EXAMEN EN COMMISSION

12 JUILLET 2023

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M. Laurent Lafon, président. - Notre réunion est aujourd'hui consacrée à la présentation et au vote des conclusions de la mission d'information sur l'autonomie des établissements scolaires, que nous avions décidé de créer il y a plusieurs semaines.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Mes chers collègues, je salue amicalement mes deux collègues rapporteurs, avec qui j'ai travaillé pour la deuxième fois.

Ce rapport sur l'autonomie des établissements scolaires représente quatre mois de travaux. Nous avons souhaité centrer ces travaux autour de trois sujets : la mise en oeuvre de cette autonomie, l'évaluation des établissements scolaires et le déploiement du fonds d'innovation pédagogique.

Nos positions politiques peuvent diverger sur ces trois sujets, mais l'analyse du droit existant que nous vous présentons, tout comme nos recommandations, est le fruit d'un consensus entre les trois rapporteurs.

Notre questionnement a été le suivant : comme ces dispositifs se déploient-ils ? Quels sont leurs impacts au regard de leurs objectifs initiaux ? Quelles sont leurs répercussions concrètes sur le terrain ?

Les réflexions sur l'autonomie des établissements scolaires sont anciennes et traversent les alternances politiques. Les prémices de l'autonomie ont désormais un demi-siècle : la circulaire Fontanet de 1973 a mis à disposition des établissements scolaires 10 % du volume horaire, dont le contenu est à décider localement.

La plupart des grandes lois consacrées à l'éducation sont l'occasion d'accroître l'autonomie des établissements scolaires. La loi Haby de 1975 a consacré la reconnaissance législative d'une autonomie pédagogique pour les écoles, collèges et lycées. La loi dite Chevènement de 1985, qui a complété les lois de décentralisation, a créé le statut d'établissements publics locaux d'enseignement (EPLE). Ceux-ci sont dotés d'un conseil d'administration et d'un budget. La rédaction actuelle des articles du code de l'éducation sur l'organisation administrative et financière des établissements scolaires est directement héritée de ce texte. La loi d'orientation sur l'école, dite loi Jospin, de 1989 a créé les projets d'établissement. Enfin, la loi Fillon d'orientation pour l'avenir de l'école de 2005 a instauré au sein de chaque collège et lycée un conseil pédagogique.

Il existe ainsi une certaine autonomie des établissements scolaires définie par les textes. Elle s'exprime dans plusieurs domaines : en matière pédagogique et éducative, dans l'organisation du temps scolaire, dans la préparation à l'orientation ou encore dans le choix de sujets spécifiques d'études en complément des sujets nationaux.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Les établissements disposent également d'une dotation horaire globale, définie principalement en fonction du nombre d'élèves. Cette dotation permet par exemple le dédoublement des classes, la proposition de certaines options, ou encore la mise en place d'un accompagnement en petits groupes. Elle est normalement à la main des établissements pour adapter les enseignements aux besoins de leurs élèves. C'est une prérogative ancienne qui date de 1983, donc qui remonte à quarante ans.

L'autonomie se manifeste également sur le plan administratif et financier. Enfin, les écoles et établissements scolaires peuvent mettre en oeuvre, avec l'accord du rectorat, des expérimentations pédagogiques pour une durée de trois à cinq ans.

Il faut préciser que les écoles, bien que n'ayant pas la personnalité juridique, disposent de marges d'autonomie. Il s'agit par exemple de la répartition des élèves, de la création de classes de plusieurs niveaux, de l'affectation des professeurs au sein de l'école, ou encore du décloisonnement des classes lors de projets spécifiques.

En outre, chaque école dispose d'un projet d'école. La circulaire de 1990 précise explicitement que celui-ci reconnaît « l'espace d'autonomie indispensable aux acteurs du système éducatif pour adapter leurs actions aux réalités du terrain ».

Voilà ce que disent les textes.

Qu'en est-il dans les faits ? Force est de constater que les marges de manoeuvre ont été rabougries par la pratique. Le législateur et le pouvoir réglementaire, en précisant texte après texte le contenu du règlement intérieur et du projet d'établissement, ont détérioré cette autonomie. Ainsi, le projet d'établissement doit contenir obligatoirement un volet sur la sécurité routière ou inclure les modalités de participation des élèves aux journées de commémoration.

Les récentes annonces du ministre de l'éducation nationale sont symptomatiques de la multiplication des injonctions descendantes, qui font fi de l'autonomie des établissements scolaires existant depuis trente ans. Je pense à l'obligation pour l'ensemble des collèges, lancée dans la précipitation le dimanche 11 juin 2023, d'organiser une heure sur la sensibilisation au harcèlement et aux réseaux sociaux dès la semaine suivante.

Cette décision prouve une méconnaissance de la réalité des collèges, puisque nombre d'élèves n'avaient plus classe en cette veille de brevet, et témoigne d'une absence de confiance dans les équipes pédagogiques. Des chefs d'établissement entendus en audition ont évoqué une infantilisation par le ministère des enseignants et du personnel de direction de l'éducation nationale. Il doit être mis fin à ces injonctions descendantes sur des sujets relevant de la marche de l'établissement et des décisions des équipes pédagogiques.

M. Max Brisson, rapporteur. - Nous nous sommes lancés dans un long travail d'historiens, qui a consisté à montrer que cinquante ans d'histoire nous regardaient et que l'autonomie avait été au cours de ces cinq décennies un objectif du ministère de l'éducation nationale, au-delà des alternances politiques.

