EXAMEN EN DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 7 février 2024, la délégation aux Entreprises a autorisé la publication du présent rapport.

M. Olivier Rietmann, président. - Mes chers Collègues, nous sommes réunis pour examiner le rapport de nos collègues Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès, auxquelles nous avions confié une mission flash. Cette mission a été décidée alors que de nombreuses entreprises ont alerté la délégation en dénonçant la complexité et le coût, notamment pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes entreprises (PME), de la directive relative au reporting en matière d'information extra-financière.

Nos deux collègues ont travaillé de façon intense pour appréhender le contenu de cette directive, en analyser la portée concrète pour les entreprises et définir des propositions pragmatiques et adaptées à la vie des PME. Nous avons même organisé une séance d'information avec la compagnie nationale des commissaires aux comptes afin de passer en revue toutes les questions techniques qui méritaient un approfondissement particulier.

Je leur laisse la parole pour présenter leurs conclusions à l'issue de ce travail de fond.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Au préalable, je souligne que ni Madame Canalès, ni moi-même n'avions jamais entendu parler de cette directive, certes très récente. Nous avons donc été d'une totale impartialité en nous mettant à la place d'un entrepreneur qui découvre cette directive. D'après un sondage qui sera bientôt publié, 87 % des dirigeants de PME n'ont jamais entendu parler de la directive CSRD. Le principe que véhicule cette directive n'est pas une obligation à se conformer à l'ensemble des demandes d'information. Les entreprises ont le choix de se soustraire à certaines d'entre elles, en justifiant leur choix. Nous sommes donc confrontés au droit souple.

Nos premières auditions ont pu nous inquiéter. S'agissait-il d'une norme de plus ? D'une complexité nouvelle à la charge des entreprises ? Les auditions ultérieures ont montré que cette complexité n'était pas nouvelle, qu'elle n'était pas insurmontable et que le processus induit par cette directive était finalement vertueux pour nos entreprises.

La CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directive, instaure un nouveau cadre normatif pour le rapport extra-financier, ou rapport de durabilité. Tous les acteurs du monde économique s'accordent pour lui prêter une importance majeure. Elle participe de la modification profonde du modèle de l'entreprise. Elle s'inscrit dans la lignée de la loi PACTE de 2019, qui impose dorénavant à chaque société, civile comme commerciale, d'être gérée « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

La directive concerne ce qui, jusqu'à présent, n'apparaissait pas au bilan des entreprises et qui, pourtant, représente les deux tiers de leur valeur, à savoir l'immatériel et les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cela remet en cause la vision comptable actuelle : pour créer de la valeur, l'entreprise doit renforcer sa communication avec l'ensemble des parties prenantes, c'est-à-dire renforcer son capital relationnel avec ses clients et ses fournisseurs, la gestion de son capital humain en motivant et en impliquant ses salariés et optimiser la gestion de ses données, son capital structurel. L'objectif est ainsi de valoriser ce capital immatériel en le transformant en data. Comme nous le disait Philippe Dessertine le 21 janvier dernier : « demain, la valeur des entreprises sera fondée sur leur capacité à produire de la data fiable et claire. »

Cette directive inscrit donc la vision de l'entreprise européenne dans la dynamique économique de demain et en fait l'un des principaux acteurs de la lutte contre le réchauffement climatique. Cette approche sera approfondie par la prochaine mission de notre délégation, qui sera consacrée à la thématique « entreprises et climat ».

L'objectif de la CSRD est de publier de l'information, et non d'agir immédiatement, en matière de durabilité. Sa forme est donc narrative et qualitative : il s'agit d'expliquer concrètement comment l'entreprise compte s'y prendre pour atteindre les objectifs qu'elle se fixe. Au-delà de la simple conformité à un standard, cette démarche représente un outil essentiel pour la pérennité et la compétitivité à long terme. L'intégration d'enjeux de durabilité dans les stratégies des PME vise à renforcer la création de valeur des entreprises et les rendre plus performantes avec :

- la transformation du modèle d'affaires pour être plus résilient et moins dépendant face à la raréfaction des ressources, en se relocalisant et en anticipant les éventuelles évolutions de réglementations ;

- l'alignement avec les demandes des parties prenantes ;

- l'attractivité et la rétention des talents ;

- l'amélioration de l'image et de la réputation ;

- la facilitation de l'obtention de financements en attirant les investisseurs.

