EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 11 juillet 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Gérard Longuet, rapporteur spécial, sur la formation continue des enseignants.

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent le rapport de M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire », sur la formation continue des enseignants.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Pourquoi parler de formation continue des enseignants à la commission des finances plutôt qu'à la commission de la culture ? Parce que, dans le monde de l'enseignement, déplacer une virgule coûte 50 millions d'euros, un point-virgule 100 millions d'euros, sans parler du point final, tout à fait inaccessible... Cela nous oblige à entrer dans le détail de toutes les formes de dépenses.

En ce qui concerne le personnel, charge principale du ministère de l'éducation nationale, il faut rappeler, d'une part, que nos résultats scolaires ne sont pas satisfaisants au regard des comparaisons internationales et, d'autre part, que les recrutements sont de plus en plus difficiles ; je vous renvoie sur ce point aux travaux sur le niveau de salaire en Europe que je vous ai présentés l'année passée. La formation continue apparaît donc comme une solution pour améliorer la compétitivité, la performance ou, plus prosaïquement, le professionnalisme de nos enseignants.

Actuellement, la formation de ceux-ci se limite pour la plupart à deux années de formation initiale en master, après trois années de licence disciplinaire ; ces deux années ne peuvent constituer le seul support de la compétence professionnelle de nos enseignants.

La formation continue existe, mais elle ne fonctionne pas entièrement. Elle est massive, puisque plus de la moitié des enseignants du secondaire ou du primaire, soit près de 500 000 personnes, suivent, d'une manière ou d'une autre, une formation continue chaque année. Cela peut paraître de prime abord formidable, mais la durée moyenne de formation des enseignants s'élève à 1,2 jour par an, alors qu'elle est de 7,4 jours par an pour les autres fonctionnaires de l'État.

Par ailleurs, le budget dédié à la formation, initiale comme continue, est important - il s'élève à 1 milliard d'euros en loi de finances initiale -, mais il est rarement consommé à plus de 60 %. Ainsi, plus de 600 millions d'euros par an ne sont pas consommés. La sincérité du budget ne paraît donc pas totale... En outre, l'écart entre crédits votés et crédits consommés ne fait qu'augmenter d'année en année, et c'est d'autant plus étonnant que les formations proposées sont de plus en plus fréquemment décidées par le ministère. Surprenant aussi est le coût apparent que constituent les frais de déplacement, qui aurait pu être dissuasif mais qui, au bout du compte, ne représente que 25 millions d'euros, sur ce budget de 1 milliard d'euros.

Le coût principal est celui du remplacement des enseignants formés : la formation continue représente 18 % des absences des enseignants et environ un tiers des absences non remplacées. Cela pose un véritable problème. Or il n'existe pas de vivier d'enseignants pour remplacer ceux qui suivent une formation continue.

Il faut néanmoins distinguer l'enseignement primaire du secondaire. Le primaire prévoit statutairement dix-huit heures de formation professionnelle continue par an ; en général, 60 % de ces heures sont effectuées sur un temps de travail qui n'est pas un temps de présence devant les élèves.

Certes, certains enseignants se censurent par crainte de ne pas être remplacés, mais, de ce point de vue, les propositions du ministère sur la formule dite du « pacte enseignant » constitueraient, si elles étaient appliquées, un progrès : pour une rémunération de 1 250 euros, les adhérents au pacte pourraient effectuer dix-huit heures de remplacement annuelles.

Un deuxième problème concerne plus spécifiquement le contenu des formations : les enseignants considèrent que celles-ci ne sont pas appropriées à leurs besoins. Selon eux, une part trop importante de la formation relève en réalité davantage de l'information sur les priorités politiques du ministère que de leur métier à proprement parler.

Le Gouvernement agit-il ou non pour leur apporter des solutions ? La réponse est nuancée. Les efforts sont réels, mais ne permettent pas de rattraper le retard accumulé, notamment par rapport à nos voisins européens.

Au niveau des rectorats, la formation continue se structure par le biais des écoles académiques de la formation continue, qui doivent constituer des guichets uniques de la formation pour les enseignants. Toutefois, il n'est pas encore établi que ces écoles aient convaincu ces derniers de se mobiliser plus fortement en faveur de la formation continue.

À mes yeux, il y a donc deux idées simples pour comprendre les enjeux qui sont devant nous.

La formation continue permet à l'enseignant, du secondaire ou du primaire, d'échapper à la solitude inhérente à la situation du maître dans sa classe, tradition française qui fait de l'enseignement une profession libérale, dans laquelle chaque enseignant est maître de sa classe et de son enseignement. Au contraire, nous avons une demande de plus en plus forte, de la part des jeunes enseignants en particulier, de travailler en équipes et en réseau.

C'est pourquoi, à côté des écoles académiques placées aux côtés des recteurs, le succès des plans « Mathématiques » et « Français » doit attirer notre attention. Ces plans fonctionnent sur la base de petits groupes formés au niveau d'un établissement. Les enseignants y travaillent ensemble en échangeant sur leur métier, notamment à partir d'observations croisées sur la réalité de l'enseignement de ces deux matières.

