N° 616

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 mai 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l'incidence du taux d'emploi
des
seniors sur l'équilibre financier du système de retraite,

Par Mme Sylvie VERMEILLET,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite », a présenté le mercredi 14 mai 2025 les conclusions de son contrôle sur l'incidence du taux d'emploi des seniors sur l'équilibre du système de retraite.

I. UN TAUX D'EMPLOI DES SENIORS SPÉCIFIQUEMENT BAS EN FRANCE

A. LA FRANCE SE DISTINGUE PARMI LES ÉCONOMIES COMPARABLES COMME UN PAYS OÙ LES SENIORS SONT PEU EN EMPLOI

Au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France apparaît comme un pays dans lequel le taux d'emploi des seniors est particulièrement faible. En effet, alors que l'Allemagne emploie en 2024 75,2 % de ses 55-64 ans et que ce taux atteint 75,3 % aux Pays-Bas, la France peine à atteindre 60,4 %.

Taux d'emploi des 55-64 ans depuis 2003 dans plusieurs pays de l'OCDE

Source : commission des finances, données Eurostat et OCDE

Or, la faiblesse du taux d'emploi dans une économie donnée tend à limiter sa capacité à produire de la richesse. La France, dont le système de retraite par répartition est dépendant à la croissance, ne peut par conséquent se satisfaire d'un taux d'emploi des seniors qui soit réduit.

B. LES CAUSES DE CE FAIBLE TAUX D'EMPLOI SONT NOMBREUSES

Par rapport aux autres pays de l'OCDE qui ont pourtant connu le même choc démographique, la France se distingue par des réformes des retraites plus prudentes et moins rapides que les autres. De 1970 au milieu des années 1990, l'ensemble des pays de l'OCDE réduisent l'âge moyen de départ en retraite de leurs citoyens, le reflux avec la baisse de la croissance et le retournement démographique s'est opéré plus tôt dans les pays autres que la France.

Âge moyen de départ en retraite
dans plusieurs pays de l'OCDE de 1975 à 2020

Source : commission des finances, données OCDE

La France se distingue par un retard d'une dizaine d'années dans le début de relèvement de l'âge moyen de départ en retraite. Alors que le point bas est atteint dans les autres pays de l'OCDE en 1995, il ne survient en France qu'en 2005. Or, l'âge de départ est le premier des facteurs pour accroître le taux d'emploi des seniors.

La France peine, en outre, à donner la place dans son marché du travail à des emplois à temps partiel ou à moins grande valeur ajoutée. Or, ce sont précisément ces postes que recherchent les seniors.

Évolution en fonction de l'âge et de la situation d'emploi précédant le chômage de la part d'allocataires déclarant chercher dans leur prochain emploi au moins deux des trois critères suivants : proximité, temps partiel ou durée limitée

Source : commission des finances, données Unédic et MiDAS

Le désir de travailler proche de chez soi et pour une durée moindre s'accroît à mesure que se rapproche la retraite : le développement de solutions de travail à temps partiel, dans des métiers à moins haute valeur ajoutée, pourrait ainsi favoriser le maintien en emploi des seniors.

Enfin, le taux de remplacement, c'est-à-dire le rapport entre les droits à la retraite perçus par rapport au salaire net précédant l'entrée en retraite, est plus élevé en France qu'en Allemagne par exemple. Cela pousse les seniors à quitter plus facilement le marché du travail.

Un nouveau retraité en Allemagne gagne en moyenne 55,3 % de son salaire précédent, un Français près de 71,9 % : l'arbitrage en faveur de l'emploi est ainsi plus évident outre-Rhin.

II. LA HAUSSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS AURAIT UNE INCIDENCE TRÈS POSITIVE SUR LE SOLDE DU SYSTÈME DE RETRAITE

A. PLUSIEURS CHIFFRAGES EXISTENT, SELON DES MÉTHODOLOGIES DIFFÉRENTES, QUI PERMETTENT D'APPROXIMER LE GAIN POTENTIEL D'UNE HAUSSE DU TAUX D'EMPLOI

Trois chiffrages ont été transmis à la rapporteure, permettant d'évaluer le bénéfice brut potentiel, pour le solde des finances publiques ou du système de retraites, de diverses hausses du taux d'emploi.