Cette autonomie se manifeste concrètement par les « marges d'autonomie ». Nous avons interrogé un éminent représentant du ministère de l'éducation nationale afin qu'il nous définisse ces dernières. Il nous a répondu que « la marge d'autonomie réside dans l'utilisation des dotations qui dépassent le strict minimum pour faire fonctionner un établissement. » Or nous avons constaté que ce strict minimum est de plus en plus étendu. L'enveloppe étant fixe, les marges de manoeuvre sont donc de plus en plus réduites.

Il en fut ainsi des réformes successives du système éducatif, décidées par le ministère de l'éducation nationale. Celles-ci se sont traduites, dans les faits, par un financement sur les marges de manoeuvre des établissements, et donc par la réduction de leur capacité d'autonomie, pourtant prévue par les textes depuis la circulaire Fontanet de 1973.

Je pense notamment à la dernière réforme du lycée, dite « Blanquer ». Pour l'appliquer correctement, de nombreux établissements ont été contraints de mettre en place les spécialités, les options ou encore l'orientation en utilisant leur dotation horaire globale, du fait de l'absence de moyens spécifiques. Cette pratique n'est pas anodine, elle est une remise en cause de la raison d'être de la dotation horaire globale, qui était à la base de l'autonomie, et qui est normalement à la disposition de l'établissement pour mettre en oeuvre sa stratégie, répondre aux besoins spécifiques de son territoire et de ses élèves.

L'utilisation de la dotation horaire globale est aujourd'hui contrainte et sert principalement à appliquer des axes et des réformes décidées au niveau national.

Par ce biais, la réforme devient source d'inégalités entre les établissements scolaires qui disposent de marges pour la mettre en oeuvre convenablement et ceux qui ne le peuvent pas. Les lycées de petite taille sont les plus pénalisés.

Pour mettre en oeuvre la réforme du lycée, en dessous d'une certaine taille d'établissement estimée par l'inspection générale à 950 ou 1 000 élèves, le proviseur doit faire un choix entre les options et spécialités proposées, qui sont essentielles pour la poursuite des études supérieures des élèves, le dédoublement des classes de langues ou de sciences, et les heures consacrées à l'orientation. Or nous savons combien celle-ci est déterminante. Le rapport de notre collègue Jacques Grosperrin l'a encore souligné il y a quinze jours. De telles pratiques ne sont pour nous plus acceptables ; nous souhaitons qu'il y soit mis fin. Lorsque le ministère envisage une réforme, il doit affecter à chaque établissement les moyens horaires correspondants. C'est pour nous une recommandation essentielle. Nous proposons également que chaque année le conseil d'administration d'établissement examine, après avis du conseil pédagogique, l'utilisation faite de la dotation horaire globale. Ce rendez-vous annuel sera l'occasion pour l'équipe pédagogique de réfléchir collectivement à l'utilisation de ses marges de manoeuvre et d'identifier l'empiétement par l'administration centrale des marges d'autonomie.

En complément de cette recommandation, nous proposons également que chaque année, le conseil d'administration de l'établissement scolaire examine, après avis du conseil pédagogique, l'utilisation qui est faite de la dotation horaire globale.

Ce rendez-vous annuel sera l'occasion pour l'équipe pédagogique de réfléchir collectivement à l'utilisation de ces marges. Il permettra également d'identifier l'empiétement de l'administration centrale sur les marges d'autonomie des établissements scolaires prévues par les textes.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Nous nous sommes également intéressés à l'évaluation des établissements scolaires. Comme vous le savez, la loi pour une école de la confiance de 2019 a créé le conseil d'évaluation de l'école et impose une évaluation tous les cinq ans de tous les écoles et établissements scolaires, y compris privés sous contrat.

En ce qui concerne le second degré, la mise en place du processus d'évaluation a commencé plus tôt. Aussi, à la fin de cette année scolaire, 50 % des établissements devraient avoir été évalués. Le cadre d'évaluation des écoles a été arrêté en janvier 2022. Fin juin 2023, 10 000 écoles ont été évaluées sur les 49 000 que compte le pays.

Cette évaluation se déroule en deux phases : une auto-évaluation de l'établissement suivie d'une évaluation externe. L'équipe d'évaluateurs, qui sont souvent au nombre de trois, est composée par les recteurs.

Quel bilan tirer de ces premières évaluations ? Il existe tout d'abord une défiance forte de la part de la communauté enseignante. L'évaluation y est perçue comme chronophage et inutile. La crainte est également élevée que cette évaluation d'établissement se transforme en évaluation individuelle et il semblerait que cela soit parfois le cas.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Donner du sens à l'évaluation est la condition essentielle pour qu'elle recueille l'adhésion du plus grand nombre au sein de l'établissement. Il nous semble nécessaire d'améliorer le processus actuel dans quatre directions.

Premièrement, les équipes pédagogiques doivent disposer de temps. La préparation et la réalisation de l'auto-évaluation sont des obligations législatives. Elles doivent donc être comptabilisées dans les heures de services des enseignants. Pour le premier degré, l'évaluation doit être intégrée dans les 108 heures annuelles que doivent assurer les enseignants en plus de leurs 24 heures hebdomadaires devant les élèves. Pour le second degré, cela peut donner lieu à l'attribution d'heures supplémentaires effectives par exemple. La présidente du Conseil d'évaluation de l'école, Béatrice Gille, nous l'a d'ailleurs clairement indiqué : « Nous n'avons jamais dit aux recteurs que l'évaluation devait être du bénévolat. »

Deuxièmement, il faut tirer les conséquences de l'évaluation. Là encore, le constat est unanime. Actuellement, les résultats de l'évaluation ne donnent lieu à aucun moyen supplémentaire ni à aucune formation, alors même qu'elle a pu mettre en lumière des besoins spécifiques. Dans ces conditions, elle est perçue comme une perte de temps, qui fait doublon avec l'élaboration du projet d'établissement.