Répondre au besoin de confiance en soi-même de l'enseignant est ainsi la première raison de soutenir la formation continue. L'enseignant aura d'autant plus confiance en lui-même qu'il verra, grâce au travail d'équipe, ce que font les autres, ce qui illustre la formule du Président Nicolas Sarkozy : « Quand je m'observe, je m'inquiète ; quand je me compare, je me rassure. »

La deuxième raison de soutenir la formation continue est d'offrir un véritable outil de gestion de ses ressources humaines au ministère de l'Éducation nationale. Premièrement, à ce jour, celui-ci n'est pas en mesure de gérer le patrimoine des formations acquises par ses enseignants ; ainsi, lorsque l'enseignant quitte une académie pour en rejoindre une autre, les informations concernant ses formations ou ses expériences ne l'accompagnent pas. Deuxièmement, les formations acquises, l'expertise consolidée dans telle ou telle discipline, telle ou telle spécialité de public scolaire difficile ne sont pas valorisées pour les choix de carrière. Dans l'Éducation nationale, au contraire, c'est la règle de l'ancienneté - dans les grades et dans les postes - qui prévaut. Troisièmement, il faudrait lier la formation continue aux universités, notamment afin de délivrer une formation diplômante ou certifiante, qui constitue une reconnaissance de leurs qualifications.

Enfin, la formation continue doit être offerte dans le cadre d'une certaine proximité, afin de mieux s'adapter aux besoins locaux. Aujourd'hui, les formations d'initiative locale constituent environ un quart des formations dispensées au niveau national. Il faudrait viser désormais un objectif de 40 %, non pas pour économiser des frais de transport ou d'hébergement, mais pour créer un climat de solidarité, d'échanges, de confiance mutuelle, au travers d'expériences comparées.

En conclusion, je veux souligner que la formation continue, plus que le facteur de l'ancienneté, doit avoir un impact sur la carrière de l'enseignant. À l'occasion d'un effort diffusé de formation continue, nous pourrions renforcer la personnalité des établissements et faire en sorte qu'ils soient reconnus pour la qualité des équipes qu'ils rassemblent et qu'ils mobilisent.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Un travail est-il fait, soit par l'Éducation nationale, soit par un organisme, pour apprécier la part des enseignants qui suivent des formations ? Je suis à peu près certain que ce sont toujours les meilleurs enseignants, qui sont à la recherche de performance et de méthodes nouvelles, qui suivent les formations. Par ailleurs, a-t-on étudié la relation entre les compétences de ces enseignants, toujours en quête de formation, et les résultats de leurs élèves aux différentes épreuves ?

M. Marc Laménie. - Je m'interroge tout d'abord sur le budget de 1 milliard d'euros et sur les crédits non consommés, qui s'élevaient à 650 millions d'euros en 2022. On dit souvent qu'il faudrait davantage de moyens pour l'Éducation nationale ; ces crédits sont-ils affectés à d'autres postes budgétaires ?

Par ailleurs, comment expliquer cette sous-consommation ? Les formations sont-elles dispensées loin du lieu d'exercice de l'enseignant ? Les rectorats et les inspections d'académie font-ils un bon travail de communication ?

M. Stéphane Sautarel. - Je partage le constat sur l'insuffisance du mélange entre les formations de l'Éducation nationale et celles qui sont dispensées par des opérateurs extérieurs. Notre rapporteur a-t-il, sur ce sujet, des préconisations, notamment sur des formations ouvertes sur d'autres environnements ou d'autres pédagogies ?

Par ailleurs, il y a beaucoup d'organismes de formation spécialisés sur telle administration ou telle collectivité, par exemple, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pour les collectivités territoriales. Ainsi, j'aimerais connaître le sentiment de notre rapporteur sur l'équilibre souhaitable entre les formations « métier », qui nécessitent sans doute des organismes spécialisés, et des formations plus ouvertes, qui gagneraient à mélanger les publics, ce qui pourrait favoriser un recrutement plus diversifié.

M. Vincent Delahaye. - Je m'étonne également du volume de crédits non consommés. Compte tenu de l'état de nos finances, ne pourrions-nous pas travailler à un amendement qui nous permettrait de récupérer les 650 millions d'euros non utilisés ? Ou bien cet excédent est-il déjà utilisé par ailleurs ?

En ce qui concerne le contenu des formations, qui ne semble pas adapté aux besoins des enseignants, ne faudrait-il pas le concentrer sur la gestion de groupe, la pédagogie et la discipline, relativement sous-estimés par ailleurs ?

M. Michel Canévet. - Comme Vincent Delahaye, je me demande si la formation initiale des enseignants fournit les outils concernant la discipline de classe. Je ne le pense pas, d'où l'intérêt de la formation continue.

