III. LA PROTECTION DES AGENTS DE LA COMMUNAUTÉ ÉDUCATIVE : DE L'ÉDUCATION NATIONALE À LA JUSTICE, UNE CHAÎNE INSTITUTIONNELLE DONT LES MAILLONS DEVRAIENT ÊTRE RESERRÉS

A. PROTÉGER PLUS EFFICACEMENT CONTRE LES MENACES EN IMPLIQUANT DAVANTAGE L'ADMINISTRATION ET LES FORCES DE SÉCURITÉ DANS LES ACTIONS DE PRÉVENTION

Face aux menaces auxquelles les agents de la communauté sont aujourd'hui de plus en plus exposés, un certain nombre d'outils existent à des fins de prévention, qui font intervenir aussi bien les employeurs publics que les forces de sécurité. Le renforcement de leur efficacité suppose une meilleure articulation du rôle des acteurs concernés, et dans l'ensemble, une plus grande implication de ceux-ci au bénéfice de la protection de l'agent.

Ainsi, selon la nature des menaces et le degré d'urgence, le membre de la communauté éducative peut solliciter deux types de protection (cumulatifs) : en tant qu'agent public, il peut prétendre à la protection fonctionnelle ; en tant que membre d'une profession dite « menacée », il peut bénéficier d'une protection policière.

Par ailleurs, la mise en oeuvre systématique de certaines sanctions, pénales ou scolaires, constitue une réponse aux risques d'agression auxquels sont exposés les agents, de même que l'apaisement du climat scolaire passe nécessairement par des mesures ciblant les élèves les plus perturbateurs.

Enfin, pour mieux prévenir les menaces à l'encontre des membres de la communauté éducative, la question de la sécurité des établissements scolaires et de leurs abords se pose.

1. La protection fonctionnelle
a) Un droit ouvert au bénéfice de l'ensemble de la communauté éducative
(1) Le champ de la protection fonctionnelle

Comme tous les agents publics, les membres de la communauté éducative - qu'ils relèvent de l'éducation nationale ou des collectivités territoriales, et qu'ils soient fonctionnaires ou agents contractuels - ont droit à la protection de la collectivité publique qui les emploie lorsqu'ils font l'objet, dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions et en l'absence de faute personnelle, d'attaques ou de mises en cause pénales.

Cette protection dans l'exercice des fonctions, ou protection fonctionnelle, doit ainsi être accordée dans les trois cas suivants :

- lorsque l'agent public fait l'objet de poursuites pénales en raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions47(*) ;

- lorsque l'agent public est victime d'atteintes volontaires à l'intégrité de sa personne, de violences, d'agissements constitutifs de harcèlement, de menaces, d'injures, de diffamations ou encore d'outrages, sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée48(*) - cette liste n'étant pas exhaustive49(*). Dans ce cas, la collectivité publique est également tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ;

- lorsque la responsabilité civile d'un agent public est mise en cause du fait d'une faute de service50(*).

(2) La procédure de demande de la protection fonctionnelle

Pour bénéficier de la protection fonctionnelle, l'agent public qui estime remplir les conditions posées par la loi doit formuler une demande écrite auprès de son employeur, accompagnée de la preuve des faits pour lesquels il demande cette protection. Il lui revient ainsi, en particulier, d'apporter la preuve que c'est en raison de sa qualité d'agent public qu'il a subi des attaques.

L'agent public peut présenter sa demande personnellement ou par l'intermédiaire de son avocat ; en outre, aucun texte ne fixe de délai pour introduire une demande.

Pour les agents de l'éducation nationale, les demandes de protection fonctionnelle s'effectuent à partir de la plateforme Colibris, hébergée par chaque portail en ligne d'académie51(*). À tout moment, l'agent dispose de la possibilité de supprimer sa demande, d'y ajouter des pièces et informations complémentaires, et de consulter le statut de celle-ci.

Rien n'interdit évidemment à la collectivité d'accorder sa protection de sa propre initiative, sans que l'agent n'ait formalisé de demande en ce sens52(*).

Par ailleurs, les collectivités publiques peuvent prendre des mesures à titre conservatoire lorsqu'elles sont informées de l'existence d'un risque grave pesant sur l'un de leurs agents.

Les mesures prises à titre conservatoire

Prise deux semaines après l'assassinat de Samuel Paty, la circulaire interministérielle du 2 novembre 2020 visant à renforcer la protection des agents publics face aux attaques dont ils font l'objet dans le cadre de leurs fonctions53(*) prévoit que la protection fonctionnelle doit être accordée sans délai « lorsque les circonstances et l'urgence le justifient [...] afin de ne pas laisser l'agent public sans défense dans une situation pouvant se traduire par une atteinte grave à son intégrité » ; le cas échéant, la protection fonctionnelle peut être accordée à titre conservatoire.

Cette disposition a ensuite été inscrite dans la loi54(*) par l'article 11 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, les rapporteurs de la commission des lois ayant notamment considéré que « l'assassinat de Samuel Paty a mis en lumière la nécessité d'un renforcement de la protection des agents publics face aux attaques qu'ils subissent dans l'exercice de leurs fonctions »55(*) .

Depuis, l'article L. 134-6 du CGFP dispose ainsi que « lorsqu'elle est informée, par quelque moyen que ce soit, de l'existence d'un risque manifeste d'atteinte grave à l'intégrité physique de l'agent public, la collectivité publique prend, sans délai et à titre conservatoire, les mesures d'urgence de nature à faire cesser ce risque et à prévenir la réalisation ou l'aggravation des dommages directement causés par ces faits ».

