C. LA NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE DE SUJETS NON-INSTITUTIONNELS

Les besoins de la Nouvelle-Calédonie ne se résument pas aujourd'hui à la seule détermination de son avenir institutionnel.

Des réformes non-institutionnelles, indépendamment des futurs équilibres institutionnels et politiques, devront être menées par les acteurs locaux, en particulier celles visant à garantir la soutenabilité financière et budgétaire des collectivités calédoniennes et des comptes sociaux.

Les rapporteurs appellent les acteurs locaux comme l'État, chacun dans leur domaine de compétences, à s'en saisir le plus rapidement possible pour garantir l'efficacité et la soutenabilité des politiques publiques locales. Un programme ambitieux de réformes doit, en effet, être mis en oeuvre pour offrir aux Calédoniens des services publics de qualité et développer l'économie du territoire.

1. Apporter une réponse durable au sujet stratégique du nickel

Le secteur du nickel constitue, outre son poids dans l'économie calédonienne, un sujet stratégique.

Naturellement, le secteur du nickel « occupe une part prépondérante94(*) » dans l'économie calédonienne. Il représente ainsi environ 14 % du PIB, effets directs et indirects compris, bien que cette part soit variable en fonction des cours du nickel.

Néanmoins, le secteur du nickel ne parvient pas à constituer un moteur de croissance pérenne de l'économie calédonienne.

Des raisons conjoncturelles contribuent à expliquer ce phénomène : les blocages de la production, récurrents sur certains sites, les problèmes d'alimentation énergétique - dont l'extraction du nickel est particulièrement dépendante -, de même que les conditions climatiques compliquent régulièrement les conditions de production. Elles se couplent à des facteurs structurels qui nuisent à la capacité du secteur à jouer un rôle moteur.

Évolution des résultats d'exploitation
des trois principaux exploitants de nickel

Source : IEDOM

Le premier d'entre eux et la rentabilité même de ce secteur économique. Le dernier exercice bénéficiaire remontant à 2007, le secteur du nickel demeure particulièrement dépendant des décisions prises par les sociétés mères des sociétés calédoniennes exploitantes ou d'investissements publics.

Pour autant, le nickel ne constitue pas un sujet uniquement économique. Enjeu symbolique fort, perçu pour certains comme une ressource issue de la terre kanak et pour d'autres comme la clé de l'avenir économique de la Nouvelle-Calédonie, le nickel constitue l'un des principaux sujets devant être traité par le cycle de négociations en cours. L'accord de Nouméa a, en effet, partagé cette ressource entre les différentes provinces et acteurs politiques locaux, selon un équilibre qui semble aujourd'hui devoir être actualisé au regard des réalités économiques et budgétaires.

Enfin, nul ne saurait ignorer qu'il constitue également un enjeu stratégique majeur. Comme l'a toutefois justement rappelé la mission de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat dans un rapport sur la stratégie française en Indopacifique : compte tenu de « la dépendance alarmante de l'Europe » et du fait que « la Nouvelle-Calédonie détient 20 % des réserves mondiales de nickel », « la question de la sécurisation des gisements, de la transformation et du transport de ces matières premières »95(*) se pose, dans un contexte indopacifique marqué par les rivalités entre puissances étrangères, avec une acuité renouvelée.

Les rapporteurs rappellent donc l'importance d'ouvrir des discussions sur la gestion de cette ressource naturelle majeure qu'est le nickel, au sein du territoire calédonien, sans perdre de vue l'environnement régional si particulier de l'Indopacifique et les intérêts nationaux, au sens large.

2. Achever le partage des terres

La question de la terre et de son partage est primordiale en Nouvelle-Calédonie et a constitué l'une des grandes avancées vers la décolonisation comme le rééquilibrage entre communautés.

Toutefois, plusieurs acteurs politiques kanak et indépendantistes rencontrés ont fait valoir aux rapporteurs l'importance d'achever ce partage et de purger les conflits de répartition persistants, qui empêchent aujourd'hui les réattributions. En effet, si les terres coutumières représentent aujourd'hui 17 % du total des terres de la grande terre, des revendications demeurent sur près de 9 000 hectares.

En outre, contrairement à ce qui était prévu par la loi organique de 1999, l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF), établissement public d'État à caractère industriel et commercial, n'a pas été transférée à la Nouvelle-Calédonie, faute de demande en ce sens du Congrès.

Les rapporteurs appellent donc à parachever ce partage de la terre, élément symbolique dans la culture kanak et outil concret tant du processus de décolonisation que du rééquilibrage dans la répartition foncière du territoire.

3. Garantir la soutenabilité financière et budgétaire des collectivités calédoniennes et des comptes sociaux

En premier lieu, la gestion budgétaire de l'ensemble des collectivités publiques gagnerait à être rendue plus performante. À cet égard, la chambre territoriale des comptes relevait dans un récent rapport que la « recherche d'une meilleure performance dans la gestion publique concerne donc toutes les collectivités du territoire, Nouvelle-Calédonie, provinces et communes », soulignant que « des gains sont possibles par une revue des services rendus et du niveau de participation des usagers96(*). »

La mission appelle l'attention sur le nécessaire respect des conditions posées dans le cadre de la convention conclue entre l'agence française de développement (AFD), l'État et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour un nouveau prêt de 20,88 milliards de francs CFP, soit 175 millions d'euros. La crédibilité de la gestion par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie ne doit pas être entamée.

