B. FAIRE DE LA FORMATION CONTINUE UN VÉRITABLE OUTIL DE CARRIÈRE POUR LES ENSEIGNANTS

1. Certifier et diplômer : un enjeu de valorisation de la formation continue

Lors de son discours du 26 mai 2021 présentant les conclusions du Grenelle de l'éducation, le ministre de l'Éducation nationale a présenté les douze engagements du ministère. « Faciliter l'accès à une formation continue davantage diplômante » était le dernier de ces engagements.

Cette déclaration allait dans le sens des évolutions législatives introduites par la loi pour une école de la confiance. Ainsi, l'article L. 912-1-2 du code de l'éducation, dans sa rédaction postérieure à 2019, prévoit que la formation continue « peut donner lieu à l'attribution d'une certification ou d'un diplôme ».

Cette possibilité reste pour l'instant marginale et constitue un des facteurs de la faible incitation à suivre une formation dont les enseignants ne pourront par la suite se prévaloir, d'autant plus que, comme indiqué plus haut, toute mobilité interacadémique entraîne la perte des informations concernant les formations suivies précédemment. Selon l'enquête Talis 2018, 8 % des enseignants français de collège ont suivi des formations qualifiantes contre 15 % dans l'OCDE. La certification constitue un outil de reconnaissance du travail effectué pendant la formation et des compétences acquises, et contribue donc à améliorer l'attractivité des formations proposées d'une part et, indirectement, celle du métier d'enseignant d'autre part.

Le rapporteur spécial plaide donc pour un développement des formations diplômantes et certifiantes, ce qui suppose également de maintenir un lien étroit avec l'enseignement supérieur. Une telle dynamique est déjà en cours, dans la mesure où le ministère indique avoir engagé les écoles académiques de la formation continue à mettre en place des formations en lien avec les universités et à développer des diplômes d'université (DU) à destination des enseignants. Au niveau national toutefois, les diplômes d'université ou inter-universités créés en partenariat avec la DGESCO restent limités : il existe ainsi un DU « droit et grands enjeux du monde contemporain » à destination des professeurs de lycée enseignant cette spécialité, un DU « laïcité et principes républicains », ou encore un DU « enseigner l'informatique au lycée ».

En outre, les acteurs entendus par le rapporteur spécial ont pour la plupart exprimé une demande d'approfondissement du lien entre la formation continue et la recherche, notamment en sciences de l'éducation, mais pas uniquement. Le rapporteur spécial estime qu'il s'agit d'un axe à approfondir, permettant de positionner les enseignants comme des praticiens des sciences de l'éducation.

2. Valoriser la formation continue dans l'évolution de carrière

L'article L. 912-1-3 du code de l'éducation prévoit depuis 200537(*) que « la formation continue des enseignants est prise en compte dans la gestion de leur carrière ». Il s'agit cependant à l'heure actuelle d'un énoncé purement performatif, qui ne s'est pas traduit par une inflexion en termes de gestion des ressources humaines, notamment faute d'outils informatiques adaptés.

Les seuls cas où la formation continue débouche sur une prise en compte dans la carrière sont les formations suivies pour devenir personnel d'encadrement, pour préparer les concours internes (agrégation notamment) ou pour devenir formateur. Seuls 6 % des professeurs français de collège contre 18 % en moyenne dans l'Union européenne considèrent que leur participation à la formation continue peut avoir une incidence positive sur le déroulement de leur carrière38(*).

À la différence des autres corps de l'éducation nationale, le fait que le pilotage de la formation continue des enseignants relève de la DGESCO et non de la DGRH est encore une fois révélateur du décalage entre la conception actuelle de la formation continue et la gestion des ressources humaines. Le rapporteur spécial a en outre été confronté à de grandes difficultés à obtenir des informations de la part de la DGRH.

La certitude que le suivi d'une formation ne sera pas valorisé par le ministère contribue à la faible attractivité de la formation continue auprès des enseignants. Or, à l'heure où le ministère met en avant sa « gestion RH de proximité » et promeut une construction davantage individualisée des carrières enseignantes, la formation continue doit selon le rapporteur spécial devenir un levier de gestion des ressources humaines à part entière.

À peine la moitié des enseignants déclarent selon le Cnesco avoir abordé le sujet de la formation continue et de leurs besoins en formation lors des rendez-vous de carrière prévus tous les 7 ans. Le rapporteur spécial considère que ce sujet doit être systématiquement abordé et incite le ministère à agir en ce sens auprès des inspecteurs.

