IV. MERCREDI 20 DÉCEMBRE 2023 - AUDITION DE MM. OLIVIER ARAUJO, MAIRE DE CHARLY (MÉTROPOLE DE LYON), SERGE DE CARLI, MAIRE DE MONT-SAINT-MARTIN (MEURTHE-ET-MOSELLE), EMMANUEL FRANÇOIS, MAIRE DE SAINT-PIERRE-DES-CORPS (INDRE-ET-LOIRE) ET MME STÉPHANIE VON EUW, MAIRE DE PONTOISE (VAL-D'OISE)

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Nous avons mis en place une mission d'information pour comprendre ce qui s'est passé et dresser un état des lieux précis de la situation. À cette fin, nous avons souhaité entendre nos collègues maires qui ont été victimes d'agressions et ont été mêlés au fort climat de violence qui a régné.

Il est important que les maires puissent faire remonter ce qu'ils vivent au quotidien et le Sénat offre une enceinte idéale pour cet exercice, la plupart d'entre vous ayant été maires ou élus locaux.

Entre la violence chronique qui sévit dans le pays, les suites de la crise du covid et l'inflation, la situation locale n'a plus rien à voir avec celle d'il y a trois ou quatre ans.

Mme Stéphanie Von Euw, maire de Pontoise. - Pontoise est une ville de bientôt 40 000 habitants, située en région parisienne. Si nos bâtiments municipaux n'ont pas été directement touchés, la violence a déferlé pendant trois nuits. Chaque soir, j'ai quitté mon bureau en me demandant si je le retrouverais le lendemain matin. Un soir, j'ai même décidé de prendre mon écharpe tricolore en me disant : « Ils ne l'auront pas ! » Mes collègues ont dû vivre la même chose : il fallait s'accrocher et défendre coûte que coûte les valeurs républicaines et la République, qui n'ont pas de prix.

Les violences ont entraîné des dégâts matériels, mais des agressions physiques ont également eu lieu. J'en ai moi-même été victime, ayant été personnellement visée en raison de mon mandat de maire. Je n'entrerai pas dans les détails...

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Il faut nous raconter, si vous le voulez bien, ce qu'il s'est passé pour que nous puissions comprendre et consigner ce que vous avez vécu.

Mme Stéphanie Von Euw. - Pontoise compte deux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), dits « quartiers prioritaires ». Je me trouvais dans l'un d'eux, où un début d'incendie avait touché le théâtre. Les pompiers ont été formidables, comme les forces de l'ordre, et je salue particulièrement la police municipale, qui a été primo-intervenante. L'incendie avait été circonscrit et nous étions en train de sécuriser le site quand nous avons été appelés pour un autre départ de feu, touchant une concession automobile qui a intégralement brûlé. Sans réfléchir, je suis montée seule dans ma voiture, suivie par celle du directeur de cabinet du préfet. Nous nous sommes retrouvés dans un guet-apens, bloqués par des barricades enflammées. Je suis sortie, ce qui constituait une erreur et montre bien à quel point je ne mesurais pas l'état de délire général et de violence désinhibée. Des jeunes se sont approchés, que j'avais l'impression de connaître, mais qui étaient intégralement masqués, avec des foulards qui leur remontaient jusqu'au nez et des capuches qui leur descendaient jusqu'aux yeux. Je sentais qu'il s'agissait de jeunes du quartier, que j'avais dû voir et tutoyer trois heures plus tôt. J'ai commis une autre erreur en les haranguant pour leur dire : « Maintenant, on arrête les conneries ! » Ils m'ont immédiatement reconnue et j'ai reçu des tirs de mortier à bout portant, ce qui m'a fait craindre que l'un de mes tympans était touché. J'ai juste eu le temps de me mettre à l'abri dans ma voiture et de m'extraire en faisant une marche arrière de près de deux cents mètres. J'ai été frappée par ces mots, que j'ai clairement entendus : « C'est la maire, on va se la faire ! » Aucun doute n'était possible quant à l'objectif des assaillants.

Des personnels municipaux, n'appartenant pas à la police municipale, ont également subi des violences. Des agents d'entretien et des agents des services techniques, qui sécurisaient les écoles, ont été pris à partie, voire agressés, parce qu'ils étaient identifiés par ces décérébrés comme étant agents municipaux et, par conséquent, agents de l'État. Ainsi, un agent de la voirie a été attaqué dans sa voiture de service à coups de marteau. Les vitres ont été brisées et un de ses collègues a juste eu le temps de l'extraire. Les dégâts physiques sont légers, mais les dégâts psychologiques sont plus importants et durables.

Je voudrais souligner le courage, la solidarité et le sens du service public qui ont animé les services municipaux, malgré le danger. J'ai éprouvé de la fierté à les avoir à mes côtés.

Les préjudices psychologiques ont touché les employés des services de la ville, mais aussi la population dans son ensemble. Aujourd'hui, quand un feu d'artifice est tiré en ville, il faut prévenir les gens longtemps à l'avance et répéter qu'il s'agit d'un événement festif.

Au-delà des budgets qu'il faut déployer pour remettre nos villes en état, je mentionnerai la question des assurances, qui pose un véritable problème. L'ensemble de nos contrats ont été dénoncés et résiliés par notre compagnie d'assurance. Nous avons réussi à conclure l'un de nos marchés, mais avec une augmentation de 200 %. En revanche, le deuxième marché a été infructueux. Nous essayerons de négocier de gré à gré, probablement avec des conséquences financières très importantes.