Quelle est la situation actuelle ?

En premier lieu, l'information extra-financière est de plus en plus demandée aux entreprises par les parties prenantes (investisseurs, donneurs d'ordres, ONG, labélisateurs...). C'est une jungle. Les entreprises passent un temps considérable à répondre à des questionnaires qui ne sont pas harmonisés. Pourtant, la transmission de ces informations est devenue une véritable obligation économique et financière. La directive CSRD ne créée pas la norme ; elle norme l'information demandée par le marché aux entreprises et elle structure la data indispensable à la valorisation économique de demain.

Par ailleurs, l'information extra-financière est déjà produite depuis 2001 en France par les 3 800 plus grandes entreprises dans leur déclaration de performance extra-financière. En outre, de plus en plus de PME publient ces informations de façon volontaire pour répondre aux demandes de leurs financeurs ou de leurs donneurs d'ordres.

Cette obligation nationale est devenue européenne avec la directive Non Financial Reporting Directive (NFRD) de 2014, qui impose une déclaration de performance extra-financière chaque année aux entreprises de plus de 500 employés. Se limitant le plus souvent à un exercice de conformité vis-à-vis de standards peu contraignants, cette déclaration entraînait une non-comparabilité des performances entre sociétés du même secteur. Dans ce contexte, la directive CSRD permet d'éviter un dumping intra-européen résultant d'un « moins-disant ESG » entre entreprises européennes.

Enfin, jamais le décalage entre les engagements environnementaux des entreprises et les actions concrètes pour les atteindre n'a été aussi visible qu'aujourd'hui. Alors que la plupart des grandes entreprises annoncent des objectifs de neutralité carbone en 2050, les tendances observables sont très hétérogènes. Les feuilles de route censées répertorier les actions qui permettront d'atteindre cette neutralité carbone font le plus souvent défaut. Ce décalage entre promesses et réalisations suscite le scepticisme des parties prenantes et l'accusation de social washing ou de greenwashing. Il se traduit par la multiplication des poursuites en justice par des citoyens et des ONG pour inaction climatique. Ainsi, Shell a été condamné aux Pays-Bas en 2021 à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 45 % d'ici à 2030. Dans le monde, 2 500 procès climatiques sont en cours à l'encontre des entreprises.

Mme Marion Canalès, rapporteure. - Dans une telle situation, le green deal de l'Union européenne de 2019, qui est un plan ambitieux visant notamment la neutralité carbone en 2050, ne peut pas être crédible.

À cet enjeu de crédibilité s'ajoute un enjeu de normalisation mondiale. En 2010, l'Union européenne avait accepté de se soumettre aux acteurs américains en matière comptable en imposant à ses entreprises, pour leurs comptes consolidés, les normes IFRS. La répétition de cette soumission pour les données environnementales serait une erreur stratégique. L'Europe perdrait l'avance dont elle dispose. Une véritable bataille des normes internationales se joue entre d'un côté la CSRD européenne, avec sa double matérialité, et d'un autre côté la norme anglo-saxonne ISSB, qui s'en tient à une logique de matérialité financière simple. Pour l'environnement comme pour la compétitivité de nos entreprises, il est important d'affirmer l'importance de la norme européenne. Cette norme contraignante nécessitera des efforts à court terme, mais ce sera une manière de préparer nos entreprises aux standards qui seront ceux des marchés financiers de demain.

Cette directive est une première étape. Elle ne sera pas suffisante. Tout le monde doit se saisir des indicateurs harmonisés qui seront demandés aux entreprises. L'ensemble des acteurs concernés (investisseurs, consultants, ONG, consommateurs, pouvoirs publics...) doivent se saisir des informations produites pour inciter les entreprises à adopter des stratégies plus durables et plus soutenables qui, quoi qu'il arrive, seront demandées par les marchés financiers à terme.

La directive CSRD se compose de trois éléments principaux.

Premièrement, un élargissement du périmètre. À terme, près de 50 000 sociétés seront concernées en Europe, représentant 75 % du chiffre d'affaires européen. Les grandes entreprises françaises le pratiquent depuis 2001. En revanche, le saut sera important pour les ETI et les PME cotées. Il se pourrait que cela accélère le départ de ces dernières du marché boursier, pour ne pas être soumises immédiatement à la CSRD. Ce risque a été évoqué. Ce ne serait que reculer pour, quoi qu'il arrive, sauter.

