N° 485

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 mars 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les familles monoparentales,

Par Mmes Colombe BROSSEL et Béatrice GOSSELIN,

Sénatrices

Tome I - Rapport

(1) Cette délégation est composée de : Mme Dominique Vérien, présidente ; Mmes Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Laure Darcos, Béatrice Gosselin, M. Marc Laménie, Mmes Marie Mercier, Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Marie-Laure Phinera-Horth, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Anne Souyris, vice-présidents ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Agnès Evren, Annie Le Houerou, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean-Michel Arnaud, Hussein Bourgi, Mmes Colombe Brossel, Samantha Cazebonne, M. Gilbert Favreau, Mme Véronique Guillotin, M. Loïc Hervé, Mmes Micheline Jacques, Lauriane Josende, Else Joseph, Marie-Claude Lermytte, Brigitte Micouleau, Raymonde Poncet Monge, Olivia Richard, Marie-Pierre Richer, M. Laurent Somon, Mmes Sylvie Valente Le Hir, Marie-Claude Varaillas, M. Adel Ziane.

L'ESSENTIEL

Aujourd'hui, en France, une famille sur quatre est une famille monoparentale, avec une femme à sa tête dans 82 % des cas. Ces familles sont au croisement des enjeux de lutte contre la précarité, d'insertion professionnelle, d'égalité entre les femmes et les hommes, et d'égalité des chances.

La délégation aux droits des femmes formule dix propositions afin de reconnaître ces familles comme un modèle familial parmi d'autres et de lutter contre leur précarisation.

 

I. UNE MONOPARENTALITÉ CROISSANTE, QUI RIME SOUVENT AVEC DIFFICULTÉS VOIRE PRÉCARITÉ

Les familles monoparentales, et tout particulièrement les mères isolées, sont exposées à un cumul sous-estimé d'inégalités et de difficultés : inégalités de genre, niveau de vie inférieur, privations matérielles et sociales, difficultés d'emploi, de logement, de mode de garde, etc.

 

Taux de pauvreté des enfants en fonction de leur configuration familiale

 

des enfants vivant seuls avec leur mère

 

des enfants vivant seuls avec leur père

 

des enfants vivant dans une famille recomposée

 

des enfants vivant avec leurs deux parents

Le niveau de vie des familles monoparentales, déjà inférieur à celui des autres familles selon l'outil de mesure habituel (échelle d'équivalence de l'OCDE modifiée), est surestimé par cet outil, construit sur la base des couples. Symétriquement, l'ampleur de la pauvreté monétaire de ces familles est sous-estimée et mal corrigée.

Recommandation n°1 : Réviser les échelles d'équivalence de niveaux de vie afin de mieux appréhender le coût de l'enfant et le surcoût de la monoparentalité.

II. RENFORCER LES MÉCANISMES DE SOLIDARITÉ PUBLIQUE ET PRIVÉE POUR AUGMENTER LE NIVEAU DE VIE DES FAMILLES MONOPARENTALES

A. RENDRE LE SYSTÈME SOCIOFISCAL PLUS LISIBLE ET PLUS JUSTE

Deux dispositifs sont dédiés aux parents isolés :

· l'allocation de soutien familial (ASF), qui constitue aujourd'hui une sorte de pension alimentaire minimale versée par la solidarité nationale en cas de défaillance de l'autre parent (décès, non-reconnaissance ou absence de pension). Elle s'élève à 187,24 euros par mois et par enfant ;

· une demi-part fiscale supplémentaire.

Les parents isolés bénéficient également de majorations de plafonds de ressources, de montants et de durée de versement pour un certain nombre de prestations (notamment RSA, prime d'activité, complément familial, AJPP, AEEH, CMG).

Cependant, le système sociofiscal est souvent mal connu ou mal compris et souffre, en outre, de certaines incohérences, que les rapporteures souhaitent corriger, une remise à plat complète du système nécessitant un engagement de plus long terme et une étude approfondie de son impact et de ses effets de bord. En particulier :

· 15 % des familles monoparentales éligibles ne bénéficient pas du RSA ni de l'ASF ;

· les mères isolées ne comprennent pas la suspension du versement de l'ASF - considéré comme un substitut à la pension - lors de leur remise en couple alors même qu'elles pourraient continuer à bénéficier d'une pension ;

· lorsqu'un parent gardien recouvre la pension qui lui est due, son revenu disponible peut diminuer du fait de la perte de prestations (ASF, mais aussi prestations avec plafonds de ressources).

 

Recommandation n°2 : Mener des campagnes d'accès aux droits à destination des parents isolés.

Recommandation n° 3 : Expérimenter, et assortir d'une évaluation chiffrée, le maintien provisoire du versement de l'allocation de soutien familial (ASF) en cas de remise en couple du parent gardien.

Recommandation n° 4 : Instaurer un abattement sur le montant de la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant (CEEE) pris en compte dans les bases ressources des prestations familiales et des aides au logement, à hauteur de l'ASF.

B. RESPONSABILISER DAVANTAGE LE PARENT NON-GARDIEN EN AUGMENTANT SA PARTICIPATION AUX COÛTS D'ENTRETIEN ET D'ÉDUCATION DE SON ENFANT

Plus d'un parent non-gardien solvable sur quatre ne verse pas de contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant (CEEE, plus communément appelée « pension alimentaire »), et ce pour quatre raisons principales :

· l'absence de pension fixée par le juge aux affaires familiales (JAF), ce qui est le cas pour 20 % des enfants dont la résidence est fixée chez la mère et pour 72 % des enfants en résidence alternée (qui ne représentent que 10 % des familles monoparentales) ;

· un accord entre les parents ;

· le souhait de la mère de ne pas susciter de conflit avec son ex-conjoint, à mettre en lien avec les violences économiques et psychologiques qui peuvent accompagner les séparations ;

· un défaut de paiement : les impayés de pensions représentent un tiers des pensions et la convention d'objectifs et de gestion Cnaf-État 2023-2027 ne prévoit pas de faire diminuer ce taux en deçà de 21 % d'ici 2027, soit encore plus d'une pension sur cinq.

Le montant moyen de la CEEE est de 190 euros par mois et par enfant. Deux parents sur trois versent un montant inférieur à celui qui résulterait d'une stricte application du barème du ministère de la Justice, mis en place pour aider les JAF dans la fixation du montant de la CEEE. En outre, le calcul de la CEEE occulte une prise en compte visible des revenus du parent gardien et minimise les dépenses relatives à l'enfant (estimées à 13,5 % des dépenses des ménages, soit en moyenne 750 euros par mois par enfant, avec de fortes variations en fonction des revenus, de l'âge de l'enfant et du lieu de résidence).

Recommandation n° 5 : Réévaluer le barème de calcul de la CEEE afin de mieux tenir compte, de façon visible et plus équitable, des revenus des deux parents et des différentes dépenses relatives à l'enfant, comme prévu par la loi.

Recommandation n° 6 : Dresser un bilan annuel de l'intermédiation financière des pensions alimentaires (Aripa) au regard d'objectifs plus ambitieux de réduction des taux d'impayés et envisager une mise en place d'un prélèvement à la source si ces objectifs ne sont pas atteints.

III. RECONNAÎTRE LES FAMILLES MONOPARENTALES COMME UN MODÈLE FAMILIAL PARMI D'AUTRES

Alors que les familles monoparentales s'inscrivent indiscutablement dans les normes de la parentalité contemporaine, ce modèle parental fait trop souvent l'objet d'une forme de stigmatisation et d'un manque de reconnaissance, qui expliquent sans doute pourquoi les politiques publiques à destination des familles monoparentales, si elles existent, peinent aujourd'hui à atteindre leurs objectifs et à soutenir efficacement ce public, dans sa globalité et sa multidimensionnalité.

A. LA CRÉATION D'UNE CARTE « FAMILLES MONOPARENTALES » FACULTATIVE : UNE VOIE EXPÉRIMENTALE À EXPLORER

La reconnaissance de la place des familles monoparentales dans notre société pourrait se traduire par la création d'une carte de « familles monoparentales » facultative et renouvelable, permettant de matérialiser et d'objectiver la situation familiale d'un parent élevant seul son ou ses enfants. Elle serait un moyen pour les parents concernés de se signaler comme tels auprès des structures (employeurs, collectivités, service public de la petite enfance, services de transports ou de loisirs) souhaitant leur proposer des aides ou avantages spécifiques. Lors de leurs auditions, les rapporteures ont notamment constaté que des employeurs souhaitaient proposer des dispositifs plus souples à leurs salariés parents isolés (doublement des jours enfants malades, horaires de travail plus flexibles, facilité d'accès au télétravail...), mais rencontraient des difficultés faute de savoir précisément comment les identifier et par crainte d'être accusés de discrimination.

Recommandation n° 7 : Envisager, à titre expérimental, la création d'une carte de « famille monoparentale », facultative et renouvelable annuellement, ouvrant droit à des avantages et tarifs préférentiels, mis en place par les employeurs, les collectivités et les services publics.

B. LA MISE EN oeUVRE DE POLITIQUES PUBLIQUES ADAPTÉES AUX FAMILLES MONOPARENTALES

Plus de la moitié des parents isolés estime que leur monoparentalité a un impact sur leur vie professionnelle et sur leur organisation au quotidien. Le manque de solutions de garde est le principal frein à l'emploi des mères isolées.

Recommandation n° 8 : Faciliter l'accès des familles monoparentales aux dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle.

Les familles monoparentales sont particulièrement touchées par le mal-logement et la précarité locative. 40 % des enfants mineurs vivant seuls avec leur mère vivent en logement social, contre 21 % de l'ensemble des enfants mineurs.

Recommandation n° 9 : Encourager les initiatives d'habitat partagé destinées aux familles monoparentales.

Les parents isolés expriment, bien davantage que les parents en couple, une forte demande de dispositifs d'aide à la parentalité (dans les relations avec l'école, la gestion de l'autorité ou celle des conflits familiaux) et de temps de répit, d'autant plus indispensables que 75 % des enfants en famille monoparentale vivent la totalité du temps au domicile d'un seul parent.

Recommandation n° 10 : Développer les dispositifs d'aide à la parentalité et de répit parental.

AVANT-PROPOS

Phénomène massif et très majoritairement féminin, la monoparentalité concerne aujourd'hui, en France, une famille sur quatre, contre moins d'une sur dix dans les années 1970. Dans 82 % des cas, les familles monoparentales ont une femme à leur tête.

D'un point de vue statistique, la monoparentalité est donc devenue un modèle familial incontournable de la parentalité contemporaine et un public à part entière des politiques sociales et familiales.

D'un point de vue social, monoparentalité rime, le plus souvent, avec précarité.

Les familles monoparentales sont en effet exposées à des difficultés spécifiques et à des facteurs de vulnérabilité qui justifient et nécessitent l'élaboration de politiques publiques tenant compte de leurs spécificités. Ainsi, 41 % des enfants issus de familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté et 46 % de ceux qui vivent seuls avec leur mère sont pauvres. En outre, après une séparation, au cours de l'année qui suit la rupture, la baisse du niveau de vie des enfants résidant chez leur mère est de 25 % (contre 11 % pour ceux qui résident chez leur père).

Les familles monoparentales sont au croisement des enjeux de lutte contre la précarité, d'insertion professionnelle, d'égalité entre les femmes et les hommes, et d'égalité des chances.

Pourtant, les politiques publiques de la famille ne sont pas en adéquation avec ce modèle familial, pas plus, de façon générale, qu'avec la diversité des modèles familiaux que nous connaissons aujourd'hui.

Malgré des constats connus, ces politiques familiales semblent incapables d'embrasser pleinement les problématiques propres aux familles monoparentales, principalement en raison de la sous-estimation voire de la méconnaissance du cumul des inégalités auquel ces familles sont confrontées. Ces inégalités sont multiples : inégalités de genre, inégalités professionnelles, inégalités sociales.

L'objectif du présent rapport est donc triple :

- faire évoluer les représentations sociétales de la monoparentalité et en faire un modèle familial parmi d'autres ;

- renforcer significativement les mécanismes de solidarité publique et privée pour lutter contre la précarisation des familles monoparentales ;

- faire de ces familles un public prioritaire pour l'accès à certains droits et services.

À cette fin, les rapporteures formulent dix recommandations de nature à :

- mieux appréhender le cumul d'inégalités et de difficultés auquel les familles monoparentales font face ;

- rendre le système sociofiscal plus lisible et plus juste ;

- responsabiliser davantage le parent non-gardien en augmentant sa participation aux coûts d'entretien et d'éducation de son enfant ;

- reconnaître les familles monoparentales comme un modèle familial parmi d'autres.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Mieux appréhender le cumul d'inégalités et de difficultés

auquel les familles monoparentales font face

Recommandation n° 1 : Réviser les échelles d'équivalence de niveaux de vie afin de mieux appréhender le coût de l'enfant et le surcoût de la monoparentalité.

Rendre le système sociofiscal plus lisible et plus juste

Recommandation n° 2 : Mener des campagnes d'accès aux droits à destination des parents isolés.

Recommandation n° 3 : Expérimenter, et assortir d'une évaluation chiffrée, le maintien provisoire du versement de l'allocation de soutien familial (ASF) en cas de remise en couple du parent gardien.

Recommandation n° 4 : Instaurer un abattement sur le montant de la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant pris en compte dans les bases ressources des prestations familiales et des aides au logement, à hauteur de l'ASF.

Responsabiliser davantage le parent non-gardien en augmentant sa participation aux coûts d'entretien et d'éducation de son enfant

Recommandation n° 5 : Réévaluer le barème de calcul de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, afin de mieux tenir compte, de façon visible et plus équitable, des revenus des deux parents et des différentes dépenses relatives à l'enfant, comme prévu par la loi.

Recommandation n° 6 : Dresser un bilan annuel de l'intermédiation financière des pensions alimentaires (Aripa) au regard d'objectifs plus ambitieux de réduction des taux d'impayés et envisager une mise en place d'un prélèvement à la source si ces objectifs ne sont pas atteints.

Reconnaître les familles monoparentales

comme un modèle familial parmi d'autres

Recommandation n° 7 : Envisager, à titre expérimental, la création d'une carte de « famille monoparentale », facultative et renouvelable annuellement, ouvrant droit à des avantages et tarifs préférentiels, mis en place par les employeurs, les collectivités et les services publics.

Recommandation n° 8 : Faciliter l'accès des familles monoparentales aux dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle.

Recommandation n° 9 : Encourager les initiatives d'habitat partagé destinées aux familles monoparentales.

Recommandation n° 10 : Développer les dispositifs d'aide à la parentalité et de répit parental.

I. UNE MONOPARENTALITÉ CROISSANTE, QUI RIME SOUVENT AVEC DIFFICULTÉS VOIRE PRÉCARITÉ

Les familles monoparentales, qui représentent désormais une famille sur quatre, sont devenues un modèle familial parmi d'autres, et, partant, un public à part entière des politiques sociales et familiales.

À ce titre, les rapporteures saluent la publication par la Cnaf en juillet 2023 d'un rapport consacré aux familles monoparentales1(*), qui dresse un panorama des conditions de vie et du vécu de ces familles et des politiques familiales qui les concernent. Cet « état des savoirs » - pour reprendre les termes de leurs auteurs -, réalisé par des chercheurs et experts, à la demande du conseil scientifique de la Cnaf, atteste de l'intérêt désormais porté aux familles monoparentales à la fois comme fait social statistiquement significatif et comme catégorie spécifique de l'action publique, en particulier pour la branche Famille de la Sécurité sociale dont la Cnaf assure le pilotage.

Les familles monoparentales sont en effet exposées à des difficultés spécifiques et à des facteurs de vulnérabilité et de précarité qui justifient l'élaboration de politiques publiques tenant compte de leurs spécificités.

A. DES FAMILLES MONOPARENTALES DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES ET DIVERSES DEPUIS LES ANNÉES 1970

1. Une configuration familiale qui concerne désormais un quart des familles, avec des modalités variées

Le nombre et la proportion de familles monoparentales ont augmenté de façon continue depuis les années 1970, passant de 10 % des familles avec enfant à environ 25 % aujourd'hui. Cette augmentation est allée de pair avec une évolution des modalités d'entrée dans la monoparentalité.

En effet, le nombre de familles monoparentales a fortement augmenté à la suite de l'instauration du divorce par consentement mutuel en 1975. Alors qu'auparavant la majorité des parents de famille monoparentale étaient veufs, la séparation est devenue le motif le plus fréquent d'entrée dans la monoparentalité, pour trois familles sur quatre aujourd'hui. En parallèle, la proportion de parents de famille monoparentale veufs est passée de 55 % en 1962 à 6 % en 2011.

Par ailleurs, la naissance d'un enfant hors union est la deuxième modalité la plus fréquente d'entrée dans la monoparentalité, pour 19 % des familles. Les possibilités récemment ouvertes aux célibataires de recourir à l'adoption et à l'assistance médicale à la procréation conduisent à une augmentation d'une monoparentalité choisie, qui devrait se poursuivre au cours des prochaines années. Ainsi, en 2022, sur les 2 000 tentatives d'assistance médicale à la procréation avec don de spermatozoïdes, 53 % ont été réalisées pour des femmes célibataires (47 % pour des couples de femmes).

Augmentation du nombre et de la proportion de familles monoparentales

à partir de la fin des années 1970

Champ : France hors Mayotte, familles avec au moins un enfant de moins de 25 ans

Source : Insee, enquête annuelle de recensement 2020

Les familles monoparentales représentent aujourd'hui un quart des familles, soit deux à trois millions de familles, selon l'âge retenu pour les enfants.

Nombre de familles monoparentales selon l'âge retenu pour les enfants

 

Enfant mineur

Enfant de moins de 25 ans

Tous âges

Familles

1 969 000

2 455 000

3 101 000

Enfants

3 062 000

3 979 000

4 793 000

Champ : France hors Mayotte

Source : Calculs de la délégation (arrondis au millier) à partir de l'enquête annuelle de recensement 2020 (Insee).

En ne considérant que les familles avec au moins un enfant mineur, selon les chiffres du dernier recensement de 2020 :

- 66,3 % des familles sont « traditionnelles », soit 5,3 millions de familles composées d'un couple résidant uniquement avec ses enfants ; - 24,7 % sont monoparentales, soit deux millions de familles et 3,1 millions d'enfants mineurs vivant au moins la moitié du temps avec un seul parent, sans conjoint cohabitant ;

- 9,0 % sont recomposées, soit 717 000 familles composées d'un couple avec au moins un enfant né d'une précédence union.

Typologie des familles avec au moins un enfant mineur

Champ : France hors Mayotte, familles avec au moins un enfant mineur.

Source : Insee, enquête annuelle de recensement 2020.

Motifs d'entrée dans la monoparentalité

Source : Insee, enquête Famille et logements 2011

Les modalités d'exercice de la monoparentalité sont variées :

· 75 % des enfants en famille monoparentale vivent la totalité du temps au domicile d'un seul parent. Cela ne signifie pas pour autant que l'autre parent est totalement absent de la vie de l'enfant : cela est parfois le cas, mais le parent non-gardien peut également disposer de droits de visite et d'hébergement restreints ou avoir des échanges ponctuels avec son enfant.

· Entre 10 et 25 % des enfants en famille monoparentale vivent principalement au domicile d'un parent, mais aussi une partie du temps chez leur autre parent. Le droit de visite et d'hébergement dit « standard » pour le parent non-gardien est d'un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.

· 12 % des enfants dont les parents sont séparés vivent en résidence alternée, soit 3 % de l'ensemble des enfants mineurs (480 000 enfants). Ils vivent alors majoritairement en famille monoparentale au domicile maternel (73 %) comme au domicile paternel (71 %), mais certains vivent également en famille recomposée (pour 27 % d'entre eux au domicile maternel et 29 % au domicile paternel).

2. Une plus forte prévalence dans les grands pôles urbains et dans les outre-mer

La proportion de familles monoparentales est plus élevée dans certains territoires, en particulier les départements et régions d'outre-mer (Drom), mais aussi les grands pôles urbains et leur périphérie, le sud de la France, le littoral aquitain et la Corse. Ainsi, selon l'Observatoire national de la Politique de la Ville2(*), la proportion de familles monoparentales est deux fois plus élevée dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) que dans les unités urbaines environnantes.

