B. DES OBSTACLES PERSISTANTS À L'APPROPRIATION DE L'OUTIL

1. Une appropriation par les patients entravée par un déficit d'information et la fracture numérique
a) Intensifier les efforts de communication

Il apparaît indispensable, d'abord, d'intensifier les efforts de communication entrepris à destination des patients.

· L'ENS étant fondé sur un système d'« opt-out », la communication en amont de son ouverture a constitué un premier enjeu important, destiné à permettre aux patients de faire usage de leur droit d'opposition.

À cet égard, et malgré les millions de courriels et courriers adressés, la Cnil a indiqué à la mission d'information avoir constaté, dans le cadre des permanences téléphoniques mises en place, « une incompréhension partielle ou totale de ce mécanisme par les personnes » qu'elle attribue au « décalage entre la campagne d'information grand public (réseaux sociaux, journaux, etc.) et la réception effective des courriers ou courriels d'information individuels »167(*).

La Cnam a toutefois souligné que le risque de voir la création d'un ENS rester inaperçue par un usager devrait s'avérer faible, dans la mesure où « les différentes actions faites sur un Mon espace santé par des professionnels et établissements de santé génèrent une notification à l'usager »168(*). L'usager est, ainsi, notifié chaque fois qu'un professionnel ou établissement de santé a versé dans l'ENS un document, consulté son espace ou envoyé un message sur sa messagerie sécurisée.

· Surtout, la communication autour du dispositif demeure nécessaire en aval de sa création, pour informer les patients de ses fonctionnalités et favoriser ainsi sa prise en main. Le rapport Pon-Coury de 2018, déjà, soulignait la nécessité d'une « campagne de communication à grande échelle, moderne et positive », susceptible de « créer un élan national autour du projet »169(*).

À cet égard, le dispositif apparaît encore largement méconnu. Si une étude commandée par France Assos Santé a révélé, en décembre 2022, que 82 % des personnes interrogées ont « entendu parler » de Mon espace santé, seules 64 % d'entre elles savaient qu'un compte avait été créé pour elles170(*).

L'organisation souligne d'ailleurs identifier encore « [de nombreux] publics qui ont une connaissance très imprécise de Mon espace santé voire n'en connaissent pas l'existence. Y compris chez les personnes qui situent bien Mon espace santé dans le paysage des outils, la mauvaise réputation du DMP est très présente... ». Elle recommande d'impliquer davantage les professionnels de santé, auxquels les patients font confiance, dans la promotion du dispositif171(*).

Interrogée à ce sujet, la Cnam indique avoir « pleinement conscience de l'enjeu d'appropriation de l'outil par les usagers » et envisager « de nouvelles campagnes de communication grand public visant à promouvoir l'intérêt des usages » en septembre 2023172(*).

b) Développer les usages pour emporter l'engouement

L'adhésion des patients à Mon espace santé suppose qu'ils trouvent dans l'outil des fonctionnalités utiles à leur parcours de soins. Aussi le développement de nouveaux usages et le déploiement des fonctionnalités encore attendues constituent-ils des leviers importants de promotion de l'outil.

· Certaines fonctionnalités déployées pourraient, ainsi, encore être approfondies.

La messagerie sécurisée, encore trop peu utilisée, limite pour le moment l'initiative d'une conversation aux professionnels de santé. Si les raisons de ce choix sont compréhensibles, France Assos Santé, a toutefois regretté devant la mission d'information que les usagers ne puissent initier « pour l'instant eux-mêmes une conversation »173(*).

De la même manière, les premières applications référencées sur le catalogue de l'ENS ne peuvent bénéficier, pour le moment, d'échanges de données avec la plateforme. À cet égard, France Assos Santé observe que « ces échanges pourront se révéler particulièrement utiles pour les patients chroniques suivis avec des dispositifs médicaux connectés (diabète, protocoles de télésurveillance, etc.) ou les pré-admissions hospitalières. Quand cette fonctionnalité sera opérationnelle, les usagers devront faire l'objet d'une information dédiée et adaptée pour que leur consentement soit éclairé. »174(*)

· D'autres outils encore inexistants sont susceptibles d'être déployés prochainement.