Depuis l'arrêté du 21 octobre 201956(*), l'instruction des demandes de protection fonctionnelle est déconcentrée auprès des recteurs d'académie et vice-recteurs. Ceux-ci sont ainsi compétents pour statuer sur les demandes de protection fonctionnelle des agents relevant de leur autorité, tandis que la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche reste compétente pour connaître des recours hiérarchiques contre les décisions des recteurs de région académique et des recteurs d'académie refusant l'octroi du bénéfice de cette protection.

Outre les cas où la faute personnelle de l'agent est reconnue, d'une part, et ceux où l'administration met en avant un motif d'intérêt général, d'autre part, la protection fonctionnelle est refusée lorsque la matérialité des faits dont l'agent public s'estime victime n'est pas établie, lorsque les faits invoqués sont jugés insuffisamment graves et/ou importants par l'administration, ou encore lorsqu'il n'existe aucun lien entre l'attaque et les fonctions de l'agent.

En revanche, le fait que l'auteur des attaques soit inconnu (par exemple, dans le cas de menaces anonymes) ne constitue pas, à lui seul, un motif suffisant pour rejeter une demande de protection fonctionnelle57(*).

La circonstance selon laquelle l'agression a eu lieu en dehors du service est également sans effet sur la décision d'octroyer la protection fonctionnelle : dès lors que le lien entre l'agression et les fonctions est établi, la protection fonctionnelle est due.

Enfin, le fait que l'agent n'ait pas déposé de plainte ne saurait constituer un motif de refus, pas plus que le fait que l'agent fasse l'objet d'une procédure disciplinaire.

L'administration qui reçoit la demande de protection n'est pas tenue d'en accuser réception auprès de l'agent concerné58(*).

La décision de rejet de l'administration peut être explicite ou implicite, en cas de silence gardé par l'administration pendant deux mois après la demande de l'agent59(*).

(3) Les modalités de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle

La mise en oeuvre concrète de la protection fonctionnelle peut prendre des formes diverses non exclusives l'une de l'autre, qui correspondent à trois grands types de mesures.

L'administration est tout d'abord tenue de prendre des actions de soutien et de prévention, visant à assurer la sécurité de l'agent. Dans le cas particulier des agents de la communauté éducative, ces mesures peuvent passer par : l'envoi d'une lettre de soutien ; un entretien personnel avec l'agent ; la proposition d'une prise en charge médicale et/ou d'un soutien psychologique ; la proposition d'un éloignement du lieu des attaques ; le signalement des faits ; la dénonciation au procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale ; ou encore, une enquête.

L'administration est également tenue de fournir une assistance juridique et judiciaire aux agents publics bénéficiant de la protection fonctionnelle, afin de leur permettre d'engager une action en justice ou d'organiser leur défense. L'administration prend ainsi en charge les frais de justice au civil et au pénal et les frais de déplacement, et peut accorder des autorisations d'absence à l'agent pour les besoins de la procédure. L'administration doit également aider l'agent dans le choix d'un avocat, s'il le souhaite, ainsi que dans le paiement des frais d'honoraires.

Deux modalités sont possibles pour le règlement des frais d'avocat :

- soit l'administration règle directement à l'avocat les frais prévus par la convention d'honoraires conclue entre l'administration et l'avocat ;

- soit l'administration rembourse l'agent sur présentation des factures acquittées, et dans la limite de montants qui ne sont pas manifestement excessifs au regard des pratiques tarifaires généralement observées dans la profession pour des dossiers similaires60(*).

Enfin, l'administration doit réparer les préjudices subis (économiques, personnels, matériels, corporels, ou encore moraux) par les agents qui ont été victimes de violences ou de menaces, avant même qu'une action contentieuse ait été engagée contre l'auteur des attaques61(*). L'administration est alors subrogée dans les droits de l'agent contre le tiers responsable62(*).

La protection fonctionnelle a un caractère essentiellement personnel. Pour autant, depuis la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, son bénéfice peut être étendu à certains membres de la famille de l'agent concerné, sur leur demande, dans deux cas :

- au conjoint, concubin, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, aux enfants et ascendants directs pour les instances civiles ou pénales qu'ils engagent contre les auteurs d'atteintes volontaires à l'intégrité de la personne dont ils sont eux-mêmes victimes du fait des fonctions exercées par l'agent public63(*) ;

- au conjoint, concubin, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, qui engage une instance civile ou pénale contre les auteurs d'atteintes volontaires à la vie de l'agent public du fait des fonctions exercées par celui-ci64(*).

b) En pratique, l'effectivité du recours à la protection fonctionnelle pour les agents de la communauté éducative paraît limitée
(1) Derrière des chiffres en hausse ...

Une fois par an, le ministère de l'éducation nationale réalise, à partir d'une enquête adressée aux rectorats, un bilan relatif à la demande et à l'octroi de la protection fonctionnelle au cours de l'année civile précédente. L'enquête relative à l'année 2023 étant actuellement en cours de lancement, les dernières données disponibles portent sur l'année 2022. L'intégralité des 36 rectorats a répondu à cette enquête lors des deux dernières éditions. Ce bilan n'inclut toutefois pas les membres du personnel relevant de la fonction publique territoriale (agents d'accueil)65(*) ni les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH).

Le bilan publié en décembre 2023 au titre de l'année civile 2022 révèle une stabilité du nombre de demandes de protection fonctionnelle par les membres du personnel de l'éducation nationale.