J'en viens au profil des émeutiers. À Pontoise, les événements sont restés localisés et ont été circonscrits aux deux quartiers prioritaires. Les émeutiers étaient donc des habitants locaux. Ils étaient très jeunes et mes agresseurs devaient avoir entre 14 et 17 ans.

Les émeutes étaient-elles organisées et servaient-elles une cause ? Oui et non. Je ne crois pas à une révolte des banlieues contre le système. Des jeunes ont trouvé une occasion de se déchaîner. Ils n'avaient aucune prise avec la réalité, comme s'ils avaient été dans un jeu vidéo. Ils n'accordaient de prix à rien, ni à la vie humaine ni aux éléments matériels. Quand j'étais réfugiée dans ma voiture, ils ont réussi à briser mon pare-brise à mains nues ; c'est dire la force et le délire qui les animaient. Il s'agissait d'un déchaînement total et je ne crois pas à une démarche défendant une idéologie.

En revanche, les points de deal et le trafic de drogue ont joué un rôle. S'il y a eu coordination, elle a été assurée par les organisateurs des réseaux de trafic, qui ont fait appel à leurs « choufs » ou à leurs revendeurs. J'en ai l'intuition profonde et, lorsque nous avons organisé, comme dans toutes les villes de France, une prise de parole sur le parvis de la mairie, j'ai identifié deux individus bien connus de nos services, réputés pour être des têtes de réseaux. Ils étaient là pour nous écouter et prendre des mesures pour tenir leur territoire.

Dans ces quartiers, le trafic de drogue constitue le seul et unique sujet. En effet, nous pouvons prendre autant de mesures que possible dans les domaines de l'éducation, de la politique de la ville ou du sport, si des trafics de drogue structurés et sans limites perdurent, nous ne parviendrons pas à reprendre pied dans ces quartiers. Ces émeutes ont démarré et cessé parce que certains ont appuyé sur un bouton, du jour au lendemain et de façon coordonnée. L'activité des points de deal ayant été interrompue pendant trois jours et trois nuits, leurs responsables ont estimé que le « commerce » avait trop souffert.

M. Olivier Araujo, maire de Charly. - Je vous remercie de cette invitation, qui témoigne de l'attention que vous portez à la problématique de la violence s'exprimant à l'égard des élus et en particulier des maires. Ce sujet récurrent se retrouve de nouveau sous les projecteurs après les épisodes de violence urbaine ayant eu lieu cet été.

Je suis maire de Charly, qui compte 5 000 habitants et se situe dans le sud-ouest de la métropole de Lyon. Cette commune a tendance à être qualifiée de village, son ADN étant plutôt agricole.

Les bâtiments de notre commune n'ont pas été touchés. Cependant, j'ai été victime d'une attaque personnelle. Le dimanche 2 juillet, une torche enflammée a été lancée sur ma maison, sans faire de dégâts. Nous étions en famille à la maison et mon voisin a découvert cette torche, consumée devant mon portail. Je n'y ai d'abord pas prêté beaucoup d'attention parce que la torche était tombée du bon côté du portail, sans toucher nos arbres et nos véhicules, qui se trouvaient de l'autre côté. J'ai contacté les gendarmes et j'ai commencé à prendre conscience de l'acte commis. On m'avait attaqué personnellement et j'ai commencé à avoir peur pour ma famille. Les gendarmes ont retrouvé des traces d'ADN, mais la personne n'est pas fichée et l'enquête se poursuit.

Il ne s'agit pas du seul acte de violence ayant eu lieu à Charly. En 2021, lorsque nous rendions hommage à Samuel Paty, j'ai reçu des menaces de mort sur internet, proférées par un groupe islamiste, qui a été identifié. Dans les jours suivants, j'ai subi des agressions verbales sur la place de la mairie, un dimanche après-midi. Des jeunes m'ont lancé : « Va te faire enculer, le maire ! »  Un de mes adjoints a été victime d'insultes homophobes devant son domicile. Par ailleurs, le mobilier urbain a subi un ensemble de dégradations, parmi lesquelles des dessins de croix gammées ou des inscriptions telles que « NTM le maire ». Ces dégradations posent question sur les relations qu'entretient une petite partie de notre population avec les institutions.

Nous avons l'impression d'être les spectateurs d'individus provocateurs, convaincus de leur impunité. Par ailleurs, certains jeunes semblent ne pas avoir conscience de la gravité de leurs actes ; s'agit-il d'un manque d'éducation, de fermeté ou de limites ? Je ressens en tout cas une disparition de la notion d'autorité, qu'elle soit scolaire, institutionnelle ou politique. Plus généralement, le respect semble disparaître dans le rapport entre les individus. De plus, j'ai l'impression d'assister à une désinhibition du comportement, dont les maires sont les cibles. N'importe qui peut être touché n'importe quand : il faut en prendre conscience.

Certains citoyens exercent de plus en plus de pressions sur les élus, en particulier sur les maires, qui forment un premier échelon politique. La pression et l'opposition peuvent être saines. Cependant, l'expression violente, la contestation et le dénigrement systématiques, ainsi que les attaques et les accusations personnelles sans fondement que nous subissons constituent un problème. J'ai également le sentiment d'une absence de limite et d'une intolérance à la frustration face aux règles que nous cherchons à faire appliquer, qui bien souvent ne sont pas de notre fait.

