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COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 7

· Audition de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique, et Alain Dupuy, directeur du programme « Eaux souterraines et changement global », du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) (Mardi 10 décembre 2024) 7

· Audition de M. Sylvain Barone, membre de l'unité mixte de recherches Gestion de l'eau, acteurs, usages de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) (Mardi 10 décembre 2024) 21

· Communication sur les politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source (Mercredi 11 décembre 2024) 31

· Audition de M. Nicolas Marty, professeur des universités en histoire contemporaine à l'Université de Perpignan, auteur en 2013 du livre L'Invention de l'eau embouteillée (Mercredi 11 décembre 2025) 41

· Audition de M. Guillaume Pfund, docteur en géographie économique, chercheur à l'université Lumière Lyon II (Mercredi 11 décembre 2025) 53

· Audition de Mmes Marie Dupin, journaliste membre de la cellule investigation de France Info, et Pascale Pascariello, journaliste au pôle « Enquêtes » de Médiapart (Mardi 14 janvier 2025) 61

· Caractéristiques thérapeutiques des eaux minérales naturelles - Audition de Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, responsable du laboratoire santé publique et environnement à l'université Clermont-Auvergne (Mercredi 15 janvier 2025) 76

· Communication (Jeudi 15 janvier 2025) 90

· Audition de Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) (Jeudi 16 janvier 2025) 93

· Audition de M. Charles de Batz de Trenquelléon et Mme Frédérique Simon-Delavelle, auteurs du rapport intitulé Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) (Jeudi 16 janvier 2025) 107

· Risques de pollution des sols et des nappes -Audition de M. Vincent Bessonneau, directeur du laboratoire d'étude et de recherche en environnement et santé, Mme Pauline Rousseau-Gueutin, responsable des enseignements en hydrologie-hydrogéologie à l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et M. Jean-Luc Boudenne, professeur des universités à l'université d'Aix-Marseille (Jeudi 16 janvier 2025) 120

· Audition de M. Benoît Vallet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), de Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle « Sciences pour l'expertise » de l'Anses et de Mme Sophie Lardy-Fontan, directrice du laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN) (Mardi 21 janvier 2025) 134

· Audition de Mme Caroline Paquet, responsable technique des marchés « Agences régionales de santé » et « Eaux minérales » du groupe Carso - Laboratoire santé environnement hygiène de Lyon et de M. Yann Le Houedec, directeur général des activités pour la France d'Eurofins hydrologie (Mardi 21 janvier 2025) 154

· Audition de Mme Célia de Lavergne, directrice de l'eau et de la biodiversité (Mercredi 22 janvier 2025) 167

· Audition de M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité et de M. Marc Collas, chef du service départemental des Vosges (Mercredi 22 janvier 2025) 177

· Audition de M. Grégory Emery, directeur général de la santé (Mercredi 22 janvier 2025) 185

· Pollution de l'eau par les PFAS - Audition de M. Alby Schmitt, inspecteur général de l'environnement et du développement durable, co-auteur du rapport « Analyse des risques de présence de per- et polyfluoroalkyles (PFAS) dans l'environnement (Mardi 28 janvier 2025) 203

· Pollution de l'eau par les microplastiques - Audition de MM. Johnny Gasperi, directeur de recherche au laboratoire « eau et environnement » de l'université Gustave Eiffel, Guillaume Duflos, directeur de recherche au laboratoire de sécurité des aliments de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Stephen Kerckhove, directeur général d'Agir pour l'environnement (Mardi 28 janvier) 213

· Associations de défense de l'environnement dans les Vosges - Audition de MM. Bernard Schmitt, président, et Jean-François Fleck, vice-président, de Vosges nature environnement et Mme Maïthé Muscat, co-présidente de Lorraine nature environnement (Mercredi 29 janvier 2025) 234

· Associations des consommateurs - Audition de Mme Ingrid Kragl, directrice de l'information de Foodwatch, M. François Carlier, directeur général et Mme Selma Amimi, chargée de mission « alimentation et développement durable » de Consommation logement cadre de vie (CLCV), et M. Claude Rico, vice-président du Conseil national des associations familiales laïques (Mercredi 29 janvier 2025) 250

· L'écosystème des eaux dans le Gard - Audition de M. Sébastien Ferra, directeur départemental des territoires du Gard, Mme Pascale Fortunat-Deschamps, maire de Vergèze, M. Thierry Agnel, président, et Mme Sophie Ressouche, responsable du pôle « eaux souterraines », de l'établissement public territorial de bassin de Vistre Vistrenque (Jeudi 30 janvier 2025) 266

· L'écosystème des eaux dans les Vosges - Audition de M. Laurent Marcos, directeur départemental des territoires des Vosges, Mme Régine Begel, conseillère départementale, présidente de la commission locale de l'eau des Vosges, MM. Luc Gerecke, maire de Contrexéville et Franck Perry, maire de Vittel (Jeudi 30 janvier 2025) 280

· L'écosystème des eaux dans le Puy-de-Dôme - Audition de MM. Jean-Pierre Lunot, conseiller départemental du Puy-de-Dôme, Alexandre Verdier, président de la commission locale de l'eau Allier Aval, Laurent Thevenot, maire de Volvic, Guilhem Brun, directeur départemental des territoires du Puy-de-Dôme, et Joseph Kuchna, maire de Saint-Yorre (Jeudi 30 janvier 2025) 297

· Les caractéristiques locales des exploitations des eaux minérales naturelles et des eaux de source en Bretagne - Audition de MM. Jean-Pierre Omnès, président de la commission locale de l'eau Arguenon-Baie de la Fresnaye, Michel Raffray, président du syndicat mixte Arguenon-Penthièvre (SMAP), Patrick Barraux, maire de Plancoët et Benoît Dufumier, directeur départemental des territoires et de la mer des Côtes-d'Armor (DDTM) (Mardi 4 février 2025) 314

· Audition de Mme Virginie Cayré, inspectrice générale des affaires sociales, ancienne directrice générale de l'agence régionale de santé du Grand Est (Mercredi 5 février 2025) 332

· Audition de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'agence régionale de santé du Grand Est (Mercredi 5 février 2025) 349

· Audition de Mme Valérie Michel-Moreaux, préfète des Vosges (Mercredi 5 février 2025) 367

· Audition de M. Didier Jaffre, directeur de l'agence régionale de santé Occitanie (Jeudi 6 février 2025) 380

· Audition de M. Jérôme Bonet, préfet du Gard (Jeudi 6 février 2025) 400

· Audition de Mme Cécile Courrèges, directrice générale de l'agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes (Mardi 11 février 2025) 412

· Audition de M. Joël Mathurin, préfet du Puy-de-Dôme (Mardi 11 février 2025) 427

· Audition de M. Jean-Hervé Chassaigne, président du groupe Ogeu (Mercredi 12 février 2025) 439

· Audition de M. Luc Baeyens, directeur général de Sources Alma (Mercredi 12 février 2025) 448

· Audition de MM. Jean-Claude Lacaze, président, et Didier Ramos, directeur général de la Société des eaux de Mont Roucous (Mercredi 12 février 2025) 463

· Audition de Mme Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales - Danone Waters Europe (Jeudi 13 février 2025) 474

· Audition conjointe de MM. Emmanuel Gerardin, directeur de la société des eaux de Volvic, et Frédéric Lebas, directeur de l'usine d'Évian (Jeudi 13 février 2025) 488

· Audition de M. Yves Le Breton, préfet de Haute-Savoie (Jeudi 13 février 2025) 503

· Audition de M. Pierre Ricordeau, ancien directeur général de l'agence régionale de santé d'Occitanie (Mardi 18 février 2025) 513

· Audition de Mme Marie-Françoise Lecaillon, ancienne préfète du Gard (Mercredi 19 février 2025) 527

· Audition de M. Yves Séguy, ancien préfet des Vosges (Mercredi 19 février 2025) 540

· Audition de M. Thomas Breton, sous-directeur du contentieux à la direction des affaires juridiques des ministères sociaux (Mercredi 19 février 2025) 555

· Saisine du Secrétaire général de l'Élysée d'une demande de transmission de documents (Mercredi 20 février 2025) 569

· Audition de M. Charles Touboul Moracchini, ancien directeur des affaires juridiques des ministères sociaux (Mercredi 20 février 2025) 570

· Audition de M. Norbert Nabet, ancien conseiller chargé de la santé publique au cabinet du ministre des solidarités et de la santé (Jeudi 20 février 2025) 594

· Audition de Mme Mathilde Merlo, cheffe du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé (Jeudi 20 février 2025) 606

· Audition de Mme Joëlle Carmès, ancienne sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la direction générale de la santé (Jeudi 20 février 2025) 618

· Audition de Mme Élise Noguera, directrice générale de l'agence régionale de santé de Bretagne (Mardi 4 mars 2025) 630

· Audition de M. Jérôme Salomon, ancien directeur général de la santé (Mercredi 5 mars 2025) 640

· Audition de M. Philippe Fehrenbach, ancien directeur du site Nestlé Waters Gard (Jeudi 6 mars 2025) 669

· Audition de M. Luc Desbrun, directeur du site Nestlé Waters Vosges (Jeudi 6 mars 2025) 691

· Audition de Mme Mathilde Bouchardon, ancienne conseillère du ministre délégué à l'industrie (M. Roland Lescure) (Mardi 11 mars 2025) 713

· Audition de M. Guillaume du Chaffaut, ancien directeur de cabinet adjoint du ministre de la santé (Mme Brigitte Bourguignon, MM. François Braun et Aurélien Rousseau) (Mardi 11 mars 2025) 729

· Audition de M. François Rosenfeld, ancien directeur de cabinet de la ministre déléguée chargée de l'industrie (Mme Agnès Pannier-Runacher) (Mercredi 12 mars 2025) 741

· Audition de M. Victor Blonde, ancien conseiller technique participations publiques, consommation et concurrence au cabinet de la Première ministre (Mme Elisabeth Borne) (Mercredi 12 mars 2025) 752

· Audition de Mme Lucile Poivert, ancienne conseillère santé et biens de consommation au cabinet de la ministre déléguée chargée de l'industrie (Mme Agnès Pannier-Runacher) (Mercredi 12 mars 2025) 772

· Audition de M. Cédric Arcos, ancien conseiller technique santé au cabinet de la Première ministre (Mme Elisabeth Borne) (Jeudi 13 mars) 781

· Audition de Mme Sophie Dubois, directrice générale de Nestlé Waters France d'avril 2018 à janvier 2025, actuelle présidente de Nestlé France (Mardi 18 mars 2025) 800

· Audition de Mme Adrienne Brotons, ancienne directrice de cabinet du ministre de l'industrie (Roland Lescure) (Mercredi 19 mars 2025) 817

· Audition de Mme Muriel Lienau, responsable de la zone EMENA (Europe, Middle East and North Africa) de Nestlé Waters de 2020 à 2023, présidente de Nestlé France de 2023 à 2025, actuelle présidente-directrice générale de Nestlé Waters (Mercredi 19 mars 2025) 833

· Audition de Mme Isabelle Epaillard, ancienne directrice adjointe de cabinet du ministre de la santé (François Braun) et ancienne directrice de cabinet de la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé (Agnès Firmin-Le Bodo) (Jeudi 20 mars 2025) 865

· Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) -Audition de MM. Vincent Filhol, ancien magistrat, avocat et Nicolas Jeanne, professeur de droit pénal à l'université de Tours (Jeudi 20 mars 2025) 892

· Audition de M. Nicolas Bouvier, consultant en relations publiques au cabinet Brunswick, représentant d'intérêts du groupe Nestlé (Mardi 25 mars 2025) 909

· Communication du président et du rapporteur (Mercredi 26 mars 2025) 931

· Audition de M. Ronan Le Fanic, ancien directeur de Nestlé Waters Vosges, responsable technique et opérations de Nestlé Waters (Mercredi 26 mars 2025) 933

· Audition de M. David Vivier, ancien directeur industriel chez Nestlé Waters (Mercredi 26 mars 2025) 958

· Audition de M. Julien Didelot, directeur de la société Agrivair, chargée des mesures de protection des impluviums de Nestlé dans les Vosges (Jeudi 27 mars 2025) 968

· Audition de M. Loïc Tanguy, ancien conseiller « consommation et pratiques commerciales » aux cabinets de MM. Alain Griset et Jean-Baptiste Lemoyne, successivement ministres délégués aux petites et moyennes entreprises (Jeudi 27 mars 2025) 978

· Audition de M. Jérôme Vidal, ancien conseiller « consommation et pratiques commerciales » au cabinet de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation (Jeudi 27 mars 2025) 990

· Audition de Mme Agnès Firmin Le Bodo, ancienne ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, puis ministre de la santé (Mardi 1er avril 2025) 1012

· Audition de M. Roland Lescure, ancien ministre délégué chargé de l'industrie (Mardi 1er avril 2025) 1029

· Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ancienne secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, puis ministre déléguée chargée de l'industrie (Mercredi 2 avril 2025) 1046

· Audition de Mme Yasmine Motarjemi, ancienne directrice monde de la sécurité alimentaire chez Nestlé (Mercredi 2 avril 2025) 1068

· Communication du rapporteur sur les documents reçus de la présidence de la République (Mardi 8 avril 2025) 1078

· Audition de M. Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé (Mercredi 9 avril 2025) 1087

· Audition d'Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de la Première Ministre (Élisabeth Borne) (Mercredi 30 avril 2025) 1114

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué
et directeur scientifique, et Alain Dupuy, directeur du programme
« Eaux souterraines et changement global », du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)
(Mardi 10 décembre 2024)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous entamons les travaux de notre commission d'enquête par une série d'auditions introductives destinées à clarifier les enjeux géologiques et physiques relatifs aux eaux souterraines. Nous avons souhaité commencer par l'audition de M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), et de M. Alain Dupuy, directeur du programme « Eaux souterraines et changement global » du BRGM.

Messieurs, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Poinssot et M. Alain Dupuy prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.

Au début de l'année 2024, la presse s'est fait l'écho de pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Progressivement, l'opinion publique a appris que ces pratiques et d'autres, comme des forages illégaux, existaient depuis plusieurs années et que l'État avait connaissance de certaines d'entre elles depuis au moins 2020.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours. Son objet est ainsi de s'assurer que la santé et la correcte information des consommateurs d'eaux minérales et eaux de source soient bien garanties et que les errements passés ont cessé ; d'établir les responsabilités industrielles, administratives et politiques dans la poursuite de certaines pratiques interdites et de contribuer, le cas échéant, à restaurer la confiance dans un secteur industriel au poids économique crucial.

L'objet de nos premières auditions est essentiel parce qu'il nous faut apprécier la situation actuelle des eaux souterraines dans notre pays et en comprendre les enjeux.

Service géologique national, le BRGM est l'établissement public de référence dans les applications des sciences de la Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol dans une perspective de développement durable.

Parmi les six grands enjeux identifiés par le BRGM figure la gestion des eaux souterraines. Il était donc indispensable de vous entendre dès le début de nos travaux.

Comment se constituent et se reconstituent les nappes d'eaux souterraines ? Quel est l'état global des eaux souterraines en France en 2024 aux niveaux quantitatif et qualitatif ? Quelles grandes tendances se dégagent depuis plusieurs décennies ? Comment le BRGM assure-t-il le suivi du niveau des nappes phréatiques ? Quelle connaissance le BRGM a-t-il des prélèvements des industriels des eaux embouteillées ? Plus globalement, quel rôle joue-t-il dans la surveillance de ces nappes ? À quoi faut-il s'attendre dans l'avenir, à la suite des changements climatiques, s'agissant des prélèvements en eaux ? Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

Nous vous proposons de dérouler cette audition, qui est diffusée en direct sur le site internet du Sénat, en plusieurs temps. Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en dix minutes maximum. Cette intervention liminaire sera suivie d'une série de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

M. Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières. - C'est pour nous un honneur d'inaugurer vos auditions sur le sujet important de l'eau, qui est, vous l'avez compris, l'un des enjeux de notre établissement, en tant que service géologique national.

Nous avons souhaité vous communiquer, au travers de quelques documents dont vous aurez la copie, des grands éléments de compréhension de ce que sont les ressources en eaux souterraines en France, du rôle qu'elles jouent dans notre approvisionnement, ainsi que des effets à la fois des activités humaines et du changement climatique.

Le BRGM est un établissement public qui a soixante-cinq ans, avec environ un millier de salariés. Nous avons deux activités d'un poids à peu près équivalent : d'une part, une activité de recherche, pour mieux comprendre le sous-sol, toutes ses ressources et tous ses risques ; d'autre part, une activité d'appui aux politiques publiques, à l'échelle tant nationale, auprès des administrations centrales et des ministères, que territoriale, auprès des collectivités et des services déconcentrés qui nous sollicitent.

Nous sommes localisés à Orléans, où travaillent nos équipes de recherche. Mais nous avons aussi des directions régionales dans tous les territoires français, y compris outre-mer, ce qui nous permet d'être au contact de l'ensemble des acteurs, au plus proche du terrain.

Aujourd'hui, nous sommes mobilisés et sollicités par les pouvoirs publics sur plusieurs grandes missions : la maîtrise des risques du sol et du sous-sol, qui représente un tiers de l'activité de l'établissement ; le suivi pour le compte de l'État de la ressource en eaux souterraines, soit un quart de notre activité ; les ressources minérales, indispensables pour les transitions actuelles, soit environ 10 % de notre activité ; l'utilisation du sous-sol pour la transition énergétique, soit également 10 % environ ; enfin, les travaux de connaissance du sous-sol, que nous menons en tant que service géologique national.

Je souhaite insister sur l'importance des eaux souterraines. Il faut en avoir conscience, seulement 3 % des eaux sur terre sont des eaux douces, propres à la consommation. Et l'essentiel des eaux douces se trouve dans l'eau glacée, en particulier dans les glaciers et les calottes polaires. Mais un tiers des eaux douces proviennent des eaux souterraines, quand les eaux disponibles à la surface n'en fournissent que 0,4 %. Il y a ainsi cent fois plus d'eau dans notre sous-sol que dans nos lacs, nos rivières et nos cours d'eau.

Cette ressource du sous-sol est extrêmement importante. Elle est liée aux précipitations qui s'infiltrent dans le sous-sol et qui remplissent les nappes souterraines. Si le flux annuel est assez faible, les eaux en sous-sol représentent un stock énorme. À l'échelle mondiale, le temps de résidence est, en moyenne, de 1 400 ans : c'est le temps moyen que met une goutte d'eau pour entrer et ressortir. Pour les eaux de surface, le stock est plus important, mais le temps de résidence est moindre.

Il faut s'imaginer que le sous-sol est une éponge, avec des pores plus ou moins gros. Plus leur taille est importante, plus l'eau va pouvoir circuler par ce que l'on appelle des aquifères. Plus ceux-ci sont petits et renfermés, moins l'eau peut bouger. Il y a des niveaux dans lesquels on ne peut pas exploiter l'eau : ce sont les aquitards.

Le sous-sol n'est pas composé de couches horizontales. Il y a toute une structure. Il arrive que les aquifères soient à la surface du sol : à ce moment-là, l'eau peut s'infiltrer et s'écouler en pente. C'est un mouvement naturel. Dans le sous-sol, l'eau n'est pas immobile ; elle bouge.

Sur notre territoire national, il y a différents types de nappes souterraines.

Il y a d'abord des nappes qui se situent relativement en surface et qui correspondent à des roches très grossières, avec des trous de grande taille. Ce sont des nappes d'eau qui réagissent assez vite : s'il pleut, l'eau rentre très vite ; s'il fait sec, elle s'évapore très vite. On parle de nappes réactives.

À l'inverse, lorsque les nappes d'eau sont de plus grande taille, plus profondes, dans une roche dont les trous sont plus petits, l'eau bouge très doucement, même si cela représente une masse très importante. On parle alors de nappes inertielles : les mouvements prennent plus de temps et sont plus amortis.

Enfin, il y a des zones dans lesquelles les nappes sont de beaucoup plus petite taille et ne sont pas forcément connectées entre elles. Cela correspond aux zones volcaniques ou aux zones granitiques, que l'on voit en particulier dans les massifs anciens français.

Il y a donc des nappes de dynamiques variées. Certaines réagissent très vite à la sécheresse ou aux pluies importantes. D'autres sont beaucoup plus inertielles et mettent plusieurs années à réagir en cas de changement d'importance.

Dans ce contexte, la question de l'eau est une question de territoire : les besoins comme les ressources en eau varient selon les territoires. Dans certaines régions, on trouve majoritairement de l'eau souterraine ; dans d'autres, c'est l'eau de surface qui est majoritaire.

En France, les deux tiers de l'eau potable en France proviennent aujourd'hui de l'eau souterraine. Le taux est de 40 % pour l'eau industrielle, ainsi que pour l'eau agricole. Il est donc très important de maîtriser et de préserver la ressource en eau souterraine, afin de pouvoir répondre à nos besoins en termes de consommation. Je le précise, les chiffres que je viens de communiquer concernent le territoire hexagonal.

Dans les outre-mer, il y a des situations beaucoup plus spécifiques, qui varient selon le climat ou la position géographique, par exemple par rapport au vent. Les tensions en eau peuvent être importantes. L'exemple de Mayotte en est tout à fait typique ; nous avons été très mobilisés dans la gestion de la crise, qui n'est pas encore terminée, et nous continuons d'agir.

Vous l'aurez compris, la ressource en eau souterraine est une part importante de notre besoin. Il faut donc que nous puissions la surveiller et la contrôler. C'est l'une des missions que nous exerçons pour le compte des pouvoirs publics. Nous avons un réseau de piézomètres, c'est-à-dire de puits contenant des instruments permettant de mesurer le niveau de l'eau. Nous avons aujourd'hui plus de 2 300 points. Cela nous permet de suivre en permanence le niveau de l'eau - la remontée d'informations est, pour une large part, automatisée - et de savoir à tout moment quel est le niveau des masses d'eau. Ces éléments, qui sont rendus publics, notamment sur le site d'accès aux données sur les eaux souterraines (Ades), nous permettent de construire la carte de suivi du niveau des nappes.

L'année 2024 se caractérise par des niveaux d'eau extrêmement élevés : contrairement à la tendance d'il y a quelques années, les nappes sont aujourd'hui très fortement remplies. En deux ans, nous sommes passés d'une situation de crise - songeons à la sécheresse de 2022, qui s'est prolongée pendant l'hiver - à une situation de quasi-surplus d'eau. En 2022-2023, la majeure partie des nappes d'eau était vraiment en déficit. Cela a duré jusqu'au début de l'automne 2023. La situation de sécheresse était critique. Depuis, les nappes d'eau sont fortement remplies. La seule exception est le grand Sud, autour des Pyrénées-Orientales.

Il est important de suivre ces nappes d'eau en quantité, mais également en qualité. Nous sommes en train d'instrumenter le réseau piézométrique à cette fin. Mais c'est encore en devenir. Certaines masses d'eau sont polluées par des produits chimiques liés aux activités humaines, au sens très large. Cela ne signifie pas qu'elles soient nécessairement impropres à la consommation.

En France, nous avons 186 eaux conditionnées. Il s'agit d'eaux minérales, d'eaux de source. Quatre de ces eaux conditionnées - c'est donc très minoritaire - sont des eaux rendues potables par traitement. Elles sont réparties sur les différentes régions. Le volume d'eau produit est important, mais il reste très limité par rapport à l'ensemble de la consommation d'eau. Aujourd'hui, la production d'eau conditionnée représente 0,4 % de la consommation d'eau totale en France. C'est donc relativement faible, mais ce n'est tout de même pas négligeable dans certains territoires, la répartition n'étant pas homogène à l'échelle nationale. L'eau minérale et l'eau de source représentent environ chacune 0,2 % de la consommation totale destinée à la consommation humaine.

Les prélèvements sont autorisés par les pouvoirs publics ; il s'agit souvent d'autorisations en termes de volume total annuel, ainsi que de débits maximaux horaires et journaliers, avec un suivi par les services de l'État. Les données sont mises à disposition annuellement par les agences de l'eau ; chacun peut y accéder.

Le changement climatique augmente les températures et conduit à une modification du régime des pluies. En effet, qui dit températures plus importantes dit augmentation de l'évaporation et de l'évapotranspiration. Le cycle de l'eau est donc modifié. Savoir quelles seront les répercussions sur les ressources en eau, en particulier en eau souterraine, est un enjeu extrêmement important.

Depuis quelques mois, nous disposons des résultats d'un exercice réalisé par beaucoup d'établissements de recherche français, de Météo France au BRGM, en passant par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ce travail a permis de faire une modélisation beaucoup plus fine des effets du changement climatique sur la ressource en eau. L'exercice a porté sur la recharge en eau cumulée à l'horizon 2071-2100, selon différents scénarios climatiques provenant du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec).

Sans entrer dans les détails, la France serait, en quelque sorte, coupée en deux, avec une partie septentrionale dans laquelle il y aurait plus d'eau en moyenne annuelle, et une partie méridionale dans laquelle il y aurait moins d'eau, avec une forte baisse sur l'extrême sud-est ou l'extrême sud-ouest. Je le précise, je parle bien de quantité annuelle : même dans la partie septentrionale, il y aura des périodes, sans doute longues, de sécheresse. Vous le savez, le changement climatique modifie le régime des pluies : même s'il tombera plus d'eau, ce sera de manière plus concentrée. Cela soulève la question des moyens pour gérer la ressource en eau et la préserver sur la durée.

Tels sont les éléments que nous souhaitions porter à votre connaissance à ce stade, afin d'éclairer vos réflexions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez présenté l'état de la ressource sur trois années. J'aimerais avoir votre vision sur un horizon de temps plus long, par exemple plusieurs décennies. Avez-vous des indicateurs synthétiques permettant d'expertiser la qualité en eau ?

Avez-vous le même système de supervision pour les eaux souterraines soumises à votre contrôle et pour les eaux embouteillées ?

Auriez-vous des informations particulières à nous communiquer sur les nappes qui sont exploitées par les industriels des eaux embouteillées ?

M. Christophe Poinssot. - Vous l'avez compris, historiquement, le premier souci du BRGM a été de suivre la quantité. Nous avons aujourd'hui un réseau piézométrique qui est assez performant - beaucoup de pays l'envient - et qui nous permet vraiment d'avoir une information fiable, bien répartie sur le territoire, sur le suivi du niveau des nappes.

Sur le volet qualité, les choses sont encore en train de se développer. Nous n'avons pas du tout le même recul. Néanmoins, nous avons déjà des analyses, certes plus ponctuelles. Elles montrent que nos nappes d'eau souterraines sont marquées par les activités humaines. Je souhaite toutefois faire deux commentaires.

Premièrement, ce n'est pas parce que nous détectons quelque chose que l'eau n'est pas potable ou pose des problèmes de santé. Aujourd'hui, nous avons des limites de détection qui sont extrêmement faibles. Nous voyons un pouillème de tout ce qu'il peut y avoir dans l'eau. C'est extrêmement intéressant parce que cela permet de percevoir des signaux précurseurs avant la survenue d'un problème.

Deuxièmement, tout dépend des nappes. Dans le cas des nappes réactives, nous pouvons voir très vite ce qui se passe. Dans celui des nappes inertielles, les effets mettront beaucoup plus de temps à apparaître et à disparaître.

M. Alain Dupuy, directeur du programme « Eaux souterraines et changement global » du Bureau de recherches géologiques et minières. - Les éléments relatifs aux indicateurs de qualité que nous vous avons communiqués proviennent d'un travail lié à la directive-cadre sur l'eau (DCE). Nous avons à disposition deux ou trois campagnes nationales d'état des lieux. Il est nécessaire d'avoir des campagnes de synthèse annuelles ; elles sont en train de se mettre en place. Des bilans sont réalisés.

Il y a également un volet bio, afin de donner un indicateur supplémentaire sur la qualité des eaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que vous ne soyez pas aussi avancés sur la qualité que sur la quantité. Mais j'aimerais revenir sur les eaux embouteillées.

D'une part, procédez-vous aux mêmes mesures de qualité pour les nappes qui sont gérées par les industriels et pour celles qui sont soumises à votre contrôle ?

D'autre part, quels types de pollution constatez-vous ? Quelles en sont les origines ? Avez-vous relevé de bonnes pratiques en certains endroits ?

M. Christophe Poinssot. - Notre rôle est de suivre en quantité et en qualité les nappes souterraines, qu'il y ait ou non des prélèvements à des fins industrielles. Notre suivi est régional, au sens plus territorial qu'administratif du terme. Nous avons donc des informations sur les nappes exploitées par les industriels. Nous n'effectuons pas de contrôles - c'est le rôle des services de l'État, pas le nôtre - sur la qualité ou la quantité de l'eau prélevée. Nous nous cantonnons au suivi du milieu naturel et du niveau des nappes, afin de pouvoir analyser, le cas échéant, si elles évoluent dans un sens ou dans un autre.

M. Alain Dupuy. - Je vous le confirme, que les nappes soient ou non exploitées par un industriel pour produire de l'eau potable ou par le secteur agricole, les moyens de surveillance des systèmes aquifères sont les mêmes. Nous regardons les phénomènes à l'échelle des nappes ou à celle de masses d'eau, c'est-à-dire d'ensembles de nappes. Il n'existe pas de distinction entre la surveillance d'une source hydrothermale qui servirait à un embouteillement et celle d'une autre nappe qui ne servirait qu'à l'alimentation en eau potable (AEP).

M. Christophe Poinssot. - Nous pourrions multiplier les exemples de bonnes pratiques qui se développent actuellement. Sur le territoire de Vittel-Contrexéville, une organisation réunit les industriels et les services de l'État, dont le BRGM, pour mieux connaître la ressource et installer des piézomètres supplémentaires afin d'obtenir un modèle de la nappe phréatique des grès du Trias inférieur. Une connaissance plus fine de cette nappe permet de vérifier que son niveau est stabilisé et de s'assurer que les prélèvements autorisés par l'État sont soutenables.

Chaque cas est particulier, par sa géographie et les caractéristiques de son site, ainsi que par les démarches mises en oeuvre.

M. Alain Dupuy. - La typologie des pollutions sur une exploitation ou un site d'embouteillage dépendra du type de nappe sur laquelle la ressource est prélevée. Si la nappe est directement connectée à la surface, le risque d'y retrouver des pollutions issues de la surface existe. Si la nappe est plus profonde et que l'eau qu'on y trouve a plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d'années, la présence de polluants anthropiques est due non à la percolation, mais plutôt à des forages installés dans la nappe, qui font court-circuit et amènent les polluants jusqu'au point d'émergence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je résume vos propos, à part l'expérimentation que vous avez mentionnée sur la nappe du territoire de Vittel-Contrexéville, on ne sait pas si les nappes sont ou non surexploitées par les industriels ?

M. Christophe Poinssot. - Oui.

M. Alain Dupuy. - Nous sommes d'accord.

M. Christophe Poinssot. - Il y a toutefois un suivi de long terme du niveau d'une partie de ces nappes. Le niveau de la nappe des grès du Trias inférieur a eu tendance à baisser durant des décennies, mais les eaux de source Vittel et Contrexéville ne sont pas les seules à prélever dans cette nappe : toutes les activités agricoles ou industrielles de la région y puisent. La question devient celle du partage des ressources et de la gouvernance qui y est associée. Nous ne percevons que le résultat global de l'ensemble des activités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les industriels invoquent souvent comme une difficulté pour leur activité la multiplication d'événements climatiques extrêmes dus au changement climatique. Quels sont, selon vous, les principaux points de vulnérabilité liés au changement climatique ?

M. Alain Dupuy. - Le changement climatique a comme effet visible une concentration des précipitations durant l'hiver, avec une intensité des pluies plus importante. Ces phénomènes ont des conséquences plutôt défavorables sur la percolation et l'infiltration. En raison des événements plus violents, le curseur bascule vers moins de percolation et plus de ruissellement, avec les conséquences que l'on connaît en matière d'inondations. Même si les précipitations sont plus importantes, il est légitime de se demander si elles sont efficaces par rapport à la ressource, notamment par rapport à sa disponibilité future. C'est un vrai écueil. Statistiquement, il a été prouvé que les événements hivernaux d'intensité supérieure à la normale sont plus fréquents.

M. Christophe Poinssot. - Dans la palette de solutions à très long terme dont nous disposons, sans parler de la recharge maîtrisée des nappes qui existe déjà dans certains territoires, il faut ralentir les ruissellements et faciliter la pénétration des précipitations dans le sous-sol afin d'assurer la recharge des nappes.

Mme Audrey Linkenheld. - Je souhaite revenir sur la question des forages. Il y a 186 eaux conditionnées en France. Depuis combien de temps ces eaux ont-elles été créées ? Certaines sont-elles plus récentes que d'autres ? J'ai été assez surprise d'apprendre que certains forages étaient récents et que des gisements étaient découverts. Les industriels, en raison de l'évolution de la réglementation, sont amenés à fermer des forages et à en ouvrir d'autres, à prélèvement équivalent. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point ?

M. Alain Dupuy. - Avant l'introduction de la technologie des forages modernes, apportée après la Seconde Guerre mondiale par les Américains, on savait faire des puits par battage. L'origine des puits thermaux est romaine ; sous le Troisième Empire, leur développement est dû à celui du thermalisme. Sur les sources thermales ont ensuite été implantés des forages, dans l'idée de protéger le consommateur en cherchant une ressource plus pure, parce que plus profonde.

Les demandes de création de nouveaux points hydrothermaux, à des fins médicales ou d'embouteillage, ne sont pas liées à des découvertes : nous connaissons et surveillons déjà ces systèmes aquifères. Elles font l'objet d'une demande auprès de l'académie nationale de médecine, au cours de laquelle il faut prouver le bénéfice pour la santé de la consommation de ces eaux. C'est à ce titre que les eaux minérales naturelles sont agréées par le ministère de la santé.

M. Daniel Gremillet. - Les 2 300 piézomètres que vous avez mentionnés sont-ils tous sous le contrôle du BRGM, ou avez-vous comptabilisé ceux dont disposent des entreprises privées, qui mettent éventuellement leurs mesures à votre disposition ?

Les opérations Ferti-Mieux, mises en place sur les territoires afin de suivre l'évolution de la pollution des eaux par les nitrates, font-elles partie des opérations contrôlées par le BRGM ?

Vous avez évoqué les 1 400 années qui s'écoulent en moyenne entre le moment où l'eau tombe sur le sol et celui où elle est prélevée. Beaucoup de territoires sont-ils concernés par une faille telle que celle que l'on trouve sur le territoire de Vittel-Contrexéville, qui fait que d'un côté ou de l'autre de cette faille l'âge de l'eau prélevée est très différent ?

M. Christophe Poinssot. - Entre 1 600 piézomètres et 1 650 piézomètres sont directement gérés par le BRGM ; les autres sont gérés par des associations, des organismes publics ou privés. Au total, nous nous servons de 2 300 piézomètres pour assurer le suivi des nappes.

D'autres piézomètres existent en France, mais le suivi des données qu'ils fournissent n'est pas assuré avec les mêmes procédures de qualité. Ils ne permettent pas d'obtenir un suivi fin, représentatif et comparable d'un territoire à un autre. En revanche, certains permettent d'obtenir des données plus spécifiques.

M. Alain Dupuy. - Des moyens de limiter les contaminations aux nitrates ont été développés ailleurs que sur les territoires où ont eu lieu des opérations Ferti-Mieux. Tous les territoires de protection des captages d'eau potable bénéficient de ces démarches. D'ailleurs, les embouteilleurs d'eau se sont souvent inspirés de ces procédures de protection des ressources en eau potable pour développer ce type de pratiques sur leurs bassins versants.

Les 1 400 ans de l'eau ne sont qu'une moyenne : pour certaines nappes, il ne s'agit que de quelques mois ; pour d'autres, la durée peut aller jusqu'à plus de 10 000 ans. La présence de failles relève malheureusement du cas par cas. Nous avons une connaissance relativement globale de l'âge des eaux qui circulent dans tel ou tel horizon aquifère, mais nous n'avons pas daté, au cas particulier près, l'eau de tous les points de prélèvement. En revanche, nous savons observer la circulation de l'eau et calculer les taux de renouvellement des nappes phréatiques.

M. Christophe Poinssot. - Un des enjeux importants est de disposer de modèles hydrogéologiques qui permettent de modéliser la totalité des aquifères. Nous disposons d'un certain nombre d'analyses, mais nous ne couvrons pas encore l'ensemble du territoire français. C'est l'objet de travaux en cours, pour anticiper à l'échelle saisonnière de potentielles périodes de sécheresse, ainsi que pour mesurer plus finement les impacts du changement climatique à l'échelle décennale.

Mme Antoinette Guhl. - Compte tenu de votre expertise dans le domaine de l'eau, quel regard portez-vous sur les scandales qui ont touché les eaux minérales ces dernières années ? On a parlé de pollutions aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) et aux pesticides. La situation de certains minéraliers est-elle très particulière, ou ces pollutions sont-elles généralisées à toutes les nappes ?

Un travail a été réalisé pour limiter les pollutions à Vittel et Contrexéville. En revanche, en raison de la surexploitation de la nappe sur laquelle l'eau d'Hépar est puisée, les prélèvements ont été diminués de moitié, après que des volumes sans doute excessifs ont été autorisés. Je m'étonne que vous n'interveniez que sur les niveaux de prélèvement. Y a-t-il une différence entre les nappes phréatiques des eaux minérales de Vittel, de Contrex et d'Hépar ?

M. Alain Dupuy. - Les contaminations par des PFAS ou des pesticides sont des cas typiques de contaminations venant de la surface. Soit ces contaminations ont suivi un cheminement préférentiel par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs forages, qui amènent les contaminants de surface à une certaine profondeur avant de les reprendre par les pompes ; soit il s'agit d'une contamination de plus longue haleine, qui par percolation contamine l'intégralité de la nappe.

Une contamination par un point de passage est plus facile à traiter et à résoudre. Une contamination plus généralisée par percolation, ayant modifié les écoulements, met à mal l'intégralité de la ressource ; trouver une solution est alors bien plus complexe.

M. Christophe Poinssot. - Ainsi que je l'indiquais lors de mon propos introductif, certaines nappes, très réactives, sont assez rapidement contaminées par toute pollution anthropique. La contamination prendra beaucoup plus de temps sur d'autres, à l'inertie beaucoup plus grande. Inversement, il sera plus facile de dépolluer une nappe réactive qu'une nappe inertielle.

Des eaux de surface sont marquées par les activités anthropiques. Le cas des nitrates est emblématique : il faudra des décennies pour effacer le marquage aux nitrates sur une partie du territoire.

M. Hervé Gillé. - Les inquiétudes sont très fortes en ce qui concerne les aires d'alimentation de captage. Dans la perspective d'une grande conférence nationale sur l'eau, les déclarations gouvernementales récentes mettaient en avant la nécessité de préserver les aires d'alimentation de captage en allant bien au-delà des priorités actuellement fixées.

Avez-vous eu des directives ou des recommandations du Gouvernement pour analyser la situation ? La priorisation des aires d'alimentation de captage supposerait de dresser une cartographie pour établir une stratégie à moyen terme. Êtes-vous associés à une telle réflexion, essentielle pour déterminer les moyens à mettre en oeuvre ?

M. Alain Dupuy. - Nous avons entendu parler des demandes de protection, mais nous n'avons pas de commande au sujet de la priorisation des aires de protection des captages. On peut légitimement avancer qu'il vaudrait mieux regarder les nappes libres réactives que les nappes captives.

M. Hervé Gillé. - La priorité serait donc établie en fonction de la percolation des pollutions et de la réactivité de la nappe ?

M. Alain Dupuy. - Tout à fait.

M. Christophe Poinssot. - Nous sommes sollicités à l'échelle des territoires pour développer une meilleure connaissance des aquifères, que cela soit dans l'Hexagone ou dans les territoires d'outre-mer. Des moyens de géophysique aéroportée, avions et hélicoptères, permettent d'obtenir une cartographie du sous-sol. Des travaux de modélisation permettent alors de mieux connaître la ressource pour mieux la gérer à long terme.

Mme Marie-Lise Housseau. - Le BRGM étudie l'évolution qualitative et quantitative des masses d'eau. De votre point de vue, percevez-vous une amélioration de la qualité de l'eau, en particulier en ce qui concerne les pollutions aux nitrates, aux produits phytosanitaires ou pharmaceutiques ?

Comme toutes les masses d'eau communiquent, y a-t-il à terme un risque que les eaux minérales soient contaminées malgré les périmètres de captage mis en place, ou les forages sont-ils suffisamment profonds et étanches pour les préserver des évolutions futures ?

M. Christophe Poinssot. - Il est important de rappeler qu'un forage bien fait ne permet pas de court-circuit entre des nappes d'eau. L'intégrité des nappes est préservée, même en cas de forages ; l'État est là pour le vérifier.

Il est difficile de répondre à votre question parce que, chaque année, nous mesurons de nouveaux polluants qu'on ne savait pas détecter l'année précédente. Les techniques progressent. Les PFAS, que nous ne savions pas analyser jusqu'à récemment, en fournissent un très bon exemple. Pour cette raison, il est difficile de comparer les mesures actuelles à celles qui ont été réalisées par le passé, alors que nous ne savions pas mesurer certaines substances. La réponse à votre question est délicate : nous progressons au fur et à mesure des observations.

M. Olivier Jacquin. - Je m'étonne du peu d'éléments dont vous disposez au sujet de l'évolution de la qualité des eaux. Vers quel organisme public faut-il se tourner pour avoir des informations plus précises sur les menaces et les risques relatifs à la qualité de l'eau, en particulier pour les eaux minérales naturelles ? Faut-il se tourner vers les agences de l'eau ou vers les agences régionales de santé (ARS) ? J'ai été vice-président d'une agence de l'eau. Le nombre de fermetures de captages d'eau était un indicateur assez révélateur de la baisse de la qualité de la ressource.

M. Christophe Poinssot. - L'évolution actuelle est que les eaux souterraines sont plus marquées que par le passé par les activités humaines. C'est logique, compte tenu de l'effet mémoire et de l'accumulation des années de forte activité industrielle. L'évolution va plutôt dans le sens d'une dégradation progressive, que l'on ne sait pas forcément quantifier.

Le suivi des eaux prélevées n'est pas de notre ressort. Je ne sais pas si cela relève de la compétence des ARS ou de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), mais nous regardons les nappes de manière générale et en aucun cas les prélèvements qui y sont effectués.

Mme Élisabeth Doineau. - Si cette commission d'enquête a été créée, c'est parce que, dans différents groupes industriels, les traitements subis par certaines eaux minérales font qu'en réalité on ne peut plus les considérer comme telles.

Les eaux conditionnées sont les eaux minérales naturelles, les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement. Peut-on envisager que certaines de ces eaux classées comme minérales doivent passer dans la catégorie des eaux rendues potables par traitement ?

M. Alain Dupuy. - Oui, des eaux minérales peuvent basculer vers cette catégorie, mais ce n'est pas nous qui donnons l'agrément, c'est l'académie nationale de médecine qui décide de ce classement. Si les eaux ont été traitées, elles doivent normalement perdre leur agrément d'eau minérale naturelle.

Il est du ressort des autorités sanitaires de dégrader le classement d'une eau minérale vers une eau d'un autre type. Il me semble que cela n'a jamais été fait, sauf en cas de conditions irréversibles pour la qualité de l'eau. Certaines eaux ont perdu leur agrément, ce qui a conduit à la fermeture de points de prélèvements, mais les exemples qui me viennent à l'esprit concernent plutôt des stations thermales que des eaux embouteillées.

Mme Florence Lassarade. - Existe-t-il des systèmes de surveillance des eaux similaires dans les autres pays européens ? Quelles sont vos relations avec vos homologues européens ? Comparez-vous vos méthodes de travail ? Je pense notamment aux pays du Sud, qui sont confrontés à des problèmes de sécheresse.

M. Christophe Poinssot. - Il existe à l'échelle européenne une association des services géologiques nationaux, EuroGeoSurveys, que j'ai l'honneur de présider depuis deux ans. Celle-ci nous permet de discuter et de comparer les missions de nos services géologiques respectifs, en particulier dans le domaine de l'eau. Des représentants des vingt-sept services géologiques européens sont réunis dans un groupe d'experts et partagent leurs méthodologies et leurs savoir-faire. Nous essayons de mutualiser nos expériences pour enrichir nos connaissances.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne sais pas à quel point la carte des vulnérabilités que vous avez mentionnée est aboutie, mais il serait très intéressant pour la commission d'enquête d'en disposer. Cela nous permettrait d'identifier les zones sujettes à des fragilités afin d'adapter la réponse publique.

Par ailleurs, l'outil le plus connu pour agir sur un problème quantitatif est l'arrêté préfectoral sécheresse. De quels outils manquons-nous en matière de prévention ? L'avenir de la prévention semble résider dans la gestion de la ressource ; que développez-vous à cet égard ?

À ce stade, notre seule réponse aux sécheresses est quelque peu primaire : prendre un arrêté préfectoral, y mettre fin et recommencer le cas échéant. Ce qui se passe en amont de ces décisions est assez opaque.

Comment rendre la réponse publique efficace pour préserver la ressource en eau ? Vous nous avez alertés sur le fait que la qualité de celle-ci tend à se dégrader. Comment enrayer ce processus ? À l'aide de quels outils ?

M. Christophe Poinssot. - Il convient de distinguer les solutions au long court et les situations de crises, qui sont traitées par des arrêtés sécheresse. Je laisserai mon collègue vous répondre sur ce second aspect.

Pour renforcer notre capacité d'anticipation au long court, deux points nous paraissent très importants.

Tout d'abord, nous devons nous munir d'outils pour anticiper les évolutions d'une nappe d'eau souterraine en fonction de ce que nous savons du climat et des prévisions météorologiques annuelles, afin d'anticiper des politiques publiques avant que ne survienne une situation de crise. À cet effet, nous avons développé des outils de modélisation. C'est sur ces derniers que porte notre deuxième point d'inquiétude : pour qu'ils soient fiables, nous devons avoir une bonne connaissance des prélèvements non seulement des embouteilleurs, mais de tous les points d'eau, qu'il s'agisse d'eau potable, de systèmes d'irrigation ou d'exploitations industrielles. Il existe des obligations de déclaration, mais leur fréquence est insuffisante. Il est nécessaire de renforcer notre connaissance collective des prélèvements si nous voulons être capables d'anticiper dès l'hiver ou le début du printemps les crises qui pourraient survenir durant la période estivale et de gérer collectivement cette ressource limitée.

M. Alain Dupuy. - Pour ce qui concerne les arrêtés sécheresse, ils sont l'ultime solution en cas de crise. Vous aurez compris que la gestion de l'eau est un enjeu territorialisé. Les situations sont spécifiques et exigent des réponses au cas par cas.

Les outils les plus adaptés sont les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage), car ils permettent de prendre des décisions collégiales et partagées sur l'état quantitatif et qualitatif des nappes souterraines. Ils font appel à des outils numériques de prévision des tendances d'évolution des niveaux des nappes en fonction des contraintes climatiques. Nous avons par exemple développé MétéEAU Nappes.

Toutefois, pour employer au mieux ces outils, nous devons connaître les contraintes supplémentaires, c'est-à-dire les prélèvements, les comportements humains, etc. En cela, je rejoins les propos de mon collègue : une actualisation plus rapide des données de prélèvements nous serait utile pour apporter des réponses efficaces aux décideurs publics.

M. Laurent Burgoa, président. - Messieurs, je vous remercie de la qualité de nos échanges. Vous étiez les premières personnes à être entendues par notre commission d'enquête, qui devra rendre son rapport au plus tard le 20 mai prochain.

Audition de M. Sylvain Barone, membre de l'unité mixte
de recherches Gestion de l'eau, acteurs, usages de l'Institut national
de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae)
(Mardi 10 décembre 2024)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions introductives destinées à clarifier les enjeux géologiques et physiques relatifs aux eaux souterraines. Nous avons souhaité entendre M. Sylvain Barone, membre de l'unité mixte de recherches Gestion de l'eau, acteurs, usages de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Compte tenu du faible délai que nous avons imposé à M. Barone, nous avons accepté de l'entendre en visioconférence.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Sylvain Barone prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.

Au début de l'année 2024, la presse s'est fait l'écho de pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Progressivement, l'opinion publique a appris que le recours à ces pratiques, mais aussi à d'autres pratiques, comme des forages illégaux, durait depuis plusieurs années. En outre, il a été mis au jour que l'État avait connaissance de certaines d'entre elles depuis au moins l'année 2020.

La commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours. Aussi, sa vocation est de s'assurer que la santé et la correcte information des consommateurs d'eaux minérales et eaux de source sont bien garanties et que les errements passés ont cessé ; d'établir les responsabilités industrielles, administratives et politiques dans la poursuite de certaines pratiques interdites ; de contribuer, le cas échéant, à restaurer la confiance dans un secteur industriel au poids économique crucial.

L'objet de nos premières auditions est d'apprécier la situation actuelle des eaux souterraines dans notre pays et d'en comprendre les enjeux.

Issu du rapprochement de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea), l'Inrae est le premier organisme de recherche spécialisé dans l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.

Monsieur Barone, vous êtes chargé de recherche en science politique au département Écosystèmes aquatiques, ressources en eau et risques de l'Inrae, dit département Aqua, au sein de l'unité mixte de recherche (UMR) Gestion de l'eau, acteurs, usages. Vos recherches portent sur l'action publique environnementale, les conflits autour de l'eau et leur régulation et le traitement judiciaire des atteintes à la nature. Vous avez récemment publié, dans les Cahiers français, un article intitulé « La gestion de l'eau et la question des usages à l'heure du changement climatique ».

Nous souhaitons vous entendre sur la gestion de la ressource en eau et les conflits d'usage.

Quels sont selon vous les principaux enjeux actuels et à venir en matière de préservation de la ressource en eaux souterraines ?

Comment évaluez-vous le dispositif de gouvernance de la gestion de l'eau à l'échelle locale ? Estimez-vous qu'il fonctionne de manière satisfaisante ? Les intérêts des différents types d'usagers sont-ils représentés de façon équilibrée ?

Quels conflits économiques liés à la gestion de l'eau et impliquant directement ou indirectement le captage d'eaux à des fins de conditionnement identifiez-vous sur le territoire national ?

À quels enjeux devrons-nous faire face en matière de gestion de l'eau à court et moyen terme ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur, puis les autres membres de la commission d'enquête vous interrogeront. Avant cela, je vous cède la parole pour un propos introductif.

M. Sylvain Barone, membre de l'unité mixte de recherches Gestion de l'eau, acteurs, usages de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). - Je vous remercie de me donner la parole dans le cadre de cette commission d'enquête. Comme vous venez de l'indiquer, monsieur le président, je suis chercheur en sciences politiques à l'Inrae et mes travaux portent sur les conflits autour de l'eau, sur les politiques publiques et la gouvernance de l'eau, mais aussi sur le traitement judiciaire, notamment pénal, des atteintes à l'environnement, du contrôle jusqu'à l'éventuelle sanction.

Je précise que je n'ai jamais travaillé directement sur l'industrie de l'eau en bouteille. De plus, étant chercheur en sciences politiques et non hydrogéologue ou écotoxicologue, il est possible que certaines des questions qui me seront adressées dépassent mon champ de compétences.

Permettez-moi de rappeler quelques éléments de contexte, avant d'évoquer des pistes de discussion.

Tout d'abord, malgré l'existence de toute une série de directives européennes, de textes nationaux et de plans d'action, plusieurs questions liées à la qualité de l'eau demeurent insuffisamment traitées et ont fait l'objet d'une attention particulière dans les médias ces derniers mois.

Je pense par exemple à l'importante concentration en nitrates qui a été relevée dans les eaux de nombreuses zones en France. En juillet 2024, la Commission européenne a annoncé poursuivre la France pour non-respect de la concentration maximale de nitrate dans l'eau potable fixée par la directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine de 2020 dans 107 zones de distributions réparties dans sept régions.

Je pense également à la question des pesticides et des polluants éternels. Des enquêtes, des articles de presse, des rapports d'inspection ou d'autorités publiques sont régulièrement publiés depuis plusieurs mois pour alerter sur la présence généralisée de ces substances dans l'eau. Il s'agit d'un problème de santé publique qui pourrait devenir majeur dans les années à venir.

En outre, les effets du changement climatique conduisent à concentrer des substances polluantes dans une eau plus rare, en particulier durant certaines périodes de l'année.

Ces différents types de pollution concernent toutes les eaux, y compris souterraines : celles qui sont destinées à la consommation humaine ne font pas exception. Les récentes affaires de tromperie des consommateurs sur les eaux en bouteilles ne sont pas d'ordre sanitaire - il est utile de le rappeler -, mais soulèvent un certain nombre de questions, qui pourraient altérer la confiance des citoyens dans l'eau qu'ils boivent, qu'il s'agisse de l'eau du robinet comme de celle en bouteille. Pour autant, plusieurs enquêtes récentes montrent que 80 % des Français ont encore confiance dans la qualité de l'eau du robinet, et un peu davantage dans l'eau en bouteille.

Dans ce contexte général, plusieurs questions se posent sur l'eau en bouteille.

La première porte sur le contrôle des industriels de l'eau en bouteille par les autorités compétentes, c'est-à-dire les préfets, les agences régionales de santé (ARS), les directions départementales de la protection des populations (DDPP) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Il me semble très frappant que les affaires de traitements non autorisés de certaines eaux minérales naturelles aient été mises au jour par des signalements, voire des autosignalements, sans lesquels ces pratiques non réglementaires auraient pu se poursuivre encore longtemps. La publication d'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et sa mention dans la presse nationale ont ensuite porté cette affaire à la connaissance du grand public.

Par ailleurs, l'ampleur de la tromperie est saisissante, de même que le fait qu'elle semble relever d'une pratique assez courante, qu'elle ait duré depuis plusieurs années et qu'elle perdure peut-être dans certains sites où il est facile de dissimuler de telles pratiques, tout du moins en l'état actuel des contrôles.

Ces affaires mettent au jour autant le caractère perfectible du fonctionnement administratif que la réactivité et la transparence relative dont font preuve les pouvoirs publics.

La première réponse consiste bien sûr à contrôler mieux et davantage. Les rapports récents qui sont parus sur le sujet - le rapport de l'Igas de 2022, le rapport d'audit de la Commission européenne de 2024, le rapport de la mission d'information du Sénat d'octobre 2024 - formulent des propositions pertinentes, notamment la réalisation de davantage de contrôles inopinés sur site tout au long du processus de fabrication et l'amélioration de la coordination entre les services de contrôle. L'objectif est de repérer les dysfonctionnements, mais aussi de renforcer le caractère dissuasif des contrôles.

À ce sujet, de nombreux travaux en sociologie et en sciences politiques ont mis en évidence l'attitude traditionnellement flexible ou conciliatrice des services déconcentrés de l'État dans leur mission de contrôle des industriels, notamment sur les questions d'eau et d'environnement. Ces travaux montrent leur tendance à accompagner les industriels vers la conformité sans les brusquer, en s'appuyant sur leurs données. Le dialogue est favorisé plutôt que la vérification des pratiques réelles ou l'instauration de mesures contraignantes. Cela s'explique par l'injonction contradictoire à laquelle sont soumis ces services : protéger l'environnement, tout en préservant le développement économique local.

Autrement dit, si l'affaire que j'ai mentionnée se distingue par son importance, elle témoigne également, de manière plus globale, de la façon dont les services de l'État exercent leur mission de contrôle auprès des industriels. Lorsque des non-conformités sont repérées et que des mises en demeure de la part des services de l'État ne sont pas suivies d'effets, les préfets peuvent prononcer des sanctions administratives : des amendes, des astreintes, l'exécution d'office de travaux, voire l'arrêt temporaire de l'activité. En théorie, ils disposent donc d'outils puissants. Pourtant, ces derniers sont rarement mobilisés dans les faits, pour les raisons que je viens d'évoquer.

Lorsque le traitement de ces pratiques non réglementaires sort du champ strictement administratif pour entrer dans une procédure judiciaire, par exemple à la suite d'une plainte et/ou d'un signalement, l'industriel peut faire l'objet d'une sanction. Si une telle sanction a bien sûr pour objectif d'être dissuasive, elle recouvre également une valeur symbolique : elle marque une réprobation sociale, voire morale, de la transgression de normes collectives.

Or l'affaire Nestlé a abouti non pas à une telle sanction, mais à la conclusion d'une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) entre l'entreprise et le parquet d'Épinal. Nous y reviendrons au cours de nos échanges si vous le souhaitez, mais il s'agit d'une forme de sanction négociée, sous-tendue par une logique de rédemption associée à une logique de réparation, qui est au bout du compte relativement neutre en termes de réprobation sociale.

Enfin, je souhaite mentionner l'enjeu de la protection globale des milieux naturels. Il est à mon sens fondamental d'inscrire l'activité de l'embouteillage de l'eau dans un cadre beaucoup plus large. Pour nous assurer d'une qualité durable de l'eau, il convient de développer une approche systémique, qui dépasse de loin cette seule activité. Cela exige de prendre des mesures de protection des milieux pour éviter que des substances polluantes ou nocives pour la santé se retrouvent dans l'eau que nous buvons, quelle qu'elle soit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous propose de prolonger les discussions que vous avez ouvertes dans ce propos liminaire. Tout d'abord, vous évoquez une attitude conciliatrice et d'accompagnement des services déconcentrés de l'État. Dans l'affaire qui nous concerne au premier chef, nous ne saurions vous donner tort. Ce sujet est au coeur de notre réflexion. Avez-vous réfléchi à des évolutions organisationnelles ou structurelles susceptibles de corriger la situation ? Quelles recommandations êtes-vous en mesure de formuler pour éviter ce type de conflits d'objectifs ?

M. Sylvain Barone. - Je n'ai pas de recommandations à proprement parler, mais j'insiste sur le fait que nous sommes face à un fonctionnement structurel, qui dure depuis assez longtemps. Les raisons sont diverses : les injonctions contradictoires que j'ai évoquées concernent non seulement les services techniques de l'État, mais aussi les préfets.

Pour ce qui concerne les services, de nombreux travaux portant sur les inspecteurs des installations classées montrent que ces derniers partagent une certaine culture professionnelle, voire une formation commune avec les industriels qu'ils contrôlent, ce qui crée des effets de proximité.

Dans la mesure où il s'agit d'un problème systémique, il est compliqué de formuler des recommandations pour y remédier. D'un point de vue plus ponctuel, il serait souhaitable d'améliorer les contrôles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous d'autres exemples que celui de Nestlé pour étayer le caractère systémique que vous évoquez ?

M. Sylvain Barone. - Un cas d'école, assez ancien, mais qui renvoie à des logiques qui demeurent d'actualité, est celui de la pollution de la Brenne, en 1988, par l'usine Protex. Il a fait l'objet de nombreux travaux. L'usine a été à l'origine de cinquante-six cas de pollution, avec, à chaque fois, des mises en demeure non respectées. Après vingt ans pendant lesquels la pollution s'est ajoutée à la pollution, un incendie a causé une pollution majeure de la Brenne, avec une population en danger et privée d'eau potable pendant plusieurs jours, ainsi qu'une mortalité piscicole considérable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En ce qui concerne la CJIP et le régime de sanction, vous avez parlé, lors des travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, « d'impunité environnementale ». Sommes-nous dans ce cas ? Quelle est votre analyse de la procédure de CJIP ?

M. Sylvain Barone. - La loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a étendu la CJIP aux délits environnementaux. Cette alternative aux poursuites permet de négocier des sanctions sans procès pénal. Les amendes d'intérêt public peuvent atteindre 30 % du chiffre d'affaires et s'accompagner de mesures de réparation et de mise en conformité. Recommandé pour les cas graves, cet outil est nouveau et des conventions sont accessibles en ligne. Ainsi, elles commencent à être conclues dans le domaine de l'environnement : une vingtaine depuis 2020, aboutissant à des amendes dépassant parfois 100 000 euros.

Dans le cas de Nestlé, cette procédure a été privilégiée. Le procureur de la République d'Épinal a argué de la coopération de l'entreprise tout au long du processus, du fait qu'elle a révélé d'elle-même des traitements illégaux et procédé à des régulations, ainsi que de l'absence de risque sanitaire pour les consommateurs. En outre, le lien entre les prélèvements non autorisés et les effets sur les écosystèmes n'a pas été établi.

Y a-t-il impunité environnementale ou non ? La réponse ne peut qu'être nuancée. La convention concernant Nestlé a abouti à l'amende la plus importante à ce jour en France, de 2 millions d'euros. Elle permet une sanction des non-conformités, une régularisation de la situation, la réparation du préjudice écologique à hauteur de 1 million d'euros et l'indemnisation des parties civiles pour 516 800 euros.

C'est, certes, significatif. Cependant, cette procédure éteint l'action judiciaire, sans déclaration de culpabilité ni condamnation. La symbolique de la sanction est donc atténuée et l'entreprise échappe à un procès public. Elle doit payer plusieurs millions d'euros, mais est-ce significatif ? Le montant ne représente en effet que 1 % du chiffre d'affaires de Nestlé Waters Supply Est et environ 0,1 % de celui de Nestlé Waters. Quant au chiffre d'affaires de Nestlé dans son ensemble, il est de 100 milliards d'euros...

M. Daniel Gremillet. - L'Inrae poursuit-il encore ses travaux sur la qualité de l'eau pour le compte de Nestlé Waters sur le site de Vittel-Contrexéville ? Ils ont débouché sur un cahier des charges qui devait être imposé aux agriculteurs. Ces derniers ne pouvaient plus exercer leur droit de préemption, Nestlé Waters devenant propriétaire avec indemnisation du fermier. Avez-vous constaté une amélioration ou une dégradation de la protection des eaux du site au regard des préconisations de l'Inrae ?

Quant à la CJIP, il s'agit d'une forme de plaider-coupable. Confirmez-vous que la transaction comporte une obligation de réparation, sans quoi la procédure ne s'éteint pas ? En ce cas, il y aurait donc un suivi des obligations, en plus de l'amende : au-delà du délai imparti pour les travaux et la réalisation d'investissements bien plus coûteux que les sommes que vous avez mentionnées, la procédure pourrait reprendre.

M. Sylvain Barone. - Je n'ai pas connaissance des travaux que vous mentionnez sur le site de Vittel. Je ne peux donc vous répondre.

Cette CJIP comporte bien un volet de réparation, pour 1,1 million d'euros. L'amende d'intérêt public est donc assortie d'une obligation de réparation. Les travaux sont en cours et doivent être accomplis dans un délai précis. Il faudra donc s'assurer de leur suivi effectif sur le terrain.

M. Daniel Gremillet. - Cela déclenche-t-il bien, si l'exécution n'est pas réalisée, la réouverture de la procédure ?

M. Sylvain Barone. - En effet, la convention ne tient plus si les engagements de Nestlé à remettre le site en état ne sont pas respectés.

Mme Audrey Linkenheld. - Vous avez mentionné des injonctions contradictoires, citant en particulier la confrontation des intérêts économiques avec la protection l'environnement et la santé des populations. Que pensez-vous de l'argument de l'importance de la disponibilité de l'eau embouteillée, parfois la seule qui reste dans certains secteurs ? L'avez-vous entendu repris par les administrations ?

M. Sylvain Barone. - Je ne l'ai pas souvent entendu au cours de mes enquêtes, même s'il est vrai que la question se pose. Avec le changement climatique, certaines communes n'avaient plus d'eau du robinet pendant la sécheresse de 2022. Elles se sont alors fait livrer des bouteilles, apportant de l'eau au moulin des minéraliers, si vous me permettez cette expression dans ce cas.

Je ne suis pas hydrogéologue, mais je constate que cette logique infuse les services du ministère de la transition écologique. L'arrêté du 30 juin 2023 sur les mesures de restriction en période de sécheresse exclut ainsi les producteurs d'eau des installations classées pour la protection de l'environnement devant diminuer leurs prélèvements en cas de sécheresse, peut-être pour cette raison.

Mme Audrey Linkenheld. - Ce que j'ai entendu ne renvoie pas qu'à des questions de sécheresse ou de changement climatique, mais aussi à des risques géopolitiques de manque d'eau potable, en particulier outre-mer.

M. Sylvain Barone. - Je ne connais pas le dossier de l'outre-mer. Toutefois, les pouvoirs publics ont certainement cela en tête, dans la mesure où la récente hausse de TVA, telle que les sénateurs l'ont votée il y a quelques jours, ne concernait pas ces territoires.

M. Hervé Gillé. - Vous êtes expert de l'action publique environnementale et vous avez sans doute un regard spécifique sur la gestion des conflits et de crise. Le système français est-il assez réactif ? Pour le dossier Nestlé Waters, le Gouvernement a-t-il fait preuve d'indépendance ? Si celle-ci était questionnée, quelles préconisations formuleriez-vous pour plus de transparence, particulièrement vis-à-vis des consommateurs ?

M. Sylvain Barone. - Concernant la réactivité du Gouvernement, il y a bien eu un délai entre la prise de connaissance de l'affaire par le ministère chargé de l'industrie et la mise aux normes par les industriels. En tout état de cause, les rapports dont on dispose pointent des délais.

Transparence et confiance sont très importantes. Une multiplication de telles affaires pourrait altérer la confiance des consommateurs dans l'eau qu'ils boivent. Cela pourrait déboucher sur des systèmes d'auto-alimentation susceptibles d'augmenter les risques pesant sur la santé des consommateurs.

Étant chercheur, je ne suis pas le mieux placé pour formuler des préconisations politiques.

M. Olivier Jacquin. - Vous êtes spécialiste des conflits d'usage. Alors vice-président d'une agence de l'eau, je m'étais étonné de l'effet des pratiques agricoles dans les périmètres de protection du captage (PPC) rapprochée. Dès lors que la pollution liée à l'utilisation d'intrants de l'agriculture conventionnelle cessait, on pouvait enregistrer des progrès extrêmement rapides selon le type de sol.

Je suis donc surpris que la puissance publique ne puisse pas mieux réguler ces PPC, éventuellement en indemnisant les agriculteurs pour les pertes subies. Quel est votre regard sur ce point ? Un moyen de réguler la qualité des eaux est de mettre fin aux captages nocifs. Avez-vous des données sur le nombre de fermetures de sites de captage ?

M. Sylvain Barone. - Les chiffres existent ; je vous les communiquerai par écrit.

L'agriculture a un impact important sur la qualité des eaux, y compris souterraines. J'ai évoqué les nitrates, issus des engrais azotés et de l'élevage intensif ; n'oublions pas les pesticides, essentiellement liés à l'activité agricole.

L'amélioration de la qualité de l'eau passe donc en grande partie par l'évolution des pratiques agricoles, notamment en les rendant moins dépendantes d'intrants de synthèse et de pesticides. Mais les modalités de gestion de l'eau sont également un point à prendre en compte. Ainsi, on voit des initiatives se multiplier dans certains territoires, comme la labellisation des pratiques agricoles utilisant moins de pesticides - c'est par exemple le cas autour de Rennes. Je pense aussi aux paiements pour services environnementaux en faveur des agriculteurs qui s'engagent à réduire l'usage de pesticides, ce qui a un coût, mais aussi des effets sur l'environnement : ainsi, Eau de Paris contracte avec des agriculteurs autour des aires de captage pour réduire l'usage des pesticides.

M. Saïd Omar Oili. - Dans le cadre de la crise de l'eau à Mayotte, depuis 2023, plus de 3 millions de litres d'eau ont été distribués à la population en six mois, sur une île de 374 kilomètres carrés, grâce à vingt-six rotations de bateaux avec la métropole et La Réunion. Cela représente 80 bouteilles par mètre carré. Nous avons donc un problème environnemental : ces bouteilles sont partout, et il n'y a aucune politique pour leur ramassage ou leur rapatriement, pas plus que de retour d'expérience. Devrait-on se poser la question de la potabilité pour la population, des adultes aux nourrissons, de cette eau venue de l'extérieur ?

M. Sylvain Barone. - Même si elle a parfois une justification thérapeutique, l'eau en bouteille, notamment minérale, soulève le problème de la pollution par les plastiques, sans oublier son prix, bien plus élevé que celui de l'eau du robinet. Les études attestent de deux causes à la présence dans l'eau de micro- et nanoplastiques à des niveaux dangereux pour la santé, notamment le système reproductif. Ils proviendraient du nylon des filtres utilisés dans les processus industriels et du plastique des bouteilles elles-mêmes.

M. Laurent Burgoa, président. - En accord avec notre rapporteur, peut-être pourrions-nous programmer une réunion consacrée aux outre-mer. Vous savez toute l'attention qu'y porte le Sénat. Il ne faut pas les oublier et leurs problématiques, en particulier sur le sujet qui nous préoccupe, sont singulières.

Communication sur les politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source
(Mercredi 11 décembre 2024)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Antoinette Guhl, auteure du rapport d'information de la commission des affaires économiques sur les politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source, déposé le 16 octobre dernier.

Chère collègue, la règle des commissions d'enquête étant de prêter serment avant d'être entendue, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Antoinette Guhl prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Le Sénat a constitué une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.

Je rappelle à ceux qui nous écoutent ou nous regardent que, au début de l'année 2024, la presse s'est fait l'écho de pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Progressivement, l'opinion publique a appris que ces pratiques et d'autres, comme des forages illégaux, existaient depuis plusieurs années et que l'État avait connaissance de certaines d'entre elles depuis au moins 2020. Notre commission d'enquête a pour objet de faire la lumière sur ce dossier.

Votre rapport d'octobre dernier, chère collègue, apporte de nombreuses informations sur la gestion par les pouvoirs publics de cette séquence engagée dès 2020. Il est pour nous un point de départ très utile. Vous avez mis au jour de nombreux éléments concernant les pratiques et les fraudes des industriels des eaux embouteillées, le fonctionnement du dispositif de contrôle et la réaction des autorités administratives et politiques tout au long de la séquence. C'est pourquoi il nous semblait essentiel de vous entendre pour poursuivre et élargir les investigations au sein de cette commission, qui dispose de pouvoirs d'enquête particuliers.

Quels sont les dysfonctionnements des industriels sur lesquels vous vous êtes concentrée ? Comment les expliquez-vous ? Aujourd'hui, il semble que les pratiques en question aient cessé. Comment s'est déroulée la mise en conformité des industriels sous l'égide de l'État ? Y-a-t-il des axes qui, compte tenu de votre expérience, mériteraient de faire l'objet d'un examen approfondi ? Pouvez-vous nous présenter les recommandations de votre rapport visant à éviter que de telles pratiques se reproduisent et à restaurer la confiance du consommateur, ainsi que leur réception par les pouvoirs publics ?

Mme Antoinette Guhl, auteure du rapport d'information de la commission des affaires économiques du Sénat sur les politiques publiques en matière de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de source. - Je viens rendre compte devant vous de la mission d'information flash que j'ai réalisée entre juin et octobre 2024, après avoir été mandatée par la commission des affaires économiques. J'avais demandé, dès janvier 2024, à la suite de certaines révélations journalistiques, à ce que cette mission soit mise en place.

En préambule, je rappelle que les Français ont une relation très particulière à l'eau minérale naturelle, puisque sa consommation est estimée, dans notre pays, à environ 9 milliards de litres. Nous nous classons, en Europe, derrière l'Italie et l'Allemagne, mais nous figurons néanmoins très haut dans le classement. De plus, la France est, à l'échelle mondiale, le premier pays exportateur d'eau minérale embouteillée et le chiffre d'affaires du secteur avoisine 3,5 milliards d'euros. Le sujet est donc important, notamment en termes économiques, et ses enjeux concernent un certain nombre de salariés et de territoires. Nous devons y accorder une attention particulière.

Les eaux minérales naturelles sont plébiscitées pour leur composition. Elles ont un aspect thérapeutique, puisqu'elles sont reconnues par l'Académie nationale de médecine ; à ce titre, elles sont adaptées à l'alimentation et à la boisson pour les nourrissons. Ces spécificités découlent d'une définition très stricte de ce que sont les eaux minérales naturelles, qui tient dans l'appellation même : ces eaux ont une minéralité, c'est-à-dire qu'elles sont composées d'un certain nombre de minéraux et d'oligo-éléments, et une naturalité, c'est-à-dire qu'elles émanent d'une source d'eau souterraine et qu'elles ont une pureté originelle.

Ce concept de pureté originelle a été très important dans les travaux que nous avons menés. En effet, il justifie le fait qu'aucun traitement ne doit être appliqué à ces eaux minérales naturelles avant qu'elles soient consommées. Autrement dit, l'eau minérale naturelle ne subit pas de traitement, alors que l'eau du robinet est rendue potable par traitement. Il s'agit là d'un argument sur lequel les minéraliers s'appuient pour vendre leurs eaux minérales deux cents fois plus cher que l'eau du robinet. L'enjeu économique est donc important.

De plus, la pureté originelle relève d'une exigence environnementale et les captages sont protégés. L'intervenant du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) que vous avez entendu hier en audition vous l'a rappelé au sujet des captages de Vittel et de Contrex.

La pureté originelle des eaux minérales naturelles a donc un triple avantage : thérapeutique, économique et environnemental.

En janvier 2024, l'enquête des journalistes Marie Dupin et Stéphane Foucart est venue bousculer le secteur des eaux minérales, en révélant que, pendant des années, l'on avait vendu des eaux minérales naturelles qui n'en étaient pas, puisqu'elles avaient été traitées. Les deux plus gros industriels concernés, en France, étaient le groupe Sources Alma, qui commercialise par exemple la marque Cristaline, et le groupe Nestlé Waters, qui détient les marques Vittel, Contrex, Hépar et Perrier. Ces pratiques ont donné lieu à une action judiciaire visant notamment les marques Vittel, Contrex et Hépar. Notre mission n'est, bien évidemment, pas revenue dessus, car ce n'est pas son rôle.

Il est frappant de constater que, sans l'enquête journalistique qui a mis au jour cette fraude, le grand public - et nous aussi - n'aurait jamais rien su du problème qui est intervenu dans la production de ces eaux minérales naturelles. Or ce n'était pas rien ! En 2020, un salarié du groupe Sources Alma a fait un signalement sur le problème et, en 2021, le groupe Nestlé Waters s'est autosignalé auprès du ministère de l'industrie pour convenir avec l'État d'une mise en conformité. Ses représentants ont voulu ainsi signaler que leur groupe ne respectait pas la réglementation des eaux minérales naturelles et qu'ils souhaitaient mener un « plan de transformation » pour arriver à la respecter.

Notre mission d'information s'est précisément concentrée sur la gestion de cette séquence par les pouvoirs publics. Comment expliquer que de telles pratiques aient continué d'exister, alors même que des représentants de Nestlé Waters étaient allés voir la ministre pour lui signaler que leur groupe ne respectait pas la réglementation ?

M. Laurent Burgoa, président. - Qui était la ministre ?

Mme Antoinette Guhl. - C'est Agnès Pannier-Runacher qui était chargée de l'industrie au sein du ministère de l'économie.

Comment, à partir de 2021, de telles pratiques ont-elles pu perdurer, alors même que le Gouvernement et les services de l'État savaient qu'elles avaient cours et qu'une série de contrôles avait été réalisée ? Dans le cadre de notre mission d'information, nous avons essayé de mettre au jour ce qu'avaient fait les pouvoirs publics depuis le moment où ils ont été informés de ces pratiques, puis nous nous sommes interrogés sur la manière dont ils avaient tiré des enseignements de la situation pour faire en sorte que ce type de fraude ne se reproduise plus.

J'ai mené pour cela vingt-cinq auditions et interrogé plus de trente-cinq personnalités, parmi lesquelles des industriels, qu'ils soient concernés ou non par la fraude, des représentants de syndicats du secteur, des experts hydrologues, des agents des administrations compétentes, depuis les préfectures jusqu'aux agences régionales de santé (ARS) en passant par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). J'ai aussi interrogé la ministre, ainsi que des membres des cabinets ministériels, y compris le directeur de cabinet de la Première ministre de l'époque, des représentants de la Commission européenne, des associations et les journalistes à l'origine de l'enquête.

J'ai donc mené un travail d'assemblage d'informations et de reconstitution de tous les épisodes de la séquence, qui est restée absolument confidentielle et que je vais à présent tenter de vous restituer.

En 2020, un salarié du groupe Sources Alma signale à la DGCCRF le recours à des traitements interdits. Le service national d'enquête qui dépend de la DGCCRF s'empare du dossier et son travail aboutit à un signalement au procureur en juillet 2021.

Un mois plus tard, en août 2021, la direction de Nestlé Waters sollicite en urgence le cabinet de la ministre Agnès Pannier-Runacher et signale - non pas directement à la ministre, mais à son cabinet ainsi qu'à un représentant de la DGCCRF qui était présent lors de ce rendez-vous - que les eaux que le groupe met en vente subissent des traitements qui ne sont pas conformes à la réglementation en vigueur, à savoir l'utilisation de lampes à UV et de filtres à charbon actif. Elle demande à l'administration de valider l'utilisation d'un traitement alternatif et de mettre en place un plan de transformation. La DGCCRF remet à la ministre ses conclusions sur le dossier pendant la deuxième quinzaine de septembre, en lui recommandant notamment d'associer le ministre de la santé, en l'occurrence M. Véran, compte tenu de sa compétence en matière de contrôle des eaux minérales naturelles. En effet, ce contrôle est réparti entre, d'une part, le ministère de la santé et les ARS, d'autre part, la DGCCRF. Deux ministères différents procèdent donc au contrôle de ces eaux avant embouteillage et après embouteillage.

Plusieurs réunions entre ces ministères ont lieu et, en novembre 2021, une lettre de mission est donnée à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Dans le rapport publié en 2024, il est établi que, dans près de 30 % des cas, on constate une non-conformité entre ce qui est vendu et ce qui devrait être vendu. Toutefois, cela ne signifie pas toujours qu'il y a eu fraude, les non-conformités pouvant être aussi d'ordre administratif. On sait, en outre, que le contrôle se heurte toujours à des limites, non seulement à cause des fragmentations importantes qui existent entre les ARS et la DGCCRF, mais aussi à cause des pratiques délibérées de dissimulation de la part des minéraliers. Ainsi, des filtres étaient cachés dans des armoires électriques auxquelles les contrôleurs n'avaient pas accès, de sorte qu'il leur était impossible de constater la fraude. Si la DGCCRF n'avait pas travaillé en amont auprès des fournisseurs de filtres, sans doute n'aurions-nous jamais su qu'il y avait eu fraude.

Le rapport de l'Igas souligne aussi la généralisation de la microfiltration, traitement qui bénéficie d'un statut spécifique. En effet, il consiste à faire passer l'eau, qu'elle soit minérale ou pas, dans des filtres plus ou moins fins, mais il n'est autorisé pour une eau minérale naturelle que dans la mesure où il ne modifie pas le microbisme de l'eau, c'est-à-dire la composition microbiologique de l'eau. La microfiltration ne doit donc pas être trop fine. Or ni la réglementation européenne ni la réglementation nationale ne précisent exactement à quel niveau de microfiltration le microbisme de l'eau est modifié. Par conséquent, un certain nombre de parties prenantes demande à le fixer à 0,2 micron. C'est le cas de Nestlé Waters qui prévoit, dans son plan de transformation, d'arrêter tous les traitements interdits, dès lors que la microfiltration à 0,2 sera autorisée. D'après tous ceux que nous avons entendus en audition, cette demande est étonnante, car une microfiltration à 0,2 permet d'éliminer une grande partie des bactéries, mais laisse passer certains virus. Par conséquent, quand on demande une microfiltration à 0,2, on sait que l'eau qui doit être traitée n'est pas pure originellement, mais polluée, la microfiltration constituant une dépollution.

Dans le Grand Est, les traitements interdits ont cessé vers la fin de 2022. Dans le Gard, où sont produites les eaux de la marque Perrier, les traitements interdits auraient été arrêtés le 10 août 2023, soit deux ans après l'autosignalement de Nestlé Waters en août 2021. Durant cette période, nous sommes certains que le Gouvernement et les services de contrôle étaient informés : en plus de l'Igas, l'ARS des Vosges et celle d'Occitanie ont aussi fait des contrôles tout comme la DGCCRF. Dans le Gard, sur le site de Vergèze, l'arrêt des traitements interdits a été constaté en août 2023, mais certains éléments laissent en réalité planer le doute.

En effet, dans le plan de transformation de Nestlé Waters figurait le projet de créer une nouvelle marque d'eau de boisson, soit une eau rendue potable par traitement, tout comme l'eau du robinet. Elle sera vendue sous la marque Maison Perrier, dans une bouteille verte à étiquette jaune, à distinguer de la bouteille verte à étiquette verte pour l'eau minérale de la marque Perrier que nous connaissons tous. Les deux produits auront en commun la même forme de bouteille et une étiquette au design similaire, mais la qualité de l'eau ne sera pas du tout la même. Comme je vous l'ai dit, l'eau minérale naturelle est une eau pure originellement, qui n'a donc pas subi de traitement ; l'eau Maison Perrier, en revanche, est rendue potable par traitement et n'est donc pas pure originellement. Par conséquent, les puits qui ont été déclassés, parce que l'eau qui en émergeait n'était pas assez pure, ont servi à alimenter Maison Perrier.

Il importe de bien comprendre que le plan de transformation de Nestlé Waters intègre la production d'une eau qui est de moindre qualité que l'eau minérale naturelle Perrier, car c'est là que s'insinue le doute. En effet, il est apparu que, sur le site de Perrier, il n'y avait pas de traçabilité certaine. Ainsi, quand les services de l'État ont procédé à des contrôles inopinés, il existait des doutes quant à savoir si l'eau qui coulait dans les tuyaux ou qui était stockée dans les cuves était de l'eau Maison Perrier ou de l'eau minérale naturelle Perrier. Or il y a une grande différence entre les deux, comme je vous l'ai expliqué : dans un cas, il s'agit d'eau pure originellement ; dans l'autre, il s'agit d'une eau qui a pu être polluée et qui est traitée.

Par conséquent, la traçabilité des eaux minérales est un enjeu essentiel. L'entreprise Perrier a été autorisée à produire sur le même site deux types d'eau dont la qualité est très différente ; il faut donc qu'une traçabilité soit garantie pour nous assurer qu'il n'y a aucune fraude et que l'on ne donne pas à boire de l'eau Maison Perrier sous l'étiquette Perrier eau minérale naturelle.

Dans mon rapport d'information figure une dizaine de recommandations.

Il s'agit, premièrement, de clarifier le cadre juridique, car l'on ne fait pour l'instant que reprendre le cadre européen à l'échelon national. Les représentants de la Commission européenne que nous avons entendus en audition se sont d'ailleurs montrés très sévères sur l'affaire Nestlé Waters. Le niveau de microfiltration autorisé doit-il être fixé à 0,8 micron ou bien faut-il prévoir des dérogations exceptionnelles permettant de descendre à 0,4 micron, dans le cas par exemple d'une eau minérale naturelle dans laquelle les minéraux seraient un peu trop importants, ou en raison de particules d'argile qu'il faudrait davantage filtrer ?

Deuxièmement, il faut renforcer la fréquence, l'intensité et le caractère dissuasif des contrôles, ainsi que leur caractère inopiné. En effet, lors du dernier contrôle opéré chez Nestlé Waters, les contrôleurs ont dû attendre une heure et demie devant la porte de l'usine avant de pouvoir entrer. Or, quand on n'a rien à cacher, on ouvre la porte aux contrôleurs et on les laisse faire leur travail. Pour renforcer le caractère dissuasif des contrôles, il faut également prévoir les sanctions qui s'imposent.

Troisièmement, il convient d'améliorer l'information du consommateur. J'ai proposé pour cela de procéder selon le principe du name and shame : quand un défaut de suivi de la réglementation est constaté, le consommateur doit savoir quelle est l'entreprise concernée.

Quatrièmement, nous devons rehausser le niveau de connaissance sur l'état de la ressource des minéraliers, en lançant des études spécifiques sur ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je remercie notre collègue Antoinette Guhl de nous avoir présenté ce rapport de la mission d'information flash de la commission des affaires économiques. Il est le socle sur lequel nous nous appuyons pour mener nos travaux.

Je veux d'abord revenir sur l'absence de suites correctives ou pénales à l'issue des révélations qui ont été faites. Vous écrivez dans le rapport que, « le 31 août 2021, lors d'un entretien à sa demande avec le cabinet de la ministre de l'industrie de l'époque, Nestlé Waters reconnaît avoir recours à des traitements interdits dans certaines usines de conditionnement d'eau minérale naturelle, comme des filtres à charbon actif et des traitements de lampe UV, et sollicite la validation de l'administration pour utiliser un traitement alternatif dans le cadre de ce qu'ils appellent un plan de transformation ».

Vous écrivez ensuite que « la rapporteure déplore que des suites correctives, telles que des mises en demeure de cesser des non-conformités et, en cas d'inexécution, la suspension de la production, l'obligation de consigner des sommes ou le prononcé d'une amende administrative n'ait pas été prises à l'égard des sites ».

Plus loin, vous écrivez encore qu'« aucune mesure de suivi immédiat n'a été prise pour éviter la mise sur le marché d'eau minérale naturelle ne remplissant pas les conditions requises pour être commercialisée ».

J'aimerais savoir comment vous expliquer ce choix de la part du Gouvernement. En effet, il existe des précédents, même s'ils sont anciens, comme la source des Ménétriers qui a perdu son appellation d'eau minérale de sorte qu'elle vend désormais de l'eau de source, ou bien encore l'eau de Luchon. Comment expliquez-vous le choix de ne pas recourir à la méthode soit du déclassement, soit de la mise en demeure ?

Ensuite, dans la mesure où la ministre Pannier-Runacher était informée de l'illégalité d'un point de vue légal et administratif, elle avait l'obligation, selon le code de procédure pénale, d'en informer l'autorité judiciaire. Avez-vous pu discuter avec la ministre de ce point pénal ?

Mme Antoinette Guhl. - L'objet de cette mission d'information était précisément d'essayer de comprendre pourquoi la ministre n'a pas réagi, lorsqu'elle a été informée des faits. En réalité, il s'agit plutôt « des » ministres.

Tout le monde ayant été dûment informé de cette fraude et de ce plan de transformation, le choix a été fait de diligenter une série de contrôles. On ne peut donc pas dire que l'État n'a rien fait, puisque Mme Pannier-Runacher a saisi la DGCCRF, qui est dotée de pouvoirs de police et qui a alerté la justice au sujet des manquements de Nestlé Waters constatés dans les Vosges, et que, quelques mois plus tard, la ministre de la santé a mandaté l'Igas pour conduire une enquête. L'objectif était de s'assurer que l'eau qui était mise en vente ne pouvait pas entraîner de problème sanitaire.

Je maintiens toutefois qu'une fraude au consommateur n'a rien d'anodin et que la production aurait pu être arrêtée pour ce seul motif. Les ministres ont estimé qu'il leur fallait disposer de davantage d'informations sur une potentielle mise en danger de la santé des consommateurs, sur le recours par d'autres minéraliers à de telles pratiques et sur le caractère ponctuel ou permanent de celles-ci.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce faisant, Mme Pannier-Runacher n'a toutefois pas rempli ses obligations pénales ?

Mme Antoinette Guhl. - Je n'en suis pas certaine, car elle a tout de même saisi la DGCCRF.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, mais elle n'a pas saisi la justice.

Mme Antoinette Guhl. - En tout état de cause, elle n'a arrêté ni la production ni la vente de ces eaux minérales qui n'en étaient pas, et elle ne les a pas déclassées non plus.

Elle n'a par ailleurs informé ni les consommateurs ni la Commission européenne, ce qu'elle était pourtant tenue de faire.

M. Laurent Burgoa, président. - L'ARS d'Occitanie a pourtant demandé la destruction d'un stock de bouteilles de Perrier et le préfet a rendu l'arrêté exécutoire.

Mme Antoinette Guhl. - Les services de l'État ont effectué un véritable suivi : certains des puits d'eau d'Hépar, de Contrex et de Perrier ont été fermés, car ils ne répondaient pas aux critères de pureté originelle. Les services de contrôle ont été au travail, mais la production n'a pas été arrêtée et les eaux n'ont pas été déclassées pour autant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En 2021, dans son rapport intitulé Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle, l'Igas n'exclut pas les risques sanitaires.

Vous indiquez dans le rapport que, lors d'une concertation interministérielle dématérialisée qui a eu lieu les 22 et 23 février 2023, les préfets ont été autorisés à modifier les arrêtés d'autorisation d'exploitation des eaux minérales naturelles des sites de conditionnement de Nestlé dans les Vosges et dans le Gard afin de mentionner des seuils de microfiltration inférieurs à 0,8 micron. Or vous rappelez que l'Anses est favorable depuis 2001 à ce que ce seuil de 0,8 micron reste un plancher.

Comment les ministres justifient-ils cette décision contraire aux recommandations de l'Anses ?

Mme Antoinette Guhl. - Le compte rendu de la réunion interministérielle (RIM) n'indique pas expressément que les minéraliers pourront aller jusqu'à une microfiltration de 0,2 micron. Il précise seulement que les services de l'État doivent permettre le déploiement du plan de transformation de Nestlé Waters, qui inclut la microfiltration à 0,2 micron. Pour autant, ni le préfet du Gard ni le préfet des Vosges n'ont autorisé ce seuil de microfiltration, même si cela se pratique dans les faits. Les demandes en ce sens sont toujours en cours d'instruction.

M. Laurent Burgoa, président. - À quel niveau sont-elles en cours d'instruction ?

Mme Antoinette Guhl. - Dans les préfectures. Les préfets manifestent une certaine timidité à abaisser ce seuil.

M. Laurent Burgoa, président. - Est-ce qu'ils n'attendent pas que le Gouvernement prenne une décision ?

Mme Antoinette Guhl. - Lors de la RIM, le ministère de la santé et le ministère chargé de la consommation ont accepté le déploiement du plan de transformation, incluant la microfiltration à 0,2 micron. Les services de l'État sont donc « couverts » par la Première ministre de l'époque.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Estimez-vous que la microfiltration à 0,2 micron est conforme à la réglementation européenne ?

Mme Antoinette Guhl. - La Commission européenne a écrit noir sur blanc dans son rapport d'audit que la microfiltration à 0,2 micron contrevient à la réglementation européenne des eaux minérales.

M. Laurent Burgoa, président. - C'est en quelque sorte une non-décision officielle...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a pas d'autorisation à proprement parler, mais la microfiltration à 0,2 micron est pratiquée sans être validée.

Mme Antoinette Guhl. - Elle est pratiquée.

M. Laurent Burgoa, président. - Mais les préfets n'en ont pas connaissance ?

Mme Antoinette Guhl. - Ils ont été destinataires du compte rendu de la RIM.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La RIM est soumise au principe de légalité. Si la décision n'est pas conforme au droit de l'Union européenne, celle-ci n'est pas valide.

Avez-vous des conseils à nous donner, sachant que nous nous rendrons dans le Gard afin d'étudier de plus près la traçabilité des eaux naturelles et des eaux Maison Perrier ?

Mme Antoinette Guhl. - Il vous faut auditionner la DGCCRF, qui est très au fait de l'ensemble des pratiques du secteur. Elle a daté la fraude, qui perdure tout de même depuis plus de quinze ans, et elle en a évalué le coût à 3 milliards d'euros. Je vous invite également à consulter l'ensemble des rapports qu'elle a réalisés sur Nestlé Waters, mais aussi sur Sources Alma.

M. Laurent Burgoa, président. - Les contrôleurs des ARS ont-ils selon vous les compétences et l'expérience adéquates ?

Mme Audrey Linkenheld. - Pourquoi n'évoquez-vous ni Sources Alma ni Cristalline dans votre rapport ? Il semble que des eaux de cette société soient pourtant concernées par les fraudes, même si Cristalline ne l'est pas.

M. Hervé Gillé. - Les décisions qui ont été prises lors de la réunion interministérielle n'étant adossées à aucun décret, arrêté ou circulaire, elles ne peuvent pas s'imposer. Cette interprétation est-elle exacte ?

Mme Antoinette Guhl. - La RIM n'a pas donné lieu à un éclaircissement de la réglementation et, en tout état de cause, n'a pas , en elle-même, de valeur juridique.

En ce qui concerne Sources Alma, un lanceur d'alerte dénonçait, dès 2020, des pratiques de filtration non autorisées. Ce dossier ayant été instruit par la justice dès juillet 2021, les ministres n'en ont pas été saisis. Nous ne l'avons donc pas inclus dans le périmètre du rapport, qui portait sur les défaillances de l'État.

Mme Audrey Linkenheld. - Mais est-ce que la procédure suit son cours ? Car j'ai lu dans la presse que les fraudes ne concernaient pas Cristalline.

Mme Antoinette Guhl. - Il est possible qu'il y ait un autre scandale. Le minéralier, dont j'ai rencontré les responsables, m'a indiqué que ces pratiques avaient été très ponctuelles et qu'elles avaient cessé.

Je ne suis pas en capacité de juger de la compétence des contrôleurs des ARS ou de la DGCCRF. J'ai toutefois observé que ces agents étaient volontaires et que leur travail était consciencieux. De nombreux contrôles, notamment inopinés, ont été effectués.

Pour autant, la Commission européenne a estimé que nos contrôleurs n'étaient pas en capacité de déceler l'ensemble des fraudes et qu'il conviendrait de les former davantage.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, ma chère collègue, de ce temps d'échange au sujet de votre rapport qui constitue une base de travail pour notre commission d'enquête.

Audition de M. Nicolas Marty, professeur des universités
en histoire contemporaine à l'Université de Perpignan, auteur en 2013
du livre L'Invention de l'eau embouteillée
(Mercredi 11 décembre 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions « introductives » destinées à clarifier les enjeux géologiques et physiques relatifs aux eaux souterraines.

Nous recevons M. Nicolas Marty, professeur agrégé d'histoire contemporaine à l'université de Perpignan, membre du laboratoire Framespa (France, Amérique, Espagne - Sociétés, Pouvoirs, Acteurs), unité mixte de recherche rattachée à l'université de Toulouse et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Monsieur Marty, vous êtes titulaire d'une habilitation à diriger des recherches sur l'articulation entre normes et marchés dans le cadre de laquelle vous avez étudié la construction de la qualité de l'eau embouteillée en Europe aux XIXe et XXe siècles.

Une grande partie de vos travaux, dont votre thèse de doctorat, porte sur l'histoire de l'entreprise Perrier et, à travers elle, sur la transformation de l'eau minérale en produit de consommation, ainsi que sur la rupture avec un autre usage de l'eau minérale naturelle qu'est le thermalisme.

Nous vous interrogerons sur votre étude de cas concrets d'exploitation d'eau minérale, mais également sur vos réflexions plus générales relatives notamment aux mutations commerciales et aux incidences économiques du secteur des eaux minérales naturelles embouteillées, ainsi qu'à la confiance du consommateur en ce produit.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Nicolas Marty prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

M. Nicolas Marty, professeur des universités en histoire contemporaine à l'Université de Perpignan, auteur en 2013 du livre L'Invention de l'eau embouteillée- Je n'ai ni lien ni conflit d'intérêts en relation avec cette commission d'enquête.

M. Laurent Burgoa, président. - Au début de l'année 2024, la presse s'est fait l'écho de pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Progressivement, l'opinion publique a appris que ces pratiques et d'autres, comme des forages illégaux, existaient depuis plusieurs années et que l'État avait connaissance de certaines d'entre elles depuis au moins 2020.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours. Notre objectif est de nous assurer que la santé et la correcte information des consommateurs d'eaux minérales et eaux de source sont bien garanties et que les errements passés ont cessé. Nous souhaitons également établir les responsabilités industrielles, administratives et politiques dans la poursuite de certaines pratiques interdites et contribuer, le cas échéant, à restaurer la confiance dans un secteur industriel au poids économique crucial.

Nous souhaitons vous interroger, monsieur Marty, sur le fonctionnement du secteur des eaux minérales naturelles en France et sur sa part au sein de l'économie et de l'industrie de notre pays.

Pouvez-vous nous présenter l'évolution de la consommation d'eau minérale naturelle au cours du XXe siècle et comparer cette consommation avec celle de nos voisins européens ? Comment les eaux minérales naturelles françaises sont-elles perçues à l'étranger, notamment au regard de leurs vertus thérapeutiques alléguées ? Quel regard portez-vous sur le développement des « eaux de boisson », telle que celle commercialisée sous la marque Maison Perrier ? Que recouvre cette acception ?

M. Nicolas Marty. - En tant qu'historien, je m'intéresse aux trajectoires pour essayer de comprendre le présent. J'articulerai mon propos autour de trois points : la consommation d'eau en bouteille et l'image de ce produit ; les spécificités du marché français ; la trajectoire de régulation qui explique la situation, bien différente de celle de nos voisins européens, que nous connaissons aujourd'hui.

La consommation d'eau embouteillée a émergé au XIXe siècle, à partir des années 1840, sur le marché britannique, qui fut pionnier - cela explique du reste que de nombreux opérateurs industriels soient toujours britanniques. C'est ainsi que la source Perrier a été exploitée jusqu'en 1947 par des Britanniques.

Le marché français, qui fut lui aussi l'un des marchés européens les plus importants au XIXe siècle, peut être qualifié de fragmenté, socialement et géographiquement.

Fragmenté socialement, parce qu'en raison du coût élevé de l'eau en bouteille au XIXe siècle, sa consommation est réservée aux élites et constitue un élément de distinction. Les catégories populaires consomment des boissons hygiéniques, de l'eau de mauvaise qualité ou du vin, qui est considéré comme une boisson sûre.

Fragmenté géographiquement, car la consommation d'eau en bouteille se concentre dans les zones prisées par les élites, telles que la Riviera française, la région parisienne ou la Normandie.

La consommation a fortement augmenté au début du XXe siècle avant de se figer entre 1914 et les années 1950 du fait d'une longue période marquée par la guerre et de grandes difficultés économiques. Le véritable essor de la consommation d'eau en bouteille date des années 1960. Ce marché a ensuite cru continûment, si bien que la consommation, qui s'établissait à une dizaine de litres par habitant à la fin des années 1940, est passée à 130, voire à 140 litres par habitant dans les années 1990.

La consommation française était alors marquée par de grands changements : développement des réseaux de distribution, forte baisse de la consommation d'alcool, fort essor des achats dans la grande distribution, transformation des paysages, du rapport à l'environnement... Dans ce contexte, les eaux embouteillées étaient un produit rassurant, gage de santé et de pureté.

La consommation s'établit aujourd'hui en France entre 130 et 135 litres par habitant, au-dessus de la moyenne européenne, qui est d'environ 112 litres par habitant, mais très en deçà de la consommation de l'Italie ou de l'Allemagne. Par ailleurs, tandis que 80 % de la consommation française se concentre sur les eaux plates, nos voisins allemands préfèrent les eaux gazeuses, qui représentent 80 % du marché allemand. L'essentiel des eaux consommées en France - environ 60 % - relève de l'appellation eau minérale, les 40 % restants correspondant à l'eau de source.

Le marché européen est un marché mature qui croît peu, à hauteur de 0,2 % à 0,3 % par an, quand le marché asiatique croît de 12 % par an.

Le marché français est par ailleurs depuis toujours très concentré dans ce que les économistes nomment un oligopole. Dans les années 1950, trois opérateurs, dont le groupe Perrier, détenaient 80 % des parts de marché. Cet état de fait s'est confirmé dans les années 1980 et il s'est même accentué en 1992, lorsque Nestlé a racheté le groupe Perrier au point que Nestlé a été obligé de vendre une partie de ses actifs par l'Autorité de la concurrence afin d'éviter une position dominante.

Aujourd'hui, il existe trois gros opérateurs : Danone, Nestlé et Sources Alma. À eux trois, ils maîtrisent à peu près 60 % du marché. Derrière l'apparente diversité du rayon boissons dans les grandes surfaces s'opère en réalité un véritable contrôle par peu d'opérateurs. Chaque groupe a une stratégie de gamme, qui lui permet de décliner divers produits - eaux gazeuses, eaux fortement minéralisées, eaux faiblement minéralisées, eaux de source, eaux aromatisées, etc.

Le marché français présente la particularité d'être un marché national. Les produits phares, comme Perrier, Évian, Volvic, sont vendus sur tout le territoire national, ce qui entraîne d'importants coûts de distribution. Ce n'est pas le cas en Allemagne où les opérateurs sont locaux ou régionaux. Les produits circulent donc très peu. Par ailleurs, les emballages sont standardisés, ce qui permet de réemployer plus facilement les bouteilles et d'éviter les coûts de transport. Le marché français est également marqué par l'exportation : 30 % des produits sont destinés à l'export.

J'évoquerai ensuite la régulation : comment s'est-elle construite ? Cette question me tient particulièrement à coeur, car elle permet de comprendre pourquoi nous nous trouvons dans cette situation de forte concentration pour un produit dont le prestige repose sur des qualités thérapeutiques : l'eau minérale, mineralwasser en allemand, mineral water en anglais, agua mineromedicinal en espagnol. Différents noms pour un même produit : une eau qui sort de terre et qui présente certaines vertus pour la santé.

Les marchés se construisent socialement avec des acteurs qui sont en rapport de force les uns avec les autres : les acteurs marchands - les producteurs, les consommateurs -, mais aussi les experts qui interviennent pour réguler le marché et établir la définition de la qualité des produits. Celle-ci n'est pas la même en fonction des différents pays occidentaux.

Trois modèles de régulation ont émergé en Europe à la fin du XIXe siècle jusqu'en 1980, au moment de la convergence des normes.

Le premier est le modèle latin, qui prévaut en France, en Italie, en Espagne et en Belgique. Il s'appuie sur le caractère thérapeutique de l'eau embouteillée et repose sur un élément fondamental, à savoir une autorisation préalable de mise sur le marché. N'importe qui ne peut pas produire une eau minérale : un opérateur de santé doit avoir validé l'exploitation d'une source. En France, c'est l'Académie nationale de médecine qui donne son avis, validé par différents ministères et maintenant les préfectures. En Espagne, ce sont des laboratoires ou des universités régionales. C'est ce qui explique le petit nombre d'opérateurs et leur concentration : les coûts d'entrée sur le marché sont très élevés et l'exploitation nécessite une surveillance importante. Plus on avance dans le XXe siècle, plus d'ailleurs la liste des éléments de surveillance s'accroît. Voilà ce qui justifie la situation d'oligopole en France.

Les pharmaciens et les médecins ont joué un rôle très important dans ce phénomène ; ils ont défendu l'aspect thérapeutique, alors que ce principe ne faisait pas du tout consensus, comme en attestent les archives de la direction générale de la santé et de l'Académie nationale de médecine ou les divers rapports de l'inspection des fraudes. Pour eux, la régulation semblait absurde, car ces produits ne présentaient aucune garantie d'être des médicaments. Par ailleurs, les ingénieurs des mines ont également fortement contesté le fait que le produit de la station thermale soit le même que celui présent dans la bouteille. Dès le milieu du XIXe siècle, l'embouteillage entraîne en effet des modifications. Je pense, par exemple, à la décantation.

Quoi qu'il en soit, malgré les contestations, les médecins ont fini par imposer leur avis. Il faut reconnaître qu'ils avaient des intérêts dans les stations et dans les compagnies. C'était notamment le cas pour la Compagnie fermière de l'établissement thermal de Vichy (CFV), qui comprenait des médecins dans son conseil d'administration. Au-delà, c'était aussi une façon pour eux d'affirmer leur pouvoir et leur autorité sur ces questions. Il y avait une vraie sincérité : la thérapeutique thermale est défendue en France de manière solide.

Le deuxième modèle est le modèle britannique, que je qualifierai de libéral. C'est le modèle du « buyer beware » : il revient à l'acheteur de faire attention à ce qu'il achète. N'importe qui peut donc produire de l'eau minérale, il faut juste que le consommateur ne soit pas trompé et que l'étiquette apposée sur le produit précise la composition de la boisson. Les consommateurs aiment le sucre et les colorants ? On en met dans la boisson ! Il n'y a dans ce deuxième modèle de commerce des eaux minérales aucune régulation ni définition du produit. Les acteurs qui ont ici joué un rôle sont les chimistes. Ils contrôlent ces eaux minérales comme n'importe quel autre produit alimentaire. Un exemple typique d'eau minérale britannique est Schweppes, qui a fabriqué de l'eau artificielle, puis y a mis du sucre, etc. Après la Seconde Guerre mondiale, ces boissons ont été appelées des soft drinks en raison de la forte influence américaine.

Le troisième modèle de régulation est le modèle germanique, qui repose sur l'analyse des constituants chimiques : est qualifiée de minérale une eau ayant au moins un certain seuil de minéraux par litre. Cela ne s'est pas fait sans mal. Une longue période de contentieux entre les différentes entreprises s'est conclue par des accords de branches. Un contentieux très célèbre est celui de la société Apollinaris, qui commercialise une eau qualifiée de « minérale naturelle gazeuse ». Or l'opérateur procédait à une décantation - c'est le cas pour toutes les eaux gazeuses - afin d'éviter les dépôts en fond de bouteille. Il a été attaqué au début du XXe siècle par des producteurs d'eaux minérales artificielles, qui ont contesté le caractère « naturel » de l'eau Apollinaris ainsi embouteillée. D'où l'idée de s'appuyer plutôt sur la minéralité du produit.

Dans les années 1970-1980, la Communauté européenne a cherché à faire converger ces normes, les eaux minérales britanniques ou allemandes ne pouvant être vendues en France sous une telle appellation. Certains ont tenté de le faire en passant par les opérateurs de santé, mais c'était assez compliqué.

Un grand travail a ainsi été accompli, qui a débouché sur la première directive européenne : la directive 80/777/CEE du Conseil du 15 juillet 1980 relative au rapprochement des législations des États membres concernant l'exploitation et la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles, sorte de compromis entre les versions latine et germanique. La directive de 2009 relative à l'exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles a un peu relégué au second plan le caractère thérapeutique de ces eaux, mettant surtout l'accent sur leur minéralité et leur pureté originelle.

Il existe une autre forme de convergence des normes par le biais du Codex Alimentarius qui consiste à se mettre d'accord sur la qualité des aliments. La vision européenne a heurté très fortement la vision anglo-saxonne, notamment américaine, qui défend l'aliment parfait, pur, ne présentant absolument aucun risque. Pour les Américains, une eau qui n'est pas traitée est une eau dangereuse qui ne doit pas être mise entre les mains des consommateurs. Ce n'est pas du tout la vision des Français et des Européens pour qui une eau minérale peut contenir des germes, qui ne sont pas tous toxiques. C'est absolument un repoussoir pour les États-Unis. C'est pourquoi le traitement de l'eau de Perrier ne leur a posé aucun problème !

Le Codex Alimentarius n'a pas abouti à une convergence complète, notamment du fait de la position de la Food and Drug Administration (FDA) américaine. Mais nous sommes parvenus à un compromis pour maintenir la place de la vision française et germanique dans le fonctionnement général de la régulation. Même la directive de 2009 est un compromis entre les différentes formes de régulation.

Pendant ces négociations, la France a défendu ses minéraliers comme des « champions nationaux » et sa vision de la régulation, car les enjeux en matière d'exportation et de concurrence étaient très importants, comme le rappelait à juste titre la Chambre syndicale des eaux minérales. Malgré l'absence de consensus en France, les négociateurs des années 1980 jusqu'en 2009 ont défendu cette vision de la régulation des eaux minérales, vision qui a pourtant toujours été contestée dans le temps par plusieurs opérateurs. Dès le XIXe siècle, les agents des contributions indirectes, notamment, considéraient qu'il fallait une seule appellation : « eau de table ». Ils ne voyaient aucune raison de ne pas taxer certaines consommations qui n'étaient pas thérapeutiques et relevaient du simple rafraîchissement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci de cet exposé à travers le temps. Pour en revenir au présent, comment considérez-vous les différents scandales ayant concerné les eaux embouteillées ? Quel effet ont-ils eu sur ce marché que vous décrivez comme oligopolistique ? Existe-t-il des précédents de chocs de confiance négative dans l'histoire des embouteilleurs en raison de fraudes à la réglementation ?

M. Nicolas Marty. - Je n'ai pas été étonné par ce qui s'est passé. Les opérateurs ont toujours su s'adapter à la situation pour « contourner » les difficultés. Il s'agit de produits qui bénéficient d'une excellente réputation : ils sont très régulés, très surveillés. Ils sont accompagnés par les autorités administratives et médicales.

Il existe une récente perte de prestige du fait de l'utilisation massive du plastique. L'eau embouteillée est l'un des produits qui diffusent massivement du plastique à usage unique en France depuis la fin des années 1960, alors que les opérateurs pourraient utiliser des bouteilles en verre consignées, comme cela se pratique en Allemagne.

Il y a eu effectivement des crises de confiance dans le passé comme lorsque l'on a trouvé du benzène en 1990 dans les bouteilles de Perrier en raison de problèmes dans le système d'embouteillage. La gestion de crise du président du groupe de l'époque, Gustave Leven, qui a décidé de retirer du marché plusieurs millions de bouteilles, a donné lieu à de nombreuses analyses.

J'ai évoqué tout à l'heure la question de la décantation. Pendant plus de soixante-dix ans, elle n'a pas été autorisée ; pourtant, les opérateurs la pratiquaient, comme en attestent les ingénieurs des mines et les agents de la répression des fraudes. La réaction de l'administration et des opérateurs était alors la même qu'aujourd'hui pour les traitements : ils éprouvaient une sorte de gêne à l'idée de nuire à la commercialisation d'un produit qui demeurait néanmoins sain.

La décantation ne nuit en effet pas à la qualité sanitaire du produit. Elle remet juste en question la fiction selon laquelle l'eau présente dans la bouteille serait exactement la même que celle qui jaillit de la source. Idem pour les traitements, qui ne sont pas a priori négatifs. Ils protègent même le consommateur de la présence de germes pathogènes. Pour autant, ils entraînent une tromperie, puisqu'une eau minérale naturelle, par définition, ne doit pas être traitée et doit rester dans sa pureté originelle. Les conséquences de cette pratique sur la réputation de ces eaux restent néanmoins difficiles à évaluer, car nous manquons de recul. Seule certitude, la découverte, dans les années 1920 ou 1930, du recours à la décantation pour les eaux gazeuses n'a pas entraîné de perte de confiance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le prolongement de vos propos, quel est votre avis sur cette gradation entre eau minérale naturelle, eau de source, eau de boisson ? Que pensez-vous du développement actuel des eaux de boisson ? Je pense à Maison Perrier, qui commercialise une eau issue de la source Perrier, mais qui est traitée et que l'on assume comme telle.

Vous avez évoqué la question du verre et du plastique. Quelle est l'histoire de la victoire du plastique sur le verre en France ? Pourquoi les choses se sont-elles passées autrement en Allemagne ?

M. Nicolas Marty. - La gradation entre les trois niveaux n'est pas absurde. Toute la difficulté est de savoir à partir de quand l'eau est dite « minérale » et à partir de quand elle devient une eau de boisson, parce qu'elle a été traitée. Il faut soit avoir complètement confiance dans le producteur soit renforcer les contrôles, sachant qu'il existe en enjeu très fort, notamment pour Perrier. Lorsque Nestlé Waters a racheté la marque Perrier, son objectif pendant assez longtemps a été de produire du Perrier ailleurs qu'à Vergèze, notamment en Égypte. Un arrêt de la cour administrative de Marseille avait permis d'éviter cette délocalisation. Commercialiser une eau de boisson Perrier ne permettra-t-il pas de contourner ce problème ? S'il ne s'agit pas d'une eau minérale, pourquoi ne pas la produire en Indonésie ?

Vous m'avez questionné sur la trajectoire des emballages. J'ai consacré un article intitulé The true revolution of 1968 à cette question, qui m'a beaucoup intéressé. « Maxi Vittel » est la première bouteille plastique à avoir été commercialisée. Les embouteilleurs français ont énormément diffusé la bouteille plastique. Ce phénomène est lié au caractère oligopolistique et au marché national. Les bouteilles produites à Vittel sont expédiées et consommées dans toute la France. Pour les réemployer, il faut donc aussi les faire revenir de toute la France, ce qui a mis un frein au système de la consignation, d'autant que des opérateurs comme BSN - Danone aujourd'hui - se sont opposés à la standardisation, perçue comme non favorable à la commercialisation des produits.

Ce n'est pas ce qui s'est passé en Allemagne où les producteurs locaux et régionaux se sont associés pour créer une bouteille, la Perlenflasche, la « bouteille perlée ». Il s'agit d'une bouteille standard en verre pour tous les producteurs d'eau minérale. Si une bouteille venant de Prusse était consommée en Bavière, elle pourrait y rester pour y être réembouteillée. C'est un système extrêmement vertueux, que les opérateurs français combattent, car ils refusent de renoncer à la forme particulière de leur bouteille, comme c'est le cas de Perrier. Il faudrait passer par une décision politique si l'on veut standardiser ces emballages.

Mme Florence Lassarade. - Perrier a fait un formidable coup de com' en 1990, en rappelant toutes les bouteilles, les ventes avaient ensuite explosé.

M. Nicolas Marty. - C'était effectivement une gestion de crise réussie.

Mme Florence Lassarade. - Nous avons travaillé il y a quelques années, sur l'initiative de Marta de Cidrac, sur la consigne, mais nos propositions ont été complètement retoquées dans l'hémicycle.

M. Nicolas Marty. - La consigne telle qu'elle était prévue par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec) constituait une bonne solution. Des opérateurs travaillent en ce moment pour établir qu'une bouteille recyclable est toujours moins vertueuse que le réemploi d'une bouteille en verre. La recyclabilité est, selon moi, le piège d'une circularité faible. Mieux vaudrait viser le réemploi, qui est lui véritablement circulaire.

M. Hervé Gillé. - Merci de cette mise en perspective historique intéressante. Il y a eu des évolutions sociétales importantes, y compris en matière d'acceptabilité, avec une bascule entre l'aspect thérapeutique et l'aspect sanitaire.

Pour ce qui nous concerne, nous nous intéressons davantage au volet sanitaire qu'au volet thérapeutique. L'inquiétude n'est pas la même s'agissant de la décantation ou de la filtration, car le risque sanitaire est forcément différent. Nous sommes aujourd'hui beaucoup plus exigeants en matière de transparence et de respect des normes. J'aimerais avoir votre avis sur ce point.

Se pose également la question de la gestion de crise. Le rappel massif des bouteilles de Perrier a apporté une plus-value à l'époque, contrairement à ce qui s'est passé au cours de la séquence que nous venons de vivre. On constate à l'heure actuelle l'émergence de mouvements industriels importants - vous avez parlé d'oligopole -, Danone souhaitant apparemment racheter San Pellegrino et Perrier à Nestlé. Les plaques tectoniques sont en train de bouger. Qu'en pensez-vous ?

Mme Audrey Linkenheld. - Hervé Gillé a parlé de l'acceptabilité sur le plan sanitaire. Une autre évolution notable à travers l'histoire est celle de la santé environnementale. On a commencé à évoquer les sujets d'écologie en abordant la question des emballages. Je ne l'apprends à personne, notre environnement se dégrade. À l'époque où ont commencé à être commercialisées les eaux minérales, tout l'enjeu était de démontrer que leur consommation était meilleure pour la santé que l'eau courante, voire le vin. Aujourd'hui, les eaux minérales doivent faire la preuve, non plus qu'elles sont meilleures que l'eau courante, mais qu'elles ne sont pas moins mauvaises. C'est un peu paradoxal.

Que pensez-vous de cette inversion des valeurs en matière de santé environnementale, alors que celles-ci avaient justement permis la naissance des eaux minérales ?

M. Nicolas Marty. - Ce qui est sûr, c'est que les eaux minérales sont beaucoup plus chères.

On est passé d'un volet thérapeutique à un volet sanitaire. Il faudrait analyser précisément la méfiance des consommateurs à l'égard de l'eau distribuée, eau qui est aussi très fortement discutée aujourd'hui.

Dans la hiérarchie des pertes de confiance, je crains que l'eau potable ne soit davantage mise en question que les eaux embouteillées, ces dernières continuant à bénéficier d'une confiance forte.

M. Hervé Gillé. - Ce n'est pas sûr, c'est en train de changer.

M. Nicolas Marty. - C'est possible.

Au-delà de cette vision globale - je vous ai donné des chiffres à l'échelle nationale -, il existe des disparités très fortes selon les régions. Par exemple, la consommation d'eau embouteillée est très forte dans le nord et l'ouest de la France, alors qu'elle est beaucoup plus faible dans les zones méditerranéennes, pyrénéennes et alpines. En effet, dans ces zones, la confiance dans les réseaux d'eau est plus importante qu'ailleurs. L'articulation entre ces deux paramètres est forte.

Sur la gestion de crise, étant historien, je n'ai pas d'avis ni de leçons à donner. Celle-ci me semble toutefois désastreuse : on a tout appris par la bande, alors qu'en jouant cartes sur table ces révélations auraient pu être tout à fait acceptables. On sait qu'il y a un risque. Je trouve que les opérateurs n'ont pas été particulièrement brillants.

Sur l'achat de San Pellegrino et Perrier par Danone, il faudrait savoir ce qu'en pense l'Autorité de la concurrence : cela concerne une grande marque, qui pourrait devenir plus importante encore.

M. Olivier Jacquin. - J'apprécie particulièrement votre mise en perspective historique, qui donne un relief particulier à la problématique qui nous intéresse.

Pendant des décennies, avez-vous dit, la décantation a été effective sans être autorisée par l'administration. Vous avez conclu en affirmant qu'il n'y avait pas de danger pour le consommateur.

Laissez-vous entendre que, pour les pouvoirs publics, ce produit aurait un statut particulier, si bien que ce n'est pas si grave si les règles ne sont pas totalement respectées ? Peut-on faire un raccourci et appliquer ce raisonnement à la crise actuelle ?

M. Nicolas Marty. - Je confirme que, pendant des décennies, la décantation n'était pas autorisée, alors qu'elle avait lieu. Aujourd'hui, elle fait l'objet d'une régulation. La décantation est connue et autorisée et on continue de parler d'eau minérale naturelle malgré cette décantation. L'administration a fermé les yeux pendant très longtemps sur cette pratique, parce qu'elle ne mettait pas en danger la vie des consommateurs et que cela protégeait un système globalement vertueux. En effet, l'eau minérale est un bon produit ; elle n'est ni alcoolisée ni sucrée.

La répression des fraudes était vent debout contre cette pratique, mais les rapports sont restés sans suite : ils dorment dans les archives de la direction générale de la santé - je pourrai vous les transmettre.

Selon moi, ce qui se produit depuis 2022 se rapproche beaucoup de la pratique de la décantation. Alors que les autorités auraient dû alerter, il semble qu'elles aient plutôt accompagné et les alertes n'ont pas été déclenchées aussi rapidement qu'elles auraient dû l'être. Je rappelle que le traitement est interdit dans les eaux minérales.

On aurait pu provisoirement faire passer ces eaux dans la catégorie « eau de source ». C'était possible. Par exemple, Volvic a d'abord été une eau de source et a attendu pendant près d'une décennie avant d'obtenir le statut d'eau minérale.

Par conséquent, s'il y a des risques, il ne serait peut-être pas absurde de dégrader pendant quelques mois une eau minérale en eau de source ou en eau de boisson, puis de l'« upgrader », quand la situation redevient bonne. Ce serait aussi une façon de prendre les consommateurs pour des adultes.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez expliqué que la France était un grand exportateur d'eau minérale naturelle et que les règles étaient différentes ailleurs.

La question qui se pose aujourd'hui, avec Nestlé Waters France, c'est notamment celle de la fabrication, plus spécifiquement de la production pour le marché américain. Tous les minéraliers ont-ils une marque spécifique pour le marché américain ? La patronne de Danone à qui j'ai demandé si Évian était vendu aux États-Unis m'a répondu qu'Évian n'était vendu que dans les pays où l'eau minérale naturelle non traitée était acceptée. Contrairement à Évian, il existe du Perrier vendu aux États-Unis qui est traité.

Les eaux minérales sont une grande fierté française.

M. Nicolas Marty. - À juste titre, parce que ce sont de belles entreprises et de bons produits.

Madame la sénatrice, vous me posez une question à laquelle je ne sais pas répondre. Évian a beaucoup vendu aux États-Unis à la fin des années 1960 et au début des années 1970. C'était de l'eau minérale française qui n'était pas traitée : l'entreprise ne produisait pas un produit spécifique pour les États-Unis, sinon des bouteilles en verre qui ne revenaient pas.

La question s'est posée au moment où il a fallu établir une définition des produits dans le cadre du Codex Alimentarius. L'enjeu était important, parce qu'il était associé aux négociations de l'Organisation mondiale du commerce : qu'allait-on pouvoir échanger et avec quelle qualité ? C'est à ce moment-là que la question s'est posée pour les États-Unis. Nestlé Waters vend des eaux traitées aux États-Unis pour avoir la garantie que ce produit sera accepté par la FDA. Pour Évian ou d'autres marques, je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette commission d'enquête doit établir un certain nombre de faits, mais doit également formuler des recommandations.

À votre avis, pour l'opinion publique, qu'est-ce qu'une eau minérale naturelle par rapport à une eau de source et qu'est-ce qu'une eau de source par rapport à une autre boisson ?

Pensez-vous que, pour des raisons de lisibilité, qui plus est sur un marché extrêmement concentré, il faudrait envisager un système simple et repérable comme le Nutri-score, par exemple avec un système d'étoiles ? Pour qu'une eau minérale naturelle soit reconnue comme telle, il faudrait remplir un certain nombre de critères, ce qui justifierait son prix ; à l'inverse, si la qualité de l'eau se dégradait, elle pourrait s'appeler eau minérale traitée, eau de source ou eau de boisson. Pour les entreprises, ce pourrait être incitatif.

Je rebondis sur ce qu'a dit Hervé Gillé sur la question sanitaire. Des industriels ont triché pour atteindre une certaine qualité sanitaire. C'est un paradoxe ! Afin que leurs eaux ne soient pas déclassées, ils trichent pour atteindre une certaine qualité sanitaire et une certaine sûreté du produit. Il y a là une injonction paradoxale. Ils ont triché pour conserver l'appellation d'eau minérale naturelle, l'État n'a pas déclassé leurs produits, alors qu'il aurait peut-être fallu le faire pour avoir des garanties sanitaires.

Quels points de sortie imaginez-vous face à cette situation ?

M. Nicolas Marty. - Les consommateurs ont une connaissance globale intuitive par les prix. Puisque l'eau minérale est plus chère que l'eau de source, ils se disent qu'elle est de meilleure qualité - ce n'est d'ailleurs pas nécessairement vrai. À vrai dire, je pense que personne ne comprend rien à la régulation et à la différence entre les trois catégories de boisson.

Je pense qu'il est tard pour supprimer l'appellation « eau minérale naturelle », qui est maintenant bien installée dans les représentations des consommateurs. En revanche, on pourrait donner un accès plus complexe, parfois même un accès temporaire, à des opérateurs qui pourraient alors faire le choix de produire moins et de vendre plus cher. C'est ce qui aurait pu se passer : puisqu'ils ne pouvaient pas produire de l'eau minérale, ils auraient pu arrêter aussi de la produire comme telle. Ce n'est pas si absurde. Après tout, Coca-Cola vend dans le monde entier une eau de boisson qui est la même partout. Ce n'est pas une eau minérale. L'entreprise a sa force de vente, son marketing et elle arrive à survivre...

Sur la question des portes de sortie, mon point de vue est confus. Il me semble que la hiérarchie entre les eaux a fait ses preuves et que l'eau minérale naturelle, en raison de ses caractéristiques favorables à la santé, mérite de se maintenir.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie de votre intervention. Votre point de vue d'historien a enrichi la connaissance des membres de la commission d'enquête.

Audition de M. Guillaume Pfund, docteur en géographie économique, chercheur à l'université Lumière Lyon II
(Mercredi 11 décembre 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions introductives destinées à clarifier les enjeux géologiques et physiques relatifs aux eaux souterraines.

Nous avons souhaité entendre M. Guillaume Pfund, membre de l'unité mixte de recherches Environnement, Ville, Société, sous la tutelle du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), des universités Lyon II et Lyon III, de l'École normale supérieure de Lyon, de l'École nationale d'architecture de Lyon, ainsi que de l'École des mines de Saint-Étienne.

Monsieur, vous êtes chercheur en sciences sociales et vos travaux de thèse portent sur le développement territorial de la filière « eau minérale naturelle », afin de servir deux types d'usage que sont le thermalisme et l'embouteillage. Vous étudiez les interactions, parfois conflictuelles, entre les acteurs économiques de ces deux domaines, dans une logique d'« économie de proximité », ainsi que les différents moyens de valorisation de la ressource qu'est l'« eau minérale naturelle », selon l'acception juridique du terme.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guillaume Pfund prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

M. Guillaume Pfund, docteur en géographie économique, chercheur à l'université Lumière Lyon II. - Je n'ai aucun lien d'intérêts.

M. Laurent Burgoa, président. - L'objet de nos premières auditions est d'apprécier la situation actuelle des eaux souterraines dans notre pays et d'en comprendre les enjeux. Comme vous le savez, la France est le troisième producteur mondial d'eau minérale en Europe, le premier exportateur mondial d'eau embouteillée, et ce tout en exploitant une cinquantaine d'usines seulement.

Nous souhaitons vous entendre sur la gestion et la valorisation de l'eau minérale naturelle, ainsi que sur les conflits d'usage que vous identifiez, notamment entre l'industrie thermale et celle des minéraliers.

Comment la gestion de l'eau minérale naturelle est-elle répartie entre son usage à des fins thermales et son usage destiné à la consommation, via l'embouteillage ?

Dans quelle mesure les vertus thérapeutiques prêtées à l'eau minérale naturelle influencent-elles aujourd'hui le comportement du consommateur ? Les révélations sur le traitement de l'eau embouteillée ont-elles eu un impact quantifiable sur cette consommation ?

Pouvez-vous nous présenter les contours de la notion juridique d'« eau minérale naturelle » ? Vous semble-t-elle satisfaisante au regard des différents risques de pollution qui pèsent sur la ressource en eau ?

Quels conflits économiques identifiez-vous autour de la gestion de l'eau sur le territoire national, mais également sur le territoire belge, que vous incluez également dans vos recherches ?

Quels enjeux identifiez-vous à court et moyen termes autour de la gestion de l'eau, tant au niveau local entre les différents acteurs qu'au niveau macroéconomique, sur l'évolution du secteur du thermalisme, ainsi que de la consommation d'eau embouteillée ?

M. Guillaume Pfund. - Mesdames, messieurs les sénateurs, mes travaux de thèse ont porté sur les eaux thermominérales et leur double usage en France et en Belgique.

Il existe bien un certain nombre de dysfonctionnements.

Les modifications réglementaires décidées par le Gouvernement au regard du problème témoignent d'une gestion à court terme. À mon sens, il serait nécessaire de procéder à une réforme de l'appareil réglementaire sur les eaux minérales naturelles, car il est aujourd'hui vieillissant. Pour régler ce premier dysfonctionnement, il faudrait une volonté politique d'envergure, notamment sur les périmètres de protection, pour renforcer de manière exhaustive la protection des gisements d'eau minérale naturelle (EMN).

Ce n'est actuellement pas le cas, puisque l'outil réglementaire dont on dispose a été bâti pour répondre à une problématique quantitative de la ressource en eau au XIXe siècle et jusqu'aux années 1930 ; or, aujourd'hui, nous sommes face à une problématique de qualité de la ressource. Par conséquent, l'appareil réglementaire actuel ne répond pas forcément aux objectifs, ce qui pose problème. Une réforme me semble tout indiquée pour mieux prendre en compte les problématiques de qualité des EMN et de protection durable des gisements.

À ma connaissance - et c'est le deuxième dysfonctionnement -, aujourd'hui, il n'y a plus d'inventaire exhaustif des émergences d'eau souterraine ou d'eau minérale : jusqu'à la décentralisation, celui-ci était réalisé par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Aujourd'hui, ce sont les dix-huit agences régionales de santé (ARS) qui doivent mettre à jour cette base de données. C'est fait de manière hétérogène, par manque de moyens, parfois par manque de compétences, puisqu'il n'y a plus d'hydrogéologues dans les ARS. Ce constat a déjà été dressé en 2016 à l'Assemblée nationale. Cela pose problème au regard de l'exercice du pouvoir régalien de l'État. En effet, la ressource en eau souterraine a été reconnue juridiquement dès le XVIIIe siècle comme un bien d'État.

Le troisième dysfonctionnement est lié au manque de connaissances hydrogéologiques sur le fonctionnement des gisements : quand on connaît mal les gisements hydrominéraux, on ne peut pas les protéger. Aujourd'hui, la majorité des sites en France sont très mal connus : les connaissances hydrogéologiques se concentrent sur les sites à fort enjeu industriel, c'est-à-dire le secteur minéralier - Évian, Vittel... Cela entraîne des risques écologiques et économiques.

Le développement du savoir hydrogéologique afin d'améliorer la protection constitue un enjeu fort. C'était d'ailleurs l'une des quatre pistes d'amélioration du rapport sénatorial d'information sur les politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source du mois d'octobre 2024 : accroître les connaissances en hydrosystème.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez un appareil réglementaire vieillissant. Pouvez-vous être plus précis et nous indiquer les défaillances, acteur par acteur ? Par ailleurs, quelles pistes de solution suggéreriez-vous ? Notre commission d'enquête cherche aussi à formuler des propositions sur l'appareillage réglementaire et la réponse publique face à un scandale industriel.

Vous semblez recommander une forme de recentralisation des compétences autour du BRGM.

M. Guillaume Pfund. - L'appareil réglementaire actuel est le fruit d'une agrégation commencée au XVIe siècle, à l'intérieur de laquelle tout ce qui relève de la protection a été élaboré au XIXe siècle et jusqu'aux années 1930.

Aujourd'hui, l'appareil réglementaire s'articule autour de deux outils juridiques.

D'une part, il existe un périmètre sanitaire d'émergence (PSE), qui est un périmètre très restreint autour de chacune des émergences. Il s'agit d'un périmètre obligatoire : chaque émergence doit avoir son PSE à jour. À ma connaissance, les embouteilleurs respectent cette contrainte réglementaire. En revanche, dans le secteur thermal, les PSE ne sont pas à jour : la quasi-totalité d'entre eux datent du XIXe siècle et du début du XXe siècle et n'ont pas été actualisés. Ce point a également été relevé à l'Assemblée nationale.

D'autre part, et c'est le plus important, il existe un périmètre de protection, que les propriétaires de la ressource en eau ou l'exploitant peuvent mobiliser. Il n'est pas obligatoire et n'est élaboré que sur la base du volontariat. Le périmètre de protection est beaucoup plus large et prend normalement en compte une partie du gisement d'eau minérale naturelle.

Je rappelle qu'un gisement est composé de trois entités : premièrement, la zone des émergences, qui est en surface ; deuxièmement, la zone souterraine, qui correspond à la zone de transit des eaux minérales naturelles, lesquelles descendent et remontent au travers des roches et se chargent en minéraux ; troisièmement, la zone des impluviums, où toutes les eaux de pluie pénètrent dans le sol.

Un gisement est fait de ces trois caractéristiques. S'il convient de toutes les protéger, l'effort doit plus particulièrement porter sur les zones d'émergence et sur les zones d'impluvium, qui sont vulnérables à des formes de pollution anthropique.

Le périmètre de protection, outil juridique facultatif, ne correspond pas aujourd'hui à 100 % du gisement, que ce soit l'impluvium ou la zone d'émergence ; donc il y a un décalage entre l'outil juridique et la surface à protéger. Cet outil, qui permet d'imposer aux tiers des limitations d'activité, est néanmoins assez vieillissant.

Si on la compare à d'autres pays européens, la France, qui a été pendant longtemps une référence en matière d'appareil réglementaire, fait aujourd'hui un peu pâle figure. La Belgique, par exemple, a su changer sa législation en 1991 pour l'adapter à la perception des risques. Au début du XXe siècle, la crainte était que les forages diminuent les débits, mais la qualité de l'eau n'était pas prise en considération. Aujourd'hui, tout est différent et la Belgique a su évoluer à cet égard, en créant quatre périmètres de protection différents, toujours facultatifs, mais redéfinis avec des hydrogéologues en fonction du temps de parcours de l'eau. Chaque site d'embouteillage se voit appliquer ce nouveau zonage, qui va également plus loin en matière de contraintes, notamment pour ce qui est de l'utilisation de produits phytosanitaires.

Mais je vous rappelle que cette réforme belge date déjà de 1991 : il y a donc quelque chose de mieux à construire chez nous, même si nous pouvons nous inspirer de nos voisins d'outre-Quiévrain.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans votre article d'octobre 2024 publié dans Environnement Magazine, vous dites que seuls quelques grands sites, notamment Évian et Vittel, se sont donné les moyens de réaliser des recherches approfondies pour connaître leur gisement. Le paradoxe, c'est que c'est justement par ces grandes marques que le scandale est arrivé, avec la révélation de traitements illégaux pour faire face à la dégradation de la ressource en eau. Qu'en pensez-vous ?

M. Guillaume Pfund. - Il faut bien comprendre que chaque gisement est une entité particulière, chacune ayant son propre fonctionnement.

À Évian, par exemple, l'impluvium est dans les hauteurs, sur les massifs, et les zones d'émergence sont plutôt dans la plaine. Aussi, l'impluvium est plutôt protégé des activités humaines. En outre, les surfaces agricoles entourant la zone d'émergence sont plutôt petites. La protection est ainsi facilitée.

À Vittel-Contrexéville, la configuration est totalement différente : la zone d'émergence est comprise dans la zone des impluviums, en plaine, les émergences ne sont pas toujours très profondes, si bien que la protection naturelle est relativement faible, et les exploitations agricoles sont assez nombreuses. C'est plus compliqué à gérer.

En raison des carences réglementaires des périmètres de protection, les grands embouteilleurs ont développé des gouvernances partenariales pour gérer le risque de pollution anthropique d'origine agricole.

À Évian, l'Association de protection de l'impluvium de l'eau minérale d'Évian (Apieme) gère le risque avec les agriculteurs sur une base contractuelle facultative. Je le redis, le risque est ici plus facilement gérable que dans d'autres sites, parce que les surfaces agricoles ainsi que le nombre d'agriculteurs sont réduits.

À Vittel, une gouvernance partenariale a également été mise en place, pas sur le même modèle, mais également sur la base du volontariat. Aujourd'hui, 70 % des agriculteurs y adhèrent. À partir de 1992, Nestlé Waters a procédé à Vittel, comme le faisait Danone à Évian, à des achats massifs de terres, avec ensuite une mise en location sur la base d'une charte de bonnes pratiques agricoles - ni produits phytosanitaires ni engrais, régulation des fumures, etc. Seulement, j'y insiste, nous sommes sur la base du volontariat et cela ne concerne que 70 % des agriculteurs ; il reste donc 30 % du problème.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il eu amélioration de la qualité de l'eau depuis que ces contrats ont été mis en place ?

M. Guillaume Pfund. - Le seul indicateur pertinent dont nous disposons est le taux de nitrates. De 8,8 milligrammes par litre avant 1992, il est tombé à 4 milligrammes par litre. Il a donc été divisé par deux. Par rapport au risque sanitaire, on est bien en dessous du seuil réglementaire, qui est de 15 milligrammes par litre. Le problème a donc été pris à bras-le-corps par les minéraliers au sens large pour juguler ce risque, puisqu'il y a un fort enjeu économique derrière.

Pour autant, le directeur d'Agrivair, une filiale de Nestlé Waters dont le rôle est de préserver la qualité de l'eau sur l'impluvium de Vittel, m'a indiqué, lorsque je me suis entretenu avec lui dans le cadre de ma thèse, que les taux avaient tendance à augmenter de nouveau à cause des exploitations limitrophes des zones où les agriculteurs ont contractualisé. Ce sont parfois les mêmes agriculteurs qui, d'un côté, signent la charte avec Nestlé Waters sur les terres qu'ils louent et, de l'autre, font un peu ce qu'ils veulent sur les terres mitoyennes dont ils sont propriétaires. Aussi, on voit réapparaître des intrants phytosanitaires, des engrais, etc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je résume, il faut élargir le périmètre de protection à toute la surface du gisement et muscler les obligations à respecter.

Nous auditionnions hier un représentant du BRGM, qui identifie deux sources de pollution anthropique : les activités humaines alentour et les forages eux-mêmes, qui peuvent être des points d'entrée de pollution de la nappe phréatique. Est-ce que vous avez des éléments sur des risques liés à des forages plus ou moins bien faits ou gérés ?

M. Guillaume Pfund. - Les forages récents présentent peu de risques, au contraire des plus anciens. À Bagnères-de-Luchon, la source appartient à la commune et l'embouteillage était réalisé par Intermarché. Le puits n'était pas assez profond et des modifications de composition sont progressivement apparues. Malgré trois tentatives de nouveaux forages et faute de connaissances hydrologiques suffisantes, jamais une eau naturelle pouvant bénéficier de l'agrément EMN n'a pu être retrouvée et l'activité s'est arrêtée. Je pourrais citer d'autres exemples en France.