Figure ainsi parmi les priorités affichées par l'ANS l'intégration du carnet de santé des enfants dans l'application. Le bilan de l'ENS réalisé en novembre 2022 fixait comme objectif, à terme, de « dématérialiser les comptes rendus des vingt examens obligatoires de l'enfant »175(*). La Cnam a indiqué souhaiter que celle-ci « [incite] les parents à assurer le suivi de leur enfant au sein de Mon espace santé »176(*).

Le déploiement, cette année, de l'agenda de santé pourrait également permettre de simplifier le parcours des patients comme les échanges avec les professionnels de santé et, partant, de renforcer l'attractivité de l'outil.

La mission d'information souhaite que l'enrichissement récurrent des services offerts constitue l'occasion de communiquer davantage sur l'outil et d'informer le grand public des fonctionnalités susceptibles de lui être utiles.

Recommandation n° 13 : À l'occasion du déploiement du catalogue d'applications référencées et de l'agenda de santé, renforcer la communication auprès des usagers et la centrer sur les nouvelles possibilités d'usage de Mon espace santé

c) Lutter contre la fracture numérique

· Pour que le déploiement de Mon espace santé n'aggrave pas les inégalités de santé et assurer le succès de l'outil, la lutte contre les inégalités d'accès au numérique constitue un enjeu essentiel.

Celui-ci a été identifié dès les premiers travaux relatifs à l'ENS. Le rapport Pon-Coury de 2018 invitait, ainsi, à faire du déploiement de l'ENS « un levier d'inclusion numérique », et à prendre en compte « dès la conception, des enjeux d'accessibilité, d'usage et de contenu pour les personnes vulnérables et/ou éloignées du numérique »177(*).

Dans l'étude d'impact jointe au projet de loi santé de 2019, créant l'Espace, le Gouvernement s'engageait ainsi à « éviter que la fracture numérique n'amplifie la fracture sanitaire », en facilitant l'accès des « populations qui en ont le plus besoin alors qu'elles ne sont pas celles les mieux équipées en numérique »178(*).

· Plusieurs actions ont été entreprises par l'ANS pour accompagner les plus éloignés du numérique dans la prise en main de l'outil.

Un réseau de dix-huit coordinateurs régionaux Mon espace santé a été constitué, chargés de « créer des liens entre les acteurs de la médiation numérique et les acteurs de santé dans les territoires, afin que les personnes puissent bénéficier d'un accompagnement pour activer Mon espace santé quand elles en ont besoin »179(*).

Les coordinateurs sont, notamment, chargés d'animer un réseau de plusieurs centaines d'ambassadeurs Mon espace santé180(*), issus de métiers de la médiation numérique, d'associations de santé ou de partenaires privés, engagés sur tout le territoire pour réaliser des actions de sensibilisation ou d'accompagnement auprès du grand public. Des partenariats sont également conclus avec le réseau des maisons France services, des collectivités et acteurs locaux de l'inclusion numérique. En réponse aux interrogations de la mission d'information, la DNS évoque enfin « la formation de 10 000 médiateurs numériques aux enjeux spécifiques du numérique en santé »181(*).

· Si ces initiatives sont importantes, elles demeurent, selon France Assos Santé, insuffisantes pour « réduire la dette culturelle des citoyens sur le numérique ».

L'organisation souligne notamment que « la stratégie publique de reposer fortement sur les espaces France services n'est pas à la hauteur » : « l'offre qu'ils proposent est hétérogène et souvent très lacunaire sur les sujets de santé. La dynamique ambassadeur a surtout permis d'hybrider des réseaux, notamment acteurs de l'inclusion numérique, associations d'usagers et professionnels avec les acteurs publics », mais « les initiatives restent sporadiques, et les fonds publics qui abondent plus que jamais ces actions offrent peu de pérennité aux acteurs en reposant encore essentiellement sur des logiques d'appel à projets peu structurants »182(*).

Les ambassadeurs constituent des relais utiles sur le terrain mais, bénévoles, ne remplacent pas les médiateurs professionnels. La qualité de l'accompagnement dépend de l'engagement des acteurs sur chaque territoire et s'avère, en conséquence, inégale.

