N° 884

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur l'autonomie des établissements scolaires,

Par M. Max BRISSON, Mmes Annick BILLON et Marie-Pierre MONIER,

Sénateur et Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mmes Nathalie Delattre, Véronique Del Fabro, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

LISTE DES RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION

Recommandation n° 1 : Mettre fin aux injonctions descendantes fixant de manière encadrée l'organisation des établissements ou l'utilisation d'heures relevant dans les textes de leurs marges d'autonomie.

Recommandation n° 2 : Ne plus financer les réformes éducatives, à l'exemple de la réforme du lycée, en puisant sur les marges d'autonomie des établissements.

Recommandation n° : Examiner chaque année en conseil d'administration, après avis du conseil pédagogique, la manière dont sont utilisées les marges de manoeuvre de l'établissement.

Recommandation n° 4 : Faire du projet d'établissement l'outil de son autonomie et élaborer ce projet après évaluation de l'établissement (auto-évaluation et évaluation externe) afin qu'il réponde aux besoins particuliers établis par l'évaluation et aux spécificités des élèves qui fréquentent l'établissement.

Recommandation n° 5 : Faire de l'évaluation un temps privilégié pour débattre de l'utilisation des marges de manoeuvre de l'établissement et mieux préparer et accompagner l'évaluation de l'établissement.

Recommandation n° 6 : Tirer les conséquences de l'évaluation de l'école ou de l'établissement en termes de moyens et de formations.

Recommandation n° 7 : Intégrer davantage enseignants et acteurs du périscolaire dans les équipes externes évaluant les écoles et les établissements.

Recommandation n° 8 : Réaliser une évaluation nationale de l'ensemble de la démarche du fonds d'innovation pédagogique et des projets mis en place depuis sa mise en oeuvre.

Recommandation n° 9 : Faire du fonds d'innovation pédagogique un outil permettant de répondre aux besoins particuliers des écoles et des établissements par des initiatives pédagogiques innovantes adaptées aux spécificités des élèves qui fréquentent l'établissement.

Recommandation n° 10 : Instaurer auprès de chaque recteur un comité indépendant chargé de valider la dimension pédagogique et réellement innovante des projets présentés au fonds d'innovation pédagogique, l'achat de matériel relevant de la compétence des collectivités.

Recommandation n° 11 : Clarifier et diffuser au moment de la prérentrée les critères d'éligibilité au fonds d'innovation pédagogique à l'ensemble des écoles et établissements.

Recommandation n° 12 : Renforcer les moyens pour que l'ensemble des écoles soient matériellement en capacité de se lancer dans une démarche de projet innovant finançable par le fonds d'innovation pédagogique.

AVANT-PROPOS

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication, à la suite de plusieurs déclarations du Président de la République sur l'autonomie des écoles et des établissements scolaires, a pensé utile de confier une mission d'information sur le sujet à trois rapporteurs.

Dans le cadre de cette mission, ceux-ci ont d'un commun accord décidé de dépasser leurs divergences d'analyses concernant le bien-fondé de l'autonomie des écoles et des établissements scolaires comme outil de réforme de notre système éducatif. Ils n'ont pas davantage souhaité se positionner sur les débats récents quant à la possibilité ou la nécessité d'en élargir le champ. Ils ont unanimement préféré concentrer leurs analyses sur la mise en oeuvre, à droit constant, de l'autonomie des écoles et des établissements scolaires telle qu'elle est rendue possible par le cadre législatif et réglementaire en vigueur.

En effet, une succession de textes, au-delà des alternances politiques, ont depuis 1973 attribué aux écoles et aux établissements scolaires des marges de manoeuvre substantielles en termes d'organisation pédagogique, administrative et financière.

Ainsi, cinquante ans après la première circulaire accordant une certaine marge de manoeuvre pédagogique aux établissements scolaires, les rapporteurs ont souhaité dresser un bilan de l'application des nombreux textes, qui n'ont cessé d'en élargir le champ, de relever les obstacles - nombreux - qui existent et qui parfois se sont renforcés au cours de ces dernières années.

De même, les rapporteurs ont jugé nécessaire d'évaluer l'impact de l'évaluation des écoles et des établissements scolaires, rendue obligatoire par la loi pour une école de la confiance de 2019, ainsi que la mise en oeuvre du fonds d'innovation pédagogique, annoncée par le Président de la République le 25 août 2022 lors de la traditionnelle conférence de rentrée des recteurs. Les rapporteurs se sont aussi attachés à analyser ces mesures au regard de leurs objectifs initiaux et des répercussions concrètes sur les marges d'autonomie des écoles et des établissements scolaires.

En dépassant leurs prises de position divergentes et assumées sur ces sujets, les rapporteurs ont cherché à établir des constats communs et à rédiger 12 recommandations partagées. Celles-ci précisent les moyens nécessaires à l'exercice d'une autonomie réelle des écoles et des établissements scolaires telle qu'elle est prévue par les textes et les conditions permettant de mieux accompagner les équipes pédagogiques à utiliser ces marges de manoeuvre dans un triple objectif de réussite des élèves, d'égalité des chances et de confiance restaurée au bénéfice de ceux qui agissent sur le terrain pour y parvenir.

I. L'EXISTENCE D'UNE AUTONOMIE DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES ANCRÉE DEPUIS LONGTEMPS DANS LES TEXTES

A. UNE IDÉE PORTÉE DEPUIS 50 ANS AU-DELÀ DES ALTERNANCES POLITIQUES

Depuis un demi-siècle, un corpus législatif transpartisan visant à reconnaître une certaine autonomie aux établissements scolaires s'est progressivement mis en place. Cette volonté politique est restée constante au cours des décennies, au-delà des alternances gouvernementales.

1. La circulaire Fontanet, prémices de l'autonomie des établissements scolaires

Les prémices politiques d'une certaine autonomie pour les établissements scolaires ont vu le jour il y a 50 ans, avec la circulaire Fontanet du 27 mars 1973, dite des 10 % culturels. Celle-ci met à disposition des écoles, collèges et lycées 10 % du volume horaire d'enseignement pour des activités pédagogiques décidées localement. Elle reprend l'une des propositions de la commission d'études sur la fonction enseignante dans le second degré, mise en place à la suite des contestations de mai et juin 1968. L'objectif est triple : développer l'interdisciplinarité, encourager le travail en équipe des enseignants et ouvrir les enseignements sur la vie extérieure.

Cette volonté ministérielle se trouve néanmoins rapidement freinée par une interprétation très restrictive faite par certains recteurs. Ainsi, la circulaire du 25 janvier 1974 du recteur de Bordeaux demande d'exclure de la liste des sujets possibles du 10 % culturels « toute activité socio-éducative ou toute étude particulière sur des sujets étrangers à la vie scolaire normale ». La circulaire du 30 janvier 1974 du recteur de Toulouse vise à interdire toute réunion qui aurait pour objet de « rassembler des élèves avec des personnes étrangères ou non à l'établissement (représentants d'association ou autres) »1(*) - limitant d'autant l'objectif d'ouverture des enseignements sur l'extérieur.

2. Une consécration législative dès 1975

L'inscription dans la loi du principe d'une marge d'autonomie pour les écoles et les établissements scolaires est issue de l'article 8 de la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 relative à l'éducation, dite loi Haby, qui consacre, « dans les limites arrêtées par le ministre de l'éducation nationale » une autonomie dans le domaine pédagogique.

Le décret n° 76-1303 du 28 décembre 1976 prévoit les modalités concrètes de cette autonomie. Celle-ci s'exprime dans quatre domaines qui sont toujours d'actualité : l'organisation du collège en classes et groupes ainsi que les modalités de répartition des élèves ; l'emploi des heures d'enseignement mis à la disposition des établissements, dans le respect des programmes ; le choix de sujets d'études spécifiques à l'établissement, en complément des programmes nationaux ; et enfin des activités facultatives « qui concourent à l'action éducative ».

3. La loi Chevènement de 1985 : la création des établissements publics locaux d'enseignement

La loi n° 85-97 du 25 janvier 1985, dite loi Chevènement, crée le statut d'établissements publics locaux d'enseignement et pose les bases de l'administration des collèges et lycées. Les articles actuels L. 421-1 et suivants du code de l'éducation relatifs à l'organisation administrative et financière des collèges et des lycées en sont les héritiers. Cette loi instaure le conseil d'administration, présidé par le chef d'établissement. Celui-ci dispose depuis cette date d'une double qualité : représentant de l'État et autorité exécutive du conseil d'administration2(*).

Dès 1985, la loi fixe la composition du conseil d'administration des collèges et lycées qui est restée, dans ses grandes lignes, inchangée : celui-ci, composé de 24 ou 30 membres, comprend pour un tiers des représentants des collectivités territoriales, de l'administration de l'établissement et une ou plusieurs personnes qualifiées, pour un tiers des représentants élus du personnel de l'établissement et pour un tiers des parents d'élèves et élèves. Son rôle est essentiel : il « fixe les principes de mise en oeuvre de l'autonomie pédagogique et éducative, dont disposent les établissements dans les domaines définis » par les textes. Par ailleurs, il délibère chaque année sur le rapport relatif au fonctionnement pédagogique de l'établissement, les résultats obtenus et les objectifs à atteindre. Il adopte le budget et le compte financier de l'établissement.

Les modalités d'élaboration du budget des collèges et lycées (art. L. 421-11 du code de l'éducation) sont également restées les mêmes dans leurs grandes lignes depuis 40 ans (cf. ci-après).

4. La loi d'orientation sur l'éducation de 1989 : l'apparition du projet d'établissement

L'article 18 de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'école prévoit l'obligation pour chaque école, collège, lycée d'enseignement général et technologique ainsi que professionnel, d'élaborer un projet d'établissement. Celui-ci, qui dès l'origine intègre un volet « évaluation », doit définir les « modalités particulières de mise en oeuvre des objectifs et des programmes nationaux ». Adopté par le conseil d'administration, ou pour le premier degré par le conseil d'école, le projet d'établissement associe les membres de la communauté éducative, et notamment l'équipe pédagogique pour ce qui concerne le volet pédagogique du projet. La rédaction actuelle de l'article L. 401-1 du code de l'éducation relatif au projet d'école ou d'établissement découle directement de la loi de 1989. Ont été ajoutés en 2005 le principe d'une révision périodique, tous les trois à cinq ans, du projet ainsi que l'association des parents d'élèves à son élaboration.

Les projets d'établissement ont un rôle important à jouer dans la réussite des élèves et le climat scolaire. Il doit être un document fédérateur de l'ensemble de la communauté éducative, issu d'un travail collectif, ancré dans un territoire et tenant compte des spécificités et des besoins des élèves fréquentant l'établissement.

5. La loi d'orientation sur l'avenir de l'école de 2005 : la création du conseil pédagogique

La loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programmation pour l'avenir de l'école institue au sein de chaque Établissement public local d'enseignement (EPLE) un conseil pédagogique. Sa création s'inscrit dans l'autonomie pédagogique et éducative dont disposent les établissements. Présidé par le chef d'établissement et réunissant au moins un professeur principal de chaque niveau d'enseignement et au moins un professeur par champ disciplinaire, le conseil pédagogique prépare la partie pédagogique du projet d'établissement. Il est également chargé de coordonner les enseignements, la notation et l'évaluation des activités scolaires.

Dans l'esprit du législateur, la création du conseil pédagogique doit contribuer à renforcer le rôle pédagogique du chef d'établissement, dans la lignée du protocole d'accord de 2000 relatif aux personnels de direction : ce dernier a notamment confié au chef d'établissement la responsabilité « d'impulser et conduire une politique pédagogique et éducative d'établissement au service de la réussite des élèves ». Le rapport de notre ancien collègue Jean-Claude Carle sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école rappelait que le conseil pédagogique devait proposer un programme d'accueil des enseignants stagiaires ainsi que des actions locales de formation continue des maîtres, ce qui « va dans le sens d'un renforcement de la cohésion des équipes éducatives, clé essentielle pour la réussite d'un établissement »3(*).

Cette loi a également généralisé la contractualisation dans les EPLE en instaurant le contrat d'objectifs. Il est élaboré après un dialogue avec l'autorité académique. Ce contrat définit les objectifs à atteindre par l'établissement pour satisfaire aux orientations nationales et académiques. Il mentionne également les indicateurs qui doivent permettre la réalisation de ces objectifs.

B. UNE AUTONOMIE QUI PEUT S'EXPRIMER DANS QUATRE DOMAINES

L'autonomie des établissements scolaires s'exerce de manière encadrée. Comme le rappelle l'article L. 421-4 du code de l'éducation, la mise en oeuvre de l'autonomie pédagogique et éducative doit se faire « dans le respect des dispositions législatives et règlementaires en vigueur et des objectifs définis par les autorités compétentes de l'État ». Néanmoins, dans les textes, les marges de manoeuvre des écoles et établissements scolaires sont importantes.

1. Une possibilité d'autonomie croissante en matière pédagogique et éducative

Ce volet est historiquement le premier à être apparu - dès 1973 - et s'est progressivement enrichi.

Il s'exerce notamment dans les domaines suivants : l'organisation du temps scolaire et les modalités de la vie scolaire, la préparation de l'orientation ainsi que de l'insertion sociale et professionnelle des élèves, la définition, compte tenu des schémas régionaux, des actions de formation complémentaire et de formation continue destinées aux jeunes et aux adultes, l'ouverture de l'établissement sur son environnement social, culturel, économique, le choix de sujets d'étude spécifiques à l'établissement, en particulier pour compléter ceux qui figurent aux programmes nationaux, sous réserve de l'accord des familles pour les élèves mineurs, les activités facultatives qui concourent à l'action éducative organisées à l'initiative de l'établissement à l'intention des élèves ainsi que les actions d'accompagnement pour la mise en oeuvre des dispositifs de réussite éducative4(*).

2. La gestion des moyens horaires

Les établissements scolaires disposent d'une autonomie pour « l'organisation en classes et en groupes d'élèves ainsi que les modalités de répartition des élèves » et pour « l'emploi des dotations en heures d'enseignement et, dans les lycées, d'accompagnement personnalisé mises à la disposition de l'établissement dans le respect des obligations résultant des horaires réglementaires »5(*).

Dès 1983, les établissements se voient attribuer une dotation horaire globale (DHG). L'enveloppe attribuée à chaque établissement est définie en fonction du nombre d'élèves. Tant pour le collège que le lycée, le rectorat peut abonder ces enveloppes horaires selon des critères qu'il définit. Il peut s'agir de critères sociaux (en fonction de l'indice de positionnement social de l'établissement, ou du nombre d'élèves issus d'une école située en éducation prioritaire par exemple), mais également pour mettre en oeuvre une politique académique. Ainsi, à la rentrée 2022, l'académie de Lille a souhaité faire un effort particulier sur la classe de seconde, pour mieux accompagner les élèves dans leurs parcours scolaires et éviter les décrochages : cinq lycées généraux et technologiques bénéficient de 38,5 heures pour la création d'une classe de seconde, afin de diminuer le nombre d'élèves par classe ; et six lycées professionnels de dix heures afin de renforcer l'accompagnement personnalisé.

L'attribution de la dotation horaire globale

L'article 6 de l'arrêté du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements dans les classes de collège prévoit « outre la dotation horaire correspondant aux enseignements obligatoires, une dotation horaire, sur la base de trois heures par semaine et par division », à disposition des établissements scolaires. À titre d'exemple, un collège de 16 divisions (soit schématiquement 4 classes par niveau) dispose de 48 heures « d'autonomie », qu'il peut utiliser pour « favoriser le travail en groupe à effectifs réduits » ou « les interventions conjointes de plusieurs enseignants », ou encore proposer un ou plusieurs enseignements facultatifs, listés à l'article 7 du même décret. Il s'agit notamment des langues et cultures de l'Antiquité, une deuxième langue vivante étrangère ou régionale, un enseignement de langues et cultures européennes, les langues et cultures régionales ou encore une chorale.