Il est primordial que les comptes sociaux retrouvent un équilibre. Leur déficit a été multiplié par 5,2 entre 2017 et 2020, comme le rappelle le rapport de la chambre régionale des comptes97(*). Le même rapport soulignait qu'un « retour à l'équilibre des comptes sociaux nécessite une réforme de la fiscalité adossée à ces régimes et une modification des paramètres de cotisation qui portent tant sur les assiettes que sur les taux ». En d'autres termes, un rétablissement pérenne de la situation financière de la Nouvelle-Calédonie exigera un ensemble de mesures fortes, dont toutes ne seront pas aisées.

Autre observateur avisé de la situation économique du territoire, l'institut d'émission outre-mer98(*) (IEOM) faisait un constat identique, estimant dans sa synthèse annuelle qu'avec « un taux d'endettement estimé à plus de 255 % des recettes réelles de fonctionnement en 2022, la Nouvelle-Calédonie a vu ses marges de manoeuvre budgétaires se réduire considérablement. Si des réformes structurelles sont actuellement en discussion, elles peinent encore à être l'objet d'un large consensus (projets de réforme fiscale, de modification des taux de cotisation à l'assurance maladie...)99(*). »

Les rapporteurs insistent sur la nécessité, indépendamment des prochains équilibres politiques et institutionnels calédoniens, de déployer un programme ambitieux de réformes pour offrir aux Calédoniens des services publics de qualité et rétablir l'efficacité de la dépense publique nationale comme locale sur ce territoire.

Ils invitent, à ce titre, non seulement les acteurs politiques locaux mais aussi l'État à prendre toute leur part, dans leurs domaines de compétences respectifs, à la réussite de réformes ambitieuses au service des Calédoniens.

4. Assurer le développement économique du territoire

Plus largement, si « un nouveau cadre institutionnel paraît indispensable pour restaurer la confiance des agents économiques et l'attractivité du territoire »100(*), l'économie calédonienne doit également trouver des relais de croissance afin de satisfaire le besoin de développement exprimé par sa population.

Or, comme l'a estimé le président du gouvernement Louis Mapou lors du forum « Perspectives » qui s'est tenu à Nouméa en juin 2023, le modèle économique calédonien semble « à bout de souffle ».

Le constat fait par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie est le suivant : portée par deux moteurs exogènes, les transferts de fonds publics en provenance de l'hexagone - qui représentent 17 % du produit intérieur brut calédonien - et l'extraction et l'exportation de nickel - qui représentent 7 % environ du PIB -, l'économie calédonienne est particulièrement dépendante de ces deux sources de financement.

Évolution des transferts de l'hexagone
et du PIB entre 2000 et 2017

Source : gouvernement de Nouvelle-Calédonie101(*)

L'économie calédonienne, dans laquelle le secteur public représente une part écrasante du PIB - environ 54 % -, ne bénéficie pas de relais de croissance robustes, en raison d'une compétitivité en berne, ainsi que d'une demande intérieure insuffisante, grevée par des inégalités de revenu marquées.

Si les rapporteurs n'ont pas conduit de travaux spécifiquement dédiés à l'économie calédonienne, qui n'entraient pas en tant que tels dans le champ de la mission, ils notent que le constat dressé par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie rejoint celui qu'ils ont dressé lors de leur déplacement sur le territoire et lors des auditions conduites à Paris.

Ils ont, en particulier, au cours de leur rencontre avec les représentants du monde économique calédonien réunis sous la bannière NC Eco, mesuré l'importance pour les acteurs économiques d'un cadre normatif stable, prévisible et durable afin de favoriser des investissements pluriannuels privés au sein du territoire.


* 94 IEOM, présentation faite lors du forum Perspectives en juin 2023.

* 95 Rapport d'information n° 285 (2022-2023), « La stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité », de. Cédric Perrin , Rachid Temal , Hugues Saury , Jacques Le Nay , André Gattolin et Joël Guerriau, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 25 janvier 2023, pp. 24, et consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r22-285/r22-285.html.

* 96 « La collectivité de Nouvelle-Calédonie », Rapport d'observations définitives, Chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie, p. 23.

* 97 Ibidem.

* 98 Il assure le rôle de banque centrale dans les collectivités ayant pour monnaie le franc Pacifique.

* 99 IEOM, « L'économie de la Nouvelle-Calédonie en 2022 », synthèse annuelle, consultable à l'adresse suivante : https://www.ieom.fr/nouvelle-caledonie/publications/publications-economiques-et-financieres/conjoncture-economique/panoramas-et-notes-de-synthese-annuelles/article/l-economie-de-la-nouvelle-caledonie-en-2022.

* 100 Ibidem.

* 101 Source : présentation du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie lors du forum « Perspectives » de juin 2023.