Mme Audrey Linkenheld. - Merci beaucoup pour toutes ces précisions qui éclairent utilement l'audition que nous avons eue hier avec le BRGM. Vous avez dit qu'il vous semblait nécessaire d'élargir les périmètres de protection. Est-ce que vous souhaitez qu'ils soient rendus obligatoires ?

En ce qui concerne les PSE, lorsque des embouteilleurs ferment des forages, parce que la qualité de l'eau n'est plus suffisamment au rendez-vous et qu'ils ont l'autorisation d'en ouvrir d'autres, est-ce qu'ils doivent refaire leur PSE ou, en tout cas, le faire évoluer ? Est-ce que vous pouvez nous dire comment évolue le nombre de PSE en France ? Est-ce qu'il est stable ? Dans l'article qu'a mentionné le rapporteur tout à l'heure, vous soulignez que la mise en oeuvre de ces PSE est difficile à contrôler, notamment en milieu urbain. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?

M. Guillaume Pfund. - Quand j'évoquais l'appareil réglementaire, je parlais à la fois des PSE et des périmètres de protection. À mon sens, il faut une réflexion globale avec des hydrogéologues compétents en la matière. Il serait peut-être nécessaire de définir quatre zones, comme en Belgique, pour englober la totalité du gisement. Sur le périmètre de protection, je suis partisan d'un outil réglementaire obligatoire sur tout le territoire français, pour toutes les eaux minérales naturelles, afin de juguler le risque écologique et économique de manière exhaustive. Le caractère facultatif nous amène à une réglementation à deux vitesses qui n'est pas souhaitable.

En ce qui concerne les PSE, chaque émergence, chaque forage doit avoir son périmètre. Un PSE se présente sous la forme d'un ouvrage fermé et d'un espace grillagé de quelques mètres autour. Quand un embouteilleur ou un établissement thermal ferme ou n'utilise plus un ouvrage, il doit le condamner. Et tout nouveau forage appelle la création d'un nouveau PSE.

Mme Audrey Linkenheld. - Et sur les difficultés de contrôle ?

M. Guillaume Pfund. - Auparavant, toutes les déclarations étaient centralisées par le BRGM, qui avait ses propres hydrogéologues. Aujourd'hui, ce sont les dix-huit ARS qui doivent faire ce travail et elles n'ont pas les compétences en interne. Les renseignements intégrés sont de surcroît moins exhaustifs. Ainsi, nous avons beaucoup moins de données qu'auparavant et nous nous heurtons à des carences en moyens humains.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez parlé de Vittel et de Contrex, mais vous oubliez Hépar. Vous vantez la gouvernance partenariale et la qualité de l'eau obtenue, comme le BRGM l'a fait hier. Je suis tout de même un peu étonnée, puisque nous avons découvert que Vittel, Contrex et Hépar étaient traitées depuis longtemps contre les pollutions. En aviez-vous connaissance avant les révélations récentes ?

Par ailleurs, vous avez beaucoup écrit sur la gestion raisonnée de la ressource. Cela n'a pas été le cas pour Hépar, puisque l'on sait maintenant qu'il n'y a plus suffisamment d'eau.

Je suis donc assez dubitative sur la qualité de cette gouvernance participative, puisqu'il y a eu à la fois pollution et raréfaction de la ressource. Quel est votre sentiment ?

M. Guillaume Pfund. - À Évian, la gouvernance est mixte, avec l'Apieme, qui regroupe depuis 1992 la société anonyme des eaux minérales d'Évian (SAEME), c'est-à-dire l'embouteilleur, les quatre communes d'émergence et les neuf communes de l'impluvium. C'est donc une gouvernance publique-privée, avec des actions par projet qui sont financées aux deux tiers par le groupe Danone et à un tiers par les quatre communes d'émergence, qui perçoivent la surtaxe d'embouteillage.

Cette solution a été rendue possible par le rapport de force des acteurs locaux, avec un modèle de concession unique permettant un contrôle de l'accès à la ressource « eau minérale » assuré par les communes d'Évian-les-Bains et de Publier. La concession est attribuée à Danone pour un certain nombre d'années, qui assure l'exploitation thermale, l'embouteillage, ainsi que la gestion de l'hôtel, des thermes et du casino. On retrouve ce modèle à Volvic depuis 2006, à Saint-Galmier depuis 2010 et à La Salvetat-sur-Agout depuis 2012.

Vittel-Contrexéville, c'est complètement différent, puisque le contrôle de la ressource en eau y est historiquement privé. C'est Agrivair, filiale de Nestlé Waters, qui gère la gouvernance partenariale, notamment avec les agriculteurs. Les collectivités locales ne sont associées que ponctuellement, en fonction des projets. Par exemple la commune de Vittel a conclu un accord avec Nestlé Waters pour participer à l'entretien du parc thermal ouvert au public, qui appartient à Nestlé Waters. Ce fonctionnement a été dupliqué à Vergèze pour la source Perrier.

Ce qui fonctionne bien à Évian, en raison d'un rapport de force particulier, n'est pas transposable ailleurs.

Mme Marie-Lise Housseau. - Sur les périmètres de protection, vous semblez considérer que notre appareil de protection est assez obsolète et que le traitement différencié par les ARS n'est pas satisfaisant. Quelles sont vos préconisations ? Faut-il unifier la réglementation, avec une cellule nationale dédiée, de sorte que tous les embouteilleurs soient traités de la même façon ?

M. Guillaume Pfund. - En fait, les trois dysfonctionnements doivent être traités dans le cadre d'une réforme unique. Il faut un socle commun et exhaustif pour tous les gisements d'eau minérale naturelle en France. Au plan local, les adaptations nécessaires doivent être mises en oeuvre de manière fine avec des hydrogéologues en fonction des risques et des caractéristiques de chaque gisement. C'est l'articulation qui a été trouvée en Belgique.

Au-delà de l'appareil réglementaire, il faut mettre en place une forme de gouvernance qui ne serait pas facultative et qui associerait les acteurs concernés, c'est-à-dire les acteurs de la filière EMN, les communes d'émergence et les communes d'impluvium. Pour ce qui est du financement de cette gouvernance, la surtaxe d'embouteillage me semble constituer un outil très adapté. Finalement, il s'agirait de flécher tout ou partie de cette surtaxe d'embouteillage au service de la gouvernance et de la protection des gisements dans leur ensemble. C'est ce qui se fait en partie aujourd'hui, notamment à Évian, où les communes d'émergence financent un tiers des actions de la gouvernance partenariale.

Enfin, nous devons retrouver une base de données solide et exhaustive. Pour ce faire, deux solutions : soit les ARS s'appuient sur les compétences du BRGM, soit on recentralise tout au profit de ce dernier.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Pfund, je vous remercie de toutes ces précisions qui alimenteront notre réflexion.

Audition de Mmes Marie Dupin, journaliste membre de la cellule investigation de France Info, et Pascale Pascariello, journaliste
au pôle « Enquêtes » de Médiapart
(Mardi 14 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Mmes Marie Dupin, journaliste à la cellule d'investigation de Radio France, et Pascale Pascariello, journaliste à Médiapart.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Mesdames, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Marie Dupin et Pascale Pascariello prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, les médias qui sont les vôtres ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous avons souhaité vous entendre en vos qualités de journalistes ayant mis au jour certaines pratiques des industriels des eaux conditionnées qui sont au coeur de notre commission d'enquête.

Comme je l'ai indiqué, par une enquête publiée à la fin de janvier 2024, vous avez révélé au public - cela inclut les parlementaires - que des traitements interdits avaient été pratiqués par nombre d'industriels pendant plusieurs années, sans que le consommateur n'en soit informé, alors même que l'État en avait eu connaissance.

Nous souhaiterions donc vous interroger sur plusieurs points.

Pourriez-vous revenir sur la chronologie complexe de cette séquence tout à fait confidentielle, qui débute en 2020 ? Quelles sont à votre sens les raisons ayant poussé les gouvernements successifs à ne pas rendre publiques ces pratiques ? À votre avis, quels sont les points les plus saillants de la séquence, les points qui mériteraient notre plus grande attention ?

D'après les informations dont vous disposez, les pratiques des industriels des eaux conditionnées sont-elles toujours à risque de non-conformité ? Comment voyez-vous l'avenir du secteur face aux contraintes pesant sur la ressource ?

Nous vous proposons un déroulement de l'audition en trois temps : une présentation liminaire de votre travail et de vos réflexions, suivie d'une première série de questions - en particulier de notre rapporteur, qui reprendra les points tout juste exposés -, puis, éventuellement, d'une dernière batterie de questions-réponses.

Mme Marie Dupin, journaliste membre de la cellule investigation de France Info. - Je vous remercie de cette invitation, mesdames, messieurs les sénateurs. Je remercie en particulier le rapporteur Alexandre Ouizille, qui a fait en sorte que cette commission d'enquête puisse voir le jour, et la sénatrice Antoinette Guhl, qui l'a soutenu dans cette démarche et a fourni un travail important sur le sujet.

Je suis très honorée d'être entendue, aux côtés de ma collègue Pascale Pascariello, dont l'enquête a permis de comprendre les enjeux financiers autour de cette affaire.

Le rôle d'une commission d'enquête est d'informer, de contribuer au débat public, mais aussi de contrôler et d'infléchir l'action de l'État. Dans le dossier qui nous occupe, il y a à faire en matière d'inflexion !

Si mon collègue du Monde Stéphane Foucart et moi-même avons commencé à travailler sur celui-ci, c'est grâce à des lanceurs d'alerte, notamment à un ancien salarié de l'entreprise Alma. Les lanceurs d'alerte jouent un rôle important aujourd'hui, ils prennent des risques en transmettant des informations, mais leur démarche permet de faire émerger la vérité.

De quelle vérité parlons-nous en l'occurrence ?

Votre commission d'enquête porte sur les pratiques des industriels du secteur de l'eau. Je voudrais me focaliser sur l'un d'entre eux, la multinationale suisse Nestlé : c'est, en effet, la seule entreprise dont nous savons qu'elle a utilisé des filtres interdits, car plusieurs de ses puits étaient - et sont toujours - contaminés par des bactéries potentiellement dangereuses pour l'homme et par des polluants chimiques. C'est d'ailleurs pour masquer cette contamination de la ressource en eau à l'administration et aux consommateurs que ces traitements illégaux ont été mis en place.

Depuis nos révélations, en janvier dernier, le groupe Nestlé et les responsables politiques qui étaient au courant de l'affaire tentent de minimiser le risque sanitaire, voire de l'occulter. La veille de nos révélations, alors qu'elle savait que nous allions faire une publication sur le sujet, l'entreprise a même tenté de prendre les devants, à travers un mea culpa dans le journal Les Échos : elle reconnaissait avoir enfreint la réglementation pour maintenir la sécurité de ses eaux et éviter que les consommateurs ne tombent malades.

La réalité est bien plus complexe. Pendant des années, dans les Vosges - où elle produit les marques Hépar, Vittel et Contrex - et dans le Gard - où elle produit la marque Perrier -, l'entreprise Nestlé a constaté que ses puits étaient contaminés, alors qu'une eau minérale naturelle doit se distinguer, par définition, par sa « pureté originelle » et, selon la réglementation, doit avoir été tenue à l'abri de tous risques de pollution. Pour masquer cette pollution de ses eaux aux inspecteurs des agences régionales de santé (ARS), elle a dissimulé, derrière des armoires électriques ou dans des bâtiments annexes, des lampes à rayons ultraviolets (UV), des filtres à charbon et des microfiltres destinés à désinfecter l'eau et à la purifier.

Tant que ces traitements étaient utilisés, il n'y avait a priori pas de risque sanitaire. Mais en 2021, ayant appris que la répression des fraudes enquête sur les pratiques des industriels du secteur de l'eau, Nestlé demande à être reçu par le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de l'industrie. Un rendez-vous est organisé, rendez-vous que l'industriel ne semble pas mentionner dans sa déclaration de lobbying auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Au cours de cette réunion, Nestlé demande à pouvoir continuer à utiliser certains traitements - des microfiltres interdits par la réglementation européenne, car ils retiennent les bactéries qui, en réalité, ne doivent pas être présentes dans une eau considérée comme exempte d'une telle pollution. En parallèle, le groupe s'engage à arrêter d'autres traitements.

À l'issue de ce rendez-vous, le gouvernement de l'époque aurait dû prévenir la justice, comme l'impose l'article 40 du code de procédure pénale, au motif qu'il était informé de l'existence d'une tromperie. Il aurait également dû interdire la production de cette fausse eau minérale ou la rétrograder en eau de boisson. Au lieu de cela, il met en oeuvre des procédés dilatoires, qui vont permettre à Nestlé de continuer son activité jusqu'à aujourd'hui.

En quoi ont consisté ces manoeuvres ? Il y a d'abord eu la commande à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), par Bruno Le Maire, Olivier Véran et Agnès Pannier-Runacher, d'un rapport sur l'activité de tous les minéraliers. Ce rapport a été remis avec six mois de retard, en juillet 2022 ; il a été remis au gouvernement, et à lui seul - même pas aux ARS, pourtant chargées de contrôler les eaux minérales en France. Dans ce rapport, l'Igas explique que le maintien des microfiltres interdits dans les usines du groupe, comme celui-ci le demande, constituerait une fausse sécurisation et exposerait les consommateurs à un risque viral.

Le gouvernement se tourne alors vers l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et lui demande s'il serait possible de laisser Nestlé continuer à utiliser certains microfiltres interdits. La réponse est exactement la même que celle de l'Igas. Dans un courrier de janvier 2023, l'Agence indique que la microfiltration peut avoir un impact sur la qualité microbiologique de l'eau, en particulier sur la rétention de bactéries, mais qu'elle est inefficace sur la rétention de virus. Elle ajoute que les industriels présentent l'utilisation de dispositifs de filtration avec des seuils de coupure inférieurs à 0,8 micron comme permettant d'assurer la sécurité sanitaire, mais qu'aucun élément de preuve n'est apporté pour étayer cette affirmation.

En février 2023, à l'issue d'une concertation interministérielle dématérialisée (CID) dont nous avons récupéré le « bleu », le cabinet de la Première ministre Élisabeth Borne a décidé, en réponse aux demandes de Nestlé, d'autoriser l'industriel à utiliser certains filtres non conformes, tout en demandant aux contrôles sanitaires d'assurer un suivi microbactériologique et virologique de l'eau. C'est la preuve que le gouvernement a déjà conscience, à ce moment-là, de l'existence d'un risque sanitaire. Il est vrai que celui-ci ne s'est jusqu'ici toujours pas matérialisé - et c'est tant mieux - mais jusqu'à quand ?

En octobre 2023, huit mois plus tard, l'Anses alerte de nouveau le gouvernement sur la qualité sanitaire des eaux du groupe Nestlé, évoquant des contaminations microbiologiques d'origine fécale. L'Anses écrit que « ces contaminations ne devraient pas conduire à la production d'eau embouteillée ». On ne peut pas être plus clair : il y a bien un risque sanitaire, et ce risque est accentué depuis que les autres traitements interdits ont été arrêtés.

Au printemps dernier, d'ailleurs, le préfet du Gard a été contraint d'ordonner la destruction de millions de bouteilles de Perrier en raison d'un risque de contamination par des matières fécales. Un puit a été fermé, mais d'autres continuent de fonctionner, dans des conditions toujours aussi opaques.

En effet, une inspection inopinée, menée conjointement par l'inspection des fraudes et l'ARS d'Occitanie en juin dernier, prouve que Nestlé ne joue toujours pas le jeu de la transparence s'agissant de la production de ses eaux minérales naturelles. Dans leurs rapports préliminaires, les inspecteurs racontent comment on les fait patienter à l'accueil de l'usine Perrier près d'une heure et demie le matin de l'inspection, que l'on refuse de leur donner les documents demandés au motif du délai d'impression ou de problèmes de clés USB, que la direction est incapable de fournir une traçabilité de la production d'eau.

Or que relèvent les contrôles effectués ce jour-là ? Que les puits présentent encore des contaminations bactériennes « inacceptables pour une eau minérale naturelle » et engendrant un risque viral.

Aujourd'hui, plus de trois ans après le premier rendez-vous entre Nestlé et le gouvernement, près d'un an après nos révélations, l'industriel continue donc de produire une eau minérale naturelle, qui n'en est peut-être pas une, avec, possiblement, un risque sanitaire pour les consommateurs.

Pour résumer, nous parlons aujourd'hui d'une collusion avérée entre l'État et Nestlé, pour couvrir le groupe et servir des intérêts privés au détriment des intérêts fondamentaux de notre Nation. L'eau, en effet, est la base de la vie pour tous les êtres vivants. Dans cette affaire, le Gouvernement a failli à ses obligations, en ne saisissant pas la justice lorsqu'il aurait dû le faire ; en n'informant pas les consommateurs, ni la Commission européenne, ni les autres États membres ; en se mettant en situation de non-respect de la réglementation européenne, avec, à la clé, un possible risque de contentieux. Il a également, comme je l'ai dit, négligé la protection sanitaire des citoyens, malgré les alertes, notamment de l'Anses. Enfin, non seulement les pratiques interdites mises en place par Nestlé, et dissimulées par les autorités, sont d'une ampleur et d'une gravité inédites, mais elles perdurent très probablement.

Cette collusion soulève un problème démocratique et aura une conséquence invisible, celle d'entamer un peu plus la confiance des citoyens envers ceux qui les dirigent.

Mme Pascale Pascariello, journaliste au pôle « Enquêtes » de Médiapart. - Je vous remercie également de m'auditionner et félicite Marie Dupin pour l'ensemble du travail qu'elle a réalisé.

Pour ma part, membre du pôle « Enquêtes » de Mediapart, j'ai commencé à m'intéresser à Nestlé sur le fondement d'une interrogation quant à une possible surexploitation des ressources en eaux sur le site des Vosges.

Sur le plan légal, l'existence d'un forage dépend du code minier, du code de la santé publique, mais aussi du code de l'environnement, l'eau étant une ressource à protéger. Tout un travail doit donc être mené par les services de l'État pour contrôler les volumes et conditions de prélèvement. Or l'Office français de la biodiversité (OFB), chargé par le parquet d'Épinal d'enquêter à la suite d'une plainte pour prélèvements illégaux, en 2020, de plusieurs associations de défense de l'environnement, a confirmé que Nestlé prélevait en toute illégalité de l'eau sur neuf forages, notamment pour la production des marques Vittel et Contrex. Il n'y avait pas eu de déclaration au titre du code de l'environnement. Les enquêteurs ont également mis en lumière - et c'est tout le sens de ces affaires autour de Nestlé - une réelle faillite des instances de contrôle de l'État, voire le blanc-seing donné à l'industriel.

En 2010, lorsque celui-ci fait une demande pour un nouveau prélèvement, les services de la préfecture des Vosges s'intéressent au nombre de forages dont il dispose. Dans un premier temps, ils évaluent ce nombre à 31 ; plusieurs mois plus tard, ils l'estiment à 130 ! C'est dire l'ampleur de l'absence de contrôles par la préfecture. Il en va du reste de même du contrôle des traitements illégaux par l'ARS.

Alors que ses services viennent de découvrir l'ampleur des forages de Nestlé et l'exploitation illégale de certains d'entre eux, la préfecture décide de régulariser la situation. Certains dossiers sont pourtant incomplets, et au sein même de l'administration, la responsable de la police de l'eau émet des réserves sur cette régularisation massive.

Cette surexploitation des ressources, dont on ne connaît pas le volume, a duré vingt-sept ans - les enquêteurs de l'OFB ont d'ailleurs souligné qu'il n'y a aucune trace du paiement par Nestlé de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau pendant plusieurs années. Elle emporte par ailleurs des conséquences sur le niveau des nappes phréatiques. Entre 2019 et 2023, plusieurs villages autour du site Nestlé des Vosges ont manqué d'eau, ce qui n'a pas empêché l'industriel de continuer à pomper... Enfin, il y a des conséquences sur la qualité des eaux : la surexploitation est, en effet, la cause des contaminations régulières qui affectent notamment les eaux de Nestlé.

Dans le cadre de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) conclue avec le parquet d'Épinal le 10 septembre dernier, le minéralier a reconnu les faits, y compris les traitements illégaux sur le site des Vosges, où sont embouteillées les eaux de Contrex, Hépar et Vittel.

Mediapart a eu accès aux conclusions de l'enquête menée par le service national d'enquête (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), instance qui avait déjà été alertée par un ancien salarié d'Alma. Cette enquête a été ouverte à la fin de l'année 2022 à la demande du procureur d'Épinal et à la suite du signalement par l'ARS des Vosges des traitements illégaux des eaux constatés lors de différentes inspections menées dans le cadre du rapport de l'Igas. Nestlé avait déjà avoué les faits.

Les conclusions de cette enquête sont accablantes, à la fois pour le groupe, l'ARS et les services de l'État. Elles indiquent que le recours à des traitements illégaux par Nestlé remonte au moins à 1993 pour les filtres à charbon, et à 2005 pour les lampes à UV et la microfiltration. Il s'agit donc d'une fraude inédite par sa durée - plus de vingt ans - et son montant, qui, selon les services de Bercy, dépasse les 3 milliards d'euros.

Au regard de la durée de cette fraude, le SNE estime qu'il s'agit d'un système organisé, et qu'il faut retenir, non pas la responsabilité de tel ou tel dirigeant du site Nestlé des Vosges, mais la responsabilité morale de l'entreprise, qui a sciemment caché la plupart des traitements lors des inspections de l'ARS.

Un ancien directeur de l'usine des Vosges, qui était au courant de l'ajout illégal de COdans l'eau de Vittel, a ainsi déclaré aux services de Bercy : « Nous l'avons montré à l'ARS lors des visites, mais ils n'ont jamais considéré cela comme un point important. »

Dans une note adressée à la préfète des Vosges dont j'ai eu connaissance, l'ARS alerte sur les détections récurrentes de bactéries, voire de virus avant et après les filtrations. Elle indique que celles-ci doivent conduire à la suspension de l'embouteillage, ou du moins à la perte de la mention « eau minérale naturelle ». Pour autant, l'agence n'a rien fait. Étant informée du traitement au CO2, elle aurait notamment pu interroger le minéralier sur l'usage d'autres traitements illégaux ; elle ne l'a pas fait.

Dans cette affaire, j'estime donc que les agences ne se sont pas donné tous les moyens. Certes, les traitements étaient dissimulés, mais l'ARS des Vosges n'a pas cherché plus loin, comme le montrent les auditions menées par le SNE. Le risque sanitaire a été enterré : ainsi, dans le signalement fait auprès du procureur d'Épinal, elle indique : « à ce stade des investigations, il convient de noter qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'est identifié », sans, pour autant, avoir la preuve du contraire.

Les avis de l'Anses, qui indiquent au contraire que le recours à ces traitements soulève un risque, du fait notamment des virus que l'on peut retrouver dans les eaux, ont systématiquement été enterrés par l'ARS et par les services de l'État.

Les enquêteurs ont par ailleurs mis la main sur les plaintes des consommateurs. Alors que plus de 400 plaintes sont déposées par eux chaque année, pourquoi le procureur d'Épinal ne s'est-il pas donné les moyens d'enquêter sur la question sanitaire ?

L'État a essayé de sauver, et même de « blanchir » Nestlé, en portant le seuil de filtration de 0,8 à 0,2 micron, en contradiction avec une directive que, selon mes informations, l'Union européenne ne modifiera pas. En tout état de cause, avec un seuil de microfiltration à 0,2 micron, rien ne garantit l'absence de risque sanitaire. Dans cette affaire de traitement illégal des eaux, j'estime donc qu'il faut interroger la responsabilité de l'industriel, mais aussi celle de l'État.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie toutes deux, mesdames, car sans vous, la représentation nationale, les Françaises et les Français, n'auraient pas été informés de ce qui s'est passé, et se passe peut-être encore dans les usines Nestlé.

Cette affaire a été présentée par l'industriel comme une fraude à la consommation - c'est du reste ainsi que Bruno Le Maire l'a également présentée en séance publique. Les avis de l'Anses et les travaux de l'Igas ont toutefois brusquement conféré à cette affaire une dimension sanitaire. Comment les représentants de l'État, singulièrement les ministres, ont-ils abordé avec vous la dimension sanitaire de ce dossier ?

Mme Marie Dupin. - Désormais, les ARS n'enterrent plus ce risque sanitaire. En effet, le dernier rapport d'inspection de l'ARS d'Occitanie évoque bien l'existence d'un risque viral, non pas passé, mais actuel, concernant l'eau de Perrier. Cette inspection a été menée en juin dernier, c'est-à-dire après la publication de nos enquêtes.

Il est toutefois exact qu'après nos révélations, en janvier dernier, Bercy et le ministère de la santé ont réagi en indiquant qu'il y avait effectivement tromperie mais que les consommateurs n'étaient exposés à aucun risque sanitaire. C'était un mensonge, car les autorités étaient alors parfaitement au courant de l'existence de ce risque grâce au rapport de l'Igas et au courrier de l'Anses.

Au gouvernement qui l'interrogeait sur la possibilité de laisser Nestlé poursuivre la microfiltration au seuil très bas de 0,2 micron, laquelle est, du reste, toujours pratiquée, l'Anses avait répondu par la négative en janvier 2023.

Mme Pascale Pascariello. - Ce risque n'est en effet plus enterré, mais compte tenu de l'ensemble des inspections qui ont été demandées depuis que le scandale a éclaté, l'ARS ne peut pas faire autrement.

Les situations diffèrent toutefois dans le Gard et dans les Vosges, où un arrêté a été pris très rapidement afin d'autoriser les microfiltrations au seuil de 0,45 micron. Dans le Gard, la vigilance du préfet a sans doute été accrue, puisque nous avons pu consulter des notes par lesquelles la préfecture pressait l'ARS de lui fournir les éléments relatifs à l'état des contaminations des sources Perrier.

Mais une ARS ne devrait-elle pas être réactive, y compris en l'absence de pression des médias ? Ne devrait-elle pas faire son travail en dehors de toute sollicitation de l'Igas ? Ne devrait-elle pas rendre publics tous les éléments de ses inspections, comme le prévoit le code de l'environnement, sans que les journalistes aient à en faire la demande à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) ?

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez indiqué que Mme la Première ministre avait participé à la concertation interministérielle dématérialisée.

Mme Marie Dupin. - Il s'agissait de deux membres de son cabinet.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourriez-vous nous indiquer leur nom ?

Mme Marie Dupin. - Je vous les communiquerai par écrit, car je n'ai pas le compte rendu de cette réunion avec moi.

M. Laurent Burgoa, président. - D'autres ministères étaient-ils représentés ?

Mme Marie Dupin. - Oui, mais leur nom n'est pas indiqué dans le compte rendu que je vous communiquerai.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, car nous nous devons d'être précis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous souhaitons en effet interroger les participants à cette concertation interministérielle dématérialisée afin de savoir jusqu'où l'information est remontée, en particulier si la Première ministre en a eu connaissance.

Vous semblez avoir acquis la conviction que l'arbitrage rendu lors de la CID l'a été en toute conscience du risque sanitaire, puisque les ministères avaient alors connaissance de l'avis de l'Anses et du rapport de l'Igas. Est-ce trahir votre pensée que de la reformuler ainsi ?

Mme Marie Dupin. - Dans le « bleu » de CID, il est clairement indiqué qu'« en réponse aux demandes de l'industriel, il est décidé d'accorder à Nestlé la possibilité d'utiliser certains filtres non conformes ». C'est tout de même une décision politique.

Le compte rendu précise par ailleurs qu'il est demandé aux services de contrôle sanitaire d'assurer un suivi microbiologique et virologique de l'eau. S'il formule cette demande, c'est bien parce que le gouvernement de l'époque a conscience qu'en donnant son feu vert à Nestlé pour utiliser des microfiltres non conformes, donc interdits, il ouvre la voie à un risque microbiologique et virologique. Cette demande prouve, à mes yeux, que l'exécutif avait bien conscience de l'existence de ce risque, qui a du reste été soulignée quelques semaines auparavant par l'Anses...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... ainsi que du caractère illégal des pratiques, puisque le « bleu » évoqué mentionne une non-conformité.

Mme Marie Dupin. - Exactement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai une question pour Mme Pascale Pascariello. Au moment où cette commission a été lancée, j'ai reçu un courriel de Nestlé - d'ailleurs fort peu aimable - m'indiquant que j'aurais publiquement rapporté des informations inexactes concernant la présence d'arsenic dans les eaux de Nestlé, au-delà des seuils réglementaires. J'avais tiré ces informations de votre article « Un rapport confidentiel de Nestlé révèle "un risque élevé" d'arsenic dans les eaux de Vittel » le 31 octobre 2024. Selon le groupe, « ces informations sont totalement erronées et trompeuses concernant la sécurité alimentaire et la concentration en arsenic de l'eau minérale naturelle Vittel, information présentée au mépris de toute rigueur scientifique, juridique ou judiciaire ». Dans ce courriel, Nestlé affirme, de manière catégorique : « Il n'y a donc jamais eu d'arsenic au-delà du seuil réglementaire dans nos eaux embouteillées ».

Qui croire ? Que révèlent précisément les rapports internes du Nestlé auxquels vous avez eu accès ? Quelle analyse en faites-vous ?

Mme Pascale Pascariello. - Je pourrai vous transmettre ces documents. Il est question de notes internes confidentielles de l'industriel faisant état de la qualité des eaux sur le site des Vosges. Celle que j'ai sous les yeux, par exemple, dresse la liste de l'ensemble des pollutions bactériologiques et chimiques de ces eaux, en particulier de la source qui alimente la marque Hépar, dont l'exploitation a d'ailleurs été suspendue lorsque les traitements ont été retirés.

Fort intéressantes, ces notes internes confidentielles recensent l'ensemble des traitements illégaux, Nestlé signalant un défaut de conformité par rapport aux réglementations française et européenne. L'une d'entre elles concerne l'arsenic. On y rappelle que le traitement contre l'arsenic, contrairement aux autres traitements utilisés, est tout à fait autorisé. Cependant, l'industriel s'est rendu compte que le taux d'arsenic dans les eaux brutes n'avait pas été suffisamment pris en compte et qu'in fine, le taux d'arsenic pouvait s'élever à 12 - voire 13 - microgrammes par litre dans le produit fini, soit au-dessus du taux de 10 microgrammes par litre autorisé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cette note interne existe et l'industriel n'a jamais contesté nos informations. Je suis désolé qu'il l'ait fait auprès de vous. Je pourrai vous fournir ce document.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous l'intégrerons à notre rapport. Nous sommes d'ailleurs preneurs de tout autre document que vous souhaiteriez nous fournir, afin que nous instruisions à charge et à décharge.

Mme Marie Dupin. - J'ai retrouvé les noms des collaborateurs qui ont été destinataires du compte-rendu de la concertation interministérielle dématérialisée que nous avons évoquée sous la présidence de M. Arcos, conseiller technique santé et de M. Blonde, conseiller technique participations publiques, consommation et concurrence au cabinet de la Première ministre : pour le cabinet de la Première ministre, M. Lebras, chargé de mission et M. Puisais-Jauvin, secrétaire général ; pour le ministère de l'économie et des finances, M. Dumont, directeur de cabinet ; pour la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, Mme Brotons, directrice de cabinet ; pour le ministère de la santé, Mme Bousquet-Bérard, directrice de cabinet ; enfin, pour le ministre délégué auprès du ministre de la santé et de la prévention, Mme Épaillard, directrice de cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous d'éléments tangibles quant à une éventuelle contamination des consommateurs ?

Mme Pascale Pascariello. - Je ne dispose pas à ce stade d'éléments supplémentaires sur les conséquences des contaminations et les risques encourus par les consommateurs. En tout état de cause, ce risque a été signalé en interne par les ingénieurs de Nestlé, tandis que l'ARS a annoncé mener des investigations additionnelles sur ce problème.

Comme vous pouvez vous en douter, Nestlé n'a pas communiqué sur ce problème, l'industriel se permettant même de réfuter des informations fournies par ses propres ingénieurs, avec une façon de transformer la réalité des faits qui pose problème. Les enquêteurs du SNE ont d'ailleurs relevé ce côté mensonger, puisque Nestlé a bien traité frauduleusement ses eaux tout en prétendant vendre une eau minérale pure aux consommateurs.

À la suite de nos révélations sur le montant de la fraude - plus de 3 milliards d'euros, je le rappelle -, Nestlé a publié sur son site un « Point de situation sur nos eaux minérales » afin d'éteindre le scandale. À la question « Avez-vous fraudé le consommateur à hauteur de plus de 3 milliards d'euros en quinze ans, comme l'affirme Mediapart ? », le groupe répond : « Nous réfutons formellement les chiffres relayés dans les médias ».

Je tiens à préciser que ces estimations ne sont pas les miennes, mais celles de Bercy.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Dupin, vous avez pour votre part publié, le 16 décembre 2024, un article présentant le rapport de l'ARS d'Occitanie qui envisage un « arrêt de production d'eau minérale naturelle sur le site de Vergèze ».

Selon vous, le Perrier est-il toujours une eau minérale naturelle ? Qu'est-ce qui vous a particulièrement marqué dans ce rapport de l'ARS, sachant que vous vous êtes toutes deux montrées critiques vis-à-vis de ces agences ? Quelle comparaison faites-vous, d'ailleurs, entre le travail des deux ARS concernées par ce dossier ?

Mme Marie Dupin. - La lecture des différents rapports que nous avons relayés m'amène à dire, par prudence, qu'il est difficile de répondre à la première question. Si l'on reprend la chronologie des événements, Nestlé a, après la découverte de ces pratiques, mis en place un plan de transformation dont l'un des volets consistait à demander, pour le site du Gard, à pouvoir détourner l'utilisation de certains de ses puits pour fabriquer non plus du « Perrier, eau minérale naturelle », mais une nouvelle marque de boisson gazeuse, « Maison Perrier », dont l'entreprise a assuré la promotion à grand renfort de battage publicitaire.

Cette nouvelle marque a bien été lancée afin que Nestlé puisse continuer à utiliser des puits à ce point contaminés qu'il n'était plus possible d'y recourir pour continuer à produire de l'eau minérale naturelle. Le groupe a obtenu, par arrêté préfectoral, l'autorisation de détourner l'utilisation des puits concernés pour produire non plus de l'eau minérale naturelle mais des boissons gazeuses.

À ce jour, pour ce qui concerne l'usine du Gard, un puits est fermé en raison d'une forte contamination ; deux installations ont été détournées pour produire la marque « Maison Perrier » ; d'autres puits, enfin, sont toujours en état de fonctionnement alors qu'il existe des questionnements à leur sujet, les rapports de l'ARS et de la DGCCRF ayant identifié des problèmes récurrents de contamination bactériologique.

En principe pourtant, une eau contaminée régulièrement ne peut pas être utilisée pour produire de l'eau minérale naturelle : le rapport de l'Anses indique ainsi clairement que ces contaminations ne devraient plus permettre la production d'eau en bouteille. En croisant ces différents rapports et alertes, il est donc très probable que le Perrier ne soit plus aujourd'hui une eau minérale naturelle.

Concernant le rapport de l'ARS d'Occitanie, un changement de pied est intervenu à la suite de la publication de nos différents articles. Nous avons en effet beaucoup « feuilletonné », les premières révélations ayant été suivies du rapport de l'Anses au printemps 2024. À la suite de l'inspection de juin, l'ARS d'Occitanie a enfin indiqué qu'il existait un risque viral. Comment expliquer qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour l'évoquer ? Je ne peux pas répondre à cette question, mais l'ARS de cette région a effectivement changé de braquet, avec des conclusions qui mettent en cause la production d'eau minérale dans l'usine de Vergèze.

Quant aux différences entre l'ARS Grand Est et l'ARS d'Occitanie, il est important de noter que la première a signalé les faits sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, ce qui a donné lieu à l'enquête du SNE et à une convention judiciaire d'intérêt public. Là où l'ARS Grand Est a bien respecté l'obligation de saisir la justice, ce n'est toujours pas le cas de l'ARS d'Occitanie à ma connaissance. De fait, il n'existe aucune procédure judiciaire en cours pour la tromperie mise en place dans le Gard alors que des plaintes ont été déposées auprès du pôle de santé publique du tribunal judiciaire de Paris, notamment par l'ONG Foodwatch.

M. Laurent Burgoa, président. - Vos interventions ont montré que vous disposez de savoirs solides s'agissant de l'eau minérale. Aviez-vous des connaissances préalables en matière d'eau ou les avez-vous acquises après la découverte de ces faits ?

Par ailleurs, vous êtes-vous rendues sur place dans le cadre de vos investigations ou vous êtes-vous principalement appuyées sur des rapports ?

Selon vous, les agents des ARS disposent-ils des compétences adéquates pour contrôler ces sites industriels ?

Enfin, pourriez-vous encore boire du Perrier ?

Mme Pascale Pascariello- Je buvais du Perrier au début de l'enquête, et je ne bois désormais plus d'eau en bouteille, y préférant l'eau du robinet au vu des éléments que j'ai pu recueillir.

Pour ce qui est de mes connaissances initiales, j'ai dû les approfondir, d'autant plus que je travaillais plutôt sur les questions de police et de justice au sein de la rédaction. Membre du pôle « enquêtes », j'ai été sollicitée en début d'année dernière pour venir en renfort sur les enquêtes relatives aux questions environnementales. J'avais déjà travaillé sur des sujets ayant trait à la pollution et à la sécurité sanitaire, mais j'ai dû parfaire mes connaissances de manière accélérée en potassant beaucoup et en sollicitant des experts indépendants afin de recueillir des avis extérieurs.

Par ailleurs, j'estime que la question principale n'est pas tant celle des compétences des agents des ARS que celle de leur indépendance et des missions qui leur sont confiées. S'agissant du traitement des eaux, je pense qu'il existe un problème d'effectifs et de moyens, car les agences ne sont pas en mesure de réaliser toutes les analyses requises afin de surveiller la qualité de l'eau et s'assurer de la sécurité sanitaire. Dans l'urgence, les moyens ont certes été renforcés avec des recours à des laboratoires, mais Nestlé continue à assurer la majorité des contrôles, dans le cadre d'une forme d'autosurveillance.

De plus, les contrôles dits « inopinés » de l'ARS ne le sont absolument pas dans la mesure où l'industriel en est informé à l'avance, comme l'ont relevé les enquêteurs.

Enfin, je me suis déplacée sur le site des Vosges dans le cadre de mes investigations.

Mme Marie Dupin. - Je ne buvais pas d'eau en bouteille avant de commencer cette enquête, qui m'a confortée dans ce choix. Si je pouvais boire du Perrier dans les cafés avant ce travail d'investigation, je n'en consomme désormais plus.

Je ne me suis pas déplacée sur les lieux, mais j'ai été en contact avec des membres d'associations présentes sur place, ainsi qu'avec des salariés du groupe Nestlé qui m'ont expliqué le fonctionnement des usines.

Comme l'a justement relevé Pascale Pascariello, les moyens des ARS ont été renforcés à la suite de nos révélations, mais la question de leur indépendance reste posée. La plupart des industriels s'autocontrôlent et les agents des ARS manquent souvent de moyens, même si le laboratoire d'hydrologie de l'Anses de Nancy leur vient désormais en appui pour réaliser les contrôles.

Mme Marie-Lise Housseau. - Sénatrice du Tarn, je m'interroge lorsque vous indiquez que, selon l'OFB, Nestlé prélevait illégalement de l'eau sur neuf forages. Normalement, lorsqu'un industriel de l'eau s'installe, il est censé fournir un certain nombre de documents, dont un plan faisant apparaître les emplacements de l'ensemble des forages, ainsi que les différents droits de propriété, servitudes et périmètres de protection sanitaire.

Toutes ces informations doivent être transmises à la préfecture, plus précisément à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). En outre, l'industriel doit s'engager à réaliser régulièrement des contrôles.

Par conséquent, le fait que neuf forages ont pu passer inaperçus me semble incroyable et met en lumière une responsabilité importante de l'État, d'autant plus que l'industriel est censé payer une redevance calculée sur le volume d'eau prélevé à la commune. La Dreal, la préfecture ou les communes auraient dû s'en apercevoir, surtout pour un industriel aussi important que Nestlé et pour une commune telle que Vittel, qui doit récupérer des royalties assez considérables. Je trouve ces éléments choquants et souhaiterais avoir votre avis sur le sujet.

Mme Pascale Pascariello. - Je vous rassure : les communes ont perçu des redevances non négligeables. Mais les enquêteurs ont relevé une absence de paiements pour l'une des sources.

Plus globalement, l'importance de Nestlé explique que le groupe a pu à ce point déroger aux règles du code de l'environnement, l'État s'étant mis au service de l'industriel en décidant de modifier la réglementation sur les microfiltrations, lui évitant ainsi de suspendre l'embouteillage.

S'agissant des prélèvements illégaux, la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau demandait aux industriels de déclarer leurs forages et prélèvements, afin de vérifier les volumes prélevés. Ils disposaient de quatre ans pour se mettre en conformité, mais Nestlé n'a pas respecté cette échéance et la préfecture des Vosges n'a procédé à aucun contrôle, ce qui a permis au groupe de prélever des eaux en toute impunité sur les neuf forages non déclarés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous subi des pressions, de quelque nature que ce soit, lors de votre travail d'enquête ? Prévoyez-vous, ou avez-vous connaissance de nouvelles révélations de presse concernant notre périmètre ? Quelles convictions avez-vous acquises sur les raisons ayant poussé les gouvernements successifs à ne pas rendre ces pratiques publiques ?

Mme Marie Dupin. - Je ne pense pas que l'on puisse évoquer des pressions à proprement parler. Néanmoins, par déontologie journalistique, nous prévenons Nestlé une semaine, voire dix jours avant la publication de notre enquête que nous avons connaissance de l'utilisation de filtres illégaux et posons à l'industriel une série de questions. Nous attendons ses réponses avant de publier. Celles-ci nous parviennent un dimanche soir et, le lendemain matin, nous découvrons le mea culpa de Nestlé à la une des Échos. Quand on travaille depuis six mois sur un sujet de cette nature, le coup est rude. C'est le premier industriel que je vois se comporter ainsi, en vingt ans de carrière journalistique, et je vous avoue que, depuis, j'envoie mes questions la veille de la publication de mes articles. Certains se plaignent du délai extrêmement court que je leur laisse, mais je ne suis plus réellement en confiance depuis cette tentative de nous court-circuiter en termes de communication.

Nous espérons qu'il y aura de nouvelles révélations et nous n'hésiterons pas à vous informer de nouvelles publications. Ce qui est sûr, c'est que des rapports sont encore attendus - le laboratoire d'hydrologie de Nancy, je l'ai dit, continue de mener des travaux d'analyse de la qualité des eaux - et un certain nombre de questions demeurent. Votre commission d'enquête a ainsi vocation à éclaircir les événements survenus sur le plan politique. Elle est donc pleinement ancrée dans l'actualité et, en cela, son rôle est capital.

Pourquoi les gouvernements successifs n'ont-ils pas rendu les informations publiques ? Pourquoi n'ont-ils pas informé la justice ou la Commission européenne, interdit la production ou reclassifié ces eaux minérales naturelles en eaux de boisson - autant d'actes politiques qui s'imposaient eu égard à la réglementation ? Il est certain que nous ne serions pas là aujourd'hui s'ils avaient fait tout cela. Mais je ne connais pas les motivations qui les ont poussés à privilégier les intérêts d'une multinationale au détriment de l'intérêt public. Je suis bien incapable de répondre à cette question.

Mme Pascale Pascariello. - Moi non plus, je n'ai pas subi de pressions. Mais je rejoins Marie Dupin sur le caractère assez affligeant des pratiques de Nestlé, dont la communication, notamment, est particulièrement mensongère.

Je ne peux pas parler des révélations à venir, mais il y en aura d'autres, dont certaines qui concernent l'avenir d'eaux comme les eaux Perrier ou Hépar. Sans entrer dans des considérations techniques, j'insiste sur le fait que tout changement de microfiltration met en péril la dénomination d'eau minérale, et c'est tout l'enjeu des choix ministériels qui vont devoir être arrêtés, alors que la France, désormais sommée au niveau européen de prendre une décision, tente de sauver autant qu'elle le peut encore Nestlé.

D'ailleurs, puisque j'aborde la question de « sauver Nestlé », il me semble que cette affaire a vraiment été mal gérée. À force d'enterrer la responsabilité du minéralier, de fermer les yeux sur ses fraudes, sans doute dans l'espoir de sauver les emplois, le groupe annonce aujourd'hui la filialisation de ses eaux, ce qui constitue une menace encore plus grande pour les salariés. Tout le monde est perdant - consommateurs, salariés -, et c'est sans compter les risques sanitaires !

Caractéristiques thérapeutiques des eaux minérales naturelles -
Audition de Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, responsable du laboratoire santé publique et environnement à l'université Clermont-Auvergne
(Mercredi 15 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, directrice du laboratoire santé publique et environnement de l'université Clermont-Auvergne.

Avant toute chose, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat prête serment.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat, professeur, responsable du laboratoire santé publique et environnement à l'université Clermont-Auvergne. - Je suis actuellement membre du comité d'experts spécialisés (CES) « Eaux » de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et je préside un groupe de travail sur l'évaluation des risques sanitaires en lien avec l'eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Par le passé, j'ai terminé mon internat des hôpitaux au laboratoire de contrôle des eaux, qui était chargé du contrôle sanitaire des eaux minérales naturelles en Auvergne, et j'ai poursuivi par un doctorat d'université dans le cadre d'une convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) au sein de la société des eaux de Volvic.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci de ces informations.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille » après que, au début de l'année 2024, les médias en ligne ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Notre audition de ce jour recouvre un thème bien précis : celui des caractéristiques thérapeutiques et des propriétés physico-chimiques des eaux conditionnées.

Peut-on établir des catégories différentes d'eaux minérales naturelles ? Sur quels fondements l'Académie nationale de médecine atteste-t-elle de leurs qualités thérapeutiques ? La remise en cause de la pureté originelle par le recours à certains traitements emporte-t-elle des conséquences sur les caractéristiques thérapeutiques des eaux ? Plus largement, quelle valeur pour le consommateur peut avoir la pureté originelle ? Pourrait-on imaginer, à terme, une dénomination « eau minérale naturelle » qui permette le recours à des traitements de désinfection afin d'en assurer la qualité sanitaire sans en dégrader le caractère naturel ? Enfin, je souhaite aborder la question des micropolluants. Sont-ils susceptibles de modifier les propriétés des eaux minérales naturelles et de porter atteinte à la santé des consommateurs ?

Nous vous proposons de faire une présentation liminaire de votre travail et de vos réflexions, qui sera ensuite suivie d'un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission. Je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui me tient à coeur. Parler d'eau embouteillée et d'eau minérale naturelle donne souvent lieu à des confusions qui peuvent, pour le consommateur, avoir une importance majeure.

À la fin du XIXe siècle, on associait aux eaux minérales naturelles le thermalisme, l'idée d'une eau qui soigne, d'une eau miraculeuse. C'était à part entière un produit de santé. Par la suite, au cours du XXe siècle, ces eaux sont devenues un produit alimentaire banal. Dans les rayons des supermarchés, je défie désormais quiconque de distinguer parmi les eaux embouteillées entre celles qui relèvent, conformément à la réglementation, des eaux minérales naturelles, des eaux de source et des eaux rendues potables par traitement.

La réglementation française définit les trois types d'eaux dans le code de la santé publique. S'y ajoute une réglementation européenne qui inscrit ces eaux dans le paquet « hygiène », lequel englobe toutes les denrées alimentaires commercialisées. La coexistence de ces réglementations conduit à parfois s'interroger sur la gestion à mettre en place par les embouteilleurs.

Dans la définition que l'on en donne en France, les eaux minérales naturelles et les eaux de source doivent être embouteillées telles qu'elles sont à l'émergence, sans traitement. Les premières ont de plus la particularité de provenir d'une ressource unique qui doit être stable. Ces deux éléments influent sur la composition et la qualité physico-chimique des eaux.

Dans les supermarchés, on trouve d'autres types d'eaux : des eaux aromatisées, qui peuvent être produites à partir d'eaux minérales naturelles et d'eaux de source, des eaux qualifiées d'enrichies ou de supplémentées, voire des eaux purifiées reconstituées, à savoir des eaux totalement minéralisées, chargées artificiellement en minéraux dans des quantités définies. Ces différentes eaux ne sont pas identifiées en tant que telles par le consommateur et relèvent du contrôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dans son volet santé. Pourtant certaines, en particulier les eaux aromatisées, peuvent renfermer des quantités importantes de sucres potentiellement néfastes pour la santé - gardons à l'esprit que ce sont souvent les jeunes enfants qui les consomment.

Une dernière catégorie est celle des eaux que j'appelle les eaux « atypiques ». Elles commencent à gagner depuis quelques années le marché français. Il s'agit d'eaux aux provenances très diverses : eau des nuages, eau de pluie, eau obtenue à partir d'icebergs, eaux dites « fossiles » de couleur noire du fait de la présence naturelle d'acides fulviques. L'Ôdeep est une particularité française : c'est une eau de mer pompée en Méditerranée à plus de 300 mètres de profondeur, déminéralisée puis reconstituée avec une partie de ses sels minéraux. Ces eaux restent encore mal connues et difficiles à classer d'un point de vue réglementaire. On peut les considérer comme des boissons rafraîchissantes sans alcool (BRSA), qui relèvent également de la DGCCRF.

J'en viens à la composition des eaux embouteillées et à leurs effets sur la santé.

Quelles qu'elles soient, les eaux minérales naturelles et les eaux de source, dont l'origine est souterraine, ont une composition conditionnée par leur provenance et les roches avec lesquelles elles ont été en contact. Elles contiennent dans des proportions variables huit minéraux, quatre cations majeurs - sodium, potassium, calcium, magnésium - et quatre anions majeurs - chlorures, sulfates, bicarbonates, carbonates -, qui en constituent le faciès. On y trouve également des éléments présents en plus petites quantités, dont des oligoéléments, qui donnent à ces eaux leur signature particulière. S'y ajoute enfin toute la flore microbienne, ou plus exactement bactérienne, qui caractérise la ressource dont elles proviennent.

La concentration en minéraux présents dans les eaux minérales plates ou gazeuses, représentée par le résidu sec, est très variable. Quand une eau comme Mont Roucous ne contient que quelques milligrammes de sels minéraux, une eau telle qu'Hépar en renferme plus de 2,5 grammes par litre. L'eau minérale gazeuse d'Hydroxydase est actuellement, en France, l'eau embouteillée la plus minéralisée, avec plus de 9 g/L.

Notre organisme a besoin des minéraux : l'alimentation ou ces eaux embouteillées les lui apportent. Ceux des eaux sont pris en compte lorsque l'on définit les références nutritionnelles pour la population française. Cependant, consommées très régulièrement, les eaux très minéralisées peuvent conduire à des surcharges de certains minéraux dans l'organisme. Il est donc important que des professionnels de santé accompagnent par des messages de prévention le choix des eaux minérales naturelles consommées au quotidien.

Pour les eaux minérales naturelles, la réglementation ne fixe pas de limites de concentration en cations et anions majeurs. Il faut en tenir compte dans les apports nutritionnels quotidiens. En ce qui concerne les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement, la réglementation établit des concentrations maximales en sels minéraux, lesquelles permettent de déterminer le caractère potable ou non de l'eau. Concernant l'eau du robinet, la réglementation impose qu'elle ne dépasse pas une concentration en sels minéraux de 1,5 g/L. Nombre d'eaux minérales naturelles embouteillées excèdent ce seuil et le retenir à leur endroit conduirait à les qualifier de non potables.

Le terme d'eaux « minérales » peut parfois être mal compris si on l'entend dans un sens nécessairement positif pour la santé. La notion de dose n'est pas suffisamment prise en compte, y compris par les professionnels de santé dans l'accompagnement de certains de leurs patients. Dans les eaux minérales naturelles, des minéraux consommés en trop grande quantité peuvent induire des effets néfastes pour la santé.

Précisons que, réglementaires, les limites de qualité et les références de qualité fixent pour les minéraux et des paramètres microbiologiques des seuils à ne pas dépasser dans l'eau à partir de valeurs toxicologiques de référence (VTR). Il s'agit de quantités déterminées expérimentalement en appliquant le scénario d'un individu adulte qui boirait toute sa vie durant 2 litres d'eau par jour et en prenant en compte les autres sources alimentaires lui apportant ces minéraux.

En France, ces limites de qualité sont déterminées pour la population en général. En outre, dans une démarche de sécurité sanitaire, le code de la santé publique prévoit des niveaux de concentration inférieurs afin de protéger les nourrissons, plus vulnérables. Certains avis de l'Anses complètent ces valeurs réglementaires.

On parle beaucoup actuellement de traitement des eaux embouteillées. La directive européenne 2009/54/CE et, en France, l'arrêté du 14 mars 2007 identifient quatre types de traitements pouvant être appliqués à des eaux embouteillées. Ciblés, ils doivent répondre à un objectif particulier. Ils ont pour objet d'éliminer certains composants pour des raisons sanitaires ou esthétiques - la présence de fer ou de manganèse peut, par exemple, provoquer une coloration de l'eau.

Le premier traitement autorisé concerne l'élimination du gaz carbonique, CO2, par des procédés mécaniques. Le deuxième type de traitement autorisé est celui des filtrations et décantations destinées par un jeu de réactions d'oxydo-réduction à éliminer la présence dans l'eau de composés instables, en particulier le fer et le soufre. Le troisième type de traitement est un traitement par air enrichi en ozone, O3, un puissant oxydant, qui induit également des réactions d'oxydo-réduction permettant d'éliminer fer, manganèse, soufre et arsenic. Le quatrième type de traitement consiste en l'adsorption sélective sur des matériaux granuleux - des sables - recouverts d'oxyde métallique, d'hydroxyde de fer ou d'alumine activée. Ces matériaux adsorbent certains composés présents dans l'eau, par exemple le cadmium ou le chrome, susceptibles de provoquer des effets esthétiques indésirables ou des effets toxiques. L'alumine activée permet plus spécifiquement d'éliminer les fluorures, potentiellement néfastes pour la santé en cas de trop forte concentration.

Un des sujets au coeur de vos travaux est celui de la filtration. À l'origine, la filtration renvoyait à des filtres basiques de type charbon activé, connu depuis l'Antiquité pour retenir certains constituants. Des évolutions technologiques conduisent désormais à l'obtention de filtres à partir de matériaux de synthèse, avec des niveaux de porosité de plus en plus bas, de l'ordre de la microfiltration et de la nanofiltration.

La taille des composés est variable. Celle des champignons et protozoaires est généralement supérieure à 100 micromètres (ìm), celle des bactéries est comprise entre 0,5 et 10 ìm, celle des virus entre 0,01 et 0,4 ìm, celle des phages - des virus présents dans l'environnement et qui infectent des bactéries - entre 0,02 et 0,2 ìm, celle enfin des nanoparticules chimiques entre 0,001 et 0,1 ìm. Appliquer dans l'analyse des eaux un seuil de filtration à 0,2 ìm permet donc, grossièrement, de retenir parasites et bactéries, dont des bactéries constitutives de la flore microbienne des eaux minérales naturelles, mais peu de virus. Une eau minérale naturelle n'est pas stérile : elle renferme des bactéries provenant de son écosystème d'origine, lesquelles peuvent présenter un intérêt pour notre organisme, ce que l'on a tendance à oublier.

Cet effet bénéfique agit sur notre flore digestive. Nombre de travaux en cours mettent aussi en évidence des interactions entre les bactéries présentes naturellement dans les eaux minérales naturelles et les minéraux qu'elles contiennent par ailleurs. La flore bactérienne peut modifier la spéciation des minéraux. On suppose donc qu'éliminer trop de bactéries présentes dans les eaux serait susceptible de perturber la biodisponibilité des minéraux qui y sont également présents.

Comment reconnaître les effets bénéfiques des eaux minérales naturelles ? Le rôle en incombe à l'Académie nationale de médecine. Depuis 2007, la reconnaissance d'une eau minérale naturelle est réalisée à l'échelle locale, sous la tutelle des agences régionales de santé (ARS). En 2008, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) avait publié des lignes directrices relatives au montage des dossiers de demande d'autorisation de reconnaissance d'une eau minérale naturelle, que, depuis lors, les ARS utilisent. Il y est précisé qu'un dossier spécifique concerne les situations de demandeurs qui entendent faire reconnaître les propriétés thérapeutiques d'une eau. Dans ce cas, une fois la validation préfectorale et celle du Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) obtenues, l'Académie nationale de médecine s'empare du dossier. Il est alors constitué de deux parties : d'une part, l'étude par analogie, qui compare les caractéristiques de l'eau en question à ce qui existe par ailleurs, et, d'autre part, l'étude clinique, qui consiste en un véritable essai thérapeutique.

Le dernier point que j'évoquerai dans ma présentation liminaire concerne les contaminants des eaux.

On parle beaucoup de polluants émergents, de microcontaminants et de micropolluants. La liste en est longue. Je mettrai l'accent sur les microplastiques, car, lorsqu'il est question d'eau embouteillée, la bouteille en plastique est toujours présente. Je m'appuie sur des travaux conduits en 2023 et en 2024, dont il ressort, en résumé, que les plastiques sont un problème de notre société.

Dans l'environnement, les plastiques se dégradent de façon biotique par les bactéries, de façon abiotique par photo-oxydation avec les rayons ultraviolets (UV) solaires, mais dans tous les cas de manière très lente. Cette lenteur du processus peut conduire à un fractionnement et à l'apparition de microplastiques, terme utilisé pour les fragments inférieurs à 5 millimètres. À l'heure actuelle, les études portent plutôt sur des fragments de la taille du micromètre ou du nanomètre.

Ces plastiques sont de différentes natures chimiques et quasiment tous ceux que nous utilisons peuvent se retrouver sous forme de micro ou de nanofragments. Les plus employés pour l'embouteillage des eaux sont le polyéthylène téraphtalate (PET), les polyéthylènes, voire, en revenant quelque peu en arrière dans le temps, le polychlorure de vinyle (PVC). Ils contiennent des adjuvants de fabrication, qui sont des plastifiants, tels que le phtalate et le bisphénol, des colorants ou des adjuvants de synthèse, comme l'antimoine (Sb).

Ces contaminants sont ubiquitaires et on les détecte actuellement, partout dans le monde, dans presque toutes les ressources aquatiques, qu'elles servent à l'obtention de l'eau du robinet ou pour les eaux embouteillées. Une publication de 2024 a ainsi mis en évidence la présence de plus de 1, voire 10 millions de microfragments plastiques par litre d'eau, en fonction des produits analysés. Les dernières études réalisées soulignent une fréquence et des quantités plus importantes de microplastiques dans les eaux embouteillées que dans l'eau du robinet. On s'intéresse à leur origine et plusieurs pistes sont ouvertes. Elles renvoient aussi bien à la fabrication des bouteilles, avec la technique de l'extrudage et les process d'entretien des lignes d'embouteillage, qu'à la contamination de la ressource, voire à la manipulation des bouteilles par le consommateur. L'attention porte plus particulièrement sur les bouchons de bouteille utilisés.

En ce qui concerne les effets de ces contaminants sur la santé - le point le plus important pour nous -, nous n'en sommes encore qu'à la phase de constat : constat de la présence de microplastiques dans le sang et dans la plupart des organes du corps humain. Nous savons les y mettre en évidence. De premiers travaux, qui demandent encore à être confirmés, ont relié cette présence à des phénomènes de thrombose. Quant à d'autres effets sur la santé humaine, en particulier sur le placenta chez la femme enceinte, sur les reins et le cerveau, ils demeurent inconnus et animent les débats dans le monde scientifique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez la question du dosage et du niveau approprié de minéraux qu'un individu peut absorber. Pouvez-vous revenir sur les bénéfices attendus en dessous d'un certain seuil et, au contraire, le risque pris pour la santé en cas de dépassement ? Existe-t-il un consensus scientifique sur la question ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Nous avons tous besoin dans notre organisme, pour des fonctions physiologiques basiques, des minéraux majeurs que j'ai cités dans ma présentation. Ils sont apportés par l'alimentation en général. On oublie que les eaux minérales qui présentent des concentrations importantes de ces minéraux contribuent également à leur apport. Il convient de s'en tenir à la dose appropriée, en s'appuyant sur les références nutritionnelles validées par les autorités sanitaires, sous le pilotage de l'Anses, et de ne pas la dépasser. À titre d'exemple, un excès marqué de potassium peut engendrer des effets cardiaques, trop de sulfates peuvent induire des effets laxatifs. On utilise ainsi l'eau d'Hépar parce qu'elle est riche en sulfates de magnésium, le premier laxatif inscrit à la pharmacopée. En définitive, la situation reste maîtrisée en France sur le respect des recommandations nutritionnelles relatives à ces éléments.

Certaines eaux renferment des oligo-éléments : cuivre, fer, cobalt, molybdène, vanadium, etc. Notre organisme en a également besoin et ils agissent souvent comme cofacteurs nécessaires au bon fonctionnement des enzymes de nos cellules. Ils possèdent cependant, au-delà d'une certaine dose, une toxicité intrinsèque. L'arrêté de 2007 a défini à leur sujet des seuils de concentration à ne pas franchir.

Dans le passé, un médecin célèbre affirmait que « c'est la dose qui fait le poison ». La réglementation actuelle, qui fixe des concentrations maximales pour les eaux embouteillées - que l'on appelle les limites de qualité -, s'appuie sur cette approche sanitaire et toxicologique. Le calcul servant à les déterminer retient l'hypothèse d'une consommation d'eau contenant l'élément en question, de deux litres par jour et toute une vie durant, sans effet néfaste sur la santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je déduis de vos propos que vous jugez satisfaisante la réglementation en vigueur sur ce point.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - En effet. Il s'agit d'une démarche sanitaire de protection du consommateur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous par ailleurs approfondir les aspects de microfiltration, effectivement au coeur des questions que nous nous posons ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Je n'ai pas insisté sur la nature des filtres utilisés. Différents matériaux et procédés existent. J'ai davantage raisonné sous l'angle de la taille des éléments filtrés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pendant des années, des industriels ont utilisé des lampes à UV ou des filtres à charbon pour traiter leur eau, avant d'utiliser ces outils de microfiltration. D'un point de vue scientifique, le passage à une microfiltration à 0,2 ìm laisse apparemment passer un certain nombre de virus. En disant cela, est-ce que je ne trahis pas votre pensée ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Appliquée à l'eau du robinet, la microfiltration n'est pas problématique, car, derrière cette phase intervient en outre un traitement de désinfection, lequel permet d'éliminer ce que le filtre n'a, dans un premier temps, pas retenu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais sans ce second traitement de désinfection, vous nous dites donc qu'il existe un risque virologique ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Si la ressource utilisée pour de l'embouteillage est contaminée par des virus, ils peuvent passer à travers le filtre dès lors qu'ils sont d'une taille inférieure à 0,2 ìm.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je retiens aussi de votre présentation qu'une telle filtration serait susceptible de modifier le microbiologisme de l'eau. Il n'y a pas de certitudes, mais des études existent et ce point est discuté. Est-ce exact ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Oui. Quelques articles ont été publiés sur le sujet. Leurs auteurs cherchent à mieux comprendre la relation entre les bactéries et les minéraux concomitamment présents dans un aquifère. Le sujet a au départ été plutôt étudié sous l'angle des radionucléides. Les études s'étendent désormais à d'autres minéraux.

M. Laurent Burgoa, président. - Où les études en cours sont-elles conduites ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Elles le sont en France, dans d'autres pays européens et au sein d'une équipe aux États-Unis. Ce n'est pas mon propre sujet de recherche, mais je suis en contact avec des microbiologistes qui s'en sont emparés.

M. Laurent Burgoa, président. - L'équipe de l'Anses installée à Nancy, qui semble particulièrement performante sur les questions ayant trait aux eaux minérales, s'en occupe-t-elle ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Pas à ma connaissance. Cette équipe s'intéresse d'abord au volet chimique.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poserons la question à ses représentants.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un chapitre d'un ouvrage collectif auquel vous avez contribué, vous écrivez que « La surveillance mise en place par les distributeurs doit s'inscrire dans un plan de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau (PGSSE) », correspondant au Water Safety Plan (WSP) prôné par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Pouvez-vous revenir sur cette approche et considérez-vous qu'elle est aujourd'hui mise en oeuvre en France ? Nous la recommanderiez-vous et formuleriez-vous d'autres recommandations relatives au système en vigueur d'analyse et de régulation de l'eau ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - L'OMS préconise depuis plusieurs années les Water Safety Plans, c'est-à-dire une responsabilisation accrue de tous les gestionnaires de l'eau, avec leur implication dans de l'autosurveillance, de l'anticipation et de la gestion des risques. On s'inscrit ici dans ce que l'on appelle les démarches d'analyse des dangers et de maîtrise des points critiques (HACCP, Hazard Analysis Critical Control Points), avec la mise en place de plans d'action de correction. Cette démarche, très présente dans l'industrie agroalimentaire, s'adapte tout à fait au secteur de l'eau embouteillée. L'OMS met l'accent sur l'anticipation des problèmes, de préférence à leur gestion une fois qu'ils sont apparus.

La directive européenne du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, transposée en droit français par différents textes réglementaires dans le courant de l'année 2023, a intégré la démarche d'anticipation des plans de gestion de la sécurité sanitaire de l'eau (PGSSE), par l'identification a priori des dangers et la mise en place de moyens de maîtrise visant à limiter les risques de survenue d'événements indésirables. Cette réglementation s'applique à la seule eau du robinet parmi les EDCH. À l'heure actuelle, aucune contrainte équivalente ne concerne les eaux embouteillées et le chapitre de l'ouvrage que vous mentionnez visait principalement l'eau du robinet. Cependant, du fait que les eaux embouteillées s'inscrivent dans le domaine d'activité de l'industrie agroalimentaire, on peut penser que la culture des embouteilleurs intègre déjà la démarche HACCP fondée sur l'anticipation des risques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous que la qualité de la ressource en eau, et en particulier en eau minérale naturelle et en eau de source, se dégrade de nos jours ? Dans l'affirmative, à quoi attribueriez-vous ce phénomène ? Outre les activités humaines anthropiques telles que l'agriculture, celle des industriels eux-mêmes, c'est-à-dire une forme d'exploitation trop intensive de la ressource, a-t-elle également des effets sur cette qualité ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - C'est un vaste débat. On ne saurait nier l'impact de l'activité humaine sur la dégradation de tout environnement, et notamment sur les ressources souterraines en eau, qu'elles soient destinées au robinet ou à l'embouteillage.

Le changement climatique et des épisodes climatiques extrêmes interviennent. De fortes précipitations provoquent des percolations accélérées dans les sols, avec un entraînement de tous les polluants présents en surface vers les ressources souterraines. On constate ce phénomène quasiment partout. Des hydrogéologues vous répondraient néanmoins mieux que moi sur ce point.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous avez indiqué que des traitements étaient autorisés pour des raisons sanitaires. Le sont-ils, par exemple, dans le cas d'une eau minérale susceptible d'être contaminée par des matières fécales ?

Par ailleurs, ne manque-t-il pas un label ou une certification des industriels ? Une proposition de ce type vous semblerait-elle intéressante et de nature à mieux protéger les consommateurs ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Pour l'eau embouteillée, les quatre traitements autorisés par la directive européenne de 2009 visent l'élimination de composés minéraux inorganiques, et non celle des bactéries. La directive dispose clairement qu'il ne doit pas y avoir de traitement de désinfection tendant à éliminer des contaminants bactériens et que les traitements mis en oeuvre, s'ils permettent d'enlever des éléments indésirables, ne doivent pas modifier le faciès, la composition physique de l'eau.

L'élimination d'éléments bactériens et viraux, potentiellement pathogènes pour la santé humaine, relève de ce que l'on appelle un traitement de désinfection. La réglementation tant européenne que française l'interdit donc expressément. De plus, les textes disposent que la mise en oeuvre par un industriel de l'un des traitements autorisés implique qu'il le signale sur l'étiquetage de la bouteille d'eau minérale naturelle. La mention de la composition en éléments minéraux majeurs y est d'ailleurs obligatoire. Pour les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement, les contraintes sont moindres.

M. Laurent Burgoa, président. - Et que pensez-vous de l'idée de certifier les industriels ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - L'industriel se doit de respecter la réglementation et celle-ci est très claire. La mise en oeuvre de traitements destinés à éliminer des bactéries ou des virus correspond à une démarche de désinfection de l'eau, laquelle est proscrite. Je ne vois pas ce qu'une certification apporterait de plus, dès lors que la réglementation est strictement appliquée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au vu de la réglementation, une eau filtrée à 0,2 ìm serait-elle, selon vous, une eau minérale naturelle ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Elle le serait à la condition que celui qui met en oeuvre ce traitement démontre que la technique ne modifie pas les caractéristiques originelles de l'eau, telles que la réglementation les définit.

Une filtration à 0,2 ìm n'est actuellement pas prévue. La réglementation dresse la liste des traitements susceptibles d'être mis en oeuvre et celle des éléments qui peuvent être éliminés, avec des informations éminemment factuelles sur la taille des organismes.

La question reste, à mon avis, entièrement posée.

Mme Jocelyne Antoine. - Connaissons-nous la taille à partir de laquelle les éléments minéraux sont soumis à la filtration ? La retenue par filtration de certains d'entre eux influerait sur la qualité minérale de l'eau, qui s'en trouverait modifiée par rapport à son état originel.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - La plupart des minéraux se dissolvent. Certaines réactions conduisent cependant à la formation de précipités visibles, par exemple dans le cas des hydroxydes ou des oxydes. Cela concerne les eaux fortement chargées en sels minéraux et l'exemple le plus caractéristique est celui de l'Hydroxydase, quand on en laisse à température ambiante une bouteille ouverte. Il s'opère alors une réaction chimique entre les minéraux présents dans l'eau et l'oxygène de l'air. Une telle réaction ne se retrouve pas avec la majorité des eaux embouteillées : Évian, Volvic, Hépar, Saint-Yorre, dans lesquelles les minéraux sont dissous.

Mme Jocelyne Antoine. - Ils passent donc à travers les filtres.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Les filtres autorisés provoquent une adsorption, c'est-à-dire une réaction entre le support et les éléments indésirables que l'on veut éliminer.

Mme Jocelyne Antoine. - Indépendamment de la finesse de la filtration, certains filtres peuvent donc jouer, en raison de leurs caractéristiques, sur la composition minérale de l'eau ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Très codifiés, ces filtres ne sont pas les plus classiques et sont volontairement conçus comme des supports actifs provoquant des réactions spécifiques. On utilise, par exemple, des oxydes de fer dans le cas d'eaux naturellement chargées en arsenic.

Mme Jocelyne Antoine. - Mais la filtration ne faisant l'objet ni d'une réglementation ni de contrôles, les consommateurs que nous sommes restons dans l'ignorance si un tel processus conduit à détériorer une eau minérale. Doit-on aller plus loin dans l'étude scientifique des conséquences de la filtration sur la minéralité de l'eau - qualité pour laquelle nous l'achetons - et, nous législateurs, dans l'élaboration de normes qui la régissent ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Il faut avant tout savoir de quel type de filtre nous parlons. Ceux qui sont autorisés présentent des spécificités, qui leur permettent d'éliminer des composants indésirables précis, comme le fer ou le manganèse. Personne n'a envie de boire une eau devenue rouge ou noire en raison de la précipitation de ces minéraux.

Nombre de moyens peuvent être utilisés sous le terme de « filtre » : des supports inorganiques, des supports fabriqués à partir de matières plastiques ou de céramique. On les utilise pour l'eau du robinet et je ne pense pas que ce type de filtration affecte franchement la présence d'éléments minéraux majeurs. Ce n'est cependant pas mon domaine de spécialité. Des traiteurs d'eau vous éclaireraient plus que je ne saurais le faire.

Mme Audrey Linkenheld. - Doit-on maintenant faire la différence entre eau originelle et eau naturelle ? Et faut-il comprendre que la minéralité apportée tant originellement que naturellement n'est plus garantie, mais que, sans une certaine forme de filtration, la qualité de l'eau ne l'est pas davantage, ce qui incite à recourir à la filtration ou à tout autre traitement et ce qui induit que l'eau originelle n'est plus une eau naturelle ? Peut-être cela nous conduirait-il à distinguer, pour les eaux comme pour d'autres produits, entre le bio et ce qui ne l'est pas ?

Auparavant, on pouvait boire l'eau minérale naturelle avec la garantie qu'elle était une eau saine ; paradoxalement, parce qu'elle reste originelle, nous ne sommes désormais plus tout à fait sûrs de sa qualité.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - À quoi reliez-vous le terme d'« originelle » ? Pensez-vous à l'eau présente dans la ressource ?

Mme Audrey Linkenheld. - Oui.

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Elle suit le grand cycle de l'eau et est en perpétuel mouvement. L'eau que nous consommons est celle que nos ancêtres consommaient aussi il y a des milliers d'années.

On peut dire que la qualité des ressources se dégrade parce que nous sommes toujours plus nombreux sur Terre, que nous y menons de plus en plus d'activités et que nous produisons toujours plus de composés de synthèse, susceptibles de se retrouver dans le grand cycle de l'eau. Tout le monde le reconnaît.

Pour l'eau du robinet EDCH, deux types de traitements interviennent : un traitement de potabilisation, avant utilisation, puis, après utilisation et avant retour à la nature, un traitement d'épuration. Ce qui n'est pas enlevé à la première étape le sera lors de la seconde, dans un cycle d'épuration continue. Ces traitements seront d'autant plus poussés que l'on utilise des eaux dites de surface : eaux de rivière, de barrage, etc.

En ce qui concerne les eaux minérales naturelles et les eaux de source, on considère que la ressource est suffisamment profonde, à plusieurs dizaines, voire centaines de mètres dans le sol, et protégée par les terres situées au-dessus d'elle, qui jouent un rôle de filtre naturel en retenant une partie des contaminants, pour que l'on n'ait pas besoin de traitement d'épuration. Celui-ci n'est donc pas autorisé.

Il convient de bien distinguer les contaminants chimiques des contaminants microbiologiques. La contamination microbiologique d'origine bactérienne peut survenir à n'importe quel moment, car nous n'évoluons pas dans des milieux stériles. Des pluies importantes provoquent un lavage des sols, des percolations, qui favorisent un entraînement de ces micro-organismes, ce qui peut conduire un embouteilleur à interrompre sa production. Le renouvellement de la ressource permet cependant de maîtriser ce type de contamination. Pour leur part, les contaminations chimiques résultent de la contamination environnementale en général. Les contaminants chimiques présents dans les sols ou à leur surface sont à leur tour entraînés par des précipitations importantes, mais, à l'inverse, des contaminants microbiologiques, une fois qu'ils atteignent une ressource souterraine, des années, des dizaines d'années, voire davantage, sont nécessaires pour récupérer la ressource.

Mme Marie-Lise Housseau. - Le consommateur est-il suffisamment informé sur les concentrations en minéraux très variables dans les eaux minérales naturelles, de quelques milligrammes à quelques grammes par litre, avec de possibles conséquences sur la santé humaine ? Ne faudrait-il pas, d'une part, inciter les embouteilleurs à enrichir l'information à ce sujet sur leurs étiquetages, et, d'autre part, instaurer dans les rayons de la grande distribution une séparation entre les eaux minérales naturelles, les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement, de manière à éclairer le consommateur dans son choix ?

Par ailleurs, le danger principal ne se situe-t-il pas plutôt du côté des microplastiques, présents partout dans l'environnement et jusque dans le contenant lui-même, qui se dégrade sous l'effet des UV et du stockage ? Les industriels en ont-ils pris conscience et ne devrait-on pas évoluer vers des matériaux plus neutres, par exemple avec des contenants en verre ?

Mme Marie-Pierre Sauvant-Rochat. - Informer le consommateur, j'en suis tout à fait d'accord. Renforcer son information sur la composition des eaux minérales naturelles fortement minéralisées, dépassant un total de sels minéraux de 1,5 gramme par litre, j'en conviens. Néanmoins, ce message d'avertissement existe déjà chez les professionnels de santé, qui déconseilleront des eaux de type Saint-Yorre en cas d'hypertension, en raison de leur combinaison de sodium et de chlorure, peu compatible avec un régime sans sel strict à moins de 400 milligrammes de chlorure de sodium par jour. Du reste, la grande majorité des eaux minérales naturelles contiennent moins de 1,5 gramme de sels minéraux par litre, et même des quantités beaucoup plus faibles : 22 milligrammes par litre pour Mont Roucous, 130 mg/L pour Volvic, 300 mg/L pour Évian. Déclencher une alarme sur cet aspect ne paraît pas nécessaire. Et les minéraux que ces eaux apportent se combinent encore avec ceux des aliments que l'on ingère par ailleurs.

Séparer, dans les supermarchés, eaux minérales naturelles et eaux de source ne me paraît pas s'imposer lorsqu'il s'agit, pour les premières, d'eaux faiblement ou moyennement minéralisées. En revanche, alerter le consommateur sur celles qui sont les plus minéralisées ne manquerait pas de sens.

Il me semblerait surtout plus pertinent de séparer dans les rayons les eaux minérales naturelles et les eaux de source aromatisées des eaux minérales naturelles et des eaux de source véritables, parce que ces eaux aromatisées peuvent contenir des quantités de sucres phénoménales, peu visibles par le consommateur, mais équivalentes à celles que l'on trouve dans les sodas. Ces eaux appartiennent à la catégorie des BRSA. Dans certaines d'entre elles, des édulcorants de synthèse - aspartame ou autre - remplacent le sucre. Ils présentent toutefois l'inconvénient d'entretenir l'appétence du consommateur pour le sucre.

Quant à remplacer les bouteilles en plastique par des bouteilles en verre, j'y vois un premier problème, celui du poids des bouteilles. Des contenants plus lourds et difficiles à transporter - une bouteille en verre vide représente aisément de 700 à 800 grammes - ne seraient guère en accord avec l'attention que nous portons désormais, au titre de la transition écologique, à l'empreinte carbone de chaque produit. D'autre part, les bouteilles en verre supposent une chaîne de reconditionnement, afin de les récupérer, ce qui sous-entend des opérations de lavage poussées, l'hypothèse de produits toxiques stockés par inadvertance dans ces contenants ne pouvant jamais être écartée.

Le retour des bouteilles en verre était évoqué il y a quelques années. Pendant la préparation de ma thèse d'université, j'avais travaillé sur des comparaisons de stabilité minérale et d'effets toxiques pour des eaux identiques, mais embouteillées, selon les cas, en verre, en plastique, en PET, à un moment où s'opérait le passage de l'embouteillage des eaux du PVC vers le PET. Il en ressortait quelques surprises sur l'état de la bouteille en verre après usage.

Enfin, même en passant à des bouteilles en verre, nous n'éliminerions pas les microplastiques présents dans l'eau. Des études ont montré que même dans ces bouteilles, on les y retrouve. Sur leur provenance, l'hypothèse la plus reconnue est celle des chaînes d'embouteillage, parfois anciennes, et des frottements de leurs divers composants, qui libèrent des fragments de plastique.

M. Laurent Burgoa, président. - Au nom de l'ensemble des membres de la commission d'enquête, merci de l'éclairage que vous nous avez apporté de manière très pédagogique.

Communication
(Jeudi 15 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, je souhaiterais, avec M. le rapporteur, vous faire part de la réponse que nous devons donner aujourd'hui aux deux courriers que nous avons reçus du groupe Nestlé :

« Madame la présidente, nous avons pris connaissance avec un certain étonnement de la teneur de vos deux lettres des 10 et 14 janvier 2025.

« Vous soulignez en effet l'existence d'une plainte avec constitution de partie civile déposée par l'association Foodwatch, et qui viserait les pratiques de filtrage non autorisées révélées par voie de presse sur les sites industriels de Nestlé situés dans les Vosges - Vittel, Contrex et Hépar -, ainsi que dans le Gard - Perrier. Vous semblez en inférer que notre commission d'enquête serait illégitime, puisque vous affirmez notamment : “ La coexistence de la commission d'enquête parlementaire avec cette enquête pénale est susceptible d'être contraire à l'ordonnance de 1958. “

« Comme vous le savez, les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ont pour seul objet d'éviter que le Parlement ne s'immisce dans le fonctionnement de la justice et pour finalité de préserver la séparation des pouvoirs et l'indépendance de l'autorité judiciaire, proclamée par l'article 64 de la Constitution. En revanche, elles ne visent nullement à paralyser l'action de contrôle de la représentation nationale.

« Le Sénat a été amené à préciser que les poursuites judiciaires évoquées par l'article 6 de l'ordonnance de 1958 s'entendent de la saisine d'une juridiction, qu'il s'agisse d'un juge d'instruction ou d'une juridiction de jugement. Le simple dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile ne peut être confondu avec l'ouverture effective d'une information judiciaire.

« En outre, de nombreuses commissions d'enquête ont, par le passé, été ouvertes concomitamment à des instructions judiciaires : tel a été le cas lors de l'affaire Cahuzac en 2013 ou, en 2018 et 2019, lors de l'affaire Benalla. Dans ce dernier cas, alors même qu'une information judiciaire était ouverte, la commission des lois du Sénat a considéré que le seul fait qu'un juge d'instruction ait posé, dans le cadre d'une enquête judiciaire, un certain nombre de questions pour comprendre un contexte donné, n'était pas un argument suffisant pour limiter le périmètre d'une commission d'enquête, dès lors que cela ne conduirait pas une personne auditionnée par le Parlement à faire des déclarations qui pourraient lui être par la suite reprochées par la justice. De fait, le Sénat a pu mener à leur terme ses travaux sur cette affaire, lesquels ont largement été reconnus comme exemplaires.

« Du reste, la commission des lois exerce un contrôle préventif de l'objet des commissions d'enquête lors de son examen de la recevabilité des propositions de résolution visant à les créer.

« S'agissant de la recevabilité de la proposition de résolution sollicitant la création de notre commission d'enquête, la commission des lois a ainsi relevé que les investigations projetées visaient à établir “ les raisons, les circonstances, l'ampleur et les risques, notamment sanitaires, des pratiques industrielles dans le secteur de l'eau en bouteille, ainsi que sur les contrôles administratifs, les informations détenues par les ministères compétents et les actions prises en conséquence “ et a conclu que “ le champ d'investigation retenu peut bien être regardé comme portant sur la gestion d'un service public au sens large, non sur des faits déterminés.

« C'est bien dans ce sens que nous travaillons. Si notre commission d'enquête trouve son origine dans différents scandales sanitaires de traitements non autorisés de l'eau minérale naturelle révélés par la presse, et ne peut évidemment faire comme s'ils n'existaient pas, elle ne vise pas à établir la matérialité d'éventuelles infractions pénales qu'il revient uniquement à la justice de caractériser. Notre commission d'enquête n'est par ailleurs pas circonscrite au champ de la plainte de Foodwatch ni aux activités d'un groupe minéralier spécifique, mais s'étend à l'ensemble de cette branche industrielle.

« En revanche, elle ne peut ni ne doit évidemment se désintéresser des pratiques des industriels sur lesquels doivent s'exercer les contrôles de l'État et que certains semblent parfois essayer de contourner, si l'on se fie au rapport de l'Igas de 2022, ne serait-ce que pour rendre ces contrôles plus efficaces, mais aussi parce qu'une part du dispositif de contrôle de la qualité des eaux relève d'une autosurveillance des exploitants.

« Il résulte de ces éléments que la commission d'enquête dispose d'un champ d'investigation très large et que la plainte que vous évoquez, quand bien même elle serait suivie de poursuites, ne saurait l'en priver.

« La commission d'enquête poursuivra donc son travail en faisant usage de toutes les voies de droit prévues par l'ordonnance de 1958, à son article 6, II et III, pour que les informations qui sont nécessaires à sa mission lui soient communiquées.

« S'agissant du cas de Nestlé, nous confirmons donc notre attente des documents que nous avons demandés ainsi que notre visite du site de Vergèze prévue dans les prochaines semaines.

« Bien sûr, les représentants du groupe Nestlé seront entendus, comme ceux des autres minéraliers, en audition publique par la commission. Ils pourront librement exposer leurs positions ainsi que leur interprétation des dysfonctionnements sur lesquels travaille la commission. Il leur sera du reste loisible, s'ils l'estiment nécessaire, de se faire accompagner par un conseil juridique.

« En tout état de cause, il nous semble important de faire comprendre qu'il est de l'intérêt de tous les acteurs de coopérer et de faire toute la transparence sur cette affaire qui engage la confiance de l'opinion dans un secteur auquel nous tenons tous.

« Vous comprendrez que, toujours dans un souci de transparence, nous porterons ce courrier à la connaissance de nos collègues de la commission d'enquête comme du public. »

Audition de Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)
(Jeudi 16 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous allons maintenant auditionner Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), accompagnée de M. Thomas Pillot, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés, Mme Odile Cluzel, sous-directrice des produits et marchés agroalimentaires, M. Romain Guegan-Bertin, directeur adjoint du service national des enquêtes (SNE), et Mme Marie Suderie, directrice de cabinet.

Mesdames, messieurs je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sarah Lacoche, M. Thomas Pillot, Mme Odile Cluzel, Mme Marie Suderie et M. Romain Guegan-Bertin prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame la directrice, je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Mme Sarah Lacoche, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. - Je n'en ai pas, monsieur le président.

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise que cette audition est retransmise sur le site du Sénat.

Je rappelle également pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Mes chers collègues, notre audition du jour ouvre un nouveau chapitre de notre commission d'enquête consacré au dispositif de contrôle et de surveillance des eaux conditionnées.

Madame Lacoche, en tant que directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, vous avez à votre tête un réseau central et déconcentré d'agents dont la mission est d'assurer la loyauté des produits que nous consommons, c'est-à-dire que leurs caractéristiques soient conformes à leur étiquetage. À ce titre, votre administration joue un rôle central dans l'information du consommateur. Nous savons aussi que les agents de la DGCCRF ont été essentiels dans la séquence qui nous intéresse aujourd'hui, puisqu'ils ont mené de nombreux contrôles de sites d'embouteillage.

Pourriez-vous nous présenter la chaîne des contrôles au sein de laquelle intervient la DGCCRF pour contrôler les embouteilleurs ?

Pourriez-vous revenir sur l'enchaînement des événements depuis 2020 et le signalement d'un salarié de Sources Alma ayant conduit à la mobilisation de votre service national d'enquêtes ?

Comment la traçabilité des eaux minérales naturelles est-elle aujourd'hui assurée ?

Les nouvelles désignations commerciales, comme celle de Maison Perrier, qui ne repose plus sur de l'eau minérale naturelle, vous semblent-elles poser des difficultés en termes de loyauté et d'information du consommateur ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps. Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions durant une dizaine de minutes. S'ensuivra un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis par les autres membres de la commission. Nous pourrons terminer par une dernière série de questions-réponses.

Mme Sarah Lacoche. - En propos liminaire, je vous présenterai de façon assez synthétique le système de contrôle des eaux embouteillées en France et la place qu'y joue la DGCCRF.

La direction générale de la santé (DGS), la DGCCRF et, depuis la création de la police sanitaire unique le 1er janvier 2023, la direction générale de l'alimentation (DGAL) sont les trois autorités compétentes chargées des contrôles officiels prévus par le règlement européen qui les régit. Il existe deux niveaux d'autorités compétentes. Le premier est celui des autorités compétentes centrales, lesquelles doivent organiser et piloter les contrôles qui seront ensuite réalisés par les autorités compétentes locales. L'enjeu est d'avoir une couverture de l'ensemble de la chaîne, de la production primaire à la remise finale au consommateur, qui soit bien articulée et parfaitement coordonnée.

Les agences régionales de santé (ARS) sont chargées de l'instruction des demandes d'autorisation d'exploitation, à l'issue desquelles sont délivrés les arrêtés préfectoraux qui fixent les conditions de l'exploitation - ceux-ci doivent préciser les traitements autorisés, ainsi que les mentions d'étiquetage obligatoirement portées à la connaissance du consommateur. Elles s'occupent également du contrôle des eaux destinées à la consommation humaine, depuis l'exploitation de la source jusqu'à la mise en bouteille. Pour ce faire, elles regardent la conformité des installations par rapport à l'arrêté préfectoral, notamment la mise en oeuvre des mesures de sécurité sanitaire par l'exploitant.

À l'échelon local, les agents de la DGAL dans les directions départementales de la protection des populations (DDPP) et les directions départementales de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) sont chargés de la sécurité sanitaire des eaux embouteillées. Les agents de la DGCCRF, dans ces mêmes directions, ont la responsabilité de la loyauté des eaux après embouteillage dès lors qu'elles sont distribuées sur le territoire national, que le site de production soit situé ou non en France. À ce titre, la DGCCRF doit s'assurer que l'étiquetage des eaux embouteillées respecte les différentes exigences réglementaires et que l'information donnée au consommateur n'est pas trompeuse. Pour cela, elle s'appuie sur le contenu des arrêtés préfectoraux d'autorisation d'exploitation.

En principe, ce ne sont pas les agents de la DGCCRF qui doivent veiller à l'adéquation des pratiques des opérateurs aux exigences des arrêtés d'autorisation d'exploitation. Cela incombe aux ARS. Dans quelques hypothèses, la DGCCRF peut être amenée à intervenir au stade de la production, notamment par le biais des pouvoirs particuliers d'intervention du SNE. Par exemple, une ARS pourrait solliciter la DGCCRF pour une opération de visite et saisie, sous contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD). Un procureur pourrait, lui, solliciter le SNE de la DGCCRF, au titre de l'article 40 de la procédure pénale, pour mettre en oeuvre des enquêtes complexes.

Je vous donnerai quelques éléments de chronologie.

Au printemps 2024, un audit de la Commission européenne a formulé une recommandation aux différentes autorités compétentes afin de les inviter à une meilleure coordination. Un protocole de coopération est donc en cours d'établissement - j'espère qu'il pourra être signé dans les semaines à venir.

Par ailleurs, si nous avons souhaité que cette audition soit publique, les actions des services d'enquête de la DGCCRF sont couvertes par le secret de l'enquête pénale. Donc, nous ne pouvons pas révéler le contenu ou évoquer le détail du déroulement des actes d'enquête, ni confirmer ou commenter des informations qui auraient été révélées dans la presse. Seul le procureur peut autoriser la communication de certains documents. Cela dit, parfois, des éléments ont officiellement été rendus publics, par exemple dans le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ou dans le cadre de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), ou vous ont été transmis par écrit. Des précautions s'imposent en la matière.

Deux enquêtes ont été menées par notre Service national des enquêtes (SNE). La première a été diligentée au sein des établissements du groupe Alma, à la suite du signalement d'un salarié de l'entreprise, et a conduit à constater un certain nombre d'écarts à la réglementation. Ces éléments d'investigation ont été transmis au procureur, mais ils n'ont pas encore donné lieu à une décision de justice. Je ne pourrai donc pas vous donner plus de détails à ce sujet. La seconde enquête a été réalisée dans les établissements de la société Nestlé Waters Supply Est à la suite de la transmission du dossier par le procureur à l'ARS Grand Est. Il en est ressorti, tel que cela figure dans la CIJP, que des traitements étaient non-conformes : traitements ultraviolets, filtres au charbon actif, C02, microfiltres.

À la suite des contrôles, l'exploitant a cessé d'utiliser les trois premiers traitements en 2022 et le quatrième en 2024. Une régularisation a eu lieu, puisque des arrêtés préfectoraux d'autorisation des sources concernées ont été modifiés en juillet 2023. Quoi qu'il en soit, l'utilisation des traitements, dès lors qu'ils étaient non autorisés, était susceptible de revêtir la qualification de tromperie sanctionnée par le code de la consommation. Le procureur a opté pour une résolution commune, en prenant en compte des éléments qui avaient été relevés par l'Office français de la biodiversité (OFB) : le 2 septembre 2024 a été signée une convention judiciaire d'intérêt public en matière environnementale, par laquelle l'entreprise s'est engagée à payer une amende d'intérêt public de 2 millions d'euros et à indemniser les victimes identifiées, dont les associations de consommateurs. Je vous invite à contacter les procureurs pour obtenir plus de détails à ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous cherchons à comprendre comment le système de contrôle public fonctionne et s'il a connu des défaillances puisque, comme vous le savez, les fraudes ont duré pendant de nombreuses années.

Le point de départ de toute cette affaire réside dans des contrôles réalisés au sein du groupe Alma. Quelles suites ont-elles été données aux enquêtes menées par la DGCCRF sur les sites de Saint-Yorre et Châteldon ?

Mme Sarah Lacoche. - Le dossier est entre les mains de la justice, à qui nous avons transmis le procès-verbal.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'échangez plus avec l'autorité judiciaire après cette transmission de procès-verbal ?

M. Romain Guegan-Bertin, directeur adjoint du service national des enquêtes. - Nous avons eu plusieurs échanges avec le procureur de Cusset, seul responsable de l'opportunité des poursuites. Pour l'instant, aucune suite judiciaire n'a été donnée, mais il peut se passer du temps entre la transmission au parquet et la judiciarisation.

M. Laurent Burgoa, président. - À quelle date précisément avez-vous transmis le procès-verbal ?

M. Romain Guegan-Bertin. - En juillet 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le parquet envisage-t-il également une CJIP dans cette affaire ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Les infractions que la DGCCRF peut relever ne sont, par principe, pas éligibles à la CJIP. Elles peuvent toutefois l'être quand elles sont connexes à une infraction éligible, comme ce fut le cas dans le dossier Nestlé Waters.

Nous n'avons pas connaissance d'une possibilité de CJIP dans le cas de l'opérateur Alma.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels événements ont déclenché l'ouverture des enquêtes portant sur Nestlé Waters ? Comment en avez-vous eu connaissance ? Quelle est la teneur de la saisine du parquet d'Épinal par l'ARS Grand Est ?

Mme Sarah Lacoche. - La société Nestlé Waters a souhaité rencontrer le cabinet de la ministre de l'industrie de l'époque, Agnès Pannier-Runacher. Au cours de cette réunion, elle a indiqué avoir recours à des traitements non autorisés.

Une première enquête étant déjà en cours pour un autre groupe, la question du caractère général de ces pratiques s'est posée.

Une deuxième réunion a été organisée par le cabinet de la ministre de l'industrie avec celui du ministre de la santé, chef de file sur le volet sanitaire du dossier. La DGCCRF et la DGS étaient présentes.

À cette occasion, la décision est prise de lancer une mission de l'Igas pour répondre à plusieurs questions : s'agit-il de pratiques généralisées ? Quelles peuvent en être les causes ? Faut-il informer la Commission européenne ? La DGCCRF a été associée aux échanges qui ont eu lieu pour préparer la lettre de mission de l'Igas. Elle a proposé des amendements qui n'ont pas tous été retenus. Le SNE a été mobilisé lors du lancement de la mission pour partager les éléments qui avaient été relevés dans le cadre des enquêtes en cours. En revanche, la DGCCRF n'a pas participé à la conduite de la mission et n'a pas été associée à la rédaction du rapport. Nous en avons eu connaissance début 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez des recommandations qui n'ont pas été suivies dans la formulation de la lettre de mission. Pouvez-vous nous préciser lesquelles ?

Mme Sarah Lacoche. - Ce sont plutôt des éléments de forme, sur lesquels il est assez classique d'échanger lors de la rédaction d'une lettre de mission. Dans les documents que nous vous avons transmis, vous pouvez voir les modifications que nous avions proposées et la version finale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGCCRF était-elle représentée lors de cette réunion de cabinet du 31 août 2021 ?

Mme Sarah Lacoche. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous communiquer le nom de la personne présente ?

Mme Sarah Lacoche. - Je n'étais pas encore en fonction. Nous allons rechercher et nous vous transmettrons l'information.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Confirmez-vous que vous avez prêté main-forte à l'ARS lors de certains contrôles chez Nestlé ?

Mme Sarah Lacoche. - Le SNE a été mobilisé dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale. Dans ce cas, il est entièrement placé sous l'autorité du juge, qui peut lui demander d'aller assez loin dans les actes d'investigation : perquisitions, saisie de documents... C'est un cadre différent de celui qui s'applique à notre surveillance habituelle de la loyauté du marché.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment se sont déroulées ces investigations ? La société Nestlé a-t-elle été coopérative ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Les infractions constatées par l'ARS ont fait l'objet de suites administratives. Quant au volet pénal, il a été transmis au procureur sur le fondement de l'article 40. C'est dans ce cadre que nous avons été saisis pour réaliser une enquête.

Les contrôles se sont bien passés, le groupe Nestlé a été coopératif, car il avait lui-même fait état d'infractions à la réglementation. Les contrôles ont permis de caractériser des pratiques non conformes à la réglementation. La CJIP rédigée par le procureur d'Épinal en fait état.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au terme de votre enquête, vous avez chiffré le montant de la fraude à 3 milliards d'euros. Comment avez-vous établi cette estimation ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Elle a été rendue publique par la presse, mais elle ne fait pas partie de la CJIP. Elle est donc couverte par le secret de l'enquête.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En l'absence de dispositif transactionnel, quels étaient les risques pénaux encourus par Nestlé ? Pour quels montants en jeu ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Le parquet aurait pu décider d'un audiencement classique ou d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Le code de la consommation prévoit une peine maximale de 1,5 million d'euros ou jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires de la société. Dans ses procès-verbaux, la DGCCRF essaye toujours de quantifier la fraude.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En l'occurrence, au regard du montant de la fraude estimé par la DGCCRF, quel regard portez-vous sur la CJIP ?

M. Romain Guegan-Bertin. - C'est une décision du parquet pour apporter une réponse rapide à ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas d'avis sur cette décision ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Nous avons eu des échanges avec le parquet, comme nous le faisons sur tous les dossiers, mais la décision lui appartient. Notre rôle n'est pas de commenter les décisions de justice.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque la DGCCRF assiste, en août 2021, à la réunion avec le cabinet de la ministre, il est aussi fait état de fraudes en Occitanie. Or, à notre connaissance, un seul signalement a été effectué sur le fondement de l'article 40, pour le Grand Est. La DGCCRF s'est-elle posé la question d'un signalement pour l'Occitanie ?

Mme Sarah Lacoche. - La première décision a été de solliciter une mission de l'Igas, c'est l'Igas qui a décidé de faire un signalement au titre de l'article 40. La DGCCRF, en tant qu'institution, en a été informée, mais c'est le parquet qui en a été destinataire, et qui a saisi à son tour le service national des enquêtes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez eu des échanges avec le cabinet de la ministre, notamment une fiche établie par vos services le 14 septembre 2021. Cette fiche évoque l'idée d'une évolution de la réglementation européenne. D'où vient cette proposition ?

Mme Sarah Lacoche. - Il s'agit d'une fiche d'information destinée à la ministre, et non d'une note de propositions. Elle alerte notamment sur l'hypothèse d'une pratique plus large et pose effectivement la question de la réglementation européenne comme un élément de contexte. Cette réglementation laisse aux États des marges de manoeuvre qui peuvent entraîner certaines différences d'appréciation, notamment sur le sujet de la filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous effectué une analyse de droit comparé avant de formuler cette proposition ?

M. Thomas Pillot, chef du service de la protection des consommateurs et régulation des marchés. - Dans ce passage du courrier, nous nous posons la question des conséquences de ces pratiques sur le fonctionnement du marché, c'est-à-dire sur les autres entreprises, et non sur les consommateurs.

Si ces pratiques de traitements interdits s'avéraient isolées, elles porteraient préjudice aux concurrents qui font l'effort de respecter la réglementation. Ce ne serait pas le cas si ces pratiques étaient généralisées.

Les deux branches de l'alternative sont décrites dans le courrier. Si aucun exploitant ne parvient à respecter la réglementation, on peut effectivement s'interroger sur l'opportunité d'une évolution de la réglementation.

Nous nous interrogeons ensuite sur le dommage pour le consommateur. En l'occurrence, les pratiques de Nestlé posent un problème de loyauté de l'information délivrée au consommateur.

Cette note ne vise qu'à informer la ministre, notamment sur la compétence du ministère de la santé comme chef de file sur la question du traitement des eaux et de la sécurité sanitaire, et sur celles des ARS pour contrôler le processus de production au regard de l'arrêté préfectoral. Elle ne se prononce pas à ce stade sur les suites à envisager.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous émettez l'hypothèse que personne ne respecte la réglementation. Mais, à ce stade, avez-vous d'autres éléments que votre enquête chez Alma et votre entretien avec Nestlé ?

M. Thomas Pillot. - C'est un raisonnement hypothétique. On ne sait pas quelle est la situation sur le reste du marché.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué aussi ce protocole sur lequel vous travaillez pour assurer une meilleure coordination entre les différentes autorités de contrôle. J'imagine que la réflexion sur un nouveau protocole répond à un constat de carence, à des dysfonctionnements identifiés, notamment dans ce dossier.

Mme Sarah Lacoche. - Ce protocole fait suite à l'avis de la Commission européenne qui recommande de voir comment on peut améliorer la coordination entre les différentes autorités compétentes. Il n'existait pas de protocole pour formaliser la coordination. On essaye de le faire aujourd'hui de façon assez systématique, car il est très fréquent que les champs de compétences se chevauchent. Cela permet de formaliser une coopération qui existait déjà en pratique. Le cadre écrit permet de réduire le risque d'actions divergentes et de sécuriser le dispositif.

Par ailleurs, lorsque nous procédons à des constats qui pourraient avoir une incidence sur la qualification des eaux et sur la bonne information du consommateur, il est important pour ce dernier que nous puissions envisager rapidement les suites à donner, sous forme d'injonctions, voire de publicité. C'est une stratégie de suites que nous sommes en train de développer sur tous les sujets de loyauté alimentaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous exposez une réponse de principe, mais les conclusions de l'enquête de la Commission européenne sont très sévères pour le système de contrôle français. Quel est votre retour d'expérience sur l'affaire Nestlé ? Avez-vous vraiment le sentiment qu'entre vous, les ARS et l'Igas, tout a parfaitement fonctionné ?

Mme Sarah Lacoche. - Je vous dis simplement qu'il est important de formaliser dans un protocole écrit les relations entre les autorités de contrôle, même s'il existe déjà une bonne coopération entre eux. C'est un élément fondamental en termes de maîtrise des risques, au regard de la multitude des acteurs.

Dans l'affaire des eaux en bouteille, l'enchaînement des décisions s'explique aussi par un doute sur l'étendue potentielle des pratiques. Pour un dossier strictement individuel, le processus aurait sans doute été différent, et la saisine de l'Igas n'aurait peut-être pas été envisagée.

Nous avons répondu précisément à l'audit de la Commission et, à ma connaissance, elle n'a pas remis en cause la nécessité de clarifier le rôle des uns et des autres.

Mme Antoinette Guhl. - J'entends que vous ne pouvez pas dire grand-chose sur ce qui s'est passé dans les Vosges, madame la directrice générale, en raison de la procédure judiciaire en cours. Je me contenterai donc de vous poser des questions sur les pratiques en Occitanie, sur lesquelles vous êtes non seulement libre de parole, mais aussi tenue de nous communiquer les informations que nous demandons.

Compte tenu de la fraude aujourd'hui avérée dans les usines Perrier du groupe Nestlé, avez-vous transmis un procès-verbal au procureur du Gard ?

Mme Sarah Lacoche. - Sur ce cas précis, nous attendons le résultat du contrôle de l'ARS qui inspecte le site de production.

Mme Antoinette Guhl. - Votre réponse me surprend. Voilà dix ans que l'ARS contrôle Perrier et d'autres marques. J'ai eu connaissance de résultats de contrôles par l'Agence, dont le journal Le Monde s'est aussi fait l'écho. On sait que la fraude dure depuis très longtemps. Pourquoi n'intervenez-vous pas ?

Mme Sarah Lacoche. - Je le redis : nous attendons les conclusions de l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourtant la DGCCRF est compétente en matière de tromperie...

Mme Sarah Lacoche. - L'ARS enquête sur le point de savoir si les traitements pratiqués correspondent aux arrêtés préfectoraux. Si les conclusions de l'ARS ont une incidence en matière de loyauté, nous prendrons le relais.

Mme Antoinette Guhl. - Vous prétendez donc qu'à ce jour, l'ARS n'a pas encore conclu à l'utilisation de traitements interdits.

M. Thomas Pillot. - Nous posons régulièrement des questions à la DGS et à l'ARS sur les articles de presse que nous pouvons lire. Pour l'instant, je ne dispose pas de conclusions qui me permettraient de fonder une action en recherche de pratiques trompeuses pour le consommateur.

Vous pointez le recours à des traitements qui ne correspondraient pas à ceux que prévoit l'arrêté préfectoral fondant la qualification d'eau minérale naturelle. Les enquêtes pour rechercher l'existence de tels traitements relèvent de la compétence de l'ARS et de la DGS. Nous ne sommes pas compétents, sauf saisine du SNE par le procureur ou demande formelle des ARS, car nous disposons de certains pouvoirs d'enquête, sous le contrôle du JLD, qu'elles n'ont pas.

Je peux juste constater que les étiquettes des bouteilles d'eau sont conformes à l'arrêté préfectoral, mais je n'ai pas d'éléments de conclusion sur le process de production.

Le courrier de mission de l'Igas prévoit que la DGCCRF devra être associée si des pratiques trompeuses en matière d'étiquetage ou d'information des consommateurs sont identifiées. Il rappelle aussi que les inspecteurs des ARS et de l'Igas ont toute latitude pour rechercher et constater des infractions dans le cadre de leur mission.

M. Laurent Burgoa, président. - Je ne comprends pas. C'est la presse qui vous informe des enquêtes de l'ARS ? Celle-ci ne vous transmet pas ses rapports ?

M. Thomas Pillot. - S'agissant des affaires individuelles, nous sommes tenus au secret pénal, qu'il y ait eu ou non un jugement. Je ne peux pas m'exprimer sur une enquête en cours.

M. Laurent Burgoa, président. - Il n'y a pas de procédure pénale pour l'instant en Occitanie. Nous avons le rapport de l'ARS... Les différentes administrations travaillent-elles donc à ce point en silo ?

M. Thomas Pillot. - Nous n'avons pas de difficulté à nous échanger des rapports d'enquête. Ils doivent nous être transmis quand ils caractérisent des infractions.

M. Laurent Burgoa, président. - Votre direction dispose-t-elle du dernier rapport de l'ARS datant de juin 2024 ?

M. Thomas Pillot. - Cette question s'inscrit dans la recherche potentielle d'infractions de nature pénale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a pas d'enquête pénale aujourd'hui en Occitanie.

M. Laurent Burgoa, président. - Disposez-vous de ce rapport ? Je vous demande de répondre par oui ou par non.

Mme Sarah Lacoche. - Nous disposons d'un prérapport, mais il ne s'agit pas d'un rapport final.

Mme Odile Cluzel, sous-directrice des produits et marchés agroalimentaires. - Nous avons effectivement le prérapport de l'ARS. Le principe du contradictoire implique une procédure assez longue avec les opérateurs contrôlés. Les articles de presse que vous mentionnez ne constituent pas, formellement, des constats définitifs.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons depuis la semaine dernière le rapport définitif de l'ARS. Nous allons l'interroger, mais je suis un peu surpris de vos réponses. Vous ne disposez vraiment pas de ce document ?

Mme Odile Cluzel. - Nous disposons du rapport provisoire, pas du rapport définitif.

Mme Antoinette Guhl. - Sur décision préfectorale, 2,9 millions de bouteilles d'eau Perrier ont été détruites au mois d'avril dernier. Vos équipes participent aussi aux contrôles sur place, aux côtés de l'ARS. J'ai interrogé certains de vos inspecteurs, qui m'ont raconté le déroulement des contrôles et m'ont confié qu'ils avaient attendu une heure et demie avant que Nestlé ne leur ouvre la porte...

N'y a-t-il pas un caractère d'urgence dans cette affaire ? Ne pouvez-vous pas agir sur la tromperie sans attendre les conclusions définitives de l'ARS ? Vous êtes garants de la lutte contre la fraude, et si l'État décide de détruire 3 millions de bouteilles, c'est bien qu'il a acquis la certitude d'une pollution !

Mme Sarah Lacoche. - Les enjeux de sécurité sanitaire sont de la responsabilité des ARS et de la DGS. Il peut aussi y avoir un problème de sécurité sanitaire sans tromperie du consommateur.

Mme Antoinette Guhl. - Le groupe Nestlé a lui-même admis qu'il trompait le consommateur en filtrant l'eau !

Mme Sarah Lacoche. - Les arrêtés préfectoraux ont fait l'objet d'ajustements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de la réunion d'août 2021, vous êtes informés de tromperies commises par l'entreprise Nestlé en Occitanie. Pourquoi ne donnez-vous pas suite ?

Mme Sarah Lacoche. - Du fait du lancement de la mission de l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette mission avait pour but d'expertiser l'ensemble du secteur, pas de donner suite à la tromperie qui vous avait été révélée.

Mme Sarah Lacoche. - Elle pouvait aussi déboucher sur un volet répressif.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans mes souvenirs de droit pénal, dès lors que vous avez connaissance d'une infraction, quelle qu'elle soit, vous devez saisir le procureur au titre de l'article 40. Pourquoi votre service ne l'a-t-il pas fait ? L'Igas a bien saisi l'ARS sur le volet santé...

Mme Sarah Lacoche. - Nous transmettons au titre de l'article 40 des infractions lorsqu'elles ne relèvent pas de notre champ de compétences.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il me semble que l'article 40 est de portée générale.

Mme Sarah Lacoche. - La mission de l'Igas vise à faire l'état des lieux des pratiques, mais aussi à mener des investigations assez poussées, avec toute latitude pour rechercher et constater des infractions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En quoi l'application de l'article 40 est-elle incompatible avec la mission de l'Igas ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Les pouvoirs d'enquête des agents de la DGCCRF et des agents des ARS permettent de relever directement des infractions pénales dans leurs champs de compétence et de dresser des procès-verbaux directement transmis au procureur de la République.

Les agents de la DGCCRF ne font pas de signalement au titre de l'article 40 dans ce cas, puisqu'ils rédigent eux-mêmes les procès-verbaux caractérisant les éléments matériel et intentionnel de l'infraction. Le procureur n'a plus qu'à poursuivre sur la base de ces éléments.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir dressé de procès-verbal quand Nestlé vous a fait part de ses pratiques frauduleuses ?

M. Romain Guegan-Bertin. - C'est ce que vous a rappelé la directrice générale : le but de l'audit de l'Igas était de dresser un état des lieux, ce qui ne signifiait pas que nous n'allions pas poursuivre les infractions qui auraient pu être caractérisées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces dernières font-elles l'objet de poursuites aujourd'hui ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Vous savez que deux dossiers donnent lieu à des poursuites.

M. Alexandre Ouizille. - Est-ce le cas pour l'Occitanie ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Ce n'est peut-être pas le cas pour cette région, mais cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de poursuites à l'avenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'article 40 s'applique à tout agent public et votre service est habilité à dresser des procès-verbaux. Malgré les informations que vous avez reçues au sujet d'infractions commises sur une partie du territoire dans laquelle aucune poursuite judiciaire n'a été déclenchée, vous avez décidé de ne pas poursuivre.

M. Romain Guegan-Bertin. - Nous menons d'abord une enquête qui peut être longue, à l'issue de laquelle nous dressons un procès-verbal. Il n'y a, dans ce cas, pas lieu de recourir à l'article 40 puisque nous disposons de pouvoirs propres nous permettant de relever les infractions. L'enquête est en cours.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous transmis un procès-verbal concernant l'Occitanie à la procureure de la République de Nîmes ?

M. Romain Guegan-Bertin. - Pas à ce stade.

Mme Sarah Lacoche. - Nous attendons le rapport définitif de l'ARS.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous pouvez le lui demander, car nous l'avons.

Mme Sarah Lacoche. - Une voie possible aurait pu consister à organiser une mission sur site de la DGCCRF, mais la saisine de l'Igas incluait un volet de constat d'infractions, et donc potentiellement des poursuites. Ladite mission ne se bornant pas à dresser un état des lieux, la DGCCRF n'avait pas vocation à lancer des investigations en parallèle.

Mme Antoinette Guhl. - Je voudrais revenir sur vos propos sur la mise à jour des arrêtés, qui sont faux. J'ignore si vous avez lu le rapport de la mission d'information que j'ai conduite - Politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source -, mais ces arrêtés n'ont pas été actualisés.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci d'employer un ton plus mesuré, chère collègue.

Mme Antoinette Guhl. - Je tenais simplement à rappeler que ce rapport mentionnait le fait que la microfiltration à 0,2 micron, pratiquée dans le Gard, n'avait pas été autorisée par un arrêté préfectoral. Si vous le souhaitez, vous pouvez donc dès aujourd'hui faire votre travail de lutte contre la fraude et de mise en cohérence entre les pratiques et les arrêtés préfectoraux.

Mme Sarah Lacoche. - Vous parlez du nouveau dossier, dans lequel nous attendons, encore une fois, des éléments de la part de l'ARS.

M. Laurent Burgoa, président. - Si je peux me permettre de faire un peu d'humour, nous allons vous transmettre le rapport de l'ARS, madame la directrice générale. Compte tenu de votre niveau de responsabilité, il est tout de même surprenant que vous n'en disposiez pas. Je vous conseille donc, dès la fin de cette réunion, de contacter Didier Jaffre, directeur général de l'ARS Occitanie, qui vous le transmettra. Je suis prêt à vous fournir son numéro de téléphone portable... Je le répète, la situation est très surprenante !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'en reviens aux modalités de contrôle. Des fraudes ont eu lieu pendant de nombreuses années et je souhaiterais savoir ce qui a changé dans votre vision : avez-vous systématisé les contrôles à l'aune de la fraude ? Avez-vous adopté une nouvelle doctrine ?

Nous comprenons que les contrôles sur pièces se sont avérés plus efficaces que les contrôles sur place, des factures ayant permis d'identifier l'installation d'un certain nombre de dispositifs. Enfin, quelle est désormais la part de l'autocontrôle ?

Mme Sarah Lacoche. - La DGCCRF peut être amenée à approfondir ses investigations dès lors qu'il est question de loyauté alimentaire. Dans le domaine des eaux conditionnées, le contrôle de la production relève de la compétence des ARS.

De manière générale, si le SNE a été saisi, nous « tirons le fil » et nos actions peuvent recouvrir le contrôle sur place, la saisie de documents ou encore la vérification de la comptabilité. Encore une fois, le domaine des eaux conditionnées est assez particulier, le premier champ de contrôle relevant de l'ARS.

M. Olivier Jacquin. - Quelles évolutions de la réglementation seraient selon vous nécessaires afin d'améliorer la protection du consommateur, compte tenu de la situation paradoxale dont vous faites état ? En effet, vous ne pouvez pas mener de contrôle de loyauté sans intervention de l'ARS.

Mme Sarah Lacoche. - Il est surtout question d'articulation des compétences, la réglementation imposant déjà la mention de nombreuses informations sur les étiquettes. L'enjeu est selon moi davantage opérationnel, d'où l'importance du protocole de coopération qui permettra de bien matérialiser le rôle des uns et des autres et d'améliorer la programmation des contrôles.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie pour ces échanges assez intenses.

Audition de M. Charles de Batz de Trenquelléon et
Mme Frédérique Simon-Delavelle, auteurs du rapport intitulé
Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas)
(Jeudi 16 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec M. Charles de Batz de Trenquelléon et Mme Frédérique Simon-Delavelle, auteurs du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) de juillet 2022 intitulé Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Charles de Batz de Trenquelléon et Mme Frédérique Simon-Delavelle prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je dois par ailleurs vous demander si vous avez d'éventuels liens d'intérêts par rapport à l'objet de notre commission d'enquête.

Mme Frédérique Simon-Delavelle, co-auteure du rapport intitulé Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle de l'Igas. - Je n'en ai aucun.

M. Charles de Batz de Trenquelléon, co-auteur du rapport intitulé Les eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle de l'Igas. - Je n'ai aucun lien d'intérêts avec l'affaire qui nous concerne.

M. Laurent Burgoa, président. - Le rapport d'inspection que vous avez rendu en juillet 2022 est absolument essentiel pour notre commission d'enquête puisqu'il a été diligenté par les ministres de l'industrie, de l'économie et de la santé à la suite de l'autosignalement de Nestlé Waters concernant le recours à des traitements interdits.

Pourriez-vous revenir sur les conclusions de ce rapport, qui évoquent 30 % de non-conformités entre les pratiques des industriels et les arrêtés d'autorisation d'exploitation ? Quelles sont les causes de ce taux particulièrement élevé ?

Quelles ont été les suites données aux contrôles des agences régionales de santé (ARS) dans le cadre de votre mission d'inspection ? Avez-vous constaté des traitements interdits, relevant de pratiques trompeuses ?

À la suite de votre mission, toutes les non-conformités ont-elles été corrigées ? En outre, votre rapport formule un certain nombre de recommandations : ont-elles été mises en oeuvre ?

Voilà quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Ces travaux sont déjà un peu anciens puisqu'ils ont été engagés en 2021 et réalisés en 2022.

Je commencerai par rappeler le cadre de notre mission : nous avons travaillé sur les eaux minérales naturelles et les eaux de source, que nous appellerons de manière générique « eaux conditionnées ». Il s'agit d'eaux naturellement pures, d'origine souterraine, auxquelles il est possible d'appliquer un niveau de traitement peu élevé.

À la fois français et mondial, le marché des eaux conditionnées est lucratif, tandis que les grandes usines d'embouteillage peuvent être des employeurs locaux importants, en précisant que les installations sont souvent situées dans des zones montagneuses et rurales.

Comme vous l'avez rappelé, l'Igas a été saisie par les trois ministres de l'industrie, de l'économie et de la santé à la fin de l'année 2021, d'une part sur des faits qui ont été établis par le service national des enquêtes (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et, d'autre part, sur des faits qui ont été révélés par l'industriel lui-même au cabinet de la ministre de l'industrie.

Il nous est alors demandé de réaliser un travail plus exhaustif et plus large afin d'examiner l'intégralité de la filière des minéraliers en France. Une fois nos investigations achevées, nous rédigeons un rapport qui est adressé par notre chef de service aux trois commanditaires. Cette transmission s'effectue par un e-mail accompagné d'une note d'explication et de la mention « sauf avis contraire, nous transmettons aux directions d'administration centrale ». Quelques jours après, nous avons transmis le rapport aux services relevant de notre périmètre ministériel, à savoir la direction générale de la santé (DGS) et le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales (SGMAS), compétents pour le pilotage du réseau des ARS.

Le rapport est donc transmis en juillet 2022 aux cabinets de l'industrie et de l'économie. En revanche, l'Igas n'a pas vocation à transmettre ce document directement aux administrations centrales de ces ministères, se limitant aux services de son ministère de rattachement. Il appartient ensuite aux commanditaires de décider des suites à donner au rapport, qu'il s'agisse de sa publication ou de la mise en oeuvre des recommandations qu'il contient. De ce fait, nous serons donc sans doute moins affûtés sur ces suites, si vous nous questionnez à ce sujet.

J'en termine avec ce point sur le positionnement de l'Igas en soulignant qu'il s'agissait d'une mission assez atypique. En effet, le contrôle des installations de production d'eaux conditionnées est exercé en premier niveau par les ARS et les directions départementales de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP), et il a été demandé à l'Igas, service dont le positionnement est plutôt national, d'intervenir dans ce champ des inspections locales, ce qui est assez rare.

En termes de méthodologie, la première étape a comme toujours consisté en une appropriation du sujet, en prenant connaissance de la réglementation applicable et des aspects techniques liés aux traitements des eaux. Nous nous sommes appuyés sur des lectures et de nombreux entretiens avec des spécialistes, afin d'être au plus près de la réalité scientifique, tout en procédant à l'analyse des données du contrôle sanitaire.

Nous avons ensuite utilisé trois sources de données pour conclure à l'existence de 30 % de non-conformités : tout d'abord, nous avons récupéré l'ensemble des arrêtés préfectoraux et ministériels, soit un total d'environ 270 textes ; nous avons ensuite réalisé, avec l'aide d'un groupe d'ARS et de spécialistes du traitement des eaux, un questionnaire assez imposant comportant une centaine de questions ; enfin, nous avons analysé une trentaine de rapports d'inspections réalisées par les ARS, sous la forme de rapports provisoires.

J'ajoute que nous nous sommes déplacés sur le terrain afin de garder le contact avec la réalité des installations. Nous avons effectué un déplacement en commun à Laqueuille dans le Puy-de-Dôme et je me suis rendue seule à Évian.

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Pour ma part, je me suis rendu seul à Voeuil-et-Giget, en Charente.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nos travaux ont permis de confirmer que le taux de conformité des eaux était très élevé : ledit taux est rendu public chaque année par la DGS et oscille entre 95 % et 100 %. En revanche, 30 % de non-conformités ont été relevées dans les installations, avec le recours à des traitements interdits - UV et charbon - et à la microfiltration, à un seuil inférieur à 0,8 micron.

Nous avons également constaté que la réglementation applicable aux eaux manquait de clarté, chacun des types d'eau étant encadré par une directive européenne ensuite transposée en droit français. Cette complexité a créé des possibilités de contournement et des difficultés pour les services de contrôle.

Rappelons qu'il existe deux types de filtration : d'une part, la filtration explicitement autorisée dans l'arrêté du 14 mars 2007 et qui vise à retenir les particules en suspension ; d'autre part, la microfiltration, qui n'apparaît pas dans les textes réglementaires, mais dans un avis scientifique de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) devenue l'Agence nationale de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Donnant lieu à une tolérance et censée au départ être exceptionnelle, la microfiltration est désormais présente sur 80 % des installations.

Par ailleurs, nous avons dressé le constat d'un manque d'information des consommateurs, en établissant une comparaison avec les eaux du robinet. Pour ces dernières, les résultats sont disponibles en ligne et les consommateurs reçoivent des informations avec leur facture ; tel n'est pas le cas pour les eaux minérales et les eaux de source, le bilan de la DGS que j'évoquais étant assez général. Qu'il s'agisse de la qualité des eaux ou des traitements appliqués, l'information dispensée nous a en effet paru faible au regard de la communication entourant ces produits.

J'en viens à des éléments plus transverses, en soulignant au préalable que nous évoquons des installations industrielles parfois extrêmement complexes, pouvant compter jusqu'à 50 kilomètres de réseau afin de collecter toutes les sources.

Les services santé-environnement des ARS, compétents dans ce domaine des eaux conditionnées, ont perdu des moyens alors qu'ils sont également chargés de l'eau du robinet, de l'habitat ou encore des nuisances sonores : dans ce contexte de ressources contraintes, ces structures priorisent leurs actions et, compte tenu des résultats satisfaisants du contrôle sanitaire, il est possible que les eaux conditionnées aient été reléguées au second plan.

Enfin, nous tenons à bien distinguer le risque sanitaire de la maîtrise du risque sanitaire. Le risque zéro n'existant pas non plus dans ce secteur, il incombe aux pouvoirs publics de mettre en oeuvre des mesures de gestion permettant de réduire le risque sanitaire. Dans le cas d'espèce, cette maîtrise du risque repose sur deux piliers, à savoir des eaux minérales et de source de bonne qualité d'une part et un faible niveau de traitements d'autre part.

Cette méthode de gestion du risque a été déterminée au niveau européen. Dès lors que l'un de ces piliers est déséquilibré, avec une diminution de la qualité des eaux ou le recours à d'autres traitements, la maîtrise du risque n'est plus certaine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous remercions à double titre, non seulement parce que votre rapport est très riche, mais aussi parce que sa non-publication, dont nous ne comprenions pas les raisons, nous a aiguillés vers la constitution de cette commission d'enquête.

Pourriez-vous revenir en détail sur les destinataires de ce document ? La question de la coordination des autorités de contrôle est en effet au coeur de nos discussions : nous avons eu ce matin un échange avec le SNE, qui a indiqué ne pas avoir été associé « de manière contradictoire » lors de la diffusion du rapport.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Une fois notre rapport finalisé, nous l'avons transmis aux commanditaires, en l'occurrence M. Le Maire, M. Véran et Mme Pannier-Runacher. Nous avons alors informé les ministres que le rapport allait être transmis, sauf avis contraire, aux directions d'administration centrale compétentes.

Dans le cas présent, l'Igas a informé les cabinets des trois ministres que le rapport allait être envoyé à la DGS et au SGMAS ; en revanche, l'Igas n'avait pas vocation à transmettre directement ce document à la DGCCRF. Nous avons pensé, assez naïvement, que les ministères de l'économie et de l'industrie s'en chargeraient, mais nous avons découvert que la DGCCRF ne l'avait pas reçu.

M. Laurent Burgoa, président. - Les cabinets des ministres vous ont-ils autorisé à transmettre le rapport ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous attendons en général trois jours avant de transmettre le document aux administrations centrales. En l'espèce, il n'y a pas eu d'avis contraire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGCCRF ne faisait donc pas partie de la chaîne de transmission.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Tout à fait, pour des raisons tenant aux découpages ministériels. Il en va de même pour les ARS.

Le processus ne s'est pas arrêté là puisque nous avons pour habitude de proposer des réunions de restitution aux directions d'administration centrale concernées : une réunion de ce type s'est tenue avec la DGS et la DGCCRF quelques jours après l'envoi aux cabinets des ministres, ce qui nous a permis de présenter nos conclusions. Une autre réunion de restitution associant les conseillers techniques des cabinets des ministères de l'industrie et de la santé a eu lieu après l'été 2022.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourrez-vous nous communiquer les noms des personnes présentes, en particulier ceux des membres de la DGCCRF ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous vous transmettrons ces informations par écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De manière paradoxale, votre rapport invite à une meilleure information du public sur la qualité des eaux, tout en portant la mention « confidentiel ».

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - L'Igas a précisé ce caractère confidentiel pour deux raisons : premièrement, le rapport comprenait des éléments couverts par le secret de l'instruction pénale initiée par le SNE ; deuxièmement, il comportait des informations couvertes par le secret des affaires. En tout état de cause, nous ne souhaitions pas que le rapport soit transmis dans les services sans prendre les précautions requises. Pour autant, ce caractère confidentiel n'est pas synonyme d'une impossibilité de publier le rapport, puisqu'il est toujours possible d'en noircir certaines parties.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui a décidé de ne pas publier le rapport ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Le principe général est que les commanditaires décident d'une éventuelle publication, l'Igas n'ayant pas l'initiative en la matière.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc le cabinet du ou des ministres qui vous donnent le feu vert.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Les échanges se font avec le secrétariat de direction ou avec le service chargé des rapports.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La non-publication de vos travaux est-elle habituelle ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - C'est très variable en fonction des sujets, le calendrier pouvant lui aussi fluctuer.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au point nº 23 du rapport, vous indiquez : « La mission a été interrogée par ses commanditaires sur le risque sanitaire associé à la consommation des eaux conditionnées qui subiraient des traitements non conformes ou à l'arrêt desdits traitements. L'Igas n'a pas vocation à procéder à une évaluation des risques, compétence dévolue aux agences de sécurité sanitaire. Elle peut néanmoins apporter un éclairage [...]. »

Avez-vous eu des discussions avec vos commanditaires sur ce point précis ? Vous n'étiez pas en mesure d'assumer complètement cette mission.

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Lorsque des missions sont envisagées, les commanditaires s'assurent en général de leur faisabilité et des échanges ont lieu. Dans le cas de cette mission, le déroulé a été différent puisque l'Igas a été destinataire de la lettre signée par les trois ministres. Nous avons ensuite évalué ce qui était demandé afin de déterminer ce que nous allions pouvoir faire dans le délai imparti, qui était très court, d'où notre souhait de nous concentrer sur les points sur lesquels nous étions susceptibles d'apporter une plus-value, c'est-à-dire une vision nationale appuyée sur les retours des ARS.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - À la suite de crises successives, le ministère de la santé a décidé de bien séparer l'évaluation des risques de leur gestion, raisonnement qui a prévalu lors de la création des agences de sécurité sanitaire. C'est à ce titre que l'Igas indique qu'elle n'est pas compétente pour procéder à une évaluation des risques à proprement parler, tâche qui relevait de l'Afssa, puis de l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le rapport évoque cependant le risque virologique. Comment l'avez-vous appréhendé et caractérisé ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - À l'époque où nous avons mené nos travaux, seul un avis de l'Afssa était disponible. Ce dernier n'avait pas un caractère général, mais était fondé sur un dispositif précis, et concluait que le seuil adéquat à retenir pour la filtration était celui qui ne modifiait pas la composition de l'eau. Au vu de la littérature scientifique disponible, l'Afssa avait déterminé que le seuil de filtration qui pouvait être toléré était de 0,8 micron.

Pour rappel, la microfiltration est effectuée au moyen de membranes percées de trous plus ou moins grands et dont la taille définit le seuil de coupure. Les virus étant de très petite taille, nous avons concentré notre attention sur ces microorganismes. Précisons qu'un seuil de coupure de 0,2 micron n'arrête pas tout.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment avez-vous accueilli la décision du gouvernement d'autoriser le plan de transformation de Nestlé, qui ne permettait pas d'écarter ce risque ? Avez-vous fait un suivi de cet aspect ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous n'avons pas effectué de suivi à proprement parler. Après la mission, M. de Batz de Trenquelléon est parti à la retraite, tandis que je me suis consacrée à d'autres missions. L'Igas fonctionne ainsi : notre travail stricto sensu s'arrête après la remise du rapport, même si nous avons pris connaissance des informations rendues publiques dans ce dossier. Les conclusions du rapport ne changent pas dans la mesure où l'expertise rendue par l'Afssa n'a pas été modifiée.

M. Laurent Burgoa, président. - Un service de l'Igas est-il chargé du suivi des rapports ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Deux cas de figure sont possibles : dans le premier cas - le plus fréquent -, la vie du rapport s'arrête après la réunion de restitution, même si nous restons à disposition des administrations dans le cas où elles souhaitent obtenir des compléments ; dans le second cas, des missions de contrôle d'un organisme peuvent donner lieu à un contrôle des suites.

L'Igas est, par exemple, compétente pour contrôler les organismes qui font appel à la générosité du public, contrôle qui prévoit une procédure contradictoire. Dans ce cadre, une commission des suites peut revenir sur les événements, même quelque temps après.

Le rapport considéré ne s'inscrivait pas dans ce schéma puisqu'il ne s'agissait pas d'un contrôle « pur et dur » donnant lieu à une procédure contradictoire. La majorité de nos rapports, consacrés à l'évaluation des politiques publiques, ne font donc pas l'objet de suites particulières.

M. Laurent Burgoa, président. - De manière générale, l'Igas peut-elle déclencher une procédure sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale après avoir constaté des faits frauduleux dans le cadre d'un rapport ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - L'article 40 peut être utilisé par tout agent public, l'Igas pouvant s'appuyer sur ce texte au même titre que les autres fonctionnaires.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourquoi aucune procédure basée sur l'article 40 n'a-t-elle été enclenchée dans ce dossier ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - La question est parfaitement légitime. Nous avons été saisis sur la base d'une lettre de mission qui partait elle-même de faits avérés, alors que deux procédures pénales étaient déjà en cours. Nous avons été sollicités pour apporter un éclairage plus fin sur les événements survenus dans les entreprises de conditionnement et avons décidé de ne pas lancer une procédure s'ajoutant aux deux qui étaient déjà initiées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce sujet a-t-il fait l'objet d'un débat entre vous ?

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Cette question se pose régulièrement et j'ai moi-même eu l'occasion de recourir deux fois à l'article 40 pour d'autres missions de l'Igas. En l'espèce, nous n'avons pas jugé utile de déclencher cette procédure.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous qu'il ait fallu attendre janvier 2024 pour que les informations soient révélées au grand public ?

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - La question est essentielle, et pas uniquement pour l'ego des inspecteurs. Nous menons des contrôles parfois délicats et sensibles et, pour avoir réalisé de nombreux rapports portant sur l'aide sociale à l'enfance (ASE), j'ai pu regretter que certaines informations ne soient pas rendues publiques.

Il n'est pas toujours possible de publier un rapport puisque l'accord du commanditaire est requis et qu'il a besoin d'un certain temps pour s'approprier les conclusions de nos travaux, ainsi que pour mettre en oeuvre un plan d'action s'il le juge utile, plan dont il faut ensuite attendre les résultats. Dans le cas d'espèce, notre rapport a effectivement été diffusé avec un certain décalage, mais nous n'y pouvons rien. Nous avons sans doute perdu un peu de temps.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans la mesure où les faits étaient connus, d'autres administrations auraient-elles pu déclencher une procédure sur la base de l'article 40 ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Il est délicat de répondre à cette question et je n'entends pas imputer telle ou telle responsabilité à un autre service, ce qui donnerait une mauvaise image de l'État. Peut-être que l'article 40 aurait pu être mobilisé à un moment donné, mais il me paraît difficile de réécrire le passé.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous comprendrez que nous devons mieux comprendre l'articulation entre les différents services de l'État et les discussions qui ont alors eu lieu quant aux suites à donner à des faits avérés.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Tout à fait. Je crois que la question de l'article 40 s'est posée en amont de la saisine de l'Igas, mais il faudra vérifier ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour en venir à la qualité des contrôles et de la surveillance des eaux, avez-vous identifié d'autres pistes d'amélioration ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Une fois encore, la mise en oeuvre des contrôles est particulièrement complexe dans certaines installations. S'agissant du cas particulier des traitements interdits qui ont été dissimulés pendant des années, je pense que le meilleur service de contrôle du monde aurait peiné à déceler ces pratiques délibérément masquées.

En outre, toutes les non-conformités ne doivent pas être placées sur le même plan, certaines pouvant être liées à la méconnaissance d'une réglementation peu claire, tandis que d'autres ont pu avoir cours en raison d'une tolérance accordée par les autorités, mais avec un périmètre imprécis.

La clarification de la réglementation aiderait donc grandement à la fois les industriels et les services de contrôle. Le seuil de filtration de 0,8 micron reconnu comme ne modifiant pas la composition de l'eau n'apparaît ainsi dans aucune réglementation, mais uniquement dans l'avis d'une agence, ce qui rend la règle faible en comparaison d'un arrêté. La réglementation française n'étant qu'une traduction de la directive européenne, ces points doivent être discutés au niveau communautaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La microfiltration vous semble-t-elle suffisamment robuste afin de faire face au risque sanitaire de la dégradation de la qualité des eaux et au risque virologique ? Peut-elle permettre la poursuite de l'exploitation des eaux minérales ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - J'en reviens à un point évoqué en introduction : c'est bien parce que les eaux ne sont pas contaminées que le niveau de traitement peut être limité. Dès lors que la qualité des eaux est dégradée, nous sortons de la logique combinant un bon niveau de qualité et des traitements réduits. La microfiltration a été tolérée par l'Anses pour des eaux faiblement contaminées et je ne peux donc pas vous dire si un seuil de 0,2 micron ou de 0,8 micron suffirait à maîtriser le risque.

M. Olivier Jacquin. - Le risque lié aux eaux minérales est perçu comme limité, car il n'existe pas un danger de mort pour le consommateur. Cette image d'un produit bon pour la santé n'explique-t-elle pas un certain laisser-aller ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Les autorités sanitaires se fondent sur le respect du contrôle sanitaire afin de déterminer l'existence d'un risque. Le secteur est régi par le code de la santé publique, qui fixe les conditions de ce contrôle.

Outre l'autosurveillance effectuée par les industriels, qui contrôlent régulièrement la qualité de leurs eaux, un contrôle sanitaire officiel est mené par les ARS, qui font appel à des laboratoires habilités. Tous ces résultats alimentent le bilan annuel de la DGS que j'ai mentionné, et qui permet de connaître le niveau de conformité des eaux.

Quand nous commençons nos travaux, nous avons ainsi connaissance d'un très bon niveau de conformité et le risque sanitaire paraît extrêmement faible.

M. Laurent Burgoa, président. - La DGS a-t-elle assuré une forme de suivi des préconisations de votre rapport, notamment de celles qui sont relatives à la gestion des non-conformités ?

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Nous lui avons transmis des éléments de travail, en particulier des fichiers de données du contrôle sanitaire, permettant de mesurer les évolutions dans le temps. Je ne saurais dire ce qu'il en a été fait et je ne suis sans doute pas le mieux placé pour répondre à la question des suites données à nos recommandations.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - L'Igas ne se désintéresse pas des sujets qu'elle a traités, mais l'application des préconisations de ses rapports ne revêt aucun caractère obligatoire et il relève du libre choix des administrations centrales de se les approprier et de les appliquer ou non. Notre rapport n'avait ainsi pas vocation à être appliqué in extenso, il visait à aider les décisionnaires à mettre en oeuvre des évolutions s'ils le souhaitaient.

En ce qui concerne spécifiquement ce rapport, des suites lui ont été données, notamment sous la forme du déclenchement d'un audit, à l'occasion duquel l'Igas a été amenée à présenter ses travaux. Mais les représentants de la DGS seront plus à même que nous d'établir le bilan que vous sollicitez de ce qui a été mis en oeuvre de nos recommandations par les administrations.