Demandes de protection fonctionnelle formulées
dans les académies en 2021 et 2022

Personnel

2021

2022

Évolution entre 2021 et 2022

Personnel enseignant du premier degré66(*)

1 401

1 338

- 4,5 %

Personnel enseignant du second degré

1 247

1 401

+ 12,3 %

Personnel de direction du second degré

515

470

- 8,7 %

Personnel d'éducation et d'orientation du second degré

313

245

- 21,7 %

Sous-total 1

3 476

3 454

- 0,6 %

Personnel d'inspection67(*)

23

51

+ 121,7 %

Personnel administratif

158

166

+ 5,1%

Personnel médical et social68(*)

54

55

+ 1,9%

Autres

-

7

-

Sous-total 2

235

279

+ 18,7 %

Total

3 711

3 733

+ 0,6%

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Les motifs des demandes de protection fonctionnelle recensées par les rectorats sont relativement stables entre 2021 et 2022 ; les cas d'atteinte volontaire à l'intégrité de l'agent (et parmi eux, les cas d'atteinte morale), constituent le premier motif, et de loin : en 2022, ils représentent ainsi 87 % de l'ensemble des demandes de protection fonctionnelle, tandis que les cas d'atteinte morale (diffamation, menace, injure publique, outrage) forment près de 62 % de l'ensemble des demandes. En volume, les demandes de protection fonctionnelle faites en raison d'une atteinte physique sont quant à elle restreintes (moins de 9 %).

Motifs des demandes de protection fonctionnelle

 

2021

2022

Nombre

Part

Nombre

Part

Couverture des condamnations civiles

0

0,00 %

3

0,08 %

Poursuite pénale contre l'agent

204

6,50 %

182

4,87 %

Atteinte volontaire à l'intégrité de l'agent

2 680

85,35 %

3 261

87,15 %

- dont atteinte physique

262

8,34 %

325

8,69 %

- dont atteinte morale69(*)

2 107

67,10 %

2 317

61, 92 %

- dont acte de harcèlement

206

6,56 %

325

8, 69%

- dont autre atteinte volontaire à l'intégrité de l'agent

0

0,00 %

291

7,78 %

Protection des ayants droit

2

0,06 %

3

0,08 %

Atteinte aux biens (dont véhicule)

254

8,09 %

293

7,83 %

Total

3 140

-

3 742

-

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Les auteurs des faits à l'origine de la demande de protection fonctionnelle sont en majorité des « usagers » indirects et directs de l'enseignement, à savoir les représentants légaux des élèves (pour 45 % des demandes), et les élèves eux-mêmes (26 % des demandes).

Auteurs des faits à l'origine de la demande
de protection fonctionnelle

 

2021

2022

Nombre

Part

Nombre

Part

Agents

549

18,20 %

617

18,78 %

Représentants légaux des élèves

1 411

46,78 %

1 469

44,72 %

Élèves

682

22,61 %

842

25,63 %

Autres particuliers

374

12,40 %

357

10,87 %

Total

3 016

-

3 285

-

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et de et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Dans plus des trois-quarts des cas, la protection fonctionnelle est accordée par l'administration, et ce dans un délai moyen de 29 jours après la demande de l'agent70(*). En outre, la grande majorité des refus est exprimée de façon explicite ; en 2022, les refus ont fait l'objet de 56 recours contre des décisions prises en académie.

Décision de l'administration à la suite d'une demande de protection fonctionnelle

 

2021

2022

Nombre

Part

Nombre

Part

Accord

3 167

85,34 %

2 673

76,97 %

Refus

544

14,66 %

642

18,49 %

- dont refus explicite

409

11,02 %

484

13,94 %

- dont refus implicite

135

3,64 %

158

4,55 %

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et de et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Parmi les actions mises en oeuvre par l'éducation nationale dans le cadre de la protection fonctionnelle, l'assistance juridique et l'entretien avec l'agent correspondent aux mesures les plus fréquentes (respectivement 37 % et 28 % de l'ensemble des actions).

Les actions mises en oeuvre en cas d'octroi de la protection fonctionnelle

 

2021

2022

Nombre

Part

Nombre

Part

Droit de réponse de l'administration
(par exemple, communiqué de soutien)

71

3,05 %

201

6,72 %

Assistance juridique

1 049

45,12 %

1 121

37,48 %

Entretien avec l'agent

420

18,06 %

740

24,74 %

Sanction de l'élève auteur

206

8,86 %

247

8,26 %

Suspension ou sanction de l'agent auteur

20

0,86 %

55

1,84 %

Action de protection

117

5,03 %

186

6,22 %

Autre action

442

19,01 %

441

14,74 %

Total

2 325

-

2 991

 

Source : mission de contrôle à partir des données de la direction des affaires juridiques des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et de et de l'enseignement supérieur et de la recherche

Les montants versés au titre de la protection fonctionnelle au sein des académies ont augmenté entre 2021 et 2022 (de 744 003 euros à 834 294 euros). Ces sommes ont servi principalement au remboursement de frais d'avocat et de justice, au règlement de sommes résultant de condamnations civiles, et au remboursement de débours consécutifs à des atteintes aux biens.

(2) Une effectivité insuffisante

Le nombre élevé - et en hausse - de demandes de protection fonctionnelle ne doit pas conduire à oublier la part d'enseignants et d'autres membres de la communauté éducative qui ne font pas de demande alors même qu'ils pourraient prétendre au bénéfice de la protection fonctionnelle.

Lors de son audition par les rapporteurs, l'Autonome de solidarité laïque (ASL), fédération d'associations qui a pour mission principale de protéger les membres du personnel de l'éducation et de prévenir les risques de leurs métiers, a ainsi souligné la grande méconnaissance, chez de nombreux adhérents71(*), de leurs droits et de la procédure à suivre - une grande partie du personnel n'ayant du reste pas conscience qu'ils relèvent de la fonction publique.

Néanmoins, de l'avis de l'ensemble des personnes auditionnées par les rapporteurs, l'assassinat de Samuel Paty a marqué un tournant en donnant une plus grande visibilité au mécanisme de la protection fonctionnelle ; la hiérarchie a elle-même été incitée à rappeler aux agents ce droit par deux circulaires interministérielle et ministérielle récentes72(*). La propre responsabilité de la hiérarchie dans le signalement des menaces auprès des services compétents chargés du traitement des demandes de protection fonctionnelle, avec comme corollaire l'exposition à une sanction disciplinaire en cas de volonté délibérée d'occulter ou de minimiser les faits, a également été soulignée.