Un précédent rapport de la délégation aux droits des femmes, réalisé conjointement avec la délégation sénatoriale aux outre-mer3(*), publié le 11 juillet 2023, a souligné la forte prévalence de mères seules aux Antilles et en Guyane - où elles représentent la majorité des familles - et dans une moindre mesure à La Réunion, en particulier parmi les ménages aux revenus les plus faibles. Ainsi, en Martinique, les familles monoparentales, qui représentaient 27 % des ménages avec enfant en 1990, en représentent aujourd'hui 59 %.

Le rapport précité a également mis en lumière des modalités de monoparentalité spécifiques à ces territoires. La monoparentalité n'y fait généralement pas suite à une séparation, mais commence dès la naissance - lors de laquelle l'enfant n'est souvent pas reconnu par son père - et se poursuit pendant la majorité de l'enfance.

 

Martinique

Guadeloupe

Guyane

La Réunion

Hexagone

Proportion de familles monoparentales parmi les familles avec enfant

 
 
 
 
 

Part des naissances non reconnues par le père

 
 
 
 
 

Source : Insee

B. UN CUMUL SOUS-ESTIMÉ D'INÉGALITÉS ET DE DIFFICULTÉS

La monoparentalité est un fait social, qui s'inscrit pleinement dans les normes de la parentalité contemporaine, et ne saurait donc être considérée comme problématique par nature.

Divers représentants de familles monoparentales entendus par les rapporteures ont souligné leur souhait de ne pas voir leur situation de monoparentalité stigmatisée. Comme l'a relevé Clémence Helfter, sociologue et chargée de recherche à la Cnaf, lors de son audition, la monoparentalité n'est pas forcément une situation désolante ni subie ; ce peut être un choix, et un choix positif, en particulier lorsqu'il s'agit de sortir de situations de violences intrafamiliales.

Pour autant, il ne s'agit pas de nier ou de minimiser les difficultés associées à une séparation puis à l'exercice exclusif ou principal des responsabilités parentales pour les parents concernés, qui souhaitent très largement que ces difficultés spécifiques soient reconnues.

Lors de leur audition par la délégation, les chercheuses coordinatrices du rapport pour la Cnaf précité ont estimé que, si les difficultés rencontrées par ces familles sont désormais bien identifiées, le cumul des inégalités qu'elles rencontrent demeure encore largement impensé.

Ces inégalités sont multiples et cumulatives : inégalités de genre, mais aussi inégalités professionnelles et inégalités socio-économiques.

1. Des inégalités de genre marquées
a) Une monoparentalité largement féminine, associée à une inégale répartition des charges financières et éducatives entre parents

La monoparentalité est très largement un phénomène féminin : 82 % des familles monoparentales ont une femme à leur tête et 84 % des enfants en famille monoparentale vivent avec leur mère.

Répartition genrée des familles monoparentales avec au moins un enfant mineur

Famille monoparentale composée d'une femme avec enfant(s)

Nombre de mères

1 622 000

Nombre d'enfants

2 570 000

Famille monoparentale composée d'un homme avec enfant(s)

Nombre de pères

347 000

Nombre d'enfants

492 000

Champ : France hors Mayotte

Source : Calculs de la délégation (arrondis au millier) à partir de l'enquête annuelle de recensement 2020 (Insee).

La monoparentalité éducative peut précéder la séparation : l'exercice principal, voire exclusif, des responsabilités parentales par les mères en cas de séparation des parents est le prolongement de dynamiques déjà à l'oeuvre au sein des couples. En effet, les femmes continuent aujourd'hui à assumer la grande majorité des tâches domestiques et familiales. Comme mis en avant par Isabelle Sayn, directrice de recherche en sociologie et sciences du droit au CNRS, lors de son audition par les rapporteures, cette inégalité dans la répartition des tâches prend racine dès la mise en couple et plus encore à l'arrivée des enfants, faute notamment de congé paternel suffisamment long et obligatoire.

Or ce mode de fonctionnement n'est pas sans conséquences à la fois sur les revenus des mères et sur l'implication des pères dans leurs responsabilités parentales. Pour reprendre les mots d'Olivia Barreau, administratrice de la Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM) et fondatrice de l'association Moi & Mes enfants, lors de son audition, « les femmes en couple préparent leur précarité de demain » en assumant de façon prépondérante la charge éducative des enfants, en diminuant leur temps de travail ou en étant seules à s'absenter en cas d'enfant malade. Ce constat est également celui du Collectif pour une Parentalité Féministe (PA.F), dont la présidente Marie-Nadine Prager estime que « les solutions en faveur d'une parentalité égalitaire entre parents séparés ne peuvent être envisagées sans revenir sur les dynamiques familiales inégalitaires dès le stade de la conjugalité ».

b) Une situation différenciée entre mère isolée et père isolé

Si les pères isolés sont souvent invisibilisés alors même qu'ils représentent 18 % des familles monoparentales, et qu'il convient donc de ne pas les oublier, leur situation est cependant souvent moins défavorable que celle des mères isolées. Ils sont en moyenne plus favorisés économiquement et socialement.

Tout d'abord, les pères sont moins souvent dans une situation d'exercice exclusif des responsabilités parentales. Si le temps de présence des enfants dans les logements de chacun de leurs parents n'est pas parfaitement documenté dans les études statistiques, les mères à la tête d'une famille monoparentale assument, dans 90 % des cas, l'exercice principal, voire exclusif, des responsabilités parentales et ne sont que 5 % à pratiquer la résidence alternée. A contrario, les pères à la tête d'une famille monoparentale sont, dans 35 % des cas, dans une situation de résidence alternée, avec en principe un meilleur partage des charges éducatives comme financières. Ce mode de garde étant privilégié par les catégories sociales plus aisées, les pères à la tête de famille monoparentale en sont plus souvent issus.

Outre le fait que les revenus des hommes sont globalement plus élevés que ceux des femmes, les travaux de la sociologue Alexandra Piesen sur les parents isolés4(*) ont montré que les pères entrent dans la monoparentalité plus tardivement, dans des situations d'emploi et de logement déjà stabilisées. Ils parviennent plus souvent à ajuster leur emploi à leur situation, grâce à une activité conciliable avec le fait d'être seul.

A contrario, les mères ont des trajectoires de vie plus variées, mais sont souvent plus jeunes et dans des situations d'emploi précaires. Les mères qui occupaient déjà des emplois conciliables avec une vie familiale parviennent à s'y maintenir, tandis que la situation est plus complexe pour les autres.

Les durées de monoparentalité ne sont également pas les mêmes pour les pères et les mères : la durée moyenne des épisodes de monoparentalité est estimée à 4,1 ans pour les pères et 6,1 ans pour les mères.

Enfin, les représentations sociales et attentes ne sont pas similaires. Selon Alexandra Piesen, les pères solos sont vus comme se trouvant dans une situation atypique, qui suscite des interrogations sur leurs compétences parentales, mais fait aussi l'objet d'une plus forte valorisation et d'offre d'aide de la part de l'entourage et des institutions, tandis que la situation des mères solos est banalisée au quotidien.

Comme l'a défendu l'ethnologue Danielle Boyer lors de son audition par les rapporteures, certes la monoparentalité est très majoritairement féminine, mais il ne faut pas la traiter uniquement comme « une affaire de femmes », au risque de contribuer au maintien des stéréotypes de genre et de dissuader les pères de prendre leur juste part dans l'éducation de leurs enfants.

2. Des conditions de vie et d'emploi plus difficiles et une pauvreté sous-estimée
a) Une dégradation systématique du niveau de vie après une séparation

Selon des travaux de l'Insee5(*), la séparation entraîne une baisse médiane de niveau de vie de 24 % pour les mères et de 12 % pour les pères qui vivent avec leurs enfants après la rupture, et ce en tenant compte à la fois des transferts publics et privés. En outre, près d'une femme séparée sur trois bascule sous le seuil de pauvreté l'année de la séparation.

Une étude récente de France Stratégie et de l'Ined6(*) confirme cette baisse différenciée du niveau de vie après une séparation en étudiant la situation des enfants : les enfants résidant avec leur mère connaissent une baisse de leur niveau de vie de 25 % l'année de la séparation, contre 11 % pour les enfants résidant avec leur père.

Cette baisse de niveau de vie, plus marquée pour les mères et pour les enfants qui vivent avec elles, s'explique par la conjonction de trois facteurs :

· premièrement, les femmes qui, en moyenne, ont des revenus inférieurs à ceux de leur conjoint et bénéficiaient donc de la mise en commun des ressources au sein du couple, perdent le revenu principal du couple. La majorité des séparations étant aujourd'hui des ruptures d'union libre, les femmes concernées ne peuvent bénéficier ni du partage du patrimoine ni d'une prestation compensatoire (prévue dans 20 % des divorces7(*)) ;

· deuxièmement, les charges augmentent pour les deux ex-conjoints, en particulier en matière de logement, qui constitue le premier poste de dépenses des ménages et pour lequel les économies d'échelle sont importantes en couple. La séparation entraîne souvent une vente du domicile conjugal et un passage dans le parc locatif privé. Les mères sont particulièrement concernées par la perte du logement et par le mal-logement, comme l'a mis en lumière le rapport de la Fondation Abbé Pierre consacré au genre du mal-logement8(*) ;

· enfin, les mères ont plus souvent la garde exclusive ou principale des enfants que les pères, qui ont davantage leurs enfants en résidence alternée, sachant que, par convention, le nombre d'unités de consommation d'un enfant en résidence alternée (utilisées pour le calcul du niveau de vie) représente la moitié de celui d'un enfant en résidence exclusive.

Cette baisse du niveau de vie, très nette la première année, se poursuit plusieurs années après la séparation pour les mères. Selon l'étude de l'Insee précitée, quatre ans après la séparation, la moitié des mères garde un niveau de vie inférieur de 7 à 11 % (selon qu'elles ont rompu une union libre, ou divorcé) à ce qu'il était avant la séparation, tandis que le niveau de vie médian des femmes restées en couple a augmenté de 1 à 5 %. En revanche, quatre ans après la séparation, l'évolution des niveaux de vie des pères isolés est à peu près égale à celle des hommes restés en couple.

b) Des taux de pauvreté particulièrement élevés chez les mères isolées

Les familles monoparentales sont plus exposées que les autres familles à la pauvreté, soit qu'elles y basculent lors de leur entrée dans la monoparentalité - consécutive ou non à une séparation-, soit qu'elles y sombrent davantage. La monoparentalité accroît toutes les difficultés de la pauvreté, pour reprendre les mots de Sandra Gidon, directrice de l'Association d'accompagnement global contre l'exclusion (Adage). Ces difficultés sont renforcées par l'inflation et par la crise actuelle du logement, comme l'a mis en avant un récent rapport du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA)9(*). Dans ce contexte, l'Unaf a déploré, lors de son audition par les rapporteures, le fait que les prestations familiales compensent mal le fait d'avoir des enfants et que le système de sécurité sociale peine à lutter efficacement contre la pauvreté, s'agissant des familles monoparentales comme de l'ensemble des familles.

Selon l'Insee10(*), 41 % des enfants issus de familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, soit 2,5 fois plus que les enfants qui vivent dans une famille composée d'un couple, qu'il s'agisse d'une famille « traditionnelle » ou d'une famille recomposée. Ce taux de pauvreté atteint 46 % s'agissant des enfants qui vivent seuls avec leur mère, contre 22 % s'agissant des enfants en famille monoparentale avec leur père - une proportion proche de la moyenne des enfants.

Niveau de vie et taux de pauvreté des enfants mineurs

selon le type de famille et l'activité des parents

 

Niveau de vie moyen

(en euros par an)

Taux de pauvreté

Famille « traditionnelle »

24 200

15,4 %

Deux parents en emploi

27 600

4,7 %

Un seul parent en emploi

18 600

29,6%

Deux parents sans emploi

11 700

71,0%

Famille recomposée

21 600

16,6 %

Deux adultes en emploi

24 500

4,1 %

Un seul adulte en emploi

17 100

32,0 %

Deux adultes sans emploi

13 899

72,7 %

Famille monoparentale

15 800

40,5 %

Parent en emploi

17 800

22,7 %

Parent sans emploi

11 400

77,4 %

Ensemble

22 200

20,7%

Sources : Insee, DGFiP, Cnaf, Cnav, CCMSA, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2018.

Une étude de l'Insee11(*), mise en avant par plusieurs associations représentant des familles monoparentales rencontrées par les rapporteures, fait le parallèle entre les enfants des familles monoparentales et ceux des familles nombreuses, qui sont les deux catégories les plus exposées au risque de pauvreté : le taux de pauvreté des enfants des familles de quatre enfants ou plus est de 43 %, proche de celui des enfants des familles monoparentales (41 %), contre 24 % dans les familles de trois enfants et 16 % pour celles d'un ou deux enfants, alors même que la moitié des familles monoparentales ne comporte qu'un seul enfant et 83 % d'entre elles en comportent un ou deux.

En outre, la pauvreté en conditions de vie, mesurée par la privation matérielle et sociale, concerne 29 % des familles monoparentales contre 9 % des couples avec un enfant12(*).

Au sein des familles monoparentales, les profils les plus précaires sont les femmes qui ont perdu leur conjoint et celles qui sont en situation d'isolement dès la naissance de l'enfant.

En revanche, les familles monoparentales en résidence alternée ne sont pas concernées par ces constats. En effet, ce mode de garde est davantage choisi par les ménages aisés et conduit, en principe, à un meilleur partage des coûts.

Niveau de vie des enfants selon le type de famille

et le mode de garde (résidence alternée ou non)

 

Niveau de vie moyen

(en euros par an)

Taux de pauvreté

Enfants vivant avec un couple (famille « traditionnelle » ou recomposée)

22 400

18 %

dont en résidence alternée

25 500

8 %

Enfant vivant avec une famille monoparentale

15 800

39 %

dont en résidence alternée

21 600

12 %

Ensemble

21 000

22 %

dont en résidence alternée

22 800

11 %

Champ : France hors Guadeloupe, Guyane et Mayotte - Enfants mineurs déclarés dans les sources fiscales

Source : Insee - Fidéli 2017

Au-delà de la question strictement financière du niveau de vie, une étude de la Drees13(*) souligne la vision négative des familles monoparentales quant à leur situation et leurs conditions de vie. À sexe et niveau de vie équivalents, les familles monoparentales considèrent plus fréquemment que leur situation est mauvaise et moins bonne que celle des autres parents.

c) Des difficultés d'emploi

Les familles monoparentales, et en premier lieu les mères isolées, sont en première ligne des difficultés d'emploi : elles accèdent plus difficilement à l'emploi, a fortiori lorsqu'elles ont un enfant de moins de trois ans, et sont davantage concernées par des emplois précaires, en particulier des CDD et des temps partiels subis, avec des revenus plus faibles que les mères en couple et que les femmes sans enfant.

Selon une étude de l'OFCE14(*), les mères isolées sont davantage au chômage que les mères vivant en couple, et ce d'autant plus dans les départements où le chômage est élevé, ce qu'Hélène Périvier, coordinatrice du rapport, a interprété lors de son audition devant la délégation comme du « chômage de découragement », les mères isolées renonçant à chercher un emploi face à leurs plus faibles chances d'y accéder.

Par ailleurs, l'accès à l'emploi n'est pas toujours suffisant pour échapper à la pauvreté. Comme l'a évoqué devant la délégation la chercheuse Clémence Helfter, il ne faut pas sous-estimer, dans le déclenchement de la précarisation des familles monoparentales, le cumul entre emploi précaire, temps partiel subi et revenus faibles.

Signe de ce phénomène, les mères isolées constituent désormais le type de ménage le plus rencontré par le Secours catholique mais aussi le type de ménage le plus souvent en activité parmi les ménages rencontrés, selon des données communiquées par l'association lors de son audition.

d) Une surestimation du niveau de vie et, en miroir, une sous-estimation de la pauvreté des familles monoparentales

Comme l'a exposé lors de son audition Hélène Périvier, économiste à l'OFCE et présidente du Conseil de la famille au HCFEA (Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge), le niveau de vie des familles monoparentales, déjà inférieur à celui des autres familles selon les outils de mesure habituels, est en outre surestimé par ces outils. Symétriquement, l'ampleur de la pauvreté monétaire est sous-estimée, et, partant, mal corrigée15(*).

En effet, les échelles d'équivalence de niveaux de vie, sur lesquels les barèmes des transferts sociaux sont partiellement basés, ont été construites sur la base des couples. Ainsi l'échelle d'équivalence de l'OCDE modifiée, utilisée par l'Insee, attribue une unité de consommation (UC) au premier adulte, 0,5 UC au deuxième adulte et 0,3 UC par enfant de moins de 14 ans.

La Drees a mené des premiers travaux16(*) afin d'évaluer la pertinence d'une évolution des échelles d'équivalence, s'agissant à la fois du seuil d'âge de 14 ans, à partir duquel un enfant est comptabilisé comme un adulte supplémentaire, et s'agissant de la prise en compte des structures familiales. Tous les modèles testés mettent en avant un surcoût lié à la monoparentalité, porté principalement par le premier enfant, de l'ordre de 0,5 UC. Avec un tel surcroît d'UC, les modèles testés convergent vers des taux de pauvreté des familles monoparentales égaux, voire supérieurs à 50 %, soit environ vingt points de plus par rapport à celui mesuré avec l'échelle de l'OCDE modifiée.

Comme l'a exposé aux rapporteures Emmanuelle Nauze-Fichet, cheffe du Bureau jeunesse et famille de la Drees, ces travaux plaident pour l'ajout d'un complément d'UC pour les familles monoparentales.

La Cnaf a, de son côté, adapté l'échelle d'équivalence pour ses études statistiques sur les conditions de vie de ses allocataires, en ajoutant 0,2 UC aux familles monoparentales.

En outre, la Drees s'est penchée sur l'échelle d'équivalence implicite du système sociofiscal et a montré que ce système prend en compte un surcoût supporté par les familles monoparentales en leur attribuant implicitement des unités de consommation supplémentaires. Ainsi, l'échelle d'équivalence implicite du barème du RSA est proche de l'échelle suggérée par les travaux de la Drees, sauf pour les familles monoparentales avec un ou deux enfants ne bénéficiant pas de la majoration pour parent isolé, soit deux tiers de ce type de familles, pour lequel il n'est pas assez généreux.

Les études doivent se poursuivre, à l'échelle nationale, mais aussi au niveau des organismes de statistiques européens et de l'OCDE. En effet, le cadre européen17(*) impose aux organismes statistiques nationaux l'utilisation de normes communes, telles que l'utilisation de l'échelle d'équivalence de l'OCDE modifiée, dans un souci de comparabilité des données. Une évolution de l'échelle d'équivalence impose donc une coordination avec nos partenaires européens.

Recommandation n° 1 : Réviser les échelles d'équivalence de niveaux de vie afin de mieux appréhender le coût de l'enfant et le surcoût de la monoparentalité.

II. RENFORCER LES MÉCANISMES DE SOLIDARITÉ PUBLIQUE ET PRIVÉE POUR AUGMENTER LE NIVEAU DE VIE DES FAMILLES MONOPARENTALES

Afin de soutenir le niveau de vie des familles monoparentales, et en particulier des mères isolées, davantage touchées par la pauvreté, la délégation appelle à un renforcement et à une meilleure articulation des mécanismes de solidarités publique et privée.

Si le système sociofiscal tient compte des situations d'isolement, il est souvent mal connu ou mal compris et souffre de certaines incohérences, que les rapporteures souhaitent corriger, à défaut de pouvoir envisager dès aujourd'hui une remise à plat complète du système.

En outre, elles estiment que les mécanismes de solidarité publique ne sauraient occulter l'obligation qu'a tout parent de contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant. Un accent doit être mis sur les responsabilités parentales et financières des deux parents, ce qui doit notamment se traduire par des évolutions dans les modalités de fixation de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant (CEEE), plus communément appelée « pension alimentaire », afin que celle-ci soit plus systématiquement mise en place puis recouvrée, à des montants à la hauteur du coût financier que représente l'éducation d'un enfant.