Deuxièmement, un cadre normatif avec des normes de durabilité intégrant les trois thématiques ESG (environnement, social et gouvernance). Les entreprises françaises fournissent déjà la majorité de ces informations à l'État. L'effort sera donc relativement limité. La nouveauté réside plutôt dans l'analyse de la double matérialité. La matérialité simple, ou financière, consiste à considérer les impacts potentiels des facteurs ESG sur la performance financière de l'entreprise. Le principe de la double matérialité est de compléter cette projection financière par une matérialité d'impact qui considère les effets de l'activité de l'entreprise sur son environnement, la nature et la société. Elle vise à amener les entreprises à assumer leurs externalités afin de s'engager dans une transformation durable de leur modèle d'affaires. En rapprochant comptabilité financière et informations extra-monétaires, elle permet d'avoir une vision claire de la performance globale de l'entreprise. Les entreprises ne déclareront que les informations qu'elles jugent pertinentes concernant l'impact de leurs activités. Les entreprises qui affirmeront que le changement climatique n'est pas matériel devront publier une justification. Elles jugeront donc d'elles-mêmes si elles veulent communiquer sur les autres normes, sans avoir besoin de justifier leur choix. L'analyse de la matérialité permettra aux entreprises de se concentrer sur les vrais enjeux qui les concernent.

Troisièmement, une vérification obligatoire par un commissaire aux comptes ou un vérificateur indépendant, avec d'abord une assurance limitée, puis une assurance raisonnable en 2028.

L'application de ces normes aux 7 000 entreprises françaises sera progressive. Aux 3 800 grandes entreprises déjà soumises à la directive NFRD en 2025 s'ajouteront toutes les autres grandes entreprises en 2026, soit 3 000, puis 100 PME cotées en bourse en 2027 et, enfin, les filiales des entreprises non-européennes en 2028. Il s'agit d'un champ en apparence marginal au regard des 4 millions d'entreprises françaises. Cependant, beaucoup de PME sont déjà questionnées, et la directive CSRD doit harmoniser ces demandes d'informations. Or, ce qui a été produit par les institutions européennes est complexe, même si cette complexité a été en partie allégée.

La CSRD prévoit la création de normes de reporting permettant d'harmoniser les publications des sociétés. Ces normes seront progressivement adoptées par voie d'actes délégués. Elles sont de plusieurs types :

- des normes universelles applicables à toutes les sociétés ;

- des normes spécifiques pour les PME cotées sur les marchés réglementés ;

- des normes sectorielles à partir de 2026.

La Commission européenne a mandaté l'EFRAG, Groupe consultatif européen sur l'information financière (en anglais, European Financial Reporting Advisory Group) qui est constitué de beaucoup d'experts de l'audit, mais pas assez de représentants des entreprises. Le résultat de l'acte délégué du 31 juillet 2023 est une annexe de 277 pages avec 82 exigences de publication et 1 198 points de données. Cependant, la Commission européenne a reconnu la complexité du sujet. Elle a décidé d'un allègement du dispositif par rapport au projet initial qui comportait 2 000 points de données, en réduisant le nombre d'exigences d'information de 40 % et le nombre de points de données d'environ 50 %. Par ailleurs, les seuils utilisés pour définir une grande entreprise ont été augmentés par une directive du 17 octobre 2023. Enfin, l'adoption des normes sectorielles a été décalé à 2026.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - En réalité, de nombreuses PME seront concernées par la CSRD, même en étant exclues du champ réglementaire d'application de la directive. En effet, la publication d'informations concerne la chaîne d'approvisionnement et de sous-traitance. Les entreprises devront déployer des efforts « raisonnables » pour obtenir ces informations. Nous recommandons vivement que ces normes restent simples et raisonnables, pour entraîner les dirigeants de PME et éviter le rejet d'un dispositif qui serait perçu comme une usine à gaz. Nous souhaitons également que ces normes fassent au préalable l'objet de « tests PME ».