Troisièmement, il nous paraît intéressant d'élargir le vivier des équipes d'évaluateurs. Celles-ci sont principalement composées d'inspecteurs et de membres du personnel de direction. Y inclure plus d'enseignants, mais aussi des agents des collectivités territoriales est de nature à disposer de regards croisés et complémentaires. Cela permettrait aussi de rassurer les équipes pédagogiques à l'égard des craintes d'une évaluation individuelle. La pression sur le corps des inspecteurs, très fortement sollicité pour ce processus, serait également allégée.

M. Max Brisson, rapporteur. - La quatrième condition que nous avons identifiée n'est pas nouvelle : elle concerne la stabilité des équipes. Le projet d'établissement issu de l'évaluation sera d'autant plus efficace qu'il est mis en oeuvre par les personnes participant à son élaboration. Or on connaît la situation de certains établissements, où le turnover des équipes est important. Cela renvoie à des débats que nous avons déjà eus sur l'attractivité du métier d'enseignant.

Pour autant, si les conditions sont réunies, je pense que l'évaluation peut devenir un outil précieux pour l'équipe pédagogique, afin qu'elle puisse élaborer son projet d'établissement à partir de données précises et objectives sur les réalités auxquelles elle est confrontée. Ainsi, l'évaluation est souvent l'occasion de partager avec l'ensemble de la communauté éducative, pour la première fois, un certain nombre de données habituellement à la seule disposition des chefs d'établissement.

Pour Béatrice Gille, présidente du conseil d'évaluation de l'école, « le travail d'évaluation permet d'aboutir à des projets d'établissement d'une autre nature ». D'ailleurs, le recteur de l'académie de Nancy-Metz nous a indiqué que certains établissements avaient demandé à être intégrés le plus tôt possible dans la vague d'évaluation. Leur but est d'identifier leurs besoins et, à partir de cette analyse, d'élaborer un projet innovant répondant aux spécificités de leurs élèves et qui pourrait bénéficier d'un financement du fonds d'innovation pédagogique.

Aujourd'hui, dans la plupart des cas, la démarche d'évaluation est loin de susciter l'adhésion de l'équipe pédagogique, même si cela varie fortement d'un établissement à l'autre. Il est pourtant simple de comprendre qu'elles ne s'empareront de cet outil que si elles y voient un intérêt pour leurs élèves et donc si l'évaluation débouche sur des adaptations pédagogiques concrètes et partagées pour réduire les difficultés mises en lumière.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Enfin, il nous a semblé intéressant de nous pencher sur « l'école du futur » de Marseille, ainsi que sur le fonds d'innovation pédagogique doté de 500 millions d'euros sur le quinquennat. En effet, la démarche voulue par le Président de la République consiste à partir des écoles et des établissements pour faire émerger des projets innovants.

Elle présente, je pense, un risque dans sa méthode même : celui de favoriser les inégalités entre établissements, si cela conduit à ne donner qu'aux établissements qui sont en demande, dans une logique de mise en concurrence, plutôt que de chercher d'abord à identifier les besoins de chacun, d'autant que la nature des projets réalisés laisse penser que c'est uniquement par manque de moyens qu'ils n'avaient pas été mis en oeuvre plus tôt.

Qu'avons-nous constaté sur l'école du futur et le fonds d'innovation pédagogique ? Ces deux mesures ont été lancées sans réelle préparation et se déploient de manière désordonnée et peu transparente. Il y a d'ailleurs souvent une confusion, y compris au sein du ministère, entre « l'école du futur », le plan « Marseille en grand », qui concerne le volet « rénovation du bâti scolaire marseillais », et le volet éducation du Conseil national de la refondation (CNR), qui concerne le reste du territoire. Les projets élaborés dans le cadre du « CNR éducation » peuvent demander un financement au titre du fonds d'innovation pédagogique.

À l'échelle nationale, au 13 juin 2023, seuls 1 900 projets ont été validés, soit moins de 20 par département. Dans l'académie de Lille, seuls 2 % des équipes pédagogiques ayant manifesté un intérêt ont finalement été au bout de la démarche et ont vu leurs projets être retenus.

En ce qui concerne Marseille, à la rentrée de 2021, 59 écoles avaient intégré l'expérimentation de l'école du futur sur les 470 que compte la ville. Elles seraient désormais 89.

Quant au fonds d'innovation pédagogique, il a été déployé dans la confusion. En fonction des inspecteurs de l'éducation nationale, les informations transmises aux directeurs d'école n'étaient pas la même. Certains inspecteurs de l'éducation nationale ont indiqué que le projet devait concerner toute l'école, ce qui n'est pas forcément le plus adéquat lorsque celle-ci regroupe des élèves allant de la petite section au CM2 ; pour d'autres, le projet pouvait ne concerner qu'une partie des classes. De plus, le projet devait être totalement nouveau dans certains cas, alors que, dans d'autres, les écoles et établissements pouvaient présenter un projet préexistant.

Le contenu même des projets suscite des interrogations sur leur caractère innovant. Un recteur entendu en audition nous a dit : « J'ai été déçu des projets, qui n'étaient pas réellement innovants ; il s'agissait de choses qui auraient pu entrer dans les us et coutumes habituels. » Un certain nombre de projets préexistaient au lancement du fonds d'innovation pédagogique. Nous avons également été frappés par le nombre de projets qui concernent du mobilier ou encore l'aménagement des espaces extérieurs, avec par exemple la création d'un potager.