A. RENDRE LE SYSTÈME SOCIOFISCAL PLUS LISIBLE ET PLUS JUSTE

1. Mieux faire connaître les divers dispositifs sociofiscaux existants
a) Des dispositifs dédiés et des conditions d'octroi plus favorables pour les parents isolés

Les familles monoparentales ont été reconnues comme une catégorie spécifique de l'action publique à partir des années 1970, avec la création en 1976 de l'allocation parent isolé, premier revenu minimum, alors dédié aux parents isolés, puis de l'allocation de soutien familial (ASF), qui a remplacé en 1984 l'allocation orphelin. Le ciblage de ces familles a été renforcé depuis 2012 avec divers aménagements des conditions de versement des prestations sociales et familiales au bénéfice des familles monoparentales.

Les parents isolés, vivant seuls18(*), bénéficient aujourd'hui de deux dispositifs qui leur sont dédiés :

· sur le plan fiscal, ils disposent d'une demi-part fiscale supplémentaire ( « case T » de la déclaration de revenus), qui peut être partagée en cas de résidence alternée. Cette demi-part supplémentaire est maintenue (« case L » de la déclaration de revenus) pour le parent isolé qui n'a plus d'enfant à charge, mais a élevé à titre exclusif ou principal un enfant pendant au moins cinq années au cours desquelles il vivait seul ;

· ils peuvent bénéficier de l'allocation de soutien familial (ASF) en cas de défaillance de l'autre parent (décès, non-reconnaissance ou absence de pension).

En outre, ils bénéficient de majorations de plafonds de ressources, de montants et de durée de versement pour un certain nombre de prestations sociales et familiales, résumées dans le tableau ci-après.

Aménagements des prestations familiales et sociales
en fonction de la situation d'isolement du parent

 

Prestation dédiée

Majoration des plafonds de ressources

Majoration des montants versés

Majoration de durée de versement

Allocations familiales (AF)

       

Complément familial (CF)

 

X

   

Allocation de soutien familial (ASF)

X

     

Allocation de rentrée scolaire (ARS)

       

Primes à la naissance et à l'adoption

 

X

   

Allocation de base de la Paje (pour les familles avec au moins un enfant de moins de trois ans)

 

X

   

Complément de libre choix du mode de garde (CMG)

 

X

X

X

Prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE)

     

X

Allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH)

   

X

 

Allocation journalière de présence parentale (AJPP)

 

X

X

 

Revenu de solidarité active (RSA)

 

X

X

 

Prime d'activité

 

X

X

 

Au total, selon des données communiquées par la Cnaf aux rapporteures, 2,2 millions de foyers monoparentaux perçoivent un total de 8,4 Md€ de prestations versées par les CAF. Ils représentent ainsi 15,6 % des allocataires des CAF, alors même qu'ils ne représentent que 10,6 % de l'ensemble des ménages.

À ces prestations légales, peuvent s'ajouter, comme l'a mis en avant Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, lors de son audition devant la délégation, des aides financières individuelles, gérées par les CAF au niveau local, notamment dans le cadre du parcours séparation.

Pour autant, au cours de leurs auditions, les rapporteures ont constaté que ces dispositifs étaient souvent mal identifiés par les personnes concernées.

b) Une mauvaise connaissance des dispositifs et un taux élevé de non-recours aux droits

Selon une étude de la Drees, portant sur la connaissance des prestations sociales et sur les raisons du non-recours aux droits19(*), si les familles monoparentales connaissent plutôt mieux les prestations que les autres familles puisqu'elles en bénéficient davantage, la proportion d'entre elles qui connaît assez précisément au moins quatre prestations a fortement baissé, passant de 62 % en 2016 à 44 % en 2020.

Si le taux de non-recours est par nature difficile à évaluer, il concernerait a minima 15 % des familles monoparentales s'agissant de l'ASF20(*) comme du RSA21(*). Lors de son audition, Hélène Périvier, économiste à l'OFCE et présidente du Conseil de la famille du HCFEA, a estimé que le taux de non-recours de l'ASF était probablement élevé, en particulier s'agissant de l'ASF complémentaire, versée lorsque la pension est faible.

Une enquête nationale menée par la Cnaf en 2018 a permis d'examiner les dossiers de 17 500 allocataires des CAF afin d'identifier les risques de non-recours. Cette enquête a montré que 8 % des allocataires de la CAF n'avaient pas recours à au moins une prestation légale à laquelle ils étaient éligibles, et entre 14 et 17 % des allocataires susceptibles de bénéficier de l'ASF n'avaient pas fait valoir leur droit.

Selon l'étude précitée de la Drees, les principales raisons expliquant le non-recours aux droits sont le manque d'informations sur les aides ou organismes auxquels s'adresser, la complexité et la longueur des démarches, la crainte des conséquences négatives et la volonté d'autonomie.

Les conditions d'octroi de certaines prestations, en particulier l'ASF, étant complexes, certaines familles peuvent renoncer à y recourir de crainte de devoir rembourser des indus versés en cas d'erreurs. Selon Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, 60 % des contrôles des CAF donnent lieu à une rectification du montant versé, avec dans deux tiers des cas une réclamation d'indus versés.

La dénonciation de pratiques de contrôles des CAF faisant apparaître une surreprésentation des mères isolées a légitimement suscité un certain émoi. S'il apparaît que l'algorithme sur lequel ces contrôles se fondent en partie est le reflet de statistiques, il n'en demeure pas moins dommageable qu'il en résulte une stigmatisation des mères isolées, qui peuvent, dans ce contexte, renoncer à faire valoir leurs droits.

c) Une activation des droits à renforcer

Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, a fait part, devant la délégation, de l'engagement des CAF sur la question du recours aux droits, dans le cadre plus global de l'instauration d'une « solidarité à la source » qui doit en outre permettre d'éviter les erreurs et le remboursement d'indus.

Les CAF ont lancé en 2021 un « parcours séparation » : désormais lorsqu'une CAF a connaissance d'une séparation, elle propose un accompagnement social et d'accès aux droits, qui peut être très court, avec la délivrance des informations essentielles, ou plus dense pour les familles les plus vulnérables, lorsque les relations sont conflictuelles entre les deux parents ou encore dans les situations de violences. Selon des données communiquées par la Cnaf, 400 000 familles par an bénéficient du parcours séparation, soit la moitié des parents auxquels ce parcours est proposé.

Les rapporteures appellent à un renforcement de ce « parcours séparation ». Un accompagnement par les CAF sur les questions financières et budgétaires, pour prévenir le surendettement et le risque d'expulsion locative au moment de la séparation, est d'autant plus nécessaire que, comme précédemment évoqué, la séparation a pour conséquence une baisse marquée du niveau de vie des mères isolées et un basculement de nombre d'entre elles dans la pauvreté.

Par ailleurs, les CAF mènent ponctuellement des campagnes d'accès aux droits. À partir de l'enquête de 2018 précitée, la Cnaf a construit un modèle d'exploration de données « Accès aux droits » pour l'ASF, afin de cibler les actions d'accès aux droits vers les allocataires n'ayant pas déjà recours à l'ASF et qui présentent la plus forte probabilité d'être dans un foyer qui y serait éligible. Ce modèle a été testé en 2020 dans cinq CAF-pivot de l'Aripa (Agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires) puis utilisé dans les vingt-quatre CAF-pivot de l'Aripa en novembre 2021. La campagne de novembre 2021 a ciblé 63 000 dossiers d'allocataires les plus à risque de non-recours, qui ont été contactés par téléphone ou par SMS, et a permis à 3 000 nouvelles familles de bénéficier de l'ASF.

Pour expliquer ce chiffre assez faible, au regard du nombre de personnes contactées, le directeur général de la Cnaf a mis en avant une certaine méfiance des allocataires, peu habitués à être contactés en vue d'ouvrir des droits et craignant donc d'être victimes d'une escroquerie. En outre, parmi les allocataires joints au téléphone, la moitié déclarait ne pas demander l'ASF de façon intentionnelle en raison d'un accord amiable avec l'ex-conjoint ou d'une garde alternée.

Les rapporteures saluent ces démarches entreprises par la branche Famille et appellent à les poursuivre et à les renforcer. Elles estiment en particulier que le recours aux algorithmes ne doit pas poursuivre le seul objectif de lutte contre la fraude, mais doit également permettre de lutter contre le non-recours aux droits.

La COG (Convention d'objectifs et de gestion) Cnaf-État 2023-2027 assigne comme objectif à la branche Famille de « lutter contre la pauvreté des familles monoparentales par un élargissement et une simplification de l'accès aux prestations et services de la Branche ». Cependant, les deux seules actions assignées aux CAF, en lien avec cet engagement, concernent « l'accès au service public des pensions alimentaires » et « la construction et la production d'un indicateur permettant le suivi du taux de récupération de l'ASF versée en tant qu'avance de pension alimentaire ». 

Déplorant que la rédaction de la COG n'ait pas été l'occasion de discuter des actions à mener pour activer les droits des allocataires, les rapporteures appellent les CAF à développer les campagnes d'accès aux droits, en particulier à destination des parents isolés.

Recommandation n° 2 : Mener des campagnes d'accès aux droits à destination des parents isolés.

Dès lors qu'un autre adulte est présent dans le logement, quelle que soit la part qu'il prend dans la charge matérielle et éducative de l'enfant, il ne s'agit plus d'une famille monoparentale au sens des CAF, le critère d'isolement étant une condition dirimante des conditions d'attribution plus favorables des prestations familiales et sociales susmentionnées.

Si la délégation comprend cette construction historique, qui découle du caractère familial du système français de prestations sociales et familiales, mais aussi du souhait de cibler les dispositifs sur les familles les plus précaires que sont les familles isolées, elle s'interroge en revanche sur sa pertinence s'agissant de l'allocation de soutien familial (ASF). Une remise à plat de l'ensemble du système sociofiscal français, qui pourrait notamment passer par une individualisation des prestations, avec des allocations familiales centrées sur l'enfant et versées dès le premier enfant, paraissant difficilement envisageable à court terme et dépassant le cadre de ce rapport, la délégation souhaite a minima envisager l'expérimentation d'une évolution des conditions de versement de l'ASF, unique prestation dédiée spécifiquement aux familles monoparentales.

2. Expérimenter une évolution des conditions de versement de l'allocation de soutien familial (ASF) au bénéfice des enfants concernés

L'allocation de soutien familial (ASF) est versée au parent isolé assumant seul la charge de son enfant. La Sécurité sociale assume alors un rôle de « soutien familial » auprès de l'enfant privé du secours de l'un de ses parents, que celui-ci soit décédé, inconnu ou défaillant. Cette situation de vulnérabilité particulière de l'enfant, qui bénéficie de la solidarité nationale, justifie l'universalité de cette allocation, qui est versée sans condition de ressources et dès le premier enfant, à la différence des allocations familiales.

Dans la grande majorité des cas, l'ASF est versée lorsque l'autre parent est décédé, n'a pas reconnu l'enfant ou est considéré comme « hors d'état » de verser une pension alimentaire, ce qui est notamment le cas lorsqu'il est bénéficiaire du RSA socle, y compris en cas de cumul avec la prime d'activité. L'ASF peut également être versée à titre provisoire, pendant quatre mois, dans l'attente de la fixation d'une pension, lorsque l'autre parent ne participe plus à l'entretien de l'enfant depuis au moins un mois. Dans ces différents cas, qui correspondent à 80 % des versements, il s'agit d'une ASF non recouvrable. L'ASF se substitue alors à la pension alimentaire qui devrait être versée au bénéfice de l'enfant.

L'ASF est également versée lorsque le parent ne verse pas la pension fixée. Elle constitue alors une avance sur le montant de la pension due (ASF recouvrable). Cette situation concerne un peu moins de 10 % des bénéficiaires.

Enfin, une allocation peut être versée pour compléter une pension alimentaire inférieure au montant de l'ASF (ASF complémentaire ou différentielle). Son montant est alors égal à la différence entre le montant règlementaire de l'ASF et le montant de la pension reçue. Cette situation concerne également un peu moins de 10 % des bénéficiaires.

Il existe par ailleurs une ASF dite à taux plein, d'un montant de 249,58 euros, versée en cas d'absence des deux parents.

Dans toutes ses dimensions, l'ASF a donc pour but d'assurer une pension alimentaire minimale à l'enfant chaque mois, en l'absence - définitive ou provisoire - du soutien de l'un de ses parents, voire de ses deux parents.

Effectifs de foyers et d'enfants bénéficiaires de l'ASF (champ CAF)
en 2021 selon leur situation

 

Nombre de foyers

Nombre d'enfants

Pourcentage des enfants bénéficiaires

ASF à taux plein

8 000

10 000

0,8%

ASF à taux partiel

799 000

1 300 000

99,2%

Un parent hors d'état / insolvable ou pas de pension alimentaire fixée

 

526 000

40,2%

Filiation établie que par un seul des deux parents

 

346 000

26,4%

Orphelin d'un des deux parents

 

182 000

13,9%

Pension inférieure au montant de l'ASF

 

105 000

8,0%

Non-paiement de la pension alimentaire fixée

 

87 000

6,6%

Délai de 4 mois suite à une demande de RSA

 

32 000

2,5%

Autre cas

 

21 000

1,6%

Ensemble

807 000

1 310 000

100 %

Source : données CNAF au 30/06/2021 (Chiffres clés des prestations légales édition 2022)

À titre subsidiaire, la délégation déplore que la présentation des différents cas de l'ASF ne distingue jamais le parent hors d'état et l'absence de fixation de pension alimentaire alors même que ces situations sont très différentes et que leur addition représente 40 % du total des bénéficiaires de l'ASF.

Le montant de l'ASF a fait l'objet de plusieurs revalorisations successives depuis cinq ans et est indexé sur l'évolution des prix à la consommation. Il s'élève aujourd'hui à 187,24 euros par mois et par enfant. Ce montant correspond à la moyenne des pensions alimentaires (190 euros par mois), confirmant son articulation avec le dispositif de la pension alimentaire : l'ASF pourrait donc être considérée comme la pension minimale versée par la solidarité nationale aux enfants privés du soutien d'un de leurs parents.

Pour autant, les conditions actuelles de versement de l'ASF ne s'inscrivent pas dans cette logique. En effet, alors que les pensions alimentaires demeurent dues lorsque le parent gardien se remet en couple, le versement de l'ASF est, lui, suspendu dès la remise en couple du parent gardien, qu'il s'agisse d'un mariage, d'un pacs ou d'un concubinage22(*).

Pour Véronique Obé, administratrice de la FSFM (Fédération syndicale des familles monoparentales), « supprimer l'ASF c'est nier l'histoire de l'enfant et le mettre sous dépendance financière du nouveau partenaire de son parent, qui garde pourtant seul les responsabilités parentales ».

Cette suspension interroge peut-être encore davantage s'agissant des parents veufs : leur enfant est définitivement privé du soutien de l'un de ses parents, toute pension est exclue, et pourtant le bénéfice de l'allocation de soutien familial lui est retiré dès lors que son parent survivant se remet en couple. Partant, lors de son audition par les rapporteures, la Favec (Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins) a appelé à la mise en place d'une allocation universelle spécifique pour les enfants orphelins, distincte de l'ASF.

Les contrôles des situations de concubinage, conséquence du caractère dirimant du critère d'isolement pour le bénéfice de l'ASF et d'autres aménagements de prestations, peuvent conduire des femmes à renoncer à une remise en couple et ce alors même leur niveau de vie global augmenterait.

En effet, le niveau de vie des ménages augmente mécaniquement lors d'une remise en couple et le niveau de vie des familles recomposées est proche de celui des familles « traditionnelles », bien supérieur à celui des familles monoparentales (voir supra IB2b). La remise en couple permet notamment de réaliser des économies sur le logement, premier poste de dépenses des ménages.

Cette différence notable de niveau de vie entre les familles en couple et les familles monoparentales est d'ailleurs la principale justification au ciblage de l'ASF sur les parents isolés, les plus précaires et les plus touchés par la pauvreté, et à la suspension de son versement lorsque cet isolement prend fin.

Selon Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, les familles monoparentales les plus précaires sont celles au sein desquelles le parent est totalement isolé et la revalorisation de l'ASF cible davantage les familles les plus précaires que ne le ferait une suppression de la condition d'isolement.

Les réflexions autour du maintien ou non de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien ne doivent pas occulter le sujet majeur que constitue la responsabilisation du parent non-gardien, le versement d'une pension devant être plus automatique, d'autant qu'il est, pour sa part, maintenu en cas de remise en couple, bien qu'il puisse faire l'objet d'une réévaluation à cette occasion.

Par ailleurs, maintenir le versement de l'ASF après une remise en couple, sans limites de temps, pourrait créer des distorsions, à niveaux de vie équivalents, entre familles « traditionnelles », ne bénéficiant pas de cette allocation, et familles recomposées, ayant vécu un épisode de monoparentalité et bénéficiant donc de l'ASF.

Enfin, le coût du maintien de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien est difficile à évaluer et pourrait être plus lourd qu'anticipé pour les finances publiques.

La Cnaf estime qu'environ 2 % des allocataires de l'ASF en perdent chaque année le bénéfice en raison d'une remise en couple. En extrapolant cette estimation aux 817 000 familles bénéficiaires (tous régimes) et en la rapportant au montant actuel de l'ASF, le coût de cette réforme pourrait être d'environ 50 millions d'euros par an. Cependant, d'autres études23(*) estiment le coût pour la branche famille à plusieurs centaines de millions d'euros.

Faute d'évaluation fiable du coût pour les finances publiques, une expérimentation dans quelques départements pourrait être envisagée. Il s'agirait de maintenir le versement de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien, pendant une période de six mois, afin de ne pas déstabiliser brutalement la situation des familles concernées.

Ceci rejoint une proposition du Haut Conseil à la famille, présentée par Hélène Périvier lors de son audition devant la délégation, mais aussi de l'Unaf (Union nationale des associations familiales), qui a exprimé lors de son audition ses craintes de voir les débats autour de la condition d'isolement se porter sur d'autres prestations si ce principe était entièrement remis en cause, sans limites de durée, s'agissant de l'ASF.

Les deux rapporteures ont chacune exprimé une position différente sur le sujet des modalités de versement de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien. Si la rapporteure Colombe Brossel est favorable au maintien de l'ASF compte tenu de la place prise par cette allocation comme pension minimale pour l'éducation d'un enfant, la rapporteure Béatrice Gosselin estime, pour sa part, préférable d'expérimenter un maintien provisoire de l'ASF, ne créant ainsi pas de nouvelles inégalités d'accompagnement des familles par la solidarité nationale.

La délégation s'est prononcée en faveur d'une expérimentation.

Recommandation n° 3 : Expérimenter, et assortir d'une évaluation chiffrée, le maintien provisoire du versement de l'allocation de soutien familial (ASF) en cas de remise en couple du parent gardien.

Le dispositif actuel de l'ASF et son articulation avec les pensions alimentaires souffrent d'autres incohérences, au regard en particulier de leur prise en compte dans le système sociofiscal.

3. Aligner la prise en compte des pensions alimentaires et de l'ASF dans les bases ressources des prestations afin de soutenir les familles aux plus faibles revenus

La fiscalisation de la pension alimentaire reçue, qui est donc considérée comme un revenu pour le parent gardien, suscite certaines interrogations dans la mesure où il s'agit d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Le Haut Conseil à la famille a ainsi recommandé de sortir la pension alimentaire du système fiscal ou, a minima, de déduire une part de la pension alimentaire, à hauteur de l'ASF, du revenu imposable du parent gardien.

Cependant, afin de ne pas peser sur les finances publiques ni de créer une distorsion entre contribuables, défiscaliser tout ou partie de la pension alimentaire reçue devrait s'accompagner d'une suppression de l'abattement sur l'impôt sur le revenu dont bénéficie le parent débiteur. Si le revenu correspondant au montant de la pension n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu au niveau du parent gardien, il devra en effet l'être au niveau du parent non-gardien. La demi-part fiscale supplémentaire accordée aux parents isolés, parfois considérée comme une compensation de la fiscalisation de la pension, pourrait également être menacée. Une telle réforme aurait donc des effets ambivalents, à la fois pour les parents concernés et pour les finances publiques, qui exigent la mise en place rapide d'une évaluation, par les pouvoirs publics, plus poussée et accompagnée de microsimulations.

La prise en compte de la pension alimentaire dans le système social, à savoir les bases ressources des prestations familiales et sociales, interroge également. Selon Hélène Périvier, « le système fiscal, qui concerne les plus aisés, est plus juste que le système social qui concerne les plus précaires » alors même que « l'urgence concerne les familles monoparentales précaires » et que la majorité des familles monoparentales ne paye pas d'impôt sur le revenu.