Ces éléments renvoient à un autre sujet, qui contribue au mal-être des maires : le sentiment d'être seuls face à cette violence, d'être aussi fragilisés et affaiblis par certaines décisions législatives, qui contribuent à réduire nos marges de manoeuvre, à diminuer nos recettes, à nous obliger à appliquer des décisions parfois impopulaires ou à complexifier notre quotidien en ajoutant des strates au millefeuille administratif et en augmentant les risques juridiques qui pèsent sur nous. La fonction de maire, pour laquelle nous ne sommes ni formés ni accompagnés, semble de plus en plus dissuasive. Notre engagement a des conséquences professionnelles sur nos métiers initiaux, des conséquences personnelles, mais aussi de plus en plus sécuritaires, les menaces individuelles se développant.

Votre travail parlementaire est important et, même si les vocations persistent, il faut enrayer ce phénomène de désaffection. Il s'agit d'un problème sociétal dépassant la seule situation des élus locaux, qui ne constitue qu'un symptôme. Il faut noter que nombre des attaques ne sont pas le fait de nos administrés, mais d'individus militants pour certaines causes, très actifs sur les réseaux sociaux et pétitionnaires. Internet et les réseaux sociaux représentent des catalyseurs de la violence s'exerçant à l'égard des élus, symptôme d'un irrespect à l'égard des figures du pouvoir. Ainsi, tous ceux qui exercent une autorité ou disposent d'une légitimité sont haïs ou combattus. Cette haine est plus vive encore quand ces figures sont associées à la République. Instituteurs, professeurs, médecins, infirmières, soignants, pompiers, policiers, gendarmes, juges ou avocats : tous sont victimes de ce dénigrement. La médiatisation de la polémique braque la lumière sur des individus considérés comme responsables, à qui l'on cherche des intérêts cachés et à qui l'on attribue des actes ou des opinions sans aucun fondement. Ces démarches malveillantes aboutissent à des actes de violence présentés comme des formes de punition.

Face à cette situation, la réponse n'est peut-être pas assez ferme, même si elle l'a été un peu plus lors des épisodes de l'été dernier. Nous devons nous montrer vigilants face à ces phénomènes de vengeance. À cet égard, nous devons faire de la prévention, qui relève de l'éducation des parents, de l'école républicaine et de la méritocratie.

En parallèle, il faut arrêter avec la « culture de l'excuse ». La tolérance à l'égard des actes d'incivilité et de violence favorise l'idée selon laquelle leurs auteurs auraient toujours une bonne raison. Cette culture de l'excuse prend différentes formes, traduit un manque de courage, ne pose pas de limites aux individus et crée un droit à la délinquance. Elle conduit à laisser persister des problèmes de harcèlement et à laisser Samuel Paty seul et vulnérable face à ses bourreaux potentiels.

Cette complaisance s'exprime aussi dans les débats médiatiques et académiques. Ainsi, au sujet des émeutes, des élus et commentateurs ont trouvé des motivations politiques et des raisons sociales légitimes aux agressions des élus comme aux dégradations des biens publics. À cet égard, j'ai écouté la sociologue Nathalie Heinich, qui s'est exprimée dans le cadre de votre mission d'information. Je la rejoins quand elle évoque la « décivilisation » ainsi que la complaisance de certains de ses collègues, qui tendent à légitimer des actes de violence et de destruction, allant jusqu'à ne pas les dénoncer. Nous avons une responsabilité individuelle et collective en la matière.

Nous avons besoin de l'État et de ses institutions pour faire respecter les principes et les valeurs qui sont les seuls à pouvoir rendre possible le vivre ensemble. Nous avons également besoin de plus de moyens financiers et humains pour nos services municipaux, pour nos polices municipales, qui ont beaucoup oeuvré l'été dernier, pour le renseignement, qui doit permettre d'agir en amont, pour la justice, qui doit être ferme et appliquée, pour l'éducation, qui reste le socle du vivre ensemble, et pour l'accompagnement social, afin de ne pas oublier nos concitoyens en difficulté. Par ailleurs, l'État doit fournir une aide importante dans le cadre de la maîtrise de la couverture assurantielle. De plus, il faut renforcer la présence des institutions sur le terrain. Des mesures pourraient être prises aussi s'agissant d'internet, or j'ai notamment constaté que les menaces de mort exprimées sur les réseaux faisaient l'objet d'un délai de prescription de seulement trois mois. Ces mesures sont nécessaires pour l'avenir de notre société.

M. Serge De Carli, maire de Mont-Saint-Martin. - Je suis un pur fruit de la République, mon arrière-grand-père ayant fui le fascisme italien pour se réfugier en Lorraine. J'ai tenté de rendre à la République ce qu'elle avait donné à ma famille en devenant instituteur, directeur d'école et professeur des écoles, carrière à laquelle je n'ai mis un terme qu'il y a quelques mois. Par ailleurs, je suis élu municipal depuis 1989 et maire depuis une vingtaine d'années. Je suis aussi conseiller départemental et président de l'agglomération du Grand Longwy, qui réunit 63 000 habitants et 21 communes.