Même allégées, les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) ne sont pas, au stade actuel, à la portée de toutes les entreprises, et principalement de la plupart des ETI. Tous les experts que nous avons entendus en conviennent : il s'agit de normes qui parlent davantage aux cabinets d'audit. C'est la raison pour laquelle nous recommandons de traduire les éléments clés de la directive CSRD et les ESRS en un langage clair, accessible et compréhensible par les dirigeants d'entreprise de toutes catégories, diffusé à travers les réseaux consulaires et par les organisations représentatives.

Sans même attendre les normes sectorielles de l'EFRAG, les fédérations professionnelles ont un rôle de premier plan à jouer pour s'approprier les nouvelles obligations de transparence. À ce jour, elles ne sont pas assez mobilisées. Elles doivent entreprendre rapidement une campagne de sensibilisation à destination des PME et TPE afin d'expliquer en quoi l'utilisation volontaire des normes simplifiées est un atout au service d'une démarche durable et un outil de compétitivité. Nous recommandons donc de mobiliser les fédérations professionnelles afin de permettre l'appropriation des enjeux de la directive CSRD par toutes les entreprises.

Cet effort de simplification et de pédagogie doit être poursuivi dans un environnement normatif stable. Nous recommandons donc que le champ des informations extra-financières soit gelé jusqu'en 2028, date d'application complète de la directive. Depuis 2001, la déclaration de performance extra-financière a subi 21 modifications et ajouts, ainsi que 3 surtranspositions, bien que marginales. La surtransposition doit faire l'objet d'une vigilance accrue.

La directive peut être perçue, dans un premier temps, comme un exercice de conformité, le dirigeant confiant le recollement des informations à un stagiaire ou cantonnant les enjeux ESG à sa direction de la communication. Sa complexité peut dérouter, voire rebuter. Pourtant, elle doit conduire au changement dans l'entreprise pour repenser les process de production, de gouvernance et de collecte des données, former des salariés qui n'étaient pas concernés par le reporting et repenser les systèmes d'information.

Face à cette avalanche, les entreprises qui n'étaient jusque-là pas concernées devront se faire aider. En raison de sa complexité, la directive suscite un marché très convoité. Toutes les entreprises n'ont pas les compétences en interne pour la mettre en oeuvre. La tentation est donc grande d'externaliser complètement l'analyse de cette double matérialité ou le reporting annuel, qui serait ainsi effectué par des prestataires extérieurs. Outre un coût aggravé, cette démarche serait une erreur stratégique. Si l'accompagnement peut s'avérer nécessaire, l'entreprise ne doit pas déléguer ou sous-traiter totalement son audit de durabilité.

La collecte et le traitement des données, le pilotage des indicateurs et la rédaction du reporting introduiront un profond changement de culture dans les entreprises. Des directions qui s'ignoraient devront travailler ensemble et se coordonner en mode projet. Le rapport de durabilité est également un outil puissant de mobilisation des salariés, notamment les plus jeunes, qui ont besoin de trouver du sens au travail. D'ailleurs, nous recommandons que tous les comités exécutifs (ComEx) des entreprises discutent des objectifs ESG de la directive CSRD, dont ils doivent s'approprier les enjeux.

Il est important que les partenaires traditionnels de l'entreprise (experts-comptables, commissaires aux comptes) se forment non seulement pour devenir auditeurs de durabilité, mais surtout pour accompagner les entreprises au quotidien. Nous recommandons d'accélérer et d'amplifier la formation des parties prenantes à la directive CSRD, notamment en renforçant la formation initiale des experts-comptables.

Le coût de mise en oeuvre de la directive CSRD est élevé, quelle que soit la catégorie d'entreprise. Cela ne doit pas se faire au détriment de la création de valeur, qui demeure l'objectif principal de l'entreprise. Pour une grande entreprise du CAC40, le coût de la production d'informations extra-financières avoisine le million d'euros. Les ETI, qui sont désormais concernées par la directive CSRD, pourraient débourser jusqu'à 400 000 euros. Pour une PME, il en coûtera entre 5 et 10 000 euros.

Or, aucun accompagnement financier n'est prévu de la part de l'État. Un portail RSE doit offrir aux entreprises la possibilité de se renseigner sur leurs obligations et de s'y conformer directement sur la plateforme ou en étant redirigées vers les plateformes ministérielles adéquates. Ce portail n'est toujours pas opérationnel, alors qu'il y a urgence. À terme, ce guichet numérique doit proposer aux entreprises un espace unique gratuit pour renseigner leurs indicateurs ESG et piloter leurs obligations extra-financières.

