B. ENTRE CRITIQUES ET OPPORTUNITÉ, UN PREMIER BILAN DE L'ÉVALUATION DES ÉTABLISSEMENTS

L'évaluation qui est désormais effective depuis deux ans dans le second degré est diversement appréciée.

Les rapporteurs ont notamment pu constater une défiance de la part de la communauté enseignante. Selon le SNPDEN, principal syndicat des personnels de direction de l'éducation nationale, un certain nombre d'enseignants ont refusé d'être intégrés dans le processus d'évaluation de leur établissement, ou encore refusent d'être auditionnés par les équipes extérieures. Dans le même temps, les syndicats enseignants du second degré ont alerté sur le déroulement de certaines évaluations, durant lesquelles l'inspecteur de l'éducation nationale, présent au titre de l'évaluation externe de l'établissement, a dans le fait procédé à une évaluation du professeur pendant son cours. Comme le souligne Daniel Le Cam du SNES-FSU lors de son audition, « parfois l'évaluation externe se passe bien : les personnels d'inspection sont là pour écouter les équipes pédagogiques ; mais dans d'autres cas, ils leur adressent des injonctions. Les enseignants finissent alors par boycotter le processus d'évaluation externe qui se finit dans une discussion entre l'inspecteur et le chef d'établissement ».

Dans certains établissements connaissant des problèmes, le lancement de l'évaluation peut être perçu comme une sanction, surtout lorsque les enseignants n'en sont pas informés à l'avance.

Pour Béatrice Gille, « ce qui est compliqué à comprendre c'est que l'évaluation n'est pas dangereuse : on peut tranquillement regarder ce qui se fait dans un établissement, aucune responsabilité individuelle ne sera pointée ni de sanctions données. » Pour prévenir la dérive vers l'évaluation personnelle, une charte déontologique prévoyant des garde-fous a été élaborée : aucun nom de personnes ne doit être mentionné dans les rapports. Néanmoins, ce document ne peut à lui seul lever les craintes entourant l'évaluation des établissements.

Le développement de l'évaluation appelle à une évolution du métier des inspecteurs, notamment les inspecteurs académiques - inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) dans le second degré -, et à une meilleure formation dans cette nouvelle forme d'évaluation collective : en effet, leur coeur de métier porte sur le contenu pédagogique, la pédagogie appliquée en cours, l'accompagnement des enseignants dans l'évolution de leur discipline et l'approfondissement de leur niveau de compétences et d'expertise. C'est une démarche différente de l'évaluation d'un établissement qui doit s'inscrire dans une perspective collective, en vue d'identifier les besoins propres des élèves de l'établissement et élaborer le projet d'établissement rassemblant l'ensemble de la communauté éducative.

Cette même charte déontologique prévoit également la diffusion limitée du rapport d'évaluation au comité d'administration « et par son intermédiaire de l'ensemble des acteurs de l'établissement, de l'autorité académique et de la collectivité de rattachement » et prévoit qu'une « autre diffusion ne fait pas partie du cadre de l'évaluation ». Ce principe doit être maintenu.

L'évaluation est souvent perçue comme une contrainte chronophage et supplémentaire. L'auto-évaluation ressemble beaucoup à la phase de diagnostic du projet d'établissement et peut apparaître comme un doublon.

Au regard de la charge de travail engendrée par cette évaluation, davantage perçue par les équipes comme un outil de contrôle que comme une plus-value pour le bon fonctionnement des établissements, la rapporteure Marie-Pierre Monier n'est pour sa part pas favorable au principe même de cette démarche. Au contraire, pour Max Brisson, rapporteur, l'évaluation est un outil indispensable pour permettre aux établissements scolaires d'exercer leur marge de manoeuvre.

Pour les trois rapporteurs, si évaluation il doit y avoir, celle-ci doit être un outil au service de la définition du projet d'école ou d'établissement, qui lui-même doit répondre aux besoins et spécificités de l'établissement et des élèves. Il ressort des auditions qu'un certain nombre de projets d'école et d'établissement pourraient être améliorés - pour Valérie Cabuil, rectrice de l'académie de Lille, « un certain nombre sont standardisés » - lorsqu'un tel document existe. Selon la Cour des comptes, « la moitié des établissements ne sont pas dotés d'un projet d'établissement, et parmi ceux qui le sont, la qualité de la démarche et la portée du document sont très inégales »14(*).

En revanche, certains établissements se sont déjà saisis de l'opportunité que permet l'évaluation. Richard Laganier, recteur de l'académie de Nancy-Metz, a ainsi indiqué aux rapporteurs que certains chefs d'établissement ont demandé d'anticiper leurs évaluations dès l'année prochaine pour enclencher une dynamique d'auto-évaluation dans la perspective de l'élaboration de nouveaux projets éligibles au conseil national de la refondation (CNR).


* 14 « Mobiliser la communauté éducative autour du projet d'établissement », Cour des comptes, janvier 2023.