Mont-Saint-Martin, qui compte 10 000 habitants, est appelée « la ville aux trois frontières », en raison de notre proximité avec les frontières belge et luxembourgeoise. Il s'agit d'une ville populaire, qui abrite un QPV de 4 500 habitants, un réseau d'éducation prioritaire, huit écoles, un collège et bientôt un collège neuf. Le budget annuel d'investissement et de fonctionnement s'élève à 12 millions d'euros, quand la ville voisine au Luxembourg dispose de 120 millions d'euros. La richesse moyenne annuelle par foyer est de 9 800 euros, ce qui correspond à 830 euros par mois, sachant que 30 % de nos habitants travaillent de l'autre côté de la frontière et gagnent à deux entre 8 000 et 10 000 euros par mois. L'enveloppe pour les politiques municipales de solidarité est donc énorme et atteint 1 million d'euros. Nous comptons aussi une épicerie sociale, une régie de quartier pour l'insertion professionnelle et des éducateurs de rue.

Je tiens à cette ville, dont est issu un triple champion du monde de karaté. Mais elle a été touchée comme peu l'ont été par ce que l'on a appelé « les émeutes » et neuf de ses bâtiments publics ont été saccagés, dégradés et incendiés.

Les événements ont commencé dans la nuit du 27 au 28 juin, quand le service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) « vivre avec l'autisme », outil rare, a complètement brûlé. Notre ville est la plus vidéoprotégée du département et, lorsque nous avons visionné les images, nous avons découvert trois jeunes, encapuchonnés et assis sur un banc. À un moment, l'un d'eux se lève, jette un cocktail Molotov sur le bâtiment et se rassied pour regarder, alors que 500 000 euros partent en fumée.

La nuit suivante, une école maternelle ainsi que la buvette et le club-house du club de foot ont été attaqués. La même nuit et sans que je le sache, le Raid est intervenu. Le jeune Aimène Bahouh a été touché par un tir de flash-ball et il est resté un mois dans le coma, manquant de perdre la vie. Il a été opéré à plusieurs reprises, s'en est sorti, mais reste handicapé. Je précise que ce jeune de 25 ans n'était pas un émeutier et qu'il rentrait de son travail, situé au Luxembourg. Une enquête est en cours, mais nous n'avons pas de nouvelles.

Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, l'hôtel de ville a été attaqué et saccagé. J'ai alors annoncé que la mairie était « morte » et elle ne s'en est toujours pas remise. Je vous parle d'ailleurs depuis un autre endroit. Cependant, les services de la ville ne se sont jamais arrêtés. Nous gérons l'état civil de l'agglomération et accueillons un hôpital qui couvre tout un secteur, ce qui occasionne un important travail administratif. Pendant plusieurs mois, nous avons disséminé les services de la ville dans cinq sites. Cette réorganisation a représenté un travail difficile et cette affaire a été lourde psychologiquement. Nous avons reçu l'ensemble des agents et travaillé avec un psychologue.

À titre personnel, dans la nuit du 1er au 2 juillet, mon épouse et moi avons dû être exfiltrés de notre domicile et nous avons passé la nuit dans un hôtel au Luxembourg. Le préfet de Meurthe-et-Moselle m'avait téléphoné et j'avais reçu plusieurs appels dans la journée, m'indiquant qu'il était plus prudent que je ne reste pas chez moi, car j'étais visé, certains jeunes considérant que le Raid était venu à ma demande. Évidemment, il n'en est rien, puisque la décision d'envoyer le Raid appartient au préfet.

Malgré les mises en garde, nous avons choisi de rentrer chez nous le 2 juillet, notre maison étant notre seul bien. Tout l'après-midi, les gendarmes se sont montrés très bienveillants et se sont assuré que la maison était bien sécurisée. Ils ont placé des caméras, que nous avons gardées pendant deux mois. Pendant trois ou quatre nuits, huit gendarmes en armes ont été positionnés dans deux véhicules à proximité de notre maison. Ces événements ont été traumatisants pour nous et je ne m'en suis pas encore remis sur le plan psychologique. L'idée m'a même traversé quelques instants d'abandonner mon mandat de maire.

Je partage les analyses de mes collègues. Cependant, si je ne pratique nullement la culture de l'excuse, j'essaie de comprendre. Cette période mérite notre attention, car ces événements se reproduiront si nous n'y répondons pas correctement.

Les sources du problème sont lointaines et il faut remonter les trente dernières années, qui ont vu se déliter peu à peu l'État local et les services qui assurent la cohésion des territoires et des populations. Chez nous, le Luxembourg aspire toutes les compétences formées en France, y compris les enseignants, les infirmières et les médecins. Ils travaillent de l'autre côté de la frontière puisqu'ils y gagnent deux fois et demie le salaire qu'ils toucheraient en France. Ce phénomène doit poser question à l'État, puisque nous assistons à une paupérisation à la frontière française et à un enrichissement de l'autre côté.