La mission d'information souhaite que les dispositifs mis en place pour lutter contre la fracture numérique soient davantage évalués, y compris à l'échelle territoriale et, lorsque cela s'avère nécessaire, renforcés.

Recommandation n° 14 : Évaluer les outils de lutte contre la fracture numérique existants et renforcer l'accompagnement des populations les plus fragiles dans l'utilisation de l'outil

2. Le défaut d'équipement et de formation des professionnels et établissements de santé
a) Une appropriation de l'outil très dépendante des évolutions logicielles et de la facilité d'accès

L'appropriation de l'outil par les professionnels et établissements de santé demeure fortement dépendante de l'effectivité des évolutions logicielles, chargées de simplifier l'accès à l'ENS et d'automatiser le versement de documents.

· Le déploiement plus rapide des financements du Ségur numérique et de telles évolutions logicielles au sein des établissements de santé explique d'ailleurs l'avance prise par ce « couloir » dans l'alimentation de l'outil.

Ainsi que l'observe France Assos Santé, « les établissements sanitaires qui ont bénéficié des vagues de financement Ségur avant la médecine libérale [sont] avec les laboratoires biomédicaux les premiers contributeurs en termes de documents envoyés dans MES »183(*). La FHF souligne, de la même manière, pour expliquer le rythme supérieur de versement à l'hôpital, que « l'implication dans le programme Ségur de la médecine de ville a été très tardif »184(*).

Pour faciliter l'accès des professionnels de santé, la nouvelle feuille de route du numérique en santé 2023-2027 prévoit ainsi :

- de permettre, par la poursuite des programmes de financement du Ségur, un accès fluide et ergonomique aux professionnels et aux établissements, directement dans leur logiciel métier185(*) ;

- d'expérimenter un dispositif de mesure de la satisfaction des professionnels de santé, notamment libéraux, vis-à-vis de leur logiciel métier afin de mieux identifier les obstacles rencontrés186(*).

· Deux services essentiels apparaissent, par ailleurs, manquer encore aux professionnels de santé et susceptibles de favoriser l'accès à l'outil comme d'augmenter le nombre de documents versés.

D'une part, le bouquet de services envisagé par la feuille de route 2019-2022, devant permettre aux professionnels de santé d'accéder aux différents services référencés en évitant les reconnexions et la saisie en doublon des données des patients, devait être déployé à la fin de l'année 2022187(*) mais n'a toujours pas été lancé.

Le bilan de la feuille de route 2019-2022 se bornait à indiquer que « les briques techniques sont posées »188(*) et la nouvelle feuille de route 2023-2027 reporte son lancement au deuxième trimestre 2024189(*). La Cnam indique que « cette amélioration des conditions d'utilisation et d'accès aux données de Mon espace santé pour les différentes catégories de professionnels et d'établissements doivent leur faciliter l'accès et l'encourager »190(*).

D'autre part, le déploiement de l'ordonnance numérique, classée parmi les services socles par la feuille de route 2019-2022, devait initialement s'échelonner entre 2020 (ville et établissements de santé) et 2022 (auxiliaires médicaux)191(*). Le service doit permettre, notamment, le versement d'une ordonnance dématérialisée dans l'ENS, consultable à tout moment par les professionnels de santé autorisés, dont l'unicité est garantie par un QR code. La généralisation de l'ordonnance numérique, pour l'ensemble des produits et prestations de santé, est désormais prévue pour la fin de l'année 2024192(*). La nouvelle feuille de route vise, à cette date, 75 % du marché des logiciels de cabinet ayant passé avec succès les pré-séries et 40 000 médecins ayant créé une première ordonnance193(*). La Cnam souligne que l'ordonnance numérique « est un levier d'usage de Mon espace santé pour les usagers qui disposent de leur ordonnance en toutes circonstances ainsi que les professionnels de santé... »194(*).

b) L'information et la formation des professionnels de santé

La prise en main de l'ENS et, plus largement, des outils du numérique en santé suppose, par ailleurs, que les professionnels de santé soient formés à leur utilisation.

France Assos Santé souligne que ces derniers « doivent eux-mêmes réinterroger leurs pratiques avec le numérique et sont confrontés autant à une dette technique (qui se résorbe avec le Ségur), qu'à des dettes organisationnelles et culturelles »195(*).