Extrait de la circulaire interministérielle du 2 novembre 2023

« La protection fonctionnelle constitue une obligation pour l'employeur public contre toutes les attaques dont les agents publics pourraient être victimes dans l'exercice de leurs fonctions ou en raison de leur qualité. Il revient à l'autorité administrative compétente, qui a octroyé la protection fonctionnelle, de prendre toutes les mesures dans le cadre de celle-ci lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent.

« [...] Partout où les agents publics sont la cible ou les victimes d'attaques dans et pour l'exercice de leurs fonctions, nous vous demandons de vous assurer que les agents concernés bénéficient d'un soutien renforcé et systématique de leur employeur. Cette exigence passe notamment par :

« - une sensibilisation accrue et des formations systématiques à destination des managers et des chefs de service sur les obligations qui incombent à l'employeur en termes de protection ;

« - des mesures de protection renforcées dans l'accompagnement et le soutien d'un agent public victime d'attaques, en particulier lorsqu'il dépose une plainte.

« [...] Dans le cas où une carence ou une négligence caractérisée dans le soutien à l'agent visé par les menaces ou attaques serait avérée, toutes les mesures devront être prises pour y mettre fin, notamment si cette carence devait révéler une volonté délibérée d'occulter ou minimiser les faits, en envisageant l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'encontre du responsable hiérarchique fautif ».

En outre, une part non négligeable des membres de la communauté éducative, tout en étant au courant de l'existence de ce droit et de la démarche à suivre, renoncent à demander la protection fonctionnelle, par découragement ou conviction que leur demande sera rejetée ou bien, dans le cas où elle est acceptée, que l'octroi de la protection fonctionnelle se traduira par des mesures dérisoires, inadaptées ou insuffisantes.

À cet égard, le fait pour un enseignant de recevoir, dans le cadre d'une protection fonctionnelle accordée après une agression, un courrier du recteur l'assurant de son soutien et l'informant des modalités de prise en charge financière peut accroître son sentiment de solitude. Comme avancé par Jean-Louis Linder, vice-président de l'Autonome de solidarité laïque, dans une telle situation, les enseignants ont avant tout « besoin de relations humaines », d'un soutien et d'un accompagnement étroits par leur hiérarchie, et de l'assurance d'être effectivement protégés, au-delà de la seule prise en charge des frais d'avocat.

En septembre 2023, dans le cadre de son plan « Protection des agents publics », le ministre Stanislas Guerini a annoncé l'élargissement de la protection fonctionnelle au bénéfice des ayants droit de l'agent public, à titre conservatoire : « les proches de l'agent (conjoint, famille) pourront désormais bénéficier, de manière anticipée (par exemple après des injures ou des menaces d'agression mais avant tout passage à l'acte), d'une protection fonctionnelle, par exemple d'un accompagnement psychologique et juridique »73(*).

À la date de conclusion des travaux de la mission de contrôle, un tel plan n'a pas encore été mis en oeuvre, faute notamment de projet de loi déposé en ce sens74(*).

Du reste, sans négliger l'intérêt d'une telle mesure, la mission estime que celle-ci ne suffira pas à permettre au régime de la protection fonctionnelle de jouer pleinement son rôle auprès des membres de la communauté éducative victimes de violences et outrages du fait des élèves, des parents d'élèves ou de tiers75(*).

Afin de favoriser le recours à la protection fonctionnelle par ces agents, elle considère qu'il serait non seulement nécessaire de renforcer leur information, mais aussi et surtout d'inverser la logique d'octroi à l'oeuvre aujourd'hui, en renversant la charge de la preuve. Ainsi, tout membre de la communauté éducative victime de violences et outrages du fait d'élèves, de parents d'élèves ou de tiers se verrait automatiquement bénéficier de la protection fonctionnelle dès lors qu'il en ferait la demande. L'administration aurait la faculté de la retirer dans un second temps, si elle estime que les conditions ne sont pas remplies.

De surcroît, la mission souligne que les délais moyens d'octroi de la protection fonctionnelle (29 jours en 2022) ne sont guère compatibles avec le besoin souvent urgent d'une protection effective. À l'inverse, l'octroi automatique de la protection fonctionnelle permettrait de remédier à cette difficulté.

Recommandation : afin d'améliorer le recours à la protection fonctionnelle du personnel, rendre automatique l'octroi de la protection fonctionnelle pour les agents de la communauté éducative victimes de violences et outrages du fait des élèves, des parents d'élèves ou de tiers ; l'administration aurait la faculté de la retirer dans un second temps.

La mission souligne, par ailleurs, que l'automaticité de la protection fonctionnelle pour les élus exécutifs locaux victimes de violences, de menaces ou d'outrages a été récemment adoptée par le Sénat et l'Assemblée nationale dans le cadre de la proposition de loi n° 648 (2022-2023) renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux76(*).

2. La protection par la police ou la gendarmerie

Les membres de la communauté éducative confrontés à des menaces pour leur intégrité physique ou la sécurité de leurs biens peuvent, en outre, bénéficier d'une protection par la police ou la gendarmerie, sous la forme de patrouilles aux abords du lieu de résidence ou de garde statique. L'attribution de ces missions de protection dépend de l'accord du préfet territorialement compétent.

En outre, la gendarmerie propose aux membres du personnel de l'éducation nationale qui le souhaitent une inscription au sein du module « sécurisation des interventions et demandes particulières de protection » (SIDPP) de la base de données de sécurité publique (BDSP) au titre des « professions menacées »77(*). En conséquence de cette inscription, dès l'appel au centre opérationnel de la gendarmerie (par le numéro « 17 »), le numéro est identifié immédiatement, donnant à l'opérateur la connaissance de la situation de la personne à l'origine de l'appel (identité, profession, lieux de domicile et de travail, cas précédents éventuels d'appels et d'interventions), et l'intervention est prioritaire.