Depuis trop longtemps, nos services publics vont mal. Les maîtres ne sont plus remplacés à l'école publique. Par ailleurs, notre bureau de poste a été attaqué à l'explosif en mars 2022 et rouvrira en février, grâce à l'intervention de l'État déconcentré. Le plus gros bureau de poste de l'agglomération est donc fermé depuis deux ans alors qu'il assure un service de proximité et joue un rôle social auprès de populations en grande difficulté. De plus, je loue le travail fourni par la police républicaine dans le pays, mais, dans notre hôtel de police, il manque un tiers des effectifs et les renforts viennent de Nancy, située à 125 kilomètres. Nous sommes aussi dans une zone de désertification médicale. Un sentiment d'oubli et d'abandon, fondé ou infondé, habite certaines populations. À certains moments, celles-ci se saisissent de prétextes, constitués par des événements médiatisés. La violence n'apporte rien d'autre que la violence, si ce n'est des restrictions de liberté, et je ne la préconise en aucun cas. Les réponses ne peuvent pas être uniquement sécuritaires et autoritaires. On parle de la responsabilisation des familles et je n'y suis pas opposé, mais nous comptons ici de nombreuses familles monoparentales. Ainsi, de nombreuses mères partent travailler nuitamment au Luxembourg, laissant seuls leurs enfants. Il faut mener un travail d'éducation populaire et de prévention.

Il semble que Mont-Saint-Martin soit la seule ville de France à avoir vu l'un de ses bâtiments attaqué après le 5 juillet, qui marque la fin des émeutes. Dans la nuit du 13 au 14 juillet, alors que nous avions organisé dans la journée un rassemblement républicain, la plus grosse école de la ville a été attaquée et incendiée. Nous avons relevé le défi puisque nous avons immédiatement constaté les dégâts et engagé les travaux, permettant la réouverture de l'école le 4 septembre, même si les réparations ne sont pas encore achevées.

Pour toutes ces attaques, les vidéos et autres traces ont été confiées à la police. Les publics ne sont pas les mêmes à chaque fois. Dans le cas du Sessad et de l'école, il s'agit de jeunes. Concernant la mairie, nous avons eu affaire à un commando d'une cinquantaine de personnes, venues de Belgique, de Moselle et d'une ville voisine. Ces adultes, qui avaient entre 25 à 30 ans, semblent avoir été animés par des desseins d'ordre politique. Nous savons ce que ce type de violences engrange. Des vidéos l'attestent, sur lesquelles on voit des hommes torse nu ayant pris des substances, certains brandissant des sabres japonais. S'agissant de l'enquête, je suis frustré de n'avoir aucun retour. J'ai du mal à imaginer qu'on ne trouve pas un seul individu à condamner sur une ville de 10 000 habitants. Je défends la prévention, mais la sanction fait aussi partie de l'éducation.

La question assurantielle constitue un cauchemar. En France, Groupama et la SMACL sont en situation de quasi-monopole avec les collectivités territoriales. Groupama a résilié l'ensemble de nos contrats dès la première semaine du mois d'août. J'ai beaucoup oeuvré pour trouver une solution et me suis rendu à l'Élysée, à Bercy et à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). La ministre Dominique Faure est venue nous voir et l'aide financière de l'État sera importante. Néanmoins, concernant Groupama, nous comptons plus de 3 millions d'euros de dégâts. Nous avons engagé notre budget propre. De nombreuses voiries ont été abîmées et 70 véhicules de particuliers ont été brûlés. Notre fonds de roulement, qui s'élève habituellement à 1,2 million d'euros, n'atteint que 400 000 euros, alors que la ville doit rémunérer 150 agents. Nous tenons, mais ce sujet crée beaucoup d'angoisse. Nous avons obtenu une prorogation de notre contrat jusqu'au 1er juillet 2024, dans les mêmes conditions. Pour la période qui suit, Groupama propose un nouveau contrat, mais nous savons que les cotisations seront trop élevées et les services amoindris. Une collègue a reçu une proposition comprenant une franchise à 2 millions d'euros, ce qui est inacceptable et ingérable.

Si l'intercommunalité est le fruit du législateur, la commune reste le fruit de l'histoire de France. Même si elle est dévitalisée, c'est à la commune que l'on s'adresse pour tous les problèmes de la vie. Les différentes crises traversées depuis 2020 ont attesté cette réalité : en République, les communes tiennent le pays. Elles l'ont prouvé aussi bien lors de la crise du covid que lors des émeutes, pendant lesquelles nous avons tenu bon, et nous nous sommes organisés pour assurer la pérennité des services publics. Les élus locaux ont besoin d'un statut réel qui les protège et je ne pense pas nécessairement aux indemnités.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Merci pour ce témoignage qui révèle beaucoup de choses, parmi lesquelles le problème des relations avec le parquet quant au partage des informations et la question des assurances.

M. Emmanuel François, maire de Saint-Pierre-des-Corps. - Je suis ici, car j'ai été agressé de nombreuses fois.

Notre commune compte 16 300 habitants et deux QPV, dont l'un rassemble environ un tiers de la population et se situe en plein centre-ville. Médecin généraliste, j'étais installé au coeur de ce quartier.

J'en viens aux causes des émeutes. Je suis d'accord avec Stéphanie Von Euw sur le rôle du trafic de drogue. Cependant, pour moi, il s'agissait d'une sorte de rite initiatique pour les jeunes. Ce rite n'a pas seulement été provoqué par l'utilisation de drogues connues, mais aussi par celle du protoxyde d'azote, qui est en vente libre. Nous avons pris un arrêté à la mairie pour interdire sa vente aux mineurs. Il faut porter une attention particulière à ce problème, qui commence à s'étendre.

Je voudrais souligner la violence et la soudaineté des émeutiers ainsi que leur propension à fuir la réalité. Si l'on analyse les différentes émeutes ayant eu lieu en France, on remarque qu'en 1968 déjà, nous étions confrontés à la consommation de cannabis, qui génère des syndromes paranoïdes et peut entraîner l'expression de théories du complot.