Les opérateurs publics se mobilisent : l'autorité des normes comptables a publié un premier guide pédagogique, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) aide les entreprises à classer les émissions de gaz à effet de serre pour établir le bilan carbone d'une entreprise ou d'un produit, BpiFrance propose un diagnostic de décarbonation... Une démarche collaborative, « Carbone sur factures », propose gratuitement une mesure comptable des performances carbone des entreprises. Toutes ces initiatives se superposent et ne sont pas assez connues.

Suite à la loi sur l'industrie verte, un label triple E (excellence environnementale européenne) est en cours de création par l'AFNOR afin d'accompagner les collectivités locales dans leurs décisions d'attribution de marchés. Démontrera-t-il une réelle valeur ajoutée sans ajouter de complexité inutile ? Ce label devrait en priorité faciliter l'accès à la commande publique des entreprises les plus vertueuses en matière de durabilité. Le verdissement de la commande publique est un puissant outil incitatif. Toutefois, la commande publique ne peut que promouvoir un produit vert, et non une entreprise verte. Il sera nécessaire de promouvoir l'éco-équivalence.

Il existe encore des marges de progrès, notamment pour que toutes les collectivités publiques se dotent d'un schéma de promotion des achats publics socialement et économiquement responsables. De trop nombreuses obligations, notamment déclaratives, participent de la complexité de la commande publique, avec un effet d'éviction des PME. Il conviendrait d'inciter les acheteurs publics à veiller à ce que les critères qu'ils adoptent soient alignés avec la CSRD et n'ajoutent pas de complexité pour les entreprises qui y sont déjà soumises. Ainsi, nous recommandons d'obliger la commande publique à intégrer davantage la CSRD dans les critères de choix afin de récompenser les entreprises les plus vertueuses dans leur démarche RSE (responsabilité sociétale et environnementale).

De nouvelles charges sont donc imposées, ou proposées, aux entreprises. Il manque sans doute une incitation de l'État. La directive CSRD pourrait devenir un outil de simplification au service des entreprises si l'administration a, demain, l'obligation de consulter les informations extra-financières contenues dans le rapport de durabilité avant de demander à l'entreprise les mêmes informations. Le principe du « dites-le nous une fois », introduit en 2018 par la loi pour un État au service d'une société de confiance, serait ainsi étendu. Le portail RSE, qui est en construction, devrait être alimenté à partir de la base de données économiques, sociales et environnementales, qui est obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés. De même, les entreprises devraient être désormais protégées des demandes d'information abusives des investisseurs et autres parties prenantes. Nous recommandons donc d'instaurer une obligation, pour l'administration, de consulter les informations extra-financières contenues dans le rapport de durabilité avant de demander ces informations à l'entreprise. Un éventuel projet de loi de simplification pourrait permettre de préciser le champ de cette simplification.

Bien que l'impact de la directive n'ait pas été évalué ex ante, une évaluation ex post est nécessaire avant sa révision prévue en 2029. Cette évaluation devrait être réalisée au niveau européen, mais un volet national est nécessaire. Une évaluation qualitative devra être engagée sans attendre 2028 si les PME rencontrent de graves difficultés dans l'application de la directive. Nous recommandons donc d'évaluer l'impact de l'application de la directive CSRD au niveau national d'ici 2028, avec un rapport d'étape sur sa mise en oeuvre dès la fin de l'année 2024.

Mme Marion Canalès, rapporteure. - Après cette directive, une pause s'impose pour les entreprises. Le processus normatif de l'Union européenne ne s'arrête pas à la directive CSRD. Toutefois, la lourdeur de celle-ci doit conduire à l'alléger et à le ralentir. Je pense notamment à la directive SFDR, qui doit aligner le financier et le non-financier. Je pense également à la directive relative au devoir de vigilance raisonnable en matière de développement durable des entreprises (CSDD), qui est en cours de négociation. La position de la résolution européenne du Sénat du 1er août 2022 doit être maintenue : nous recommandons que la définition du risque climatique, si elle est intégrée au champ du devoir de vigilance, soit alignée sur la directive CSRD.