Au 1er décembre 2023, 756 enseignants et chefs d'établissement du (premier et second degrés confondus) sont inscrits dans cette base de données de sécurité publique 78(*), soit 0,08 % de l'ensemble des enseignants et membres du personnel d'encadrement. Au regard de la part importante de membres de l'éducation nationale qui fait état de menaces de façon plus ou moins régulière, et sans viser nécessairement la même proportion pour autant, la mission considère que le nombre d'inscrits dans cette base pourrait être utilement augmenté, de manière à renforcer, de façon préventive, la protection des enseignants et chefs d'établissement. Aussi invite-t-elle à améliorer l'information du personnel de l'éducation nationale sur la possibilité d'être inscrit dans la base de données de sécurité publique

Recommandation : renforcer l'information du personnel de l'éducation nationale sur la possibilité d'être inscrit dans la base de données de sécurité publique.

3. Pour des sanctions plus systématiques et plus efficaces, et une prise en charge améliorée des élèves perturbateurs

Les évolutions récentes du droit pénal ont cherché à répondre au risque d'agression contre les personnels de la communauté éducative. L'assassinat de Samuel Paty a suscité une terrible prise de conscience conduisant à mieux prendre en compte les mécanismes de signalement à la vindicte et à la violence par l'intermédiaire des plateformes et réseaux sociaux.

Ces mécanismes se heurtent cependant au besoin de moyens d'enquête et aux délais en matière d'enquête et de jugement. Si la mise en oeuvre du code de la justice pénale des mineurs offre la possibilité d'accélérer la décision judiciaire, la mise en oeuvre effective des sanctions adaptées dépend du travail mené conjointement par l'éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse et les collectivités territoriales pour élaborer des mesures de responsabilisation en lien avec l'infraction et susceptibles de faire sens.

a) Le cadre pénal depuis la loi confortant le respect des principes de la République

L'assassinat de Samuel Paty a été l'un des événements majeurs conduisant à la loi du 24 août 202179(*) confortant le respect des principes de la République. Deux dispositifs de droit pénal destinés à protéger les personnels de l'éducation ont été créés à cette occasion.

Le premier, codifié à l'article 223-1-1 du code pénal, sanctionne la révélation de l'identité d'une personne aux fins de lui nuire. Cette disposition a été conçue pour répondre à une campagne d'intimidation comme celle qu'avait subie Samuel Paty, conduisant à sa mort.

Cette même loi a prévu, à l'article 431-1 du code pénal, une sanction en cas d'entrave, « de manière concertée et à l'aide de menaces » à la fonction d'enseignant. Ainsi l'action d'élèves, de parents ou de groupes de pression tendant à interférer avec la dispensation d'un enseignement par le biais de l'intimidation est passible d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Ces dispositions trouvent notamment à s'appliquer sur les réseaux sociaux par le biais desquels elles sont généralement constituées. Peuvent aussi entrer dans cette catégorie des comportements comme les « défis » TikTok incitant à la violation du principe de la laïcité. Comme le montrent des exemples malheureusement récents, les appels à la haine contre les enseignants et les chefs d'établissement sur internet se perpétuent.

Le cadre pénal paraît désormais susceptible de répondre aux risques les plus graves auxquels font face les agents de la communauté éducative. Pour autant, les forces de sécurité intérieure semblent avoir des difficultés pour suivre les risques posés par les réseaux sociaux et appliquer ces dispositions légales. L'enjeu réside donc dans l'effectivité de celles-ci et les moyens de détection et d'enquête à la main des services de sécurité intérieure et des magistrats.

Le développement de moyens en personnel dédiés à la lutte contre la haine en ligne au sein du site PHAROS (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements) est une réponse récente au développement de la haine sur les réseaux sociaux et un moyen de détection des infractions visant les personnels de la communauté éducative. L'affectation des moyens est cependant toujours difficile, tiraillée entre plusieurs priorités impossibles à hiérarchiser.

Comme le rappelait le ministre de l'intérieur lors de son audition par la commission des lois le 27 février 2024, les agents de PHAROS ne disposent pas de la possibilité de retirer eux-mêmes les contenus haineux ou illicites, mais doivent l'obtenir des plateformes et réseaux sur lesquels ils ont été diffusés. Or la diffusion des messages et contenus illicites est étroitement corrélée au temps pendant lequel ils persistent sur les réseaux. L'efficacité de l'action se trouve donc limitée.

En dehors de ce service spécialisé, les services de la police et de la gendarmerie et même le service du renseignement territorial ont fait état de leur difficulté à suivre les réseaux sociaux.

En l'absence de possibilité d'agir utilement sur les opérateurs de réseaux sociaux et les plateformes, l'efficacité des mesures dépend donc des moyens humains et matériels des services d'enquête et de la justice.

Recommandation : garantir l'effectivité des dispositions votées dans le cadre de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ; pour améliorer le suivi des risques posés par les réseaux sociaux, augmenter les moyens dévolus au suivi des réseaux sociaux et d'internet.

b) Les mesures de responsabilisation

S'agissant des manquements ou infractions commises par des mineurs, les moins graves, qui marquent une absence de respect pour l'autorité sans entrainer de dommage important et autre que moral à la victime, relèvent légitimement de mécanismes de sanction excluant l'incarcération. Les alternatives aux poursuites et les sanctions alternatives à la prison paraissent devoir être prioritaires. Elles sont plus efficaces si elles sont en lien avec l'infraction commise. Le développement des mesures de responsabilisation et des mesures éducatives80(*) est prôné par plusieurs acteurs, dont le Premier ministre.