Pour répondre à ce besoin, la nouvelle feuille de route du numérique en santé prévoit, d'ici 2027, d'intégrer une formation au numérique en santé dans l'ensemble des formations initiales du sanitaire, du social comme du médico-social et de former ainsi 500 000 élèves196(*).

Le Conseil national de l'ordre des infirmiers (CNOI) a confirmé, lors de son audition par la mission d'information, l'importance du besoin d'information et de formation des infirmiers : « Plus que l'équipement, les professionnels auraient besoin d'être mieux informés sur les modalités d'utilisation de l'outil. Les professionnels de santé ont besoin d'être davantage formés et sensibilisés à l'utilisation de MES et services associés. Cela leur permettrait par exemple d'abandonner l'usage d'outils peu sécurisés pour communiquer et traiter des données de santé (les applications mobiles de messagerie instantanée grand public pour partager des données de santé par exemple sont encore trop utilisées au quotidien). »197(*)

La mission d'information juge, en conséquence, indispensable d'accélérer ces prochaines années les efforts déployés pour faciliter l'accès à l'ENS par les professionnels de santé, améliorer leur équipement et les former davantage à l'utilisation de l'outil.

Recommandation n° 15 : Faciliter l'accès des professionnels de santé à l'ENS en accélérant le déploiement du bouquet de services et en renforçant la formation initiale et continue


* 167 Réponses écrites de la Cnil au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 168 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par la commission d'information.

* 169 Dominique Pon et Annelore Coury, Accélérer le virage numérique. Rapport final, septembre 2018.

* 170 France Assos Santé, « Les usagers font un bon accueil à Mon Espace Santé mais ils ont encore besoin d'être convaincus de son utilité », 12 décembre 2022 : https://www.france-assos-sante.org/communique_presse/les-usagers-font-un-bon-accueil-a-mon-espace-sante-mais-ils-ont-encore-besoin-detre-convaincus-de-son-utilite/

* 171 Réponses écrites de France Assos Santé au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 172 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 173 Réponses écrites de France Assos Santé au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 174 Ibid.

* 175 Dossier de presse « Mon espace santé : bilan du déploiement national et prochaines étapes », 3 novembre 2022, p. 3.

* 176 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 177 Dominique Pon et Annelore Coury, Accélérer le virage numérique. Rapport final, op. cit., p. 16.

* 178 Étude d'impact jointe au projet de loi de modernisation de notre système de santé, déposé à l'Assemblée nationale le 15 octobre 2014, p. 101.

* 179 Dossier de presse « Mon espace santé : bilan du déploiement national et prochaines étapes », 3 novembre 2022, p. 5.

* 180 Ibid., p. 5 : le bilan de novembre 2022 cite 750 ambassadeurs Mon espace santé.

* 181 Réponses écrites de la DNS au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 182 Réponses écrites de France Assos Santé au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 183 Réponses écrites de France Assos Santé au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 184 Réponses écrites de la FHF au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 185 Mettre le numérique au service de la santé. Feuille de route du numérique en santé 2023-2027, action n° 6-1, p. 20.

* 186 Ibid., action n° 7-1, p. 21.

* 187 Dossier d'information de la feuille de route « Accélérer le virage numérique », 25 avril 2019, action n° 16, p. 21.

* 188 Bilan de la feuille de route du numérique en santé 2019-2022, p. 50.

* 189 Mettre le numérique au service de la santé. Feuille de route du numérique en santé 2023-2027, action n° 8-1, p. 22.

* 190 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 191 Dossier d'information de la feuille de route « Accélérer le virage numérique », 25 avril 2019, action n° 16, p. 19.

* 192 Ordonnance n° 2020-1408 du 18 novembre 2020 portant mise en oeuvre de la prescription électronique.

* 193 Mettre le numérique au service de la santé. Feuille de route du numérique en santé 2023-2027, action n° 8-4, p. 22.

* 194 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 195 Réponses de France Assos Santé au questionnaire transmis par la mission d'information.

* 196 Mettre le numérique au service de la santé. Feuille de route du numérique en santé 2023-2027, action n° 10-1, p. 24.

* 197 Réponses écrites du CNOI au questionnaire transmis par la mission d'information.

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