En effet, alors que la pension alimentaire n'est fiscalisée qu'une fois, au niveau du parent créancier, elle entre dans le calcul des bases ressources des deux parents, s'agissant des prestations telles que le RSA, la prime d'activité et les aides au logement, mais aussi des tarifications sociales qui peuvent être mises en place par les collectivités pour la restauration scolaire, les crèches ou l'accueil périscolaire. Ainsi, le parent qui verse une pension, ne la déduisant pas de ses ressources, voit son niveau de vie surévalué, ce qui peut le priver du bénéfice de prestations. De même, le parent qui la reçoit, l'intégrant à ses ressources, alors même qu'elle constitue non pas un revenu pour lui, mais une contribution aux charges de l'enfant, peut perdre le bénéfice de prestations ou avantages financiers, du fait d'effets de seuil.

En outre, la pension alimentaire, même faible, est intégralement prise en compte dans les bases ressources tandis que l'ASF n'entre pas dans le calcul des bases ressources des aides au logement et n'est prise en compte que partiellement dans les bases ressources du RSA et de la prime d'activité, avec un écrêtement à hauteur de 22,5 % de la BMAF (base mensuelle de calcul des allocations familiales).

Ainsi, lorsque le parent gardien recouvre la pension qui lui est due, son revenu disponible peut diminuer, du fait de la perte de prestations. Son taux marginal effectif d'imposition est supérieur à 100 % lorsque son salaire est inférieur ou égal au Smic.

Lors de son audition, Hélène Périvier a pris l'exemple d'une mère ayant la garde de deux enfants de plus de trois ans et recevant une pension de 190 euros par mois et par enfant, soit le montant moyen des pensions alimentaires et un montant très proche de celui de l'ASF. Au niveau du Smic, son taux marginal effectif de prélèvement est de 130 %, car lorsqu'elle perçoit une pension, elle perd le bénéfice de tout ou partie du RSA, de la prime d'activité et des aides au logement.

La différence est particulièrement nette lorsque cette personne bascule du bénéfice de l'ASF - versée en cas d'impayés - au recouvrement de la pension due. Si cette personne perçoit un salaire égal au Smic, son taux marginal d'imposition s'élève à 142 % puisque pour un euro de pension, elle perd non seulement le bénéfice de l'ASF, mais également 42 centimes de prestations (RSA, prime d'activité, aides au logement...). A contrario, pour une personne avec un salaire équivalent à trois Smic, moins concernée par le système de prestations que par le système fiscal, le recouvrement d'un euro par mois de pension augmente son revenu disponible de 28 centimes.

Évolution des transferts sociaux et fiscaux lors du passage d'un impayé de pension à l'ASF recouvrable puis au recouvrement de la CEEE

Cas d'un parent gardien avec deux enfants de 6 et 8 ans percevant le montant moyen de la CEEE (190 euros par enfant)

Source : OFCE, Périvier et Pucci, Soutenir le niveau de vie des parents isolés ou séparés
en adaptant le système sociofiscal, 2021

Les parents isolés sont ainsi dans une situation paradoxale : ils ont davantage intérêt financièrement à bénéficier de transferts publics, via l'ASF, que de transferts privés, via une pension. Une telle situation n'est ni juste pour les familles, ni souhaitable du point de vue des finances publiques.

Un abattement sur le montant de la pension pris en compte dans les bases ressources, à hauteur du montant de l'ASF, permettrait de limiter ces incohérences.

Recommandation n° 4 : Instaurer un abattement sur le montant de la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant pris en compte dans les bases ressources des prestations familiales et des aides au logement, à hauteur de l'ASF.

Au-delà de la nécessaire solidarité publique en faveur des familles monoparentales, en particulier les plus précaires, la délégation estime nécessaire de responsabiliser davantage le parent non-gardien, qui se doit de participer aux coûts d'entretien et d'éducation de son enfant. Cet impératif est à mettre en lien avec les débats autour de l'ASF, de ses conditions de versement et de sa prise en compte dans le système sociofiscal : il s'agit de s'assurer qu'une pension alimentaire soit versée de façon plus systématique et rehausse le niveau de vie de l'enfant, dans tous les cas où cela est possible (dans 40 % des cas de versement de l'ASF, le second parent est décédé ou n'a pas reconnu l'enfant), la solidarité publique pouvant ensuite venir en complément pour augmenter un niveau de vie qui reste faible.

B. RESPONSABILISER DAVANTAGE LE PARENT NON-GARDIEN EN AUGMENTANT SA PARTICIPATION AUX COÛTS D'ENTRETIEN ET D'ÉDUCATION DE SON ENFANT

L'article 371-2 du code civil dispose que « chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l'enfant est majeur. »

Le code civil précise la situation en cas de séparation entre les parents, en prévoyant que « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant » (article 373-3) et que « la contribution à son entretien et à son éducation prend la forme d'une pension alimentaire versée par l'un des parents à l'autre » (article 373-2-2).

Comme l'a fort justement rappelé la sociologue Alexandra Piesen lors de son audition, n'avoir au quotidien qu'un père ou qu'une mère, ce n'est pas n'avoir qu'un seul parent. L'investissement financier comme éducatif de l'autre parent doit être encouragé, en particulier par le biais du versement d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant (CEEE), plus communément appelée « pension alimentaire ».

1. Encourager une fixation des pensions alimentaires à la hauteur des coûts d'entretien et d'éducation des enfants

Selon une étude de la Drees, publiée en 202124(*), un quart des parents non-gardiens solvables ne verse pas de pension alimentaire.

Quatre motifs principaux peuvent expliquer un défaut de pension :

· l'absence de pension fixée par le juge aux affaires familiales (JAF), ce qui est le cas pour 31 % des enfants toutes affaires confondues, pour 20 % des enfants dont la résidence est fixée chez la mère et pour 72 % des enfants en résidence alternée25(*). Lorsque les revenus du père sont inférieurs au Smic, les JAF se montrent souvent réticents à fixer une pension alimentaire, et ce quels que soient les revenus de la mère, qui est incitée à se tourner vers l'ASF. Cela a une triple conséquence pour la mère : des démarches supplémentaires pour obtenir le bénéfice de l'ASF, une suspension de cette aide lors d'une remise en couple - alors même qu'elle continuerait à bénéficier de la pension si une telle pension avait été fixée - et la soumission aux contrôles des CAF au titre de la lutte contre la fraude ;

· un accord entre les parents ;

· le souhait du parent gardien - en majorité la mère - de ne pas susciter de conflit avec son ex-conjoint en sollicitant le versement d'une pension. Cette explication, à mettre en lien avec les violences économiques et psychologiques qui peuvent accompagner les séparations, ne doit pas être minimisée. Selon Aurélia Sevestre, membre du Collectif PAF, les femmes sont encouragées par les professionnels du droit à se montrer « conciliantes » sur les questions patrimoniales et de pension ;

· un défaut de paiement.

Selon l'étude de la Drees précitée, le montant moyen de la CEEE est de 190 euros par mois et par enfant. Cette somme diminue avec le nombre d'enfants et croît avec les ressources du parent non-gardien ainsi qu'avec l'âge du plus jeune enfant du couple au moment de la rupture. Selon Marie-Nadine Prager, présidente du collectif PAF, les JAF ajustent les exigences imposées au père, s'agissant tant du mode de garde que de la fixation d'une pension, non pas tant aux besoins de l'enfant qu'aux contraintes financières et matérielles des pères.

Le montant moyen de la CEEE apparaît largement inférieur aux estimations faites du « coût de l'enfant »26(*). L'évaluation généralement retenue considère que les enfants représentent 13,5 % des dépenses des ménages, soit en moyenne 750 euros par mois par enfant. Cette moyenne cache néanmoins de fortes variations selon les revenus des parents : les dépenses supplémentaires associées à la présence d'un enfant s'élèvent à environ 200 euros par mois au niveau du Smic, mais à plus de 900 euros au 9ème décile des revenus. Elle varie également en fonction de l'âge de l'enfant : sans que des ruptures nettes aient pu être identifiées par classe d'âge, les frais de garde pèsent fortement sur le budget des ménages ayant des enfants de moins de trois ans. Enfin, elle peut également varier en fonction du lieu de résidence de la famille et de son statut de propriétaire ou locataire de son logement.

L'étude de la Drees précitée montre que deux parents sur trois versent un montant inférieur à celui qui résulterait d'une stricte application du barème du ministère de la Justice.

Ce barème a été mis en place en 2010 afin d'aider les JAF dans la fixation du montant de la CEEE. Publié en ligne, il sert de référence non seulement aux JAF, mais aussi aux parents qui le consultent et s'y réfèrent sans nécessairement maîtriser les règles de calcul sous-jacentes.

Il fait aujourd'hui l'objet d'un certain nombre de critiques, portant principalement sur l'absence de prise en compte apparente des revenus du parent gardien et sur la minimisation des dépenses relatives à l'enfant.

En effet, seuls trois critères doivent être renseignés :

· les revenus du parent débiteur, après soustraction d'un revenu minimal correspondant au montant du RSA ;

· le nombre d'enfants ;

· le mode de garde : résidence alternée, droits de visite classique, accès réduit à l'enfant.

Ainsi, les revenus du parent gardien ne sont pas renseignés. Selon la chercheuse Isabelle Sayn, auteure de nombreux travaux sur les barèmes utilisés par les magistrats27(*), les revenus des deux parents sont néanmoins pris en compte de façon implicite : comme précédemment évoqué on considère que le coût budgétaire d'un enfant représente 13,5 % des ressources de chaque parent, et ce budget est intégré dans le calcul du barème. Cependant, le simulateur rend transparente cette prise en compte.

En outre, aucun élément relatif aux coûts spécifiques de l'enfant (activités extra-scolaires, cantine, soins médicaux ou paramédicaux type orthophonie...) n'est retenu.

Par ailleurs, pour conseiller les parents qui fixent le montant de la pension par convention, les CAF proposent également un barème qui, bien qu'issu du barème diffusé à l'origine par le ministère de la Justice, s'en est éloigné sur plusieurs points, de sorte que les règles de calcul ne sont pas identiques et manquent donc de lisibilité. En particulier, un « revenu minimum » n'est déduit des ressources du parent débiteur que pour les revenus les plus faibles, conduisant à des montants de pension plus élevés pour les parents aux revenus plus importants.

Exemples de calcul de CEEE (montant par mois et par enfant)

avec les barèmes du ministère de la Justice et des CAF

en fonction du revenu du parent débiteur, du nombre d'enfants concernés

et des droits de visite et d'hébergement

 

Barème du ministère
de la justice

Barème des CAF

Pour un revenu du parent débiteur de 1 930€*, un enfant et un droit de visite classique

178€

271 €

Pour un revenu de 1 930€*, deux enfants et un droit de visite classique

152€

228 €

Pour un revenu de 1 930€*, un enfant et une résidence alternée

119 €

180 €

Pour un revenu de 1 930€*, un enfant et des droits de visite réduits

238 €

361 €

Pour un revenu de 1 024€**, un enfant et un droit de visite classique

56 €

144 €

Pour un revenu de 3 490€***, un enfant et un droit de visite classique

389€

489 €

* revenu médian en France, ** revenu du premier décile des revenus, *** revenu du dernier décile des revenus

Source : simulations effectuées par la délégation sur les sites https://www.justice.fr/simulateurs/pensions-alimentaire et https://pension-alimentaire.caf.fr/estimation-de-pension-alimentaire

Or, le manque de lisibilité et de compréhension des critères sous-jacents à la fixation du montant de la CEEE peut nourrir des conflits entre parents et augmenter le risque d'impayés.

Partant, une réévaluation et une uniformisation des barèmes, dans le cadre d'un barème unique, apparaissent donc nécessaires.

Comme proposé par l'Unaf lors de son audition par les rapporteures, il serait utile, hors situations de violences, de proposer aux parents une médiation qui peut permettre, outre un travail sur les liens parentaux, une objectivation des critères de calcul de la pension et une meilleure acceptation de celle-ci. Selon l'Unaf, une pension alimentaire définie par convention parentale est généralement plus élevée et mieux acceptée par le parent débiteur, diminuant le risque d'impayé. Ces conventions parentales peuvent être homologuées par le JAF, dans des délais rapides et sans audience. Elles peuvent également faire l'objet d'un titre exécutoire de la CAF ou de la MSA.

Recommandation n° 5 : Réévaluer le barème de calcul de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, afin de mieux tenir compte, de façon visible et plus équitable, des revenus des deux parents et des différentes dépenses relatives à l'enfant, comme prévu par la loi.

2. Améliorer le recouvrement des impayés de pension alimentaire

Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des services judiciaires28(*), visant à expertiser la création de l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa) évaluait, en 2016, à 35 % la proportion de personnes victimes d'impayés, c'est-à-dire ne percevant pas systématiquement ou pas totalement la pension due.

La mise en oeuvre de l'Aripa répond à un objectif de diminution de ce taux d'impayés grâce à la mise en place d'un intermédiaire entre le débiteur et le créancier : le débiteur effectue le paiement de la pension auprès de la Caf ou de la MSA, qui verse ensuite cette pension à l'autre parent. L'existence de cet intermédiaire et l'incitation à mettre en place un prélèvement automatique sécurisent le versement des pensions. En outre, en cas de retard ou de défaut de paiement de la pension, le débiteur s'expose à des pénalités financières voire à des procédures de recouvrement forcé - pouvant prendre la forme d'une saisie sur salaire avec l'appui du Trésor public - mises en oeuvre par l'Aripa pour récupérer l'ensemble des sommes dues et les verser à l'autre parent. Dans l'attente, l'ASF, d'un montant de 187,24 euros, peut être versée au parent créancier sous forme d'avance (ASF recouvrable).

Désormais, par principe, l'intermédiation financière est mise en place, sauf si les deux parents s'y opposent. Depuis janvier 2023, cela couvre toutes les situations, y compris les divorces par consentement mutuel.

Selon des données communiquées aux rapporteures par la Cnaf, 200 000 situations ont été traitées, donnant lieu à la mise en place d'une intermédiation dans trois quarts des cas ou au versement d'une ASF récupérable pour le quart restant. Les CAF traitent chaque mois 10 000 demandes relatives au recouvrement de pension sans impayé antérieur et 5 000 demandes de recouvrement avec impayés.

Une étude de satisfaction publiée en janvier 2024 montre que 80 % des mères sont satisfaites du mécanisme de l'Aripa. Outre un recouvrement plus aisé des pensions, ce système permet de « faire en sorte que les parents parlent de l'éducation de leurs enfants plutôt que de sujets financiers », mais aussi de profiter de la mise en place du dispositif pour détecter des sujets d'accès aux droits, selon Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf.

Ce bilan globalement positif rejoint les constats de la FSFM : Véronique Obé, administratrice de la FSFM, a estimé lors de son audition que le recouvrement des pensions par les CAF est globalement bien mis en oeuvre.

Cependant, la COG 2023-2027 fixe des objectifs de recouvrement des impayés de pension alimentaire qui apparaissent peu ambitieux : une baisse de dix points du taux d'impayés en quatre ans, qui permettrait d'atteindre un taux global d'impayés de 21 % en 2027 - ce qui représente encore plus d'une pension sur cinq.

Indicateurs de résultat relatifs à l'engagement n°4
« Renforcer l'accompagnement de la séparation auprès des deux parents »
au sein de la COG 2023-2027

 

2023

2024

2025

2026

2027

Taux de recouvrement global des impayés de pension alimentaire

69 %

71 %

73 %

76 %

79 %

Taux de recouvrement des impayés de pension alimentaire avec intermédiation

73 %

75 %

77 %

80 %

83 %

Nombre de pensions intermédiées ou avancées

270 000

350 000

430 000

520 000

530 000

Source : COG État-Cnaf 2023-2027

L'intermédiation financière n'étant systématique, pour les nouvelles pensions fixées, que depuis janvier 2023, et les CAF ayant recruté près d'un millier d'ETP (équivalents temps plein) pour accompagner sa montée en puissance, les rapporteures ne jugent pas pertinent à ce stade d'envisager une évolution du dispositif, si peu de temps après son déploiement.

Elles estiment en revanche nécessaire l'élaboration d'un bilan annuel de l'Aripa au regard de l'objectif principal que constitue la baisse du taux d'impayés.

La montée en puissance de l'Aripa doit s'accompagner d'une prise en charge du « stock » des pensions fixées antérieurement à la réforme, au-delà de la gestion du « flux », qui a été la priorité lors de la mise en oeuvre du dispositif.

En outre, la mise en place de l'intermédiation financière doit s'accompagner d'un effort de pédagogie auprès des parents concernés. Le délai de mise en oeuvre de l'intermédiation étant de deux mois en moyenne, les parents débiteurs doivent être informés de leur obligation de verser directement la pension au parent gardien durant ces premiers mois. Les procédures administratives, conçues à l'origine pour des situations conflictuelles, pourraient être simplifiées afin d'accélérer la mise en place de l'intermédiation.

Un effort supplémentaire de sensibilisation des avocats semble également nécessaire. En effet, certains avocats affirment à leurs clients que la mise en place de l'intermédiation n'est pas nécessaire en cas de divorce par consentement mutuel, alors même qu'une situation fluide au départ peut se détériorer par la suite, notamment lors de la remise en couple de l'un ou l'autre des parents. Mettre en place d'emblée l'intermédiation a un effet préventif.

Si le bilan de l'intermédiation financière des pensions alimentaires ne fait pas apparaître de baisse significative du taux d'impayés, une évolution des modalités de recouvrement des pensions pour les cas les plus problématiques devra être envisagée.

Le modèle québécois, qui combine intermédiation financière et prélèvement à la source, pourrait constituer une solution. En effet, il permet un taux de versement des pensions alimentaires de 96 % au Québec. Ce modèle a d'ores et déjà inspiré le système de l'Aripa, sur son volet intermédiation, avec la possibilité de mettre en place un prélèvement automatique sur le compte bancaire du débiteur. Cependant, le système québécois est plus abouti puisque, par défaut, le versement des pensions alimentaires fixées par un tribunal s'effectue par un prélèvement à la source sur les rémunérations, directement auprès des employeurs.

LE PROGRAMME QUÉBÉCOIS DE PERCEPTION DES PENSIONS ALIMENTAIRES

En 1995, le Québec a adopté la loi facilitant le paiement des pensions alimentaires qui prévoit que « le débiteur alimentaire doit verser la pension et les arrérages, s'il en est, au ministre du Revenu au bénéfice du créancier alimentaire. »

Le Programme québécois de perception des pensions alimentaires, géré par l'administration fiscale (Revenu Québec) s'applique à tous les jugements qui accordent une pension alimentaire. Le tribunal peut exempter un débiteur de cette obligation uniquement « si le débiteur constitue une fiducie qui garantit le paiement de la pension » ou « si les parties en font conjointement la demande, s'il est convaincu que leur consentement est libre et éclairé et si le débiteur fournit une sûreté [caution] suffisante pour garantir le paiement de la pension pendant un mois ». Le tribunal notifie à l'administration fiscale le montant de la pension et la date d'exigibilité.

Le Programme s'applique également aux pensions alimentaires établies suivant une transaction et une déclaration commune de dissolution d'une union civile reçues devant notaire lorsque cette transaction le prévoit et est notifiée, avec la déclaration, à l'administration fiscale ou lorsque celle-ci constate, sur demande du créancier et notification des documents, que le débiteur alimentaire est en défaut.

Le paiement de la pension à l'agence Revenu Québec s'effectue, soit par retenue, auprès de l'employeur, soit par ordre de paiement, en l'absence d'un montant pouvant faire l'objet d'une retenue ou pour le reliquat, lorsque la retenue est insuffisante pour acquitter le montant de la pension. Dans l'attente de la mise en place de l'ordre de paiement ou de la retenue, le débiteur verse le montant de la pension à l'agence Revenu Québec.

Dans la majorité des cas, l'agence Revenu Québec transmet un avis de retenue aux employeurs, assureurs, gestionnaires de fonds et organismes publics qui versent périodiquement une somme (salaire, traitement, honoraires, prestations, retraite, prestations d'invalidité, participations aux bénéfices, etc.) au débiteur de la pension alimentaire.

L'avis de retenue mentionne les sommes de pension alimentaire à retenir, avec les dates et la fréquence des retenues. Un nouvel avis de retenue est envoyé lors de l'indexation annuelle de la pension alimentaire au 1er janvier de chaque année et lorsque le montant de la pension est révisé à la hausse ou à la baisse par le tribunal.