Or, il dépend essentiellement des partenariats que l'éducation nationale, par l'intermédiaire des directions des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN) ou des chefs d'établissements, ou le ministre de la justice, en l'occurrence la protection judiciaire de la jeunesse, sont susceptibles de nouer avec les collectivités territoriales. En effet, tant la possibilité de trouver des missions de proximité au service de la collectivité que de mobiliser les personnels techniques capables d'assurer la supervision des travaux accomplis dépendent des collectivités.

Recommandation : encourager les conseils de discipline à décider des mesures de responsabilisation ; pour favoriser leur mise en oeuvre, développer dans chaque département une convention entre le DSDEN, le conseil départemental et les partenaires locaux afin de créer un réseau de prise en charge des élèves soumis à une mesure de responsabilisation.

c) La prise en charge des élèves hautement perturbateurs

L'annonce peu compréhensible faite par la ministre de l'éducation nationale de l'ouverture de classes spécifiques pour les élèves radicalisés, à l'occasion d'un entretien à la télévision le 26 février dernier, a eu le mérite de rappeler l'impossibilité d'enseigner, au sein d'une même classe, aux élèves ne posant aucune difficulté et aux élèves les plus difficiles.

Ces élèves, après plusieurs sanctions disciplinaires, se retrouvent exclus de leur établissement, selon un processus qui peut se répéter. La mission a pu constater les difficultés qui persistent pour l'éducation nationale pour gérer les élèves poly-exclus qui trouvent une nouvelle affectation dans le cadre d'échanges difficiles entre établissements.

Malgré la multiplicité des dispositifs développés depuis les années 1990 (ateliers ou classes relais, école de la seconde chance, établissements de réinsertion scolaire, micro-lycée), aucune solution pérenne n'a pu être trouvée qui permette à la fois une prise en charge adaptée de ces élèves et leur retrait des établissements jusqu'à ce que leur attitude ait évolué positivement.

Recommandation : développer les structures d'accueil pour les élèves hautement perturbateurs ou poly-exclus.

4. Assurer la sécurité des établissements scolaires et de leurs abords

Les établissements scolaires ne sont ni protégés de la violence extérieure par le statut de lieux d'enseignement, ni généralement sources en eux-mêmes de cette violence. Ils sont inévitablement la chambre d'écho des tensions qui traversent leur environnement et la vie quotidienne des élèves. Ils peuvent même devenir l'objet d'une violence sociale extérieure comme l'ont tristement illustré les émeutes de juin 2023 au cours desquelles 168 écoles ont été dégradées.

Si l'on met de côté ces événements paroxystiques, qui interrogent cependant sur le statut de l'école comme seul lieu d'autorité, avec la mairie, dans certains territoires de la République, les agressions du quotidien subies par les personnels découlent souvent de la nécessité de s'opposer aux intrusions, aux rixes et aux violences aux abords immédiats de l'établissement, point focal de la vie sociale des enfants, adolescents et parfois jeunes adultes.

La qualité tant des liens avec les forces de sécurité intérieure que des plans de sécurisation des établissements scolaires est dès lors essentielle pour dissuader, entraver et le cas échéant remédier aux agressions.

a) Le partenariat avec les forces de sécurité intérieure
(1) La police municipale premier acteur de sécurité de proximité

Le phénomène de banalisation des agressions verbales et physiques entre élèves précédemment relevé est parfois le reflet d'un climat général de violence prégnant dans certaines parties du territoire. Conjugué à l'effritement de l'autorité dans la société dans son ensemble, il explique le niveau d'irrespect et de violence verbale, voire physique, à l'encontre des enseignants et autres membres de la communauté éducative.

Pour éviter que la violence extérieure ne pénètre dans les établissements, la coopération étroite avec les forces de sécurité intérieure, au premier rang desquelles les services de police municipale, est essentielle pour les établissements. En effet, là où elle existe, la police municipale est la plus proche du terrain et la plus réactive. Généralement chargée de la police de la circulation et de la sécurisation des arrivées et des sorties scolaires81(*) ainsi que de patrouilles « dynamiques », la police municipale peut voir ses missions largement étendues.

L'implication de la police municipale pour la sécurisation des établissements est un enjeu important de politique locale, au coeur des compétences du conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), et plusieurs initiatives ont été prises par des communes. Ainsi, en 2018 à Nice, trois écoles primaires se sont vu affecter un agent de police municipale, non armé, expérience étendue depuis à 18 établissements. À Cannes, il est possible pour les établissements de demander à ce qu'un agent de police municipale accompagne les sorties scolaires.

La qualité de la relation entre les responsables d'établissement scolaire et les maires ou leurs adjoints à la sécurité est cruciale. Elle se traduit très concrètement par la possibilité d'obtenir par un simple appel la présence d'agents aux abords de l'établissements afin de désamorcer les tensions, voire d'intervenir si nécessaire. Il est donc important de faciliter ces contacts. C'est pourquoi, au-delà des écoles primaires, qui relèvent de la compétence des communes, il est primordial de généraliser les coopérations entre les communes, d'une part, et les collèges et lycées, d'autre part, afin de faciliter la sécurisation des établissements scolaires par la police municipale.

Recommandation : afin de faire de la police municipale le premier interlocuteur des chefs d'établissement, généraliser les coopérations entre les communes et les collèges et lycées pour permettre le déploiement de la police municipale aux abords des établissements.

(2) Des mécanismes d'appui par la police et la gendarmerie à mobiliser
(i) Pour assurer la sûreté des établissements

Des dispositifs proposant l'appui de la police nationale ou de la gendarmerie aux établissements existent. Les établissements disposent, au moins en théorie sinon toujours en pratique, d'un correspondant identifié au sein des groupements de gendarmerie ou des commissariats de police. En cas de tension interne durable au sein d'une école, d'un collège ou d'un lycée, le chef d'établissement peut demander à un référent de la police ou de la gendarmerie de s'installer temporairement au sein de l'établissement jusqu'au retour au calme82(*). De même, l'intervention de la brigade de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie (BPDJ) ou les groupes mineurs des brigades de protection des familles (BPF) de la police nationale peuvent être sollicités pour expertise ou appui au chef d'établissement.