Mme Audrey Linkenheld. - Le rapport recommande-t-il de faire évoluer la réglementation applicable, en vue d'autoriser dans certaines circonstances l'application de traitements aux eaux minérales naturelles, et y a-t-il eu, à votre connaissance, des initiatives gouvernementales ou parlementaires en ce sens ? Nous identifions en effet une injonction contradictoire entre, schématiquement, le respect de la santé et celui de la loi.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous constatons dans le rapport que la réglementation manque de clarté et qu'elle s'avère difficile à comprendre. Par suite, nous avons recommandé qu'elle soit rendue plus intelligible et que les notions de filtration et de pureté originelle, sujettes à interprétation, y soient explicitées.

Nous nous situons cependant dans un marché mondialisé et, a minima, communautaire, où les approches peuvent différer selon les États. L'Espagne a ainsi retenu un seuil de filtration de 0,45 um par litre, quand la France a pu tolérer le passage de 0,8 à 0,2 um par litre. C'est pourquoi nous avons aussi recommandé une clarification et une mise en cohérence de cette question de la microfiltration entre les États membres de l'Union européenne.

Au-delà, je ne saurai pas vous dire si des initiatives ont déjà été prises. Il conviendrait de poser la question aux directions d'administration centrale.

Mme Marie-Lise Housseau. - Une société a fraudé et l'a déclaré. L'affaire est connue depuis 2021. Trois ministres ont été saisis, l'Igas a mené une enquête, l'ARS a commencé l'élaboration d'un rapport, la DDETSPP était également informée, mais, en 2025, personne n'a encore déclenché la moindre action officielle.

Je trouve la situation quelque peu inquiétante, même en l'absence de véritable problème sanitaire, car je me demande si la chaîne de responsabilités ne se dilue pas complètement et s'il n'y a pas une volonté délibérée des ministères de mettre l'étouffoir sur cette affaire. Si nombre de raisons, dont celle de l'emploi, peuvent l'expliquer, une telle attitude ne risquerait-elle pas, dans d'autres circonstances, d'aboutir à de nouveaux scandales sanitaires ? Je m'adresse là davantage aux citoyens que vous êtes qu'aux représentants de l'Igas.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Nous témoignons aujourd'hui devant vous comme représentants de l'Igas, et je m'en tiendrai à cette qualité.

On ne peut pas dire que rien n'a été fait : deux procédures pénales sont engagées. Mais je suis d'accord avec vous pour reconnaître qu'elles peuvent paraître longues.

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Leur durée est peut-être le défaut de toutes nos procédures. Dès lors qu'il n'y a pas eu de risque sanitaire avéré, avec des cas d'intoxication, comme cela s'est produit en Espagne, les choses ont traîné. L'entreprise Perrier a trouvé elle-même une partie de la solution en passant de la catégorie d'eau minérale naturelle à celle d'eau rendue potable par traitement.

Par ailleurs, d'autres sujets difficiles mobilisent ou ont mobilisé les contrôleurs de l'ARS, notamment celui des captages d'eau potable pour la distribution au robinet, avec une orientation nationale d'inspection-contrôle qui a perduré jusqu'en 2021, et celui de la gestion de la crise covid.

Le rapport ne manque pas non plus de souligner que les effectifs consacrés à l'inspection-contrôle ont beaucoup diminué et que l'intensité de ce contrôle a sans doute décru au cours des dernières années sur la partie des eaux minérales naturelles. Ce constat explique peut-être aussi qu'un certain retard ait été pris dans le traitement des dossiers.

Mme Antoinette Guhl. - Avez-vous conscience que l'étude de l'Igas a constitué la pierre angulaire des demandes ministérielles à l'origine du temps pris pour traiter cette fraude, pour autant que celle-ci le soit véritablement, ce qui n'est pas tout à fait certain ?

Ce matin, dans nos échanges avec les représentants de la DGCCRF, il nous a été dit que vous formuliez dans votre rapport la recommandation que les ARS poursuivent les contrôles. Avez-vous eu la volonté d'affranchir la DGCCRF de son rôle de contrôle ou d'avertissement ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Notre rapport invite à prévoir des inspections conjointes de l'ARS et de la DDETSPP, dont nous recommandons par ailleurs qu'elles soient inopinées. Cette double compétence nous semble importante et nous n'avons pas opéré de dichotomie entre les deux services.

M. Daniel Gremillet. - La diminution du rythme des contrôles au cours des dernières années entretient-elle un lien avec l'évolution de la réglementation tant européenne que nationale ? Auparavant, toute entreprise qui mettait sur le marché des produits alimentaires dépendait du contrôle et de l'autorisation préalable des pouvoirs publics ; désormais, sous l'influence de la réglementation européenne, la responsabilité de la mise sur le marché incombe directement à cette entreprise, qui doit assurer ses propres contrôles et en signaler les éventuelles anomalies de résultats aux services concernés de l'État.

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Dans le cas des eaux minérales naturelles et des eaux de source, il existe un double niveau de contrôle : l'autosurveillance, effectivement assurée par les industriels, et le contrôle sanitaire officiel effectué par les ARS avec le recours à des laboratoires agréés.

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Les modalités de ce contrôle sanitaire ont quelque peu évolué depuis que les ARS en ont repris la compétence, ce que nous avons rappelé dans le rapport. La compétence en était auparavant dévolue aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDAS), qui disposaient de leurs propres équipes de préleveurs. Des agents publics réalisaient donc les prélèvements. Ils connaissaient bien les établissements d'embouteillage, qu'ils visitaient régulièrement. Le corps de ces agents préleveurs a été mis en extinction et ce sont à présent des laboratoires, le plus souvent privés, parfois publics, qui interviennent. Ils abordent tout à fait différemment la façon de se rendre dans les usines de production et ne portent plus le même regard sur les installations, ce qui change aussi la nature des relations entre les industriels et les agences de l'État.

M. Laurent Burgoa, président. - L'État, et notamment les ARS, labellise-t-il ces laboratoires ou cabinets privés de contrôle et vérifie-t-il leur absence de conflits d'intérêts ?

M. Charles de Batz de Trenquelléon. - Les laboratoires qui interviennent sont agréés, c'est-à-dire qu'ils doivent répondre à un certain nombre de critères.

M. Laurent Burgoa, président. - Mais s'assure-t-on qu'ils ne travaillent pas déjà pour un industriel qu'ils sont appelés à contrôler ?

Mme Frédérique Simon-Delavelle. - Je ne suis de nouveau pas sûre que nous soyons les mieux placés pour répondre à cette question et je ne voudrais pas que l'on jette le discrédit sur le contrôle sanitaire des eaux, qui est bien le plus surveillé. La DGS vous éclairerait mieux que nous sur la manière dont on retient ces laboratoires. Ce sont néanmoins en principe des établissements sérieux, choisis au terme d'appels d'offres régionaux lancés par les ARS sur le fondement d'un cahier des charges bien précis.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie de la qualité de nos échanges ainsi que des informations que vous avez pu nous fournir, qui nous permettent d'améliorer notre connaissance du sujet.

Risques de pollution des sols et des nappes -Audition de M. Vincent Bessonneau, directeur du laboratoire d'étude et de recherche
en environnement et santé, Mme Pauline Rousseau-Gueutin, responsable
des enseignements en hydrologie-hydrogéologie à l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et M. Jean-Luc Boudenne, professeur
des universités à l'université d'Aix-Marseille
(Jeudi 16 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous reprenons nos travaux avec l'audition de M. Vincent Bessonneau, directeur du laboratoire d'étude et de recherche en environnement et santé à l'École des hautes études en santé publique (EHESP), de Mme Pauline Rousseau-Gueutin, responsable des enseignements en hydrologie-hydrogéologie dans le même établissement, et de M. Jean-Luc Boudenne, professeur à l'université d'Aix-Marseille.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Pauline Rousseau-Gueutin, M. Vincent Bessonneau et M. Jean-Luc Boudenne prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille à la suite de certaines révélations par la presse. La commission vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

La présente audition, diffusée en direct sur le site internet du Sénat, nous permet d'entamer une nouvelle thématique essentielle à notre commission d'enquête : la pollution des sols et des nappes phréatiques, étant entendu que nous nous intéressons principalement aux eaux souterraines. Après les effets du changement climatique sur la ressource en eau, que nous avons explorés lors de plusieurs auditions, il nous semblait important d'étudier les risques de pollution.

Pensez-vous que la qualité des eaux souterraines se dégrade ? Dans l'affirmative, quelles en sont selon vous les causes ? Quelles sources de pollution des eaux souterraines identifiez-vous et quelles préconisations formulez-vous afin d'y remédier ? S'agit-il de pollutions chroniques ou de pollutions plus ponctuelles, voire accidentelles ? Du fait du périmètre de protection, les sources d'eau minérale ou les sources d'eau exploitées à des fins de conditionnement ne sont-elles pas moins exposées aux pollutions que d'autres eaux souterraines ? Quels études ou travaux avez-vous menés sur la présence de microplastiques, de produits phytosanitaires ou de polluants émergents dans les eaux que nous consommons ? Enfin, quels pourraient être les outils de politiques publiques propres à endiguer ces risques de pollution ?

Vous nous exposerez votre travail et nous ferez part de vos réflexions dans une présentation liminaire, que suivra un temps de questions-réponses.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin, responsable des enseignements en hydrologie-hydrogéologie à l'École des hautes études en santé publique (EHESP). - À votre première interrogation, je répondrai que l'on observe effectivement une dégradation globale de la qualité des eaux souterraines comme celle des milieux naturels. Les causes en sont multiples.

Des pollutions d'origine principalement anthropique atteignent ces eaux souterraines, dont la vulnérabilité varie fortement en fonction de leur milieu hydrogéologique. Les milieux calciques, qui se développent dans des carbonates, sont par exemple particulièrement vulnérables à ce type de contaminations, à l'inverse de systèmes aquifères plus profonds et recouverts par des roches moins perméables qui les protègent.

Les pollutions accidentelles font en France l'objet de textes normatifs qui permettent d'en limiter la fréquence. Ces textes sont notamment relatifs aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).

Parmi les pollutions chroniques, je m'intéresse plus spécifiquement aux pollutions diffuses, celles qui touchent un large territoire et dont, contrairement aux pollutions ponctuelles, nous n'identifions pas clairement l'origine.

Selon qu'ils concernent les eaux souterraines destinées à la consommation humaine (EDCH) ou celles exploitées pour un usage spécifique d'eaux minérales, les périmètres de protection diffèrent. Dans les deux cas cependant, l'objectif est principalement de protéger les eaux contre les pollutions ponctuelles et ce ne sont pas des outils que l'on utilise contre les pollutions diffuses.

Outre le milieu hydrogéologique, l'exploitation des gisements joue sur la vulnérabilité des ressources. L'exploitation par pompage d'une nappe d'eau souterraine entraîne en effet un cône de rabattement qui, lui-même, provoque des flux verticaux dits de drainance, lesquels peuvent être descendants, de la nappe superficielle vers les nappes profondes, et occasionner des contaminations de ces dernières. Si les phénomènes de drainance sont naturels entre différents aquifères, le développement de cônes de rabattement est susceptible de les exacerber.

Peut-être convient-il d'aborder plus tard dans le cours de cette audition la question des outils de politiques publiques.

M. Vincent Bessonneau, directeur du laboratoire d'étude et de recherche en environnement et santé à l'EHESP. - Le laboratoire que je dirige, le Leres, exerce une double mission de service public. Il est chargé, d'une part, du contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation du département d'Ille-et-Vilaine, d'autre part, de mettre au service de la communauté scientifique une plateforme analytique pour la mesure des contaminants chimiques et microbiologiques présents tant dans l'environnement qu'au sein de la population humaine, via des mesures d'imprégnation.

Le laboratoire bénéficie de l'accréditation du Comité français d'accréditation (Cofrac), notamment pour la réalisation de mesures de contaminants dans les eaux. Il est un laboratoire de la zone de défense Grand Ouest dans le réseau de laboratoires Biotox-Eaux, disponibles pour des astreintes 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et dont l'action est coordonnée par le laboratoire d'hydrologie de Nancy, un établissement de référence de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Son coeur de métier réside dans le développement de méthodes multi-résidus : nous mesurons, en particulier à partir d'échantillons d'eau, un certain nombre de substances chimiques afin de quantifier la contamination des différents environnements et de respecter les normes définies par le contrôle sanitaire, celles de l'arrêté du 22 octobre 2013 pour ce qui concerne les eaux conditionnées et les eaux minérales naturelles.

La passation d'un marché avec l'agence régionale de santé (ARS) de Bretagne nous permet d'en être pendant quatre ans le laboratoire agréé pour tout ce qui a trait aux mesures du contrôle sanitaire de son ressort.

Pour la partie recherche, nous développons de nouvelles méthodes qui s'intéressent aux polluants émergents, et spécialement aux polluants émergents organiques tels que les sous-produits de chloration, les pesticides, les résidus vétérinaires et, plus récemment, les substances perfluorées, plus connus sous le nom de PFAS - des polluants éternels.

Nos travaux évaluent le niveau de contamination globale de l'environnement, en quantifiant et en développant des données objectives sur cette contamination, pour ensuite alimenter des études épidémiologiques ou toxicologiques sur les effets potentiels sur la santé humaine et permettre le déploiement de politiques publiques visant à protéger la population humaine contre ces risques chimiques.

En ce qui concerne les eaux embouteillées, l'Ille-et-Vilaine compte peu de sources. Ce que je comprends de la réglementation et du contrôle sanitaire en la matière, c'est que des prélèvements sont à effectuer, dont le nombre est défini en fonction du volume d'eau produit par les embouteilleurs et les minéraliers, et en lien avec l'ARS qui en établit le plan. Ces prélèvements consistent à mesurer la présence de substances qui entrent dans le cadre de la réglementation, au même titre que pour les eaux potables classiques.

Nous constatons, au cours des dernières années, la découverte de nouvelles familles de substances chimiques dans l'eau de consommation, et notamment de composés organiques. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur les conséquences du changement climatique quant à la qualité de cette eau. Des événements climatiques extrêmes, fortes pluies et crues, peuvent induire une contamination microbiologique de la ressource par l'effet du ruissellement. Les épisodes de sécheresse, de plus en plus prégnants et fréquents, peuvent quant à eux s'accompagner de phénomènes de concentration des polluants, avec un risque de dépassement des valeurs toxicologiques de référence (VTR) et de non-conformité des eaux embouteillées.

Notre compétence consiste donc d'abord à réaliser des mesures et à accompagner nos partenaires. Au niveau national, il s'agit de collaborations-cadres avec Santé publique France et l'Anses sur le volet recherche et développement, avec la mise au point de méthodes permettant des mesures précises, que ce soit localement sur un territoire ou à une échelle nationale pour de grands programmes. Enfin, nous accompagnons les chercheurs qui entendent documenter les niveaux d'exposition de la population humaine à certaines substances.

M. Jean-Luc Boudenne, professeur des universités à l'université d'Aix-Marseille. - J'ai participé au groupe de travail sur les eaux minérales naturelles, dont le rapport a été remis en mai 2008 pour le compte de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Celle-ci, devenue ultérieurement l'Anses, est intervenue jusqu'en 2007 pour autoriser l'exploitation des ressources en eau minérale naturelle et elle souhaitait, avant de perdre cette prérogative, éditer un guide à l'usage des instances départementales qui lui succédaient dans la délivrance des autorisations de captage.

Dès cette époque, des questions se posaient sur la stabilité et la qualité des ressources. Nous évoquions plusieurs scénarios et abordions déjà les conséquences du réchauffement climatique sur les nappes phréatiques. Un autre effet dont nous traitions tenait au pompage, avec la surexploitation de ces nappes. Nous constations des cas où les pompages étaient tellement importants, en s'étendant à d'autres nappes souterraines, voire à des nappes alluviales ou à des cours d'eau, que l'on ne pouvait plus dire qu'ils concernaient une ressource d'origine et une eau minérale naturelle. Le réchauffement climatique risque de renforcer le recours à ces ressources qui ne correspondent plus à la ressource de départ.

Quant à la protection des captages, je ne sais pas si les périmètres qui ont été accordés à des ressources en eau minérale parfois très anciennes l'ont été sans limite temporelle, ce qui ne serait guère souhaitable, ou s'ils font objet de renouvellements en fonction de l'évolution du climat ou d'autres facteurs. Lors de l'élaboration de notre rapport, nous avions observé une contamination d'origine clairement humaine de certaines eaux minérales et j'en retirais l'impression que les périmètres de protection qui les concernaient n'étaient plus suffisamment étendus pour en protéger la ressource.

En tant qu'enseignant-chercheur en chimie analytique de l'environnement, mon domaine de recherche est complémentaire à celui du Leres, parce qu'en plus de nous intéresser aux molécules réglementées ou émergentes, nous étudions la formation des sous-produits, les voies de biodégradation, les voies de photolyse de ces composés, puisque les toxicologues montrent souvent que les sous-produits sont parfois plus toxiques que les molécules initiales. Dans notre laboratoire, plusieurs personnes travaillent sur les PFAS, les pesticides, les composés pharmaceutiques, et également tous les composés métalliques, qu'ils soient d'origine naturelle ou anthropique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour votre présence. En auditionnant les responsables du BRGM, nous avons eu l'impression qu'ils avaient une vision quantitative précise, utile puisqu'elle est mobilisée dans le cadre des arrêtés de sécheresse et qu'elle permet une gestion de la rareté - mais qu'en revanche, ils n'avaient qu'une vision imprécise des questions qualitatives, qu'ils avaient une sorte de méconnaissance sur un certain nombre de sujets. Qu'en pensez-vous ? Savez-vous s'il y a, en particulier, une cartographie des zones vulnérables ?

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - En hydrogéologie, on distingue deux types de vulnérabilités d'une ressource : la vulnérabilité intrinsèque, qui est propre au milieu géologique que l'on étudie - et l'on dispose de connaissances plus ou moins éparses en fonction des territoires, certains étant très bien connus, tandis que d'autres, qui présentent une hydrogéologie plus complexe, sont plus compliqués à connaître ; ensuite, nous examinons les pressions d'occupation du sol pour évaluer une vulnérabilité complète. Ainsi, on peut avoir une ressource très vulnérable intrinsèquement, mais qui se situe sous une forêt, qui la protège ; à l'inverse, des nappes peuvent être intrinsèquement peu vulnérables, mais le devenir du fait d'activités anthropiques qui mettent une forte pression avec des sources de contamination importantes.

Nous disposons de nombreuses données quantitatives, mais aussi de données qualitatives. Le BRGM a mené de grandes campagnes de recherche de contaminants et dispose de suivis de qualité sur certaines de ses stations. Il s'agit de suivis de qualité concernant des paramètres tels que les nitrates, la température, la conductivité, qui peuvent être suivis en continu dans des captages facilement.

M. Vincent Bessonneau. - Il y a de grandes campagnes nationales réalisées notamment par l'Anses, pour établir l'état des lieux des eaux de surface et les eaux souterraines, donc bien au-delà des eaux minérales, des campagnes qui sont consacrées à une famille de substances chimiques - par exemple sur les PFAS en 2015, et une nouvelle campagne est d'ailleurs en préparation. Ces grandes campagnes sont très parcellaires et ponctuelles, elles sont conduites de temps en temps, quand il y a une inquiétude particulière sur des substances.

Il faut savoir aussi que la mesure de la température ou du pH est simple et peu onéreuse, donc plus facile à déployer largement sur un territoire que la recherche de micropolluants organiques, qui demande beaucoup plus d'analyse et de logistique, et qui est donc beaucoup plus coûteuse à déployer à l'échelle nationale.

M. Jean-Luc Boudenne. - Je confirme ce qui a été dit. Ce qui est fait à l'échelle nationale dans les eaux souterraines se base sur des anciennes grilles, celles du système d'évaluation de la qualité des eaux (SEQ-Eau), qui a été remplacé par les normes de qualité environnementale (NQE) - mais je ne sais pas si la grille du suivi national a évolué. En réalité, nous suivons des paramètres très classiques et sommes loin de suivre des polluants émergents, organiques ou métalliques, nous ne couvrons pas tous les aspects. Il y a donc des démarches de progression importantes à mettre en oeuvre.

Les eaux minérales naturelles n'ont pas la même réglementation que les eaux potables, les EDCH : pour la protection de la ressource, les règles de protection ne sont pas les mêmes. Pour l'EDCH, on établit un périmètre de protection, mais on s'intéresse aussi à l'aire d'alimentation du captage, ce qui n'est pas le cas pour les eaux minérales naturelles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La réglementation est plus limitée sur les eaux minérales naturelles, que sur les eaux de consommation humaine, l'eau du robinet ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Oui. En ce qui concerne la protection du captage, la réglementation actuelle est satisfaisante. Elle est très bien élaborée pour les eaux potables et des progrès ont été réalisés pour les eaux minérales, avec des normes qui se rapprochent de celles de l'eau potable, même si ce n'est pas sur tous les paramètres. Cependant, en ce qui concerne la protection du captage, il y a un certain retard, qui est également dû à des raisons historiques. Les eaux minérales ont une longue histoire en France.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que chacun d'entre vous partage ce constat ?

M. Vincent Bessonneau. - Je n'ai pas d'expertise sur ce point.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Effectivement, la réglementation est beaucoup plus stricte pour les périmètres de protection des captages d'EDCH, puisqu'au-delà du périmètre de protection immédiate - très restreint, qui vise à protéger physiquement le captage contre toute malveillance ou dégradation, l'équivalent du périmètre sanitaire d'émergence -, nous avons la possibilité, sur un deuxième périmètre plus large, dit périmètre de protection rapprochée, d'interdire des activités. Pour cela, l'ARS consulte un hydrogéologue agréé qui rend un avis, trace les périmètres et indique, en fonction de la vulnérabilité de la ressource et de l'occupation du sol, quelles activités sont interdites ou encadrées, avec des règles précises.

Les eaux minérales naturelles, elles, font l'objet d'une déclaration d'intérêt public, pas d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Initialement, ces déclarations d'intérêt public avaient pour fonction de protéger les minéraliers contre des captages concurrents, c'était une protection quantitative et non qualitative. En fait, cette réglementation est moins contraignante parce que si elle devait l'être autant que celle de l'utilité publique, elle donnerait à une personne privée un pouvoir sur la propriété d'autres personnes privées, elle empêcherait d'autres particuliers d'avoir une pleine possession de leur terrain. C'est pour cela que la réglementation est plus légère sur les eaux minérales que sur les EDCH qui sont déclarées d'utilité publique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Existe-t-il une présomption de qualité de ces eaux en raison de leur caractère souterrain ? Aurait-elle pu jouer un rôle ?

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Cela a pu jouer, mais des forages sont utilisés pour l'exploration et la production de combustibles fossiles qui sont tout aussi bien protégés, mais il y a alors un plan de prévention des risques, ce n'est pas le cas pour l'eau.

Dans l'aire d'alimentation de captage, les périmètres de protection rapprochés visent à prévenir les pollutions accidentelles et ponctuelles, pas les pollutions diffuses. Ces pollutions diffuses peuvent être recherchées dans l'aire d'alimentation de captage, mais sa définition n'est pas obligatoire pour tous les captages. Pour l'instant, elle fait l'objet d'une phase de volontariat de trois ans et peut devenir obligatoire si la qualité de l'eau ne s'améliore pas, concernant 1 000 captages sur les 33 000 captages existant en France. Cela concerne en premier lieu les captages les plus vulnérables aux pollutions diffuses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Plusieurs éléments participent à la pollution des nappes, notamment les activités humaines au sol, et vous avez également évoqué la question de la surexploitation.

Sommes-nous capables de mesurer cette surexploitation ? Si vous connaissez une nappe par sa forme et son volume, et la quantité prélevée par un minéralier, êtes-vous capable de dire si cette nappe est en surexploitation ? Est-ce que cette donnée est pilotée ? Les arrêtés comportent-ils des quantités maximales déployées ? Sur quelle base ?

Sur un site des minéraliers que nous étudions, nous constatons que la mondialisation du marché a entraîné des augmentations considérables des quantités prélevées. Si vous pensez que la nature des sols a des effets sur la qualité, quelles sont les orientations de la recherche à ce sujet ? Quels sont les résultats obtenus ? Sommes-nous capables d'évaluer cette question ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Il y a nécessairement des effets si l'on pompe trop, mais ma collègue hydrogéologue en parlera mieux que moi. Nous l'avions constaté dans notre étude en 2008 qu'un minéralier pompait tellement qu'il y avait eu un appel d'eau, de nappes à proximité, et puis après un moment c'était la nappe alluviale qui venait alimenter le bassin d'alimentation en eau potable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Où était-ce ? Pourriez-vous nous communiquer des informations précises sur ce cas ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Je retrouverai ces informations. Quand il y a surexploitation, les hydrogéologues nous disent qu'il y a un rabattement des nappes, c'est le mécanisme. Ce que je critique, c'est le principe d'un accord sans limite temporelle délivré au minéralier. L'arrêté préfectoral fixe un débit maximum, peut-être faudrait-il le revoir, à l'aune du réchauffement climatique, à intervalles réguliers - des niveaux de prélèvements ont été accordés il y a des décennies, la nappe a pu beaucoup évoluer depuis, il me paraît normal de revoir régulièrement les niveaux de prélèvement.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - La surexploitation des nappes est un problème complexe. Estimer un volume d'eau de manière précise dans un système aquifère est une tâche difficile. Nos outils de modélisation comportent toujours une certaine incertitude. Cependant, nous parvenons à obtenir des résultats, et le schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) a la mission d'évaluer la quantité disponible d'eau dans la ressource et d'éviter ces surexploitations.

Nous pouvons donc estimer la quantité d'eau disponible, avec une marge d'incertitude. Quand une nappe est surexploitée, il est rare que le minéralier soit le seul à prendre de l'eau dans cette nappe. En réalité, il y a souvent un conflit d'usage, les minéraliers ne font qu'y participer, ils ne sont pas seuls responsables de la surexploitation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelles seraient vos préconisations réglementaires pour mieux protéger la ressource en eau minérale naturelle, donc ne pas la surexploiter - puisque si une ressource est protégée et non polluée, il n'y a pas besoin de jouer avec les catégories d'appellation d'eau ?

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Vous paraissez dire que si les ressources étaient bien protégées, il n'y aurait pas de problème de contamination. Cela dépend des sols, de leur composition. Les ressources karstiques, par exemple, posent problème, même lorsqu'elles sont protégées et que des périmètres de protection sont créés. Nous constatons presque systématiquement des problèmes de turbidité ou de contamination, car nous sommes dans des systèmes où l'eau s'engouffre. De plus, avec les changements climatiques et les phénomènes extrêmes, nous avons encore plus d'eau qui s'engouffre à certains moments, ce qui entraîne des bouffées de contamination.

Pour ce qui est de la réglementation, je pense que les périmètres de protection pourraient être étendus et renforcés. En réalité, les déclarations d'intérêt public ne sont pas très contraignantes, mais le raisonnement vaut aussi pour les EDCH, il faudrait aussi étendre et renforcer leurs périmètres de protection, une grande partie de la population française boit de l'eau du robinet et mériterait d'être mieux protégée. Les aires d'alimentation de captage sont des outils intéressants, mais il y a beaucoup de choses à changer dans notre système et notre société pour qu'ils soient véritablement efficaces.

M. Vincent Bessonneau. - La protection des ressources constitue l'enjeu majeur, aussi bien pour les eaux minérales que pour les eaux potables. Les traitements n'ont pas une capacité infinie et si l'on ne protège pas la ressource, l'eau potable sera trop chère et sa production demandera trop d'énergie, puisqu'elle implique de recourir à la nanofiltration, à l'osmose inverse - cela représente un coût non négligeable pour la société.

Ensuite, l'une des solutions consiste à limiter les activités anthropiques qui contaminent la ressource. Cela dépend fortement du territoire et des activités qui y sont exercées. Comment limiter, en particulier, la contamination aux pesticides ? L'épandage constitue un polluant éternel, on constate une contamination globale, nationale, voire européenne, extrêmement importante. Je suis convaincu que la protection de la ressource en eau reste l'enjeu majeur aujourd'hui.

M. Olivier Jacquin. - Les fermetures de captage qui surviennent régulièrement dans notre pays sont-elles documentées, au moins sur la cause de fermeture ? L'agriculture biologique est-elle une solution de protection intéressante et les périmètres de protection rapprochés sont-ils pertinents ?

M. Jean-Luc Boudenne. - L'Anses est informée quand une commune ferme un captage parce qu'elle demande alors l'autorisation d'ouvrir un autre captage, et l'on peut voir alors la cause de fermeture - mais cette information n'est pas publique et elle est liée à la demande de nouveau captage.

L'agriculture biologique est un sujet de débat. Elle autorise par exemple l'usage du cuivre, à des doses certes faibles, mais ce n'est pas bon pour l'ingestion.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Les rapports annuels de la Direction générale de la santé (DGS) comportent aussi des informations sur les fermetures de captages, avec leur motif, souvent lié à des problèmes microbiologiques ou chimiques, notamment liés à l'utilisation de pesticides ; cette information ne dit pas, cependant, quelles molécules précises sont en cause, nous n'avons pas d'information à ce niveau de détail.

S'agissant de l'agriculture biologique, il faut regarder chaque cas individuellement, il est difficile de répondre de manière générale.

M. Vincent Bessonneau. - Je reviens à votre question sur l'information du public sur la qualité des eaux embouteillées. Les résultats du contrôle sanitaire des eaux potables sont publics et disponibles en mairie, avec la quantité de chaque élément mesuré ; ce n'est pas le cas pour les eaux embouteillées, les résultats de leur contrôle sanitaire ne sont pas rendus publics.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous paraissez peu optimistes sur l'évolution de la qualité des nappes. Quels sont, à votre avis, les éléments qui menacent le plus la qualité des eaux minérales naturelles ? En Bretagne, on parle beaucoup des nitrates, mais il y a aussi les microplastiques, les médicaments, etc. Au vu des évolutions que vous anticipez, l'appellation « eau minérale naturelle » aura-t-elle encore un sens d'ici 10 ans, 20 ans, 30 ans ?

M. Jean-Luc Boudenne. - L'expression devrait avoir beaucoup moins de sens pour les quelque 58 eaux minérales exploitées actuellement en France - sur les 70 qui sont autorisées. Il y a des ressources profondes qui ne sont pas encore trop touchées, mais une forte proportion ne devrait plus être considérée comme telle dans les années futures. En fait, celles qui sont déjà traitées ne devraient plus avoir le titre d'eau minérale naturelle. Je crois qu'une bonne partie des eaux minérales naturelles vont perdre leur titre, à cause soit de la surexploitation, soit du réchauffement climatique, soit des deux. Le réchauffement climatique va entraîner plus de pollution anthropique. Je suis pessimiste sur le nombre d'eaux qui pourront encore avoir le titre de minérales naturelles - resteront celles qui viennent de nappes profondes sous un sol non karstique, donc bien protégées géologiquement.

M. Vincent Bessonneau. - On mesure un grand nombre de paramètres dans l'eau, qu'elle soit potable ou minérale et on en vient à s'interroger sur la qualité de l'eau potable. Mais il faut bien voir que l'eau est l'un des environnements que l'on mesure et contrôle le plus. On pourrait améliorer nos pratiques, peut-être modifier le plan de prélèvement et de contrôle sanitaire pour tenir compte des événements climatiques extrêmes, avec des mesures plus rapprochées après un événement climatique important pour vérifier ses effets et s'assurer d'un retour à la normale. Il est important de se rappeler que l'eau, comme l'air, est un bien commun qu'il faut protéger au maximum. Cependant, plus on utilise de produits manufacturés dans la vie de tous les jours, plus l'impact sur l'environnement est important : c'est de la consommation, en réalité, dont on débat ici aussi.

M. Laurent Burgoa, président. - Quels seraient, selon vous, les meilleurs outils de politique publique pour endiguer les risques de pollution ?

M. Vincent Bessonneau. - Il serait utile de voir comment harmoniser le contrôle sanitaire des eaux potables et des eaux embouteillées, harmoniser le nombre de prélèvements et de contrôles. Mais il faut tenir compte des événements climatiques extrêmes. En période de sécheresse intense, on aura une concentration des polluants puisqu'il y a moins d'eau. Il faudra alors prendre des mesures ciblées, qui n'auraient pas à être généralisées sur le territoire national, les contrôles et les mesures de correction pourraient être définies en fonction de l'hydrogéologie dynamique du territoire.

Laurent Burgoa, président. - Votre laboratoire, Monsieur Bessonneau, est agréé par l'ARS Bretagne, vous avez obtenu un marché pour l'expertise que vous lui délivrez ; des questions de déontologie se posent-elles, si un industriel vous demande aussi des expertises ? L'appel d'offres de l'ARS comporte-t-il des clauses contre d'éventuels conflits d'intérêts dans le secteur que vous devez contrôler ?

M. Vincent Bessonneau. - Oui, nous avons des clients privés, des particuliers plutôt que des industriels, en particulier ceux qui ont des puits, nous expertisons leur eau, c'est un service que nous facturons.

L'ARS établit un planning de prélèvement pour l'EDCH sur l'ensemble du territoire. Nos techniciens se déplacent sur le terrain, ils prélèvent aux points de prélèvement définis, notre laboratoire mesure les paramètres définis dans le marché avec l'ARS et nous transmettons ces résultats à l'Agence, à laquelle il appartient d'agir, en fonction des résultats. Ce marché passé avec l'ARS ne comporte pas de clause qui nous empêcherait de travailler avec d'autres acteurs. Si des industriels nous demandent d'effectuer des mesures de certains types de micropolluants non inclus dans la réglementation, nous serons ravis de les accompagner pour mieux comprendre la qualité de leur eau. Cela ne pose aucun problème.

En tant que laboratoire public, plateforme technologique, de recherche et développement, nous pouvons accompagner l'ARS sur des mesures complémentaires. C'est ce que nous avons fait sur les PFAS, par exemple, en amont de la réglementation prévue pour l'an prochain. Nous développons une méthode qui mesure plus de 40 substances et nous aurons des informations qui iront au-delà de celles que demande la réglementation. Nous travaillons aussi avec l'ARS sur des dossiers particuliers, c'est ce que nous avons fait avec les métabolites du chlorothalonil, par exemple, l'ARS en avait besoin, mais très peu de laboratoires étaient compétents pour le faire, donc nous avons travaillé ensemble sur la méthode elle-même.

Nous développons aussi des analyses non ciblées, qui sont des mesures qualitatives, un peu comme cela existe pour contrôler le dopage dans le sport. Sur un échantillon d'eau, nous mesurons l'ensemble des molécules pour regarder quels types de polluants sont présents. Cela ne donne pas une information sur la concentration, mais sur l'occurrence des molécules chimiques. C'est important de le faire, d'aller au-delà de la mesure de nos cibles réglementaires - sur les PFAS, par exemple, la réglementation demandera de mesurer 20 molécules, mais nous savons qu'il y a plus de 4 500 molécules chimiques... Ces analyses non ciblées donnent un complément d'information sur la présence d'autres molécules qui ne sont pas encore réglementées, mais qui pourraient être intéressantes à suivre, car elles sont fréquemment détectées dans les ressources et pourraient avoir un effet sur la santé.

Mme Marie-Lise Housseau. - L'analyse de l'eau potable est rendue publique, pas celle de l'eau embouteillée. Y aurait-il un avantage à demander aux industriels de l'eau en bouteille de rendre leurs analyses publiques, par exemple sur leur site internet, et de le faire avec la même régularité que celle qui prévaut dans le circuit de l'eau potable ?

M. Vincent Bessonneau. - Cela apporterait de la transparence sur la qualité de l'eau qui est produite et vendue aux consommateurs, donc participerait à la confiance de ces derniers.

M. Jean-Luc Boudenne. - Il y a plusieurs aspects à considérer. Le consommateur se fie à l'étiquette de la bouteille d'eau minérale. L'eau minérale naturelle est définie d'abord par la stabilité chimique et physico-chimique de l'eau et par l'absence de pollution microbiologique, l'étiquette garantit une composition spécifique. L'étiquette n'indique évidemment pas que l'eau « contient des pesticides » ou « contient des résidus de médicaments », elle présente au consommateur uniquement les concentrations majeures. Le bilan de l'eau potable ne présente pas beaucoup plus d'informations : on y trouve les éléments majeurs, avec la mention « conforme » ou « non conforme », on pourrait aller plus loin.

Le problème est que les paramètres de qualité définis pour les eaux minérales naturelles sont limités, les paramètres chimiques et microbiologiques sont très restreints, peut-être une trentaine, alors que la liste des paramètres pour l'eau potable s'allonge régulièrement.

Il y a une contradiction entre eau minérale naturelle et santé du consommateur, qu'il faudra bien trancher. Pour le dire crûment, est-ce la santé du consommateur ou la tromperie du consommateur qui doit primer ? Lorsqu'il achète une eau minérale naturelle, le consommateur pense qu'elle est meilleure que l'eau du robinet. Cela peut être vrai, mais cela peut aussi être faux. Le producteur d'eau minérale se dit : si mon eau contient des micro-organismes, elle n'est plus une eau minérale. Mais il ne le dit pas. Il préfère dire : je ne vais pas vendre une eau avec des micro-organismes, donc je vais la traiter - c'est l'intérêt du consommateur, de sa santé, mais alors on ne devrait plus parler d'une eau minérale naturelle, et le consommateur est trompé, il achète une eau potable, mais pas « minérale naturelle ».

Faut-il trancher, et comment ? C'est à vous d'en décider. Qui doit intervenir, entre la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou la Direction générale de la Santé (DGS) ? Il faut trancher. Est-ce qu'on réserve vraiment les termes « minérale naturelle » aux eaux qui respectent tous les critères ? Il en restera peu... Ou bien, donne-t-on une nouvelle appellation pour ces eaux, par exemple « eau de source » ? Mais il faudra quand même indiquer s'il y a un traitement, puisqu'elle doit être microbiologiquement saine...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il serait intéressant d'avoir les listes de critères contrôlés, selon qu'on parle d'eau minérale naturelle ou d'eau potable. Dans les deux cas, l'eau est consommée, donc il y a un enjeu sanitaire ; cependant, il y a une présomption positive vis-à-vis des eaux minérales naturelles, alors qu'elles ne sont pas soumises à la même réglementation que l'eau du robinet. Êtes-vous d'accord avec cela ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Oui, et sur certains paramètres communs, les seuils de qualité ne sont pas les mêmes - par exemple sur le fluor ou l'arsenic.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Il faut se rapporter à l'histoire des eaux minérales. Elles n'étaient vendues qu'en pharmacie jusqu'à une certaine époque : à l'origine, ce sont des eaux médicinales, qui sont prescrites parce qu'elles contiennent tel ou tel élément dont l'effet est bénéfique contre certaines maladies - et c'est pourquoi la réglementation évolue très lentement, il a fallu attendre 2007, je crois, pour inclure des paramètres chimiques dans le contrôle de ces eaux. Et si on leur applique la liste de l'EDCH, on considère que le minéralier doit pouvoir traiter l'eau minérale naturelle comme l'eau du robinet. On tourne en rond, tant qu'on ne répond pas à cette question : l'expression « eau minérale naturelle » peut-elle être utilisée pour des eaux traitées ?

J'ai un tableau comparatif de la réglementation sur l'eau potable et les eaux minérales, avec les paramètres de contrôle et leurs seuils, je pourrai vous le communiquer.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous dites qu'il y a d'un côté les eaux traitées et de l'autre les eaux minérales naturelles. Aujourd'hui, Maison Perrier, par exemple, produit des eaux de boisson qui sont déclassées, qui ne sont plus des eaux minérales naturelles. La réglementation qui s'applique à ces eaux est-elle celle de l'eau potable, ou bien celle des eaux minérales ? Les eaux rendues potables par traitement sont-elles soumises à la même réglementation ?

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - S'il y a un traitement, alors c'est la réglementation de l'eau potable qui s'applique.

M. Jean-Luc Boudenne. - Ce qui signifie que les minéraliers peuvent faire alors ce qu'ils veulent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'est-ce à dire ? La surveillance est alors la même que pour l'eau du robinet ?

M. Jean-Luc Boudenne. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cet arbitrage à faire entre la dénomination et la santé au coeur de notre réflexion. Nous constatons que des industriels, pour garder l'appellation d'eau minérale naturelle, ont mis en place des pratiques pouvant entraîner des risques sanitaires, alors que le traitement les éviterait, mais ils évitent le traitement pour garder l'appellation. La question est donc de savoir si, dans ce cas-là, on devrait déclasser l'eau, ne plus la considérer comme une eau minérale naturelle, un peu comme le fait Maison Perrier. L'enjeu pour les industriels, c'est la valeur : le prix n'est pas le même selon le signal au consommateur. Mais il faut bien marquer la limite, entre d'un côté des eaux qui sont minérales naturelles parce que non traitées, et les autres.

Mme Pauline Rousseau-Gueutin. - Nous n'avons parlé que de microbiologie, mais il y a aussi la virologie. Les virus se trouvent naturellement dans les eaux souterraines et, bien qu'ils ne soient pas nécessairement pathogènes, nous avons trouvé des virus aussi dans des eaux souterraines profondes. Si nous ajoutons les virus aux paramètres de recherche de contamination microbiologique, il faut faire attention au type de virus recherché et à leurs indicateurs. Car si nous recherchons des indicateurs environnementaux, nous allons en retrouver ; en revanche, si nous recherchons des virus d'origine fécale, nous n'en trouverons pas. Les virus suscitent beaucoup de questions, ils sont si petits qu'ils passent à travers les aquifères, alors que les bactéries sont pour la plupart filtrées mécaniquement avant d'atteindre les nappes.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour votre participation.

Audition de M. Benoît Vallet, directeur général de l'Agence nationale
de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), de Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle
« Sciences pour l'expertise » de l'Anses et de Mme Sophie Lardy-Fontan, directrice du laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN)
(Mardi 21 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons nos auditions sur le chapitre dédié au dispositif de contrôle et de surveillance des eaux conditionnées - je vous remercie pour votre présence Monsieur Benoit Vallet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et Madame Sophie Lardy-Fontan, directrice du laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN), ainsi que Monsieur Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle « Sciences pour l'expertise » de l'Anses.

Avant toute chose, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Benoit Vallet et Matthieu Schuler et Mme Sophie Lardy-Fontan, prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, ensuite, de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

M. Benoît Vallet, directeur général de l'Anses. - Je n'en ai pas, Monsieur le président.

Matthieu Schuler directeur général délégué du pôle « Sciences pour l'expertise » de l'Anses. - Moi non plus.

Mme Sophie Lardy-Fontan, directrice du LHN. - Moi non plus.

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat.

Monsieur Vallet, en tant que directeur général de l'Anses, vous êtes au coeur des enjeux sanitaires et environnementaux qui intéressent notre commission d'enquête. Quel est le rôle de l'Anses concernant les eaux conditionnées ? Comment la doctrine administrative sur la microfiltration des eaux minérales naturelles a-t-elle évolué et quelle est aujourd'hui la position de l'Anses sur cette question ? Pourquoi notre droit ne définit-il pas de seuil précis de microfiltration ? N'est-ce pas inconfortable pour les autorités de contrôles ? Comment interprétez-vous ce manque de clarté de la part des autorités ?

Quel est le cadre de surveillance des eaux conditionnées, quels sont les paramètres habituellement surveillés et comment les laboratoires interviennent-ils ? Si les paramètres virologiques n'en font pas partie, cela signifie-t-il pour autant que nous encourons des risques de contaminations virologiques ?

Merci de nous éclairer sur ces éléments techniques et scientifiques, qui ont justifié la recommandation par l'Anses d'un plan de surveillance renforcée sur les eaux exploitées par Nestlé Waters en octobre 2023. Que recouvrait concrètement ce « plan de surveillance renforcé » ?

M. Benoît Vallet. - Merci de l'attention que vous portez à l'Anses dans ce dossier relatif aux eaux minérales naturelles.

Nous sommes avec Sophie Lardy-Fontan, directrice du laboratoire d'hydrologie de Nancy, qui est le laboratoire national de référence pour le suivi de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, mais pas seulement - il s'agit aussi des eaux de loisirs -, et la référence également d'évaluations sur l'innocuité du matériel utilisé à des fins de production ou de traitement et de distribution de l'eau. Elle mène des recherches dans le domaine qui nous intéresse, mais aussi dans le domaine des eaux usées, puisque le suivi épidémiologique d'un certain nombre de pathogènes se fait à partir des stations d'épuration, en lien avec Santé publique France, qui traduit les éléments observés en matière de contamination en épidémiologie.

L'Anses fait de l'expertise scientifique et c'est à ce titre que nous avons été sollicités par la direction générale de la santé (DGS) dès novembre 2022 sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui. L'Agence produit de la recherche, elle finance de la recherche et elle assure, d'une manière globale, des missions de sécurité sanitaire. L'Agence n'élabore pas de normes, sauf pour les laboratoires : à ce titre, elle définit le cadre de qualité des laboratoires d'analyse de l'eau. Les avis de l'Anses doivent donc être traduits en normes par le pouvoir réglementaire ou législatif ; dans les faits, ils servent souvent de références sur les dossiers de sécurité sanitaire.

Dans le domaine de la sécurité des eaux, nous nous intéressons aux eaux de consommation humaine - l'eau du robinet - et aux eaux conditionnées, les eaux de source et les eaux minérales naturelles, qui relèvent de règles différentes. Nous pouvons être sollicités pour contrôler la qualité des eaux conditionnées, voire évaluer leurs processus de contrôle, mais nous ne sommes pas nous-mêmes un organisme de contrôle. Nous sommes impliqués dans le suivi des eaux utilisées dans la chaîne alimentaire, les eaux d'abreuvement pour les animaux d'élevage, ainsi que les eaux utilisées dans les entreprises du secteur alimentaire, soit comme ingrédient, soit pour nettoyer les aliments. Dans ce cadre, nous sommes sollicités sur les éléments de réutilisation des eaux usées, en particulier dans la chaîne alimentaire ; notre expertise est sollicitée, nous travaillons sur des documents existants, des résultats et des preuves scientifiques, sans effectuer nous-mêmes de contrôles. Nous intervenons également sur les eaux de loisirs, de baignade et les eaux de piscine.

Dans ce cadre, l'Agence a pour mission d'évaluer les risques sanitaires pour l'homme liés à la présence de micro-organismes - de différents types, que ce soit des protozoaires, des bactéries, des virus et un certain nombre d'autres contaminants bactériologiques, mais aussi les contaminants chimiques. L'un de nos laboratoires, à Boulogne-sur-Mer, travaille sur la présence des microplastiques, en particulier dans les eaux embouteillées - je crois que vous avez prévu prochainement une audition de Guillaume Duflos, son responsable. Nous évaluons l'innocuité et l'efficacité des produits et procédés de traitement pour savoir quel type de conséquences cela peut avoir sur la consommation humaine ou sur les eaux de baignade. Et nous regardons aussi l'innocuité des matériaux et des objets utilisés dans les installations. Depuis le 1er mars 2021, nous avons des missions relatives à la délivrance, à la modification et au retrait de l'agrément des laboratoires chargés de la réalisation de prélèvements et d'analyses du contrôle sanitaire des eaux.

Pour les eaux conditionnées plus spécifiquement, l'Anses évalue les risques liés aux éléments d'origine naturelle. Elle est consultée sur les limites adaptées pour l'étiquetage relatif à l'alimentation des nourrissons. Elle intervient, en appui aux ministères chargés de la santé et de l'industrie, dans le cadre des discussions scientifiques et techniques liées à la directive 2009/54/CE de la Commission européenne, ainsi que des textes du Codex alimentarius concernant les eaux embouteillées. L'Agence recueille des données sur les consommations d'eau embouteillée lors des enquêtes nationales sur les consommations alimentaires, appelées INCA. Ces enquêtes, qui sont désormais associées à des études de biosurveillance menées par Santé publique France, permettent de collecter des données précieuses. La première étude de cette nouvelle typologie, appelée Albane a été lancée à la fin de l'année 2024 et deviendra un dispositif national au cours du printemps de cette année.

Au sein de la direction d'évaluation des risques placée sous l'autorité de Matthieu Schuller, l'unité d'évaluation des risques liés à l'eau est chargée de conduire l'expertise. Le laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN) intervient également sur les aspects plus fondamentaux - je laisse à Sophie Lardy-Fontan le soin de préciser le rôle exact de ce laboratoire de référence. L'Anses s'appuie sur un collectif de quelque 800 experts, dont beaucoup sont extérieurs à l'Agence - celle-ci compte 1 400 salariés, dont environ 700 chercheurs et des personnels de recherche.

Comme je l'indiquais précédemment, l'Anses a été sollicitée une première fois fin novembre 2022 par la DGS pour évaluer l'impact d'une microfiltration avec un seuil de coupure inférieur à 0,8 micron sur le microbisme naturel d'une eau minérale naturelle ou eau de source. Plus précisément, l'Agence a été interrogée sur deux questions : est-ce qu'en dessous de ce seuil, la microfiltration a un impact sur le microbisme de l'eau ? Et la microfiltration avec un seuil de coupure de 0,2 micron a-t-elle un effet de désinfection de l'eau ? Dans le courrier en réponse que j'ai adressé au directeur général de la santé le 16 décembre 2022, je rappelle la position de principe qui était celle de l'Afssa - laquelle a fusionné avec l'Afset, en 2010, pour donner naissance à l'Anses -, dans un avis de 2001, estimant que jusqu'à 0,8 micron de coupure, on pouvait considérer qu'il n'y avait pas d'interférence avec le microbisme de l'eau, cet avis n'ayant cependant pas été traduit dans un texte réglementaire, à ma connaissance. Le cabinet du ministre de la santé nous a demandé des précisions, en particulier sur le droit utilisé par nos voisins européens, et nous avons alors eu connaissance de la norme espagnole, qui fixe un seuil de coupure de 0,45 micron. L'utilisation de filtres à coupure plus fine peut laisser entendre qu'il y a une volonté de se débarrasser d'espèces bactériennes, ce qui ne préjuge pas d'autres types de contaminants ou de présence virale, et c'est la taille de ces filtres qui va s'imposer par rapport à des présences bactériennes indésirables.

Nous avons eu ensuite, en avril 2023, une demande plus approfondie, d'appui scientifique et technique, pour évaluer la manière dont procèdent les usines de conditionnement d'eau du groupe Nestlé Waters Supply Est (NWSE) et du groupe Nestlé Waters Supply Sud (NWSS). Initialement, nous avions reçu une sollicitation de la part de la DGS, proposée par l'ARS Grand Est, qui a ensuite été complétée par l'ARS Occitanie. Cela a abouti à une seule saisine à l'endroit de l'Anses, en date du 28 avril 2023. Un rapport a été établi par le laboratoire d'hydrologie de Nancy, soulignant la nécessité de renforcer la surveillance des filières d'eau conditionnées dans les régions des Vosges et du Gard. Cet appui scientifique et technique, rendu le 16 octobre 2023, n'avait pas pour objet les dispositions prises par l'entreprise, mais plutôt l'élaboration d'un cahier des charges pour rendre l'eau la plus acceptable possible, en tenant compte des espèces bactériennes, des virus et des intrants chimiques.

Enfin, nous avons reçu une demande d'appui scientifique et technique pour analyser les différences rapportées au LHN entre les résultats de mesures effectuées par ou à la demande de l'exploitant, Nestlé Waters, et ceux effectués par le laboratoire agréé par l'ARS dans le cadre du contrôle sanitaire. Il s'agit d'un travail de comparaison sur les capacités d'évaluation des laboratoires commanditaires dans ce cadre d'analyse de l'eau faite par l'exploitant.

Matthieu Schuler. - Dans le courrier du 16 décembre 2022, nous exploitons des connaissances existantes, nous n'avons pas, comme l'Affsa en 2001, réuni un collectif d'experts, nous avions un temps court pour travailler et peu de données pour documenter la question scientifique consistant à déterminer si, en dessous de 0,8 micron, il existerait un seuil de coupure qui n'affecterait pas le microbisme de l'eau. Ce que nous avons fait à ce moment-là, c'est rappeler d'une part les travaux de 2008, indiquant qu'à 0,2 micron, voire déjà à 0,4 micron, l'absence d'impact était tout à fait douteuse - et, d'autre part, l'existence, depuis l'entrée en vigueur de la directive européenne de 2009, d'une liste des traitements compatibles avec l'appellation d'eau minérale naturelle ainsi que d'un mécanisme pour autoriser de nouveaux traitements.

Une précision de vocabulaire. On parle parfois indifféremment de surveillance et de contrôle, alors que ces notions recouvrent des choses différentes, sur le plan technique comme réglementaire. Dans le domaine des eaux en général, on désigne par surveillance les gestes qui sont posés par l'exploitant, la personne responsable, que ce soit pour la distribution de l'eau destinée à la consommation humaine ou pour l'exploitation d'une ressource d'eau minérale embouteillée : les actions qu'il mène à ce titre-là sont dénommées « surveillance », que l'exploitant conduit sous sa responsabilité - c'est bien normal puisqu'il est responsable, il doit mener une réflexion sur les types de risques associés soit à la ressource, soit au procédé de traitement, soit même au procédé d'embouteillage. De son côté, l'État effectue un contrôle sanitaire, en mobilisant ses propres ressources, des équipes techniques et des laboratoires qu'il peut mandater, ou en recourant à des laboratoires extérieurs. Le code de la santé publique oblige l'exploitant à se soumettre au contrôle sanitaire - c'est l'article L.1321-4 pour les eaux destinées à la consommation humaine, et L.1322 pour les eaux minérales naturelles. Ce contrôle est confié aux ARS, qui font appel à des laboratoires publics ou privés et qui sont tous agréés - ils doivent démontrer une compétence technique, c'est nécessaire puisque leurs résultats sont marqués du sceau de la confiance de l'action publique. Comment se construit cette confiance ? En plusieurs étapes. La première, fixée dans l'arrêté de 2007 relatif à l'agrément des laboratoires, est qu'ils doivent être accrédités par le COFRAC, qui est une instance d'accréditation pour tout un ensemble de gestes techniques ; dans un deuxième temps, ils participent aux essais inter-laboratoires, suivis techniquement par le laboratoire d'hydrologie de Nancy.

La surveillance concerne l'exploitant, et le contrôle, l'action publique, avec un processus d'agrément. Par le passé, l'agrément était délivré par la DGS ; depuis la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), cette compétence a été confiée à l'Anses.

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Le laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN) est bien le laboratoire de l'Anses spécialisé sur les enjeux sanitaires liés à l'eau. En tant que laboratoire national de référence sur les eaux destinées à la consommation humaine, les eaux minérales naturelles et les eaux de loisirs, que ce soit dans le domaine de la chimie et de la microbiologie, ces missions sont un appui scientifique à la DGS et aux ARS, dans l'ensemble de leurs interventions, y compris dans des contextes de gestion de crise liés à l'eau.

Nos missions concernent également l'acquisition de connaissances sur l'occurrence de paramètres émergents, donc non encore réglementés, dans les ressources en eau utilisées pour la production d'eau potable, dans l'eau du robinet, dans les eaux conditionnées et dans les eaux de loisirs. Ces données sont acquises par la mise en oeuvre de campagnes nationales d'occurrence, l'animation de réseaux nationaux de laboratoires spécialisés, le réseau des laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux et le réseau de laboratoires Biotox. Cette mission comprend l'organisation de journées techniques, de colloques thématiques, d'essais inter-laboratoires et d'activités de veille documentaire, réglementaire et scientifique. Le laboratoire est également impliqué dans la réalisation d'analyses de confirmation et de levée de doute sur des résultats de laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux lorsque cela lui est demandé par la DGS et ou les ARS. Nous participons aussi à l'élaboration des lignes directrices et de normes sanitaires relatives à l'eau ainsi qu'à la révision des textes réglementaires et des travaux normatifs dans le domaine des eaux, ainsi qu'à des groupes d'experts européens, et nous étudions des demandes d'importation d'eau minérale naturelle embouteillée.

Dans le cadre de l'agrément des laboratoires, le LHN instruit et évalue les demandes d'agrément des laboratoires pour la réalisation des prélèvements et des analyses du contrôle sanitaire des eaux pour les paramètres physico-chimiques et microbiologiques qui sont délivrés par l'Agence. À la demande de l'autorité d'agrément, le LHN peut être mandaté pour réaliser des inspections de laboratoires agréés en cas de dysfonctionnements qui sont portés à sa connaissance.

Dans la conduite de ses activités, le LHN travaille en étroite collaboration avec l'unité d'évaluation des risques liés à l'eau (UERE) de la direction d'évaluation des risques. Par ailleurs, certains scientifiques du laboratoire sont membres du Comité expert spécialisé « Eaux » et du Groupe de travail « Évaluation des risques sanitaires liées l'eau destinée à la consommation humaine qui lui est rattaché. Nos scientifiques sont également impliqués et ou sollicités dans les travaux de saisines qui sont pilotés par l'UERE.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes des spécialistes, habitués à manipuler des notions scientifiques précises, compliquées pour les non-initiés et je vais vous demander de nous répondre de la manière à la fois la plus circonstanciée et la plus simple, ce qui est toujours le plus difficile ; il y a eu aujourd'hui des révélations de presse, nous avons des questions et cet effort de clarté et de concision que je vous demande, est nécessaire pour que nous puissions aller au bout de l'analyse.

Je commence par une question qui est au coeur de toute cette affaire : est-ce qu'une microfiltration à 0,2 micron est, pour vous, assimilable à une désinfection et, de ce fait, interdite sur les eaux minérales naturelles ?

M. Matthieu Schuler. - Le fait de trancher entre l'interdiction ou l'autorisation relève de l'autorité de gestion du risque, donc du ministère de la santé. Ce que nous indiquons dans notre avis, c'est qu'en dessous de 0,4 micron, nous ne sommes plus dans une situation où l'on peut affirmer qu'il n'y a pas d'impact sur le microbisme de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Donc cela signifie que vous considérez qu'il y a une modification du microbisme de l'eau, au point que cette eau ne peut plus être considérée comme de l'eau minérale naturelle ?

M. Matthieu Schuler. - C'est difficile de répondre par oui ou par non, cela dépend des délimitations que l'on fixe au champ des eaux minérales naturelles, de la définition de cette eau. La directive européenne de 2009 liste les traitements autorisés. Ensuite, l'Affsa s'est prononcée en 2001 pour dire qu'à 0,8 micron, l'impact était limité, et nous considérons aussi qu'en dessous de 0,4 micron, l'impact n'est plus limité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre avis, pourquoi utiliser une microfiltration de 0,2 plutôt que de 0,8 micron ? Comment expliquez-vous que les industriels aient voulu le faire : la seule explication possible n'est-elle pas la gestion d'un risque sanitaire ?

M. Benoît Vallet. - En réalité, le risque sanitaire n'est pas réglé par une filtration plus fine, puisque des micro-organismes continuent de passer, c'est ce que nous disons dans notre document d'octobre 2023. Est-ce que cette modification du filtre a pour intention de supprimer des espèces bactériennes ? Il faut poser la question aux industriels eux-mêmes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Voyez-vous une autre raison que sanitaire pour expliquer ce choix ?

M. Matthieu Schuler. - L'Anses est une agence de sécurité sanitaire, elle examine les dispositifs technologiques en fonction de leur intérêt sanitaire. C'est ainsi que dans la note technique que nous avons écrite, nous indiquons qu'une microfiltration à 0,2 micron constitue une action assimilable à une désinfection. En revanche, nous n'avons pas de connaissances technologiques sur la variété des motifs qui peuvent conduire un acteur économique à mettre en place un certain nombre de traitements. Notre expertise est la science au service de la sécurité sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Donc, à votre connaissance, il n'y a pas d'autre motif - puisque vous n'avez pas d'expertise technique sur le sujet ?

M. Matthieu Schuler. - Effectivement, nous n'avons pas d'élément pour nous positionner en connaissance.

M. Benoît Vallet. - Ce qui a été écrit, et les éléments vous ont été transmis, c'est qu'une microfiltration si fine peut s'apparenter à une désinfection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous avez été saisi le 23 novembre 2022, aviez-vous connaissance du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ? Ce rapport vous a-t-il été fourni à ce moment-là, lorsque vous avez été saisi ?

M. Benoît Vallet. - Non, et notre réponse l'indique, nous précisons que nous n'avons pas été destinataires de ce rapport, alors que notre Agence avait été largement sollicitée par cette inspection. Nous n'avons eu connaissance de ce rapport que très tardivement.

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Je ne l'ai obtenu qu'une fois mis en ligne sur le site internet de l'Igas.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous dites que vous êtes allée le chercher vous-même sur le site internet de l'Igas ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Oui, je fais une veille documentaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous l'aviez demandé antérieurement - et pas obtenu ? Comment étiez-vous informés de son existence ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Nous avions été sollicités pour y participer, donc nous savions qu'une inspection était en cours : mais nous n'avons eu connaissance du rapport qu'une fois celui-ci rendu public.

M. Laurent Burgoa, président. - Est-ce une pratique courante, ou exceptionnelle, que l'Igas ne communique pas avant la publication de son rapport ?

M. Benoît Vallet. - Ce n'est pas une question simple.

M. Laurent Burgoa, président. - Vos relations avec l'Igas sont-elles fluides, ou bien chacun travaille-t-il sans interagir avec l'autre ?

M. Benoît Vallet. - À la différence de la Cour des comptes, l'Igas ne prévoit pas dans le processus d'élaboration de ses rapports d'étape de contradictoire ; elle peut en rendre compte aux administrations interrogées parfois à l'oral ou dans les grandes lignes, mais le détail n'en est connu qu'à la publication du rapport. Je ne sais pas ce qu'il en a été ici. Lorsque j'étais directeur de la santé, j'ai assisté à des restitutions de rapports en cours d'élaboration, mais je ne sais pas si elles étaient faites à tous ceux qui avaient été interrogés pour l'enquête, au-delà des commanditaires. Dans les contrôles de la Cour des comptes, ceux qui ont participé lisent au moins la partie qui les concerne, la Cour leur donne la possibilité de réagir dans le cadre d'une procédure contradictoire sur la partie qui les concerne - je le dis en tant que membre de la Cour des comptes dont je suis détaché pour les missions que j'exerce à l'Anses, après celles que j'ai exercées à l'ARS des Hauts-de-France.

M. Matthieu Schuler. - Les inspections générales travaillent pour leurs commanditaires, nous avons des relations très fluides avec elles, car nous sommes auditionnés fréquemment. Mais la décision de communiquer sur tout ou partie du rapport en cours d'élaboration, dépend du commanditaire, ce n'est pas une question de fluidité des relations avec les inspections.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est une décision du commanditaire de ne pas vous transmettre cette information au moment où vous êtes saisi. Vous n'avez pas été associé dans l'élaboration du rapport, au sens du contradictoire ?

M. Benoît Vallet. - Non. Il y a peut-être à réfléchir sur la communication pendant l'élaboration elle-même, en phase intermédiaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Quand avez-vous eu connaissance du rapport de l'ARS d'Occitanie - et avez-vous eu connaissance du rapport définitif ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - En décembre dernier, nous avons reçu une transmission de la part de la DGS, qui comportait une version non complète, avec des parties masquées ou anonymisées. Il s'agit de l'inspection commune sur site faite par la DGCCRF et l'ARS le 30 mai 2024 - nous vous avons communiqué les pièces.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la réponse à la saisine qui vous est faite, vous soulignez l'absence de dossier constitué et d'éléments de preuve sur la capacité avancée par les industriels, avec les seuils de coupure inférieurs à 0,8 micron, à assurer la sécurité sanitaire de l'eau embouteillée.

Qu'attendiez-vous concrètement de ce dossier constitué, à ce moment-là ? L'avez-vous obtenu par la suite pour travailler, ou attendez-vous toujours un dossier constitué pour vous prononcer sur la microfiltration à 0,2 micron ?

M. Matthieu Schuler. - Nous n'attendons pas de dossier particulier pour une raison très simple : c'est que, pour mettre en place un traitement qui respecte le cadre des eaux minérales naturelles, il faut suivre la voie définie en application de la directive de 2009, qui confie à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), et non à l'Anses, la compétence pour l'autorisation des traitements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vais reformuler ma question, car je n'ai pas très bien compris. La première fois que vous avez rendu un avis sur le seuil de filtration à 0,8 micron, vous avez signalé que vous aviez un dossier constitué qui vous permettait de le faire. Et là, dans votre réponse, vous dites que vous ne disposez pas d'un dossier de ce type et que vous n'êtes pas en situation de répondre à la question. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

M. Matthieu Schuler. - Il faut regarder les calendriers : quand l'Afssa répond en 2001, elle le fait avant la directive de 2009, elle répond au ministère de la santé, qui a la compétence d'autoriser la filtration : l'Afssa évalue sur le plan scientifique et technique, pour l'autorité compétente, la DGS ; lorsque nous sommes interrogés en 2022, le droit n'est plus le même, il faut désormais passer par la case EFSA, ce qui n'empêche pas qu'il pourrait y avoir un pré-dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi, alors, le ministère s'est-il tourné vers vous, et pas vers l'EFSA ?

M. Matthieu Schuler. - La DGS ne nous demande pas une autorisation de traitement, mais un avis sur différents niveaux de filtration. Nous apportons donc les éléments techniques à notre disposition - en l'absence, comme vous l'avez dit, du dossier du pétitionnaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui est paradoxal dans votre réponse, c'est que vous demandiez un dossier constitué dans votre courrier, en disant que la question posée est complexe...

M. Benoît Vallet. - En réalité, dans ce courrier, nous ne demandons pas qu'un dossier soit constitué. En 2001, l'Afssa dispose d'un dossier spécifique relatif à un outil de filtration de l'eau parce que la question posée alors à l'Agence, c'est de savoir si, oui ou non, le dispositif proposé était conforme à des éléments de filtration tels qu'ils étaient jugés conformes par les experts à l'époque - le dossier était constitué puisque l'Agence devait valider ou refuser un dispositif précis dédié à l'amélioration de la qualité d'une eau. Fin 2022, la question n'est pas la même, mais plutôt : quel avis avez-vous sur des outils de filtration en général - et que pensez-vous de tel ou tel niveau de filtration ? Et notre réponse, dans les délais impartis, porte sur l'état des connaissances : nous ne faisons pas une étude scientifique, nous répondons par courrier sur ce qu'on peut dire en l'état - et nous disons en particulier qu'en descendant en dessous de 0,4 micron, la filtration modifie ce qui peut être considéré comme la présence microbienne dans l'eau. Nous ne demandons pas de constituer un dossier, nous répondons au vu d'éléments qui viennent de cas où il y a eu des dossiers constitués - c'est le sens du courrier que vous citez.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, je comprends. Cependant, dans l'échange que vous avez avec la DGS, savez-vous qu'on vise en réalité un cas pratique, Nestlé, ou bien répondez-vous « à l'aveugle » - comprenez-vous bien ma question ?

M. Benoît Vallet. - Oui, tout à fait, c'est une très bonne question - je laisse mon collègue y répondre.

M. Matthieu Schuler. - Le contexte nous est présenté dans les échanges préparatoires. C'est du reste pourquoi, dans notre réponse, en plus des éléments techniques à notre connaissance, nous rappelons quels sont les procédés de traitement autorisés dans le cadre de la réglementation des eaux minérales naturelles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci. Je passe à des questions sur le risque sanitaire. Des courriels de l'ARS Occitanie à l'Anses montrent que, dès fin janvier 2020, les prélèvements de contrôle sanitaire de Perrier mettaient en évidence des contaminations microbiologiques, donnant lieu à des blocages de certaines unités de production. Les traitements de désinfection n'étaient pas connus des services, ils se demandent par conséquent - je cite un courriel : « Comment imaginer que de telles contaminations mesurées juste avant l'embouteillage, au niveau de la soutireuse, ne se retrouvent pas dans le produit fini ? Comment une entreprise agroalimentaire comme NWSS peut-elle ne pas s'être préoccupée d'une contamination qui dépasse largement le cadre de la ligne d'embouteillage ? Les contaminations sont mesurées après traitement par microfiltration, il n'y a donc pas d'autres étapes de traitement qui permettraient de les maîtriser avant l'embouteillage. » Donc dès janvier 2020, ces contaminations sont constatées sur le site Perrier. Elles donnent lieu au blocage des unités de production concernées et l'ARS dénombre au moins trois autres épisodes de contamination : en juin 2020, en septembre 2020 et en janvier 2021.

Quelles ont été les conclusions du LHN sur ces épisodes de contamination ? Le risque pathogène a-t-il été écarté sur les trois épisodes que je viens d'évoquer ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Il faut reprendre le contexte. Nous sommes sollicités pour des appuis à la validation et à l'éclairage méthodologique, pour évaluer des risques. Les questions qui nous sont posées sont méthodologiques, de qualité et de validation de la donnée, nous ne faisons pas de réponse sur des enjeux sanitaires. Nous faisons des éclairages d'appui pour aider l'ARS à préciser et à mieux caractériser l'occurrence et l'identification des pathogènes suspectés - mais nous ne nous aventurons pas au-delà de ces questions méthodologiques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour obtenir une réponse, il faut donc que je me tourne vers l'ARS Occitanie, et, le cas échéant, vers le laboratoire avec lequel elle a travaillé ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Effectivement, nous avons pu valider les éléments établis, mais seulement d'un point de vue méthodologique et de qualité de la donnée, nous ne nous substituons pas à nos collègues qui pilotent l'évaluation des risques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-il fréquent que l'Anses soit sollicitée pour des risques portant sur les eaux embouteillées ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Non, c'était arrivé une seule fois avant, en 2019 à Luchon.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous ces contaminations, alors même que Nestlé utilise des lampes à UV et des filtres à charbon ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - La chaîne d'embouteillage est un moment connu de fragilité, c'est pourquoi il est important que l'exploitant dispose d'un plan HACCP pour maîtriser les risques liés à sa filière d'embouteillage.

M. Matthieu Schuler. - Tout acteur de la chaîne alimentaire, que ce soit l'eau ou l'alimentation solide, doit faire ce raisonnement : pour chaque étape de la production d'un produit qui sera consommé, il faut examiner les dangers propres aux matériaux, et à ceux que le processus d'élaboration lui-même peut ajouter, et réfléchir à la maîtrise des risques. C'est l'objet de la surveillance, aux différentes étapes, qui doit jouer son rôle de filet. Dans le cas spécifique que vous évoquez, je ne sais pas à quelle étape du procédé on se situe : au niveau du captage, ou bien post-traitement ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors d'une concertation interministérielle dématérialisée de février 2023, le Gouvernement a décidé, malgré l'avis de l'Anses, de tolérer un abaissement des seuils de microfiltration. Êtes-vous alors informés de ce choix ? À partir de quand en avez-vous eu connaissance ?

M. Benoît Vallet. - Nous n'avons pas été informés de cette concertation interministérielle dématérialisée, et je ne sais pas s'il y a eu une préparation des services pour aider les ministères. La concertation interministérielle, ses conclusions, les éléments qui seront utilisés ensuite, tout cela nous échappe et nous n'en avons pas eu connaissance. Nous sommes informés beaucoup plus tardivement que cette réunion a eu lieu, mais nous n'en connaissons pas les conclusions écrites ni les conséquences sur les sites - personnellement, je ne le sais toujours pas. L'Anses est utilisée comme un expert scientifique, qui apporte des éléments de preuve scientifique ; mais nous ne sommes pas associés à la préparation des décisions d'autorisation, de régulation, et notamment pas aux réunions interministérielles.

Depuis que je suis arrivé à l'Anses, j'ai participé à une seule réunion interministérielle, lorsqu'il a fallu arrêter le S-métolachlore, les ministères de la santé, de l'environnement et de l'agriculture, m'ont associé à cette réunion, c'est la seule fois en deux ans et demi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce fréquent que le Gouvernement ne suive pas votre avis sur l'état de la réglementation ?

M. Benoît Vallet. - En l'occurrence, nous ne nous prononçons pas sur l'état de la réglementation ni sur la façon dont on pourrait éventuellement en changer. On l'a rappelé, nous nous sommes demandés si la taille de la microfiltration était normée, on a vu que ce n'était pas le cas dans la référence de l'Affsa. Il y a désormais une dynamique nationale, l'Anses peut apporter son expertise scientifique pour aider à écrire des textes. Sur la réutilisation des eaux usées, par exemple, nous avons précisé ce qu'on pouvait faire en matière d'appui scientifique sur les eaux usées, mais la décision ne nous appartient pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais vous voyez bien par le calendrier que vous avez été consultés pour prendre une décision.

M. Benoît Vallet. - C'est vrai, mais nous ne sommes pas dans cette boucle-là.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En l'occurrence, vous avez donné un avis qui n'a pas été suivi par l'autorité politique.

M. Benoît Vallet. - En réalité, tous nos avis ne sont pas suivis par les autorités politiques. Notre avis sur la vaccination contre l'influenza aviaire hautement pathogène n'a pas été strictement suivi par le ministère de l'Agriculture, il a fait un choix économique pour soutenir une filière précise, et ce choix ne résulte pas mécaniquement du poids que nous accordons à la preuve par rapport au mérite de la vaccination pour un certain nombre d'espèces avicoles, telles que les canards, les dindes et les poules : certains critères de la décision sont indépendants des éléments de preuves scientifiques que nous apportons. Il appartient à l'autorité administrative de prendre ses décisions en connaissance de cause. Et quand elle nous a sollicités sur l'impact d'une microfiltration, nous avons répondu non pas avec des données nouvelles, mais avec des données anciennes qui avaient été proposées à l'époque pour un dispositif très spécifique, et l'autorité administrative en a fait l'usage qu'elle souhaitait en faire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En octobre 2023, vous préconisez la mise en place d'une surveillance renforcée, notamment virologique, à l'égard des eaux de Nestlé Waters. Pourquoi ? Peut-on en déduire qu'avant cette surveillance renforcée, des eaux potentiellement contaminées aient pu être mises sur le marché ?

M. Benoît Vallet. - Cet avis ayant été adopté sur la base de l'appui scientifique et technique du LHN, je me permets de passer la parole à sa responsable.

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Sur la base des éléments documentaires et de leur analyse, nous avons confirmé un état de vulnérabilité des ressources en eau sur les sites qui nous avaient été signalés, à savoir les sites de Nestlé Waters sur la partie Occitanie et sur la partie Grand Est.

Sur la base des données fournies par l'exploitant que nous avions qualifiées de parcellaires, non exhaustives et ne nous permettant pas d'avoir un avis plein et entier, et sur la base des données de contrôle sanitaire qui nous avaient été également transmises, il nous a semblé qu'il était impératif d'avoir un plan de surveillance renforcé.

Ce plan de surveillance renforcé est structuré et graduel, avec une première étape visant à renforcer le panel d'indicateurs en considérant leur complémentarité et leur niveau d'information. Le deuxième niveau consiste à augmenter les fréquences d'échantillonnage pour avoir plus de pertinence quant aux éléments de fragilité identifiés, à savoir des problématiques de contamination microbienne d'origine anthropique, qui faisait suite à des épisodes climatiques particuliers. Pour être réactif et prendre les bonnes décisions, il faut une surveillance préétablie, dont les fréquences prennent en compte le contexte.

Le troisième niveau consiste à améliorer les performances et les méthodes mises en oeuvre, dans leur qualité, dans leur fiabilité, dans leur faculté à être suffisamment fines pour répondre aux questions posées.

Nous avons donc proposé un plan de surveillance renforcé, pour mieux prendre en compte les risques liés à la présence d'éléments virologiques en lien avec des contaminations d'origine naturelle. À l'heure actuelle, dans la surveillance de l'exploitant et/ou dans la surveillance conduite par le contrôle sanitaire exercé par les ARS, il y a des indicateurs de contamination fécale, qui sont des indicateurs bactériologiques. Ils ne sont pas pertinents pour prendre en compte le risque lié à la virologie, car les virus sont beaucoup plus petits et ils ont des dynamiques de circulation différentes. D'où l'importance de couvrir aussi ces aspects virologiques - notre idée, c'est de proposer des proxys qui permettent justement de cibler ce risque.

Au gré de l'évolution du cadre réglementaire sur la surveillance des eaux destinées à la consommation humaine, nous avons donc introduit des indicateurs virologiques : les bactériophages, qui sont maintenant déployés dans d'autres contextes avec des laboratoires qui montrent une expertise sur des méthodes normalisées, permettant de s'assurer d'éléments de base comparables. Ainsi, quelle que soit la partie prenante qui les met en oeuvre, une base méthodologique harmonisée est en place, la plus pertinente pour prendre des décisions et apporter des éclairages à la fois pour l'exploitant et pour l'ARS, en charge de la gestion.

M. Benoît Vallet. - L'expertise nous est demandée par deux ARS, à charge pour elles d'utiliser les outils méthodologiques que nous préconisons - je le sais précisément, pour avoir dirigé l'ARS des Hauts de France. L'Anses n'a pas de pouvoir normatif, sauf sur le contrôle des laboratoires qui font l'analyse de l'eau : au-delà de l'accréditation Cofrac, nous examinons si les laboratoires ont les moyens spécifiques de contrôler l'eau. Nous nous sommes déplacés par exemple à Mayotte, c'était avant le passage du cyclone Chido, parce que l'ARS se posait des questions sur les laboratoires et sur la présence dans l'eau de métaux lourds ; nous avons dépêché deux personnes du LHN pour aller faire ce contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avril 2024, un arrêté préfectoral ordonne la destruction de 9 000 lots en raison d'un risque virologique. Êtes-vous sollicité en amont de cette destruction ? En êtes-vous informés, d'une manière ou d'une autre ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Nous n'avons pas été informés en amont. Cependant, cette démarche fait suite à la demande d'appui technique qui nous a été transmise en juillet 2020. Elle a abouti à un contrat signé en juillet 2024 pour un appui à l'ARS. L'objectif était d'aider l'ARS à évaluer la divergence de résultats entre ceux du laboratoire agréé du contrôle sanitaire, mandaté par l'ARS pour effectuer les contrôles réglementaires, et les données fournies par l'exploitant. La décision de destruction vient directement de ces éléments.

M. Benoît Vallet. - C'est le troisième temps de saisine que j'ai indiqué dans mon propos liminaire. Le premier temps correspond aux deux courriers adressés au DGS : le premier, puis un petit complément, fin d'année 2022, début 2023. Le deuxième temps, c'est l'appui scientifique et technique rendu en octobre 2023. Et le troisième temps, c'est le travail en cours qui a surtout pour vocation d'identifier les écarts entre les mesures faites par le laboratoire travaillant pour Nestlé, et celles du laboratoire travaillant pour l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avril 2024, vous échangez par courriel avec Cédric Arcos, le directeur de cabinet de la ministre de la Santé ; ces échanges évoquent des éléments de langage proposés par le cabinet du ministre de l'industrie. Quels en étaient les objectifs ? Dans ces échanges, vous semblez recadrer quelque peu votre interlocuteur, puisque quand il vous dit que vous lui avez fait un simple courrier, vous lui rappelez que vous avez envoyé deux courriers au DGS- et, plus généralement, lui faites état de toutes les démarches qui ont été entreprises. Avez-vous l'impression qu'il y avait, à ce moment-là, une volonté de minimiser la portée des travaux de l'Anses ? Comment vous souvenez-vous de ces échanges ?

M. Benoît Vallet. - Il y avait à ce moment-là du mouvement dans les ministères, des cabinets ont changé ; Mme Catherine Vautrin était ministre de la Santé et des Affaires sociales, occupant ce poste élargi pour la première fois ; son directeur de cabinet venait d'arriver, il ne connaissait pas les éléments de dossier, je crois que dans le courriel auquel vous faites référence, je répondais à un courriel qui était au départ adressé au DGS, et qu'on m'avait fait suivre parce que le DGS n'était pas disponible à ce moment-là, c'est un élément à vérifier ; dans ce courriel, je communique les éléments d'information au cabinet de la ministre, le conseiller se renseignait sur ce qui avait été fait et comment cela avait été fait, d'autant que le bruit médiatique commençait à monter.

Le directeur de cabinet adjoint de Mme Vautrin, Yann Bubien, a été informé par ce mail puisqu'il m'a, par la suite, posé des questions supplémentaires, pour savoir ce qui avait été fourni au titre du droit d'accès aux documents administratifs. C'était l'interrogation essentielle, à ce moment-là, de savoir quel type de document nous avions fourni, à quoi nous avions répondu, et comme il y avait eu des mouvements de cabinets et de personnes, nous avons complété ces informations pour que les ministres en aient connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui étonne, cependant, c'est que la concertation interministérielle dématérialisée est organisée par Cédric Arcos...

M. Benoît Vallet. - Je ne le savais pas.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poserons la question à M. Arcos, qui a effectivement organisé la concertation interministérielle, en tant que collaborateur d'Élisabeth Borne, la Première ministre d'alors.

 M. Benoît Vallet. - Effectivement, Cédric Arcos était le conseiller santé au cabinet d'Élisabeth Borne, Première ministre, il y a eu du mouvement par la suite, beaucoup de mouvement ces derniers mois... Nous vous avons transmis les courriels dont nous parlons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous apprenons aujourd'hui, par voie de presse, que la DGS aurait créé une nouvelle norme, une nouvelle ligne d'instruction avec un seuil à 0,45 micron. L'Anses a-t-elle été consultée sur ce seuil, comme elle l'a été par le passé sur le seuil de 0,2 micron ?

M. Benoît Vallet. - Non, pas à ma connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La décision a donc été prise sans avoir l'avis d'une autorité sanitaire, à votre connaissance ?

M. Benoît Vallet. - Dans notre courrier de début 2023, où nous informions sur les pratiques de nos voisins européens, nous signalions que l'Espagne utilisait ce niveau de filtration de 0,45 micron - cela a peut-être été utilisé comme une référence, mais nous n'avons pas été consultés en tant que tels.

M. Hervé Gillé. - Je suis surpris par vos propos, car la chaîne de contrôle a été complètement éclatée. La DGS vous avait saisi sur un procédé de filtration, mais celui-ci intervient dans une chaîne de production qui comporte d'abord un captage. Disposiez-vous d'éléments ou de contrôles sur ce captage ?

M. Benoît Vallet. - En pratique, le recueil de ces éléments relève de l'ARS. La DGS nous a interrogés de manière extrêmement précise sur la question de la microfiltration et nous avons répondu de la manière la plus précise à cette question posée.

M. Hervé Gillé. - Il me paraît naturel que l'évaluation d'un processus et d'une procédure s'inscrive dans le cheminement complet de production, de l'aire de captage à la mise en bouteille, en passant par les différentes étapes, de manière à retrouver le sens même de la production et à évaluer la performance de la procédure à évaluer - il faut pouvoir la situer dans le cadre de la chaîne complète.

Je suis donc étonné que vous n'ayez pas eu tous ces éléments, puisque l'aire de captage en tant que telle apparaît comme viciée. Il faudra s'interroger sur les raisons pour lesquelles cette aire, qui est viciée depuis de nombreuses années, n'a pas été suffisamment contrôlée. La question de la rémanence se pose également - il faut évaluer la durée et la rémanence d'une pollution, parce que si on ne le fait pas, on laisse sciemment utiliser une eau qui a été polluée, qui a été viciée depuis de nombreuses années dans une chaîne de production qui faisait intervenir une technique qui n'était pas acceptée à l'époque. Il y a sincèrement de quoi se poser des questions. .

M. Benoît Vallet. - Je comprends qu'ayant occupé les postes de directeur de la santé, de directeur d'ARS et de directeur de l'Anses, on puisse m'attribuer différents rôles dans les réponses que j'apporte aujourd'hui.

En tant que directeur de l'Anses, je n'ai pas ce rôle de contrôle, je ne suis pas le contrôleur d'une chaîne complète, sauf si on me le demande. C'est pour partie cette mission que nous ont confié les deux ARS Grand Est et Occitanie dans leurs saisines d'avril et de juillet 2023, celle d'un appui scientifique et technique plus complet en matière sanitaire.

Mais pour la saisine de novembre 2022 dont nous parlons, la question posée était très spécifique et la réponse est concise, elle utilise des données antérieures, sans prétention normative, elle visait simplement à réunir des valeurs d'expertise scientifique.

M. Hervé Gillé. - Vous imaginez bien que, dans l'impact qu'a effectivement ce sujet, le caractère segmenté de l'analyse est particulièrement préoccupant.

M. Benoît Vallet. - L'ARS a cette approche globale, c'est son rôle, elle travaille avec les exploitants, qui doivent mettre en place un certain nombre de dispositifs de surveillance, l'ARS s'en assure et elle peut effectuer des contrôles sur l'ensemble de la chaîne de production. Tout n'est pas contrôlé en permanence, le contrôle intervient quand il y a une inquiétude sur des contaminants identifiés.

M. Hervé Gillé. - Vous n'avez pas demandé que l'on vous communique ces éléments ?

M. Benoît Vallet. - Non, nous avons effectué ce travail dans la partie qui constituait l'appui scientifique et technique, qui est plus large, avec la logique d'expertise qui était demandée et pour une évaluation complète de la chaîne - mais pas dans le cas dont nous parlons.

M. Hervé Gillé. - N'avez-vous pas le sentiment qu'il y a là un manque dans les méthodes et les procédures, et qu'il faudrait approfondir la dimension de contrôle ?

M. Benoît Vallet. - Le rôle de l'Anses n'est pas de contrôler les ARS ni la DGS.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez l'expérience du travail en ARS.

M. Benoît Vallet. - Oui, mon expérience dans les Hauts-de-France à propos des dérivés de la chloridazone m'a été très utile, quand on a travaillé avec l'Anses et le Haut Conseil de Santé Publique pour trouver des mesures intermédiaires permettant de rationaliser la façon dont l'eau de consommation humaine peut continuer d'être utilisée ou non. Le constat, c'est que les références de qualité de l'eau ne sont pas sanitaires, mais qu'elles deviennent extrêmement inquiétantes pour les consommateurs quand elles franchissent certaines valeurs - alors qu'en réalité, les valeurs sanitaires nécessitent un recueil d'experts - un point sur la littérature scientifique, éventuellement de la production de connaissances, par exemple sur la toxicologie associée -, ceci pour établir ce qu'on appelle des valeurs sanitaires de référence, qui donnent le niveau attendu d'un métabolite donné dans l'eau de consommation humaine, par exemple.

Comme responsable d'une ARS, j'ai vécu la difficulté d'interpréter ces valeurs dites de qualité des eaux de consommation humaine, je m'étais rendu compte que les éléments que fournissait l'Anses venaient tardivement par rapport aux besoins immédiats de la population, qui demande au Préfet d'intervenir. En tout état de cause, les rôles sont différents, et complémentaires, entre Anses, DGS et ARS.

Mme Antoinette Guhl. - En résumant et simplifiant votre propos, on peut dire qu'une filtration à 0,2 micron arrête les bactéries, mais laisse passer les virus - c'est pourquoi, dans votre avis d'octobre 2023, vous signalez un risque virologique : de l'eau mise en vente pourrait contenir des virus. Qui plus est, il y aurait des divergences entre laboratoires, donc l'exploitant pourrait même avancer que son eau est pure, alors qu'elle ne l'est pas.

Sommes-nous bien dans cette situation, avec de l'eau filtrée à 0,2 micron qui est polluée et pour laquelle on peut encore avoir des problèmes virologiques ? Vous avez suggéré une action bactériophage, qu'en est-il advenu ? En quoi pouvons-nous être certains qu'il n'y a pas de problème virologique dans les eaux que nous buvons et qui sont filtrées à 0,2 micron ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - La première expertise conduite par le LHN, celle de la note d'octobre 2023, a conclu qu'il y avait un sujet de maîtrise du risque sanitaire en lien avec le risque virologique. Cependant, à aucun moment dans ce rapport, il n'est fait mention d'un danger lié à la mise en oeuvre de filtres 0,2 micron dans le processus.

La surveillance renforcée est mise en oeuvre sur le site de l'ARS Occitanie depuis juin 2024 ; elle est déployée de manière efficace, mettant en oeuvre les recommandations sur les indicateurs virologiques que nous avions faites.

Mme Antoinette Guhl. - Cela signifie donc qu'entre octobre 2023, quand les traitements interdits ont été arrêtés, et juin 2024, où cette surveillance renforcée a été mise en place, il y a eu un risque virologique pendant plus de six mois ? Vous ne le dites pas, mais on peut le déduire. En effet, le fait qu'il y ait un risque virologique sur de l'eau qui a été traitée de manière interdite implique qu'il est possible qu'il y ait eu un risque virologique. Je tiens à souligner ce point, car nous sommes capables de déterminer la durée pendant laquelle ce risque virologique s'est produit.

M. Matthieu Schuler. - Ce que nous ne pouvons pas affirmer, c'est le niveau de maîtrise des risques, notamment par une surveillance adéquate. Elle est en défaut sur la période que vous pointez, dans la mesure où nous n'avons pas une vision claire de l'historique, à savoir à quel moment tel ou tel traitement a été enclenché ou arrêté. Ainsi, les éléments de maîtrise du risque ne sont pas optimaux sur cette période-là, ce qui ne signifie pas - et cela est beaucoup moins évident - que le niveau de risque réel soit qualifiable.

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Nous avons toujours parlé de maîtrise du risque.

Antoinette Guhl. - J'entends, mais je ne suis pas tenue, moi, de parler de maîtrise du risque. Je peux dire qu'il n'est pas impossible que de l'eau contaminée par des virus ait été mise sur le marché, puisqu'il y a des divergences entre laboratoires, vous nous le confirmez et vous travaillez sur ce sujet. D'après vous, d'où viennent ces différences ? Il est difficile de comprendre que la science ne soit pas exacte...

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Le laboratoire qui opère pour l'ARS, le laboratoire agréé du contrôle sanitaire, suit de manière obligatoire un certain nombre de dispositions réglementaires. L'enjeu est d'assurer des données de qualité, comparables dans le temps et dans l'espace, et de disposer de données opposables - donc tout un ensemble de mesures est déployé, un arrêté méthode fixe des exigences de moyens et de performance auxquelles doivent répondre les laboratoires agréés. Nous faisons aussi appel à des laboratoires qui sont accrédités selon la norme 17.025 ou un équivalent, qui est différent - j'ai préparé des notes à ce sujet, je peux vous les présenter, mais je dois d'abord les retrouver sur mon espace numérisé de travail....

M. Benoît Vallet. - Je profite de cet interlude pour préciser qu'au moment de nos échanges de courriel, Cédric Arcos était au cabinet du ministre de la santé...

M. Laurent Burgoa, président. - On peut s'y perdre...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce le seul moment où vous ayez été associés à une gestion de crise ?

M. Benoît Vallet. - Je ne dirais pas que nous ayons été associés à une gestion de crise, nous avons répondu à une demande d'information...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais ce sujet était dans l'actualité, nous avons posé des questions au Gouvernement ici au Sénat.

M. Benoît Vallet. - Mon courriel date du 4 avril.

M. Matthieu Schuler. - En fait, nous avons été saisis par des journalistes, au titre de l'accès aux documents administratifs (Cada), nous en avons informé le ministère, qui nous a demandé des précisions - c'est l'objet du courriel dont vous parlez.

M. Benoît Vallet. - Les demandes d'accès aux documents administratifs interviennent en janvier, les éléments d'information pour la DGS sont établis en février, nous les adressons à Grégory Emery, qui venait tout juste de remplacer Jérôme Salomon comme directeur général de la santé. Les autres réponses reprennent ces éléments, en particulier celle à Cédric Arcos alors qu'il était au cabinet du ministre - je les lui ai envoyés parce que Grégory Emery n'était pas disponible, c'est vrai aussi qu'il y avait un contexte médiatique.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame Lardy-Fontan, peut-être pourrez-vous nous adresser vos fiches par écrit ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - D'accord.

M. Matthieu Schuler. - Un mot sur les divergences de résultats entre les laboratoires. Proviennent-elles des procédures de contrôle ? Sont-elles fréquentes, massives, ponctuelles, épisodiques ? Les mesures de contrôle sont très fines, ce qui peut entraîner une certaine dispersion dans la méthode de mesure. Nous tâchons de répondre à ces questions, notre travail approche de sa fin, sans être tout à fait terminé.

Mme Florence Lassarade. - Comment sont faits ces filtres, avec quels matériaux ? À l'OPECST, nous avons fait des travaux sur la pollution plastique de l'eau que nous consommons, il y a de quoi s'interroger.

M. Matthieu Schuler. - Il y a probablement une grande variété de technologies utilisées pour ces filtres. Je n'en suis pas un spécialiste, mais je sais que tout ce qui est au contact de l'eau doit utiliser des matériaux conformes, testés par un laboratoire habilité pour vérifier qu'ils ne dispersent pas de substances indésirables, c'est un principe général.

Mme Florence Lassarade. - Je reste dubitative, on a vu que certains procédés de filtration produisaient du plastique sans que ce soit prévu.

M. Matthieu Schuler. - Dans ce cas, il faut regarder du côté des procédures de conformité.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci à tous les trois pour ces propos éclairants et précis.

Audition de Mme Caroline Paquet, responsable technique des marchés « Agences régionales de santé » et « Eaux minérales » du groupe Carso - Laboratoire santé environnement hygiène de Lyon
et de M. Yann Le Houedec, directeur général des activités pour la France d'Eurofins hydrologie
(Mardi 21 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Monsieur Yann Le Houedec, directeur général des activités environnementales pour la France d'Eurofins Hydrologie, et de Madame Caroline Paquet, responsable technique des marchés ARS et Eaux minérales du groupe Carso-Laboratoire santé environnement hygiène de Lyon (LSEHL).

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les auditionnés prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts par rapport à notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, cette dernière audition de la journée concerne toujours le dispositif de contrôle et de surveillance des eaux conditionnées.

Madame, Monsieur, vous représentez deux grands réseaux de laboratoires agréés par l'Anses pour la réalisation de prélèvements et/ou d'analyses des paramètres physicochimiques et microbiologiques du contrôle sanitaire des eaux.

Pourriez-vous présenter à la commission d'enquête le rôle de vos laboratoires dans le contrôle sanitaire des eaux ? Comment s'articule-t-il avec les laboratoires d'autosurveillance des exploitants ? À quelle fréquence et sur quels paramètres intervenez-vous ?

Le taux de conformité des prélèvements effectués sur les eaux minérales naturelles est-il satisfaisant, en comparaison d'autres types d'eaux ? Quelles sont les non-conformités les plus fréquentes ? Concernent-elles des paramètres microbiologiques ou physicochimiques ? Des non-conformités concernant la présence d'arsenic sont-elles fréquentes ?

Quels sont les risques de contaminations virologiques sur les eaux minérales naturelles ? Comment sont-ils appréciés ?

Êtes-vous amenés à contrôler des paramètres non prescrits par la règlementation (virus, microplastiques, PFAS...) ?

Vos laboratoires ont-ils été associés à la mise en oeuvre de plans de surveillance renforcée tels que celui recommandé par l'Anses en octobre 2023 concernant les eaux exploitées par Nestlé Waters ?

Une question importante sera aussi celle des éventuelles divergences d'interprétation entre vos analyses et celle des industriels ? Vos analyses comportent-elles des marges d'erreur ? Sont-elles contestables et sont-elles contestées par les industriels ?

Voici quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en une dizaine de minutes chacun. Suivra un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission s'ils le souhaitent.

Mme Caroline Paquet, responsable technique des marchés ARS et Eaux minérales du groupe Carso-LSEHL. - Je suis responsable technique des marchés du contrôle sanitaire du groupe Carso-LSEHL, agréé par l'Anses pour les analyses du contrôle sanitaire, à la fois sur les matrices d'eaux potables et d'eaux conditionnées.

En ce qui concerne le marché des eaux embouteillées, nous sommes mandatés par le contrôle sanitaire dans les régions pour lesquelles nous sommes titulaires du marché public du contrôle sanitaire. Chez Carso, nous avons tous les embouteilleurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Nous nous occupons également d'un ou deux embouteilleurs de la région Hauts-de-France et d'un autre en région Bourgogne-Franche-Comté, soit environ 38 sites d'embouteillage sur l'ensemble du territoire.

Nous sommes missionnés par les autorités chargées du contrôle sanitaire sur un cahier des charges, lequel comprend des menus analytiques et des fréquences d'analyse à réaliser sur des points divers.

Lors d'un contrôle sanitaire, nous devons procéder à des analyses au point d'émergence de la source, mais également à des points avant sous-tirage, c'est-à-dire avant le process d'embouteillage, ainsi que procéder à des analyses des produits finis. Nos préleveurs se rendent sur site et récupèrent la bouteille d'un lot qui est prête à être livrée par l'embouteilleur.

Pour Carso, le marché du contrôle sanitaire des eaux embouteillées représente 3 % de toutes les analyses que nous réalisons en proportion de l'ensemble des activités de contrôle sanitaire que nous réalisons sur tout le territoire. En prenant plus largement l'intégralité de notre chiffre d'affaires que nous générons en analyse d'eau, à la fois en contrôle sanitaire et hors contrôle sanitaire, les analyses d'eau représentent 0,3 % de notre chiffre d'affaires.

Il s'agit donc plutôt d'une activité marginale en termes quantitatifs pour nos laboratoires, mais qui demande la plus grande vigilance, car il est souvent question de « matrices », c'est-à-dire de types d'eaux plus difficiles que d'autres à analyser, avec des caractéristiques atypiques, notamment sur de l'eau fortement minéralisée et de l'eau gazeuse.

En plus du contrôle sanitaire, de nombreux petits embouteilleurs nous confient par ailleurs leurs analyses internes, ce que l'on nomme « l'autocontrôle ». Ils ne disposent pas forcément eux-mêmes de gros laboratoires et ont besoin de nous pour réaliser leurs analyses d'autocontrôle.

Pour les plus gros embouteilleurs que nous contrôlons, notamment Volvic, Évian, ou encore les sites de Cristaline, les analyses sont souvent ciblées en fonction d'un contexte spécifique : COV (composés organiques volatils), pesticides, PFAS, etc., molécules qu'ils ne peuvent pas analyser dans leurs propres laboratoires. Les grands industriels représentent toutefois un chiffre d'affaires assez réduit par rapport à d'autres types d'industriels avec lesquels nous travaillons au quotidien.

La fréquence à laquelle nous sommes missionnés par les ARS est assez semblable à celle à laquelle nous sommes missionnés pour l'autocontrôle sur les sites qui nous ont également sélectionnés pour l'autocontrôle. Il s'agit d'une intervention mensuelle pour des analyses de suivi bactériologique, à la fois sur le point d'émergence de la ressource, mais également sur les eaux du process avant embouteillage et le produit fini avant libération de l'eau.

En parallèle, nous réalisons une autre intervention deux fois par an, pour laquelle nous prélevons beaucoup plus de bouteilles, dans le cadre d'un « menu d'analyse complet » : bactériologie, chimie, pesticides, produits phytosanitaires et radioactivité.

Nous pratiquons également le contrôle sanitaire et l'autocontrôle pour les eaux distribuées dans le réseau d'eau potable, en particulier l'eau publique du Grand-Lyon, notre client principal. L'eau potable représente 40 % du chiffre d'affaires de notre unité Environnement pour les analyses d'eau. À noter que les non-conformités relevées sont plus nombreuses pour l'eau potable que sur l'eau embouteillée.

Dans le cadre des analyses du contrôle sanitaire, si un laboratoire constate un résultat dépassant un seuil de conformité, l'ARS et l'exploitant sont immédiatement alertés.

Enfin, les non-conformités relevées sont plutôt de type bactériologique que polluant, métallique ou chimique.

M. Yann Le Houedec, directeur général des activités environnementales pour la France d'Eurofins Hydrologie. - Je représente Eurofins Environnement. Nous réalisons des analyses des eaux et disposons d'un réseau de laboratoires en France. Pour ce qui est de l'affaire qui nous concerne, deux de nos laboratoires réalisent le contrôle sanitaire, en Occitanie et dans les Vosges. Nous nous occupons des sites qui sont particulièrement visés dans les discussions actuelles.

Tous nos laboratoires sont accrédités COFRAC et agréés Environnement pour les analyses pour lesquelles nous sommes mandatés. Notre rôle consiste à prélever ce qui nous est demandé par l'ARS. La fréquence de prélèvement et le « menu analytique » (ce que nous devons analyser) nous sont imposés par l'ARS.

Seule l'organisation du prélèvement reste à notre main, c'est-à-dire le moment où nous pouvons aller prélever au sein d'un même mois. Pour le reste, l'ARS nous impose où prélever, quoi prélever et quel menu analytique réaliser. Nous rendons ensuite les résultats d'analyse, notamment sur les paramètres bactériologiques.

Nous effectuons trois types d'analyses :

- Bactériologique (Il s'agit des principales non-conformités que nous relevons) ;

- Physico-chimique (pH, conductivité, etc.) ;

- Recherche de micropolluants (intrants entropiques, notamment les pesticides).

Ces trois types d'analyses nous sont demandées par l'ARS et la fréquence à laquelle nous menons ces analyses nous est totalement imposée par l'ARS.

Nous avons également un laboratoire habilité pour les ACS (Attestations de conformité sanitaire) pour les dispositifs au contact de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci de votre présence, la question de la fiabilité des données figure au coeur de nos débats, ayant notamment été questionnée par un certain nombre d'acteurs. Il est donc important que nous puissions comprendre le déroulement d'un contrôle sanitaire.

Lorsque vous réalisez le contrôle sanitaire d'un site à la demande de l'ARS, vous est-il interdit d'effectuer l'autocontrôle de ce même site, ou à l'inverse pouvez-vous être missionnés à la fois du côté de l'État et du côté de l'embouteilleur ?

Mme Caroline Paquet. - Pour un petit embouteilleur d'eau, nous pouvons à la fois réaliser un contrôle sanitaire et des analyses d'autocontrôle à sa demande. Cependant, il s'agit de deux demandes bien séparées, qui ne sont pas exécutées le même jour. Souvent, le petit embouteilleur se servira des analyses du contrôle sanitaire pour son autocontrôle et demandera des analyses en parallèle. Il est toutefois question de deux contrats différents, gérés par deux personnes différentes chez nous, avec également des prix différents.

De plus, le contrôle sanitaire est très réglementé, avec des seuils demandés et des rapports immédiatement envoyés à l'ARS, alors que dans le cas d'un contrat privé, l'embouteilleur peut nous demander les paramètres qu'il souhaite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À partir de quel seuil, par exemple pour un grand site comme Nestlé, établissez-vous une séparation entre le contrôle sanitaire et l'autocontrôle ? Est-ce une pratique interne ou une règle établie ?

M. Yann Le Houedec. - Pour un laboratoire comme le nôtre, l'impartialité est la première disposition qui est étudiée par le Comité français d'accréditation, c'est-à-dire sa capacité à analyser et à répondre aux demandes de tous les clients de manière totalement impartiale. Cela me permet de travailler pour n'importe quel client et d'éviter les conflits d'intérêts.

Tout échantillon qui entre dans nos laboratoires est anonymisé. Il est également traité de manière totalement indépendante et nous n'effectuons aucun croisement de résultats. De plus, nous sommes en effet audités annuellement et ces audits vérifient notre impartialité vis-à-vis de l'ensemble des résultats que nous rendons.

Par ailleurs, notre agrément Santé a pour critère d'exigence l'impartialité. Ainsi, lorsque nous répondons à un contrat de contrôle sanitaire en appel d'offres public, l'ARS ne nous demande jamais si nous nous occupons déjà de l'autocontrôle de l'industriel en question ou d'un autre contrat. L'enjeu est de savoir si nous sommes agréés Santé, si nous détenons les compétences nécessaires et si nous savons réaliser les analyses demandées.

Par conséquent, nous n'avons pas de règle spécifique interdisant de réaliser à la fois l'autocontrôle et le contrôle sanitaire pour un même site. Le seul critère qui compte est l'impartialité, qui est inscrite dans les règles de gestion internes de nos laboratoires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre réponse est claire. Cependant, avez-vous des clients qui sont l'objet de cette commission ? Il serait important de le préciser, pour votre protection.

M. Yann Le Houedec. - La réponse est positive.

Mme Caroline Paquet. - Nous avons effectivement des clients dans le secteur des eaux minérales, mais ils représentent une part minime de notre chiffre d'affaires. Il s'agit avant tout d'une carte de visite pour nous.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire combien de fois par an vous vous rendez sur un site ? Comment se déroule un contrôle sanitaire ? Que vous est-il demandé par les différentes ARS ? J'imagine que vous répondez aux mêmes appels d'offres.

Mme Caroline Paquet. - Nous répondons certes aux mêmes types d'appels d'offres, mais pas dans les mêmes régions. Les pratiques peuvent changer en fonction de l'ARS. Il nous est demandé de passer une fois par mois sur le site pour y réaliser des analyses bactériologiques.

Généralement, nous disposons d'une fenêtre d'un ou deux mois pour organiser une analyse complète sur laquelle nous déroulons l'intégralité du menu, de la source aux produits finis.

Notre seule marge de manoeuvre se limite à l'établissement de nos plannings, qui permettent à nos préleveurs de s'organiser pour se rendre tel jour dans telle usine.

M. Yann Le Houedec. - Les ARS nous demandent des fréquences de contrôle un peu différentes selon les sites. Nous recevons un planning avec les menus, les analyses à réaliser, ainsi que les points de prélèvements.

Notre seul but est de réaliser l'analyse au point de prélèvement qui nous est demandé. Lorsque nous nous rendons sur site, nous sommes accompagnés de l'industriel pour réaliser l'analyse. Nos préleveurs font quant à eux l'objet d'une accréditation.

Je conteste en revanche l'affirmation du rapport de l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) suggérant que les laboratoires privés seraient moins impliqués que les laboratoires publics ou l'ARS. Nos préleveurs sont très professionnels et impliqués. Leur mission est de prélever au point indiqué, sans porter de jugement sur l'environnement industriel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous donner des exemples de fréquences de prélèvements entre deux ARS, en indiquant votre prélèvement le plus régulier et le plus espacé ?

M. Yann Le Houedec. - Je dirais que les fréquences varient entre la semaine et le mois. Les prélèvements dépendent aussi des spécificités de chaque site. Nous avons effectivement constaté des changements de planning pour l'ARS Occitanie, mais je ne peux pas en expliquer les raisons. L'ARS ne nous informe pas des motifs de ces changements, que ce soit pour les menus analytiques ou les plannings. Pour plus de détails sur ces modifications, je vous suggère d'interroger directement l'ARS Occitanie.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons effectivement prévu d'entendre prochainement le directeur de l'ARS Occitanie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment vous assurez-vous que votre préleveur effectue lui-même le prélèvement et ne reçoit pas un échantillon préparé par l'industriel ?

Mme Caroline Paquet. - Nos préleveurs pour les eaux minérales et conditionnées sont expérimentés et connaissent bien les sites. Ils ont développé un regard critique sur leur activité, en particulier depuis 2022-2023.

Pour certains captages, l'ARS fournit des coordonnées GPS précises. Nos préleveurs utilisent alors des téléphones spéciaux pour valider leur position lors du prélèvement. Nous envoyons des bilans de prélèvement quotidiens ou hebdomadaires à l'ARS, selon ce qu'elle nous demande, pour les eaux potables et conditionnées.

Nous avons donc une bonne maîtrise sur les activités de nos préleveurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les révélations récentes ont montré que pendant des années, les industriels ont contourné la réglementation, en fournissant des échantillons prélevés après les traitements UV et les filtres à charbon. Avez-vous modifié vos pratiques pour prendre en compte ce risque de prélèvements effectués au mauvais endroit ?

M. Yann Le Houedec. - Le prélèvement a été effectué au bon endroit. Je pense plutôt que les dispositifs ont été placés en amont du point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Puisque votre point de prélèvement vous est imposé par l'ARS, si ce n'est pas le bon point qui a été choisi, il n'en va pas de votre responsabilité, mais de celle de ceux qui vous l'ont donné.

M. Yann Le Houedec. - Exactement. Nous nous rendons au point de prélèvement qui nous est fourni.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Du point de vue de nos attentes, ce n'est pas le bon point, puisqu'il se situe après les traitements, mais j'entends votre point de vue.

Par ailleurs, pouvez-vous nous expliquer les différences entre les contrôles effectués sur l'eau du robinet ou l'eau de boisson d'une part, et l'eau minérale naturelle d'autre part ? L'eau minérale naturelle fait-elle l'objet de contrôles moins approfondis que les eaux de boisson et l'eau du robinet ?

Mme Caroline Paquet. - Les paramètres analysés restent les mêmes, qu'il s'agisse d'eau de source, d'eau minérale ou d'eau du robinet. La seule différence concerne les critères adaptés à l'alimentation des nourrissons, qui peuvent nécessiter des paramètres supplémentaires. L'idée d'un contrôle moins strict pour les eaux minérales vient peut-être du fait qu'elles ne subissent pas de traitement pour être rendues potables, contrairement à d'autres eaux conditionnées. Cependant, de mon point de vue, le contrôle reste identique.

M. Yann Le Houedec. - Concernant la fréquence des contrôles, nous suivons les directives des ARS. Il me semble que pour les eaux minérales, la fréquence est légèrement plus faible, mais nous respectons la fréquence qui nous est imposée.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour résumer, si j'ai bien compris, ce sont les ARS qui déterminent la fréquence et le lieu de prélèvement ?

M. Yann Le Houedec. - Oui, ainsi que le menu analytique.

M. Laurent Burgoa, président. - La fréquence peut-elle varier selon les différentes ARS ?

M. Yann Le Houedec. - Oui. Elle peut même changer en cours de marché.

Mme Audrey Linkenheld. - Les cahiers des charges auxquels vous répondez sont-ils identiques d'une ARS à l'autre, ou diffèrent-ils selon les régions ?

M. Yann Le Houedec. - Les marchés sont passés au niveau régional, donc les cahiers des charges sont spécifiques à chaque région, notamment en ce qui concerne les listes de produits phytosanitaires demandées.

Mme Caroline Paquet. - Les demandes sont adaptées au contexte régional.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un certain nombre de cas, il est pointé le fait que l'autocontrôle ne donnerait pas le même résultat que le contrôle sanitaire, élément que nous avons retrouvé à plusieurs reprises de la part de Nestlé Waters. Avez-vous des éléments d'explications ? Pouvez-vous expliquer en quoi l'autocontrôle de l'industriel pourrait produire des résultats différents ? Est-ce une situation que vous rencontrez chez d'autres industriels de l'eau en bouteille, ou est-ce spécifique à ce cas ?

Mme Caroline Paquet. - Ce type de situation peut survenir avec tout type de client. En cas de réclamation client sur un résultat, nous vérifions notre traçabilité et nos processus analytiques. Si une erreur d'analyse est détectée de notre côté, nous corrigeons le rapport, en respectant notre process d'accréditation.

La plupart du temps, nos résultats sont confirmés. Nos laboratoires sont accrédités COFRAC, en plus d'être agréés par le ministère de l'Environnement et l'Anses. Nos méthodes sont éprouvées et adaptées à tous types d'eau et d'interférences. Après vérification interne, nous maintenons généralement nos résultats.

M. Yann Le Houedec. - Pour compléter, il faut savoir que ces gros industriels réalisent leurs propres autocontrôles. Ils nous envoient juste des échantillons ponctuellement, pour vérifier la justesse de leurs analyses. Ils disposent de leurs propres laboratoires et systèmes d'autocontrôle. Nous ne sommes pas destinataires des résultats de leurs analyses. Notre rôle se limite à envoyer le résultat à l'ARS, nous ne savons pas comparer les résultats entre les deux.

Nous avons une totale confiance dans les résultats que nous avons fournis à l'ARS sur la période concernée. Malgré une récente saisine du LHN (Laboratoire d'Hydrologie de Nancy) liée à des contestations de Nestlé, nous confirmons nos résultats. J'ignore sur quoi un industriel peut se baser pour contester les résultats de nos contrôles, ce qui est de toute façon extrêmement rare.

Les écarts, lorsqu'ils existent, sont généralement minimes et liés aux incertitudes de mesure, surtout pour des valeurs proches des seuils réglementaires. Notre accréditation et notre agrément garantissent la fiabilité de nos analyses. En parallèle, nous participons régulièrement à des essais inter-laboratoires pour maintenir nos agréments en santé. Nous avons donc une totale maîtrise dans les analyses que nous avons rendues pour le compte du contrôle sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'un des débats majeurs de cette commission concerne la microfiltration à 0,2 micron et son impact sur le microbisme de l'eau. Si nous vous demandions d'analyser l'eau avant et après le filtre à 0,2 micron, pourriez-vous déterminer s'il y a eu modification du microbisme de l'eau ?

M. Yann Le Houedec. - Nous pouvons réaliser une analyse avant-après sans problème. Cependant, nous ne pouvons pas conclure sur l'efficacité du processus de filtration, car cela dépasse notre domaine de compétence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Savez-vous analyser l'ensemble des éléments présents dans l'eau : minéraux, oligo-éléments, etc. ?

M. Yann Le Houedec. - Oui. Nous pouvons effectuer une analyse comparative complète si vous nous envoyez les échantillons.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour reformuler, le rapporteur souhaite savoir si, en analysant l'eau avant et après filtration, vous pouvez déterminer si la filtration altère la qualité de l'eau minérale.

Mme Caroline Paquet. - Nous pouvons fournir deux rapports d'analyse sur deux échantillons différents, avec des résultats potentiellement différents. Cependant, l'interprétation de ces différences dépasse nos compétences.

M. Yann Le Houedec. - Nous pouvons analyser des échantillons avant et après filtration, mais nous restons dans le cadre de nos compétences de laboratoire.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour clarifier, vous effectuez l'analyse, mais vous ne pouvez pas conclure qu'une filtration a eu lieu. Vous constatez simplement que l'eau est différente, sans pouvoir expliquer pourquoi.

M. Yann Le Houedec. - C'est bien cela. Notre seule compétence est de prélever et d'analyser l'eau, pas d'interpréter les résultats ou d'en tirer des conclusions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous a-t-il déjà été demandé par une ARS de conduire une analyse avant/après, depuis que les microfiltres ont été installés ?

M. Yann Le Houedec. - Pas à ma connaissance.

Mme Caroline Paquet. - Non plus.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'était pas une question piège. Si vous avez d'autres informations à ce sujet, n'hésitez pas à nous en faire part.

Mme Caroline Paquet. - Lorsque nous sommes envoyés par l'ARS sur les sites, nous prélevons au point indiqué sans connaître le process plus large.

M. Yann Le Houedec. - Nous ne sommes pas du tout informés des accords entre l'ARS et les sites concernant les processus de filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des contaminations microbiologiques ont été constatées sur le site de Perrier dès janvier 2020, entraînant des blocages et des investigations de l'ARS. L'ARS a identifié au moins trois épisodes de contamination en juin 2020, septembre 2020 et janvier 2021. C'est un laboratoire Eurofins qui a participé aux prélèvements et analyses. Quelle a été votre collaboration avec l'Anses, l'ARS ou le LHN à la suite de ces constats de non-conformités ? De plus, le risque pathogène a-t-il été écarté pour chacun de ces trois épisodes ?

M. Yann Le Houedec. - J'aurais besoin de regarder dans le détail, mais il me semble qu'il y a eu des dépassements de seuils, principalement sur des paramètres bactériologiques. Comme l'a indiqué ma collègue, pour les eaux minérales naturelles, les écarts concernent surtout la bactériologie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous constaté des écarts importants par rapport à la norme ?

Mme Caroline Paquet. - Cette norme est fixée à 0.

M. Yann Le Houedec. - Nous vous répondrons précisément sur ces trois épisodes. Cependant, les résultats appartiennent à l'ARS Occitanie. Pour obtenir les résultats précis, je vous invite à la contacter directement, car nous sommes uniquement des fournisseurs.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour l'ensemble des industriels du secteur, rencontrez-vous des difficultés pour accéder aux sites et analyser l'eau ? Y a-t-il parfois des retards ou des obstacles ?

Mme Caroline Paquet. - D'après mon expérience récente en Auvergne-Rhône-Alpes et dans les Hauts-de-France, nous n'avons pas rencontré de refus de prélèvement ou de rendez-vous non honorés sur ces sites. Les contacts sont généralement bons.

M. Yann Le Houedec. - Il est toujours très long et compliqué d'entrer sur un site industriel. Cela prend au minimum 30 ou 45 minutes et nous sommes systématiquement accompagnés. Pour autant, il n'y a pas de refus d'entrée.

M. Laurent Burgoa, président. - Vos contrôles sont-ils inopinés ou les industriels sont-ils prévenus ?

Mme Caroline Paquet. - Tout dépend des sites. Certains nécessitent une organisation préalable. Nous pratiquons ce que nous appelons du « semi-inopiné », où nous prévenons la veille pour le lendemain, mais ce n'est pas de l'inopiné dans le sens où nous arriverions de manière improvisée.

M. Yann Le Houedec. - En Occitanie, pour les contrôles sanitaires, nous ne prévenons généralement pas.

M. Hervé Gillé. - Pour approfondir les questions précédentes, vous réalisez des contrôles de la source aux produits finis. En ce qui concerne les eaux minérales et les eaux de source, s'agit-il de la même eau, étant donné qu'il n'y a pas de traitement ?

M. Yann Le Houedec. - Il n'y a pas de traitement au sens de la législation. En revanche, le taux de CO2 varie, notamment dans le cas d'une eau carbogazeuse. Ce n'est donc pas exactement la même eau.

M. Hervé Gillé. - Il est donc facile de déterminer si des traitements illégaux ont été effectués, en comparant la source et le produit fini.

M. Yann Le Houedec. - C'est exact, à considérer que ces traitements seraient postérieurs à la source.

M. Hervé Gillé. - Dans les cas qui nous concernent, notamment Nestlé Waters, l'eau de captage est polluée au démarrage et des traitements sont réalisés pour la rendre consommable, alors que ces derniers ne sont a priori pas autorisés.

M. Yann Le Houedec. - D'après ce que j'ai lu, il semble que le traitement était placé en amont du point d'analyse de l'eau de captage, rendant toute détection impossible.

M. Hervé Gillé. - Vous avez donc la capacité de caractériser si un traitement a été effectué sur une eau minérale ou de source ?

Mme Caroline Paquet. - Nous pouvons caractériser le type d'eau, mais nous ne sommes pas mandatés pour interpréter les résultats. Les échantillons sont anonymes pour nous.

M. Hervé Gillé. - Je comprends. Mais si de nouvelles procédures étaient mises en place au niveau des ARS, il serait possible de mieux détecter les traitements et de caractériser l'eau à l'origine et son embouteillage ?

M. Yann Le Houedec. - C'est effectivement l'objectif des analyses à la source et sur le produit fini. Nous prélevons les bouteilles avant leur mise sur le marché.

M. Hervé Gillé. - Certes, mais il peut y avoir dans le process d'embouteillage des pollutions particulières qui ne sont pas forcément dues à un traitement particulier.

Concernant les processus de contrôle, notamment dans le cadre de l'autocontrôle, il y a peut-être une faiblesse dans la chaîne qualitative de contrôle. Existe-t-il des organismes au-dessus de vous qui pourraient être missionnées pour effectuer des contrôles inopinés supplémentaires ?

M. Yann Le Houedec. - Nous sommes audités chaque année par un organisme indépendant, qui réalise notamment des revues de traçabilité. Lorsque nous rendons un rapport avec un certain type d'analyse, il nous est demandé de vérifier d'où provient le résultat.

M. Hervé Gillé. - Mais n'y a-t-il pas à un moment donné un changement d'opérateur par rapport à l'un de vos clients, qui permettrait d'avoir une forme d'audit extérieur réalisé dans le cadre du contrôle ?

M. Yann Le Houedec. - L'impartialité et l'indépendance du laboratoire constituent des éléments clés de l'accréditation COFRAC.

Mme Audrey Linkenheld. - Concernant les prélèvements anonymes, je souhaite savoir si vous pouvez distinguer s'il s'agit d'eau de boisson ou d'eau minérale lors de l'obtention des résultats.

Mme Caroline Paquet. - Nous connaissons le type d'eau, car les méthodes et les seuils réglementaires sont spécifiques à chaque type.

Mme Audrey Linkenheld. - Je m'interroge sur les contrôles et les marchés publics. Chaque ARS a un cahier des charges différent. Y a-t-il un nombre maximum de contrôles annuels ? Est-ce que le budget de l'ARS peut limiter le nombre de contrôles ?

Avez-vous déjà été surpris par une demande rapide de second contrôle de la part de l'ARS ? Lorsque vous constatez la présence d'agents pathogènes, existe-t-il un processus de transmission accéléré à l'ARS ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer quels sont vos clients dans les Hauts-de-France ?

Mme Caroline Paquet. - Pour le contrôle sanitaire, c'est l'exploitant qui nous paie, pas l'ARS. Le code des marchés publics prévoit l'application d'un seuil, mais nous finissons généralement par dépasser celui-ci, à cause des recontrôles après une non-conformité.

En cas de détection d'un agent pathogène réglementé, nous alertons immédiatement l'ARS et l'exploitant par courriel. Sinon, nous respectons les délais du marché public pour rendre l'analyse complète.

Enfin, nos clients dans les Hauts-de-France sont Saint-Amand-les-Eaux et Roxanne.

M. Daniel Gremillet. - Est-il possible que l'eau sortant de la nappe soit vierge de toute présence d'agent pathogène et que la continuation puisse avoir lieu dans le processus d'embouteillage ?

M. Yann Le Houedec. - Bien que je ne sois pas spécialiste de l'embouteillage, je pense que des biofilms peuvent se former autour des tuyaux et potentiellement contaminer l'eau, résistant aux nettoyages.

M. Daniel Gremillet. - Une telle situation se produit fréquemment dans le secteur du fromage.

Ma seconde question concerne les contrôles journaliers de l'exploitant. Ces contrôles permettent-ils de vérifier la cohérence entre vos résultats lors d'un contrôle inopiné et les échantillons conservés par l'exploitant ?

M. Yann Le Houedec. - Effectivement, c'est possible. La fréquence de l'autocontrôle dépend probablement des débits. Ces contrôles peuvent être journaliers et permettre de comparer les résultats du contrôle sanitaire à ceux de l'autocontrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous remarqué des différences significatives entre les industriels en termes de fréquence d'irrégularités, que ce soit dans le contrôle sanitaire ou l'autocontrôle ?

Mme Caroline Paquet. - Concernant les eaux minérales et conditionnées, au niveau de mes régions, je n'ai pas relevé de fréquences particulières ni de sites qui se démarquent plus que d'autres en termes de dépassements ou de recontrôles.

M. Yann Le Houedec. - Les niveaux de contamination observés sont extrêmement faibles, et je ne constate pas de variation majeure. Je vous invite à consulter l'ARS pour plus de détails, car les résultats sont leur propriété.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci, Madame et Monsieur, pour cette audition, qui aura permis de nous éclairer.

Je donne rendez-vous à nos collègues demain à 13 h 30, où nous auditionnerons Madame la directrice de l'eau et la biodiversité.

Audition de Mme Célia de Lavergne,
directrice de l'eau et de la biodiversité
(Mercredi 22 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Célia de Lavergne, directrice de l'eau et de la biodiversité au sein du ministère de la transition écologique.

Madame la directrice, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite, ainsi que les membres de votre équipe susceptibles de s'exprimer, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Célia de Lavergne, ainsi que Mme Julie Percelay, adjointe au sous-directeur de l'animation territoriale et de l'appui aux politiques de protection et de restauration des écosystèmes, au sein de la direction de l'eau et de la biodiversité, prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise également qu'il vous appartient à toutes deux, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition entre précisément dans le cadre du chapitre que nous consacrons au dispositif de contrôle et de surveillance des eaux conditionnées.

Madame la directrice, votre direction d'administration centrale au sein du ministère de la transition écologique est notamment chargée de la conception des politiques publiques en matière de protection de l'eau et de la biodiversité. Elle est à la tête du réseau déconcentré des directions départementales des territoires (DDT) et de la mer (DDTM), qui officient auprès des préfets de département au titre de la police de l'eau.

Bien que votre champ d'action ne soit pas dédié aux eaux embouteillées, nous estimons essentiel de vous entendre pour bien comprendre le cadre général de l'exploitation des eaux souterraines par les industriels des eaux et les exigences environnementales auxquelles ces derniers sont soumis, en mettant de côté la règlementation sur les eaux minérales naturelles, qui ne relève pas de votre compétence.

Comment vos services interviennent-ils lorsqu'un embouteilleur souhaite obtenir une autorisation d'exploitation d'une eau souterraine ? Des cas de forages sans autorisations sont-ils encore fréquents ?

Comment les volumes de prélèvements d'eau autorisés sont-ils déterminés ? La capacité de recharge de la nappe est-elle prise en compte et si oui, comment ?

À quelles informations vos services déconcentrés ont-ils accès concernant l'état des nappes exploitées par les industriels embouteilleurs ? Ces informations pourraient-elles être accrues ?

Comment les embouteilleurs sont-ils associés à la préservation de la ressource en eau, au niveau qualitatif et quantitatif ? Quels sont les outils aux mains des préfets voire des élus locaux, en temps « normal » ou en cas de sécheresse ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur vous interrogera.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : une présentation liminaire de votre travail et de vos réflexions sera suivie d'un premier temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur ; nous terminerons éventuellement cet entretien avec une dernière batterie de questions.

Mme Célia de Lavergne, directrice de l'eau et de la biodiversité au sein du ministère de la transition écologique. - Je veux à mon tour rappeler le champ de compétences de la direction de l'eau et de la biodiversité. Celle-ci a aujourd'hui en charge la conception, l'évaluation et la mise en oeuvre des politiques publiques de l'eau, des espaces naturels, de la biodiversité terrestre et marine et des ressources minérales non énergétiques, avec l'objectif de garantir et préserver l'usage équilibré des ressources.

Au titre des réflexions que vous portez au sein de cette commission d'enquête, elle intervient sur la préservation de la ressource en eau, en application, à la fois, de l'article L211-1 du code de l'environnement - lequel promeut cette gestion durable et équilibrée de la ressource en eau - et de la directive-cadre sur l'eau du 23 octobre 2000 - laquelle fixe un objectif de reconquête et de maintien du bon état des eaux.

Je précise que la définition des eaux minérales et de source relève du code de la santé publique, alors que la direction de l'eau et de la biodiversité intervient dans le champ du code de l'environnement.

Elle est néanmoins concernée par deux enjeux majeurs liés au sujet qui nous réunit aujourd'hui. Le premier est celui du forage, la qualité de réalisation d'un forage garantissant la protection de la ressource en eau. Le second est celui du prélèvement, avec la fixation de plafonds maximum de volumes autorisés pour garantir la soutenabilité des prélèvements.

Pour atteindre les objectifs fixés en la matière, la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau a introduit une nomenclature qui classe différents types d'installations, ouvrages, travaux et activités au regard de leur incidence sur l'eau et les milieux aquatiques (nomenclature IOTA).

On y retrouve deux rubriques qui nous intéressent : une sur le forage et une sur les prélèvements en eau. Selon les critères définis dans ce cadre, un porteur de projet souhaitant forer et prélever de l'eau doit formuler une demande auprès des services de l'État. Une simple déclaration est requise pour un prélèvement entre 10 000 mètres cubes et 200 000 mètres cubes par an. Au-delà, il faut une autorisation. Dans le cas très particulier des zones de répartition des eaux (ZRE), un seuil complémentaire de 8 mètres cubes par heure a été fixé, au-delà duquel l'autorisation est exigée.

Plus globalement, la loi de 1992 - dans la continuité de celle de 1964 qui avait créé les agences de bassin - a permis la mise en place progressive d'outils réglementaires visant à organiser la gestion quantitative de la ressource et à travailler sur une gestion durable et équilibrée, comme sur la gestion des épisodes de sécheresse.

Pour ce qui est de la gestion dans la durée, nous disposons du système des agences de l'eau, avec des préfets coordonnateurs de bassin, qui arrêtent tous les six ans des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage). Ceux-ci précisent les objectifs stratégiques et recensent les masses d'eau en déséquilibre quantitatif, sans regard, à ce stade, des usages. Ils sont déclinés en programmes de mesures, puis en plans d'action opérationnels territorialisés (PAOT).

Je veux également souligner, dans le cadre de ce propos liminaire, le caractère déconcentré de l'exercice des missions relevant de la politique publique que j'ai la chance de piloter. Le cadre national est posé par la direction de l'eau et de la biodiversité. L'instruction des demandes des acteurs territoriaux - par le biais de déclarations ou de demandes d'autorisation - est réalisée au niveau départemental par les services déconcentrés compétents.

Plusieurs réglementations s'appliquent sur les sujets auxquels vous vous intéressez. Nous avons vu que la définition des eaux minérales et de source - et, donc, le contrôle des activités liées à leur exploitation - relevait du code de la santé publique. Le ministère de l'environnement traite, lui, des questions relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et des questions propres à la préservation de la ressource. Les contrôles dans ce dernier domaine sont à la charge des inspecteurs de la police de l'eau au sein des DDT et des agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) - les premiers s'occupant de la police administrative et les seconds de la police administrative ou judiciaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ma première question porte sur le dispositif de contrôle et la façon dont les actions des différentes administrations centrales s'articulent. Comment travaillez-vous avec la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), l'OFB, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale de la santé (DGS) sur le contrôle des eaux minérales et de source ? On nous a par exemple expliqué qu'un forage mal réalisé pouvait entraîner des pollutions. Quand une agence régionale de santé (ARS) constate une difficulté sur la qualité de l'eau, vos services en sont-ils informés, d'une manière ou d'une autre ?

Mme Célia de Lavergne. - Comme je l'ai dit, un dossier déposé par un porteur de projet au titre de la réglementation environnementale est instruit au cas par cas, selon des canaux spécifiques en fonction de sa nature, par les préfets de département et les services instructeurs dans les DDT ou dans les unités départementales des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Au regard de la demande formulée, ceux-ci peuvent prendre un arrêté de prescription complémentaire du préfet, imposant à l'industriel certaines exigences.

En termes de coordination, nous avons une stratégie nationale de contrôle depuis 2020. Son objectif est de renforcer le dispositif des missions interservices de l'eau et de la nature (Misen), qui regroupent certains acteurs auprès du préfet de département pour mettre en cohérence le traitement des dossiers et les contrôles effectués en matière de police de l'eau et de la nature. La stratégie nationale, outre qu'elle a permis d'officialiser ces missions, a également instauré les comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale (Colden) pour mieux articuler police administrative et police judiciaire.

Nous avons aussi réaffirmé les priorités de contrôle de l'État, au travers de l'élaboration de 33 fiches. Parmi les thèmes traités dans ces fiches figurent la gestion quantitative de la ressource en eau et le contrôle des autorisations environnementales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été associés à la gestion du dossier qui nous occupe ? Avez-vous, par exemple, reçu les rapports de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) ou de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ? Peut-on regarder ce cas d'école pour voir s'il a donné lieu à des coordinations ?

Mme Célia de Lavergne. - Nous avons un rôle d'animation des services de police, plutôt autour de la mise en oeuvre du cadre réglementaire. Nous n'intervenons pas dans le traitement au cas par cas effectué au niveau départemental. À l'échelon national, la stratégie de contrôle a également compris la mise en place d'un comité interministériel, mais le sujet sur lequel vous travaillez n'y a pas été abordé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La découverte de forages illégaux, rendue publique par voie de presse, a-t-elle enclenché une vigilance particulière sur le reste du territoire ? Comment avez-vous réagi à cette information, qui est tout de même de nature à perturber ?

Mme Célia de Lavergne. - Je laisserai aux enquêtes de police le soin de qualifier, ou pas, les forages concernés d'illégaux. Je ne suis pas en mesure d'en juger, n'étant pas inspectrice de l'environnement.

Cela étant, je peux partager deux éléments avec vous.

La loi sur l'eau a créé des droits d'antériorité de prélèvement de la ressource en eau pour les acteurs territoriaux qui disposaient d'installations, dont des forages, antérieures à 1992. Un dispositif de régularisation prévoyait qu'ils devaient se manifester auprès du préfet sous un an, mais rien n'indiquait, dans la loi, ce qui adviendrait une fois ce délai passé.

Par ailleurs, au-delà de la question du respect de la loi, le sujet des déséquilibres quantitatifs est monté en puissance avec la directive-cadre sur l'eau. Nous avons mis en place un réseau de surveillance comprenant 3 369 piézomètres, qui nous permet aujourd'hui de repérer des zones prioritaires appelant notre attention en matière de disponibilité de la ressource en eau. Nous avons également mené une étude Explore2 pour déterminer, au travers d'une projection à 2070 et 2100, les grandes évolutions en la matière. Donner ces outils aux préfets de département, c'est leur permettre d'anticiper des discussions au sein des commissions locales de l'eau (CLE), ou dans le cadre des Sage ou des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE).

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends parfaitement vos explications. Mais peut-on avoir une réponse simple à la question de savoir si le fait d'identifier un problème donné a enclenché des contrôles supplémentaires ?

Mme Célia de Lavergne. - J'ai voulu insister sur le fait que nous avions clarifié le cadre, notamment en renforçant les Misen, et les objectifs en matière de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous une visibilité sur le niveau des nappes souterraines et sur la qualité de ces eaux ? Pensez-vous avoir une vision suffisante, voire complète, de ces sujets ? Développez-vous des outils complémentaires ?

Mme Célia de Lavergne. - L'objectif fixé par la directive-cadre nous a conduits à développer un réseau de piézomètres, qui nous donne une photographie assez claire de l'état de la ressource - c'est le cas surtout en métropole, mais nous renforçons le dispositif en outre-mer. En revanche, la nappe n'appartient pas à un embouteilleur donné. Nous suivons toutes les masses d'eau, non pas en fonction de leur usage, mais sous l'angle du milieu.

La directive-cadre ne fixe pas d'objectif en matière de qualité des eaux souterraines. C'est néanmoins un aspect que nous suivons, notamment grâce à des qualitomètres. Pour autant, je préfère répondre à cette question par écrit pour ne pas être imprécise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Observez-vous des phénomènes de surexploitation de certaines nappes, en particulier de nappes concernées par des prélèvements d'industriels des eaux embouteillées ? Si oui, avez-vous des zones précises en tête ?

Mme Célia de Lavergne. - Nous ne menons pas l'analyse en fonction des usages, des typologies de prélèvements. Nous travaillons par masse d'eau. Pour chacune d'entre elles, nous étudions les volumes prélevables, en identifiant les droits existants à prélever des acteurs - industriels, agriculteurs, distributeurs d'eau potable, etc. - et les besoins du milieu. À partir de ces études, un dialogue s'engage, souvent dans les CLE et les comités de Sage, pour partager le diagnostic, travailler sur des projections et élaborer des plans d'action en vue de revenir à l'équilibre. Ces plans d'action sont souvent doublés d'un règlement, permettant au préfet d'élaborer le cadre des autorisations de prélèvements dans la durée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je comprends bien, vous n'avez pas de pouvoirs directs ; vous transmettez au préfet une analyse, dont celui-ci fait son miel...

Mme Julie Percelay, adjointe au sous-directeur de l'animation territoriale et de l'appui aux politiques de protection et de restauration des écosystèmes, au sein de la direction de l'eau et de la biodiversité. - Les données sont analysées au niveau des comités de bassin, ce qui permet de connaître l'état quantitatif de la masse d'eau et de repérer les déficits. Elles le sont à nouveau, par les CLE, dans le cadre du travail qui se fait autour des Sage. C'est à ce niveau que les volumes sont répartis, volumes qui sont ensuite traduits dans les autorisations délivrées par le préfet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel pourcentage des masses d'eau de notre pays sont en déséquilibre ? Qu'en est-il de celles où des embouteilleurs réalisent des prélèvements ? Il serait intéressant que nous ayons une réponse, même ultérieurement par écrit.

Mme Julie Percelay. - Nous vous ferons un retour par écrit, car nous n'avons pas les données ici. J'insiste sur le fait que nous avons une approche par milieu : les données dont nous disposons croisent l'état des masses d'eau et les prélèvements, mais je ne suis pas certaine que nous puissions isoler les prélèvements des embouteilleurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment peut-on améliorer le suivi des nappes et de la qualité des eaux exploitées ? Avez-vous des préconisations sur les pollutions chroniques ou accidentelles des nappes ?

Mme Célia de Lavergne. - Le coeur de la politique publique que nous menons est la reconquête du bon état écologique des masses d'eau, ce qui recouvre, à la fois, un enjeu quantitatif et un enjeu qualitatif. La politique de protection des captages fait l'objet de travaux interministériels ; le constat que nous faisons de la dégradation d'un certain nombre de masses d'eau souterraines impose de lui donner un nouveau souffle. Nous devons travailler davantage sur la protection en amont des captages. Nous nous y attelons, avec le ministère de la santé et celui de l'agriculture.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez pudiquement le besoin d'un nouveau souffle... Selon vous, sommes-nous en train de perdre la bataille ou d'enrayer le phénomène ?

Mme Célia de Lavergne. - Je suis connue pour mon naturel optimiste et ma croyance dans la capacité des pouvoirs publics à traiter les sujets. Le travail en cours sur la protection des captages, qui associe tous les acteurs, nous permettra d'améliorer la qualité de nos masses d'eau. Nous rencontrons aujourd'hui des difficultés majeures, de par certaines pollutions existantes qui vont durer dans le temps. Mais nous sommes en mesure de travailler l'amont, de prévenir une dégradation complémentaire et de reconquérir progressivement les masses d'eau concernées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour aller au bout de la question : selon vos indicateurs, la situation se dégrade-t-elle ou s'améliore-t-elle actuellement ?