Pour le lycée, c'est une enveloppe de 12 heures par semaine et par division en seconde, et de 8 heures en première et terminale6(*) qui est laissée à la disposition des établissements. Le conseil pédagogique doit être consulté sur l'utilisation de ces heures. Elles peuvent notamment être utilisées pour la mise en place d'une aide personnalisée, une limitation des effectifs par classe, la création d'options ou encore des heures d'orientation.

3. Le volet administratif et budgétaire

Conséquence de la création des établissements publics locaux d'enseignement, les collèges et lycées disposent d'un budget propre. Depuis 1985, le chef d'établissement est informé avant le 1er novembre du montant prévisionnel de la participation aux dépenses d'équipement ou de fonctionnement par le département pour les collèges, et par la région pour les lycées. Sur cette base, il prépare le projet de budget qu'il soumet au conseil d'administration. Il est transmis au représentant de l'État, à la collectivité de rattachement ainsi qu'à l'autorité académique dans les cinq jours suivant le vote. Celui-ci devient exécutoire dans un délai de trente jours7(*).

Doté de la personnalité juridique, l'établissement peut être signataire de marchés, contrats et conventions. Il peut également recevoir des financements dans le cadre d'appels à projets.

4. L'expérimentation pédagogique

Parallèlement aux marges de manoeuvre communes à l'ensemble des établissements, la loi d'orientation pour l'avenir de l'école de 2005 a défini un nouveau cadre pour les expérimentations au sein des établissements scolaires.

Ces expérimentations, d'une durée de trois à cinq ans, peuvent porter sur l'enseignement des disciplines, l'interdisciplinarité, l'organisation pédagogique de la classe, de l'école ou de l'établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, les échanges ou le jumelage avec des établissements étrangers d'enseignement scolaire. La loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire du 3 août 2018 y a ajouté l'utilisation des outils et ressources numériques.

La loi pour une école de la confiance de 2019 a étendu les domaines d'expérimentation à la liaison entre les différents niveaux d'enseignement, l'enseignement dans une langue vivante étrangère ou régionale, la répartition des heures d'enseignement sur l'ensemble de l'année scolaire, les procédures d'orientation des élèves et la participation des parents d'élèves à la vie de l'établissement8(*). Cette loi prévoit également une association systématique des collectivités locales concernées à la définition des grandes orientations des expérimentations menées par l'éducation nationale et à leurs déclinaisons locales. Elle permet, sous réserve de l'accord des enseignants concernés, de modifier la périodicité des obligations réglementaires de service. Cette disposition vise à rendre possible un service des enseignants sur une base plus large que la semaine - le mois, le trimestre ou l'année -, pour permettre, par exemple des regroupements d'heures d'enseignement.

Cette possibilité d'expérimentation existe depuis bientôt 20 ans. Les rapporteurs estiment opportun que le ministère procède à un bilan de ce dispositif, notamment pour connaître le devenir des expérimentations pédagogiques menées.

II. DES MARGES D'AUTONOMIE RABOUGRIES PAR LA PRATIQUE

A. UN INTERVENTIONNISME CROISSANT DU POUVOIR LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE LIMITANT LES MARGES DE MANoeUVRE DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES

Le législateur et le pouvoir réglementaire, en précisant le contenu du règlement intérieur ou du projet d'établissement ont, ces dernières années, érodé l'autonomie des établissements scolaires.

Le rapport annuel des inspections générales de 2019 sur l'autonomie des établissements scolaires rappelle que les règlements intérieurs doivent reproduire l'échelle des sanctions prévues à l'article R. 511-13 du code de l'éducation, et en tire cette conséquence : « Un établissement ne peut pas fixer, dans le cadre de son autonomie, l'échelle des punitions et sanctions qu'il souhaiterait voir mises en place face aux manquements à leurs devoirs par les élèves ». De même, la circulaire 2002-098 du 25 avril 2002 relative à la politique de santé des élèves, précise que chaque établissement doit intégrer dans son projet les objectifs et les actions concernant la santé des élèves, adaptées à leur âge et maturité.

Le projet d'établissement doit également inclure un volet « sécurité routière », puisque l'article R. 321-46 du code de l'éducation prévoit que l'enseignement des règles générales de sécurité et une formation aux premiers secours « sont mis en oeuvre en application des programmes et dans les différentes activités organisées par l'établissement dans le cadre du projet d'établissement ».

Le plan de mobilisation pour les valeurs de la République, annoncé en janvier 2015, demande aux projets d'établissement d'inclure une participation active des élèves aux journées de commémoration. Enfin, la loi visant à combattre le harcèlement scolaire de 2022 impose aux projets d'établissement de fixer les lignes directrices et les procédures destinées à la prévention, à la détection et au traitement des faits de harcèlement.

Les récentes annonces du ministre de l'éducation nationale et du Président de la République sont symptomatiques de la multiplication des injonctions descendantes, qui font comme si l'autonomie des établissements scolaires n'existait pas depuis 30 ans. Tel est le cas de l'annonce dans la précipitation le dimanche 11 juin dernier, de l'obligation d'organiser dans l'ensemble des collèges une heure de sensibilisation au harcèlement et aux réseaux sociaux dès la semaine suivante - au risque d'une « infantilisation » des chefs d'établissement et des enseignants.

La mise en place du PACTE sur le plan de l'autonomie des établissements scolaires, dont les contours sont encore incertains à moins de deux mois de la rentrée et bien que présenté comme un nouveau levier de pilotage à disposition des chefs d'établissement, encadre fortement leur marge d'action : d'une part, il impose comme mission prioritaire le remplacement de courte durée - faisant ainsi écho à la promesse présidentielle du 22 mars dernier. D'autre part, dans le cadre de réunions académiques et départementales des DASEN, des recteurs ont demandé que certaines périodes de l'emploi du temps soient sanctuarisées, notamment le mercredi matin, afin d'accueillir des enseignants du premier degré chargés de cours de soutien aux élèves de sixième. C'est une contrainte supplémentaire pour le chef d'établissement et les équipes pédagogiques dans la constitution de l'emploi du temps des élèves et des enseignants.

Recommandation n° 1 : Mettre fin aux injonctions descendantes fixant de manière encadrée l'organisation des établissements ou l'utilisation d'heures relevant dans les textes de leurs marges d'autonomie.

B. DES RÉFORMES ÉDUCATIVES FINANCÉES SUR LES MARGES D'AUTONOMIE DES ÉTABLISSEMENTS

À de nombreuses reprises, les rapporteurs ont entendu de la part des services du ministère le rôle majeur que joue la dotation horaire globale dans l'autonomie des EPLE : « la marge d'autonomie est dans l'utilisation des dotations qui dépassent le strict minimum pour faire fonctionner un établissement ». Or, ces dotations sont en constante diminution.

Comme l'ont constaté les rapporteurs dans leurs précédents travaux sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat9(*), la réforme du lycée est particulièrement consommatrice de dotation horaire globale. Cet écueil n'a toujours pas été corrigé comme ont pu le constater les rapporteurs lors de leurs auditions. Les établissements se trouvent confrontés à un dilemme : permettre aux élèves de choisir les spécialités qu'ils souhaitent, au nom de l'égalité d'accès aux études supérieures sur l'ensemble du territoire et pour renforcer l'attractivité de l'établissement, au risque de ne pas pouvoir proposer certaines options, dédoublements de classe ou heures d'orientation.

L'orientation est pourtant la clé de voûte des études dans le secondaire, du fait d'un lycée à la carte. L'institution scolaire, au sein du service public de l'orientation, a un rôle essentiel à jouer, pour ne pas que cette réforme renforce les inégalités sociales et mette fin à « la part de non-dit qui entoure l'orientation en France » dénoncée par l'inspection générale10(*). C'est la raison pour laquelle la réforme du lycée inclut des heures d'orientation : douze heures en quatrième, trente-six heures en troisième, cinquante-quatre heures annuelles au lycée général et technologique. Néanmoins, celles-ci ne sont pas inscrites dans l'emploi du temps. Mais, comme l'avait indiqué Bruno Bobkiewicz, proviseur de la cité scolaire Hector Berlioz à Vincennes auditionné dans le cadre des précédents travaux des rapporteurs, « une fois les heures de spécialités et d'options posées, il ne me reste quasiment plus de dotation horaire globale pour faire de l'orientation ».

La proposition, faite par les rapporteurs il y a un an, de sanctuariser les heures d'orientation, en plus de la dotation horaire globale, reste plus que jamais d'actualité11(*).

Les préconisations du rapport sur le bilan des mesures éducatives
du quinquennat relatives à la dotation horaire globale

- Prévoir une dotation horaire spécifique pour les établissements isolés ou de petite taille, afin de garantir un déploiement équitable de la réforme du lycée ;

- Garantir la présence des options « mathématiques expertes », « mathématiques complémentaires » ou encore de « droit et grands enjeux du monde contemporain » dans tous les établissements et les exclure du calcul de la dotation horaire globale ;

- Inscrire les 54 heures annuelles d'orientation dans la grille horaire des enseignements des lycées généraux et technologiques ;

- Sanctuariser les heures d'orientation, en plus de la dotation horaire globale, afin de permettre à chaque établissement de disposer des marges de manoeuvre suffisantes pour les mettre en place.

Pour les rapporteurs, les marges d'autonomie des établissements scolaires ne doivent plus être les variables d'ajustement des réformes éducatives décidées au ministère. Celles-ci doivent bénéficier de moyens spécifiques afin, d'une part, de ne pas renforcer les inégalités entre les établissements qui pourront les mettre en place et ceux qui ne disposeront pas des moyens en interne pour le faire et, d'autre part, de ne pas remettre en cause le volet pédagogique de l'autonomie des établissements scolaires, en obligeant les chefs d'établissement à puiser dans leurs dotations horaires globales pour mettre en oeuvre des réformes nationales.

Recommandation n° 2 : Ne plus financer les réformes éducatives, à l'exemple de la réforme du lycée, en puisant sur les marges d'autonomie des établissements.

C. UNE MARGE QUASI-INEXISTANTE POUR LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES LES PLUS PETITS

Au-delà de la seule réforme du lycée, pour les inspections générales12(*), « il apparait qu'une taille minimale semble nécessaire pour pouvoir mettre en place l'offre de formation. En dessous de seize divisions au collège et de neuf divisions de seconde au lycée, il est difficile de couvrir l'ensemble des besoins, notamment l'ouverture des enseignements optionnels ». Et de constater pour les établissements de petite taille : « L'autonomie se trouve ainsi limitée par la contrainte que représente l'insuffisance de la dotation, liée à la taille de l'établissement. Les choix opérés risquent dans ces cas d'être influencés par des politiques académiques ou nationales plutôt que guidés par une stratégie d'établissement ».

Les dédoublements des classes de langues ou encore la limitation du nombre d'élèves dans les classes de sciences pour des raisons de sécurité limitent de facto les marges horaires des établissements. Ils ne sont pourtant pas pris en compte dans l'attribution des dotations.

Dans le cadre d'un dialogue de gestion déconcentré, les rapporteurs préconisent l'instauration d'une part spécifique de dotation horaire globale tenant compte des besoins spécifiques de certains établissements scolaires (difficultés sociales, éloignement géographique ...).

L'attribution de la dotation horaire globale dans l'académie de Lille

Lors de son audition, Mme Valérie Cabuil, rectrice de l'académie de Lille, est revenue sur la répartition de la DHG dans son académie. Celle-ci comporte trois volets :

- un volet réglementaire, défini par les textes (voir encadré ci-dessus) ;

- un volet dit « structure », qui a pour objet de permettre aux établissements de petite taille de proposer une « offre de formation aussi diversifiée que dans les grands établissements » ;

- un volet social calculé sur la base de l'indice de position sociale (IPS) - celui-ci varie de 70 à 130 dans l'académie13(*) - ainsi que sur le nombre de lycéens issus d'un collège de REP, REP + ou disposant d'un IPS faible. Ce volet social correspond en moyenne à 5 à 6 % de la dotation d'un établissement. Il peut néanmoins représenter jusqu'à une dizaine de postes dans certains établissements défavorisés.

Le rapport de l'inspection générale sur l'évaluation de la mise en oeuvre des enseignements optionnels au sein du nouveau lycée général et technologique souligne que : « la mission a pu identifier l'existence d'une taille critique d'établissement nécessaire pour permettre le plein déploiement de la réforme. Selon les avis de certains secrétaires généraux rencontrés, cette taille pourrait être proche d'une capacité de 950 à 1 000 élèves ou de neuf divisions par niveau. Pour les lycées d'une taille inférieure, il est très difficile de parvenir avec la seule marge d'autonomie à remplir à la fois l'objectif d'accompagnement des élèves, de financement des dédoublements et de proposition d'une offre d'enseignements optionnels ».

Pour les lycées de petite taille, la quasi-intégralité de la dotation horaire globale est consommée pour proposer des options et spécialités en nombre suffisant : il s'agit d'une nécessité pour l'attractivité de l'établissement et pour ne pas limiter les élèves dans leurs choix d'études supérieures. De fait, leur autonomie pédagogique disparait sans pour autant permettre une mise en oeuvre de la réforme dans de bonnes conditions.

Face au constat d'un empiètement sur l'utilisation de la dotation horaire globale pour mettre en oeuvre des politiques nationales et centralisées, les rapporteurs préconisent l'examen, chaque année, de la manière dont sont utilisées les marges de manoeuvre de l'établissement. Ce rendez-vous annuel doit être l'occasion pour l'équipe pédagogique de réfléchir collectivement à l'utilisation de ces marges, mais aussi d'identifier le rognage sur l'autonomie de l'établissement prévue par les textes. Ce recueil d'éléments, en lien avec la précédente recommandation, est un élément essentiel pour le chef d'établissement dans le cadre de son dialogue de gestion avec le rectorat, pour l'attribution des moyens.

Recommandation n° : Examiner chaque année en conseil d'administration, après avis du conseil pédagogique, la manière dont sont utilisées les marges de manoeuvre de l'établissement.

D. L'ÉCOLE PRIMAIRE : L'EXISTENCE DE MARGES DE MANoeUVRE QUI S'IGNORENT

Même en l'absence de personnalité juridique, les écoles primaires disposent de marges d'autonomie. Les moyens d'expression de cette autonomie sont nombreux : répartition des élèves par classe, composition des maquettes, notamment création de classes à plusieurs niveaux, affectation des professeurs dans l'école, mise en oeuvre de méthodologies pédagogiques spécifiques (décloisonnement des classes, travail en petits groupes par exemple ...)

La loi d'orientation du 10 juillet 1989 prévoit l'élaboration dans chaque école d'un projet d'école qui définit « les modalités particulières de mise en oeuvre des objectifs et des programmes nationaux ». La circulaire n° 90-039 du 15 février 1990, prise en application de cette nouvelle disposition, est explicite : « le projet d'école reconnaît l'espace d'autonomie indispensable aux acteurs du système éducatif pour adapter leurs actions aux réalités du terrain ».

Les enseignants peuvent également s'appuyer sur les 108 heures annuelles d'obligation de service, qui s'ajoutent à leurs 24 heures hebdomadaires devant la classe. En effet, la circulaire du 27 août 2020 sur les fonctions et conditions de travail des directeurs d'école souligne la « nécessité de leur donner de l'autonomie » et rappelle que « les directeurs d'école ont, avec les équipes pédagogiques, la pleine responsabilité de la programmation et de la mise en oeuvre des 108 heures dans le respect de la répartition réglementaire ».