Je tiens à rappeler le partage des compétences : l'État a la charge de la pédagogie, mais le mobilier, tout comme l'aménagement des espaces extérieurs, relève de la compétence des collectivités territoriales.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Face à ce flou et à cette mise en oeuvre désordonnée, nous proposons tout d'abord la réalisation d'une étude sur la mise en place de ce fonds ainsi que sur les projets retenus.

Nous préconisons également d'instaurer auprès de chaque recteur un comité indépendant qui sera chargé de valider la dimension pédagogique et réellement innovante du projet.

Enfin, le fonds d'innovation pédagogique reste encore méconnu de nombreuses équipes pédagogiques. Cette méconnaissance du dispositif est source d'inégalités. Il ressort des auditions que les bénéficiaires du fonds d'innovation pédagogique en cette première année sont les initiés, ceux qui ont l'habitude d'aller rechercher des financements, comme cela se produit dans les collectivités.

Comme a pu nous le dire un représentant syndical des enseignants, « quand l'information arrive au professeur lambda, l'année scolaire est déjà terminée ». C'est la raison pour laquelle nous préconisons de clarifier et de diffuser, au moment de la prérentrée, les critères d'éligibilité de ce fonds à l'ensemble des écoles et des établissements scolaires.

L'accompagnement des équipes est également crucial. Il doit être adapté aux besoins spécifiques des premier et second degrés. Pour l'un des recteurs que nous avons entendus, il existe une différence presque culturelle entre les écoles d'une part, et les collèges et lycées d'autre part.

Dans le secondaire, lancer des projets n'est pas nouveau, même s'il s'agit plutôt de répondre à des appels à projets émanant du rectorat. Les chefs d'établissement et les équipes pédagogiques en ont l'habitude. En revanche, les professeurs du secondaire restent très ancrés dans un sentiment d'appartenance disciplinaire, et les projets sont souvent cloisonnés.

Dans le premier degré, en revanche, les équipes ont l'habitude de travailler en lien avec des partenaires extérieures, et les projets présentés par les écoles mettent souvent en avant une dynamique de réseaux. Mais la formalisation administrative du projet nécessite un accompagnement plus important.

M. Max Brisson, rapporteur. - Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le tableau que nous dressons est assez sévère. Néanmoins, des initiatives académiques sont à saluer. Je pense notamment à l'accompagnement de projets mis en place par l'académie de Nancy-Metz ; à l'échelle des bassins de population, des laboratoires sont en cours de déploiement pour permettre aux équipes pédagogiques de bénéficier d'appuis précieux. Quinze laboratoires ont déjà été installés et trois autres le seront à la rentrée.

Cependant, force est de constater que les équipes du premier degré, moins habituées à l'exercice de formalisation administrative, doivent bénéficier de temps. Je ne reviendrai pas sur les échanges nourris que nous avons pu avoir sur les directeurs d'école. Contrairement aux collèges ou aux lycées, le directeur d'école ne dispose pas d'une équipe administrative pour le seconder dans ses tâches.

Or, à la demande du Président de la République, les écoles marseillaises qui se sont lancées dans la démarche de « l'école du futur » ont bénéficié de moyens spécifiques : un quart de décharge supplémentaire pour le directeur, et des contractuels nommés pour que ces écoles bénéficient de maîtres supplémentaires.

Certes, il n'est pas envisageable de demander un alignement de ces moyens tout à fait dérogatoires pour l'ensemble des écoles françaises qui souhaiteraient se lancer dans la démarche du fonds d'innovation pédagogique. Mais nous souhaitons, dans un souci d'égalité républicaine, qu'elles puissent toutes bénéficier d'un soutien. Cela pourrait, par exemple, prendre la forme de quatre demi-journées banalisées accordées à un enseignant de l'équipe pédagogique - pas forcément au directeur d'école, dont les tâches sont déjà multiples - pour finaliser le projet élaboré collectivement. Bien évidemment, le remplacement de l'enseignant déchargé devra être prévu et organisé à l'avance.

Voilà, mes chers collègues, la synthèse de nos travaux. L'autonomie des établissements scolaires existe donc dans les textes, mais elle est peu appliquée. Quant à l'évaluation, si elle a été souhaitée par le législateur comme un outil au service de l'établissement, elle reste perfectible. À ce jour, elle est davantage perçue comme une contrainte. Enfin, le fonds d'innovation pédagogique, qui doit faire émerger des projets issus des écoles et des établissements scolaires, est mal bâti et sa mise en oeuvre est confuse.

Nos recommandations, dont nous vous avons présenté la synthèse, visent à permettre une pleine application du droit existant, au-delà des débats que nous avons eus et que nous aurons encore sur le bien-fondé d'une autonomie et d'une liberté accrues pour les équipes de nos écoles et établissements scolaires. A droit constant, il reste bien du chemin à faire pour les marges de manoeuvre des établissements prévues par les textes soient effectives, et donc que la confiance accordée aux équipes pédagogiques, des professeurs, des personnels de direction et de vie scolaire présents sur le terrain et le connaissant mieux que quiconque, ne soit pas un élément de discours, mais une réalité.

Je souhaite conclure en disant que j'ai pris plaisir à élaborer ce rapport. Ce n'est pas un secret, nous, rapporteurs, ne sommes pas d'accord sur tout, mais nous avons cherché ce qui pouvait nous rassembler. Nous sommes fiers, monsieur le président, de vous présenter ce rapport à l'occasion du cinquantième anniversaire de la circulaire Fontanet.