L'employeur ou organisme concerné calcule les retenues à la source habituelles (impôt fédéral, impôt provincial, cotisations au Régime de rentes du Québec et au Régime québécois d'assurance parentale, cotisations d'assurance-emploi de même, cotisations syndicales...) puis effectue la retenue de pension alimentaire, transmise en principe à la même fréquence que les retenues à la source habituelles.

Il transmet ensuite, par virement, chèque ou mandat, les sommes retenues à titre de pension alimentaire, à l'agence Revenu Québec.

Si l'organisme néglige ou refuse de retenir la somme précisée sur l'avis de retenue, il devient solidairement responsable avec le débiteur de cette somme. S'il néglige ou refuse de transmettre les sommes perçues, il devient lui-même le débiteur. Dans tous ces cas, l'administration fiscale peut prendre les mesures de recouvrement nécessaires au recouvrement des sommes dues et des amendes peuvent être imposées à l'organisme.

L'administration fiscale verse deux fois par mois au créancier alimentaire le montant de la pension et des arrérages qu'il perçoit.

Elle peut également verser au créancier des sommes à titre de pension alimentaire, pendant trois mois maximum, à hauteur de 1 000 dollars. Ces sommes sont versées au nom du débiteur et seront recouvrées auprès de celui-ci.

Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, a également fait part aux rapporteures d'une réflexion en cours sur l'articulation entre l'Aripa et l'ASF. Les rapporteures estiment nécessaire de rendre automatique le versement de l'ASF en cas de non-versement de la pension pour toute personne ayant intégré le dispositif de l'Aripa.

Lors de leur audition par les rapporteures, les représentants du Conseil national des Villes (CNV) ont préconisé qu'en cas de défaut de paiement du parent non-gardien, les services de l'Aripa versent, sans délai, au parent gardien le montant total de la pension alimentaire due, en parallèle de l'engagement des procédures de recouvrement forcé par l'Aripa avec l'appui du Trésor public.

Les rapporteures soutiennent l'esprit de cette proposition tout en soulignant la nécessité de procéder à une évaluation de son coût budgétaire, un quart des pensions alimentaires n'étant pas recouvré aujourd'hui. Cette difficulté pourrait être levée si un prélèvement à la source était mis en place : la pension serait prélevée sur le salaire du parent débiteur sans nécessité pour l'Aripa d'assurer l'avance de trésorerie.

Recommandation n° 6 : Dresser un bilan annuel de l'intermédiation financière des pensions alimentaires (Aripa) au regard d'objectifs plus ambitieux de réduction des taux d'impayés et envisager une mise en place d'un prélèvement à la source si ces objectifs ne sont pas atteints.

Par ailleurs, la CEEE demeure un droit quérable, qui nécessite des démarches de la part du parent gardien. Au-delà des progrès nécessaires dans le recouvrement plus automatique de la CEEE, une fois celle-ci fixée, une réflexion pourrait être menée sur la possibilité de rendre sa fixation elle-même plus automatique. La question ne se pose systématiquement qu'en cas de divorce, mais les ruptures d'union libre sont aujourd'hui plus fréquentes, ne donnant pas nécessairement lieu à une discussion autour de la fixation d'une pension. Ainsi, selon la chercheuse Isabelle Sayn, l'enjeu aujourd'hui n'est plus tant l'exécution de la pension que la fixation de son montant.

Les parents doivent également être sensibilisés à la possibilité de demander un ajustement du montant de la CEEE. En cas d'intermédiation financière, la Caf procède d'elle-même à une revalorisation annuelle lorsque le jugement ou la convention de divorce ou parentale prévoit une clause d'indexation afin de suivre l'évolution d'un indice des prix à la consommation. Cependant, il est également possible, par convention amiable ou par saisine du JAF, de procéder à une révision du montant de la pension en cas d'évolution des revenus de l'un ou l'autre des parents ou des besoins de l'enfant.

Au-delà des enjeux financiers, l'investissement des deux parents dans la prise en charge éducative de leur enfant doit être encouragé. Comme l'a déploré Véronique Obé, administratrice de la FSFM, lors de son audition, « actuellement, le droit de visite et d'hébergement est uniquement un droit pour le parent non-gardien et non un devoir, l'autorisant donc à ne pas s'occuper de son enfant, tandis que la mère a le devoir de présenter l'enfant au père. » En dehors des cas de violences, l'investissement du père auprès de son enfant est important pour l'enfant, mais constitue aussi un enjeu d'égalité entre les femmes et les hommes. L'éducation d'un enfant est de la responsabilité de ses deux parents et non une responsabilité uniquement féminine.

III. RECONNAÎTRE LES FAMILLES MONOPARENTALES COMME UN MODÈLE FAMILIAL PARMI D'AUTRES

Au cours de leurs travaux, les rapporteures ont pu constater à quel point la question de la monoparentalité est d'abord celle des représentations sociétales de ce type de familles.

Alors que les familles monoparentales représentent aujourd'hui une famille sur quatre et s'inscrivent indiscutablement dans les normes de la parentalité contemporaine, ce modèle parental fait trop souvent l'objet d'une forme de stigmatisation et d'un manque de reconnaissance.

Ainsi, lors de son audition par les rapporteures, le Conseil national des Villes (CNV) s'est vivement ému des critiques adressées aux mères isolées vivant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), dans le contexte des émeutes des banlieues de l'été 2023. Ces mêmes femmes, souvent travailleuses de première ligne dans les services et commerces dits de « première nécessité », avaient pourtant été saluées pendant la crise Covid. En outre, le CNV estime que leur rôle social, en tant que cheffes de famille mais aussi que responsables d'associations et vecteurs de régulation sociale et d'apaisement dans ces quartiers, est insuffisamment valorisé.

Ce défaut de reconnaissance explique sans doute pourquoi les politiques publiques à destination des familles monoparentales, si elles existent, peinent aujourd'hui à atteindre leurs objectifs et à soutenir efficacement ce public, dans sa globalité et sa multidimensionnalité.

Les rapporteures estiment donc nécessaire de changer les représentations sociétales de la monoparentalité et d'en faire un modèle familial parmi d'autres.

A. LA CRÉATION D'UNE CARTE « FAMILLES MONOPARENTALES » FACULTATIVE : UNE VOIE EXPÉRIMENTALE À EXPLORER

1. Une carte permettant de matérialiser la situation de monoparentalité

Les rapporteures estiment que les familles monoparentales sont aujourd'hui un modèle familial et qu'elles doivent prendre toute leur place dans notre société.

La reconnaissance de cette place à part entière pourrait se traduire, dans un premier temps, par la création, à titre expérimental, d'une carte de « familles monoparentales » facultative et renouvelable, permettant de matérialiser et d'objectiver la situation familiale d'un parent élevant seul son ou ses enfants.

La détention de cette carte, dont l'obtention relèverait d'une démarche volontaire et facultative de la part du parent, ferait l'objet d'un renouvellement annuel et serait soumise au respect de conditions préalablement définies permettant de caractériser une situation effective de monoparentalité.

La délivrance de la carte de « famille monoparentale » serait ainsi renouvelable chaque année pour tenir compte d'éventuelles évolutions de la situation conjugale afin de maintenir son bénéfice aux seuls parents isolés.

La délégation s'est interrogée sur l'opportunité de créer un statut juridique de famille monoparentale.

Faute d'évaluation aboutie, à ce stade, du levier juridique, du périmètre et du coût d'un tel statut, elle a opté pour une solution pragmatique : l'instauration d'une carte de « famille monoparentale ». Elle estime que cette évaluation relève d'une mobilisation interministérielle et restera attentive aux prochains travaux entrepris sur ce sujet.

La délégation recommande donc une expérimentation, limitée dans le temps, de la délivrance de cette carte afin d'en évaluer l'impact et le coût pour les acteurs concernés par sa mise en place (employeurs, collectivités territoriales, services publics).

Recommandation n° 7 : Envisager, à titre expérimental, la création d'une carte de « famille monoparentale », facultative et renouvelable annuellement, ouvrant droit à des avantages et tarifs préférentiels, mis en place par les employeurs, les collectivités et les services publics.

2. Une carte facultative ouvrant droit à des avantages et tarifs préférentiels

La mise en place d'une « carte familles monoparentales » permettrait par exemple de bénéficier de tarifs préférentiels spécifiques pour l'accès à certains services et prestations (cantine scolaire, transports publics et collectifs, loisirs, colonies de vacances, activités périscolaires, activités sportives et culturelles, mutuelle, etc.).

Au-delà d'une simple logique « partenariale » qui caractérise aujourd'hui la carte « familles nombreuses », la détention d'une carte de « familles monoparentales » serait également un moyen pour les parents en situation de monoparentalité de se signaler comme tels auprès de leurs principaux interlocuteurs « institutionnels » : pouvoirs publics, administrations, mais aussi employeurs par exemple.

Cette carte serait ainsi le moyen de caractériser leur situation de monoparentalité et d'ouvrir aux familles monoparentales des droits complémentaires et l'accès prioritaire à certains services publics.

Les rapporteures ont plus particulièrement identifié trois domaines dans lesquels la matérialisation de la situation de monoparentalité par une carte « familles monoparentales » pourrait constituer la base de mesures leur étant spécifiquement dédiées : le travail, le logement et la garde d'enfant, trois domaines dans lesquels être en situation de monoparentalité accroît le risque d'inégalités.

a) Une prise en compte de la situation de monoparentalité par les employeurs qui le souhaitent

Sur le fondement de la présentation d'une carte « familles monoparentales », les employeurs seraient légitimes à proposer à leurs salariés monoparentaux, dans le cadre par exemple de leur politique de RSE ou de leurs accords sur l'égalité professionnelle, des mesures permettant de tenir compte de leur situation particulière : horaires aménagés et flexibilité du temps de travail, recours plus souple au télétravail, doublement des jours pour enfants malades, développement de dispositifs spécifiques de conciliation vie professionnelle/vie familiale, etc.

Lors de leurs auditions, les rapporteures ont ainsi relevé que des employeurs souhaitaient proposer des dispositifs plus souples à leurs salariés parents isolés, mais rencontraient des difficultés faute de savoir précisément comment les identifier et par crainte d'être accusés de discrimination.

Ainsi, au cours de son audition par la délégation le 18 janvier 2024, Julie Caputo, directrice marketing et petite enfance du groupe de crèches La Maison bleue, a déclaré au sujet de la volonté de son entreprise d'agir en faveur des familles monoparentales : « nous nous sommes rapidement heurtés à la notion de statut et de discrimination. Aujourd'hui, il existe des droits pour les familles en entreprise. La Maison bleue octroie des droits pour enfants malades par exemple. Dans ce contexte, je pensais naturellement, et peut-être naïvement, que les familles monoparentales pourraient avoir besoin de plus de jours d'enfants malades, puisqu'elles ne peuvent pas partager cette charge. Très vite, nous avons réalisé que proposer cette mesure constituerait une discrimination. Nous avons besoin d'un cadre pour faire exister cette catégorie, comme il existe un statut de famille nombreuse. Les personnes concernées pourraient se déclarer en tant que famille monoparentale. L'employeur pourrait alors proposer des actions ciblées sur ces personnes. »

L'identification par les employeurs des salariées et salariés issus de familles monoparentales et la matérialisation de leur situation familiale au sein de l'entreprise, pour celles et ceux qui le souhaitent, permettraient aux employeurs volontaires de mettre en place et de proposer à ces derniers un suivi ad hoc et des mesures d'accompagnement spécifiques.

Ayant mené, en 2020, une étude, qualitative et quantitative, sur l'accompagnement de la monoparentalité en entreprise, l'Observatoire de la qualité de vie au travail (OQVT), entendu par les rapporteures le 5 février 2024, a mis en évidence l'impact de la monoparentalité sur la vie professionnelle.

Parmi les salariés en situation de monoparentalité :

 
 
 

estiment que la monoparentalité a un impact sur leur vie professionnelle et un impact sur leur organisation au quotidien

déclarent leur monoparentalité à leur employeur

déclarent avoir subi des discriminations liées à leur situation de monoparentalité

En outre, les actions mises en oeuvre par leur employeur pour tenir compte de leur situation spécifique de monoparentalité sont jugées rares ou peu visibles par les salariés concernés.

CINQ MESURES PRIORITAIRES
IDENTIFIÉES PAR LES SALARIÉS MONOPARENTAUX

1. Aider à faire face aux imprévus familiaux et aux situations complexes en donnant davantage de temps et en soutenant financièrement

2. Mettre en place une organisation du travail et des services qui facilitent la vie quotidienne

3. Sensibiliser et former les dirigeants, les managers et les décideurs RH

4. Accompagner dans les démarches administratives et sociales

5. Permettre de « prendre du temps pour soi »

Source : Observatoire de la qualité de vie au travail (enquête auprès de 1000 salariés en 2020)

b) Un meilleur accès au logement social

Les familles monoparentales sont aujourd'hui surreprésentées parmi les habitants de logements sociaux : 40 % des enfants mineurs vivant seuls avec leur mère vivent en logement social, contre 21 % de l'ensemble des enfants mineurs.

Selon une étude29(*) de l'économiste et présidente du Conseil de la famille au sein du HCFEA, Hélène Périvier, auditionnée par la délégation le 25 janvier 2024, à niveau de vie, motif et région équivalents, les familles monoparentales ont, toutes choses égales par ailleurs, une probabilité d'attribution de logement social 6 % plus élevée que les couples avec enfant. Cependant, compte tenu du nombre de familles monoparentales en demande de logement social, cet avantage reste assez limité.

La mise en place d'une carte « familles monoparentales » permettrait aux bailleurs sociaux de prioriser les familles monoparentales dans l'attribution de logements sociaux sur le fondement, par exemple, de points supplémentaires accordés aux familles monoparentales au sein des systèmes de cotation des demandes de logement social élaborés par les EPCI, rendus obligatoires par la loi ÉLAN30(*) du 23 novembre 2018.

Le critère « divorce ou séparation » fait, par exemple, aujourd'hui partie des critères facultatifs proposés aux EPCI qui élaborent les systèmes de cotation. Un critère « familles monoparentales » pourrait donc également figurer parmi les critères proposés.

c) Un accueil et une prise en charge du jeune enfant facilités pour les familles monoparentales

L'accès des familles monoparentales au service public de la petite enfance (crèches ou assistantes maternelles) et à des modes de garde d'enfants adaptés à leurs spécificités, au-delà de la seule petite enfance, pourrait être facilité avec la définition de critères de priorité dans les barèmes de crèches - notamment les crèches à horaires élargis ou celles à vocation d'insertion professionnelle (crèches Avip) - de centres de loisirs et autres modes d'accueil périscolaire.

Lors de son audition par la délégation, Julie Caputo, directrice marketing et petite enfance du groupe de crèches La Maison bleue, a indiqué au sujet de l'attribution de places en crèche au sein du groupe, « nous faisons entrer la monoparentalité dans les critères d'éligibilité pour que ces parents soient prioritaires dans leur attribution. Un statut permettrait d'ancrer cette mesure. Aujourd'hui, 18 % des familles accueillies dans nos crèches se situent sous le seuil de pauvreté. Nous pourrions faire progresser ce pourcentage grâce au statut, qui permettrait de prioriser certaines actions. »

S'agissant des crèches financées par les CAF, dans le cadre de la prestation de service unique (PSU), qui est une aide au fonctionnement versée aux gestionnaires d'établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE), les critères de définition du barème national des participations familiales applicable à ces établissements pourraient systématiquement prendre en compte la situation de monoparentalité.

L'application du barème Cnaf aux familles ayant recours aux établissements financés par la PSU permet de calculer un tarif modulé de participation familiale en fonction des ressources des familles et de leur composition, notamment le nombre d'enfants. Il conviendrait que ce barème, établi par la Cnaf en conformité avec la COG État-Cnaf, tienne également systématiquement compte de la situation de monoparentalité.

Lors de son audition par la délégation le 14 décembre 2023, Clémence Helfter, sociologue, chargée de recherche à la Cnaf, a souligné le fait que « la monoparentalité n'est pas prise en compte dans le barème des participations familiales aux crèches PSU (Prestations de service universel), puisque ces barèmes sont fonction uniquement des revenus et du nombre d'enfants et pas de la composition familiale. »

Si le code de la santé publique31(*) et celui de l'action sociale et des familles32(*) ciblent déjà, plus ou moins explicitement, les familles monoparentales comme un public devant faire l'objet d'une attention particulière par les établissements d'accueil des jeunes enfants, les rapporteures considèrent que des critères permettant de faciliter l'accès des familles monoparentales aux EAJE devraient être clairement et systématiquement définis par tous les établissements.

En outre, les microcrèches Paje (Prestations d'accueil du jeune enfant) n'appliquent pas de barème de revenus. Elles sont donc très peu accessibles pour les familles monoparentales, du fait de leur coût prohibitif et du niveau de revenu moyen de ces familles. Or ces structures représentent aujourd'hui une part croissante de l'offre d'accueil.

Sur la base de la présentation d'une carte « familles monoparentales », une forme de priorisation dans l'accès au service public de la petite enfance pourrait donc être envisagée pour les parents isolés.

Enfin, la possibilité de scolarisation, dès deux ans, des enfants issus de familles monoparentales, lorsque le parent gardien en formalise la demande auprès de l'Éducation nationale, devrait également être encouragée et développée.

L'accompagnement des enfants issus de familles monoparentales doit également se poursuivre au-delà de la petite enfance, par exemple en facilitant l'accès de ces familles au soutien scolaire et aux activités périscolaires.

L'accès aux études des enfants issus de familles monoparentales doit lui aussi être encouragé. Des bonifications en faveur des étudiants issus de familles monoparentales sont possibles dans les critères d'attribution des bourses d'enseignement supérieur sur critères sociaux.

B. LA MISE EN oeUVRE DE POLITIQUES PUBLIQUES ADAPTÉES AUX FAMILLES MONOPARENTALES

Outre la mise en place de la carte « familles monoparentales » ouvrant la possibilité de mesures spécifiquement dédiées aux familles monoparentales, les rapporteures recommandent la mise en oeuvre de politiques publiques adaptées aux familles monoparentales et aux problématiques spécifiques qu'elles rencontrent. En effet, si elles existent, les politiques publiques à destination des familles monoparentales ne sont plus en adéquation avec ce modèle familial, pas plus qu'avec la diversité de tous les modèles familiaux que nous connaissons aujourd'hui.

1. Faciliter l'activité professionnelle et la conciliation des temps de vie

En matière d'accès à l'emploi et d'insertion professionnelle, les parents de familles monoparentales doivent pouvoir bénéficier de dispositifs adaptés, car la question du travail est au coeur de leur émancipation économique.

Ainsi que le rappelait Clémence Helfter, sociologue, chargée de recherche à la Cnaf, lors de son audition par la délégation le 14 décembre 2023, « les familles monoparentales sont aujourd'hui en première ligne face aux difficultés d'emploi et de conciliation des temps de vie. Les mères qui élèvent seules leurs enfants sont plus souvent au chômage, en CDD et en temps partiel subi. Elles sont surreprésentées dans les emplois peu qualifiés, socialement et financièrement dévalorisés avec des perspectives d'évolution et de formations limitées ».

De même, dans une étude de 2020 sur la situation socio-économique des familles monoparentales, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a identifié une plus grande fragilité face au chômage des parents isolés et souligné notamment les éléments suivants : « les mères isolées sont davantage au chômage que les mères vivant en couple et elles sont moins nombreuses à être “ au foyer ” ; 40 % du temps partiel des mères isolées est du temps partiel subi contre 22 % pour les mères vivant en couple ; les mères isolées sont davantage concernées par les CDD et moins par les CDI que les autres parents ».

La question de leur insertion professionnelle est donc cruciale et celle de leur accompagnement social également. Or, comme le soulignait devant la délégation, le 14 décembre 2023, Marie-Clémence Le Pape, maîtresse de conférences en sociologie à l'université Lumière Lyon 2, collaboratrice extérieure au Bureau Jeunesse, Famille de la Drees, « alors qu'elles sont sommées de s'insérer sur le marché du travail, les mères seules sont moins souvent orientées vers des accompagnements visant directement l'insertion professionnelle, et plus souvent vers des accompagnements qui visent à travailler leur rapport à la parentalité, pensée comme un préalable à la prise ou à la reprise d'emploi. »

C'est pourquoi les rapporteures plaident pour une plus grande attention portée au développement de dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle spécifiquement dédiés aux parents de familles monoparentales.