Enfin, la cotation climat de la Banque de France, qui est en cours de préparation, pourrait être intégrée dans le système de cotation de la Banque de France et, partant, conditionner l'accès au financement des 300 000 entreprises cotées par la Banque de France. Il est indispensable de garantir un maximum d'interopérabilité entre cette cotation et les indicateurs de la CSRD. Nous recommandons donc d'aligner le futur indicateur climat de la Banque de France sur la directive CSRD en le construisant après une large concertation avec les représentants des entreprises.

En conclusion, le processus initié par la directive CSRD est vertueux pour nos entreprises. Toutefois, un tel processus prendra du temps. Il faut d'une part accompagner la montée en compétences des dirigeants et des parties prenantes, et d'autre part organiser la construction de référentiels d'évaluation sectoriels qui permettront des comparaisons. C'est à cette double condition que cette directive pourra être le levier d'une transition écologique et sociétale ambitieuse par la transformation des entreprises elles-mêmes. Autrement, la directive ne constituera qu'une nouvelle usine à gaz qui aura surtout comme conséquence de faire prospérer la compliance et les marchés du conseil, de la vérification et de l'audit. Il faut vraiment que les entreprises se saisissent du sujet.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour cet important travail, qui est d'autant plus remarquable qu'il s'agit d'un sujet technique dont nous sommes peu familiers. Vous vous êtes mises dans la situation d'un patron de TPE ou de PME qui découvre ces obligations, qui peuvent paraître trop contraignantes a priori, mais qui, avec un bon accompagnement, seront certainement un atout pour la valorisation de notre tissu entrepreneurial.

Mes chers collègues, avez-vous des questions ?

M. Pierre Cuypers. - Certaines recommandations s'apparentent à des instructions. Que se passera-t-il si ces instructions ne sont pas suivies ? Seront-elles suivies de contraintes ou de pénalités ?

Mme Antoinette Guhl. - Je m'interroge sur la situation des PME. La directive sera imposée à une petite partie des entreprises, environ 7 000. Ce ne sera donc pas un indicateur universel pour toutes les entreprises, et elle n'aura pas l'impact attendu sur la commande publique ou vis-à-vis des banques. Ne faudrait-il pas créer un bilan simplifié pour les petites entreprises, de manière à ce que cet outil puisse être pris en main par toutes les entreprises et dans tous les cas ? Sinon, cet outil risque surtout de favoriser les grandes entreprises en matière de commande publique.

Mme Laurence Garnier. - Tout ce qui est imposé aux chefs d'entreprise me laisse perplexe. J'aurais bien du mal à me faire la porte-parole, auprès des fédérations professionnelles, de la nécessité de porter ce nouvel outil. La crise des agriculteurs a déjà mis en lumière le sujet des normes et des réglementations.

Les experts-comptables sont formés à la comptabilité financière. Vous avez évoqué la nécessité de faire évoluer cette profession vers le volet extra-financier, au moins par une sensibilisation. Pour autant, seront-ils vraiment les plus à même d'évaluer les impacts sur la RSE ou la biodiversité ? Ne serait-ce pas plutôt le travail d'ingénieurs environnementalistes ?

Mme Marion Canalès, rapporteure. - La main des marchés financiers est extrêmement puissante. Or les marchés financiers ont fait de ces obligations le début de leurs standards.

Les sous-traitants seront indirectement « embarqués » dans la mise en oeuvre de la directive. C'est, en tout cas, l'objectif de cet engrenage vertueux : avoir un effet levier sur la décarbonation et la transition écologique sur le plus grand nombre d'entreprises. Nous avons donc le sentiment que les sous-traitants et les soumissionnaires seront entraînés, puisque les entreprises devront justifier de leurs sous-traitants et soumissionnaires. Pour les grandes entreprises, cela représentera un important travail.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Les experts-comptables suivront une formation continue de 90 heures. Cela nous semble très peu pour apprendre un nouveau métier. Dans certains pays européens, c'est moins, voire ce n'est rien du tout. Les experts-comptables français ont le sentiment d'être bien armés.

Mme Marion Canalès, rapporteure. - Il se pose aussi un problème de formation initiale. Très peu de formations, dans les écoles de commerce, portent sur l'information extra-financière des entreprises. Nous considérons qu'il existe un problème dans la formation initiale des professionnels qui accompagneront les entreprises et leurs sous-traitants.