Le dispositif SAGES (sanctuarisation globale de l'espace scolaire) déployé depuis 2009 par la gendarmerie nationale, qui s'appuie notamment sur les correspondants sûreté, permet de les mobiliser pour conseiller les établissements scolaires dans l'établissement de leur plan particulier de mise en sûreté (PPMS), mais aussi de réaliser des actions de prévention à l'intérieur des établissements et des actions de surveillance à leurs abords, ainsi que des opérations de contrôle dans la profondeur de leurs bassins d'implantation.

Plus largement, l'impact de l'insécurité dans certains territoires sur les établissements scolaires doit être mieux et systématiquement pris en compte par l'intermédiaire d'un partenariat renforcé avec la police nationale ou la gendarmerie, mais aussi avec la justice. Ces partenariats peuvent s'appuyer sur les CLSPD, mais aussi sur les nombreux plans départementaux de sécurité établis par les préfets. Le représentant de l'État pourrait ainsi s'assurer que ces partenariats existent partout où ils sont nécessaires.

Recommandation : dans les quartiers marqués par un niveau élevé de violence des mineurs, nouer des partenariats renforcés entre les établissements scolaires, la police et les procureurs.

(ii) Pour partager une culture commune en matière de sécurité

La pratique des exercices communs participe à la connaissance mutuelle des acteurs, à l'identification des difficultés et à la recherche des solutions. Ainsi les exercices « attentat-intrusion » réalisés chaque année au sein des établissements scolaires, en lien avec les unités de police et de gendarmerie territorialement compétentes, ont une portée qui dépasse la préparation à de tels événements : ils favorisent la création d'une culture commune aux agents de la communauté éducative et aux forces de sécurité intérieure.

La gendarmerie nationale a en outre développé un ensemble de ressources à destination des établissements scolaires. Il existe aujourd'hui un protocole de partenariat entre la gendarmerie nationale et le ministère de l'éducation nationale, visant à former les cadres de l'éducation nationale à la « prévention et à la gestion de crise ». La nouvelle convention signée pour la période 2024-2027 vise à renforcer les modules de formation par des mises en situation et des échanges de bonnes pratiques83(*). Des formations de ce type ne peuvent que permettre une meilleure intercompréhension et favoriser la prévention et la réaction en termes de sécurité.

Recommandation : étendre aux enseignants et au personnel administratif la formation dispensée par la gendarmerie aux cadres de l'éducation nationale à la « prévention et à la gestion de crise ».

b) La sécurisation des établissements scolaires

L'attentat d'Arras a fait émerger à nouveau dans le débat public la question de la sécurisation des établissements scolaires au sens des moyens matériels de contrôle d'accès et d'alerte.

Or, le bilan qui peut être dressé des mesures de sécurisation bâtimentaire aujourd'hui en vigueur dans certains établissements paraît mitigé ; les portiques de sécurité, en particulier, peuvent avoir des effets contreproductifs, soit qu'ils dysfonctionnent, soit qu'ils ralentissent l'accès à l'établissement au point d'affecter l'organisation des établissements, soit enfin qu'ils soient tout simplement ignorés.

Jugés plus unanimement utiles, les dispositifs de vidéoprotection font l'objet d'investissements importants des collectivités territoriales et de l'État. Les référents sûreté des groupements de gendarmerie départementale et de la police nationale jouent un rôle de conseiller sur la mise en place de dispositifs de vidéoprotection. La question se pose cependant, comme pour l'ensemble des dispositifs de vidéoprotection, de l'extension donnée à ces dispositifs et de la capacité de traitement des images.

En effet, la question de la vidéoprotection se pose aujourd'hui autant pour l'établissement lui-même et ses abords immédiats, que pour les bâtiments annexes (notamment ceux abritant les logements de fonction du personnel, qui peuvent être la cible de dégradation ou de tentatives d'intrusion).

S'agissant des dispositifs d'alerte, les auditions de la gendarmerie et de la police nationales ont fait émerger plusieurs difficultés. La première est le risque de déclenchement intempestif. La seconde est la difficulté de mettre en place des dispositifs techniques de raccordement téléphonique supposant un abonnement, police et donc un engagement financier des établissements, pour garantir le lien avec la police. Au regard de la multiplication des incidents survenus au cours des dernières années, la mise en place de dispositifs d'alerte paraît cependant indispensable.

Recommandation : généraliser les moyens d'alerte directe entre un établissement scolaire et les commissariats ou gendarmeries (bouton d'alerte, ligne directe, ...).

La sécurisation des établissements, qui s'effectue nécessairement en lien avec la collectivité territoriale compétente pour le niveau de l'établissement et la commune, s'intègre au plan particulier de mise en sûreté (PPMS) que chaque école, collège ou lycée doit élaborer.

Ce PPMS comporte aussi les adaptations nécessaires pour faire face aux risques naturels et technologiques. La circulaire du 8 juin 2023 du ministre de l'éducation nationale, du ministre de l'intérieur et du ministre de la transition écologique prévoit que le « PPMS est actualisé régulièrement lorsque cela est nécessaire par la DSDEN, à son initiative ou à celle du directeur d'école en ce qui concerne les écoles, ou par le chef d'établissement en ce qui concerne les collèges et les lycées ». Cet élément de souplesse est nécessaire face à une multiplicité de risques par nature évolutifs. L'actualisation régulière des diagnostics doit cependant être garantie. Les rapporteurs recommandent donc que les diagnostics de sécurité soient conduits au maximum tous les cinq ans.