Tableau récapitulatif des chiffrages proposés
à la suite des demandes de la rapporteure

Organisme

COR1(*)

Chaire TDTE2(*)

DGT3(*)

Hausse du taux d'emploi retenue

14 points pour l'ensemble de la population

10 points pour les 60-64 ans

3,6 points pour l'ensemble de la population dont 16,4 points pour les 60-64 ans

Gain estimé et solde étudié

124,8 milliards d'euros pour l'ensemble des finances publiques

9,7 milliards d'euros pour le système de retraites

9 milliards d'euros pour le système de retraites

Hypothèse de hausse du taux d'emploi

Alignement avec les Pays-Bas

Hausse théorique de 10 points de l'emploi des 60-64 ans

Alignement avec l'Allemagne

Prise en compte des divergences de temps de travail

Non

-

Oui

Hypothèses de productivité des seniors

50% de la productivité moyenne

Rémunération au salaire moyen

Création d'emplois à temps plein ; baisse globale de la productivité induite par la hausse de l'emploi4(*).

Source : commission des finances, d'après les travaux du COR, de la chaire TDTE et de la DGT

L'ensemble de ces chiffrages sont à prendre avec précaution car ils reposent tous sur des hypothèses fortes, notamment sur la qualité des emplois créés, la productivité des nouveaux entrants sur le marché du travail et leur exposition aux risques sociaux.

B. POUR AUTANT, LA MODÉLISATION DU BÉNÉFICE NET DE LA HAUSSE DE L'EMPLOI DES SENIORS MONTRE QU'ELLE NE SUFFIT PAS À COMBLER LE DÉFICIT DU SYSTÈME DE RETRAITE

En supposant que l'ensemble des personnes ni en emploi ni en retraite (NER) qui ne sont pas au chômage et sont en bonne santé - soit environ 589 000 personnes d'après l'INSEE - reviennent en emploi, les recettes supplémentaires atteignent 11,7 milliards d'euros, selon la méthodologie du COR. En comptant 10 000 euros de coût par emploi créé, ce qui correspondrait à une politique de l'emploi très efficiente, le gain net pour les finances publiques serait de 5,8 milliards d'euros.

Recettes supplémentaires pour les finances publiques

Coût des politiques de l'emploi

Résultat net d'une hausse de 6,9 points de l'emploi des 55-64 ans

 

Source : commission des finances, données INSEE 2023, méthodologie COR

Cette estimation a certes pour limite la nature approximative de la méthode retenue et des données qui permettent d'y parvenir. Pour autant, elle permet à la fois de constater l'incidence positive de la hausse de l'emploi sur notre système de retraite et le fait qu'elle ne permet pour autant pas à elle seule de combler le déficit estimé à 30 milliards d'euros en 2045 par la Cour des comptes.

III. LA SAUVEGARDE DU SYSTÈME DE RETRAITE FRANÇAIS PASSE PAR PLUSIEURS LEVIERS QU'IL CONVIENT D'ACTIONNER ENSEMBLE

A. SOUTENIR LA HAUSSE DU TAUX D'EMPLOI DES SENIORS

1. Encourager la formation des seniors et développer des emplois adaptés

La DARES montre que l'effet de la formation sur le retour à l'emploi est d'autant plus élevé que l'âge avance : ainsi, pour les plus de 50 ans, avoir suivi une formation a un effet 1,75 fois plus important au bout de 24 mois que pour la catégorie des 26-50 ans. Or, ces plus de 50 ans souffrent d'une forme de discrimination à l'entrée en formation.