Le trafic de drogue a joué un rôle, mais l'influence politique a aussi compté, surtout dans les milieux ruraux. Les allégations sur la manière dont tel ou tel parti aurait eu de l'influence ne m'intéressent pas, car je ne peux plus supporter les partis politiques, qui ont laissé la France dans un état pitoyable.

Je souhaiterais aussi insister sur la solidarité que nous avons observée lors de ces émeutes. Les pompiers sont venus de l'ensemble du département pour tenter de contenir les incendies qui ont touché quinze bâtiments, parmi lesquels la bibliothèque, la galerie d'exposition, des gymnases, des commerces, des pharmacies, la mairie et la salle des fêtes. La solidarité a été très importante, au niveau départemental, mais aussi dans nos services communaux ainsi que dans le milieu associatif, et cet élan nous a fait beaucoup de bien.

Je ne peux pas vous parler des émeutes sans évoquer l'historique de Saint-Pierre-des-Corps. J'y suis arrivé en tant que médecin. J'avais la possibilité de faire des consultations libres, c'est-à-dire sans rendez-vous. C'est un service énorme rendu à la population.

En tant que maire, j'essaie de rendre ce que j'ai reçu. Dans le cadre des élections, nous avons formé une équipe pour nous battre contre 99 ans et 6 mois de communisme. Nous avons rencontré de grandes difficultés, liées à des rivalités de réussite, comme cela peut arriver dans les quartiers prioritaires, pour les personnes issues de l'immigration, aussi étonnant que cela puisse paraître. Au sein de notre équipe, deux adjoints ont été touchés : Gania Bougadba, qui appartient à l'une des premières familles d'origine immigrée de Saint-Pierre-des-Corps, a eu, par deux fois, sa voiture brûlée ; une autre adjointe a eu un départ de feu devant son pas-de-porte en décembre 2021 ; et on a tenté à deux reprises de mettre le feu à mon cabinet médical. La troisième tentative a été la bonne, puisque, dans la nuit du 1er au 2 septembre 2022, le cabinet médical est parti en fumée.

Nous avons subi les émeutes de plein fouet. Vous avez peut-être vu cette vidéo, qui a été visionnée plus de 10 millions de fois : ma voiture est stoppée par des poubelles et des jeunes y mettent le feu. Comme vous, Monsieur De Carli, j'ai été exfiltré. Toutefois, j'ai eu la chance de constater que, parmi ces très jeunes émeutiers, seulement sept d'entre eux voulaient me faire la peau, et quarante-trois autres leur interdisaient de me toucher.

Il y a des choses à faire. Car nous n'avons pas pris en compte les accords franco-algériens de 1968 ! En effet, nous ne pouvons pas intégrer différemment des étrangers issus d'un pays particulier ; c'est une question d'équité.

Par ailleurs, il convient de lutter contre le trafic de drogue, en particulier la cocaïne, qui envahit tous les milieux, y compris les plus aisés.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - La commission des lois projette de travailler à partir du début de l'année prochaine sur les accords bilatéraux avec différents pays, notamment avec l'Algérie.

Par ailleurs, notre collègue Jérôme Durain préside à l'heure actuelle une commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic. Certes, tout n'est pas parfait, mais nous arrivons à travailler collectivement ensemble sur de nombreux sujets que vous avez évoqués.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je tiens à apporter mon soutien aux quatre maires qui sont aujourd'hui devant nous. Ce qu'ils ont vécu pendant les émeutes a été monstrueusement violent, et c'est une première. Je sais pourtant que Stéphanie Von Euw n'a pas tout dit parce qu'elle discrète.

Vous l'avez tous souligné, les jeunes étaient nombreux, mais sans doute des personnes plus âgées les manipulaient-elles. Avez-vous vu des filles au cours de ces émeutes ? Avez-vous été confrontés à des scènes de pillage ?

Mme Catherine Di Folco. - Je vous remercie tous les quatre pour ces témoignages, intéressants et même émouvants. Nous avons pu mesurer la violence dont vous avez fait l'objet.

Concernant la destruction des bâtiments, nous avons été saisis en urgence, en juillet dernier, d'un projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023. Ce texte a-t-il porté ses fruits ?

M. Jérôme Durain. - Je m'interroge sur le lien entre ces émeutes et le trafic de drogue, qui est présenté soit comme un élément déstructurant la société, soit comme un élément structurant les émeutes. Certains responsables locaux des trafics ont-ils eu un rôle d'« animation » de ces émeutes ? On comprend l'intérêt qu'ils ont pu avoir à ce qu'elles s'achèvent, afin que leur commerce reparte.

Mme Corinne Narassiguin. - Je vous remercie, madame et messieurs les maires, de vos témoignages. Vous avez dit, Monsieur De Carli, que vous n'aviez pas été mis au courant de l'intervention du Raid. J'aimerais savoir comment s'est passée la coordination entre les services de la préfecture, ceux des communes, la police, la gendarmerie, et, éventuellement, la police municipale.

M. Pierre-Alain Roiron. - La question des assurances a été évoquée par l'un d'entre vous. Où en sont les propositions en la matière ?