La répartition des 108 heures d'obligation de service dans le premier degré

Les enseignants du premier degré doivent assurer un service de 24 heures hebdomadaires correspondant aux heures de cours. À cela s'ajoutent 108 heures annuelles réparties comme suit :

- 18 heures de formation continue et d'animation pédagogique,

- 36 heures d'activités pédagogiques complémentaires, notamment pour l'aide aux élèves en difficulté, ou pour une activité prévue par le projet d'école,

- 48 heures forfaitaires, consacrées notamment aux travaux en équipes pédagogiques et les relations avec les parents,

- 6 heures pour le conseil d'école.

Or, des pratiques locales au niveau des services déconcentrés viennent éroder l'autonomie des équipes pédagogiques du premier degré. Les rapporteurs ont été informés de la nécessité, dans certaines académies, de disposer d'une habilitation pour exercer dans des classes dédoublées en REP et REP +. C'est notamment le cas dans le Bas-Rhin.

Cela n'est pas sans conséquence sur la liberté d'organisation des écoles : en effet, lors de la répartition des classes entre les enseignants, seuls ceux habilités peuvent enseigner dans les classes de grande section à CE1 - voire également de moyenne section si les annonces du Président de la République de limiter le nombre d'élèves dans ce niveau se concrétisent. Certes, les rapporteurs ont, dans leurs précédents travaux, préconisé une formation systématique portant sur le niveau de classe dédoublée qu'a en charge l'enseignant. Néanmoins, ils appellent à la vigilance vis-à-vis de toute formalité qui risquerait de remettre en cause l'organisation et la liberté pédagogiques des écoles, telles que les textes les prévoient.

III. L'ÉVALUATION DES ÉTABLISSEMENTS : CONTRAINTE SUPPLÉMENTAIRE OU OUTIL AU SERVICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉDUCATIVE ?

A. UNE MONTÉE EN PUISSANCE DE L'ÉVALUATION DES ÉTABLISSEMENTS DEPUIS 2019

La loi pour une école de la confiance de 2019 a créé le conseil d'évaluation de l'école chargé d'évaluer en toute indépendance l'organisation et les résultats de l'enseignement scolaire. Depuis trois ans, dont deux années marquées par la Covid, l'évaluation des écoles et des établissements scolaires se met en place. Le cadre d'évaluation pour les établissements du second degré a été arrêté en juillet 2020. Il a commencé à se déployer à la rentrée 2020-2021, d'abord dans les collèges, les lycées devant déjà gérer la mise en oeuvre de la réforme du lycée et du baccalauréat.

Compte tenu du modèle d'évaluation en deux parties, une auto-évaluation, suivie d'une évaluation externe, les débuts ont été lents : en pleine pandémie, l'auto-évaluation participative, associant l'ensemble des acteurs, y compris les collectivités territoriales, les élèves et les parents, a été difficile à organiser.

Les modalités de l'évaluation

L'article L. 241-12 du code de l'éducation, introduit par la loi pour une école de la confiance, prévoit une évaluation des écoles et établissements selon un double volet : une auto-évaluation de l'établissement, suivie d'une évaluation « externe ». L'équipe d'évaluateurs externes est composée par les recteurs. Actuellement, elles sont principalement composées de personnes de l'encadrement de l'éducation nationale (inspecteurs, personnels de direction). Des personnels des collectivités territoriales peuvent également y participer.

Comme l'a expliqué Béatrice Gille, présidente du conseil d'évaluation de l'école, devant la commission le 16 février 2022, « l'auto-évaluation doit mobiliser l'ensemble des acteurs, analyser le contexte, les besoins des élèves de l'établissement, interroger les décisions prises et les effets de ces décisions. Elle propose une feuille de route du futur projet d'établissement, intégrant les axes de développement, les objectifs, plans d'action et les besoins de formation. Une fois cette auto-évaluation terminée, l'équipe d'évaluateurs externes arrive, pour prendre acte de l'auto-évaluation et essayer d'amener l'établissement plus loin, lui apporter une plus-value par rapport à l'analyse qu'il a réalisée ».

Après des débuts poussifs, l'évaluation dans le second degré atteint désormais un rythme de croisière. En cette fin d'année scolaire 2022-2023, 50 % des établissements du second degré, incluant les établissements privés sous contrat, auront été évalués. Le seuil symbolique de la moitié des établissements évalués devrait être franchi, permettant d'inscrire l'évaluation des établissements scolaires dans le paysage éducatif.

L'évaluation des écoles a commencé plus tardivement. Le cadre relatif aux écoles du premier degré a été arrêté en janvier 2022, après une expérimentation effectuée au dernier trimestre de l'année 2021, pendant laquelle un regroupement d'écoles a été évalué dans chaque département. En 2021-2022, 735 écoles ont été évaluées. L'année 2022-2023 est donc la première année de pleine application de l'évaluation du premier degré. En juillet 2023, ce sont ainsi 10 000 écoles qui ont été évaluées - sur les 48 580 écoles que compte la France - soit 2 500 à 3 000 regroupements d'écoles.

La spécificité de l'évaluation dans le premier degré : le regroupement d'écoles

Le modèle d'évaluation des écoles tient compte d'une part, du nombre très élevé d'écoles sur le territoire et, d'autre part, de leur grande diversité : un tiers d'entre elles ont trois classes ou moins. Afin de permettre une évaluation régulière des écoles - tous les cinq ans comme le prévoit la loi -, le conseil d'évaluation de l'école a choisi de procéder par des regroupements d'écoles. Les regroupements s'appuient sur l'expertise des DASEN et des IEN de circonscription, afin qu'ils aient du sens sur le plan pédagogique. L'expérimentation de 2021-2022 a permis de tester différents types de regroupement : écoles viviers d'un même collège, écoles maternelles et élémentaires d'un même bassin de vie, permettant d'avoir des populations d'élèves homogènes, le regroupement déjà existant dans le cadre des plans de formation « en constellation » de mathématiques et de français afin de s'appuyer sur des équipes qui se connaissent déjà entre écoles...

Avec l'accord du maire, le périscolaire est également intégré dans l'évaluation : cela permet de considérer la journée complète de l'enfant. Il est à noter que dans le cadre de l'expérimentation en 2021-2022, tous les maires des écoles évaluées ont donné leur accord pour que soit intégré le temps périscolaire.

B. ENTRE CRITIQUES ET OPPORTUNITÉ, UN PREMIER BILAN DE L'ÉVALUATION DES ÉTABLISSEMENTS

L'évaluation qui est désormais effective depuis deux ans dans le second degré est diversement appréciée.

Les rapporteurs ont notamment pu constater une défiance de la part de la communauté enseignante. Selon le SNPDEN, principal syndicat des personnels de direction de l'éducation nationale, un certain nombre d'enseignants ont refusé d'être intégrés dans le processus d'évaluation de leur établissement, ou encore refusent d'être auditionnés par les équipes extérieures. Dans le même temps, les syndicats enseignants du second degré ont alerté sur le déroulement de certaines évaluations, durant lesquelles l'inspecteur de l'éducation nationale, présent au titre de l'évaluation externe de l'établissement, a dans le fait procédé à une évaluation du professeur pendant son cours. Comme le souligne Daniel Le Cam du SNES-FSU lors de son audition, « parfois l'évaluation externe se passe bien : les personnels d'inspection sont là pour écouter les équipes pédagogiques ; mais dans d'autres cas, ils leur adressent des injonctions. Les enseignants finissent alors par boycotter le processus d'évaluation externe qui se finit dans une discussion entre l'inspecteur et le chef d'établissement ».

Dans certains établissements connaissant des problèmes, le lancement de l'évaluation peut être perçu comme une sanction, surtout lorsque les enseignants n'en sont pas informés à l'avance.

Pour Béatrice Gille, « ce qui est compliqué à comprendre c'est que l'évaluation n'est pas dangereuse : on peut tranquillement regarder ce qui se fait dans un établissement, aucune responsabilité individuelle ne sera pointée ni de sanctions données. » Pour prévenir la dérive vers l'évaluation personnelle, une charte déontologique prévoyant des garde-fous a été élaborée : aucun nom de personnes ne doit être mentionné dans les rapports. Néanmoins, ce document ne peut à lui seul lever les craintes entourant l'évaluation des établissements.

Le développement de l'évaluation appelle à une évolution du métier des inspecteurs, notamment les inspecteurs académiques - inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) dans le second degré -, et à une meilleure formation dans cette nouvelle forme d'évaluation collective : en effet, leur coeur de métier porte sur le contenu pédagogique, la pédagogie appliquée en cours, l'accompagnement des enseignants dans l'évolution de leur discipline et l'approfondissement de leur niveau de compétences et d'expertise. C'est une démarche différente de l'évaluation d'un établissement qui doit s'inscrire dans une perspective collective, en vue d'identifier les besoins propres des élèves de l'établissement et élaborer le projet d'établissement rassemblant l'ensemble de la communauté éducative.

Cette même charte déontologique prévoit également la diffusion limitée du rapport d'évaluation au comité d'administration « et par son intermédiaire de l'ensemble des acteurs de l'établissement, de l'autorité académique et de la collectivité de rattachement » et prévoit qu'une « autre diffusion ne fait pas partie du cadre de l'évaluation ». Ce principe doit être maintenu.

L'évaluation est souvent perçue comme une contrainte chronophage et supplémentaire. L'auto-évaluation ressemble beaucoup à la phase de diagnostic du projet d'établissement et peut apparaître comme un doublon.

Au regard de la charge de travail engendrée par cette évaluation, davantage perçue par les équipes comme un outil de contrôle que comme une plus-value pour le bon fonctionnement des établissements, la rapporteure Marie-Pierre Monier n'est pour sa part pas favorable au principe même de cette démarche. Au contraire, pour Max Brisson, rapporteur, l'évaluation est un outil indispensable pour permettre aux établissements scolaires d'exercer leur marge de manoeuvre.

Pour les trois rapporteurs, si évaluation il doit y avoir, celle-ci doit être un outil au service de la définition du projet d'école ou d'établissement, qui lui-même doit répondre aux besoins et spécificités de l'établissement et des élèves. Il ressort des auditions qu'un certain nombre de projets d'école et d'établissement pourraient être améliorés - pour Valérie Cabuil, rectrice de l'académie de Lille, « un certain nombre sont standardisés » - lorsqu'un tel document existe. Selon la Cour des comptes, « la moitié des établissements ne sont pas dotés d'un projet d'établissement, et parmi ceux qui le sont, la qualité de la démarche et la portée du document sont très inégales »14(*).

En revanche, certains établissements se sont déjà saisis de l'opportunité que permet l'évaluation. Richard Laganier, recteur de l'académie de Nancy-Metz, a ainsi indiqué aux rapporteurs que certains chefs d'établissement ont demandé d'anticiper leurs évaluations dès l'année prochaine pour enclencher une dynamique d'auto-évaluation dans la perspective de l'élaboration de nouveaux projets éligibles au conseil national de la refondation (CNR).

C. LES CONDITIONS À METTRE EN PLACE POUR UNE ÉVALUATION AU SERVICE DES ÉQUIPES PÉDAGOGIQUES

Donner du sens à l'évaluation est la condition essentielle pour qu'elle recueille l'adhésion du plus grand nombre au sein de l'établissement. Pour les rapporteurs, l'évaluation ne doit pas constituer une obligation supplémentaire - du « temps perdu » - mais recouper le travail de préparation du projet d'école et d'établissement. L'évaluation permet en effet de réfléchir sur le « contexte externe et interne ». C'est dans cette configuration qu'elle peut devenir un outil plutôt qu'un fardeau.

L'évaluation est également souvent la première fois où certaines données, dont a connaissance le personnel de direction, sont partagées avec l'ensemble de l'équipe pédagogique.

Bien menée et acceptée, l'évaluation doit permettre de poser un diagnostic collectif en vue de l'élaboration du projet d'établissement. Comme le souligne Béatrice Gille, présidente du conseil d'évaluation de l'école, « il faut que les projets d'établissement deviennent des projets de l'établissement, et plus le projet de tel ou tel ». L'évaluation doit ainsi être synchronisée avec la rédaction du projet d'école ou d'établissement dans le cadre de l'actualisation ou du renouvellement de celui-ci.

Recommandation n° 4 : Faire du projet d'établissement l'outil de son autonomie et élaborer ce projet après évaluation de l'établissement (auto-évaluation et évaluation externe) afin qu'il réponde aux besoins particuliers établis par l'évaluation et aux spécificités des élèves qui fréquentent l'établissement.

Les rapporteurs ont identifié cinq conditions à remplir pour que les évaluations aient du sens, et ainsi puissent devenir des outils utiles pour les équipes pédagogiques.

Il s'agit tout d'abord pour les équipes de disposer de temps, dans le cadre de leurs horaires de service, ou rémunérés, pour travailler ensemble sur l'évaluation puis la rédaction du projet d'établissement. L'évaluation représente pour les équipes pédagogiques un investissement : pour le premier degré, l'auto-évaluation se déroule en moyenne sur une période de 4 à 8 semaines et l'évaluation externe sur une période de 2 à 6 semaines : « La mesure du temps passé n'est pas simple selon que les auteurs des bilans raisonnent en termes concentrés (heures strictement dédiées à ce travail) ou en termes déployés (incluant les temps d'ajustement des agendas des différents acteurs concernés) : ainsi, l'évaluation externe représente-t-elle en moyenne cinq jours (mode concentré), mais s'étale sur une période de deux à six semaines (mode déployé) »15(*).

Béatrice Gille, présidente du conseil d'évaluation de l'école, a tenu à le souligner devant les rapporteurs : « nous n'avons jamais dit que l'évaluation était du bénévolat. Nous indiquons au contraire aux recteurs d'anticiper les évaluations, de l'évoquer dès la pré-rentrée et d'inclure l'évaluation dans les 108 heures ». Les rapporteurs partagent ce point de vue : la préparation et la réalisation de l'auto-évaluation font désormais partie des tâches demandées par le législateur aux enseignants ; l'évaluation et le travail de concertation qu'ils induisent doivent être comptabilisés au titre des heures de service des enseignants.

L'évaluation doit être réalisée pour le premier degré dans le cadre des 108 heures annuelles de service (par exemple, heures prises parmi les 48 heures forfaitaires consacrées aux travaux en équipes pédagogiques et les relations avec les parents, ou encore sur certaines des 18 heures de formation et d'animation pédagogique).

Dans le second degré, des heures supplémentaires effectives (HSE) pourraient être affectées à cet usage. Par ailleurs, l'évaluation périodique et l'élaboration du projet d'établissement étant des obligations légales, les rapporteurs estiment que les établissements dont l'évaluation est prévue, doivent bénéficier l'année en question d'un abondement horaire supplémentaire, afin que ces HSE affectées à l'auto-évaluation ne soient pas prises sur la dotation globale horaire de l'établissement. Dans le cas contraire, cela reviendrait à réduire davantage ses maigres marges d'autonomie.

Recommandation n° 5 : Faire de l'évaluation un temps privilégié pour débattre de l'utilisation des marges de manoeuvre de l'établissement et mieux préparer et accompagner l'évaluation de l'établissement.

Interrogée sur l'aspect chronophage que représente l'évaluation pour les équipes pédagogiques, Béatrice Gille a indiqué assumer cette charge de travail, car l'évaluation permet d'aboutir à des projets d'établissement « d'une tout autre nature : le rapport coût/bénéfice est intéressant ». Le SE-UNSA n'est pour sa part pas opposé à la démarche d'évaluation, à condition qu'elle ait du sens pour les équipes : elle doit notamment amener à des actions concrètes, avec des moyens humains, matériels et de formation, au regard des besoins qui sont identifiés.