Mme Célia de Lavergne. - Nous avons récemment travaillé sur l'application de la directive européenne dite « Nitrates ». Dans ce cadre, nous avons constaté qu'un tiers des masses d'eau se dégrade du fait de pollutions aux nitrates, un tiers s'améliore et un tiers stagne. Ce sont les ordres de grandeur ; je vous donnerai les chiffres précis.

M. Olivier Jacquin. - Un grand nombre de captages ont fermé au cours des dernières décennies. Avez-vous documenté les raisons de ces fermetures ? Là où l'agriculture biologique est mise en oeuvre - en dehors des zones viticoles, où il peut y avoir des dispersions de cuivre -, constate-t-on des améliorations de la ressource en eau ?

Mme Célia de Lavergne. - Entre 1980 et 2021, 12 600 captages ont été fermés, essentiellement pour cause de pollution. Ces décisions ont été prises à la suite d'analyses révélant des niveaux supérieurs aux seuils autorisés pour la qualité des eaux brutes ou des eaux destinées à la consommation humaine. Si vous souhaitez des éléments plus précis, nous vous les transmettrons.

Plusieurs solutions peuvent être mises en oeuvre pour améliorer la protection des captages. L'agriculture biologique en fait partie, car elle met en oeuvre des pratiques évitant l'utilisation de certains produits polluant les nappes. Mais il existe d'autres dispositifs et d'autres pratiques de transition agroécologique. Pour une feuille de route ambitieuse sur la question, il faut recenser l'ensemble des solutions qui s'offrent aux acteurs - collectivités, agriculteurs, etc.

Mme Marie-Lise Housseau. - Depuis les lois de 1992 et 2006, l'eau est devenue un patrimoine commun, sur lequel, en tant que directrice de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique, vous devez tout de même avoir une vue assez globale. Entre les questions de gestion quantitative et de gestion qualitative, entre le niveau national et le niveau local, il y a implication d'une multitude d'organismes, et les scandales comme celui qui est en train d'éclater donnent l'impression que tout cela constitue un filet de pêche avec énormément de mailles, mais au travers duquel on peut finalement passer. Ne faudrait-il pas envisager une réorganisation, afin que les différentes administrations ne se renvoient pas systématiquement la balle ?

Mme Célia de Lavergne. - Depuis les lois que vous mentionnez, il y a eu de nombreuses évolutions. La stratégie nationale de contrôle dont je vous ai parlé est, par exemple, une manière de resserrer les mailles du filet. Au-delà, nous avons la chance en France d'avoir un système d'agences de l'eau, fonctionnant par cycles de six ans au cours desquels des diagnostics sont posés ; nous avons aussi des réseaux de surveillance extrêmement performants. Le travail de la direction de l'eau et de la biodiversité a précisément constitué, au cours des dernières années, à renforcer le filet et à mieux coordonner le contrôle.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous estimez donc que le système est efficace et que ce qui vient de se passer ne peut pas survenir ailleurs...

Mme Célia de Lavergne. - Je dis que, dans la politique publique que nous menons, nous avons identifié des priorités autour du contrôle de la gestion quantitative de l'eau et du contrôle des autorisations environnementales. Mais le préfet oriente ensuite son action, en fonction des enjeux identifiés comme prioritaires, mais aussi des moyens dont il dispose.

Dit autrement, le préfet a aujourd'hui à sa disposition 33 fiches de contrôle prioritaires, dans lesquelles on retrouve les deux sujets que j'ai mentionnés. Mais c'est lui qui définit le plan de contrôle départemental.

Pour notre part, nous ciblons les zones en déséquilibre quantitatif, où l'effort doit porter. En 2024, 7 000 contrôles ont été réalisés en gestion quantitative sur le territoire français.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous avez expliqué que votre administration centrale avait totalement déconcentré ses pouvoirs, au bénéfice des préfets de département. Mais y a-t-il tout de même un lien ? Vos services ne peuvent-ils pas être interpellés sur un dossier particulier par un préfet ou l'interpeller lui-même ?

Mme Célia de Lavergne. - Un enjeu majeur pour une direction comme la nôtre est de pouvoir, à la fois, définir le cadre réglementaire et accompagner sa mise en oeuvre. Nous menons donc un travail important autour de l'animation de plus de 65 réseaux métiers dans les services déconcentrés. L'un de ces réseaux a précisément la police de l'eau pour sujet. Dans le cadre de ces réunions, des cas pratiques peuvent être examinés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour prolonger la question de M. le président, vous nous décrivez avec beaucoup de soin la comitologie. Mais pouvez-vous nous donner des exemples concrets, nous expliquer comment vous agissez dans telle ou telle situation ? Pour les affaires qui nous concernent, avez-vous connaissance de cas dans lesquels, par exemple, des préfets ont imposé des restrictions de prélèvements à des embouteilleurs en période de sécheresse ?

Mme Célia de Lavergne. - Je laisserai Julie Percelay répondre à cette question, car elle appartient depuis plus longtemps que moi à la direction de l'eau et de la biodiversité, et a participé à l'animation de certains des réseaux évoqués. Je précise néanmoins qu'en matière de gestion de la ressource, un dispositif spécifique à la sécheresse a été mis en place ; il est complémentaire au cadre que je vous ai décrit.

Mme Julie Percelay. - Ce dernier vise à donner des instructions générales aux préfets. Or il y a une demande assez forte, de la part du Gouvernement et des préfets, de limiter les instructions pour favoriser la déconcentration des décisions.

S'agissant des éléments relatifs à la gestion des sécheresses, nous entrons rarement dans le détail. Nous restons plutôt sur la situation hydrologique et les mesures prises de manière globale dans les départements.

S'agissant des éléments relatifs à la gestion quantitative au sens large, nous reprenons les données concernant l'état quantitatif des masses d'eau, les ZRE, les volumes prélevables au niveau des bassins, etc.

Au-delà de ce cadre général, nous pouvons être interrogés par les services déconcentrés sur un cas particulier, notamment en vue de leur apporter un appui juridique, ou intervenir en cas de contentieux sur les décisions prises par les préfets. En la matière, je n'ai pas d'exemple à vous donner qui concernerait une activité d'eaux embouteillées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je résume, c'est un sujet que vous n'avez jamais évoqué avec un préfet, y compris dans les Vosges ou dans le Gard.

Mme Julie Percelay. - Personnellement, non.

Mme Célia de Lavergne. - Depuis le 21 août 2023, date de ma prise de fonction, je n'ai pas eu d'échange à ce sujet. Nous nous parlons... Il y a donc pu avoir des échanges entre services. Mais, à ma connaissance, il n'y a pas eu de réunion, d'échanges directs avec le préfet ou d'instructions données.

M. Laurent Burgoa, président. - Lors de nos auditions, nous avons eu connaissance d'une réunion interministérielle datant de février 2023. Votre direction y aurait-elle participé ?

Mme Célia de Lavergne. - Je vais vérifier ce point, tout en rappelant, une fois encore, que la compétence sur les eaux minérales et de source relève du code de la santé publique.

Mme Anne Ventalon. - Eu égard à vos précédentes fonctions et à votre connaissance du travail parlementaire, pensez-vous que le cadre législatif actuel est adapté pour répondre aux enjeux environnementaux liés à l'exploitation des eaux en bouteille ?

Mme Célia de Lavergne. - Eu égard à la responsabilité qui est la mienne aujourd'hui, je peux vous dire que notre dispositif législatif et réglementaire nous permet de piloter nos objectifs de préservation de la ressource en eau et d'atteinte du bon état écologique. Je suis ouverte à toute proposition des parlementaires, mais je ne juge pas nécessaire une évolution de ce cadre.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous êtes commissaire du Gouvernement au sein du conseil d'administration de l'OFB. Dans certains départements, l'Office a mené des opérations de contrôle en lien avec l'objet de notre commission d'enquête. N'avez-vous jamais eu de retour sur ces sujets ?

Mme Célia de Lavergne. - La direction de l'eau et de la biodiversité exerce en effet la tutelle sur l'OFB. Cela concerne la gestion, l'organisation des missions, l'écriture des conventions d'objectifs, leur suivi, etc. Pour autant, lorsqu'ils sont assermentés, les inspecteurs de l'environnement de l'OFB traitent de procédures judiciaires. Les éléments qu'ils recueillent sont confidentiels et destinés au procureur.

Audition de M. Olivier Thibault, directeur général
de l'Office français de la biodiversité et de M. Marc Collas,
chef du service départemental des Vosges
(Mercredi 22 janvier 2025)

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions. Monsieur le directeur général, Monsieur le chef de service, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité (OFB). - Je le jure.

M. Marc Collas, chef du service départemental des Vosges. - Je le jure.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts avec l'objet de nos travaux.

M. Olivier Thibault. - Je n'en ai aucun.

M. Marc Collas. - Je n'en ai aucun.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Pourriez-vous revenir sur les missions de l'OFB, ainsi que sur son rôle dans l'enquête, aujourd'hui conclue par une convention judiciaire d'intérêt public, concernant les forages de prélèvement d'eau de Nestlé Waters dans le département des Vosges qui étaient exploités sans autorisation ? Quelles sont les mesures de régularisation mises en oeuvre par Nestlé Waters sous le contrôle de l'OFB ? Avez-vous connaissance d'autres cas dans d'autres départements ?

De manière générale, existe-t-il des dispositifs prévus par la règlementation pour prévenir les dommages environnementaux des industriels embouteilleurs ? D'après votre expérience, comment se matérialisent ces dommages ?

De manière générale, l'OFB est-il amené à contrôler régulièrement les installations des embouteilleurs ? Quelles sont ces installations ?

Sur quels outils et sur quelles informations vos enquêteurs se basent-ils pour évaluer l'existence d'un dommage environnemental ? Les informations auxquelles vous avez accès concernant ces exploitations privées sont-elles suffisantes ?

M. Olivier Thibault. - L'OFB est un établissement public de l'État, sous la double tutelle des ministères en charge de l'agriculture et de l'écologie. Il exerce cinq grandes missions : la police de l'environnement, l'acquisition et la mise à disposition du public de connaissances, l'appui aux politiques publiques en matière d'environnement, la gestion en propre d'espaces protégés et la conduite de missions d'information, d'éducation et de sensibilisation à l'environnement.

La police de l'environnement s'exerce dans deux cadres différents : dans sa dimension administrative, cette police s'exerce sous l'autorité du préfet, en lien avec la mission interservices de l'eau et de la nature et dans le cadre d'une stratégie nationale de contrôle ; dans sa dimension judiciaire, elle s'exerce sous l'autorité du procureur, dans le cadre d'enquêtes judiciaires.

Les enquêtes judiciaires en cours étant couvertes par le secret de l'instruction, nous ne pourrons pas nécessairement les évoquer au cours de cette audition.

Cette police de l'environnement recouvre par ailleurs des missions d'instruction et de contrôle. Des services instructeurs sont chargés d'instruire les dossiers transmis par les demandeurs d'autorisations ou de déclarations. Ils vérifient la présence de toutes les pièces nécessaires, examinent les éventuels impacts, le cas échéant en consultant d'autres services. In fine, ils valident ou non les autorisations. L'OFB n'est pas l'un de ces services instructeurs. Dans les domaines qui nous concernent, les services instructeurs sont généralement la direction départementale des territoires-DDT (pour la protection de la nature), la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement-DREAL ou la direction départementale des populations-DDPP (pour les installations classées) ou l'agence régionale de santé-ARS (pour les permis de captage). Ces services instructeurs peuvent, sous l'autorité du préfet, solliciter l'OFB pour des avis techniques. L'OFB n'instruit cependant aucun dossier en propre. Il n'établit pas d'arrêté ou de récépissé de déclaration.

Une fois qu'une installation ou un ouvrage est autorisé, se pose ensuite la question du contrôle de sa conformité, par rapport à la déclaration d'autorisation et à la règlementation (code de l'environnement, code rural, code de la santé publique). Nos inspecteurs de l'environnement sont chargés de la mise en oeuvre de ces contrôles, pouvant s'inscrire dans un cadre administratif ou judiciaire.

Dans le cas de l'enquête sur les installations de Nestlé Waters, on retrouve des enjeux liés au code de l'environnement, autour des captages eux-mêmes, qui relèvent de la loi sur l'eau de 1992 et d'un décret de nomenclature de 1993 (lequel donne, dans ses rubriques 1.1.1.0 et 1.1.2.0, des précisions concernant les autorisations ou déclarations de captage et de prélèvement - les prélèvements de plus de 200 m3 étant soumis à autorisation). Les captages de Nestlé Waters étant pour la plupart anciens, ils auraient dû faire l'objet d'une procédure de déclaration, dans un délai d'un an après la sortie de la nomenclature. On retrouve également des enjeux liés à la nomenclature ICPE - les installations de Nestlé Waters étant classées au titre de la protection de l'environnement par la DREAL. Enfin, s'agissant d'une eau minérale commercialisée auprès du grand public, on retrouve des enjeux liés au code de la santé publique, avec une autorisation instruite par l'ARS et vérifiée par la DGCCRF.

Nous sommes entrés dans ce dossier, non pas dans le cadre de contrôles administratifs, mais dans le cadre d'une enquête, sur la base d'un soit-transmis du procureur.

M. Marc Collas. - Le service départemental des Vosges de l'OFB a été saisi dans le cadre de deux enquêtes judiciaires. La première, concernant les forages de Nestlé Waters, a été clôturée par une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP). La seconde, portant sur des décharges de plastiques, est toujours en cours d'instruction. Je ne pourrai donc pas évoquer cette seconde enquête lors de cette audition.

Concernant les forages, une première plainte a été déposée en 2020, qui a fait l'objet d'un classement sans suite en 2021. À la suite d'un recours administratif du collectif d'associations dépositaire de la plainte, le procureur général de la cour d'appel de Nancy a infirmé la décision du procureur d'Épinal et demandé la réouverture de l'enquête. Cette enquête complémentaire a été confiée au service départemental de l'OFB, qui n'avait pas été consulté lors du traitement de la première plainte.

Débutée en décembre 2022, à compter de la réception du soit-transmis du procureur d'Épinal, cette enquête a duré une année. Il s'est agi, pour un service de la taille du nôtre, d'une enquête hors norme. Il a toutefois été très valorisant pour nous de travailler sur un dossier de cette ampleur.

Nous avons rendu nos conclusions au procureur d'Épinal en début d'année 2024. Celui-ci a ensuite mis en place une CJIP environnementale, validée par le tribunal le 10 septembre 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment analysez-vous la mise en place d'une CJIP à la suite de cette enquête ? En avez-vous discuté avec le procureur ? Aviez-vous émis une recommandation en ce sens ? Avez-vous été consultés d'une manière ou d'une autre dans le choix de cette modalité ?

M. Marc Collas. - Cette enquête judiciaire est intervenue après la régularisation des forages, datant de 2019, et après la modification des autorisations environnementales, validées par arrêté préfectoral en 2022.

Dans le cadre de cette enquête, nous avons été mandatés en tant qu'inspecteurs de l'environnement. Cependant, in fine, la décision revenait entièrement au ministère public. Après avoir rendu nos conclusions, nous avons été dessaisis de la procédure. Toutefois, le procureur nous a associés à la rédaction de la CJIP, pour le volet concernant la réparation du préjudice écologique. Dans ce cadre, nous avons également échangé avec l'industriel.

Dans la CJIP, on retrouve les mesures que Nestlé Waters est appelé à mettre en oeuvre dans les 2 ans à venir, sous le contrôle de l'OFB. L'action publique n'est donc pas éteinte dans ce dossier. Si Nestlé Waters ne respecte pas les conditions fixées par la CJIP, le procureur aura la possibilité de reprendre l'action publique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelles atteintes à l'environnement avez-vous constatées ? Quelle était leur ampleur ? Quelles mesures de restauration avez-vous préconisées ?

M. Marc Collas. - La restauration du préjudice écologique est un sujet complexe. Nous y travaillons au sein du conseil scientifique de l'OFB, dont je suis membre.

Dès lors qu'il est question d'eaux souterraines, il est très difficile d'envisager des mesures de restauration en profondeur. Il a donc été décidé de favoriser la recharge des nappes phréatiques par des eaux de bonne qualité. Dans la CJIP, on retrouve ainsi des mesures de restauration de cours d'eau (sur des linéaires importants), l'implantation de haies pour favoriser l'infiltration des eaux, la mise en place d'un réseau de mares (favorisant également la biodiversité), etc. La mise en oeuvre de ces mesures devra être détaillée et chiffrée dans un dossier demandé à l'industriel.

Pour constater ce préjudice écologique, nous nous sommes appuyés sur le réseau de l'Observatoire national des étiages. Ce réseau se compose d'environ 3 000 stations sur le territoire national, dont une trentaine situées dans le département des Vosges. Nous avons notamment exploité les séries chronologiques de deux stations situées sur le Vair et le Petit Vair, à savoir les deux cours d'eau potentiellement impactés par les pompages souterrains de Nestlé Waters. Nous avons constaté des assecs précoces sur ces cours d'eau. Toutefois, ces réseaux karstiques sont caractérisés par une infiltration accélérée de l'eau. Un observatoire devrait être mis en place dans le cadre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), approuvé en 2023, pour produire des données actualisées sur les trois gîtes hydrominéraux concernés (eaux superficielles, eaux de Contrex et eaux de la nappe DGTI de Vittel). Ce SAGE est mis en oeuvre sous l'égide du conseil départemental des Vosges. Il permettra de définir des orientations pour favoriser la recharge de la nappe la plus profonde, à savoir la nappe DGTI, aujourd'hui en surexploitation, ainsi que la règlementation applicable à tous les usagers des milieux naturels du secteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une surexploitation de la nappe a donc été constatée. À quel moment cette surexploitation a-t-elle été actée par les autorités préfectorales ? Cela a-t-il entraîné des restrictions pour l'industriel ?

M. Marc Collas. - L'abaissement de la nappe DGTI est un phénomène connu depuis les années 1970. Toutefois, Nestlé Waters n'est pas le seul industriel exploitant cette nappe très vaste. Elle fait également l'objet d'utilisations par d'autres industriels et de pompages pour l'alimentation en eau potable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est le niveau de pompage de Nestlé Waters sur cette nappe ?

M. Marc Collas. - Nestlé Waters disposait d'une autorisation de pompage jusqu'à 1 million de m3 par an, sur une ressource globale de la nappe estimée à plusieurs milliards de m3. Le système de failles sur le secteur de Vittel est toutefois particulièrement sensible et est exploité par plusieurs industriels. Depuis 2004, tout cela est acté. Les premières consultations sur le SAGE ont été engagées en 2012. Le SAGE a ensuite été approuvé par la préfecture en septembre 2023.

Dans ce contexte, Nestlé Waters a d'abord réduit son niveau de pompage à 500 000 m3 par an. Aujourd'hui, il n'en utilise plus que 200 000 m3 par an.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette réduction est-elle le fait des arrêtés préfectoraux ?

M. Marc Collas. - Cela traduit aussi une volonté de l'industriel.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Existe-t-il des initiatives de concertation avec les industriels pour mesurer l'impact sur la biodiversité et réduire l'impact environnemental de leurs activités ?

M. Marc Collas. - Depuis le début des discussions autour du SAGE en 2012, la commission locale de l'eau réunit l'ensemble des usagers de la nappe (industriels, collectivités, associations de consommateurs, etc.), sous la gouvernance de la préfète. C'est au sein de cette commission que des orientations sont discutées, en bonne intelligence, avec une volonté partagée de restaurer la nappe à l'horizon 2027, même si les débats sont parfois difficiles au regard des intérêts un peu divergents des différents usagers.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'enquête réalisée dans le département des Vosges a-t-elle conduit l'OFB à s'interroger sur l'existence d'autres forages non autorisés sur d'autres sites ? Avez-vous connaissance d'autres instructions ou recherches en cours aujourd'hui sur le territoire national ?

M. Olivier Thibault. - La régulation de l'ensemble des prélèvements d'eau a fait l'objet d'un large débat il y a quelques années, y compris au sein du Sénat. La question était de savoir s'il convenait de durcir ou de simplifier les procédures.

Les grands prélèvements de plus de 200 000 m3 sont soumis à autorisation. Cependant, il existe également quantité d'autres petits prélèvements, réalisés par des particuliers, des industriels, des artisans, des agriculteurs, etc.

Dans ce contexte, une stratégie nationale de contrôle est définie, qui hiérarchise les enjeux. Il est ensuite demandé à chaque préfet de vérifier l'adéquation de cette stratégie avec les caractéristiques de son département. Les missions interservices de l'eau et de la nature organisent ensuite les contrôles à effectuer.

Dans ce cadre, de larges campagnes de régularisation des prélèvements ont été réalisées dans les années 2005-2010, à l'échelle nationale. Quant à savoir s'il reste encore aujourd'hui des forages non déclarés, il conviendrait de demander aux services instructeurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les services instructeurs s'appuient néanmoins sur vos équipes pour réaliser les enquêtes. Avez-vous en ce moment des agents travaillant sur le sujet ? Des forages illégaux ont-ils ainsi été identifiés ?

M. Olivier Thibault. - Il existe encore des forages non déclarés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous nous dire où et si ces forages concernent le même industriel ?

M. Olivier Thibault. - Je n'ai pas connaissance de procédures administratives concernant le même industriel. Pour ce qui est des procédures judiciaires, je ne saurais vous répondre, n'en étant pas informé - les procédures judiciaires sont couvertes par le secret de l'instruction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez donc jamais été informé de l'enquête en cours dans les Vosges ?

M. Olivier Thibault. - J'ai été informé de la réalisation d'une enquête, mais pas du fond du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous aujourd'hui au courant de la réalisation d'enquêtes dans d'autres départements ?

M. Olivier Thibault. - Je ne suis pas au courant d'enquêtes judiciaires en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le cas échéant, vous pourrez nous le préciser ultérieurement.

M. Olivier Thibault. - Toutes les collectivités et tous les industriels n'ont probablement pas déclaré tous leurs forages. Cependant, je ne suis pas au courant d'enquêtes judiciaires en cours sur le sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous au courant de l'existence de forages d'industriels non déclarés ?

M. Olivier Thibault. - Non. Je ne saurais cependant vous garantir que tous les forages d'industriels sont aujourd'hui déclarés.

M. Marc Collas. - Lorsque nous avons ouvert cette enquête judiciaire dans les Vosges, nous en avons rendu compte, non pas au directeur général, mais à la direction de la police de l'OFB. Nous avons ensuite pris nos instructions auprès du procureur.

M. Olivier Thibault. - L'OFB s'appuie sur des services départementaux, dotés chacun d'inspecteurs de l'environnement, placés sous l'autorité de directeurs régionaux, eux-mêmes sous l'autorité d'une directrice générale en charge des territoires et de l'outre-mer. L'OFB compte également des directions métiers, dont une direction de la police et des permis de chasser. Cette direction nationale fait partie d'une direction générale déléguée à la police, à la connaissance et à l'expertise, elle-même rattachée au directeur général. Au sein de la direction de la police et des permis de chasser, on retrouve un service juridique, un service national d'enquête, des brigades mobiles d'intervention, etc. En fonction du type et de la sensibilité des enquêtes, un suivi est ainsi organisé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La révélation des faits constatés dans les Vosges a-t-elle généré des recherches dans d'autres départements ?

M. Olivier Thibault. - Pas à ma connaissance.

M. Marc Collas. - L'OFB ne peut intervenir que sur la base d'une saisine judiciaire. Si nous ne sommes pas informés des faits, le cas échéant à la suite d'une plainte d'un collectif d'associations, nous ne pouvons pas diligenter une enquête.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez également pour mission d'effectuer des contrôles administratifs.

M. Olivier Thibault. - Ces contrôles sont effectués sous l'autorité du préfet, délégué départemental de l'OFB pour cette mission de police administrative. Sur ce sujet, aucune procédure nationale n'a été lancée à ce jour.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pourriez donc lancer une procédure nationale, à décliner par les préfets.

M. Olivier Thibault. - Nous pouvons mettre en avant un certain nombre de priorités et d'enjeux locaux ou nationaux. Il appartient ensuite aux préfets de décider.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Depuis le scandale des embouteilleurs, ce sujet est-il remonté dans la hiérarchie des priorités nationales ?

M. Olivier Thibault. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur quels autres champs de l'activité des embouteilleurs vos enquêtes peuvent-elles porter ?

M. Marc Collas. - J'ai évoqué une enquête en cours sur des décharges de plastiques sauvages. Cette procédure demeure cependant couverte par le secret de l'instruction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette pratique est-elle répandue ?

M. Olivier Thibault. - Les décharges sauvages recouvrent plusieurs réalités, relevant de règlementations différentes. Il existe sur tout le territoire national des dépôts illégaux de déchets, vis-à-vis desquels nous sommes pleinement compétents, avec les maires et la gendarmerie. Il existe également des décharges classées, selon plusieurs niveaux en fonction du type de déchets. Ces décharges relèvent de procédures ICPE, instruites par les DREAL. Il existe ainsi des plans régionaux de suivi. Dans ce cadre, nous pouvons être sollicités en cas d'impacts sur l'environnement.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - En l'absence d'autres questions de nos collègues sénateurs, je propose de clore cette audition. Merci pour ces échanges et nous serons attentifs à votre contribution écrite.

Audition de M. Grégory Emery, directeur général de la santé
(Mercredi 22 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions. Monsieur le Directeur général, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc, avec les personnes qui vous accompagnent, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Grégory Emery, directeur général de la santé. - Je le jure.

Mme Camille Llavador, directrice de cabinet du directeur général de la santé. - Je le jure.

Mme Mathilde Merlo, cheffe du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé. - Je le jure.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts avec l'objet de cette commission d'enquête.

M. Grégory Emery. - Je n'en ai aucun.

Mme Camille Llavador. - Je n'en ai aucun.

Mme Mathilde Merlo. - Je n'en ai aucun.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le directeur général, l'administration que vous dirigez exerce un rôle central en matière de règlementation des eaux minérales naturelles et des eaux de source, codifiée au sein du code de la santé publique. Vous exercez également la tutelle sur les agences régionales de santé (ARS) qui mettent en oeuvre la règlementation française des eaux conditionnées et réalisent les contrôles officiels des exploitants.

Du fait de ces missions de contrôle, la DGS et les ARS concernées ont été au coeur de la mise en oeuvre du plan de transformation mené par Nestlé Waters pour abandonner les traitements interdits par la règlementation.

Pourriez-vous revenir brièvement sur la règlementation régissant les eaux minérales naturelles et sur ses justifications, notamment au regard de la notion de pureté originelle ? Est-elle en danger aujourd'hui ?

Quel est le statut juridique de la microfiltration ? Selon vous, quel seuil de coupure est aujourd'hui autorisé ? Serait-il opportun de le préciser dans le droit ? Des microfiltrations à 0,2 micron sont-elles actuellement utilisées par des industriels, y compris par Nestlé Waters ? Des arrêtés pris par les préfets autorisent-ils ce niveau de microfiltration ?

Aujourd'hui, êtes-vous en mesure d'affirmer à la commission d'enquête que toutes les non-conformités constatées dans le cadre de la mission d'inspection de l'Igas (conclue en juillet 2022) ont été corrigées ? Si non, pourquoi ? Les contrôles n'ont-ils pas été renforcés à la suite des informations révélées dans la presse ?

M. Grégory Emery. - Mon propos portera uniquement sur la sécurité sanitaire des eaux, qui relève des compétences du ministère en charge de la santé.

La qualité des eaux est aujourd'hui un sujet particulièrement complexe et sensible, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la raréfaction de l'eau de bonne qualité nous oblige collectivement à définir une politique d'utilisation résiliente et concertée de l'eau et, dans ce cadre, à penser différemment la gestion des risques. Nous nous inscrivons par ailleurs dans un contexte de recul de la confiance des Français vis-à-vis de la qualité des eaux, passée, pour l'eau du robinet, d'après une enquête récente, de 85 % en 2022 à 78 % en 2023. Ce sujet, qui est l'objet de votre commission d'enquête, est d'autant plus prégnant que les eaux conditionnées disponibles dans le commerce étaient jusqu'à présent perçues par les Français comme des produits de qualité supérieure - ces eaux étant même recommandées par le ministère de la santé en cas d'indisponibilité temporaire de l'eau du robinet.

Pour toutes ces raisons, soyez convaincus, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, de la forte attention que je porte à ce sujet. Je m'attacherai à répondre à vos questions en tant que directeur d'administration centrale et en tant que médecin de santé publique en charge des politiques publiques de santé. Je dois cependant vous dire que je ne suis pas un expert scientifique de l'eau. Vous avez, à ce titre, me semble-t-il, auditionné le directeur général de l'Anses. Je ne suis pas non plus un acteur local. Je n'ai pas connaissance de tous les paramètres mesurés pour évaluer la qualité de l'eau. À cet égard, j'ai pleinement confiance dans l'action des ARS.

La règlementation française relative à la sécurité sanitaire des eaux minérales naturelles est définie au niveau national par la DGS, en conformité avec le droit européen. Elle est ensuite mise en oeuvre dans les territoires par les ARS. Je précise que celles-ci constituent des établissements publics autonomes, qui apportent leur expertise aux préfets, dotés du pouvoir décisionnaire.

La DGS et les ARS exercent leurs missions du point de captage jusqu'au conditionnement des eaux embouteillées. Une fois ces eaux commercialisées, d'autres ministères, en charge de la consommation et de l'agriculture, assurent le contrôle de leur loyauté et de leur sécurité sanitaire. Une police sanitaire unique a toutefois été mise en place à compter du 1er janvier 2024.

De manière générale, la qualité sanitaire des eaux conditionnées produites en France est très satisfaisante. Plus de 150 000 analyses sont réalisées chaque année dans le cadre du contrôle sanitaire des ARS et le taux de conformité aux limites de qualité réglementaires est supérieur à 99 % pour les paramètres microbiologiques et physico-chimiques. En 2022, plus de 50 inspections (sur un total de 104 sites présents sur le territoire) et plus de 1 900 visites ont ainsi été réalisées par les ARS. Ce niveau de conformité constaté, traduisant un risque maîtrisé (bien que ne pouvant jamais être considéré comme nul), explique pourquoi nous avons considéré, jusqu'en 2021, qu'il n'était pas nécessaire de renforcer la surveillance des eaux conditionnées.

Ce risque demeure aujourd'hui maîtrisé. De mon point de vue, le dossier Nestlé Waters qui nous réunit aujourd'hui ne soulève pas une problématique de sécurité sanitaire, mais de fraude. Le consommateur a bel et bien été dupé par l'utilisation de filtres à charbon et d'UV sur de l'eau commercialisée comme de l'eau minérale naturelle. Cependant, il n'a pas été mis en danger.

Lorsque les minéraliers ont décidé d'avouer l'utilisation de ces traitements frauduleux, ils se sont tournés vers le ministère en charge de l'industrie et non vers celui en charge de la santé, précisément parce qu'ils pensaient que leurs pratiques n'étaient pas dangereuses.

Permettez-moi de vous lire le premier email de mes services à ce sujet, daté du 27 septembre 2021, qui a par ailleurs été transmis à votre commission : « Nestlé a pris l'initiative de contacter le cabinet Industrie et la DGCCRF pour avouer qu'elle traite en effet ses eaux minérales naturelles Perrier par des traitements UV et au charbon actif, alors que ce type d'eaux ne doit subir que des traitements limités autorisés. Il ne me semble pas y avoir de préoccupation d'ordre sanitaire, car les EMN en question sont exemptes de problèmes de qualité biologique, mais bien une infraction aux dispositions du code de la santé publique sur l'interdiction de ces traitements et un problème de loyauté. D'autres pourraient être concernés. »

En mettant en place ces traitements non autorisés, au charbon et aux UV, les minéraliers ont finalement renforcé la qualité sanitaire de leurs eaux. Ils les ont filtrées et désinfectées au-delà de ce qui est autorisé, réduisant ainsi le risque de contamination. Il convient du reste de rappeler que lorsque des contrôles démontrent que des eaux ou des produits alimentaires sont impropres à la consommation humaine, ces produits sont détruits.

Pour autant, il convient effectivement de s'interroger sur la manière dont, dans notre système français, ces pratiques ont pu prospérer.

De la même manière que pour les denrées alimentaires, la législation européenne prévoit qu'une partie des contrôles de la qualité de l'eau repose sur l'autosurveillance des industriels. Sur certains points, la législation européenne est sans doute imprécise, datée ou inadaptée. Des rapports du Sénat et de la Commission européenne l'ont souligné. Quant à savoir si la gestion de ce dossier par l'administration a été trop lente, je laisserai le soin à votre commission d'en juger.

Quoi qu'il en soit, contrairement à ce que l'on a pu lire dans certains articles de presse, la santé des Français n'a pas été mise en danger. Nous ne sommes pas non plus assujettis au pouvoir des industriels de l'eau conditionnée. Sur ce sujet, je n'ai jamais subi de pressions de la part d'un groupe, quel qu'il soit. Je ne les ai même jamais rencontrés.

La DGS a été informée le 27 septembre 2021 des pratiques illicites de Nestlé Waters. À la suite de signalements en Occitanie et en région Grand Est, il a été décidé de lancer une mission de l'Igas, appelée à s'appuyer sur les ARS pour disposer de données précises. En mars 2024, mes équipes ont également été soumises à un audit inopiné de la Commission européenne sur le système français de contrôle officiel des eaux minérales naturelles. Nous avons encore des échanges avec la Commission européenne sur les suites à donner à ce rapport. Enfin, le Sénat a publié en octobre dernier les conclusions d'une mission d'information sur les eaux minérales naturelles.

Je partage tous les constats formulés par l'Igas, la Commission européenne et le Sénat. La réglementation n'est pas assez claire sur la microfiltration. La coordination des autorités compétentes mérite d'être améliorée. Sur le terrain, les services en charge des contrôles sont dans l'incapacité de déceler des pratiques frauduleuses. Enfin, les consommateurs n'ont pas été suffisamment informés.

Je partage également toutes les recommandations formulées, pour plus de contrôles, plus de coopération, une meilleure information des autorités européennes, l'application d'un régime de sanctions stricte, etc.

Nous travaillons aujourd'hui à la mise en oeuvre de l'ensemble de ces recommandations. Des questions subsistent néanmoins, concernant notamment le statut de la microfiltration et le seuil autorisé.

Concernant les traitements interdits ayant fait l'objet de signalements, toutes les actions de retrait ont été achevées. Des plans de plans de transformation sont en cours sur les sites concernés, qui font l'objet d'un suivi par les ARS, à travers des plans de surveillance renforcée.

En 2025, nous mènerons également une action sur l'ensemble des sites d'exploitation en France.

Concernant la microfiltration, l'avis de l'AFSSA de 2001, confirmé par l'Anses en 2023, indique qu'en-deçà d'un seuil de 0,8 micron, il appartient à l'exploitant de démontrer l'absence de conséquences sur le microbisme de l'eau. La Commission européenne a fait référence, dans son audit, à un pouvoir désinfectant de la microfiltration à partir d'un seuil de 0,2 micron. Les autorités belges et espagnoles considèrent quant à elles qu'en-deçà d'un seuil de 0,45 micron, la microfiltration peut avoir un pouvoir désinfectant et modifier le microbisme de l'eau. En tant que DGS, j'ai donc recommandé aux ARS de veiller à ce que la microfiltration ne descende pas en-deçà d'un seuil de 0,45 micron.

La microfiltration n'est donc pas un traitement interdit. Des précisions nécessiteraient néanmoins d'être apportées au niveau européen sur le seuil autorisé.

En 2025, il nous faudra définir un protocole de coordination avec les services de la DGCCRF et de la DGAL. Une instruction sera ensuite transmise aux ARS, revenant sur le cadre règlementaire, les conditions de la microfiltration et la manière d'auditer les sites. La demande leur sera faite d'auditer la totalité des sites sous 2 ans.

Je terminerai mon propos introductif en soulignant que ces enjeux autour de la qualité des eaux, qu'elles soient ordinaires ou minérales naturelles, dans un contexte de raréfaction de la ressource, appellent une réflexion collective. Si nous n'envisageons pas le devenir de ces sources à 5, 10 ou 15 ans, alors qu'elles sont appelées à être fortement exploitées et impactées par le changement climatique, nous passerons à côté de la maîtrise des risques.

Le travail de la DGS est précisément de veiller à la maîtrise des risques. À ce jour, concernant les eaux minérales naturelles, je considère que les risques sont maîtrisés.

M. Laurent Burgoa, président. - En préambule, pour éclairer notre commission, pourriez-vous nous faire part de votre parcours professionnel durant la période qui nous intéresse, entre 2020 et 2024 ?

M. Grégory Emery. - En 2020, je suis conseiller sécurité sanitaire et santé publique auprès du professeur Agnès Buzyn, puis du ministre Olivier Véran, en charge notamment de la gestion de la crise du Covid. J'ai ensuite rejoint le cabinet du Premier ministre Édouard Philippe en tant que conseiller santé. À son départ, je suis retourné au sein du cabinet d'Olivier Véran jusqu'en janvier 2021, en charge des questions de santé publique et de santé environnement. À cette époque, je n'ai jamais entendu parler de la question des eaux en bouteilles. Les questions sur l'eau portaient alors sur les eaux en vrac, à la suite du vote de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC). À l'été 2021, j'ai rejoint le centre de gestion de crise du ministère de la santé, pour gérer la crise du Covid en outre-mer. J'ai ensuite été nommé DGS adjoint en février 2022, puis DGS en septembre 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les documents que vous nous avez transmis traduisent une prise de conscience salutaire, semblant s'être accélérée depuis les révélations faites dans la presse, le rapport de la mission d'information du Sénat et la mise en place de cette commission d'enquête.

Si cette prise de conscience est à saluer, pourriez-vous revenir sur les évènements successifs et ce que savait la DGS à chaque moment, concernant les pratiques de microfiltration ? L'enjeu serait d'apporter un éclairage sur la manière dont le risque sanitaire a été ou non maîtrisé tout au long du processus.

Les pratiques frauduleuses des industriels visaient à maximiser l'efficacité de la désinfection, face à une problématique de qualité de l'eau - ces traitements étant utilisés pour l'eau du robinet. Lors de son entretien avec le cabinet de la ministre de l'industrie, le 31 août 2021, Nestlé Waters a fait part de sa volonté d'utiliser, en substitution à ces traitements, des dispositifs de filtration au seuil inférieur à 0,8 micron, ce qui était pourtant la norme. Nestlé Waters s'est justifié en indiquant que ces filtres permettaient d'assurer la sécurité sanitaire des eaux. Or, à cette date, il n'existait aucun élément scientifique prouvant qu'une microfiltration inférieure à 0,8 micron pouvait à elle seule garantir la sécurité sanitaire. À ce moment, la DGS n'était donc pas en situation de maîtrise du risque sanitaire. Elle n'était pas informée du risque encouru avec cet accord donné à Nestlé Waters.

M. Grégory Emery. - Dans son avis de 2001, l'AFSSA a estimé que : « le dispositif de filtration tangentielle ayant un seuil de coupure à 0,8 micron peut être utilisé pour traiter l'eau de source et l'eau minérale naturelle avec l'objectif de retenir les particules présentes naturellement dans le captage ou celles résultant d'un traitement d'oxydation de fer et manganèse dissout. ». L'AFSSA a donc estimé que ce procédé respectait le statut de l'eau minérale naturelle.

En 2023, l'Anses a précisé que : « les autorités disposent des moyens permettant d'encadrer l'utilisation des dispositifs de filtration tels que ceux identifiés. ».

En 2021, la microfiltration n'intervient donc pas dans les processus de désinfection de l'eau. Ce n'est pas pour cette raison qu'elle est déployée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il existait une problématique de qualité de l'eau, puisque des traitements au charbon et aux UV étaient utilisés. La microfiltration a été mise en place en substitution à ces traitements, dans une optique de désinfection. À cette époque, la DGS disposait-elle d'éléments prouvant qu'un basculement vers un système de microfiltration permettait de ne pas accroître le risque sanitaire ?

M. Grégory Emery. - Au regard de la surveillance des paramètres microbiologiques, oui. À cette époque, aucune surveillance virologique n'était prévue. Cette surveillance renforcée n'a été proposée par l'Anses qu'en 2023 - cette surveillance virologique n'étant par ailleurs pas prévue par la règlementation européenne.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est compréhensible, car les eaux minérales naturelles sont préjugées pures. Le problème survient lorsqu'elles ne le sont plus. Entre 2021 et 2023, il y a eu un trou dans la surveillance virologique. La DGS a présumé que les filtres suffisaient à faire le boulot.

L'Anses, dans un avis du 16 décembre 2022, vous a mis en garde à ce sujet, en précisant que : « l'utilisation des membranes présentant une taille de pores « inaudible » sera inefficace vis-à-vis de la rétention des virus. ».

À ce moment-là, il semble y avoir eu une défaillance du contrôle sanitaire.

M. Grégory Emery. - En 2021, l'eau minérale naturelle est censée être souterraine et dénuée de toute forme de pollution. Le seul traitement autorisé est une filtration destinée à capter des particules non biologiques. Les eaux minérales naturelles ne font alors l'objet d'aucune surveillance virologique. Seules les bactéries, présentes naturellement ou résultant d'une pollution, sont surveillées, par l'exploitant et l'ARS. Entre 2021 et 2023, il n'y a effectivement aucune surveillance virologique, car il n'y a alors aucune raison d'exercer une telle surveillance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce moment, vous présumez que les solutions apportées par Nestlé Waters couvrent le risque virologique. Dans le cas contraire, sachant que la qualité de l'eau n'est plus garantie et que la microfiltration n'est pas censée avoir un rôle de désinfection, vous auriez dû mettre en place une surveillance. L'Anses le proposera en 2023.

Votre prédécesseur, Monsieur Salomon, a adressé à la direction juridique de son ministère un courrier faisant état d'informations graves, emportant des enjeux politiques, économiques, juridiques et potentiellement sanitaires. La question sanitaire était donc présente dès le début et n'a pas été traitée.

M. Grégory Emery. - Dès lors que les paramètres microbiologiques ne mettaient pas en évidence de bactéries anormales et que les eaux minérales naturelles n'étaient pas contaminées par des virus, il n'y avait pas de surveillance virologique. Cette surveillance a été mise en place en 2023, compte tenu de la dégradation de la source, à la suite d'un avis de l'Anses rendu sur sollicitation de la DGS. Depuis, aucune contamination virologique n'a été mise en évidence.

L'absence de surveillance virologique en 2021 et 2022 n'a pas induit un risque immédiat pour la santé de nos concitoyens.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je n'ai pas évoqué un risque immédiat, mais un risque plus fort, résultant d'une maîtrise des risques défaillante.

M. Grégory Emery. - C'est précisément dans une optique de maîtrise des risques que la surveillance renforcée a été mise en place, avec une surveillance virologique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 31 août 2021, la DGS n'avait pas une vision aussi claire. En juillet 2022, l'Igas est venue dire qu'il n'était pas prouvé que l'utilisation des filtres à 0,2 micron écartait tout risque virologique. À la suite de la réception de ce rapport de l'Igas, des instructions ont-elles été passées aux ARS ? Comment expliquer que la surveillance renforcée n'ait été mise en place qu'en octobre 2023 ?

M. Grégory Emery. - Au regard du cadre européen et national, il n'y avait alors pas lieu de mettre en place une surveillance virologique. Du reste, compte tenu de la dégradation de certaines sources, il pourrait être pertinent de discuter, au niveau européen, de cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En juillet 2022, la mission de l'Igas, que vous avez-vous-même sollicitée, a pointé un risque virologique. Pourquoi une décision n'a-t-elle pas été prise à ce moment-là ? En octobre 2023, dans le même cadre européen, vous avez pris une décision à la suite d'une recommandation de l'Anses.

M. Grégory Emery. - La mise en oeuvre d'une recommandation d'un rapport d'inspection nécessite de mobiliser de l'expertise scientifique (Anses, laboratoire d'hydrologie de Nancy-LHN). Pour aboutir à ce que le LHN définisse les paramètres de la surveillance renforcée, il s'est écoulé le temps que vous avez mentionné.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsqu'elle a appris que Nestlé Waters reconnaissait l'usage de traitements interdits, la DGS, à votre connaissance, s'est-elle interrogée sur l'opportunité de recourir à l'article 40 du code de procédure pénale ? Un arrêt de la production ou un déclassement des installations a-t-il par ailleurs été envisagé ?

M. Grégory Emery. - La DGS a considéré qu'il s'agissait d'un cas de fraude et non d'une problématique de santé publique. Il n'y avait donc pas de raison de suspendre l'exploitation. En revanche, si les sources devaient être contaminées, leur exploitation serait suspendue.

Pour ce qui est de recourir à l'article 40, la DGS a sollicité la direction des affaires juridiques du ministère de la santé. Celle-ci a préconisé de conduire d'abord une inspection des deux ARS et de l'Igas, pour caractériser les faits. Cette préconisation a été transmise aux ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre prédécesseur, dans un courrier adressé au directeur des affaires juridiques daté du 13 octobre 2021, a mentionné des enjeux sanitaires potentiels. Dans ce courrier, il a précisé que la DGS envisageait un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, ainsi qu'une saisine de l'Igas dans la perspective de vérifier l'absence de risque sanitaire. Il semble cependant avoir été dissuadé par l'avis de la direction des affaires juridiques. Ce possible recours à l'article 40 a-t-il fait l'objet d'échanges avec le cabinet du ministre ? Dans un courrier daté du 14 octobre 2021, soit le lendemain, la direction des affaires juridiques a recommandé de ne pas procéder à un signalement au procureur, en évoquant la possibilité de le faire en cas de pratiques non autorisées mises en évidence par la mission de l'Igas. Alors que la DGS avait déjà connaissance de pratiques non autorisées, la direction des affaires juridiques a donc préconisé d'attendre que d'autres pratiques non autorisées soient constatées pour en faire état. Ceci est pour le moins surprenant, car l'article 40 a vocation à être déclenché par tout agent public ayant connaissance, dans le cadre de ses fonctions, de faits susceptibles de constituer des infractions pénales.

M. Grégory Emery. - La DGS a bien envisagé une saisine du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Elle a sollicité la direction des affaires juridiques à ce sujet, laquelle a recommandé, au regard de la fraude reconnue par Nestlé Waters, portant sur l'utilisation de traitements au charbon et aux UV, relevant des compétences du ministère chargé de l'économie, et de l'absence de faits soulevant des enjeux de santé publique, de lancer une mission de l'Igas couplée à des inspections administratives des ARS. Si les ARS avaient observé un risque pour la santé publique dans le cadre de leurs inspections, elles auraient pu prendre des mesures de suspension de l'exploitation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le déclenchement de l'article 40 n'est pas lié à l'exercice de la compétence des agents, mais à l'exercice de leurs fonctions. Lorsque des faits pénaux sont rencontrés, ils doivent être signalés, qu'ils soient ou non dans le champ de compétences de l'agent. L'article 40 a une portée générale.

Quoi qu'il en soit, qui a pris la décision finale de ne pas déclencher cette procédure ? Les ministres ont-ils été consultés ou informés ? Ont-ils eu le dernier mot ?

M. Grégory Emery. - De manière générale, dans de tels cas, n'étant pas juriste, je prends conseil auprès de la direction des affaires juridiques et j'applique les orientations de celle-ci.

L'article 40 a par ailleurs vocation à être déclenché au plus près de la caractérisation des faits. Telle est la position constante du ministère. En l'occurrence, le bon niveau pour opérer un éventuel signalement était celui des ARS. On constate d'ailleurs que l'une des ARS concernées, en région Grand Est, a bien effectué un signalement au titre de l'article 40 ; tandis que l'autre, en Occitanie, a considéré que cela n'était pas nécessaire, au regard des mesures prises.

Concernant la prise de décision, les ARS demeurent des établissements publics autonomes. La consigne transmise par la DGS, sur avis de la direction des affaires juridiques, était de ne pas avoir recours à l'article 40. Les directeurs généraux des ARS ont ensuite pris leur décision.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment se fait-il que les deux ARS concernées se soient comportées différemment ?

M. Grégory Emery. - À cette époque, les eaux minérales naturelles, au regard de leur taux élevé de conformité, ne faisaient pas l'objet d'une surveillance renforcée. Depuis, une coordination a été mise en place.

Du reste, les ARS demeurent des établissements publics autonomes. Il revenait à leur direction générale d'effectuer ou non un signalement, en fonction de leur appréciation de la situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il eu des allers-retours avec les ministres ?

M. Grégory Emery. - Il n'y a pas, dans le dossier, d'éléments me laissant penser que la DGS ne s'est pas fondée sur l'avis de la direction des affaires juridiques pour transmettre ses instructions aux ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur cette question, vous renvoyez donc notre commission vers les ministres concernés et leur cabinet. De manière générale, vous paraîtrait-il cohérent que, sur de tels dossiers, des échanges ne soient pas menés avec les ministres ?

M. Grégory Emery. - Dans ce dossier, des échanges ont été menés avec les ministres, dans la mesure où l'Igas a été saisie - les saisines de l'Igas sont signées par les ministres.

Pour ce qui est du choix de recourir ou non à l'article 40, de mon expérience, les ministres et leur cabinet s'appuient sur les avis de la direction des affaires juridiques. Cela ne me parait pas surprenant qu'un tel signalement ne remonte pas au niveau de l'autorité politique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGS a-t-elle été associée à la définition, à la conduite et à la restitution de la mission de l'Igas ? Par ailleurs, comment se fait-il que la DGS ait délibérément omis de signaler aux ARS, chargées du contrôle de sites, les pratiques frauduleuses constatées à ce moment ?

M. Grégory Emery. - L'Igas a mené des inspections conjointes avec les ARS. Les ARS ont donc été associées à toutes les étapes de l'inspection.

Je ne disposais par ailleurs pas d'éléments à communiquer aux ARS sur les pratiques frauduleuses signalées à la DGCCRF - celles-ci n'ayant pas été documentées par un service de contrôle. Le contexte était néanmoins explicité dans la lettre de mission adressée à l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les laboratoires que nous avons auditionnés nous ont indiqué que, pour mesurer une évolution du microbisme de l'eau, il était relativement simple de conduire des analyses avant et après la filtration. Pourquoi de telles analyses n'ont-elles jamais été diligentées pour évaluer l'impact de la microfiltration sur le microbisme de l'eau ?

M. Grégory Emery. - L'analyse du microbisme de l'eau doit permettre de distinguer les bactéries normalement présentes dans l'eau de celles anormalement présentes. Lorsque la microfiltration retient des bactéries anormales, il y a une modification du microbisme de l'eau, qui témoigne d'une impureté de la source.

Au moment de l'inspection de l'Igas et des ARS, il n'existait pas, à ma connaissance, d'avis d'expert préconisant des analyses avant et après la filtration. Les ARS ne savaient par ailleurs pas nécessairement où se situait la microfiltration. Les analyses ont porté sur l'eau présentée par l'industriel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les services de l'État accompagnent un plan de transformation, dont la régularité vis-à-vis du droit européen est discutée, à tel point que les autorités françaises ne le transmettent pas à la Commission européenne. Cette dernière, dans un rapport d'audit, pointe un mécanisme défaillant. Dans ce contexte, pourquoi ne pas revenir à une méthode simple, reposant sur des analyses avant et après la filtration ?

Le rapport de l'Igas a par ailleurs relevé que, sur les 269 arrêtés ministériels ou préfectoraux étudiés, 30 % étaient imprécis, notamment concernant les procédés de traitement autorisés. Des instructions ont-elles été données au niveau national pour uniformiser ces arrêtés ?

M. Grégory Emery. - Je commencerai par préciser que, dans le cadre du plan de surveillance renforcée, des analyses avant et après ont bien été prévues et mises en place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, ces analyses ont-elles mis en évidence une modification du microbisme de l'eau, remettant en cause le statut d'eau minérale naturelle des eaux concernées ?

M. Grégory Emery. - En termes de résultats, pour mesurer le risque pour la santé publique, nous disposons des taux de conformité des prélèvements.

Concernant le microbisme de l'eau, on considère qu'une microfiltration à 0,2 micron entraîne une modification. Les autorités belges et espagnoles considèrent un seuil minimal de 0,45 micron. L'Anses, quant à elle, dans son avis réitéré en 2023, a considéré un seuil de 0,8 micron, en deçà duquel il appartient à l'industriel de démontrer l'absence de modification du microbisme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avec une analyse avant et après la microfiltration, telle que mise en place dans le cadre de la surveillance renforcée, l'impact devrait pouvoir être mesuré.

Vous vous référez par ailleurs au seuil retenu par deux États membres. Vous semblez ainsi ne vous appuyer que sur du droit comparé, en prenant comme référence le moins-disant, sans réelle analyse des effets de la microfiltration.

M. Grégory Emery. - L'Anses, dans son courrier à la DGS du 13 janvier 2023, s'est elle-même référée à un document de 2009 de son homologue espagnol, faisant référence à un seuil de 0,4 micron, en deçà duquel la microfiltration ne saurait avoir d'autre but que la désinfection. La DGS s'est appuyée sur ces éléments.

Pour ce qui est de l'harmonisation de la législation, la DGS a interpellé, le 30 avril 2024, la Commission européenne en ces termes : « les autorités françaises ont bien noté que, dans la conclusion de son rapport, la Commission européenne estime que l'utilisation de la microfiltration avec des filtres dont la taille des pores peut être inférieure ou égale à 0,2 micron n'est pas conforme à la directive [...], parce qu'une modification du microbisme de l'eau minérale naturelle ne peut être exclue à cette taille de pores. [...] Les autorités françaises considèrent en revanche, à l'instar d'autres États membres, qu'un seuil de coupure inférieure à 0,45 micron n'est pas tolérable, une modification du microbisme ne pouvant être exclue à cette taille de pores. Elles souhaitent partager cette position avec les autres États membres et connaître celle de la Commission européenne. ».

À ce jour, nous n'avons pas obtenu cette clarification.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le seuil retenu par la DGS a-t-il fait l'objet d'une concertation interministérielle ? Après une première concertation interministérielle dématérialisée (CID) ayant autorisé une microfiltration à un seuil inférieur, le cabinet du Premier ministre a-t-il été de nouveau saisi ?

M. Grégory Emery. - Non. Je n'ai pas saisi ma ministre de l'époque. Au regard de mon interprétation de la situation, considérant les références belges et espagnoles et pour prévenir d'éventuels contentieux européens à la suite de l'audit de la Commission européenne, j'ai recommandé aux deux ARS un seuil de 0,45 micron.

Le Président de la commission d'enquête étant appelé à quitter la séance, la présidence de celle-ci est reprise par la Vice-présidente Anne Ventalon.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquer qu'un tel arbitrage interministériel ait d'abord été rendu ?

M. Grégory Emery. - Dans le document dont je dispose, il est fait référence à la possibilité d'une microfiltration à un seuil inférieur à 0,8 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La CID s'est ainsi affranchie de l'avis réitéré de l'Anses. Une instruction de la DGS a ensuite recommandé de ne pas descendre en deçà d'un seuil de 0,45 micron. Avez-vous recommandé aux préfets d'interdire la pratique d'une microfiltration à 0,2 micron ?

M. Grégory Emery. - Non. À ce stade, j'ai répondu aux courriers de deux directeurs généraux d'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi n'avoir pas diffusé une instruction générale ?

M. Grégory Emery. - Une instruction générale sera bien diffusée en 2025. Je ne l'ai pas fait jusqu'à présent pour pouvoir tirer les conclusions de l'audit de la Commission européenne, de la mission d'information conduite par le Sénat et de la commission d'enquête mise en place par le Sénat. Nous sommes également en attente d'une clarification du cadre européen, sur la microfiltration, sur la notion de pureté originelle de l'eau et sur la place de la surveillance virologique. Cette clarification du cadre européen semblant s'éloigner, la DGS diffusera une instruction en 2025. Celle-ci sera discutée avec les ministres et au niveau interministériel. Cette instruction précisera les modalités de contrôle ainsi que la répartition des contrôles entre les ARS et les directions départementales de la protection des populations (DDPP). Elle précisera également le cadre réglementaire, sans avoir valeur de loi ou de décret.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, la démonstration a-t-elle été faite d'une absence de modification du microbisme de l'eau avec une microfiltration entre 0,45 et 0,8 micron ?

M. Grégory Emery. - Sur ce point, je m'en remets aux avis des experts. L'Anses, dans son avis de 2023, a fait référence à une microfiltration à 0,2 micron assimilable à une désinfection, induisant une modification du microbisme de l'eau. Les autorités belges et espagnoles considèrent qu'une modification du microbisme de l'eau intervient en deçà d'un seuil de 0,45 micron. La DGS a donc retenu ce seuil. Du reste, en deçà de 0,8 micron, il appartient à l'industriel de démontrer l'absence de modification du microbisme de l'eau. Telle était la conclusion de la concertation interministérielle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce jour, vous n'êtes donc pas en capacité de statuer sur l'impact sur le microbisme de l'eau des traitements inférieurs à 0,8 micron.

Le 28 novembre 2024, vous avez donc adressé à l'ARS Occitanie un courrier écartant la possibilité d'une microfiltration inférieure à 0,45 micron et demandant qu'en deçà de 0,8 micron, l'exploitant apporte la preuve d'une absence de modification du microbisme. Cependant, le 14 janvier 2025, le préfet du Gard a ensuite contesté votre analyse et votre instruction. En avez-vous eu connaissance ? Comment analysez-vous cette contestation ? Cette pratique est-elle fréquente ?

M. Grégory Emery. - Dans mon instruction au directeur général de l'ARS Occitanie, j'ai indiqué, au regard des éléments évoqués précédemment, qu'il ne paraissait pas « opportun » d'autoriser l'utilisation d'une microfiltration inférieure à 0,45 micron. J'ai également souligné que la démarche initiée pour les installations de production de Nestlé Waters et la régularisation d'autres sites de conditionnement de la région était en phase avec cette instruction.

J'ai ainsi exercé ma compétence de directeur d'administration centrale. Ensuite, il appartient à chaque préfet, en sollicitant l'expertise de son ARS, d'autoriser ou non l'exploitation d'une source et d'en définir les modalités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le préfet du Gard a indiqué qu'en l'état actuel du droit, la microfiltration à 0,2 micron utilisée par Nestlé Waters n'était pas interdite. Ceci est contraire au droit que vous avez mentionné dans votre instruction et aux conclusions du rapport de l'ARS de 2024 sur l'exploitation des eaux de Perrier.

Avez-vous eu des échanges avec le Préfet du Gard à ce sujet ?

M. Grégory Emery. - L'application de la règlementation est déconcentrée depuis 2007. Les autorisations sont donc délivrées par les préfets. Dans ce cadre, j'ai un profond respect pour leur travail et l'exercice de leurs compétences. Je considère que, compte tenu de leur niveau de proximité avec les territoires, ils sont les plus à même de prendre de telles décisions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit pourtant d'appliquer une norme relative à l'eau minérale naturelle, dans un cadre règlementaire national et européen. Dès lors que des seuils ont été fixés par la DGS, la norme ne saurait être définie au niveau des territoires. C'est en ce sens que vous allez diffuser une instruction générale en 2025.

M. Grégory Emery. - En cas de risque sanitaire, il ne fait aucun doute que les préfets suspendront les exploitations. Concernant la microfiltration, la règlementation européenne est imprécise. Dans mon interprétation, j'ai estimé qu'un seuil de 0,2 micron, induisant un pouvoir désinfectant, n'était pas compatible avec le statut d'eau minérale naturelle. J'ai également souligné que certains États membres avaient retenu un seuil de 0,45 microns. J'assume le caractère interprétatif de cette instruction. Du reste, je ne dispose pas aujourd'hui d'éléments m'invitant à revoir cette position.

Nous ne sommes donc pas dans le cas d'un cadre règlementaire ou d'une norme qu'un préfet ne souhaiterait pas appliquer. La DGS a estimé qu'il n'était pas opportun de descendre en deçà d'un seuil de 0,45 micron. Le préfet du Gard a quant à lui fait état d'un cadre règlementaire insuffisamment précis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En pratique, on constate une CID autorisant à descendre en dessous de 0,8 micron, des pratiques allant jusqu'à 0,2 micron, des arrêtés non modifiés malgré des pratiques différentes constatées, un courrier du DGS recommandant de ne pas descendre sous 0,45 micron, un pouvoir interprétatif des préfets, etc. Il conviendrait de remettre de l'ordre dans tout cela, pour restaurer la confiance dans la sécurité du dispositif.

De manière plus générale, les scientifiques que nous avons auditionnés nous ont confirmé une dégradation des eaux souterraines dans notre pays. Le sentiment est ainsi que certaines eaux minérales naturelles, qui avaient la réputation d'être protégées, tendent à devenir des eaux de boisson ordinaires. Dans ce contexte, ne conviendrait-il pas, pour maîtriser le risque sanitaire, d'uniformiser la règlementation applicable à l'ensemble des eaux ?

M. Grégory Emery. - La surexploitation de la ressource et le changement climatique doivent nous inviter à revoir le cadre de la maîtrise des risques. En tant que DGS, il ne m'appartient pas de me prononcer sur une éventuelle uniformisation des statuts des eaux. Cette discussion nécessiterait d'être menée au niveau européen.

En tant que médecin, je considère néanmoins, que l'exploitation des eaux minérales naturelles, à 10, 20 ou 30 ans, nécessitera un renforcement de la maîtrise des risques, avec notamment la mise en place d'une surveillance virologique. L'enjeu serait de ne pas se fier uniquement au taux de conformité des eaux, y compris au regard du risque de fraude. Il s'agira de renforcer la protection du captage, du foncier autour des sources, en complément de la surveillance par les industriels.

Je précise ici que la règlementation européenne n'oblige pas les États membres à mettre en place un contrôle sanitaire. La France est l'un des États membres où ce contrôle sanitaire est réalisé par l'État, avec des prélèvements réalisés et analysés par ou pour le compte de l'État. Dans d'autres États membres, les services de l'État se contentent de contrôles documentaires, visant à s'assurer que des contrôles sont effectués. Nous avons donc déjà, en France, un plan de maîtrise des risques conséquent, articulant une surveillance par les exploitants et un contrôle par les autorités. Il est néanmoins certain qu'il faudra réinterroger régulièrement ce cadre.

Mme Antoinette Guhl. - À quelle date la surveillance virologique a-t-elle été mise en place dans les Vosges et dans le Gard ?

M. Grégory Emery. - Je vous apporterai des précisions à ce sujet. Des plans de surveillance renforcée ont bien été mis en place dans ces deux départements.

Mme Antoinette Guhl. - L'Anses nous a indiqué que la surveillance renforcée virologique avait été mise en place à partir de juin 2024. Or, dans les Vosges, les traitements interdits ont été arrêtés en octobre 2022. Cela signifie qu'entre octobre 2022 et juin 2024, soit pendant plus de 18 mois, une eau a été embouteillée et distribuée sans surveillance virologique, avec un risque sanitaire potentiel. Il ne subsistait alors que la microfiltration à 0,2 micron, ne permettant pas, d'après l'Anses, de prévenir le risque virologique.

Dans le Gard, l'arrêt des traitements interdits a pris beaucoup plus de temps et n'est intervenu qu'en octobre 2023. On constate cependant un même risque sanitaire potentiel entre octobre 2023 et juin 2024, soit pendant 8 mois.

M. Grégory Emery. - La surveillance renforcée a été mise en place sur la base d'un avis scientifique et technique de l'Anses du 16 octobre 2023. Avant cette date, il n'y avait pas lieu de mettre en place une telle surveillance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Le rapport de l'Igas a fait état d'un risque virologique dès le mois de juillet 2022.

M. Grégory Emery. - Il nous fallait disposer d'un avis scientifique, pour déterminer les prélèvements à réaliser, les virus recherchés, etc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous auriez pu engager cette démarche dès le 31 août 2021. Vous auriez pu demander à l'Anses de vous éclairer sur le risque sanitaire. Initialement, le risque sanitaire a été ignoré. Lorsque Nestlé Waters a signalé ses pratiques, il semble y avoir eu une forme de négligence de ce sujet. Avant le rapport de l'Igas et l'avis de l'Anses, le risque sanitaire n'a pas été traité à sa juste mesure, alors qu'il résultait de la perte par les eaux minérales naturelles concernées de leur pureté originelle. Telle est mon interprétation. Du reste, la DGS semble aujourd'hui vouloir rattraper le temps perdu.

Mme Antoinette Guhl. - Vous nous ferez part de votre analyse de la chronologie que j'ai rappelée dans mon rapport, semblant mettre en évidence des failles dans la maîtrise du risque sanitaire, dans la mesure où vous avez autorisé une filtration à 0,2 micron alors que l'émergence des eaux n'était pas pure, en contradiction avec la règlementation sur les eaux minérales naturelles.

Par ailleurs, le DGS est-il responsable hiérarchiquement des ARS ?

M. Grégory Emery. - Les ARS sont des établissements publics autonomes. Nous leur adressons des instructions. J'échange par ailleurs très régulièrement avec les directrices et directeurs généraux d'ARS. Mes équipes échangent également au quotidien avec les services des ARS. Cependant, je n'exerce aucune autorité hiérarchique sur les ARS. Chaque directeur général d'ARS est responsable de ses décisions. En ce qui concerne la qualité des eaux minérales naturelles, les ARS apportent leur expertise aux préfets, qui sont décisionnaires. Dans le dossier qui nous intéresse, il n'y a donc pas de lien entre le ministère de la santé et l'autorité préfectorale.

Sur la chronologie que vous avez rappelée, je considère qu'il n'y avait pas de risque pour la santé publique au regard des paramètres microbiologiques mesurés. La mise en place d'une surveillance virologique, quant à elle, ne relève pas uniquement d'une décision administrative. Elle a été mise en place selon des modalités recommandées par une instance d'expertise. Dans le cadre européen, aucune surveillance virologique des eaux minérales naturelles n'est par ailleurs prévue.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui fondait l'absence de contrôles de cette nature était la pureté originelle des eaux. Or, il était connu, dès 2021, que cette pureté originelle était « refabriquée » par des traitements. Il y aurait donc dû y avoir une action de maîtrise du risque sanitaire. La DGS savait que les eaux étaient problématiques et que des traitements étaient mis en place pour y remédier.

M. Grégory Emery. - Il est ici question d'eaux souterraines et profondes. Scientifiquement, à ces profondeurs, les eaux peuvent être contaminées ou non par des bactéries, normales ou anormales. Avant l'avis de l'Anses, il n'était pas question d'un risque virologique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi cet avis de l'Anses n'a-t-il pas été demandé en août 2021 ? La DGS savait à ce moment qu'il y avait une problématique, signalée par Nestlé Waters.

M. Grégory Emery. - En 2021 et 2022, la question du risque virologique ne se posait pas en ces termes.

Mme Antoinette Guhl. - Le rapport de l'Igas a bien fait état, en 2022, soit un an avant l'avis de l'Anses, d'un risque virologique avec une filtration à 0,2 micron. En octobre 2023, il n'y a ensuite plus aucun doute. On sait qu'il y a un risque pour la santé, avec la présence de bactéries de matières fécales. Ces bactéries ont vocation à être filtrées. En revanche, le risque virologique demeure.

On constate par ailleurs que la directrice générale de l'ARS Grand Est, ayant effectué un signalement au titre de l'article 40, a depuis quitté ses fonctions. Au cours de vos fonctions, en tant que DGS adjoint ou DGS, avez-vous eu à vous prononcer sur l'évolution de sa carrière ? Son départ est-il une forme de mise au placard ou une réponse directe à son signalement au titre de l'article 40 ?

M. Grégory Emery. - Je n'aurai pas eu ce pouvoir. La DGS n'évalue aucun des directeurs généraux d'ARS. Elle n'intervient pas non plus dans les promotions ou les intégrations à l'Igas.

J'ai par ailleurs beaucoup de respect et d'amitié pour les directrices et directeurs généraux d'ARS, avec lesquels je travaille au quotidien. J'ai une très grande confiance en eux. À ce titre, je peux dire que la directrice générale de l'ARS Grand Est, dans le cadre de l'ensemble des échanges que j'ai pu avoir avec elle au titre de mes fonctions, a toujours été une grande professionnelle et a toujours été pleinement au rendez-vous de ses missions.

Mme Antoinette Guhl. - Nous lui devons en tout cas le fait que cette affaire ait été connue du grand public - son signalement au titre de l'article 40 ayant fait émerger le sujet.

Le compte-rendu de la concertation interministérielle dématérialisée (CID) autorise la pratique d'une microfiltration inférieure à 0,8 micron dans les Vosges. Cependant, dans le Gard, il recommande de permettre à Nestlé Waters d'appliquer son plan de transformation, prévoyant une microfiltration à 0,2 micron. La microfiltration à 0,2 micron n'est donc explicitement autorisée, mais elle l'est malgré tout à travers le plan de transformation.

M. Grégory Emery. - Ce même document fait également état d'une nécessité de clarifier le cadre européen sur la microfiltration. Il demande au Secrétariat général des Affaires européennes « de conduire une analyse de la situation de la microfiltration et des pratiques existantes dans les autres pays de l'Union afin, le cas échéant, d'envisager de solliciter la Commission pour une évolution de la réglementation communautaire ou en vue d'une saisine de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ». C'est précisément ce qui a été fait.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Merci pour ces échanges. Vous nous adresserez les éléments complémentaires demandés et votre contribution écrite.

Pollution de l'eau par les PFAS - Audition de M. Alby Schmitt,
inspecteur général de l'environnement et du développement durable, co-auteur du rapport « Analyse des risques de présence
de per- et polyfluoroalkyles (PFAS) dans l'environnement
(Mardi 28 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Monsieur Alby Schmitt, inspecteur général de l'environnement et du développement durable et auteur à ce titre d'un rapport sur les PFAS, c'est-à-dire les substances per- et polyfluoroalkyles.

Monsieur, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alby Schmitt prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Mes chers collègues, notre audition du jour ouvre un chapitre consacré aux risques liés à la présence de PFAS dans les eaux.

Monsieur Schmitt, vous êtes ingénieur des ponts, eaux et forêts, inspecteur général à l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD). Vous avez, dans votre parcours, siégé au conseil d'administration du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), été directeur adjoint de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) d'Alsace et directeur adjoint de l'eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique.

Comme je l'indiquais, vous avez été co-rédacteur d'un rapport d'analyse des risques de présence de PFAS dans l'environnement. Nous savons que ce rapport ne porte pas spécifiquement sur les eaux en bouteille. Néanmoins, ces eaux proviennent, comme celle du robinet, de nappes qui peuvent être contaminées.

Pouvez-vous nous éclairer sur la définition des PFAS, leur composition et leur toxicité éventuelle ?

Quelle connaissance avez-vous de la présence de PFAS dans les eaux destinées à la consommation humaine ? Cette présence est-elle actuellement détectée dans les eaux minérales naturelles ou de source ?

Pouvez-vous dresser devant nous un état des lieux de la réglementation sur les teneurs maximales à respecter dans les eaux potables, telle qu'elle résulte du droit européen et éventuellement de normes internes ? Cette réglementation est-elle uniforme parmi les pays européens ?

M. Alby Schmitt, co-auteur du rapport « Analyse des risques de présence de per- et polyfluoroalkyles (PFAS) dans l'environnement ». - J'ai participé, en tant qu'inspecteur général à l'IGEDD, à deux missions sur les PFAS : en 2022 avec Hugues Ayphassorho ; au second semestre 2023, dans le cadre de la mission qui avait été confiée par le Gouvernement à la députée Cyrille Isaac-Sibille. Ces dates peuvent sembler proches, mais c'est en fait, pour l'étude des PFAS, de la préhistoire... En effet, depuis deux ans, les progrès sont particulièrement rapides en la matière, en tout cas en France. J'ai également rédigé, en tant que membre de l'Autorité environnementale, un point de vue sur la prise en compte des PFAS dans les études d'impact et les évaluations environnementales.

Que sont les PFAS ? Ces dix mille molécules, qu'on peut tout de même regrouper en grandes familles, ont une caractéristique commune : ce sont des molécules organiques qui contiennent ce qu'on appelle une fonction méthyl ou méthylène entièrement saturée en fluor. Par exemple, l'acide trifluoroacétique (TFA) dont on parle beaucoup ces derniers temps est très proche du PFOA, mais cette molécule n'a que deux carbones.

La saturation en fluor a deux conséquences. Tout d'abord, il est quasiment impossible de rompre la liaison carbone-fluor, si bien que ces molécules sont très difficilement biodégradables. Ensuite, elles sont à la fois hydrophobes, comme l'huile ou les graisses, et hydrophiles. Cette double caractéristique leur donne des propriétés particulières : on peut leur associer des molécules voisines de l'eau ou des graisses ; elles sont solubles dans l'eau, ce qui les rend très mobiles. Quand on a saturation des carbones en fluor, on parle de substance perfluorée ; quand seulement une partie des carbones en est saturée, on parle de substances polyfluorées ou polyfluoroalkylées.

Certaines de ces substances sont bioaccumulables ; certaines sont toxiques ou CMR, c'est-à-dire cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction, mais leur toxicité ou leur cancérogénicité sont très insuffisamment connues aujourd'hui.

Ces molécules sont d'origine industrielle : la pollution est donc nécessairement d'origine anthropique, même si l'industrie n'en produit qu'environ trois cents. En effet, même non biodégradables, ces molécules se décomposent, elles créent alors d'autres PFAS dans l'environnement.

L'ensemble de ces propriétés fait qu'on retrouve les PFAS partout, que ce soit pour des usages privés ou industriels. On les retrouve ainsi dans les mousses de lutte contre les incendies, dans les batteries de véhicules électriques, dans les ustensiles de cuisine - on a beaucoup parlé des poêles antiadhésives, notamment de la marque Tefal -, les vêtements de sport, le fart de ski, les semelles de fer à repasser, les boîtes à pizza, etc. On en retrouve aussi dans les médicaments, tant dans les principes actifs - par exemple le Prozac - que dans les excipients et les boîtes. Nous n'avons découvert que récemment que les industriels utilisaient aussi des PFAS dans les pesticides ; le TFA en est l'exemple type.

Il faut également noter qu'on utilise beaucoup les PFAS dans les procédés industriels. Je vais citer deux principaux exemples : la majorité des joints, un produit présent partout, en particulier dans l'industrie qui traite l'eau, qu'elle soit minérale ou destinée au robinet, contient des PFAS ; c'est également le cas pour certaines membranes de production d'eau potable, en particulier les membranes d'osmose inverse, qui sont notamment utilisées pour le dessalement de l'eau de mer - elles le sont également en région parisienne. Dans ces cas, quel est le risque de transfert ? Cela est encore peu connu.

Après avoir évoqué ce que sont les PFAS, je voudrais dire quelques mots sur ce qu'ils ne sont pas.

Même s'ils sont persistants dans l'environnement, ils ne sont pas éternels comme le sont certains métaux toxiques. Ce sont des molécules organiques, elles peuvent donc être détruites. Cependant, certaines de ces molécules, lorsqu'elles se dégradent, se transforment dans des métabolites qui sont souvent des PFAS encore plus persistants et toxiques.

Contrairement à ce qu'on entend souvent, elles ne sont pas inconnues, puisque les industriels en produisent depuis les années 1950-1960, et ce ne sont pas des pollutions émergentes, car les premiers événements qui ont fait l'actualité datent de quasiment quarante ans - c'était aux États-Unis. D'ailleurs, les industriels ont déjà versé 10 milliards de dollars - c'est un ordre de grandeur - en dédommagements pour éviter les procès dans des procédures devant la justice américaine. Pour autant, il est vrai que cela reste souvent un secret bien gardé des industriels ; d'où la nécessité pour les pouvoirs publics d'agir.

Le premier travail à faire me semble devoir être de classer les PFAS par catégories selon leurs propriétés, leurs comportements dans l'environnement ou leurs usages. C'est important pour bien les étudier et pour évaluer correctement les risques sanitaires et les possibilités de substitution.

J'en viens aux méthodes de mesure. Nous étions très en retard il y a encore trois ou quatre ans et il y a eu d'importantes avancées récemment. L'eau a été l'un des premiers secteurs concernés par des mesures et, ces derniers temps, on a élargi à l'air, par exemple pour la fumée des incinérateurs. Des laboratoires ont été accrédités. Beaucoup de normes ont été mises en place, par exemple pour les sols, l'eau ou les boues, ce qui permet de disposer de résultats plus fiables qu'auparavant.

Il y a deux manières de faire pour les mesurer : soit molécule par molécule ; soit de manière globale.

La première solution est rendue difficile par le nombre des PFAS - environ dix mille, je le disais. Pourtant, la réglementation est largement basée sur ce type de mesure ; c'est par exemple le cas de la directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine qui recense vingt PFAS.

La seconde solution, dite indiciaire, n'est pas normalisée à l'heure actuelle, alors qu'elle est très intéressante : à partir du moment où vous avez identifié une pollution par PFAS, vous pouvez procéder à une analyse des risques et des sources de la pollution.

Quels sont les risques sanitaires ?

Tout d'abord, si ces molécules sont persistantes dans l'environnement, elles le sont aussi dans le corps humain et par conséquent elles s'y accumulent. Elles ne sont pas forcément toxiques à faible dose, mais la situation est différente en cas de bioaccumulation d'autant que les PFAS présentent la particularité de pouvoir s'accumuler non seulement dans les lipides, comme les métaux, les dioxines ou les PCB, mais aussi dans les protéines, un phénomène dont les conséquences sont mal connues. La demi-vie du TFA, par exemple, est de trente ans : à partir d'un kilo au départ, il reste 500 grammes au bout de trente ans. Il faut donc beaucoup de temps pour s'en défaire...

Les voies d'imprégnation sont multiples : on estime traditionnellement que l'alimentation est la source principale, puis l'eau, mais on connaît encore mal la contamination de l'air.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je veux d'abord dire que je suis particulièrement sensible à ce sujet, puisqu'une usine de production de PFAS est installée dans ma commune, Villers-Saint-Paul.

Estimez-vous que les contrôles qui sont actuellement opérés sur l'eau sont satisfaisants en termes de présence de PFAS et de risques ? Notre système de contrôles est-il performant ?

M. Alby Schmitt. - Il y a seulement quelques années, il n'y avait rien, puis a été mise en place une mesure obligatoire du PFOS, un PFAS, dans les rejets d'eau des installations classées.

Indépendamment de la réglementation, à peu près la moitié des agences de l'eau se sont mises, dès 2019, à mesurer dans les eaux souterraines et de surface les vingt PFAS listés dans la directive de 2020 dont j'ai parlé tout à l'heure ; les autres agences ne mesurent que les eaux souterraines et uniquement quatre PFAS pour les eaux de surface. Nous avons recommandé d'étendre à l'ensemble des eaux ce suivi des vingt PFAS et, le cas échéant, de le faire pour leurs précurseurs, c'est-à-dire les molécules qui se transforment, en se dégradant, en l'un de ces vingt PFAS.

En ce qui concerne l'eau potable, seules quelques campagnes de mesures avaient été faites, par exemple dans le cadre d'une étude menée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) en 2010 sur environ un site par département. On avait d'ailleurs identifié des éléments dans l'Oise en lien avec l'usine qu'a citée Monsieur le rapporteur.

La révolution est venue en 2020 de la directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, puisqu'elle introduit une obligation de mesure des PFAS et de respect de certaines normes. On parle souvent à son sujet de vingt PFAS, mais en fait elle cite aussi - malheureusement pas dans l'annexe ad hoc - des éthers et des PFAS dits étherperfluorés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce périmètre vous semble-t-il pertinent ?

M. Alby Schmitt. - Il s'agit des vingt PFAS qui avaient été identifiés à l'époque comme étant prioritaires. Mais il est vrai que certains PFAS qui font aujourd'hui l'actualité ne sont pas dedans, par exemple le TFA ou les PFAS produits à Pierre-Bénite près de Lyon. On s'aperçoit donc assez vite qu'il y a des trous dans la raquette...

C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il serait intéressant de généraliser les mesures globales : nous devons trouver une méthode de mesure englobant tous les PFAS. La méthode TOPA (Total Oxidizable Precursors Assay) permet une telle approche, mais uniquement pour les PFAS dits anioniques, qui sont tout de même les plus problématiques.

Selon la directive de 2020, chaque État membre peut choisir entre deux méthodes : mesurer la somme des vingt PFAS qu'elle liste ; mesurer le total des PFAS. La France a décidé d'utiliser les deux méthodes. Cependant, la directive renvoie la seconde méthode à des lignes directrices que la Commission européenne n'a toujours pas publiées. Il est donc difficile aujourd'hui de mesurer efficacement le total des PFAS. Une fois que cela sera possible, nous devrions avoir une bonne vision du niveau de pollution des réseaux d'eau potable.

Cette directive a été transposée en droit français par ordonnance et par des textes réglementaires. Elle entrera en vigueur le 1er janvier 2026, mais dès à présent, des campagnes de mesures sont réalisées dans le cadre du plan d'action interministériel sur les PFAS d'avril 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le périmètre vous semble donc satisfaisant. Donneriez-vous le même satisfecit pour les seuils qui ont été définis PFAS par PFAS ?

M. Alby Schmitt. - Je n'ai pas participé à l'élaboration de ces seuils, qui sont issus de la directive et qui ont été transposés en droit français sans modification : 100 nanogrammes par litre pour le total des vingt PFAS dont j'ai parlé et 500 nanogrammes pour le total des PFAS.

Sans mauvais jeu de mots, on pourrait dire que le verre est moitié plein ou qu'il est à moitié vide... Avant, il n'y avait rien et on n'avait pas de vision ; dans ces conditions, fixer un objectif raisonnable est toujours une avancée. C'est d'autant plus vrai que, tout cela étant récent et en évolution rapide, il faut que tous les acteurs puissent suivre, en particulier les laboratoires qui procèdent aux mesures. Imaginez le nombre de mesures auxquelles il faut procéder ! Et cela représente un coût important. Il faut donc une montée en puissance de toute l'infrastructure.

On peut donc comprendre que ces seuils aient été fixés, même s'ils me paraissent effectivement un peu élevés.

Pour autant, les laboratoires peuvent maintenant quantifier une dizaine de PFAS à partir de 2 nanogrammes par litre - c'est ce qu'on appelle la limite de quantification - et ils peuvent déterminer si une molécule est présente dans l'eau même en dessous de 1 nanogramme sans nécessairement pouvoir la quantifier - c'est ce qu'on appelle la limite de détection. On sait donc mesurer des niveaux très bas pour ces molécules, ce qui doit nous conduire à aller plus loin, au moins en ce qui concerne l'eau potable.

Il existe aussi une réglementation sur l'eau brute, celle qui est destinée à devenir de l'eau potable : la mesure ne doit pas dépasser 2 microgrammes par litre, soit 2 000 nanogrammes...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'en viens plus directement aux eaux minérales naturelles, qui ont la spécificité d'être des eaux souterraines plus pures au jaillissement - elles sont en tout cas réputées pour cela. Constatez-vous une différence avec les autres eaux destinées à la consommation humaine en ce qui concerne la quantité de PFAS ?

En Suisse, la radiotélévision publique a récemment fait analyser treize bouteilles d'eau minérale naturelle vendues en Suisse romande. Dix d'entre elles contenaient du TFA, un micropolluant de la famille des PFAS : trois eaux étaient à la limite du seuil et sept au-dessus.

Par ailleurs, est-ce que, selon vous, la pollution a lieu dans l'usine lors du processus de production, par exemple en raison de l'utilisation de joints, de membranes, de microfiltres, etc., ou provient-elle plutôt des sols par percolation ?

M. Alby Schmitt. - Le TFA provient essentiellement des pesticides. Cela en fait un sujet particulier, parce qu'avec les boues c'est à peu près la seule méthode de diffusion un peu large des PFAS. Pour les autres PFAS, nous sommes souvent face à des sources ponctuelles de pollution, par exemple du fait de la présence d'usines. Pour les pesticides, je le redis, c'est une pollution diffuse.

Pour les eaux minérales, le bassin de captage est en général bien protégé grâce à des conventions entre l'exploitant et les agriculteurs, qui prévoient de ne pas utiliser ou d'utiliser de manière raisonnée des intrants. C'est pourquoi, à mon sens, mais je n'ai pas de données en la matière, l'eau qui arrive à l'usine ne doit pas contenir de PFAS. Pour autant, il faut aussi prendre en compte les délais entre la décision de ne pas utiliser des intrants et le résultat que l'on souhaite obtenir. A priori, les eaux minérales devraient donc être beaucoup moins polluées à l'entrée de l'usine qu'une eau qui est puisée dans un autre captage moins protégé. L'éventuelle pollution d'une eau minérale devrait donc provenir, à mon sens - et je parle bien au conditionnel -, du processus de production, par exemple des joints - j'en ai parlé. Il faudrait disposer des chiffres à l'entrée et à la sortie, mais je ne les ai pas. Il s'agit donc en partie d'une spéculation de ma part.

Pour l'eau du robinet, les traitements sont le plus souvent très limités : après forage ou captage, contrôle, chloration et traitement contre les bactéries et les pollutions microbiologiques. En cas d'eau de surface ou de nappe alluviale, les processus sont souvent plus longs : filtration, floculation, décantation, chloration... De ce fait, le risque de contact avec des joints est plus important. Lorsqu'on est obligé de traiter plus fortement l'eau, ce qui est rare en métropole, l'eau en sortie d'usine devrait contenir moins de PFAS qu'à l'entrée, parce qu'on utilise divers procédés qui éliminent une majorité de molécules : colonnes échangeuses, anioniques, cationiques, filtres à charbon actif, etc.

D'ailleurs, les reportages télévisés mettent souvent l'accent sur les surcoûts du traitement des PFAS, mais si on traite déjà les pesticides ou les organochlorés, le surcoût devrait être limité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre rapport avait la ministre de la transition écologique pour seule commanditaire. Il comporte pourtant une dimension sanitaire évidente. Dans quelle mesure a-t-il été, à votre avis, partagé par les administrations compétentes ? Vous dites d'ailleurs, page 82, « le rapport de la mission est destiné principalement aux directions générales du ministère de la transition écologique, charge à eux de transmettre à la direction générale de la santé, également fortement concernée, et aux directions générales des autres ministères » concernés. A-t-il été transmis, a-t-il eu des suites ?

M. Alby Schmitt. - Ce rapport était effectivement destiné à la ministre, mais parallèlement la loi Climat et résilience a prévu la transmission au Parlement d'un rapport du Gouvernement sur le risque de présence de PFAS dans les eaux et le sol. Notre rapport a dû servir de base à l'élaboration de cet autre rapport.

Ensuite, notre rapport a également servi pour le plan d'action ministériel sur les PFAS de janvier 2023.

Enfin, le rapport de 2024, qui est interministériel, reprend beaucoup d'éléments de notre rapport et de nos recommandations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Parlons un peu du curatif. Il semblerait que des bactéries soient capables de s'attaquer aux PFAS, ce qui permettrait leur résorption plus rapide dans l'environnement. Partagez-vous cet espoir ?

M. Alby Schmitt. - J'ai travaillé sur ce type de sujet durant ma thèse. À l'époque, il ne s'agissait pas de PFAS, mais de polluants très durs, comme des organochlorés, et nous nous sommes aperçus qu'on pouvait réussir à les dégrader en laboratoire dès lors qu'on utilisait de la biomasse fixée. Des bactéries se fixaient sur des supports, par exemple du sable ou du plastique, un biofilm se développait progressivement et, dès lors que tous les autres polluants avaient été traités, on arrivait, à force de mutations, à digérer les molécules organiques très dures.

Ce dont vous parlez ne m'étonne donc pas. Pour autant, depuis cette période, je n'ai pas vu de développement de ce type sur les molécules organochlorées, alors même que le processus est a priori plus facile sur elles que sur des molécules organo-perfluorées. Je ne peux donc pas me prononcer. Et, même si des bactéries réussissent à digérer ces molécules particulièrement persistantes, aurons-nous la capacité de les développer ?

Il existe tout de même des techniques pour traiter les PFAS dans l'eau potable : les colonnes échangeuses, les filtres à charbon actif, l'osmose inverse, sous réserve que certaines membranes utilisées contiennent elles-mêmes des PFAS... Ces techniques ont fait leurs preuves et elles sont développées sur le plan industriel pour la production d'eau potable - par exemple, le syndicat des eaux d'Île-de-France (Sedif) en utilise.

Mais il reste une difficulté : que faire des déchets ainsi produits ? En effet, ces techniques créent un concentrat ou une saumure qui recueille les PFAS ou les autres polluants filtrés. Ainsi, quand on utilise l'osmose inverse pour traiter l'eau et la rendre potable, on rejette le concentrat dans la rivière voisine... On n'a donc pas « supprimé » les PFAS, on les a transférés dans la rivière ! Cela pose évidemment des problèmes. Or il est difficile d'imaginer d'autres voies, parce que les volumes sont importants.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - On peut les incinérer ?

M. Alby Schmitt. - Oui, quand il ne s'agit pas d'eau, mais nous ne savons pas bien ce que deviennent les PFAS à l'incinération. Une étude américaine disponible au moment de la rédaction de notre rapport montre qu'il faut les monter au moins à 1 350 degrés Celsius.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'usine de Villers-Saint-Paul utilise effectivement des fours particuliers.

M. Alby Schmitt. - Très peu d'incinérateurs montent à cette température : pour les ordures ménagères, c'est 850 degrés. Un incinérateur de déchets industriels dangereux contenant des organo-chlorées monte à 1 100 degrés. À l'usine Daikin à Pierre-Bénite, on utilise des systèmes d'osmose inverse et à charbon actif sur les eaux usées, puis on incinère les concentrats ou les charbons directement. Cela représente un coût.

De manière générale, il est quand même préférable de traiter les PFAS à la source, ce qui est souvent assez facile, mais nombre d'industriels ont pris beaucoup de retard. C'est facile si on isole bien l'atelier qui produit des PFAS ; dans ce cas, on sait les récupérer et les volumes d'eau sont nettement plus faibles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela pose la question de l'amont.

M. Alby Schmitt. - Effectivement ! C'est un principe général de l'environnement industriel : plus vous traitez le problème en amont, moins c'est cher et moins vous avez de problèmes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que pensez-vous de la situation de la France par rapport aux autres pays européens ?

M. Alby Schmitt. - En ce qui concerne l'eau destinée à la consommation humaine, la directive s'applique dans tous les pays de l'Union européenne et de l'Espace économique européen, si bien que nous sommes globalement au même niveau. Pour autant, une directive fixe un minimum ; il est donc possible que certains pays soient allés un peu plus loin. Lorsque j'étais président de la Commission internationale de la Meuse, j'ai pu constater qu'il n'y avait pas vraiment de différence entre la France, la Wallonie, la Flandre ou les Pays-Bas.

En ce qui concerne les sols, certains pays ont voulu aller plus loin, parfois trop loin... Ainsi, les Pays-Bas ont fixé des normes très strictes qui ont en fait bloqué le marché foncier, car aucun sol ne répondait aux normes...

Il me semble que, sur l'eau potable, la France se situe dans la moyenne européenne ; nous sommes peut-être en avance sur certains aspects. Par exemple, nous surveillons beaucoup plus les PFAS dans l'eau, notamment dans les eaux souterraines ; l'Allemagne n'a pas d'obligation forte aujourd'hui sur ce sujet.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous nous avez dit que certaines agences de l'eau avaient engagé des mesures depuis plusieurs années. Constate-t-on une évolution dans le temps ? Par ailleurs, vous avez indiqué que les PFAS sont essentiellement dus aux produits phytosanitaires. Dans ces conditions, constate-t-on des différences géographiques, par exemple entre les zones viticoles et les autres ?

M. Alby Schmitt. - Le TFA ne fait pas partie des molécules surveillées, puisqu'il n'est pas listé dans la directive parmi les vingt PFAS dont j'ai parlé. J'ajoute que, lorsque nous avons rédigé notre rapport, nous ne disposions pas d'informations sur cette molécule.

De ce fait, quand on regarde une carte de France des PFAS, on voit surtout les anciennes zones industrielles et les rivières qui les traversent du fait des rejets qui y étaient réalisés à une époque. Et la carte est blanche en-dehors de ces zones, en particulier dans les zones rurales.

Mais, si on refaisait aujourd'hui cette cartographie - seulement trois ans après -, notamment en introduisant le TFA, j'ai peur que la conclusion soit totalement inverse... D'où l'intérêt de procéder à des mesures globales des PFAS.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie pour votre participation aux travaux de notre commission d'enquête.

Pollution de l'eau par les microplastiques - Audition de MM. Johnny Gasperi, directeur de recherche au laboratoire « eau et environnement » de l'université Gustave Eiffel, Guillaume Duflos, directeur de recherche au laboratoire de sécurité des aliments de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Stephen Kerckhove, directeur général d'Agir pour l'environnement
(Mardi 28 janvier)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous allons reprendre notre série d'auditions avec celle de M. Johnny Gasperi, directeur de recherche à l'Institut Gustave Eiffel, de M. Guillaume Duflos, directeur de recherche au laboratoire de sécurité des aliments auprès de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et de M. Stephen Kerckhove, directeur général d'Agir pour l'Environnement.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Johnny Gasperi, Stephen Kerckhove et Guillaume Duflos prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je dois également vous demander vos éventuels liens d'intérêt avec l'objet de notre commission d'enquête.

M. Guillaume Duflos, directeur de recherche au laboratoire de sécurité des aliments auprès de l'Anses. - Je fais partie de groupes de travail, nationaux et internationaux de normalisation méthodologique sur les microplastiques avec différentes parties prenantes. Vous pouvez consulter ma déclaration publique d'intérêt, disponible sur le site Internet. Il n'y a aucun souci.

M. Stephen Kerckhove, directeur général d'Agir pour l'Environnement. - Aucun lien direct ou indirect avec les entreprises d'embouteillage, seulement occasionnellement, des relations conflictuelles.

M. Johnny Gasperi, directeur de recherche au laboratoire « Eau et environnement » de l'université Gustave Eiffel. - En ce qui me concerne, il y a deux conflits d'intérêts potentiels. Je suis membre du comité d'experts spécialisés (CES) « Eaux » de l'Anses. Le second conflit d'intérêt potentiel est en lien avec mes contrats de recherche avec des producteurs d'eau potable, soit en région parisienne avec le syndicat des Eaux d'Île-de-France (SEDIF), soit dans l'Ouest de la France avec le syndicat Atlantic'Eau.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce qui nous intéresse est de savoir si vous avez des contrats avec des industriels d'eau minérale en bouteille, et non ceux dans le domaine de l'eau potable.

M. Johnny Gasperi. - Non, mais, en revanche, j'en ai avec des acteurs de l'eau qui est distribuée pour l'eau potable. Ce n'est pas un lien direct.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci beaucoup. Mes chers collègues, je vous rappelle que cette audition concerne l'étude des polluants récemment médiatisés, que sont les micros et nanoplastiques.

Messieurs, vos recherches portent sur la présence de micros et nanoplastiques dans l'eau. Monsieur Johnny Gasperi, vos travaux portent notamment sur le recensement de ces polluants dans les sédiments et les eaux fluviales. Monsieur Guillaume Duflos, vous avez travaillé sur la présence des microplastiques dans les océans et dans l'alimentation.

Notre commission d'enquête porte sur l'eau en bouteille, mais ne peut se désintéresser de la pollution de l'eau dans notre environnement. Monsieur Stephen Kerckhove, vous dirigez une association qui a récemment mené des études sur les microplastiques dans les eaux conditionnées.

Pouvez-vous expliquer à la commission d'enquête ce que sont les micros et nanoplastiques, comment ils se retrouvent dans notre environnement et dans l'eau que nous buvons ainsi que les risques sanitaires identifiés qui y sont associés ? Comment la présence de micros et nanoplastiques dans l'eau destinée à la consommation humaine est-elle mesurée ?

Quel est l'état de la réglementation sur les teneurs maximales en plastique dans cette eau ? Comment l'améliorer ? Comment traiter les microplastiques et faire disparaître cette source de pollution ?

Boire de l'eau conditionnée présente-t-il des risques spécifiques par rapport aux microplastiques ? S'agissant de l'eau conditionnée, peut-on indiquer que les filtres utilisés avant l'embouteillage ainsi que les bouteilles en plastique participent à cette pollution ?

Voici quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera dans quelques instants. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps. Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions en une dizaine de minutes chacun. Puis notre rapporteur vous posera des questions ainsi que les autres membres de la commission d'enquête.

M. Johnny Gasperi. - Monsieur le Président, nous souhaitons vous proposer en préambule de ces discussions de faire de la pédagogie et de la méthodologie, en commençant par définir ce qu'est un microplastique, les éléments de métrologie ainsi que les éléments de distribution de taille. En effet, il existe toute une gamme de tailles. Or les concentrations fluctuent en fonction de la nature du plastique et de sa taille.

M. Guillaume Duflos. - Les microplastiques sont des particules de matériaux plastiques définies principalement par leur taille. Celle-ci est comprise entre 1 micromètre et 5 micromètres, selon la communauté scientifique. Pendant une période, la limite basse des microplastiques a fait l'objet de questionnements. Désormais, le micromètre fait consensus. En dessous du micromètre, ce sont des nanoplastiques dont la limite basse atteint le nanomètre.

Ces microplastiques ont deux origines, dont la principale est la fragmentation de matériaux plastiques de plus grande taille. Les matériaux qui vont se retrouver dans l'environnement vont souvent subir des actions physiques, sous l'effet du soleil ou des vagues, s'ils sont en mer ou dans les sols. Ils vont subir des abrasions. Ces plus gros objets plastiques vont se dégrader en morceaux de plus petite taille jusqu'au microplastiques. La seconde origine des microplastiques est leur production à cette échelle. Les plasturgistes produisent des matériaux plastiques de taille inférieure à 5 mm, comme des billes de plastique qui pouvaient être utilisées auparavant dans des produits exfoliants ou certains produits ménagers.

M. Johnny Gasperi. - Je voudrais apporter quelques éclairages sur l'analyse des microplastiques dans les matrices environnementales. Les deux plus importantes sont, d'une part, l'analyse des plastiques par des méthodes de spectroscopie qui constituent des méthodes optiques ayant pour objet de compter les plastiques, d'autre part les méthodes globales portant sur une masse de polymères. Ces dernières relèvent plutôt des méthodes de chromatographie couplées à la spectrométrie de masse.

Guillaume Duflos a défini les microplastiques comme des particules dont la taille est comprise entre et 1 et 5 micromètres. Le challenge réside dans la distribution de taille dans cette gamme de tailles. En effet, la gamme de taille couvre trois ordres de grandeur. Or disposer d'une seule méthode pour ces trois ordres de grandeur est complexe.

S'agissant de la spectroscopie, il en existe deux catégories : celle infrarouge qui permet d'analyser des plastiques jusqu'à 5 à 10 micromètres et la spectroscopie Raman qui concerne des microplastiques plutôt entre 1 et quelques micromètres.

Une des difficultés liées à l'analyse des microplastiques est liée au défi de la gamme de tailles. Plus les particules sont petites, plus elles seront abondantes. Il convient donc de trouver une relation entre la quantité d'eau qui sera échantillonnée et l'abondance de ces particules. Moins les particules seront abondantes, plus il faudra échantillonner des volumes d'eau importants pour être représentatif. Inversement, plus elles seront abondantes, moins il sera important d'échantillonner des volumes importants pour être représentatif.

À cette difficulté de la taille, s'ajoute celle de la nature des plastiques et de leur forme. D'aucuns pensent qu'un plastique est un matériau simple, issu d'une formule magique. En réalité, il existe une diversité de plastiques. Ceux-ci sont additivés d'une certaine manière et formulés d'une certaine manière, si bien qu'il existe des milliers de polyéthylènes (PE). La difficulté ne réside donc pas dans l'analyse d'un PE, mais dans le fait de recenser de manière exhaustive toutes les formes de PE existantes.

Outre la taille et la nature, la forme constitue la dernière complexité d'analyse. Dans une eau embouteillée, sont présents deux types de microplastiques, des fragments ou des fibres. Ces dernières sont caractérisées par des ratios de longueur sur diamètre très importants. Or l'analyse de ces fibres pose problème dans l'embouteillage.

Ce point méthodologique est très important parce qu'il convient d'avoir toujours à l'esprit cette distribution de taille lors de l'annonce des concentrations. Il faut imaginer avoir cette courbe en loi de puissance avec la concentration annoncée toujours associée à une taille visée. À titre d'illustration, lors de l'annonce d'un nombre de microplastiques par litre dans une bouteille d'eau, on précise leur taille. C'est une condition sine qua non. On ne peut pas exprimer des concentrations sans y associer une taille. Le problème, dans la littérature, est que cette taille n'est pas toujours mentionnée ou fait l'objet de petites incertitudes.

M. Stephen Kerckhove. - Je n'ai pas tout à fait le même rôle que mes voisins de gauche et de droite. Je préfère préciser que je ne suis pas scientifique et je ne souhaite pas jouer ce rôle, car mon discours est militant.

Nous avons fait appel à des laboratoires indépendants pour diligenter deux enquêtes, publiées en juillet 2022 et en août 2024. Nous avons expérimenté à peu près les mêmes difficultés que celles évoquées par mes voisins. La première enquête a concerné les microplastiques, d'une taille qui n'allait pas en deçà d'un micromètre et donc ne portait pas sur les nanoplastiques. Une autre limite importante est relative au fait de n'avoir ouvert la bouteille qu'une seule fois pendant les tests, ne permettant pas d'analyser la dégradation du plastique liée au frottement.

Cela nous a conduits à réaliser une seconde enquête, publiée en août 2024. Nous avons sollicité un autre laboratoire pour analyser les nanoplastiques, avec beaucoup de difficultés. Celui-ci s'est heurté à une nouvelle limite, celle de l'incapacité à caractériser la nature des nanoplastiques qui ont été identifiés. Nous ne pouvons dire s'il s'agit du polyamide, du polyéthylène, du polytéréphtalate d'éthylène (PET), du polychlorure de vinyle (PVC) ou du polyuréthane.

En dépit de ces limites, nous avons commencé à investiguer. Or au-delà du discours rassurant des industriels laissant supposer que le plastique serait une matière inerte, dès la première enquête sur les microplastiques, nous avons eu la surprise de constater que 78 % des bouteilles analysées contenaient des microplastiques, avec des plastiques qui, a priori, n'avaient rien à faire dans la composition des bouteilles. Cela pose question.

Nous avons retrouvé des microplastiques dans le cadre de la seconde étude d'août 2024, qui a eu pour objet d'analyser deux sodas, Coca-Cola et Schweppes, mais cela aurait pu en être d'autres. L'analyse a révélé six sortes de plastiques, avec majoritairement des fragments de PVC dans le Coca-Cola, ce qui, a priori, ne devrait plus être le cas depuis l'engagement de 2019 des industriels à ne plus utiliser du PVC. Nous avons été tellement surpris que nous avons demandé au laboratoire de refaire l'étude après 20 ouvertures de bouchons.

Ce résultat nous a suffisamment interpellés pour faire réaliser six mois après une troisième étude, ou plutôt une « deuxième étude bis ». Nous avons donc rediligenté le laboratoire, il y a quelques semaines. Les résultats démontrent moins de fragments de PVC dans le Coca-Cola, mais on en retrouve encore. On en a également identifié un tout petit peu dans le Schweppes.

Une fois encore, des questions se posent aujourd'hui sur la présence comme sur la diversité de plastiques : nous avons trouvé des fragments de plastique en dépit de multiples limites que nous avons identifiées dans le cadre de nos propres études. Or, il existe des colorants, des plastifiants, et une série de matières qui sont utilisées aujourd'hui pour fabriquer le plastique.

En fait, on ne connaît absolument pas aujourd'hui la composition des produits. Lors d'une rencontre avec le laboratoire, on nous a précisé : « On inverse les choses, vous nous dites ce que vous souhaitez qu'on cherche et on voit si on le trouve ». Or, il s'avère que plus de 500 molécules peuvent entrer dans la composition du plastique. Bien évidemment, ce n'est absolument pas le rôle d'une association de répondre à cette demande, du point de vue scientifique et des moyens. Cela relève plus de la compétence, une fois encore, de mes voisins, notamment l'Anses, qui doit diligenter des enquêtes de façon à apporter toute la transparence. L'invitation que nous pouvons adresser aux industriels, c'est de faire preuve de transparence et de cesser de se réfugier derrière un secret industriel qui n'a pas lieu d'être, dès qu'on expose les consommateurs.

Enfin, au moment où nous avons rendu publiques nos études, sachez que la société Schweppes nous a déclaré que s'il s'avérait que des particules de microplastique étaient présentes dans leurs produits, « ils ne seraient pas intentionnellement incorporés dans nos emballages ». Certes, mais on en trouve à chaque fois qu'on fait des analyses. Le caractère accidentel, quand il est systématique, n'est plus un caractère accidentel. Quant à la déclaration de Coca-Cola qui indique qu'« il n'existe aujourd'hui aucune preuve scientifique suggérant que l'ingestion de particules plastiques est préoccupante pour la santé humaine. », nous n'avons même pas souhaité réagir à cette déclaration. En fait, je pensais boire du Coca-Cola pour son goût et non pas par plaisir d'ingérer du plastique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est très intéressant dans vos présentations respectives d'observer que vous avez insisté sur des questions d'ordre méthodologique, sur la manière et dont vous détectez du plastique dans les eaux et boissons. Je comprends également que la réponse de Coca-Cola peut être agaçante quand on veut acheter cette boisson et que l'on se retrouve à boire du plastique.

C'est pourquoi j'aimerais qu'on aborde, pour les travaux de la commission, le sujet de l'état de la connaissance sur la dangerosité des microplastiques et des nanoplastiques. L'un d'entre vous, peut-il nous présenter un point d'avancement sur la connaissance scientifique de ce sujet ?

M. Guillaume Duflos. - Concernant les dangers potentiels du plastique et des microplastiques, il est important de rappeler leur composition. Le plastique en tant que tel est fabriqué à partir de polymères plastiques, tels que le polyéthylène, le polyamide, le polyéthylène téréphtalate, etc. Sont ajoutés à ces polymères, des additifs plastiques, des colorants et autres éléments afin de conférer différentes propriétés que l'on veut donner à cet objet plastique, comme celles de prévenir l'impact des UV ou de fonctionnaliser le matériau plastique.

Stephen Kerckhove évoquait le nombre de 500 additifs, mais les derniers éléments de la littérature révèlent qu'il y en aurait environ 16 000. Les industriels mélangent différents types d'additifs. Or, les combinaisons sont quasiment infinies et dépendent des propriétés que l'on veut conférer à ces plastiques. Ce qu'il est important de comprendre, c'est que ces additifs ne sont pas intimement liés aux plastiques. Ils peuvent se relarguer dès qu'ils sont en contact avec des éléments de leur environnement, l'eau, la terre, les organismes vivants, etc. Ce point est crucial, car cela constitue le premier niveau de danger.

Le deuxième niveau de danger réside dans la fixation d'autres contaminants par la surface plastique, qu'ils soient chimiques ou biologiques. Je prends un exemple. Quand un plastique se retrouve dans l'eau de mer, si certains composés chimiques passent à proximité, ceux-ci ou des bactéries peuvent venir se fixer sur ces plastiques qui véhiculent alors ces contaminants. Il convient de préciser, toutefois, que des travaux un peu anciens montrent que s'agissant des plastiques en mer, ceux-ci ne véhiculeraient pas plus de contaminants que d'autres éléments en suspension.

Je viens d'évoquer les dangers des particules de plastique. Votre question concernait également le risque. Est-ce bien le coeur de votre question ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, vous évoquez en effet les dangers afférents aux plastiques, mais des seuils existent-ils ? Quelles quantifications ont été réalisées ?

M. Guillaume Duflos. - Je souhaite au préalable donner quelques éléments de contexte sur la recherche sur les plastiques et les microplastiques. Cette thématique de recherche est relativement récente puisque la communauté internationale s'en est emparée il y a un peu moins d'une dizaine d'années. On est donc sur une première phase de développement méthodologique. Il est vrai que rechercher des microplastiques n'est pas forcément très simple. Identifier des nanoplastiques, comme l'a souligné M. Stephen Kerckhove est encore beaucoup plus complexe. On est essentiellement, à ce jour, dans une phase de développement de méthodes afin de pouvoir caractériser ces particules, à la fois en termes de taille, comme cela a déjà été dit, de forme et de composition.

Dès que ces éléments de danger auront été caractérisés, on pourra définir s'il y a un risque. Pour l'instant, il n'existe, à ma connaissance, aucune limite réglementaire concernant des taux à ne pas dépasser de particules de microplastiques dans les aliments, dans l'eau, etc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends votre réponse, mais il me semble que ce sont deux sujets qui sont assez différents. C'est comme mettre des souris en laboratoire et leur faire boire de l'eau avec du plastique et de l'eau naturelle versus repérer du plastique et identifier leurs niveaux de détection. Ce sont deux sujets différents dont l'un relève d'une enquête sanitaire avec témoin pour vérification tandis que l'autre s'apparente à des techniques pour approfondir la mesure. Existe-t-il des études aujourd'hui pour essayer de comprendre les effets sur des organismes humains de l'ingestion de plastiques dans des quantités importantes ou dans certaines quantités relevées qui permettraient d'établir des seuils ?

M. Guillaume Duflos. - Effectivement, des études sont menées afin de caractériser les effets en termes de toxicologie sur l'homme. Ne pouvant faire d'expérimentations sur l'homme, l'exemple que vous donnez est le bon, celui des études sur les souris ainsi que sur des cellules.

Il existe différents outils pour définir la toxicité du plastique avec la difficulté que soulignait Johnny Gasperi, qu'entre un morceau de plastique et un autre, la composition peut être très différente, notamment en termes d'additifs. Il est donc ardu, aujourd'hui, d'avoir un modèle type de plastique qui pourrait permettre de caractériser et de définir des seuils qui seraient généralisés. Néanmoins, des études ont mis en évidence qu'il pourrait y avoir des relations et des réponses entre une exposition au plastique et certains effets.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez les caractériser afin que nous les comprenions ? Avez-vous des exemples ?

M. Guillaume Duflos. - La difficulté réside toujours dans la dose d'exposition que l'on applique, que ce soit aux cellules ou aux animaux, au regard de la réalité de ce que l'on trouve dans l'environnement. Je vais vous donner un exemple. Les premières études qui ont été menées ont surtout utilisé des billes de microplastique que l'on pouvait facilement obtenir dans le commerce. Or elles ne créent pas les conditions de la réalité de l'exposition que nous subissons tous. Comme l'a rappelé Johnny Gasperi, les tailles et les formes peuvent être très différentes. Or les microplastiques sont souvent caractérisés non pas par des sphères parfaites, mais par des fibres et des fragments. Cette forme à un impact sur les résultats de toxicologie. Je ne suis malheureusement pas toxicologiste. Je ne peux pas aller beaucoup plus loin dans les explications que je vous apporte.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lequel d'entre vous peut aller plus loin sur ce sujet ?

M. Stephen Kerckhove. - Plus loin, je ne sais pas. Ailleurs, peut-être. Nous ne sommes pas parvenus par hasard à la décision d'effectuer ces enquêtes. En 2016, nous avons réalisé les premières analyses sur des nanoplastiques et notamment sur du dioxyde de titane qui a été finalement interdit dans l'alimentation. En l'espèce, il y a quelque chose de curieux à se poser la question de l'évaluation du risque de contamination liée au plastique 65 ans après la commercialisation de la première bouteille plastique. C'est la recherche du temps perdu, mais XXL.

On a une problématique microplastique et une autre nanoplastique. Le rapport taille-surface et la réactivité du caractère nanométrique des plastiques n'a rien à voir avec celui des microplastiques. C'est la raison pour laquelle nous plaidons pour de la transparence et des moyens, en dépit des demandes de réduction des budgets des agences... Nous ne nous sommes pas concertés, mais il existe une urgence absolue à permettre aux agences dédiées à l'évaluation du risque de diligenter des enquêtes très rapidement afin qu'on ne continue pas, de rapports en rapports, de commissions d'enquête en commissions d'enquête, à s'interroger sur l'impact des nanoplastiques.

Notre rapport publié en août 2024 mentionnait que l'ensemble des études citées limitent souvent leurs observations aux particules micrométriques. Or, les particules nanométriques bien plus nombreuses ont une capacité de diffusion à travers les membranes bien plus importante et donc potentiellement un impact bien plus prononcé sur la santé et l'environnement. De plus, les microparticules altérées qui ont traversé le système digestif ou ont été traitées au chlore présentent des surfaces plus réactives et biocompatibles favorisant leur interaction et leur internalisation et donc leur potentiel impact sur la santé.

Je souhaite de nouveau, insister sur le fait que l'on part de très loin. Grâce à des études et notamment la nôtre, on commence à identifier des nanoparticules de plastique dans une gouttelette de 2 millilitres, ce qui est vraiment infime. Est-ce la nature ? Quelle est leur interaction ? Quels sont les effets cocktails ? Et surtout, quelles seront les capacités des nanoparticules à franchir les barrières physiologiques ? On se pose un grand nombre de questions. Or il est anormal de s'en poser tant en 2025. C'était en 1960 qu'il se fallait se poser ces questions et pas en 2025.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai une question qui provient également des travaux de l'association Agir pour l'environnement. Vous avez rendu public en 2022 un rapport d'analyse qui étudie, vous l'avez déjà évoqué, la présence de microplastiques dans différentes marques vendues en France.

L'une des conclusions que j'ai trouvée assez paradoxale, et sur laquelle j'aimerais qu'on échange, c'est qu'à la fois vous soulignez dans cette étude que la plus grande partie de la pollution vient de la bouteille, du bouchon et de l'emballage, tandis qu'en même temps, quelques lignes plus tard, vous indiquez que l'on trouve encore davantage de particules de plastique dans l'eau du robinet que dans les eaux minérales naturelles. Sauf erreur de ma part, cette étude a constaté que la teneur en microplastiques était plus élevée dans un échantillon d'eau du robinet que dans l'échantillon provenant des dix marques d'eau embouteillée. Comment expliquez-vous cela ? Comment expliquer la contamination de l'eau du robinet aux plastiques ?

M. Stephen Kerckhove. - Il existe plusieurs causes : l'une d'entre elles est vraisemblablement liée à la dégradation des canalisations en PVC, une autre à la contamination des milieux, c'est une boucle de rétroaction. Ainsi, le recyclage des bouteilles en fibre textile, qui a fait l'objet d'une ou deux études, a montré que les premiers lavages de tissus en textile synthétique relarguent quasiment 400 000 fibres textiles à chaque lavage. Vraisemblablement, rien ne se perd, tout se transforme. En l'espèce, cela continue à contaminer les milieux. En conséquence, réduire la contamination à la source, sans mauvais jeu de mots, requiert de limiter l'impact des bouteilles plastiques en tant que tel ainsi que celui des microparticules que l'on retrouve dans l'eau, et éventuellement celui du recyclage ou du décyclage des bouteilles d'eau sous forme de textiles.

M. Johnny Gasperi. - Je souhaiterais compléter mon propos sur le cadre théorique. La contamination plastique d'une eau en bouteille peut venir de trois facteurs différents : la contamination de la ressource, l'embouteillage lié au contenant et la manière dont on va embouteiller l'eau.

La ressource, comme vous l'avez précisé, a recours massivement aux plastiques aujourd'hui. Dès leur utilisation, on constate une usure de ces plastiques provoquant le relargage de milliers, voire de millions de particules de plastique dans nos compartiments environnementaux qui ne sont pas cloisonnés. Ainsi, l'utilisation de plastique peut conduire à sa présence dans une rivière qui va interagir avec la nappe, dans le cadre d'échanges nappe-rivière, et provoquer une contamination des nappes par des microplastiques. Cet état de contamination des nappes est relativement peu documenté et n'a donné lieu qu'à 5 à 10 études dans le monde décrivant l'état de ces nappes. On observe donc une contamination, soit par des échanges avec la rivière, soit par l'épandage des boues de stations d'épuration contenant des particules de plastique, qui vont ensuite s'infiltrer dans les sols, avec une possible imprégnation des plastiques dans cette ressource. La contamination de ces ressources constitue aujourd'hui un fait avéré. Dans quelle mesure ? Il est très difficile de l'évaluer parce qu'on dispose de très peu d'éléments. Tout dépend du seuil de coupure que l'on va regarder.

L'autre cause de contamination des microplastiques dans l'eau peut intervenir au moment de l'embouteillage, par le contenant. On fait ici référence au PET et au bouchon. L'ensemble des études ne convergent pas toutes vers le même constat. Certaines affirment que c'est le PET ou le polypropylène du bouchon qui sont les principaux polymères retrouvés dans les eaux embouteillées, tandis que d'autres soulignent que ce sont d'autres polymères présents dans ces eaux. Il existe alors deux manières de raisonner. Soit la contamination provient des polymères des contenants. Il est alors simple d'établir le lien avec le contenant. Si les polymères ne sont pas liés aux contenants, cela signifie que le processus de contamination est intervenu lors de la mise en bouteille.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous faites référence au processus de production.

M. Johnny Gasperi. - Oui, le processus de production et d'embouteillage. Généralement, cet embouteillage se fait dans des chambres stériles. Toutefois, l'air intérieur et l'air ambiant contiennent une diversité de microplastiques. La contamination aérienne lors de l'embouteillage constitue donc une piste probable. En revanche, en toute clarté, ceci constitue un cadre théorique. Je ne dispose d'aucun élément scientifique pour attribuer un pourcentage des cas de contamination aux différents facteurs, que ce soit à la ressource, à l'embouteillage ou au contenant. À ma connaissance, aucun élément le permettant n'a été publié.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelques questions avant de céder la parole à mes collègues. À votre connaissance, dans le secteur privé, les minéraliers et les embouteilleurs diligentent-ils des études afin d'identifier les risques éventuels ? Avez-vous connaissance de telles études ?

M. Johnny Gasperi. - Il m'est arrivé d'avoir quelques échanges avec des employés de Nestlé, sur la contamination de l'air. Je sais qu'ils se posent des questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Des échanges de quel ordre ?

M. Johnny Gasperi. - Des échanges portant purement sur l'expertise et la connaissance du problème. En effet, mes travaux sur la contamination de l'air sont particulièrement connus, car nous avons été les premiers à identifier cette contamination. Il nous arrive d'échanger dans des groupes de travail, dans des colloques sur cette pollution de la terre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, Nestlé dispose-t-il d'équipes en interne pour traiter spécifiquement de cette question ?

M. Johnny Gasperi. - Je sais qu'ils ont des laboratoires de recherche équipés ainsi que des gens formés et compétents dans le domaine de la recherche de microplastiques dans leurs laboratoires de recherche.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'imagine que ces chercheurs produisent des rapports sur le résultat de leurs recherches. Avez-vous connaissance de tels rapports qui ont été rendus publics par Nestlé ? En avez-vous été destinataire ? Les avez-vous lus ?

M. Johnny Gasperi. - Non, je n'ai jamais rien lu provenant de chez eux.

M. Laurent Burgoa, président. - Qu'en est-il des autres industriels qui effectuent également des recherches dans ce domaine ? On ne peut cibler qu'un seul industriel, dans le cadre de cette commission d'enquête.

M. Johnny Gasperi. - Je pense que les industriels sont très sensibles et sensibilisés à cette question des microplastiques. Ils ont sans doute procédé à des recherches de leur côté. Je sais que c'est le cas pour Nestlé. Pour d'autres, je ne sais pas.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous en êtes certain pour Nestlé. Vous n'avez pas d'éléments quant aux autres industriels. Je vous remercie. C'est une honnêteté intellectuelle de votre part.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci. Il serait intéressant pour notre commission de demander la communication des rapports qui ont été produits par les industriels, afin d'aller plus loin dans la compréhension des résultats de leurs recherches.

J'ai une dernière question, qui rejoint ce sujet et qui est aussi en lien avec les discussions avec les industriels. Avez-vous connaissance d'industriels qui se posent la question de la nature de leur bouteille plastique ou de celle du retour de la bouteille en verre ?

M. Johnny Gasperi. - Tout dépend où se situe la contamination dans le cadre conceptuel que je vous ai présenté : la ressource, l'embouteillage et le processus d'embouteillage. Dans le cas d'une contamination liée à l'embouteillage et au matériau, il est évident que la bouteille en verre est la solution. Si le problème est lié à la ressource, le choix d'une bouteille en verre ou en plastique n'aura que peu d'effet de ce point de vue.

En revanche, un tel choix ne peut être étudié uniquement sous l'angle microplastique. Il devrait tenir compte au maximum des facteurs affectant le domaine environnemental. La bouteille en verre génère beaucoup moins de gaz à effet de serre. Il est évident que celle-ci est beaucoup plus durable. Mais c'est un autre débat.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Voulez-vous rajouter un mot, peut-être, sur votre connaissance des travaux des industriels ? Vous avez évoqué quelques textos échangés avec les uns et les autres.

M. Stephen Kerckhove. - Je dois vous renvoyer vers mes collègues de Zero Waste qui mènent des campagnes depuis des années sur le retour des bouteilles en verre. Nous avons constaté, à l'issue de notre enquête avec des hypothèses d'une seule ouverture, 10 ouvertures ou 20 ouvertures, une très forte augmentation du nombre de particules, qui serait due au frottement du bouchon. Si la bouteille est en verre, quid de ce frottement ? Le bouchon va-t-il se fragmenter ? Une fois encore, un grand nombre de questions se pose alors que des analyses pour y répondre ne demandent pas des dizaines de milliers d'euros. Et vraisemblablement, les industriels ont déjà effectué ces analyses en interne.

En 2022, la seule réaction des industriels que nous avons eue, sans remettre en cause le sérieux du laboratoire qui en est à l'origine, est que : « la Fédération des eaux minérales naturelles et des eaux de source regrette la visée anxiogène et stigmatisante, d'une étude qui tire des généralités d'échantillonnage unique sur seulement 9 produits, puisque les analyses n'ont pas été répliquées ». Ils évoquent certes les limites de l'étude que nous acceptons complètement. Je le répète, nous n'avons pas vocation à publier dans des revues à comité de lecture. Toutefois, on ne peut pas en rester là. Dénoncer l'enquête et dire « rendez-vous dans deux ans » n'est pas acceptable.

Ces industriels ont des laboratoires et mènent vraisemblablement des enquêtes internes. Vous pouvez les interroger sur les études qu'ils mènent en interne pour vérifier d'où vient ce PVC. D'où viennent la dégradation et le nombre de particules ? Est-ce la même chose avec les petites bouteilles ? Nous menons des enquêtes sur les petites bouteilles tétines. Il avait été retrouvé des particules de plastique dans Vittel Kids. Il n'est plus simplement question d'eau qui passe sous pression dans la bouche, mais d'enfants qui vont mâchouiller du plastique. Si on peut s'épargner la contamination des enfants juste pour quelque chose qui n'a aucun sens, vraiment, autant limiter ce genre de dérive industrielle. 

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour finir, côté Anses, compte tenu des analyses industrielles privées et celles publiques, dont on voit qu'elles sont balbutiantes sur l'impact sur la santé, considérez-vous que le niveau d'investissement public sur le sujet est à la hauteur du risque qui pourrait se matérialiser ?

M. Guillaume Duflos. - Je n'ai pas fait de présentation liminaire, comme Monsieur le président l'avait demandé. Je ne représente pas l'Anses, mais il est exact que le laboratoire dans lequel je travaille est un laboratoire de sécurité des aliments qui traite de tous les dangers alimentaires, y compris depuis maintenant une petite dizaine d'années, de ce sujet émergent qui a été pris en main au tout début du questionnement de la communauté scientifique.

Pour tout vous dire, nous menons des travaux de recherche en lien notamment avec la santé. J'ai déjà évoqué les additifs. Nous travaillons essentiellement sur la méthodologie. Nous avons commencé par mettre en place à la fois des outils analytiques, qui sont plus que cela, car ils constituent de véritables processus analytiques. Nous avons dû revoir nos concepts d'analyse parce qu'il existe beaucoup d'éléments en plastique dans les laboratoires. Un travail approfondi sur la méthodologie a été nécessaire pour analyser correctement les produits aux fins d'en caractériser le danger, en connaître les limites ainsi que de définir la réglementation appropriée. Nous avons donc énormément travaillé sur cette partie analytique.

Nous nous intéressons bien évidemment à la contamination dans les aliments. L'Anses cofinance actuellement une thèse qui a comme objectif de passer en revue les différents aliments. Une publication, en cours de soumission et pas encore revue par les pairs, porte sur l'analyse de différentes boissons. Nous participons également aux travaux d'expertise dans différents groupes de travail. L'Anses a également mis en place un groupe de travail interne avec la participation de tous les laboratoires qui peuvent avoir une interaction avec la problématique des particules de plastique.

Je vous ai présenté tous les étages de cette fusée. Il est vrai que l'on n'a jamais assez de moyens. Je peux, toutefois, affirmer que l'Anses se préoccupe de ce sujet microplastique et nanoplastique.

M. Laurent Burgoa, président. - Trois de nos collègues veulent poser des questions, Madame Antoinette Guhl, puis Madame Marie-Lise Housseau et Monsieur Hervé Gillé.

Mme Antoinette Guhl. - Bonjour et merci à vous trois pour toutes ces informations. Si vous le voulez bien, j'ai trois questions. La première concerne l'étude d'Agir pour l'environnement de juillet 2022 qui s'intitule « Eau embouteillée, nous buvons du plastique ». Celle-ci porte sur une série de marques que nous connaissons toutes, Badoit, Carrefour, Cristalline, Évian, etc. Le résultat est que 78 % des eaux contiennent des microplastiques. Or je suis étonnée. Je pensais que 100 % de ces eaux contiendraient du microplastique puisque ce sont des bouteilles en plastique. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi 22 % de ces eaux ne contiennent pas de microplastiques ? C'est à elles que j'aimerais que l'on s'intéresse, même si votre étude détaille plutôt les 78 % qui en contiennent.

M. Stephen Kerckhove. - Je vais de nouveau rappeler les limites de cette analyse qui a conduit à la seconde enquête : nous n'avons ouvert, vidé et analysé les bouteilles d'un litre et demi qu'une seule fois. Compte tenu de la quantité d'eau dans chaque bouteille, il y avait, à l'évidence, un biais. La raison de la seconde enquête a donc été de se rapprocher le plus possible des conditions réelles d'utilisation. En effet, vous ouvrez une bouteille d'un litre et demi, une fois, dix fois, vingt fois. Nous avons également mené une analyse à chaud et à froid, pour imiter la situation de la bouteille qui reste sur la plage arrière de la voiture. En réalité, nous n'avons pas noté de différence de quantité de particules.

Une fois encore, je vais le répéter : nous n'avons pas vocation à dire la science. Ce n'est pas notre rôle. Nous sommes des lanceurs d'alerte, avec toutes les limites que cela peut représenter, avec le manque de moyens d'une association qui a mené une enquête sur une dizaine de marques. Les résultats comportent une part de variabilité. La mise à jour de notre enquête sur Coca-Cola montre que le nombre de particules de PVC est largement inférieur à notre première enquête. Cela ne signifie absolument pas que Coca-Cola ait mis en place un correctif dans ses capacités de production. C'est uniquement le fait que nos analyses varient, car nous ne sommes pas contraints par des procédures et protocoles industriels.

Mme Antoinette Guhl. - Si vous me le permettez, je vais donc poser la question aux deux autres intervenants. Pensez-vous qu'il est possible de boire de l'eau embouteillée dans des bouteilles en plastique, sans ingérer de particules de plastique ? Une forme d'inertie peut-elle exister ou le fait de mettre de l'eau dans un contenant en plastique génère-t-il, dans tous les cas, la présence de particules de plastique, et donc pour ceux qui la consomment, leur ingestion ?

M. Johnny Gasperi. - C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Ainsi que je vous l'ai exposé précédemment, il existe trois sources possibles de contamination : la ressource, la manière dont on va embouteiller et le contenant. Or il n'est pas aisé de distinguer le rôle et la contribution de chacun, dans un cas de contamination. Ce qui est certain, c'est que ces particules de plastique sont bien présentes dans l'eau embouteillée. Quant au « 78 % », je vous rejoins, leur présence dans des bouteilles en plastique doit être proche des 100 %. Ce qui fera varier ce taux relève de la question de la sensibilité, des volumes d'eau échantillonnés ainsi que la limite de taille que l'on va rechercher. Plus cette taille sera petite, plus les particules seront abondantes. Si la recherche porte sur des particules de plastiques de l'ordre du micromètre, 100 % des bouteilles sont probablement concernées.

S'agissant du contenant, certaines études montrent que c'est le PET, en lien avec le contenant, qui va être très abondant tandis que d'autres indiquent le contraire. Il n'existe pas de réponse claire. Dans tous les cas, le polymère du contenant est présent, en plus ou moins importante quantité.

M. Guillaume Duflos. - Je rejoins les propos de Monsieur Johnny Gasperi. Je suis désolé de devoir toujours revenir à la méthodologie, mais on en atteint vraiment les limites. En termes analytiques, on se situe au maximum de ce que l'on peut effectuer techniquement avec nos équipements, du point de vue de l'efficience. Quand on réussit à détecter quelques particules par litre, on n'en détecte pas forcément toujours lors des répétitions, dans le cadre d'une procédure statistique.

En revanche, l'idée serait de pouvoir échantillonner des quantités beaucoup plus importantes telles que 100 litres ou 1 000 litres. Ce n'est, toutefois, pas toujours très simple d'un point de vue technique et pratique. L'approche adoptée est donc celle de la recherche et non celle d'un contrôle de routine sur des éléments qui seraient complètement établis. Il est important de comprendre que nous ne sommes encore que dans des phases de développement. Les attentes sont nombreuses sur ces questionnements. En même temps, nous essayons d'aller au plus vite afin de proposer des méthodes qui puissent être les plus performantes possible.

Mme Antoinette Guhl. - Merci. J'ai une autre question, je ne sais pas si vous pourrez y répondre. Il semble que certains minéraliers exploitaient en hiver des nappes phréatiques peu importantes en volume, pour l'ensemble de l'année et embouteillaient en une fois l'ensemble des bouteilles qu'ils vendaient durant l'année.

Cette pratique qui conduirait à stocker l'eau bien plus longtemps dans ces bouteilles en plastique, génère-t-elle plus de microparticules de plastique dans l'eau et in fine dans l'eau ingérée ? Vous avez évoqué l'embouteillage comme facteur de contamination, mais n'y a-t-il pas aussi la durée et sans doute les conditions de stockage ? Des études ont-elles été réalisées sur ces points ?

M. Johnny Gasperi. - Je suis désolé de répondre de cette manière. Il y a le cadre conceptuel, la théorie, et puis après les données. Nous allons revenir sur le cadre conceptuel et la théorie. La fragmentation des plastiques est favorisée en présence d'UV, de chaleur ou de contraintes mécaniques. En conséquence, sous réserve qu'il n'y ait pas d'exposition aux UV, pas de températures élevées et pas de contraintes mécaniques, on pourrait penser que cette fragmentation est limitée. C'est donc le cadre théorique.

Malheureusement, je me tourne vers Monsieur Guillaume Duflos, je n'ai pas connaissance de travaux sur les effets du stockage. C'est quelque chose qui serait très facile à démontrer scientifiquement. On achète des bouteilles, on les entrepose six mois quelque part et on se livre à des examens. On peut penser que la fragmentation sera sans doute réduite. S'agissant des additifs, c'est différent, car un équilibre se crée alors entre les polluants qui sont sur les plastiques et ceux dans l'eau.

Mme Antoinette Guhl. - J'ai une autre question relative à la taille de la bouteille. J'ai par ailleurs déposé une proposition de loi pour interdire les petites bouteilles en plastique, pour de nombreuses raisons, qui ne se limitent pas à la question sanitaire, telles que la pollution et le recyclage que l'on ne traite pas aujourd'hui, sachant que le temps nous manque pour tout aborder. Vous affirmez très clairement dans votre étude, Monsieur Stephen Kerckhove, que les bouteilles Vittel Kids de 33 centilitres affichent le plus grand nombre de particules de plastique. Peut-on en tirer une généralité sur les petites bouteilles qui par leur taille contiendraient plus de particules de plastique ? Ai-je été claire ?

M. Stephen Kerckhove. - C'est tout à fait clair. Je crains que la réponse soit négative. Les petites bouteilles posent une problématique de gaspillage des ressources naturelles, avec un plastique à usage unique. Je possède de petites bouteilles de moins de 3 centilitres dans mon « musée des horreurs ». C'est en effet absurde.

La conclusion de notre deuxième rapport est que le fait d'ouvrir à plusieurs reprises une bouteille et selon la nature du bouchon, en l'espèce les bouchons tétines, tend à engendrer des microparticules. Dans le cas d'une petite bouteille, cette ouverture multiple n'existe pas, car une fois ouverte, vous la buvez entièrement.

J'ai juré de dire la vérité. Nous n'avons pas encore mené d'autres études que celle réalisée en 2022 où on avait constaté qu'effectivement une bouteille Vittel Kids générait beaucoup de particules lors du passage de l'eau dans le bouchon tétine. Il convient désormais d'approfondir cette étude et de la généraliser. Vraisemblablement, c'est plutôt les grandes bouteilles, ouvertes 10 ou 20 fois qui risquent de contenir plus de particules. Je ne souhaite pas faire la promotion de l'alcool ici, mais je soulignerai que nous ne disposons pas d'analyse sur la quantité de microparticules ou nanoparticules dans une bouteille de Schweppes, ouverte 50 fois lors d'un apéritif.

M. Johnny Gasperi. - Monsieur Stephen Kerckhove insiste beaucoup sur l'utilisation de ces bouteilles. Il convient, en effet, d'appréhender le problème dans toute sa globalité, celui de la source et de l'utilisation. La réflexion doit être menée sur toute la chaîne, car on ne peut dire que le problème s'arrête à la distribution par les industriels. Celui-ci se poursuit tout le long du cycle de vie et de l'utilisation des produits. Les ouvertures et fermetures ainsi que l'usage de ces produits doivent être pris en compte.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous venez partiellement de répondre à mes interrogations parce que, dans une session précédente, nous avions évoqué l'amélioration de l'étiquetage pour mieux informer le consommateur. Un mode d'emploi de la bouteille en plastique pourrait être également envisagé afin de fournir quelques préconisations, notamment sur la durée de stockage, l'exposition au soleil, la date de consommation, l'attention aux chocs, etc. Cela pourrait être une information utile pour le consommateur.

Ma question porte sur les emballages. Vous avez étudié les bouteilles en plastique, mais le plastique est partout dans l'alimentaire, que ce soit pour emballer des pâtisseries, de la viande, etc. Or, quand on utilise un produit, on déchire très souvent l'emballage plastique, sans y porter attention, le but étant de récupérer le contenu. Compte tenu de vos propos, n'y a-t-il pas également une problématique relative à tous ces emballages en plastique ? Serait-il pertinent de demander à la filière « Responsabilité élargie du producteur » (REP), d'une part, de procéder à des analyses plus systématiques, de manière à réduire le plus possible les risques de contamination, et d'autre part, de remplacer à terme ces emballages par autre chose.

M. Stephen Kerckhove. - Quand il y a une divergence entre la théorie et la pratique, la pratique a toujours raison. En l'espèce, présupposer qu'un litre et demi de boisson va être bu en une seule fois est erroné. En conséquence, les analystes devraient tenir compte des conditions réelles d'utilisation. Si ces dernières conduisent à exposer massivement les consommateurs à un danger, les industriels doivent concevoir leurs produits en fonction des conditions réelles d'utilisation et non pas de la théorie. En l'espèce, si les analyses ne révèlent qu'entre 46 et 93 microparticules, on peut imaginer que les chiffres « explosent » dans le cas d'une vingtaine d'ouvertures d'une bouteille d'un litre et demi, ou celui de la recherche des nanoparticules, ou éventuellement dans le cas du stockage des bouteilles d'eau sur le parking de l'industriel, pendant quelques mois avant leur consommation.

Les industriels doivent donc systématiser les analyses théoriques ainsi que celles au quotidien. Ils le font peut-être. Ils doivent également les rendre publiques. Il serait absurde que les industriels disposant d'une information dont le coût est modeste au regard de leur chiffre d'affaires, ne la communiquent pas alors qu'ils doivent garantir la non exposition des consommateurs aux micro et nanoparticules.

M. Hervé Gillé. - Je vais me faire volontairement provocateur : il n'y a pas de problème puisqu'on ne connaît pas la dangerosité du plastique. On peut donc, a priori, continuer comme ça. Il n'y a aucun souci ! Je suis très surpris qu'on ne parvienne pas à caractériser la dangerosité des plastiques par rapport à la consommation humaine. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a mené des travaux sur l'impact des plastiques sur la santé humaine qu'il conviendrait de revoir.

M. Laurent Burgoa, président. - Notre collègue Madame Florence Lassarade, membre de la commission d'enquête, appartient également à l'OPESCT.