Mme Audrey Linkenheld. - Monsieur De Carli, selon vous, ces événements reposent sur de véritables motivations politiques. Pourriez-vous vous expliquer sur ce point ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Ma première question concerne les réseaux et leur rôle éventuel. Les premiers actes de délinquance ont-ils été constatés dès les premières heures ou bien quelques jours plus tard ?

Ma deuxième question porte sur les émeutiers : s'agissait-il de personnes de la commune ou bien venaient-elles de l'extérieur de votre territoire ?

Par ailleurs, la question des assurances est absolument essentielle. Ce que vous nous direz comptera, dans la mesure où ce qui nous a été dit voilà quelques semaines par les représentants des assureurs est complètement différent.

Enfin, quelles sont vos relations avec l'institution judiciaire, plus particulièrement en ce qui concerne la circulation de l'information sur la suite donnée aux procédures engagées ? C'est un point sur lequel nous insistons depuis longtemps, et le Sénat a récemment adopté un texte visant à rendre obligatoire la communication de l'information entre le procureur de la République et les maires, dans un délai d'un mois à compter du dépôt de plainte.

M. Serge De Carli. - Il n'y avait que des garçons parmi les émeutiers.

Pour ma part, je ne peux pas dire qu'il y a eu pillage. Ainsi, dans mon bureau, étaient exposés des émaux de Longwy, d'une grande valeur, qui n'ont pas été volés, mais brisés.

S'agissant de la loi relative à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés, le bon sens voulait que nous n'attendions pas. Nous avons donc immédiatement lancé les démarches administratives visant à reconstruire.

Je ne vois pas de liens entre les émeutiers et la drogue. Je connais quelques caïds locaux de la drogue, qui essayaient plutôt de calmer le jeu.

S'agissant de la coordination entre les forces de sécurité et le maire, je me félicite des bonnes relations que j'entretiens avec le commissaire. Une fois par mois, nous organisons en mairie des réunions de sécurité, pour faire le point. La gendarmerie s'est occupée de la sécurité de ma famille. Ce sont des agents d'une immense bienveillance et très consciencieux.

Par ailleurs, nous avons une nouvelle préfète depuis le 22 août 2023, qui est déjà venue huit fois sur ma commune. Je n'ai jamais vu ça !

La question assurantielle est angoissante et constitue un enjeu considérable. Pour le moment, je ne vois pas le ciel s'éclaircir, bien que nous ayons obtenu une dérogation de six mois.

Madame Linkenheld demande que je précise mon propos s'agissant des motivations politiques de ces émeutes. J'ai 63 ans, et je suis membre du parti communiste français depuis que j'ai 17 ans. Mon père, italien, a fui le fascisme. Je suis très fier de mon histoire et suis un humaniste. Je suis enseignant, j'oeuvre au sein du Secours populaire, et j'ai toujours essayé de donner du sens à ma vie, en tendant la main à ceux qui en ont le plus besoin, en n'oubliant personne. Je ne ferai pas de commentaire sur la volonté de mettre des gens en marge ni sur ce qui s'est passé hier.

Les motivations politiques sont très claires : la seule mairie saccagée de l'agglomération est celle de Mont-Saint-Martin. J'ai eu l'occasion de le constater sur le marché dominical du 1er juillet 2023, la population était solidaire de son maire, ce qui est assez rassurant. Ces événements servent les partis d'extrême droite, comme en témoignent les « retournements de cerveaux » de personnes qui déclarent qu'elles voteront en faveur de Marine Le Pen lors de la prochaine élection présidentielle.

Le saccage de la mairie était un objectif relayé par les réseaux sociaux, j'avais été alerté quelques heures plus tôt.

Concernant le profil des émeutiers, habituellement ceux-ci sont des jeunes de la ville. Pour le saccage de la mairie, ils venaient de l'extérieur. Ils étaient une cinquantaine face à quinze fonctionnaires de police.

Avec le Procureur de la République, les relations sont inexistantes.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - La motivation des personnes ayant commis ces actes était-elle en lien avec la situation à Nanterre, après le décès du jeune Nahel M. ?

M. Emmanuel François. - Je partage votre constat, Monsieur De Carli. Je me demande si je pourrai exercer ma fonction, au cours d'un prochain mandat, avec le Rassemblement National (RN) au pouvoir. Je ne porte pas de jugement sur ce parti.

À Saint-Pierre-des-Corps, des pharmacies et des bureaux de tabac ont été pillés.

S'agissant des facilités prévues pour la reconstruction, nous avons d'ores et déjà l'assurance que la préfecture engagera des fonds pour le reste à charge. S'agissant des assurances, nous avons fait appel à des experts d'assurés, pour défendre au mieux nos intérêts face aux experts d'assurances.

En ce qui concerne les liens entre émeutes et trafics de drogue, depuis 1968, on observe que les accès de violence sont de plus en plus virulents et spontanés, avec une concentration de plus en plus grande de produits actifs.

Les responsables des trafics ont-ils participé aux émeutes ? Ma réponse est « non ». Ont-ils permis de sortir plus rapidement de la crise ? Non plus ! Les familles et les services de l'enfance et de la politique de la ville ont oeuvré pour que les choses s'arrêtent d'un seul coup.