Probabilité d'être convoqué, présent ou retenu à une formation
en fonction de l'âge

Source : commission des finances, données Cap Métiers : rapport du Comité scientifique de l'évaluation du Plan d'investissement dans les compétences (PIC)

Il convient donc d'encourager la formation des actifs les plus âgés, pivot de leur maintien ou de leur retour en emploi. Cela irait de pair avec la mise en place de postes qui conviennent aux besoins des seniors.

2. Développer la culture du maintien en emploi et l'aménagement des fins de carrière

L'avènement d'une culture de la retraite progressive, qui permet d'allonger le temps passé en emploi et de favoriser la transition vers la retraite, est possible car ce dispositif, depuis la réforme de 2023, est accessible à tous les actifs. Néanmoins, son utilisation est encore bien trop faible : pour une génération donnée, c'est à 65 ans que les Français y ont le plus recours, mais pour seulement 7,9 % de la classe d'âge.

Situation des seniors sur le marché du travail en 2023 en fonction de l'âge

Source : commission des finances, données INSEE

Le projet de loi qui doit transposer l'accord national interprofessionnel (ANI) d'avril 2024 en faveur de l'emploi des seniors présenté le 7 mai 2025 en Conseil des ministres pourra permettre une telle avancée en prévoyant un nouveau thème de négociations obligatoires dans les branches : « le maintien dans l'emploi [des seniors] et l'aménagement des fins de carrière, en particulier les modalités d'accompagnement à la retraite progressive ou au temps partiel ».

B. PÉRENNISER LE SYSTÈME DE RETRAITE FRANÇAIS PAR RÉPARTITION

1. Pour un retour d'une natalité suffisante permettant d'équilibrer le système

Le rapport démographique entre les actifs cotisants et les retraités s'est très largement dégradé sous l'effet, notamment, de la réduction du taux de fécondité en France et de l'allongement de la durée de vie.

Rapport démographique entre les cotisants et les retraités
tous régimes de retraite confondus

Source : Commission des finances, données direction de la sécurité sociale et INSEE

La recherche d'une reprise de la natalité serait non seulement bénéfique pour le système de retraites, mais surtout le signe d'une société tournée vers l'avenir. Par tous moyens, il convient de chercher à encourager ce retour de la natalité.

2. La nécessité de préserver l'équité intergénérationnelle

Le maintien de l'équité intergénérationnelle assure l'adhésion au système par répartition. Il est préférable, ainsi, de ne pas accentuer la baisse déjà prévue par le COR du niveau de vie relatif des retraités. En effet, ceux qui en pâtiraient ne seraient pas les retraités actuels mais bien les actifs d'aujourd'hui. En outre, en vue de financer le grand âge et la dépendance, il convient de maintenir un niveau de vie suffisant pour les retraités à venir.

A paramètres inchangés, le niveau de vie moyen des retraités par rapport à l'ensemble de la population est d'ailleurs déjà voué, selon le COR, à revenir d'ici 2070 à son niveau de 1985, soit environ 85 %.

3. Recréer un fonds de réserve capable de garantir la pérennité du système face aux chocs économiques et démographiques

Par essence, les systèmes de retraite par répartition sont très sensibles aux évolutions démographiques, mais aussi aux évolutions de la croissance et de la productivité.

Pour amortir les évolutions néfastes pour solde du système, notamment lorsque la natalité, la croissance ou la productivité sont faibles, l'existence d'un fonds de réserve est indispensable.

Il est donc nécessaire de redonner au Fonds de réserve des retraites (FRR) sa mission initiale et préserver ses ressources au lieu de les affecter au remboursement de la dette sociale : entre 2025 et 2033, le FRR doit verser 1,45 milliard d'euros par an à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).


* 1 Conseil d'orientation des retraites (COR).

* 2 Chaire transition démographique, transition écologique (TDTE).

* 3 Direction générale du Trésor.

* 4 L'évolution à la hausse du taux d'emploi, hors effet de composition, est associée à une baisse globale de la productivité, avec une élasticité moyenne de 0,5. C'est cette élasticité que retient la DGT dans ses travaux.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page