M. Laurent Lafon, président. - Je remercie nos trois rapporteurs. Nous savions, en lançant cette mission, qu'il ne serait pas évident d'aboutir à un texte commun, mais vous avez tous eu à coeur d'y parvenir. Il est intéressant de noter que les idées nouvelles sont souvent des idées anciennes remises au goût du jour. De plus, cette articulation entre autonomie, évaluation et fonds d'innovation pédagogique reste totalement à établir.

Mme Monique de Marco. - Je vous remercie de cette analyse consensuelle dans la critique. En effet, ce rapport est très négatif et souligne des dysfonctionnements. Vous indiquez que l'autonomie existe dans les textes, mais se limite souvent, dans les établissements, à la gestion de la dotation globale de fonctionnement et des possibles marges de manoeuvre.

Que préfèrent les établissements ? Pour avoir été enseignante, je peux vous dire que conserver des postes est souvent le coeur de la vision d'établissement. Bien sûr, les projets pédagogiques sont pas toujours accompagnés ni mis en valeur, mais je m'interroge sur l'autonomie : est-elle profitable aux élèves ? Avez-vous des retours d'expérience sur cette question ? Par ailleurs, savez-vous si un établissement qui présente des projets pédagogiques recrute plus facilement des enseignants ?

Mme Céline Brulin. - J'avais hâte de vous entendre, car j'anticipais des visions différentes de votre part sur ce sujet. La manière dont vous avez choisi de l'aborder est plaisante, puisqu'elle ne nie pas vos désaccords, mais consiste à les surmonter. Le constat est sévère, mais je le trouve tout à fait juste et conforme aux retours qui nous viennent du terrain. L'autonomie est peu à peu rognée et entre en contradiction avec de plus en plus d'injonctions descendantes, ce qui me pousse à m'interroger : cette situation n'occupe-t-elle pas une part aussi importante que la reconnaissance salariale dans le malaise actuel des enseignements, qui témoignent d'une perte de sens de leur métier ?

Vous avez bien montré que l'autonomie et les marges de manoeuvre sont de véritables variables d'ajustement et que la possibilité ou non d'y recourir renforce les inégalités entre les établissements. Vous décrivez une situation de forte résistance à l'évaluation, alors que vous estimez qu'une évaluation bien menée pourrait être source de projets pédagogiques intéressants. Quelle devrait donc être la nature d'une évaluation opérante pour produire des projets pédagogiques et collectifs ?

Sur le fonds d'innovation pédagogique, mon analyse est la même que la vôtre. Le ministère vient de fournir la liste des projets menés. Les écoles ont raison de profiter de ce fonds, mais certains projets sont très similaires à ceux qui sont portés habituellement par les écoles. La dimension « innovation » est donc réduite. Des objectifs d'innovation ont-ils été définis ?

Enfin, vous avez évoqué la possibilité d'un comité indépendant, chargé d'évaluer la validité des projets qui pourraient bénéficier du fonds d'innovation pédagogique. Comment imaginez-vous ce comité ? Quels seraient les profils de ses membres ? Il me paraît complexe de garantir l'équilibre entre indépendance et compétence sur le sujet.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je félicite les rapporteurs pour leur travail précis et nécessaire. Leur rapport est en effet accablant, mais il était nécessaire de dresser un état des lieux du droit existant pour se rendre compte de la mise en oeuvre de l'autonomie des établissements scolaires. Le constat est sans appel : les marges d'autonomie des établissements prévues par les textes, dont les plus anciens ont aujourd'hui cinquante ans, ne cessent d'être rabougries par la pratique. La mise en oeuvre du fonds d'innovation pédagogique, doté de 500 millions d'euros pour la durée du quinquennat, est désordonnée, peu transparente et risque de créer des inégalités entre les établissements.

L'évaluation des établissements, prévue par la loi pour une école de la confiance, est perçue par de nombreuses équipes pédagogiques comme une contrainte supplémentaire, et non pas comme un outil utile à l'établissement. Avez-vous constaté un manque de communication autour du fonds d'innovation pédagogique, ou une méconnaissance de ce nouveau dispositif ? Un retour d'expérience est-il prévu par le ministère de l'éducation nationale pour faire le bilan de cette première année d'expérimentation ?

Enfin, pensez-vous que les établissements doivent être encouragés à aller vers plus d'autonomie ? Faut-il rendre les établissements publics plus concurrentiels ? Pensez-vous qu'une autonomie accrue pourrait apporter une réponse au malaise de certains enseignants ?

M. Stéphane Piednoir. - Je souhaite saluer les rapporteurs pour leur effort de consensus. Leur constat sur le système éducatif tel qu'il est me semble plus lucide que sévère, et cette commission pointe régulièrement les dysfonctionnements liés à la question de l'autonomie des établissements scolaires.

Je souhaite cependant préciser que, selon moi, l'autonomie n'est pas qu'une question de moyens financiers. La preuve : les enseignants n'adhèrent que peu au pacte enseignant, instauré pour revaloriser les rémunérations des enseignants réalisant des tâches supplémentaires.

Cette possibilité d'autonomie a-t-elle été envisagée, dans le rapport, sous un angle autre que financier ? Un des points bloquants est la souplesse dans l'emploi du temps des enseignants et ce sujet est rendu plus important encore par la réforme du baccalauréat. Désormais, certaines spécialités prennent fin en mars et sont évaluées dès avril, ce qui provoque une compréhensible démobilisation parmi les élèves. Ne serait-il pas intéressant d'imaginer, d'avril à juin, un nouvel emploi du temps se concentrant sur d'autres types d'activités, afin de remobiliser les élèves sur la fin de la période scolaire ? Cette idée est mal perçue par les syndicats d'enseignants. Peut-elle être examinée à l'aune de cette autonomie des établissements ?

