B. L'ATTRIBUTION DE SUBVENTIONS POUR CE TYPE D'ACTIONS DOIT ÊTRE ASSORTIE D'INSTRUMENTS DE MESURE ET DE CONDITIONS BEAUCOUP PLUS PRÉCISES QUANT À L'EXÉCUTION DES PROJETS

Le contrôle et le suivi de l'exécution des projets a connu des défaillances, qui ont conduit à ce que des contrôles sur pièce n'aient été engagés, pour les deux principales associations mises en cause, qu'en mars et en mai 2023.

D'une manière générale, même si la procédure inscrite dans le logigramme était formellement respectée, dans la pratique, le contrôle exercé par le SG-CIPDR n'était pas suffisamment régulier et approfondi pour éviter les dérives. Cette situation tient d'abord au manque de personnel au sein du SG-CIPDR.

La chargée de mission qui suivait les dossiers du fonds Marianne en 2021 avait une charge de travail trop importante pour que l'ensemble des projets puissent être étudiés et suivis de manière satisfaisante. Le rapport de l'IGA indique à ce sujet : « lorsque la décision de lancer le fonds Marianne est prise, l'agent concerné dit avoir demandé le renfort d'un autre agent, ce qui lui aurait été refusé, au motif du plan de charges déjà saturé des autres agents du secrétariat général »109(*).

Au départ de la chargée de mission le 31 décembre 2021, ses attributions ont été réparties entre quatre agents, qui exerçaient d'autres fonctions par ailleurs. Cette situation a conduit à un relâchement du contrôle, pour au moins une association.

Enfin, l'absence d'un référent de contrôle interne financier entre février 2021 et septembre 2022 a empêché durant toute cette période de mener des contrôles de deuxième niveau, c'est-à-dire des contrôle sur pièces, ce qui aurait été pourtant opportun pour l'USEPPM et Reconstruire le commun.

L'ensemble de ces éléments plaide pour une consolidation des moyens consacrés au contrôle, notamment financier, du SG-CIPDR. 

Recommandation : consolider les moyens consacrés au contrôle, notamment financier, de la mise en oeuvre des projets soutenus par le FIPDR

Par ailleurs, il est également apparu que pour les deux premières associations soutenues par le fonds Marianne, des cofinancements avaient été avancés par les porteurs de projets, sans que ceux-ci ne se concrétisent ensuite : dans les deux cas, les projets ont finalement été financés uniquement par la subvention du fonds Marianne.

Les conventions d'attribution des subventions au titre du fonds Marianne permettent uniquement, après un premier versement de 75 % de la subvention, de ne pas verser le reliquat lorsqu'ont été engagées moins de 60 % des dépenses totales du projet initial. Cette disposition a notamment permis, au regard de l'absence de réalité des cofinancements annoncés par l'USEPPM, de refuser le versement de 25 % de la subvention. Pour la deuxième association, la subvention au titre du fonds Marianne a suffi à dépasser la barre de 60 % des dépenses du projet initial, de sorte qu'elle a pu bénéficier du reliquat de la subvention.

Il importe donc que l'administration s'assure des démarches réalisées auprès des autres financeurs, par exemple lors du premier versement de la subvention. L'administration pourrait aller jusqu'à demander la preuve de l'engagement de ces co-financeurs avant le premier versement.

On ne peut que déplorer que ce premier versement, qui représente une part substantielle de la subvention, intervienne sans vérification des engagements financiers avancés par les porteurs de projet.

Dans la dernière version du logigramme, datée de 2023, le chargé de mission responsable du suivi des dossiers a pour tâche de réceptionner : « les éléments/indicateurs relatifs à l'appréciation de l'exécution de l'action (qualitatifs et quantitatifs, ainsi que la demande de versement du solde (attestation). Il les instruit en s'assurant d'avoir reçu les pièces préalables au paiement. »

Dans la pratique, et c'est ce qui est sous-entendu dans le logigramme, le bilan qualitatif et quantitatif est demandé pour le versement du solde de 25 % de la subvention, mais n'est pas obligatoire avant. Le logigramme indique ainsi que le chargé de mission « opère un suivi continu de l'action et organise des points d'étape réguliers avec le porteur de projet » sans que des bilans soient explicitement demandés.