Or à ce jour, les rapporteurs constatent que l'évaluation et le projet d'établissement n'ont actuellement aucune conséquence. Comme le souligne le SNPDEN, « derrière l'évaluation, il doit y avoir des préconisations et des formations : à ce jour, nous n'avons pas entendu de formations qui auraient été proposées à des équipes pédagogiques à la suite de l'évaluation ». Ce constat est également dressé par Daniel Le Cam du SNES-FSU : « l'évaluation est plutôt perçue comme une perte de temps. Comment notre quotidien change, une fois le diagnostic fait ? Quelles sont les solutions proposées ? ».

L'évaluation doit permettre, pourtant, de poser un diagnostic et d'identifier les efforts à faire. Or, force est de constater qu'aujourd'hui, l'allocation des moyens ne prend pas en compte ce diagnostic. Les rapporteurs ont ainsi interrogé Richard Laganier, recteur de l'académie de Nancy-Metz à ce sujet, qui souligne la nécessité de disposer de dotations supplémentaires pour pouvoir le faire. Il a indiqué que l'enveloppe du conseil national de la refondation (CNR) permet de faire le lien avec la dynamique de projets. Néanmoins, pour les rapporteurs, cela ne répond de manière que trop partielle aux besoins, car les financements du CNR ne concernent que le subventionnement de projets jugés innovants.

Recommandation n° 6 : tirer les conséquences de l'évaluation de l'école ou de l'établissement en termes de moyens et de formation.

Afin de lutter contre certaines dérives de l'évaluation, les rapporteurs estiment nécessaire de renforcer la présence des enseignants parmi les équipes d'évaluateurs externes. Ceux-ci disposent en effet d'une connaissance complémentaire des élèves et de leurs besoins à celle des inspecteurs d'académie. Ce renforcement de la présence des enseignants est également de nature à éviter la dérive d'une évaluation de l'établissement vers une inspection individuelle de l'enseignant - ou la perception et la crainte d'une telle dérive. Enfin, lors de leur audition, les syndicats d'IA-IPR ont alerté sur la tension sur les effectifs qu'induit l'évaluation, malgré la création de postes. Du fait de leurs autres missions, notamment le rendez-vous de carrière dans le cadre du PPCR (parcours professionnels, carrières et rémunérations) et l'évaluation individuelle des enseignants, ils ne disposent plus de temps pour accompagner les établissements après l'évaluation. L'élargissement du vivier d'évaluateurs externes permettrait de limiter la pression s'exerçant sur les corps d'inspection, et de manière générale sur l'ensemble des participants qui seraient alors moins sollicités individuellement.

En ce qui concerne le premier degré, les rapporteurs se félicitent que de nombreux maires soient favorables à l'inclusion du temps périscolaire dans l'évaluation. Le partage d'expertise et l'échange entre l'ensemble des acteurs ne peuvent qu'en être renforcés si un nombre plus important de personnels des collectivités territoriales intervenant quotidiennement dans les écoles, notamment les Atsem et les personnels du périscolaire, deviennent des évaluateurs externes. Les récentes annonces du Président de la République sur une ouverture des collèges d'éducation prioritaire de 8 heures à 18 heures appellent également à intégrer les acteurs du périscolaire dans l'évaluation des établissements du second degré.

Recommandation n° 7 : Intégrer davantage enseignants et acteurs du périscolaire dans les équipes externes évaluant les écoles et les établissements.

Enfin, la mise en oeuvre du projet d'établissement sera d'autant plus efficace, qu'il y a une stabilité des équipes. Or, force est de constater que les concours d'enseignants n'attirent plus. Si toutes les académies sont concernées, certaines sont plus touchées que d'autres, obligeant le rectorat à recourir à un nombre croissant de contractuels avec un « turn-over » important.

Les résultats du concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) 2023 :
de nombreux postes vacants à la rentrée

Selon les derniers résultats du CRPE, 1 264 postes n'ont pas été pourvus sur les 8 174 postes ouverts, soit un peu plus de 15 % de postes vacants. Trois académies concentrent le plus grand nombre de vacances de postes : Créteil, Versailles et la Guyane, avec respectivement 49 %, 45 % et 70 % des postes vacants.

Les académies de Versailles et de Créteil bénéficient d'un concours supplémentaire dont les épreuves écrites ont eu lieu en avril. Enfin, depuis cette année et possiblement jusqu'en 2026, un concours interne réservé aux contractuels a été créé à Créteil, Versailles et en Guyane, avec respectivement 200, 120 et 50 postes offerts en 2023.

En ce qui concerne le CAPES 2023, près de 20 % des postes ne sont pas pourvus, soit 861 postes.

Il y a urgence à revaloriser le métier d'enseignant et renforcer son attractivité. Les rapporteurs renvoient aux nombreux travaux de la commission sur cette question.

IV. L'ÉCOLE DU FUTUR ET LE VOLET ÉDUCATION DU CONSEIL NATIONAL DE REFONDATION : DES INJONCTIONS DESCENDANTES NON PRÉPARÉES

A. UNE VOLONTÉ POLITIQUE AU PLUS HAUT NIVEAU POUR FAIRE ÉMERGER DES PROJETS INNOVANTS DEPUIS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES

Lors de son discours à Marseille le 2 septembre 2021, le Président de la République a annoncé vouloir faire de certaines des écoles de la ville « un laboratoire de liberté et de moyens, un projet pédagogique qui est adapté aux élèves ». Il s'agit d'écoles dans lesquelles « on pourra donc adapter, repenser les projets d'apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours, les façons d'enseigner » : « l'idée est simple : donner plus de libertés pour obtenir plus de résultats ». Un budget de 2,5 millions d'euros est consacré au soutien et au financement de ces projets innovants.

Ce sont initialement 59 écoles maternelles, élémentaires et primaires, sur les 470 écoles de la ville, qui se sont lancées dans cette démarche, à la rentrée 2021, soit selon les informations transmises par le ministère de l'éducation nationale environ 700 enseignants et 11 000 élèves concernés, dont seulement 65 % sont scolarisés dans un établissement scolaire relevant de l'éducation prioritaire. Actuellement, selon les derniers chiffres transmis aux rapporteurs par le recteur de l'académie d'Aix-Marseille, 89 écoles marseillaises participent à cette démarche.

Le projet marseillais « école du futur » comporte deux volets : le premier concerne le soutien à des projets pédagogiques innovants dans six domaines d'expérimentation : espaces pédagogiques innovants, sciences et mathématiques, arts et cultures, sport et citoyenneté, langues vivantes, éducation au développement durable.

Le deuxième concerne le recrutement des enseignants : lorsqu'un poste est vacant, celui-ci est transformé en poste à profil. Les enseignants peuvent postuler sur ces postes, la sélection étant ensuite faite par une commission départementale composée d'un inspecteur de l'éducation nationale, du directeur de l'école concernée et d'un enseignant de l'école, qui émet un avis favorable ou défavorable sur chaque candidature. Ce volet est source de nombreuses critiques et interrogations auprès des enseignants. Lors de son audition, Virginie Akliouat, secrétaire départementale du SNUIPP-FSU des Bouches-du-Rhône, a notamment souligné que la procédure de recrutement via des postes à profil correspond normalement à des postes demandant des compétences spécifiques. Or, « dans le cas présent, ce sont des compétences ordinaires qui sont demandées, ce qui introduit une part non négligeable de subjectivité dans le choix de la personne ».

Dès juin 2022, avant même la fin de l'expérimentation et d'analyses des résultats sur la réussite des élèves - contrairement aux propos du Président de la République16(*) - celle-ci a fait l'annonce d'une généralisation à l'ensemble du territoire, dans le cadre du CNR.

Enfin, un fonds pour l'innovation pédagogique doté de 500 millions d'euros sur le quinquennat, destiné à financer des innovations à l'initiative des écoles et établissements scolaires, a été annoncé par le Président de la République le 25 août 2022 lors de la conférence des recteurs.

« L'école du futur », « Marseille en Grand », « Notre école, faisons-là ensemble » : trois programmes distincts autour de l'école

Le programme « l'école du futur » se distingue de « Marseille en grand ». Alors que le premier concerne l'innovation pédagogique, le deuxième porte, en matière scolaire, sur la rénovation du bâti scolaire marseillais, dont certains sont très fortement dégradés.

Dans le cadre de « Marseille en Grand », une enveloppe de 1,2 milliard d'euros sur 10 ans est allouée à la rénovation des 470 écoles de la ville. 845 millions d'euros sont prévus, abondés à hauteur de 400 millions d'euros par l'État et 445 millions d'euros par la ville (fonds propres, emprunt, mais aussi fonds vert, DSIL, fonds européens...) pour rénover les 188 écoles les plus dégradées. À cela s'ajoute une enveloppe de 386 millions d'euros de la ville sur dix ans, pour la rénovation courante des 290 autres écoles (correspondant à l'investissement moyen annuel nécessaire de 40 millions d'euros pour ces entretiens et améliorations).

Il existe cependant des confusions auprès des acteurs locaux entre ces deux programmes. Celles-ci s'expliquent en partie par le fait que les annonces du Président de la République le 2 septembre 2021 devaient initialement porter sur le volet bâti scolaire et non le volet pédagogique. S'y est ajouté, selon Virginie Akliouat, un discours initial au rectorat indiquant que les deux dispositifs étaient conditionnés : pour pouvoir intégrer « Marseille en grand » et bénéficier d'une rénovation du bâti scolaire, l'école devait s'inscrire dans la démarche des projets innovants.

« Notre école, faisons-là ensemble » est le volet éducation du conseil national de la refondation, lancé le 8 septembre 2022 par le Président de la République. Il vise à faire émerger, au niveau local, des initiatives pour améliorer la réussite et le bien-être des élèves et réduire les inégalités scolaires. Les projets qui nécessitent un soutien financier peuvent bénéficier du fonds pour l'innovation pédagogique, doté de 500 millions d'euros sur l'ensemble du quinquennat.

La coexistence de ces trois programmes est source de confusion, y compris au sein du ministère. En témoigne l'exemple du projet de l'école du Rouet de Marseille, présenté par le CNR éducation dans sa brochure de présentation des premiers projets innovants. Il y est mentionné que le projet est financé dans le cadre de « Marseille en Grand ».

B. UNE MISE EN oeUVRE DÉSORDONNÉE, SANS PROTOCOLE

1. Un nombre de projets qui reste faible

Il ressort des auditions menées un sentiment d'une avancée à marche forcée dans les académies, sans réelle réflexion autour de la notion d'innovation, comme si les propos du Président de la République en septembre 2021 - « cela doit être déboursé au plus vite », constituent le critère premier d'attribution de crédits.

Au final, rapporté au nombre d'écoles et d'établissements scolaires, le nombre de projets validés semble faible. Dans l'académie Aix-Marseille, en dehors des 89 « écoles du futur » marseillaises, 400 000 euros de projets ont été validés. 192 projets ont été validés ou sont en cours de validation. Seuls 36 % des crédits prévus pour le premier degré et 61 % de ceux pour le second degré ont été alloués au 25 juin. Dans le premier degré, une vingtaine d'écoles - hors Marseille - serait concernée. 243 projets sont en cours de rédaction par les équipes pédagogiques, selon les chiffres transmis par le rectorat.

Dans l'académie de Lille, début mars 2023, seuls 19 projets ont été jugés comme répondant aux critères - pourtant très souples - mis en place par l'académie, pour un montant total de 262 000 euros. L'écart est ainsi très important entre le nombre d'équipes pédagogiques ayant exprimé l'intention de s'inscrire dans cette démarche - 1 112 équipes selon les chiffres transmis par la rectrice de Lille -, le nombre de projets y compris ceux qui vont être déposés - 392 -, le nombre de projets réellement déposés - 119 - et le nombre au final retenu : 16 % des projets déposés ont bénéficié d'un financement et moins de 2 % des équipes pédagogiques ayant manifesté un intérêt ont été au bout de la démarche et ont vu leur projets retenus.

Quant à l'académie de Nancy-Metz, si la consommation de l'enveloppe allouée de 1,6 million d'euros dans le cadre du CNR atteint 59 % en mai 2023 - avec une consommation particulièrement forte du volet réservé au second degré (84 %) -, le nombre d'écoles et d'établissements concernés est au final peu élevé : 21 projets validés dans le premier degré et 25 dans le second degré, sur - à peine - 125 projets déposés.

Dans les trois académies plus particulièrement étudiées par les rapporteurs, ce sont ainsi à peine quelques dizaines de projets « innovants », émanant des écoles et établissements, qui ont émergé. À l'échelle nationale, au 13 juin 2023, 1 900 projets ont été validés sur les 5 954 projets déposés. 1,8 million d'élèves sont directement concernés par la mise en oeuvre des projets validés, soit 14 % des élèves de la maternelle au lycée.

Recommandation n° 8 : Réaliser une évaluation nationale de l'ensemble de la démarche du fonds d'innovation pédagogique et des projets mis en place depuis sa mise en oeuvre.

Une forme d'autocensure a également été mise en avant : trop d'équipes pédagogiques considéreraient qu'elles ne proposent pas une véritable innovation et s'excluent d'elles-mêmes de la possibilité de solliciter le fonds d'innovation pédagogique.

Signe de ce déploiement dans la précipitation, il n'y a pas eu de réflexion sur les modalités pratiques d'affectation des fonds aux projets lauréats du premier degré. En effet, les écoles ne disposant pas de la personnalité juridique, elles ne peuvent pas se les voir directement attribués. Au final, c'est une solution au cas par cas qui est retenue : gestion en direct par le rectorat, transmission des fonds à la commune ou l'intercommunalité. Lors de son audition en novembre 2022, Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale, a indiqué que « dans le cadre de l'expérimentation marseillaise, le financement a transité par des établissements du second degré », même si « ce n'est pas une situation optimale ». Certains rectorats n'excluent pas d'utiliser également cette solution.

2. Un fonds déployé dans la confusion

Par ailleurs, la procédure à suivre n'a pas été toujours explicitée aux écoles et n'est pas présentée de la même manière selon l'interlocuteur à qui les équipes pédagogiques s'adressent, ce qui est source de confusion. Cela traduit également une mise en oeuvre précipitée de ce fonds. Dans certains départements, il a été indiqué que le projet devait concerner toutes les classes de l'école, ce qui n'est pas toujours opportun dans des écoles allant de la petite section de maternelle au CM2. Autre exemple de présentation différente du fonds d'innovation pédagogique, certains inspecteurs de l'éducation nationale ont jugé nécessaire de mettre en place des projets nouveaux, tandis que d'autres ont signalé la possibilité de présenter des projets déjà existants, en les travaillant différemment.

Jonathan Welschinger, secrétaire national du SNUIPP-FSU, a également indiqué que dans l'académie de Strasbourg, où les contrats locaux d'accompagnement (CLA)17(*) sont en train d'être déployés, une confusion est maintenue par le rectorat sur la nécessité pour les écoles intégrant un CLA d'y adosser un projet innovant au sens du CNR, afin de pouvoir bénéficier à la fois de financement « CLA » et de financement CNR/fonds d'innovation pédagogique : « il y a un mélange des dispositifs existants, sans savoir concrètement à quoi correspond chaque dispositif, mais seulement qu'il y a des financements possibles ».

Enfin, les rapporteurs ont été alertés sur l'absence de retour sur les projets déposés : certaines écoles ont déposé leur projet depuis plus de deux mois, et ne savent toujours pas s'il a été accepté ou refusé.

3. Des projets à visée pédagogique ?

Un premier bilan réalisé en mars 2023 fait émerger quatre thématiques principales : la pédagogie, la continuité des temps éducatifs, l'orientation et l'inclusion.

Selon les informations transmises par Virginie Akliouat, secrétaire départementale du SNUIPP-FSU (13), certains projets pourtant validés n'ont au final pas vu le jour. Tel est le cas d'un projet de « classe orchestre » où le matériel livré ne correspond pas à celui commandé par les enseignants.