Dans une étude publiée le 8 mars 2024, la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF), rappelle que « les mères isolées constituent un public particulièrement éloigné de l'emploi » et qu'ainsi « la question de l'accès à l'emploi des parents isolés est une question éminemment genrée. Les pères isolés sont en effet nettement plus souvent en emploi (81 % contre 67 % en 2020) et moins fréquemment au chômage (10 % contre 18 % en 2020) que les mères isolées. Lorsqu'ils sont en emploi, ces pères isolés sont aussi plus souvent cadres que les mères isolées (18 % contre 10 %), et de fait mieux rémunérés. »

Cette étude souligne, en particulier, le fait que « le manque de solutions de garde est le premier frein à l'emploi des femmes et des mères isolées, qui demeurent la variable d'ajustement gratuite des politiques publiques en matière de parentalité et de la petite enfance. Concilier vie professionnelle, vie personnelle et vie familiale s'avère souvent compliqué pour des mères isolées. Or, l'accès à un emploi dignement rémunéré ou à l'entrepreneuriat est la clé de l'autonomie économique des femmes. (...) Les politiques publiques doivent se concentrer sur le déploiement des modes de garde afin de garantir l'autonomie des femmes et de permettre aux mères isolées d'accéder à un emploi dignement rémunéré. »

De même, lors de son audition par les rapporteures le 11 janvier 2024, Laure Skoutelsky, consultante en monoparentalité et créatrice du site Monoparentalités.com, a indiqué que « le taux de chômage des mères seules est deux fois plus élevé que celui des mères en couple. Ce taux est de 11 % pour les premières contre 5 % pour les secondes, en 2020. En outre, lorsqu'elles ont deux enfants ou plus, dont au moins un de moins de trois ans, le fossé se creuse : 26 % des mères seules sont au chômage, contre 5,6 % des mères en couple. »

Au coeur de la problématique de l'insertion professionnelle et de l'accès à l'emploi, se loge celle de la conciliation vie personnelle/vie professionnelle. Comme évoqué précédemment, les rapporteures estiment indispensable le développement des crèches à vocation d'insertion professionnelle (Avip), notamment en direction des mères isolées et éloignées de l'emploi.

Recommandation n° 8 : Faciliter l'accès des familles monoparentales aux dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle.

2. Développer l'accès à des logements adaptés et soutenir les initiatives d'habitat partagé

Les familles monoparentales sont aujourd'hui particulièrement touchées par le mal-logement et la précarité locative. Elles accèdent aussi beaucoup plus difficilement à la propriété.

C'est pourquoi la délégation estime qu'en matière de politique du logement, le développement de solutions d'habitats partagés et de logements adaptés aux contraintes de la monoparentalité doit être encouragé.

Les rapporteures ont pu visiter, le 12 février 2024, la première résidence destinée uniquement à un public de familles monoparentales. Cette résidence, installée en région parisienne à Poissy, a vocation à accueillir dans des unités privées des parents isolés avec un ou deux enfants et à mettre à leur disposition des espaces de vie partagés avec des services inclus, destinés à rompre l'isolement des familles monoparentales. La notion d'isolement est fréquemment revenue lors des auditions des différents collectifs de familles monoparentales, ainsi que la nécessité de trouver les moyens de le rompre, dans l'intérêt des parents comme dans celui des enfants.

Les rapporteures estiment que ce type d'habitat a vocation à se développer.

LA PREMIÈRE RÉSIDENCE DE « COLIVING » DESTINÉE EXCLUSIVEMENT AUX FAMILLES MONOPARENTALES : COMMUNE À POISSY

Présentée par ses fondateurs comme une première mondiale en matière d'habitat partagé, ou « coliving », exclusivement destiné aux familles monoparentales, la résidence Commune de Poissy a fait l'objet d'une visite par les rapporteures de la délégation le 12 février 2024.

Inaugurée le 7 décembre 2023, cette résidence comprend treize unités d'habitation pouvant accueillir un parent avec un enfant ou un parent avec deux enfants. À ce jour, huit familles monoparentales sont logées dans cet habitat partagé dont le principe est le suivant : des espaces de vie partagés avec des services inclus (salon, salle à manger, cuisine, salle de jeux pour les enfants, espace de coworking, buanderie, jardin) et des unités d'habitation privées comprenant, au minimum, deux chambres, une « kitchenette » et une salle de bain avec douche. Les locataires bénéficient également de services, tels que le ménage des parties communes, l'abonnement à l'internet haut débit, les abonnements aux services de streaming, une assistance juridique et du soutien scolaire le cas échéant.

Destinée à rompre l'isolement auquel peuvent être confrontés les parents isolés immédiatement après une séparation conjugale, la résidence Commune accueille les familles monoparentales, qui respectent un certain nombre de critères, pour une durée située entre un et trois ans.

Estimant que les familles monoparentales constituent un public à fort risque de précarisation, les fondateurs de Commune ont mis ce projet sur pied en l'espace de deux ans, en procédant à une levée de fonds privés (à hauteur de 800 000 euros), sans bénéficier de subventions publiques. Le projet a également bénéficié d'une aide à la dette de Bpifrance à hauteur de 700 000 euros.

L'objectif du projet est de limiter les conséquences sociales, financières et professionnelles que peut engendrer une séparation et permettre aux familles monoparentales de se loger dans des conditions adaptées à leurs besoins.

Le loyer s'élève à 1 190 euros par mois pour un parent seul avec un enfant et à 1 390 euros par mois pour un parent seul avec deux enfants, hébergement, charges et services compris.

La proportion de mères seules avec enfant est de 80 % au sein de la résidence et celle des pères seuls de l'ordre de 20 %, ce qui correspond globalement au ratio constaté dans la population générale des familles monoparentales.

Une nouvelle résidence Commune devrait être inaugurée à Roubaix (Nord) au printemps 2024 avec des loyers moins élevés. L'objectif de la société par actions simplifiées (SAS) à mission spécifique Commune est d'en ouvrir 500 en dix ans, en France et à l'étranger.

Recommandation n° 9 : Encourager les initiatives d'habitat partagé destinées aux familles monoparentales

3. Déployer des actions de soutien à la parentalité

D'après des études sociologiques récentes, les familles monoparentales expriment une forte demande de dispositifs d'aide à la parentalité.

Dans une étude33(*) d'avril 2021 intitulée Opinion des familles monoparentales sur les politiques sociales : un sentiment de vulnérabilité et une attente forte de soutien à la parentalité, et plus récemment au cours d'une audition par la délégation le 16 janvier 2024, la Drees a mis en avant le fait que « les familles monoparentales souhaitent plus souvent que les parents en couple recevoir un soutien en cas de conflits familiaux et/ou de rupture, dans les relations avec l'école et des conseils sur ce qu'il faut interdire ou permettre à leurs enfants. »

Ainsi, l'aide à la parentalité dans les relations avec l'école, la gestion de l'autorité ou celle des conflits familiaux est aujourd'hui plébiscitée par les parents isolés, plus que par les parents en couple.

Dans son étude précitée, la Drees souligne notamment le fait que d'« être une famille monoparentale augmente spécifiquement le souhait de soutien à la parentalité à niveau de vie, sexe et nombre d'enfants comparables ».

Parmi les parents isolés, 47 % auraient aimé ou aimeraient recevoir une aide dans les relations avec l'école contre 36 % parmi ceux en couple. En outre, une fois les caractéristiques sociodémographiques des enquêtés prises en compte, le souhait d'une aide dans la gestion de l'autorité parmi les familles monoparentales est supérieur de 7 points à celui des couples avec enfants. Enfin, plus de sept familles monoparentales sur dix sollicitent un accompagnement sous forme d'entretiens individuels avec des professionnels pour les questions de conflits familiaux.

Une demande plus soutenue par les parents isolés d'aide à la parentalité
dans les relations avec l'école et la gestion de l'autorité34(*)

Source : Baromètre d'opinion de la DREES, 2014-2016-2018

Les rapporteures estiment donc que des actions directes de soutien à la parentalité doivent être développées et proposées aux familles monoparentales, dans les domaines où elles en expriment plus le besoin, à savoir les relations avec l'école, d'une part, et la gestion de l'autorité, d'autre part. De façon générale, ces dispositifs devraient être soutenus et proposés à tous types de familles, que ce soit l'aide à la parentalité, les relations avec l'école, la gestion de l'autorité ou celle des conflits sociaux.

Les associations et acteurs de la parentalité auditionnés par la délégation ont également fait valoir la nécessité pour les parents de familles monoparentales de disposer de temps de « répit » parental. Pour les familles monoparentales, des solutions de « répit » parental ainsi que les activités en « temps partagé » peuvent apporter un soutien parfois indispensable pour un parent qui élève seul ses enfants.

Ainsi, lors de son audition par la délégation le 14 décembre 2023, Sophie Rigard, chargée de projet au Secours catholique, a fait valoir le besoin de temps de répit de ces familles : « Pour ces parents qui vivent dans la précarité et pour qui c'est un combat du quotidien, la charge mentale et matérielle des enfants nécessite d'autant plus des moments pour souffler en sachant que leurs enfants sont pris en charge dans des endroits dédiés, notamment des accueils de jour. Ils peuvent alors avoir des moments de répit qui leur permettent également de remplir toutes les démarches administratives, auprès de la CAF ou pour chercher un emploi, par exemple. »

À cet effet, le Secours catholique a notamment développé, avec les Apprentis d'Auteuil, des maisons des familles qui sont des lieux ouverts d'accueil de jour qui « mettent en place des activités de partage, des moments de répit pour les parents, des ateliers liés à la parentalité ».

Les rapporteures estiment indispensable de développer ce genre de structures d'accueil, ces « maisons de répit », qui permettent aux parents des familles monoparentales de souffler et de disposer de temps pour eux-mêmes.

À cette fin, le pacte des solidarités identifie d'ailleurs des financements dans la convention d'objectifs et de gestion (COG) de la Cnaf.

Interrogé sur ce point précis par la délégation lors de son audition le 25 janvier 2024, le directeur général de la Cnaf, Nicolas Grivel, a indiqué : « avec nos collègues de la Mutualité sociale agricole (MSA), nous menons également des initiatives de répit familial, d'autant plus importantes quand il y a des enfants handicapés. Ces initiatives sont accompagnées au niveau local par les CAF », précisant toutefois qu'« il n'y a pas d'offre de service homogène sur le territoire national (...) le répit familial s'organise au niveau local. Il faut travailler sur des partenariats et des offres locales, car les situations sont très différentes ; ce ne sont pas les mêmes structures qui prennent en charge de petits enfants ou des adolescents. »

Les rapporteures jugent nécessaire de généraliser ces dispositifs sur l'ensemble du territoire national.

La délégation salue également l'existence de dispositifs d'accompagnement des familles monoparentales mis en oeuvre par la Cnaf et qu'elle recommande de développer.

Ainsi, le « parcours séparation », créé en 2021, propose systématiquement aux parents séparés « un accompagnement social et d'accès aux droits, qui peut être très court avec la délivrance de quelques informations ou plus dense si nécessaire », comme le précisait Nicolas Grivel lors de son audition devant la délégation. À cet égard, il a également indiqué : « nous pouvons ainsi repérer des situations difficiles, de violence par exemple. Nous pouvons également faciliter la mise en place d'une démarche de coparentalité. Tout ce que nous mettons en place de manière apaisée est bienvenu. Nous finançons par exemple des espaces de rencontre, pour que les liens ne soient pas rompus. Quelque 400 000 familles entrent tous les ans dans le parcours séparation. »

Recommandation n° 10 : Développer les dispositifs d'aide à la parentalité et de répit parental.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le jeudi 28 mars 2024, sous la présidente de Dominique Vérien, présidente, la délégation a examiné le présent rapport d'information.

Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons ce matin un rapport d'information consacré aux familles monoparentales, présenté par nos collègues Colombe Brossel et Béatrice Gosselin, les deux rapporteures de notre mission « flash » débutée à la mi-décembre.

Le Gouvernement et divers parlementaires travaillent actuellement sur cette thématique et nous souhaitons apporter notre contribution à cette réflexion.

Nous avons mené des auditions pendant trois mois, entendu de nombreuses associations représentant des familles monoparentales ou se mobilisant pour les soutenir, mais aussi la Cnaf (Caisse nationale des allocations familiales), le Haut Conseil de la famille, des sociologues, des économistes et des juristes.

Au terme de ces auditions, nous sommes parvenues à une double conclusion :

- d'une part, le cumul des difficultés et inégalités - inégalités de genre, inégalités professionnelles et inégalités sociales - auxquelles les familles monoparentales font face est sous-estimé ;

- d'autre part, les politiques publiques à destination des familles monoparentales, si elles existent, sont insuffisantes et peinent à soutenir efficacement ce public.

Avant de laisser la parole aux rapporteures qui vous exposeront leurs recommandations, il me semble important de préciser ce qui se cache derrière ce terme générique de « famille monoparentale » qui recouvre une diversité de situations et jette un voile pudique sur les difficultés de celles qui sont très majoritairement des mères isolées dans des situations précaires.

Les familles monoparentales, ce sont désormais une famille sur quatre. Dans 82 % des cas, il s'agit d'une mère vivant seule avec ses enfants, et dans l'immense majorité des cas celle-ci assure seule au quotidien l'éducation des enfants. La situation de résidence alternée - prégnante dans les représentations que nous pouvons avoir - ne concerne en réalité que 10 % des familles monoparentales et même seulement 5 % des mères solos (contre 35 % des pères solos).

Ces familles, ces mères isolées ont des conditions de vie et d'emploi particulièrement dégradées. 46 % des enfants vivant seuls avec leur mère vivent sous le seuil de pauvreté. C'est presque trois fois plus que les enfants qui vivent dans une famille composée d'un couple (avec leurs deux parents ou en famille recomposée). La baisse de niveau de vie est particulièrement marquée l'année de la séparation : les enfants résidant avec leur mère connaissent une baisse de leur niveau de vie de 25 % cette année-là, contre 11 % pour les enfants résidant seuls avec leur père.

Face à cette réalité, l'objectif de notre rapport est triple :

- sortir les familles monoparentales du « ghetto social » dans lequel elles sont aujourd'hui reléguées et changer les représentations sociétales de la monoparentalité ;

- renforcer les mécanismes de solidarité publique et privée pour lutter contre la précarisation des familles monoparentales ;

- enfin, faire de ces familles un public prioritaire pour l'accès à certains droits et services.

Dans cette optique, nos rapporteures vont vous présenter leurs recommandations.

Je précise que vous avez reçu dès hier et avez actuellement sous les yeux l'Essentiel du rapport, c'est-à-dire sa synthèse, ainsi que la liste des recommandations.

Je laisse la parole à la rapporteure Béatrice Gosselin.

Béatrice Gosselin, rapporteure. - Merci Madame la Présidente. Chers collègues, afin de soutenir le niveau de vie des familles monoparentales, nous souhaitons renforcer les mécanismes de solidarité publique et privée, c'est-à-dire :

- d'une part, le système sociofiscal, qu'il s'agit de rendre plus lisible et plus juste ;

- et, d'autre part, la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ou CEEE, plus communément appelée « pension alimentaire », que nous souhaitons davantage sécuriser.

Les deux principaux dispositifs publics destinés aux parents isolés sont la demi-part fiscale supplémentaire - la fameuse case T de la déclaration de revenus - et l'allocation de soutien familial (ASF), d'un montant de 187,24 euros - sur laquelle je reviendrai.

Les familles monoparentales peuvent également bénéficier de majorations de plafonds de ressources, de montants ou de durée de versement pour une dizaine de prestations. C'est le cas notamment pour le RSA et la prime d'activité, dont le montant est majoré. C'est le cas également pour le Complément de libre choix de mode de garde (CMG), pour lequel les familles monoparentales bénéficient d'une majoration des plafonds de ressources, d'une majoration du montant ainsi que, désormais, d'une majoration de durée, jusqu'aux 12 ans de l'enfant, ce dont nous nous félicitons.

Cependant, ces différents dispositifs sont mal maîtrisés, y compris par les personnes concernées que nous avons entendues en audition. Le taux de non-recours au RSA et à l'ASF est d'au moins 15 %.

Nous recommandons donc de mener des campagnes d'accès aux droits, afin de faire connaître ces dispositifs et de lutter contre la problématique du non-recours. Nous pensons que les algorithmes des CAF (Caisses d'allocations familiales), dont nous avons beaucoup parlé récemment, doivent être un levier d'activation des droits plutôt qu'une stigmatisation de certains cas.

J'en viens maintenant au sujet de l'allocation de soutien familial (ASF), qui a fait l'objet de débats importants entre nous.

Cette allocation est versée aux parents veufs ou séparés, assumant seuls la charge de leurs enfants. Au fil du temps, elle est devenue une sorte de « pension alimentaire minimale » versée par la solidarité publique au bénéfice des enfants privés du secours de l'un de leurs parents, dans la majorité des cas parce que celui-ci est décédé, inconnu ou bien insolvable.

Cependant, alors que les pensions alimentaires demeurent dues lorsque le parent gardien se remet en couple, le versement de l'ASF est, lui, suspendu dès la remise en couple du parent gardien, alors même que le nouveau compagnon n'a aucune obligation de participer aux frais d'entretien des enfants.

C'est la raison pour laquelle plusieurs associations représentant les familles monoparentales appellent au maintien du versement de l'ASF lors de la remise en couple du parent gardien. Ma collègue rapporteure Colombe Brossel y est favorable.

Pour ma part, je suis plus mesurée car nous n'avons pas d'évaluation du coût d'une telle mesure pour les finances publiques et nous pourrions par ailleurs créer de nouveaux effets de distorsion entre familles.

Nous nous sommes donc accordées, avec ma collègue rapporteure, sur le principe d'une expérimentation du maintien provisoire du versement de l'ASF, pendant six mois, après la remise en couple du parent gardien. Cette expérimentation, assortie d'une évaluation chiffrée, nous permettra de prendre des décisions éclairées sur d'éventuelles évolutions complémentaires.

Une autre problématique qui ressort de nos auditions concerne la prise en compte des pensions et de l'ASF par le système sociofiscal et tout particulièrement dans les « bases ressources », c'est-à-dire dans les ressources examinées pour le bénéfice de diverses prestations sociales.

Actuellement, la pension est incluse dans les bases ressources s'agissant à la fois du père qui la verse et de la mère qui la perçoit. Des études économétriques montrent que, pour une mère au niveau du Smic, chaque euro perçu de pension diminue son revenu disponible de 30 centimes en raison d'effets de seuil lui faisant perdre le bénéfice de certaines prestations. Il ne nous semble donc ni juste ni souhaitable pour les finances publiques qu'une mère ait davantage intérêt à solliciter la solidarité publique qu'à bénéficier de la contribution que le père doit à son enfant. Nous préconisons donc un abattement des pensions prises en compte dans les bases ressources des prestations telles que les prestations familiales et les aides au logement. Cet abattement pourrait être à hauteur du montant de l'ASF, soit 187,24 euros.

Après avoir évoqué le système sociofiscal, j'en viens au principal mécanisme de solidarité privée destiné à soutenir le niveau de vie des familles monoparentales : la CEEE (contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant) ou, plus simplement, « pension alimentaire ». Il nous semble en effet important d'insister sur la responsabilité des deux parents, et non uniquement de la mère, dans la prise en charge de leurs enfants, ce qui passe notamment par cette contribution financière.

Nous recommandons de faire évoluer et d'unifier les barèmes de calcul de la CEEE mis en place par le ministère de la justice et par les CAF, et qui servent de référence pour les juges aux affaires familiales (JAF) et pour les parents.

Le montant moyen de la CEEE est de seulement 190 euros par mois et par enfant, alors que le coût d'un enfant varie de 200 à 900 euros selon les revenus des parents et leur situation géographique notamment, avec une moyenne autour de 750euros.

En effet, le barème ne tient compte, de façon visible, que des ressources du parent non-gardien, déduction faite d'un revenu minimal, amenant les JAF à renoncer à demander une pension aux pères à revenus modestes, et ce même lorsque les revenus de la mère sont tout aussi modestes voire davantage.