Concernant nos relations avec la préfecture, le parquet et la police nationale, quelque chose me gêne : à aucun moment nous n'avons été interrogés à l'occasion des enquêtes menées par la police ou le Parquet. Or, en tant que médecin, je connais bien les jeunes de ma ville, et notamment leur silhouette, la façon dont ils bougent ; je les ai vaccinés ! J'aurais pu en reconnaître sur les vidéos qui circulaient. Il est vrai que la justice doit être absolument indépendante, mais je m'interroge sur la pertinence des enquêtes qui ne donnent pas lieu à une consultation des acteurs les plus proches du territoire et de la population...

Je considère que la préfecture a fait son travail ; à cet égard, Serge De Carli et moi-même avons vécu une situation similaire. Le préfet s'est ainsi interrogé sur la responsabilité qui lui incombe en termes d'établissement d'un diagnostic et de construction du futur contrat de ville. C'est positif !

S'agissant des réseaux sociaux, ceux-ci ont conféré au déclenchement des émeutes un caractère soudain et spontané. Ils ont aussi permis à ces jeunes de s'organiser et de se rencontrer, et ont joué un rôle en termes de compétition. Ainsi, la voiture du maire de Saint-Pierre-des-Corps ayant brûlé, les émeutiers ont décidé de « cramer la bagnole » du maire de la commune voisine, La Riche !

Mme Stéphanie Von Euw. - Le déclenchement des émeutes n'a pas de cause idéologique, comme, par exemple, la volonté de s'attaquer au système. Ce qui s'est passé à Nanterre a certes provoqué un coup de colère. Par la suite - en tout cas, dans mon territoire -, les réseaux territoriaux autour des points de deal et dans les quartiers gangrenés par le trafic de drogue ont voulu envoyer un message selon lequel l'État et les forces républicaines avaient reculé dans ces endroits, lesquels étaient désormais sous le contrôle d'autres forces.

Les forces de l'ordre nous ont dit que, durant ces trois nuits et pour la première fois de leur carrière, elles avaient reculé, cédé du territoire ; la commissaire de Pontoise m'a confirmé qu'elles n'y étaient pas revenues. Et lorsque l'on retourne dans ces quartiers, on constate que ces jeunes « ont pris la confiance ». L'été dernier, lors des rodéos urbains, ils allaient même jusqu'à provoquer les différentes forces de l'ordre, municipales ou nationales. Selon moi, ces attitudes sont en lien direct avec les émeutes : à la suite du bras de fer qui s'est engagé lors de ces dernières, ils ont eu le sentiment sinon de gagner, du moins d'enfoncer des lignes.

Je fais aussi le lien entre ces émeutes et les trafics de drogue : il s'agissait pour ces émeutiers de montrer que l'État régalien ou les collectivités locales n'avaient plus leur mot à dire sur ces territoires perdus de la République, contrôlés par les réseaux de trafiquants qui gangrènent notre pays.

Oui, Madame Eustache-Brinio, il y a eu des pillages, mais ciblés : ont été volés des denrées et des biens qui pouvaient ensuite être revendus. La logique de ces personnes est donc bien de nature mercantile. Quant aux filles, on ne les a pas vues, à l'exception de celles qui remplissaient les coffres.

Je tiens à saluer la coordination avec les services de l'État, en particulier avec la préfecture, et à remercier pour son écoute et son efficacité le préfet du Val-d'Oise, Philippe Court, auquel je téléphonais une à deux fois par jour. De manière très libre, réactive et directe, nous avons élaboré ensemble les positionnements coordonnés de nos forces réciproques. Nous avons ainsi décidé de ne plus envoyer les forces de l'ordre dans l'un des deux quartiers qui flambaient ; en effet, le brasier s'est éteint faute de « combustibles », c'est-à-dire en l'absence de forces de l'ordre ; d'aucuns souhaitaient en effet les attirer dans des traquenards pour « casser du flic ».

Les forces de police d'État ainsi que les brigades de gendarmerie du Vexin et de Beaumont-sur-Oise ont été positionnées à Pontoise, ce qui a nécessité d'ajuster les différentes techniques d'intervention. Toutes ont fait montre de leur efficacité et de leur capacité de coordination dans ces moments très compliqués.

Les relations avec le procureur de la République ont en revanche été inexistantes, ce que je trouve dommageable. Ce qui compte en effet lors de tels événements, c'est d'assurer le continuum de sécurité qui inclut tous les acteurs - notamment municipaux -, y compris les services du ministère de la justice. Il s'agit de mener une réflexion à cet égard, car il y a beaucoup à faire.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir été aussi précis et clairs. Nous avons besoin de cette clarté et de cette sincérité pour établir un diagnostic qui soit le plus exact possible et proposer des solutions.

Nous avons bien compris que le sujet était multifactoriel, l'événement de Nanterre n'étant qu'un élément parmi d'autres, les réseaux sociaux avaient encouragé la compétition entre émeutiers et le rapport à l'autorité est aussi entré en ligne de compte.

Au-delà de la réponse immédiate en termes de rétablissement de l'ordre public, il conviendra de mener un travail plus approfondi dans les mois qui viennent sur le principe de respect et sur la projection dans l'avenir d'un certain nombre de nos concitoyens.

M. Emmanuel François. - Un dernier élément : dans une société qui prône la parité, je m'étonne que nos enfants soient confiés, à l'école maternelle et à l'école élémentaire, seulement à des personnels féminins, et presque jamais à des personnels masculins. Quelle société et quel rapport à l'autorité voulons-nous construire ?

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - C'est en effet une question de fond.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

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