Les rapporteurs ont été surpris par la nature de nombreux projets sélectionnés dont la dimension « innovante » interroge. Cette opinion semble partager par plusieurs des recteurs auditionnés : « j'ai été un peu déçu des projets, qui n'étaient pas tellement innovants : il s'agissait de choses qui auraient pu entrer dans les us et coutumes habituels », ou encore « dans l'académie, tous les projets ne sont pas innovants ».

Au-delà des projets emblématiques mis en avant par le ministère
- laboratoire de mathématiques à Marseille, logiciel d'aide à l'apprentissage en Ille-et-Vilaine -, il ressort des auditions que de nombreuses demandes portent sur du mobilier ou des outils en faveur de l'école inclusive : mobilier flexible, matériel numérique. Ces projets interpellent les rapporteurs en raison du partage de compétences entre l'État et les collectivités territoriales : à l'État la compétence pédagogique et aux collectivités territoriales le matériel et le bâti scolaire. Or, comme le souligne un représentant syndical : « la découverte des métiers, l'organisation des salles : ce sont des projets qui empiètent des fois sur le domaine de la collectivité territoriale. De même, la création du point « bien-être », la végétalisation des cours et du bâtiment ou encore la création d'une ludothèque sont des projets qui sont très près du financement habituel par les collectivités territoriales ». Un certain nombre de projets relève, dans les faits, plus d'une opportunité de financement. Le fonds d'innovation pédagogique joue davantage le rôle de levier dans le cadre d'un co-financement impliquant la collectivité territoriale.

Ainsi, pour les rapporteurs, un comité indépendant de l'autorité académique doit valider la dimension pédagogique du projet.

Recommandations :

- n° 9 : Faire du fonds d'innovation pédagogique un outil permettant de répondre aux besoins particuliers des écoles et des établissements par des initiatives pédagogiques innovantes adaptées aux spécificités des élèves qui fréquentent l'établissement ;

n° 10 : Instaurer auprès de chaque recteur un comité indépendant chargé de valider la dimension pédagogique et réellement innovante des projets présentés au fonds d'innovation pédagogique, l'achat de matériel relevant de la compétence des collectivités.

Les rapporteurs se sont interrogés sur les modalités de sélection des projets. Les académies ont fait le choix de ne pas procéder par des appels à projets, à la différence des appels à manifestation d'intérêt (AMI) du volet éducation du plan de relance France 2023. Il s'agit, selon Bruno Martin, secrétaire général de l'académie d'Aix-Marseille, de « libérer les initiatives ». Cette procédure rend plus que nécessaires l'information et l'accompagnement des équipes pédagogiques.

4. Un recyclage de projets

De nombreux projets « innovants » sont dans les faits des projets préexistant au fonds d'innovation pédagogique.

Pour le SNUIPP-FSU : « il s'agit de projets qui existent depuis des années dans les écoles, avec des fonds cherchés auprès des collectivités, de partenaires, ou faits sans budget via des bricolages ». Ce constat est le même dans le second degré : pour Laurent Lapeyre, délégué national du SE-UNSA, « la nouveauté est l'existence d'un fonds, qui permet de financer des projets qui se faisaient déjà auparavant. Chaque rectorat disposait de fonds pour cela. Il y avait déjà un responsable de l'innovation dans chaque académie, ainsi que des appels à projets ».

Parmi les 45 premiers projets « innovants », mis en avant par le ministère de l'éducation, plusieurs sont en fait une extension de projets déjà existants. Tels sont les cas du projet du collège Paul Ramadier de Decazeville, « Jouons avec les maths ! », dont la fiche de présentation mentionne explicitement qu'il s'appuie sur un « laboratoire de mathématiques déjà existant », du projet de l'école Suzanne Lacore de Saint-Jacques-de-la-Lande où « depuis deux ans, l'équipe enseignante (...) met en oeuvre auprès des élèves un outil d'aide à la différenciation pour l'apprentissage de la lecture : le logiciel Ridisi », ou encore de celui du Lycée Pierre et Marie Curie de Châteauroux, pour lequel « le projet [Permettre aux élèves de 1ère une projection vers des études post-bac ambitieuses] s'appuie sur des actions ponctuelles autour de l'orientation entreprises depuis plusieurs années dans le lycée »18(*).

5. La nécessité d'un meilleur accompagnement

Le fonds d'innovation pédagogique reste encore méconnu par les équipes pédagogiques. Comme le souligne Audrey Lalanne, déléguée nationale du SE-UNSA, « le terme d'innovation pédagogique est peut-être grandiloquent », et d'ajouter : « beaucoup de collègues ne savent même pas que ce fonds existe ». Ce constat d'un manque de compréhension sur l'opportunité que représente ce fonds est très largement partagé. Pour Valérie Quéric, secrétaire nationale du SNPDEN et principale de collège dans l'académie d'Amiens, « les collègues ne s'en sont pas encore saisis, ou n'ont pas compris ce qu'ils pouvaient en faire ».

Le problème de connaissance du dispositif est source d'inégalités entre les écoles et établissements dans l'accès à ce fonds : en cette première année de lancement, il bénéficie principalement à ceux qui ont l'habitude de répondre à des appels à projets - « ceux qui se sont approprié le dossier sont souvent les initiés » , ou encore à ceux dont l'inspecteur de l'éducation nationale a identifié en leur sein des projets déjà existants qui pourraient s'inscrire dans la démarche d'innovation promue par le Président de la République. « Quand l'information arrive au professeur lambda, l'année est déjà finie » alerte Daniel Le Cam du SNES-FSU.

Pour la rapporteure Marie-Pierre Monier, cette inégalité dans l'accès à ce fonds d'innovation trouve ses racines dans sa méthode même de fonctionnement, qui donne seulement aux établissements en demande et favorise une logique de mise en concurrence, au lieu de chercher d'abord à identifier les besoins de chacun.

Pour les rapporteurs, l'égalité dans l'attribution du fonds d'innovation pédagogique nécessite avant tout un accompagnement renforcé des équipes pédagogiques et adapté aux besoins spécifiques du premier et du second degré. Il existe en effet une différence presque culturelle : dans le secondaire, lancer des projets n'est pas nouveau, même s'il s'agit habituellement de répondre à des appels à projets émanant du rectorat. Les chefs d'établissement - et les équipes pédagogiques - en ont l'habitude et le temps. En revanche, les professeurs du secondaire restent très ancrés dans un sentiment d'appartenance disciplinaire et les projets sont souvent cloisonnés.

Dans le premier degré, si les équipes pédagogiques travaillent souvent en lien avec des partenaires extérieurs (collectivités territoriales, associations de parents), permettant une meilleure dynamique de réseaux dans les projets que proposent certaines écoles, la formalisation du projet nécessite un accompagnement plus important. À titre d'exemple, dans le département de Haute-Provence, les directeurs d'école déposant un projet ont été invités par la direction académique à présenter trois devis. Outre le fait qu'il s'agisse d'un travail chronophage, cela ne relève pas de leurs compétences habituelles : « dans le secondaire, cela relèverait de la compétence des agents gestionnaires des établissements scolaires », précise Virginie Akliouat, secrétaire départementale du SNUIPP-FSU (13).

Cet accompagnement nécessite également une évolution du métier des inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) - qui interviennent auprès des enseignants du premier degré -, et des inspecteurs académiques-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) pour le second degré. Ils doivent ainsi devenir des facilitateurs de projets, plutôt que pourvoyeurs d'injonctions descendantes. Dans certains départements, des IEN imposent un échange avec les équipes pédagogiques sur le projet avant qu'elles ne le déposent. Cela est parfois vécu comme de la défiance et la mise en place d'un échelon supplémentaire : la validation du projet par l'IEN.

Afin que chaque équipe pédagogique puisse se saisir de l'opportunité que présente le fonds d'innovation pédagogique, les rapporteurs préconisent de clarifier et diffuser au moment de la prérentrée les critères d'éligibilité à ce fonds à l'ensemble des écoles et établissements scolaires.

Recommandation n° 11 : Clarifier et diffuser au moment de la prérentrée les critères d'éligibilité au fonds d'innovation pédagogique à l'ensemble des écoles et établissements.

Les rapporteurs saluent l'initiative du rectorat de Nancy-Metz qui a lancé à la rentrée 2022-2023 de laboratoires d'accompagnement des projets, en lien avec l'école académique de la formation continue, pour accompagner les équipes pédagogiques dans la conduite de leurs projets, notamment innovants.

L'accompagnement de projets dans l'académie de Nancy-Metz

Le rectorat de Nancy-Metz a mis en place un laboratoire académique de formation et d'accompagnement des équipes dans la conduction de projets, et notamment de projets innovants. Trois séminaires ont été organisés pour les équipes qui se sont lancées dans la démarche du CNR.

L'objectif de l'académie est de mettre en place, dans chaque bassin de population, un laboratoire semblable, pour que les équipes pédagogiques puissent bénéficier d'un lieu d'appui. Une quinzaine de lab numérique ont pour l'instant été installés. Trois autres sont en cours d'installation pour la rentrée 2023.

Dans l'académie d'Aix-Marseille, le rectorat a proposé aux enseignants intéressés par la démarche « l'école du futur » à Marseille et « notre école faisons-là ensemble », pour le reste de l'académie, de visiter pendant deux jours des écoles innovantes et rencontrer les équipes pédagogiques adhérant au programme « l'école du futur ». Le remplacement de leur absence doit être assuré. Plus de 500 enseignants sur l'ensemble de l'académie ont répondu favorablement à cette proposition. Néanmoins, selon les informations transmises par Virginie Akliouat un nombre significatif d'enseignants ont annulé leur participation, leur remplacement ne pouvant au final pas avoir lieu, ou bien ont été prévenus au dernier moment de leurs deux jours de décharge, ne leur permettant pas d'organiser leur remplacement dans de bonnes conditions.

Surtout, la conception et le montage d'un projet nécessitent du temps. Cette condition est mise en avant par l'ensemble des syndicats enseignants et personnels de direction auditionnés.

Les rapporteurs constatent que les « écoles du futur » à Marseille bénéficient de moyens humains spécifiques, le ministère de l'éducation nationale et l'académie d'Aix-Marseille ayant jugé nécessaire que les écoles participantes disposent de moyens humains supplémentaires pour l'élaboration et la mise en oeuvre des « projets innovants ». Ainsi, les directeurs d'école ont pu bénéficier d'un quart de décharge supplémentaire, celui-ci ayant été attribué à l'un des enseignants de l'école si le directeur bénéficie déjà d'une décharge totale. En outre, ces écoles ont pu bénéficier de postes supplémentaires, via la mise à disposition de contractuels. Selon Virginie Akliouat, cela représenterait un nombre d'équivalents temps plein « approchant de la centaine ». Les enseignants bénéficient également des HSE (heures supplémentaires effectives) pour la rédaction du projet et les réunions d'équipe en lien avec celui-ci.

Les rapporteurs ont également été informés de la pratique de certains établissements privés n'ayant pas accueilli d'élèves pendant quelques jours pour que les professeurs puissent réfléchir à des projets éligibles au fonds d'innovation pédagogique.

Les rapporteurs recommandent, au nom de l'égalité, un renforcement des moyens pour l'ensemble des écoles dans la perspective de développement de projets innovants. Quatre demi-journées banalisées pourraient être accordées à un membre de l'équipe pédagogique - pas forcément au directeur dont les tâches sont déjà nombreuses - pour finaliser le projet. Son remplacement doit être prévu et assuré, pour lui permettre de bénéficier effectivement de ce temps de montage et de finalisation du projet.

Recommandation n° 12 : Renforcer les moyens pour que l'ensemble des écoles soient matériellement en capacité de se lancer dans une démarche de projet innovant finançable par le fonds d'innovation pédagogique.

EXAMEN EN COMMISSION

12 JUILLET 2023

_________

M. Laurent Lafon, président. - Notre réunion est aujourd'hui consacrée à la présentation et au vote des conclusions de la mission d'information sur l'autonomie des établissements scolaires, que nous avions décidé de créer il y a plusieurs semaines.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Mes chers collègues, je salue amicalement mes deux collègues rapporteurs, avec qui j'ai travaillé pour la deuxième fois.

Ce rapport sur l'autonomie des établissements scolaires représente quatre mois de travaux. Nous avons souhaité centrer ces travaux autour de trois sujets : la mise en oeuvre de cette autonomie, l'évaluation des établissements scolaires et le déploiement du fonds d'innovation pédagogique.

Nos positions politiques peuvent diverger sur ces trois sujets, mais l'analyse du droit existant que nous vous présentons, tout comme nos recommandations, est le fruit d'un consensus entre les trois rapporteurs.

Notre questionnement a été le suivant : comme ces dispositifs se déploient-ils ? Quels sont leurs impacts au regard de leurs objectifs initiaux ? Quelles sont leurs répercussions concrètes sur le terrain ?

Les réflexions sur l'autonomie des établissements scolaires sont anciennes et traversent les alternances politiques. Les prémices de l'autonomie ont désormais un demi-siècle : la circulaire Fontanet de 1973 a mis à disposition des établissements scolaires 10 % du volume horaire, dont le contenu est à décider localement.

La plupart des grandes lois consacrées à l'éducation sont l'occasion d'accroître l'autonomie des établissements scolaires. La loi Haby de 1975 a consacré la reconnaissance législative d'une autonomie pédagogique pour les écoles, collèges et lycées. La loi dite Chevènement de 1985, qui a complété les lois de décentralisation, a créé le statut d'établissements publics locaux d'enseignement (EPLE). Ceux-ci sont dotés d'un conseil d'administration et d'un budget. La rédaction actuelle des articles du code de l'éducation sur l'organisation administrative et financière des établissements scolaires est directement héritée de ce texte. La loi d'orientation sur l'école, dite loi Jospin, de 1989 a créé les projets d'établissement. Enfin, la loi Fillon d'orientation pour l'avenir de l'école de 2005 a instauré au sein de chaque collège et lycée un conseil pédagogique.

Il existe ainsi une certaine autonomie des établissements scolaires définie par les textes. Elle s'exprime dans plusieurs domaines : en matière pédagogique et éducative, dans l'organisation du temps scolaire, dans la préparation à l'orientation ou encore dans le choix de sujets spécifiques d'études en complément des sujets nationaux.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Les établissements disposent également d'une dotation horaire globale, définie principalement en fonction du nombre d'élèves. Cette dotation permet par exemple le dédoublement des classes, la proposition de certaines options, ou encore la mise en place d'un accompagnement en petits groupes. Elle est normalement à la main des établissements pour adapter les enseignements aux besoins de leurs élèves. C'est une prérogative ancienne qui date de 1983, donc qui remonte à quarante ans.

L'autonomie se manifeste également sur le plan administratif et financier. Enfin, les écoles et établissements scolaires peuvent mettre en oeuvre, avec l'accord du rectorat, des expérimentations pédagogiques pour une durée de trois à cinq ans.

Il faut préciser que les écoles, bien que n'ayant pas la personnalité juridique, disposent de marges d'autonomie. Il s'agit par exemple de la répartition des élèves, de la création de classes de plusieurs niveaux, de l'affectation des professeurs au sein de l'école, ou encore du décloisonnement des classes lors de projets spécifiques.

En outre, chaque école dispose d'un projet d'école. La circulaire de 1990 précise explicitement que celui-ci reconnaît « l'espace d'autonomie indispensable aux acteurs du système éducatif pour adapter leurs actions aux réalités du terrain ».

Voilà ce que disent les textes.

Qu'en est-il dans les faits ? Force est de constater que les marges de manoeuvre ont été rabougries par la pratique. Le législateur et le pouvoir réglementaire, en précisant texte après texte le contenu du règlement intérieur et du projet d'établissement, ont détérioré cette autonomie. Ainsi, le projet d'établissement doit contenir obligatoirement un volet sur la sécurité routière ou inclure les modalités de participation des élèves aux journées de commémoration.