Mme Laure Darcos. - Je remercie aussi les rapporteurs. J'imagine que la volonté de parvenir à un rapport commun fut pour vous une véritable ligne de crête.

Je vais évoquer un exemple précis d'initiative qui se heurte aux problèmes de dotation. Un collège a proposé une option de sciences pour augmenter la part de filles dans les milieux scientifiques. Celle-ci existe depuis deux ans, mais pas une seule heure, sur les dix heures demandées, ne leur a été accordée par le rectorat. Tout le monde se renvoie la balle et cette option va donc disparaître, alors même que l'on plaide pour le retour des jeunes dans les filières scientifiques.

Je souhaite vous poser une question concernant les équipements. Certains maires m'ont dit manquer encore de tableaux interactifs et se tournent vers la région ou le département pour en obtenir. De même, un véritable problème se pose au sujet des manuels scolaires, car les communes n'ont plus les moyens d'en acheter pour leurs établissements. Par conséquent, les professeurs se retrouvent souvent sans support. À cela s'ajoute une formation de quelques heures de formation seulement : ils se retrouvent alors parfaitement démunis face à leurs élèves. Avez-vous réfléchi à ce sujet dans le cadre de votre rapport ? La question est importante, car ces professeurs puisent leurs informations sur internet, en total décalage avec le contenu des bulletins officiels de l'éducation nationale et du Conseil supérieur des programmes.

M. Laurent Lafon, président. - Avant de donner la parole à Jacques-Bernard Magner, permettez-moi, au nom de tous, de le saluer, puisque cette réunion de commission sera la dernière de son mandat. Je souhaite le remercier pour son travail sur ses rapports, et notamment ses rapports pour avis sur les crédits du programme « Jeunesse et vie associative », mais aussi pour le souci de dialogue dont il a témoigné, tout en restant fidèle à son parcours et à son groupe politique.

M. Jacques-Bernard Magner. - Merci, monsieur le président. Il est étonnant de vivre une dernière réunion de commission, après douze ans de mandat.

Je veux à mon tour féliciter les trois rapporteurs pour le travail fait sur le sujet sensible de l'autonomie de l'école publique, laïque et obligatoire. Max Brisson a bien fait la distinction entre autonomie et liberté des établissements. Beaucoup parlent de l'école libre comme étant une école jouissant de liberté, comme si l'autre n'était pas libre, alors que l'école libre est bien souvent privée. Il nous faut donc être prudents sur toutes ces notions.

Est-ce que vous préconisez de donner plus d'autonomie aux établissements ? J'ai bien compris que vous souhaitiez faciliter l'accès à l'autonomie, et il est évident que les moyens ne sont pas fournis pour concrétiser ce que les textes prévoient.

Je sais ce que disent les parents d'élèves au sujet des établissements scolaires. Néanmoins, s'il y avait trop d'initiatives d'autonomie dans certains établissements, la question du respect des programmes nationaux serait posée. L'autonomie ne doit pas s'opposer à la règle générale. Je pense qu'il faut donc bien définir et délimiter la question de l'autonomie, et préciser dans quels domaines les établissements jouissent de marge de manoeuvre. Par exemple, il y a un débat récurrent autour des langues régionales, que certains établissements proposent dans un nombre important d'heures de cours. Je reconnais l'importance culturelle de ces langues, mais elles ne sont pas, pour l'heure, dans les directives du ministère de l'éducation nationale. De plus, des siècles furent nécessaires pour imposer le français aux enfants de certaines régions de France. Cet exemple est peut-être excessif, mais je crois que la prudence est de mise lorsqu'il est question du développement de l'autonomie dans l'éducation nationale.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Au cours d'une audition, les syndicats des chefs d'établissement nous ont informés qu'ils voient leur dotation générale et leurs moyens diminuer d'année en année. Une fois attribués les enseignements obligatoires, une fois réduits les effectifs des classes de langues, une fois garanties les conditions de sécurité de certains enseignements scientifiques, ils ne disposent d'aucune marge de manoeuvre ou presque.

Madame de Marco, vous souhaitez savoir si l'autonomie est profitable aux élèves. Nous nous sommes rendus, avec quelques collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à Marseille pour visiter des écoles du futur. Oui, certains projets sont de qualité ! Cependant, ces derniers sont souvent soit des projets préexistants, que ces fonds nouveaux pérennisent, soit des projets qui étaient envisagés, mais non encore déployés. En revanche, ces fonds servent aussi souvent à l'achat de matériel, c'est pourquoi le bilan que nous dressons dans ce rapport est mitigé.

Une polémique avait éclaté autour de l'école du futur sur la capacité donnée aux directeurs d'établissement de recruter des enseignants. L'idée fut abandonnée. Si un poste est vacant, un recrutement est fait par un petit comité composé, me semble-t-il, d'un inspecteur, d'un enseignant et le directeur de l'école concernée.

Madame Brulin, les auditions ont montré une défiance des enseignants vis-à-vis des projets ou de l'évaluation. Or la question de la reconnaissance, financière ou non, du métier d'enseignant est centrale aujourd'hui, puisque l'on observe un mal-être et donc un désengagement de leur part. Lorsqu'une évaluation est menée dans un établissement et permet de mettre en lumière certains sujets, mais qu'aucun moyen n'est finalement accordé, le découragement est de mise. Voilà ce qui explique la résistance des enseignants.