Les enseignants contractuels : des besoins de formation continue différents
qui doivent être pris en compte

À l'heure où le recrutement d'enseignants contractuels s'élargit très largement et où les contractuels représentent une part de plus en plus importante du vivier d'enseignants, ils ne disposent pas d'un cadre de formation continue différent de celui des enseignants titulaires.

Il est vrai qu'il existe dans certaines académies des parcours de formation adaptés pour les contractuels. Ce n'est toutefois pas le cas au niveau national.

Alors que la formation initiale de ces enseignants est le plus souvent réduite à sa portion congrue, le rapporteur spécial considère comme peu compréhensible l'absence d'attention spécifique portée à ce public s'agissant de leur formation continue. En outre, se pose également la question de la valorisation de la formation continue au moment du passage en CDI ou de la titularisation de ces enseignants.

Deux pistes existent pour valoriser la formation continue dans la carrière des enseignants. D'une part, le ministère pourrait mettre en place un levier d'incitation financière à la formation. Toutefois, cela a été fait dans le cadre des vacances scolaires avec un succès plus que limité. La deuxième option, privilégiée par le rapporteur spécial, consisterait à tenir compte dans la mobilité géographique et la mobilité de carrière des enseignants du suivi de formations spécifiques, permettant de réellement passer d'une gestion statutaire à une gestion des ressources humaines. Ainsi, il serait envisageable que la validation de formations diplômantes puisse accélérer l'avancement dans la carrière, ce qui suppose, le rapporteur spécial en est bien conscient, de ne plus raisonner uniquement en termes d'ancienneté.

L'idéal serait à terme de pouvoir envisager un positionnement prioritaire des enseignants formés sur certains postes à profil. Le rapporteur spécial s'était notamment étonné dans un récent rapport sur la prise en charge des élèves allophones que les enseignants disposant d'une certification pour l'enseignement du français langue seconde ne soient pas ceux prioritairement affectés en unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A)39(*). Concernant les enseignants en UPE2A, au-delà de la certification FLS, de nombreux enseignants sont affectés à des UPE2A sans formation particulière. Dans la mesure où les conditions d'enseignement sont sensiblement différentes de celles expérimentées en classes ordinaires, le rapporteur spécial notait qu'il était souhaitable de généraliser des modules de formation continue à ces enseignants et de mobiliser prioritairement en UPE2A les enseignants formés.

Recommandation n° 6 : Valoriser le suivi de formation au cours de la carrière des enseignants en conditionnant l'accès à certains postes d'enseignement spécifiques à la validation de formations et en accélérant l'avancée dans la carrière pour le suivi de formations diplômantes.

3. Le pacte enseignant : une réponse possible aux difficultés de remplacement

Le ministre de l'Éducation nationale a présenté le 20 avril 2023 ses mesures pour améliorer la rémunération des enseignants. Une partie de ces mesures de revalorisation devrait être liée à la réalisation par les enseignants de missions supplémentaires. Ce « pacte enseignant » devrait entraîner un coût supplémentaire d'1,1 milliard d'euros à partir de la rentrée 2023.

Beaucoup reste encore à préciser sur les modalités concrètes d'adhésion au pacte.

Toutefois, la réalisation de remplacements devrait constituer une des missions prioritaires du pacte, et donc une des trois unités possibles pour bénéficier d'un « pacte complet ». Les enseignants adhérents au Pacte pourront donc effectuer 18 heures de remplacement annuelles pour une rémunération de 1 250 euros, soit une rémunération supérieure à celle dont ils bénéficient aujourd'hui par le mécanisme des heures supplémentaires.

Le rapporteur spécial considère qu'il s'agit d'une réponse intéressante aux difficultés de remplacement des enseignants, notamment en lien avec la formation continue. Toutefois, le fonctionnement de ce système nécessite d'atteindre une masse critique d'enseignants qui ont adhéré au pacte dans tous les établissements. Alors que les syndicats d'enseignants ont fait part des grandes réticences d'une part non négligeable des professeurs, il n'est pas certain que la gestion des remplacements s'en trouvera fluidifiée dès la rentrée 2023.

4. Maintenir l'attractivité des fonctions d'enseignant formateur 

Au-delà des enseignants, le rapporteur spécial insiste sur le fait que la politique de formation continue ne doit pas laisser de côté la question des formateurs. Ce sont pour l'essentiel des enseignants, ainsi que des inspecteurs d'académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) et des conseillers pédagogiques.