Les récentes annonces du ministre de l'éducation nationale sont symptomatiques de la multiplication des injonctions descendantes, qui font fi de l'autonomie des établissements scolaires existant depuis trente ans. Je pense à l'obligation pour l'ensemble des collèges, lancée dans la précipitation le dimanche 11 juin 2023, d'organiser une heure sur la sensibilisation au harcèlement et aux réseaux sociaux dès la semaine suivante.

Cette décision prouve une méconnaissance de la réalité des collèges, puisque nombre d'élèves n'avaient plus classe en cette veille de brevet, et témoigne d'une absence de confiance dans les équipes pédagogiques. Des chefs d'établissement entendus en audition ont évoqué une infantilisation par le ministère des enseignants et du personnel de direction de l'éducation nationale. Il doit être mis fin à ces injonctions descendantes sur des sujets relevant de la marche de l'établissement et des décisions des équipes pédagogiques.

M. Max Brisson, rapporteur. - Nous nous sommes lancés dans un long travail d'historiens, qui a consisté à montrer que cinquante ans d'histoire nous regardaient et que l'autonomie avait été au cours de ces cinq décennies un objectif du ministère de l'éducation nationale, au-delà des alternances politiques.

Cette autonomie se manifeste concrètement par les « marges d'autonomie ». Nous avons interrogé un éminent représentant du ministère de l'éducation nationale afin qu'il nous définisse ces dernières. Il nous a répondu que « la marge d'autonomie réside dans l'utilisation des dotations qui dépassent le strict minimum pour faire fonctionner un établissement. » Or nous avons constaté que ce strict minimum est de plus en plus étendu. L'enveloppe étant fixe, les marges de manoeuvre sont donc de plus en plus réduites.

Il en fut ainsi des réformes successives du système éducatif, décidées par le ministère de l'éducation nationale. Celles-ci se sont traduites, dans les faits, par un financement sur les marges de manoeuvre des établissements, et donc par la réduction de leur capacité d'autonomie, pourtant prévue par les textes depuis la circulaire Fontanet de 1973.

Je pense notamment à la dernière réforme du lycée, dite « Blanquer ». Pour l'appliquer correctement, de nombreux établissements ont été contraints de mettre en place les spécialités, les options ou encore l'orientation en utilisant leur dotation horaire globale, du fait de l'absence de moyens spécifiques. Cette pratique n'est pas anodine, elle est une remise en cause de la raison d'être de la dotation horaire globale, qui était à la base de l'autonomie, et qui est normalement à la disposition de l'établissement pour mettre en oeuvre sa stratégie, répondre aux besoins spécifiques de son territoire et de ses élèves.

L'utilisation de la dotation horaire globale est aujourd'hui contrainte et sert principalement à appliquer des axes et des réformes décidées au niveau national.

Par ce biais, la réforme devient source d'inégalités entre les établissements scolaires qui disposent de marges pour la mettre en oeuvre convenablement et ceux qui ne le peuvent pas. Les lycées de petite taille sont les plus pénalisés.

Pour mettre en oeuvre la réforme du lycée, en dessous d'une certaine taille d'établissement estimée par l'inspection générale à 950 ou 1 000 élèves, le proviseur doit faire un choix entre les options et spécialités proposées, qui sont essentielles pour la poursuite des études supérieures des élèves, le dédoublement des classes de langues ou de sciences, et les heures consacrées à l'orientation. Or nous savons combien celle-ci est déterminante. Le rapport de notre collègue Jacques Grosperrin l'a encore souligné il y a quinze jours. De telles pratiques ne sont pour nous plus acceptables ; nous souhaitons qu'il y soit mis fin. Lorsque le ministère envisage une réforme, il doit affecter à chaque établissement les moyens horaires correspondants. C'est pour nous une recommandation essentielle. Nous proposons également que chaque année le conseil d'administration d'établissement examine, après avis du conseil pédagogique, l'utilisation faite de la dotation horaire globale. Ce rendez-vous annuel sera l'occasion pour l'équipe pédagogique de réfléchir collectivement à l'utilisation de ses marges de manoeuvre et d'identifier l'empiétement par l'administration centrale des marges d'autonomie.

En complément de cette recommandation, nous proposons également que chaque année, le conseil d'administration de l'établissement scolaire examine, après avis du conseil pédagogique, l'utilisation qui est faite de la dotation horaire globale.

Ce rendez-vous annuel sera l'occasion pour l'équipe pédagogique de réfléchir collectivement à l'utilisation de ces marges. Il permettra également d'identifier l'empiétement de l'administration centrale sur les marges d'autonomie des établissements scolaires prévues par les textes.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Nous nous sommes également intéressés à l'évaluation des établissements scolaires. Comme vous le savez, la loi pour une école de la confiance de 2019 a créé le conseil d'évaluation de l'école et impose une évaluation tous les cinq ans de tous les écoles et établissements scolaires, y compris privés sous contrat.

En ce qui concerne le second degré, la mise en place du processus d'évaluation a commencé plus tôt. Aussi, à la fin de cette année scolaire, 50 % des établissements devraient avoir été évalués. Le cadre d'évaluation des écoles a été arrêté en janvier 2022. Fin juin 2023, 10 000 écoles ont été évaluées sur les 49 000 que compte le pays.

Cette évaluation se déroule en deux phases : une auto-évaluation de l'établissement suivie d'une évaluation externe. L'équipe d'évaluateurs, qui sont souvent au nombre de trois, est composée par les recteurs.

Quel bilan tirer de ces premières évaluations ? Il existe tout d'abord une défiance forte de la part de la communauté enseignante. L'évaluation y est perçue comme chronophage et inutile. La crainte est également élevée que cette évaluation d'établissement se transforme en évaluation individuelle et il semblerait que cela soit parfois le cas.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Donner du sens à l'évaluation est la condition essentielle pour qu'elle recueille l'adhésion du plus grand nombre au sein de l'établissement. Il nous semble nécessaire d'améliorer le processus actuel dans quatre directions.

Premièrement, les équipes pédagogiques doivent disposer de temps. La préparation et la réalisation de l'auto-évaluation sont des obligations législatives. Elles doivent donc être comptabilisées dans les heures de services des enseignants. Pour le premier degré, l'évaluation doit être intégrée dans les 108 heures annuelles que doivent assurer les enseignants en plus de leurs 24 heures hebdomadaires devant les élèves. Pour le second degré, cela peut donner lieu à l'attribution d'heures supplémentaires effectives par exemple. La présidente du Conseil d'évaluation de l'école, Béatrice Gille, nous l'a d'ailleurs clairement indiqué : « Nous n'avons jamais dit aux recteurs que l'évaluation devait être du bénévolat. »

Deuxièmement, il faut tirer les conséquences de l'évaluation. Là encore, le constat est unanime. Actuellement, les résultats de l'évaluation ne donnent lieu à aucun moyen supplémentaire ni à aucune formation, alors même qu'elle a pu mettre en lumière des besoins spécifiques. Dans ces conditions, elle est perçue comme une perte de temps, qui fait doublon avec l'élaboration du projet d'établissement.

Troisièmement, il nous paraît intéressant d'élargir le vivier des équipes d'évaluateurs. Celles-ci sont principalement composées d'inspecteurs et de membres du personnel de direction. Y inclure plus d'enseignants, mais aussi des agents des collectivités territoriales est de nature à disposer de regards croisés et complémentaires. Cela permettrait aussi de rassurer les équipes pédagogiques à l'égard des craintes d'une évaluation individuelle. La pression sur le corps des inspecteurs, très fortement sollicité pour ce processus, serait également allégée.

M. Max Brisson, rapporteur. - La quatrième condition que nous avons identifiée n'est pas nouvelle : elle concerne la stabilité des équipes. Le projet d'établissement issu de l'évaluation sera d'autant plus efficace qu'il est mis en oeuvre par les personnes participant à son élaboration. Or on connaît la situation de certains établissements, où le turnover des équipes est important. Cela renvoie à des débats que nous avons déjà eus sur l'attractivité du métier d'enseignant.

Pour autant, si les conditions sont réunies, je pense que l'évaluation peut devenir un outil précieux pour l'équipe pédagogique, afin qu'elle puisse élaborer son projet d'établissement à partir de données précises et objectives sur les réalités auxquelles elle est confrontée. Ainsi, l'évaluation est souvent l'occasion de partager avec l'ensemble de la communauté éducative, pour la première fois, un certain nombre de données habituellement à la seule disposition des chefs d'établissement.

Pour Béatrice Gille, présidente du conseil d'évaluation de l'école, « le travail d'évaluation permet d'aboutir à des projets d'établissement d'une autre nature ». D'ailleurs, le recteur de l'académie de Nancy-Metz nous a indiqué que certains établissements avaient demandé à être intégrés le plus tôt possible dans la vague d'évaluation. Leur but est d'identifier leurs besoins et, à partir de cette analyse, d'élaborer un projet innovant répondant aux spécificités de leurs élèves et qui pourrait bénéficier d'un financement du fonds d'innovation pédagogique.

Aujourd'hui, dans la plupart des cas, la démarche d'évaluation est loin de susciter l'adhésion de l'équipe pédagogique, même si cela varie fortement d'un établissement à l'autre. Il est pourtant simple de comprendre qu'elles ne s'empareront de cet outil que si elles y voient un intérêt pour leurs élèves et donc si l'évaluation débouche sur des adaptations pédagogiques concrètes et partagées pour réduire les difficultés mises en lumière.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Enfin, il nous a semblé intéressant de nous pencher sur « l'école du futur » de Marseille, ainsi que sur le fonds d'innovation pédagogique doté de 500 millions d'euros sur le quinquennat. En effet, la démarche voulue par le Président de la République consiste à partir des écoles et des établissements pour faire émerger des projets innovants.

Elle présente, je pense, un risque dans sa méthode même : celui de favoriser les inégalités entre établissements, si cela conduit à ne donner qu'aux établissements qui sont en demande, dans une logique de mise en concurrence, plutôt que de chercher d'abord à identifier les besoins de chacun, d'autant que la nature des projets réalisés laisse penser que c'est uniquement par manque de moyens qu'ils n'avaient pas été mis en oeuvre plus tôt.

Qu'avons-nous constaté sur l'école du futur et le fonds d'innovation pédagogique ? Ces deux mesures ont été lancées sans réelle préparation et se déploient de manière désordonnée et peu transparente. Il y a d'ailleurs souvent une confusion, y compris au sein du ministère, entre « l'école du futur », le plan « Marseille en grand », qui concerne le volet « rénovation du bâti scolaire marseillais », et le volet éducation du Conseil national de la refondation (CNR), qui concerne le reste du territoire. Les projets élaborés dans le cadre du « CNR éducation » peuvent demander un financement au titre du fonds d'innovation pédagogique.

À l'échelle nationale, au 13 juin 2023, seuls 1 900 projets ont été validés, soit moins de 20 par département. Dans l'académie de Lille, seuls 2 % des équipes pédagogiques ayant manifesté un intérêt ont finalement été au bout de la démarche et ont vu leurs projets être retenus.

En ce qui concerne Marseille, à la rentrée de 2021, 59 écoles avaient intégré l'expérimentation de l'école du futur sur les 470 que compte la ville. Elles seraient désormais 89.

Quant au fonds d'innovation pédagogique, il a été déployé dans la confusion. En fonction des inspecteurs de l'éducation nationale, les informations transmises aux directeurs d'école n'étaient pas la même. Certains inspecteurs de l'éducation nationale ont indiqué que le projet devait concerner toute l'école, ce qui n'est pas forcément le plus adéquat lorsque celle-ci regroupe des élèves allant de la petite section au CM2 ; pour d'autres, le projet pouvait ne concerner qu'une partie des classes. De plus, le projet devait être totalement nouveau dans certains cas, alors que, dans d'autres, les écoles et établissements pouvaient présenter un projet préexistant.

Le contenu même des projets suscite des interrogations sur leur caractère innovant. Un recteur entendu en audition nous a dit : « J'ai été déçu des projets, qui n'étaient pas réellement innovants ; il s'agissait de choses qui auraient pu entrer dans les us et coutumes habituels. » Un certain nombre de projets préexistaient au lancement du fonds d'innovation pédagogique. Nous avons également été frappés par le nombre de projets qui concernent du mobilier ou encore l'aménagement des espaces extérieurs, avec par exemple la création d'un potager.

Je tiens à rappeler le partage des compétences : l'État a la charge de la pédagogie, mais le mobilier, tout comme l'aménagement des espaces extérieurs, relève de la compétence des collectivités territoriales.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Face à ce flou et à cette mise en oeuvre désordonnée, nous proposons tout d'abord la réalisation d'une étude sur la mise en place de ce fonds ainsi que sur les projets retenus.

Nous préconisons également d'instaurer auprès de chaque recteur un comité indépendant qui sera chargé de valider la dimension pédagogique et réellement innovante du projet.

Enfin, le fonds d'innovation pédagogique reste encore méconnu de nombreuses équipes pédagogiques. Cette méconnaissance du dispositif est source d'inégalités. Il ressort des auditions que les bénéficiaires du fonds d'innovation pédagogique en cette première année sont les initiés, ceux qui ont l'habitude d'aller rechercher des financements, comme cela se produit dans les collectivités.

Comme a pu nous le dire un représentant syndical des enseignants, « quand l'information arrive au professeur lambda, l'année scolaire est déjà terminée ». C'est la raison pour laquelle nous préconisons de clarifier et de diffuser, au moment de la prérentrée, les critères d'éligibilité de ce fonds à l'ensemble des écoles et des établissements scolaires.

L'accompagnement des équipes est également crucial. Il doit être adapté aux besoins spécifiques des premier et second degrés. Pour l'un des recteurs que nous avons entendus, il existe une différence presque culturelle entre les écoles d'une part, et les collèges et lycées d'autre part.

Dans le secondaire, lancer des projets n'est pas nouveau, même s'il s'agit plutôt de répondre à des appels à projets émanant du rectorat. Les chefs d'établissement et les équipes pédagogiques en ont l'habitude. En revanche, les professeurs du secondaire restent très ancrés dans un sentiment d'appartenance disciplinaire, et les projets sont souvent cloisonnés.

Dans le premier degré, en revanche, les équipes ont l'habitude de travailler en lien avec des partenaires extérieures, et les projets présentés par les écoles mettent souvent en avant une dynamique de réseaux. Mais la formalisation administrative du projet nécessite un accompagnement plus important.

M. Max Brisson, rapporteur. - Vous l'aurez compris, mes chers collègues, le tableau que nous dressons est assez sévère. Néanmoins, des initiatives académiques sont à saluer. Je pense notamment à l'accompagnement de projets mis en place par l'académie de Nancy-Metz ; à l'échelle des bassins de population, des laboratoires sont en cours de déploiement pour permettre aux équipes pédagogiques de bénéficier d'appuis précieux. Quinze laboratoires ont déjà été installés et trois autres le seront à la rentrée.

Cependant, force est de constater que les équipes du premier degré, moins habituées à l'exercice de formalisation administrative, doivent bénéficier de temps. Je ne reviendrai pas sur les échanges nourris que nous avons pu avoir sur les directeurs d'école. Contrairement aux collèges ou aux lycées, le directeur d'école ne dispose pas d'une équipe administrative pour le seconder dans ses tâches.

Or, à la demande du Président de la République, les écoles marseillaises qui se sont lancées dans la démarche de « l'école du futur » ont bénéficié de moyens spécifiques : un quart de décharge supplémentaire pour le directeur, et des contractuels nommés pour que ces écoles bénéficient de maîtres supplémentaires.