M. Hervé Gillé. - Oui, tout à fait et précédemment à l'OPECST, notre collègue, Angèle Préville, avait à l'époque, initié une série de travaux sur ces sujets. Les modalités de la caractérisation de la dangerosité des plastiques me semblent primordiales dans notre débat. Vous avez évoqué que ces derniers sont pluriels, notamment en raison des nombreux additifs. Ceci dit, certains de ces additifs sont connus pour leur dangerosité. Pourquoi ne pas avoir alors un début de caractérisation qui permettrait d'avancer un peu sur le sujet, car il est urgent de poser aujourd'hui ce sujet sur la table.

J'ai une question corollaire : avez-vous connaissance d'une commande gouvernementale sur ces sujets ? Il est impératif de progresser dans la connaissance du problème, compte tenu de la pollution plastique qui est devenue un enjeu majeur mondial, qui a fait l'objet de différents travaux, notamment parlementaires.

Un autre point me paraissant important est celui de la rémanence et de la temporalité de disparition du plastique dans l'environnement. L'impact du plastique au niveau des sols ainsi que la perméabilité des nappes en fonction de leur degré de profondeur méritent toute notre attention. Ces éléments de connaissance sont nécessaires pour évaluer les enjeux d'une contamination d'une nappe profonde rechargeable en mille ans par rapport à la goutte d'eau qui tombe aujourd'hui. Prenez-vous en compte ces éléments de connaissance des sols et de capacité de filtration ? En conclusion, pouvez-vous dresser un panorama des pollutions à court, moyen et long terme ?

M. Guillaume Duflos. - Concernant la dangerosité des produits, je peux vous indiquer l'existence d'appels à un projet d'envergure, au niveau européen, il y a déjà quelques années visant à comprendre un peu mieux les effets toxicologiques de ces particules de plastique. Certains d'entre eux sont en voie d'achèvement, mais je ne dispose pas des conclusions qui ont pu en être tirées.

Sachez que l'Anses se soucie de ces impacts et collabore avec une équipe de l'université de Lille. J'ai précédemment mentionné les exemples de rongeurs, ayant notamment des pathologies inflammatoires digestives, qui ont été exposés à des microplastiques. Nous avons mis en évidence, dans le cadre d'une publication, que cette exposition pouvait augmenter les pathologies de ces rongeurs. Les études progressent. L'écueil, comme toujours, est de passer d'un effet à un seuil. Comme je l'ai indiqué, je ne suis pas toxicologiste. C'est aux toxicologues de répondre à la question.

Les études avancent donc sur ce sujet. Vous avez rappelé la complexité de la composition des particules de plastique. Il conviendra, bien évidemment de s'appuyer sur les connaissances des additifs considérés comme dangereux et qui ne doivent plus normalement être utilisés. Sachez que, selon une étude Wagner et al., un tiers des 16 000 additifs référencés sont peu, voire très mal, connus en termes de dangers individuels. Par ailleurs, en cas de mélange et d'effets cocktails, on est encore bien loin de pouvoir totalement comprendre la dangerosité de ces produits et par voie de conséquence leur risque. Je suis désolé de devoir rappeler que le cadre n'est pas forcément simple. On est sur des activités de recherche pure. Il existe forcément un fossé entre ce qui est mis en oeuvre et le fait d'avoir des certitudes.

M. Johnny Gasperi. - De plus en plus d'équipes de recherche s'intéressent à l'impact sur l'homme. Ceux sur les organismes et les micro-organismes des hydrosystèmes ont été très clairement démontrés. Sans être écotoxicologue, les impacts sont nombreux, notamment sur la reproduction, le métabolisme, l'énergie et la croissance. Peut-être devriez-vous auditionner un spécialiste de ces questions de santé ?

Je souhaitais intervenir sur la trajectoire de cette pollution plastique. Nous avons matière à être pessimiste, car on observe aujourd'hui une croissance des matières plastiques entre 8 % et 10 %. L'environnement continuant de fonctionner comme il fonctionne, la pression sera de plus en plus importante. Outre ce plastique mis en circulation, on ne peut ignorer tout le plastique stocké dans nos environnements. La masse de plastique ne faisant qu'augmenter, accrois la pression sur l'environnement ainsi que le risque de contamination de la ressource. Je ne peux vous fournir de chiffres pour étayer mon propos qui relève du bon sens. La circulation de cette masse de plastique accroît la production de microplastiques.

Vous avez évoqué la migration de plastiques des horizons de surface vers les nappes, plus ou moins profondes. Cette percolation peut être favorisée par différents mécanismes tels que des échanges entre l'eau, les rivières et les nappes, le rôle du sol, la manière dont l'eau va circuler dans les sols, et celle dont le sol va retenir ces particules.

Les boues de stations d'épuration constituent une source très importante de contamination par des particules de plastique. Lors de l'épuration des eaux usées, les microplastiques sont transférés de la file eau vers la file boue. 60 % de ces boues sont épandues sur des parcelles agricoles à l'échelle nationale. Se pose donc la question d'apport massif de microplastiques dans les sols et de la contamination à long terme, à travers les boues et leur épandage.

La question du changement climatique et de la manière dont l'eau va circuler se pose également parce que dans le cadre des transferts préférentiels, tout dépend de la capacité de filtration des boues par un massif poreux ainsi que de la manière dont l'eau s'écoule dans ces massifs.

M. Stephen Kerckhove. - Un dernier élément pour souligner que votre question est particulièrement rassurante. Personne ne se pose la question de savoir si le plastique est bon pour la santé. Bien au contraire, la présence de six sortes de plastique dans le Coca-Cola nous interpelle. On présuppose vraisemblablement que cela n'est pas très bon.

Je vais procéder à nouveau par l'absurde. Le pacte national sur les emballages plastiques, signé le 21 février 2019, stipule explicitement que les entreprises signataires, dont Coca-Cola, s'engagent à arrêter l'utilisation du PVC dans les emballages ménagers d'ici 2022. En 2024, des analyses révèlent sa présence dans du Schweppes et du Coca-Cola. Nous sommes en 2025. Ce que je vais dire n'est pas très radical, mais le simple fait d'appliquer et de faire respecter la loi et les engagements volontaires des industriels constitue le minimum. Je rappelle que la loi impose 50 % de réduction du nombre de bouteilles en plastique d'ici 2030, et 77 % de collecte de plastique d'ici 2025. Nous sommes en 2025, l'objectif de 77 % n'a toujours pas été atteint.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'est pas le seul domaine. Il y a d'autres domaines pour lesquels on a fixé des dates. Monsieur le rapporteur souhaite vous poser une dernière question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une ultime question pour Monsieur Guillaume Duflos à l'Anses. Vous avez évoqué vos travaux. Avez-vous des dates à nous communiquer ? Vous êtes-vous donné ou non, en interne, des objectifs de caractérisation et d'établissement de seuils ?

M. Guillaume Duflos. - Ma réponse ne va peut-être pas vous convenir, en termes de date, mais nous essayons d'aller toujours plus vite, compte tenu de nos moyens. L'Anses s'est saisie de ce sujet d'importance avec une grande implication. Dans le cadre de nos travaux de recherche, deux doctorants travaillent actuellement sur la question. Les échéances sont nécessairement liées à la nature de nos travaux. Dans le cas particulier de l'analyse de microplastiques, celle-ci nécessite un très long temps analytique, car nous caractérisons particule par particule. Le temps d'analyse est donc très long quand l'échantillon comprend 200 à 300 particules.

Je n'élude pas votre question, mais je dois insister sur le fait que nous progressons le plus rapidement possible. À titre d'exemple très concret, la thèse en cours, qui a pour objectif de caractériser méthodologiquement la contamination des plastiques doit couvrir une grande partie des différents types d'aliments. Pour l'instant, elle n'a pu traiter que les boissons parce que ce sont les aliments les plus simples à analyser par filtration. Quand l'analyse porte sur des matrices alimentaires plus complexes, la recherche de microplastiques devient particulièrement ardue, en raison des contraintes analytiques. Compte tenu des différents défis auxquels nous sommes confrontés, je ne sais pas ce que demain sera fait pour analyser tel type de produit beaucoup plus complexe.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Restons, si vous le voulez bien dans le domaine des eaux.

M. Guillaume Duflos. - S'agissant des eaux, comme je vous l'ai indiqué précédemment, nous avons soumis des publications. Pardonnez-moi, je n'ai pas bien compris la question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quand disposerons-nous d'éléments sur les questions de dangerosité afin que des normes sanitaires soient définies ?

M. Guillaume Duflos. - C'est une question qui dépasse mon périmètre. La durée du processus nécessaire pour élaborer une norme ne relève pas de mes compétences.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Permettez-moi d'aborder la question différemment. Vous dites avoir aujourd'hui deux doctorants travaillant sur le sujet. Combien de personnes supplémentaires vous faut-il pour traiter convenablement ce sujet et être capable d'émettre des normes ? Vous êtes directeur de recherche. J'imagine donc que vous avez une vision sur le sujet ?

M. Guillaume Duflos. - Vous avez auditionné mon directeur général la semaine dernière. Ce besoin est difficile à chiffrer. Compte tenu du contexte complexe actuel et des autres problèmes à traiter tout aussi importants, l'Anses mobilise au maximum ses moyens sur ce sujet. Il est certes évident que plus on a de moyens, plus on progresse, que ce soit des moyens humains, techniques et analytiques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Johnny Gasperi, voulez-vous ajouter quelque chose sur la question des moyens ?

M. Johnny Gasperi. - Les moyens ne sont malheureusement pas l'unique clé pour établir un seuil aujourd'hui. Le seuil doit être construit dans le consensus, dans un cadre méthodologique stable et consensuel, approuvé par tous.

Le problème réside dans l'existence d'un tel cadre méthodologique. La création d'une molécule organique telle qu'un pesticide obéit à des méthodologies très claires. Dans le cas de plastiques physiques transportant des polluants, il n'existe pas à ma connaissance de cadre méthodologique permettant d'exprimer leur toxicité, accepté par toutes les parties prenantes.

Avant même de poser un seuil dans une démarche scientifique, il convient de définir le cadre méthodologique qui va être utilisé et l'impact. Concernant les seuils, « je crois qu'on en est loin ».

M. Laurent Burgoa, président. - Quelqu'un veut-il rajouter quelque chose ? Je tiens à vous remercier, Messieurs, pour cette audition. Je pense que vos propos vont permettre d'améliorer les travaux de notre commission d'enquête.

Mes chers collègues, je vous donne rendez-vous demain à 13 h 30 pour l'audition de l'Association de défense de l'environnement.

Associations de défense de l'environnement dans les Vosges -
Audition de MM. Bernard Schmitt, président, et Jean-François Fleck, vice-président, de Vosges nature environnement et Mme Maïthé Muscat, co-présidente de Lorraine nature environnement
(Mercredi 29 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celles de :

• Bernard Schmitt, président de Vosges Nature Environnement, membre du collectif Eaux 88 ;

• Jean-François Fleck, vice-président de Vosges Nature Environnement ;

• Maïthé Muscat, co-présidente de Lorraine Nature Environnement.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Bernard Schmitt, Jean-François Fleck et Maïthé Muscat prêtent serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, vise à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

L'audition du jour est consacrée à une table ronde des associations de défense de l'environnement.

Pourriez-vous, à tour de rôle, nous présenter les caractéristiques et les enjeux prioritaires relatifs aux exploitants embouteilleurs de votre territoire ?

Certains d'entre vous ont été associés à la conclusion de la convention judiciaire d'intérêt public entre le procureur d'Épinal et Nestlé Waters Supply East. Pourriez-vous revenir sur ses modalités et sur les mesures de réparation mises en oeuvre ?

Comment êtes-vous, en tant qu'associations, associées à la gouvernance locale de la gestion de l'eau ?

Estimez-vous que les embouteilleurs s'engagent suffisamment en faveur de la préservation de la ressource en eau ?

Voilà quelques-uns des thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en une dizaine de minutes chacun. Cela sera suivi d'un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

Mme Maïthé Muscat, co-présidente de Lorraine Nature Environnement. - Lorraine Nature Environnement (LNE) est une fédération qui regroupe plus de 60 associations de protection de la nature et de l'environnement des quatre départements lorrains (Meuse, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Vosges) qui disposent, pour la plupart d'entre elles d'un agrément préfectoral. Nos objectifs incluent la protection, la conservation et la restauration des espaces et des milieux naturels, la diversité et les équilibres écologiques fondamentaux, l'eau de surface et profonde, l'environnement au sens large en zones rurales et urbaines, la lutte contre les pollutions et les nuisances, la défense et la promotion de la sobriété, et la défense juridique de nos membres.

Nos actions sont empreintes d'un esprit de stricte neutralité vis-à-vis des formations politiques et confessionnelles.

Nous voulons contribuer à définir les objectifs et les moyens d'une politique régionale conforme à notre objet statutaire, maintenir un contact permanent avec les pouvoirs publics et les organismes privés pour réaliser notre objet statutaire et exiger la stricte application des sources de droit international, du droit de l'Union européenne et du droit interne en ou leur amélioration, notamment par des actions en justice, contribuer à informer et sensibiliser les administrations, les élus, les associations et le public, intervenir par tout moyen d'information, de propositions ou de droits pour prévenir ou limiter les financements ou les aides, y compris les exonérations ou autres avantages financiers, dont peuvent bénéficier les opérations ou les ouvrages susceptibles de porter directement ou indirectement atteinte à son objet statutaire.

LNE est une des fédérations constituant France Nature Environnement Grand Est, membre de France Nature Environnement.

Nous sommes à la disposition de nos adhérents, en soutien de nos associations membres, y compris sur le plan juridique, et donc en contact régulier et solidaire avec les associations locales faisant des constats d'atteinte à l'environnement qui peuvent les amener à porter plainte et aller en justice. LNE emploie une juriste travaillant en étroite collaboration avec les associations et avec les avocats spécialisés en droit de l'environnement.

Au nom de ces buts, nous sommes aux côtés de Vosges Nature Environnement, d'Oiseaux Nature, de l'Association de sauvegarde des vallées et de prévention des pollutions, toutes membres de notre fédération. Ces associations ont constitué un collectif Eau 88 avec une association de protection des consommateurs et avec LNE. Grâce à l'expertise juridique de France Nature Environnement, elles ont réagi au non-respect de la réglementation.

L'affaire Nestlé Waters a également fortement mobilisé les ressources humaines salariées de LNE, principalement notre juriste, depuis plusieurs années, et ce ne sont pas les seules affaires avec lesquelles nous avons eu à nous battre à leur côté. En effet, pas moins de 14 affaires ont mobilisé, avec plus ou moins d'intensité, nos salariés au cours des six dernières années, dans le département des Vosges, pour des questions d'eau, de non-respect de milieux humides, mais aussi d'urbanisme ou d'atteinte à des espèces protégées.

Nous n'en avons pas fini avec Nestlé Waters. Leur décharge sauvage constitue la prochaine affaire qui va être jugée, en mai prochain pendant trois jours au tribunal judiciaire de Nancy.

L'engagement personnel fondamental des bénévoles de ces associations, et en particulier leur constance et leur courage exceptionnels, a lancé l'alerte sur les agissements de Nestlé Waters et fait en sorte que les pouvoirs publics soient dans l'obligation d'agir face aux constats révélés.

M. Bernard Schmitt, président de Vosges Nature Environnement. - Si vous le permettez, je souhaiterais simplifier notre approche pour les personnes qui suivent cette séance à distance et qui ne sont peut-être pas familières avec la complexité du dossier.

Le collectif eau s'est formé en 2016 lorsque nous avons été quatre à voter contre les orientations de la commission locale de l'eau. Nous restons quatre en 2024, aucun des 40 autres membres de la commission ne nous a rejoints.

Nous sommes traités d'activistes de l'eau, ce que nous acceptons, mais nous considérons comme des lanceurs d'alerte, défendant des valeurs éthiques comme l'eau en tant que bien commun inaliénable ou la loi de 2006 qui hiérarchise les usages de l'eau, mais qui n'a jamais été respectée dans les Vosges.

Nous nous appuyons sur des critères scientifiques. Nous travaillons avec des universitaires et nous utilisons des rapports existants, notamment ceux du BRGM, de la préfecture ou de consultants spécialisés sur l'eau. Nos données donc sont sourcées et vérifiées. Nous savons depuis 1992 que les eaux sont traitées à Vittel, mais nous n'en avons pas fait état, car nous n'avons jamais trouvé de source sérieuse pour le déclarer.

En 2016, nous avons découvert que le BRGM s'étonnait que les industriels soient épargnés de toute économie d'eau, au détriment des citoyens, avec le projet de pipeline. Nous avons également mis au jour un conflit d'intérêts impliquant la présidente de la commission locale de l'eau (CLE), dont le mari était cadre dirigeant chez Nestlé Waters, président d'une association, la Vigie de l'eau, qui est devenue la structure porteuse du Schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), participant au comité technique de la commission de l'eau. Grâce à Anticor, ces éléments ont été signalés au parquet d'Épinal. La Vigie de l'eau et la présidente de la CLE ont été condamnées pour prise illégale d'intérêts en faveur de Nestlé.

En 2019, le projet de pipeline a échoué. C'est l'échec de la préfecture, du Conseil départemental, des élus locaux, mais c'est surtout l'échec de Nestlé notamment grâce à la décision de l'Agence de l'eau Rhin-Meuse qui est revenue sur son soutien au projet. Nous n'avions pas imaginé que cet élément serait aussi déstructurant pour les affaires de Nestlé.

Le 10 septembre 2024, une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) a temporairement clos notre combat.

Enfin, je voulais vous faire part de notre surprise vis-à-vis de certaines auditions, mais je pense que ce n'est ni le moment ni le lieu pour vous en faire part. Nous remplirons le questionnaire que vous nous avez adressé pour détailler les limites de certaines auditions.

Je passe la parole à Jean-François pour approfondir le sujet des eaux superficielles et souterraines.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'audition est publique, nous préférons que vous fassiez état dès maintenant de vos observations sur les différentes auditions.

M. Bernard Schmitt. - J'ajoute que l'eau n'est pas une ressource, c'est une réserve. On ne devrait pas parler en m3, mais en litres. Un m3, c'est une abstraction. Pourquoi ne pas parler en km3 ? Minéralier c'est un nom fantastique, mais aujourd'hui, je pense que ce ne sont plus que des fabricants d'eau et peut-être demain des trafiquants d'eau.

M. Jean-François Fleck, vice-président de Vosges Nature Environnement. - Je vous remercie de nous permettre d'apporter un éclairage factuel basé sur huit années d'observations et d'études. Notre positionnement s'appuie sur des principes éthiques, considérant l'eau comme un bien commun inaliénable. Nous pensions initialement que le bon sens et le respect de la loi seraient compris par tous les acteurs, mais la priorité a souvent été donnée au maintien et au développement de l'économie sur le territoire.

Le contexte hydrogéologique est crucial à comprendre. Les nappes locales sont interconnectées, formant un complexe multicouches. La nappe profonde, objet d'un SAGE, est une nappe captive, qui ne communique pas avec les cours d'eau, millénaire, de très grande qualité. C'est une réserve d'eau très importante pour l'avenir face au réchauffement climatique. Les nappes supérieures, qui alimentent pour 50 % cette nappe profonde, sont des nappes libres, qui se rechargent rapidement et communiquent avec les cours d'eau.

L'approche de préservation diffère entre la nappe profonde, bien étudiée par le BRGM, et la nappe supérieure, dont le fonctionnement reste méconnu. Les décisions qui ont été prises l'ont été dans l'ignorance du fonctionnement de cette nappe.

Les principaux utilisateurs de la nappe profonde sont Nestlé, l'Hermitage et les collectivités, tandis que la nappe superficielle est exploitée presque exclusivement par Nestlé.

Plusieurs points méritent d'être approfondis :

- Le dossier des prélèvements non autorisés, avec ses rebondissements juridiques (plainte en 2020 classée sans suite puis reprise après notre appel auprès du procureur général, audition par l'OFB) soulève des questions sur la responsabilité l'État ainsi que son soutien voire sa connivence avec Nestlé Waters dans l'autorisation de tous les prélèvements pour 10 ans avec un aménagement sécheresse, mais aussi des écrits au procureur, des déclarations sous serment en commission parlementaire, qui nous interrogent tant ils contredisent l'avis de plusieurs représentants des services qui ont tous confirmé l'absence d'autorisation.

- Depuis la loi sur l'eau de 1992, qui n'a pas été respectée localement, notamment au regard de la problématique d'épuisement de la nappe profonde, l'État semble avoir failli à ses responsabilités concernant la gestion des nappes, favorisant souvent les industriels avec la surexploitation des nappes supérieures au détriment de l'environnement, par exemple en autorisant Nestlé Waters, en dehors des débats du SAGE, à déplacer ces prélèvements de la nappe profonde vers la nappe supérieure.

- La protection des captages, qui est en lien direct avec la contamination des nappes et donc les traitements utilisés par les industriels, tant pour les eaux minérales que pour la consommation humaine, paraît insuffisante.

- Les outils de gestion comme le SAGE et la CLE ont montré leurs limites. Le SAGE a été lancé tardivement, en 2010, alors que le déficit était connu depuis les années soixante-dix et a pris 13 ans pour aboutir à une solution imparfaite. La structure porteuse du SAGE manquait d'indépendance, étant financée en partie par Nestlé.

- Le fonctionnement de la CLE était problématique, avec une sous-représentation de la société civile et une orientation favorisant les intérêts industriels. Notre association s'est retrouvée isolée dans son opposition au projet de pipeline et a dû travailler en dehors de la CLE pour faire connaître ses alternatives.

- Ce n'est qu'en 2019 que l'État et l'Agence de l'eau ont reconnu l'impasse du projet initial, réorientant la commission vers notre alternative.

Aujourd'hui, la situation s'est apaisée au sein de la CLE, et nous sommes régulièrement invités à participer aux programmes d'action.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est votre avis sur le recours à la Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) conclue avec Nestlé Waters ? Que pensez-vous du montant de l'amende d'intérêt public imposée à Nestlé Waters ? Comment évaluez-vous les mesures de compensation écologique et de réparation du préjudice écologique exigées ? Quelles mesures ont été mises en oeuvre jusqu'à présent ? Estimez-vous avoir été correctement indemnisés par Nestlé Waters ?

M. Jean-François Fleck, vice-président de Vosges Nature Environnement. - Nous avons découvert cette procédure pour la première fois. Elle permet d'apporter des solutions en dehors du déroulement judiciaire normal d'une plainte pénale.

Nous regrettons la précipitation de la démarche, qui nous a laissé peu de temps pour en analyser les avantages et inconvénients.

L'avantage principal était une résolution rapide, évitant une longue procédure judiciaire avec un risque de non-condamnation. Nous en avons accepté le principe pour obtenir des réponses rapides. Bien qu'il n'y ait pas de reconnaissance explicite de culpabilité, Nestlé a reconnu implicitement sa responsabilité en acceptant une indemnisation et une réparation du préjudice écologique.

Les échanges avec le procureur ont été décevants, car il a eu plus d'entretiens avec Nestlé qu'avec nous. Nous avons exprimé nos attentes, notamment la réparation du préjudice écologique et la réalisation d'une étude sur le fonctionnement de la nappe aquifère profonde et l'impact des prélèvements sur les milieux aquatiques. Cette demande n'a pas été acceptée dans les termes que nous proposions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi cette demande n'a-t-elle pas été acceptée ?

M. Jean-François Fleck. - Nous n'avons pas de réponse précise, car cela relève des échanges entre le procureur et Nestlé. La convention prévoit 100 000 euros pour une éventuelle étude, ce qui nous gêne, car cette étude est jugée nécessaire et incontournable par les membres de la commission locale de l'eau. Elle aurait dû être imposée d'office.

La réparation sur le terrain nous interroge également. Bien que la renaturation des cours d'eau avec la création de mares et de zones humides soit intéressante, son impact est limité si les prélèvements d'eau restent excessifs. Nous insistons pour qu'une étude caractérisant les relations entre la nappe et les rivières soit menée. Des piézomètres complémentaires ont été imposés à Nestlé, qui restent sous son contrôle, mais nous souhaitons qu'il y ait plus qu'un piézomètre public pour une surveillance continue et indépendante. Il faut distinguer la surveillance par piézomètres de l'étude du fonctionnement de la nappe, ces deux approches étant complémentaires. Nous sommes partagés sur cette procédure et nous espérons que l'étude sera lancée comme prévu début 2025.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de précédentes auditions, les mesures de protection de l'impluvium dans les Vosges ont été présentées comme exemplaires. Votre discours semble différent. Pouvez-vous expliquer cet écart entre ce qui nous a été présenté et la réalité sur le terrain ?

M. Jean-François Fleck. - Le modèle Agrivair, filiale de Nestlé, mis en place en 1992, a des aspects vertueux. Il propose des contrats volontaires aux agriculteurs pour limiter l'usage de pesticides, éviter la culture de maïs, et contrôler la fertilisation. Cette démarche est positive, mais à la condition de couvrir l'ensemble de l'impluvium, l'ensemble de l'aire d'alimentation des captages. Or, selon le directeur de Nestlé, seulement 60 à 70 % de la surface agricole utile est protégée par ces contrats. Les 30 à 40 % restants sont en agriculture conventionnelle, qui utilise des pesticides. Cela pose la question de la contamination de la nappe aquifère, qui est vulnérable en milieu karstique et faillé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le fait que seulement 70 % de la surface soient couverts est-il dû à l'absence de propositions de Nestlé ou au refus des agriculteurs ?

M. Jean-François Fleck. - Je pense que les agriculteurs n'ont pas souhaité adhérer à ces contrats.

M. Laurent Burgoa, président. - Pouvez-vous préciser si c'est une supposition ou une certitude ?

M. Jean-François Fleck. - Je pense qu'il y a peu de doutes à ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pouvez nous répondre par écrit.

M. Bernard Schmitt. - Le cahier des charges s'impose aux fermiers sur les terres Agrivair. Ceux qui n'ont pas adhéré au système Agrivair ont voulu garder leur indépendance vis-à-vis de Nestlé. Certains affirment même utiliser délibérément des pesticides pour contrarier la multinationale.

M. Jean-François Fleck. - Le directeur d'Agrivair a lui-même admis que 30 à 40 % des surfaces étaient cultivées en agriculture conventionnelle.

Cette situation soulève des questions sur la protection des captages d'eau en général, pas seulement pour l'eau minérale. Les dispositifs actuels de protection des périmètres immédiats, rapprochés et éloignés, pour éviter les pollutions accidentelles et les pollutions diffusent dues aux pesticides sont basés sur des études hydrogéologiques, mais leur mise en pratique est problématique. En tant que membre du Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CoDERST), j'ai constaté des incohérences dans les arrêtés préfectoraux concernant les DUP de captage. En 2017, j'ai dénoncé auprès de l'ARS le fait que l'usage des pesticides était interdit aux particuliers et aux communes dans les périmètres rapprochés, mais pas aux agriculteurs. Cette situation est d'autant plus préoccupante que nous constatons des dépassements de seuils partout en France, avec des fermetures de captages régulièrement rapportées dans la presse. Récemment, une centaine d'élus de Loire-Atlantique a demandé l'interdiction des pesticides dans les périmètres de captage. Il est urgent de mettre en place des mesures de protection efficaces pour l'eau minérale comme pour l'eau du robinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez exprimé des critiques sévères envers les pouvoirs publics concernant la gestion de l'eau. Pouvez-vous détailler précisément les carences et défaillances que vous avez identifiées ? Ces informations sont cruciales pour notre commission d'enquête et pour formuler d'éventuelles recommandations.

M. Jean-François Fleck. - Nos critiques visent principalement les décisions ou l'absence de décisions au niveau du préfet, qui a le pouvoir au niveau départemental. Nous regrettons l'absence d'intervention de l'État depuis 1992, malgré les prélèvements problématiques. Au niveau ministériel, l'État a autorisé l'embouteillage d'une ressource profonde qui, selon nous, ne présentait pas de caractéristiques minérales particulières, étant consommée par toute la population. Cette décision a été prise malgré la connaissance du déficit de la nappe, surexploitée depuis au moins 1970.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment ce déficit de la nappe est-il caractérisé ?

M. Jean-François Fleck. - Le BRGM a élaboré des schémas et des graphiques depuis les années soixante-dix qui démontrent ce déficit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous affirmez donc que l'État a autorisé, consciemment ou non, l'exploitation d'une nappe qu'il savait structurellement déficitaire ?

M. Jean-François Fleck. - Nous considérons que les usages de l'eau pour les collectivités et l'activité économique locale, comme la fromagerie, devraient être prioritaires par rapport à l'embouteillage. Pour équilibrer la ressource et éviter son épuisement, c'est l'usage pour l'embouteillage qui devrait être retiré en premier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que fait l'État en cas d'arrêté sécheresse ?

M. Jean-François Fleck. - En 1995, il n'y a pas eu de dépôt de dossier de demande d'autorisation et d'étude d'impact comme l'exigeait la loi sur l'eau. En 2001, l'État a autorisé un prélèvement maximal par Nestlé d'un million de m dans la nappe profonde, ce qui était excessif par rapport au déficit. Ce n'est qu'en 2010 que le SAGE a été lancé pour trouver des solutions, alors que le préfet aurait pu prendre des décisions plus tôt pour un retour à l'équilibre plus rapide, conformément à la directive-cadre sur l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Actuellement, le volume prélevé vous semble-t-il compatible avec la restauration de la nappe ?

M. Jean-François Fleck. - Aujourd'hui, nous sommes proches de l'équilibre grâce à des restrictions successives. Les prélèvements de Nestlé sont passés d'un million à 200 000 m. Les collectivités prélèvent environ 1,5 million, l'Hermitage entre 0,4 et 0,6 million. Au total, nous sommes près de l'équilibre, avec un léger déficit.

Cependant, notre objectif n'est pas seulement l'équilibre, mais la reconstitution de cette masse d'eau surexploitée pendant des décennies. Nous visons l'arrêt des prélèvements pour l'embouteillage et des économies pour les autres usages. Le projet de SAGE prévoit des transferts de prélèvements pour Vittel et Contrexéville vers la nappe supérieure à hauteur de 300 000 à 350 000 m, mais nous critiquons le manque d'études approfondies sur le fonctionnement de cette nappe. L'État s'est appuyé sur une étude que nous jugeons biaisée, n'ayant pas examiné toutes les relations nappe-cours d'eau dans différentes conditions (basses, moyennes et hautes eaux), en utilisant le BRGM comme caution.

De plus, l'État a récemment autorisé l'ensemble des prélèvements de Nestlé sur la nappe supérieure, leur permettant potentiellement une augmentation de 30 %, avec une autorisation globale de 2,6 millions de m3. Nestlé prélève actuellement 2 millions de m3, mais peut augmenter jusqu'à 2,6 millions sans nouvelle autorisation. Plus préoccupant encore, pour contourner les restrictions en période de sécheresse, il a adopté la stratégie des bassines en sur-prélevant les 6 premiers mois de l'année. Cela lui permet de réduire les prélèvements en période d'étiage et de prétendre avoir une action positive. Cependant, cette pratique abaisse rapidement le niveau de la nappe, déclenchant plus tôt les assecs dans les cours d'eau dépendants. Nous dénonçons fermement ces décisions aux conséquences importantes.

M. Laurent Burgoa, président. - N'est-ce pas plutôt une bonne gestion de l'eau de prélever davantage quand elle est abondante et moins quand elle est rare ? Cela semble relever du bon sens.

M. Jean-François Fleck. - En apparence, cela peut sembler logique. Le problème est que cette eau provient de la nappe rechargée, en lien avec les eaux de surface. Avec la sécheresse et les faibles précipitations, le niveau baisse naturellement. En augmentant les prélèvements quand l'eau est abondante, on abaisse davantage le niveau, provoquant des assecs plus précoces qui n'auraient dû apparaître qu'en période de sécheresse.

Ce phénomène est constaté par l'Observatoire national des étiages (ONDE), cité par l'OFB dans son enquête, qui relève les assecs des cours d'eau et les atteintes à la biodiversité qui en résultent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué l'affaire du pipeline comme si nous étions tous informés, ce qui n'est pas le cas. Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet que vous considérez comme une grande victoire puisque le projet a été abandonné ?

J'aimerais également avoir des précisions sur les remarques que vous vouliez faire sur les auditions précédentes.

M. Jean-François Fleck. - Le projet de pipeline visait à trouver des solutions alternatives pour préserver les prélèvements industriels tout en assurant l'approvisionnement des collectivités. L'idée était de forer à 15 km du périmètre, dans une zone de la nappe moins connectée au reste. Deux pipelines étaient envisagés : un vers l'est avec de nouveaux forages et un autre au nord pour interconnexion avec le syndicat du Saintois. Ce projet, qui aurait eu des conséquences sur le prix de l'eau, était un non-sens au regard de la loi sur l'eau et des priorités d'usage, puisque la ressource existait localement.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous nous éloignons du sujet de notre commission sur les eaux minérales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que la discussion porte sur la priorité donnée aux minéraliers par rapport à la population locale pour l'utilisation de la nappe.

M. Bernard Schmitt. - Le conflit d'usage sur la nappe profonde remonte à 1955, quand les premiers forages ont été réalisés à la suite de la pollution des eaux de surface par le retraitement des armes de guerre. La population boit cette eau et les industriels l'utilisent en eau de process. Dans les années 1970, nous avons constaté une surexploitation de la nappe. En 1992, Nestlé est autorisé par la direction de la Pharmacie du ministère de la Santé à embouteiller l'eau, en tant qu'eau minérale naturelle, sous l'appellation Vittel Bonne Source, exclusivement pour l'export, principalement en Allemagne. Cette autorisation, qui ne rapporte rien aux municipalités, soulève des questions, notamment sur le rôle du directeur de la Pharmacie de l'époque.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous aller au bout de vos propos ?

M. Bernard Schmitt. - Il m'est difficile d'accuser quelqu'un précisément.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous ne pouvons pas laisser planer de suspicions. Soit vous retirez vos propos, soit vous les complétez. Je ne peux pas rester dans ce flou.

M. Bernard Schmitt. - Le directeur de la pharmacie en 1992 était Jérôme Cahuzac. C'est sous sa responsabilité que cette autorisation a été donnée. En 2020, à la suite de l'abandon du pipeline, l'agence de l'eau Rhin-Meuse a demandé à la DREAL de contrôler les piézomètres de Nestlé. Une société privée a été mandatée, mais s'est vue refuser l'accès à certains piézomètres. On lui demandera de faire son rapport malgré l'absence de vérification de tous les piézomètres en raison de la puissance de Nestlé.

M. Jean-François Fleck. - Pour faire le lien entre les forages irréguliers, les traitements et le pipeline, il faut comprendre la démarche. En 2013-2015, le BRGM mentionnait la nappe superficielle comme ressource alternative potentielle. Le président de la CLE, M. Gautier, et son adjointe ont proposé d'abandonner cette solution pour privilégier le pipeline. Cela soulève des questions sur les conflits d'intérêts potentiels entre Nestlé et les décideurs, notamment concernant le « monopole d'exploitation » de Nestlé sur la nappe.

M. Laurent Burgoa, président. - Pouvez-vous apporter des précisions sur d'éventuelles plaintes, mises en examen ou condamnations concernant ce dossier ?

M. Jean-François Fleck. - En 2021, la présidente de la CLE et l'association la Vigie de l'eau ont été condamnées, à la suite d'un signalement que nous avions fait en 2016.

Les liens de proximité entre Nestlé et certains élus ont été révélés par Mediapart.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je souhaite que vous reveniez sur ce qui vous a interpellés pendant certaines auditions de la commission d'enquête.

M. Bernard Schmitt. - Lors de son audition avant Noël, le BRGM a évoqué les nombreux piézomètres dont il dispose sur le secteur. Or, il n'y a qu'un seul piézomètre public pour les nappes du secteur, ce qui est insuffisant selon des hydrogéologues. J'ai signalé à la préfète en séance de la CLE que l'État avait abandonné ces territoires à Nestlé, sans obtenir de réponse satisfaisante.

Par ailleurs, le responsable du BRGM, qui est un scientifique de très bon niveau, a semblé découvrir tardivement les pollutions par PFAS, alors que ce problème est étudié depuis vingt ans en Amérique du Nord. La France ne prévoit de rechercher ces pollutions qu'à partir de 2026, ce que je considère comme de l'enfumage.

Enfin, le docteur en géographie que vous avez auditionné remet en question dans un article notre surmédiatisation et la capacité des journalistes à juger la situation. Il s'étonne des fuites publiques d'eau, il a raison, elles étaient de l'ordre de 20 % de 3 millions de m il y a quelques années, elles sont excessives, mais restent dans le territoire, alors qu'il ne s'émeut pas des prélèvements de Nestlé qui quittent totalement le territoire. Je l'ai contacté, j'ai écrit à son université, Lyon Lumière II, qui bénéficie de nombreux financements de Nestlé, sans obtenir de réponse.

M. Laurent Burgoa, président. - Est-ce que vous êtes certains de vos affirmations sur le financement de l'université Lyon Lumière II par Nestlé ? Je vous rappelle l'importance d'être certain de vos déclarations, car elles pourraient avoir des conséquences juridiques.

M. Bernard Schmitt. - Je mets en lumière les financements de Nestlé dans différents laboratoires de l'université Lyon Lumière II.

Lors de l'audition sur la pollution des rivières et des nappes souterraines, je déplore que l'agriculture n'ait pas été mentionnée comme source de pollution. Le terme « agriculture » a été prononcé pour la première fois par le sénateur Jacquin ! Quand celui-ci a demandé si le bio pouvait être une alternative, on lui a répondu qu'elle utilisait du cuivre ! Je suis scandalisé.

Je dénonce également la déclaration du directeur général de la santé affirmant l'absence de risque sanitaire, ce qui contredit l'avis de l'Anses.

Mme Audrey Linkenheld. - Je vais tenter de résumer votre position pour m'assurer de bien comprendre. Vous semblez reprocher aux industriels ce qu'on appelle l'extractivisme ou le capitalisme extractif. Vous critiquez non seulement la manipulation de la qualité de l'eau par les minéraliers pour maintenir leur production, mais aussi l'exploitation excessive de l'eau, mettant en danger les ressources du territoire. Est-ce une bonne reformulation ?

M. Jean-François Fleck. - Je confirme que l'objectif d'une multinationale comme Nestlé est de maximiser ses profits à partir d'une ressource. Le problème réside dans l'absence de limites fixées par les instances régulatrices. On a permis l'épuisement de la nappe et le pillage de l'eau, la surexploitation de la nappe supérieure, et les conséquences de cette décision n'ont pas été prises en compte. Nous pointons la responsabilité de l'État qui devrait fixer des limites pour protéger l'alimentation en eau potable et préserver l'intégrité des milieux aquatiques et de la biodiversité, par exemple des débits réservés dans les cours d'eau.

M. Bernard Schmitt. - J'ajoute qu'aux États-Unis et au Canada, la régulation est automatisée grâce à des piézomètres largement déployés. Les autorisations de prélèvement sont ajustées en fonction des niveaux mesurés, sans décision politique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle est la fréquence de ces ajustements automatiques ?

M. Bernard Schmitt. - Les autorisations sont ajustées d'une année sur l'autre.

M. Jean-François Fleck. - En Alsace, une association surveille les niveaux d'eau et déclenche des alertes pour l'irrigation lorsque certains seuils sont atteints. Ce système est opérationnel et efficace.

M. Olivier Jacquin. - Cette audition est très riche. En tant qu'ancien premier vice-président de l'agence de l'eau jusqu'en 2015, j'étais déjà au fait des problèmes de surexploitation de la nappe. Les questions du rapporteur ont éclairci l'épisode surprenant du pipeline.

Vous avez indiqué que l'étude du fonctionnement de la nappe était refusée dans le cadre de la CJIPE. Pouvez-vous préciser ce point ? La CLE dispose-t-elle maintenant de tous les éléments nécessaires pour comprendre le fonctionnement complexe de cette nappe ?

M. Jean-François Fleck. - L'étude n'a pas été totalement refusée puisque le procureur a alloué 100 000 euros pour sa réalisation. Cependant, le cahier des charges n'a pas été défini simultanément. Le versement de cette somme est retardé, car elle était destinée à l'observatoire mis en place par la CLE dans le cadre du SAGE, qui n'a pas d'existence juridique. On envisage de verser ces fonds au département, structure porteuse du SAGE et de la CLE. Il y a un consensus au sein de la CLE pour mener cette étude, mais les objectifs précis restent à définir. Nous avons transmis nos attentes en termes de cahier des charges et attendons que cette somme soit utilisée pour la réaliser.

M. Olivier Jacquin. - Je suggère à la commission d'auditionner la filiale Agrivair de Nestlé, dont j'ai entendu parler positivement, mais aussi négativement, des agriculteurs lui reprochant de s'approprier du foncier agricole.

Pouvez-vous préciser la nature des décharges de plastique mentionnées dans la presse ?

Enfin, en tant « qu'activistes de l'eau », avez-vous subi des menaces dans le cadre de ce dossier ?

M. Bernard Schmitt. - Il existe deux décharges de plastique significatives : une ancienne décharge ICPE, légale, dont la surveillance s'est arrêtée en 2000, et une décharge sauvage de 42 000 m de PVC près du golf et de l'hippodrome de Vittel. Ces déchets résultent d'échecs industriels lors du passage des bouteilles en verre au plastique, Vittel étant la première ville au monde à avoir adopté ces bouteilles. La décharge sauvage fera l'objet d'un procès de trois jours devant le tribunal administratif de Nancy. Par ailleurs, les microplastiques ne sont que la partie visible du problème, les adjuvants chimiques utilisés pour donner de la couleur, de la rigidité et de la souplesse au plastique étant plus préoccupants puisqu'ils se recombinent et sont difficiles à mesurer. Nous demanderons l'évacuation de ces décharges.

M. Jean-François Fleck. - Concernant les pressions, nous avons été qualifiés d'extrémistes et d'irresponsables par des personnes en position d'autorité, comme le préfet ou le président du conseil départemental. C'est pourquoi je n'apprécie pas le terme « activiste », qui a une connotation péjorative.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous interromps, car il faut distinguer les déclarations des pressions réelles. Avez-vous reçu des menaces directes ou indirectes ?

M. Jean-François Fleck. - Lors d'une réunion publique, le directeur départemental a tenté de m'empêcher de parler de manière agressive, en présence du préfet et des élus. C'était une forme de pression. Bernard Schmitt, habitant sur place, a probablement subi davantage de pressions individuelles.

M. Bernard Schmitt. - J'ai effectivement subi des pressions plus directes. On me suit dans les magasins, on m'insulte quand je charge ma voiture. Ce sont des pressions mineures auxquelles je suis habitué.

M. Laurent Burgoa, président. - Qui vous suit ?

M. Bernard Schmitt. - Ce sont des salariés de l'entreprise.

M. Laurent Burgoa, président. - Êtes-vous certain que ce sont des salariés de l'entreprise qui vous suivent ?

M. Bernard Schmitt. - J'en suis certain, mais je ne connais pas leur nom, ce sont des pressions anonymes.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous déposé une main courante ou une plainte concernant ces pressions ?

M. Bernard Schmitt. - Les pressions sont progressives. Lors de tournages d'émissions comme Envoyé spécial, des personnes interviennent pour nous discréditer. Une attaque de mon domicile a été planifiée sur les réseaux sociaux, j'ai porté plainte et l'instruction est en cours depuis un an. Des pages Facebook m'ont ciblé nominativement. De plus, des insultes envers notre collectif et moi-même ont été publiées dans la presse sous le nom des maires de Vittel et de Contrexéville, légitimant ainsi de potentielles actions violentes de certains salariés de l'entreprise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par légitimation d'actions violentes ?

M. Bernard Schmitt. - La déclaration d'un élu nous qualifiant d'activistes, d'idéologues et de fous peut être interprétée comme une autorisation de nous attaquer.

J'ai reçu des menaces à mon domicile de la part d'un fonctionnaire de police, en présence d'un témoin. Il m'a demandé si je n'avais pas peur, ajoutant qu'une balle pouvait vite arriver. Heureusement, nous ne sommes pas encore dans une situation comparable à celle du Mexique.

M. Laurent Burgoa, président. - Ces faits sont graves. Dans le cadre de cette commission d'enquête, qui a des prérogatives particulières, j'ai besoin de plus de détails. Pouvez-vous identifier le représentant de la police en question ou son commissariat ? Nous ne pouvons pas rester dans le flou, c'est trop important pour le sérieux de notre travail.

M. Bernard Schmitt. - Il s'agit d'un commissaire des renseignements généraux, bien que le nom du service ait probablement changé depuis, et d'un de ses adjoints de la préfecture des Vosges.

M. Laurent Burgoa, président. - On parle maintenant de renseignement territorial. De quel commissariat dépendaient-ils ?

M. Bernard Schmitt. - Ils appartenaient au renseignement territorial.

M. Laurent Burgoa, président. - Les fonctionnaires des renseignements territoriaux sont rattachés à un commissariat ou à une gendarmerie. Ils ne dépendent pas du préfet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous dites que des personnes sont venues chez vous. Qui était témoin de cette scène ?

M. Bernard Schmitt. - C'était un adjoint des renseignements territoriaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ils sont venus chez vous et vous ont dit, après que vous leur ayez offert un café, qu'une balle était vite arrivée ?

M. Bernard Schmitt. - Le commissaire, qui était silencieux jusque-là, m'a soudainement regardé pendant que je discutais avec son adjoint. Il m'a demandé si je n'avais pas peur. J'ai répondu que non, plaisantant sur la présence de deux policiers armés pour me protéger. Il m'a alors regardé sérieusement et dit : « Une balle est vite arrivée. »

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans quel cadre étaient-ils chez vous ?

M. Bernard Schmitt. - C'était une visite amicale du policier qui me contacte habituellement pour les manifestations. Il m'a proposé de passer chez moi lors de sa venue à Vittel. J'ai accepté de le recevoir pour un café, et c'est là que l'incident s'est produit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous porté plainte pour ces faits ?

M. Bernard Schmitt. - Non. Mon frère, qui travaillait dans ces services, m'a dit que c'étaient des pratiques assez courantes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des menaces de mort de la part d'un fonctionnaire de police ne sont pas des pratiques courantes.

M. Bernard Schmitt. - C'est une manière d'impressionner quelqu'un, de le dissuader.

M. Laurent Burgoa, président. - En tant que parlementaire, je ne peux pas laisser passer ces accusations sans réagir. Nous ne pouvons pas mettre en doute l'intégrité des forces de l'ordre sans preuves concrètes. Si vous avez été victime de menaces, vous devez porter plainte. Vos déclarations devant cette commission d'enquête ont des conséquences juridiques importantes. Je vous rappelle que vous avez prêté serment. Nous ne pouvons pas rester dans le flou sur des accusations aussi graves.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je crois que M. Schmitt le fait avec clarté.

M. Laurent Burgoa, président. - J'attire votre attention sur les conséquences juridiques de vos propos.

M. Bernard Schmitt. - J'assume pleinement mes déclarations.

M. Laurent Burgoa, président. - Je souhaite que tout soit parfaitement clair dans cette commission d'enquête. Je remercie le rapporteur de partager cet objectif.

M. Bernard Schmitt. - J'ai répondu, dans l'émotion, à votre demande de décrire les pressions que j'ai subies. C'est ainsi que j'ai perçu la situation. C'est ma vérité.

M. Laurent Burgoa, président. - Je ne remets pas en cause votre parole, mais j'attire votre attention sur les conséquences potentielles de vos déclarations. Si la personne mise en cause se sent diffamée, elle pourra saisir les tribunaux. Vous êtes en commission d'enquête, ce qui confère une importance particulière à vos propos. Avez-vous terminé vos réponses ?

M. Jean-François Fleck. - Je souhaite apporter une précision concernant la protection des captages d'eau et l'agriculture biologique. Lors d'une commission sur les captages prioritaires, une représentante de la Chambre d'agriculture a affirmé qu'il était tout à fait possible de protéger la ressource en eau avec des pratiques vertueuses, mais que c'était une question de volonté politique. Il existe des expériences réussies en France, notamment à Paris, et surtout à Munich depuis 30 à 40 ans. Munich a choisi d'aider les agriculteurs à changer leurs pratiques plutôt que d'installer une unité de traitement de l'eau, pour des raisons économiques. Nous pouvons vous fournir des rapports détaillés sur ce sujet. Il est économiquement plus avantageux de prévenir la pollution par la protection des captages que d'investir dans la filtration et le traitement de l'eau. Cette approche est efficace et fonctionne.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci à tous. Je donne rendez-vous à nos collègues à 16 heures 30 pour l'audition des associations de consommateurs.

Associations des consommateurs - Audition de Mme Ingrid Kragl, directrice de l'information de Foodwatch, M. François Carlier,
directeur général et Mme Selma Amimi, chargée de mission
« alimentation et développement durable » de Consommation logement cadre de vie (CLCV), et M. Claude Rico, vice-président
du Conseil national des associations familiales laïques
(Mercredi 29 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, notre après-midi d'auditions se poursuit avec une table ronde d'associations de défense des consommateurs. Nous recevons :

• Madame Ingrid Kragl, directrice de l'information et fondatrice de Foodwatch ;

• Monsieur François Carlier, directeur général et Mme Selma Amimi, chargée de mission alimentation et développement durable à la CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), association nationale des consommateurs et des usagers ;

• Monsieur Claude Rico, vice-président du Conseil national des associations familiales laïques (CNAFAL), accompagné de Mme Karine Vaas-Letang, chargée du service juridique et consommation.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Mme Ingrid Kragl, M. François Carlier, Mme Selma Amimi, M. Claude Rico et Mme Karine Vaas-Letang prêtent serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Vous représentez des organisations aux positionnements différents. Foodwatch est une association spécialisée dans le secteur de l'alimentation tandis que la CLCV est une association de consommateurs généraliste. Quant au CNAFAL, c'est une association familiale.

Recevez-vous fréquemment des plaintes ou des signalements de consommateurs concernant l'eau minérale naturelle ?

Pourriez-vous revenir sur la façon dont vous avez accueilli les révélations journalistiques concernant les pratiques des industriels des eaux minérales ?

Selon vous, l'encadrement réglementaire actuel des eaux embouteillées est-il satisfaisant ?

Avez-vous des recommandations à formuler, notamment au niveau de l'étiquetage ?

Voici quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en une dizaine de minutes chacun. Suivra un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

Mme Ingrid Kragl, directrice de l'information et fondatrice de Foodwatch. - Foodwatch est ravie d'être entendue par le Sénat et de l'intérêt que vous portez à ce sujet. L'affaire remonte déjà à plus d'un an, il est donc grand temps de faire la lumière dessus.

J'ai créé en 2013 le bureau français de Foodwatch, qui est une association de défense des consommateurs existant depuis 2002. Nous sommes une association loi 1901, avec un angle spécifique dédié à l'alimentation sous tous ses aspects, l'étiquetage, l'environnement, le commerce, etc. Nous sommes une association agréée, nous pouvons donc ester en justice.

Nous sommes totalement indépendants, nous refusons toutes les subventions publiques et l'argent de l'industrie agroalimentaire. Nous sommes uniquement financés par les consommateurs.

Le fondateur de Foodwatch était l'ancien numéro un de Greenpeace International. Il a décidé de créer l'association au moment d'une terrible affaire sanitaire, le scandale de la vache folle. Il s'est rendu compte que, dans le domaine alimentaire, il n'y avait pas de contre-pouvoir au niveau européen. Or, les lobbys de l'agroalimentaire sont extrêmement puissants. Il manquait donc une organisation équivalente à Greenpeace sur la question de l'alimentation. Nous n'avons aucun lien avec Greenpeace, mais nous partageons un ADN commun d'indépendance. Nous sommes le « watch dog », nous surveillons les pratiques de l'industrie et le coeur de notre mission est de veiller à l'intérêt général et de nous battre pour une alimentation sans risque, saine et abordable pour tous, qui ne nuise ni à la santé ni à l'environnement.

435 000 personnes en France sont abonnées à nos newsletters gratuites, 1 million en Europe. Nous avons des bureaux à Berlin, Amsterdam, Vienne, Bruxelles et Paris.

Notre outil principal est le « name and shame ». Nous n'hésitons pas, après avoir documenté nos sujets, à désigner ce qui nous semble être défaillant au niveau des responsabilités, tant du côté des acteurs économiques que politiques. Je tiens à souligner que nous sommes totalement indépendants de tout parti politique,

Je remarque la présence de Madame Guhl avec laquelle nous avons eu le plaisir d'échanger dans le cadre de la mission qu'elle a menée. Je suis vraiment ravi que cette commission soit transpartisane, parce que les consommateurs n'ont pas d'étiquette politique et tous consomment de l'eau en bouteille.

Dès les premières révélations dans la presse sur la question des eaux en bouteille, nous avons été sollicités pour réagir parce que nous étions bien identifiés par les médias qui relaient régulièrement nos enquêtes comme des experts sur toutes les questions liées à l'alimentation et aux boissons. Nous avons tout de suite compris que nous étions face à de graves infractions et réalisé que l'affaire remontait à plusieurs années. Nous avons très rapidement questionné la responsabilité de l'État parce que nous avons constaté que si les journalistes n'avaient pas révélé cette affaire, nous n'aurions jamais eu connaissance de ce scandale.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous reçu des signalements ou des plaintes de consommateurs sur ce sujet ?

Mme Ingrid Kragl. - Nous avons été très sollicités par des consommateurs inquiets, notamment les parents utilisant l'eau en bouteille pour les biberons. Nous avons refusé d'alimenter la panique, c'est à la justice qu'il appartient d'établir les responsabilités, mais nous avons souligné que le risque sanitaire n'était pas totalement écarté. Nous avons déposé une plainte pénale en février 2024, mais une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) celée au tribunal d'Épinal a mis fin à toutes les poursuites pénales en juin. Nous avons alors déposé deux plaintes avec constitution de partie civile en septembre visant Nestlé, le groupe Alma et questionnant les responsabilités de l'État. De nombreux consommateurs, affolés, ont voulu s'associer à ces plaintes.

Nous avons également sollicité la Commission européenne en février, soulignant les infractions à la directive eau de 2009 qui encadre les eaux en bouteille. La Commission a rapidement réagi, reconnaissant le manque d'information des consommateurs et les manquements de l'État français. Nous avons demandé un audit européen sur l'application de la directive eau par la France et une réunion du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l'alimentation animale, car les bouteilles non conformes ont été commercialisées dans toute l'Europe sans que les États membres ou la Commission n'en aient été informés.

M. François Carlier, directeur général de la CLCV, association nationale des consommateurs et des usagers. - La CLCV est une association généraliste de défense des consommateurs présente dans une soixantaine de départements. Nous nous intéressons depuis longtemps à l'eau, notamment à la défense de l'eau potable, à son prix, à la dégradation de la ressource, et à la promotion de l'eau du robinet, notamment à travers des bars à eau sur les marchés. Nous avons intensifié nos actions en justice, passant de trois il y a huit ans à vingt aujourd'hui. Nous avons rendu publics deux accords amiables dans le cadre d'actions de groupe dans le secteur bancaire et sur la crise de l'énergie.

Concernant les eaux en bouteille, nous avons une procédure en cours contre Volvic pour allégations environnementales trompeuses. Volvic prétend en effet que son eau est neutre en carbone et 100 % recyclable. Nous avons porté plainte pour pratiques commerciales trompeuses devant le tribunal judiciaire de Paris.

Nous constatons que l'État français n'a jamais fait la promotion de l'eau du robinet, laissant prospérer l'idée que l'eau en bouteille était meilleure. Face aux problèmes écologiques liés au plastique, des solutions comme la consigne ont été envisagées, mais elles visaient en partie à sauvegarder l'industrie des eaux en bouteille.

Le scandale récent a révélé qu'il n'y a pas de réelle différence entre l'eau en bouteille et l'eau du robinet, remettant en question la perception d'une eau en bouteille plus pure ou mieux protégée. Cette révélation a constitué un choc pour beaucoup.

Mme Selma Amimi, chargée de mission « alimentation et développement durable » à la CLCV. - Je vais apporter des éléments complémentaires et revenir sur le sujet spécifique des eaux minérales en bouteille. Fin janvier 2024, les consommateurs ont découvert un nouveau scandale alimentaire. Certaines eaux vendues en bouteille sous la dénomination « eau minérale naturelle » et « eau de source » auraient subi des traitements non conformes à la réglementation. Ces traitements remettent notamment en cause les désignations commerciales employées. En effet, une eau minérale naturelle est « une eau microbiologiquement saine ayant pour origine une nappe ou un gisement souterrain et provenant d'une source exploitée par une ou plusieurs émergences naturelles ou forées. Elle se distingue de l'eau de boisson par sa nature, caractérisée par sa teneur en minéraux, oligo-éléments et par sa pureté originelle ». Cette définition ajoute qu'elle doit être tenue à l'abri de tous risques de pollution.

Nous avons été surpris par ces révélations dans la presse et par le constat de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur lequel nous nous appuyons. L'IGAS indique qu'au moins 30 % des eaux conditionnées en France font l'objet de traitements non conformes à leur arrêté préfectoral.

Nous apprenons également que le groupe Nestlé Waters aurait volontairement dissimulé ces traitements de sorte que les autorités de contrôle ne puissent pas les voir. C'est assez préoccupant. Nous rappelons également que les eaux en bouteille sont vendues plus cher que l'eau du robinet. C'est pour cela que nous avons porté plainte contre X en octobre dernier pour tromperies et pratiques commerciales trompeuses.

Nous avons également été surpris par ce que l'État savait de ces pratiques. L'IGAS souligne qu'une ressource dont la qualité n'est pas conforme aux dispositions réglementaires n'a pas vocation à être exploitée à des fins de production d'eau minérale naturelle ou d'eau de source. Elle peut en revanche être utilisée pour la production d'eau rendue potable par traitement. Par conséquent, si une ressource est contaminée et qu'elle ne peut pas être traitée puisque la réglementation l'interdit, elle ne doit pas être mise en bouteille, vendue plus cher que l'eau du robinet et être appelée eau minérale naturelle ou eau de source. Nous regrettons l'inaction de l'État pour informer les consommateurs de cette tromperie. Nous aurions également pu espérer que la production soit suspendue ou que ces eaux soient déclassées en eau de boisson ou en eau rendue potable par traitement.

Par ailleurs, la notion de microfiltration nous semble assez floue. Le seuil de coupure autorisé varie de 0,8 à 0,2 micron et cette pratique, toujours d'après l'IGAS, pourrait être perçue comme une fausse sécurisation, la littérature scientifique indiquant qu'un seuil de 0,2 micron ne peut être considéré comme un mécanisme de suppression de toute flore, notamment virale. Nous nous demandons si le risque sanitaire a été vraiment maîtrisé et s'il l'est aujourd'hui ? Est-ce que ces traitements continuent d'être utilisés ? Est-ce que le seuil de 0,2 micron est utilisé ?

Enfin, au-delà de la problématique de la tromperie pour les consommateurs, de ce flou au niveau de l'utilisation des filtres, nous constatons que c'est le concept même d'eau minérale naturelle qui peut être remis en cause dans la mesure où les sources qui devraient être protégées ne le sont pas ou ne le sont plus. Les sources semblent contaminées. Cette affaire est révélatrice d'une problématique croissante sur la qualité de l'eau en général.

Il y a une réelle nécessité de protéger cette ressource. L'utilisation des traitements à des fins de désinfection semble aujourd'hui presque inévitable puisque, comme le sous-entend le rapport de l'IGAS, l'ensemble des minéraliers seraient concernés.

Est-ce qu'une eau traitée peut être appelée « eau minérale naturelle » puisque la réglementation met en avant la notion de pureté originelle ?

Vous nous avez demandé quelle était notre vision par rapport à cette pureté originelle. Les consommateurs attendent une ressource pure, sans pollution. Il y a donc une incohérence entre les traitements utilisés et la dénomination d'eau minérale naturelle.

M. Claude Rico, vice-président du Conseil national des associations familiales laïques (CNAFAL). - Je vous remercie pour votre invitation. Notre association familiale a une approche généraliste et transversale dans le domaine de la consommation. Elle dispose d'agréments en santé, environnement et consommation. Cette approche transversale nous permet d'avoir une vue d'ensemble. Nous défendons des valeurs comme la laïcité et nous sommes indépendants, même si nous recevons des subventions de l'État. Ce soutien nous permet de ne pas avoir recours au mécénat. Nous sommes représentés dans une cinquantaine de structures. Je suis ainsi membre du Conseil national de la consommation et du Conseil national de l'alimentation. L'un de nos administrateurs siège également au conseil d'administration de France Nature Environnement.

Nous considérons la santé et l'eau comme des biens communs. Nous regrettons la promotion excessive de l'eau en bouteille au détriment de l'eau du robinet. Nous constatons que les subventions aux associations de consommateurs sont en baisse constante (moins de 3 millions d'euros pour les 15 associations de consommateurs), ce qui crée un déséquilibre face aux entreprises qui bénéficient d'aides directes et indirectes considérables (160 à 200 milliards d'euros).

Nous sommes spécialisés dans la lutte contre les clauses abusives, comme le montre notre action contre Chronopost et les 6 clauses abusives figurant dans un million de contrats. Concernant l'eau, nous défendons l'eau du robinet, car les analyses montrent qu'elle contient moins de nanoparticules de plastique que l'eau embouteillée, dans une proportion de 4 pour 97. Nous encourageons donc les collectivités territoriales à soutenir l'eau du robinet plutôt que l'eau en bouteille, compte tenu de son impact environnemental.

La CJIP lèse les consommateurs. Les amendes infligées sont trop faibles par rapport au chiffre d'affaires des entreprises, de l'ordre de 1 %. Un procès public aurait permis plus de transparence et des sanctions potentiellement plus élevées, allant jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise condamnée.

Enfin, je souligne les carences des services de l'État, notamment la réduction de moitié des effectifs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Pour conclure, nous recommandons de privilégier l'eau du robinet, qui est de bonne qualité, même si elle nécessite une surveillance constante.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ma première question s'adresse à Foodwatch. Pourquoi avez-vous refusé de participer au mécanisme de la CJIP, contrairement à d'autres associations environnementales ? Quel est votre avis sur les conclusions de cette CJIP ?

Mme Ingrid Kragl. - À ma connaissance, nous sommes les seuls à avoir refusé cette CJIP. Nous considérons qu'elle permettait à Nestlé de régler l'affaire financièrement sans véritable conséquence. Nous ne pouvions pas l'accepter.

Cet arrangement, prévu par le droit français, s'applique au droit de l'environnement. D'autres associations impliquées dans cette CJIP avaient toute légitimité d'en discuter, ce qui n'était pas notre cas. Nous avons porté plainte au pénal en février. En tant qu'experte de la fraude alimentaire, je peux affirmer que nous sommes face à une fraude caractérisée, pas seulement une tromperie. Elle remplit les quatre critères de la fraude : infraction à la réglementation, tromperie des consommateurs, gain économique pour les opérateurs et intentionnalité.

Notre plainte a été déposée à Paris en février. En juin, notre avocat a reçu un courrier du tribunal d'Épinal proposant de chiffrer le préjudice subi. Notre plainte ciblait Nestlé, toutes ses marques et pratiques en France et à l'international, ainsi que le groupe Alma et la responsabilité de l'État. Le tribunal d'Épinal nous a simplement demandé de chiffrer notre préjudice, ce qui est inadapté. Or, la CJIP est prévue pour les infractions au code de l'Environnement, pas pour celles relevant du code de la consommation ou de la santé publique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les infractions ont été mentionnées dans la CJIP.

Mme Ingrid Kragl. - On nous a parlé de connectivité, mais nous maintenons que la CJIP a été prévue pour les atteintes au code de l'Environnement. Nous avons reçu le soutien d'associations ayant travaillé sur ces textes, comme Transparency, qui considèrent comme une aberration l'utilisation de la CJIP pour des infractions au code de la consommation et au code de la santé publique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous détailler la manière dont s'est déroulé le processus à la suite de la demande de chiffrage du préjudice ? Avez-vous eu un entretien avec le procureur ?

Mme Ingrid Kragl. - Notre avocat a reçu un courrier en juin avec un délai de réponse très court. Nous n'avions pas anticipé cette situation. La CJIP ne peut être refusée, il n'y a pas de négociation possible. Nous avons décliné, expliquant qu'il était inacceptable que Nestlé échappe aux poursuites pénales. Cette affaire concerne aussi des sources dans le Gard et à l'international. Nous avons donc refusé l'argent de Nestlé. En septembre, nous avons demandé au tribunal de ne pas homologuer cette CJIP. Malgré cela, elle a été homologuée en notre absence. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé une nouvelle plainte avec constitution de partie civile.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous contesté l'homologation de la CJIP ?

Mme Ingrid Kragl. - Nous l'avons contestée dès juin dans notre réponse au courrier du tribunal.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous attaqué l'homologation a posteriori ?

Mme Ingrid Kragl. - Il n'est pas possible de l'attaquer. Il n'y a aucune marge de manoeuvre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une CJIP est donc indérogeable et sans recours.

Mme Ingrid Kragl. - La CJIP est imposée sans possibilité de négociation. Elle ne s'applique qu'aux infractions du code de l'environnement, ce qui n'avait pas de sens dans notre cas. Nestlé s'en est tiré à bon compte selon nous. C'est pourquoi nous avons contre-attaqué avec une constitution de partie civile, reprenant les deux plaintes de février.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous détailler le contenu de vos plaintes contre Nestlé et Alma, notamment les infractions visées, et nous dire où en sont ces procédures ?

Mme Ingrid Kragl. - Souhaitez-vous que je revienne d'abord sur les infractions listées dans la plainte pénale à Épinal ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces infractions sont-elles les mêmes que celles qui ont été redéposées ?

Mme Ingrid Kragl. - La plainte déposée en février était une plainte contre X au pénal visant le groupe Alma, Nestlé et les autorités publiques. En septembre, nous avons déposé deux plaintes avec constitution de partie civile, une visant Alma et la responsabilité des autorités publiques, l'autre visant Nestlé. Entre-temps, nous avons rassemblé des preuves supplémentaires et d'autres faits accablants.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous ne pourrons pas évoquer la plainte avec constitution de partie civile déposée à Paris, en raison de la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et la commission d'enquête parlementaire. Vous pouvez en parler si vous le souhaitez, mais nous ne pourrons pas l'aborder dans notre rapport.

Mme Ingrid Kragl. - Un juge d'instruction a été récemment désigné à Paris pour ces plaintes, mais l'enquête judiciaire n'a pas encore démarré. Il n'y a donc pas de problème concernant nos informations.

M. Laurent Burgoa, président. - Du moment qu'un juge d'instruction est saisi, on considère que l'information judiciaire est ouverte.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous détailler le contenu de votre plainte ?

Mme Ingrid Kragl. - Foodwatch a identifié neuf infractions concernant la directive européenne sur les eaux minérales, le code de la consommation et le code de la santé publique :

1. Utilisation de produits et procédés de traitement modifiant la composition de l'eau, notamment des filtres à charbon et UV, ainsi que le remplissage avec de l'eau du robinet ;

2. Diffusion d'informations fausses induisant en erreur sur les qualités du produit. Les entreprises n'ont pas informé les consommateurs, les distributeurs et les autorités européennes tout en poursuivant la commercialisation ;

3. Tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise en dissimulant des pratiques illégales, constituant une fraude intentionnelle et lucrative, Médiapart ayant évoqué plusieurs milliards d'euros de gains ;

4. Non-conformité sur une qualité substantielle du produit, l'eau minérale naturelle présentant des problèmes microbiologiques ayant nécessité des traitements interdits ;

5. Falsification de boissons destinées à la vente ;

6. Absence de mention des traitements sur l'étiquetage ;

7. Non-respect de l'obligation de suspendre l'exploitation et la commercialisation en cas de pollution constatée, contrairement à l'article 5 de la directive eau de 2009 ;

8. Absence d'information du ministère chargé de la santé, qui aurait dû être informé par Nestlé Waters et Alma ;

9. Absence d'information de la Commission européenne et des États membres. La France n'a pas communiqué sur la non-conformité des eaux en bouteille commercialisées par Nestlé Waters et Alma, ni informé les réseaux d'alertes européens comme le Rapid Alert System for Food and Feed (RASFF) ou l'EU Agri-Food Fraude Network (FFN).

Ces infractions démontrent un manquement grave aux obligations légales et réglementaires, avec une dissimulation délibérée des pratiques illégales par les entreprises concernées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La Commission européenne sera auditionnée par la commission d'enquête pour rendre compte de cette situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous des nouvelles de votre plainte contre Alma ?

Mme Ingrid Kragl. - Le juge d'instruction traitera nos deux plaintes avec constitution de partie civile déposées en septembre dernier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous observé des situations similaires au scandale Nestlé Waters dans d'autres pays européens ? Y a-t-il eu d'autres cas de problèmes liés aux eaux embouteillées ou aux eaux minérales, de même nature ou différents, impliquant des embouteilleurs ?

M. François Carlier. - Nous avons choisi d'attendre le rapport de l'IGAS publié en juillet dernier avant de porter plainte. Notre plainte était contre X, même si elle citait Nestlé, car selon l'Igas 30 % des volumes seraient concernés, ce qui pourrait impliquer plusieurs entreprises.

Habituellement, nous privilégions la voie civile pour les préjudices subis par les consommateurs, notamment via l'action de groupe qui permet de toucher un plus grand nombre de personnes. Au pénal, le ministère public a la main, tandis qu'au civil, les parties décident de leurs actions.

Nous nous réservons le droit de faire une action de groupe civile, bien que cela présente des difficultés. En effet, en cas de succès, les consommateurs devraient prouver leur préjudice en fournissant des preuves d'achat, ce qui n'est pas évident pour des bouteilles d'eau, contrairement à des factures de crédit bancaire ou d'abonnement énergétique. Je n'exclus pas que nous trouvions des moyens créatifs pour traiter cette situation, mais ce n'est pas simple.

Au pénal, beaucoup de cas se sont réglés, car il s'agit fondamentalement d'une tromperie choquante. Les accords transactionnels se sont développés en France, que ce soit pour les préjudices écologiques ou de consommation. En pratique, la DGCCRF, qui travaille avec les parquets, est saisie. Les parquetiers sont submergés de dossiers. Il faut rappeler que le service public de la justice en France manque cruellement de moyens.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour revenir au coeur du sujet, vous dites avoir été entendu dans le cadre du rapport Igas de 2022. Je suis surpris : pourquoi n'avez-vous pas révélé vous-même ce qui se passait chez les industriels si vous étiez au courant depuis 2022 ?

M. François Carlier. - Je parle du rapport Igas publié cet été.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous m'avez bien dit avoir été entendu dans le cadre du rapport Igas ?

M. François Carlier. - Nous avons été entendus au cours du printemps dernier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne comprends pas. Le rapport IGAS a été rendu en 2022. Si vous avez été entendu l'année dernière, il y a une incohérence.

M. François Carlier. - Nous avons peut-être été entendus plus tôt, je ne suis pas certain. Nous avons dit ce que nous savions, mais nous n'avons pris connaissance du rapport IGAS qu'en juillet. Il est sorti discrètement sur le site, pendant la période électorale. Je ne me souviens pas précisément de la date de notre audition, mais nous n'avions pas les informations du rapport IGAS, notamment les 30 % de volumes concernés. Ces données ont été mises en ligne cet été.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si vous avez été entendu dans le cadre de ce rapport publié cet été, cela s'est nécessairement passé avant juillet 2022. Quelles questions vous ont été posées par l'Igas ?

M. François Carlier. - Les questions étaient génériques. Les inspecteurs s'intéressaient beaucoup à l'eau du robinet, à la protection des ressources, aux métabolites. Ils nous ont même demandé si nous comptions attaquer l'État sur ce type de responsabilité. Ce n'était pas très précis sur la partie qui nous intéresse aujourd'hui.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour clarifier la confusion entre 2022 et 2024, je vous propose de nous fournir par écrit les dates précises.

Concernant cette affaire, seule l'ARS Grand Est a déclenché un article 40. Les services de l'État comme l'IGAS ou la DGCCRF auraient-ils pu déclencher un article 40 ?

Mme Ingrid Kragl. - L'alerte est obligatoire, c'est pourquoi nous questionnons l'opacité qui nuit à la confiance des consommateurs. La protection des consommateurs est bien prévue dans les textes européens depuis le scandale de la vache folle, avec le règlement 178/2002. Elle repose sur la responsabilité des entreprises et sur les autorités publiques qui doivent s'assurer du respect de la réglementation. Les autorités publiques étaient au courant, mais n'ont pas agi, n'ont pas informé les consommateurs, l'Europe ou les autres États membres.

M. Laurent Burgoa, président. - D'après votre expérience, pourquoi ? Est-ce lié au côté industriel, politique, ou autre ?

Mme Ingrid Kragl. - J'espère que le juge d'instruction ira jusqu'au bout de cette affaire.

Malheureusement, ce n'est pas le premier scandale sur lequel Foodwatch travaille. On constate un scénario similaire pour chaque scandale sanitaire. On réagit plutôt que de prévenir, alors que la réglementation oblige à la prévention. Le gouvernement fait souvent le choix de l'opacité dans les cas de fraudes, bien qu'il ait été contraint de communiquer lors du scandale de la viande de cheval il y a une douzaine d'années. On nous dit que ces eaux en bouteille filtrées ne présentent pas de danger pour la santé, comme pour les lasagnes à la viande de cheval. Pourtant, à l'époque, les autorités européennes et le Gouvernement français avaient choisi d'être plus transparents. L'opacité est un choix politique. Nous avons un problème général sur ces fraudes et tromperies. C'est pourquoi Foodwatch a saisi la Commission européenne, faute de réactions du Gouvernement. Pourtant, cette affaire intéresse les médias du monde entier, et les consommateurs sont laissés dans le flou, ce qui est inadmissible.

M. Claude Rico. - L'article 40 est utilisé par une administration ou un fonctionnaire lorsqu'ils n'ont pas de compétence judiciaire. Les ARS n'ont probablement pas de compétences sur le code de la consommation. L'article 40 permet d'activer le procureur de la République qui transfère ensuite les informations aux services compétents. La DGCCRF est compétente pour l'eau en bouteille, tandis que l'ARS est compétente avant la mise en bouteille.

Le CNAFAL a choisi de déposer une plainte contre X et contre Nestlé concernant l'embouteillage. Cette approche pénale permet des investigations plus poussées et offre la possibilité de se constituer partie civile. Concernant l'action de groupe, nous n'y sommes pas favorables en raison des ressources juridiques nécessaires et parce que les associations de consommateurs ne peuvent pas bénéficier de dommages et intérêts, contrairement aux victimes.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous propose de revenir à la question du rapporteur sur l'existence de situations similaires dans d'autres pays européens.

Mme Ingrid Kragl. - Cette affaire a une portée nationale et même européenne et mondiale. Nous avons contacté la Commission européenne très tôt après la révélation. Nous avons demandé une réunion du comité d'experts, un audit des autorités françaises et une vérification du respect des réglementations européennes par la France. La Commission a répondu que l'autorisation de nouveaux traitements pour les eaux minérales naturelles ne relève pas des États membres. La France a ignoré la directive européenne en autorisant des microfiltrations non prévues. J'ai récemment recontacté la Commission européenne concernant la validation du choix de la France d'autoriser des changements de seuil de microfiltration. La réponse est négative : la Commission n'a pas émis d'avis ni de recommandations à ce sujet.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous aimerions disposer du document que vous avez reçu de la Commission européenne.

Mme Ingrid Kragl. - Je vous transmettrai le courrier de la Commission européenne daté de ce matin. Il confirme que la Commission n'a pas émis d'avis ni de recommandations concernant les changements de seuil de microfiltration. Ce dossier est très opaque et encore aujourd'hui des hauts fonctionnaires se réfugient dans le silence.

La Commission insiste sur l'importance de la transparence et du droit des consommateurs à recevoir des informations claires et fiables sur les aliments qu'ils consomment et l'eau qu'ils boivent. L'Union européenne a mis en place des règles pour assurer un niveau élevé de protection de la santé et des intérêts des consommateurs.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez mentionné des hauts fonctionnaires. Pouvez-vous préciser les services concernés sans donner de noms ? Notre commission d'enquête a besoin de plus de précision.

Mme Ingrid Kragl. - Foodwatch évite de coller des étiquettes et d'être caricaturale.

M. Laurent Burgoa, président. - La commission d'enquête s'efforce d'être factuelle et précise. Si quelque chose est flou, il faut le préciser ou le retirer.

Mme Ingrid Kragl. - Je ne retire rien. Nous saluons la qualité des services, des autorités de contrôle et des laboratoires en France. Le niveau est excellent par rapport à beaucoup d'autres pays européens. Il y a une expertise et un vrai dévouement de nombreux fonctionnaires qui travaillent à protéger les consommateurs et les citoyens. Cependant, nous avons appris par la presse et des lanceurs d'alerte que des petits accords entre amis ont été conclus lors de réunions confidentielles.

M. Laurent Burgoa, président. - Si vous parlez d'accords entre amis, il faut préciser quels accords et quels amis.

Mme Ingrid Kragl. - Je n'ai pas la plainte sous les yeux, mais ces éléments ont été évoqués par le Monde et France Info.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez parlé de « petits accords entre amis ». De quels hauts fonctionnaires et de quels services parliez-vous ?

Mme Ingrid Kragl. - Plusieurs ministères étaient informés, notamment ceux de l'Économie, de l'Agriculture et de la Santé. Cependant, ni les citoyens, ni la Commission européenne, ni les autres États membres n'ont été mis au courant. Cette opacité décidée en haut lieu soulève des questions. Je n'ai pas de précisions sur les services spécifiques concernés au sein de ces ministères.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous apprécierions que vous puissiez nous fournir ces informations par écrit, étant donné l'étendue du ministère de l'Économie. Nous devons documenter notre rapport de manière impartiale et précise, en pesant chaque mot.

Mme Ingrid Kragl. - En Allemagne, l'affaire a eu un fort retentissement médiatique, l'eau de Perrier étant largement consommée. Nos collègues locaux ont sollicité Nestlé et les autorités allemandes pour obtenir des réponses. L'Allemagne a indiqué que sans notification au réseau RASFF de la part de la France, elle ne pouvait pas agir sur les retraits-rappels des produits. Je rappelle que les États membres ont l'obligation d'informer les autres en cas de non-conformités ou même de simples suspicions de fraude via ce réseau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au-delà des produits Nestlé fabriqués en France, avez-vous connaissance de scandales similaires impliquant d'autres minéraliers en Europe ?

Mme Ingrid Kragl. - Nous avons rencontré la Commission européenne en mai 2024 à la suite d'une réunion des experts du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l'alimentation animale. L'affaire française a provoqué une forte inquiétude parmi les États membres, déclenchant de nombreux contrôles et enquêtes. La Belgique mène actuellement une investigation, et une enquête judiciaire est ouverte en Suisse concernant des sources Nestlé. D'autres pays sont impliqués, mais les informations restent confidentielles.

M. François Carlier. - En tant que membre du Bureau européen des Unions de Consommateurs, nous n'avons pas d'information spécifique sur ce sujet. Cependant, notre bureau européen et plusieurs associations de consommateurs ont déposé une plainte auprès de la Commission européenne concernant le greenwashing des eaux en bouteille, mais pas sur cette affaire spécifique.

Mme Antoinette Guhl. - Je souhaite rectifier une information : l'IGAS ne dit pas que toutes les marques d'eau minérale ont triché, mais que 30 % des eaux minérales de plusieurs marques ne correspondent pas aux arrêtés préfectoraux. Il s'agit d'un décalage entre la réalité administrative et physique, et non d'une tricherie généralisée.

La CJIP, initialement conçue pour les fraudes fiscales en 2016, a été étendue aux délits environnementaux en 2020. Dans l'affaire Nestlé Waters dans les Vosges, c'est l'exploitation de sources non autorisées qui a conduit à une amende de 2 millions d'euros, soit 1 % du chiffre d'affaires de Nestlé, bien en deçà du maximum possible de 30 % en cas de fraude avérée.

Au regard de vos expériences respectives de défenseurs des consommateurs, le groupe Nestlé est-il souvent impliqué dans des scandales similaires ?

M. Claude Rico. - Le CNAFAL traite principalement des litiges liés à l'eau du robinet, car nous n'avons pas les moyens d'analyser l'eau en bouteille. J'ai trouvé une affaire datant de 5-6 ans impliquant une station gérée par Nestlé dans le Nord, où une pollution accidentelle avait affecté une rivière.

Concernant les tromperies, la DGCCRF a condamné en 2016 à Basse-Terre une société à 50 000 euros d'amende pour avoir étiqueté de l'eau naturelle comme eau minérale. Je rappelle aussi l'affaire de la viande de cheval, où le problème sanitaire principal était lié aux traitements antibiotiques des chevaux plutôt qu'à la tromperie elle-même. La presse et les pouvoirs publics se sont focalisés sur la fraude, mais le risque d'antibiorésistance et la consommation de viande impropre du Canada et de Pologne étaient plus préoccupants.

Les cas Buitoni et Lactalis, ayant entraîné des décès d'enfants, sont encore plus graves. Il est crucial de ne pas réduire les effectifs et les moyens des services de contrôle publics.

Concernant l'eau minérale, les collectivités se plaignent de l'épuisement des nappes phréatiques par les captages. Je m'inquiète également de la récente décision du Sénat de dérégulariser les normes environnementales, ce qui pourrait avoir des conséquences pour les générations futures.

M. Laurent Burgoa, président. - Recentrons-nous sur le cadre de notre commission d'enquête. Nous ne sommes pas ici pour commenter les décisions du Sénat.

Mme Antoinette Guhl. - Vous faites un parallèle entre la viande de cheval et les eaux minérales, suggérant qu'au-delà de la tromperie, il y aurait un problème sanitaire. Pouvez-vous développer ce point concernant les eaux minérales ?

M. Claude Rico. - Je me base sur les informations rapportées par Le Monde et Radio France et je m'inquiète de la capacité des filtres utilisés par les minéraliers à éliminer les microbes et les virus.

M. François Carlier. - Nous n'avons pas de procédure en cours contre Nestlé hormis celle-ci, y compris sur les dix dernières années. Les accords transactionnels en contentieux de consommation avec la DGCCRF et le parquet se soldent généralement par quelques centaines de milliers d'euros d'amende et une publicité sur le site internet de l'entreprise. Ce système a été conçu pour être rapide, permettant aux institutions de montrer qu'elles agissent. Contrairement aux pratiques américaines, les amendes en France ne sont pas conçues pour être extrêmement élevées.

Mme Ingrid Kragl. - Foodwatch avait porté plainte contre Nestlé dans l'affaire Buitoni après la mort d'enfants. Nous sommes habitués à ne pas pouvoir faire confiance à Nestlé qui justifie le filtrage des eaux comme étant bénéfique pour les consommateurs, ce qui nous semble problématique.

Le rapport d'audit européen indique que les milliers de tests effectués en France sont réalisés sur les produits finis, après filtration. Cela empêche d'évaluer correctement le risque sanitaire initial. Quand Nestlé affirme qu'il n'y a aucun problème sanitaire, c'est logique puisque les eaux ont été filtrées.

M. Claude Rico. - L'eau du robinet coûte entre 150 et 1 000 fois moins cher que l'eau en bouteille. Il ne faut pas incriminer tous les opérateurs, mais seulement ceux qui fraudent. Payer de l'eau du robinet dans des bouteilles, avec les risques liés aux plastiques et nano-plastiques, est extrêmement coûteux pour le consommateur.

Mme Antoinette Guhl. - Vous mentionnez souvent Nestlé Waters. Quels éléments avez-vous sur le groupe Alma qui n'est pas apparu dans mon enquête. Y a-t-il des informations récentes qui pourraient être utiles à notre rapporteur ?

Mme Ingrid Kragl. - Entre février et septembre 2024, nous avons ajouté de nouveaux éléments à notre plainte avec constitution de partie civile. Concernant Alma, des faits marquants ont été révélés dans la presse. Alma, qui opère dans plusieurs pays européens, a trompé les consommateurs en ajoutant du gaz carbonique dans ses eaux naturellement gazeuses et du sulfate de fer pour éliminer des contaminations à l'arsenic. Nous disposons de documents attestant ces faits et sommes prêts à les partager.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous sommes intéressés par ces documents. Vous avez également mentionné des hauts fonctionnaires et des ministères et nous souhaitons que ces informations soient précisées par écrit.

Mme Ingrid Kragl. - Je tiens à rappeler que tout cela a été souligné dans le rapport d'audit européen. Je vous fournirai néanmoins tous ces éléments.

M. Laurent Burgoa, président. - Compte tenu de vos propos, nous vous demandons de les préciser par écrit. Vous pouvez même citer nominativement, pour plus de clarté, les hauts fonctionnaires concernés.

L'écosystème des eaux dans le Gard - Audition de M. Sébastien Ferra, directeur départemental des territoires du Gard, Mme Pascale Fortunat-Deschamps, maire de Vergèze, M. Thierry Agnel, président,
et Mme Sophie Ressouche, responsable du pôle « eaux souterraines »,
de l'établissement public territorial de bassin de Vistre Vistrenque
(Jeudi 30 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Chers collègues, nous poursuivons nos auditions en nous penchant ce matin sur l'écosystème des eaux dans le Gard. Nous recevons :

• Mme Pascale Fortunat-Deschamps, maire de Vergèze, accompagnée de sa première adjointe ;

• M. Sébastien Ferra, directeur départemental des territoires du Gard (DDTM) ;

• M. Thierry Agnel, président de l'établissement public territorial de bassin (EPTB) de Vistre Vistrenque, et Mme Sophie Ressouche, responsable du pôle « eaux souterraines ».

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Mme Pascale Fortunat-Deschamps, MM. Sébastien Ferra, Thierry Agnel, et Mme Sophie Ressouche prêtent serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je rappelle que cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, porte sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille, à la suite des révélations médiatiques concernant des traitements interdits sur les eaux minérales naturelles. Cette audition vise à entendre des élus et responsables administratifs concernés par l'exploitation du site Perrier de Vergèze, en amont de notre visite prévue le 7 février. Nous souhaitons comprendre l'écosystème des eaux et le rôle de chacun. Nous vous interrogerons sur le site de Vergèze, sur ce qu'il représente en termes d'installation, d'emplois, de production et de recettes fiscales pour la commune, ainsi que sur votre perception des révélations sur le traitement des eaux et l'impact sur l'image de la marque Perrier. Enfin, vous détaillerez les actions entreprises pour la préservation de la ressource en eau souterraine.

L'audition se déroulera en trois parties : une présentation de dix minutes pour chaque entité, suivie de questions du rapporteur et des membres de la Commission. Je vous laisse la parole pour commencer.

Une série de diapositives est projetée en séance.

M. Thierry Agnel, président de l'EPTB de Vistre Vistrenque. - Le territoire de l'EPTB de Vistre Vistrenque couvre la moitié sud du département du Gard et abrite environ 300 000 habitants. Il s'agit d'une zone semi-rurale avec des terres agricoles et viticoles. Le territoire fait face à des défis de sécheresse et d'inondations, puisqu'un habitant sur trois et une entreprise sur deux se trouvent en zone inondable, mais aussi à des risques de feux de forêt.

Les missions de l'EPTB de Vistre Vistrenque sont similaires à celles dévolues traditionnellement à ce type d'établissement. Notre EPTB joue un rôle crucial dans la gestion de la ressource en eau, puisque les communes lui ont transféré leurs compétences en la matière. Nous travaillons sur l'entretien et la restauration des cours d'eau, notamment à travers un projet unique en France de redimensionnement et de reconditionnement du Vistre, la rivière qui traverse le Vistrenque. Nous gérons également les risques d'inondation, avec un Programme d'actions de prévention des inondations (PAPI) de 126 millions d'euros, le plus important en France hors Île-de-France. Enfin, nous menons des actions de sensibilisation auprès des agriculteurs, des élus et des scolaires sur les enjeux environnementaux.

Mme Sophie Ressouche, responsable du pôle « eaux souterraines » à l'EPTB de Vistre Vistrenque. - Sur le plan géologique, notre territoire est composé de deux grands réservoirs. À l'ouest, nous avons l'aquifère des calcaires des garrigues nîmoises, un réservoir fissuré très profond, d'une épaisseur de plusieurs centaines de mètres, et très vulnérable. À l'est, nous trouvons le réservoir des alluvions de la plaine du Vistre, d'une quinzaine de mètres d'épaisseur en moyenne et proche de la surface, qui constitue les nappes de la Vistrenque et de Costières. Ces deux ensembles très différents sont séparés par la faille de Nîmes. Historiquement, le syndicat des nappes de la Vistrenque et des Costières, maintenant intégré à l'EPTB, gère ces ressources.

Nous avons deux masses d'eau, au sens de la directive-cadre sur l'eau : l'aquifère des calcaires des garrigues nîmoises, en bon état quantitatif et qualitatif malgré sa vulnérabilité, et l'aquifère des alluvions de la Vistrenque et des Costières, qui requiert une attention particulière pour maintenir une qualité compatible avec les usages.

La première représente environ 340 000 m d'eau prélevés annuellement, notamment par deux communes du territoire. La seconde, qui correspond aux nappes de la Vistrenque et des Costières, constitue une ressource stratégique identifiée par la directive-cadre sur l'eau et le Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), avec des zones de sauvegarde délimitées. L'enjeu d'alimentation en eau potable est très important, puisque 13,5 millions de m sont prélevés chaque année.

Aujourd'hui, la situation de l'aquifère de la Vistrenque est préoccupante : on observe une baisse des niveaux piézométriques et une dégradation de la qualité de l'eau due à la présence de nitrates et de pesticides, ce qui génère un risque de non-atteinte des objectifs environnementaux inscrits dans le SDAGE 2022-2027.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Où se situe Vergèze par rapport à ces deux zones ?

Mme Sophie Ressouche. - Vergèze est à cheval entre les deux zones.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez indiqué que l'aquifère des calcaires des garrigues nîmoises était particulièrement vulnérable en raison de sa profondeur. Est-ce que, a contrario, l'aquifère de la Vistrenque, qui se trouve dans une situation dégradée, est supposément moins vulnérable ?

Mme Sophie Ressouche. - Non, l'aquifère de la Vistrenque est également vulnérable, mais pour d'autres raisons. D'une part, il s'agit d'un aquifère de type poreux, très proche de la surface. D'autre part, l'activité humaine importante sur ce territoire le fragilise, contrairement à l'aquifère des calcaires qui se situe plutôt dans des zones naturelles.

Un aperçu simplifié du contexte hydrologique met en évidence la contribution de l'aquifère des calcaires des garrigues nîmoises à l'alimentation de la nappe de la Vistrenque, soit par écoulement direct, soit par drainance ascendante, soit par remontée de différentes failles.

Historiquement, les forages de Nestlé étaient situés dans la plaine de la Vistrenque, sur la nappe, afin d'atteindre les différents étagements de calcaires. L'extension de l'exploitation a conduit au développement de forages dans une autre zone, où se trouvent des calcaires affleurants qui ne bénéficient pas d'une couverture comme dans la plaine de la Vistrenque. Il existe également un réservoir plus ancien, où sont prélevées les eaux chargées en gaz pour la production de Perrier.

L'EPTB intervient sur le grand cycle de l'eau. Ses membres sont des collectivités ayant la compétence eau et assainissement. Son objectif consiste à atteindre une qualité d'eau compatible avec les exigences environnementales. À cette fin, il met en place des dispositifs de surveillance de la qualité, principalement axés sur les nitrates, les pesticides et la salinité en aval. La bactériologie est également suivie, bien qu'elle soit éliminée par les traitements de désinfection. L'EPTB surveille également la quantité d'eau via des piézomètres équipés de sondes enregistreuses. Ces données permettent d'informer les services de l'État sur la situation quantitative et l'état de remplissage général des nappes.

Afin de remplir sa mission de connaissance, l'EPTB mène depuis 2022 une étude visant à développer un modèle hydrogéologique de simulation du fonctionnement de la nappe de la Vistrenque. Cela permettra d'évaluer la capacité de cet aquifère à satisfaire les besoins futurs dans un contexte de changement climatique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce travail est-il réalisé en partenariat avec Nestlé Waters ou bien s'agit-il d'une initiative indépendante ?

Mme Sophie Ressouche. - Il s'agit d'un travail indépendant, qui bénéficie de financements publics en provenance de l'Agence de l'eau, de la région et du département. Cependant, Nestlé Waters participe au pilotage de cette étude en fournissant l'accès à ses données de suivi sur les aquifères qu'elle surveille, ainsi qu'à certains de ses forages à des fins de mesures. Les conclusions de cette étude orienteront l'action de l'EPTB pour une gestion durable de la ressource.

Une autre mission importante de l'EPTB se rapporte à la restauration de la qualité de la ressource. Nous animons en effet les démarches de captage prioritaire pour les collectivités gestionnaires. Sur notre territoire, il y a vingt-deux captages prioritaires et treize démarches engagées. Douze plans d'action sont mis en oeuvre afin de développer une agriculture compatible avec la préservation de la ressource, notamment en promouvant l'agriculture biologique et en accompagnant les collectivités pour favoriser l'action foncière à proximité des captages et maîtriser l'usage des sols.

Les différentes actions de l'EPTB sont également intégrées dans le SDAGE approuvé en avril 2020 et actuellement en cours de mise en oeuvre. Depuis 2019, nous avons des conventions de partenariat avec Nestlé sur deux volets. Le premier concerne la connaissance, puisque Nestlé a financé l'EPTB pour des campagnes exceptionnelles de recherche de polluants et la création de forages à l'aval pour mesurer la salinité. Le second volet porte sur le développement de l'agroécologie, avec des objectifs communs de préservation des ressources en eau.

Mme Patricia Fortunat-Deschamps, maire de Vergèze. - En tant que maire de Vergèze, je tiens à souligner l'attachement profond de notre commune à la marque Perrier. Perrier est un patrimoine industriel, culturel et affectif qui représente 160 ans d'histoire et de travail. Notre commune entretient des relations étroites avec l'entreprise, avec le souci commun de préserver l'environnement et le site industriel, et de développer la production d'eau minérale naturelle.

Actuellement, quatre forages existent à Vergèze : deux forages qui produisent l'eau minérale naturelle et deux forages, désormais vieillissants, pour l'eau de boisson. Les habitants souhaitent que Nestlé Waters crée de nouveaux forages d'eau minérale naturelle plutôt que d'eau de boisson, ce qui aurait un impact positif sur l'emploi et l'économie locale. Nous sommes vigilants quant au respect de la réglementation et avons été surpris d'apprendre par la presse les manquements de Nestlé Waters.

M. Sébastien Ferra, directeur départemental des territoires du Gard. - La DDTM intervient sur plusieurs aspects liés à la politique de l'eau. Nous sommes concernés par l'application de la loi sur l'eau, qui couvre la création de forages, les prélèvements, les rejets, la gestion des eaux pluviales, ainsi que des problématiques de remblais, de stations d'épuration et de qualité des eaux. Depuis 2017, les autorisations délivrées pour les installations classées pour l'environnement (ICPE) et les ouvrages liés à l'eau sont délivrées dans le cadre d'une autorisation environnementale unique. La société Nestlé Waters étant une entreprise à installations classées pour l'environnement, l'autorité coordinatrice des autorisations est la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). La DDTM instruit le volet relatif à la loi sur l'eau des dossiers présentés par les entreprises avant de les transmettre à la DREAL, qui se charge de les soumettre à la signature de l'autorité préfectorale.

La DDTM gère également les périodes de crise liées à la sécheresse. Elle pilote en effet le comité de la ressource en eau pour le compte de la préfecture et propose des mesures de restriction en fonction des observations de terrain. Pour Perrier, ces mesures de restriction sont incluses dans l'arrêté préfectoral régissant son activité. Elles ne sont pas de même nature que celle de notre arrêté-cadre, mais sont susceptibles d'être activées en fonction du niveau d'alerte auquel la préfecture souhaite placer la masse d'eau disponible.

Enfin, la DDTM agit au nom de la préfecture comme animateur de la Mission interservices de l'eau et de la nature (MISEN), qui suit l'ensemble des portages territoriaux de la politique de l'eau. À ce titre, la DDTM suit les démarches territoriales de gestion de l'eau et conduit des études sur le fonctionnement des nappes. Elle instruit et propose à la préfecture les plans de prévention des inondations et anime la politique de préservation des ressources en eau, notamment la politique de captage prioritaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ma première question concerne la possibilité d'un nouveau forage évoquée et souhaitée par Mme Fortunat-Deschamps. Je voudrais connaître le point de vue de l'EPTB sur l'état de la ressource et son niveau d'exploitation. De nouveaux forages sont-ils selon vous souhaitables ou envisageables, étant donné la dégradation de la ressource que vous avez évoquée ?

M. Thierry Agnel. - Les premiers forages de Perrier étaient situés près de l'usine, mais en réalité il existe d'autres forages dans une zone très étendue, bien au-delà de Vergèze, y compris dans l'aquifère des garrigues nîmoises. Certains sont encore à l'étude.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant le niveau d'exploitation de la nappe, considérez-vous qu'un nouveau forage serait compatible avec le rechargement et le fonctionnement de la nappe ? Estimez-vous que la nappe est déjà surexploitée ?

M. Thierry Agnel. - L'objectif est de ne pas puiser au-delà des capacités de rechargement de la nappe, comme cela arrive en période de sécheresse. En période plus humide, l'équilibre est relativement respecté. Toutefois, il s'avère que cet hiver, malgré une abondance de pluie, le niveau de la nappe est moyen. Avec le changement climatique, nous prévoyons davantage de périodes de sécheresse où la nappe ne pourra pas se recharger suffisamment, ce qui est inquiétant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'en déduis que, selon vous la situation est peu propice à de nouvelles exploitations.

M. Thierry Agnel. - En effet, davantage de forages privés auraient une incidence sur la quantité d'eau présente dans la nappe. Or la relation entre quantité et qualité de l'eau est importante, puisque de la quantité d'eau dépend la concentration en nitrates et en pesticides. Mécaniquement, une moindre quantité d'eau dégrade sa qualité, et fait peser la menace, à terme, d'un non-respect des normes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La notion de pureté originelle est au coeur de la définition des eaux minérales naturelles. Vous avez mentionné dans votre présentation la restauration de la qualité de la ressource parmi les missions de l'EPTB. Quel regard portez-vous sur la qualité originelle de la ressource ?

Mme Sophie Ressouche. - Un aquifère protégé, bénéficiant d'une bonne couverture, assure une meilleure qualité d'eau. Or les forages ayant fait l'objet d'une transformation en eau de boisson se situent dans des zones de forte vulnérabilité et ne bénéficient pas de cette couverture. Il est certain qu'une question de qualité de la ressource se pose dans ces secteurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'après les données dont vous disposez, la pureté originelle est-elle toujours garantie dans les secteurs dans lesquels est exploitée une ressource en eau minérale naturelle ?

Mme Sophie Ressouche. - Notre surveillance porte sur la partie Vistrenque et Costières, et non sur le réservoir des calcaires des garrigues nîmoises, qui représente un enjeu moindre en termes d'alimentation en eau potable. En outre, ce réservoir est considéré en bon état et l'eau y est de meilleure qualité que dans la nappe de la Vistrenque, notamment en termes de concentration de nitrates.

M. Thierry Agnel. - Nos contrôles portent principalement sur les nitrates et les pesticides. Cependant, pour qualifier une eau de minérale naturelle et pure, d'autres critères et analyses sont nécessaires. Nous ne sommes par conséquent pas en mesure de nous prononcer sur la qualité de l'eau, puisque notre regard porte sur le grand cycle de l'eau, et non le petit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Fortunat-Deschamps, vous avez exprimé une préférence pour l'exploitation des eaux minérales naturelles. Cette préférence est-elle motivée par des considérations fiscales ? Pouvez-vous quantifier l'impact de l'exploitation de Perrier sur le budget de votre commune ?

Mme Patricia Fortunat-Deschamps. - Notre préférence pour les eaux minérales naturelles n'est pas uniquement financière. Nous sommes attachés à ce produit de qualité, différent de l'eau de boisson, dont la production suppose des prélèvements équivalents dans les nappes. De nouveaux forages sont nécessaires, car leur durée de vie est limitée à trente ou cinquante ans. Et il est bien entendu que si Nestlé Waters ne peut plus produire de l'eau de boisson dans notre région, elle ira la produire ailleurs.

Concernant l'aspect financier, la surtaxe sur les eaux minérales naturelles n'a cessé de chuter. Elle représentait 2,5 millions d'euros en 2013. En 2020, ce montant est tombé à 1,5 million d'euros. En 2024, il était de 363 000 euros. Pour 2025, nous prévoyons 330 000 euros. Cette baisse est due à la réduction du nombre de forages exploités, et notre commune a dû s'y adapter sur le plan budgétaire.

M. Thierry Agnel. - En tant qu'élu municipal dans une commune voisine de Vergèze, je confirme que l'aspect financier n'est pas déterminant dans notre attachement à l'eau minérale naturelle de notre région. J'ajoute que nos communes ne tiennent pas compte de la différence de revenus entre l'eau minérale et l'eau de boisson dans leurs projections budgétaires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je précise à l'attention de Mme Fortunat-Deschamps que si Nestlé Waters ne produit plus d'eau minérale naturelle, c'est parce qu'elle ne parvient plus à remplir les critères requis pour cette qualification, et cela semble lié aux conditions d'exploitation.

Je m'interroge sur votre niveau d'information concernant les événements sur le site de la commune. Depuis 2020, trois épisodes de contamination se sont produits : en juin et septembre 2020 et en janvier 2021. L'EPTB et la municipalité de Vergèze ont-ils été informés par Nestlé Waters de ces contaminations ? Comment décririez-vous votre relation avec l'entreprise ?

Mme Patricia Fortunat-Deschamps. - Nos informations, je le déplore, provenaient le plus souvent de la presse. Nestlé Waters ne nous a jamais tenus directement informés. Sur ce sujet, elle n'a fait preuve d'aucune transparence.

M. Thierry Agnel. - L'EPTB a lui aussi pris connaissance de ces épisodes par voie de presse. Nous avons pourtant des contacts avec l'entreprise.

Mme Patricia Fortunat-Deschamps. - En 2023, Nestlé Waters nous a informés que deux forages vieillissants ne remplissaient plus les critères requis par la production d'eau minérale naturelle et seraient reconvertis en eau de boisson dans le but de se diversifier, de moderniser l'usine et de préserver l'emploi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce moment-là, Nestlé Waters vous informe-t-elle d'un problème lié à la qualité de l'eau, ou bien n'évoque-t-elle qu'un sujet d'infrastructure ?

Mme Patricia Fortunat-Deschamps. - Elle nous indique seulement que les critères ne sont plus remplis par deux des quatre forages, qui seront par conséquent reconvertis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment les révélations de la presse sur les pratiques de Nestlé ont-elles été accueillies par la population de Vergèze ? Les habitants étaient-ils agacés, ou bien ont-ils éprouvé un sentiment de trahison vis-à-vis de Nestlé ?

Mme Patricia Fortunat-Deschamps. - Le traitement médiatique a impacté négativement l'image de l'entreprise. Les habitants, attachés à la marque Perrier, ont été très surpris, et les élus davantage, notamment par le non-respect des critères de qualité relatifs à l'eau minérale naturelle. Nous avons fixé pour priorité de rassurer la population quant à l'absence de risque pour la santé publique, tout en reconnaissant la gravité des faits.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aimerais maintenant interroger les experts techniques sur l'évolution de la qualité de l'eau sur la dernière décennie. La qualité de l'eau s'est-elle améliorée ou continue-t-elle à se détériorer ?

Mme Sophie Ressouche. - Je vous répondrai seulement sur les nappes Vistrenque et Costières, qui relèvent plus précisément de notre périmètre. La problématique des nitrates est ancienne, puisque l'état de zone vulnérable a été déclaré en 1994 pour ce territoire, et persistante, avec des dépassements locaux des seuils de potabilité, ce qui a des conséquences sur la distribution de l'eau potable.

Concernant les pesticides, on observe une tendance à la baisse des concentrations, notamment pour les molécules historiquement à l'origine de la dégradation de la qualité de l'eau, telles que les triazines, interdites au début des années 2000 et que l'on trouve encore aujourd'hui dans les eaux souterraines. Cependant, il convient de souligner que l'évolution des techniques d'analyse nous permet de détecter de nouvelles molécules à de très faibles concentrations. Globalement, la situation sur les pesticides s'améliore, mais des défis persistent, particulièrement dans certaines zones.

M. Sébastien Ferra. - Les questions relatives à la sécurité sanitaire relèvent de l'Agence régionale de santé. Cependant, je rejoins les propos de l'EPTB concernant les nitrates et les pesticides.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un rapport définitif de l'ARS questionnait en décembre 2024 la possibilité de continuer à exploiter des eaux minérales naturelles des sources Perrier, évoquant même un arrêt complet de la production. Avez-vous eu connaissance de ce rapport ?

M. Thierry Agnel. - Non, l'EPTB ne l'a pas reçu.

M. Sébastien Ferra. - À ma connaissance, ce rapport n'a pas non plus été communiqué à la DDTM. Cependant, la préoccupation des DDTM porte essentiellement sur la relation entre la quantité d'eau disponible et sa qualité. À cet égard, nous avons demandé à Nestlé Waters de réaliser, conformément à ses obligations décrites dans l'arrêté préfectoral d'autorisation de 2019, une étude portant sur les interférences entre différents aquifères. L'objectif était d'évaluer l'impact potentiel de l'exploitation sur les circulations d'eau, la stabilité des sols et, in fine, la qualité de l'eau. Les premiers résultats, attendus en 2020, mais rendus en 2021, se sont révélés incomplets. L'expertise a souligné la qualité du travail de collecte de données, mais aussi les conclusions fragiles de l'étude, notamment sur les questions relatives aux périodes de sécheresse. Nous avons jugé que cette étude n'était pas suffisante. Par conséquent, nous avons recommandé la poursuite de l'étude, qui est actuellement en cours avec l'université de Nîmes et l'institut technologique d'Alès et dont les résultats sont attendus en 2025.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'êtes donc pas en mesure de nous donner votre avis sur l'état de la ressource et son niveau d'exploitation, malgré les exigences de l'arrêté préfectoral. Avez-vous émis des recommandations à ce sujet ?

M. Sébastien Ferra. - Nous avons constaté des avancées dans les éléments fournis, mais ces études n'étaient pas suffisantes pour lever tous les doutes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'étonne du manque de réactivité. La question de la surexploitation des ressources est centrale, et après cinq années à produire des études qui n'ont toujours pas abouti, aucune décision n'est prise.

M. Sébastien Ferra. - L'étude aurait pu être plus rapide, même en dépit de l'épisode du covid, je vous l'accorde. Mais il convient de souligner la complexité du sujet. Nous traitons d'un hydrosystème très complexe, d'un ensemble comprenant de l'eau minérale naturelle, des extractions carbogazeuses profondes, des nappes affleurantes, des nappes semi-profondes, etc. Il est difficile de prendre des décisions sans avoir connaissance de tous les aspects du problème. En outre, il convient d'asseoir toute décision et toute recommandation sur une solide base juridique afin que la préfecture soit en mesure de la valider. De manière concrète, l'étude de 2021 ne nous a pas apporté d'éléments suffisamment probants pour demander à la préfecture d'ordonner une diminution des prélèvements d'eau. Mais un doute persistait, et c'est pourquoi nous avons demandé l'approfondissement de l'étude.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De quelle nature est le doute que vous évoquez ? Pourquoi cette étude a-t-elle été commandée à Nestlé Waters et non aux services de l'État ?

M. Sébastien Ferra. - La réalisation de l'étude par Nestlé Waters s'inscrit dans le cadre de ses engagements définis par l'arrêté préfectoral. Toutefois, nous nous sommes adjoints pour l'analyse et l'évaluation de l'étude les services du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), un établissement public qui fait autorité en matière d'hydrogéologie. En parallèle, une étude plus large est menée par la DREAL, financée en grande partie par l'Agence de l'eau. L'étude spécifique à l'entreprise concerne son activité de production et utilise des données qui relèvent de sa responsabilité. Il lui incombe de justifier que son exploitation est cohérente avec la ressource.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, l'arrêté préfectoral est-il respecté aujourd'hui sur le site de Vergèze ?

M. Sébastien Ferra. - Aujourd'hui, le seul point de non-conformité avec l'arrêté préfectoral concerne le rendu de l'étude, puisque Nestlé n'a pas respecté le délai et a restitué l'étude avec plusieurs mois de retard.

M. Daniel Gremillet. - En présentant l'EPTB, vous avez mentionné que les collectivités sont incitées à faire des acquisitions foncières. Pouvez-vous préciser dans quelles conditions et sur quel périmètre s'effectuent ces acquisitions ? Existe-t-il un cahier des charges pour l'exploitation des surfaces acquises par les collectivités ?

M. Thierry Agnel. - Les acquisitions foncières sont effectuées dans certaines zones de sauvegarde par les communes impliquées dans la préservation de la ressource en eau, mais aussi par Nestlé, qui achète à des prix corrects des terres agricoles aux agriculteurs cessant leur activité, puis les met à disposition de jeunes exploitants agricoles, souvent à des prix intéressants, à condition qu'ils respectent certaines contraintes environnementales. Ces deux types d'acquisitions sont complémentaires. Il n'y a pas d'acquisition foncière dans les zones où la population est plus importante.

Mme Sophie Ressouche. - J'ajoute que Nestlé a commencé sa démarche de protection des ressources il y a plus de trente ans, bien avant les collectivités locales. Les collectivités gestionnaires de captage prioritaire s'inspirent aujourd'hui des méthodes de Nestlé pour favoriser les pratiques agroécologiques. Les acquisitions foncières ont pour objectif de maîtriser l'usage des sols.

M. Daniel Gremillet. - Ces acquisitions se font-elles dans le cadre d'une convention signée entre Nestlé, les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) et la puissance publique ? Autrement dit, le droit de préemption de l'agriculteur passe-t-il après l'intérêt général de la collectivité ou de Nestlé ?

Mme Sophie Ressouche. - Les collectivités ont des conventions avec la SAFER pour de la veille ou de la négociation foncière, soutenues par l'Agence de l'eau. En revanche, Nestlé n'intervient pas dans ces conventions et achète des parcelles pour son propre compte.

Mme Audrey Linkenheld. - Nous comprenons que Nestlé finance des études en vertu de l'arrêté préfectoral. Cependant, puisque l'entreprise ne respecte pas les délais, que les études mettent en évidence un doute, et que vous avez pour tiers expert le BRGM, le principe de précaution ne devrait-il pas s'appliquer ? La DDTM a-t-elle des contacts avec d'autres préfectures où Nestlé est implantée, sachant que les suspicions qui l'entourent ne concernent pas seulement le Gard ? Les pouvoirs publics se coordonnent-ils au niveau national sur ces questions ? Par ailleurs, combien de piézomètres sont installés pour mesurer l'impact du site de Nestlé Waters ?

M. Sébastien Ferra. - Le principe de précaution est de fait appliqué dans une certaine mesure. L'arrêté préfectoral impose qu'aucun nouveau forage ne soit autorisé tant que l'étude ne sera pas conclusive, cette suspension valant pour des forages d'essai, pour lesquels Nestlé a sollicité une autorisation en juin 2023. En outre, l'arrêté préfectoral interdit tout nouveau prélèvement tant qu'une stabilité de cinq années piézométriques n'est pas constatée. En revanche, malgré l'expertise du BRGM, nous n'avons pas la certitude que les baisses de niveau observées depuis plus de dix ans ne sont pas uniquement dues à un problème de recharge des nappes. Dans ces conditions, et en l'absence d'élément tangible, il paraît difficile pour l'autorité publique de demander à un préleveur de réduire ses prélèvements.

Mme Audrey Linkenheld. - Vous parlez d'absence d'élément tangible, mais vous évoquez également un doute. C'est pourquoi je me réfère au principe de précaution.

M. Sébastien Ferra. - Il existe en effet un doute, d'où l'application du principe de précaution circonscrite aux nouveaux prélèvements. Par ailleurs, l'entreprise Perrier avait dès 2019, et spontanément, envisagé une diminution de ses prélèvements.

Concernant la coordination, nous travaillons à l'échelle départementale avec les différents acteurs du territoire du Gard, parce que l'arrêté préfectoral concerne le département. En revanche, nous nous sommes rapprochés des services préfectoraux d'autres départements pour évoquer la situation de Nestlé. Mais si l'entreprise est la même, les contextes sont différents.

Mme Audrey Linkenheld. - Il semble que les préfectures ne communiquent entre elles que lorsqu'un problème survient, même si elles ont des industriels similaires sur leur territoire. Il n'existe apparemment pas d'échanges proactifs sur les bonnes pratiques au niveau central ou préfectoral.

M. Sébastien Ferra. - Il existe bien entendu un accompagnement national et une coordination relayée au niveau régional, par exemple pour les nouvelles dispositions concernant la sécheresse. De même, nous échangeons régulièrement avec les collègues des autres préfectures afin d'appréhender les nouveautés réglementaires et les nouvelles doctrines. En revanche, les dossiers particuliers sont instruits au niveau local lorsque cela est possible, et si besoin nous échangeons avec nos pairs.

Mme Sophie Ressouche. - En ce qui concerne le nombre de piézomètres, je rappelle que l'EPTB n'a pas vocation à surveiller directement les réservoirs exploités par l'industrie. Notre priorité est la surveillance des nappes souterraines. Nous disposons d'un réseau patrimonial de dix-huit piézomètres, dont certains datent des années 70, et nous en avons ajouté neuf dans le cadre de l'étude de modélisation. Notre objectif est de comprendre et d'évaluer la quantité d'eau provenant du réservoir qui alimente les nappes de la Vistrenque, afin de gérer efficacement les ressources et d'évaluer l'impact des prélèvements.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame Fortunat-Deschamps, pouvez-vous expliquer à nos collègues l'importance de la première cave coopérative bio d'Europe, qui est située sur votre commune et a été constituée en partenariat avec Nestlé ?

Mme Patricia Fortunat-Deschamps. - À Vergèze, nous sommes sensibilisés à l'environnement et à la protection de la nappe phréatique, notamment grâce à Perrier. Notre territoire recourt abondamment au bio, notamment les viticulteurs, et nous avons en effet la première cave bio d'Europe. Notre commune pratique le zéro phyto depuis longtemps et mène une politique de désimperméabilisation des sols.

Concernant la gestion de l'eau, il convient de prendre en compte deux aspects : la quantité, gérée par la DDTM, et la qualité, surveillée par les ARS. Sur le premier aspect, Nestlé respecte les arrêtés limitant les prélèvements en période de sécheresse, et nous garantit que son activité n'impacte pas la ressource destinée aux habitants. Sur le second, l'entreprise s'est engagée à se conformer à la législation française. Pour s'en assurer, je fais confiance aux services de l'État et au Préfet, qui m'a assuré qu'il n'y avait pas de problème de santé publique. Dès lors, j'attends avec espoir la décision préfectorale prévue pour le premier semestre 2025, en ayant à l'esprit l'importance économique de Perrier, qui représente mille emplois directs et de nombreux emplois indirects.

Mme Antoinette Guhl. - Quel est l'impact financier sur les collectivités du déclassement en eau de boisson d'une partie de la production de Perrier ?

Mme Patricia Fortunat-Deschamps. - Nous percevons une surtaxe sur l'eau minérale naturelle, mais aucune sur l'eau de boisson. Le législateur, d'ailleurs, devrait s'emparer de ce sujet.

M. Thierry Agnel. - J'aimerais souligner que Nestlé nous demande chaque mois l'arrêté préfectoral mis à jour et comprenant les dernières mesures, notamment piézométriques. Dès lors, on peut estimer qu'il s'efforce de le respecter.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'arrêté préfectoral précise la quantité d'eau susceptible d'être puisée chaque année. Comment cette limitation est-elle contrôlée ? Quelles dispositions prend l'État pour s'assurer que les limites ne sont pas dépassées ?

M. Sébastien Ferra. - L'arrêté préfectoral stipule que le pétitionnaire doit fournir régulièrement l'ensemble des enregistrements et des données de son registre de prélèvement. Ces informations sont issues d'un compteur installé sur chaque prélèvement. Les compteurs eux-mêmes se trouvent à plus de 100 mètres de profondeur, et ne sont donc pas accessibles. Aussi nous effectuons un contrôle basé sur du déclaratif et sur la documentation fournie par l'entreprise, notamment les registres de prélèvements, afin de vérifier que la capacité d'extraction horaire correspond au débit autorisé.

Mme Sophie Ressouche. - J'aimerais alerter votre commission sur deux points essentiels. Premièrement, la restauration de la qualité de la ressource utilisée pour l'eau potable constitue une tâche difficile, surtout dans un contexte de changement climatique où la diminution des recharges impacte la qualité de l'eau. En outre, les décisions politiques récentes sur l'utilisation des pesticides risquent de dégrader la situation. Dès lors, il est vital de favoriser la recherche et le développement de solutions innovantes afin d'aller vers davantage de pratiques agroécologiques.

Deuxièmement, notre territoire connaît une forte dynamique d'urbanisation. Ainsi, des captages autrefois en zone rurale se retrouvent maintenant en zone urbaine. Malgré l'existence d'un schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE), et malgré la mise en place de dispositifs de sauvegarde, nous avons des inquiétudes sur notre capacité à protéger la ressource et les captages existants, qui représentent une richesse pour le territoire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - N'existe-t-il pas d'outils juridiques pour empêcher l'urbanisation dans les zones de captage ?

Mme Sophie Ressouche. - À travers le SAGE, des zones de sauvegarde ont été définies, avec des mesures proportionnées selon les secteurs. Nous pouvons intervenir voire interdire des IOTA, c'est-à-dire des installations, ouvrages, travaux et aménagements concomitants à l'urbanisation, mais nous ne pouvons pas agir directement sur l'urbanisation.

M. Sébastien Ferra. - Du point de vue réglementaire, il existe deux types de documents d'aménagements et de planification à l'échelle territoriale. D'une part, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) définissent des zones de préservation de la ressource. La nappe de la Vistrenque a d'ailleurs été identifiée comme zone à préserver. D'autre part, les plans locaux d'urbanisme (PLU) permettent aux services de l'État d'informer les élus sur les espaces à préserver, notamment pour la ressource en eau. Le défi pour les élus est d'assurer le développement territorial tout en respectant les contraintes, notamment celles relatives à la qualité de l'eau, à la biodiversité ou aux risques naturels.

M. Thierry Agnel. - À cet égard, la Commission locale de l'eau joue un rôle central. Elle réunit des élus, des services de l'État, des associations et d'autres structures. Son rôle est de trouver un équilibre entre le développement économique souhaité par les élus et la protection des ressources futures.

M. Laurent Burgoa, président. - Cette audition s'achève, et je vous remercie mesdames et messieurs pour la qualité des informations que vous nous avez fournies.

L'écosystème des eaux dans les Vosges - Audition de M. Laurent Marcos, directeur départemental des territoires des Vosges, Mme Régine Begel, conseillère départementale, présidente de la commission locale de l'eau des Vosges, MM. Luc Gerecke, maire de Contrexéville et Franck Perry, maire de Vittel
(Jeudi 30 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de M. Franck Perry, maire de Vittel, de M. Luc Gerecke, maire de Contrexéville, de Mme Régine Begel, conseillère départementale, présidente de la commission locale de l'eau (CLE) des Vosges, et de M. Laurent Marcos, directeur départemental des territoires des Vosges.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. » Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Régine Begel, M. Laurent Marcos, M. Franck Perry et M. Luc Gerecke prêtent successivement serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille ». Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objet de donner la parole à des élus et à des responsables administratifs concernés par l'exploitation des eaux minérales naturelles et des eaux de source dans les Vosges. Il s'agit pour nous de comprendre l'écosystème des eaux et le rôle de chacun.

Que représentent aujourd'hui les différents sites Hépar, Contrex et Vittel en termes d'installations, d'emplois, de production annuelle de bouteilles et de recettes fiscales pour vos collectivités ? Quel regard portez-vous sur les récentes révélations concernant le traitement de désinfection des eaux minérales naturelles par des minéraliers, dont Nestlé Waters ?

À la lumière de ces évènements intervenus dans les Vosges, le dispositif de contrôle et de surveillance des eaux minérales naturelles et eaux de source vous paraît-il satisfaisant en France ? Sinon, quelles pourraient être, à vos yeux, les améliorations à lui apporter ?

Plus globalement, comment agissez-vous pour préserver la ressource en eau souterraine ?

Voici quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

Mme Régine Begel, conseillère départementale, présidente de la commission locale de l'eau des Vosges. - C'est en ma qualité de présidente de la commission locale de l'eau que je suis entendue aujourd'hui par votre commission d'enquête. Même si vous maîtrisez parfaitement ces questions, il me semble indispensable - sans vous faire injure - de vous donner en préambule des éléments de contexte et un historique.

Vous le savez, la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau a institué des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage), avec pour objectif, en concertation avec les acteurs locaux, de concilier le développement économique, l'aménagement du territoire et la gestion durable des ressources en eau. Le Sage qui nous importe est celui des grès du Trias inférieur (GTI), situé à l'ouest du département des Vosges. Cette nappe des GTI, principalement présente en Lorraine et qui s'étend jusqu'au Luxembourg et à l'Allemagne, est appelée couramment « la nappe des grès vosgiens ». Présentant une bonne qualité naturelle et une minéralisation qui rend son exploitation possible, celle-ci a connu depuis le début du XXe siècle une augmentation du nombre de forages et de prélèvements. Très vite, cela a entraîné une surexploitation de la nappe, puis, dès les années 1970, de fortes baisses de son niveau piézométrique.

La mise en place d'un Sage des GTI a été préconisée par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) des bassins Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée-Corse. Son périmètre a été défini le 19 août 2009.

J'en viens à la commission locale de l'eau.

Créée par le préfet, la CLE est chargée d'élaborer le Sage de manière collective, de le réviser et de suivre son application. La composition de notre CLE a initialement été arrêtée par le préfet des Vosges le 24 septembre 2010 et est renouvelée tous les six ans.

En ce qui me concerne, j'ai été élue conseillère départementale en mars 2015, et c'est à l'occasion du renouvellement de 2016 que j'ai intégré la CLE, dont j'ai été élue présidente - la commission doit être présidée par un élu local.

Vous le savez également, la CLE, organe de concertation et de décision, est composée de 46 membres, répartis en trois collèges : les élus - 24 membres - ; les usagers - 13 membres - et les représentants de l'État - 9 membres. Pour utiliser une image, on dit parfois que c'est un « petit Parlement de l'eau ». Depuis le 1er janvier 2017, le conseil départemental des Vosges est la structure porteuse de la CLE qui lui permet de conduire ses actions. C'est donc le département qui assure l'animation, le secrétariat administratif et technique de la CLE, et lui apporte les moyens humains et matériels nécessaires à l'élaboration du Sage.

Quand j'ai pris la présidence de la CLE le 12 octobre 2016, le Sage n'avait pas encore été arrêté. Le processus a été très long, marqué par de nombreuses réunions, une concertation publique en 2018, un rapport environnemental et, enfin, une enquête publique favorable assortie de quelques recommandations début 2023 nous encourageant à mener beaucoup plus d'actions de communication. Le Sage a finalement été adopté le 19 juin 2023 et approuvé par arrêté préfectoral le 28 juillet 2023.

M. Franck Perry, maire de Vittel. - Je suis présent parmi vous en tant que maire de Vittel, mandat que j'exerce depuis 2017 du fait de la règle du non-cumul des mandats, l'ancien maire étant devenu député. La ville de Vittel dont j'ai la responsabilité compte environ 5 000 habitants, avec une infrastructure qui correspond plus à une commune de 20 000 habitants, précisément en raison du développement historique de l'activité de l'eau. L'essor de la ville ne date que de 1854, avec la découverte des sources de Vittel, notamment celle du Gérômois, et le basculement de son destin à partir de la dynastie Bouloumié. Plusieurs générations se sont succédé aux commandes de cette entreprise jusque dans les années 1990. Puis, Nestlé est devenu propriétaire de la totalité des parts sociales de la Société Générale des eaux minérales de Vittel (SGEMV), sachant qu'en 1969 elle avait déjà acquis 30 % des parts de la société.

Les trois sources de Vittel ont des minéralités et des caractéristiques différentes. Il s'agit d'Hépar, de Grande source - dont les spécificités ont respectivement été reconnues par la Faculté de médecine en 1875 et en 1903 -, et de Bonne source, qui est destinée à l'exportation.

L'emploi est un pan important de notre collectivité. Nous sommes passés, au sein des usines de Vittel et de Contrexéville, de 721 postes à 550 depuis le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), qui a eu lieu au courant de l'année 2024. Le nombre d'emplois indirects se chiffre à plusieurs milliers, compte tenu de toutes les entreprises qui sont liées aux minéraliers : production de bouchons, cartons, transporteurs, etc. À ce propos, le bassin de vie qu'est la communauté de communes Terre d'eau regroupe environ 18 000 habitants.

Pour Vittel, nous avons quatre forages sur Grande source, quatre autres sur Hépar, dont deux ont été suspendus, et un sur Bonne source. Je précise que parler de Vittel, c'est aussi parler de la ville éponyme.

S'agissant de la surtaxe des eaux minérales, vous l'avez évoqué, monsieur le président, une chute vertigineuse s'est produite en 2023 : sur un budget de 15 millions d'euros, nous sommes passés de 4,4 millions d'euros en moyenne à 2,7 millions d'euros. Cela n'est pas neutre pour le budget...

Vittel possède aussi un patrimoine important. L'objectif de l'équipe municipale, tel qu'il avait été défini en 2020, visait à ne plus mettre tous les oeufs dans le même panier, à essayer de basculer vers un autre système fondé sur les TPE-PME - les grands groupes ne sont plus pourvoyeurs d'emplois -, et à travailler sur une destination éco-resort. Souvenons-nous que le Club Méditerranée est implanté à Vittel depuis les années 1970. Nous avons aussi travaillé avec d'autres acteurs, qu'il s'agisse de France Thermes dans le cadre d'une délégation de service public, ou de Seasonova. Mais nous souhaitions que la transition soit douce, voire lente. L'évolution à partir d'un système économique qui a plus de 200 ans ne peut se faire en un ou deux ans.

M. Luc Gerecke, maire de Contrexéville. - Il est important que nous puissions vous apporter notre vision du territoire. Pour ma part, je suis arrivé dans les Vosges dans les années 1975. Le panneau « Embouteillage » à Contrexéville m'a d'abord laissé perplexe, car je ne connaissais rien à l'histoire de l'eau ! C'est pourquoi je tiens à vous faire un petit historique de l'évolution de l'usage des eaux tout au long des siècles.

Contrexéville était au départ un petit village, qui a évolué tout doucement. La mutation s'est déroulée au XVIIIe siècle grâce à Stanislas Leszczynski, ancien roi de Pologne, duc de Lorraine et beau-père de Louis XV. Ce philosophe des Lumières entendit parler d'une source dans les Vosges qui semblait miraculeuse pour traiter les calculs rénaux - la chirurgie était alors balbutiante et le taux de mortalité lié à cette affection très important. Il chargea son médecin, le docteur Bagard, de réaliser des mesures, qui durèrent de nombreux mois, pour déterminer les causes de ces vertus bienfaisantes.

La source a été labellisée en 1864, près d'un siècle avant Vittel. Le thermalisme a connu des hauts et des bas, subi les conséquences de la guerre, et connu son âge d'or au début du XXe siècle, avec une affluence importante. Contrexéville, puis Vittel ont attiré des têtes couronnées, et la grande-duchesse Wladimir de Russie, tante du tsar Nicolas II, a été enterrée dans le parc de Contrexéville.

Les thermes ont été repris par le groupe Partouche en 2001, ce qui a été une catastrophe. Ils ont ensuite été rachetés par la ville « le pistolet sur la tempe » - si je puis m'exprimer ainsi. Mon prédécesseur a lancé un certain nombre de travaux que j'ai poursuivis. Il s'agit d'investissements importants.

Nous n'avions pas non plus l'agrément « Rhumatologie », qui concerne actuellement 80 % des clients. Il nous a été attribué en 2022, à la suite des résultats très performants de l'étude que j'avais engagée en ce sens. Le processus, qui a duré trois ans, nous a coûté 300 000 euros. Depuis, nous sommes en progression régulière tous les ans : de 450 curistes médicaux, nous sommes passés à 800, 1 200 et 1 400. Comme l'a dit mon collègue, à la grande époque, c'est une mono-industrie qui attirait toutes les compétences sur l'ensemble du territoire, à tel point que des cars acheminaient des travailleurs venus d'Espagne ou du Portugal. Le nombre de salariés avoisinait les 4 500 pour les deux entreprises. Il est actuellement de 500 à 570.

Je suis maire depuis 2014. En 2017, sur ces deux embouteillages, il y avait 1 060 salariés et environ 1,5 milliard de bouteilles produites. En 2024, on compte entre 500 et 570 salariés, et 766 millions de bouteilles. Cela génère aussi cinq postes chez Nestlé Waters et trois emplois induits. Sur un budget de 8 millions d'euros, la surtaxe atteignait 2 millions d'euros. Elle a diminué en 2023 et en 2024, pour s'élever respectivement à 1 million et 800 000 euros. Concernant le budget pour 2025 que nous sommes en train d'établir, nous partons sur un delta de 700 000 euros. Cela signifie que, sur 8 millions d'euros, on perd 1,3 million d'euros. Or nous devons protéger et améliorer notre patrimoine.

La situation est compliquée, d'autant que la ville de Contrexéville ne bénéficie plus de la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui nous avait rapporté 900 000 euros voilà quelques années. De plus, nous sommes soumis à la péréquation horizontale, laquelle nous impose de redonner près de 350 000 euros en faveur des communes moins bien dotées. C'est une question de solidarité qui ne me pose aucun problème.

M. Laurent Burgoa, président. - Quel est précisément le nombre d'habitants à Contrexéville ?

M. Luc Gerecke. - 3 200 habitants.

M. Laurent Marcos, directeur départemental des territoires des Vosges. - La direction départementale des territoires (DDT) des Vosges, que je dirige depuis fin novembre 2022, compte environ 140 agents. Elle est chargée de mettre en oeuvre, sous l'autorité de Mme la préfète des Vosges, plusieurs politiques nationales relevant de différents ministères.

Dans le champ de compétences du ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, elle concourt à l'application des politiques d'aménagement du territoire, via les dispositifs de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), des politiques d'urbanisme, en instruisant les permis de construire des communes qui relèvent encore du règlement national d'urbanisme ou en accompagnant les collectivités dans l'élaboration de leurs documents d'urbanisme, des politiques d'habitat et de logement, via les dispositifs de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), et des politiques de renouvellement urbain, via l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

Dans le champ de compétences du ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, elle concourt au développement des énergies renouvelables, à la protection de la nature et de la biodiversité, à la protection, la gestion et la police des eaux, à la gestion durable de la forêt et de la chasse, à la prévention des risques naturels ainsi qu'à la politique de réduction des nuisances sonores.

Dans le champ de compétences du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, elle concourt à la mise en oeuvre de la politique agricole commune (PAC) et fournit un appui à différentes démarches territoriales, par exemple les projets alimentaires territoriaux.

Enfin, dans le champ de compétences du ministère de l'intérieur et des outre-mer, elle contribue à la sécurité et à l'éducation routières.

Dans le domaine de la gestion de l'eau, qui vous intéresse plus spécifiquement aujourd'hui, la DDT assure des missions de police de l'eau, essentiellement administratives - le volet judiciaire est principalement assuré par l'Office français de la biodiversité (OFB) -, des missions d'instruction des demandes d'autorisation des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) au titre du code de l'environnement, ainsi que des missions de contrôle documentaire et sur le terrain. Elle dispose pour ce faire de neuf inspecteurs de l'environnement commissionnés et assermentés.

La DDT anime également la mission interservices de l'eau et de la nature du département (Misen), qui a pour objet de coordonner l'ensemble des services exerçant des compétences de police environnementale, à savoir la DDT, la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations, les unités départementales de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement et de la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, l'agence régionale de santé (ARS), les agences de l'eau Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée-Corse - les Vosges sont à cheval sur les deux bassins -, l'OFB, la gendarmerie, la police, les fédérations de chasse et de pêche, le Conservatoire d'espaces naturels de Lorraine et le parc naturel régional des Ballons des Vosges.

La Misen est chargée de décliner les politiques environnementales à l'échelle du département, en particulier la directive-cadre de 2000 sur l'eau et les directives de 1991 sur les nitrates et le traitement des eaux résiduaires urbaines. Concrètement, cela se traduit par l'élaboration et la mise en oeuvre du programme d'action opérationnelle territorialisée (PAOT), qui constitue la feuille de route pour atteindre le bon état des masses d'eau, et des Sdage Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée-Corse.

Des actions d'assainissement urbain et industriel, de restauration des milieux aquatiques, de protection des zones humides, de gestion quantitative de la ressource en eau et de protection des captages des pollutions agricoles sont ainsi planifiées dans ces documents puis menées sous maîtrise d'ouvrage des collectivités locales ou des industriels pour leurs propres sites.

La Misen s'articule aussi avec le comité opérationnel de lutte contre la délinquance environnementale (Colden), présidé par le procureur de République et le préfet, qui vise à coordonner les actions de police administrative et judiciaire. Par ailleurs, dans les Vosges, un substitut du procureur de la République spécialement chargé des atteintes à l'environnement vient d'être nommé.

La DDT assure plus largement des missions d'animation territoriale, d'appui aux territoires et de conseil, notamment à l'occasion de démarches territoriales structurantes comme l'élaboration du schéma d'aménagement et de gestion des eaux, qui vise à restaurer la nappe des grès du Trias inférieur et de concilier ses usages avec la pérennité de la ressource. Elle a aussi accompagné la mise en oeuvre du plan Eau de mars 2023.

La DDT assure enfin une mission de prévention, qui passe par l'élaboration des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) et par le suivi des programmes d'actions de prévention des inondations (Papi), qui sont portés par les établissements publics territoriaux de bassin.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Hier, lors d'une précédente audition, nous avons abordé la question du « pipeline ». Que pensez-vous de l'abandon de ce projet ?

Mme Régine Bégel. - Lorsque ce projet a été discuté, je présidais déjà la CLE. Son but était de réaliser une interconnexion pour compenser le déficit de la nappe des GTI et permettre à Nestlé de continuer à puiser. Mais je ne suis pas une technicienne, le sujet est complexe. Je pourrai vous faire parvenir des éléments par écrit si vous le souhaitez.

M. Luc Gerecke. - À l'époque, j'étais membre de la CLE et conseiller départemental. Le prélèvement sur la nappe des GTI était bien supérieur à sa capacité naturelle de recharge. Le but de l'opération était donc d'apporter un approvisionnement complémentaire en provenance d'un territoire situé à une quinzaine de kilomètres pour assurer une compensation dans les périodes les plus critiques.

Entendons-nous bien, le projet n'avait rien de comparable avec un pipeline gazier ou pétrolier. Il s'agissait de mettre en place des interconnexions pour sécuriser l'approvisionnement en eau de plusieurs communes. La solidarité est importante dans la gestion de l'eau, comme le prouve d'ailleurs l'autre projet d'interconnexion que nous sommes en train de réaliser avec la commune de Vittel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le pipeline ne devait servir qu'à transporter de l'eau potable ?

M. Luc Gerecke. - Je ne me souviens plus avec précision, mais cette eau n'était pas destinée à la production de Contrex ou de Vittel.

M. Franck Perry. - Je n'étais pas membre de la CLE, mais je sais que des négociations avaient lieu avec l'entreprise pour trouver un terrain d'entente et que l'objectif des élus n'était pas de faire payer l'eau plus cher aux usagers, contrairement aux affirmations des personnes auditionnées hier. J'essaye, comme les autres élus, d'aménager mon territoire de façon harmonieuse, en recherchant un équilibre entre enjeux économiques et écologiques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je résume ce qui nous a été dit hier : le pipeline était destiné à acheminer de l'eau du robinet aux populations locales pour permettre à Nestlé de continuer à prélever les mêmes quantités dans la nappe. Or les investissements nécessaires auraient été supportés par les collectivités locales, ce qui aurait nécessairement renchéri le prix de l'eau.

M. Luc Gerecke. - Non, car à l'époque l'entreprise Nestlé s'était engagée à hauteur de 18 millions d'euros pour financer la totalité des équipements.

M. Franck Perry. - J'insiste moi aussi sur ce point : le coût aurait été nul, pour les collectivités comme pour l'usager.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi ce projet a-t-il été invalidé par l'État ?

M. Laurent Marcos. - L'État a pris acte des contestations locales du projet qui, de fait, bloquaient l'élaboration du Sage, pourtant prévue dès 2010 par le Sdage Rhin-Meuse. La nappe des GTI étant la seule déficitaire du bassin, sa recharge avait en effet été identifiée comme un objectif prioritaire.