Ensuite, le barème tient compte du nombre d'enfants et de l'amplitude du droit de visite et d'hébergement, mais pas des dépenses liées à l'enfant. Si le JAF se penche sur ces dépenses, il ne s'intéresse qu'à l'alimentation et aux vêtements, alors qu'il nous semble légitime qu'un parent contribue également aux loisirs et à tout ce qui participe au développement et à l'épanouissement de son enfant.

Enfin, nous recommanderons la réalisation d'un bilan annuel de l'Aripa, l'intermédiation financière mise en place pour le versement de la CEEE.

Cette intermédiation n'est automatique que depuis janvier 2023, il est donc encore trop tôt pour envisager une nouvelle réforme, mais si les services ne s'attaquent pas au « stock » au-delà du « flux » de nouvelles pensions et si le taux d'impayés ne diminue pas drastiquement, il faudra se poser la question de l'efficacité de ce système et de la pertinence de passer à un prélèvement à la source des pensions, sur le modèle québécois, que je trouve particulièrement intéressant. Avant l'Aripa, 30 à 40 % des pensions n'étaient pas ou pas toujours payées. La COG (convention d'objectifs et de gestion) entre l'État et la Cnaf signée en juillet 2023 a pour objectif de diminuer ce taux à 21 % en 2027. Cela représentera encore une pension sur cinq ! Nous pensons que nous pourrions être plus ambitieux.

Je laisse maintenant la parole à ma collègue rapporteure Colombe Brossel qui abordera la question du statut des familles monoparentales et la possibilité d'en faire un public ciblé dans l'accès à l'emploi et aux services.

Colombe Brossel, rapporteure. - Au cours de nos travaux sur les familles monoparentales, nous avons pris conscience du poids des représentations sociétales négatives et de la stigmatisation qui pèsent sur elles. Les deux mots qui sont revenus le plus souvent, au cours de nos auditions, étaient en effet : isolement et stigmatisation.

Les familles monoparentales se heurtent, avant tout, à un défaut de reconnaissance alors même qu'elles s'inscrivent dans les normes de la parentalité contemporaine.

Ce défaut de reconnaissance explique sans doute pourquoi les politiques publiques à destination des familles monoparentales, si elles existent, peinent aujourd'hui à atteindre leurs objectifs et à soutenir efficacement ce public, dans sa globalité et sa multi-dimensionnalité.

C'est pourquoi nous proposons une adaptation des politiques publiques destinées aux familles monoparentales et, en premier lieu, la création, à titre expérimental, d'une carte de « familles monoparentales » facultative et renouvelable, permettant de matérialiser et d'objectiver la situation familiale d'un parent élevant seul son ou ses enfants.

La détention de cette carte, dont l'obtention relèverait d'une démarche volontaire de la part du parent, ferait l'objet d'un renouvellement annuel et serait soumise au respect de conditions préalablement définies permettant de caractériser une situation effective de monoparentalité.

L'intérêt de cette carte serait de proposer une solution pragmatique et opérationnelle aux familles monoparentales.

Cette carte permettrait par exemple de bénéficier de tarifs préférentiels spécifiques pour l'accès à certains services et prestations (cantine scolaire, transports publics et collectifs, mutuelles, loisirs, colonies de vacances, activités périscolaires, activités sportives et culturelles, etc.).

Nous nous sommes bien sûr interrogées sur l'opportunité de créer un véritable statut juridique de famille monoparentale car il existe aujourd'hui un débat sur cette question.

Mais, faute d'évaluation aboutie, à ce stade, du levier juridique, du périmètre et du coût d'un tel statut, nous avons opté pour une solution pragmatique : l'instauration, à titre expérimental, de cette carte. Nous estimons que cette évaluation relève d'une mobilisation interministérielle et resterons bien sûr attentives aux prochains travaux entrepris sur ce sujet, à la fois par le Gouvernement et par nos collègues parlementaires. Il faudrait une vraie étude d'impact sur la mise en place d'un tel statut.

Nous recommandons donc, dans le cadre du présent rapport, une expérimentation de la délivrance de cette carte afin d'en évaluer l'impact et le coût pour les acteurs concernés par sa mise en place (employeurs, collectivités territoriales, services publics).

Sur le fondement de cette carte, nous préconisons des mesures dans différents domaines.

Les employeurs qui le souhaitent pourraient proposer à leurs salariés monoparentaux, dans le cadre par exemple de leur politique de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ou de leurs accords sur l'égalité professionnelle, des mesures permettant de tenir compte de leur situation particulière : horaires aménagés, recours plus souple au télétravail, doublement des jours pour enfants malades, développement de dispositifs spécifiques de conciliation vie professionnelle/vie familiale, etc.

Lors de nos auditions, nous avons en effet relevé que des employeurs souhaitaient proposer des dispositifs plus souples à leurs salariés parents isolés mais rencontraient des difficultés faute de savoir précisément comment les identifier et par crainte d'être accusés de discrimination.

D'autres dispositifs déjà existants pourraient, par ailleurs, être généralisés :

- la priorisation, par les bailleurs sociaux, des familles monoparentales dans l'attribution de logements sociaux sur le fondement, par exemple, de points supplémentaires accordés aux familles monoparentales au sein des systèmes de cotation des demandes de logement social élaborés par les EPCI ;

- l'accès des familles monoparentales au service public de la petite enfance (crèches et/ou assistantes maternelles) et à des modes de garde d'enfants adaptés à leurs spécificités, au-delà de la seule petite enfance, pourrait être facilité avec la définition de critères de priorité dans les barèmes de crèches - notamment les crèches à horaires élargis ou celles à vocation d'insertion professionnelle - de centres de loisirs et autres modes d'accueil périscolaire.

Nous recommandons également la mise en oeuvre de politiques publiques véritablement adaptées aux familles monoparentales et au cumul de difficultés qu'elles connaissent.

En matière d'accès à l'emploi et d'insertion professionnelle, les parents isolés peuvent bénéficier de dispositifs sur mesure (parcours d'insertion et de formation) car, on le sait, la question du travail est au coeur de leur émancipation économique. Nous estimons nécessaire que ces dispositifs se développent encore.

Les familles monoparentales sont aujourd'hui en première ligne face aux difficultés d'emploi et de conciliation des temps de vie. Les mères qui élèvent seules leurs enfants sont plus souvent au chômage, en CDD et en temps partiel subi. Elles sont surreprésentées dans les emplois peu qualifiés, socialement et financièrement défavorisés avec des perspectives d'évolution et de formations limitées.

En matière de politique du logement, le développement de solutions d'habitats partagés et de logements adaptés aux contraintes de la monoparentalité doit être encouragé. Ce type de dispositif commence à se développer dans notre pays et nous avons d'ailleurs pu en visiter un. Ces projets permettent de rompre l'isolement des familles monoparentales.

Enfin, d'après des études sociologiques récentes, les familles monoparentales expriment une forte attente de soutien à la parentalité. Nous estimons que ces dispositifs doivent être soutenus et proposés à toutes les familles, que ce soit l'aide à la parentalité, les relations avec l'école, la gestion de l'autorité ou celle des conflits sociaux.

Enfin, pour les familles monoparentales, des solutions de « répit » parental ainsi que les activités en « temps partagé » peuvent apporter un soutien parfois indispensable pour un parent qui élève seul ses enfants.

Telles sont nos principales recommandations de nature à rompre l'isolement des familles monoparentales.

Nous sommes bien sûr à votre disposition pour développer davantage l'une ou l'autre de nos recommandations.

Marie-Pierre Monier. - Bravo pour ce travail approfondi, réfléchi et argumenté, parfaitement en phase avec les préoccupations de notre délégation.

J'ai été surprise de constater l'évolution de la composition familiale depuis les années 1970, époque où les familles monoparentales représentaient moins de 10 % des familles contre un quart aujourd'hui, ce qui témoigne d'une véritable transformation de notre société.

Comme l'invite à le faire le titre de votre rapport, il va falloir désormais changer de représentation sociétale et mettre fin à cette stigmatisation des familles monoparentales, dénoncée de manière récurrente tout au long des auditions menées. Lors des émeutes de l'été 2023, on a souvent incriminé, dans les quartiers, les familles jugées défaillantes et manqué de compréhension vis-à-vis des difficultés quotidiennes que rencontrent ces mères, seules dans la plupart des cas.

S'agissant de votre recommandation de création d'une carte de famille monoparentale, j'ai bien compris qu'elle pourrait s'avérer compliquée à mettre en oeuvre mais je pense qu'il est nécessaire d'ouvrir des droits supplémentaires pour ces familles afin de répondre concrètement aux difficultés auxquelles ce modèle familial, aujourd'hui prégnant dans notre société, doit faire face, en matière de transports, de loisirs, de restauration scolaire, etc.

Je souhaiterais savoir si vous avez des précisions à nous apporter sur la manière dont cette carte pourra répondre à ces besoins ainsi que sur les leviers d'incitation envisagés à destination des entreprises pour aider les mères isolées ?

Concernant la recommandation de maintien provisoire du versement de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien, vous prévoyez une expérimentation qui, il me semble, pourrait remédier à l'injustice actuelle qui pénalise les mères dont le nouveau concubin refuse de participer financièrement à l'éducation des enfants de la première union et les place de fait en situation de dépendance économique. Sans oublier les cas de situations conflictuelles ou de violences intrafamiliales dans lesquels la mère se trouve face au choix douloureux de subvenir aux besoins de ses enfants ou de se remettre en couple.

J'ai apprécié vos recommandations portant spécifiquement sur la responsabilisation du parent non-gardien : il est non seulement invraisemblable aujourd'hui qu'un parent non-gardien solvable sur quatre ne verse pas de pension alimentaire mais aussi que son montant moyen soit seulement de 190 euros par mois par enfant. Il est donc indispensable de réévaluer le barème de calcul de la CEEE !

Je suis également favorable au bilan annuel de l'Aripa, à l'évaluation de ses objectifs de recouvrement des impayés de pension et à la mise en place du prélèvement à la source si ces objectifs ne sont pas atteints.

Je conclurai en soulignant qu'il s'agit d'un excellent rapport qui deviendra, j'en suis sûre, un document de référence, comme tous ceux que produit notre délégation.

Marc Laménie. - Je me joins aux félicitations exprimées par notre collègue pour saluer le travail d'investigation fourni par les rapporteures en si peu de temps, les problématiques humaines qu'elles ont permis de mettre en évidence et les dix recommandations formulées.

En ce qui concerne les dispositifs fiscaux et sociaux, en dépit du volume des lois de financement de la Sécurité sociale ou des lois de finances qui traitent pourtant d'une multitude de sujets, les problématiques de familles monoparentales sont peu identifiées. De même, on constate une multiplicité des interlocuteurs et des acteurs - collectivités territoriales, opérateurs publics, grandes administrations, associations - dans laquelle il est parfois difficile pour les familles de se retrouver.

Olivia Richard. - Issue moi-même d'une famille monoparentale et entourée de femmes qui élèvent quasiment seules leurs enfants, ce modèle de famille relève pour moi d'une certaine normalité. Or, au cours de ces travaux, j'ai pu prendre conscience du poids de la stigmatisation subie encore aujourd'hui par ces familles.

Merci d'avoir mis en lumière les défis que ces femmes - car ce sont essentiellement des femmes - vivent au quotidien. Il y a des évidences qui méritent d'être énoncées : lorsqu'un enfant « coûte » 750 euros par mois et qu'une pension alimentaire « rapporte » 190 euros par enfant, le reste à charge est évidemment assumé par la mère. De même, il aura fallu que je devienne mère pour réaliser que les jours pour enfants malades sont un vrai problème lorsqu'on élève seule un enfant.

Vos questions sont justes mais je m'interroge : au regard de l'état actuel des finances publiques et dans la perspective des restrictions budgétaires qu'on nous annonce, quels moyens pourra-t-on déployer pour corriger ces situations ?

Je dresserai enfin un parallèle avec notre thématique de travail sur les femmes dans la rue car nos travaux se répondent : faute d'accompagnement et de prise en charge, il arrive trop souvent que des femmes qui quittent un mari violent pour mettre en sécurité leurs enfants se retrouvent à la rue.

Colombe Brossel, rapporteure. - Merci pour ces commentaires élogieux. Pour revenir sur les propos de notre collègue Marc Laménie, il existe déjà en effet un socle de dispositifs mis en place par les différentes collectivités, EPCI, etc. mais la carte « famille monoparentale » permettrait de les rassembler de manière simple et lisible. De même, nombre d'entreprises privées, dans le cadre de la RSE, ont déjà travaillé sur des dispositions comme les assouplissements d'horaires, l'accès au télétravail ou la majoration du nombre de jours pour enfants malades, mais ces entreprises nous disent qu'elles ont besoin d'un cadre qui les sécurise en tant qu'acteur économique. L'idée serait donc d'entraîner une dynamique en prenant tous les dispositifs de politique publique ou privée existants, afin de construire une offre à destination des familles monoparentales, comme a pu se construire par exemple l'offre à destination des familles nombreuses.

Pour répondre à Olivia Richard sur le coût de ces dispositifs d'accompagnement pour les finances publiques, nous avons travaillé dans le sens d'un rééquilibrage de la responsabilité privée, c'est-à-dire celle des parents non-gardiens : je le dis très fermement, il n'y a pas de raison que la solidarité publique prenne à ce point le relai des parents non-gardiens qui ont des devoirs en matière d'éducation de leurs enfants.

Béatrice Gosselin, rapporteure. - Un mot sur les impayés de pensions alimentaires : on constate que, dans un certain nombre de cas et pour diverses raisons, comme la peur du conflit avec l'ex-conjoint par exemple, des mères ne réclament pas les sommes auxquelles elles pourraient prétendre. Dans ces cas-là, l'intermédiation de la CAF est très utile. Malheureusement, on sait que le taux d'impayés ne devrait pas descendre en-deçà de 21 % d'ici 2027 - au vu des objectifs fixés dans la COG entre l'État et la Cnaf. Il me semble donc que le prélèvement à la source des pensions serait une bonne solution. Les services de la DGFiP (Direction générale des finances publiques) savent parfaitement gérer le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, cela ne devrait donc pas poser de problème pour le recouvrement des pensions alimentaires.

Je vous rejoins sur la nécessité de réévaluer le montant de la CEEE et sur la nécessité de responsabiliser le parent non-gardien.

Sylvie Valente Le Hir. - Merci pour ce beau travail !

J'approuve pleinement cette idée de carte famille monoparentale, notamment dans le cadre de la politique RSE, j'espère donc qu'elle sera très rapidement expérimentée et le plus largement possible.

S'agissant des dispositifs d'insertion professionnelle, des initiatives en matière d'habitat partagé et des accompagnements à la parentalité, pour favoriser notamment le répit parental : comment envisagez-vous concrètement leur mise en place ?

Adel Ziane. - Je suis très heureux que ce travail de fond aboutisse à un rapport et des recommandations consensuels. J'en ai personnellement beaucoup parlé dans mon territoire et j'ai pu constater de grandes attentes de la part des élus sur le terrain.

Je tiens particulièrement à souligner l'importance de la recommandation relative aux campagnes d'information sur l'accès aux droits à destination des parents isolés : beaucoup de familles monoparentales n'entament pas les démarches car elles ne connaissent pas leurs droits. Nous devrons donc tous communiquer efficacement auprès de ces familles dans nos différents territoires.

Deux points me semblent essentiels : la réévaluation du barème de calcul de la CEEE et la question de l'abattement sur son montant pris en compte dans les bases ressources. Il faut mettre en lumière à la fois l'écart considérable entre le montant de la pension alimentaire et le coût réel d'un enfant, mais aussi les difficultés de recouvrement, notamment dans les situations de conflit familial ou de difficultés relationnelles. Je suis tout-à-fait d'accord avec ce qui a été dit : les services fiscaux savent très bien prélever à la source quand il le faut !

Nous avons aussi évoqué les dispositifs d'aide à la parentalité et notamment les maisons de répit, je pense que ces dispositifs doivent être développés.

Enfin, étant moi-même issu d'une famille monoparentale, j'ai été conduit à m'interroger et à réfléchir sur la place des enfants dans ces familles : qu'est-ce qu'être un enfant de famille monoparentale ? C'est, je le pense, une réflexion qu'il faudra conduire.

Gilbert Favreau. - Je joins mes félicitations à celles qui vous ont été précédemment adressées par nos collègues.

Je voudrais aborder le sujet sous un angle très pragmatique. Il me semble que les recommandations listées sont très complètes mais je souhaite revenir sur le problème du manque d'information, que l'on constate à plusieurs stades : au premier niveau, c'est-à-dire au stade judiciaire, au moment du divorce - il y a de grands progrès à faire pour que les avocats prennent le temps d'informer leurs clients sur les droits et démarches - mais aussi au stade du recouvrement des pensions alimentaires, qui connait de graves défaillances.

S'agissant des mesures, il y a deux types de contributeurs : le père, dans la majorité des cas, et les services publics. Dans la mesure où l'on observe que, dans de nombreux cas, la mère préfère ne pas solliciter le père, il faudrait prévoir un dispositif mensuel pour s'assurer du règlement de la pension par le père et, en cas de non-paiement constaté, un basculement automatique vers un système de prélèvement à la source, par la CAF ou la DGFiP selon la situation économique du père.

Pour les mesures qui relèvent des administrations publiques ou des services sociaux, qui seront prises soit par la voie réglementaire soit par la voie législative, il faudra être prudent et ne pas proposer de dispositifs trop systématiques - je pense aux saisies et à la généralisation ou à l'augmentation de certains avantages sociaux et fiscaux - car nous risquons, dans le processus parlementaire, de nous heurter à des oppositions. Le maintien de l'ASF au parent gardien en cas de remise en couple, par exemple, me semble constituer un sujet extrêmement sensible.

Béatrice Gosselin, rapporteure. - En effet, c'est bien ce dernier point qui a été l'objet des plus grands débats entre nous et c'est pourquoi nous proposons une expérimentation afin de pouvoir, dans un premier temps et avant toute décision définitive, mesurer l'impact financier de cette mesure et ses implications en matière d'équité entre les familles.

Concernant les mesures d'organisation et plus particulièrement, d'urbanisme, je pense qu'il faut favoriser l'installation de maisons réservées aux parents solos, dans nos territoires urbains et ruraux. Il ne s'agit pas de créer un ghetto mais d'encourager des lieux de répit, qui permettent de rompre l'isolement de ces familles et d'alléger leur quotidien en proposant des échanges de services.

J'ai découvert dans mon département une structure qui permet à des parents isolés de se rencontrer régulièrement, avec des éducateurs qui prennent en charge les enfants, afin d'apporter une respiration et un échange entre parents. Ce n'est pas compliqué à mettre en place. C'est simplement une autre conception de l'organisation familiale, rendue nécessaire par l'évolution de notre société.

Colombe Brossel, rapporteure. - Sur l'insertion professionnelle, sur laquelle notre collègue Sylvie Valente Le Hir nous a interrogées, les chercheuses qui ont travaillé pour la Cnaf et que nous avons auditionnées nous ont expliqué qu'il y a vingt ans, les mamans solos travaillaient plus que les mères de famille en couple. Mais depuis, les courbes se sont croisées et aujourd'hui le taux de chômage est plus important chez les mamans solos. C'est principalement à cause du problème du mode de garde, absolument indispensable pour s'engager sur la voie de l'insertion professionnelle et du retour à l'emploi.

C'est pourquoi nous avons souhaité reparler des crèches à vocation d'insertion professionnelle, destinées à accueillir les enfants pendant que les parents suivent un parcours d'insertion professionnelle. La ministre Aurore Bergé s'est d'ailleurs engagée, lors de son audition par la délégation le 21 mars 2024, sur la création de dix mille places supplémentaires dans ces crèches. Il est vrai que ce sont des structures davantage adaptées aux zones urbaines que rurales, l'enjeu consistera donc à réussir à coordonner la cartographie des zones d'implantation de ces crèches avec celle des zones où se trouvent les formations d'insertion professionnelle. C'est en tout cas un dispositif que nous souhaitons encourager car il fonctionne et nous suivrons la mise en oeuvre des engagements pris par la ministre avec attention.

Un deuxième point que je voulais aborder concerne la dénomination. En effet, les familles monoparentales recouvrent des réalités bien différentes qui se retrouvent dans la diversité des terminologies employées pour les nommer : familles monoparentales, parents solos, parents isolés, parents gardiens... Nous avons choisi le terme qui nous semble le plus neutre et le plus universel, « famille monoparentale », qui est celui employé par l'Insee et la CAF.