Certes, il n'est pas envisageable de demander un alignement de ces moyens tout à fait dérogatoires pour l'ensemble des écoles françaises qui souhaiteraient se lancer dans la démarche du fonds d'innovation pédagogique. Mais nous souhaitons, dans un souci d'égalité républicaine, qu'elles puissent toutes bénéficier d'un soutien. Cela pourrait, par exemple, prendre la forme de quatre demi-journées banalisées accordées à un enseignant de l'équipe pédagogique - pas forcément au directeur d'école, dont les tâches sont déjà multiples - pour finaliser le projet élaboré collectivement. Bien évidemment, le remplacement de l'enseignant déchargé devra être prévu et organisé à l'avance.

Voilà, mes chers collègues, la synthèse de nos travaux. L'autonomie des établissements scolaires existe donc dans les textes, mais elle est peu appliquée. Quant à l'évaluation, si elle a été souhaitée par le législateur comme un outil au service de l'établissement, elle reste perfectible. À ce jour, elle est davantage perçue comme une contrainte. Enfin, le fonds d'innovation pédagogique, qui doit faire émerger des projets issus des écoles et des établissements scolaires, est mal bâti et sa mise en oeuvre est confuse.

Nos recommandations, dont nous vous avons présenté la synthèse, visent à permettre une pleine application du droit existant, au-delà des débats que nous avons eus et que nous aurons encore sur le bien-fondé d'une autonomie et d'une liberté accrues pour les équipes de nos écoles et établissements scolaires. A droit constant, il reste bien du chemin à faire pour les marges de manoeuvre des établissements prévues par les textes soient effectives, et donc que la confiance accordée aux équipes pédagogiques, des professeurs, des personnels de direction et de vie scolaire présents sur le terrain et le connaissant mieux que quiconque, ne soit pas un élément de discours, mais une réalité.

Je souhaite conclure en disant que j'ai pris plaisir à élaborer ce rapport. Ce n'est pas un secret, nous, rapporteurs, ne sommes pas d'accord sur tout, mais nous avons cherché ce qui pouvait nous rassembler. Nous sommes fiers, monsieur le président, de vous présenter ce rapport à l'occasion du cinquantième anniversaire de la circulaire Fontanet.

M. Laurent Lafon, président. - Je remercie nos trois rapporteurs. Nous savions, en lançant cette mission, qu'il ne serait pas évident d'aboutir à un texte commun, mais vous avez tous eu à coeur d'y parvenir. Il est intéressant de noter que les idées nouvelles sont souvent des idées anciennes remises au goût du jour. De plus, cette articulation entre autonomie, évaluation et fonds d'innovation pédagogique reste totalement à établir.

Mme Monique de Marco. - Je vous remercie de cette analyse consensuelle dans la critique. En effet, ce rapport est très négatif et souligne des dysfonctionnements. Vous indiquez que l'autonomie existe dans les textes, mais se limite souvent, dans les établissements, à la gestion de la dotation globale de fonctionnement et des possibles marges de manoeuvre.

Que préfèrent les établissements ? Pour avoir été enseignante, je peux vous dire que conserver des postes est souvent le coeur de la vision d'établissement. Bien sûr, les projets pédagogiques sont pas toujours accompagnés ni mis en valeur, mais je m'interroge sur l'autonomie : est-elle profitable aux élèves ? Avez-vous des retours d'expérience sur cette question ? Par ailleurs, savez-vous si un établissement qui présente des projets pédagogiques recrute plus facilement des enseignants ?

Mme Céline Brulin. - J'avais hâte de vous entendre, car j'anticipais des visions différentes de votre part sur ce sujet. La manière dont vous avez choisi de l'aborder est plaisante, puisqu'elle ne nie pas vos désaccords, mais consiste à les surmonter. Le constat est sévère, mais je le trouve tout à fait juste et conforme aux retours qui nous viennent du terrain. L'autonomie est peu à peu rognée et entre en contradiction avec de plus en plus d'injonctions descendantes, ce qui me pousse à m'interroger : cette situation n'occupe-t-elle pas une part aussi importante que la reconnaissance salariale dans le malaise actuel des enseignements, qui témoignent d'une perte de sens de leur métier ?

Vous avez bien montré que l'autonomie et les marges de manoeuvre sont de véritables variables d'ajustement et que la possibilité ou non d'y recourir renforce les inégalités entre les établissements. Vous décrivez une situation de forte résistance à l'évaluation, alors que vous estimez qu'une évaluation bien menée pourrait être source de projets pédagogiques intéressants. Quelle devrait donc être la nature d'une évaluation opérante pour produire des projets pédagogiques et collectifs ?

Sur le fonds d'innovation pédagogique, mon analyse est la même que la vôtre. Le ministère vient de fournir la liste des projets menés. Les écoles ont raison de profiter de ce fonds, mais certains projets sont très similaires à ceux qui sont portés habituellement par les écoles. La dimension « innovation » est donc réduite. Des objectifs d'innovation ont-ils été définis ?

Enfin, vous avez évoqué la possibilité d'un comité indépendant, chargé d'évaluer la validité des projets qui pourraient bénéficier du fonds d'innovation pédagogique. Comment imaginez-vous ce comité ? Quels seraient les profils de ses membres ? Il me paraît complexe de garantir l'équilibre entre indépendance et compétence sur le sujet.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je félicite les rapporteurs pour leur travail précis et nécessaire. Leur rapport est en effet accablant, mais il était nécessaire de dresser un état des lieux du droit existant pour se rendre compte de la mise en oeuvre de l'autonomie des établissements scolaires. Le constat est sans appel : les marges d'autonomie des établissements prévues par les textes, dont les plus anciens ont aujourd'hui cinquante ans, ne cessent d'être rabougries par la pratique. La mise en oeuvre du fonds d'innovation pédagogique, doté de 500 millions d'euros pour la durée du quinquennat, est désordonnée, peu transparente et risque de créer des inégalités entre les établissements.

L'évaluation des établissements, prévue par la loi pour une école de la confiance, est perçue par de nombreuses équipes pédagogiques comme une contrainte supplémentaire, et non pas comme un outil utile à l'établissement. Avez-vous constaté un manque de communication autour du fonds d'innovation pédagogique, ou une méconnaissance de ce nouveau dispositif ? Un retour d'expérience est-il prévu par le ministère de l'éducation nationale pour faire le bilan de cette première année d'expérimentation ?

Enfin, pensez-vous que les établissements doivent être encouragés à aller vers plus d'autonomie ? Faut-il rendre les établissements publics plus concurrentiels ? Pensez-vous qu'une autonomie accrue pourrait apporter une réponse au malaise de certains enseignants ?

M. Stéphane Piednoir. - Je souhaite saluer les rapporteurs pour leur effort de consensus. Leur constat sur le système éducatif tel qu'il est me semble plus lucide que sévère, et cette commission pointe régulièrement les dysfonctionnements liés à la question de l'autonomie des établissements scolaires.

Je souhaite cependant préciser que, selon moi, l'autonomie n'est pas qu'une question de moyens financiers. La preuve : les enseignants n'adhèrent que peu au pacte enseignant, instauré pour revaloriser les rémunérations des enseignants réalisant des tâches supplémentaires.

Cette possibilité d'autonomie a-t-elle été envisagée, dans le rapport, sous un angle autre que financier ? Un des points bloquants est la souplesse dans l'emploi du temps des enseignants et ce sujet est rendu plus important encore par la réforme du baccalauréat. Désormais, certaines spécialités prennent fin en mars et sont évaluées dès avril, ce qui provoque une compréhensible démobilisation parmi les élèves. Ne serait-il pas intéressant d'imaginer, d'avril à juin, un nouvel emploi du temps se concentrant sur d'autres types d'activités, afin de remobiliser les élèves sur la fin de la période scolaire ? Cette idée est mal perçue par les syndicats d'enseignants. Peut-elle être examinée à l'aune de cette autonomie des établissements ?

Mme Laure Darcos. - Je remercie aussi les rapporteurs. J'imagine que la volonté de parvenir à un rapport commun fut pour vous une véritable ligne de crête.

Je vais évoquer un exemple précis d'initiative qui se heurte aux problèmes de dotation. Un collège a proposé une option de sciences pour augmenter la part de filles dans les milieux scientifiques. Celle-ci existe depuis deux ans, mais pas une seule heure, sur les dix heures demandées, ne leur a été accordée par le rectorat. Tout le monde se renvoie la balle et cette option va donc disparaître, alors même que l'on plaide pour le retour des jeunes dans les filières scientifiques.

Je souhaite vous poser une question concernant les équipements. Certains maires m'ont dit manquer encore de tableaux interactifs et se tournent vers la région ou le département pour en obtenir. De même, un véritable problème se pose au sujet des manuels scolaires, car les communes n'ont plus les moyens d'en acheter pour leurs établissements. Par conséquent, les professeurs se retrouvent souvent sans support. À cela s'ajoute une formation de quelques heures de formation seulement : ils se retrouvent alors parfaitement démunis face à leurs élèves. Avez-vous réfléchi à ce sujet dans le cadre de votre rapport ? La question est importante, car ces professeurs puisent leurs informations sur internet, en total décalage avec le contenu des bulletins officiels de l'éducation nationale et du Conseil supérieur des programmes.

M. Laurent Lafon, président. - Avant de donner la parole à Jacques-Bernard Magner, permettez-moi, au nom de tous, de le saluer, puisque cette réunion de commission sera la dernière de son mandat. Je souhaite le remercier pour son travail sur ses rapports, et notamment ses rapports pour avis sur les crédits du programme « Jeunesse et vie associative », mais aussi pour le souci de dialogue dont il a témoigné, tout en restant fidèle à son parcours et à son groupe politique.

M. Jacques-Bernard Magner. - Merci, monsieur le président. Il est étonnant de vivre une dernière réunion de commission, après douze ans de mandat.

Je veux à mon tour féliciter les trois rapporteurs pour le travail fait sur le sujet sensible de l'autonomie de l'école publique, laïque et obligatoire. Max Brisson a bien fait la distinction entre autonomie et liberté des établissements. Beaucoup parlent de l'école libre comme étant une école jouissant de liberté, comme si l'autre n'était pas libre, alors que l'école libre est bien souvent privée. Il nous faut donc être prudents sur toutes ces notions.

Est-ce que vous préconisez de donner plus d'autonomie aux établissements ? J'ai bien compris que vous souhaitiez faciliter l'accès à l'autonomie, et il est évident que les moyens ne sont pas fournis pour concrétiser ce que les textes prévoient.

Je sais ce que disent les parents d'élèves au sujet des établissements scolaires. Néanmoins, s'il y avait trop d'initiatives d'autonomie dans certains établissements, la question du respect des programmes nationaux serait posée. L'autonomie ne doit pas s'opposer à la règle générale. Je pense qu'il faut donc bien définir et délimiter la question de l'autonomie, et préciser dans quels domaines les établissements jouissent de marge de manoeuvre. Par exemple, il y a un débat récurrent autour des langues régionales, que certains établissements proposent dans un nombre important d'heures de cours. Je reconnais l'importance culturelle de ces langues, mais elles ne sont pas, pour l'heure, dans les directives du ministère de l'éducation nationale. De plus, des siècles furent nécessaires pour imposer le français aux enfants de certaines régions de France. Cet exemple est peut-être excessif, mais je crois que la prudence est de mise lorsqu'il est question du développement de l'autonomie dans l'éducation nationale.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Au cours d'une audition, les syndicats des chefs d'établissement nous ont informés qu'ils voient leur dotation générale et leurs moyens diminuer d'année en année. Une fois attribués les enseignements obligatoires, une fois réduits les effectifs des classes de langues, une fois garanties les conditions de sécurité de certains enseignements scientifiques, ils ne disposent d'aucune marge de manoeuvre ou presque.

Madame de Marco, vous souhaitez savoir si l'autonomie est profitable aux élèves. Nous nous sommes rendus, avec quelques collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à Marseille pour visiter des écoles du futur. Oui, certains projets sont de qualité ! Cependant, ces derniers sont souvent soit des projets préexistants, que ces fonds nouveaux pérennisent, soit des projets qui étaient envisagés, mais non encore déployés. En revanche, ces fonds servent aussi souvent à l'achat de matériel, c'est pourquoi le bilan que nous dressons dans ce rapport est mitigé.

Une polémique avait éclaté autour de l'école du futur sur la capacité donnée aux directeurs d'établissement de recruter des enseignants. L'idée fut abandonnée. Si un poste est vacant, un recrutement est fait par un petit comité composé, me semble-t-il, d'un inspecteur, d'un enseignant et le directeur de l'école concernée.

Madame Brulin, les auditions ont montré une défiance des enseignants vis-à-vis des projets ou de l'évaluation. Or la question de la reconnaissance, financière ou non, du métier d'enseignant est centrale aujourd'hui, puisque l'on observe un mal-être et donc un désengagement de leur part. Lorsqu'une évaluation est menée dans un établissement et permet de mettre en lumière certains sujets, mais qu'aucun moyen n'est finalement accordé, le découragement est de mise. Voilà ce qui explique la résistance des enseignants.

J'ai voté contre la création du Conseil d'évaluation de l'école, mais j'y siège aujourd'hui. C'est sur ce type de sujets que nous aurions pu nous braquer entre rapporteurs de lignes politiques différentes. In fine, l'avant-propos du rapport précise que nos différents points de vue sont exprimés. J'estime pour ma part, par exemple, que l'évaluation conduit à une mise en concurrence des établissements. Les enseignants, en outre, y voient une perte de temps, car l'élaboration du projet d'établissement ne garantit pas l'allocation de fonds supplémentaires pour le mettre en oeuvre.

Pour le moment, les rapports ne sont pas connus, ils sont transmis aux seuls établissements qui mènent des évaluations. Néanmoins, parce que j'ai rencontré des maires de mon département, je sais que des informations ont circulé du fait d'actions des parents, forcément inclus dans l'étape d'auto-évaluation. Les différents établissements scolaires risquent donc de se percevoir comme des rivaux, c'est pourquoi je ne pense pas que l'évaluation soit une solution. Mes collègues auront néanmoins un autre avis sur cette question.

Le comité indépendant devra être composé d'un inspecteur et de professeurs. Parmi les projets que nous avons vus, certains n'avaient rien d'innovant. Avoir des pédagogies innovantes est donc une bonne chose, mais une évaluation doit aussi être menée au sujet de ce qui est fait à l'heure actuelle. Notre rapport précise que les décisions sont prises de manière très verticale ; or l'éducation se construit, se mûrit et exige que l'on réfléchisse à nos pratiques et à l'accord de celles-ci avec nos objectifs.

Monsieur Levi, vous vous doutez de ma réponse à votre question : plus d'autonomie n'est pas forcément la solution. D'ailleurs, la rédaction du rapport a renforcé ma conviction. L'autonomie est un sujet discuté depuis cinquante ans et dispose aujourd'hui d'un cadre légal toujours en conformité avec les programmes ; elle est très précise, très encadrée. Néanmoins, on prend aujourd'hui conscience que les moyens pour que les établissements la mettent en place sont inexistants ou presque.

En ce qui me concerne, je plaide pour une éducation qui reste « nationale ». À Marseille, lors de notre visite avec mon groupe politique, nous avons rencontré une représentante d'une association de parents d'élèves indépendante qui vivait l'école du futur comme une injustice, car son enfant n'était pas scolarisé dans l'établissement doté d'un « labo maths » pour les maternels. L'autonomie peut, on le voit, poser des problèmes d'inégalité républicaine.

Monsieur Piednoir, l'expérimentation pédagogique permet une certaine souplesse dans l'emploi du temps des enseignants. Néanmoins, pour le moment, les établissements ne se saisissent pas de cette possibilité.