L'État a proposé aux acteurs du territoire une stratégie alternative qui visait à satisfaire en priorité les besoins en eau potable des populations locales - en intégrant aussi le potentiel des autres gîtes compatibles avec cet usage - et à recouvrer les capacités naturelles de régénération du gîte C, déficitaire, au plus tard fin 2027, conformément aux dispositions de la directive-cadre sur l'eau, en limitant les prélèvements et en prévoyant un plan massif d'économies d'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'absence de priorisation des besoins en eau potable est-elle la principale raison du rejet du projet de pipeline ?

M. Laurent Marcos. - L'idée en effet était d'économiser les ressources locales plutôt que d'aller chercher des ressources extérieures, de réaffirmer la priorité donnée à la satisfaction des besoins en eau potable et d'adopter une stratégie globale, sachant que nous disposons d'un hydrosystème composé de trois gîtes A, B et C.

Nous voulions aussi développer une meilleure connaissance du fonctionnement de cet hydrosystème en mettant en place un observatoire partenarial animé par la CLE et confié à un opérateur indépendant, le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cet observatoire a-t-il vu le jour ?

M. Laurent Marcos. - Le projet est en cours. Le conseil départemental a signé une convention avec le BRGM.

Mme Régine Bégel. - Le projet a été lancé après l'approbation du Sage, en 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce matin, nous avons vu que certains arrêtés préfectoraux d'autorisation d'exploitation pouvaient contenir des préconisations sur une meilleure connaissance des nappes. Ce n'était pas le cas dans votre département ?

M. Laurent Marcos. - Les arrêtés préfectoraux qui autorisent les prélèvements de Nestlé Waters dans les gîtes A et B comprennent une clause de revoyure en 2032 et demandent à l'industriel d'actualiser son étude d'impact au vu des connaissances scientifiques disponibles à cette date. Les autorisations actuelles ont été délivrées après une étude d'impact réalisée par Nestlé Waters et expertisée par le BRGM.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment appréciez-vous l'état de la ressource, qualitativement et quantitativement ?

M. Laurent Marcos. - Les gîtes A et B ne sont pas déficitaires. Le gîte C, plus profond, comporte un secteur sud-ouest déficitaire qui justifie la mise en place du Sage. Mais la trajectoire d'économie d'eau fixée par le Sage doit permettre de garantir le retour à l'équilibre et la recharge.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La trajectoire d'économie d'eau est-elle respectée ?

M. Laurent Marcos. - Les prélèvements ont été très fortement réduits dans le gîte C. Nestlé Waters était initialement autorisé à prélever 1,1 million de mètres cubes par an. L'arrêté pris par la préfète des Vosges en 2023, en anticipation du Sage, réduit ces prélèvements à 200 000 mètres cubes par an.

Quant à la qualité de l'eau, elle relève de la compétence de l'ARS. La DDT se focalise sur le volet quantitatif.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'ARS vous transmet-elle ses rapports ?

M. Laurent Marcos. - La Misen permet ces échanges entre services au niveau départemental.

M. Luc Gerecke. - Nous constatons aujourd'hui une baisse générale de la consommation d'eau, car les collectivités locales et les habitants du territoire ont pris conscience de ces difficultés.

Le rendement de notre réseau d'eau s'élève à 85 %, ce qui est déjà bien. Nous nous sommes engagés au sein du contrat de territoire eau et climat (CTEC) à atteindre 90 %, mais il faudrait pour cela changer toutes les canalisations de la ville, ce qui est très onéreux. Nous agissons aussi sur d'autres leviers, comme la mise en place de récupérateurs d'eau.

L'eau, c'est un peu le coeur de métier de nos deux villes, et donc une ressource sur laquelle nous entendons veiller avec beaucoup d'attention.

Bien avant l'interdiction d'utiliser des pesticides, nous avions aussi pris les devants pour l'entretien de nos espaces verts.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos actions de protection de la ressource nous ont souvent été citées en exemple au cours de nos auditions. Vous paraissent-elles pour autant suffisantes ? Voyez-vous des pistes d'amélioration qui pourraient être suggérées au législateur ?

M. Luc Gerecke. - Nous travaillons régulièrement avec Agrivair, filiale de Nestlé, sur des actions de protection des nappes, de reforestation ou de création de mares. Bien sûr, on progresse pas à pas, mais on apprend chaque jour à mieux faire, et je vous garantis que c'est un sujet qui nous préoccupe au quotidien.

M. Franck Perry. - Je vais décevoir mon voisin : le taux de rendement de notre réseau ne dépasse pas 79 à 82 % !

Il me semble important de le redire : en 2018, ce sont les acteurs eux-mêmes, volontairement, sans pression externe, qui ont décidé de reprendre la main sur le gîte C et d'établir un protocole.

La sécurisation que nous mettons en place avec Contrexéville et d'autres communes - je préfère ne pas employer le terme de pipeline, qui renvoie trop au commerce du gaz et du pétrole - est importante également. La commune de Vittel était autorisée à prélever 600 000 mètres cubes sur le gîte C. Avec le nouveau système de bouclage, elle ne prélèvera plus que 300 000 mètres cubes. Si l'on ajoute la réduction de la part de Nestlé à 200 000 mètres cubes, on reviendra peut-être à l'équilibre dès 2025. En revanche, il sera sans doute plus compliqué de prouver que la nappe a été intégralement reconstituée.

Le travail de piézométrie devra sans doute être approfondi, notamment pour voir comment les masses d'eau se comportent et communiquent éventuellement entre elles - les scientifiques ne s'accordent pas sur cette question.

Sur l'environnement, en effet, de bonnes pratiques se mettent en place. Les 800 hectares du parc thermal de Vittel sont entretenus sans nitrates et sans pesticides. Nous utilisons aussi des véhicules électriques. Dire que le curseur est placé assez loin, ce serait présomptueux, mais nous devons nous efforcer de préserver au mieux notre ressource naturelle sans pour autant négliger l'activité économique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une question sur la relation que vous pouvez avoir avec Nestlé : lorsque vous évoquez des engagements volontaires des acteurs, vous semblez indiquer - corrigez-moi si je fais erreur - une relation de travail de qualité.

M. Franck Perry. - Comme avec le boulanger du coin, ni plus ni moins. On fait la part des choses, mais il est clair que je suis élu pour défendre l'emploi dans mon territoire. Nous sommes les premiers défenseurs des salariés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y avait pas de sous-entendu implicite dans ma question.

Il nous a été relaté hier que l'association qui portait le Sage avait été condamnée pour prise illégale d'intérêts. Vous allez nous le confirmer, mais vous avez appris certainement en même temps que nous...

M. Franck Perry. - Par la presse !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... par voie de presse les pratiques des industriels de l'eau, en l'espèce de Nestlé. Cela a-t-il modifié votre relation ? Avez-vous eu des séances de debriefing avec eux ?

M. Franck Perry. - Pas du tout. Nestlé, c'est Nestlé, un opérateur privé, et la ville, c'est la ville.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas rencontré Nestlé après que ces informations ont été rendues publiques ?

M. Franck Perry. - Pas dans ce cadre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire, car ce n'est pas très clair ?

M. Franck Perry. - Nous n'avons pas parlé de conflit d'intérêts avec Nestlé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne parle pas de conflit d'intérêts. Il y a eu une prise illégale d'intérêts et une condamnation. Par ailleurs, vous avez pris connaissance de la question de la tromperie commerciale, avec la réalisation de traitements illégaux.

M. Franck Perry. - Je n'avais pas compris de quoi vous parliez.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai dû mal m'exprimer. Vous nous dites que vous avez appris la tromperie commerciale par voie de presse.

M. Franck Perry. - Il n'est pas normal que l'on apprenne par la presse, comme vous, que des agissements de ce type ont eu lieu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Gerecke, l'avez-vous aussi appris par la presse ?

M. Luc Gerecke. - Oui, absolument, et cela a été une sidération, y compris pour une très grande partie de la population et pour les salariés qui découvraient ce dispositif. Puisqu'il y a eu une fraude, il est normal qu'il y ait eu des sanctions : à partir de là, la société doit corriger ses process, ce qui a été fait, me semble-t-il.

J'ai croisé le directeur local et lui ai demandé plus de précisions. J'avais eu la réponse dans la presse. Je n'ai pas fait preuve d'ingérence parce que, comme le disait M. Perry, nous rencontrons régulièrement les industriels, les commerçants et les artisans de notre territoire pour prendre des nouvelles. Nous sommes attentifs à ce qui se passe, notamment pour protéger les emplois - c'est le vrai point de crispation.

M. Franck Perry. - Les communications sur ce type d'affaires se font au niveau national, voire mondial. Localement, les employés sont comme nous : ils attendent des éléments. Savoir s'ils ont le droit d'en parler ou pas, c'est autre chose.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je cherche à comprendre comment les choses se passent. Pour prendre un exemple, une plateforme chimique est située sur le territoire de ma commune ; si j'ai une question, je rencontre le directeur de l'usine, ce que je fais régulièrement.

M. Franck Perry. - Des événements qui n'étaient pas neutres médiatiquement sont survenus, et il y a eu de nombreux articles. Nous avons demandé des explications. On nous a expliqué que tout était en règle, et que cela l'était même depuis quelques années.

M. Luc Gerecke. - Il y a peut-être trois semaines ou un mois, j'ai participé avec d'autres élus, d'autres forces vives du territoire, à une présentation par Nestlé de ce qui était arrivé et de ce qui devrait se passer, notamment avec les correctifs et les améliorations qu'ils veulent apporter, en toute transparence.

Nous ne sommes pas non plus naïfs, nous savons faire la différence. La présentation qui nous a été projetée laissait entendre que tout était rentré dans l'ordre et que Nestlé était prêt à faire de gros efforts.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - S'agissait-il d'une présentation PowerPoint ?

M. Luc Gerecke. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous nous la fournir pour les travaux de notre commission d'enquête ?

M. Luc Gerecke. - Je ne l'ai pas, mais je vais la demander à la direction et vous la transmettrai.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle est votre appréciation de la convention judiciaire d'intérêt public en matière environnementale (CJIPE), à la fois sur le fond et sur le montant, ainsi que des mesures de remédiation ? Comment assurez-vous le suivi des mesures de remédiation environnementale prononcées dans le cadre de cette CJIPE ?

M. Franck Perry. - Comme l'a dit le procureur, les autorisations administratives sur les forages de Nestlé depuis 2019 et la mise en conformité réglementaire, intervenue en 2023, des traitements utilisés sont validés. Il a aussi souligné qu'aucune atteinte à la santé publique n'était à déplorer, et que les traitements utilisés par le passé n'avaient en rien altéré la composition minérale des eaux commercialisées. Je tiens à ce que ces informations figurent au compte rendu.

La convention a été signée avec le procureur d'Épinal, qui est venu l'expliquer aux élus du territoire.

M. Laurent Burgoa, président. - Il est intéressant que le procureur ait fait cette démarche. Comment a-t-il procédé ?

M. Luc Gerecke. - Il s'agissait d'une présentation orale. Comme une procédure est en cours, aucun élément n'a été divulgué.

M. Franck Perry. - Il a expliqué ce qu'était une CJIPE, et présenté les politiques de renaturation, notamment pour ce qui concerne les cours d'eau.

M. Laurent Burgoa, président. - D'autres services de l'État étaient-ils présents à cette réunion ? L'ARS, la direction départementale des territoires et de la mer ?

M. Franck Perry. - Mme la préfète était présente.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous l'auditionnerons prochainement.

Mme Régine Bégel. - Concernant la CJIPE, nous attendons la méthodologie de l'État relative à la mise en oeuvre des actions qui doivent être menées sur le territoire.

En effet, nous devrions normalement récupérer 100 000 euros, une somme qui pourrait être destinée à l'étude de nappe-rivière. J'ai vu Mme la préfète à ce propos, et j'ai également adressé un courrier au procureur.

M. Laurent Burgoa, président. - Ces 100 000 euros seraient-ils récupérés sur la somme versée par Nestlé dans le cadre de la convention ?

Mme Régine Bégel. - Tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Étiez-vous partie à la convention en tant que CLE ?

Mme Régine Bégel. - Pour le Sage.

M. Luc Gerecke. - La convention comprend un volet renaturation, qui permet de récupérer des moyens financiers, lesquels sont importants pour nos collectivités. Par exemple, une opération de renaturation d'un montant de plus d'un million d'euros doit être réalisée sur un site comprenant deux lacs, un bassin versant, et un ruisseau traversant les lacs. J'ai demandé s'il était possible de bénéficier d'une partie financière de la convention de renaturation. Sur ce site, le bassin versant joue un rôle important.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que vous a-t-il été répondu ?

M. Luc Gerecke. - Une procédure permettra de déterminer les projets qui seront retenus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui conduit cette procédure ?

M. Luc Gerecke. - Le procureur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour l'instant, les procédures de remise en état n'ont donc encore pas commencé.

M. Laurent Marcos. - La CJIPE est à la main du procureur. Une amende a été fixée, une indemnisation des parties civiles est prévue et des travaux de renaturation doivent être réalisés par Nestlé Waters.

Mme la préfète me demande de m'assurer de la réalisation de ces travaux avec l'OFB, qui est chargé par le procureur du suivi de la mise en oeuvre de la convention sur ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et où en est-on ?

M. Laurent Marcos. - Nestlé Waters a fait une proposition de travaux qui est en cours de validation par le procureur sur conseil de l'OFB ; la DDT vient en appui.

L'enjeu pour la DDT est de mettre en oeuvre les procédures requises, notamment au titre de la loi sur l'eau, s'agissant de travaux de renaturation, afin que ceux-ci puissent être faits dans le délai de deux ans imparti par la CJIPE.

Mme Audrey Linkenheld. - Vous avez peut-être, les uns et les autres, écouté les auditions que nous avons menées hier et ce matin.

Ma question s'adresse au directeur départemental des territoires. Les différentes directions départementales ou préfectures qui hébergent sur leur territoire des industriels comme Nestlé ont-elles des contacts entre elles ? On voit bien, audition après audition, qu'il y a des similitudes, mais aussi des différences. Pour ce qui est des similitudes, on pense aux questions qui se posent sur la quantité, la qualité, la nature des relations et sur le type d'informations qui circulent, auprès de qui, à quel moment, via la presse ou non. Avez-vous eu, monsieur le directeur, des contacts avec vos homologues, par exemple du Gard ?

Ma question suivante s'adresse aux élus locaux. Au regard de la résonance médiatique de ces affaires, que ce soit chez vous ou dans le Gard, avez-vous pris contact avec vos homologues d'autres territoires, notamment de Vergèze, où il y a l'usine Perrier ? Si ce n'est pas le cas, l'envisagez-vous ? Existe-t-il déjà une association d'élus ?

En France, nous avons des associations réunissant les élus de la montagne, les élus des sites miniers...

M. Laurent Burgoa, président. - Et des élus du littoral.

Pourquoi pas les élus des stations thermales ?

Mme Audrey Linkenheld. - Cette idée vous paraît-elle intéressante ?

Le sujet est complexe. On constate que les études demandées par la préfecture aux industriels traînent un peu, voire beaucoup. On entend que le tiers expert est souvent le même, le BRGM, ce qui n'est pas surprenant, mais ce qui rend, à mon sens, d'autant plus utile ce genre de contacts.

Enfin, dernière question, lors de l'audition d'hier qui concernait votre territoire, on nous a relaté qu'un certain nombre de pressions et de menaces auraient eu lieu. Je sens aussi dans vos prises de parole une forme de tension ; on vous sent moins sereins que des personnes entendues pour parler d'autres territoires. Cela signifie-t-il que les tensions sont plus fortes chez vous ? Comment l'expliquez-vous ?

M. Franck Perry. - Au vu de l'effet médiatique de cette affaire, des inquiétudes sont apparues. La question n'est pas neutre : comme je l'ai expliqué dans mon propos liminaire, on parle de générations qui ont travaillé au sein de cette société, avec des compétences qui existent dans le territoire. L'effet médiatique n'arrange pas les choses, car il crée de l'attention.

En tant que maire de Vittel, je veux vous rassurer : il n'y a aucun problème avec les ONG. Nous n'avons pas du tout la même vision, mais nous sommes en démocratie et les choses s'arrêtent là.

Vous nous demandez si nous avons des contacts avec Vergèze. À titre personnel, je n'en ai pas. Je ne sais pas si l'on peut discuter de cela dès maintenant puisqu'une enquête est en cours, mais il serait peut-être intéressant à terme de croiser nos expériences. Nous attendrons d'avoir les conclusions de la commission d'enquête afin d'éviter tout problème.

Il existe une association des villes thermales du Grand Est, avec neuf stations thermales - dix avec Nancy -, dont l'objectif est d'organiser des rencontres régulières. Les échelles ne sont pas les mêmes : il n'y a pas d'industriel minéralier à Nancy, à Plombières-les-Bains ou à Bourbonne-les-Bains, ce qui constitue une difficulté.

Néanmoins, votre proposition est très pertinente : à terme, en toute décontraction, nous pourrons rencontrer les maires des villes que vous avez indirectement évoquées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des contacts avec les ministres et leurs services entre 2020 et aujourd'hui sur cette affaire ?

M. Franck Perry. - Non.

M. Luc Gerecke. - Nous non plus. Je précise qu'il existe aussi une Fédération thermale et climatique française, mais nous avons peu le temps de participer à ces instances, car nous sommes occupés par nos communes.

M. Franck Perry. - Pour ma part, j'y participe en tant que vice-président de la Fédération thermale du Grand Est.

M. Laurent Marcos. - Je n'ai pas de contact à ce stade avec la DDT du Gard.

Mme Régine Bégel. - Moi non plus.

M. Luc Gerecke. - Madame la sénatrice, vous avez évoqué des tensions. Il y en a eu avec certaines associations, dont je salue tout de même le rôle de lanceur d'alerte en ce qui concerne les prélèvements sur la nappe.

Quand on participe à une réunion publique en tant qu'élu, il peut y avoir des tensions et des noms d'oiseaux qui sont échangés. Je me souviens notamment d'une réunion au cours de laquelle le préfet a été verbalement agressé et les agents du conseil départemental que je représentais traités de « collabos ». Cela m'a beaucoup blessé parce que ma mère et mes deux frères aînés, qui étaient beaucoup plus âgés que moi, ont été déportés par la police française au camp de Gurs, un camp bien plus difficile que celui des Milles à Aix-en-Provence. Les agents de la collectivité sont là pour faire ce qu'on leur demande, et c'est aux élus d'assumer.

Mme Audrey Linkenheld. - Monsieur le directeur, puisque vous nous avez dit que vous n'aviez aucun contact avec le Gard, j'imagine que vous n'en avez pas non plus pour évoquer la façon de rédiger les arrêtés préfectoraux qui vous incombent.

Pour prolonger la question posée par le rapporteur, vous n'avez donc aucune consigne du ministère sur ces arrêtés préfectoraux ? Une direction centrale pourrait vous dire ce que contient tel ou tel arrêté préfectoral, ou vous faire part de ce qui s'est passé ici ou là.

M. Laurent Marcos. - On peut avoir un dialogue technique avec l'administration centrale pour sécuriser juridiquement des actes, mais la DDT n'est pas en train de préparer des arrêtés préfectoraux. Les arrêtés ont déjà été pris, et la situation est régularisée. Je n'étais pas là à l'époque, je ne peux donc pas décrire précisément les circuits qui ont été mis en oeuvre. Mais, je le redis, ce n'est pas d'actualité aujourd'hui.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je voudrais m'adresser plus particulièrement aux élus. J'ai moi-même été maire et je comprends tout à fait l'intérêt qu'il y a à avoir sur son territoire une entreprise comme Nestlé Waters, avec toutes les retombées pour la commune, notamment économiques et sociales.

Après vous avoir entendu parler de la CJIPE, je m'interroge. J'ai bien compris qu'il avait été nécessaire que la préfète et le procureur viennent expliquer aux élus ce qu'était une CJIPE. Mme Bégel a aussi évoqué les 100 000 euros qu'elle attendait pour la CLE. Mais, et je pose la question un peu brutalement, ne pensez-vous pas que Nestlé Waters, qui est le numéro 1 mondial de la production d'eau en bouteille et qui dispose donc de moyens très considérables, s'exonère un peu facilement de ses responsabilités en indemnisant les élus et en donnant de l'argent en compensation ? Cela n'expliquerait--il pas aussi une certaine frilosité de l'État, que l'on a pu constater lors des auditions précédentes, à enclencher des procédures un peu plus « violentes » ?

Mme Régine Bégel. - J'ai pour habitude de ne pas commenter une décision de justice, je ne peux donc pas vous répondre.

M. Laurent Burgoa, président. - C'est tout à votre honneur.

M. Luc Gerecke. - Pour être précis, c'est le procureur et la préfète qui, en lien avec le président de la communauté de communes Terre d'eau, avaient organisé cette réunion, afin de présenter ce qu'était une CJIPE. Il s'agit d'une procédure relativement récente, que je ne connaissais pas.

Comme je l'ai dit, nous ne sommes pas naïfs, madame la sénatrice. Cette procédure est récente, et je crois savoir que le montant des pénalités est le plus important des quelques CJIPE utilisées. Mais ce sujet est totalement en dehors de mes compétences. Lors de la présentation, nous avons pris note du dispositif. Nous avons uniquement évoqué ce qu'était une CJIPE, sans entrer - je vous le garantis - dans le secret de la procédure.

M. Franck Perry. - Le procureur nous a indiqué, lors de cette explication qui était plutôt pédagogique, les peines qui étaient appliquées s'il y avait un jugement, et que nous étions très largement au-delà des peines prévues, y compris pécuniaires, pour ce type d'infraction.

Vous nous demandez si c'est suffisant. Le maire gestionnaire vous dirait que ce n'est jamais assez ! Mais objectivement, à partir du moment où le procureur vous explique qu'il a été au-delà de tout ce qui est possible en termes de peine, vous comprendrez que nous fassions confiance aux « sachants ».

M. Laurent Burgoa, président. - Il me reste à vous remercier, madame et monsieur les élus, monsieur le directeur, pour cette audition fructueuse. Heureusement que nous avons des élus locaux : vous êtes un pôle de stabilité et vous connaissez bien vos dossiers. On ne peut que vous rendre hommage et vous encourager à continuer ainsi, malgré l'instabilité financière et politique nationale, en espérant que l'avenir soit meilleur.

L'écosystème des eaux dans le Puy-de-Dôme - Audition
de MM. Jean-Pierre Lunot, conseiller départemental du Puy-de-Dôme, Alexandre Verdier, président de la commission locale de l'eau Allier Aval, Laurent Thevenot, maire de Volvic, Guilhem Brun,
directeur départemental des territoires du Puy-de-Dôme,
et Joseph Kuchna, maire de Saint-Yorre
(Jeudi 30 janvier 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de MM. Laurent Thevenot, maire de Volvic, Joseph Kuchna, maire de Saint-Yorre, qui est en visioconférence, Alexandre Verdier, président de la commission locale de l'eau (CLE) du schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) Allier Aval, Jean-Pierre Lunot, conseiller départemental du Puy-de-Dôme, et Guilhem Brun, directeur départemental des territoires du Puy-de-Dôme.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Laurent Thevenot, Joseph Kuchna, Alexandre Verdier, Jean-Pierre Lunot et Guilhem Brun, ainsi que Mme Lucile Mazeau, animatrice de la commission locale de l'eau Allier Aval, prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objet de donner la parole à des élus et à des responsables administratifs concernés par l'exploitation des eaux minérales naturelles et des eaux de source dans le Puy-de-Dôme et l'Allier. Il s'agit pour nous de comprendre l'écosystème des eaux et le rôle de chacun.

Que représentent aujourd'hui les différents sites des minéraliers, et plus particulièrement de Volvic et de Saint-Yorre, en termes d'installations, d'emplois, de production annuelle de bouteilles et de recettes fiscales pour vos collectivités ?

Quel regard portez-vous sur les récentes révélations concernant le traitement de désinfection des eaux minérales naturelles par des minéraliers, dont Nestlé Waters et Alma ?

À la lumière de ces évènements intervenus dans les Vosges et dans le Gard, le dispositif de contrôle et de surveillance des eaux minérales naturelles et eaux de source vous paraît-il satisfaisant en France ? Sinon, quelles pourraient être, à vos yeux, les améliorations à lui apporter ?

Plus globalement, comment agissez-vous pour préserver la ressource en eau souterraine ?

Nous vous proposons de dérouler cette audition en deux temps : vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, puis le rapporteur vous posera des questions.

M. Alexandre Verdier, président de la commission locale de l'eau Allier Aval. - En tant que président, depuis décembre 2023, de la CLE du Sage Allier Aval, ma principale mission a été de relancer les échanges avec les acteurs socioéconomiques sur la concertation au sein de la CLE, de questionner les premiers résultats de l'étude menée sur les ressources quantitatives en eau du bassin Allier Aval, dite HMUC Allier (hydrologie, milieux, usages, climat), et de mettre en place un projet de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE).

Le bassin Allier Aval est un bassin versant de près de 6 400 kilomètres carrés, dont le principal cours d'eau est l'Allier, un affluent majeur de la Loire. Ce bassin concentre la population et les principales activités socioéconomiques de l'ancienne région Auvergne. Il possède de nombreuses ressources en eau, avec des caractéristiques très différentes du fait d'une géologie hétérogène et diverse.

Le Sage a été élaboré entre 2005 et 2015, et approuvé en 2015. Sa structure porteuse a toujours été l'établissement public Loire. Depuis 2018, la CLE se compose de 85 membres représentatifs du bassin et de ses activités. Elle s'appuie sur des études pour répondre notamment aux objectifs du plan d'aménagement et de gestion des eaux.

Les ressources souterraines sont réservées à l'alimentation en eau potable par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) Loire-Bretagne et demandent la mise en place d'un schéma de gestion.

Deux autres études ont été lancées depuis 2019 : l'inventaire des zones humides sur l'ensemble du bassin Allier Aval et un schéma de gestion de l'espace de mobilité de l'Allier, afin de caractériser la dynamique érosive de l'Allier et les risques associés.

Dans le cadre de l'étude HMUC Allier, nous avons étudié les prélèvements exercés par l'ensemble des activités économiques, dont ceux des six principales sociétés d'embouteillage présentes sur le territoire. Nous avons validé en 2021 le diagnostic qui consistait à évaluer l'impact des prélèvements et des rejets associés sur le bon fonctionnement des ressources en eau. En 2022, la CLE a validé la phase prospective, qui vise à définir les scénarios d'évolution des ressources en eau et des usages aux horizons 2030 et 2050. Nous en sommes actuellement à définir les volumes mobilisables sur les affluents de l'Allier qui seraient compatibles avec le bon fonctionnement des ressources.

La CLE possède aujourd'hui une expertise sur la gestion quantitative des ressources en eau, plus particulièrement des ressources superficielles des cours d'eau. En ce qui concerne les eaux souterraines, il est encore nécessaire d'investir dans des études de connaissances pour mieux connaître leur fonctionnement et établir un cadre de gestion. Le projet de recherche sur les eaux souterraines issues du volcanisme de la chaîne des Puys n'a pas permis encore de répondre à toutes les questions sur le fonctionnement des coulées volcaniques. Nous n'avons donc toujours pas engagé la rédaction du schéma de gestion propre à ces ressources. Il reste difficile pour nous de mener ces études sans financement. Les CLE ne disposent pas de budget propre ; nous dépendons trop souvent d'établissements publics.

La majorité des ressources souterraines de ces territoires ne font pas l'objet d'un suivi quantitatif et qualitatif par les autorités publiques. Concernant la qualité des ressources en eau, nous prenons en compte le résultat du suivi réalisé pour le compte de l'État et des structures locales. Mais les ressources souterraines exploitées sont principalement suivies par les exploitants, lesquels transmettent ces suivis aux services étatiques chargés des contrôles. La CLE peut difficilement accéder à ces données ; elle n'assure pas non plus le suivi des autorisations des exploitations.

Pour revenir sur ma priorité d'action actuelle, les acteurs socioéconomiques ont demandé en 2023 des réponses à leurs questions sur la méthode de l'étude HMUC et la mise en oeuvre du PTGE. À la suite de nombreux échanges, nous avons pu répondre à ces questions et reprendre la mise en oeuvre de l'étude. L'objectif est d'aboutir à un plan de gestion quantitatif des ressources des affluents de l'Allier d'ici à 2026.

M. Jean-Pierre Lunot, conseiller départemental du Puy-de-Dôme. - Je suis vice-président du département chargé de l'environnement depuis décembre 2024, ce qui correspond d'ailleurs à ma formation de base. À ce titre, je m'occupe donc d'environnement et plus spécialement de l'eau : l'alimentation en eau potable, l'assainissement, les espaces naturels sensibles, les milieux humides et les milieux naturels. Nous n'intervenons en revanche pas sur la mise en bouteille de l'eau minérale. La seule implication du département en la matière concerne l'impluvium de Volvic et le travail en lien avec la Société des eaux de Volvic sur la gestion des quantités prélevées en fonction des saisons. Cette fonction ne relève pas forcément du département, mais le président du conseil départemental a voulu mettre en avant la gestion des eaux, parce que c'est une importante source d'emploi et que c'est fortement lié à la qualité de l'environnement dans notre région.

Le schéma départemental d'alimentation en eau potable (SDAEP) du Puy-de-Dôme, adopté en 2023, est notre document de référence et les fiches d'aide du département ont été révisées pour s'y conformer. La priorité y est donnée à la réduction des fuites, à la rénovation des ouvrages, à la sécurisation de l'alimentation en eau potable, en qualité et en quantité, à la réutilisation des eaux usées traitées ou encore à la mise en séparatif. Ces aides sont conditionnées à un prix de l'eau et de l'assainissement. En 2023, le département a consacré 4,1 millions d'euros au le domaine de l'eau potable ; ce chiffre varie, selon les années, entre 4 millions et 6 millions d'euros.

Nous travaillons aussi sur des projets d'interconnexion, afin d'éviter d'avoir de l'eau dans un bassin versant et non dans l'autre. Je sais que Volvic a également travaillé sur cette question, afin de reverser une partie de son eau en été, en cas de tensions.

La Société des eaux de Volvic est importante pour la région, c'est la quatrième entreprise. M. le maire de Volvic en parlera certainement mieux que moi, mais elle emploie près de 1 000 salariés, qui sont rémunérés correctement. Elle fait chaque année des efforts pour diminuer ses prélèvements et améliorer sa rentabilité. Ses prélèvements sont ainsi passés de 1,9 à 1,3 ou 1,4 litre d'eau pompée pour un litre d'eau embouteillée. Nous avons pour notre part l'impression d'une prise de conscience que cette ressource doit être partagée par tous.

En ce qui concerne le manque de transparence des entreprises du secteur dans d'autres départements, pour moi, c'est vraiment le rôle de l'État que de protéger les populations. C'est à la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) d'informer les gens plutôt qu'à Mediapart ou au journal Le Monde. Il aurait été préférable que ce soit cet organisme qui prévienne les habitants et les consommateurs, mais cela ne s'est pas fait ainsi, d'où une impression qui n'est pas toujours positive.

La Société des eaux de Volvic est soucieuse de la protection de l'impluvium ; des conventions portant sur les pratiques agricoles sont signées avec les agriculteurs. Pour partager les informations disponibles et limiter les causes de polémique, l'État a instauré un comité de transparence sur l'impluvium de Volvic, animé par la sous-préfète de Riom. Ce comité rassemble les élus des collectivités locales, le département, les services de l'État, les hydrogéologues agréés, les représentants des associations d'écologie et la société civile. Il se réunit au moins deux fois par an et le futur Sdage prêtera une attention encore plus grande à ces prélèvements. M. Verdier a mentionné des études portant sur l'impact du prélèvement des eaux sur l'alimentation en eau potable.

Pour résumer, cette société est une entreprise importante ; elle représente beaucoup d'emplois indirects et directs et me paraît travailler avec les collectivités.

M. Laurent Thevenot, maire de Volvic. - Je suis maire de Volvic depuis juin 2020 ; je suis également président du syndicat mixte des utilisateurs d'eau de la région de Riom et conseiller de la communauté d'agglomération Riom, Limagne et Volcans.

En qualité de maire, j'ai pour seule préoccupation les intérêts du territoire et des administrés volvicois. L'ensemble de mon équipe est à l'écoute de ces derniers et nous leur transmettons en toute transparence les informations dont nous disposons ; si nécessaire, nous prendrons toutes les mesures qu'imposent les circonstances dans le cadre légal et réglementaire.

La présence de la Société des eaux de Volvic constitue, M. le conseiller départemental Lunot l'a dit, un avantage économique non négligeable, du point de vue tant des emplois directs et indirects qui en découlent que du dynamisme que procure cette entreprise à la commune. Toutefois, cela ne fait pas perdre de vue à l'ensemble de l'équipe municipale que nous oeuvrons pour l'intérêt général et le bien de nos administrés.

La loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques rappelle que la police administrative de l'eau relève du préfet. C'est donc à ce dernier, en tant qu'autorité administrative, qu'il appartient de délivrer les autorisations relatives au prélèvement de la ressource. Je rappelle également que la commune ne dispose d'aucun pouvoir à cet égard. En dehors des cas dans lesquels les autorisations de prélèvement délivrées aux pétitionnaires justifieraient l'instauration de servitudes sur le territoire de la commune, le maire n'est pas consulté. Il est en revanche informé, avec le préfet, de tout incident ou accident présentant un danger pour la sécurité civile, la qualité, la circulation ou la conservation des eaux, ce qui n'est encore jamais arrivé.

Pardon si je fais une redite, mais, si le maire est l'interlocuteur vers lequel se tournent naturellement les administrés, les associations et les industriels du territoire lorsqu'ils attendent que des mesures soient prises - et on entend alors leurs inquiétudes -, il faut comprendre qu'il dispose de pouvoirs extrêmement limités en matière de police de l'eau. En ma qualité de maire, je ne suis ni consulté ni informé lorsque les autorisations de prélèvement de la Société des eaux de Volvic sont augmentées ou diminuées par arrêté préfectoral. Cela ne fait pas partie de mes prérogatives ni de mes compétences. Ainsi, sur ce sujet, mon niveau d'information est à la hauteur de mes prérogatives : plutôt faible.

Voilà ce que j'avais à dire sur le positionnement du maire. Je suis à votre disposition, monsieur le rapporteur, si vous avez des questions plus précises.

M. Joseph Kuchna, maire de Saint-Yorre. - Je suis maire de Saint-Yorre depuis 2014. J'ai des rapports normaux avec la société Alma, qui gère les eaux de la commune de Saint-Yorre.

Cette société a d'abord exploité de petites sources, qui avaient été exploitées chacune à leur façon puis avaient été rachetées dans les années 1900 par Perrier et Nestlé. En 1992, la société Alma a repris la gestion et l'exploitation de l'usine de Saint-Yorre. Cette usine s'étend sur une superficie totale de 22 hectares, dont 6,5 hectares de bâtiments. Elle emploie 150 personnes, dont 55 pour l'embouteillage. Le nombre de bouteilles sorties par année s'élève à 90 millions et les recettes fiscales étaient de 130 000 euros en 2024 ; ce montant a pu s'élever jusqu'à 147 000 euros.

Le traitement et la désinfection des eaux minérales par Nestlé Waters et Alma me paraissent regrettables, mais, comme le disait mon collègue de Volvic, nous ne sommes pas du tout informés sur ces sujets, sinon par la presse. Nous n'avons pas beaucoup d'informations concernant l'exploitation de l'usine. Nous avons aujourd'hui la chance d'avoir des sources situées à 80 mètres sous terre, sous une forte pellicule d'argile qui empêche leur pollution via l'infiltration des eaux de pluie. Il y a donc une forme de protection géologique naturelle.

Pour ce qui concerne mon expérience sur le terrain, je dirais que je n'ai pas beaucoup d'informations. J'ai de très bons rapports avec le directeur de l'usine. Quand je demande certaines informations, on me les donne, mais je les prends telles qu'elles me sont livrées.

Les enquêtes de Radio France, Mediapart et autres ont eu très peu d'impact sur les habitants. Nous n'avons pas observé de perte de confiance chez eux ou plus largement dans la région. Est-ce dû au fait que de nombreuses personnes connaissent des salariés qui travaillent pour la société Alma ? Cela peut être une explication. Pour ma part, je pense qu'il serait peut-être nécessaire d'augmenter la surveillance et de nous fournir un peu plus d'informations quand quelque chose ne va pas ou quand un évènement se produit ; nous avons été informés par la presse trois mois après les évènements. Un surcroît de surveillance serait positif à condition de ne pas avertir en avance les sociétés des dates de contrôle.

La qualité des eaux souterraines est garantie chez nous, dans la mesure où il y a au moins une vérification de l'agence régionale de santé (ARS) par mois. En outre, comme je l'ai dit, la couche d'argile nous protège de la pollution. Je ne vois pas bien quelles autres sources de pollution pourraient atteindre la source, sauf catastrophe, d'autant que la société met ses terrains à disposition des agriculteurs à condition que ceux-ci s'engagent à ne pas utiliser de produits polluants. Je pense donc qu'il n'y a pas de gros danger.

Les sources sont situées, je le répète, à 80 mètres sous terre. Cette société travaille en totale autonomie. Elle a une autorisation de pompage de 50 m3par heure et ne pompe que 24 mpar heure, donc elle n'a pas formulé de demande supplémentaire.

Voilà ce que je sais de l'usine Alma. Je me tiens à votre disposition pour toute information complémentaire.

M. Guilhem Brun, directeur départemental des territoires du Puy-de-Dôme. - Si vous me le permettez, monsieur le président, je serai relativement bref, puisque je pense que vous connaissez le rôle des directions départementales des territoires (DDT) et de la mer (DDTM) ; je les rappellerai donc très synthétiquement.

Je suis directeur de la DDT du Puy-de-Dôme depuis l'été 2021. Cette direction est l'organisme déconcentré de l'État chargé, sous l'autorité du préfet, de mettre en oeuvre la politique de l'eau, selon les directives délivrées par la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère, dont vous avez entendu, je crois, la directrice.

La DDT veille et travaille au bon état quantitatif et qualitatif des masses d'eau, notamment souterraines. Elle s'intéresse donc à la ressource et est chargée, à ce titre, de l'instruction, de la délivrance et du contrôle des autorisations de prélèvement. En revanche, elle n'est pas chargée de l'aval, une fois l'eau prélevée, c'est-à-dire de la qualité des eaux embouteillées, qui relève de nos collègues de l'ARS, même si nous entretenons régulièrement, via la mission interservices de l'eau et de la nature (Misen), des échanges et une coordination entre services de l'État.

À ce titre, la DDT suit les activités de la Société des eaux de Volvic et nous travaillons donc sur leurs autorisations de prélèvement, le contrôle de celles-ci, mais aussi, plus généralement, sur les connaissances nécessaires pour définir ces autorisations, afin qu'elles soient adaptées.

M. le conseiller départemental évoquait le comité de transparence, que la DDT contribue, aux côtés de la sous-préfète, à animer.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous allons auditionner d'ici peu le directeur régional de l'ARS et le préfet du Puy-de-Dôme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur le directeur, vous avez appris par la presse ce qu'il se passait en matière d'exploitation de l'eau dans d'autres départements, notamment les forages illégaux qui ont eu lieu dans le Gard.

Ces révélations vous ont-elles conduit à engager une action spécifique sur votre territoire ?

M. Guilhem Brun. - Je n'ai pas d'information détaillée sur ce sujet ; je n'ai pas suivi en profondeur ces révélations et la nature des fraudes alléguées. Mon service n'a donc pas pris d'action complémentaire ou corrective de nos pratiques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas eu non plus d'instructions du ministère concernant les eaux minérales, par exemple dans le sens d'une intensification des contrôles ou d'une campagne particulière ?

M. Guilhem Brun. - Nous n'avons pas eu d'instructions spécifiques liées à des évènements constatés dans d'autres départements. Nous avons chaque année des instructions générales de contrôle, via le plan national de contrôles. Dans ce cadre, la direction de l'eau et de la biodiversité nous demande de réaliser un certain nombre de contrôles. Je ne sais pas s'ils ont tenu compte, dans ce plan national de contrôles, de ces révélations. Nos instructions se limitent à ce plan, que nous déclinons localement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle est votre analyse de la situation des nappes, notamment à Volvic ? Sont-elles exploitées convenablement ? Sont-elles surexploitées ?

M. Guilhem Brun. - D'un point de vue qualitatif, la nappe de l'impluvium de Volvic ne présente pas de difficulté particulière. Elle n'est pas classée en état dégradé, ni dans le Sdage actuel ni dans les travaux de conception du futur Sdage. Cette nappe est relativement protégée du point de vue géographique, puisque l'impluvium, dont la superficie est d'à peu près 41 kilomètres carrés, est couvert à 53 % de forêts et, de manière complémentaire, à 41 %, de terres agricoles, pour l'essentiel des prairies pâturées. Il n'y a donc pas de source de pollution particulière. Par ailleurs, l'infiltration est assez profonde et lente et passe à travers des cônes de scories volcaniques ; la filtration est donc assez importante. Par conséquent, la qualité de l'eau est très bonne, elle ne présente pas de facteurs de danger particuliers et il n'y a aucune alerte particulière sur sa pollution, d'autant qu'un certain nombre de dispositions sont prises pour y veiller.

D'un point de vue quantitatif, nous menons des travaux assez approfondis pour améliorer la connaissance de la nappe. Jusqu'à récemment, on observait des fluctuations assez régulières, conjoncturelles, sans baisse particulière. La ressource de l'impluvium était très stable et elle a une composante inertielle majoritaire, grâce à la lente infiltration dans les cônes de scories en amont du bassin, d'où cette composante très stable de base, complétée par des infiltrations annuelles. Ainsi, jusqu'à la fin des années 2010, il n'y avait aucune tension particulière structurelle. Depuis quelques années, on note une diminution de la recharge, liée au phénomène de changement climatique ; nous sommes en train d'essayer de la documenter plus précisément pour en estimer l'ampleur. À la suite de ces constats, un certain nombre d'actions ont été entreprises, notamment des demandes des pouvoirs publics aux minéraliers de conduire des actions de sobriété, afin de réduire progressivement ces prélèvements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces prélèvements ont-ils diminué ?

M. Guilhem Brun. - Ils ont en effet diminué. Ils avaient augmenté progressivement à partir de l'exploitation des sources dans les années 1960 jusqu'à la fin des années 1990.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quand se situe le pic ?

M. Guilhem Brun. - Le pic est atteint à peu près en 2000. C'est resté très stable de 2000 à 2017. On diminue progressivement depuis 2017.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous le chiffre des prélèvements de 2017 à 2024 ?

M. Guilhem Brun. - En 2017, ils devaient s'élever à 2,9 millions de mètres cubes ; ils sont actuellement autour de 2,3 millions.

Les pouvoirs publics, par la bouche du préfet, ont demandé à la Société des eaux de Volvic de conduire des actions de sobriété. Cette société a accepté de s'engager dans un plan d'utilisation rationnelle de l'eau (Pure), disposition que nous appliquons dans le département sur les préleveurs les plus importants, de plus de 40 000 mètres cubes annuels ; cela concerne une trentaine de préleveurs. Par ce plan, les préleveurs concernés s'engagent dans des actions de sobriété, dans le déploiement des meilleures techniques disponibles et dans une réduction de leurs prélèvements. Cela a conduit à une première réduction de l'autorisation de prélèvement de la Société des eaux de Volvic de 10 % à la fin de l'année 2021 et de nouvelles réductions sont envisagées pour 2025 et pour 2026. On réduit progressivement cette autorisation, en lien avec les actions de sobriété conduites par l'embouteilleur.

De manière complémentaire, au travers du Pure, puis, de façon consolidée, dans notre arrêté-cadre Sécheresse, mis à jour en 2024, nous avons ajouté des dispositions de réduction conjoncturelle, en cas de tensions constatées sur la ressource. Notre arrêté-cadre définit un point de référence sur la zone de l'impluvium - un piézomètre -, dont nous avons identifié des niveaux pouvant traduire une tension. Lorsque ces niveaux sont atteints, des réductions supplémentaires, qui s'ajoutent aux réductions structurelles que j'évoquais, sont appliquées par le minéralier. Elles sont actuellement de 5 % en niveau « Alerte », de 10 % en « Alerte renforcée » et de 12,5 % en « Crise ». Elles doubleront à partir de 2026, dans le cadre d'un projet de réutilisation des eaux usées et de lavage par le minéralier, pour s'établir respectivement à 10 %, 20 % et 25 %.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je comprends bien, la situation à Volvic est maîtrisée : l'impluvium est naturellement protégé pour moitié par de la forêt et, pour l'autre moitié, par des prairies sans utilisation intensive de produits polluants ; la nappe est profonde, donc protégée naturellement ; et la gestion de la ressource en garantit le rechargement par les procédures que vous avez mises en place. Est-ce bien le cas ?

M. Guilhem Brun. - Oui, la ressource est protégée d'un point de vue qualitatif et les pouvoirs publics veillent à adapter les niveaux de prélèvement pour correspondre à la situation de l'impluvium. Nous suivons la situation et, si celle-ci évolue, nous agirons en conséquence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Kuchna, les révélations sont parties d'un lanceur d'alerte travaillant au sein de la société Alma, et des procédures judiciaires ont été lancées ; pour Nestlé, dans les Vosges, il y a eu une convention judiciaire d'intérêt public. Qu'en est-il, à votre connaissance, pour Alma ? Où en sont les procédures ?

M. Joseph Kuchna. - Pour l'instant, je n'ai pas d'informations. Au moment des publications, on a entendu des choses invraisemblables qui circulaient sur la place, mais personne ne nous a donné d'informations. Lorsque je suis allé à la source, le directeur du site m'a indiqué qu'il ne pouvait me donner plus d'informations que ce que l'on entendait dans les journaux. Nous n'avons su que longtemps après que du gaz carbonique, non naturel, était ajouté lors de la mise en bouteille.

Voilà les éléments dont je dispose à ce jour et encore faudrait-il avoir une confirmation écrite, car tout cela m'a été indiqué à l'oral.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Verdier, quelle est votre vision de l'état des ressources dans l'Allier ?

M. Alexandre Verdier. - Comme je l'indiquais dans mon propos introductif, autant nous avons des éléments d'études sur la quantité, autant sur la qualité, je n'ai pas de données.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous revenir sur ce qui touche à la quantité ?

M. Alexandre Verdier. - Sur la quantité, nous sommes en train d'élaborer le PTGE et nous n'avons aucune alerte spécifique sur la ressource de Saint-Yorre. Toutes les études à notre disposition montrent qu'il n'y a pas de problème à ce sujet.

En revanche, je vous alerte, la CLE n'a pas forcément toutes les informations. Nous devons aller les chercher, ce qui peut être parfois contrariant : l'État nous demande de réaliser des documents de planification de gestion de l'eau, mais nous n'avons pas tous les éléments requis pour ce faire. Nous essayons donc de prendre les décisions les plus justes, mais avec les seuls éléments dont nous disposons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit d'un point essentiel : alors même que vous venez d'indiquer que des décisions relatives à la protection de l'impluvium peuvent être prises au sein de la CLE, vous affirmez ne pas disposer des données qualitatives qui vous permettraient d'adapter les recommandations et les mesures mises en oeuvre au risque pesant sur la ressource. En résumé, vous ne connaissez pas précisément l'état de cette dernière.

M. Alexandre Verdier. - Nous n'avons pas pour rôle de contrôler la qualité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il des échanges avec l'industriel ?

M. Alexandre Verdier. - Oui. Une fois encore, il ne m'appartient pas, en tant que président de la CLE, de déterminer si l'eau de Saint-Yorre ou de Volvic est bonne.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais il relève de votre responsabilité de vous interroger sur la protection de l'impluvium et de la ressource.

M. Alexandre Verdier. - En termes de quantité, oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des présidents de CLE nous ont présenté ce matin des mesures de protection de la ressource d'un point de vue qualitatif. Vous considérez donc que votre mission se borne à une approche quantitative.

M. Alexandre Verdier. - En l'absence d'alertes de la part des autorités compétentes, nous n'avons pas vocation à mesurer la qualité des eaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous des liens avec l'ARS ?

M. Alexandre Verdier. - Très peu. Si l'ARS siège au sein de la CLE, elle n'a jamais émis d'alerte au sujet de la qualité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous décrire plus précisément le fonctionnement d'une CLE ?

M. Alexandre Verdier. - La CLE peut siéger en formation restreinte ou élargie. Au cours des réunions, nous présentons les études qui seront menées en lien avec notre établissement public, puisque notre principale mission consiste à réaliser des études.

Ne disposant pas de budget propre, nous nous battons bec et ongles afin d'obtenir des financements pour ces travaux : si ces derniers ne sont pas intégralement pris en charge, ils ne peuvent pas être réalisés.

Pour ce qui est du déroulement des réunions, tous les acteurs sont présents dans la salle et la parole est libre : si les représentants de l'ARS et de l'État avaient connaissance d'un problème de qualité de l'eau, j'espère qu'ils le signaleraient.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Consécutivement aux révélations sur Nestlé et Alma en janvier 2024, ni l'État ni l'ARS n'ont donc communiqué à votre endroit.

M. Alexandre Verdier. - En effet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne pense pas me tromper en observant que vous paraissez un peu frustré par le fonctionnement de la CLE.

M. Alexandre Verdier. - C'est exact. Ma mission principale consiste à renouer le dialogue entre les acteurs du territoire - agriculteurs, associations de consommateurs, pêcheurs, etc. - et de parvenir à dégager un consensus sur la répartition de l'eau. Il s'agit de déterminer un équilibre entre la préservation de l'environnement et la protection de notre économie et de notre agriculture.

Par ailleurs, le comité de pilotage de la CLE, élargi aux associations et aux agriculteurs, rédige le PTGE. Ce travail collectif permet de s'assurer que les mesures qui seront prises ultérieurement seront acceptées par le plus grand nombre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels seraient selon vous les principaux points à améliorer afin de vous venir en aide ?

M. Alexandre Verdier. - Le financement des études représenterait un grand pas en avant, soit en accordant un budget propre aux CLE, soit en attribuant les moyens nécessaires aux établissements dont nous dépendons. Dans ce domaine comme dans d'autres, les finances sont le nerf de la guerre.

Les mesures que nous pouvons proposer afin d'optimiser la ressource en eau peuvent être les meilleures possible, mais resteront lettre morte si les collectivités n'ont pas les moyens de financer des travaux d'assainissement, par exemple.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je retiens que les discussions avec l'État ne sont guère productives au sein de la CLE.

M. Alexandre Verdier. - Le préfet du Puy-de-Dôme est très à l'écoute et très impliqué sur le sujet de l'eau, mais il est lui aussi contraint par une enveloppe financière.

M. Laurent Burgoa, président. - Je pense que le rapporteur faisait référence à d'autres structures, dont les ARS. Votre interlocuteur est-il un représentant départemental de l'ARS, ou son directeur régional ?

M. Alexandre Verdier. - Il s'agit d'un représentant départemental.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me tourne vers les élus locaux : que pouvez-vous nous dire au sujet de vos relations avec les industriels et les embouteilleurs ? Sont-elles fluides ? Des points réguliers sont-ils faits ? La protection de la ressource vous semble-t-elle assurée pour l'essentiel ?

M. Laurent Thevenot. - Je tiens à évoquer le rôle du comité environnemental pour la protection de l'impluvium de Volvic (Cepiv), qui associe la société des eaux de Volvic et les différentes communes du secteur. Ledit comité mène des actions réparties en trois axes.

Premièrement, il y a des actions à destination des agriculteurs avec, à la fois, une forte incitation visant à la disparition des produits phytosanitaires et des opérations de chaulage pour renforcer les sols en calcium et en magnésium tout en les aérant, ce qui permet d'améliorer le rendement. Il s'agit ainsi d'éviter l'utilisation de produits non vertueux, susceptibles de mettre à mal notre ressource.

Deuxièmement, des actions sont menées en direction des particuliers, notamment en matière d'assainissement individuel et de modernisation des stations d'épuration.

Troisièmement, des actions en partenariat avec des organismes tels que la ligue de protection des oiseaux (LPO) sont destinées à protéger la biodiversité.

J'ai coutume de dire que la ressource de l'impluvium constitue notre trésor commun, tant pour le minéralier que pour l'alimentation en eau potable. Nous devons en prendre grand soin et nous oeuvrons donc à garantir sa pérennité par le biais des actions du Cepiv.

M. Joseph Kuchna. - Nous n'avons pas de suivi à faire des sources Alma dans la mesure où aucune pollution n'a été signalée, du moins à ma connaissance. En lien avec la communauté d'agglomération de Vichy, dont je suis vice-président, nous adoptons des mesures de protection de la ressource, qui provient en grande partie de l'Allier. La gestion est structurée de manière très satisfaisante puisque le syndicat mixte des eaux de l'Allier (SMEA) a réalisé des jonctions entre les différentes communes afin de pallier d'éventuels manques d'eau dans certains secteurs.

De manière générale, nous n'avons pas rencontré de difficultés notables en matière de pollution et de qualité de l'eau potable, que nous surveillons en permanence. En revanche, les sources de Saint-Yorre, très profondes, ne rentrent pas dans ce cadre. Nous restons un peu sur notre faim, car on rechigne à nous fournir des informations précises alors que nous souhaitons simplement disposer de tous les éléments.

M. Guilhem Brun. - Je tiens à souligner une spécificité de la nappe de Volvic, qui est à la fois utilisée par un minéralier et pour l'alimentation en eau potable d'un certain nombre de communes du département.

C'est à ce titre qu'un certain nombre d'actions sont réalisées : un accord a ainsi été signé entre le Cepiv et la SNCF, cette dernière s'engageant à ne procéder à aucun traitement chimique de désherbage des lignes ferroviaires sur la partie qui traverse l'impluvium de Volvic.

Par ailleurs, une déclaration d'utilité publique (DUP) est en vigueur sur les périmètres de captage aux fins d'eau potable, ce qui offre également une protection de la qualité de la ressource. Cette double utilisation de la nappe apporte donc des protections supplémentaires.

M. Jean-Pierre Lunot. - Je reviens sur les aspects financiers : pour entretenir les réseaux convenablement à un horizon de 30 ou 40 ans, il faut compter environ 1,5 milliard d'euros. Si le financement apporté par le département du Puy-de-Dôme permet d'assurer l'entretien, des ressources bien plus importantes seraient nécessaires pour améliorer les rendements.

Sans une impulsion significative pour agir sur les rendements, l'assainissement et l'efficacité des stations d'épuration, nous continuerons à multiplier les réunions et les études, sans passer à la phase des réalisations concrètes. J'ai le sentiment que les études dissimulent le manque de moyens.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Verdier, le Sage est un document qui doit contenir des éléments relatifs à la qualité de la ressource en eau. Cette question me semble donc concerner le périmètre d'intervention de la CLE.

Celui-ci est par ailleurs vaste sur le plan géographique puisque, sauf erreur de ma part, il s'étend à cinq départements, ce qui implique un nombre élevé d'acteurs. Considérez-vous que la CLE constitue l'échelon pertinent, offrant le bon niveau de fonctionnement ? Votre commission est-elle en outre adossée à une structure en particulier, qui lui assure un soutien financier ?

M. Alexandre Verdier. - Nous sommes rattachés à l'établissement public Loire, mais l'éloignement de son siège complique souvent nos relations. Nous intervenons en effet dans cinq départements. Si le département du Puy-de-Dôme investit beaucoup dans la commission, lui permettant de financer ses études, en particulier l'étude HMUC et l'étude socio-économique, je ne peux pas en dire autant des autres départements qui la composent. À titre d'exemple, dans l'Allier, ni le conseil départemental ni les services de l'État ne contribuent à son financement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment l'expliquez-vous ?

M. Alexandre Verdier. - Le conseil départemental me répond qu'il ne s'agit pas pour lui d'une obligation. C'est de sa part un choix politique, je ne le conteste pas. En revanche, je m'interroge sur la raison pour laquelle les services de l'État de ce département ne nous apportent pas le moindre financement quand, dans le même temps, le préfet du Puy-de-Dôme est, lui, très engagé sur la question de l'eau.

M. Alexandre Ouizille. - Je m'interroge aussi, parce qu'il existe un principe de continuité de l'action de l'État dans les départements.

M. Alexandre Verdier. - Quant aux autres départements, ils sont certes un peu moins directement concernés. Néanmoins, ce sont bien cinq départements que la question de l'eau réunit au sein de la CLE.

Le statut administratif de notre commission, qui ne lui ménage aucune marge de liberté, ne facilite guère la conduite de l'action que l'on attend d'elle. En ce qui concerne le Sage, mon rôle consiste à assurer le dialogue social pour le compte de l'État.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par là ?

M. Alexandre Verdier. - J'ai devant moi, autour de la table, tous les acteurs, dont les consommateurs, et il me revient, en tant que président de la CLE, de trouver un consensus entre eux et de faire accepter les mesures qui seront prises pour répondre à une situation relative à la ressource en eau. Je crois beaucoup, dans l'exercice de cette mission, à la différenciation territoriale.

M. Laurent Burgoa, président. - C'est une notion qui, au Sénat, ne peut que nous plaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une structure regroupant cinq départements ne permet guère cette différenciation.

M. Alexandre Verdier. - Il nous appartient d'y travailler. Pour ne rien vous cacher, étant moi-même dans le Sancy, le Haut-Allier ne m'est par exemple pas parfaitement connu, d'où la nécessité de pouvoir se reposer sur des services et des élus qui apportent la connaissance de leurs territoires respectifs. Nous ne gérerons en effet pas une situation de façon identique dans le Haut-Allier, le Forez ou le Puy-de-Dôme. Les contextes, par exemple les pluviométries, y sont différents. Nous nous efforçons d'être au plus près de chaque territoire et notre but est non de multiplier les réunions entre les acteurs, mais de dégager des solutions en vue de l'action. Et c'est ce que veulent les élus locaux.

Mme Lucile Mazeau, animatrice de la commission locale de l'eau Allier Aval. - La CLE est bien un outil qui travaille sur l'ensemble des problématiques de l'eau. Notre Sage a été approuvé en 2015 et le volet de l'enjeu qualitatif y est traité, sans cependant que nous y ayons inscrit à ce sujet des prescriptions supplémentaires. En la matière, nous nous appuyons d'abord sur le code de l'environnement et sur le Sdage Loire-Bretagne.

Depuis 2017, nous avons mis la priorité sur la réalisation d'études majeures relatives à la gestion quantitative de la ressource et à la définition d'un schéma de gestion de l'espace de mobilité de l'Allier, car la dynamique du cours d'eau crée des érosions et des incisions qui ont des répercussions sur son fonctionnement. Nous nous sommes également consacrés à l'inventaire des zones humides des 6 400 kilomètres carrés de territoire où nous intervenons. Faute de moyens suffisants, nous n'avons donc pas, ces dernières années, prioritairement traité de la qualité de l'eau.

Quant aux eaux de Saint-Yorre, elles sont profondes et véritablement protégées, exploitées par une société unique et sans enjeu de partage avec d'autres activités. C'est pourquoi la CLE ne porte pas sur elles de regard particulier.

M. Guilhem Brun. - Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué être interpellé par ce qui constituerait des différences dans le niveau d'implication financière de l'État.

L'État soutient le PTGE Allier Aval et l'action du président Verdier. Son intervention financière en matière de politique de l'eau s'effectue au travers des agences de l'eau, et non par l'intermédiaire de chaque préfet de département. Il finance ainsi l'étude socio-économique, en l'occurrence via l'agence de l'eau Loire-Bretagne, à hauteur de 50 %. Cette étude concerne tous les acteurs du territoire, et notamment ses collectivités locales. De notre point de vue, il importe donc que ces dernières y contribuent conjointement à proportion des 50 % restants, et c'est là que se situe le manque.

M. Laurent Burgoa, président. - S'agit-il de la même agence de l'eau pour l'ensemble du territoire d'intervention de la CLE ?

M. Guilhem Brun. - Oui.

M. Alexandre Verdier. - Les relations sont déjà suffisamment complexes avec une seule agence de l'eau.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le maire de Saint-Yorre, souhaitiez-vous ajouter quelque chose ?

M. Joseph Kuchna. - Mes collègues élus du département de l'Allier ont défini des priorités et j'ignore si elles évolueront ou non.

M. Jean-Pierre Lunot. - Dans le Puy-de-Dôme, le préfet, le président du conseil départemental - Lionel Chauvin - et moi-même essayons de mettre en place un observatoire départemental de l'eau. Son rôle consisterait à dégager une vision et une connaissance globales de la ressource, de ses petit et grand cycles, de ses nappes à son assainissement. S'il ne forme pas un bassin versant, le département correspond néanmoins à une réalité administrative. L'agence de l'eau est aussi partie prenante.

M. Laurent Thevenot. - J'ai retenu que cette commission d'enquête pourrait, à l'issue de ses investigations, formuler des propositions. Je ne me priverai donc pas d'un dernier commentaire.

Dans ma présentation liminaire, j'ai souligné le manque d'informations et de prérogatives des maires des communes sur lesquelles sont installés des minéraliers ou sur le territoire desquelles existe un impluvium. Or le maire est l'interlocuteur de premier niveau de ses administrés. Au même titre que le président Verdier, je suis frustré de ne pas pouvoir leur apporter de réponses suffisamment éclairées, pertinentes et cohérentes. Je pense qu'il y a là quelque chose à faire pour nous impliquer davantage dans ces problématiques liées à la ressource en eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les questions de vos administrés, quelles sont-elles principalement ?

M. Laurent Thevenot. - Elles se fondent surtout sur les messages que les médias véhiculent, avec les déformations qui peuvent exister. À défaut de posséder nous-mêmes des informations fiables, contrer la désinformation, le cas échéant, nous est très difficile.

M. Laurent Burgoa, président. - Peut-être les ARS pourraient-elles vous fournir les informations adéquates et vous permettre d'être en effet, sur ces sujets, les interlocuteurs privilégiés de vos concitoyens qui vous sollicitent. Leur opposer un silence, faute d'information, risque malheureusement toujours de faire naître la suspicion que vous leur cachez certaines choses.

M. Laurent Thevenot. - Nous comptons sur vous pour être entendus.

M. Laurent Burgoa, président. - Soyez sûr que, au sein de la chambre qui représente les collectivités territoriales, la remarque d'un élu est toujours prise en compte.

Je tiens à vous remercier de cette audition qui nous a permis de mieux connaître vos territoires et les problématiques que vous y rencontrez.

Les caractéristiques locales des exploitations des eaux minérales naturelles et des eaux de source en Bretagne - Audition de MM. Jean-Pierre Omnès, président de la commission locale de l'eau Arguenon-Baie de la Fresnaye, Michel Raffray, président du syndicat mixte Arguenon-Penthièvre (SMAP), Patrick Barraux, maire de Plancoët et Benoît Dufumier, directeur départemental des territoires et de la mer des Côtes-d'Armor (DDTM)
(Mardi 4 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous allons poursuivre les travaux de notre commission d'enquête avec une table ronde sur les caractéristiques locales des exploitations des eaux minérales naturelles et des eaux de source en Bretagne.

Notre table ronde réunit Monsieur Jean-Pierre Omnès, président de la commission locale de l'eau Arguenon-Baie de la Fresnaye, Monsieur Michel Raffray, président du syndicat mixte Arguenon-Penthièvre, Monsieur Patrick Barraux, maire de Plancoët et Monsieur Benoît Dufumier, directeur départemental des territoires et de la mer des Côtes-d'Armor (DDTM).

Messieurs, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite les uns et les autres à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Patrick Barraux, Jean-Pierre Omnès, Michel Raffray et Benoît Dufumier prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêt.

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle, notamment pour nos internautes, que cette audition est retransmise sur le site du Sénat. Notre institution a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objet de donner la parole à des élus et à des responsables administratifs concernés par l'exploitation des eaux minérales naturelles et des eaux de source dans les Côtes-d'Armor, en Bretagne. Il s'agit pour nous de comprendre l'écosystème des eaux et le rôle de chacun pour la protection des eaux.

Que représente l'industrie de l'eau minérale dans le département en termes d'installation, d'emplois, de production annuelle de bouteilles et de recettes fiscales pour vos collectivités ? Nos questions concernent Plancoët, qui fait partie du groupe Ogeu, avec, par exemple, Quézac, Sainte-Baume et Valécrin.

Comment est prise en charge la protection de la ressource souterraine dans une région très agricole dont la qualité des eaux de surface est souvent questionnée ? Quelle est votre appréciation des interactions entre l'État, les collectivités territoriales, le schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE), la commission locale de l'eau (CLE) et les industriels ? Voici quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps. Vous présenterez successivement vos réflexions, pendant une dizaine de minutes chacun. Puis notre rapporteur vous posera des questions. Enfin, nos collègues également présents pourront vous interroger, sachant que la durée de cette audition est d'une heure et demie. Je vais d'abord laisser la parole à Monsieur le maire.

M. Patrick Barraux, maire de Plancoët. - Merci Monsieur le Président. Je suis maire de Plancoët depuis 2014. En introduction, je vous rappellerai l'histoire de la source Plancoët. Elle a été découverte en 1906 par le docteur Chambrin, mon prédécesseur à la mairie de Plancoët. Elle a été reconnue « eau minérale naturelle » par le ministère de la santé, en 1928. Puis elle a été successivement rachetée par Perrier dans les années 1960, par Nestlé dans les années 1990 et en janvier 2014 par le groupe familial Ogeu, que vous venez de mentionner, et qui est propriétaire notamment de Quézac, la plus célèbre des sources du groupe, mais pas la plus rentable.

Entre 2011 et 2015, un Contrat Nature a été mis en place avec la mairie, Coeur-Émeraude qui était le syndicat de préfiguration du parc naturel régional, l'université de Rennes ainsi que la société des eaux minérales de Plancoët. A été alors découvert un îlot de biodiversité ordinaire, mais exceptionnel en termes de diversité d'espèces et de quantité, sur l'ensemble du périmètre de protection de la source. Ce lieu, qui abrite des espèces uniques en Bretagne, est qualifié dans le futur parc naturel régional de « lieu extraordinaire de biodiversité ordinaire ».

En 2015, une convention d'ouverture au public de la zone protégée a été étudiée afin de valoriser l'histoire de la source et de la zone de biodiversité préservée. Ce périmètre de protection s'étend sur 96 hectares. La société des eaux minérales a racheté l'ensemble des terrains à proximité ainsi que tous les impluviums. Cette source est donc entièrement préservée de toute pollution agricole.

En 2024, la source a intégré le parc naturel régional de la vallée de la Rance, dans lequel les 96 hectares du périmètre de protection constituent un exemple dans le domaine de la préservation du territoire et de la ressource. Le périmètre de captage est l'un des fleurons du parc naturel régional Côte d'Émeraude. Dois-je répondre aux questions ?

M. Laurent Burgoa, président. - Pas immédiatement, car M. le rapporteur vous posera des questions après votre présentation générale. Avez-vous des remarques à ajouter ?

M. Patrick Barraux. - Je peux également aborder la question des emplois.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous sommes aussi intéressés par les ressources dont bénéficie la commune.

M. Patrick Barraux. - Les ressources intéressent toujours un maire.

M. Laurent Burgoa, président. - Le Sénat représente les collectivités territoriales, Monsieur le maire. Nous sommes ainsi les plus proches des maires.

M. Patrick Barraux. - En termes d'emplois, on dénombre 23 contrats à durée indéterminée, 7 équivalents temps plein, et 10 personnes assignées aux fonctions supports, commerciaux, comptabilité, administration des ventes, soit au total entre 40 et 45 personnes. À noter que le site a connu une période difficile dans les années 2000. Toutefois, les volumes se sont considérablement développés depuis 2010. Le site fonctionne à plein régime.

En termes de revenus, nous bénéficions de la surtaxe sur les eaux minérales, de l'ordre de 80 000 euros, montant qui a doublé, de mémoire, depuis 2014, compte tenu du succès de notre eau minérale. Que puis-je ajouter ? Je ne dispose pas ici des chiffres financiers du revenu du foncier bâti. Eu égard au nombre de bâtiments, ce doit être « une somme conséquente ». Je vous les transmettrai, à votre demande.

Quant à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, elle est perçue par les établissements publics de coopération intercommunale. C'est tout ce que je peux vous dire dans un premier temps.

M. Laurent Burgoa, président. - La parole est au président du syndicat mixte Arguenon-Penthièvre (SMAP).

M. Michel Raffray, président du syndicat mixte Arguenon-Penthièvre (SMAP). - Le syndicat mixte Arguenon-Penthièvre a fêté ses 50 ans d'existence, il y a deux ans. Ce n'est pas de l'eau minérale, mais l'eau est de qualité puisque je ne suis que le troisième président en 50 ans. Vous voyez que cela conserve. Ce syndicat a été créé dans les années 1970. Il a été mis en place par le conseil général en 1972, en réponse à une demande d'eau de quantité suffisante et de qualité suffisante, afin de satisfaire les besoins dus à l'affluence touristique de plus en plus importante en Bretagne ainsi qu'au développement des productions hors sol agricoles.

Trois barrages ont été construits dans le département, qui je le rappelle est situé sur un bassin granitique, avec très peu de nappes profondes. Nous avons quelques nappes superficielles, mais très peu de nappes profondes. L'essentiel de l'eau destinée à la consommation humaine provient des eaux de surface. L'eau destinée au département est fournie par des barrages à hauteur de 55 %, par des prélèvements en cours d'eau pour 25 % et par des eaux souterraines à hauteur uniquement de 18 %.

Cet ordre de grandeur de 18 % n'inclut pas toutes les eaux de forage des exploitations agricoles comme celles des industriels qui disposent de leurs propres ressources. Environ 62 millions de mètres cubes d'eau publique sont produits et distribués par an. Le montant de la consommation totale est estimé à 81 millions de mètres cubes, en prenant en compte l'utilisation faite par les agriculteurs et par les industriels. Cela représente donc 70 % à 80 % de la production d'eau sur le département.

En outre, nos problématiques sont différentes des autres territoires dont les prélèvements portent en moyenne sur 80 % d'eau souterraine et 20 % d'eau de surface. La Bretagne a également cette particularité que toute l'eau qui y tombe retourne à la mer. Il n'existe pas de grands bassins passant d'une région à l'autre, mais de petits fleuves côtiers. Nous sommes donc entièrement responsables de l'eau que nous recevons, stockons et laissons aller à la mer.

Vous avez rappelé, Monsieur le Président, les problèmes que nous avons subis relatifs à la qualité de l'eau dans le département. Nous avons collectivement réalisé de nombreux aménagements et contribué à d'importantes évolutions. Les résultats sont là pour le prouver même si nous devons toujours poursuivre nos efforts afin de toujours améliorer la qualité. Nous pouvons dire que nous sommes sur la bonne voie. Peut-être sommes-nous même en avance sur certaines autres régions, étant donné les problèmes que nous avons connus, qui nous ont obligés à mettre en place des actions de reconquête de la qualité de l'eau.

Par ailleurs, eu égard à notre compétence sur l'ensemble d'un bassin versant hydrographique, de la source à la mer, nous avons été sollicités pour porter les actions de reconquête de la qualité de l'eau, notamment dans le cadre des opérations du bassin versant. Nous avons été également chargés de mettre en oeuvre le SAGE sur notre territoire, et donc, de manière plus spécifique et particulière, les actions de la CLE, qui d'ordinaire sont portées par les collectivités ou des créations de collectivités. En l'espèce, c'est bien le syndicat existant de production d'eau qui est chargé de la reconquête de la qualité. Nous avons sur ce sujet de nombreux exemples à partager.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je souhaiterais poser une question relative aux propos de Monsieur le maire de Plancoët. Vous avez mentionné que 18 % de l'eau prélevée provenait des eaux souterraines. Une partie de ces forages concerne-t-elle la même nappe ? 

M. Michel Raffray. - Non. La nappe de Plancoët est totalement autonome et indépendante.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Seuls les industriels exploitent la nappe ?

M. Michel Raffray. - C'est exact. Après vous avoir présenté les dates importantes et les évolutions des missions du syndicat, sachez que le périmètre d'action du syndicat concerne 121 communes et alimente en eau le tiers du département des Côtes-d'Armor.

En 1997, les autorités préfectorales nous ont autorisés à prélever de l'eau à condition de mettre en place des actions de reconquête de la qualité de l'eau brute. Cela nous a conduits à mettre en oeuvre des opérations sur le bassin versant, le portage du SAGE et l'animation de la commission locale de l'eau. Nous avons également mis en place un Programme d'Actions de Prévention des Inondations (PAPI) sur le bassin versant de l'Arguenon, opération qui a été très utile récemment, dans la lutte contre les inondations, grâce à la gestion des cellules de crise sur 4 à 5 jours intensifs. La Bretagne vient, en effet, de subir des débordements de rivières. Le barrage qui sert d'écrêteur de crues a permis de « tamponner » la crue afin d'éviter que la ville de Plancoët, qui est malheureusement parfois inondée, ne le soit cette fois-ci. Nous sommes satisfaits du résultat. Nous effectuons donc de nombreuses opérations au-delà de notre mission première qui est de fournir de l'eau, je vous le rappelle, à peu près au tiers du département des Côtes-d'Armor.

M. Laurent Burgoa, président. - La parole est à M. Jean-Pierre Omnès, président de la commission locale de l'eau Arguenon-Baie de la Fresnaye.

M. Jean-Pierre Omnès, président de la commission locale de l'eau Arguenon-Baie de la Fresnaye. - Monsieur le Président, je suis président de la commission locale de l'eau depuis la fin de la période de la Covid. J'ai commencé à travailler sur ces dossiers à la fin de l'année 2020.

La commission locale de l'eau est composée de 38 membres, répartis en trois collèges : 21 membres dans celui des collectivités territoriales et des établissements publics, 10 membres dans le collège des représentants des usagers, des propriétaires riverains, des organisations professionnelles et des associations, et enfin, 7 membres dans le collège des représentants de l'État et de ses établissements publics.

Comme vient de vous le rappeler le président du SMAP, le syndicat mixte Arguenon-Penthièvre a été choisi pour porter la commission locale de l'eau, en raison de sa position centrale dans le bassin versant. Bien avant l'installation de la CLE, des actions avaient été mises en oeuvre dès 1993 afin de protéger la qualité de l'eau, principalement en amont. Ces actions se sont étendues de la source jusqu'à la mer, depuis 2008.

Le périmètre du territoire du SAGE a été défini en 2007 par arrêté préfectoral. Il se situe à l'est des Côtes-d'Armor, entre le SAGE de Saint-Brieuc et le SAGE Rance-Frémur-Baie de Beaussais. Il est composé de 42 communes, 3 EPCI, à savoir Lamballe-Terre-et-Mer, Dinan-Agglomération et Loudéac-Communauté. Ce territoire s'étend sur un peu plus de 700 km² avec deux bassins versants : celui de l'Arguenon, où se trouve la retenue, et celui de la Baie de la Fresnaye, qui est un petit bassin versant. Ce périmètre comprend également 800 kilomètres de cours d'eau, dont cinq principaux. Le territoire concerné est principalement rural à dominante agricole. Le bassin versant de la Fresnaye répond essentiellement aux besoins de la conchyliculture et du tourisme. Nous sommes confrontés aux problèmes liés à l'eutrophisation et aux contaminations microbiologiques. Ce captage, on vous l'a expliqué, est stratégique pour les Côtes-d'Armor et l'Ille-et-Vilaine en termes d'alimentation en eau potable.

Cette ressource ayant été impactée par les nitrates et les pesticides, nous menons des plans de lutte en étroite collaboration avec la CLE, pour améliorer la qualité de l'eau, principalement en termes de réduction des nitrates, dans le cadre de la mise en oeuvre du « contentieux nitrates ». L'installation de Commission locale de l'Eau a eu lieu en 2009.

Le SAGE Arguenon-Baie de la Fresnaye a été approuvé par arrêté préfectoral en 2014. Depuis cette date, est réalisé un suivi de la mise en oeuvre du SAGE et de ses différents programmes d'action - je vais répéter ce qui a été dit - un contrat territorial, un PAPI et une démarche communale ascendante de lutte contre l'érosion des sols. Cette démarche spécifique à notre territoire consiste à mettre en place des commissions communales de lutte contre l'érosion des sols, dont les membres sont désignés par les communes. Ce dispositif fonctionne très bien puisque ces personnes connaissent le terrain et savent identifier les secteurs très sensibles.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous prie de m'excuser de vous interrompre, mais ces personnes sont-elles des élus ou des citoyens ?

M. Jean-Pierre Omnès. - Ces personnes sont des élus ou des membres d'associations, tels que des chasseurs, des marcheurs, etc.

Les enjeux identifiés pour le SAGE Arguenon-Baie de la Fresnaye sont multiples : la pérennité de la production d'eau, en qualité et en quantité, la protection des personnes et des biens contre les inondations, l'amélioration de la qualité biologique, la lutte contre l'eutrophisation, la diminution des quantités de pesticides dans l'eau, la réduction des contaminations du littoral, en particulier les contaminations microbiologiques et enfin la gouvernance pour assurer la mise en oeuvre et le suivi du SAGE à l'échelle du bassin versant. Voilà, en quelques mots, la présentation du territoire des bassins versants Arguenon-Baie de la Fresnaye.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci Monsieur le Président. Pour terminer ce cycle de présentation, je cède la parole à Monsieur Benoît Dufumier, directeur départemental des territoires et de la mer des Côtes-d'Armor (DDTM).

M. Benoît Dufumier, directeur départemental des territoires et de la mer des Côtes-d'Armor (DDTM). - À titre liminaire je rappellerai qu'une direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) est un service déconcentré de l'État, au spectre d'activités assez large dans le département : l'aménagement du territoire, le logement, le transport, la biodiversité, la mer, la pêche, la transition écologique, l'agriculture, l'énergie, la sécurité, et l'éducation routière. S'agissant de l'eau, ce domaine est placé sous l'autorité du préfet.

Nos missions ont essentiellement trait à la préservation de la ressource en eau dans son milieu. Cela signifie que toute opération concernant l'eau, que ce soit des prélèvements, des rejets, des modifications du milieu humide, en eau douce comme en eau salée pour un département maritime, doit faire l'objet d'une analyse au titre de la loi sur l'eau.

Par ailleurs, la DDTM est également en charge d'une mission de coordination de l'ensemble des services de l'État dans le département traitant de l'eau et de la nature, la MISEN, Mission Inter-Services de l'Eau et de la Nature.

Concernant la description du territoire, les deux présidents ont mentionné que l'ensemble de l'eau potable est majoritairement capté par des eaux dites de surface ou de nappes de très faible profondeur qui sont au-dessus du toit granitique de la Bretagne. En complément de ces propos, j'aimerais souligner que « la source de Plancoët est un vrai miracle ou une vraie exception » puisqu'elle capte son eau à 100 mètres en profondeur, ce qui est très profond pour le plafond des nappes bretonnes.

À partir de la chute de la goutte d'eau au sol, celle-ci met entre 20 ans et 45 ans pour atteindre la nappe qui est captée, selon les rapports d'hydrologie que nous avons pu consulter, notamment dans le cadre des autorisations de prélèvement de ces sources. Ce long cheminement lui permet de s'épurer, d'autant plus, comme l'expliquait Monsieur le maire, que le producteur de l'eau de source assure, depuis les années 1970, la maîtrise foncière complète de l'impluvium. En parallèle de cela et au titre la mission urbanisme de la DDTM, le document d'urbanisme de l'EPCI Dinan Agglomération qualifie toute cette zone d'aire naturelle, interdisant ainsi toutes les constructions pouvant dégrader la qualité de la ressource en eau.

M. Patrick Barraux. - En outre, cette eau n'est pas touchée par les nitrates, bien que nous soyons en Bretagne, région sensible à ce sujet. En effet, le périmètre de protection écarte toute pollution.

M. Jean-Pierre Omnès. - Si vous en avez fini, Monsieur le directeur, je laisse la parole, à Monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie tous d'être présents aujourd'hui. Vous avez pu constater lors des différentes auditions que nous tentons de développer une vision assez large de ce qui se passe sur le territoire.

Monsieur le maire de Plancoët, votre eau a été qualifiée de « miraculeuse » par les services de l'État. Nous constatons que nous sommes en présence d'une eau particulière. Je vous vois réagir. Vous avez certainement une légende à nous raconter. Permettez-moi de poser ma question. Vous êtes maire depuis 2014.

M. Patrick Barraux. - Oui, absolument.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Étiez-vous dans l'équipe municipale précédemment ?

M. Patrick Barraux. - Non. Auparavant, j'étais maire dans le Jura.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'intéresse à ce qui s'est passé avant 2014. Vous avez indiqué qu'il y avait eu, en 2014, un changement de propriétaire.

M. Patrick Barraux. - Cette source qui n'intéressait plus Nestlé Waters, qui l'a jugée peu intéressante en termes de volume, a été vendue pour des raisons industrielles à la Société des eaux minérales d'Ogeu (Semo), entreprise de la famille Chassaigne, spécialisée dans les sources d'eau régionales. L'important investissement effectué par cette société dans les chaînes de production ainsi que dans le marketing et la force de vente sur le terrain ont assuré le développement de la source.

Le concept marketing repose sur le chauvinisme breton. Sa cible territoriale est le Grand Ouest, soit un rayon d'action qui est de l'ordre de 200 kilomètres, car nous ne disposons pas de la capacité de production suffisante pour aller au-delà. En termes de pompage, nous sommes à 6 mètres cubes par heure, ce qui correspond au volume d'une petite source.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'en est-il sur une année ?

M. Patrick Barraux. - Trente millions de bouteilles en eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez mentionné un accroissement de votre masse fiscale, qui je suppose, est liée à l'augmentation du nombre de bouteilles.

M. Patrick Barraux. - Absolument.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous atteint la limite de l'arrêté préfectoral, ou vous reste-t-il encore une marge d'exploitation ? La régénération de la source est-elle convenable ? Qu'observez-vous sur le terrain ?

M. Patrick Barraux. - La source est particulièrement préservée parce que l'eau est pompée dans une roche granitique à 120 mètres de fond. Nous avons du mal à estimer les capacités réelles en termes de pompage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'en est-il de son état ? Qu'observent les différents services, tels que le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), qui surveillent l'exploitation et la surexploitation des sources.

Benoît Dufumier. - Une analyse hydrogéologique du comportement de la nappe, que ce soit sur sa qualité ou sa capacité à se recharger, est régulièrement effectuée dans le cadre des autorisations de prélèvement. La conclusion du rapport de l'hydrologue, à l'issue des dernières analyses que nous avons pu consulter, démontre, qu'au-delà de la qualité de l'eau très bien expliquée par Monsieur le maire, la quantité pompée aujourd'hui n'atteint pas ou n'affecte pas le niveau de la nappe. En conclusion, sans impact sur ce niveau depuis plusieurs dizaines d'années, le prélèvement est jugé comme raisonnable et adapté, à défaut d'autres indicateurs, notamment une étude extrêmement complète, difficilement réalisable en raison de sa complexité et de la profondeur de la nappe.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant l'impluvium, vous avez mentionné la réalisation d'investissements dans l'outil de production, nécessaires pour la qualité de l'eau. Nous avons appris au cours de cette audition qu'un certain nombre de problèmes pouvaient surgir du fait du vieillissement de ces outils. Souhaitez-vous partager votre expérience sur ce point, car nous recherchons de bonnes pratiques et des recommandations à exporter en dehors de la Bretagne.

M. Patrick Barraux. - Tout d'abord, la Société des eaux minérales est propriétaire des 100 hectares qui constituent l'essentiel de l'impluvium. Toute exploitation agricole y est interdite, hormis la tonte de l'herbe. Aucun accès aux véhicules n'est autorisé, sauf en cas de problème.

M. Laurent Burgoa, président. - Y compris l'agriculture biologique ?

M. Patrick Barraux. - Aucune production agricole.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De quoi est constituée cette zone ? S'agit-il de massifs ? Il n'y a pas tant de forêts que cela en Bretagne.

M. Patrick Barraux. - Cette zone est essentiellement constituée d'herbe, de bois, de boisements, de ronces et de buissons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La protection de l'impluvium est donc très importante. La question suivante s'adresse aux services de l'État et porte sur la manière dont vous travaillez avec les autres services déconcentrés. Vous avez eu connaissance, j'imagine, des problèmes survenant sur d'autres territoires, notamment dans les Vosges et en Occitanie. Avez-vous alors déclenché des actions particulières sur les forages ?

Monsieur Michel Raffray a mentionné un volume de 62 millions de mètres cubes liés à l'exploitation et d'une consommation totale de 81 millions de mètres cubes. Monsieur Benoît Dufumier, existe-t-il sur notre territoire, des cas de forages non déclarés ou interdits ? Les événements survenus dans d'autres départements ont-ils conduit à une campagne de vérification des différents forages autorisés dans votre département ?

M. Benoît Dufumier. - Il n'y a qu'un seul forage d'eau de source ou d'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et sur le reste des forages, hors eaux minérales ?

M. Benoît Dufumier. - C'est différent, effectivement. En ce qui concerne toute source d'eau minérale dans un département telle que la source de Plancoët, la compétence appartient à l'Agence Régionale de Santé (ARS). Celle-ci effectue des contrôles réguliers de qualité et traite les résultats d'analyse en termes de volume. Dans ce cadre, l'ARS est donc la première à accéder aux données. S'il y avait une anomalie, nous en serions bien évidemment informés par l'Agence.

Pour le reste du département, comme vous l'a expliqué le président Michel Raffray, l'essentiel de l'eau potable est capté via les rivières, les barrages qui stockent l'eau l'hiver pour la restituer l'été, et quelques forages en eaux superficielles qui sont très réactifs. La vitesse de percolation dans le substrat du forage de faible profondeur y est très rapide, de l'ordre de l'heure à quelques jours. Si bien que les mesures de qualité et de quantité de l'eau relèvent de l'ensemble de la gestion des eaux de surface du département. Un dispositif de droit commun s'applique, que ce soit en contrôle, qualité, quantité et de suivi, bien évidemment.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Michel Raffray, vous avez déclaré être parti d'une situation dégradée puis l'avoir améliorée. Pouvez-vous nous présenter vos indicateurs de référence ? Quel est l'objet de votre pilotage ? Avez-vous constaté une amélioration sur l'ensemble des éléments ainsi pilotés ? Quelles mesures avez-vous mises en place pour obtenir cette amélioration ?

Nos auditions ont à ce jour essentiellement mis en lumière la question de l'épuisement de la ressource ainsi que celle de la détérioration de sa qualité. Il est donc crucial que nous puissions connaître vos bonnes pratiques.

M. Michel Raffray. - Les éléments sur lesquels nous avons concentré nos efforts aux fins d'amélioration et de reconquête de la qualité ont été mis en oeuvre par étapes. Nous avons d'abord réagi sur les problématiques d'intrants, essentiellement les nitrates, liés principalement, mais pas uniquement, aux productions hors sol sur le territoire. Nous avions de mémoire, à l'origine, une quinzaine de bassins versants concernés par le contentieux européen, donc au-delà de la norme des 50 mg par litre. Il n'en reste plus que 3 à ce jour, preuve s'il en est que nous avons mené des actions efficaces.

Puis nous avons traité les problématiques phytosanitaires, dont celles du très connu glyphosate. Cela a nécessité de mettre en oeuvre un certain nombre de dispositifs, notamment des usines de traitement des eaux de surface relativement importantes. L'usine que j'ai la chance d'avoir dans mon syndicat produit 12 millions de mètres cubes par an. Il s'agit bien de mètres cubes et non de litres.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc le traitement qui a permis d'améliorer la situation plus que la ressource initiale, diriez-vous ?

M. Michel Raffray. - Dans mon propos liminaire, j'ai évoqué la mise en oeuvre d'actions de reconquête de la qualité de l'eau brute qui s'inscrivent obligatoirement dans le temps long. Malgré tout, nous avons déjà obtenu des améliorations significatives puisque nous avons constaté une diminution des nitrates dans nos eaux brutes qui n'atteignent même pas les 40 mg en moyenne.

Nous avons considérablement amélioré la situation, grâce à un travail de fond mené avec l'ensemble des acteurs locaux, tels que les collectivités, les particuliers et les agriculteurs. Ces acteurs ont dû modifier, en étroite collaboration avec nos services, leurs pratiques, sachant qu'ils étaient également consommateurs de l'eau qui nous parvenait. Nous avons donc réussi à créer un climat de confiance et à améliorer significativement tous les processus.

Compte tenu de la capacité des nouveaux outils pouvant détecter des éléments de plus en plus petits, nous avons inclus depuis 2017, les « métabolites » dans les produits phytosanitaires à risque. Ce sont des fragments de molécules. Si la durée de vie d'une molécule est de quelques semaines à quelques mois, la partie des composants de cette molécule qui s'est dégradée, donc le métabolite, que l'on retrouve en grand nombre dans l'eau, a, en revanche une durée de vie beaucoup plus longue. La durée de sa dégradation est beaucoup plus longue que celle de la molécule initiale. En outre, certains métabolites conservent leurs capacités de nuisance. Ces fragments de molécules doivent être traités. Nous y parvenons avec succès, notamment dans nos usines, avec le charbon actif et un ensemble de processus.

L'opération est plus ardue sur de petits volumes. Il est difficile d'avoir des outils de traitement qui soient capables de le faire avec un ratio acceptable « volume produit » et « coût à produire ». Nous sommes confrontés à cet écueil pour les quelques usines traitant des eaux souterraines.

Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'au-delà de notre organisation sur notre petit territoire, un syndicat départemental fédère l'ensemble des collectivités du territoire. Les collectivités adhérentes y mènent une double démarche. La première consiste à sécuriser l'alimentation en eau sur l'ensemble du département. Le syndicat a, en effet, été chargé de mettre en place un système d'interconnexion, en cas de défaillance d'un des outils de production, pour un dépannage par les autres dispositifs. La seconde mission vise à améliorer et accompagner les capacités de production. Si un forage, par exemple, subissait un problème local momentané, il lui serait alors donné la possibilité de diluer son eau pour que celle-ci soit conforme aux ratios de potabilité et de mise dans les réseaux.

Voilà donc un aperçu de l'ensemble des mesures et de l'évolution de la performance des systèmes de traitement. L'amélioration de la qualité de l'eau brute est également le fruit d'un travail préalable important avec tous les acteurs du territoire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Jean-Pierre Omnès, j'ai une question sur le fonctionnement de la commission locale de l'eau et son périmètre. Celui-ci est-il le même que celui du SMAP ou est-il différent ? Quel est votre retour d'expérience sur le fonctionnement de la commission locale de l'eau ? Nous avons auditionné des présidents qui se sont plaints de la difficulté de faire fonctionner cette commission ? Ils déploraient notamment le manque de soutien de l'État et des collectivités d'une certaine envergure et de certains départements. Que pouvez-vous nous dire sur votre fonctionnement ? Le trouvez-vous satisfaisant ? Avez-vous des recommandations à formuler en matière de gouvernance ?

M. Jean-Pierre Omnès. - Ainsi que je vous l'ai précisé, l'avantage du fonctionnement de la commission locale de l'eau Arguenon-Baie de la Fresnaye réside dans son portage par le syndicat mixte Arguenon-Penthièvre.

Comme vous l'a expliqué son président, outre les actions menées ou les mesures mises en place pour traiter l'eau afin d'atteindre un bon état pour la distribution, nos actions tendent en amont, à obtenir une eau brute de qualité afin d'en diminuer le traitement, une fois arrivée à l'usine. À cette fin, nous menons des opérations de sensibilisation auprès des agriculteurs, notamment les céréaliers, pour faire évoluer leurs pratiques. Ces concertations sont facilitées grâce au groupement paritaire agricole. Celui-ci nous permet de mettre en place, en accord avec les agriculteurs, de nouvelles pratiques afin de diminuer la pollution par les intrants.

Nous traitons également de l'érosion, car 7 tonnes de terre par jour arrivent à l'usine de traitement. Cela correspond au dixième, je crois, de ce qui arrive dans la retenue, ce qui correspond à peu près à une ferme de 5 hectares par an de terre arable qui peut disparaître. Nous devons réussir à diminuer cette érosion.

Nous ne rencontrons pas de difficultés dans nos missions, car les actions d'amélioration de la qualité de l'eau brute ont été mises en place avant que la commission locale de l'eau ne voie le jour. Nous poursuivons cet engagement. En termes de fonctionnement, nous avons la chance que la structure porteuse soit totalement au rendez-vous pour les actions que nous engageons.

M. Michel Raffray. - En complément de l'intervention de Jean-Pierre Omnès, j'ai cru comprendre qu'au cours des auditions que certaines commissions locales de l'eau peinaient à trouver des financements. Notre reste à charge est de l'ordre de 30 %, après co-financement par l'agence de l'eau, la région et le département. Notre avantage est que ce reste à charge est entièrement financé par le syndicat de production d'eau. Nous ne demandons rien aux collectivités territoriales. Ce n'est pas neutre. Cela facilite la mise en oeuvre des engagements pris, sachant que nous disposons des moyens pour satisfaire les besoins et entreprendre les actions nécessaires à la réalisation de nos missions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les recettes qui permettent cette prise en charge par le syndicat proviennent du prix de l'eau ?

M. Michel Raffray. - C'est exact. Il est possible de faire figurer dans nos factures d'eau le montant relatif permettant la reconquête de la qualité de l'eau. Une ligne est dédiée à cette action.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez mis les moyens en face de cette ambition qui est la reconquête de la qualité de l'eau.

Monsieur Patrick Barraux, une dernière question avant de passer la parole à mes collègues. Le scandale Nestlé Waters est-il arrivé jusqu'à vous ? Avez-vous constaté un effet sur les ventes des bouteilles de la source Plancoët ? Un tel discrédit concernant un industriel, peut-il impacter les autres ? Autrement dit, dans les dernières années, voire les derniers mois, avez-vous l'impression que le minéralier que vous connaissez le mieux, celui de Plancoët, avec cette eau mystérieuse et légendaire, se porte bien ?

M. Patrick Barraux. - Toute publicité défavorable concernant une eau minérale n'est jamais bonne. Toutefois, nous n'avons rien à voir avec tout cela. Les consommateurs connaissent bien la qualité de notre eau minérale. Nous n'avons pas été impactés. Je n'ai observé aucune baisse de production ou de commercialisation.

M. Laurent Burgoa, président. - Si vous avez terminé, Monsieur le rapporteur, M. Hervé Gillé souhaite poser une question.

M. Hervé Gillé. - Bonsoir à tous. Quelques questions complémentaires qui s'adressent à vous quatre. Tout d'abord, on s'interroge souvent sur votre relation avec les agriculteurs. J'ai noté avec beaucoup d'attention dans vos réponses, l'intervention de ce groupement paritaire et l'instauration du dialogue que vous avez pu établir avec eux.

Une question corollaire est de savoir si les services environnementaux existent et si oui, comment ils sont financés. Dans un espace préservé, on peut avoir des exigences particulières concernant les agriculteurs, ce qui diminue leur rentabilité dans le cadre de leur modèle économique. Cela peut donner lieu à une légitime compensation par le biais des services environnementaux. Sont-ils mobilisés dans ce cas de figure ?

Les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) sont financées en partie par les agences de l'eau, ce qui pose un problème budgétaire, notamment pour l'agence de l'eau Loire-Bretagne, si mes souvenirs sont bons. Pouvez-vous donc m'éclairer sur les dispositifs particuliers mis en oeuvre ?

Vous avez mentionné que l'eau finance l'eau, en termes de programmes et de plans d'action. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le prix de du mètre cube de l'eau assainie dans votre territoire ? Ce prix, selon qu'il est de 3,50 euros ou 6 euros, doit permettre, en effet, de dégager des marges financières pour intervenir.

Vous avez évoqué une durée d'une quarantaine d'années pour que la goutte d'eau tombée du ciel atteigne la nappe. Cela signifie que la pollution datant de 40 ans va bientôt contaminer la nappe. Or cette pollution présente ce qu'on appelle une rémanence. Le principe de la filtration par les sols permet-il que ceux-ci filtrent toutes les molécules ? En d'autres termes, il y a sans doute des pollutions à venir de la nappe. Quel est l'état de vos connaissances sur cette éventuelle pollution, sachant que, j'en terminerai là, que nous sommes confrontés au défi de devoir élargir le spectre des observations moléculaires ?

Cette question s'adresse peut-être plus à la DDTM, en lien avec l'ARS, qui dispose d'observations particulières au niveau des spectres. Doit-on s'attendre à des problèmes liés aux per- et polyfluoroalkylées (PFAS) dès maintenant ou à moyen terme, sachant que les produits ont des rémanences différentes. Ce problème question constitue une préoccupation particulière qui peut malheureusement concerner la fameuse nappe miraculeuse, demain ou après-demain.

Patrick Barraux. - Je vais répondre en ce qui concerne la source de Plancoët. L'eau met effectivement, entre 20 et 40 ans, pour s'infiltrer, descendre dans la roche, et se minéraliser. Puis elle est captée dans ce granit à 120 mètres de profondeur. Rappelons que le périmètre de protection ainsi que les premiers rachats des terrains autour et sur les impluviums ont été réalisés il y a plus de 40 ans. S'il y avait eu une pollution passée, elle serait déjà présente dans la nappe. Or, nous opérons sous contrôle de l'ARS.

M. Hervé Gillé. - Malheureusement, il y a aussi une contamination par l'air, par exemple les PFAS.

M. Michel Raffray. - Vous évoquiez le prix de l'eau. Il n'y a pas un prix de l'eau départemental. Il est déterminé par chacune des collectivités en fonction de son coût de revient. En Bretagne, l'eau est une des plus chères du territoire pour un certain nombre de raisons. La première est que nous n'avons pas la chance d'être au pied d'une montagne. L'eau n'arrive donc pas gravitairement à l'usine de traitement et n'est pas distribuée gravitairement dans les châteaux d'eau avoisinant la population. Une distribution gravitaire permet de réaliser des économies substantielles notamment en termes d'électricité, ce qui n'est pas notre cas puisque nous devons amener l'eau à l'usine. Puis nous fournissons l'énergie nécessaire pour la transporter de l'usine au haut du château d'eau. Nous alimentons donc ainsi en énergie notre usine et les 55 châteaux d'eau. L'eau est ensuite distribuée gravitairement chez les utilisateurs. Ce qui signifie que ces derniers ont de l'eau, même en cas de coupure d'énergie, compte tenu de notre système de production électrique autonome. Cela explique en partie le prix de l'eau important.

La deuxième raison du niveau du prix de l'eau est relative à son origine : l'eau de surface. Celle-ci est plus difficile à traiter parce qu'elle se contamine plus que les eaux souterraines qui bénéficient d'une filtration naturelle par les sols. Elle requiert un coût de traitement plus important.

Pour répondre enfin à votre question, le prix moyen de l'eau traitée est entre 5 euros et 5,50 euros. L'eau seule, sans traitement, pour les personnes qui disposent d'un dispositif d'assainissement non collectif (ANC) s'établit entre 2,50 euros et 2,70 euros.

Vous avez évoqué les aides et les accompagnements des agriculteurs. Nous travaillons avec les agriculteurs. Cela fait 30 ans que dans le cadre de notre commission paritaire, nous échangeons avec eux. Nous leur fournissons des informations sur les problématiques de l'eau et les contaminations par sous-bassin versant. Nous collaborons ensemble pour améliorer les pratiques sur chaque sous-bassin versant, en engageant des actions sectorielles. L'accompagnement des agriculteurs se fait dans le cadre d'une compréhension globale, même si certains peuvent faire la sourde oreille.

S'agissant des MAEC, elles sont mises en oeuvre. Nous ne les finançons pas. C'est un financement de l'extérieur. Nous sommes en train d'étudier la possibilité de mettre en place des paiements pour services environnementaux (PSE), sous forme de participation spécifique environnementale et d'accompagnement sur des pratiques associées à un dédommagement en raison de la diminution des rendements générés par les modifications de travail. Nous en sommes à la phase d'études de faisabilité. Notre bassin versant couvrant 40 000 hectares, un tel dispositif tend à générer des coûts significatifs. Nous ne pouvons entreprendre une telle démarche sans en évaluer toutes les conséquences financières.

Nous espérons, trouver des solutions aux problèmes financiers du monde agricole. Nous sommes conscients que si nous imposons des modifications et des limitations de certaines pratiques, nous devons tenter de les compenser pour que les activités des agriculteurs ne soient pas pénalisées économiquement. Nous menons ces travaux en partenariat avec l'agence de l'eau. Nous échangeons. Nous examinons les dispositifs d'autres territoires, tels que Saint-Malo, qui a mis en place des PSE. C'est un petit territoire accueillant beaucoup de maraîchage, activité à valeur ajoutée importante. Cette ville a réussi à accompagner, améliorer et avoir des résultats significatifs avec cette méthode d'accompagnement financière.

M. Benoît Dufumier. - Monsieur le Président, Monsieur le Sénateur, en complément de réponse, le droit commun des mesures agroenvironnementales et climatiques, les MAEC, représentent sur l'ensemble du département 13 millions d'euros que l'État verse annuellement sous forme d'aides aux agriculteurs qui transforment leur système d'exploitation en modalités plus vertueuses.

En outre, le plan d'action régional Nitrate dans sa version numéro 7 modifiée est actuellement en vigueur. Il est accompagné de réflexions importantes au niveau régional sur une simplification et une meilleure opérationnalité de ce document.

Enfin, en termes de suivi et d'amélioration de la qualité de l'eau au niveau départemental, il convient d'évoquer le sujet de l'assainissement et donc des stations d'épuration. Depuis 2021, l'État, en la personne du Préfet à l'époque, a mis en place un dispositif d'autorisation d'urbaniser de nouveaux terrains sous condition de la mise en oeuvre d'un assainissement conforme.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce dispositif est en dehors du champ du Zéro Artificialisation nette (ZAN) ?

M. Benoît Dufumier. - C'est exact, il est en dehors du ZAN. Ce dispositif d'autorisation est efficace puisque, nous avons obtenu plus de 90 millions d'euros ces cinq dernières années, financés par l'Agence de l'eau, dédiés à l'amélioration de la conformité des systèmes d'assainissement dans le département, ce qui est considérable.

M. Laurent Burgoa, président. - Je laisse avec plaisir la parole à notre collègue, Marie-Lise Housseau.

Mme Marie-Lise Housseau. - Monsieur le maire, vous nous avez dit que le groupe familial Ogeu avait racheté la source Plancoët. Il s'appuie sur les marques régionales et met en exergue, dans sa communication, ses préoccupations en matière de développement économique et de protection de l'environnement.

Quelles en sont les traductions au quotidien ? Avez-vous des relations constantes avec ce groupe ? Êtes-vous associé ou au moins informé des évolutions du groupe ? Quelle est la nature de sa relation avec l'ARS, la structure qui le contrôle ?

M. Patrick Barraux. - Je connais effectivement la famille du groupe Ogeu. En revanche, je ne me préoccupe que de la source de Plancoët. J'entretiens de très bons rapports avec la direction qui n'appartient pas à la famille. La source est régulièrement contrôlée par l'ARS. Je sais à peu près tout ce qui s'y passe pour avoir fait visiter un nombre incalculable de fois la source aux personnes qui voulaient voir l'usine d'embouteillage. Je ne sais quoi vous dire de plus.

En termes de qualité, Plancoët est irréprochable, comme en témoignent tous les contrôles possibles et inimaginables. Cette eau minérale a apporté à la ville une notoriété exceptionnelle. Le Plancoët est la petite ville bretonne la plus connue dans le Grand Ouest grâce à son eau minérale.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour compléter la question de ma collègue, quelle est la régularité de vos contacts avec la direction ? Vous fait-elle part des problèmes auxquelles elle est confrontée ? La rencontrez-vous alors ? De quelle nature sont vos entretiens ? Portent-ils sur la production, la qualité de la nappe, etc. ?

La question est pertinente. Elle permet d'évaluer les relations entre communes et exploitants qui peuvent varier d'un territoire à un autre, ainsi que témoignent les différents acteurs auditionnés dans le cadre de cette commission. Il est donc intéressant d'avoir votre point de vue en tant que maire très dynamique de Plancoët.

M. Patrick Barraux. - Je vois des représentants de la direction au minimum une fois par mois.

M. Laurent Burgoa, président. - Combien d'habitants sont recensés à Plancoët ?

M. Patrick Barraux. - Trois mille. C'est une petite ville. Tout le monde se connaît.

M. Laurent Burgoa, président. - Il n'y a pas de petites villes, uniquement des communes.

M. Patrick Barraux. - Je connais bien la direction actuelle. J'ai des relations régulières avec eux. En outre, un des cadres de l'entreprise à la production est membre du conseil municipal. Il me représente également au sein du parc naturel régional. Il a plutôt une vision politique écologiste, c'est pourquoi je l'ai intégré dans mon équipe. Cela se passe très bien.

M. Hervé Gillé. - Permettez-moi de poser une question complémentaire par rapport à votre plan d'action, dans le cadre du SAGE et de la Commission locale de l'eau. Certains programmes d'action y sont intégrés dans une démarche de planification. La gestion stratégique du pluvial qui représente pour vous un enjeu très important est-elle est intégrée dans les documents d'urbanisme tels que les plans locaux d'urbanisme (PLU) ou plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) ?

M. Benoît Dufumier. - Les PLU et PLUi relèvent de la compétence du maire ou du président d'EPCI, pour lesquels l'État apporte des données et rend bien évidemment un avis, préalablement à la consultation du public et au contrôle de l'égalité. Rien dans les textes aujourd'hui n'impose une gestion de l'eau pluviale de proximité à la parcelle.

Ceci étant dit, plusieurs documents d'urbanisme prennent très clairement cette orientation. L'agglomération de Saint-Brieuc et d'autres PLUi des Côtes-d'Armor en sont de très bons exemples. Par ailleurs, la DTTM a tout récemment organisé à l'attention des collectivités, des élus et de leurs services, un séminaire sur la gestion intégrée des eaux pluviales dans le tissu urbain, de manière à favoriser ce type de démarche. Au fur et à mesure des rythmes de révision, plusieurs documents d'urbanisme intègrent la gestion des eaux pluviales.

M. Jean-Pierre Omnès. - Je souscris pleinement aux propos de Monsieur Benoît Dufumier. Une prise de conscience importante concernant le bocage et l'infiltration des eaux s'ancre chez les collectivités territoriales. Je prendrai comme exemple ma commune dont je suis maire depuis 2014. Nous sommes en train de réaliser une mise en séparatif d'un lotissement à l'origine sans réseau d'eau pluviale, en diminuant les eaux dans les tuyaux tout en ayant des tranchées drainantes et des espaces d'infiltration. Nos actions tendent donc à favoriser l'infiltration. Par ailleurs, l'Agence de l'eau encourage de tels projets.

M. Laurent Burgoa, président. - Chers collègues, pas d'autres questions ? je tiens à tous vous remercier très sincèrement. Nous retiendrons, Monsieur le maire, que « votre eau n'est pas bénite, mais elle est au moins miraculeuse » et sera peut-être une source d'inspiration dans le cadre des propositions que le rapporteur et la commission formuleront, en tenant compte de vos expériences respectives.

Je donne rendez-vous à mes collègues demain, à 13 h 30. Nos auditions seront spécifiques puisque nous entendrons l'ancienne directrice générale de l'ARS Grand Est ainsi que des représentants des Vosges. Jeudi, nous serons plutôt gardois avec l'audition de l'ARS et du préfet du Gard.

Audition de Mme Virginie Cayré,
inspectrice générale des affaires sociales,
ancienne directrice générale de l'agence régionale de santé du Grand Est
(Mercredi 5 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous entrons progressivement dans le vif du sujet, notamment en examinant le rôle des services de l'État. Dans ce sens, nous auditionnons cet après-midi Mme Virginie Cayré, inspectrice générale des affaires sociales, ancienne directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) du Grand Est.

Madame, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Mme Virginie Cayré prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Cette commission d'enquête du Sénat, constituée le 20 novembre dernier, porte sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Madame Cayré a exercé les fonctions de directrice générale de l'ARS Grand Est de septembre 2020 à juin 2024, ainsi que celles de directrice générale adjointe et directrice générale déléguée à partir de 2017.

Quel a été le rôle de l'ARS Grand Est dans la crise des eaux minérales Nestlé dans les Vosges ?

Quelles ont été ses interactions avec les autres services de l'État, au niveau central, avec les cabinets ministériels compétents (santé, économie, industrie), la direction générale de la santé (DGS) et, au niveau local, avec le préfet des Vosges ?

Plus généralement, comment avez-vous exercé votre rôle de contrôle sanitaire des eaux embouteillées ?

Tels sont les thèmes cruciaux sur lesquels notre rapporteur vous interrogera.

L'audition se déroulera en trois parties : votre présentation d'une quinzaine de minutes, suivie des questions du rapporteur et des membres de la Commission.

Mme Virginie Cayré, inspectrice générale des affaires sociales, ancienne directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) du Grand Est. - Je m'exprime exclusivement au titre d'ancienne directrice générale de l'ARS Grand Est du 3 septembre 2020 au 15 juin 2024, et non en tant qu'experte en santé environnementale ou en qualité des eaux. Les détails concernant le calendrier ou tout élément technique pourront vous être fournis par l'ARS Grand Est. Toutefois, soyez assurés de l'attention constante que j'ai portée à ce dossier durant mon mandat.

Le contrôle des eaux embouteillées représente une part limitée des activités de contrôle des eaux menées par l'agence, qui supervise également les captages et les réseaux de distribution d'eau potable ainsi que les eaux dites de loisirs (piscines, plans d'eau aménagés, eaux thermales). Ces missions totalisent un volume d'activités considérable, d'autant que le Grand Est se situe au deuxième rang national en nombre de captages destinés à la distribution d'eau potable.

Ce périmètre d'intervention doit être mis en regard des effectifs de l'agence : une centaine d'agents spécialisés en santé-environnement, également chargés de problématiques comme la lutte contre l'habitat indigne et insalubre, l'urbanisme favorable à la santé, ou la prévention des nuisances environnementales (moustiques tigres, chenilles processionnaires, tiques, ambroisie).

Concernant les eaux embouteillées destinées à la consommation humaine, l'intervention de l'ARS s'étend du captage jusqu'au conditionnement des eaux en bouteille. Ces missions couvrent l'instruction des demandes d'autorisation ou de modification du conditionnement d'une eau - de source, rendue potable par traitement ou minérale naturelle - au nom du préfet ; et le contrôle sanitaire des eaux conditionnées, depuis la ressource jusqu'aux lignes d'embouteillage. L'ensemble de ces compétences s'inscrit dans le cadre du Code de la santé publique.

Le premier volet constitue une mission atypique pour une ARS, puisqu'elle ne relève pas du contrôle sanitaire stricto sensu, mais de la régulation du marché des eaux embouteillées. Le second volet, en revanche, s'inscrit pleinement dans les missions traditionnelles des ARS, visant la sécurité sanitaire de la population.

Le contrôle des eaux embouteillées repose sur une responsabilité partagée entre l'État et l'industriel. L'ARS réalise des contrôles sanitaires, tandis que l'industriel assure sa propre surveillance au travers d'un autocontrôle.

L'intervention de l'ARS se décline en trois niveaux :

- le contrôle sanitaire des eaux conditionnées, s'appuyant sur des laboratoires agréés qui sont recrutés par marché public tous les quatre ans et effectuent des analyses selon un cahier des charges précis ;

- la mise en place effective de l'autosurveillance par l'exploitant ;

- l'inspection des usines d'embouteillage. Aucune fréquence réglementaire n'est imposée. Les visites dites de récolement, réalisées avant la mise en service des installations, permettent de vérifier leur conformité aux autorisations.

Par ailleurs, l'ARS n'est pas une agence d'expertise scientifique. Son rôle consiste à constater d'éventuels écarts aux normes et à éclairer le préfet dans ses décisions. Face à des situations complexes et inédites, l'ARS sollicite systématiquement l'appui scientifique de son autorité de tutelle et d'organismes spécialisés, comme l'Anses.

Dans le dossier examiné, l'action de l'ARS Grand Est a été menée en étroite collaboration avec la préfecture des Vosges, en trois phases distinctes.

Premièrement, dans le cadre d'une mission diligentée en avril 2022 par l'inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les eaux embouteillées, l'ARS inspecte trois sites, dont celui de Nestlé Waters dans les Vosges. La veille, les inspecteurs reçoivent la réponse au questionnaire adressé aux industriels, dans lequel Nestlé évoque ses pratiques frauduleuses.

Le 6 avril, lors du contrôle, l'industriel reconnaît avoir mis en oeuvre des traitements non autorisés (ultraviolets, charbon actif, microfiltrations). Il présente son plan d'action visant à les retirer, et révèle l'existence d'installations clandestines dissimulées dans les sous-sols ou au niveau des points d'échantillonnage. Dans ces conditions, l'ARS disposait d'une connaissance faussée de la qualité de l'eau brute, bien que les prélèvements aient été réalisés directement au forage.

Face à ces révélations, quatre actions ont immédiatement été engagées :

- la rédaction d'un rapport d'inspection sur le site contrôlé de Vittel Bonne Source, dans le cadre de la mission de l'Igas (finalisé le 1er juillet 2022, il mentionne les traitements interdits révélés par Nestlé Waters ainsi que le plan de transformation présenté par l'industriel) ;

- la stricte application des procédures d'inspection afin de limiter les risques de contentieux administratifs ;

- l'envoi d'une note à la direction du cabinet de la ministre de la Santé et de la Prévention, à la DGS et à l'Igas ;

- une gestion rigoureuse du risque.

La deuxième phase commence dès la fin de l'inspection. La double inspection a été juridiquement sécurisée et l'industriel sommé de retirer sous trois mois les traitements non autorisés (ultraviolets et charbon actif). Ce retrait, engagé avant l'inspection, a été vérifié par nos inspecteurs en novembre 2022.

En octobre 2022, à l'issue de la phase contradictoire de l'inspection, nous avons adressé au procureur de la République un signalement circonstancié au titre de l'article 40 du Code de procédure pénale, considérant qu'une tromperie manifeste avait été opérée par dissimulation des traitements aux contrôles.

En parallèle, nous adaptons la procédure de contrôle de l'industriel pour maîtriser à la fois les risques liés aux traitements mis en oeuvre et ceux inhérents au retrait progressif de ces procédés. Ces ajustements s'inscrivent dans le cadre de la responsabilité partagée prévue par la loi, qui repose d'une part sur l'autosurveillance de l'industriel et, d'autre part, sur le contrôle de l'État exercé par des organismes agréés.

La troisième phase se caractérise par l'instauration d'un suivi du site de production et des mesures mises en place par Nestlé. Dès novembre 2022, des analyses sur l'eau brute révèlent une eau non conforme avant le filtre, et conforme après filtration. Nous demandons à l'industriel d'interrompre les captages concernés, ce qui a été mis en oeuvre progressivement jusqu'en mai 2023.

L'ARS a également exigé de l'industriel qu'il réalise des analyses virologiques, obligation à laquelle il s'est conformé dès le retrait des traitements. Parallèlement, nous avons sollicité l'expertise de l'Anses, via la DGS et en lien avec les laboratoires agréés. À ce stade, aucune analyse de l'exploitant n'a révélé de contamination virale de l'eau.

Au printemps 2023, nous renforçons la surveillance, conformément aux recommandations formulées lors de la réunion interministérielle de février 2023, et ce, avant même l'avis de l'Anses que nous avions sollicité. Il s'agit alors de garantir l'absence de contamination microbiologique de l'ensemble des émergences d'eaux minérales naturelles ; vérifier que les filtres ne jouent pas un rôle de désinfection ; et s'assurer que les autorisations d'exploitation des « eaux minérales naturelles » restent justifiées. L'industriel a été averti qu'une détection de contamination microbiologique entraînerait la suspension immédiate de l'émergence concernée.

À l'automne 2023, l'Anses a rendu ses conclusions sur la méthodologie à adopter. À cette date, les trois forages non conformes avaient été arrêtés depuis plusieurs mois et retirés des mix d'eau destinés à la commercialisation.

L'avis de l'Anses propose un protocole d'intervention en trois niveaux :

- vérifier la qualité de l'eau au moyen d'analyses bactériologiques réglementaires ;

- si ces analyses révèlent des non-conformités, réaliser des tests de bactériophages ;

- en cas de détection de ces proxys, engager l'analyse des virus pathogènes de type hépatite et norovirus.

En pratique, la situation dans le Grand Est s'est stabilisée à la première étape du protocole, les analyses bactériologiques se révélant conformes. Sur le seul ouvrage où une non-conformité bactériologique avait été détectée, l'exploitant avait spontanément instauré une autosurveillance répondant directement aux exigences de la troisième étape. Nous nous sommes assurés de la mise en oeuvre de cette autosurveillance.

La révision des autorisations d'exploitation s'est ensuite poursuivie, intégrant la restructuration d'ampleur engagée par Nestlé et la reconfiguration des mix d'eau consécutive à l'arrêt des forages concernés.

À mon départ en juin 2024, la procédure était en cours. Depuis avril 2022, le site a fait l'objet de multiples contrôles et inspections. Ce dossier a mobilisé l'ARS Grand Est dès l'inspection de 2022, avec un double impératif : garantir la sécurité sanitaire et adapter les autorisations de l'industriel aux transformations majeures opérées sur le site. Chaque nouvelle donnée collectée auprès de l'industriel et des autres services de l'État a fait l'objet d'un traitement rigoureux.

Nous avons pris nos responsabilités en saisissant la justice au titre de l'article 40, à l'issue de la phase contradictoire de l'inspection. Le délit de tromperie a été juridiquement caractérisé après mon départ, en septembre 2024. Il porte sur le caractère prétendument naturel de l'eau commercialisée. Une convention judiciaire d'intérêt public a depuis été conclue en matière environnementale.

Les équipes de l'ARS ont poursuivi leur travail avec méthode, définissant de nouvelles modalités de contrôle exigeantes et éclairant le préfet dans ses décisions d'autorisation. Je tiens à saluer leur professionnalisme, d'autant plus remarquable dans un contexte marqué par de nombreuses incertitudes juridiques. Les avis de l'Anses et les nouveaux marchés de contrôle des eaux permettent, au moment où je quitte mes fonctions, d'améliorer considérablement les procédures et la surveillance.

Enfin, ce dossier ouvre la voie à des évolutions législatives nécessaires. La clarification scientifique permise par les rapports de l'Igas et l'audit de la mission d'information sénatoriale précédente offrent une base solide pour renforcer et sécuriser le contrôle exercé par les ARS.

Pour conclure, nous avons eu à gérer une tromperie d'ampleur, reconnue comme telle par décision de justice, à la suite de l'article 40. Le consommateur a été dupé, pensant consommer une eau minérale naturelle alors qu'elle avait été traitée par ultraviolets et charbon actif. Les autorités publiques l'ont également été, puisque leurs contrôles portaient sur une eau déjà filtrée et non sur l'émergence brute.

En revanche, ces traitements interdits n'ont jamais exposé la santé des consommateurs à un risque avéré. L'ARS Grand Est a pris les décisions appropriées, guidées par sa priorité absolue : la gestion du risque sanitaire, malgré un cadre réglementaire parfois insuffisamment précis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quelle date les services de l'ARS Grand Est ont-ils eu connaissance pour la première fois de traitements non autorisés appliqués aux eaux de Vittel, Hépar et Contrex ?

Mme Virginie Cayré. - Les inspecteurs de l'agence régionale de santé ont eu connaissance de ces traitements lorsqu'ils ont reçu, la veille de leur visite sur site, prévue le 6 avril 2022, la réponse apportée par Nestlé au questionnaire d'enquête de l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aucune information antérieure n'avait-elle fait état d'une contamination microbiologique ponctuelle sur ces sites ?

Mme Virginie Cayré. - À ma connaissance, non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous déclarez dans le rapport d'inspection du 6 avril 2022 que « des informations complémentaires exhaustives sont attendues sous trois mois. Elles sont nécessaires et demandées pour statuer définitivement sur la situation ».

Par ailleurs, vous indiquez dans une note à la DGS que « Nestlé estime qu'il est prématuré de les transmettre, considérant que l'Igas devrait faire évoluer le cadre national permettant le recours à ces traitements ».

Sur quels éléments Nestlé pouvait-il fonder une telle affirmation ?

Mme Virginie Cayré. - Je précise que Nestlé a répondu avant l'échéance fixée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette réponse a-t-elle été jugée satisfaisante ?

Mme Virginie Cayré. - Oui, au regard du processus engagé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment interprétez-vous la présomption de l'industriel selon lequel l'Igas allait modifier la réglementation ?

Mme Virginie Cayré. - Cette information nous a été partagée, mais il ne m'appartient pas de l'interpréter ou de la commenter.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette information vous a-t-elle été partagée par Nestlé uniquement ?

Mme Virginie Cayré. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans sa note du 27 juin 2022, l'ARS affirme que si Nestlé ne parvenait pas à rétablir un fonctionnement conforme à la réglementation, l'industriel ne pourrait plus commercialiser ses eaux sous l'appellation « eau minérale naturelle », sauf en cas d'évolution de la réglementation.

À ce moment-là, considériez-vous que Nestlé ne remplissait plus les conditions lui permettant d'utiliser cette appellation ?

Mme Virginie Cayré. - Les traitements révélés par Nestlé lors de cette inspection remettaient en cause l'appellation « eau minérale naturelle ».

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous revenir en détail sur les forages progressivement arrêtés ?

Mme Virginie Cayré. - Malheureusement, pas dans le détail. L'ARS pourra vous apporter ces précisions lors de son audition. Je me propose de vous les transmettre par écrit. En tout cas, les trois forages concernés ont été arrêtés entre novembre 2022 et mai 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le signalement adressé au procureur de la République, vous précisez que l'appellation « eau minérale naturelle » n'aurait pas été accordée si l'État avait eu connaissance des traitements hors liste autorisée, et que l'exploitant doit désormais démontrer que ces traitements ne constituent pas une désinfection.

Ce signalement date du 23 octobre 2022, soit plusieurs mois après l'inspection du 6 avril. Nestlé a-t-il pu apporter la preuve que les filtres à 0,45 ou 0,2 micron ne modifiaient pas le microbisme de l'eau ?

Mme Virginie Cayré. - Les manquements relevés dans le rapport transmis au procureur sont les suivants :

- la présence de filtres non déclarés et non autorisés par arrêté préfectoral, sans preuve d'absence de modification des caractéristiques de l'eau ;

- l'utilisation de traitements hors liste autorisée (ultraviolets et charbon actif) et non déclarés ;

- un contrôle sanitaire réglementaire faussé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets de reformuler ma question pour davantage de clarté.

À un moment ou un autre, Nestlé a-t-il été en mesure de vous apporter la démonstration que les filtres à 0,2 et 0,45 micron ne modifiaient pas le microbisme de l'eau ?

Si cette démonstration n'a jamais été apportée, cela signifierait que des eaux ne répondant pas aux critères d'« eau minérale naturelle » ont été commercialisées de manière continue.

Mme Virginie Cayré. - C'est le cas, depuis une période antérieure à 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ma question porte précisément sur la période postérieure à 2022. Après cette date, les procédés de désinfection ont été remplacés par des filtres à 0,2 et 0,45 micron. Or, pour qu'une eau puisse être qualifiée de « minérale naturelle », l'usage de ces filtres ne doit pas altérer son microbisme.

Avez-vous, à un moment ou un autre, reçu la démonstration que ces filtres ne modifiaient pas le microbisme de l'eau ?

Mme Virginie Cayré. - Ce que nous avons vu et su, c'est l'engagement de Nestlé de retirer les traitements interdits, parallèlement à la fermeture des émergences et des forages contaminés, entre novembre 2022 et mai 2023.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par « vu et su » ?

Mme Virginie Cayré. - À partir de novembre 2022, nous contrôlons le retrait de l'ensemble des traitements interdits, conformément aux injonctions prononcées à la suite de l'inspection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les traitements interdits - ultraviolets et charbon actif - ont été retirés, mais la microfiltration à 0,2 ou 0,45 micron est en place, en tant que traitement de substitution.

L'ARS dispose-t-elle d'analyses permettant d'établir si le microbisme de l'eau reste inchangé ?

Mme Virginie Cayré. - Nous avons constaté que, sur l'un des six forages d'Hépar, le microbisme de l'eau était modifié. Une fois les traitements non autorisés retirés, les analyses ont révélé une contamination avant le filtre, et une conformité après filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour les autres forages, avez-vous constaté le même microbisme avant et après le filtre ?

Mme Virginie Cayré. - Oui, les autres forages ayant été arrêtés dès novembre 2022. Toutefois, je vous invite à faire préciser ce point par l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels forages, précisément ?

Mme Virginie Cayré. - Deux forages Contrex -- Thierry-Lorraine et Belle-Lorraine -- ont été arrêtés et déconnectés des mix le 28 novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Deux forages sur combien ?

Mme Virginie Cayré. - Je ne saurai pas vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, existe-t-il des forages où l'utilisation du filtre ne modifie pas le microbisme de l'eau ?

Mme Virginie Cayré. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Toutefois, vous ne pouvez pas, à ce stade, quantifier précisément ceux qui étaient non conformes et ceux qui l'étaient.

Mme Virginie Cayré. - Je peux vous affirmer qu'un forage a été identifié comme non conforme, et arrêté dans le cadre d'un suivi spécifique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous mentionnez également deux autres forages Contrex. Doit-on les considérer comme non conformes ?

Mme Virginie Cayré. - Non. Immédiatement arrêtés à l'issue de la phase d'inspection, ils n'ont plus contribué à l'eau embouteillée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le signalement adressé au procureur au titre de l'article 40, par courrier du 3 octobre 2022, vous indiquez que Nestlé a reconnu l'existence de traitements non autorisés depuis plusieurs décennies.

De quelle période s'agit-il ?

Mme Virginie Cayré. - Les filtres à charbon ont été installés en 1993, et les lampes à ultraviolets remplacées en 2000.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À la lumière de cette expérience, avez-vous modifié vos méthodes de contrôle ?

Mme Virginie Cayré. - La principale difficulté, soulignée tant par l'Igas que par la Commission européenne, réside dans la complexité pour un inspecteur de détecter des traitements dissimulés par l'industriel. Les visites de récolement doivent être intensifiées et multipliées. Au moment où j'exerçais mes fonctions, les effectifs étaient limités, imposant une analyse des risques ciblée afin de prioriser les sites de captage à inspecter.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi avez-vous sollicité l'expertise de la direction des affaires juridiques (DAJ) des ministères sociaux sur l'opportunité d'un recours à l'article 40 ?

Mme Virginie Cayré. - Nous engageons cette démarche régulièrement. Après une analyse interne, nous sollicitons un appui complémentaire auprès de la DAJ du ministère, qui dispose de ressources plus importantes. Notre interrogation portait sur la manière de constituer un dossier aussi complet que possible à destination du procureur de la République.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette sollicitation de la DAJ du ministère intervient après une réunion avec le cabinet du ministère de la Santé. Le cabinet vous a-t-il donné instruction de procéder au signalement ou, au contraire, a-t-il tenté de vous en dissuader ?

Mme Virginie Cayré. - Je ne peux pas vous répondre précisément.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous participé à cette réunion ?

Mme Virginie Cayré. - Je n'ai pas le souvenir d'une réunion spécifique au cabinet portant sur l'article 40 avant la saisine de la DAJ. Je demanderai que cela soit vérifié.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces réunions étaient-elles courantes ?

Mme Virginie Cayré. - Les réunions entre le directeur général d'une ARS et le cabinet ministériel sont très fréquentes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'en est-il de ce dossier en particulier ?

Mme Virginie Cayré. - Nous avons travaillé en lien étroit avec la DGS ainsi qu'avec les cabinets ministériels concernés. Aucune pression ni dissuasion ne m'a été opposée pour m'empêcher d'effectuer ce signalement. D'ailleurs, la réponse de la DAJ laisse clairement ouverte la possibilité d'y recourir ou non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un courriel du 28 juillet 2022, vous indiquez que « le cabinet a donné son feu vert à l'article 40 ».

À quoi faisiez-vous référence ?

Mme Virginie Cayré. - Il s'agissait simplement d'une formulation interne destinée à informer mes équipes que nous engagions officiellement la procédure. Comme il est d'usage, j'avais préalablement prévenu le cabinet de mon intention d'entreprendre cette démarche. Je ne pense pas avoir reçu un « feu vert » écrit du cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, vous n'avez pas reçu d'instruction du cabinet vous demandant de suspendre toute action en attendant une validation préalable avant d'engager la procédure ?

Mme Virginie Cayré. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets de relever une certaine ambiguïté, puisque vous mentionnez un « feu vert » tout en indiquant qu'aucune validation ne vous a été donnée.

Qui était votre interlocuteur au sein du cabinet ?

Mme Virginie Cayré. - D'après le calendrier, il s'agissait de Guillaume du Chaffaut, alors directeur de cabinet adjoint au sein du cabinet de François Braun. Cette période coïncide probablement avec l'installation d'Agnès Firmin-Le Bodo et de sa directrice de cabinet, Isabelle Epaillard. Je vous confirmerai ces informations par écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 23 mars 2023, vous saisissez l'Anses afin de déterminer les conditions d'une surveillance renforcée. Avant cette date, les analyses virologiques réalisées dans le Grand Est reposaient-elles uniquement sur l'autocontrôle de l'industriel ?

Mme Virginie Cayré. - Non, à partir de novembre 2022, un double contrôle a été instauré : l'autocontrôle de l'industriel, et le contrôle de l'ARS, effectué par des laboratoires agréés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce contrôle a-t-il concerné l'ensemble des eaux du groupe Nestlé Waters ?

Mme Virginie Cayré. - Je ne saurai pas vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ne disposiez-vous d'aucune précision quant au champ d'application du dispositif ?

Mme Virginie Cayré. - Je ne peux pas vous confirmer que ces contrôles renforcés s'étendaient au-delà des émergences faisant l'objet des discussions. Les équipes de l'ARS pourront vous apporter des précisions à ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans votre note du 8 novembre 2022, adressée à la direction du cabinet, vous indiquez que Nestlé Waters a affirmé avoir retiré les traitements à charbon actif, avançant comme preuve une hausse de certaines molécules. Vous relevez que cette hausse concerne seulement trois molécules sur 202 et en déduisez ainsi qu'il convient de vérifier la conformité de l'eau non traitée et contrôler sur site le démantèlement du traitement.

Avez-vous procédé à ces vérifications ?

Mme Virginie Cayré. - Oui, en novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Par qui vous a été commandée cette note ?

Mme Virginie Cayré. - Il s'agit d'une initiative spontanée. Tout au long de mon mandat, j'ai informé les autorités de manière régulière.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous contrôlé spécifiquement les anciens emplacements où ces filtres étaient installés, ou avez-vous inspecté l'ensemble du réseau de tuyauterie ?

Mme Virginie Cayré. - Je ne suis pas en mesure de répondre directement, ne faisant pas partie de l'équipe chargée du contrôle.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous exerciez une autorité sur ces équipes. À ce titre, vous deviez être informée de leurs méthodes de travail, n'est-ce pas ?

Mme Virginie Cayré. - Oui, les équipes se sont rendues sur site afin de vérifier que les traitements par ultraviolets et charbon actif avaient bien été retirés.

Ensuite, elles ont procédé à des vérifications sur l'eau brute, en réalisant des contrôles aux points spécifiquement dédiés à ce suivi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la même note, vous indiquez que Nestlé Waters affirme que les filtres ne sont pas installés dans le but de désinfecter l'eau, mais qu'ils sont néanmoins indispensables pour garantir la sécurité sanitaire.

Comment avez-vous interprété cette déclaration, qui semble paradoxale ?

Mme Virginie Cayré. - C'est précisément la question à laquelle le rapport de l'Igas a répondu, suivi de l'Anses dans son avis scientifique et technique de 2023.

L'industriel avait mis en place des traitements par ultraviolets et par charbon actif pour corriger une eau qui, potentiellement, ne répondait plus aux critères d'« eau minérale naturelle » dès la source. Dans certains cas, une microfiltration a également été mise en oeuvre afin de stopper certaines microbactéries.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La réglementation s'appuie précisément sur la notion de pureté originelle. Or vous l'indiquez dans vos écrits : la microfiltration inférieure à 0,8 micron constitue une forme de désinfection interdite.

Aviez-vous déjà établi que ce procédé ne pouvait être compatible avec le statut d'« eau minérale naturelle » ?

Mme Virginie Cayré. - À ce moment-là, notre analyse repose sur une hypothèse, vérifiée sur site seulement lors du contrôle. Or, sur l'une des émergences constituant l'eau d'Hépar, les inspections ont révélé une eau contaminée avant le filtre, et non contaminée après.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque Nestlé affirme que ces filtres sont indispensables pour garantir la sécurité sanitaire de l'eau, et refuse d'augmenter la porosité à 0,8 micron, précisément pour cette raison, ne concluez-vous pas que ces filtres remplissent bien une fonction de désinfection ?

Mme Virginie Cayré. - À ce moment-là, notre réflexion porte essentiellement sur la sécurité sanitaire de l'eau. C'est pourquoi nous avons réalisé des contrôles avant et après filtration, demandés ensuite par l'Anses. L'objectif était de confirmer que l'eau embouteillée respectait bien les critères de potabilité et qu'aucune problématique sanitaire ne se posait sur le site des Vosges.

Ensuite, un travail de fond a été engagé avec Nestlé pour retrouver une eau non contaminée dès la source, nécessaire au maintien du statut d'« eau minérale naturelle ». C'est dans cette logique que l'industriel a arrêté un forage pour Hépar et deux pour Contrex.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dès le retrait des traitements par ultraviolets et charbon actif, remplacés par des microfiltrations, avez-vous immédiatement mis en place une analyse virologique sur l'ensemble des eaux ?

Mme Virginie Cayré. - Dès novembre 2022, Nestlé a mis en place une autosurveillance virologique. Nous n'avons pu engager ce travail qu'au printemps 2023, lorsque les opérateurs agréés ont été en mesure de procéder aux analyses par identification des proxys, préconisées par l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Après les fraudes avérées de l'industriel, le fait de laisser la question sanitaire à un dispositif reposant sur l'autosurveillance ne vous a-t-il pas inquiétée ?

Mme Virginie Cayré. - Nous avons estimé que le double contrôle garantissait une maîtrise suffisante du risque. Aucune anomalie n'a été détectée à cette période, ni par les contrôles sur les eaux embouteillées ni par les auto-analyses virologiques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la note du 8 décembre 2022, vous indiquez que Nestlé affirme avoir retiré tout ou partie des traitements ultraviolets, mais qu'il les a systématiquement remplacés par des filtres à 0,2 micron.

Vous précisez : « Dans l'hypothèse où l'eau serait contaminée, la substitution des UV par des filtres à 0,2 micron ne traiterait qu'une partie des micro-organismes potentiellement pathogènes (les virus passent la barrière des filtres). Le contrôle sanitaire rendu inopérant, car ne détectant plus les bactéries indicatrices d'une contamination fécale et son cortège de micro-organismes pathogènes, ne permettrait plus d'évaluer les risques sanitaires pour le consommateur. Il faudrait alors imposer un suivi au-delà des paramètres réglementaires classiques avec l'appui scientifique de l'Anses pour détecter de telles pratiques.

Vous semblez exprimer de véritables préoccupations.

Mme Virginie Cayré. - Oui, nous avons soumis ces inquiétudes à la DGS. Jérôme Salomon a relayé cette alerte et sollicité l'appui de l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'observe que de longs mois se sont écoulés avant que des mesures concrètes soient mises en place.

Mme Virginie Cayré. - Les analyses bactériologiques et l'autosurveillance virologique ont été mises en place immédiatement après le retrait des traitements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, sur la base de l'autosurveillance.

Vous concluez que la contamination de l'eau brute, masquée par les traitements UV et/ou les filtres, pourrait avoir deux implications majeures :

- si les aquifères sont contaminés, l'appellation d'« eau minérale naturelle » ne pourrait plus être maintenue et devrait être retirée sur l'ensemble des eaux du site, ce qui signifierait potentiellement sa fermeture ;

- si la contamination résulte de l'ancienneté des ouvrages, l'appellation ne serait pas remise en question, mais les travaux nécessaires pour remédier à la situation seraient coûteux et longs.

Autrement dit, vous aviez déjà conscience que la microfiltration à 0,2 micron pourrait entraîner la fermeture du site.

Mme Virginie Cayré. - À ce moment-là, nous savons que si la situation ne respecte pas la réglementation sur l'« eau minérale naturelle », l'appellation devra être retirée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous avez quitté vos fonctions, considériez-vous que l'eau mise en vente respectait la réglementation sur les « eaux minérales naturelles » ?

Mme Virginie Cayré. - À ce moment-là, le travail relatif aux autorisations suivait son cours. Cependant, un hydrogéologue agréé a confirmé Hépar et Contrex comme « eaux minérales naturelles » dans deux avis rendus respectivement en octobre 2023 et janvier 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les filtres ont été installés sans autorisation préfectorale, n'est-ce pas ?

Mme Virginie Cayré. - Ils ont fait l'objet d'autorisations modificatives en juillet 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quelle date ont-ils été posés en remplacement des autres ?