Or, un bilan demandé plus tôt, ou de manière plus régulière, aurait permis d'identifier plus rapidement la faiblesse de la production de l'USEPPM, et de prendre dès l'automne 2021 les mesures nécessaires pour y remédier. Il est ainsi préconisé de rendre obligatoire la transmission par l'association d'un bilan quantitatif et qualitatif à partir d'un certain temps après le début du projet, six mois par exemple.

De plus, le contenu de ces bilans quantitatif et qualitatif est assez peu défini. Les premières versions des bilans envoyés par l'USEPPM, par exemple, donnaient des informations prospectives, mais ne permettaient pas de disposer d'une vision claire des réalisations de l'association. Il est donc proposé dans le même temps de déterminer plus précisément ce que doivent contenir les bilans quantitatifs et qualitatifs.

Recommandation : renforcer les obligations de restitutions et de bilan des associations.

Les conventions des associations subventionnées par le fonds Marianne ne prévoient pas d'objectifs quantitatifs. Il est certes difficile de donner des objectifs de résultats chiffrés précis pour des actions menées en ligne, et dont il est, par nature, impossible de garantir le succès. Il ne s'agit donc pas de conditionner le versement du solde à l'atteinte de tel ou tel nombre de vues ou d'abonnés.

Il est toutefois possible de donner des objectifs en termes de moyens. Cela suppose de discuter en amont avec l'association des caractéristiques concrètes des productions (vidéos de telle durée, avec tel niveau de réalisation), mais c'est de toute manière un exercice indispensable pour que la convention attributive donne une représentation exacte du projet de l'association.

En outre, des objectifs quantitatifs en termes de résultats, même indicatifs, sont utiles pour porter une appréciation sur l'action de l'association, en particulier dans la perspective de nouveaux financements : ils peuvent aider à comprendre ce qui a fonctionné, ou non, dans le projet, et permettre d'initier une discussion entre l'association et l'administration sur les manières d'améliorer son action.

Recommandation : préciser, dans les conventions attributives de subventions les objectifs, notamment quantitatifs, des projets.

Si l'interdiction de certains contenus, comme ceux visant des personnalités politiques, peut sembler de « bon sens », les débats qui ont entouré les productions de l'association Reconstruire le commun montrent qu'il est utile de le préciser dans les conventions.

Plus généralement, les projets financés par le fonds Marianne sont des actions spécifiques, de contre-discours sociétal, visant à porter un discours en « riposte » face à des campagnes d'influence séparatistes. Ce sont des actions qui sont par nature sensibles, et peuvent connaître des dérives, ce dont ont témoigné certaines réalisations des porteurs de projets financés par le fonds Marianne.

Il est par conséquent utile, au moins pour les appels à projets qui portent sur des sujets sensibles, d'inscrire dans les conventions les « lignes rouges » à ne pas franchir.

Recommandation : expliciter, dans les conventions attributives de subventions, les contenus qui ne sauraient être produits par les porteurs de projets.

En cas de constat de réalisations par l'association qui ne sont pas conformes à la convention attributive, les moyens d'action du SG-CIPDR sont aujourd'hui limités.

Premièrement, il n'est pas possible d'établir clairement dans quelle mesure des actions non conformes à la convention peuvent faire obstacle au versement du solde de 25 %. Ce manque de sécurité juridique dissuade le SG-CIPDR de refuser le versement du solde, de peur de perdre lors d'un contentieux. La question s'est posée particulièrement dans le cas de Reconstruire le commun, dont l'état des dépenses était supérieur au seuil de 60 %, et dont l'existence des productions ne posait pas de doute, mais dont les contenus suscitaient des critiques quant à leur respect des objectifs du fonds Marianne.

En outre, la possibilité d'action de l'administration est limitée au solde de 25 %. Les trois quarts de la subvention sont versés dès le commencement de l'action, et ne peuvent être récupérés qu'au terme d'une procédure de remboursement, faisant suite à un contrôle sur pièces.

Il serait donc pertinent, selon les cas, de permettre de réduire la proportion du versement initial de la subvention, pour que l'administration ait ensuite davantage de marges de manoeuvre en cas de refus du porteur de projet de se mettre en conformité avec les demandes d'application de la convention attributive.

Recommandation : mieux séquencer le versement des subventions et prévoir un régime de retenue sur les versements en cas de refus du porteur de projet de se mettre en conformité avec les demandes de l'administration visant à appliquer la convention attributive.


* 109 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 28.

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