J'ai voté contre la création du Conseil d'évaluation de l'école, mais j'y siège aujourd'hui. C'est sur ce type de sujets que nous aurions pu nous braquer entre rapporteurs de lignes politiques différentes. In fine, l'avant-propos du rapport précise que nos différents points de vue sont exprimés. J'estime pour ma part, par exemple, que l'évaluation conduit à une mise en concurrence des établissements. Les enseignants, en outre, y voient une perte de temps, car l'élaboration du projet d'établissement ne garantit pas l'allocation de fonds supplémentaires pour le mettre en oeuvre.

Pour le moment, les rapports ne sont pas connus, ils sont transmis aux seuls établissements qui mènent des évaluations. Néanmoins, parce que j'ai rencontré des maires de mon département, je sais que des informations ont circulé du fait d'actions des parents, forcément inclus dans l'étape d'auto-évaluation. Les différents établissements scolaires risquent donc de se percevoir comme des rivaux, c'est pourquoi je ne pense pas que l'évaluation soit une solution. Mes collègues auront néanmoins un autre avis sur cette question.

Le comité indépendant devra être composé d'un inspecteur et de professeurs. Parmi les projets que nous avons vus, certains n'avaient rien d'innovant. Avoir des pédagogies innovantes est donc une bonne chose, mais une évaluation doit aussi être menée au sujet de ce qui est fait à l'heure actuelle. Notre rapport précise que les décisions sont prises de manière très verticale ; or l'éducation se construit, se mûrit et exige que l'on réfléchisse à nos pratiques et à l'accord de celles-ci avec nos objectifs.

Monsieur Levi, vous vous doutez de ma réponse à votre question : plus d'autonomie n'est pas forcément la solution. D'ailleurs, la rédaction du rapport a renforcé ma conviction. L'autonomie est un sujet discuté depuis cinquante ans et dispose aujourd'hui d'un cadre légal toujours en conformité avec les programmes ; elle est très précise, très encadrée. Néanmoins, on prend aujourd'hui conscience que les moyens pour que les établissements la mettent en place sont inexistants ou presque.

En ce qui me concerne, je plaide pour une éducation qui reste « nationale ». À Marseille, lors de notre visite avec mon groupe politique, nous avons rencontré une représentante d'une association de parents d'élèves indépendante qui vivait l'école du futur comme une injustice, car son enfant n'était pas scolarisé dans l'établissement doté d'un « labo maths » pour les maternels. L'autonomie peut, on le voit, poser des problèmes d'inégalité républicaine.

Monsieur Piednoir, l'expérimentation pédagogique permet une certaine souplesse dans l'emploi du temps des enseignants. Néanmoins, pour le moment, les établissements ne se saisissent pas de cette possibilité.

Monsieur Magner, je suis bien sûr très attachée à l'unicité des programmes nationaux. Aujourd'hui, la marge d'autonomie est minime et permet de garder le lien avec les programmes.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Vous l'aurez compris, nous avons essayé de rédiger un rapport consensuel. Des divergences apparaissent, mais elles sont positives puisqu'elles prouvent la persistance de marqueurs politiques. Moi, j'estime qu'accorder plus d'autonomie aux établissements permet de différencier des situations. Une autonomie renforcée n'est pas synonyme d'inégalités. En réalité, les établissements scolaires sont dans des situations différentes, avec des publics différents, et méritent donc des réponses différentes.

En revanche, notre rapport pointe des inégalités profondes dans l'accès au fonds d'innovation pédagogique dans certains appels à projets. Ces budgets supplémentaires sont parfois mal orientés et souvent méconnus. Donner les mêmes informations et les mêmes outils à tous les établissements compte donc parmi les recommandations formulées dans notre rapport.

Madame Brulin, vous vous interrogiez sur le comité indépendant à instaurer auprès de chaque recteur. Ceux-ci pourraient se construire sur la base de cellules académiques recherche développement innovation et expérimentation (Cardie), puisque ces dernières existent déjà à l'échelle des départements.

Aujourd'hui, l'évaluation ne fonctionne pas dans les établissements, car les enseignants sont en retrait et ne s'y engagent pas. Ils n'en ont pas compris l'intérêt et craignent des biais ou une évaluation individuelle menant à des sanctions. Pour que l'évaluation soit efficace, les enseignants doivent être motivés et y trouver de l'intérêt. Quand on demande une évaluation, il faut de la formation et des moyens supplémentaires à attribuer.

J'espère que dans cinquante ans, l'autonomie ne sera plus mal vue. J'ai rencontré récemment une rectrice et le simple mot d'autonomie a résonné comme un gros mot, auquel mon interlocutrice a réagi assez négativement. Je suis pour l'autonomie dans l'intérêt de l'élève, car elle permet un traitement différencié qui répond aux besoins de chaque établissement et de chaque élève.

M. Max Brisson. - Je suis dans l'incapacité de convaincre ma collègue Marie-Pierre Monier du bien-fondé de l'autonomie ; j'ai pourtant essayé ! Je crois cependant que ces débats traversent nos familles politiques. L'histoire des efforts d'autonomie nous montre en effet que les lois qui ont marqué les plus grandes avancées sur la question viennent de la gauche, à l'instar de la loi dite Chevènement de 1985, dont on ne peut pas remettre en cause la dimension républicaine et à qui on doit les attributions données aux EPLE. Les projets d'établissements ont, quant à eux, été créés par la loi d'orientation sur l'éducation de Lionel Jospin. La gauche a donc apporté sa pierre à l'édifice d'une autonomie toujours plus grande des établissements. Bien sûr, celle-ci repose aussi sur la loi Fillon de 2005 et, avant cela, la loi Haby de 1975. Il y a donc un équilibre entre droite et gauche. De plus, les débats agités sur l'autonomie des universités lors de l'audition de la ministre de l'enseignement supérieur, hier, montrent aussi que nos familles politiques se sentent concernées par ces questions républicaines anciennes.