Monsieur Magner, je suis bien sûr très attachée à l'unicité des programmes nationaux. Aujourd'hui, la marge d'autonomie est minime et permet de garder le lien avec les programmes.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Vous l'aurez compris, nous avons essayé de rédiger un rapport consensuel. Des divergences apparaissent, mais elles sont positives puisqu'elles prouvent la persistance de marqueurs politiques. Moi, j'estime qu'accorder plus d'autonomie aux établissements permet de différencier des situations. Une autonomie renforcée n'est pas synonyme d'inégalités. En réalité, les établissements scolaires sont dans des situations différentes, avec des publics différents, et méritent donc des réponses différentes.

En revanche, notre rapport pointe des inégalités profondes dans l'accès au fonds d'innovation pédagogique dans certains appels à projets. Ces budgets supplémentaires sont parfois mal orientés et souvent méconnus. Donner les mêmes informations et les mêmes outils à tous les établissements compte donc parmi les recommandations formulées dans notre rapport.

Madame Brulin, vous vous interrogiez sur le comité indépendant à instaurer auprès de chaque recteur. Ceux-ci pourraient se construire sur la base de cellules académiques recherche développement innovation et expérimentation (Cardie), puisque ces dernières existent déjà à l'échelle des départements.

Aujourd'hui, l'évaluation ne fonctionne pas dans les établissements, car les enseignants sont en retrait et ne s'y engagent pas. Ils n'en ont pas compris l'intérêt et craignent des biais ou une évaluation individuelle menant à des sanctions. Pour que l'évaluation soit efficace, les enseignants doivent être motivés et y trouver de l'intérêt. Quand on demande une évaluation, il faut de la formation et des moyens supplémentaires à attribuer.

J'espère que dans cinquante ans, l'autonomie ne sera plus mal vue. J'ai rencontré récemment une rectrice et le simple mot d'autonomie a résonné comme un gros mot, auquel mon interlocutrice a réagi assez négativement. Je suis pour l'autonomie dans l'intérêt de l'élève, car elle permet un traitement différencié qui répond aux besoins de chaque établissement et de chaque élève.

M. Max Brisson. - Je suis dans l'incapacité de convaincre ma collègue Marie-Pierre Monier du bien-fondé de l'autonomie ; j'ai pourtant essayé ! Je crois cependant que ces débats traversent nos familles politiques. L'histoire des efforts d'autonomie nous montre en effet que les lois qui ont marqué les plus grandes avancées sur la question viennent de la gauche, à l'instar de la loi dite Chevènement de 1985, dont on ne peut pas remettre en cause la dimension républicaine et à qui on doit les attributions données aux EPLE. Les projets d'établissements ont, quant à eux, été créés par la loi d'orientation sur l'éducation de Lionel Jospin. La gauche a donc apporté sa pierre à l'édifice d'une autonomie toujours plus grande des établissements. Bien sûr, celle-ci repose aussi sur la loi Fillon de 2005 et, avant cela, la loi Haby de 1975. Il y a donc un équilibre entre droite et gauche. De plus, les débats agités sur l'autonomie des universités lors de l'audition de la ministre de l'enseignement supérieur, hier, montrent aussi que nos familles politiques se sentent concernées par ces questions républicaines anciennes.

Je vous remercie, madame de Marco pour votre question, excellente et essentielle : les marges d'autonomie sont-elles intéressantes pour les élèves et les établissements ? Je pense que laisser des marges de manoeuvre pour financer des projets d'établissement en heures supplémentaires effectives (HSE), pour assurer des dédoublements des classes de langues ou de sciences, profite nécessairement aux élèves ainsi qu'à l'attractivité de l'établissement auprès des professeurs.

Le problème que l'on constate est que ces marges de manoeuvre, qui permettent à l'établissement de s'adapter à ses besoins réels, sont rognées dans la dotation horaire globale par les réformes successives. Je réponds donc oui, en cela, l'autonomie est profitable aux élèves et aux bonnes conditions de travail des professeurs et donc à l'attractivité des établissements pour les professeurs.

Madame Brulin, les injonctions descendantes sont très mal vécues par les chefs d'établissement. Des représentants de principaux et de proviseurs nous ont parlé, en audition, d'« infantilisation ». Ils reçoivent des circulaires leur indiquant comment constituer un emploi du temps « en barrette ». Ces circulaires infantilisantes prennent par la main le personnel de direction, cadres de catégorie A ; nous ne nous comporterions pas ainsi dans nos collectivités, vis-à-vis de nos chefs de service, de notre directeur général des services. Il faut mesurer le degré de verticalité qui existe au sein de l'éducation nationale. On parle de la crise de l'attractivité, des difficultés de recrutement des professeurs, mais cela touche aussi les chefs d'établissement !

J'en viens à la question de la résistance à l'évaluation. Je vais donner mon point de vue, mais il n'engage que moi. Les professeurs s'y investiront s'ils y voient de l'intérêt pour leur métier et leurs élèves. Aujourd'hui, ils n'y voient pas d'intérêt ; ils y voient du temps perdu et travail supplémentaire, sans mesurer la connexion que cela peut avoir avec la pratique quotidienne. Béatrice Gille l'a parfaitement souligné : le vrai sujet, c'est la connexion avec la vie de l'établissement de l'évaluation, qui leur paraît être en impesanteur, sans lien concret avec leur activité de professeur. Si l'évaluation était le préalable à l'élaboration d'un projet d'établissement, dont on tiendrait compte pour l'affectation de moyens et pour mettre en oeuvre des actions de remédiation scolaire, peut-être seront-ils plus intéressés. Pour moi, la bonne démarche serait celle-là, éventuellement avec le recours au fonds d'innovation pédagogique pour financer des projets innovants conçus après cette évaluation.

Nous avons tous constaté que les projets observés étaient rarement innovants. Reste à définir l'innovation pédagogique ; ce travail n'a pas été fait. Or le mot « pédagogique » me paraît essentiel. On est souvent loin de la recherche de méthodes pédagogiques innovantes adaptées aux élèves. Le comité indépendant que nous proposons pourrait ainsi être composé de professeurs formateurs, d'inspecteurs pédagogiques régionaux et d'inspecteurs de l'éducation nationale, capables de mesurer l'intérêt d'un projet.

Monsieur Levi, oui je souhaite aller plus loin, mais ce n'était pas le débat ce matin. Nous avons eu ce débat lorsque nous avons débattu de ma proposition de loi. Mes positions sur la question sont connues. Je suis attaché à ma manière au service public national d'éducation, mais je suis viscéralement girondin : je plaide pour donner de la liberté. C'est un débat clivant, mais on peut se retrouver autour du cadre national, autour de l'encadrement de cette autonomie. Or on constate que la pratique consiste plutôt à rabougrir les marges existantes, qui résultent pourtant de décisions politiques : l'administration reprend d'une main ce que le législateur avait décidé de l'autre. Souvent sous des législatures de gauche, le législateur avait imposé de la décentralisation, mais l'administration y fait obstacle par de la verticalité. On le constate dans l'éducation et dans d'autres domaines.

M. Jacques-Bernard Magner. - Je ne suis pas d'accord ; la décentralisation de l'éducation nationale n'est pas comparable aux transferts de compétences vers les collectivités.

M. Max Brisson, rapporteur. - Peut-être.

Monsieur Piednoir, il y a les injonctions descendantes, mais il y a un autre sujet, qui nous aurait sans doute opposés : la définition hebdomadaire des obligations réglementations de service (ORS). Ce sujet constitue une différence importante avec le supérieur, où les ORS sont annualisées, ce qui offre une plus grande souplesse dans l'organisation des enseignements. Les organisations syndicales sont opposées à la suppression des ORS hebdomadaires - dix-huit heures pour un certifié, quinze heures pour un agrégé -, qui datent pourtant des années 1950.

Madame Darcos, je ne suis pas favorable à une remise en cause de la loi imposant aux collectivités de fournir les équipements, le matériel pédagogique et la rénovation des écoles. Cela date de 1881, avec la loi Jules Ferry. J'y suis très attaché. Ce sont des choix politiques. Les maires que je rencontre me disent que l'école leur coûte cher, mais qu'ils sont heureux d'en avoir une. La dépense scolaire est pour moi la première dépense que le maire doit porter.

Monsieur Magner, je me rappelle certains combats avec vous, notamment lors de l'examen du projet de loi sur l'école de la confiance. En tout état de cause, nous partageons une passion pour l'école publique. Le débat entre autonomie et liberté traverse notre histoire, notre école et nos familles politiques.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 7 mars 2023

Direction générale de l'enseignement scolaire : M. Christophe GÉHIN, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales.

Mardi 28 mars 2023

Académie de Lille : Mme Valérie CABUIL, rectrice, M. Paul-Éric PIERRE, secrétaire général.

Mercredi 10 mai 2023

Conseil d'évaluation de l'école : Mme Béatrice GILLE, présidente, M. Mustapha TOUAHIR, secrétaire général.

Mardi 16 mai 2023 

- Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale - UNSA : Mmes Carole ZERBIB, membre de l'exécutif syndical national, et Valérie QUÉRIC, secrétaire nationale de la commission métier.

- Table ronde des syndicats d'inspecteurs

. SUI-FSU : M. Antonello LAMBERTUCCI, IA-IPR de sciences économiques et sociales de l'académie de Créteil, Mme Brigitte ESTEVE-BELLEBEAU, IA-IPR de philosophie de l'académie de Poitiers ;

. SNIA-IPR UNSA : MM. Christian CHAMPENDAL, secrétaire général, et Mohammed DARMAME, secrétaire général adjoint.

Mardi 30 mai 2023 

Audition des syndicats du 1er degré

. SE-UNSA : Mme Audrey LALANNE, déléguée nationale,

. SNUIPP-FSU : Mme Manon PILLOY, secrétaire nationale, MM. Grégory RAYNAL et Jonathan WELSCHINGER, secrétaires nationaux.

Mercredi 31 mai 2023

Audition des syndicats du 2nd degré

. SE-UNSA : MM. Adrien MISSON, délégué national, et Laurent LAPEYRE, délégué national ;

. SNES-FSU : M. Daniel LE CAM, responsable national au secteur politique scolaire.

Mercredi 7 juin 2023

Rectorat Nancy-Metz : M. Richard LAGANIER, recteur.

Mardi 13 juin 2023

Académie Aix-Marseille : M. Bruno MARTIN, secrétaire général.

Mercredi 14 juin 2023

SNUIPP-FSU (13) : Mme Virginie AKLIOUAT, secrétaire départementale.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE
ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

N° 

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

(le cas échéant)

Support

1

Mettre fin aux injonctions descendantes fixant de manière encadrée l'organisation des établissements ou l'utilisation d'heures relevant dans les textes de leurs marges d'autonomie

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

Immédia-tement

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

2

Ne plus financer les réformes éducatives, à l'exemple de la réforme du lycée, en puisant sur les marges d'autonomie des établissements

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

Année scolaire 2023-2024

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

3

Examiner chaque année en conseil d'administration, après avis du conseil pédagogique, la manière dont sont utilisées les marges de manoeuvre de l'établissement

Établissements scolaires

Année scolaire 2023-2024

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

4

Faire du projet d'établissement l'outil de son autonomie et élaborer ce projet après évaluation de l'établissement (auto-évaluation et évaluation externe) afin qu'il réponde aux besoins particuliers établis par l'évaluation et aux spécificités des élèves qui fréquentent l'établissement

Écoles et établissements scolaires

Au moment du renouvellement du projet d'établissement

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

5

Faire de l'évaluation un temps privilégié pour débattre de l'utilisation des marges de manoeuvre de l'établissement et mieux préparer et accompagner l'évaluation des établissements

Écoles et établissements scolaires

Au moment de la mise en oeuvre de l'évaluation

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

6

Tirer les conséquences de l'évaluation de l'école ou de l'établissement en termes de moyens et de formation

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse / Rectorat

Rentrée scolaire suivant l'évaluation de l'école ou l'établissement

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

7

Intégrer davantage enseignants et acteurs du périscolaire dans les équipes externes évaluant les écoles et les établissements

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse /rectorats

Année scolaire 2023-2024

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

8

Réaliser une évaluation nationale de l'ensemble de la démarche du fonds d'innovation pédagogique et des projets mis en place depuis sa mise en oeuvre.

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse/DEPP

Courant 2024

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

9

Faire du fonds d'innovation pédagogique un outil permettant de répondre aux besoins particuliers des écoles et des établissements par des initiatives pédagogiques innovantes adaptées aux spécificités des élèves qui fréquentent l'établissement

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

Immédia-tement

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

10

Instaurer auprès de chaque recteur un comité indépendant chargé de valider la dimension pédagogique et réellement innovante des projets présentés au fonds d'innovation pédagogique, l'achat de matériel étant de la compétence des collectivités territoriales

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

Rentrée 2023

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

11

Clarifier et diffuser au moment de la prérentrée les critères d'éligibilité au fonds d'innovation pédagogique à l l'ensemble des écoles et établissements

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse/
rectorat/DSDEN

Prérentrée 2023

Textes réglementaires et infra-
réglementaires

12

Renforcer les moyens pour que l'ensemble des écoles soient matériellement en capacité de se lancer dans une démarche de projet innovant finançable par le fonds d'innovation pédagogique

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

Rentrée 2023

Textes réglementaires et infra-
réglementaires


* 1 « Les 10 % pédagogiques : la liberté premier pas vers l'autonomie », Le Monde, 3 juillet 1974.

* 2 Art. L. 15-7 de la loi Chevènement devenue article L. 421-3 du code de l'éducation : « Il représente l'État au sein de l'établissement. Il préside le conseil d'administration et exécute ses délibérations ».

* 3 Rapport n° 234 sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, 2004-2005.

* 4 Article L. 421-2 du code de l'éducation.

* 5 Article R. 421-2 du code de l'éducation.

* 6 Arrêté du 16 juillet 2018 relatif à l'organisation et aux volumes horaires de la classe de seconde des lycées d'enseignement général et technologique et des lycées d'enseignement général et technologique agricole.

* 7 Sauf si l'autorité académique ou la collectivité territoriale de rattachement a fait connaitre son désaccord motivé sur le budget.

* 8 Article L. 314-2 du code de l'éducation.

* 9 Rapport d'information n° 543 d'Annick Billon, Max Brisson et Marie-Pierre Monier, sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat, 2021-2022.

* 10 Rapport annuel de 2020, « L'orientation, de la quatrième au master », IGESR.

* 11 Le récent rapport de Jacques Grosperrin sur la procédure Parcoursup rappelle l'urgence de sanctuariser ces heures d'orientation (« Parcoursup, l'urgence à gagner la confiance des lycéens et des étudiants », rapport n° 793, 2022-2023).

* 12 Rapport annuel 2019 des inspections générales - l'autonomie des établissements scolaires.

* 13 À la rentrée 2022, l'IPS moyen des collégiens en France est de 105. Les huit départements les plus défavorisés socialement ont un IPS moyen inférieur à 95. 90 % des collèges en REP + ont un IPS inférieur à 83. Note d'information n° 23.16 « l'indice de position sociale : un outil statistique pour décrire les inégalités sociales entre établissements », DEPP, mars 2023.

* 14 « Mobiliser la communauté éducative autour du projet d'établissement », Cour des comptes, janvier 2023.

* 15 Bilan national de la campagne d'évaluation des écoles et des établissements 2021-2022, Conseil d'évaluation de l'école.

* 16 « On pourra donc adapter, repenser les projets d'apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours, les façons d'enseigner, et qu'on puisse commencer dès la rentrée 2022-2023. Et évaluer ensuite ces résultats et, s'ils sont concluants, les généraliser. »

* 17 Les contrats locaux d'accompagnement visent à introduire plus de progressivité dans l'allocation des moyens, pour les écoles et établissements qui ne font pas partie de l'éducation prioritaire, mais sont confrontés à des difficultés semblables, ou sont situés en périphérie. Il s'agit d'un engagement contractuel des équipes autour d'un projet local, conçu par la communauté éducative.

* 18 Site du ministère de l'éducation nationale, présentation des premiers projets innovants retenus.