Mme Virginie Cayré. - En novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au moment de votre départ, tous les forages sur lesquels les analyses avant-après avaient montré une modification du microbisme de l'eau avaient-ils été soit fermés, soit déclassés par rapport à leur statut d'« eau minérale naturelle » ?

Mme Virginie Cayré. - Oui, en mai 2023, les forages sont officiellement arrêtés et déconnectés du mix d'Hépar.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À partir de cette date, considérez-vous qu'au jaillissement, l'eau respecte les critères d'une « eau minérale naturelle » ?

Mme Virginie Cayré. - L'hydrogéologue agréé valide la conformité des eaux en question dans son rapport d'octobre 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous le délai entre l'inspection et le lancement de l'article 40 ?

Vous avez échangé avec le procureur d'Épinal avant de lancer la procédure. Pourriez-vous détaller les étapes de votre démarche ?

Mme Virginie Cayré. - Les réflexions concernant l'article 40 ont commencé lors de la phase contradictoire de l'inspection, à l'été 2022. À ce moment-là, des échanges ont eu lieu sur les aspects juridiques, ainsi qu'un échange direct avec le procureur pour lui présenter le dossier.

Ensuite, le délai administratif explique que le dossier a été constitué et transmis au procureur en octobre 2022. Toutefois, ce dernier a été informé dès juin 2022 de la saisine à venir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À cette période, avez-vous échangé avec l'ARS Occitanie concernant Nestlé ?

Mme Virginie Cayré. - Je ne peux pas vous l'affirmer avec certitude. Tout au long du dossier, nous avons régulièrement échangé entre collègues d'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous que l'article 40 soit déclenché chez vous et pas en Occitanie ?

Mme Virginie Cayré. - Ce type de décision relève de la responsabilité de chaque ARS, en tant qu'établissement public autonome.

M. Hervé Gillé. - Comment les traitements ont-ils été intégrés avant le point de contrôle du captage ?

Disposez-vous de moyens clairs et efficaces pour vérifier si un traitement a modifié le spectre de minéralité de l'eau ?

Mme Virginie Cayré. - Ces systèmes étaient dissimulés dans de fausses armoires électriques, à l'endroit des prélèvements.

Je ne peux malheureusement pas vous préciser comment les ARS vérifient actuellement si un traitement a modifié le spectre de minéralité de l'eau.

M. Laurent Burgoa, président. - Seriez-vous en mesure de nous fournir une réponse après un temps de réflexion ?

Mme Virginie Cayré. - Oui, après avoir consulté les experts du sujet.

M. Hervé Gillé. - Si nous ne sommes pas en mesure de contrôler le spectre de la minéralité, cela implique que nous ne pouvons pas vérifier si des procédés ont modifié ce spectre.

Des mesures ont-elles été entreprises en ce sens ?

Mme Virginie Cayré. - Je vous transmettrai une réponse écrite. Mes collègues actuellement en fonction seront en mesure de vous répondre.

Mme Antoinette Guhl. - Avez-vous subi des pressions, avant ou après le dépôt de l'article 40 ?

Le lancement de cette procédure a-t-il impacté l'évolution de votre carrière ?

Mme Virginie Cayré. - Je n'ai subi aucune pression en amont. Quant à mon départ de la direction générale de l'ARS Grand Est, il s'agit d'une décision personnelle.

M. Olivier Jacquin. - Vous évoquez les filtrations mises en place par Nestlé dès 1993. Est-il désormais possible de détecter de telles fraudes ?

En 2020, des contaminations microbiologiques avérées ont été identifiées aux sources Perrier, dans le Gard. Avez-vous échangé entre collègues sur ce dossier ?

Mme Virginie Cayré. - Les traitements interdits sont le charbon actif depuis 1993 et les ultraviolets depuis 2000. La microfiltration n'est pas mentionnée à ces dates.

La vigilance actuelle a nettement augmenté, comme l'ont confirmé l'Igas et la Commission européenne. Cependant, les dissimulations mises en oeuvre (installations dans des sous-sols, fausses armoires électriques, boutons cachés) ne pouvaient être découvertes lors d'un contrôle standard à l'époque et resteraient difficiles, voire impossibles à détecter aujourd'hui. Une augmentation des effectifs permettrait toutefois de visiter plus fréquemment et davantage de sites.

Concernant les sources Perrier dans le Gard, je n'ai pas été destinataire d'informations à mon niveau. Il est possible que les équipes des 18 ARS aient échangé entre elles dans le cadre de leurs travaux courants.

Mme Audrey Linkenheld. - Avez-vous été surprise par ces révélations ?

Les précédentes auditions ont révélé une certaine tension entre associations et élus locaux. Comment perceviez-vous cette situation ?

En outre, Nestlé a évoqué d'éventuelles recommandations de l'Igas susceptibles d'entraîner un changement de réglementation. En tant que membre de l'Igas aujourd'hui, que pensez-vous d'une telle affirmation ?

Avez-vous procédé à des contrôles chez d'autres minéraliers, notamment le groupe Alma ?

Mme Virginie Cayré. - Tout comme les inspecteurs, j'ai été surprise par ces révélations. Cette réaction a entraîné une mobilisation immédiate, malgré une incertitude juridique importante, notamment sur la microfiltration.

Je constate qu'à l'échelle européenne, les minéraliers interpellent régulièrement les autorités nationales de différents pays sur la question de la filtration. Lorsque j'occupais mes fonctions, il n'existait pas de position arrêtée, ni au niveau national ni au niveau européen.

Dans le cadre de l'inspection d'avril 2022, qu'il s'agisse du groupe Alma, situé dans les Ardennes, ou de la dénomination commerciale Carola, dans le Haut-Rhin, aucun manquement n'a été relevé.

Je vous transmettrai par écrit les informations concernant d'autres contrôles antérieurs.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie pour cette audition menée avec rigueur et précision aux côtés de notre rapporteur.

Nous vous remercions également de vos futurs compléments de réponse par écrit.

Audition de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil,
directrice générale de l'agence régionale de santé du Grand Est
(Mercredi 5 février 2025)

M. Laurent Burgoa. président. - Nous allons poursuivre nos auditions en entrant progressivement dans le vif du sujet, notamment en examinant le rôle des services de l'État.

Cet après-midi, nous entendons Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est.

Je vous rappelle que tout faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment et à dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'Agence régionale de santé du Grand Est. - Je le jure.

M. Laurent Burgoa, président. - Je demande également à vos deux collaborateurs de se présenter. Ils devront également prêter serment.

M. Laurent Caffet, responsable du département santé environnementale de l'ARS du Grand Est. - Je suis responsable du département santé environnementale à l'ARS. Je le jure.

M. Nicolas Raynaud, responsable du pôle qualité sanitaire des eaux de l'ARS du Grand Est. - Je suis responsable du pôle qualité sanitaire des eaux à l'ARS. Je le jure.

M. Laurent Burgoa, président. - Je dois également vous demander si vous avez d'éventuels liens d'intérêt avec l'objet de notre commission d'enquête.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Je n'ai aucun lien d'intérêt.

M. Laurent Caffet. - Je n'ai aucun lien d'intérêt.

M. Nicolas Raynaud. - Je n'ai aucun lien d'intérêt.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie.

Je rappelle également à nos internautes, puisque cette audition est retransmise en direct sur le site du Sénat, que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objet d'entendre Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'ARS du Grand Est depuis juin 2024, qui a succédé à Mme Virginie Cayré, que nous avons entendue plus tôt dans la journée.

Madame, qu'avez-vous découvert à votre arrivée sur ce poste concernant la crise des eaux minérales Nestlé dans les Vosges ? Quel a été le rôle de l'ARS du Grand Est dans cette crise ? Quelles ont été et sont aujourd'hui ces interactions avec les autres services de l'État, au niveau central avec les cabinets ministériels compétents, santé, économie, industrie, ou la Direction générale de la santé (DGS), et au niveau local avec la préfète des Vosges ? Quelle est aujourd'hui la situation sur les sites Nestlé ? Plus globalement, comment s'exerce aujourd'hui le rôle de contrôle sanitaire de l'ARS sur les eaux embouteillées, y compris en dehors des Vosges, notamment en Alsace ? Voici quelques thèmes cruciaux sur lesquels notre rapporteur va vous interroger ultérieurement.

Madame la directrice générale, vous avez la parole.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant votre commission. En tant que directrice générale de l'ARS Grand Est, je suis honorée de partager mon expertise dans le cadre de cette enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

J'ai pris mes fonctions à l'ARS Grand Est au moment où se déroulait la mission d'information de la Commission des affaires économiques sur les politiques publiques en matière de contrôle des traitements des eaux minérales naturelles et de source menée par la sénatrice Antoinette Guhl. Le rapport publié en octobre 2024 m'a permis de disposer des constats et recommandations de votre commission et de prendre ainsi le pouls et la mesure de ce dossier complexe aux multiples facettes, impliquant de très nombreux acteurs d'un écosystème à la fois économique, sanitaire, administratif, écologique et bien d'autres.

De par mes fonctions antérieures, comme directrice générale de l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), de vice-présidente de l'Agence européenne des médicaments (EMA), ainsi que mon parcours scientifique en tant que chercheur, j'attache une importance majeure à la rigueur méthodologique, à la transparence des informations données et des décisions prises, ainsi qu'à l'analyse et à la maîtrise des risques dans tout processus décisionnel. Ce sont trois piliers indispensables à la sécurité sanitaire de nos concitoyens, qui constitue le fil rouge de toute l'action au quotidien de l'ARS du Grand Est.

Je tiens à préciser que je ne suis pas experte de la réglementation et des processus métiers propres aux eaux embouteillées, même si, depuis quelques semaines, et grâce à mes équipes, que je tiens particulièrement à saluer ici pour leur engagement quotidien, j'ai beaucoup appris et je continue d'apprendre. Je mesure pleinement la charge importante qui repose sur les agents de l'ARS, la charge mentale aussi qu'ils ont à assurer, des missions sensibles, notamment celles liées à la sécurité sanitaire. Mes propos porteront ainsi sur trois axes.

Il s'agit des missions et des responsabilités de l'ARS en matière de contrôle des eaux conditionnées, des faits marquants et des actions majeures menées par l'ARS dans ce dossier, ainsi que les enseignements que nous pouvons déjà retenir de leur mise en perspective pour prendre des mesures efficaces.

Il m'appartient aujourd'hui d'être garante de la mise en oeuvre des mesures et des plans d'action qui relèvent du champ d'action de l'ARS. Je m'y engage solennellement aujourd'hui devant vous. Je m'attacherai à répondre à vos questions en tant que directrice générale de l'ARS du Grand Est, en tant que docteur ès sciences et en tant que citoyenne et consommatrice de produits alimentaires.

Je vais m'attacher à ne pas être redondante avec ma prédécesseuse sur les différents éléments qui ont été présentés. Je commencerai par quelques chiffres clés sur les missions et les activités de l'ARS afin de mieux appréhender et objectiver le périmètre que représente la mission de contrôle des eaux au sein de l'ARS. Dans le Grand Est, nous comptabilisons 5 200 captages et 3 000 réseaux de distribution d'eau potable. La région Grand Est est la deuxième région après la région Auvergne-Rhône-Alpes en nombre de captages. Pour vous donner une idée, en France, nous disposons de 33 000 captages. Le département des Vosges compte environ 1 100 captages et 400 réseaux, c'est-à-dire un cinquième des captages du Grand Est, ce qui en fait le département le plus concerné par cet équipement, du fait évidemment de sa configuration géographique particulière. Au niveau régional, le contrôle sanitaire des eaux se traduit par la réalisation de près de 50 000 prélèvements d'eau par an, tous contrôles confondus. Les eaux potables, les eaux de loisirs et évidemment les eaux conditionnées sont concernées. Les effectifs affectés à l'ensemble des missions relatives à la santé environnementale sont de plusieurs dizaines d'Équivalents temps plein (ETP), une petite centaine, qui sont répartis au sein de l'ARS Grand Est, à la fois sur les dix départements dans le cadre des dix délégations territoriales de l'ARS Grand Est, mais également au siège à Nancy.

Si je me concentre plus spécifiquement sur le département des Vosges et sur notre délégation territoriale du 88, les effectifs actuels dédiés aux missions « Eau », de manière générale et non uniquement sur la partie évidemment eau embouteillée, sont compris entre 4 et 4,5 ETP, dont environ 0,6 ETP pour les eaux minérales naturelles. Dans les Vosges et plus spécifiquement sur les eaux minérales naturelles, l'ARS réalise chaque année en moyenne 190 prélèvements pour l'ensemble des installations de production de la société Nestlé. Ces prélèvements sont des prélèvements inopinés, sans information au préalable pour le minéralier. Ils sont établis sur la base d'un planning de l'ARS, avec la mobilisation d'un laboratoire de contrôle sanitaire, qui est agréé par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et qui réalise ces prélèvements à une fréquence quasi hebdomadaire. Ces prélèvements se font à peu près 3 à 4 fois par mois sur l'ensemble de la chaîne, que ce soit au niveau de la source, des captages, mais également tout au long du processus, et notamment sur le produit dit fini que sont les eaux embouteillées.

Je souhaite revenir sur quelques éléments importants, qui concernent la maîtrise du risque sanitaire et le dispositif mis en place à la fois au niveau de la réglementation européenne, au niveau national et surtout au niveau local. Pour garantir la sécurité sanitaire, il est essentiel de mettre en place une démarche de maîtrise et de gestion des risques à différents niveaux. Les eaux conditionnées, vous le savez, sont considérées comme des denrées alimentaires et s'appuient sur un cadre européen que l'on appelle le « Paquet hygiène ». Cinq règlements sont parus entre 2002 et 2017, dont l'essence même confie aux industriels et aux exploitants la charge de maîtriser les risques au sein de leur processus de production. Ces derniers doivent ainsi mettre en place une surveillance qui permet de maîtriser les risques. Il leur appartient d'identifier les points critiques de leurs installations, de mettre en place les contrôles nécessaires et, en cas d'événements engendrant un risque sanitaire, ils doivent disposer de plans de gestion et rapporter ces événements de manière immédiate aux agences, à l'ARS et, en l'occurrence pour Nestlé, à l'ARS Grand Est. Les contrôles des eaux conditionnées qui sont réalisés par l'ARS se font dans un cadre réglementaire qui est défini dans un arrêté du 22 octobre 2013, qui en précise les modalités. Nous avons bien deux dimensions : la surveillance et la maîtrise des risques.

Le dispositif de maîtrise et de gestion des risques relève d'une part, de la responsabilité de l'industriel, du minéralier et de l'exploitant, et d'autre part, du contrôle réalisé par l'ARS, notamment au travers des laboratoires agréés. Ces deux éléments constituent le dispositif de maîtrise et de gestion des risques.

En ce qui concerne la gestion des risques microbiologiques, les contrôles sont centrés sur l'analyse de bactéries indicatrices, que l'on pourrait qualifier de marqueurs ou de proxys, et non de tous les micro-organismes présents dans l'eau. Ces indicateurs permettent notamment de détecter les bactéries indicatrices de contamination fécale, qui peuvent signer potentiellement la présence de micro-organismes pathogènes, virus, bactéries pathogènes ou parasites. Nous suivons ces proxys avec ces bactéries indicatrices de contamination fécale, ainsi que des bactéries indicatrices du microbisme de l'eau, naturellement présentes dans les eaux. On appelle cela les germes revivifiables. Ces bactéries non pathogènes sont susceptibles de se développer tout au long du processus industriel, dans les conduites de transport, les traitements autorisés, du stockage à l'embouteillage. Ces règles de gestion du risque sanitaire, qui relèvent de la maîtrise du risque sanitaire biologique, font leur preuve au quotidien dans la surveillance des eaux potables et de loisirs. Les mêmes approches techniques et méthodologiques qui ont fait leurs preuves, notamment sur la partie eau potable et de loisirs, sont appliquées aux eaux conditionnées. Les contrôles réalisés par l'ARS viennent compléter la surveillance réalisée par l'exploitant. Comme je le disais, nous avons ces deux dimensions pour la maîtrise et la gestion des risques. Si je puis me permettre une analogie, avec toutes les limites qui s'imposent, c'est assez comparable à la stratégie et aux dispositifs de contrôle qui existent dans l'aviation civile, qui vérifient des points clés avant le décollage, ces proxys, ces marqueurs, sans vérifier l'entièreté de la structure. Nous sommes sur la même philosophie, le même principe, c'est de vérifier des éléments clés de la qualité de l'eau sans que l'on puisse accéder à l'entièreté du microbisme de l'eau, mais qui sont suffisamment importants. Ces marqueurs sont suffisamment sensibles pour permettre de détecter si nous avons une situation qui est potentiellement à risque ou pas.

Le principe classique d'analyse de risque et de gestion de risque repose sur plusieurs éléments : les barrières sanitaires que constituent la protection des ressources en amont, leur vulnérabilité intrinsèque, la connaissance de leur stabilité dans le temps, ainsi que la maîtrise du processus par l'exploitant. Le contrôle en continu automatisé des chaînes de production, les procédures de contrôle final du produit fini au niveau de l'exploitant et le contrôle analytique quotidien de l'exploitant et le contrôle sanitaire réglementaire sont autant d'éléments essentiels. À peu près 98 à 99 % des analyses qui sont réalisées dans le cadre du contrôle sanitaire des eaux conditionnées par l'ARS Grand Est sont conformes.

Ensuite, la gestion des situations à risque est toujours réalisée en première intention et selon la réglementation, en interaction avec l'exploitant qui met en oeuvre les mesures adaptées, le recontrôle, la traçabilité interne, la destruction des lots non libérés, les procédures de retrait ou les procédures de rappel. Les captages dans les Vosges exploitent des nappes captives sous argile. Certaines captent de l'eau très ancienne, d'il y a plusieurs milliers d'années, et sont artésiennes. Les avis d'hydrogéologues agréés caractérisent la protection des ressources et leur faible vulnérabilité. Dans ce contexte structurel, le risque d'une contamination microbiologique ne concerne pas le gisement aquifère, mais potentiellement certains ouvrages, du fait de leur exploitation dans le temps. Si la situation l'exige, l'ARS propose au préfet de prendre toutes mesures nécessaires pour protéger la santé des personnes ou d'interrompre l'exploitation, si l'exploitation ou l'usage de l'eau constitue un danger. Il est important aussi de souligner que si les techniciens et les ingénieurs sanitaires de l'ARS disposent de compétences techniques fines et précises, il est parfois nécessaire de recueillir des avis d'experts et de bénéficier d'appuis pour la gestion de situations exceptionnelles. C'est exactement ce qui a été réalisé pour le dossier qui fait l'objet de votre commission d'enquête, avec la mobilisation de l'Anses, qui a proposé aux autorités compétentes des mesures de nature à gérer le risque virologique sans que ces mesures, à ce jour, n'aient un caractère normatif ou réglementaire. Dans ce cadre, l'Anses a produit un avis, en octobre 2023, dans le but de sécuriser au mieux les risques microbiologiques et notamment virologiques.

Le protocole d'intervention distingue trois étapes. La première étape concerne la vérification de la qualité de l'eau par les analyses bactériologiques du contrôle réglementaire. La deuxième étape, en cas de non-conformité, consiste en la réalisation d'une analyse de bactériophages, qui sont des proxys de virus pathogènes. Enfin, dans une troisième étape, si ces proxys sont retrouvés, l'Anses recommande l'analyse de virus pathogènes en tant que telle, c'est-à-dire une analyse ciblée, comme l'hépatite A ou le norovirus par exemple. Ce protocole est évidemment suivi au sein de la région Grand Est. Cependant, dans le Grand Est, l'étape 2 n'a pas été mise en oeuvre dans les Vosges, car aucune non-conformité n'a été détectée à l'issue de l'étape 1. En effet, les ouvrages non conformes avaient été mis à l'arrêt avant la parution de l'avis de l'Anses.

La deuxième partie de mes propos s'attache à préciser les principales caractéristiques des eaux minérales embouteillées dans les Vosges et les principales actions menées par l'ARS dès lors que la situation a été portée à notre connaissance. Je voulais indiquer la particularité du site vosgien et notamment de la société Nestlé Waters, qui conditionne quatre marques d'eau minérale exploitées dans trois nappes différentes.

M. Laurent Burgoa, président. - Excusez-moi de vous interrompre, mais j'essaie de maîtriser le temps et je vous demanderai de conclure votre propos. Nous entendons ensuite la préfète des Vosges !

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Nous avons, en effet, plusieurs sources, plusieurs forages à la fois pour Hépar, Contrex et Vittel.

Sur les temps forts de l'action de l'ARS, je ne reviendrai pas plus précisément, puisque Virginie Cayré a indiqué l'ensemble des éléments qui ont été mobilisés.

De janvier 2022 à mars 2024, de nombreuses actions, notamment dans les suites de l'inspection, ont été réalisées par les équipes de l'ARS en poursuivant et en mettant à jour l'ensemble des éléments en fonction des données qui étaient à leur connaissance et à date. C'est un point important.

Pour conclure, dès la connaissance par l'ARS Grand Est de la fraude par Nestlé Waters, l'ARS a agi de manière diligente sur le retrait des traitements interdits et on pourra y revenir de manière plus spécifique. L'ARS Grand Est a saisi la justice, et a mobilisé les mesures de maîtrise des risques, au fur et à mesure, en fonction des connaissances à date.

La fraude n'aurait probablement pas été découverte si Nestlé n'avait pas indiqué ces manquements. Cela doit évidemment nous interroger de manière collective sur les méthodes et sur nos modalités de contrôle. Lorsqu'il y a une intentionnalité de fraude et eu égard à la sophistication de l'intentionnalité, il est évidemment très difficile de pouvoir la contrecarrer.

Pour autant, il y a la nécessité de pouvoir s'interroger collectivement et avec l'ensemble des ARS et aussi des autres services de l'État, sur la capacité et notre acuité pour mettre en place des inspections. Sur le sujet des microfiltrations de manière générale, il est nécessaire d'avoir une réglementation qui soit probablement plus précise et qui laisse moins de place à l'interprétation. C'est important pour avoir une assise et des décisions à la fois au niveau national, mais aussi au niveau européen, plus homogènes.

De manière générale, y compris sur les programmes d'inspection, nous devons ensemble, au niveau national, optimiser nos modalités d'inspection, notamment en matière de caractère inopiné, pour nous adapter à la situation.

Je terminerai en évoquant le défi que représente le changement climatique. Ce défi nécessite une adaptation permanente, quel que soit le niveau et l'endroit sur la chaîne de production.

M. Laurent Burgoa, président. - Je laisse immédiatement la parole à notre rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vais essayer d'être le plus concis possible. Nous avons constaté un signalement effectué au titre de l'article 40 du Code de procédure pénale, au procureur de la République d'Épinal. L'audition précédente nous a donné des éclaircissements sur le contrôle sanitaire et la mise à l'arrêt d'un certain nombre de forages.

Vous ajoutez un élément. Vous dites que le sujet n'était pas forcément la pureté originelle de l'eau, mais les ouvrages. Vous évoquez sans doute des ouvrages vieillissants, qui étaient la cause des difficultés rencontrées et du fait que Nestlé avait utilisé des traitements illégaux. Est-ce que sur ce point-là, vous confirmez que, pour vous, ce n'est pas l'eau elle-même qui est en cause dans les Vosges, mais les installations de Nestlé ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Oui, je confirme. En effet, nous ne sommes pas sur la ressource en tant que telle, mais sur les ouvrages. Ce n'est pas nécessairement une question d'ancienneté ou de vétusté. Nous avons une pureté originelle pour les sources dans les Vosges, mais, avec parfois des conduites qui font plusieurs kilomètres. De ce fait, la notion d'ouvrage peut engendrer un certain nombre de situations et un certain nombre de risques. Mais nous ne sommes pas sur la ressource originelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le cas des Vosges est différent de celui de l'Occitanie. Finalement, ces filtres sont là pour pouvoir différer les investissements de refondre l'usine et les sites industriels. C'est une sorte de rustine.

Partagez-vous l'analyse qui consiste à dire que ce sont des rustines sur des installations vieillissantes qui permettent de s'assurer, en bout de course, que l'eau ne se dégrade pas dans le processus de production ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Je ne reprendrai probablement pas le terme de « rustine » sur les installations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous d'accord avec l'idée ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Nous avons une pureté de l'eau à la base, que les ouvrages peuvent impacter au fur et à mesure, ce qui entraîne la mise en place de traitements. Ces traitements de désinfection sont très clairement interdits. Ils visent à garantir une stabilité et une pureté ultérieures. Si nous revenons sur le sujet des microfiltres, leur rôle est de garantir la stabilité tout au long du circuit de l'eau, de la source jusqu'au conditionnement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous nous préciser, soit par oral soit par écrit, quels sont les forages que vous avez arrêtés pour l'ensemble des minéraliers de votre secteur ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Nous vous transmettrons de manière extrêmement précise les forages, les arrêts, les dates et les traitements qui existent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci. J'ai une question sur la microfiltration et plus précisément sur les filtres à 0,2 micron. Il y a un point que je ne m'explique pas. Il est évoqué une réglementation qui serait équivoque. Cependant, selon votre prédécesseur, il est établi que dans les Vosges, et sur un certain nombre de forages, ces filtres ont un pouvoir désinfectant. C'est même pour cela qu'ils sont mis en oeuvre.

Or, le sujet est de ne pas avoir des instruments qui ont un pouvoir désinfectant. Ainsi, du point de vue de la réglementation européenne, il est établi pour moi qu'à partir du moment où on utilise ces filtres, ceux-ci font partie des outils interdits. C'est cela qui me gêne un peu dans cette démarche concernant le sanitaire.

Sur la réglementation, il me semble qu'on est à côté de la question, car on sait que ces filtres à 0,2 micron ont un pouvoir désinfectant. Vous l'avez expérimenté sur le terrain ! Vous le savez. Qu'est-ce que vous pouvez me dire là-dessus ? Ce n'est pas de l'eau minérale naturelle qu'on produit, mais une autre boisson qui ne correspond pas au respect des normes réglementaires !

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Si les microfiltres ont une activité désinfectante, c'est en effet interdit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi « si » ? Vous avez prouvé, à travers des études avant-après menées chez vous, que les microfiltres à 0,2 micron ont un pouvoir désinfectant. C'est démontré.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - C'est la raison pour laquelle la demande déposée est en cours. L'instruction n'est pas encore terminée. Par conséquent, la décision sur le 0,2 micron n'est pas forcément positive.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes bien d'accord avec moi qu'aujourd'hui, dans ces usines, et ce depuis le retrait des traitements interdits, des filtres à 0,2 micron ont été installés. De toute évidence, ces filtres sont non conformes à la réglementation, puisque vous avez vous-même démontré leur pouvoir désinfectant.

Depuis leur retrait, d'autres instruments ont été installés, qui sont, eux-mêmes, interdits du point de vue de la réglementation des eaux minérales. Vous comprenez mon raisonnement ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Sur le sujet du 0,2 micron, cela ne concerne pas l'ensemble des marques. Nous sommes uniquement sur Hépar et sur un forage, puisque les autres forages ont été arrêtés, car ils étaient contaminés. Il n'y a pas de filtres à 0,2 micron concernant Vittel et Contrex.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous me dire à combien sont les filtres sur Vittel et Contrex ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Sur Vittel, il y a des filtres à 0,45 micron. Dans les Vosges, il y a une situation où il y a un filtre à 0,2 micron. La discussion, qui fait l'objet d'un débat approfondi, concerne le caractère désinfectant du filtre à 0,2 micron. Des échanges sont toujours en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne comprends pas pourquoi il s'agit d'une discussion alors que vous-même, vous avez démontré, dans des analyses avant-après, que cela avait un pouvoir désinfectant ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Sur le 0,2 micron, l'avis que je rendrai n'est pas encore pris.

Cela ne concerne qu'une seule situation dans les Vosges, c'est important.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a pas que les Vosges pour nous. Je vous remercie. Nous avons toute la France hexagonale et aussi l'outre-mer.

Concernant les filtres à 0,45 micron, avez-vous mené des études avant-après qui, de la même manière, vous montrent s'ils ont un pouvoir désinfectant ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Les filtres à 0,45 micron ont engendré des résultats parfois inverses avant et après leur utilisation. En effet, nous pouvions avoir plus de particules après l'utilisation du filtre qu'avant. Nous ne sommes pas sur une caractéristique de désinfection sur les filtres à 0,45 micron.

De manière générale, le seuil de coupure à 0,45 micron n'est pas considéré comme ayant un pouvoir de désinfection dans la littérature scientifique. Comme vous le savez, en Espagne et en Belgique, le seuil de coupure à 0,45 micron est utilisé en termes de microfiltration.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'est plus de l'eau minérale pure ? C'est de l'eau naturelle. N'est-ce pas une tromperie ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Les captages sont conformes. Quand on est sur une eau minérale naturelle, nous n'avons pas zéro substance ni zéro entité.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'est pas en rapport avec les substances, mais plutôt avec le fait que l'eau peut être un peu dénaturée. Elle n'est donc plus naturelle par rapport à la filtration.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Cela bouge tout le long du processus. C'est pour cela qu'en termes de contrôle et en termes de réglementation, nous avons des exigences de conformité. Nous vérifions, à chaque étape, la conformité, y compris lorsque l'on a un filtre à 0,45 micron, qui n'est pas considéré comme ayant un pouvoir de désinfection. Nous contrôlons la conformité, notamment au niveau des captages, mais aussi au niveau des bouteilles conditionnées, qui répond bien, selon la réglementation actuelle, aux normes d'eau minérale naturelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour prolonger cette réflexion, si ces filtres à 0,45 micron n'ont pas de pouvoir désinfectant, à quoi servent-ils ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Leur mise en place tend à garantir la stabilité tout au long du processus, sans avoir de capacité de désinfection.

Eu égard à l'ensemble des entités qui peuvent exister, les choses bougent. C'est un milieu vivant. Ce n'est pas un milieu inerte.

M. Laurent Caffet. - La question de la désinfection est, en réalité, une question d'infection initiale. Dès l'instant où l'eau n'est pas contaminée par des bactéries non conformes ou qui révèlent une non-conformité au niveau des captages, nous ne sommes pas dans un dispositif de désinfection. Nous n'enlevons pas des bactéries qui n'auraient pas dû s'y trouver.

En revanche, l'eau est une matrice biologique vivante. Les bactéries s'y développent, y compris dans les captages, dans les crépines, le long des canalisations, dans les zones de stockage, sur les sites où nous avons des filtres autorisés du type déferrisation, par exemple. Tout cela est vivant et, en fait, la bactériologie augmente également dans les bouteilles lorsqu'elles sont soutirées. Il y a une variation, en fait. Parler du microbisme originel dans un dispositif comme celui-ci est un peu compliqué, car nous savons qu'il y a une évolution du microbisme, en tout cas des bactéries qui sont des bactéries environnementales naturelles. Ce n'est donc pas vers cela que nous axons l'action de désinfection. Évidemment, les industriels ont à gérer cela. Trop de bactéries environnementales qui se développent le long du processus ne sont pas souhaitables. Et aujourd'hui, les filtres qui sont utilisés ont pour vocation, finalement, de piloter le dispositif.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, donc, c'est un outil de maîtrise du risque sur le processus de production.

M. Laurent Caffet. - La maîtrise du processus est très complexe, notamment sur des dizaines de kilomètres de canalisation. Le microbiome naturel de l'eau évolue, et il devient nécessaire, à un moment donné, de le réguler. Ce n'est pas à nous de porter un jugement sur le bien-fondé de cette régulation. Il s'agit d'une réalité. Lorsque l'on évoque la qualité originelle, il est impossible de la maintenir dès lors que les installations sont trop complexes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur le 0,2 micron, j'ai juste une question. Il semblerait que le 29 mars 2024, la demande de Nestlé ne soit pas seulement pour Hépar, mais qu'elle concernait également Contrex et Vittel.

M. Laurent Caffet. - En 2024, l'ensemble des captages considérés comme sensibles ou vieillissants ont été mis à l'arrêt. Ainsi, les mélangeurs qui fonctionnent aujourd'hui le font avec des eaux protégées et de bonne qualité.

Cependant, il y a bien une demande qui a été proposée par l'industriel de généraliser, y compris sur les captages Vittel et Contrex, la mise en place de filtres à 0,2 micron. Nous avons saisi l'Anses pour savoir si cette notion de pilotage était valable ou non sur un plan réglementaire, puisque nous ne sommes pas dans le cadre de la désinfection de bactéries dangereuses et non conformes.

La question est posée : est-ce que cette notion de pilotage est valable ou non ? À quel niveau ? Est-ce que c'est du 0,45 micron ? Est-ce que c'est du 0,2 micron ? C'est là que réside la difficulté d'interprétation. Nous considérons que l'eau est bonne dès le départ, donc elle le reste tout au long de la chaîne, parce qu'elle reste avec des bactéries que nous analysons et qui sont conformes. Mais le microbisme évolue, qu'est-ce que l'on en fait ? Est-ce qu'il est traitable, traité ? Dans quelles conditions ? Voilà, en fait, les questions qui se posent aujourd'hui sur la mise en place de ces filtres à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez eu un échange avec la DGS. Je ne sais pas si l'on peut parler d'une instruction, mais en tout cas d'une clarification. Pouvez-vous nous dire en quoi consistait la réponse de la DGS ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - L'instruction est en cours et l'objectif est de parvenir à une position harmonisée, compte tenu de l'interprétation possible de la réglementation. Nous souhaitons une position harmonisée sur l'utilisation des microfiltres et de leur seuil de coupure en deçà de 0,8 micron, notamment sur les seuils de 0,45 et 0,2 micron. À ce stade, les éléments dont nous disposons nous amènent à nous orienter plutôt vers la possibilité d'utilisation de filtres à 0,45 micron, sans considérer cela comme une désinfection ou comme ayant un impact sur le microbiome, ce qui n'est pas le cas pour le seuil de 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu une réponse ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Nous avons eu des éléments et des échanges avec la DGS. L'instruction est en cours.

Mme Antoinette Guhl. - Je vous remercie pour toutes ces informations. J'ai une question. Il vous appartient, si je ne m'abuse, de contrôler la conformité de ce qui est fait avec les arrêtés préfectoraux ?

Or, à ma connaissance, mes données datant du mois de septembre, il n'y a pas d'arrêté préfectoral à 0,2 micron. Cela signifie donc que Nestlé est dans une forme d'illégalité depuis un certain temps déjà.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - En effet, l'arrêté sur l'utilisation du 0,2 micron n'est pas pris. Le dépôt des dossiers n'a été complet qu'à partir de décembre 2024, puisqu'il y a évidemment un nombre de données nécessaires qui doivent être fournies par l'industriel pour la demande. Elle est en cours d'instruction.

Mme Antoinette Guhl. - Je m'étonne du temps que cela prend, car il y a eu une convention d'intérêt public. Vous nous dites que c'est encore en cours d'instruction alors que nous sommes en janvier 2025. Or, c'est connu des pouvoirs publics depuis 2021. Cela a même été tranché en 2024 et nous n'avons toujours pas régularisé la situation. Je trouve cela vraiment très choquant.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - La connaissance par l'ARS Grand Est de la situation ne date pas de 2021. Nous avons été évidemment informés beaucoup plus tardivement. De ce fait, il est difficile de pouvoir avoir un avis sur une situation non connue.

En outre, le dossier final indispensable pour l'instruction a été déposé par Nestlé le 9 décembre 2024 auprès de l'ARS Grand Est, ce qui nous permet de donner un avis sur l'utilisation de ces micro-filtres à 0,2 micron. Or, il fallait avoir l'ensemble des données pour prendre un avis éclairé.

M. Laurent Burgoa, président. - Pouvez-vous nous indiquer, Madame la directrice, si, à votre connaissance, il y a des volumes d'eau qui ont été vendus sous l'étiquette d'eau minérale naturelle, alors qu'ils ne devaient pas l'être ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Je ne suis pas en capacité de vous l'indiquer. Nous vous transmettrons l'information par écrit à l'issue de cette réunion.

M. Hervé Gillé. - Je souhaite poser deux questions. Tout d'abord, nous avons appris lors de l'audition précédente que les traitements qui avaient été mis en oeuvre de manière illégale étaient localisés dans une armoire électrique ! Qu'est-ce qui vous empêche aujourd'hui d'avoir la même situation ?

La deuxième question concerne la confusion, à mon sens, qui existe entre le microbisme et ce que j'appelle le spectre minéral qui caractérise une eau minérale. Autant sur le microbisme, on s'intéresse au plan sanitaire, autant sur le spectre minéral qui caractérise une eau minérale, vous n'avez exprimé aucun avis particulier sur son respect. Le respect du spectre minéral, si on met en oeuvre une microfiltration, est, selon moi, forcément touché. À partir du moment où il est touché, on a un non-respect de la minéralité de l'eau telle qu'elle a été définie. Selon une définition globale, la distinction d'une eau minérale et d'une eau de source, c'est la stabilité de sa composition en minéraux, ce qui lui confère des effets bénéfiques pour la santé. Comment pouvez-vous dire qu'une microfiltration à 0,45 micron permet le respect du spectre minéral ? Pour ma part, j'ai des doutes. Et donc, à ce stade, on peut considérer que pour une microfiltration à 0,2 micron, il n'y a pas de respect du spectre minéral. S'il n'y a pas de respect ou un doute flagrant de respect, on ne peut pas vendre cette eau-là comme une eau minérale initiale puisque son spectre n'est plus respecté. Il y a forcément une déstabilisation du spectre. Vous êtes bien chargé aussi de ces contrôles ? Quels sont les éléments que vous pouvez produire pour vérifier que le spectre de la minéralité est bien respecté ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Je vous propose que nous soyons à deux voix pour répondre, notamment sur la question du spectre minéral. Au regard de la technicité de la question, je souhaite faire appel à l'expertise de mes collaborateurs.

Sur la première question, qui concerne les mesures permettant d'éviter que de tels événements ne se reproduisent, je veux apporter une réponse humble. Comme je l'ai mentionné dans mes propos liminaires, même avec des contrôles renforcés, il est extrêmement difficile d'empêcher toute fraude si l'intentionnalité est très forte. Je suis très honnête et très humble sur ce point, car j'ai pu le constater dans mes fonctions précédentes, notamment dans le domaine du médicament et des dispositifs médicaux. Lorsqu'il y a une intentionnalité de fraude, c'est extrêmement complexe.

Cependant, il est important de souligner l'importance des contrôles et de la transparence. Avec la transparence des résultats et les contrôles mobilisés, cela peut exercer une pression importante sur les industriels et les opérateurs. J'espère que cette dynamique sera vertueuse. Avec des contrôles renforcés et une vigilance accrue de la part de mes équipes et des autres services de l'État, dans la limite de nos ressources, je pense qu'il serait illusoire et probablement inadéquat de prétendre que de tels événements ne pourraient jamais se reproduire.

M. Laurent Caffet. - Sur l'aspect minéral, c'est un sujet parfaitement maîtrisé. La minéralisation de l'eau est une question d'ordre chimique. Les filtres mis en place sont destinés à résoudre des problèmes d'ordre microbiologique, ce qui n'a aucun rapport. La taille des filtres n'a aucun effet sur la partie chimique de l'eau. Pour avoir un effet sur la chimie, il faudrait un traitement de type osmose inverse, ce qui n'est pas le cas. Tous les ions présents dans les eaux sont parfaitement conservés après la filtration à 0,2 micron. Il faudrait descendre beaucoup plus bas pour avoir un effet sur la qualité.

Nous travaillons également à réaliser des analyses pour mesurer la stabilité de nos eaux dans le temps, car c'est une condition de la classification « eau minérale ». Il faut que les eaux soient stables, quelle que soit la problématique, qu'elle soit d'origine climatique ou non. Il faut que les eaux soient parfaitement stables et cette stabilité est parfaitement mesurée aujourd'hui. Nous avons clairement toutes les analyses qui permettent de le démontrer.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je voulais revenir sur vos propos concernant la nappe, qui est une nappe captive sous argile et qui, apparemment, est très bien protégée. Ainsi, le risque, selon vos dires, ne concerne pas le gisement, mais bien les réseaux.

Pour résoudre les problèmes rencontrés par Nestlé, des filtres avec un diamètre de plus en plus petit ont été mis en place. Comme l'a souligné le rapporteur, il s'agit en fait de rustines.

Avez-vous déjà abordé avec Nestlé Waters la possibilité de changer les réseaux pour résoudre le problème de manière pérenne ? Puisque cela dure depuis 2021, il s'agit peut-être d'une solution qui aurait pu être mise en place. Est-elle trop coûteuse ? Quelle est la raison pour laquelle on n'a pas traité le problème à la source ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Dans le cadre des demandes et des suites d'inspection, il y a également le sujet du plan de remédiation, qui vise à adapter les installations, notamment en réduisant la longueur et la taille des conduites.

Ces éléments sont actuellement en cours de mise en oeuvre par Nestlé sur un calendrier de plusieurs années, probablement aux alentours de deux ans. Ainsi, il existe une dynamique visant à réduire les facteurs de risque qui peuvent impacter la qualité et la stabilité des ouvrages.

Mme Marie-Lise Housseau. - Pourquoi ne vont-ils pas plus vite puisque le scandale qui les éclabousse risque de leur faire perdre énormément d'argent ? Si c'était facile à corriger, ils l'auraient peut-être déjà fait. Je me dis qu'il y a peut-être aussi une raison qui les en empêche.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Je ne me prononcerai pas à la place Nestlé, sachant que vous les auditionnerez probablement. Cette question leur est destinée.

En tout cas, l'ARS demande la plus grande célérité. Ce calendrier, a priori sous deux ans, permettra d'avoir effectivement des éléments de résolution.

Je n'ai pas d'éléments plus précis. En tout cas, ils mettent en évidence la nécessité d'une mobilisation la plus rapide possible de ce plan de remédiation.

Mme Marie-Lise Housseau. - J'ai eu l'occasion de discuter avec un autre industriel de l'eau qui me disait que le dialogue avec l'ARS était essentiel pour lui. Selon lui, l'ARS, qui disposait de moyens dont lui-même ne disposait pas, le conseillait. C'était vraiment une stratégie élaborée en commun. Or, dans ce cas, ce n'est pas l'impression que cela nous donne.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Nous ne sommes pas dans le conseil, mais en tant qu'agence, nous accompagnons. Cela est un point important. À chaque fois qu'il y a un dossier qui est déposé, il y a cette dimension d'accompagnement et d'orientation sur ce qui doit être mobilisé.

L'examen de la situation avec d'autres minéraliers, notamment en Alsace, révèle des situations et des ouvrages très différents. Je prends l'exemple de Carola dans lequel nous avons des conduites qui sont de l'ordre de dizaines de mètres, alors qu'avec Nestlé, nous avons des conduites qui sont de l'ordre de plusieurs kilomètres. Nous sommes donc dans des situations très différentes, en termes de mesures nécessaires et en termes de plans de remédiation, les choses sont différentes.

Il faut s'adapter en fonction de chaque situation et de chaque ouvrage. Mais il y a, de la part de Nestlé, à la demande de l'ARS, cette dynamique de trouver des mesures pérennes qui permettent de répondre à l'objectif de stabilité de l'eau minérale naturelle en termes de bouteilles conditionnées.

M. Olivier Jacquin. - J'ai deux questions dont une très précise qui est complémentaire à celle de mon collègue Hervé Gillé. J'ai noté la faiblesse de l'effectif dévolu au contrôle. Vous avez parlé de 0,6 ETP sur Nestlé. Est-ce que, depuis que la fraude a été avérée chez Nestlé, une expertise indépendante a pu être effectuée de l'intégralité du processus industriel de Nestlé ?

Ma deuxième question est plus générale. Du point de vue de vos responsabilités importantes en matière sanitaire, quelles préconisations feriez-vous pour mieux protéger les impluviums, tant chez les minéraliers que pour l'eau potable en général ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Sur le sujet des effectifs, nous avons un certain nombre de collaboratrices et collaborateurs. L'objectif est de capitaliser l'ensemble des ressources, entre les inspections et les ARS. Nous visons également un renforcement possible avec des laboratoires d'études. Nous disposons de laboratoires agréés, mais aussi de laboratoires d'études pour renforcer la pertinence et la performance des contrôles réalisés.

C'est un enseignement fort du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), de l'audit de la Commission européenne, de la mission d'information relative aux politiques publiques en matière de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de source de Mme Guhl et de votre commission d'enquête. Il est clair que nous devons capitaliser et renforcer notre action, notamment en mobilisant des laboratoires d'études sur des points très précis. Il faut être réaliste : nous avons une expertise, mais il est nécessaire de faire appel à des expertises extrêmement pointues. Il faut engager cette dynamique pour être plus performant, compte tenu des ressources dont nous disposons. Nous devons donc faire un effort de performance et de collaboration avec les structures existantes, notamment les laboratoires d'études.

M. Olivier Jacquin. - Y a-t-il eu une expertise indépendante du processus industriel intégral de Nestlé ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - L'expertise est effectuée à la fois avec l'ARS et les laboratoires agréés.

M. Olivier Jacquin. - Je me permets de reposer la question. Depuis que la fraude a été avérée par Nestlé en 2022, a-t-il été réalisé une expertise indépendante de l'intégralité du processus industriel de Nestlé ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Sur un audit complet, non, très clairement.

M. Laurent Burgoa, président. - Il est important que tout le monde puisse vous entendre de manière très claire.

M. Laurent Caffet. - Sur la question concernant la protection de l'impluvium, actuellement, l'impluvium est protégé en partie par une déclaration d'intérêt public et non par une déclaration d'utilité publique. Il s'agit de deux notions distinctes. L'utilité publique s'adresse aux collectivités, tandis que nous sommes ici face à une problématique qui est complètement privée.

Il y a deux aspects à considérer. Le premier concerne les actions menées directement par l'industriel au travers du dispositif Agrivair qui a été évoqué. L'industriel essaie de maîtriser au mieux le foncier, ce qui est difficile en zone urbaine, bien entendu.

Le deuxième aspect relève de la DIP : chaque fois qu'il y a des travaux sur la zone, l'ARS est systématiquement sollicitée pour avis. En fonction de l'importance des travaux qui sont menés, un hydrogéologue agréé est sollicité à chaque fois pour donner un avis sur le risque potentiel que peuvent produire les travaux qui sont réalisés sur la zone.

M. Daniel Gremillet. - Ma première question s'explique par le fait que tout le monde n'est peut-être pas familier avec le site. On a beaucoup parlé de kilomètres. Pouvez-vous nous indiquer la distance exacte des canalisations qui desservent l'ensemble des deux sites ?

Vous avez mentionné 190 prélèvements inopinés de contrôles. Avez-vous une idée du nombre de contrôles effectués avant que la réglementation européenne ne change en ce qui concerne la responsabilité de la mise sur le marché ? Auparavant, c'était systématiquement les pouvoirs publics qui avaient la responsabilité de la mise sur le marché. Aujourd'hui, c'est celui qui met sur le marché qui a déjà une première responsabilité.

Avez-vous connaissance du nombre d'analyses d'autocontrôle réalisées par le groupe Nestlé en parallèle avec vos 190 prélèvements ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - La distance maximale est de 14 kilomètres, en termes de conduite.

Concernant les prélèvements liés au changement de réglementation, je ne suis pas en mesure de vous communiquer ces informations maintenant. Par contre, nous vous les transmettrons par écrit ultérieurement.

S'agissant de la fréquence des autocontrôles et de l'autosurveillance mise en place par l'industriel, il y en a plusieurs par jour.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai deux petites questions complémentaires. Concernant la microfiltration, nous avons l'impression qu'il y a eu un revirement en février 2023, où la microfiltration sous 0,8 micron a été validée ainsi que le plan de transformation de Nestlé. Est-ce qu'à ce moment-là, vous avez reçu des instructions, des courriels, des échanges qui vous disaient d'aller dans le sens de l'acceptation, puisque j'imagine que lorsqu'il y a une concertation interministérielle dématérialisée, au moins vous en êtes informé, sinon elle n'a pas de sens ? Par quel canal est-ce que vous avez été informé de la conclusion de cette concertation interministérielle ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - L'information a été transmise par le niveau national auprès des ARS concernées, notamment l'ARS du Grand Est. Je n'ai pas connaissance d'éléments nous demandant explicitement d'accepter le projet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment cette information vous a été communiquée ?

M. Laurent Burgoa, président. - Par quel moyen ? Par courrier électronique, ou par circulaire ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Je ne sais plus. Probablement par courrier électronique. Je vous le repréciserai. Nous avons l'information, en général, par messagerie électronique. Nous vous transmettrons les modalités précises.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets une dernière question, car vous avez ouvert cette discussion en disant que vous étiez également là en tant que citoyenne.

En tant que citoyenne et en tant que directrice générale de l'ARS, vous savez que la microfiltration à 0,2 micron n'est pas conforme à la réglementation européenne. Vous le savez depuis longtemps, puisqu'il a été caractérisé que, sur un certain nombre de forages, elle modifiait le microbisme de l'eau.

Qu'est-ce que vous pensez du fait qu'aujourd'hui, cette eau est toujours commercialisée comme de l'eau minérale naturelle, alors qu'elle ne l'est pas vis-à-vis des consommateurs français qui consomment de l'Hépar ?

Quel est votre regard sur ce sujet ? Est-ce que vous trouvez cela normal ? Et est-ce que vous pensez que la bonne solution n'aurait pas été soit le déclassement en eau de boisson, soit l'arrêt de la production, jusqu'à ce que la situation soit rétablie sur ce site ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Je suis attachée à la transparence, en tant que citoyenne et en tant que directrice générale. Il est donc important que les éléments soient connus et qu'une décision soit ensuite prise sur la non-conformité du 0,2 micron. La réglementation à ce stade est imprécise, peut-être interprétative, et c'est bien le sens de ce qui a été mobilisé et de la demande auprès de la DGS d'avoir une instruction globale qui permette de disposer d'un avis unanime et d'aller, pour moi en tout cas, jusqu'à l'arrêt des filtres à 0,2 micron.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame la Directrice générale, je vous remercie beaucoup ainsi que vos collaborateurs, pour le temps que vous avez passé avec nous, car cela aura permis d'éclairer notre commission d'enquête, tant pour le rapporteur que pour l'ensemble des membres.

Audition de Mme Valérie Michel-Moreaux, préfète des Vosges
(Mercredi 5 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Bonjour à tous. Nous poursuivons nos auditions avec celle de Madame Valérie Michel-Moreaux, préfète des Vosges depuis 2022.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Monsieur le directeur départemental des territoires de la mer (DDTM), qui nous a rejoint et pourrait compéter vos propos, est également invité à prêter serment.

Mme Valérie Michel-Moreaux et le directeur de la DDTM prêtent serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, vise à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à nous éclairer sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Quel a été le rôle de la préfecture sous votre autorité, mais aussi sous celle de votre prédécesseur ? Quelles ont été, et sont aujourd'hui, vos interactions avec les autres services de l'État concernés au niveau central, avec les cabinets ministériels de l'économie, de l'industrie ou de la santé, avec la Direction générale de la santé ou la Direction générale de la consommation de la concurrence et de la répression des fraudes, et au niveau local, avec l'ARS ? Quelle est la situation actuelle sur le site Nestlé en termes de risques sanitaires de prélèvement des eaux et de pollution, notamment par les plastiques ?

Plus globalement, comment le préfet a-t-il exercé son rôle de contrôle des eaux embouteillées sur le site ? Quelle leçon tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Mme Valérie Michel-Moreaux, préfète des Vosges. - Bonjour à tous. J'ai été nommée préfète des Vosges en octobre 2022. À ce titre, j'ai la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois, conformément à l'article 72 de la Constitution. J'ai pour mission d'assurer la cohérence de l'action de l'État, y compris le maintien de l'ordre public, en coordonnant divers services et opérateurs. Je peux ici citer la Direction des territoires pour la police de l'eau, la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour le suivi des industries, la Direction de l'emploi, travail, solidarité et protection des populations (DDETSPP) pour la vigilance sanitaire, l'Agence Régionale de Santé (ARS) pour l'eau embouteillée, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pour les forages, ainsi que l'Agence de l'eau Rhin-Meuse pour le financement et la mise en oeuvre de la politique de l'eau et de sa protection.

La loi sur l'eau de 1992 a profondément modifié l'organisation administrative et la vision du sujet. Elle a placé le code de l'environnement au centre de la gestion des ressources en eau, englobant les forages et les prélèvements, remplaçant les codes minier et de la santé. La gestion équilibrée des ressources en eaux trouvait ici plusieurs enjeux à sa mise en oeuvre : une bonne identification des masses d'eau et des rivières, leur bonne évolution, les forages, et les prélèvements. Ces deux derniers éléments, qui étaient davantage identifiés par acteurs au sein des différentes administrations, font désormais l'objet d'un ciblage de ressources et de bien commun. Ils sont dorénavant soumis à des autorisations strictes, notamment pour les volumes supérieurs à 200 000 mpar an, nécessitant des autorisations environnementales spécifiques.

Les instances de gouvernance intervenues, notamment la Commission locale de l'eau, jouent un rôle essentiel dans la gestion de la ressource hydrique à l'échelle infra-départementale vosgienne. Parmi ces instances, les missions interservices (MISEN) apportent une vision transversale et un regard renouvelé sur cette ressource. Elles réunissent les acteurs impliqués dans la gestion et le contrôle de l'eau, ainsi que les parties prenantes associées, telles que les associations et la fédération de pêche, dans une démarche ouverte et concertée.

S'agissant des nappes souterraines du département, le BRGM a modélisé les gîtes A, B et C - ce dernier correspond à la nappe CTI - afin d'évaluer l'évolution de la ressource et d'identifier les déséquilibres éventuels. Les conclusions de cette étude montrent que les prélèvements opérés sur les gîtes A et B - par l'ensemble des acteurs concernés, y compris les industriels - ne compromettent pas leur recharge. En revanche, le gîte C présente un déséquilibre avéré dans sa zone sud-ouest, au niveau de la faille de Vittel, depuis 2010.

Ce constat a conduit la Commission locale de l'eau à intégrer cette problématique dans l'élaboration du Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE), finalisé en 2023. Selon les études, un prélèvement annuel supérieur à 2,1 millions de m génère un épuisement progressif de la ressource. Or, en 2010, les prélèvements cumulés d'eau potable et usages industriels atteignaient 3,3 millions de m, nécessitant une action corrective. Grâce aux mesures mises en oeuvre - réduction des consommations, amélioration des réseaux et financements dédiés -, ces prélèvements ont diminué à 2,8 millions de m en 2017, puis à 2 millions en 2023, atteignant ainsi le seuil de retournement prévu dans la stratégie du SAGE pour 2024. Cette trajectoire doit néanmoins se poursuivre afin d'assurer la pérennité de la ressource.

Enfin, plusieurs institutions assurent un suivi rigoureux de la gestion de l'eau : la DDT pour le contrôle des masses d'eau, l'OFB pour le suivi des étiages et la connaissance des milieux, l'ADRIAL pour l'impact industriel, notamment en matière de rejets, et l'ARS pour la surveillance sanitaire de l'eau distribuée et embouteillée. L'ensemble de ces acteurs concourt à la préservation et à la gestion durable de cette ressource essentielle.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci. Je laisse le rapporteur vous poser des questions pour que vous complétiez votre propos.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué la question des volumes et des masses d'eau dans les ressources. Nous pourrons revenir ultérieurement sur la question des forages interdits. Pour objectiver précisément les prélèvements d'eau, il est indispensable que ceux-ci ne soient pas en activité. Dans le cas contraire, l'analyse devient nécessairement plus complexe.

Dans un premier temps, à quelle date les services de la préfecture ont-ils eu connaissance de traitements non autorisés appliqués aux eaux commercialisées sous la marque Vittel Grande Source, Hépar et Contrex ?

Mme Valérie Michel-Moreaux, préfète des Vosges. - L'information a été portée à la connaissance de l'autorité préfectorale en 2022, dans le cadre d'échanges avec l'Agence régionale de santé (ARS), qui a procédé aux constatations. Un travail approfondi a ensuite été engagé, en lien notamment avec le procureur, afin de finaliser l'application de l'article 40 et de traiter cette problématique dans les règles établies.

M. Laurent Burgoa, président. - La préfecture a-t-elle reçu cette information avant ou après votre nomination ?

Mme Valérie Michel-Moreaux, préfète des Vosges. - L'article 40 était déjà déposé à mon arrivée, le 24 octobre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous tenu des échanges avec votre prédécesseur afin de comprendre pourquoi la préfecture n'avait pas engagé plus tôt une procédure au titre de l'article 40 dans les Vosges ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Des échanges téléphoniques ont eu lieu. Ce dossier était particulièrement sensible. L'article 40 a bien été déposé, mais j'ai compris que la situation était plus complexe qu'il n'y paraissait. Il ne s'agissait pas d'un constat simple pouvant immédiatement donner lieu à l'application de l'article 40. L'affaire présentait des enjeux juridiques spécifiques et a nécessité un travail approfondi, en concertation avec le procureur, afin que la saisine soit rédigée de manière optimale et que cela permette d'engager les suites judiciaires nécessaires, tout en garantissant une parfaite compréhension du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce stade, nous évoquons des traitements illégaux démantelés. Quels étaient précisément les éléments rendant la situation plus difficile à qualifier juridiquement ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Certains éléments ont été identifiés lors de l'inspection menée par l'ARS. Toutefois, l'évaluation de leur impact et leur qualification juridique, menant à la déloyauté du produit, n'étaient pas immédiatement évidentes. Il a fallu du temps pour établir avec précision la nature des faits et garantir la rédaction la plus rigoureuse possible de l'article 40.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges avec la centrale pour évoquer la question de l'article 40 ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Pas de mon côté, car l'article 40 était déjà déposé à ma nomination. Je n'ai pas connaissance de tels échanges de la part de mon prédécesseur. Ce dossier relevait principalement d'un cadre technique, en lien avec l'ARS et l'autorité judiciaire, afin d'assurer son traitement rigoureux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans quelle mesure avez-vous été associée à la procédure de convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), qui a suivi le dépôt de l'article 40 ? Avez-vous eu d'éventuels échanges avec le procureur d'Épinal ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - J'ai été informée de l'orientation donnée par le procureur à cette procédure peu avant sa signature. Il m'a expliqué son intention à la fin de l'été. Cette procédure, que je ne connaissais pas, prévoit des travaux porteurs de sens pour le territoire et les collectivités. Le procureur a travaillé sur le sujet avec les différents acteurs. Après la signature de la CJIP, j'ai proposé de communiquer auprès des élus et du territoire, dans un objectif pédagogique, de façon à limiter une certaine confusion médiatique. Il est important de comprendre que la CJIP prévoit un délai de deux ans pour réaliser les travaux, et qu'une procédure judiciaire classique reprendrait en cas de non-conformité à son terme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant cette CJIP et ses suites, les maires de Contrexéville et de Vittel nous ont indiqué que la préfecture et le parquet décidaient de l'allocation des fonds pour la restauration écologique du territoire.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Ils me font beaucoup d'honneur, mais ce n'est pas exact. Le procureur définit la CJIP, y compris les montants alloués aux travaux. Mon intervention s'est limitée à proposer une pédagogie auprès du territoire. L'OFB allait constater l'ensemble des travaux, s'assurer de leur bon déroulement. Des dossiers seraient instruits. Il était important d'impliquer les services concernés, comme la DDT et la DREAL, dans le suivi de la mise en oeuvre dans le calendrier imparti. Le parquet assure un suivi régulier de l'avancement des travaux et des dépôts de dossiers.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant la qualité sanitaire des eaux commercialisées par Nestlé, une note du cabinet du ministère de la Santé au cabinet de la Première ministre, datée du 30 novembre 2022, fait état de difficultés sanitaires en lien avec les eaux minérales naturelles commercialisées par cet industriel. Elle mentionne que Nestlé prévoyait de suspendre l'exploitation de deux captages sur trois de la source Contrex en raison de contamination. Des prélèvements du 16 novembre 2022 montraient une contamination par des matières fécales du forage Essar, l'un des quatre forages de la ressource Hépar. Avez-vous eu connaissance de ces constats ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu connaissance d'actions menées par l'ARS sur ces captages ? L'exploitation des deux captages de Contrex a-t-elle été suspendue, même temporairement, comme le préconisait la note ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Je sais qu'en novembre 2022, l'industriel a suspendu l'exploitation de deux forages Contrex, de lui-même.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je comprends bien, c'est une discussion au niveau central entre l'industriel et les ministères qui a conduit ce dernier à agir ? Confirmez-vous qu'elle ait eu lieu en 2022 ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Elle a eu lieu en novembre 2022. Je dispose de la date précise dans mes notes. Je vous transmettrai cette information.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est intéressant de constater que la décision a, semble-t-il, été prise au même moment que la production de cette note, suggérant des discussions au niveau national.

La note mentionne également que la modification du mélange Contrex nécessite une autorisation de votre part. De quelle modification d'autorisation est-il question ? Avez-vous été informé de ce besoin de modification ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Non, pas s'agissant du mélange Contrex.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aucune autorisation sur le sujet ne vous a été demandée ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Non. Je n'ai signé aucun arrêté à ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous interrogerons Nestlé à ce sujet.

La note mentionne également que le traitement à 0,2 micron, qui permet de rendre l'eau d'Essar conforme, est assimilé à une désinfection. Dans ce cadre, il ne permet plus de la considérer comme de l'eau minérale naturelle. Avez-vous pris des mesures face à la contamination du forage Essar, ou ce dernier a-t-il été arrêté à votre connaissance ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Deux des quatre forages Essar ont été arrêtés en mai 2023, mais pas à ma demande. Je n'avais pas de raison de le requérir. À ma connaissance, cette décision a été prise par l'industriel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce dernier vous a-t-il contacté par courrier pour vous en informer ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Non. Il en discute certainement avec l'ARS. C'est cette dernière qui m'a informée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est enfin inscrit dans la note que, selon Nestlé, l'absence de tolérance de l'administration sur cette situation signifierait l'arrêt de la production d'Hépar, et mettrait en péril l'avenir du site vosgien. En effet, son équilibre repose sur cette marque. Avez-vous eu des échanges avec Nestlé au sujet du risque que pourrait constituer le refus d'autoriser la microfiltration sur l'avenir du site d'Hépar ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Nous n'avons pas tout à fait tenu d'échanges dans ces termes. En revanche, un plan de remédiation portait des sujets relatifs à la microfiltration, discutés sur le plan technique avec l'ARS, ainsi que des aspects d'étanchéité du lit du Petit Vair.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce plan de remédiation vous a-t-il été présenté ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Oui, il l'a été sous la forme d'un PowerPoint en visioconférence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai l'impression que vous êtes en dernière main sur les questions d'autorisation, mais que beaucoup de choses se passent en dehors de la préfecture, soit au niveau central, soit du côté de l'ARS dans ce dossier. Partagez-vous ce sentiment ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Peut-être pas de manière aussi marquée, mais c'est le lot d'un préfet d'avoir de nombreux sujets à traiter, et de ne les recevoir qu'à un stade avancé. Des services instructeurs les découvrent avant moi. Je ne peux pas être informée de tout.

Je me suis en revanche engagée plus personnellement dans les travaux, de façon à assurer le respect des textes environnementaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je suis surpris que le préfet délivrant les autorisations soit informé par l'ARS que les forages ont été arrêtés d'office. J'ai l'impression que vous n'avez que peu de pouvoir de décision sur ce qui est en train de se passer.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Oui, encore que l'ARS est en instruction. Une discussion a lieu, de façon assez régulière, lors de propositions d'arrêtés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un courriel du 16 janvier 2023 publié dans la presse, une conseillère du ministre de l'Industrie rapporte un échange tenu avec vous concernant un plan social de 155 emplois chez Vittel, lié à la perte du marché allemand. Elle mentionne que sans autorisation de microfiltration à 0,2 micron, 170 à 190 emplois supplémentaires seraient menacés. Vous auriez rappelé qu'un tel plan social serait très difficilement absorbable pour le territoire. Confirmez-vous l'existence de ce courriel ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Je me souviens plutôt de contacts téléphoniques. Ce courriel peut résumer notre conversation. J'exprimais l'impact potentiel d'un tel plan social sur le territoire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous ce mail en votre possession ? Vous ne nous l'avez pas adressé.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Non, je ne le pense pas. Je vérifierai tout de même.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous rappelez-vous de la conseillère avec laquelle vous avez échangé ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Je vous donnerai son nom à l'issue de cette audition. Je ne me souviens que de son prénom.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle était la teneur de cette conversation ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Nous discutions, non pas de microfiltrations, mais d'une alerte relative à un plan social qui aurait lieu sur le territoire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que vous informiez, à l'époque du premier plan social, du risque qu'un second ait lieu.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - C'est à ce moment que j'en ai été informée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, c'est plutôt la conseillère du ministère de l'Industrie qui échange avec vous, et non l'inverse. Vous appelait-elle pour obtenir des informations sur le premier plan social ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Oui. Je n'ai plus cette conversation en tête. Je me souviens d'avoir échangé sur un possible plan social. J'avais rencontré les syndicats, qui m'interrogeaient sur la période à laquelle nous devions attendre un plan social, compte tenu des baisses de chiffre d'affaires des années précédentes. Lors de discussions, une alerte a été lancée quant à un impact plus conséquent qu'anticipé sur le territoire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En examinant les arrêtés préfectoraux, nous avons constaté que seuls deux d'entre eux mentionnaient la microfiltration pour les captages de Bonne Source et Grande Source. Pourquoi les autres arrêtés n'évoquent-ils pas cette pratique apparemment généralisée ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - La microfiltration n'était pas une pratique courante il y a quelques années. Elle a dû être mise en place progressivement. Les arrêtés régularisés sont probablement ceux de 2023 auxquels vous faites référence. Ils ne peuvent être établis qu'après instruction du dossier par l'ARS pour autorisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous avez découvert ces pratiques de microfiltration autorisées pour deux captages, avez-vous contacté les industriels pour vous renseigner sur leurs pratiques sur les autres captages ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Non. Le sujet est judiciarisé. Je laisse le procureur travailler sur cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame la Préfète, nous discutons ici de votre autorisation administrative d'exploitation des sources, pas de l'utilisation frauduleuse qui est judiciarisée. Nous nous plaçons au coeur des compétences de la Préfecture.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Les dossiers d'instruction de l'ARS pour les deux arrêtés de juillet 2023 me sont présentés. Cette agence m'informe que des demandes de l'industriel sont en cours d'instruction. C'est tout ce que je sais.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous savez donc uniquement que des demandes sont en cours d'instruction, sans connaître les captages concernés ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Exactement. Je dispose probablement des informations sur les gîtes et captages concernés dans mes échanges avec la DTARS. Cependant, je n'ai pas de raison de penser que de la microfiltration non autorisée est en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez donc pas reçu d'alerte de l'ARS, bien que nos auditions suggèrent que celles-ci soient informées de l'utilisation généralisée de la microfiltration. L'incohérence avec les arrêtés préfectoraux ne vous a pas été signalée, vous empêchant de faire le rapprochement entre vos arrêtés et la réalité du terrain.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - L'importance de ces arrêtés, pour moi, résidait dans leurs deux parties, dont une concernant la microfiltration à 4,5 microns, alors que nous avions pour enjeu principal un seuil inférieur à 0,8 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une concertation interministérielle dématérialisée le 23 février 2023 a arbitré en faveur du plan de transformation de Nestlé, incluant des microfiltrations inférieures à 0,8 micron. Avez-vous reçu des instructions des ministères centraux à la suite de cette CID ? Pouvez-vous nous détailler les échanges que vous avez eus à ce moment-là ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - J'ai tenu des échanges avec le cabinet de l'Industrie. Mes interlocuteurs m'ont indiqué que le volet sanitaire concernant la microfiltration était placé sous la responsabilité des ARS et des préfets. Une possibilité de suspension de la DGARS et du préfet était tout de même prévue en cas de mauvais résultats des contrôles renforcés. Nous étions en état de vigilance avec la DGARS, prêts à suspendre si nécessaire. On m'a également informée du plan de remédiation, incluant des travaux sur les différents sites, et de la nécessité d'établir un calendrier d'avancement précis pour ces travaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le cabinet de l'Industrie n'a donc pas mentionné de futures demandes d'autorisation pour une microfiltration à 0,2 micron, ni discuté spécifiquement de l'utilisation de cette microfiltration avec vous ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Ce n'était jamais mentionné en ces termes, non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Depuis le 29 mars 2024, de nouvelles demandes de modification plus larges ont été déposées pour Vittel, Contrex et Hépar, visant à obtenir l'autorisation de microfiltration à 0,2 micron. Nous sommes maintenant en 2025. Pouvez-vous nous informer de l'état d'avancement de l'instruction de ces demandes d'autorisation ? Le processus semble particulièrement long.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - L'ARS instruit ces dossiers. Je n'en dispose pas. Dès que je les aurai, je jouirai de tous les éléments nécessaires pour le signer ou non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous qu'un délai d'un an pour instruire un dossier d'autorisation soit acceptable dans cette affaire ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - C'est un peu long.

M. Laurent Burgoa, président. - Échangez-vous avec la directrice générale de l'ARS sur l'avancement du dossier, que ce soit oralement ou par écrit ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons le sentiment que les échanges avec l'ARS sont très longs, mais aussi limités.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Le sujet est complexe. Je pense que l'ARS ne disposait pas de tous les éléments nécessaires pour valider ou non les dossiers tels qu'ils sont présentés. Je me demande maintenant si le dossier présenté par l'industriel en début d'année était complet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges inter-préfectoraux sur ce dossier, notamment avec le préfet du Gars ou son prédécesseur, qui traitent de dossiers similaires ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - J'ai discuté avec la préfète du Gard au printemps 2023, avant son départ. La situation qu'elle rencontrait n'était pas la même que dans les Vosges, mais nous avons échangé assez naturellement. Les dossiers n'étaient pas orientés de la même manière.

J'ai eu l'occasion d'échanger avec son successeur en fin d'année 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces retards administratifs ne sont pas sans conséquences. Sur le terrain, les filtres sont déjà en place, alors même que l'instruction prend du temps. La préfecture a connaissance d'une situation d'infraction.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Nous n'avons pas connaissance d'infractions en matière de microfiltrations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGARS, avec laquelle vous devriez échanger davantage, nous a informés de seuils de 0,45 micron partout, et de 0,2 micron à certains endroits. Vos arrêtés ne mentionnent la microfiltration que pour deux captages. On relève donc une infraction généralisée à votre réglementation. De plus, ces autorisations de filtration à 0,2 micron posent un problème réglementaire. En tant que préfète, chargée de faire respecter la loi, n'êtes-vous pas préoccupée par le fait qu'une eau minérale naturelle ne répondant plus à sa définition soit exploitée et vendue sur votre territoire, sous la marque Hépar ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Si, ce sujet me pose problème quand je vous entends.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour votre franchise.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous avez expliqué que vous ne connaissiez pas le mécanisme de la CJIP, et que vous vous étiez ensuite rendue sur le terrain pour l'expliquer aux maires, une fois ses termes définis avec le procureur. Cette CJIP a tout de même l'intérêt d'indemniser les collectivités, tout en dédouanant Nestlé Waters de toute procédure pénale. Qui a pris la décision de la mettre en place ? Le procureur, s'il en est à l'origine, a-t-il reçu des instructions du ministère de l'Industrie dans ce cadre ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - D'après mes échanges avec le procureur, il n'a pas reçu d'instructions particulières. Il a vu l'intérêt de cette nouvelle procédure en matière environnementale, permettant une résilience rapide du territoire. En deux ans, des travaux concrets peuvent être réalisés, contrairement à une procédure classique qui pourrait prendre dix ans pour obtenir une indemnisation, sans effet immédiat sur l'environnement.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je comprends que le procureur a pris la décision de mettre cette CJIP en place.

Mme Valérie Michel-Moreaux. - À ma connaissance, oui.

M. Olivier Jacquin. - Quelle est la relation historique entre l'industriel et votre territoire ?

Par ailleurs, j'ai appris avec stupéfaction par la direction générale de l'ARS qu'aucune expertise du process industriel de Nestlé n'avait été opérée. Dans ce cadre, pouvez-vous qualifier la relation entre l'industriel et l'autorité publique locale ? Peut-on parler d'une relation de confiance ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - L'industriel est implanté sur le territoire depuis plus de 40 ans. Il comptait près de 3 000 salariés il y a une dizaine d'années, et plutôt 500 aujourd'hui. Cet élément de contexte n'est pas neutre, sur un territoire présentant une nécessité de diversifier son économie, outre le tourisme. Cet industriel compte pour cette région, bien qu'il ne présente pas le même impact qu'auparavant en matière d'emploi.

Par ailleurs, Nestlé est une grande multinationale présentant ses propres modes de fonctionnement. Parfois, l'obtention de dossiers complets et instruits par l'autorité demande du temps, ce qui peut surprendre pour une structure de cette envergure.

M. Olivier Jacquin. - Vous ne réagissez pas face à l'absence d'expertise indépendante de l'installation. Ne vous semble-t-elle pas nécessaire pour rétablir la confiance ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - L'idée est pertinente, mais sa mise en oeuvre soulève des questions. Il est essentiel de déterminer l'acteur qui pourrait réaliser cet audit ou cette analyse, compte tenu de la complexité et de la taille de l'industriel. L'établissement est déjà suivi régulièrement par les services au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Des contrôles fréquents sont menés sur les risques d'incendie, les risques toxiques et autres risques inhérents à ce type d'activité industrielle. Cependant, l'ampleur et la complexité du site rendent une expertise exhaustive très lourde à réaliser. Elle nécessiterait des moyens importants, mais reste envisageable.

M. Laurent Burgoa, président. - Lors de nos auditions, nous avons constaté un certain dynamisme des associations environnementales. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Les avez-vous rencontrées ? Par ailleurs, avez-vous eu l'occasion de visiter le site industriel depuis votre prise de fonction ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Je rencontre régulièrement les associations environnementales en audience. Elles participent activement à plusieurs de nos instances, comme la MISEN ou la commission locale de l'eau. Nous échangeons fréquemment, et partageons les informations.

Vu l'importance de ce site, j'aurais aimé le visiter. Cela n'a pas été possible, pour des raisons d'agenda. J'ai pris mes fonctions en fin d'année 2022. En 2023, l'annonce du plan social a généré des manifestations et tensions sociales sur le territoire. Je n'ai pas jugé opportun de m'y rendre à ce moment-là, encore moins en catimini. Ensuite, l'instruction judiciaire et la CJIP ont suivi, ce qui a encore retardé cette visite.

Mme Antoinette Guhl. - J'aimerais vous interroger sur l'article de presse publié hier, mentionnant le fait que l'Élysée soit impliqué dans ce dossier. Avez-vous eu, dans le cadre de votre mission de préfète, des relations avec le cabinet de l'Élysée ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Aucune.

M. Laurent Burgoa, président. - Cette réponse est très directe.

Mme Audrey Linkenheld. - Pourriez-vous expliciter les différences entre la situation du Grand Est et celle du Gard concernant la gestion des arrêtés préfectoraux ? Dans le Gard, malgré certaines imperfections, la situation semblait plus claire quant aux responsabilités de chacun. Dans le Grand Est, en revanche, elle paraît plus obscure. Comment expliquez-vous ces différences ?

De plus, pourquoi le contrôle public semble-t-il si peu organisé face aux doutes persistants sur le traitement des microfiltrations d'eau minérale naturelle ? Ce secteur est stratégique pour notre pays, tant en termes de chiffre d'affaires que d'emplois et d'exportations. Ne sommes-nous pas exposés à un risque majeur d'effondrement de l'ensemble de la filière en raison d'une perte de confiance des consommateurs, au-delà d'un plan social ponctuel ?

Pourquoi avons-nous le sentiment d'une faiblesse d'organisation à tous les niveaux du contrôle public ?

Vous dites que vous n'avez pas de contact avec l'Élysée. Tant mieux. Pour autant, des réunions ont-elles eu au niveau central entre les préfets d'Occitanie, du Grand Est, voire d'autres départements ? Ce sujet si stratégique mérite un accompagnement central pour ne pas vous laisser seuls face à un sujet si complexe. Comment l'avez-vous vécu, en tant que préfète ?

Mme Valérie Michel-Moreaux. - Je mentionnais l'article 40 et la suspension, mécanismes employés de part et d'autre par les départements. Entre les eaux gazéifiées et les eaux minérales naturelles, le process industriel n'est en outre pas le même.

Quant aux arrêtés préfectoraux, je n'ai pas échangé avec mes collègues préfets sur leurs libellés. Les services instructeurs gèrent ces aspects. Les doutes sur les microfiltrations existaient, mais les situations semblaient différer entre les deux sites selon mes informations. Je n'ai pas connaissance des documents mentionnés par Monsieur le rapporteur.

Enfin, aucune réunion n'a eu lieu au niveau central, associant les préfets sur ce sujet.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, Madame la préfète, pour votre franchise et vos réponses directes. Nos prochaines auditions auront lieu demain matin à partir de 10 h 30, salle 67. Nous recevrons le directeur général d'Occitanie, suivi de Monsieur le Préfet du Gars. Bonne soirée à tous.

Audition de M. Didier Jaffre,
directeur de l'agence régionale de santé Occitanie
(Jeudi 6 février 2025)

M. Laurent Burgoa. président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Didier Jaffre, directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Occitanie depuis avril 2022, de M. Julien Kramarz, son directeur de cabinet et de M. Philippe Merrichelli, directeur des usagers de l'ARS Occitanie.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Didier Jaffre, M. Julien Kramarz et M. Philippe Merrichelli prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je dois par ailleurs vous demander si vous avez d'éventuels liens d'intérêts par rapport à l'objet de notre commission d'enquête.

M. Didier Jaffre, directeur de l'agence régionale de santé Occitanie. - Je n'ai aucun lien d'intérêts à déclarer.

M. Julien Kramarz, directeur de cabinet du directeur de l'agence régionale de santé Occitanie. - Je n'ai pas de lien d'intérêts à déclarer.

M. Philippe Merrichelli, directeur des droits des usagers, des affaires juridiques et de l'inspection régionale en santé de l'agence régionale de santé Occitanie. - Je n'ai pas de lien d'intérêts en rapport avec l'objet de vos travaux.

M. Laurent Burgoa, président. - Le 20 novembre dernier, le Sénat a constitué une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition porte sur les contrôles des exploitations d'eaux minérales naturelles à l'échelle locale. Les ARS sont en effet chargées du contrôle sanitaire des eaux conditionnées, qui inclut la vérification de la qualité des eaux, l'inspection des installations et le contrôle des mesures de surveillance mises en oeuvre par l'exploitant.

En tant que directeur général de l'ARS Occitanie, vous opérez dans une région où l'activité des embouteilleurs est importante pour l'économie locale, monsieur Jaffre. De nombreuses exploitations se trouvent en Occitanie : pour n'en citer que quelques-unes : Perrier, La Salvetat, Mont-Roucous ou encore Quézac.

Quel a été le rôle de l'ARS Occitanie dans la crise des eaux minérales de Nestlé Waters dans le Gard ?

Quelles ont été ses interactions avec les autres services de l'État, au niveau central, avec la direction générale de la santé et, au niveau local, avec le préfet du Gard ?

Quelle est la situation actuelle sur le site Perrier en termes de risques sanitaires ?

Plus globalement, comment l'ARS a-t-elle exercé son rôle de contrôle sanitaire des eaux embouteillées sur le site, mais aussi sur les autres sites de la région ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs dans un secteur auquel nous tenons tous ?

Tels sont quelques-uns des thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

M. Didier Jaffre. - En tant que directeur général de l'agence régionale de santé d'Occitanie, mon rôle consiste avant tout à garantir, sous l'autorité des préfets de département et dans le cadre des protocoles qui ont été établis en 2010, lors de la création des agences régionales de santé, l'application des réglementations relatives à la qualité des eaux conditionnées et de fournir des analyses rigoureuses permettant une prise de décision éclairée par les préfets. Pour ce qui est de l'eau, la qualité et la sécurité sanitaire sont le seul prisme qui guide mon action.

Permettez-moi de me présenter brièvement. Économiste de la santé de formation, j'ai consacré l'essentiel de ma carrière à l'organisation des soins et de l'autonomie au sein des agences régionales de l'hospitalisation, puis des agences régionales de santé, dans différentes régions. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, j'ai été nommé en avril 2022 à la tête de l'ARS Occitanie. Avant cette prise de fonction, je n'avais jamais eu à traiter, directement ou indirectement, de problématiques liées à l'eau.

Mon directeur de cabinet, qui sera présent demain lors de votre visite de l'usine Perrier dans le Gard, et le directeur des droits des usagers et des affaires juridiques, qui m'accompagnent aujourd'hui, pourront répondre plus précisément à certaines de vos questions. Votre délégation rencontrera demain l'ensemble de mes équipes et des ingénieurs sanitaires qui sont en charge de ce dossier, qui pourront vous apporter toutes les réponses techniques que n'étant moi-même pas expert, je ne pourrai pas vous apporter.

L'ARS Occitanie compte plus de 760 collaborateurs, répartis entre notre siège à Montpellier et nos treize directions départementales. Nos missions recouvrent un large spectre de questions de santé publique. La qualité des eaux en fait partie, mais elle ne constitue qu'une infime partie de nos attributions.

Nous exerçons cette mission avec rigueur pour le compte des préfets, dans le cadre des protocoles départementaux signés avec ces derniers. Ce sont donc les préfets qui, in fine, prennent les décisions en matière de gestion des risques et d'autorisations concernant l'eau, l'agence n'assurant qu'un rôle d'expert technique et de contrôle, par délégation des préfets.

Les services chargés des questions de santé environnementale de l'ARS Occitanie comptent environ 110 collaborateurs. Le contrôle sanitaire des eaux est assuré au niveau régional - ce qui est une particularité de notre agence - par une cellule mutualisée « eaux » qui comprend 9 équivalents temps plein (ETP), avec l'appui de collaborateurs, à raison d'environ 7 équivalents temps plein, au sein des différentes directions départementales. En tout, 16 équivalents en plein travaillent sur le sujet, non pas seulement des eaux conditionnées, mais de l'eau en général.

Entre 2022 et 2024, nous avons renforcé les effectifs de cette cellule mutualisée eau, qui sont passés de 7 à 9 ETP, soit près de 30 %, de manière à assurer une homogénéité d'application de la réglementation sur l'ensemble de la région. Vous rencontrerez demain le responsable de cette cellule et son adjoint, qui ont tous deux fait partie de la mission d'inspection sur le site Perrier.

En Occitanie, l'eau est une ressource précieuse. Notre région compte 3 bassins hydrographiques, 28 stations thermales et 43 sites de baignade naturelle. Nous effectuons plus de 43 000 prélèvements chaque année sur plus de 600 paramètres qui couvrent 5 254 puits de captage et 3 849 stations de traitement. Ces chiffres sont à mettre en regard des effectifs dont l'agence dispose pour assurer l'ensemble de ces contrôles.

Comme vous le savez, on distingue trois catégories d'eaux conditionnées : les eaux minérales naturelles, dont Perrier est un exemple emblématique, qui doivent être naturellement pures et ne subir que des traitements très limités, définis par la loi ; les eaux de source, qui sont soumises, elles aussi, à des critères réglementaires, mais légèrement différents de l'eau minérale naturelle ; et enfin les eaux rendues potables par traitement, qui subissent des procédés de purification. Ce sont les mêmes équipes qui effectuent les contrôles de ces trois catégories d'eau.

L'Occitanie compte 12 établissements de conditionnement, 10 sites de production, 9 exploitants, ainsi que 3 sites de production d'eau rendue potable et 8 buvettes publiques. En 2024, le taux de conformité des 620 prélèvements que nous avons réalisés sur les eaux conditionnées s'est établi à 98,8 %. Nous menons par ailleurs entre une et trois inspections de site par an. Entre 2022 et 2024, les six inspections que nous avons menées nous ont permis de contrôler 50 % des sites en trois ans, notre objectif étant que l'ensemble des sites aient été contrôlés d'ici à 2026.

Ces inspections associent systématiquement les services de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) ou, selon l'organisation retenue, de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets). En l'occurrence, dans le Gard, il s'agit de la DDPP.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, le code de la santé précise que la surveillance de la qualité des eaux incombe à l'exploitant. Le programme d'analyse de surveillance de l'eau minérale naturelle est défini par l'exploitant en fonction des dangers qu'il identifie et de son volume de production, plusieurs catégories étant définies par arrêté. Du fait de son volume de production, Perrier est dans la catégorie la plus haute.

L'ARS est pour sa part chargée du contrôle sanitaire, qui s'effectue de différentes manières. Dans le cadre d'un marché public de quatre ans renouvelé en 2024 - je pourrai en préciser les lots si vous le souhaitez -, nous confions au laboratoire Eurofins un programme de prélèvements qui emporte entre 51 et 123 visites par an - 51 en 2017 et 123 en 2024. Nous effectuons par ailleurs des visites sur site régulières, au moins une par an dans le cadre du récolement, mais également dans le cadre de l'instruction des demandes d'autorisation. Nous réalisons enfin des inspections sur site.

J'en viens à Perrier. La marque est née en 1863 et a été rachetée par le groupe Nestlé Waters en 1991. La production repose actuellement sur 7 forages, dont 5 sont dédiés aux eaux minérales naturelles et 2 à l'eau de boisson. Une filière spécifique produit en vue de l'exportation d'eau embouteillée vers les États-Unis, où certains traitements interdits en Europe sont autorisés. Sur un même site, il est important d'avoir en tête que la production peut donc être encadrée par différentes réglementations.

Au cours des dernières années, des épisodes de dépassement des valeurs limites réglementaires sur les paramètres bactériologiques ont été constatés. La plupart sont liés à des épisodes cévenols, ces phénomènes orageux et pluvieux intenses qui touchent l'Occitanie, en particulier le département du Gard qui est le plus touché. Les sources Perrier se situent dans une plaine, au pied des Cévennes, si bien que chaque fort événement pluvieux a des effets sur la nappe Perrier. La localisation de la nappe est très importante pour comprendre le sujet. Du fait de ces anomalies, le site concerné fait l'objet d'une surveillance renforcée, imposant des analyses supplémentaires et des restrictions strictes sur l'exploitation de certains forages.

Depuis l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) du 2 novembre 2023, le site Vergèze fait également l'objet d'une surveillance renforcée. Le site Perrier est aujourd'hui le seul faisant l'objet d'un tel niveau de surveillance renforcé en Occitanie, les autres l'étant beaucoup moins.

En cas de doute, même minime, de sécurité sanitaire sur l'eau produite, nous recommandons systématiquement au préfet, dont je rappelle qu'il est décisionnaire, de demander à l'exploitant la destruction des lots concernés, de manière à ne mettre aucun consommateur en danger.

Lors d'une réunion organisée le 3 novembre 2022 entre l'ARS et le groupe Nestlé Waters, à la demande de la directrice de cabinet de la ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, le minéralier nous a informés que dans sa réponse à la mission de contrôle menée par l'inspection générale des affaires sociales (Igas), il avait signalé l'utilisation de traitements interdits et proposé un plan de transformation prévoyant le retrait progressif de ces traitements. Il est important de noter que c'est donc Nestlé Waters qui nous a présenté ces faits en toute transparence. L'ARS Occitanie n'avait pas été destinataire du rapport de l'Igas et n'avait nullement connaissance de l'utilisation de tels traitements sur les eaux de Perrier avant le 3 novembre 2022.

Le 29 novembre 2022, je me suis rendu avec mes équipes sur le site, où l'exploitant m'a montré les dispositifs de traitement utilisés et la façon dont ils étaient dissimulés derrière une armoire métallique, apparemment fixe. Je tiens à votre disposition les photos prises lors de cette visite. Vous constaterez par vous-même qu'il était impossible de savoir que des dispositifs des traitements étaient dissimulés derrière cette armoire. Le recours à ces traitements permettait certes d'améliorer la sécurité sanitaire de l'eau conditionnée, mais il était illégal.

Après cette visite, j'ai immédiatement alerté la préfète du Gard et demandé à connaître le positionnement national, à la fois sur les traitements au charbon actif et aux ultraviolets (UV) et sur la microfiltration à 0,2 micron utilisée dans le cadre de la production de Perrier. Conformément aux directives du bleu de Matignon du 23 février 2023 et dans l'attente de nouvelles instructions, nous avons ensuite concentré notre action sur l'accompagnement du plan de transformation prévoyant le retrait des traitements interdits.

Dans la mesure où les faits étaient déjà connus de l'administration centrale et de l'inspection générale des affaires sociales et dans la mesure où Nestlé Waters nous avait informés de lui-même de manière tout à fait transparente, notamment de son plan de transformation, et n'ayant reçu aucune instruction du niveau national, avec la préfète du Gard, nous n'avons pas jugé nécessaire de procéder à un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Le 30 mai 2024, un nouvel épisode de contamination ayant été porté à notre connaissance, nous avons mené, à la demande du préfet, une inspection conjointe avec les équipes de la direction départementale de la protection des populations du Gard. Après une période de procédure contradictoire avec le groupe Nestlé Waters, les conclusions de cette inspection ont été transmises au préfet le 16 décembre 2024. Les conclusions de ce rapport nous ont conduits, le préfet et moi-même, à interroger, dans un courrier de janvier 2025, le ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins sur l'utilisation de la microfiltration à 0,2 micron. Je signale du reste qu'un site de production d'Occitanie, qui utilise la microfiltration à un seuil inférieur à 0,8 micron depuis 2005, y est autorisé par arrêté préfectoral depuis 2019.

Le dossier Perrier illustre à mes yeux la complexité de la régulation des eaux conditionnées. J'estime que la question est de savoir si les traitements utilisés pour éliminer les facteurs polluants extérieurs, qu'il s'agisse de traitements interdits par la réglementation européenne - mais pas par la règlementation américaine - ou de la microfiltration, remettent réellement en cause la pureté originelle de l'eau minérale Perrier.

L'ARS Occitanie a retracé la chronologie de l'ensemble des faits depuis janvier 2016 afin d'avoir un suivi le plus précis et le plus documenté possible. Nous vous transmettrons bien entendu cette chronologie.

Du directeur général jusqu'aux équipes, l'engagement de l'agence est sans équivoque de garantir que chaque bouteille d'eau mise sur le marché, de Perrier ou de toute autre marque produite en Occitanie, respecte les normes sanitaires les plus strictes. Comme je l'ai indiqué en introduction, mon seul objectif est la sécurité sanitaire de l'eau qui est vendue. Nous avons appliqué avec rigueur toutes les procédures réglementaires, et vous pourrez constater que nous avons assuré un suivi précis de l'évolution de la situation. En réponse à votre questionnaire, nous remettrons à votre commission l'ensemble des fiches techniques qui ont permis de préparer cette audition. Je crois que celles-ci attestent le travail sérieux et transparent mené dans un contexte de pression extrême par mes équipes, en lesquelles j'ai toute confiance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie de votre présence ce matin.

Pouvez-vous confirmer que l'ARS Occitanie n'a eu aucune information sur ces traitements illégaux avant le 3 novembre 2022 ?

M. Didier Jaffre. - Je le confirme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous paraît-il normal que vous n'ayez eu connaissance des faits qu'un an et demi après l'administration centrale ?

M. Didier Jaffre. - Je ne sais pas si c'est normal ou non. Il reste que nous n'avons pas eu cette information avant le 3 novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un mail du 7 avril 2023 à Isabelle Epaillard, directrice de cabinet d'Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, vous indiquez : « [...] si à la fin de leur plan de transformation [les sites de Nestlé dans le Gard] seront conformes à la réglementation et au bleu, il n'en est rien pour la phase intermédiaire. En effet [...], pendant cette période transitoire de réalisation des travaux du plan de transformation qui va durer entre 12 et 18 mois, Nestlé n'envisage en aucun cas de retirer les traitements par charbon actif et par UV. Ceci est d'ailleurs rappelé dans leur plan de transformation de septembre. Dès lors Nestlé n'est pas en conformité avec la réglementation européenne et ne peut pas vendre une eau dite minérale naturelle, à l'exception des États-Unis [...]. Nous avons clairement indiqué à Nestlé que cette situation ne pouvait pas perdurer pendant la période intermédiaire et qu'ils devaient prendre une décision pour être conformes à la réglementation européenne ».

Avez-vous autorisé le maintien du recours aux traitements interdits durant la période transitoire ?

M. Didier Jaffre. - Ces traitements étant interdits, ils n'ont pas fait l'objet d'un acte d'autorisation en bonne et due forme. En revanche, Perrier a continué d'utiliser ces traitements jusqu'à leur retrait définitif.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avez-vous informé le préfet ?

M. Didier Jaffre. - J'en ai informé la préfète.

M. Laurent Burgoa, président. - Il y a eu un changement de préfet le 21 août 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie, monsieur le président !

Vous savez alors que ces traitements interdits peuvent appeler le déclassement des eaux ou l'arrêt de la production. Pourquoi ne prenez-vous aucune décision ?

M. Didier Jaffre. - Dans le mail que vous avez cité, la préfète et moi-même demandons des instructions au cabinet de la ministre. Dans le bleu du 23 février 2023, il est indiqué que nous devons nous assurer de l'arrêt de ces traitements et veiller à la mise en oeuvre du plan de transformation. Il est également précisé que la microfiltration est autorisée.

Dès le mois de mars, avec la préfète, nous demandons donc l'arrêt des traitements. Nestlé nous dit d'abord que ce n'est pas possible compte tenu de l'organisation des installations, puis dans un deuxième temps, que l'arrêt prendra un peu de temps. Après plusieurs réunions techniques, les traitements sont finalement arrêtés en août 2023.

Quant à la microfiltration, le bleu indiquant qu'elle est autorisée, nous n'en avons pas demandé l'arrêt au groupe Nestlé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes en charge du respect de la réglementation. Selon la théorie des baïonnettes intelligentes, l'obéissance à un ordre illégal est susceptible d'être punie.

Mme Epaillard a-t-elle répondu officiellement à votre mail du 7 avril 2023 ?

M. Didier Jaffre. - Dans sa réponse, elle nous indique qu'il convient d'appliquer le bleu. En revanche, nous n'avons pas eu de réponse sur l'opportunité de déclasser les eaux ou d'en arrêter la production.

Il convient de distinguer trois périodes : la période durant laquelle nous n'avions pas connaissance des faits, c'est-à-dire avant le 3 novembre 2022 ; la période dite intermédiaire, c'est-à-dire entre le moment où nous avons appris les faits et l'arrêt des traitements interdits, et la période qui s'est ouverte après l'arrêt des traitements. Avec la préfète du Gard, notre interrogation portait sur la période intermédiaire. Nous avons donc demandé s'il fallait interdire la production, conformément à la loi, s'il fallait autoriser temporairement le recours à ces traitements ou s'il convenait de faire confiance à Nestlé Waters dans la conduite de son plan de transformation.

M. Alexandre Ouizille. - En l'absence d'instruction, vous avez appliqué l'arbitrage politique de la concertation interministérielle dématérialisée (CID) ?

M. Didier Jaffre. - Tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous constaté, et si oui, à quel moment, que la microfiltration à 0,2 emportait une modification du microbisme de l'eau ?

M. Didier Jaffre. - Les équipes de l'agence ne sont pas en mesure de répondre à cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pouvez en saisir le laboratoire.

M. Didier Jaffre. - Au vu des résultats produits par l'exploitant et par le laboratoire agréé, nous avons demandé les avis scientifiques du directeur général de la santé et de l'Anses pour trancher la question de la modification du microbisme. Les réponses indiquent que la microfiltration à 0,8 micron ne modifie pas le microbisme, tandis que la microfiltration à 0,2 le modifie, et qu'au-dessus de 0,45 micron, le microbisme n'est a priori pas modifié.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En pratique, qu'indiquent les contrôles que vous avez conduits ? Sur les eaux de Perrier, les tests effectués avant et après la microfiltration ont-ils indiqué une modification du microbisme de l'eau ? Si oui, à quelle date avez-vous eu cette information ?

M. Didier Jaffre. - Les contrôles ne se font pas avant et après la microfiltration, mais à la sortie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le Grand Est, ils sont effectués avant et après la microfiltration.

M. Didier Jaffre. - Je ne veux pas m'engager sur un sujet trop technique, mais il est certain que l'on ne mettrait pas de filtres s'ils ne modifiaient nullement l'eau et ne permettaient pas de filtrer des bactéries. S'agit-il d'une modification de l'eau ? J'estime que cela relève d'un débat technique, mais en tant que consommateur, j'estime qu'une filtration qui permet d'éliminer les bactéries de l'eau ne peut pas altérer sa pureté.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et pourtant si, par définition !

M. Didier Jaffre. - Les bactéries ne sont pas dans l'eau minérale naturelle de la nappe. Elles y sont apportées par les épisodes cévenols.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À la suite des épisodes cévenols, les eaux de pluie arrivent par percolation dans la nappe.

M. Julien Kramarz. - La nappe est trop profonde pour que les eaux de pluie y pénètrent. Les bactéries contaminent l'eau lorsqu'elle remonte de la nappe. De ce que j'ai compris, l'eau met une dizaine d'années à atteindre la nappe. Un épisode cévenol ne peut donc pas emporter la contamination de la nappe en deux jours.

M. Didier Jaffre. - Je comprends votre question, car nous nous la sommes posée, mais les bactéries ne sont pas partie prenante de la pureté de l'eau, puisqu'elles n'ont rien à y faire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À partir de quelle date avez-vous acquis la conviction que la microfiltration à 0,2 micron modifiait la pureté de l'eau ?

M. Didier Jaffre. - J'estime que l'eau doit être sûre pour les consommateurs et j'estime que la microfiltration garantit la sécurité de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes garant d'une réglementation, qui encadre notamment l'appellation d'eau minérale naturelle. Si une eau embouteillée ne respecte pas cette réglementation, il s'agit d'une eau de boisson.

M. Didier Jaffre. - Tout dépend du point de départ que l'on retient. L'eau minérale naturelle n'est jamais contaminée en profondeur. Après les épisodes cévenols, la contamination des eaux est due à un apport extérieur. La microfiltration et les autres traitements permettent d'éliminer ces bactéries, mais il arrive que nous procédions à des destructions de lots, car ces traitements ne suffisent pas toujours. Il reste que ces traitements et ces microfiltrations permettent d'éliminer des virus et des bactéries qui sont nocifs pour la santé des citoyens. Est-ce cela que l'on appelle le microbisme ? Je ne suis pas un expert de l'eau, mais je m'interroge.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si l'ARS ne peut pas répondre à cette question, nous avons un problème, mais avançons.

Des destructions de lots d'eau de Perrier ont été ordonnées par la préfète en 2022, puis par le préfet en 2024.

M. Didier Jaffre. - À la suite de deux événements cévenols.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu confirmation que toutes les destructions ont bien eu lieu ?

M. Didier Jaffre. - Nous avons demandé tous les certificats de destruction à l'entreprise. Nous détenons donc la preuve formelle de l'exploitant que les lots ont été détruits.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons un courriel de vos services demandant que les certificats manquants leur soient transmis.

M. Didier Jaffre. - Nous les avons récupérés depuis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour vous assurer de la destruction des lots, effectuez-vous également des contrôles sur place ?

M. Didier Jaffre. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En tout état de cause, avez-vous des doutes quant à la destruction effective des lots visés ?

M. Didier Jaffre- Nous disposons de l'ensemble des certificats, les personnes qui les ont signés attestant sur l'honneur que les lots ont bien été détruits.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un courriel, vous affirmez « d'un point de vue sécurité sanitaire, pour ma part en tant que directeur général de l'ARS, je suis favorable au maintien des traitements de filtration et de désinfection, tout comme la microfiltration. Je suis donc favorable à l'octroi d'une dérogation pour l'année 2023, le temps que les travaux planifiés soient réalisés. Si tel n'était pas le cas nous serions dans l'obligation de stopper l'exploitation ».

Vous n'avez pas obtenu de dérogation formelle, mais vous n'avez pas stoppé la production pour autant.

M. Didier Jaffre. - En l'absence d'instructions, je n'ai pas stoppé la production.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous revenir sur les raisons qui vous ont conduit à ne pas procéder à un signalement au titre de l'article 40, contrairement à l'ARS Grand Est ? Avez-vous été informé de ce signalement par l'ARS Grand Est ?

M. Didier Jaffre. - Les directeurs généraux des ARS se rencontrent toutes les six semaines afin d'échanger sur un certain nombre de dossiers, mais je n'étais pas informé personnellement du signalement effectué par l'ARS Grand Est. Nous vous transmettrons notre fiche d'analyse sur la décision, que nous avons prise avec la préfète du Gard, de ne pas faire de signalement au titre de l'article 40. Nous étions en effet tous deux en compétence liée sur ce sujet.

Nous avons estimé que dans la mesure où Nestlé Waters, de lui-même, nous avait informés des traitements, ainsi que son plan de transformation, et que l'inspection générale des affaires sociales en était également informée, nous devions concentrer notre action sur le retrait de ces traitements, que nous n'avions pas découverts.

La réunion du 3 novembre 2022 avec Nestlé Waters devait porter sur les destructions de lots. Avant cette date, je n'étais pas du tout informé du recours à ces traitements. Lors de ma visite sur place, la direction de l'établissement m'a conduit jusqu'aux dispositifs de traitement interdits.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, nous avons considéré que nous n'avions pas à faire de signalement au titre de l'article 40.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le fraudeur vous a montré la fraude qu'il était en train de commettre. Or le signalement au titre de l'article 40 n'est pas une faculté, mais une obligation est faite aux fonctionnaires. Que vous a dit le ministère lorsque vous l'avez interrogé sur l'opportunité d'effectuer ce signalement ?

M. Didier Jaffre. - Nous avons effectivement demandé quelle position il convenait de prendre. Nous n'avons eu aucune réponse.

Je répète toutefois que Nestlé Waters a transmis des éléments, non pas à des services techniques de l'administration, mais à des inspecteurs généraux des affaires sociales. Cela n'a rien d'anodin, puisque l'équipe d'inspection du ministère des affaires sociales connaissait l'existence de ces traitements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il reste que contrairement au Grand Est, rien ne s'est passé en Occitanie pendant des années. Or je constate que les services se passent le ballon. Nous avons du reste posé la même question à l'Igas. Pourquoi avez-vous méconnu cette obligation de portée générale liée à l'exercice de vos fonctions ?

M. Didier Jaffre. - J'entends vos propos. Je répète qu'avec la préfète du Gard et l'ensemble des collaborateurs, nous n'avons pas jugé utile de faire de signalement au titre de l'article 40. L'ensemble des autorités compétentes étaient au courant, et lorsque j'ai demandé s'il fallait faire ce signalement, personne ne m'a répondu. C'est tout de même curieux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La directrice de l'ARS du Grand Est a, pour sa part, jugé utile d'effectuer ce signalement.

Le compte rendu de l'inspection du 30 mai 2024 menée par vos services inclut de nombreuses réserves concernant, par exemple, la transmission systématique des résultats d'analyses non conformes d'autosurveillance. Quelle analyse faites-vous de ces défaillances ?

Par ailleurs, à quel moment un contrôle sanitaire renforcé a-t-il été instauré après l'arrêt des traitements aux UV et au charbon actif ?

M. Didier Jaffre. - Lors des inspections sur site, les inspecteurs ont constaté que les résultats de l'autosurveillance n'étaient pas toujours disponibles en temps et en heure. Nous avons donc demandé que ces informations nous soient systématiquement transmises en temps voulu. Lors de la procédure contradictoire que j'évoquais précédemment, le groupe Nestlé Waters a apporté un certain nombre de réponses.

La surveillance renforcée a été mise en place sur l'initiative de l'ARS Occitanie. En mai 2023, j'ai en effet saisi l'Anses sur les mesures complémentaires qu'il convenait de prendre : l'Anses me répondant qu'il faut mettre en place ce suivi renforcé, nous prenons les dispositions nécessaires.

Dans votre questionnaire écrit, vous m'interrogez sur le délai qui s'écoule entre la réponse de l'Anses, en octobre 2023 et la mise en place de ce plan de surveillance renforcé en 2024. Il nous a fallu revoir un certain nombre de paramètres du marché public qui nous lie au laboratoire avec lequel nous travaillons.

Par ailleurs, le groupe Nestlé Waters a de lui-même mis en place une autosurveillance virologique dès 2022. L'ARS a elle aussi demandé au laboratoire d'effectuer une surveillance virologique. Or les résultats de ces contrôles étant divergents, nous avons saisi le laboratoire pour avoir son avis, dont je suis en attente.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque de tels écarts sont constatés, vous fondez-vous, par précaution, sur les analyses du laboratoire mandaté par l'agence et ordonnez-vous les destructions de lots qui s'imposent ?

M. Didier Jaffre. - Nous demandons l'arrêt de la production et si l'eau est déjà embouteillée, nous demandons la destruction des lots concernés. Nous le faisons systématiquement, sans nous poser de question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Non seulement les résultats du laboratoire ne sont pas les mêmes que ceux de l'industriel, mais ce dernier tarde à transmettre les éléments.

M. Didier Jaffre- Oui, c'est pourquoi nous demandons à l'exploitant de nous transmettre les résultats en temps et en heure, et au laboratoire d'expertiser les divergences dans les résultats des analyses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quand le recours aux traitements illégaux a-t-il cessé ?

M. Didier Jaffre. - En août 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et entre août 2023 et octobre 2023, la surveillance renforcée n'avait pas encore été mise en place ?

M. Didier Jaffre. - Oui, mais le contrôle sanitaire n'a jamais cessé. Les premières analyses effectuées dans le cadre du protocole de surveillance renforcée datent de 2024, je vous préciserai le mois par écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je comprends bien, il s'est écoulé un an entre l'arrêt des traitements et la mise en place du protocole préconisé par l'Anses.

M. Didier Jaffre. - Oui, d'abord parce que nous ne l'avions pas, ensuite parce qu'il a fallu adapter notre marché public avec le laboratoire. Ceci étant dit, Nestlé Waters effectuait alors une autosurveillance virologique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais celle-ci est défaillante.

M. Didier Jaffre. - Je n'emploierais pas ce terme. Les résultats sont divergents sur certains points avec les analyses que nous avons commanditées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La transmission des résultats de cette autosurveillance aux autorités sanitaires était elle aussi défaillante.

M. Didier Jaffre- Les résultats n'ont en effet pas été pas transmis dans les temps. Pour autant, je ne dirais pas que l'autosurveillance est défaillante. Il y a une divergence entre les résultats, qu'il nous faut comprendre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - S'il y a une divergence, c'est sans doute que quelqu'un a mal fait son travail.

M. Didier Jaffre- Je ne dirais pas ça non plus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pensez que c'est qu'une question de méthodologie ?

M. Didier Jaffre. - Très franchement, nous le saurons quand le laboratoire national nous livrera son analyse. Sinon, je ne l'aurais pas saisi. Je l'ai fait parce qu'avec mes équipes, nous n'arrivons pas à l'expliquer. Nous nous en remettons donc aux experts scientifiques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les destructions de lots qui ont eu lieu en 2024 étaient-elles liées à des enjeux virologiques ?

M. Didier Jaffre. - Je ne sais plus si c'était bactériologique, virologique ou les deux. Je pourrai vous répondre sur ce point par écrit, car encore une fois, je ne suis pas un scientifique. En tout état de cause, les seuils réglementaires étaient dépassés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des sanctions ont-elles été prises du fait du manque de diligence de l'industriel dans la remise de ces analyses ?

M. Didier Jaffre. - Cela peut paraître curieux, mais le code de la santé publique ne prévoit aucune sanction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dès l'automne 2023, Nestlé Waters dépose une demande complète de modification de son autorisation d'exploitation sur le site de Perrier. L'instruction de cette demande est-elle terminée ?

M. Didier Jaffre. - Le préfet n'a pas encore pris sa décision.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et de votre côté, c'est terminé ?

M. Didier Jaffre. - Non. Ce plan de transformation complète est la conséquence du retrait des traitements interdits. Nous avons déjà analysé ce plan de près, mais il nous manque l'avis d'un hydrogéologue, car c'est prévu par la procédure. Or il se trouve que les hydrogéologues étaient en grève au cours des derniers mois et que nous avons eu beaucoup de mal à en trouver un.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un an et demi de grève ?

M. Didier Jaffre. - Il est de fait très difficile de trouver un hydrogéologue, en particulier en Occitanie. Nous en avons toutefois trouvé un, dont nous attendons l'avis, qui complétera le dossier. Nous pourrons alors le transmettre au préfet du Gard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dès février 2024, le compte rendu d'une réunion interne de l'ARS rappelle pourtant la position technique et réglementaire de l'ARS : « au regard des résultats d'analyses sur les 5 forages [...], l'eau ne peut répondre à la définition d'une eau minérale naturelle [...]. Le retrait des dispositifs de traitement, aux robinets de prélèvements, a mis en lumière la présence de contaminations microbiologiques régulières des forages ».

Ces constatations ne devraient-elles pas avoir de répercussions sur les captages qui sont aujourd'hui à l'arrêt ?

M. Didier Jaffre. - Je n'ai pas participé à la réunion technique que vous évoquez. J'estime toutefois que le compte rendu est révélateur du problème : à partir du moment où il n'y a plus de traitement, y compris même peut-être plus de microfiltration, l'eau est extrêmement vulnérable, puisqu'elle peut être contaminée au moindre épisode cévenol. C'est du reste ce que nous indiquons dans le rapport d'inspection à l'exploitant. Cela aura-t-il des répercussions sur les eaux de Perrier ? Les contrôles nous le diront, mais il est indéniable que la situation géographique du site Perrier le rend très vulnérable. Il se trouve en effet à proximité du bassin rhodanien, qui accueille des industries.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 8 novembre 2024, vous sollicitez le directeur général de la santé par courrier afin qu'il clarifie la position nationale sur le traitement des eaux minérales et de source par microfiltration. Le 28 novembre, il vous répond que « lorsque des dispositifs de microfiltration avec seuils de coupure inférieurs à 0,45 micron sont utilisés [...], le préfet met en demeure l'exploitant de régulariser ses installations ».

Le 16 décembre, vous transmettez au préfet une note très claire dans laquelle vous écrivez : « je me permets d'attirer votre attention, à nouveau, particulièrement sur l'écart n° 4 qui avait conduit la mission d'inspection à considérer que les traitements de microfiltration à 0,2 micron utilisés sur l'ensemble du réseau de distribution d'eau minérale naturelle Perrier étaient non conformes aux exigences réglementaires. Ces traitements ont pour effet de modifier la composition de l'eau minérale naturelle ». Comment accueillez-vous et comprenez-vous la réponse du préfet, par courrier du 18 décembre 2024, dans laquelle il vous demande de vérifier le fondement juridique d'une telle décision ?

M. Didier Jaffre. - Je lui transmets une note complémentaire qui est à votre disposition. Lors d'une réunion avec Jérôme Bonnet, celui-ci m'indique que ni la réglementation européenne ni la réglementation française ne disent précisément que les filtres ne sont interdits. La réglementation précise seulement que le filtrage ne doit pas modifier le microbisme.

Le directeur général de la santé m'a certes écrit, mais cette lettre n'a force ni de loi ni de réglementation.

J'indique par ailleurs au préfet que, sur un site à Luchon, la microfiltration est autorisée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À combien de microns ?

M. Didier Jaffre. -A priori à 0,2.

Mme Antoinette Guhl. - Non !

M. Didier Jaffre. - L'arrêté se contentant de préciser que la microfiltration est autorisée, tous les seuils sont, de fait, autorisés.

Le préfet m'indique donc que si nous demandons à l'exploitant de cesser de pratiquer la microfiltration en nous fondant uniquement sur l'avis du directeur général de la santé, nous nous exposons à un recours que nous perdrions.

Je n'ai donc pas changé d'avis entre mes notes et la lettre que nous cosignons au ministre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette lettre dit pourtant l'inverse de ce que disent vos notes.

M. Didier Jaffre. - Pas du tout. Dans mes notes, j'indique que sur le fondement des avis de l'Anses et du directeur général de la santé, la microfiltration ne devrait pas être pratiquée. Le préfet m'indiquant que ces avis ne sont pas opposables, nous demandons conjointement au ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins de bien vouloir confirmer si oui ou non devons faire cesser les microfiltrations dans le cas, prévu par la loi, où l'exploitant ne serait pas en mesure de nous apporter la preuve que cette microfiltration ne modifie pas le microbisme de l'eau.

Le préfet vient d'ailleurs de demander au groupe Nestlé de lui apporter sous deux mois la preuve scientifique que la microfiltration ne modifie pas le microbiome.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous paraissez accorder bien plus d'importance à la sécurité juridique de votre décision qu'à l'application des conclusions de la CID de 2023, qui autorisait la microfiltration à un seuil bien inférieur au seuil visé dans l'avis de l'Anses en date de 2021. Or à ce moment-là, le préfet n'a pas écrit au ministre.

M. Didier Jaffre. - Vous interrogerez le préfet, mais ne dites pas que j'ai changé de position !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous posez toutefois de nouveau la question au ministre.

M. Didier Jaffre. - Ce n'est peut-être pas le cas partout, mais je travaille main dans la main avec les préfets de département et nous gérons tous les dossiers ensemble. Le préfet ne remet pas en cause le contenu de ma note, mais il a un doute juridique. N'étant pas moi-même représentant de l'État en tant que directeur général d'ARS, j'accompagne le préfet, qui est le représentant de l'État dans le département.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En page 5 de votre note, vous indiquez que dans un rapport d'audit sur une directive, la Commission européenne rappelle le caractère non réglementaire de l'utilisation de la microfiltration.

M. Didier Jaffre. - Comme le préfet vous le dira, il considère que le rapport de la Commission européenne n'a pas force de loi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Non plus que le rapport de la Commission européenne et l'avis de la direction générale de la santé.

Ce courrier du 14 janvier que vous avez cosigné avec M. le préfet a-t-il reçu une réponse ?

M. Didier Jaffre. - À ce stade, nous n'avons pas eu de réponse.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le préfet a toutefois décidé d'opter pour la solution que vous aviez proposée, en accordant à l'exploitant un délai de 2 mois pour produire des preuves.

M. Didier Jaffre. - Dans la lettre que nous avons cosignée, nous indiquions que sauf avis contraire, nous ferions ainsi.

Le directeur général de la santé, lui, nous a répondu dans un mail qu'il maintenait la position développée dans son courrier du 28 octobre. Je vous transmettrai ce document.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au regard du critère de pureté originelle, considérez-vous toujours Perrier comme une eau minérale naturelle ?

M. Didier Jaffre. - Il se trouve qu'avant de rejoindre cette commission, nous avons pris un café dans un bar. Mon directeur de cabinet a commandé un Perrier en demandant expressément une eau minérale naturelle. Pour ma part, je commande un Perrier comme je commande un Coca-Cola, sans songer qu'il s'agit d'eau minérale. En revanche, lorsque j'ouvre une bouteille de Perrier fines bulles à table, j'ai conscience que je m'apprête à consommer une eau minérale naturelle.

Nous avons donc étudié l'étiquette de la bouteille de Perrier qui a été servie : en gros, il est indiqué « Source Perrier » - comme je l'indiquais au début de mon propos liminaire, la réglementation qui s'applique aux eaux de source n'est pas la même que la réglementation qui s'applique aux eaux minérales naturelles - et sur les deux côtés, « Eau minérale naturelle ».

Pour vous répondre, je considère que Perrier est toujours une eau minérale naturelle, car il est puisé dans une nappe d'eau minérale naturelle. Il se trouve simplement que cette eau est contaminée par des événements extérieurs que sont les épisodes cévenols, ce qui appelle soit des traitements soit l'arrêt de la production. Les traitements étant interdits, la production est arrêtée.

En tout état de cause, j'estime que l'élimination d'éléments nocifs pour la santé, que ce soit par des traitements ou par la microfiltration, ne remet pas en cause le fait qu'il s'agit d'une eau minérale naturelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une eau qui est traitée est une eau de boisson. Une eau qui n'est pas traitée est une eau minérale naturelle.

M. Didier Jaffre. - Mais d'où vient l'eau, monsieur le rapporteur ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des glaciers, des sources, etc.

M. Didier Jaffre. - Que l'eau soit naturelle ou non, son cycle est toujours le même.

Ma préoccupation n'est pas tant de savoir si une eau est minérale naturelle ou de boisson, mais de garantir aux consommateurs qu'ils peuvent la consommer en toute sécurité.

Par ailleurs, pourquoi les Américains considèrent-ils que le Perrier traité est une eau minérale naturelle ? Les caractéristiques d'une eau minérale naturelles sont-elles définies par la réglementation ou par des critères scientifiques ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre mission est d'appliquer, non pas seulement les règles sanitaires, mais toute la loi, y compris les règles qui protègent les consommateurs. L'eau en bouteille est 200 fois plus chère que l'eau du robinet. Il convient donc de garantir la naturalité et la minéralité des eaux qui se prévalent de ces qualités.

M. Didier Jaffre. - Je ne suis pas chargé de la consommation. Par ailleurs, rien n'oblige le consommateur à acheter de l'eau en bouteille, alors que l'eau de boisson du robinet, elle, est consommée tous les jours !

Mme Audrey Linkenheld. - En quoi considérez-vous avoir « compétences liées » avec le préfet en ce qui concerne les signalements au titre de l'article 40 ? Vous n'êtes pas sous la tutelle du préfet, n'est-ce pas ? Le droit est dit non pas par le préfet, mais par la loi, charge aux institutions judiciaires de vérifier la conformité au droit. La coopération que vous décrivez entre l'ARS et la préfecture, que pour ma part je trouve positive, ne vous exonère d'aucune responsabilité, puisque l'ARS demeure un établissement public à part entière.

M. Didier Jaffre. - Le préfet et le directeur général de l'ARS sont nommés en Conseil des ministres par le Président de la République sur proposition du Gouvernement. Le préfet représente l'intégralité du Gouvernement. Je dirige pour ma part un opérateur régional de l'État chargé de la santé.

Il n'en reste pas moins qu'à mes yeux, indépendamment des textes qui fixent les champs de compétences de chaque acteur, le seul représentant de l'État dans un département est le préfet. En région Occitanie, je travaille main dans la main avec les 13 préfets, qui sont destinataires de l'ensemble de nos travaux. Le préfet de région est pour sa part le président de mon conseil d'administration.

Nous exerçons du reste la compétence eau par délégation du préfet, dans le cadre d'un protocole national dont toutes les ARS ont signé en 2010 avec les préfets une déclinaison adaptée à chaque département.

Si le terme de compétences liées n'est peut-être pas juridiquement valable, il reste que nous sommes bien liés. Les agences régionales de santé effectuent le contrôle sanitaire de l'eau pour le compte du préfet de département qui, in fine, prend les décisions en matière de gestion des risques et d'autorisation. Le préfet de département prend notamment les arrêtés d'interdiction de la baignade et d'interdiction de vente d'une eau en bouteille, mon rôle étant de lui fournir l'ensemble des éléments pour qu'il puisse prendre sa décision.

Mme Audrey Linkenheld. - Vous avez utilisé le terme de compétences liées non pas en lien avec les autorisations, mais avec le signalement au titre de l'article 40.

M. Didier Jaffre. - J'ai donc évoqué le sujet des traitements interdits en toute transparence avec Mme la préfète de Gard. En l'absence d'instruction au niveau national et considérant que les inspecteurs généraux des affaires sociales disposaient de tous les éléments, ni elle ni moi n'avons jugé utile d'effectuer un signalement au titre de l'article 40. Je rappelle par ailleurs que nous avons eu connaissance du recours à des traitements illégaux non pas par l'Igas ou par le ministère, mais par le groupe Nestlé Waters lui-même.

Je reste convaincu que ce mode de fonctionnement est le bon. Les agents des ARS ne sont pas, selon moi, des agents totalement autonomes et indépendants. Encore une fois, le seul représentant de l'État dans le département est le préfet.

Je rappelle par ailleurs que le rôle de l'administration, avant même la justice, est d'appliquer la loi et la réglementation.

Mme Antoinette Guhl. - Quand j'entends que vous attendez toujours les résultats d'un rapport visant à expliquer les divergences entre les résultats des autocontrôles et de vos propres analyses, les bras m'en tombent ! Ce dossier date tout de même de 2021, et il pourrait être réglé depuis longtemps si vous aviez demandé à Perrier d'arrêter la production le temps d'arrêter les traitements interdits.

Par ailleurs, à ma connaissance, aucun arrêté préfectoral n'autorise la microfiltration à 0,2 micron.

Avez-vous échangé avec votre collègue de l'ARS Grand Est sur l'opportunité d'effectuer un signalement au titre de l'article 40 ? Vous a-t-elle prévenu qu'elle effectuait un tel signalement ?

Lors de votre inspection du mois de mai 2024, les inspecteurs n'ont pas été en mesure de confirmer que la traçabilité des eaux de Perrier était assurée. L'exploitant est-il autorisé à produire de l'eau de boisson et de l'eau minérale naturelle sur la même chaîne de production ? Comment vous assurez-vous que vous contrôlez la bonne eau ? À défaut de traçabilité, la fraude peut perdurer pendant des décennies. Or nous voulons qu'elle cesse.

Enfin, avez-vous reçu des instructions ou eu des échanges avec la présidence de la République ?

M. Didier Jaffre. - Je ne pense pas que l'on puisse dire que nous n'avons rien fait, madame la sénatrice.

Par ailleurs, l'arrêté préfectoral que j'évoquais a été pris par le préfet, non pas du Gard, mais de Haute-Garonne, pour le site de Luchon. Il autorise la microfiltration sans préciser de seuil, ce qui permet donc bien de procéder à des microfiltrations en deçà du seuil de 0,8 micron en toute légalité.

Comme vous pourrez le constater demain, madame la sénatrice, compte tenu de la complexité du processus de production, il n'est pas toujours évident de savoir quel tuyau produit quelle eau. Je ne suis certes pas un expert, mais c'est aussi l'avis de mes équipes, qui en ont fait état par écrit.

Je n'ai enfin jamais été en relation sur ce sujet avec le cabinet de l'Élysée. Je n'ai échangé qu'avec la directrice de cabinet de la ministre chargée de l'organisation territoriale et de l'accès aux soins.

Mme Antoinette Guhl. - Vous n'avez pas répondu à ma question relative à vos échanges avec Mme Virginie Cayré, directrice de l'ARS Grand Est.

M. Didier Jaffre. - Lors des échanges que j'ai eus avec Virginie Cayré, la préfète du Gard et la préfète des Vosges, nous n'avons jamais évoqué expressément, ou alors je ne m'en souviens pas, le signalement au titre de l'article 40 que l'ARS Grand Est allait effectuer. Cela aurait sans doute été de nature à éclairer la position que la préfète du Gard et moi-même avons prise.

Mme Audrey Linkenheld. - Quand cet échange a-t-il eu lieu ?

M. Didier Jaffre. - C'était à l'issue du séminaire des directeurs généraux d'ARS, donc vraisemblablement en novembre 2022, mais je n'ai plus la date exacte en tête.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, monsieur le directeur général.

M. Didier Jaffre. - Mon directeur de cabinet, le responsable de la cellule mutualisée eau et son adjoint pourront répondre demain de manière sans doute plus précise à un certain nombre de vos questions, car contrairement à moi, ils maîtrisent la technique !

Audition de M. Jérôme Bonet, préfet du Gard
(Jeudi 6 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions avec Monsieur Jérôme Bonet, préfet du Gard depuis août 2023. Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

M. Jérôme Bonet prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous des liens d'intérêt avec l'objet de notre commission d'enquête ?

M. Jérôme Bonet, préfet du Gard. - Je n'en ai aucun.

M. Laurent Burgoa, président. - Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

En tant que préfet du Gard, vous avez suivi, depuis août 2023, la mise en oeuvre du « plan de transformation » de Nestlé Waters consistant au retrait des traitements interdits.

Quel a été le rôle de la préfecture, sous votre autorité, mais aussi sous celle de votre prédécesseur, Marie-Françoise Lecaillon ?

Quelles ont été et sont aujourd'hui vos interactions avec les autres services de l'État concernés au niveau central, avec les cabinets ministériels de l'économie, de l'industrie ou de la santé, ou encore avec la direction générale de la santé ou la direction générale de la consommation de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) et, au niveau local, avec l'ARS ?

Quelle est la situation actuelle sur le site Perrier en termes de risque sanitaire et de prélèvements des eaux ?

Plus globalement, comment le préfet a-t-il exercé son rôle de contrôle des eaux embouteillées sur le site ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Monsieur Bonet, vous avez la parole pour un propos liminaire.

M. Jérôme Bonet. - Merci Monsieur le Président.

J'irai directement au sujet Perrier pour vous dire ce qu'est ma vision de ce sujet depuis ma prise de fonction le 21 août 2023. Mon premier contact sur le sujet Perrier a eu lieu lors d'un échange téléphonique avec ma prédécesseure le 28 juin 2023. Cet échange n'a pas porté que sur le sujet Perrier, mais sur un ensemble de problématiques du département. Sur le sujet Perrier, ma prédécesseure m'a informé qu'elle avait validé le plan de transformation et lancé les opérations associées.

À ma prise de fonction, j'ai reçu un dossier très fourni qui contenait une note de l'ARS mentionnant le sujet Perrier en 8 lignes. Cette note soulignait l'importance de l'entreprise pour le département. Il y est écrit que Perrier investit massivement dans un plan de transformation, que des anomalies ont été détectées dans les années 2021-2022 et que Perrier fait l'objet d'un suivi attentif de l'ARS. Une phrase mentionne le fait que Perrier a été autorisé à utiliser la microfiltration à 0,2. À ce moment-là, je ne sais pas vraiment de quoi il s'agit.

L'étape suivante est une sollicitation de la part de Nestlé Waters pour faire un point sur le plan de transformation et la délivrance des autorisations liées à la transformation de deux puits. Cette réunion se tient le 11 octobre 2023 en présence de responsables de Nestlé Waters, de Perrier et de représentants des services de l'État compétents en la matière. Ce dossier comprend à la fois le déclassement de deux captages et la modification de l'arrêté d'autorisation historique du mélange d'eau minérale naturelle. Cette réunion aboutit assez classiquement à un calendrier prévisionnel d'instruction du dossier. Elle se clôture sans difficulté.

L'instruction de la demande suit son cours. Le nouveau mix Maison Perrier a été déposé en juillet 2023. Un dossier de nouvelle autorisation sur le mix Perrier, sollicité par ma prédécesseure, est déposé le 13 octobre. C'est sur la base du dossier du 13 octobre qu'est instruite la demande de modification de l'arrêté préfectoral.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'est-ce que le mix ?

M. Jérôme Bonet. - Le principe du mix consiste à obtenir le produit fini à partir de plusieurs sources. À ce moment-là, ces sources étaient au nombre de 7. Deux d'entre elles devenant des eaux de boisson, il faut valider le nouveau mix, avec des attendus qui portent sur le mélange et la notion de pureté originelle de l'eau minérale. La modification ne porte pas sur le circuit de traitement. Ces projets ont reçu un avis favorable du CODERST. Les arrêtés ont été signés le 22 décembre 2023.

Le point suivant est une note datée du 27 février 2024 signée par le Directeur général de l'ARS qui m'est adressée le 20 mars. Je n'ai pas reçu de note datée du 6 février 2024. Cette note du 27 février indique une dégradation plus fréquente de la qualité des eaux brutes depuis le retrait des traitements le 10 août 2023. L'ARS considère cette qualité incompatible avec, à terme, une éventuelle autorisation. Selon l'ARS, il y a un avant et un après retrait des traitements interdits. Par ailleurs, les prélèvements n'ont mis en évidence aucune contamination des produits finis. L'ARS m'informe qu'en l'état, la nouvelle autorisation pour le mélange Perrier ne recevra sans doute pas une suite favorable. Ce constat est assorti de préconisations et d'une proposition de courrier, que je valide 2 jours plus tard. L'ARS préconise, après validation de la Direction générale de la Santé, de poursuivre l'instruction de la demande.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sommes-nous bien sur la demande de mélange ?

M. Jérôme Bonet. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'ARS vous explique-t-elle pourquoi elle ne validerait cette demande de modification ?

M. Jérôme Bonet. - En l'état, la qualité des eaux brutes ne le permettrait pas. Il convient de poursuivre l'instruction, de désigner un hydrogéologue en matière d'hygiène et de renforcer la surveillance des 5 forages. C'est la teneur du courrier que j'adresse le 22 mars à Perrier.

Le 9 juillet, je suis de nouveau saisi par l'ARS sur l'instruction de la nouvelle autorisation. L'ARS estime nécessaire de désigner le laboratoire d'hydrologie de Nancy (ANSES) en raison de différences d'appréciation des résultats entre Eurofins et les laboratoires de Perrier. La saisine du laboratoire de Nancy est faite par l'ARS via la DGS, tandis que les hydrogéologues sont saisis par une réquisition que je signe le 15 juillet.

Je comprends que le 15 mars, une contamination est intervenue sur un puits. Le puits est mis en décharge. Les lots produits sont isolés. Je reçois cette information sur la contamination le 22 mars de la part de l'ARS et de la présidente de Nestlé Waters. Il s'en suit des échanges techniques entre l'ARS et Perrier. Je ne suis pas informé du fond. Le 16 avril, l'ARS me soumet une proposition d'arrêté de fermeture du forage, ainsi qu'un courrier demandant la destruction des lots produits du 10 au 14 mars sur la ligne 34. Plusieurs prescriptions techniques, notamment la mise en place de recherches virologiques, apparaissent dans ce courrier. Le courrier et l'arrêté sont signés le 19 avril.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur quoi porte exactement cet arrêté ?

M. Jérôme Bonet. - Il ne concerne que la fermeture du forage.

Le 5 avril 2024, le directeur général de l'ARS me suggère de diligenter une inspection inopinée. Je lui réponds favorablement en soulignant la nécessité d'avoir une posture très ferme. C'est sur cette base que le directeur général de l'ARS me propose la rédaction d'une saisine pour une mission d'inspection. La lettre de mission est signée le 28 mai. L'inspection se déroule le 30 mai. Les objectifs principaux consistent à vérifier la mise en décharge de Romane 8, la destruction des lots de bouteilles, le respect des proportions issues du nouveau mélange, l'étude du process analytique interne, le démantèlement effectif des traitements et la traçabilité des process entre les deux types d'eau.

Une première note d'étape m'est transmise le 17 juin 2024 par l'ARS. Elle relève des points positifs, ainsi qu'un certain nombre de doutes. Le rapport d'inspection est bouclé le 13 août 2024. Je ne valide pas ce rapport. Il est signé des inspecteurs, qui sont souverains dans leurs analyses. Depuis, il n'a pas été modifié. Il s'agit du rapport avant contradictoire. Ce rapport m'est transmis le 6 septembre 2024 en vue de lancer le contradictoire. Il est accompagné d'une note du Directeur général de l'ARS qui m'en fait l'analyse. La mission conclut qu'aucun écart majeur de nature à engendrer un risque pour les consommateurs et justifiant des mesures urgentes n'a été constaté. Des écarts mineurs sont tout de même relevés, notamment sur la microfiltration et le non-respect des critères de pureté originelle. La note de synthèse confirme qu'en l'absence de texte, le retrait de la microfiltration ne peut être ordonné. Il est même écrit que ce retrait ferait peser un risque sanitaire.

J'ai transmis ce rapport à Perrier le 12 septembre 2024 dans le cadre du contradictoire. Les réponses de Perrier sont adressées à l'ARS le 16 octobre 2024.

Bien évidemment, la compétence du préfet se retrouve assez dépendante de la compétence technique de l'ARS. En revanche, c'est bien moi qui ordonne l'inspection. Il est donc normal que les suites et les résultats de l'inspection me soient adressés.

Le rapport m'est soumis le 18 décembre, accompagné d'une note de synthèse, du tableau des écarts et d'une proposition de notification des résultats à Perrier. Deux aspects m'interpellent dans ce rendu définitif. Le premier concerne une phrase des inspecteurs sur le devenir du site. J'interroge l'ARS pour savoir sur quelle base scientifique cette affirmation est fondée. Par ailleurs, il m'est demandé d'ordonner le retrait des microfiltrations à 0,2 sous un mois. En tant que préfet, je dois préserver l'ordre public et la santé des populations. Or je n'ai pas reçu d'alerte sanitaire. Pourtant, l'ARS me demande de prendre une décision qui est un acte faisant grief.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il se trouve que ce n'est pas dans l'arrêté d'autorisation.

M. Jérôme Bonet. - Tout à fait. S'agissant d'un acte faisant grief, je cherche la base juridique. Quel texte interdit la microfiltration à 0,2 ? C'est le sens du courrier que j'envoie à l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si cela n'apparaît pas dans l'arrêté, au vu du principe de légalité, il y a un problème.

M. Jérôme Bonet. - Cette microfiltration à 0,2 m'est présentée par l'ARS comme étant autorisée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Jamais l'ARS ne vous dit qu'une question se pose autour de la microfiltration à 0,2 ?

M. Jérôme Bonet. - La question commence à se poser à partir du rendu de la première version du rapport, en 2024. Les interrogations antérieures sont apparues dans la presse, pas dans les rapports que j'ai avec l'ARS. Par ailleurs, les courriers du Directeur général de la Santé qui sont adressés aux deux ARS annoncent une réglementation. Si une réglementation est annoncée, c'est qu'elle n'existe pas. La seule chose que je déduis des textes, à ce moment-là, c'est le fait qu'on ne doit pas porter atteinte au microbisme de l'eau, donc à sa pureté originelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aviez-vous déjà reçu, via l'ARS, l'instruction de la DG Santé sur la microfiltration à 0,2 ?

M. Jérôme Bonet. - Il me semble, sous réserve de vérification, que je reçois cette instruction après mon interrogation de l'ARS. Cela fait partie des références qui me sont envoyées par l'ARS.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourrez-vous nous le confirmer par écrit ?

M. Jérôme Bonet. - Bien sûr.

Dans les éléments qui m'ont été fournis, je n'ai trouvé aucune prescription. En revanche, il est toujours fait référence à la notion d'atteinte au microbisme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans l'audit de la commission, le seuil de 0,2 micron est spécifiquement écarté.

M. Jérôme Bonet. - Dans la conclusion du rapport telle que je l'analyse, c'est assorti d'un conditionnel. Dans les conclusions générales du rapport d'audit, il est écrit qu'« en l'absence de règle harmonisée sur l'utilisation de la microfiltration, les autorités compétentes acceptent l'utilisation de la microfiltration à l'aide de filtres dont la taille des ports peut être aussi faible que 0,2 même si, avec des ports aussi fins, on ne peut exclure le risque d'une modification du microbisme de l'eau. »

Encore une fois, je fais une différence importante entre ce qui relève de recommandations et d'avis, et ce qui relève du droit. La seule référence juridique reste celle que la microfiltration ne doit pas porter atteinte au microbisme de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La phrase suivante dit que ce n'est pas conforme à la législation européenne.

M. Jérôme Bonet. - Mon sujet n'est pas de dire que la microfiltration est autorisée. Il n'y a pas, à mon sens, de texte de droit positif. D'ailleurs, la DGS annonce que ce droit positif arrive.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les arrêtés préfectoraux précisent ce qui est autorisé. La microfiltration fait l'objet d'un dossier en instruction depuis 2023. Le sujet est posé. Vous devez vous prononcer en tenant compte de la législation, alors que des microfiltrations irrégulières sont déjà en place. Vous partez d'une situation d'irrégularité.

M. Jérôme Bonet. - Je pars d'une situation qui est irrégulière au regard des arrêtés préfectoraux. La connaissance que j'en ai est qu'elle a été autorisée, depuis, par un arbitrage issu d'une réunion interministérielle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous vous référez au bleu.

M. Jérôme Bonet. - Tout le monde s'est référé à ce bleu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce moment-là, avez-vous d'autres échanges sur le 0,2 ou ne parlez-vous qu'avec votre directeur d'ARS ? Les cabinets vous passent-ils des instructions ?

M. Jérôme Bonet. - Non. J'ai eu un échange avec le directeur de cabinet du ministre de la santé le 15 janvier suite à un courrier que j'ai adressé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez tout de même des éléments de la DGS qui sont redescendus concernant le 0,2, ainsi qu'une instruction de la Commission européenne. Vous ne les appliquez pas.

M. Jérôme Bonet. - Je ne les applique pas pour deux raisons. Mon analyse juridique ne me permet pas de m'adosser à un texte. De plus, j'ai une alerte de l'ARS qui me dit qu'il y a un risque sanitaire si c'est retiré.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Jamais l'ARS n'évoque avec vous la possibilité de l'arrêt de la production ?

M. Jérôme Bonet. - Jamais. Le 20 janvier, lors de la transmission du rapport et des conclusions, j'ai formulé une exigence inédite auprès de Perrier. Je leur ai demandé de faire la preuve sous deux mois de la conformité de leur process. Cette exigence n'avait jamais été portée auparavant.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le rapporteur, avez-vous d'autres questions ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je voudrais d'abord remercier Monsieur Bonet pour sa clarté dans le déroulé des faits. J'aimerais également partager un point d'étonnement : le déclassement d'un forage se fait en 3 mois ; en revanche, le traitement de la question des microfiltrations prend plus de 2 ans. Pourquoi ?