Les actions massives que nous observons dans la formation continue consistent-elles à diffuser les évolutions pédagogiques à l'ensemble du corps professoral ou sont-elles conçues en fonction de chaque discipline concernée, de telle sorte que les enseignants approfondissent leurs connaissances de la matière ?

La répartition des crédits entre l'enseignement privé et l'enseignement public - 10 % pour l'un et 90 % pour l'autre - reflète-t-elle la part des deux enseignements dans le monde de l'éducation?

Au Sénat, la question de l'insertion professionnelle des élèves nous préoccupe. Les difficultés rencontrées dans ce domaine sont liées en partie au fait que les enseignants connaissent mal le tissu économique autour de leur établissement. La formation continue permet-elle aux enseignants de prendre conscience de l'importance de leur environnement économique, particulièrement pour les aider à orienter professionnellement leurs élèves vers des filières qui recrutent ?

M. Claude Raynal, président. - Cher collègue, vous demandez beaucoup à nos enseignants, vous exigez d'eux beaucoup de connaissances...

M. Michel Canévet. - Surtout du bon sens !

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial - Pour ce qui concerne la part des enseignants qui choisissent le contenu de la formation suivie, elle est minoritaire dans le premier degré, sans être négligeable, et nous avons de réelles lacunes en matière de suivi de l'impact de la formation sur les résultats des élèves. Il s'agit d'un axe de progrès. L'Éducation nationale ne connaît pas le patrimoine intellectuel et l'expérience que représentent ses 900 000 enseignants. Ainsi, elle consacre un centième de son budget à la formation continue sans savoir ce qu'il en ressort ; c'est d'ailleurs le cas de bien des entreprises, reconnaissons-le.

Le principal opérateur de formation continue dans l'Éducation nationale est Canopé, au travers des formations en ligne.

Les crédits non consommés sont généralement annulés dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Ainsi, l'argent n'est pas perdu pour l'État, mais il est perdu pour la formation de nos enseignants et donc, au bout du compte, pour la formation de nos jeunes. Dans ces conditions, pourquoi sont-ils inscrits au budget ? Dans la mesure où l'enseignant n'y trouve pas son compte en termes de carrière et où le ministère n'a pas une vision offensive de la mobilisation des talents de ses ressources humaines, les incitations à se former sont parfois faibles. Le climat est par conséquent différent de celui d'une entreprise privée, où la personne ayant suivi une formation cherche ensuite à en tirer un bénéfice, soit matériel, soit en termes de responsabilités.

Les formations les plus attractives sont celles qui sont les plus orientées vers la façon d'enseigner, dans les matières principales - mathématiques, français, langues étrangères. Je rappelle que ce qui rassemble les enseignants, c'est le besoin de partager du temps avec celles et ceux qui rencontrent les mêmes difficultés, sur la matière enseignée en elle-même pour le secondaire et sur la tenue de la classe et l'autorité pour le primaire, en particulier.

Les enseignants sont nombreux à exprimer leur déception concernant le contenu des formations proposées, qui relèvent plus de l'information sur l'administration que sur le métier en lui-même ; on n'y aborde ni la gestion de groupe, ni la sociodynamique, ni les comportements de discipline, comparables à ceux que l'on apprenait dans les cours de caserne pendant le service militaire, quand on voulait devenir caporal-chef, sergent ou maréchal des logis.

Monsieur Canévet, il existe bien des contacts entre les chambres de métiers, les chambres de commerce et les enseignants, notamment pour obtenir des stages pour les élèves, mais, pour répondre clairement sur l'insertion professionnelle, je confirme que ces contacts ne sont pas systématiques et que nous n'avons pas de vision globale sur le sujet.

Le rapport enseignement public-enseignement privé est mathématique et date de 1959 : il est de 80 %-20 %. C'est un système qu'il conviendrait un jour de remettre en cause, car les rentes de situation engendrent des effets pervers qui nuisent aux uns et aux autres. Toutefois, nous n'allons pas aujourd'hui ouvrir cette guerre civile...

Les évolutions pédagogiques disciplinaires, évoquées par M. Canévet, concernent en effet les jeunes qui sont plus souvent penchés sur des écrans que sur des livres. La formation de la génération « Petite poucette », pour reprendre l'expression de l'historien des sciences M. Michel Serres, implique de repenser l'apprentissage de la langue et de la lecture.

Parmi les recommandations contenues dans ce rapport, certaines sont très importantes : distinguer les financements liés à la formation initiale et à la formation continue, mettre fin à la sous-consommation des crédits, valoriser le suivi de la formation au cours de la carrière des enseignants en conditionnant l'accès à certains postes d'enseignement spécifique à la validation de formations et en accélérant l'avancée dans la carrière pour le suivi des formations diplômantes. Cette suggestion pourrait officiellement susciter une levée de boucliers de la part des organisations représentatives du personnel ; officieusement, toutefois, sachez qu'elles n'y sont pas opposées. Ce serait une révolution, que je laisserai à d'autres le soin de mener...

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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