Recommandation : garantir l'effectivité de la réalisation du diagnostic de sécurité des établissements scolaires, en lien avec le référent « sécurité » ainsi que les collectivités territoriales, propriétaires du bâti scolaire, et s'assurer de son actualisation régulière.

L'une des difficultés du déploiement des mesures de sécurisation tient au processus de décision et au caractère parfois contradictoire des décisions prises par les conseils d'administration des établissements. Afin de permettre le recours aux instruments (vidéoprotection, si nécessaire portiques) répondant au diagnostic de sécurité, il est proposé de passer d'une autorisation à une simple information du conseil d'administration. Les décisions en matière de sécurisation reposeraient donc sur le chef d'établissement, en lien avec sa hiérarchie et avec l'accord de la collectivité territoriale concernée.

Recommandation : permettre la mise en place de caméras de vidéoprotection filmant l'extérieur de l'établissement scolaire sans l'accord de son conseil d'administration.


* 47 Aux termes du premier alinéa de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique.

* 48 Aux termes du premier alinéa de l'article L. 134-5 du code général de la fonction publique.

* 49 Les atteintes aux biens de l'agent public (véhicule garé sur le lieu de travail, par exemple) sont ainsi susceptibles d'entrer dans le cadre de la protection fonctionnelle dès lors que le lien avec les fonctions est établi.

* 50 Conformément à l'article L. 134-3 du code général de la fonction publique.

* 51 Voir par exemple la plateforme Colibris de l'académie de Versailles : https://portail-creteil.colibris.education.gouv.fr/demande-de-protection-fonctionnelle/

* 52 CE, 10 juillet 2020, n° 427002.

* 53 Signée par le ministre de l'intérieur, le garde des sceaux, la ministre de la transformation et de la fonction publiques et la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

* 54 À l'alinéa IV de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, codifié à l'article L. 134-6 du CGFP par l'ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021.

* 55 Rapport n° 454 (2020-2021) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien, fait au nom de la commission des lois, déposé le 18 mars 2021, p. 65.

* 56 Arrêté du 21 octobre 2019 portant délégation de pouvoirs aux recteurs d'académie et aux vice-recteurs pour accorder la protection prévue par l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée.

* 57 CAA Paris, 25 avril 1996.

* 58 L'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration, en vertu duquel « toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception » ne s'appliquant pas aux relations entre l'administration et ses agents (article L. 112-2 du même code).

* 59 La règle selon laquelle « le silence vaut acceptation » ne s'appliquant pas aux relations entre l'administration et ses agents, conformément à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration.

* 60 C.A.A. Paris, 19 juin 2012, n° 10PA05964.

* 61 CE, 18 mars 1994, Rimasson, n° 94410.

* 62 Article L. 134-8 du CGFP.

* 63 Alinéa 1er de l'article L. 134-7 du CGFP.

* 64 Alinéa 2 de l'article L. 134-7 du CGFP.

* 65 En outre, la direction générale des collectivités territoriales a indiqué ne pas effectuer de suivi de la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle par les collectivités territoriales.

* 66 Le personnel enseignant du premier degré inclut les directeurs d'école, qui sont la plupart du temps également enseignants (en étant partiellement déchargés d'enseignement).

* 67 Hors jeunesse et sports.

* 68 Médecins, infirmiers, psychologues, assistants sociaux.

* 69 Atteinte verbale : diffamation, menace, injure publique, outrage.

* 70 En 2021, ce délai s'établissait à 32 jours après la demande de l'agent.

* 71 L'ASL compatibilisant près de 500 000 adhérents en octobre 2023.

* 72 La circulaire interministérielle prise par le ministre de l'intérieur, le ministre de la justice, le ministre de la transformation et de la fonction publiques ainsi que la ministre déléguée charge de la citoyenneté, le 2 novembre 2020 à la suite de l'assassinat de Samuel Paty ; la circulaire prise par le ministre de la transformation et de la fonction publiques le 3 juillet 2023 dans le contexte des émeutes urbaines.

* 73 Actualité du 18 septembre 2023 sur le site internet du ministère de la transformation et de la fonction publiques : https://www.transformation.gouv.fr/ministre/actualite/stanislas-guerini-lance-le-plan-de-protection-des-agents-publics

* 74 Les mesures relatives à la protection fonctionnelle seraient en effet de nature législative.

* 75 Les cas de violences et d'outrages exercés par des membres de la communauté éducative à l'encontre de collègues justifient d'être traités à part.

* 76 Adoptée le 10 octobre 2023 au Sénat et le 7 février 2024 à l'Assemblée nationale ; la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, réunie le 27 février 2023, est prévue pour le 14 mars 2024 au Sénat.

* 77 Les autres demandes et opérations particulières de protection concernent les témoins protégés, l'opération « tranquillité vacances » ou encore les personnes âgées isolées.

* 78 D'après les chiffres communiqués par la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale.

* 79 Loi n° 2021-1109.

* 80 Les mesures de responsabilisation relèvent du cadre scolaire ; les mesures éducatives relèvent du cadre pénal.

* 81 La police municipale peut voir cette mission confiée à des agents dédiés des collectivités comme à Montpellier ou Paris.

* 82 Le guide de la « sécurité dans la ville » publié en janvier 2022 par l'agence nationale de la cohésion des territoires précise également que le chef d'établissement peut, dans ces situations, solliciter le CLSPD pour qu'un groupe de travail soit réuni pour identifier les motifs des tensions et proposer des mesures pour y répondre.

* 83 Ces formations se déroulent au sein des écoles de gendarmerie CNEFG (Saint-Astier), École des officiers de la gendarmerie nationale (Melun), école de gendarmerie de Rochefort, école de gendarmerie de Tulle.

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