Gilbert Favreau. - Une précision : en zone rurale, il existe déjà des maisons d'assistantes maternelles qui pourraient peut-être, à voir avec la CAF, jouer le rôle d'accueil sur des horaires décalés par exemple.

Dominique Vérien, présidente. - Les services du département de l'Yonne, à 95 % rural, ont engagé une étude sur l'accompagnement des bénéficiaires du RSA depuis plus de deux ans et ont découvert à cette occasion que la grande majorité de ces bénéficiaires étaient des mères de famille sans solution de garde. Car, en effet, les seuls emplois qui leurs sont proposés sont des emplois non qualifiés, de services d'accompagnement à la personne, à horaires atypiques tôt le matin ou bien tard le soir, ce qui nécessite d'avoir une solution de garde, qui soit n'existe pas, soit ne leur est tout simplement pas accessible au regard de son coût. Cette étude a contribué à changer la représentation traditionnelle qu'on pouvait avoir des personnes bénéficiaires du RSA et je m'en félicite.

Annie Le Houerou. - Bravo pour ce travail. Sur la question du statut qui vous a conduit à préférer le système de la carte famille monoparentale, il est vrai qu'il y a une revendication à ne pas être enclavé dans un statut car la monoparentalité est une situation qui peut être transitoire.

Je salue votre proposition de revaloriser le barème de fixation des pensions alimentaires qui est ridiculement bas mais j'aimerais revenir sur l'Aripa : aujourd'hui en cas de non-paiement de la pension, il faut tout de même faire une démarche auprès de la CAF, ce qui ne règle pas le souci de retard de versement ni le fait que, finalement, la femme doit toujours justifier du non-paiement du parent défaillant. Ne faudrait-il pas, comme c'est le cas au Québec, automatiser ce recours et le déclenchement de l'Aripa ?

Pourriez-vous par ailleurs nous préciser comment favoriser les solutions d'habitat partagé, qui me semblent constituer une offre très intéressante, pour pouvoir nous donner des idées dans nos collectivités ?

Enfin, s'agissant de l'aide au répit parental, cela pourrait inspirer nos conseils départementaux pour mettre en oeuvre des dispositifs d'accompagnement éducatif de groupe, par exemple dans le cadre de la protection de l'enfance, sans vouloir faire d'amalgame bien sûr car la monoparentalité n'est pas forcément synonyme de situation problématique.

Agnès Evren. - Je tiens à vous féliciter pour la qualité de ce rapport, très précis et technique.

Malheureusement, il y a beaucoup de représentations stéréotypées, d'idées reçues sur les familles monoparentales, qui ne sont toujours pas considérées comme un modèle de famille comme un autre.

Comment se situe-t-on par rapport aux autres pays européens, et desquels, selon vous, pourrait-on s'inspirer en matière de politiques publiques ?

Béatrice Gosselin, rapporteure. - En ce qui concerne l'Aripa, nous avons auditionné la CAF qui estime que le déclenchement est assez rapide mais ce n'est pas forcément ce qui ressort des témoignages que nous avons recueillis. Ce n'est pas un dispositif si simple à mettre en place en effet, et il faudrait que cela aille plus vite ! Nous n'avons pas encore de solution pour l'automatiser.

Colombe Brossel, rapporteure. - Avec le modèle québécois, qui repose sur une automatisation du prélèvement à la source, 95 % des pensions sont payées. Nous n'avons pourtant pas choisi de vous proposer d'emblée ce système car l'Aripa n'est pleinement opérationnelle que depuis un an et nous pensons qu'il est trop tôt pour changer un modèle qui a mis plusieurs années à se mettre en place puisqu'il a été voté en 2016. 1 000 ETP ont été déployés par les CAF, il faut leur laisser le temps de mettre pleinement en oeuvre ce dispositif et ce ne serait pas raisonnable d'y mettre fin dès aujourd'hui. Notre recommandation ouvre cependant une possibilité pour mettre en place un prélèvement à la source automatique si nous ne constatons pas d'évolution positive.

S'agissant de l'habitat partagé, ce qui est intéressant c'est que ce sont essentiellement des initiatives privées, qui répondent à un besoin. Nous avons visité la maison « Commune » de Poissy mais il y a aussi un projet en construction dans le nord de la France, à Roubaix. Il s'agit d'un vrai lieu d'habitation à soi avec des services en commun : une immense cuisine pour dîner ensemble si on le souhaite, un espace pour les enfants, une buanderie partagée... Ces services sont aussi une réponse aux problématiques économiques très concrètes que vivent les familles monoparentales.

Lorsque nous avons interrogé la cofondatrice de la maison « Commune » sur l'aide que nous pourrions apporter à son projet, elle a manifesté le souhait de rester dans le domaine privé mais a indiqué vouloir surtout convaincre les collectivités de l'utilité de ce projet afin de pouvoir bénéficier de facilités, notamment en matière d'accès au foncier.

Béatrice Gosselin, rapporteure. - Je regrette seulement que ce dispositif, néanmoins très intéressant, ne puisse être accessible à tous financièrement, car en dépit de la perception des aides aux logement, cela suppose d'avoir tout de même un revenu un tant soit peu confortable. Ce projet mérite sans doute de mûrir, car il est encore très récent.

Colombe Brossel, rapporteure. - Pour répondre enfin rapidement à Agnès Evren, la France, tant en termes de proportion de familles monoparentales que de politiques d'accompagnement, se situe à mi-chemin entre les deux modèles, celui du Sud traditionnellement basé sur la solidarité familiale et celui du Nord, davantage axé sur des politiques publiques volontaristes.

Dominique Vérien, présidente. - Je voudrais à mon tour remercier les rapporteures de cette mission flash pour leur engagement et leur important travail sur ce sujet.

Sachez que nous avons rencontré notre collègue Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, au moment où nous avons eu notre débat sur le maintien de l'ASF, et qu'il approuve notre recommandation d'un maintien temporaire.

On voit bien que c'est un sujet davantage d'ordre privé que public : comment mettre chacun devant ses responsabilités, et particulièrement les pères ? Ce sont essentiellement des systèmes privés et associatifs qui se mettent en place, tant en ce qui concerne les habitats partagés que les crèches en territoire rural, ce qui prouve bien que notre délégation est totalement en phase avec la société actuelle et les préoccupations de nos concitoyens.

La ministre Sarah El Haïry, en charge de l'enfance, de la jeunesse et des familles, m'a d'ailleurs indiqué qu'elle souhaitait que nous puissions lui remettre le rapport dès qu'il sera publié.

Nous en venons à l'adoption du rapport et de ses dix recommandations. Vous avez sous les yeux l'Essentiel et la liste des recommandations, et en avez également été destinataires hier.

Avez-vous des commentaires ou des modifications à proposer ?

Il n'y en a pas, le rapport et ses conclusions sont donc adoptés.

S'agissant du titre, les rapporteures vous proposent : Familles monoparentales : pour un changement des représentations sociétales. Nous avons en effet été marquées, tout au long de nos travaux, par la stigmatisation que ressentent les familles monoparentales et la nécessité de faire évoluer les regards portés sur ces familles qui constituent désormais un modèle familial parmi d'autres. Cette proposition vous convient-elle ? Je constate un accord unanime sur ce titre.

Nous en avons donc fini avec l'examen de ce rapport d'information.

Merci à toutes et tous !

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

14 décembre 2023

Audition des co-auteures pour la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) d'un rapport sur les familles monoparentales

Catherine COLLOMBET

Sous-directrice au sein de la Mission des relations européennes, internationales et de la coopération de la Cnaf

Clémence HELFTER

Conseillère technique recherche au département de la recherche de la Direction des statistiques de la Cnaf

Marie-Clémence LE PAPE

Collaboratrice extérieure du bureau famille et jeunesse de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees)

Secours catholique - Caritas France

Raphaël BADAOUI

Chargé d'études statistiques

Sophie RIGARD

Chargée de projet Accès digne aux revenus

11 janvier 2024

Auditions des rapporteures

Laure SKOUTELSKY

Consultante formatrice, créatrice du site Monoparentalités.com

Mona HITTI-BERNIA

Directrice générale du Réseau Môm'artre

Virginie BOTTI

Responsable des établissements du Réseau Môm'artre

Sandra GIDON

Directrice de l'Association d'accompagnement global contre l'exclusion (Adage)

Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (Favec)

Gilberte DUVAL

Vice-présidente

Jacqueline BELLANGER

Secrétaire générale

16 janvier 2024

Auditions des rapporteures

Association Collective des mères isolées

Dorothée NOËL

Présidente

Christine CHALIER

Vice-présidente

Aurélie GIGOT

Membre de l'association

Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees)

Emmanuelle NAUZE-FICHET

Cheffe du Bureau jeunesse et famille

Claudine PIRUS

Auteure de l'étude Opinion des familles monoparentales sur les politiques sociales (2021)

16 janvier 2024

Danielle BOYER

Ethnologue, cheffe de projet à la Direction des statistiques, études et recherches de la Cnaf, responsable de l'Observatoire national de la petite enfance (Onape)

Alexandra PIESEN

Docteure en sociologie à l'université Paris Cité, chercheure associée au Centre de la recherche sur les liens sociaux (Cerlis)

18 janvier 2024

Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM)

Olivia BARREAU

Administratrice

Véronique OBÉ

Administratrice

Fonds Femmes & Avenir

Angélique GASMI

Présidente exécutive

Julie CAPUTO

Directrice marketing et petite enfance du groupe La Maison bleue

25 janvier 2024

Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA)

Hélène PÉRIVIER

Présidente du Conseil de la famille

Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf)

Nicolas GRIVEL

Directeur général

2 février 2024

Auditions des rapporteures

Collectif pour une PArentalité Féministe (Le PA.F)

Marie-Nadine PRAGER

Présidente

Aurélia SEVESTRE

Journaliste

Noémie KHENKINE-SONIGO

Avocate, spécialiste du droit de la famille, fondatrice de Team'Parents

Réseau des maisons Familya

Thierry VEYRON LA CROIX

Président fondateur

Benoît VISSAC

Directeur général

Corine de BERNARDI

Avocate et conseillère

5 février 2024

Auditions des rapporteures

Observatoire de la qualité de vie au travail (OQVT)

- Catherine MARSAULT

Déléguée générale

Union nationale des associations familiales (Unaf)

Mylène ARMANDO

Administratrice, membre du Département Parentalité - Enfance

Pierre FLAMAND

Chargé de mission du Pôle Droit de la famille - Parentalité - Protection de l'enfance

- Claire MÉNARD

Chargée des relations parlementaires

9 février 2024

Audition des rapporteures

- Isabelle SAYN

Directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) - Centre Max Weber

18 mars 2024

Audition des rapporteures

Conseil national des villes (CNV)

- Fabienne KELLER

Vice-présidente, députée européenne et questeure

- Rachid BOUSSAD

Vice-président, représentant du collège Habitants

- Patrick BRAOUEZEC

Président d'honneur

- Valérie DELION-GRELIER

Secrétaire générale

- Marion MANGIN

Cheffe de projets

Déplacement à la maison COMMUNE à Poissy (Yvelines)

Au cours de leur déplacement du 12 février 2024, les rapporteures ont rencontré Mmes Tara Heuzé-Sarmani, co-fondatrice du projet COMMUNE, et Juliette Panhard, responsable de la communauté et partenariats.

De gauche à droite : Béatrice Gosselin, rapporteure, Tara Heuzé-Sarmini, co-fondatrice du projet Commune, Colombe Brossel, rapporteure

TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI

Objet
(formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

Mieux appréhender le cumul d'inégalités et de difficultés
auquel les familles monoparentales font face

1

Réviser les échelles d'équivalence de niveaux de vie afin de mieux appréhender le coût de l'enfant et le surcoût de la monoparentalité

Insee, Drees, Eurostat

Règlement européen

2026

Rendre le système sociofiscal plus lisible et plus juste

2

Mener des campagnes d'accès aux droits à destination des parents isolés

Caisses d'allocations familiales

Contacts auprès des populations cibles

2024

3

Expérimenter, et assortir d'une évaluation chiffrée, le maintien provisoire du versement de l'allocation de soutien familial (ASF) en cas de remise en couple du parent gardien

Parlement, État, Caisses d'allocations familiales

Article L. 523-2 du code de la sécurité sociale

2024

4

Instaurer un abattement sur le montant de la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant pris en compte dans les bases ressources des prestations familiales et des aides au logement, à hauteur de l'ASF

Parlement, État

PLFSS

2025

Responsabiliser davantage le parent non-gardien
en augmentant sa participation aux coûts d'entretien et d'éducation de son enfant

5

Réévaluer le barème de calcul
de la contribution à l'entretien
et à l'éducation de l'enfant,
afin de mieux tenir compte,
de façon visible et plus équitable, des revenus des deux parents
et des différentes dépenses relatives à l'enfant,
comme prévu par la loi

Ministère de la justice

CAF

Barème de calcul

2025

6

Dresser un bilan annuel de l'intermédiation financière des pensions alimentaires au regard d'objectifs plus ambitieux de réduction des taux d'impayés
et envisager une mise en place d'un prélèvement à la source si ces objectifs ne sont pas atteints

Aripa

Rapport

2024

Reconnaître les familles monoparentales comme un modèle familial parmi d'autres

7

Envisager la création d'une carte de « famille monoparentale », facultative et renouvelable annuellement, ouvrant droit à des avantages et tarifs préférentiels, mis en place par les employeurs, les collectivités
et les services publics

État

UNAF

Décret

2025

8

Faciliter l'accès des familles monoparentales aux dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle

État

Collectivités territoriales

Actions de formation

Crèches

2024

9

Encourager les initiatives d'habitat partagé destinées aux familles monoparentales

État

Bailleurs sociaux et privés

Caisse des dépôts

BPIFrance

Subventions

Prêts

Aide à la dette

Baux

2025

10

Développer les dispositifs d'aide à la parentalité et de répit parental

Caisses d'allocations familiales, mutualité sociale agricole

COG

Prochaines COG

CONSULTATION DU DOSSIER EN LIGNE
(RAPPORT ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS)

Pour consulter le dossier

https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-droits-des-femmes-et-a-legalite-des-chances/2023-2024/familles-monoparentales.html


* 1 Les familles monoparentales. Conditions de vie, vécu et action publique - Un état des savoirs, sous la direction de Marie-Clémence Le Pape et Clémence Helfter.

* 2 http://www.onpv.fr/uploads/media_items/rapport-onpv-2015.original.pdf

* 3  Soutien à la parentalité : agir pour toutes les familles des outre-mer - Rapport d'information fait par Stéphane Artano, Annick Billon, Victoire Jasmin et Elsa Schalck au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer et de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, (n° 870, 2022-2023).

* 4 Notamment : Piesen, A., (2023), Chapitre 3 : « Le quotidien des pères et des mères solos : des temporalités et des espaces à réaménager », p.81-97, in Les familles monoparentales, État des Savoirs, CNAF (sept. 2023) et Piesen, A., (2016), « Une paternité à construire au quotidien : le cas de la résidence au père », Revue des politiques sociales et familiales, n° 122, p.77-88.

* 5 Hicham Abbas (Insee) et Bertrand Garbinti (Banque de France Crest), De la rupture conjugale à une éventuelle remise en couple : l'évolution des niveaux de vie des familles monoparentales entre 2010 et 2015, 2019.

* 6 Marine de Montaignac (France Stratégie), Carole Bonnet, Anne Solaz (Ined), Séparation des parents : quel impact sur le niveau de vie des enfants ?, janvier 2024.

* 7 Infostat Justice n° 144, septembre 2016.

* 8  Fondation Abbé Pierre - L'état du mal-logement en France 2023

* 9 HCFEA, Le pouvoir d'achat des familles face au choc d'inflation, décembre 2023.

* 10  https://www.insee.fr/fr/statistiques/5422681#titre-bloc-13

* 11 Insee, Les familles en 2020 : 25 % de familles monoparentales, 21 % de familles nombreuses, 2021.

* 12 Insee, Statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV), 2022.

* 13 Drees, Opinion des familles monoparentales sur les politiques sociales : un sentiment de vulnérabilité et une attente forte de soutien à la parentalité, mai 2022.

* 14 Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Étude sur la situation économique et sociale des parents isolés Niveau de vie, marché du travail et politiques publiques, novembre 2020.

* 15 Martin, H. & Périvier, H. (2018 ) Les échelles d'équivalence à l'épreuve des nouvelles configurations familiales. Revue économique, 69, 303-334.

* 16 Drees, Comment mieux prendre en compte la diversité des familles dans les échelles d'équivalence ?, mars 2023.

* 17 Annexe I du Règlement d'exécution (UE) 2019/2242 de la Commission du 16 décembre 2019 spécifiant les éléments techniques des ensembles de données, établissant les formats techniques et spécifiant les modalités et le contenu détaillés des rapports de qualité concernant l'organisation d'une enquête par sondage dans le domaine du revenu et des conditions de vie au titre du Règlement (UE) 2019/1700 du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour des statistiques européennes relatives aux personnes et aux ménages (règlement IESS).

* 18 Article L.262-9 du code de l'action sociale et des familles relatif au RSA majoré : « est considérée comme isolée une personne veuve, divorcée, séparée ou célibataire, qui ne vit pas en couple de manière notoire et permanente et qui notamment ne met pas en commun avec un conjoint, concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité, ses ressources et ses charges ».

* 19 Drees, Prestations sociales : pour quatre personnes sur dix, le non-recours est principalement lié au manque d'information, Claudine Pirus, avril 2023.

* 20 Selon des éléments communiqués aux rapporteures par la Cnaf.

* 21 Drees, Mesurer régulièrement le non-recours au RSA et à la prime d'activité : méthode et résultats, 2022.

* 22 Article L. 523-2 du code de la sécurité sociale.

* 23 Notamment de Bertrand Fragonard, ancien vice-président du HCFEA.

* 24 Drees, Un quart des parents non gardiens solvables ne déclarent pas verser de pension alimentaire à la suite d'une rupture de Pacs ou d'un divorce, Raphaël Lardeux, janvier 2021.

* 25 Sibylle Gollac, Céline Bessière, Émilie Biland, Abigaïl Bourguignon, Marion Flécher, et al., Parentau tribunal, Cnaf, 2022.

* 26 Drees, Mesurer le coût de l'enfant : deux approches à partir des enquêtes Budget de famille, juin 2015.

Haut Conseil de la famille, Le « coût de l'enfant », 2015.

Ires, Antoine Math, Les dépenses consacrées par la société pour les enfants. Une évaluation du « coût des enfants », 2014.

* 27 Notamment : Isabelle Sayn, Bruno Jeandidier, «  La table de référence pour la fixation du montant de la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant : l'utiliser, la craindre, la critiquer, mais la connaître », Actualité juridique Famille, novembre 2020.

* 28  Création d'une agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires, rapport de l'Inspection générale des finances (IGF), de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), septembre 2016.

* 29 Étude sur la situation économique et sociale des parents isolés, IFCE, 2020.

* 30 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 31 Les articles R. 2324-17 et R. 2324-46 précisent notamment que les EAJE « contribuent à l'inclusion et la socialisation précoce des enfants, notamment ceux en situation de pauvreté ou de précarité (...), favorisent la conciliation par les parents de jeunes enfants de leurs temps de vie familiale, professionnelle et sociale, notamment pour les personnes en recherche d'emploi et engagées dans un parcours d'insertion sociale et professionnelle et les familles monoparentales ».

* 32 L'article L. 214-2 dispose que « les modalités de fonctionnement des équipements et services d'accueil des enfants de moins de six ans doivent faciliter l'accès aux enfants de familles rencontrant des difficultés du fait de leurs conditions de vie ou de travail ou en raison de la faiblesse de leurs ressources ».

* 33  Étude n° 1190, avril 2021, de Claudine Pirus pour la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques.

* 34 Lecture du graphique : sur les questions de santé, 46 % des parents isolés souhaiteraient ou auraient souhaité recevoir de l'aide dans l'accompagnement de leur rôle de parent, 8 % sous forme de groupe de parole, 27 % sous forme d'entretiens individuels avec des professionnels et 11 % sous forme d'une mise à disposition d'informations.

Champ : personnes âgées de 25 à 64 ans résidant en France métropolitaine.

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