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Ce ne sont pas forcément les experts-comptables qui seront les plus à même de répondre. Ce seront plutôt les commissaires aux comptes, qui sont mieux armés pour aider à mettre à oeuvre ce type de directive.

Concernant les sanctions qui pourraient être imposées, elles relèvent de l'État. De notre côté, nous ne pouvons qu'émettre des recommandations afin que le Gouvernement comprenne l'urgence. Nous n'avons pas de pouvoir sur une directive européenne. Elle s'impose à nos entreprises. Nous n'avons pas le choix. La machine est en route depuis longtemps. Nous sentons aujourd'hui une urgence à agir pour la transition écologique, le climat et les objectifs de neutralité carbone. Tout ceci pousse à une application rapide de la directive CSRD. Nous ne pouvons pas arrêter le train. Notre rôle consiste à aider les entreprises à monter dedans.

7 000 entreprises sont concernées par la directive aujourd'hui, mais il s'agit d'une première étape. Les marchés financiers feront que, tôt ou tard, tout le monde sera obligé de s'y mettre. L'allègement des normes est donc essentiel pour les petites entreprises.

M. Pierre Cuypers. - À titre personnel, je me refuse totalement à considérer que les choses sont irréversibles. Je ne peux pas accepter que nous puissions dire au Sénat que des mesures ne sont pas satisfaisantes, mais que nous ne pouvons pas faire autrement. J'aimerais que nous ayons une position beaucoup plus forte dans la conclusion du rapport. Nous n'avons pas à mettre des milliers d'entreprises en difficulté.

M. Michel Masset. - Le sujet est complexe. Je n'ai pas bien compris qui contrôle qui, et avec quelles conséquences. Tout ne semble pas complètement calé. Le sujet de la responsabilité juridique pose également question. Dans les PME, le dossier sera certainement confié à un cabinet externe. Pour autant, c'est bien le chef d'entreprise qui restera responsable. Il faut que le professionnel qui a été formé et payé pour réaliser ce travail soit impliqué.

M. Damien Michallet. - J'ai connu beaucoup de normes descendantes, qu'elles soient françaises ou européennes. Elles finissent toujours par arriver jusqu'aux plus petites entreprises. C'est également ce qu'il se passera avec la directive CSRD. Or, toutes les entreprises ne seront pas en capacité de faire face. Ces entreprises perdront des marchés. Je crains donc que cette norme ne soit surtout un outil financier et qu'elle ne mette à mal de nombreuses entreprises. Pourrions-nous indiquer dans le rapport que cette norme ne peut pas être discriminante ? Je m'interroge aussi sur l'externalisation de la norme à des cabinets externes. Qui portera la responsabilité : celui qui paie ou celui qui fait le travail ?

Mme Pauline Martin. - Je suis gênée d'entendre que cette norme s'impose à nous. Ce n'est pas conforme à l'idée que je me fais du Sénat. Il en va de notre rôle de réagir, même si la démarche est vertueuse. Nous savons combien les PME souffrent de la commande publique. En soi, les clauses d'insertion sont vertueuses, mais elles sont lourdes à appliquer. J'ai l'impression que nous replongerons dans les mêmes travers avec la CSRD. Les grandes entreprises seront en capacité de faire face à la directive, mais pas forcément leurs sous-traitants.

M. Clément Pernot. - C'est un sujet que nous devrons suivre de très près pour faire valoir la position du Sénat auprès des commissions intéressées. Je ne peux pas entendre que tout s'impose à nous et que nous ne pouvons rien faire.

Il est des PME qui vendent des produits finis, par exemple des lunettes, en faisant appel à des intervenants extérieurs chinois. Ces PME ne pourront jamais obtenir les informations demandées par la directive de leurs sous-traitants. Nous devrons être particulièrement vigilants sur le sujet de la commande publique. Il ne faudrait pas éliminer toutes les entreprises qui seront en défaut d'information, non parce qu'elles ne voudront pas la fournir, mais parce qu'elles ne pourront pas l'obtenir.