Dans le premier degré, les maîtres formateurs sont des enseignants du premier degré, titulaires du certificat d'aptitude aux fonctions d'instituteur ou de professeur des écoles maître formateur (CAFIPEMF). Dans le second degré, les formateurs académiques sont des professeurs ou des conseillers principaux d'éducation, titulaires du certificat d'aptitude aux fonctions de formateur académique (Caffa). Dans l'académie de Nancy-Metz, à titre d'exemple, le volume des professeurs formateurs académique intervenant à l'INSPÉ équivaut à 14 ETP.

Le maintien du lien du formateur avec l'enseignement est selon le rapporteur spécial essentiel pour limiter les critiques de déconnexion de la formation qui sont souvent formulées par les enseignants.

La question de l'attractivité des fonctions de formateur ne doit pas non plus être mise de côté, dans la mesure où ils sont pour l'instant très faiblement rémunérés. Les maîtres formateurs perçoivent une indemnité de 1 250 euros annuels bruts40(*). Les formateurs académiques perçoivent une indemnité de 834 euros annuels bruts41(*). Ils bénéficient en revanche de décharges d'enseignement, d'un tiers de leur service d'enseignement et de 72 heures annuelles de leur service hors enseignement pour les maîtres formateurs et de trois à six heures de leur service hebdomadaire d'enseignement pour les formateurs académiques42(*). La reconnaissance financière pour l'exercice des fonctions de formateurs est donc faible et devrait constituer une piste d'amélioration pour le ministère.

Dans le cas des formateurs académiques, le temps de décharge peut donc aller du simple au double, en fonction d'un nombre de critères fixés par la circulaire du 18 octobre 2016 : nombre de formateurs académiques et de tuteurs dans chaque académie ; volume horaire des formations dans les champs disciplinaire concernés ; temps consacré à la définition des contenus de formation, à la préparation et à l'animation des séquences de formation initiale et continue. Chaque académie est libre de moduler ces critères pour construire son propre mode de calcul. La Cour des comptes a, à plusieurs reprises, souligné que la différence entre académies, qui peut atteindre 48 heures par an, « ne paraît pas justifiée par des particularités locales d'exercice des missions des enseignants », et a appelé à « promouvoir un mode de calcul plus homogène », « facteur d'équité entre enseignants »43(*). Le rapporteur spécial reprend à son compte cette remarque.

Les formateurs sont également indemnisés de leurs frais de déplacement sur le budget académique, dans la plupart des académies sur les mêmes bases que les enseignants formés.

Un rapport du Sénat de 2018 l'indiquait déjà44(*) : « la montée en gamme de la formation continue passe par l'extension du vivier de professeurs formateurs, leur professionnalisation et une meilleure reconnaissance de leur fonction ».

Enfin, les recommandations du rapporteur spécial sur la nécessité de professionnaliser la gestion des ressources humaines en matière de formation continue s'appliquent également aux formateurs. Le ministère doit mettre en place, notamment par le biais de nouvelles applications informatiques, une réelle gestion de la ressource que constitue son vivier de formateurs. En particulier, la formation continue des formateurs doit concentrer une part des efforts, alors que la circulaire de 2016 précitée se contente d'indiquer qu'il « est attendu d'eux qu'ils poursuivent une démarche individuelle de formation dans les domaines qui relèvent de leur(s) champ(s) d'intervention ».

Recommandation n° 7 : Améliorer la reconnaissance du métier de formateur en harmonisant les heures de décharge entre académies dans le second degré et en engageant une réflexion sur leur indemnisation.


* 37 Loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.

* 38 Enquête Talis 2018, OCDE.

* 39 Scolariser les allophones, une politique encore fragile et insuffisamment évaluée, rapport d'information n° 427 (2022-2023), mars 2023.

* 40 Arrêté du 8 septembre 2014 fixant le taux de l'indemnité de fonctions allouée aux personnels enseignants du premier degré exerçant les fonctions de maître formateur ou chargés du tutorat des enseignants stagiaires.

* 41 Arrêté du 8 septembre 2014 fixant le taux de l'indemnité de fonctions pour les formateurs académiques.

* 42 Circulaire n° 2016-148 du 18-10-2016.

* 43 Cour des comptes - Référé n° 71653, janvier 2015.

* 44 Métier d'enseignant : un cadre rénové pour renouer avec l'attractivité, Rapport d'information n° 690 (2017-2018) de M. Max Brisson et Mme Françoise Laborde, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, juillet 2018.

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