Je vous remercie, madame de Marco pour votre question, excellente et essentielle : les marges d'autonomie sont-elles intéressantes pour les élèves et les établissements ? Je pense que laisser des marges de manoeuvre pour financer des projets d'établissement en heures supplémentaires effectives (HSE), pour assurer des dédoublements des classes de langues ou de sciences, profite nécessairement aux élèves ainsi qu'à l'attractivité de l'établissement auprès des professeurs.

Le problème que l'on constate est que ces marges de manoeuvre, qui permettent à l'établissement de s'adapter à ses besoins réels, sont rognées dans la dotation horaire globale par les réformes successives. Je réponds donc oui, en cela, l'autonomie est profitable aux élèves et aux bonnes conditions de travail des professeurs et donc à l'attractivité des établissements pour les professeurs.

Madame Brulin, les injonctions descendantes sont très mal vécues par les chefs d'établissement. Des représentants de principaux et de proviseurs nous ont parlé, en audition, d'« infantilisation ». Ils reçoivent des circulaires leur indiquant comment constituer un emploi du temps « en barrette ». Ces circulaires infantilisantes prennent par la main le personnel de direction, cadres de catégorie A ; nous ne nous comporterions pas ainsi dans nos collectivités, vis-à-vis de nos chefs de service, de notre directeur général des services. Il faut mesurer le degré de verticalité qui existe au sein de l'éducation nationale. On parle de la crise de l'attractivité, des difficultés de recrutement des professeurs, mais cela touche aussi les chefs d'établissement !

J'en viens à la question de la résistance à l'évaluation. Je vais donner mon point de vue, mais il n'engage que moi. Les professeurs s'y investiront s'ils y voient de l'intérêt pour leur métier et leurs élèves. Aujourd'hui, ils n'y voient pas d'intérêt ; ils y voient du temps perdu et travail supplémentaire, sans mesurer la connexion que cela peut avoir avec la pratique quotidienne. Béatrice Gille l'a parfaitement souligné : le vrai sujet, c'est la connexion avec la vie de l'établissement de l'évaluation, qui leur paraît être en impesanteur, sans lien concret avec leur activité de professeur. Si l'évaluation était le préalable à l'élaboration d'un projet d'établissement, dont on tiendrait compte pour l'affectation de moyens et pour mettre en oeuvre des actions de remédiation scolaire, peut-être seront-ils plus intéressés. Pour moi, la bonne démarche serait celle-là, éventuellement avec le recours au fonds d'innovation pédagogique pour financer des projets innovants conçus après cette évaluation.

Nous avons tous constaté que les projets observés étaient rarement innovants. Reste à définir l'innovation pédagogique ; ce travail n'a pas été fait. Or le mot « pédagogique » me paraît essentiel. On est souvent loin de la recherche de méthodes pédagogiques innovantes adaptées aux élèves. Le comité indépendant que nous proposons pourrait ainsi être composé de professeurs formateurs, d'inspecteurs pédagogiques régionaux et d'inspecteurs de l'éducation nationale, capables de mesurer l'intérêt d'un projet.

Monsieur Levi, oui je souhaite aller plus loin, mais ce n'était pas le débat ce matin. Nous avons eu ce débat lorsque nous avons débattu de ma proposition de loi. Mes positions sur la question sont connues. Je suis attaché à ma manière au service public national d'éducation, mais je suis viscéralement girondin : je plaide pour donner de la liberté. C'est un débat clivant, mais on peut se retrouver autour du cadre national, autour de l'encadrement de cette autonomie. Or on constate que la pratique consiste plutôt à rabougrir les marges existantes, qui résultent pourtant de décisions politiques : l'administration reprend d'une main ce que le législateur avait décidé de l'autre. Souvent sous des législatures de gauche, le législateur avait imposé de la décentralisation, mais l'administration y fait obstacle par de la verticalité. On le constate dans l'éducation et dans d'autres domaines.

M. Jacques-Bernard Magner. - Je ne suis pas d'accord ; la décentralisation de l'éducation nationale n'est pas comparable aux transferts de compétences vers les collectivités.

M. Max Brisson, rapporteur. - Peut-être.

Monsieur Piednoir, il y a les injonctions descendantes, mais il y a un autre sujet, qui nous aurait sans doute opposés : la définition hebdomadaire des obligations réglementations de service (ORS). Ce sujet constitue une différence importante avec le supérieur, où les ORS sont annualisées, ce qui offre une plus grande souplesse dans l'organisation des enseignements. Les organisations syndicales sont opposées à la suppression des ORS hebdomadaires - dix-huit heures pour un certifié, quinze heures pour un agrégé -, qui datent pourtant des années 1950.

Madame Darcos, je ne suis pas favorable à une remise en cause de la loi imposant aux collectivités de fournir les équipements, le matériel pédagogique et la rénovation des écoles. Cela date de 1881, avec la loi Jules Ferry. J'y suis très attaché. Ce sont des choix politiques. Les maires que je rencontre me disent que l'école leur coûte cher, mais qu'ils sont heureux d'en avoir une. La dépense scolaire est pour moi la première dépense que le maire doit porter.

Monsieur Magner, je me rappelle certains combats avec vous, notamment lors de l'examen du projet de loi sur l'école de la confiance. En tout état de cause, nous partageons une passion pour l'école publique. Le débat entre autonomie et liberté traverse notre histoire, notre école et nos familles politiques.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.