Je me méfie vraiment de ces nouvelles approches. Notre délégation devra être particulièrement vigilante. Nous sommes tous sensibles au développement de nos PME. Il faut conserver ce tissu industriel. Je demande que nous soyons régulièrement informés de l'avancée de ce dossier.

M. Emmanuel Capus. - Ce rapport arrive assez en amont. Cela doit nous permettre d'être utile dans sa mise en application. Nous pouvons identifier les problèmes avant qu'ils ne se produisent.

Avec la commission des finances, nous nous sommes rendus aux États-Unis il y a un an et demi, où nous avons rendu visite au fonds BlackRock. Pour eux, les critères ESG sont extrêmement importants. L'accès aux capitaux financiers s'en trouvera facilité. C'est cette réalité qui s'impose à nous, même si nous pouvons prévoir des garde-fous pour les entreprises en France. BlackRock considère que l'Europe est très en avance sur le sujet par rapport au reste du monde, notamment par rapport aux États-Unis. En revanche, je ne suis pas certain que nous soyons d'accord avec eux sur ce que nous entendons par critères ESG. Les critères sociaux (parité, non-discrimination...) sont très importants pour BlackRock, alors que nous sommes très focalisés sur l'environnement. Nous n'avons ni la même histoire, ni les mêmes enjeux. Nous n'avons donc pas la même approche.

Enfin, cette directive ne serait-elle pas l'occasion de donner la préférence au local, considérant qu'il est plus facile de travailler avec une entreprise locale qui fonctionne en circuit court, ce qui est plus vertueux pour la planète ?

M. Gilbert Favreau. - Je souhaite appréhender ce dossier d'une autre manière. Les normes et les complexifications imposées par les administrations sont souvent insupportables. Les agriculteurs nous l'ont encore montré récemment. Pourquoi ne pas tout simplement ajouter quelques lignes supplémentaires dans les plans comptables, qui sont suffisamment explicites et bien connus des professionnels, afin de donner très précisément les renseignements nécessaires ? Cela permettrait d'évacuer beaucoup d'intervenants et de paperasse. Alain Lambert a été chargé de la simplification des normes des collectivités territoriales. Il y travaille depuis 2018. Il n'a jamais réussi à les simplifier. Au contraire, nous faisons face à une amplification. Saisissons donc l'occasion que nous offre la directive CSRD pour simplifier.

Mme Marion Canalès, rapporteure. - Effectivement, nous nous positionnons très en amont. Nous avançons en même temps que l'application de la directive. Nous demandons un état des lieux fin 2024. Il sera absolument nécessaire de revenir sur le sujet pour en apprécier la mise en oeuvre. Parallèlement, des collègues travailleront dans le cadre de la mission d'information « Entreprises et climat ».

Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - Je comprends parfaitement la frustration que plusieurs d'entre vous ont exprimée. Nous l'avons également ressentie. Il s'agit d'une directive européenne. Dès lors, notre pouvoir d'action est extrêmement limité. En revanche, nous pouvons être vigilants sur l'application de la directive en France. Nous pouvons sensibiliser l'État sur l'accompagnement qui est nécessaire. C'est notre seule marge de manoeuvre. Nous avons un grand avantage : celui de pouvoir nous préoccuper du sujet en amont. Nous serons particulièrement attentives à ce qu'il adviendra.

La directive CSRD ne fait pas peser de responsabilité civile spécifique sur les dirigeants d'entreprise. Il s'agit d'une responsabilité de droit commun. Le commissaire aux comptes portera la responsabilité de l'audit qui est obligatoire sous peine de sanction pénale. Aucune nouvelle sanction n'est prévue par la directive CSRD. Les sanctions émaneront de la commande publique et des marchés financiers.

M. Olivier Rietmann, président. - Encore une fois, merci pour votre travail. Nous allons maintenant consulter la délégation sur votre rapport.

Le rapport est adopté à l'unanimité par la délégation.

À l'unanimité, la délégation autorise la publication de ce rapport.

M. Olivier Rietmann, président. - Une présentation de ce rapport à la commission des finances me paraît faire sens. Nous en parlerons au président de cette commission.

M. Pierre Cuypers. - Au-delà de la publication du rapport, je pense que nous devrions émettre quelques réserves.

M. Olivier Rietmann, président. - Il s'agit d'une première mouture. Nous serons amenés à y revenir régulièrement.

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