Si l'influence d'un État relève d'une stratégie au long cours - un soft power revendiqué et motivé par un désir de rayonnement - l'ingérence renvoie à une action dissimulée et malveillante. Commanditée depuis l'étranger, elle vise à porter atteinte, autrement que par la confrontation militaire, aux intérêts fondamentaux d'un pays et à sa souveraineté dans toutes ses dimensions politique, juridique, militaire, économique et technologique.

Bien que leurs finalités ne soient pas comparables, il existe néanmoins des porosités entre influence et ingérence, une zone grise voire un continuum en ce sens que l'influence peut aussi préparer le terrain à des actions d'ingérence.

Le sujet des ingérences étrangères a toujours existé mais il prend une ampleur nouvelle ces dernières années pour au moins trois raisons :

D'abord, un changement radical de contexte géopolitique. Nous sommes brutalement passés d'un monde de compétition à un monde de confrontation entre d'un côté des régimes autoritaires et de l'autre des démocraties occidentales dont le leadership est contesté et que l'on veut faire passer en perte de vitesse. Ce clivage entre l'occident et le reste du monde s'impose comme le marqueur dominant de la période actuelle.

Ensuite, la révolution numérique et technologique. En quelques années, le cyberespace est devenu un champ privilégié de confrontation et de compétition stratégique entre les États. La Russie et la Chine, notamment, associent leur politique d'influence à une capacité d'espionnage et d'ingérence ainsi qu'à une maîtrise de l'outil numérique. Les menaces hybrides créent de l'ambiguïté dans un contexte géopolitique où les limites entre guerre et paix sont de plus en plus floues, donnant lieu à une zone grise où s'entremêlent les notions de compétition, contestation et d'affrontement.

Enfin, un enchevêtrement des phénomènes entre ce qui relève des affaires intérieures et extérieures, de structures publiques et privées mais aussi de logiques locales et globales. On observe une diversité croissante d'acteurs - étatiques ou non -, de modes opératoires et d'effets produits qui provoquent une grande confusion sémantique et compliquent la compréhension des phénomènes et la réponse à y apporter.

Le niveau de menaces d'ingérences étrangères se situe ainsi à un stade élevé, dans un contexte international tendu et décomplexé. Il résulte de la conjonction de tous ces facteurs, une intensification manifeste des ingérences étrangères, traduisant une forme d'hybridité que le Président de la République Emmanuel Macron évoquait en ces termes le 20 janvier 2023 lors de ses voeux aux armées : « Ce qui caractérise les nouveaux conflits de notre siècle est sans doute le brouillage entre une conflictualité ouverte, explicite, et une malveillance répétée, systémique, pernicieuse. La guerre ne se déclare plus, elle se mène à bas bruit, insidieusement, elle est hybride. »

2. Les formes multiples d'ingérences étrangères

Les ingérences étrangères s'opèrent de façon de plus en plus décomplexée et concernent tous les secteurs d'activité, de la vie démocratique à la vie économique, du monde de la recherche aux espaces numériques. Elles prennent des formes multiples : opérations de désinformation, cyberattaques, espionnage, opportunités juridiques liées à l'extraterritorialité, corruption, trahison, etc.

On peut répertorier les différentes formes d'ingérences dans trois catégories : classiques, modernes et hybrides.

a. Les formes classiques

Traditionnellement, les ingérences prennent la forme d'actions clandestines menées sur le territoire national par des puissances étrangères, par l'intermédiaire de leurs services de renseignement extérieur. Elles relèvent de l'espionnage et visent principalement à la captation d'informations stratégiques ou sensibles.

Au titre de ces formes classiques, on peut mentionner les manoeuvres d'approche des élites politiques et administratives. Le Qatargate qui a frappé en plein coeur le Parlement européen à la fin de l'année 2022, a mis au grand jour un scandale de corruption de plusieurs députés européens, inédit par son ampleur et impliquant notamment le Maroc et le Qatar. Les élus, de toutes tendances politiques, sont clairement des cibles privilégiées.

L'affaire Pegasus avait elle aussi révélé le possible espionnage de nombreux dirigeants politiques jusqu'au sommet de l'État avec un téléphone portable du Président de la République potentiellement visé par le logiciel espion ainsi que ceux de 14 ministres en exercice.

L'espionnage économique relève également d'une forme traditionnelle d'ingérence. Chaque année, un nombre important d'entreprises et de laboratoires de recherche sont victimes d'actes d'espionnage pouvant entraîner une perte de compétitivité importante et altérer leur image. La Chine est la puissance étrangère de loin la plus active en matière d'espionnage dans les laboratoires de recherche scientifique notamment par des financements proposés à des structures universitaires de taille moyenne qui peuvent souffrir d'un manque de moyens et de reconnaissance.

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