M. Jérôme Bonet. - Il est plus facile de déclasser que de maintenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le déclassement est une décision beaucoup plus lourde.

M. Jérôme Bonet. - Le déclassement ne relève pas d'une décision préfectorale. C'est une demande du pétitionnaire qui souhaite transformer des forages en un autre type d'eau, en l'occurrence de l'eau de boisson. Ce n'est pas un label que je donnerais à des forages pour les faire régresser. Même si un forage devenait totalement impropre à la production d'eau minérale, il ne serait pas automatiquement déclassé en eau de boisson. Ce serait plutôt le retrait de son autorisation, sauf si le pétitionnaire souhaite en faire autre chose.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Partagez-vous tout de même mon étonnement ? Dans cette affaire, beaucoup de choses s'éternisent. Nous avons l'impression d'une sorte de torpeur administrative. Quel est votre regard ?

M. Jérôme Bonet. - Bien évidemment que c'est long, trop long. La question ne vient pas d'une inertie ou d'une hésitation des agents de l'ARS. Les aller-retour entre administrations et pétitionnaires créent une situation où... Le débat sur les compétences des laboratoires est une manière de ralentir. C'est une démarche un peu dilatoire. Je loue le dévouement des services de l'État et des fonctionnaires, mais ils ont à gérer des quantités de données phénoménales face à des monstres industriels. Les process sont longs. Ils ont été perturbés par des épisodes qui ont inquiété l'ARS. Par exemple, trois hydrogéologues ont été requis. Ils n'ont pas encore rendu leur rapport.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dès le 6 février 2024, un compte-rendu interne à l'ARS mentionne que seul le captage Romaine 7 répond à la définition d'une eau minérale naturelle. Votre courrier du 22 mars au directeur du site de Nestlé réitère le constat de non-conformité de l'eau brute des forages aux critères de pureté originelle. Il a alors été décidé de renforcer de la surveillance analytique. Pourquoi n'avez-vous pas ordonné le déclassement du forage, considérant que nous n'étions plus en présence d'eau minérale naturelle ? Pourquoi avez-vous laissé perpétuer la fraude au consommateur ?

M. Jérôme Bonet. - Cette note du 6 février ne m'a pas été transmise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre courrier reprend ses conclusions.

M. Jérôme Bonet. - Tous les écrits de l'ARS attestaient que la santé sanitaire était garantie et qu'il n'y avait pas de fraude avérée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est tout de même écrit que « la pureté originelle n'est plus présente ». Ce n'est plus de l'eau minérale naturelle. Nous sommes donc bien en présence d'une fraude.

M. Jérôme Bonet. - Il m'est proposé, ce que j'ai fait, de demander à Perrier des mesures complémentaires et de renforcement de la surveillance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avec le recul, trouvez-cela proportionné par rapport à la fraude au consommateur qui était en train de se jouer ?

M. Jérôme Bonet. - Je ne peux pas avoir un avis différent de celui établi par l'ARS et ses spécialistes concernant la qualité intrinsèque de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'ARS vous dit que ce n'est plus de l'eau minérale naturelle au sens de la pureté originelle. Incriminez-vous les modalités d'action proposées par votre service instructeur ?

M. Jérôme Bonet. - Je n'incrimine rien. Ils ont fait un constat sérieux, préoccupant, au regard duquel ils me délivrent un certain nombre de préconisations que je suis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce constat de non-conformité des eaux brutes au critère de pureté originelle pourrait-il être réitéré aujourd'hui pour Romaine 4, 4 bis et 6 ?

M. Jérôme Bonet. - Je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous demandé à l'industriel d'ôter les filtres à 0,2 micron d'ici au 20 mars ?

M. Jérôme Bonet. - Non. Je lui ai demandé de faire la démonstration que son process ne porte pas atteinte aux qualités de l'eau, conformément à l'exigence de l'arrêté.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous d'éléments qui vous permettent d'évaluer par vous-même si ces filtres modifient le microbisme de l'eau ?

M. Jérôme Bonet. - Je ne le sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez donc pas d'informations sur les comparaisons avant/après qui ont été effectuées en Occitanie.

M. Jérôme Bonet. - Non. C'est ce qu'induit la demande que je formule.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le directeur de l'ARS vous a-t-il indiqué que le microbisme était modifié avec les filtres à 0,2 micron ?

M. Jérôme Bonet. - Non. L'ARS m'a seulement indiqué de manière constante que cette filtration à 0,2 micron a été autorisée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que ferez-vous si Perrier n'apporte pas la preuve qu'il est en situation ?

M. Jérôme Bonet. - Il faudra voir quelle est la réponse.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'imagine que vous y avez pensé. Nous parlons de quelque chose qui arrivera dans moins d'un mois et demi.

M. Jérôme Bonet. - J'ai soumis des prescriptions à Perrier qui sont celles prévues par les textes. Si Perrier n'y répond pas, cela remettra en cause les arrêtés d'autorisation d'exploitation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aimerais revenir sur la destruction d'avril 2024. Êtes-vous d'accord avec ce qu'a dit Monsieur Jaffre lors de son audition ?

M. Jérôme Bonet. - À ma connaissance, les certificats ont été adressés et les services vérifient actuellement leur conformité aux exigences. Ce doute semble levé, mais j'attends encore le retour en tant que prescripteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne les avez donc pas ?

M. Jérôme Bonet. - Pas à ce jour.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pensez-vous travailler de manière satisfaisante avec les services de l'ARS ?

M. Jérôme Bonet. - Oui. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de réunir l'intégralité des services concernés pour faire le point. Nous communiquons constamment. Par exemple, j'ai organisé une réunion en octobre avec tous les services sur le statut juridique de la microfiltration. Les choses n'avancent peut-être pas aussi vite que souhaité, mais nous ne travaillons pas en silos. Je suis en contact direct avec les agents de l'ARS qui instruisent ces dossiers.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous observons des rythmes différents selon les dossiers. Pourquoi demander aujourd'hui à Perrier de prouver ses affirmations sur la microfiltration et le microbisme de l'eau, alors que cette question aurait pu être posée il y a 2 ans ? Cela donne l'impression que tout s'éternise.

M. Jérôme Bonet. - Je comprends l'interrogation. Je n'étais pas là il y a 2 ans. Dès que j'ai pris connaissance de ce problème, j'ai réagi. J'ai pris des mesures en fonction de ma compréhension du sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'est-ce qui vous a empêché de saisir le procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale ?

M. Jérôme Bonet. - Je me suis posé cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre arrivée ?

M. Jérôme Bonet. - Non. À mon arrivée, les traitements frauduleux et interdits avaient déjà été retirés. Depuis, je n'ai pas eu connaissance d'éléments justifiant un signalement au procureur au titre de l'article 40.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc le caractère passé des évènements qui vous a poussé à ne pas faire d'article 40.

M. Jérôme Bonet. - Tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Revenons à l'appel téléphonique que vous avez mentionné après l'envoi de votre courrier. Que s'est-il dit lors de cet échange téléphonique avec le directeur de cabinet ? La solution que vous proposez aujourd'hui concernant les trois mois découle-t-elle de cette conversation ?

M. Jérôme Bonet. - J'ai informé le directeur de cabinet de l'interrogation que nous avions, et que nous avions transmise. Il en a pris bonne note, sans qu'aucune position me soit donnée, ni dans un sens ni dans un autre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel retour avez-vous eu depuis ?

M. Jérôme Bonet. - J'ai adressé mon courrier par mail le 14 janvier. Le jour même, le directeur général de la santé m'a mis en copie d'un message adressé au directeur général de l'ARS dans lequel il dit qu'il ne modifie pas sa position.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous sommes dans une situation où l'autorité centrale et la préfecture ne sont pas d'accord puisque le préfet refuse d'engager ce que la DGS lui conseille. Lorsque vous demandez à l'industriel de faire la preuve de l'absence de modification du microbisme de l'eau à 0,2 micron, vous êtes en contradiction avec la DGS. Le voyez-vous ?

M. Jérôme Bonet. - La DGS ne s'est pas adressée à moi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Elle s'est adressée à votre service instructeur, qui vous a transmis l'information. La DGS considère qu'à 0,2 micron, le microbisme est modifié. Une analyse avant-après de votre ARS aurait pu aboutir à la même conclusion. Vous prenez une décision en contradiction avec les recommandations de votre service instructeur et de la DGS. Êtes-vous d'accord ?

M. Jérôme Bonet. - Je suis en désaccord avec une préconisation sur le plan juridique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comprenez que cela fait désordre. Vous voyez le problème que cela pose pour notre commission d'enquête ?

M. Jérôme Bonet. - Pour autant, ce que je demande à Perrier n'avait, jusqu'à présent, été demandé par personne. Je reconnais qu'il y a un débat juridique, et j'entends le sujet de l'arrêté préfectoral. Cependant, dans les préconisations de l'ARS, il n'est jamais mentionné que Perrier contrevient à l'arrêté préfectoral du Gard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous le savez.

M. Jérôme Bonet. - Non. Au moment où le sujet émerge, je ne le sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aujourd'hui, vous le savez. Votre réaction pourrait être de demander une mise en conformité avec l'arrêté.

M. Jérôme Bonet. - Nous avons accordé ces microfiltrations pendant de longs mois, voire des années. Ma position actuelle est de demander à Perrier de démontrer que les dispositions de l'arrêté de 2007 sont respectées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En l'état de vos connaissances, considérez-vous que l'eau puisée à Perrier correspond toujours aux critères d'une eau minérale naturelle ?

M. Jérôme Bonet. - Oui, jusqu'à ce que la démonstration soit faite de l'impact du seuil de coupure à 0,2 micron.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le préfet, avez-vous échangé avec votre homologue des Vosges sur ce sujet ? Avez-vous visité le site de Perrier ?

M. Jérôme Bonet. - Lorsque j'ai demandé à la Direction générale de l'ARS de m'apporter des éléments juridiques pouvant fonder la décision qu'ils me proposaient de prendre, il m'a été indiqué que ma collègue des Vosges avait adopté la posture préconisée. Je l'ai donc appelée pour discuter de ce sujet. J'ai alors découvert que sa position était en réalité celle que j'ai finalement imposée à Perrier, à savoir de faire la démonstration. Nous avons partagé nos points de vue. La préfète des Vosges partageait mon point de vue quant au fait qu'il nous manquait un élément de droit positif.

Concernant le site de Perrier, j'ai refusé de participer à une visite de communication programmée en septembre 2024. J'ai demandé à Perrier de m'organiser une visite standard de l'outil de production, comme je le fais pour tout site industriel du Gard. Cette visite m'a permis de constater l'ampleur de l'appareil industriel en place.

Mme Antoinette Guhl. - Monsieur le préfet, je vous remercie pour ces informations très claires. J'ai deux questions. La première concerne la traçabilité : avons-nous aujourd'hui une traçabilité totale sur les usines Perrier qui distingue la production d'eau minérale naturelle de la production d'eau de boisson ? Sur le même sujet, considérez-vous qu'il est pertinent d'autoriser Perrier à faire ces deux eaux très différentes sur la même ligne de production ?

Par ailleurs, vous dites que la microfiltration à 0,2 a été autorisée. Or il faut un arrêté préfectoral pour cela. Sans arrêté préfectoral, je ne considère pas que la microfiltration à 0,2 soit autorisée. Aujourd'hui, je constate qu'aucun préfet n'a suivi le bleu dont vous avez parlé. Pouvez-vous clarifier ce point ?

M. Jérôme Bonet. - La traçabilité fait partie des écarts qui ont été notifiés à Perrier, dont nous attendons qu'il documente ce point pour garantir l'étanchéité des lignes de production. Je n'ai pas de réponse définitive aujourd'hui.

La question de la cohabitation des différents flux est très technique et dépasse mes compétences en termes de pertinence. Il me semble que le plan de transformation de Perrier prévoit de n'avoir qu'une ligne de production par forage, mais ce point est à confirmer.

Concernant l'autorisation de la microfiltration, j'entends votre point de vue. En tant que préfet, je cherche la source de droit qui me permet d'agir. C'est un fait que la microfiltration n'a pas été autorisée par arrêté préfectoral.

M. Laurent Burgoa, président. - Je ne vois pas d'autre question. Monsieur le Préfet, je vous remercie pour vos réponses. Nous avons beaucoup apprécié cette audition.

Audition de Mme Cécile Courrèges, directrice générale de l'agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes
(Mardi 11 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Madame Cécile Courrèges, directrice générale de l'ARS de la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis le 19 avril 2023.

Madame la directrice générale, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Cécile Courrèges prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous êtes accompagnées de collaborateurs susceptibles de prendre la parole. Je vais donc leur demander de se présenter en déclinant leur identité et leur fonction au sein de l'ARS, et de prêter serment devant nous.

M. Aymeric Bogey, directeur de la santé publique. - Bonjour, je suis directeur de la santé publique au sein de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes.

Mme Christel Lamat, responsable de la cellule bassins hydrographiques Rhône Méditerranée Corse. - Bonjour, je suis responsable régionale sur les eaux.

M. Gilles Bidet, responsable du pôle santé environnement. - Bonjour, je suis responsable du pôle santé environnement pour le département du Puy-de-Dôme.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Aymeric Bogey, Mme Christel Lamat et M. Gilles Bidet prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie. Avez-vous des liens d'intérêt avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Mme Cécile Courrèges, directrice générale de l'ARS de la région Auvergne-Rhône-Alpes. - Je n'en ai aucun.

M. Aymeric Bogey. - Je n'ai également aucun lien d'intérêt.

Mme Christel Lamat. - Je n'ai pas non plus de lien d'intérêt.

M. Gilles Bidet. - Je n'ai pas de lien d'intérêt.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle rapidement pour les internautes, qui visionnent cette séance par l'intermédiaire du site du Sénat, que ce dernier a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les « pratiques des industriels de l'eau en bouteille ».

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête du Sénat vise à apporter un éclairage sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur les contrôles des exploitations d'eau minérale naturelle au niveau local. Les ARS sont chargées du contrôle sanitaire des eaux conditionnées, ce qui inclut la vérification de la qualité des eaux, l'inspection des installations et le contrôle des mesures de surveillance mises en place par l'exploitant. En tant que directrice générale de l'ARS de la région Auvergne-Rhône-Alpes, vous opérez dans une région où l'activité des embouteilleurs est importante pour l'économie locale, avec des exploitations comme Volvic, Évian ou encore Châteldon.

Nous souhaitons savoir comment votre ARS est armée pour garantir le contrôle des eaux conditionnées et quelles évolutions seraient souhaitables pour renforcer ces contrôles, notamment en termes d'effectifs, de moyens et de mutualisation des pratiques. Nous nous interrogeons également sur l'impact des fraudes ayant touché les groupes Alma et Nestlé Waters sur votre dispositif de contrôle en Auvergne-Rhône-Alpes. Avez-vous connaissance de traitements interdits, y compris la microfiltration à moins de 0,8 micromètre, sur certains sites relevant de votre ARS ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui affecte la confiance des consommateurs envers un secteur auquel nous tenons tous ?

Voici quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : votre présentation initiale, pour une durée de 15 à 20 minutes, suivie des questions de notre rapporteur, puis de celles de nos collègues.

Madame la directrice générale, vous avez la parole.

Mme Cécile Courrèges. - Merci Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs. Je vous remercie de m'avoir conviée à cette audition pour présenter l'action menée par l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes dans le domaine de la sécurité sanitaire des eaux conditionnées. J'occupe le poste de directrice générale depuis mi-mai 2023, et pour certains sujets antérieurs à ma prise de fonction, je m'appuierai sur les informations transmises par mes services.

Même si j'exerce depuis 20 ans dans le domaine de la santé à différents niveaux de responsabilité, je ne suis pas une experte en eau, c'est pourquoi je suis accompagnée de trois collaborateurs qui travaillent plus précisément sur ce sujet.

Avant d'évoquer les missions de l'ARS en matière de sécurité sanitaire des eaux conditionnées, et la manière dont nous les mettons en oeuvre, je souhaite vous dresser un rapide panorama de cette activité dans notre région.

Comme vous l'avez évoqué, la région Auvergne-Rhône-Alpes présente une concentration significative de sites d'embouteillage, avec 36 sites exploitant 44 eaux conditionnées. Cela représente 30 sources d'eau minérale naturelle dont 8 faisant l'objet d'une déclaration d'utilité publique, et 14 eaux de source. Nous sommes de loin la région française disposant du plus grand nombre de sites d'embouteillage, représentant environ 50 % de la production nationale d'eau minérale. En 2023, nous avons produit 4,375 millions de mètres cubes d'eau conditionnée, dont 3,483 millions d'eau minérale.

Aux côtés de plus petites marques, sont présents deux grands groupes : Danone, numéro deux mondial derrière Nestlé, avec les eaux minérales Évian, Volvic et Badoit, et le groupe Alma, avec les eaux minérales Saint-Yorre, Vichy-Célestins, Parot, Rozana, Châteldon, Thonon, Vals et Arcens, mais également les eaux de source Cristalline, dont une partie est produite dans la région, ainsi que les eaux Mont Dore. De grandes marques de distributeurs sont également présentes, contrairement au groupe Nestlé, qui n'est pas implanté en Auvergne-Rhône-Alpes.

Nous avons par ailleurs 27 établissements thermaux exploitant des eaux minérales. Sur l'ensemble des activités à mener dans le domaine des eaux, les eaux conditionnées représentent seulement 0,5 % des installations à surveiller, comparé aux 8 100 captages d'eau destinée à la consommation humaine dans la région. Elles ne représentent que 0,2 % des analyses non conformes à gérer.

Nous consacrons à cette activité 1,8 % des effectifs des services en charge du contrôle sanitaire des eaux, soit l'équivalent d'un ETP, plus 1,4 ETP pour le thermalisme. Entre 4 et 8 % de nos inspections-contrôles concernent ce secteur, avec par exemple six inspections réalisées en 2024.

Consciente de la sensibilité de ce sujet des eaux conditionnées, l'ARS a, depuis le 1er janvier 2021, souhaité mutualiser cette activité, comme celle du thermalisme, autour de cinq secteurs géographiques. La direction départementale de l'Ardèche gère aussi la Drôme, celle du Puy-de-Dôme s'occupe du Cantal et de la Haute-Loire, celle de la Loire s'occupe de l'Allier et du Rhône, celle de la Savoie gère l'Isère, et celle de la Haute-Savoie s'occupe de l'Ain.

Cette organisation permet de tenir compte de nos effectifs contraints, du nombre restreint d'établissements dans certains départements, et de la nécessité de disposer d'un haut niveau d'expertise, qu'il est délicat de maintenir lorsque l'activité est relative.

Pour autant, cela reste une activité très départementale, en raison des compétences préfectorales en la matière. Sur plusieurs sujets, nous n'intervenons pas en compétence propre, mais pour le compte du préfet. Dans une grande région comme la nôtre, cela induit que la plupart des sujets ne sont pas traités au niveau régional.

Les collègues de chacun des secteurs géographiques sont chargés de mettre en oeuvre les missions de l'ARS en matière de sécurité sanitaire des eaux conditionnées, missions que je souhaite vous rappeler brièvement.

La politique de l'eau est une politique très partagée, mobilisant de nombreux acteurs, publics et privés et, au sein de l'État, de nombreux services placés sous la coordination des préfets. Les agences régionales de santé sont amenées à intervenir pour le compte des préfets, dans une logique de collaboration étroite interservices.

Dans ce cadre, nous disposons d'une mission d'instruction administrative sur les demandes d'autorisation et de modification, les déclarations d'intérêt public (DIP), les travaux inclus dans le périmètre d'une DIP, et l'importation des eaux conditionnées.

Nous menons également une mission de gestion des situations à risque, une mission de gestion des situations de non-conformité en concertation avec l'exploitant et les directions départementales de la protection des populations (DDPP), nous soumettons des propositions au préfet pour prendre toute mesure nécessaire pour protéger la santé des personnes, ou interrompre l'exploitation si elle constitue un danger pour la santé des personnes.

Concernant les compétences propres de l'ARS, nous disposons de deux missions principales : une mission de surveillance de la qualité des eaux conditionnées, et une mission de contrôle et d'inspection.

Concernant le contrôle sanitaire, il s'agit d'un contrôle de second niveau. L'eau étant considérée comme une denrée alimentaire, et relevant à ce titre du paquet hygiène communautaire, l'exploitant est responsable de l'autosurveillance et du contrôle de premier niveau.

Nous réalisons environ 1 200 prélèvements par an dans le cadre du contrôle sanitaire pour l'ensemble des eaux conditionnées de notre région, avec une fréquence et des paramètres définis par la réglementation. Ces paramètres dépendent du volume produit, du nombre de lignes d'embouteillage, du nombre d'émergences. Des analyses sont prévues au niveau des émergences, des mélanges de celles-ci, et au point où les eaux sont conditionnées. L'ARS peut fixer des contrôles supplémentaires si l'eau ne respecte pas les limites de qualité ou en présence de signes de dégradation.

Plus de 99 % des analyses sont conformes sur les paramètres bactériologiques et chimiques, un chiffre stable depuis cinq ans. Il est bien supérieur à celui d'autres activités sous le contrôle de l'ARS. Par exemple, dans le thermalisme, 9 % des prélèvements sont non conformes, soit environ 200 par an, entraînant parfois des arrêtés d'interdiction temporaire ou des fermetures de postes de soins. Pour l'eau destinée à la consommation humaine, 4 % des prélèvements étaient non conformes en 2023, soit 2 300 cas, ayant conduit à 110 mesures de restriction temporaire de la consommation.

Par ailleurs, il est important de noter que sur les 603 signalements de toxi-infections alimentaires collectives reçus en 2024 dans la région, aucun n'a été lié à la consommation d'eau conditionnée.

Notre mission de contrôle et d'inspection des installations varie de 3 à 16 inspections par an sur les cinq dernières années. Bien qu'il n'existe pas encore d'objectif national d'inspection-contrôle pour cette mission, une instruction de la direction générale de la santé (DGS) devrait bientôt préciser les attendus. Les contrôles sont principalement effectués avant la mise en service de nouvelles installations ou lors de modifications d'autorisations existantes. À cette occasion, le laboratoire agréé réalise des prélèvements sur les nouveaux ouvrages pour vérifier leur conformité au regard de l'arrêté préfectoral.

Des inspections inopinées peuvent également être menées en cas de situations problématiques, comme ce fut le cas à Saint-Yorre en 2021 pour vérifier le retrait d'installations de traitement, ou en Ardèche pour une source exploitée sans autorisation.

Nous avons également été associés, dans le cadre de la mission IGAS en 2022, à l'inspection de quatre sites d'embouteillage dans la région (sources Vernet en Ardèche, Parot dans la Loire, Laqueuille dans le Puy-de-Dôme et Évian en Haute-Savoie) dont deux en présence des inspecteurs de la mission. En 2024, nous avons participé à l'audit de la Commission européenne, avec le contrôle de deux sites en présence des auditeurs (Saint-Yorre dans l'Allier et Rozana dans le Puy-de-Dôme).

Par ailleurs, nous recevons et gérons des plaintes de consommateurs d'eaux conditionnées, dont le nombre est assez faible : moins d'une dizaine au cours des cinq dernières années. Chaque plainte fait l'objet d'une enquête des services de l'ARS, mais aucune n'a révélé de risque sanitaire lié à la qualité des eaux en bouteille.

J'espère vous avoir montré l'engagement de l'ARS afin de garantir la sécurité et la qualité sanitaire des eaux conditionnées. Je souhaite saluer l'engagement et le professionnalisme des équipes santé et environnement des ARS, qui sont pleinement mobilisées sur ces enjeux, dans le cadre des compétences et des moyens qui leur sont donnés.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci beaucoup, Madame la directrice générale. Je vais maintenant donner la parole à notre rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci Monsieur le Président, et merci Madame la directrice générale pour votre présence et cet exposé liminaire qui a mis en lumière plusieurs aspects de votre travail, notamment certains suivis que vous avez mentionnés concernant la toxicité et les plaintes. Ce sont des informations précieuses pour notre commission.

J'aimerais revenir sur la procédure d'autorisation et son déroulement dans votre région. Nous avons constaté dans certains départements des incohérences entre les arrêtés préfectoraux et les pratiques observées sur le terrain, notamment concernant la microfiltration. Pouvez-vous nous dire si la situation est bien maîtrisée en Auvergne-Rhône-Alpes et si vous observez des non-conformités ?

Deuxièmement, nous avons remarqué que certains industriels mettent parfois en place des installations en anticipant une modification de l'arrêté préfectoral, sans garantie que celle-ci soit accordée. Avez-vous observé de telles pratiques dans votre région ?

Enfin, concernant la durée d'instruction des arrêtés préfectoraux, pouvez-vous nous communiquer des informations sur les délais moyens ? Cette question est particulièrement pertinente dans le contexte de l'affaire Nestlé, où nous avons constaté une certaine lenteur dans la délivrance et la modification des arrêtés préfectoraux.

Mme Cécile Courrèges. - Je vais laisser mes collaborateurs répondre plus en détail sur les procédures d'autorisation, car elles sont gérées au niveau départemental, sous l'autorité du préfet.

Concernant les décalages entre les arrêtés et les pratiques, il est vrai qu'ils peuvent exister, notamment pour les arrêtés anciens. Pour les grandes exploitations, des modifications sont régulièrement apportées. Sur la question spécifique de la microfiltration, qui intéresse particulièrement cette commission, les arrêtés n'ont pas toujours détaillé ces aspects par le passé. À la suite des événements récents, notamment l'affaire Nestlé, nous avons réexaminé ce sujet de manière plus systématique. Désormais, lors de toute demande de modification, nous sollicitions la réalisation d'un point complet sur les filtrations de manière générale, afin de les inscrire systématiquement dans les arrêtés si ce n'était pas le cas auparavant.

Concernant les durées d'instruction, en distinguant les autorisations initiales des modifications, qui suivent des processus différents, je vais laisser la parole à M. Gilles Bidet.

M. Gilles Bidet. - La durée d'instruction varie selon les dossiers. Elle dépend des éléments fournis par l'exploitant, de l'avis d'un hydrogéologue agréé.

M. Laurent Burgoa, président. - Les hydrogéologues sont-ils en grève dans votre région ?

M. Gilles Bidet. - Effectivement, la grève nationale des hydrogéologues peut ajouter un délai supplémentaire. Par la suite, un suivi analytique sur une période de six mois à un an doit permettre d'évaluer la minéralisation et la qualité de l'eau à l'émergence. Le processus comprend également un passage en Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) et l'avis d'autres services. Pour une nouvelle autorisation, l'instruction peut prendre deux ans. Une modification ne nécessite généralement pas un nouveau suivi analytique, mais le délai dépend de la nature de la modification.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer un ordre de grandeur d'un délai pour une modification ?

M. Gilles Bidet. - Je peux vous donner l'exemple avec un arrêté concernant Châteldon, dont la demande a été déposée en juin avec une signature en décembre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pensez-vous que ces six mois sont représentatifs ?

M. Gilles Bidet. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'instruction d'un arrêté de modification ne prend donc pas plus d'un an.

M. Gilles Bidet. - En général, non. Comme je l'ai mentionné, cela dépend aussi de la célérité de l'exploitant à fournir les éléments du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Bien sûr, merci beaucoup.

Passons maintenant à la question de la microfiltration en Auvergne-Rhône-Alpes. Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la situation ? Combien d'exploitants utilisent la microfiltration sous le seuil de coupure de 0,8 micromètre, identifié comme possible par l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) ? Existe-t-il des entreprises filtrant jusqu'à 0,2 micromètre, sachant que la direction générale de la Santé (DGS) et la Commission européenne considèrent qu'il ne s'agit plus d'eau minérale naturelle lorsque ce seuil est pratiqué ?

Pourriez-vous nous dresser un tableau de la situation, en classant les marques selon trois catégories : celles qui sont hors de tout soupçon, celles qui soulèvent des interrogations, et celles qui vous semblent problématiques ? Une classification verte, orange et rouge serait appréciée pour distinguer ces différents cas.

Mme Cécile Courrèges. - Je tiens à préciser que les informations que je vais vous communiquer ne sont que celles portées à notre connaissance, sur une base déclarative. Nous avons été destinataires des questionnaires de l'IGAS et avons pu compléter certaines informations par la suite.

À notre connaissance, sur les 41 eaux exploitées dans la région, 37 sont considérées comme n'ayant pas de filtration inférieure à 0,8 micromètre. Il s'agit donc de la grande majorité. Concernant les quatre sources restantes avec des microfiltrations inférieures à 0,8 micromètre, deux présentent des filtrations comprises entre 0,45 et 0,8 micromètre, 0,45 étant la limite pressentie dans l'instruction attendue de la DGS, déjà utilisée en Belgique et en Espagne. Dans le Puy-de-Dôme, une microfiltration à 0,5 micromètre a été autorisée par arrêté préfectoral en 2004 pour éliminer des éléments indésirables dans l'eau. Des analyses avant et après filtration ont été effectuées pendant plusieurs années pour vérifier l'impact sur le microbisme de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des analyses ont donc conclu à l'absence d'impact sur le microbisme de l'eau.

Mme Cécile Courrèges. - Exactement. Une autre eau de source, cette fois-ci dans l'Ardèche, utilise des filtrations à 0,65 et à 0,45 micromètre, qui ne sont pas mentionnées dans l'arrêté d'autorisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous découvert cela lors d'une inspection ?

Mme Cécile Courrèges. - Nous l'avons découvert via les questionnaires de l'IGAS et avons pu confirmer avec l'exploitant que ces filtrations existent bien, mais ne figurent pas dans l'arrêté d'autorisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous préciser de quelle eau il s'agit ?

Mme Cécile Courrèges. - Il s'agit de Rochemaure. L'exploitant a été saisi pour une demande de mise en conformité. Nous lui avons demandé de justifier les raisons de cette filtration et de fournir des éléments d'analyse, ce qui nous permettra ensuite de vérifier nous-mêmes, car à ce stade, nous n'avons pas effectué d'analyse avant-après, n'étant pas informés de cette microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous leur demandez donc également des éléments concernant l'avant-après, c'est-à-dire pour vérifier qu'il n'y a pas de modification du microbisme.

Mme Cécile Courrèges. - Exactement. C'est à l'exploitant d'apporter les premiers éléments de preuve assurant l'absence d'impact sur le microbisme. Une fois ces éléments déclaratifs fournis, nous procéderons à notre propre vérification.

Deux autres eaux minérales présentent des filtrations inférieures à 0,45 micromètre.

L'une, Hydroxydase, se trouve dans le Puy-de-Dôme. Vous nous avez interrogés à son propos dans le questionnaire, et nous vous fournirons des réponses écrites. La filtration à 0,25 micromètre a été autorisée par arrêté préfectoral en 2009, en raison d'une problématique d'argile. Depuis son autorisation, des analyses systématiques avant-après n'ont pas montré d'évolution de la qualité bactériologique de l'eau ni d'atteinte au microbisme. Cependant, en anticipation de l'instruction de la DGS et sur la base des courriers envoyés aux directeurs généraux des ARS d'Occitanie et du Grand Est, nous avons demandé à l'exploitant soit de retirer immédiatement cette filtration, soit de fournir des éléments de justification pour que nous puissions en référer à la DGS. Si l'instruction est publiée entre-temps, la situation sera réglée par ce biais. Nous réexaminons donc cette situation, bien qu'elle soit autorisée et que les contrôles n'aient pas montré d'atteinte au microbisme de l'eau depuis plusieurs années.

L'autre situation concerne une eau minérale en Savoie, celle d'Aix-les-Bains, avec une filtration à 0,2 micromètre et une autre à 0,65 micromètre, non autorisées par l'arrêté préfectoral. Une mise en demeure a été adressée pour demander le retrait de celle à 0,2 micromètre et des justifications pour celle à 0,65 micromètre.

Voilà le résumé des situations dont nous avons connaissance aujourd'hui.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame la directrice générale, serait-il possible de consulter les courriers que vous avez envoyés à l'entreprise du Puy-de-Dôme ?

Mme Cécile Courrèges. - Bien sûr. Nous nous sommes basés sur les courriers envoyés aux directeurs généraux des ARS d'Occitanie et du Grand Est pour engager ces procédures, en anticipation de l'instruction attendue.

M. Laurent Burgoa, président. - À ce jour, avez-vous reçu des réponses à ces courriers ?

Mme Cécile Courrèges. - Non. Concernant le premier cas, la filtration étant autorisée et supérieure à 0,45 micromètre, nous n'attendons pas de réponse. Nous avons vérifié sur place que le seuil n'était effectivement pas inférieur à 0,45 micromètre.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous fixé dans ce courrier un délai de réponse à l'entreprise ?

Mme Cécile Courrèges. - Oui, nous avons fixé un délai. Ces courriers ont été envoyés en décembre-janvier.

M. Laurent Burgoa, président. - Quel délai avez-vous accordé ?

Mme Cécile Courrèges. - Nous accordons en général un délai de deux mois. Nous vous transmettrons les courriers. Nous avons fixé des délais classiques pour ce type de situation de mise en conformité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En résumé, il existe une eau pour laquelle les analyses avant-après ont été effectuées et qui serait au-delà des seuils de 0,45 micromètre. Si l'instruction de la DGS se confirme, il n'y aurait pas de problème pour ce cas. Ensuite, deux eaux se trouvent en non-conformité vis-à-vis des arrêtés préfectoraux et une eau est en conformité avec l'arrêté préfectoral, mais en dessous des seuils autorisés.

Je souhaiterais obtenir des précisions concernant les contrôles effectués à la suite des révélations chez Nestlé. Avez-vous mis en place une campagne de contrôle à la suite du rapport IGAS, sachant que l'entreprise Alma, impliquée dans ce dossier, est présente dans votre région ? Avez-vous ainsi pu vérifier combien des 41 eaux citées ont fait l'objet d'un contrôle ces deux, trois, quatre ou cinq dernières années ? Pouvez-vous nous donner une idée de la fréquence des contrôles effectués sur site à ce sujet ?

Mme Cécile Courrèges. - Je ne peux pas affirmer que nous avons contrôlé l'ensemble des 41 eaux exploitées. C'est pourquoi j'ai précisé qu'il s'agissait des seules informations portées « à notre connaissance », sur la base de déclarations. L'instruction en cours vise justement à établir un cadre national de contrôle qui nous permettra de réexaminer la situation sur place.

À la suite des éléments dont nous avons eu partiellement connaissance, et en rappelant que le dossier Alma est concerné par une procédure judiciaire, ce qui limite l'accès aux informations, nous avons systématiquement vérifié les systèmes de filtration lors des demandes de modification, et mis à jour les arrêtés d'exploitation en conséquence. Nous accordons désormais une attention particulière à la qualité de l'eau à l'émergence, notamment concernant la flore.

La fréquence des contrôles varie d'une année à l'autre. Avant ces révélations, nous effectuions environ trois à quatre contrôles par an, principalement des visites de récolement. En 2018, nous avons réalisé quatre inspections sur site, trois en 2019 et trois en 2020. En 2021, ce chiffre est passé à douze, puis à seize en 2022, en partie due à notre participation à la mission IGAS. En 2023, nous avons effectué neuf contrôles, incluant notre participation à l'audit de la Commission européenne. Pour 2024, ils sont au nombre de six. L'activité reste soutenue, mais il faut tenir compte de nos effectifs limités et de l'ensemble de nos missions liées à l'eau, avec plus de 8 000 captages et de nombreuses exploitations d'eau potable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous nous donner plus de détails sur les trois eaux mentionnées ? S'agit-il d'eaux rattachées aux grands groupes comme Danone ou Alma, ou plutôt de petits embouteilleurs ?

M. Gilles Bidet. - Hydroxydase est un très petit embouteilleur avec une production très limitée. Laqueuille dépend de la société Aquamark, au sein du groupe Leclerc.

Mme Cécile Courrèges. - La troisième, Aix-les-Bains, n'est rattachée ni à Alma ni à Danone.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour ces précisions. J'aimerais revenir sur l'historique, peut-être même avant votre arrivée à la direction de l'ARS. Vous évoquez un taux de conformité de 99 % : sur les dix dernières années, quelles ont été les principales non-conformités observées ? Certaines ont-elles conduit à des décisions radicales comme la suspension ou l'arrêt de la production dans la région ? Avez-vous déjà eu recours à l'article 40 du code de procédure pénale lorsque vous avez découvert des faits contraires à la réglementation ? Concernant les questions actuelles sur la microfiltration, avez-vous envisagé son utilisation en matière de tromperie ?

Mme Cécile Courrèges. - Je dois faire preuve de réserve, car je ne suis arrivée qu'en mai 2023, donc je n'ai pas nécessairement connaissance de tout l'historique. Cependant, je réaffirme que la grande majorité des résultats sont conformes et stables dans le temps.

Nous avons néanmoins rencontré quelques situations de non-conformité. Nous avons eu des problèmes bactériologiques et plus récemment, un cas de contamination par des pesticides. Ces problématiques ont pu aboutir à l'abandon d'un forage, généralement à l'initiative de l'exploitant lui-même. Il est important de noter que la plupart des situations de non-conformité sont gérées en collaboration avec l'exploitant, sans nécessiter l'utilisation d'outils administratifs contraignants.

En 2024, nous avons rencontré un cas d'abandon de captage en raison de la présence de pesticides. Nous avons également rencontré des situations de non-conformité dues à une mauvaise maîtrise du processus de traitement de l'eau, entraînant par exemple des teneurs élevées en nickel ou en manganèse. Ces problèmes sont généralement résolus en remettant en ordre la filière de traitement.

L'utilisation de l'article 40 a été nécessaire dans un cas. Une inspection inopinée avait déjà donné lieu à un procès-verbal et à une condamnation à une amende de l'exploitant. Par la suite, l'article 40 a été utilisé pour des motifs de faux documents fournis dans le but d'obtenir une autorisation. Cette affaire a duré plusieurs années et concernait une exploitation sans autorisation, à savoir les sources du Pestrin en Ardèche. Depuis, ces sources ont été reprises par un autre exploitant qui est en train de régulariser la situation avec un nouveau dossier d'autorisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos contrôles se sont-ils adaptés aux réalités découvertes chez Nestlé ? Avec le président Burgoa, nous avons observé la mise en place par l'industriel d'un système sophistiqué de coffrage avec des portes coulissantes pour dissimuler des solutions interdites. Avez-vous vérifié l'absence de tels systèmes cachés ?

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise que l'ARS d'Occitanie nous avait heureusement prévenus la veille, sinon nous n'aurions peut-être pas pu les découvrir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout à fait.

Concernant l'animation par la DGS de ce sujet, des réunions et des échanges entre ARS ont-ils eu lieu ? Comment ce sujet a-t-il été géré ces dernières années, avant et après sa médiatisation ? Nous avons été surpris d'apprendre que le ministère de l'Industrie était au courant à l'été 2021, alors que l'ARS Occitanie n'a été informée qu'en novembre 2022 pour Nestlé. Avez-vous reçu des informations ? Comment s'est déroulée la communication entre les ARS ayant des sites d'embouteillage sur leur territoire ?

Mme Cécile Courrèges. - En Auvergne-Rhône-Alpes, nous connaissons mieux la situation d'Alma que celle de Nestlé. Concernant l'évolution des contrôles, je dois admettre que nous sommes assez démunis face à ces situations. En tant qu'agences sanitaires, notre priorité est le contrôle de la sécurité sanitaire. Nous ne sommes pas habitués à contrôler la fraude, problème dont il est question ici. Nos pouvoirs de contrôle atteignent leurs limites dans ces situations.

Cette affaire nous montre qu'il faut tirer des leçons, notamment en développant davantage de contrôles interservices. Nous devrions unir nos compétences sanitaires avec celles de la direction départementale de la protection des populations (DDPP), plus orientée vers ce type de contrôle. Nous serions également intéressés par un retour d'expérience du service national d'enquête (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui a pu aller jusqu'à recouper des factures entre vendeurs et exploitants dans l'affaire Alma, ce que nous n'avons pas le pouvoir de faire.

Il est nécessaire de revoir nos méthodes de contrôle pour intégrer la notion de fraude, qui ne figure pas initialement dans notre conception initiale. Nos contrôles étaient principalement axés sur la sécurité sanitaire des installations et de l'eau produite.

M. Laurent Burgoa, président. - Je suis d'accord : les ARS disposent d'une compétence sanitaire, et le sujet évoqué par le rapporteur relève plutôt de la fraude. Dans d'autres régions, les ARS sont accompagnées de la DDPP, représentante de la DGCCRF, pour les contrôles. Est-ce le cas dans votre région ? Effectuez-vous des contrôles conjoints ? Existe-t-il une communication entre les services de l'État ?

Lors de vos réunions entre ARS, abordez-vous ces sujets ? Par exemple, en discutez-vous avec le Grand Est et l'Occitanie ? Avez-vous créé un sous-groupe ARS dédié à l'eau en bouteille ?

Mme Cécile Courrèges. - Il n'existe pas de systématicité des contrôles avec la DDPP dans notre région. J'ai entendu que c'était peut-être le cas dans une autre région, probablement dans le cadre des protocoles préfets-ARS ou d'un cadre interservices, mais ce n'est pas notre cas. Je me tourne vers mes collaborateurs, mais il ne me semble pas qu'il y ait une pratique systématique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a pas de pratique systématique, mais est-ce déjà arrivé ?

Mme Cécile Courrèges. - Cela a pu arriver.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans quels types de cas ?

M. Gilles Bidet. - Nous faisons appel à la DDPP et cherchons une concertation allant jusqu'à des visites conjointes lorsqu'il peut y avoir un impact sur les étiquetages, une modification de la minéralisation de l'eau, ou des non-conformités pouvant entraîner un rappel ou une destruction des lots. Dans ces cas, nous menons systématiquement une action commune.

Mme Cécile Courrèges. - C'est pourquoi nous estimons nécessaire de bénéficier d'une approche plus systématique de ces contrôles conjoints. Même en matière d'hygiène alimentaire, les services de la DDPP sont mieux formés que les agents de l'ARS. Nous avons tout à gagner à cette collaboration interservices.

Dans l'affaire Alma, nous nous sommes naturellement tournés vers les services de la DDPP, car, une fois établi qu'il ne s'agissait pas d'un problème de risque sanitaire, mais de fraude, nous avons estimé que leurs services étaient les mieux armés pour gérer ce type de situation. Cela a d'ailleurs conduit à la saisine du SNE de la DGCCRF.

Par ailleurs, nous n'avons pas eu à échanger entre directeurs généraux d'ARS, même si une information collective a été partagée juste avant la publication du rapport IGAS. Je pense que les échanges ont été plus importants entre l'Occitanie et le Grand Est. Bien que nous soyons la région la plus concernée par l'eau conditionnée, Nestlé n'est pas présent sur notre territoire, donc le contexte est différent.

Des échanges ont eu lieu au niveau des équipes et avec la DGS, notamment dans le cadre de la préparation de la mission IGAS et de l'audit de la Commission européenne. En tant que région la plus concernée en quantité d'eau embouteillée, nous sommes systématiquement impliqués dans les démarches nationales. Nous sommes également associés par la DGS à la préparation de l'instruction et aux discussions autour du protocole entre administrations centrales, visant à mieux redéfinir les rôles de chacun à l'avenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas répondu sur deux points : à quel moment avez-vous été informé de ce qui s'était dit au ministère de l'Industrie, et quand avez-vous eu accès au rapport IGAS vous concernant ? L'avez-vous d'ailleurs reçu ? Enfin, avez-vous reçu le bleu de Matignon concernant Nestlé, qui mentionnait des éléments sur le seuil de microfiltration ?

Mme Cécile Courrèges. - Concernant la première et la troisième question, nous ne sommes pas concernés par Nestlé. Les échanges sur ces points ont eu lieu avec les régions où cette société est implantée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez donc reçu aucune information à ce moment-là.

Mme Cécile Courrèges. - Non. Nous n'avons pas reçu d'informations structurées sur le sujet, en dehors des éléments contenus dans le cadre du rapport IGAS. Nous avons été destinataires de ce dernier en février 2024, lorsqu'il a été rendu public.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci Monsieur le rapporteur. Je laisse maintenant la parole à Madame la vice-présidente Ventalon.

Mme Anne Ventalon. - Je souhaiterais profiter de la présence de Madame la directrice générale pour obtenir quelques précisions. Vous avez mentionné en préambule que vous travaillez pour le compte des préfets. Pourriez-vous détailler vos collaborations ? Je pense notamment au cas où l'article 40 a été utilisé, impliquant fortement les services de la préfecture de l'Ardèche. Comment cette collaboration se décline-t-elle ?

Mme Cécile Courrèges. - Concernant la situation que vous évoquez en Ardèche, qui s'est étendue sur plusieurs années, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les préfets, partageant une vision et une action communes sur ce dossier. De manière générale, nous traitons de nombreux sujets en coordination avec la DDPP, notre interlocuteur principal sur certaines questions. Par exemple, nous examinons souvent les plans de consommateurs avec la DDPP.

Notre fonctionnement est encadré par les protocoles préfets-ARS. Nous sommes chargés de l'instruction des modifications et autorisations, mais la signature finale relève du préfet, avec des passages en CODERST impliquant un travail interservices.

Pour la gestion des alertes, que ce soit pour l'eau potable ou le thermalisme, nous suivons le principe général. Nous n'informons pas systématiquement le préfet de toutes les non-conformités. Les protocoles prévoient une information du préfet dans trois cas : face à un exploitant récalcitrant nécessitant des mesures plus strictes, en cas de danger immédiat pour la population, ou lorsqu'il existe un impact majeur potentiel sur le fonctionnement de l'exploitation. Dans les autres situations, comme les nombreuses non-conformités mineures sur l'eau potable, nous gérons en interne avec un rétablissement rapide de la situation.

Les missions de santé environnement des ARS sont principalement départementales, malgré notre statut d'agence régionale. Il s'agit d'un choix fondamental, décidé lors de la création des ARS, avec une disposition spécifique dans la loi prévoyant que dans ces domaines, nous agissons pour le compte du préfet. Cela implique une collaboration étroite avec les services de l'État sous autorité préfectorale, ainsi qu'avec les préfets et sous-préfets, certains sujets étant suivis au niveau des sous-préfectures.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous avez informés que l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes a effectué divers contrôles des industriels d'eau en bouteille entre 2021 et 2024, soit 43 au total. Cela signifie-t-il que vous avez contrôlé au moins une fois chacun des 41 industriels durant ces 4 ans, ou certains ont-ils été contrôlés plusieurs fois ? Pouvez-vous nous éclairer sur ces choix ?

Mme Cécile Courrèges. - La similitude entre le nombre de contrôles et le nombre d'industriels est une coïncidence. Certains ont été contrôlés plusieurs fois, d'autres probablement pas du tout. Il faut préciser ce que nous entendons par « contrôle ». Il ne s'agit pas toujours d'une inspection complète des installations. Cela peut inclure des visites de récolement, plus ciblées sur certains aspects. L'intensité des contrôles peut donc varier considérablement.

Il est important de noter qu'un contrôle sur site, qu'il s'agisse d'une visite de récolement ou d'une inspection ciblée, mobilise généralement deux personnes pendant une journée. Nous avons pris conscience de la différence avec les moyens du SNE, par exemple, lors de l'affaire Alma. Leurs inspections peuvent durer plusieurs jours, avec plusieurs personnes et des pouvoirs de perquisition et de saisie.

Cela soulève la question des moyens et des ambitions que nous voulons nous donner pour ces contrôles. C'est pourquoi je précise toujours que nos conclusions sont basées sur notre connaissance et les moyens dont nous disposons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous préciser ce que vous entendez exactement par « visite de récolement » ?

Mme Christel Lamat. - Une visite de récolement est une visite obligatoire réglementaire. Elle intervient après une demande de modification ou d'autorisation. L'exploitant ne peut reprendre son activité qu'après une inspection de l'ARS sur site, vérifiant que tous les points modifiés ou nouveaux sont conformes à l'arrêté préfectoral. Nous effectuons également une analyse en laboratoire le jour même pour vérifier la conformité. Un procès-verbal est établi, attestant de la conformité entre l'arrêté et la réalité sur le terrain. C'est seulement après cette validation que l'exploitant peut démarrer l'activité conformément à la modification.

Nous réalisons davantage de visites de récolement, car elles sont obligatoires et nous prennent proportionnellement plus de temps que pour d'autres types d'inspections.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci beaucoup. Pour la poursuite de nos travaux, pourriez-vous nous transmettre le protocole ARS-préfet que vous avez mentionné, détaillant les conditions de transmission d'informations ?

Mme Cécile Courrèges. - Bien sûr.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, Madame la directrice générale, pour cette audition qui, je l'espère, aura éclairé notre commission. Je remercie également vos collaborateurs qui ont apporté des compléments d'information à vos propos.

Audition de M. Joël Mathurin, préfet du Puy-de-Dôme
(Mardi 11 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le préfet, Madame la sous-préfète, nous vous remercions pour votre présence dans le cadre de cette commission d'enquête.

Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de M. Joël Mathurin, préfet du Puy-de-Dôme, accompagné de Mme Pascale Rodrigo, sous-préfète de Riom.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle, Monsieur le préfet, Madame la sous-préfète, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Joël Mathurin et Mme Pascale Rodrigo prêtent serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je rappelle que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous poursuivons cette série d'auditions visant à mettre en lumière l'action des autorités à l'échelle locale en ce qui concerne les exploitants d'eaux minérales naturelles.

En tant que préfet du Puy-de-Dôme, vous opérerez dans une région où l'activité des embouteilleurs est importante pour l'économie locale.

Pouvez-vous rappeler les principaux sites bénéficiant d'une autorisation d'exploitation dans votre département du Puy-de-Dôme, et nous indiquer ce qu'ils représentent en termes de chiffres de production, de chiffre d'affaires et d'emploi pour le département ?

Des points réguliers sont-ils effectués entre les services de la préfecture et l'ARS sur le contrôle des eaux minérales naturelles et des eaux de source exploitées dans le département ?

En quoi les affaires qui ont touché les groupes Alma et Nestlé Waters ont-elles fait évoluer votre dispositif de contrôle au niveau local dans le Puy-de-Dôme ? Une attention particulière a-t-elle été portée aux dispositifs susceptibles d'être dissimulés par les industriels ?

Globalement, comment évaluez-vous la coordination entre tous les services impliqués dans le contrôle des embouteilleurs ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voici quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en une vingtaine de minutes ; suivra un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

M. Joël Mathurin, préfet du Puy-de-Dôme. - Vous l'avez effectivement souligné Monsieur le Président, les enjeux liés à l'eau sont prégnants dans le département, en matière d'activité économique comme de ressources. Le Puy-de-Dôme a ainsi été qualifié de « château d'eau de la France ». Il comporte des sites emblématiques comme l'impluvium de Volvic.

Les sociétés qui exploitent les eaux conditionnées sous autorisation préfectorale y gèrent six usines d'embouteillage d'eau minérale naturelle et deux d'embouteillage d'eau de source : Danone, numéro deux mondial, avec le site de Volvic qui comprend une usine de conditionnement d'eau minérale naturelle et une usine de production d'eau aromatisée. Le groupe Alma, avec deux usines d'embouteillage d'eau minérale naturelle, Rozana et Châteldon et une usine d'embouteillage d'eau de source avec SMDA Mont-Dore. Les communes de Saint-Priest-Bramefant et Saint Sylvestre-Pragoulin disposent de trois forages d'eau minérale exploités dans l'Allier par l'usine de Saint-Yorre. La société Scamark (groupe Leclerc) exploite une usine d'embouteillage d'eau minérale à Saint-Diéry et une usine d'embouteillage d'eau de source à Laqueuille. La société Agromousquetaires (groupe Intermarché) dispose d'une usine d'embouteillage Sainte-Marguerite à Saint-Maurice-ès-Allier. Enfin, la SAS Hydroxydase exploite une usine d'embouteillage d'eau minérale naturelle au Breuil-sur-Couze.

Ces entreprises emploient des effectifs significatifs : 830 emplois pour la Société des eaux de Volvic, 13 pour Rozana, une soixantaine pour Sources de Châteldon, une trentaine pour SMDA, une dizaine pour Scamark, 45 pour Laqueuille, 13 pour Agromousquetaires et environ 5 pour Hydroxydase.

Sous mon autorité, les services déconcentrés contrôlent les procédures d'autorisation. La direction départementale des territoires (DDT) est chargée des enjeux liés à la ressource, aux prélèvements. Concernant le volet des ICPE installations classées pour la protection de l'environnement, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) contrôle l'activité recyclage ou nettoyage, l'embouteillage n'étant plus classé ICPE. L'agence régionale de santé (ARS) assure les contrôles sanitaires. Enfin, la direction départementale de la protection des populations (DDPP) contrôle les éléments relevant de la loyauté de l'activité commerciale.

Concernant les enjeux liés à l'eau, j'ai mis en place ces dernières années, à la demande de Madame la préfète de région, des actions visant à accompagner les entreprises consommatrices d'eau vers une stratégie de sobriété. Des « plans d'utilisation rationnelle de l'eau » invitent divers acteurs économiques à s'impliquer volontairement dans cette démarche. La société des eaux de Volvic a signé un tel plan. Il pousse l'entreprise à rationaliser sa production. Des arrêtés préfectoraux réduisent l'autorisation de prélèvements. J'en ai pris un l'année dernière et le renouvellerai cette année, dans le cadre d'une stratégie engageante.

Plus largement, nous avons organisé avec le président du conseil départemental et avec le maire président de Clermont-Auvergne-Métropole une conférence départementale de l'eau qui s'est réunie l'automne dernier. Elle visait à engager l'ensemble des parties prenantes, au-delà des industriels, dans des logiques de réflexion stratégique et de partage de l'eau. Il s'agissait de leur faire prendre conscience des enjeux liés au changement climatique, surtout après les périodes de sécheresse qui ont affecté notre département en 2022, et encore plus en 2023, qui nous ont conduits à prendre des mesures de restriction très conséquentes.

Dans la continuité de cette crise, j'ai été conduit à prendre un nouvel arrêté sécheresse. Il demande à la société des eaux de Volvic de s'inscrire dans une logique de solidarité avec le territoire en mettant à disposition ses sources auprès du syndicat d'eau potable afin de gérer au mieux le risque sécheresse.

Dans l'arrêté-cadre sécheresse, j'ai aussi pris des mesures relatives aux eaux souterraines vulnérables.

Pour ce qui concerne le sujet qui nous occupe aujourd'hui, je suis très sensible aux questions liées à la gestion du risque sanitaire, notamment aux enjeux liés à l'alimentation. J'ai en effet exercé quatre ans les fonctions de sous-directeur au sein de la direction générale de l'alimentation. Lors de mon arrivée dans le département du Puy-de-Dôme le 24 septembre 2023, j'ai pris connaissance de l'événement de 2019 qui avait conduit à mettre en oeuvre l'article 40 et à mobiliser le Service national d'enquête (SNE).

J'ai compris qu'une action judiciaire était en cours, essentiellement fondée sur une tromperie du consommateur, mais sans enjeux sanitaires majeurs. Si j'ai réétudié l'historique de cette affaire lors de la préparation de la présente audition, j'ai uniquement traité la question en conduite depuis mon arrivée.

Je me suis davantage occupé de la gestion quantitative de l'eau, notamment en accompagnant le schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) dans la préparation et l'élaboration de son plan territorial de gestion de l'eau, en particulier pour le lancement d'une étude HMUC (Hydrologie, milieux, usages et climat). En effet, l'enjeu majeur des prochaines années pour le Puy-de-Dôme portera sur le partage quantitatif de l'eau, nécessaire à une agriculture florissante, une population accrue et des industries, agroalimentaires notamment, très consommatrices en eau. Ainsi, la réflexion sur la ressource a constitué mon enjeu prioritaire.

Pour cette raison, j'ai initié l'élaboration d'un dossier, à déposer en 2025, concernant une nouvelle réserve naturelle nationale, Le Bec de Dore, pour consolider les espaces de zones humides. Les enjeux quantitatifs me paraissent en effet plus prégnants dans mon département que les questions de qualité de l'eau.

Je n'ai pas une connaissance exhaustive des contrôles conduits sous mon autorité par la DDT, par la DDPP, par l'ARS et par la DREAL. Ces contrôles réguliers ne donnent pas lieu à des rapports systématiques, mais ces services m'en parlent lors de nos échanges bilatéraux, assez fréquents avec la DDPP et la DDT, environ tous les deux mois avec l'ARS. Hormis l'événement de 2019 antérieur à mon arrivée, les questions relatives aux entreprises d'eau embouteillée n'ont pas nécessité de mesures correctives majeures, à deux exceptions près. En effet, les services ne me remontent pas de non-conformité régulière.

Encore une fois, la ressource constitue pour moi l'enjeu majeur. Concernant l'impluvium de Volvic, compte tenu des débats sur le sujet et du contentieux en cours avec un pisciculteur, j'ai ainsi mis en place volontairement un comité de transparence, présidé par la sous-préfète de Riom. Il se réunit régulièrement pour suivre en toute transparence l'ensemble des contrôles relatifs à la société des eaux de Volvic.

Toujours volontairement, nous avons pris l'initiative de financer un post-doctorat sur le risque d'assèchement de l'impluvium de Volvic, dont les travaux ont été présentés à la commission de transparence. En l'état actuel des connaissances scientifiques, ils concluent que la situation de l'impluvium ne suscite pas de préoccupation particulière. Cependant, comme pour tout l'écosystème aquifère, il conviendra de prendre en compte le changement climatique.

Nous avons ainsi accompagné la société des eaux de Volvic dans une démarche proactive, le plan d'utilisation rationnelle de l'eau. Dans cette perspective, je serai probablement conduit à prendre avant la fin 2025 des arrêtés préfectoraux de réduction des autorisations de prélèvement, avec un objectif de réduction de 20 % en 2027. L'entreprise en est informée. Il s'agit d'anticiper les enjeux climatiques, même si les études lancées ne soulèvent pas d'urgence.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie et laisse la parole à Monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur le préfet, plusieurs questions nous intéressent dans votre département.

Je commencerai par celle de la surexploitation éventuelle de la ressource Volvic et des questions que se posent divers acteurs. Je souhaiterais clarifier avec vous quelques points.

Si j'ai bien compris, vous ne disposez pas encore de tous les résultats des études en cours, mais vous modifierez le niveau des prélèvements autorisés d'ici la fin de l'année 2025. Aussi, sur quoi vous fondez-vous pour envisager une modification du niveau des prélèvements autorisés ? Vous appuyez-vous sur des discussions avec l'industriel ? Vous-même, avez-vous une idée du niveau de réduction éventuel des prélèvements ?

M. Joël Mathurin. - J'ai dit que, dans l'état actuel des connaissances, nous ne relevons pas d'élément préoccupant. Néanmoins, j'ai eu connaissance du contentieux en cours avec un pisciculteur, selon lequel une pression plus importante serait constatée depuis quelques années. La réduction des débits naturels de l'une des sources, le « front de coulée de Volvic », a conduit l'État et les collectivités locales à cofinancer un post-doctorat.

Selon ces travaux, la masse d'eau de l'impluvium ne semble pas présenter de vulnérabilité spécifique aux aléas, du fait d'une composante inertielle, car l'eau de pluie arrive aux sources dans un délai de cinq à six ans.

En revanche, compte tenu des tendances globales de changement climatique, nous avons conduit l'entreprise à s'inscrire dans la démarche volontaire d'un « plan d'utilisation rationnelle de l'eau » (PURE). En 2021, dans le cadre de cette démarche volontaire, mon prédécesseur a réduit de 10 % l'autorisation de prélèvement de l'eau. Toujours dans le même esprit et après échange avec l'entreprise, je prévois de réduire l'autorisation de prélèvement de l'eau en 2025,2026 et 2027, successivement de 10 %, 20 % et 25 %. J'ai communiqué cette perspective à l'entreprise, de façon à anticiper les enjeux liés au changement climatique. Pour autant, le travail effectué par le post-doctorant ne met pas en exergue de préoccupations d'urgence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je n'arrive pas à comprendre comment une entreprise consent à une réduction des prélèvements, en l'absence de données objectives.

Votre dialogue avec l'entreprise vous donne-t-il l'impression qu'elle dispose d'éléments dont vous ne disposez pas ou qu'elle partage une inquiétude sur la pérennité de la ressource ?

Quand vous lui annoncez des réductions successives de 10 %, 20 % et, 25 %, argumente-t-elle vigoureusement ou comprend-elle la démarche ?

M. Joël Mathurin. - L'intérêt de ce dispositif, voulu par le préfet de région, repose précisément sur son caractère volontaire. Les entreprises et les opérateurs économiques sont invités à s'engager volontairement dans une démarche de qualité. Pour Volvic, il s'agit d'améliorer progressivement sa fonction de production pour consommer moins d'eau. Compte tenu des décrets parus l'an dernier sur la réutilisation de l'eau dans l'industrie agroalimentaire, l'entreprise pourra investir pour économiser l'eau dans son processus interne de nettoyage des bouteilles. Elle pourra ainsi rationaliser l'utilisation de l'eau en investissant dans l'innovation et s'inscrire dans la démarche selon le rythme évoqué précédemment.

Plusieurs entreprises de notre département, appartenant à d'autres secteurs, sont engagées dans cette démarche proactive de qualité. La Chambre de commerce et d'industrie anime cette politique volontariste d'économie de l'eau qui passe, toutes choses égales par ailleurs, par l'investissement et l'innovation dans le cadre du volontariat.

En l'occurrence, les résultats du PURE sont probants pour la société des eaux de Volvic. Ils ouvrent des perspectives de réduction pour 2025, 2026 et 2027.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous dans votre département d'autres contentieux que celui que vous évoquiez, entre Volvic et un pisciculteur ?

M. Joël Mathurin. - À ma connaissance, c'est le seul contentieux de cette nature.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous nous interrogeons aussi sur les arrêtés préfectoraux et les modalités des instructions. Nous avons posé ces questions à l'ARS, mais votre regard nous intéresse également. Les arrêtés de modification des conditions d'exploitation sont-ils fréquents ? Quels sont, côté préfecture, les délais nécessaires pour instruire ces arrêtés de modification ?

Par ailleurs, j'aurais une question sur l'existence dans votre département d'eaux exploitées avec de la microfiltration, avec des seuils de coupure inférieurs à 0,8 micron, soit le seuil qui fait référence au sein de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Je crois que cela concerne Hydroxydase et une eau appelée « Excellent ». Comment appréhendez-vous ce sujet ? Avez-vous été destinataire du « bleu » de Matignon relatif au plan de transformation de Nestlé qui présentait plusieurs préconisations en matière de microfiltration.

M. Joël Mathurin. - Concernant les délais d'instruction, je n'ai pas connaissance de difficulté particulière. Je pense que les éventuelles révisions d'arrêtés préfectoraux s'inscrivent dans le délai de droit commun de deux mois. Pour la plupart, ces arrêtés sont examinés par la commission de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques.

Les arrêtés préfectoraux pour les eaux conditionnées ne sont pas très nombreux. Ils sont pris en fonction de l'actualité opérationnelle, comme celui que j'ai évoqué concernant la société des eaux de Volvic.

Pour répondre à votre autre question, j'ai eu connaissance de deux cas d'autorisation d'une filtration inférieure à 0,8 micron : Laqueuille, par arrêté préfectoral du 30 avril 2004, et Hydroxydase, par arrêté préfectoral du 17 juin 2009. Le seuil autorisé est respectivement de 0,5 micron et de 0,2 micron. Ces autorisations ont été données pour des raisons techniques, liées à l'élimination des fines argiles présentes dans les ressources. Le procédé n'était réglementairement pas interdit. Il ne faisait l'objet que d'une recommandation de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) de 2001. Une tolérance était alors acceptée, sous réserve d'une absence d'impact sur le microbisme, absence constatée en l'occurrence par l'ARS.

À Laqueuille, l'autorisation a été accompagnée d'un suivi. Un rapport a été présenté au Conseil de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) en 2009. Pendant les sept années de suivi, aucun impact sur le microbisme n'a été observé. Le dispositif a été arrêté en 2013, lorsque la réglementation a évolué. Laqueuille a fait l'objet d'une inspection dans le cadre de l'enquête menée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2022. La filtration était alors de 0,45 micron et une mise en conformité a aussitôt été demandée.

À Hydroxydase, le suivi avant et après filtration, mis en place tous les deux mois à partir de 2007, n'a pas mis en évidence d'impact sur le microbisme. Conformément aux nouvelles directives de la direction générale de la santé (DGS), il a été demandé à l'entreprise en janvier 2025 de supprimer la filtration à 0,25 micron ou de déposer un dossier justificatif auprès des services.

Enfin, je n'ai pas reçu de « bleu », mais n'ai pas à en connaître en tant que préfet du département. Je ne reçois que des instructions. À ma connaissance, je n'en ai pas reçu sur le sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant les microfiltrations à 0,2 micron, jugées non conformes à la réglementation par la DGS et l'audit sur les eaux minérales naturelles de la Commission européenne, avez-vous rencontré les acteurs ou échangé des courriers pour vous enquérir de leurs intentions ?

M. Joël Mathurin. - À ce stade, les échanges restent entre l'ARS et les opérateurs. Si Hydroxydase n'obtempérait pas aux injonctions de l'ARS, le sujet me remonterait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Compte tenu de la brièveté du délai de deux mois, qu'avez-vous envisagé en cas de non-respect de la réglementation par les acteurs ?

M. Joël Mathurin. - S'ils n'obtempéraient pas aux injonctions, la procédure normale s'appliquerait : information du préfet, mise en demeure préfectorale et engagement d'une procédure contentieuse. Connaissant les opérateurs économiques, je ne pense pas que nous en arriverons là.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges avec eux susceptibles de vous rassurer ?

M. Joël Mathurin. - Je n'en ai pas eu sur ce sujet, mais je connais ces acteurs. Ils travaillent généralement en bonne intelligence avec les services de l'État. Les microfiltrations inférieures à 0,8 micron n'étant plus autorisées, je pense qu'ils se soumettront à l'injonction de l'ARS. À défaut, j'engagerai bien sûr les moyens de droit à ma disposition pour qu'ils obtempèrent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous des éléments ayant justifié l'autorisation de ce seuil de coupure de l'eau ? La préconisation de l'Anses sur le seuil de 0,8 micron remonte à vingt ans. Je cherche à savoir à quel moment et pour quelles raisons il a été arbitré d'aller au-delà de la préconisation de l'Anses.

M. Joël Mathurin. - Si ces éléments existent dans les dossiers originaux, je n'en ai pas pris connaissance.

M. Laurent Burgoa, président. - J'ai également posé la même question à vos collègues préfets : avez-vous déjà visité des sites industriels de votre département, notamment Volvic ? Vos contacts avec cette entreprise passent-ils par vos services où avez-vous déjà reçu sa direction à la préfecture ?

M. Joël Mathurin. - Il est d'usage qu'un préfet nouvellement nommé se rende dans les grandes entreprises de son département. Je me suis donc rendu assez rapidement sur le site de Volvic pour une visite de découverte. Par la suite, j'ai eu des réunions de travail régulières avec les dirigeants de Danone.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les révélations de fraude organisée et de dissimulation concernant Nestlé, telles que nous avons pu les observer dans le Gard, ont-elles suscité une vigilance particulière de votre part ? Avez-vous mené par exemple des contrôles inopinés ou plus fréquents, afin de confirmer ou d'infirmer l'existence de telles pratiques ?

M. Laurent Burgoa, président. - En complément, avez-vous échangé au téléphone avec les préfets du Gard et des Vosges sur le sujet ?

M. Joël Mathurin. - Non, pas à ce stade. J'ai considéré qu'une enquête judiciaire était en cours sur ce dossier, plaçant mes services sous l'autorité du procureur de la République. Bien sûr, ceux-ci peuvent être amenés à me communiquer des éléments de compréhension lors de nos réunions bilatérales, mais à ce stade je ne suis pas en charge directement de ce dossier.

Par conséquent, je n'ai pas engagé de mesures particulières ni reçu d'instructions en ce sens, visant à renforcer les contrôles. Au demeurant, selon ma compréhension du dossier, les enjeux sanitaires sont seconds, puisqu'il est essentiellement question d'une tromperie du consommateur. Les services continuent ainsi d'assurer leurs contrôles de droit commun et m'en rendent compte si nécessaire.

Comme je vous l'ai indiqué, j'ai mené une action forte sur les enjeux quantitatifs, dans le cadre du PURE. En revanche, je n'ai pas conduit de plan d'action particulier sur d'éventuels événements postérieurs à la tromperie de 2019.

M. Laurent Burgoa, président. - À quelle procédure judiciaire faites-vous référence ?

M. Joël Mathurin. - Je pensais à celle visant Alma.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous échangé avec le préfet du Gard ?

M. Joël Mathurin. - Non, pas du tout.

M. Laurent Burgoa, président. - J'ai posé une question similaire aux ARS. N'échangez-vous jamais sur le dossier industriel de l'eau minérale en bouteille entre préfets concernés lors de vos réunions au ministère de l'Intérieur ?

M. Joël Mathurin. - Nous ne parlons pas de ce sujet-là entre nous. Encore une fois, ce dossier ne m'a pas particulièrement alerté, car je n'ai pas observé d'enjeux sanitaires. De mon point de vue, il appartient à l'autorité judiciaire de se saisir de ce dossier et de sanctionner ce qui relève de la tromperie. Par conséquent, je n'ai pas pris de mesures correctives à ce stade, hormis en matière de microfiltration, qui est indépendante du dossier Alma.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est tout de même question d'une fraude au consommateur que les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont évaluée à plus de 3 milliards d'euros. Sauf erreur de ma part, les services de la DGCCRF dans le département relèvent aussi de votre autorité. Par conséquent, même si vous considériez que la question sanitaire n'était pas engagée, ce qui est d'autant plus vrai dans votre département que vous étiez finalement concerné de manière marginale par la microfiltration, le sujet est dans le périmètre de vos compétences.

Quant à la justice, dans le dossier Alma, nous disposons de peu d'informations. Peut-être pourriez-vous nous indiquer si les poursuites continuent ?

M. Joël Mathurin. - Je ne sais pas, parce que c'est l'autorité judiciaire est en charge de ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourtant, vous venez d'indiquer que vous considériez que le dossier était dans les mains de la justice.

M. Joël Mathurin. - En effet, car l'article 40 a été invoqué. Dès lors, quand j'ai pris connaissance du dossier, je n'ai pas considéré que cela appelait de ma part des mesures correctives d'urgence quant aux procédures de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si l'article 40 concernait bien Alma, il n'empêchait pas de travailler sur la vérification chez Volvic, un des grands acteurs du secteur.

M. Joël Mathurin. - Pour être précis, je parle de la transmission des éléments de la DDPP à la DGCCRF qui a décidé de saisir le Service national d'enquête (SNE) le 16 décembre 2019. De ce fait, celui-ci a été conduit à opérer des prélèvements, notamment à Châteldon, et à engager des contrôles. Sur tout ce volet-là, je n'ai pas eu à prendre des mesures ni à en avoir connaissance, puisque, de mon point de vue, le sujet relève de l'autorité judiciaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous pu échanger avec votre prédécesseur sur ce dossier ?

M. Joël Mathurin. - Non, pas sur ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je n'ai pas d'autres questions, Monsieur le président.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Jacquin, avez-vous des questions ?

M. Olivier Jacquin. - Monsieur le préfet, j'aurai deux questions.

Tout d'abord, il est avéré que Nestlé a commis des fraudes, mais vous ne savez pas nous dire si des fraudes similaires ont été commises chez l'un ou l'autre des industriels présents dans votre département.

En second lieu, comment qualifiez-vous les relations entre l'État et le secteur industriel dans votre département ?

M. Joël Mathurin. - En réponse à une question très précise, j'ai indiqué que je n'ai pas pris d'initiative particulière. En revanche, mes services assurent régulièrement des contrôles de droit commun dans l'ensemble de ces entreprises.

Pour répondre à votre question, si mes services avaient eu connaissance de tromperies ou de problèmes de loyauté lors de leurs contrôles, ils m'auraient bien évidemment fait un rapport sur ces infractions.

M. Olivier Jacquin. - Il n'y a donc pas de fraude dans votre département.

M. Joël Mathurin. - Je n'ai pas connaissance d'infractions. Si je n'ai pas renforcé les contrôles, la DDPP, la DDT et la DREAL se rendent régulièrement dans ces entreprises. La DDPP, en particulier, met en place des contrôles de loyauté.

M. Laurent Burgoa, président. - Depuis que nous avons commencé nos auditions, nous avons constaté que, bien souvent, les industriels eux-mêmes ont avoué avoir fraudé. Les services de l'État, quels que soient les départements, ont très peu pu prouver ces fraudes, qui étaient bien dissimulées. La presse en fait état, si bien que même la DGCCRF y a découvert le rapport de l'IGAS.

Cela ne vous incite-t-il pas à accentuer des contrôles et à demander à vos services d'être encore plus vigilants ? N'êtes-vous pas en contact sur le sujet avec un cabinet ministériel ? Aucune directive ministérielle ne vous est-elle communiquée ?

M. Joël Mathurin. - J'interroge bien évidemment mes services, dans le cadre de leur contrôle en conduite, pour savoir si notre département est concerné ou non par ces problématiques. En l'état actuel de mes connaissances, la réponse est négative concernant les entreprises qui ont été évoquées.

Cependant, pour préciser mon propos, je n'ai pas pris d'initiative de renforcement des contrôles. Les services effectuent les contrôles en conduite qui existaient avant mon arrivée. Ils sont présents sur le terrain, ils effectuent des contrôles, mais dans l'état actuel de ce qu'ils portent à ma connaissance, ils n'ont pas découvert d'infraction nouvelle, hormis le sujet que nous avons évoqué.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le président Burgoa et le sénateur Jacquin soulignent que des faits de fraude massifs ont été découverts, qu'ils se sont produits sur une longue période, à savoir depuis 1993, pour ceux qui ont été découverts, que les services de l'État ont été leurrés par diverses manoeuvres et qu'aucune information n'a été partagée dans les autres grands départements producteurs d'eau minérale pour y vérifier l'existence d'une fraude massive.

Par conséquent, comprenez notre surprise lorsque nous entendons que vous procédez comme d'habitude, alors même que les consommateurs ont été victimes de fraudes pendant trente ans. Nous sommes surpris que l'État n'apporte pas de réponse proportionnée à la nature d'une information qui est publique depuis plus d'un an et qui défraie la chronique presque chaque semaine.

M. Joël Mathurin. - J'ai répondu à votre question. Je n'ai pas renforcé les contrôles, mais les contrôles existent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous l'avons bien compris. Pour autant, les contrôles existants ont montré leur défaillance en trente ans de fraude.

M. Olivier Jacquin. - Je souhaiterais une réponse à ma deuxième question. Comment qualifiez-vous vos relations avec les industriels dans votre département ?

M. Joël Mathurin. - Nous entretenons des relations professionnelles, notamment pour les enjeux liés à l'eau. Ils répondent aux questions que je leur pose. Je les rencontre lorsque c'est nécessaire.

M. Olivier Jacquin. - C'est une relation de confiance.

M. Joël Mathurin. - C'est une relation professionnelle. La gestion quantitative de l'eau est pour moi une forte préoccupation. Elle s'exprime par un PURE très engageant, assorti d'investissements conséquents sur l'innovation afin d'économiser l'eau. J'estime que ces industriels répondent à mes préoccupations.

M. Olivier Jacquin. - Pour cette raison, je parlais d'une relation de confiance.

M. Joël Mathurin. - Dans ce sens-là, oui.

Je souhaiterais émettre un commentaire sur la réflexion de Monsieur le rapporteur sur la modification des conditions de contrôle de nos services.

L'événement produira certainement une révision de l'analyse de risque au niveau national et des instructions beaucoup plus précises quant au protocole opératoire, mais cela me semble encore trop tôt.

Pour autant, même sans instruction préfectorale, les contrôleurs de la DDPP du Puy-de-Dôme intègrent évidemment ces éléments dans leur pratique. Je ne peux pas vous dire que je l'ai vérifié, mais j'en suis convaincu, bien qu'à ce stade cela n'ait pas été formalisé à ma connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour ce retour sur une intégration éventuelle par les services de ce qui s'est passé.

Je rappelle cependant que les faits ont été révélés à la puissance publique en août 2021. Nous sommes en février 2025. Je crois vraiment qu'il n'est pas possible de dire que c'est beaucoup trop tôt.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, Monsieur le préfet, pour cette audition.

Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous donnons rendez-vous demain à 13 h 30 pour la première audition d'un industriel de l'eau.

Audition de M. Jean-Hervé Chassaigne, président du groupe Ogeu
(Mercredi 12 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Jean-Hervé Chassaigne, Président du Groupe Ogeu.

Monsieur le Président, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Hervé Chassaigne prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous souhaitons connaître les contrôles des exploitations d'eaux minérales naturelles du groupe Ogeu, et nous allons bien sûr entendre d'autres minéraliers pour un état des lieux le plus complet possible.

Avez-vous, à un moment ou un autre, utilisé des traitements interdits (filtres charbon, UV) ? Si oui, pourquoi ? Estimez-vous que le recours aux traitements interdits pendant plusieurs années par certains de vos concurrents constitue une concurrence déloyale ?

Vos sites ont-ils fait l'objet de contrôles renforcés à la suite des révélations relatives à Nestlé Waters ? Avez-vous été contactés par les autorités (administratives, politiques) à ce sujet ? Utilisez-vous des traitements de microfiltration sur vos eaux minérales naturelles ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne, président du groupe Ogeu. - Le groupe Ogeu est une entreprise de taille intermédiaire (ETI) familiale qui exploite des eaux minérales depuis plus de 70 ans. Nous réalisons un chiffre d'affaires de l'ordre de 110 millions d'euros et nous employons près de 300 personnes.

Nous exploitons six sites de production en France, avec des sources telles que Quézac en Loire-Atlantique, Plancoët en Bretagne et Ogeu dans les Pyrénées. Nos sources s'infiltrent dans des espaces protégés, situés pour la plupart en zone de montagne ou au sein de parcs naturels, nationaux ou régionaux, c'est très important parce que c'est un atout pour préserver la qualité et la pureté de l'eau.

Nous sommes pleinement investis pour assurer une gestion durable des ressources en eau et renforcer leur protection. Nous préconisons une exploitation raisonnée, c'est-à-dire un prélèvement dans les nappes souterraines sans impact notable sur les eaux superficielles. Nous n'avons sollicité aucune augmentation significative de nos volumes au cours des cinq dernières années. Nous avons mis en place une politique foncière volontariste pour renforcer les périmètres de protection des captages. En Provence, par exemple, nous avons acquis 50 hectares de terrain en amont des sources, que nous avons préservées en espace naturel ; en Bretagne, nous assurons la maîtrise foncière de près de 100 hectares de terrain autour de nos sources et nous avons mis en place des conventions pour garantir une exploitation en agriculture biologique.

Face à la dégradation continue des ressources en eau en France, nous défendons, avec une large majorité de la profession, la pureté originelle de nos eaux naturelles. Nous sommes fondamentalement attachés au principe de pureté originelle pour les eaux minérales naturelles et les eaux de source. Ce principe constitue le fondement même de notre métier de conditionnement d'eau naturelle. Nous le revendiquons et nous le défendons. Il s'agit là d'une différence fondamentale avec l'eau de réseau, qui subit d'importants traitements de désinfection chimique pour être potabilisée et distribuée. Nous affirmons que la désinfection doit rester interdite pour les eaux minérales naturelles et eaux de source. Nous ne revendiquons ni un allègement des exigences de qualité ni une plus grande variété de traitements. Notre position est d'autant plus claire sur ces sujets, que la préservation de la pureté naturelle de nos eaux est un enjeu essentiel pour l'avenir de notre secteur et pour la confiance des consommateurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous exprimez votre attachement au critère de pureté originelle, qui vous semble important et central dans la définition des eaux minérales naturelles. Vous dites également votre attachement à ce que la désinfection reste interdite et à ce que nous en restions aux produits aujourd'hui autorisés.

Nous confirmez-vous que, sur l'ensemble de vos sites, vous ne pratiquez aucune microfiltration à 0,2 micron, que la direction générale de la santé (DGS) considère comme non conforme ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous utilisons une microfiltration de 0,2 micron sur deux de nos sites. Il faut préciser que l'eau souterraine, qui est une eau pure, n'est pas stérile, c'est un écosystème naturel, elle contient naturellement des bactéries, des micro-organismes, des levures, une flore microbienne qui s'équilibre et agit comme un filtre biologique. L'eau est captée avec une flore naturelle et cette flore, dans les canalisations, dans les systèmes de stockage, peut être en contact avec un environnement qui n'est pas stérile et qui peut stimuler son développement. Aussi, l'utilisation de la microfiltration est importante pour maîtriser cette flore - mais ce n'est pas un système de désinfection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels sont les sites où des filtres de 0,2 micron sont utilisés ? Cette microfiltration fait-elle l'objet d'une autorisation préfectorale ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous l'utilisons à Luchon, un site que nous avons repris il y a deux ans à Agro-Mousquetaires, filiale alimentaire d'Intermarché. Sur ce site, l'eau subit plusieurs traitements physico-chimiques autorisés, en particulier pour éliminer du manganèse et du fer, ces traitements génèrent des microparticules, qu'il faut filtrer. Cette microfiltration était déjà en place quand nous avons repris le site et, après échange avec les autorités compétentes, en particulier l'ARS, nous avons convenu de maintenir ce filtre pour traiter les particules fines.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que l'arrêté préfectoral a été modifié dans ce sens, autorisant cette filtration à 0,2 micron, ou bien avez-vous eu une sorte de gentleman's agreement avec l'ARS ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - La documentation partagée avec l'ARS mentionne bien le seuil de 0,2, mais l'arrêté préfectoral se contente d'écrire qu'on peut utiliser un filtre inférieur à 0,8 micron, sans mentionner le chiffre de 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle est la date de cet arrêté préfectoral ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je ne l'ai pas en mémoire, mais cette date est récente. Il faudrait peut-être clarifier la réglementation, parce que chacun pense être autorisé à utiliser une filtration à 0,2 micron quand l'arrêté préfectoral se contente d'autoriser à descendre en-deçà de 0,8 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est votre état d'esprit lorsque vous vous adressez à l'ARS pour demander cette microfiltration à 0,2 micron : savez-vous alors que, par rapport à la doctrine de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et par rapport à ce que pratiquent d'autres États membres, qui ne descendent pas en dessous de 0,45 micron, votre demande se situe dans une zone grise de la réglementation ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - En l'occurrence, nous ne demandons rien, nous ne faisons que reprendre le dossier en place, en toute transparence avec l'ARS, qui nous a préconisé très clairement le maintien du filtre de 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'ARS vous l'a préconisé ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Oui, c'est bien le cas. Le deuxième cas où nous utilisons cette microfiltration à 0,2 micron, c'est sur notre site historique d'Ogeu, uniquement pour l'eau que nous exportons vers le marché japonais, où la réglementation exige une telle filtration. L'eau qui passe par cette filtration, en toute transparence, est exclusivement réservée à ce marché.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez donc conscience que cette microfiltration à 0,2 micron pose question par rapport à la réglementation... Et vous nous confirmez qu'à part ces deux cas, vous n'utilisez cette microfiltration sur aucun de vos sites ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je vous le confirme. Sur l'ensemble des autres sites, nous utilisons une filtration à 1 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu à recourir, par le passé, à des techniques comme des lampes à UV ou des filtres à charbon, comme l'a fait Nestlé Waters ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous reprenez le site de Quézac à Nestlé Waters, que découvrez-vous ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Un site conforme à la réglementation, y compris sur la filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi le seuil de 0,2 micron est-il nécessaire à Luchon et nulle part ailleurs ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - À Luchon, comme d'autres minéraliers le font ailleurs, nous appliquons des traitements physico-chimiques autorisés, pour enlever le phosphore et le manganèse de l'eau, parfois du fluor ; ces traitements génèrent des particules extrêmement fines que nous devons enlever, avec la microfiltration.

Quand je dis que nous défendons la pureté originelle de l'eau, je pense au captage, il doit être pur. Cependant, le process entraîne un développement de la flore dans toutes les canalisations, qu'il faut maîtriser, avec des systèmes de traitement qualifiés, de nettoyage régulier, mais aussi par de la microfiltration - ce que nous faisons avec un filtre à 1 micron. La question se pose de savoir si la taille d'un micron est suffisante : faut-il aller en dessous ? C'est un débat scientifique, mais le principe même d'une microfiltration pour traiter la flore est nécessaire dans nos fonctionnements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous qu'à 0,2 micron, la microfiltration s'apparente à une désinfection ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non. À Luchon, l'ARS a fait des analyses avant et après le filtre, pour voir précisément ce qu'il en était. Elle a constaté que, globalement, les paramètres physico-chimiques de l'eau étaient inchangés, et aussi que le rabattement sur la flore était limité, ce qui doit faire l'objet d'études complémentaires. Le principe, cependant, reste le captage d'une eau pure, donc non infectée : il n'est donc par définition pas nécessaire de désinfecter, ou bien on ne parle pas d'eau pure - la question de la désinfection ne se pose pas en principe, dès lors qu'on dispose d'un captage pur. La désinfection serait nécessaire si nous estimions qu'il y avait une infection en amont.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En principe, il ne devrait pas y avoir de microfiltration, mais il faut bien tenir compte du biofilm qui se développe par le processus même, dans les canalisations. L'ancienneté des canalisations peut-elle jouer ? Comment expliquez-vous que, sur certains sites, un filtre d'1 micron suffise, alors que pour d'autres, il faille aller jusqu'à 0,2 micron ? Est-ce à voir avec la qualité de l'infrastructure ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Cela dépend de l'eau, qui est un produit vivant, avec un niveau de flore différent, lequel dépend du process, mais aussi de l'origine de l'eau, de sa circulation, de sa température. L'ancienneté des canalisations n'est pas un sujet, puisqu'elles sont entretenues et qu'elles doivent être irréprochables.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous est-il arrivé de fermer un forage pour non-respect des critères de pureté définis dans la directive ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non, mais nous avons eu des alertes sur des points de prélèvements, ce qui nous a fait choisir de laisser couler l'eau pendant quelques jours sans la prélever, avant de reprendre le prélèvement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous est-il arrivé de devoir détruire des lots qui auraient comporté un risque sanitaire ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Il n'y a pas un seul produit qui soit livré au client sans avoir été contrôlé. Il peut y avoir des risques, il y a eu des moments de suspicion dans le processus, la flore peut être trop haute - dans ce cas-là nous ne commercialisons pas le produit, le produit est isolé et peut être détruit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce un phénomène rare ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Oui, exceptionnel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De quel ordre de fréquence ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Un ou deux cas par an, mais sans occurrence depuis des années sur certains sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'inspection générale des affaires sociales (Igas) a conduit une inspection entre novembre 2021 et juillet 2022 : vos sites ont-ils été contrôlés ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous avons répondu aux questionnaires, mais il n'y a pas eu de contrôle renforcé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous reçu la visite de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - La DGCCRF inspecte de manière inopinée, elle est passée récemment sur l'un de nos sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quelle fréquence ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je dirais une fois tous les deux ans, mais c'est indicatif, je pourrai vous communiquer des chiffres par écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la surveillance et le contrôle que vous effectuez sur vos eaux, avez-vous constaté des non-conformités ? Sur quels éléments ? Seulement bactériologiques, ou également virologiques ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Virologiques, jamais, c'est la flore qui peut entraîner des problèmes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les paramètres virologiques sont-ils monitorés sur vos sites ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Les eaux de nos sites ne sont pas monitorées. Nous faisons des analyses hebdomadaires sur l'ensemble de nos captages et l'administration effectue des contrôles de son côté. Nos captages n'ont pas de bactéries pathogènes et, à notre connaissance, il ne peut pas y avoir de virus, parce qu'un virus ne peut pas se développer dans une eau souterraine - les coliphages ne peuvent pas se développer s'il n'y a pas eu à l'origine un coliforme, donc des bactéries pathogènes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Faites-vous des analyses et des recherches sur les PFAS et les microplastiques ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous avons analysé l'ensemble de nos eaux à la recherche de PFAS, nous n'en avons trouvé aucune trace.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aucune trace ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous sommes sous les seuils, et je crois que nous n'avons pas même trouvé de trace.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et des microplastiques ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous n'avons pas fait de recherche particulière sur les microplastiques. Nos sources ont cette chance d'infiltrer dans des zones protégées, souvent de montagnes ou de parcs naturels et quand ce n'est pas le cas, par exemple en Bretagne, nous menons une politique foncière qui nous protège de tels risques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment avez-vous vécu, comme minéralier, les révélations sur le fait que Nestlé ait utilisé des traitements illégaux sur certains de ses sites ? Cet événement a-t-il eu des répercussions sur vos ventes, votre réputation ? Quel impact sur vos chiffres ? Considérez-vous que c'est de la concurrence déloyale ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je n'ai pas tous les éléments du dossier...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ils sont largement repris dans la presse, et Nestlé les a reconnus...

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Si les faits sont avérés, ils jettent un discrédit sur notre profession. La pureté originelle est le fondement de l'eau naturelle, si elle n'est pas garantie au captage, ce n'est plus de l'eau minérale naturelle. Nous n'avons pas enregistré d'impact sur nos ventes, mais nous sommes conscients de l'inquiétude des consommateurs. Les eaux traitées se développent partout dans le monde, elles correspondent à un modèle hygiéniste, nous défendons de notre côté une eau naturelle, vivante, avec ses spécificités et que nous estimons très bonne pour la santé.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous être président du Syndicat des minéraliers de France : quelles actions ce syndicat prend-il envers l'un de ses membres qui ne respecterait pas les règles fondamentales de votre profession ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Je suis président du Syndicat des eaux de source et des eaux minérales naturelles. Vous évoquez Nestlé, qui était adhérent de la Maison des eaux minérales, donc pas du syndicat que je préside - depuis un an seulement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'êtes pas membre de cette Maison des minéraliers ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous étions adhérents.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne l'êtes plus ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Peut-on savoir pourquoi ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Parce qu'il est difficile d'y être en même temps qu'un minéralier dont les options nous paraissent contredire nos principes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre décision a donc un lien avec l'affaire dont nous parlons...

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - En partie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous dites protéger la ressource, pour que les eaux minérales naturelles continuent d'exister, nous le voulons aussi. Quelles mesures prenez-vous pour protéger la ressource, pour la préserver à long terme ? Comment avez-vous été mis à contribution dans les territoires frappés par un arrêté de sécheresse ? Baissez-vous vos prélèvements en été ? Avez-vous adapté vos captations, fait des réserves ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous avons l'obligation de définir des périmètres de protection. Au-delà de cette obligation, les mesures que nous prenons varient selon les territoires, car les environnements sont très différents. Nous avons la chance que nos sources se situent à proximité ou même dans des parcs naturels, des zones déjà très protégées, et nous avons des accords avec les parcs nationaux et les parcs régionaux. Ou bien nous avons des sources très profondes, c'est le cas dans les Yvelines, avec une source à 700 mètres de profondeur, ce qui est suffisant pour se protéger de toute l'activité anthropique à la surface.

En Bretagne, où la pression sur les pesticides est extrêmement forte, nous mettons en place une politique foncière depuis vingt ans, c'est un travail de long terme - certaines de nos sources sont dans ma famille depuis 70 ans, nous sommes sur le temps long et nous voulons sécuriser un bien commun.

Nous sommes également très sensibles au phénomène de la sécheresse, pour être implantés dans des territoires d'Occitanie et de Provence qui le connaissent assurément. Notre source en Provence se situe au pied du massif de la Sainte-Baume, le réservoir de plusieurs milliards de mètres cubes est sous le massif, complètement protégé. Nos sources sont en grande profondeur, nos arrêtés de prélèvements ont été établis à la suite d'études hydrogéologiques très poussées, qui tiennent compte des périodes de sécheresse historiques : nos autorisations de prélèvements sont calibrées pour éviter d'avoir un impact sur les nappes superficielles. Aussi, lorsqu'on nous a demandé de réduire nos prélèvements, nous avons expliqué qu'ils n'avaient pas d'impact sur les nappes superficielles, mais nous avons également mis en avant que la diminution du prélèvement pourrait être dangereuse, en risquant de changer l'équilibre des pressions au sein du bassin hydrogéologique, jouant finalement contre les nappes de surface. Nous le pensons au vu de la littérature scientifique, je sais que notre point de vue n'est pas partagé par tous, mais les pouvoirs publics en ont tenu compte, nous avons pu faire comprendre qu'une diminution des prélèvements ne serait pas dans l'intérêt du site.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que pensez-vous du développement des eaux de boisson ? Nous avons découvert la distinction entre Perrier et Maison Perrier... Pensez-vous qu'il y ait un sujet de loyauté de l'information donnée au consommateur, dès lors que les emballages sont proches ? Votre groupe fait-il des eaux de boisson ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Nous sommes très attachés aux eaux minérales naturelles. En dehors du marché français et européen, les eaux traitées se développent partout dans le monde. Aux États-Unis, il y a plus d'eaux traitées embouteillées et conditionnées que d'eaux naturelles - les eaux minérales naturelles tendent à devenir une particularité européenne, latine en particulier. Les eaux traitées se développent, nous en consommons tous les jours, c'est une réalité. Ce qui nous importe, c'est de bien dissocier les deux activités, les deux métiers, qui sont différents, et nous défendrons jusqu'au bout la notion de pureté originelle de l'eau captée. Si nous la traitons même un peu, le combat sera perdu, toutes les sources passeront au traitement et nous perdrons le principe de nos activités.

Je n'ai pas à me prononcer, ensuite, sur la politique conduite par Nestlé avec Perrier.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous êtes implantés dans plusieurs départements, quelles sont vos relations avec les préfets ? Les rencontrez-vous régulièrement - à votre demande ou à la leur ? En tant que président du syndicat des minéraliers, avez-vous des relations avec des ministres - lesquels ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Au titre de mon groupe ou du syndicat, je n'ai aucun contact avec le préfet ni aucun ministre sur ces sujets. Je suis en contact avec des députés de circonscription...

M. Laurent Burgoa, président. - Pas de sénateur ?

M. Jean-Hervé-Chassaigne. - Non, sauf aujourd'hui...

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'est que le début, alors, et j'espère que nous continuerons à être en relation. Merci pour votre participation.

Audition de M. Luc Baeyens, directeur général de Sources Alma
(Mercredi 12 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Luc Baeyens, directeur général du groupe Sources Alma.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Luc Baeyens prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle aux internautes - cette audition étant retransmise en direct sur le site du Sénat - que ce dernier a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur les contrôles des exploitations d'eaux minérales naturelles du groupe Sources Alma, qui a été le premier à être mis en cause, mais nous allons bien sûr entendre l'ensemble des autres minéraliers, afin d'aboutir à un état des lieux le plus complet possible.

Monsieur le directeur général, pendant quelle durée avez-vous utilisé des filtres à charbon actif et des ultraviolets (UV) ? Pour quelles raisons ?

À quelle date exacte vous êtes-vous mis en conformité avec la réglementation ? Quelles ont été les mesures mises en oeuvre afin d'assurer le retrait des traitements interdits sans risque sanitaire pour le consommateur, ni microbiologique ni virologique ?

Vos sites ont-ils fait l'objet de contrôles renforcés à la suite des révélations vous concernant et de celles qui étaient relatives à Nestlé Waters ? Avez-vous été contacté par les autorités - administratives, politiques - à ce sujet ?

Utilisez-vous des traitements de microfiltration sur vos eaux minérales naturelles ? Comment évaluez-vous l'impact de la microfiltration sur le microbisme de l'eau ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

M. Luc Baeyens, directeur général du groupe Sources Alma. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, je tiens en préambule à évoquer l'élément essentiel qu'est l'eau et à recentrer le débat après les multiples polémiques qui ont eu lieu. J'ai des petits-enfants, je veux le meilleur pour eux et je mets sur le marché des eaux minérales et des eaux de source de grande qualité.

De quoi parle-t-on ? Une eau minérale, issue de sources protégées, a une composition physico-chimique stable dans le temps ayant nécessité de nombreuses analyses en vue d'obtenir l'appellation « eau minérale ». Cette catégorie est encadrée par une série de textes, dont la directive européenne de 2009 relative à l'exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles et la directive européenne de 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

De plus, les eaux minérales peuvent avoir des compositions très différentes : certaines sont utilisées à des fins d'amélioration de la récupération sportive, tandis que d'autres apportent une certaine teneur en magnésium. Au-delà de ces spécificités, leur caractéristique essentielle réside dans leur pureté originelle.

Les eaux de source, quant à elles, sont aussi soumises à de nombreuses analyses et proviennent également de nappes protégées.

Nos sources, réparties sur l'ensemble du territoire, font toutes l'objet de contrôles, qu'il s'agisse des eaux minérales ou de source.

Enfin, les eaux de réseau, qui proviennent soit de nappes protégées, soit d'eaux de surface, sont soumises à un ensemble de traitements afin que le consommateur dispose d'une eau bactériologiquement saine au robinet.

Sources Alma a fêté ses 70 ans l'année dernière. Cette société française depuis quatre générations est guidée par plusieurs principes cardinaux, à commencer par la qualité, d'autant plus que certaines de nos eaux sont destinées à des nourrissons. Afin de garantir la haute qualité de nos eaux, 3 millions d'analyses sont réalisées chaque année sur la cinquantaine de sites que compte notre société.

En France, nous avons 36 sites répartis sur 23 départements et 11 régions. Nous employons 1 800 personnes, dont 80 % habitent aux alentours des sources, elles-mêmes situées à proximité de villes de moins de 5 000 habitants. Comme vous le savez, l'eau doit être embouteillée sur le lieu de pompage, ce qui explique cette implantation nationale nous permettant d'alimenter les consommateurs à des prix intéressants, avec l'eau Cristaline notamment.

Un autre principe guidant notre action est la prévention, notamment en matière d'environnement. Nous veillons ainsi à protéger l'aquifère et achetons des terres autour de nos différents forages afin de protéger ces derniers et d'être certains que l'eau est saine à l'émergence.

Un autre levier de prévention a trait au recyclage : à la suite du plastique-bashing, nous avons élaboré un processus de recyclage robuste dont je suis très fier, car notre société est la seule au monde à récupérer 100 % des bouteilles qu'elle met sur le marché et participe à une véritable économie circulaire. De surcroît, nous déployons des ruches autour de nos forages, ce qui nous permet de nous assurer qu'aucun épandage de pesticides n'affecte la qualité de l'eau.

En outre, notre société, très citoyenne, s'implique dans les plans d'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec) : en cas de rupture de canalisations ou de problèmes bactériologiques, nous pouvons livrer en quelques heures les mairies qui font appel à nous.

Une autre priorité de Sources Alma a trait à l'innovation, qu'il s'agisse de l'allégement du poids des bouteilles ou de la mise en place de bouchons attachés. Nous recherchons, de manière générale, les meilleures technologies afin de proposer aux consommateurs des produits de très haute qualité, dont certains à bas prix - tels que l'eau Cristaline -, afin de protéger leur pouvoir d'achat.

En conclusion, j'insiste sur le fait que l'eau doit être saine et pure à l'émergence afin de pouvoir être exploitée en tant qu'eau minérale ou de source. Jamais les autorités, que ce soit les agences régionales de santé (ARS) ou la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ne nous ont transmis d'alertes relatives à la qualité sanitaire de nos eaux, et nos produits n'ont jamais été rappelés.

Une enquête judiciaire étant en cours, je ne serai pas en mesure de répondre à certaines de vos questions, mais je me tiens à votre disposition.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous rappelle que l'enquête en cours ne vous empêche pas de répondre aux questions de notre commission.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour ma part, je remarque que vous n'avez répondu à aucune des questions posées par le président, ce qui constitue une première dans le cadre de notre commission d'enquête. Je les reprends donc à mon compte : combien de temps avez-vous utilisé des filtres à charbon actif et des UV, traitements interdits par la réglementation ?

Vous avez exprimé votre attachement à la pureté originelle de l'eau, et ces traitements semblent être mis en place lorsque cette dernière ne peut pas être garantie. Dans quel cadre les avez-vous mis en place ? Sur quels sites ?

M. Luc Baeyens. - Ma réponse est très claire : nous n'avons jamais utilisé de traitements au charbon actif ou de traitements UV. Pour le reste, je ne peux pas répondre à vos questions compte tenu de l'enquête en cours, d'autant plus que j'ignore tout du contenu du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pouvez me répondre sur les traitements que vous n'avez pas utilisés, mais pas au sujet de ceux auxquels vous avez eu recours ?

M. Luc Baeyens. - Exactement. Vous m'avez posé une question très précise sur les traitements au charbon actif et aux UV et je vous confirme que nous ne les avons jamais utilisés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'accord. Quels traitements interdits avez-vous mis en oeuvre ?

M. Luc Baeyens. - Je ne peux pas répondre à cette question dans la mesure où le dossier est entre les mains du procureur de la République. J'ai été interrogé par le service national des enquêtes (SNE) et je ne connais pas encore le contenu de ce dossier, ni ce qui nous est précisément reproché. Une fois encore, les produits que nous mettons sur le marché ont toujours été sains...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le sujet abordé ici est celui de la tromperie, et je ne vois pas ce qui s'oppose à ce que vous nous présentiez aujourd'hui les traitements illégaux que vous avez mis en place pendant de nombreuses années, semble-t-il. Merci de nous détailler les sources concernées, car l'objet même de cette commission d'enquête consiste à comprendre ce qui s'est passé.

M. Luc Baeyens. - La notion de tromperie relève de l'appréciation du juge et je n'utiliserais pas ce terme, d'autant plus que la directrice générale de la DGCCRF n'a évoqué, devant cette commission, que des « écarts » à notre sujet.

Je n'ai pas consulté le dossier et ignore ce que cette direction ou le SNE nous reprochent. Lorsque ce dernier a effectué une visite sur le site de Saint-Yorre, l'usine a été arrêtée. Je me suis rendu sur place et j'ai appliqué l'arrêté préfectoral, permettant le redémarrage des installations. Aucune marchandise n'a été rappelée ensuite, car les produits, sains à l'émergence, l'étaient également une fois distribués.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) indique que des filtres à charbon ont été utilisés dans l'usine de Saint-Yorre.

M. Luc Baeyens. - Je le conteste : aucun traitement au charbon actif n'a été appliqué.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je le note.

M. Laurent Burgoa, président. - Je me permets de vous sensibiliser sur l'importance des déclarations faites devant notre commission d'enquête : l'Igas pourrait confirmer ce point et je rappelle que vous avez prêté serment.

M. Luc Baeyens. - Je l'entends tout à fait et maintiens mes propos. À ma connaissance, aucun traitement au charbon actif n'a été utilisé sur ce site, ni sur les autres sites du groupe Sources Alma. Il en est de même pour les traitements UV.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes très affirmatif s'agissant du fonctionnement de vos usines, et c'est tant mieux. Pourriez-vous donc nous expliquer à quoi correspondent les « écarts » que vous mentionniez ?

M. Luc Baeyens. - Je n'ai pas la possibilité de vous expliquer ce qu'il en était : la presse a évoqué l'utilisation de traitements, mais sans précision. À la suite de la perquisition de l'usine, en présence d'une quarantaine de personnes en armes - ce qui était assez impressionnant -, j'ai appliqué strictement les mesures contenues dans l'arrêté préfectoral...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel était donc l'écart justifiant l'arrêté préfectoral et dont la rectification a permis la reprise de la production ?

M. Luc Baeyens. - Je l'ignore.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Faut-il faire venir un responsable d'usine ?

M. Luc Baeyens. - Ce n'est pas nécessaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un écart par rapport à la réglementation débouche sur l'arrêt de la production et une perquisition dans l'un de vos sites, mais vous en ignorez la nature ?

M. Luc Baeyens. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je n'ai simplement pas le droit d'en parler.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je répète qu'il n'existe pas de droit au silence devant cette commission d'enquête et je vous demande de répondre à la question.

M. Luc Baeyens. - Un traitement au sulfate de fer, dont j'ignorais l'existence, a été employé et a été immédiatement supprimé. J'ignore depuis combien de temps il avait été installé, mais je sais qui l'a mis en place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous expliquer à quoi servait ce traitement et en quoi son retrait n'était pas problématique ?

M. Luc Baeyens. - Cela va sans doute vous paraître ridicule, mais ce procédé ne servait à rien. J'ai immédiatement fait retirer ce dispositif dont j'ignorais totalement l'existence, respectant ainsi l'arrêté préfectoral et permettant à l'usine de redémarrer sans problème particulier.

M. Laurent Burgoa, président. - Je n'ai aucune difficulté à vous croire. Quelles mesures disciplinaires avez-vous adoptées à la suite de cette découverte ?

M. Luc Baeyens. - La personne en charge de ce dossier a quitté la société en prenant une retraite anticipée.

M. Laurent Burgoa, président. - Une retraite contrainte, donc.

M. Luc Baeyens. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je vous suis, ce traitement illégal n'avait donc aucune incidence sur la pureté originelle de la ressource.

M. Luc Baeyens. - Absolument.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et il avait donc été installé pour une raison que vous ne parvenez pas à expliquer.

M. Luc Baeyens. - Exactement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'affaire a été ébruitée par des lanceurs d'alerte au sein de votre groupe, qui ont renseigné les services de l'État. Considérez-vous qu'il y a là oeuvre de malveillance ou que les faits justifiaient le déclenchement de ces alertes ?

M. Luc Baeyens. - J'ai disposé de pouvoirs étendus à partir de 2018 puisque je suis devenu l'unique directeur général du groupe ; nous étions précédemment trois. Si les règles étaient tout à fait claires concernant le respect des arrêtés préfectoraux, cet événement s'est malgré tout produit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les arrêtés préfectoraux étaient-ils parfaitement respectés avant votre arrivée ?

M. Luc Baeyens. - Tout à fait. J'ai procédé à divers changements, notamment en faisant en sorte que le suivi de la qualité dépende directement de moi, et non plus de chacun des responsables de site, comme c'était le cas auparavant. J'ai aussi demandé la réalisation d'audits afin de nous assurer que les pratiques de chacun de nos sites étaient en conformité avec les arrêtés applicables, ce qui était le cas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous donc nous certifier aujourd'hui, sous serment, que le traitement au sulfate de fer était le seul traitement illégal qui a été utilisé dans vos sites ?

M. Luc Baeyens. - À ma connaissance, oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À la suite de cet épisode, avez-vous découvert, dans d'autres sites, d'autres traitements illégaux que vous avez ensuite retirés ?

M. Luc Baeyens. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les lanceurs d'alerte se sont donc basés sur ce traitement au sulfate de fer.

M. Luc Baeyens. - Le lanceur d'alerte travaillait dans cet atelier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il avait donc connaissance du caractère illégal de ce traitement.

M. Luc Baeyens. - Probablement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur - J'en viens au sujet de la microfiltration, pratique encadrée par un certain nombre de règles qui ne semblent pas avoir été respectées dans une série de cas. Existe-t-il, dans certains de vos sites, des microfiltrations en dessous de 0,8 micron ? Si oui, à quels niveaux dans les différents sites ?

M. Luc Baeyens. - Rappelons tout d'abord que la microfiltration est autorisée par la réglementation européenne. Ensuite, aucun seuil n'est inscrit dans le marbre, mais je peux vous confirmer qu'aucun de nos sites ne retient un seuil moyen de coupure inférieur à 0,8 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous choisi ce seuil parce que la réglementation était claire sur le sujet ?

M. Luc Baeyens. - La réglementation me semble claire, malgré l'absence de seuil. Selon nous, le principe fondamental est qu'une éventuelle microfiltration ne doit pas modifier le milieu microbiologique et rendre potable une eau qui ne le serait pas : une telle utilisation ne serait pas acceptable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La microfiltration avec un seuil de coupure à 0,2 micron vous semble-t-elle conforme à la réglementation ?

M. Luc Baeyens. - En France, les arrêtés préfectoraux mentionnent divers seuils de microfiltration, tandis que d'autres pays européens ne définissent pas de seuil. Dans la pratique, si cette microfiltration de 0,2 micron ne vient pas rendre potable une eau qui ne l'est pas à l'émergence, je n'y vois pas d'inconvénient ; mais si elle lui confère ce caractère, il n'est alors plus possible de prétendre à l'appellation d'eau de source ou d'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, dans quels pays la microfiltration à 0,2 micron est-elle autorisée ?

M. Luc Baeyens. - Dans la majeure partie des pays européens.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, en l'état de la réglementation, et même si nous avons encore une étude en cours sur le sujet, il n'y a aucun pays dans lequel la microfiltration est autorisée en dessous de 0,45 micron.

M. Luc Baeyens. - Je veux dire que la microfiltration à 0,2 micron y est pratiquée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et dans des usines de votre groupe ?

M. Luc Baeyens. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous la savez pratiquée par ailleurs ?

M. Luc Baeyens. - Oui. Dans un milieu fortement concurrentiel, le fait que des embouteilleurs situés à proximité des frontières françaises puissent répondre à des appels d'offres avec des seuils de filtration et des traitements différents en dépit d'une réglementation identique est une forme de concurrence déloyale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous partageons l'idée que vous évoquiez selon laquelle l'eau minérale naturelle correspond d'abord à une pureté originelle de la ressource. C'est à notre avis le coeur même de la réglementation européenne et la spécificité de ce type d'eau.

Au cours des dernières années, avez-vous été amené, dans un souci de protection de cette qualité, à fermer des forages après y avoir rencontré des difficultés ? Avez-vous dû détruire certaines productions après des incidents rencontrés sur un forage ? Nous savons que Nestlé Waters a, pour sa part, fermé des forages dans les Vosges ainsi qu'en Occitanie.

M. Luc Baeyens. - Durant les trente dernières années, nous avons fermé douze sites et neuf forages.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelles étaient les raisons de ces fermetures ? La pureté originelle de l'eau n'était-elle plus garantie ?

M. Luc Baeyens. - Ce n'était pas le seul motif. Il est également arrivé que des pratiques ne correspondent plus aux critères de qualité de notre société, que des méthodes d'analyse de plus en plus précises nous permettent d'identifier. Nous autorisons par exemple l'appellation « biberon » pour autant que la teneur en nitrates soit inférieure à 5 milligrammes par litre, quand la norme est à 50 milligrammes par litre. Des mesures de l'ordre de 18 ou 19 milligrammes par litre n'entrent ainsi plus dans le cadre de notre politique qualitative et, quand nous les atteignons, décision est prise de fermer le site concerné, bien que nous puissions le laisser ouvert. Cela a notamment été le cas à Lucheux, dans les Hauts-de-France.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous mettez en place une forme de principe de précaution ?

M. Luc Baeyens. - Absolument.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous éclairer sur la manière dont vous percevez que la qualité de l'eau se dégrade ?

M. Luc Baeyens. - Les méthodes d'analyse évoluent. Elles portent aujourd'hui sur des aspects que l'on n'analysait peut-être pas il y a dix ou vingt ans et elles gagnent en précision. On détecte désormais dans l'eau, qui est un milieu naturel, des choses que l'on ne décelait pas auparavant. Les normes évoluent également.

Nous procédons dans notre société à 3 millions d'analyses par an, ce qui est très important, avec un suivi de la vie de chacun de nos forages. C'est l'une de nos priorités et il peut arriver que nous arrêtions un forage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'autocontrôle joue un rôle déterminant dans votre métier. Avez-vous sur des paramètres bactériologiques ou virologiques rencontré des difficultés dans certains de vos sites, que vous pourriez porter à la connaissance de cette commission d'enquête ? Pourriez-vous aussi nous éclairer sur la situation de vos différents sites à l'égard de ce que j'appellerai les nouveaux risques, ceux des PFAS et des microplastiques ?

M. Luc Baeyens. - Jamais nous n'avons été confrontés à un risque virologique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et vous faites des analyses virologiques ?

M. Luc Baeyens. - Quand vous travaillez avec des eaux saines à l'émergence, vous ne trouvez pas de virus, lors même que vous les rechercheriez.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais procédez-vous régulièrement à des autocontrôles de cette nature ?

M. Luc Baeyens. - Outre nos autocontrôles, nous nous adressons parfois à des services de l'État ou à des laboratoires accrédités par l'État, voire à d'autres laboratoires, car ces analyses peuvent être complexes.

En ce qui concerne la partie bactériologique, un développement de flore est toujours susceptible de survenir dans un milieu naturel. Nous en avons déjà constaté. L'ARS est alors informée et nous appliquons nos procédures de destruction de marchandise. Cependant, je répète que, parce que nous mettons des produits sains sur le marché, jamais les services de l'État ne nous ont demandé de rappeler de la marchandise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quelle fréquence un incident tel que la destruction de produits survient-il sur un site du groupe Alma ? Est-ce récurrent ?

M. Luc Baeyens. - Non. Sur 50 sites, il y a peut-être quelques palettes détruites par an. Le phénomène reste exceptionnel et j'en suis automatiquement averti. Travailler avec des technologies modernes, sans intervention humaine, sur un produit sain et en respectant la législation permet de circonscrire le risque.

La question des PFAS est nouvelle. Nous avons réalisé un ensemble de tests sur nos eaux, parfois en deçà des seuils, sans rien trouver.

Quant aux microplastiques, il faut être précis. D'où proviennent-ils ? De l'usure des pneus, des peintures présentes sur les routes, du textile. Nous essayons de les détecter et, pour faire progresser la filière, de trouver une méthode d'analyse qui nous permette de caractériser leur présence dans l'eau. Aujourd'hui, une telle méthode, qui soit fiable, reproductible et suffisamment précise, n'existe pas. Nous parlons d'éléments de la taille de l'atome, inférieurs au micromètre. Nous avons également travaillé en recherche et développement sur des méthodes d'analyse du polytéréphtalate d'éthylène (PET) recyclé, qui sont désormais utilisées au niveau européen.

M. Hervé Gillé. - La réglementation européenne ne précise pas le seuil à partir duquel la filtration est assimilée à une désinfection, proscrite pour les eaux minérales naturelles. Mais un avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) de 2001 le fixe à 0,8 micron. Quoiqu'il fasse autorité, cet avis n'a pas été transcrit au plan normatif et demeure donc fragile. Pourquoi, en tant qu'industriel ou groupement d'industriels, n'avez-vous pas demandé une clarification auprès de l'État, en vue d'une transcription normative ?

Du point de vue du citoyen ordinaire, du consommateur, une eau minérale naturelle ne doit pas être traitée et une microfiltration constitue déjà un traitement. Appliquer une filtration à 0,8 micron, fût-elle acceptée par les pouvoirs publics, devrait faire l'objet d'une communication claire à l'égard du public. C'est votre responsabilité d'industriel.

Sous pression du rapporteur, vous avez reconnu - enfin - des injections de sulfate de fer. Dont acte. Mais la presse s'est également fait l'écho de l'ajout de COindustriel, de la mise en oeuvre de microfiltrations inférieures au seuil autorisé ainsi que du mélange d'eaux dites minérales ou de source avec de l'eau de réseau. Reconnaissez-vous aussi ces pratiques ?

Enfin, des traitements ont été mis en place en amont des points de contrôle et vous en êtes certainement parfaitement informé. Quand vous évoquez l'eau à l'émergence, où exactement situez-vous cette émergence ?

M. Luc Baeyens. - J'ai déjà répondu à certaines de ces questions.

Dire que le seuil de filtration à 0,8 micron n'est pas inscrit dans la législation est vrai. En Europe, en dehors de la France, différents pays appliquent des filtrations à 0,2 micron. Pour notre part, nous n'avons pas eu besoin d'utiliser ce type de microfiltration.

Vous semblez dire que la microfiltration sert en matière bactériologique. Il n'en est rien. Les directives européennes 2009/54 et 2020/2184 relatives aux eaux minérales et de source énoncent une liste très restrictive de traitements autorisés et ils sont d'abord destinés à enlever le fer ou le manganèse.

Je ne fais pas de microfiltration inférieure à 0,8 micron, ce qui a été démontré, et cette microfiltration n'a aucun effet sur le plan bactériologique.

Le seuil de la microfiltration doit être fixé par les autorités compétentes, au niveau européen, afin d'éviter toute concurrence déloyale et de sorte que le procédé ne dénature pas la pureté originelle de l'eau et qu'il ne transforme pas une eau qui ne serait pas saine au départ pour la rendre potable. Une telle eau ne serait plus une eau minérale ou une eau de source, mais une eau rendue potable par traitement.

Quant à vos autres questions, si nous devions écouter et croire tout ce que la presse dit, nous n'en finirions plus. Je vous confirme que, non, il n'y a pas eu chez nous de mélanges d'eaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et sur l'adjonction de CO2 ?

M. Luc Baeyens. - Un dossier concerne l'eau de Châteldon.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'est-ce à dire ?

M. Luc Baeyens. - Il y a un dossier judiciaire, vous le savez comme moi. Je ne formulerai aucun commentaire par rapport à cela. Ce dossier est dans les mains du procureur de la République. Pour l'heure, nous avons changé l'étiquette du produit, pour y indiquer qu'il s'agit d'une eau minérale avec adjonction de gaz carbonique, finement pétillante.

Nos produits à la vente étaient sains et nous n'avons fait l'objet d'aucune demande de rappel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos paroles sont importantes. Au début de cette audition, je vous ai demandé s'il y avait eu des traitements illégaux. Vous m'avez confirmé un traitement au sulfate de fer, sans parler de la question de l'adjonction de gaz carbonique. Pourquoi ?

M. Luc Baeyens. - Je n'y ai pas pensé parce que c'était pour moi anodin.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est anodin, mais vous nous dites que cela fait l'objet d'une procédure judiciaire et que vous avez changé l'étiquette du produit.

M. Luc Baeyens. - Oui, nous avons changé l'étiquette à la demande des autorités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Saviez-vous que ce traitement était illégal ?

M. Luc Baeyens. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comprenez que vous êtes sous serment. Je vous pose la question de savoir si vos sites ont appliqué un autre traitement, vous y répondez par la négative, et quelques minutes plus tard vous répondez en sens contraire à mon collègue Hervé Gillé.

M. Luc Baeyens. - Je reconnais que j'avais oublié ce traitement.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous dites qu'il ne faut pas toujours croire ce que la presse rapporte. C'est votre point de vue. Mais dans ce cas précis, avez-vous déposé plainte pour diffamation ?

M. Luc Baeyens. - Non.

M. Laurent Burgoa, président. - Cela nous vous a-t-il pas effleuré l'esprit ?

M. Luc Baeyens. - Non, pas du tout.

M. Laurent Burgoa, président. - Peut-être ces affirmations n'étaient-elles pas si fausses que cela ?

M. Luc Baeyens. - La structure de notre société est familiale. Nous faisons énormément de recherche et développement. Nous répondons aux différentes demandes de nos clients, dont ceux de la grande distribution. Si nous devions nous intéresser à tout ce que la presse dit, nous n'en finirions plus.

Vous m'avez demandé si j'avais connaissance d'autres traitements illicites que le sulfate de fer. Pour votre information, le COn'est pas un traitement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La non-conformité de l'étiquette est une pratique illicite.

M. Luc Baeyens. - Le COn'est pas un traitement et j'ai donc répondu précisément à votre question...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour vous, ce n'est pas traiter l'eau que d'y mettre du CO2 ?

M. Luc Baeyens. - Non, ce n'est pas un traitement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment alors appelleriez-vous ce procédé ?

M. Luc Baeyens. - C'est une adjonction de gaz carbonique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - « Traitement » étant un mot générique...

M. Luc Baeyens. - Vous me demandez d'être précis, j'essaie de l'être.

M. Hervé Gillé. - Et le produit n'est plus conforme.

M. Luc Baeyens. - Je tiens à rectifier mon propos initial : à côté d'un traitement illicite au sulfate de fer, constitutif d'un écart ainsi que l'a reconnu la directrice chargée de la répression des fraudes, l'adjonction de COn'est, elle, pas assimilable à un traitement de l'eau. J'ai certes changé l'étiquette, mais je n'ai fait l'objet d'aucune demande de rappel, ce qui veut dire que les autorités reconnaissent que notre produit était parfaitement sain.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En résumé, vous reconnaissez donc qu'il y a un traitement illégal et une adjonction, que vous ne qualifiez pas de traitement, qui était elle-même illégale au regard de vos obligations relatives à l'étiquetage.

M. Luc Baeyens. - C'est votre qualification des faits.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y adhérez-vous ?

M. Luc Baeyens. - Oui.

Mme Audrey Linkenheld. - Notre commission d'enquête ne porte pas uniquement sur la question sanitaire, mais également sur le volet commercial. Ainsi, quand nous évoquons des pratiques illégales, illicites ou non conformes, nous nous plaçons sous cet angle double. Nous nous interrogeons donc aussi sur le point de savoir si des eaux minérales naturelles sont commercialisées comme telles alors qu'elles ne répondraient pas totalement à la définition de cette qualité, et quoiqu'elles soient par ailleurs saines.

À l'aune de votre expérience à la direction d'un groupe minéralier présent dans quelque 50 sites répartis dans plusieurs régions de France et au-delà, constatez-vous des différences dans les pratiques de vos divers interlocuteurs locaux, publics et privés, notamment les préfectures, les ARS et les laboratoires d'analyse agréés, et quant au regard qu'ils portent sur vos activités ? Nos questionnements s'étendent en effet aux contrôles que les autorités publiques, en particulier, exercent sur vos activités.

M. Luc Baeyens. - Nous avons des relations fréquentes avec les différentes autorités, que ce soient les ARS, les services de la répression des fraudes ou les préfectures. Je ne constate pas de différence de traitement d'une ARS à une autre.

Une trentaine de mes sites étant situés en France et les autres dans d'autres pays européens, je tiens à signaler que les autorités françaises compétentes, dont les ARS, sont très présentes dans nos activités, qu'elles contrôlent véritablement, selon une fréquence élevée. Ailleurs en Europe, le producteur peut se contenter d'envoyer une analyse par an aux autorités de sa région.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels sont ces pays ?

M. Luc Baeyens. - L'Italie, l'Allemagne.

En France, le niveau de contrôle est supérieur à celui que l'on rencontre ailleurs en Europe.

Mme Audrey Linkenheld. - Qu'en est-il de vos rapports avec les préfectures ?

M. Luc Baeyens. - La personnalité et l'expérience du préfet jouent un certain rôle, mais je ne dirai pas qu'il existe des traitements différents. D'une manière générale, les relations que nous entretenons avec les autorités françaises compétentes sont efficaces, cordiales et, surtout, constructives. Elles permettent de faire avancer les dossiers.

M. Saïd Omar Oili. - À Mayotte, nous avons connu plusieurs crises successives de pénurie d'eau potable. La marque que vous y exportez est Cristaline. Est-ce bien cela ?

M. Luc Baeyens. - Oui, c'est une marque que nous exportons à Mayotte, mais que nous n'y exploitons pas.

M. Saïd Omar Oili. - L'eau que vous produisez correspond aux normes européennes, mais la durée, longue, de son acheminement jusqu'à Mayotte, dans des conteneurs, ne nuit-elle pas à sa qualité ? L'eau qui nous y parvient dans ces conditions est-elle encore propre à la consommation ? Il nous a fallu jeter une partie de celle qui nous avait été livrée.

M. Luc Baeyens. - Nous exportons et livrons à Mayotte jusqu'à plusieurs dizaines de camions par jour, ce territoire étant confronté à une crise sanitaire sans précédent. Nous avons répondu présents. Ces livraisons s'effectuent via les services de l'État et, plus précisément, par l'intermédiaire de l'armée.

Nos procédures de chargement des camions sont très précises. La marchandise est ensuite, sur d'autres sites, transférée dans des conteneurs. Il est nécessaire que ces derniers puissent au préalable être examinés. Peut-être les services de l'État ont-ils en l'occurrence chargé de l'eau dans des conteneurs empreints d'une certaine odeur. Or si le PET des bouteilles - un polyester analogue à celui des tissus - présente un maillage dont les mailles sont plus petites qu'une goutte d'eau, ce maillage laisse passer les odeurs. Nous avions attiré l'attention de nos interlocuteurs sur ces aspects.

Vous évoquez un problème d'odeur survenu pour un seul de nos lots transportés par conteneurs, alors que nous en avons expédié des centaines. La procédure n'a pas été respectée au moment du chargement du conteneur, ce que je regrette. Nous avons de nouveau sensibilisé l'armée sur la procédure à suivre. Après les réclamations que nous avons reçues, nous avons par ailleurs procédé à des vérifications à partir de notre échantillothèque. Il en ressort que, lorsque l'eau incriminée a quitté nos sites en vue de son expédition, elle était de qualité parfaite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'était donc seulement une question de prise d'odeur et non de qualité de l'eau ?

M. Luc Baeyens. - Oui, c'est une prise d'odeur intervenue au cours du transfert qui est en cause. C'est comme cela que nous analysons la situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu un retour de quelques bouteilles de cette eau, pour son analyse ?

M. Luc Baeyens. - Non, nous avons été en discussion avec les ARS concernées, qui se sont intéressées elles-mêmes à notre échantillothèque, sans ensuite nous faire état d'un problème particulier.

M. Saïd Omar Oili. - Nous étions à Mayotte en pleine crise de l'eau et l'ARS nous a conseillé de ne pas boire celle que vous nous avez fait parvenir, justement parce qu'elle était impropre à la consommation.

M. Luc Baeyens. - D'après mes informations, un seul échantillon et un seul conteneur, qui avait été mal chargé et mal désinfecté, étaient concernés. Le problème ne tenait donc pas à l'eau elle-même, mais à l'environnement, aux conditions de son transport. Il faut savoir que, depuis la métropole, un conteneur met plusieurs semaines pour rejoindre Mayotte. L'absence de désinfection pose alors effectivement un problème et si l'armée n'a pas respecté certaines procédures, j'en suis désolé. Mais là où un conteneur a dû être détruit, le contenu de centaines d'autres a pu être consommé.

Je souligne aussi qu'il n'y a pas eu de procédure de rappel de la marchandise, l'ARS convenant qu'il s'agissait d'un cas spécifique et isolé, pour un conteneur qui n'avait pas été nettoyé ou préparé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur les aspects environnementaux de la production d'eau, nous nous apercevons que des arrêtés préfectoraux limitent les quantités prélevées et que des puits sont fermés. Pour alimenter nos travaux, formuleriez-vous des recommandations sur de bonnes pratiques de protection de la ressource ? Quels sont vos propres fonctionnements internes en la matière et l'état de votre réflexion sur le niveau approprié de prélèvement ? Avez-vous limité vos prélèvements dans certains endroits ?

M. Luc Baeyens. - Pour embouteiller de l'eau, encore faut-il en avoir, et qu'elle soit de qualité. Il est évident que nous prêtons une forte attention à l'aquifère, d'abord par la protection des terrains environnant les champs captants. Vous faites ensuite état de limitations. Il importe, quand on veut exploiter un forage, de s'adresser à des hydrogéologues. Nous disposons de nos propres hydrogéologues et recourons également aux services d'hydrogéologues agréés par l'État, afin de faire en sorte de ne jamais surexploiter la ressource pour laquelle nous bénéficions d'une autorisation.

À titre d'exemple, nous avons mis en place en 2003 dans le Nord une usine sur un terrain où le forage datait de 1998. Pendant cinq ans, avant toute demande d'autorisation, nous nous sommes assurés que la nappe ne serait pas surexploitée.

Les arrêtés préfectoraux qui accordent l'autorisation d'exploitation doivent parfois être réajustés en fonction des conditions climatiques. En cas de sécheresse, il arrive que nous recevions des demandes tendant à ce que nous diminuions nos prélèvements, ce à quoi nous nous conformons immédiatement.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci. Un questionnaire complémentaire vous sera adressé dans les prochains jours, qui vous permettra, si nécessaire, de préciser votre position à la suite de cette audition.

Audition de MM. Jean-Claude Lacaze, président, et Didier Ramos, directeur général de la Société des eaux de Mont Roucous
(Mercredi 12 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de MM. Jean-Claude Lacaze et Didier Ramos, respectivement président et directeur général des eaux de Mont Roucous.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Claude Lacaze et M. Didier Ramos prêtent serment.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille après que, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les procédés illégaux de certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

La présente audition s'attachera aux contrôles des exploitations d'eaux minérales naturelles du groupe Mont Roucous, dans le Tarn, mais nous entendrons bien sûr, tout au long de nos travaux, l'ensemble des autres minéraliers, afin d'aboutir à un état des lieux le plus complet possible.

Pourriez-vous expliciter votre slogan « l'eau des mamans et des bébés » ? S'appuie-t-il sur des caractéristiques prévues par la réglementation et approuvées par l'Académie nationale de médecine ? Avez-vous, à un moment ou un autre, utilisé des traitements interdits, tels que des filtres à charbon ou des rayons ultraviolets (UV) ? Si oui, pourquoi ? Estimez-vous que le recours aux traitements interdits pendant plusieurs années par certains de vos concurrents constitue une concurrence déloyale ? Vos sites ont-ils fait l'objet de contrôles renforcés à la suite des révélations sur Nestlé Waters ? Avez-vous été approchés par les autorités, qu'elles soient administratives ou politiques, à ce sujet ? Utilisez-vous des traitements de microfiltration pour vos eaux minérales naturelles ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs à l'égard d'un secteur auquel nous tenons tous ?

Telles sont les premières questions que je vous soumets. Le rapporteur vous interrogera à son tour, suivi des autres membres de la commission d'enquête. Mais je vous propose de prendre d'abord la parole pour une présentation liminaire.

M. Jean-Claude Lacaze, président de la Société des eaux de Mont Roucous. - L'histoire de notre entreprise commence par la découverte en 1973 par l'épicier du village de Lacaune, Joseph Combes, de la source Mont Roucous. En 1977, il crée un site d'embouteillage et vante les mérites de son eau dans tous les hôpitaux français et auprès des magasins de proximité.

J'ai racheté cette entreprise en 2007 et y ai apporté des investissements destinés à son amélioration.

Le site de Mont Roucous se caractérise par la position nettement surélevée de toutes nos ressources en eau par rapport à l'usine où nous les exploitons et à la seule route qui mène à cette dernière. Ces ressources, situées à 1 000 mètres d'altitude en plein coeur du parc naturel régional du Haut-Languedoc, sont ainsi totalement vierges de toute pollution liée à l'urbanisme ou aux cultures agricoles.

Comme pour toutes les eaux minérales naturelles, la composition de l'eau de Mont Roucous est unique. Cependant, elle se différencie par une très faible minéralisation. Avec 30 milligrammes de résidus secs au litre, c'est l'une des eaux commercialisées en France les moins minéralisées.

Sa composition répond aux critères stricts de l'arrêté ministériel du 14 mars 2007. Elle convient particulièrement à l'alimentation des nourrissons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce sa faible minéralisation qui lui confère cette qualité ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Les reins d'un nourrisson ne sont pas matures ; or moins une eau est minéralisée, moins elle est susceptible d'entraîner des problématiques rénales. C'est donc la raison essentielle pour laquelle on recommande l'eau de Mont Roucous pour les nourrissons.

M. Didier Ramos, directeur général de la Société des eaux de Mont Roucous. - Ce n'est cependant pas son seul taux de minéralisation qui explique qu'elle convienne à l'alimentation du nourrisson. De nombreux autres critères, que l'arrêté du 14 mars 2007 énumère, doivent être respectés.

M. Jean-Claude Lacaze. - En fait, l'eau de Mont Roucous est bonne non pour ce qu'elle apporte, mais pour ce qu'elle emporte. Elle n'est guère appropriée dans les cas de carences, par exemple en calcium. En revanche, elle convient bien aux diabétiques ou aux insuffisants rénaux.

M. Didier Ramos. - La Société des eaux de Mont Roucous est une société anonyme au capital de 271 000 euros. Son chiffre d'affaires annuel s'élève à un peu moins de 54 millions d'euros. Sa production est écoulée à 98,4 % sur le territoire français.

M. Jean-Claude Lacaze. - Autrement dit, nous ne sommes pas présents à l'export.

M. Didier Ramos. - Cette production atteignait l'an passé un peu moins de 193 millions de bouteilles. Mont Roucous représente moins de 2 % du marché des eaux embouteillées vendues en grandes et moyennes surfaces (GMS) alimentaires en France - notre unique marché.

M. Laurent Burgoa, président. - Quel est l'effectif de la société ?

M. Didier Ramos. - L'entreprise emploie 62 salariés, dont sept cadres.

M. Jean-Claude Lacaze. - Depuis 2007, nous avons réalisé plus de 30 millions d'euros d'investissement dans notre site d'embouteillage. Celui-ci comprend trois lignes de production, l'une d'une capacité de 40 000 bouteilles par heure, les deux autres de 15 000 bouteilles par heure. Son équipe se compose de 47 salariés, avec un directeur, trois personnes à la qualité, cinq à la maintenance, 30 en production, trois caristes et cinq administratifs. C'est donc une unité de taille réduite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - N'y a-t-il qu'un seul point d'émergence ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Non, nous avons sept points d'émergence.

M. Didier Ramos. - Tous situés en contre-haut de l'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Notre commission s'interroge en particulier sur la dénomination « eau minérale naturelle ». J'imagine que sur vos sept forages, la question de la pureté originelle ne se pose pas ou ne s'est jamais posée, mais j'aimerais que vous nous le confirmiez. À quelle profondeur puisez-vous ? Par ailleurs, avez-vous recours, dans le processus de production, à la microfiltration et pouvez-vous détailler ce processus ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Nos forages se font à une profondeur de 20 à 30 mètres. Le sol est granitique et les émergences se situent dans des failles, ce qui explique la multiplicité des forages. Par ailleurs, nous filtrons à 0,45 microns.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce en conformité avec l'arrêté préfectoral vous concernant ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Tout à fait. Il est entendu que tous les dossiers d'homologation requis pour obtenir l'arrêté précisent ce niveau de filtration à 0,45 microns. L'agence régionale de santé (ARS) en est par ailleurs parfaitement informée. En revanche, cette donnée ne figure pas dans l'arrêté lui-même.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous confirmez-vous que le dossier d'instruction la mentionne bien ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Oui, tous les dossiers d'instruction la mentionnent. Depuis toujours, nous avons filtré à 0,45 microns.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est l'objectif de cette microfiltration ?

M. Jean-Claude Lacaze. - La microfiltration s'effectue avant les lignes d'embouteillage. Dans notre eau, nous pouvons en effet retrouver des particules issues de la flore. Nous sommes aujourd'hui l'eau des bébés. Par conséquent, nous ne voulons prendre aucun risque. En concertation avec les autorités, il a été décidé de filtrer à 0,45 microns. Sachez néanmoins que nous procédons par l'intermédiaire de notre laboratoire interne à des prélèvements réguliers et que d'autres prélèvements sont mandatés par l'ARS, au niveau du captage comme du produit fini. Ces prélèvements ne concluent à aucune modification dans la composition de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous indiquez avoir toujours pratiqué le seuil de 0,45 microns. Était-ce déjà le cas à votre arrivée ou s'agit-il d'une décision de votre part ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Il était déjà pratiqué à mon arrivée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez réalisé des travaux à hauteur de 30 millions d'euros, ce qui représente un investissement important. Quelles modifications avez-vous apportées à l'usine ? Quels ont été vos choix industriels ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Lorsque j'ai repris Mont Roucous, je savais bien sûr pertinemment ce que je souhaitais en faire. Je savais qu'il s'agissait de l'eau la moins minéralisée de France, et donc la plus adéquate pour les bébés et les nourrissons. Je savais aussi que je ne pouvais pas espérer sur ce site des volumes démesurés. C'est la raison pour laquelle, tout naturellement, nous nous sommes orientés vers le marché des bébés et des mamans.

Le succès est venu assez rapidement, puisque nous affichons, depuis 2007, une progression annuelle en volume à deux chiffres. Nous avons toutefois stoppé volontairement cette croissance afin de ne pas dépasser les 196 millions de litres, volume au-delà duquel nous ne serions plus soumis au régime de la déclaration, mais de l'autorisation.

Nous avons par ailleurs sous le coude de nouvelles ressources, mais avons besoin, pour les exploiter, d'un concours extérieur. En effet, notre PME ne dispose pas, par exemple, de ses propres hydrogéologues. Nous travaillons donc beaucoup avec les autorités - direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et direction départementale des territoires (DDT) - pour trouver de l'eau supplémentaire sans appauvrir les nappes environnantes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous d'une analyse du niveau d'exploitation des nappes ? Celles-ci vous semblent-elles surexploitées ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Nous nous en tenons strictement à la limite fixée par l'arrêté et nous ne prélevons jamais au-delà du volume autorisé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cet arrêté vous semble-t-il poser problème du point de vue du niveau d'exploitation de la nappe ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Pas du tout. Ce point n'a jusqu'ici jamais posé problème.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur un plan plus personnel, êtes-vous issu du monde de l'embouteillage ?

M. Jean-Claude Lacaze. - J'avais 57 ans. J'étais directeur général chez Danone, où j'étais chargé des eaux, puis j'en ai eu assez. J'ai démissionné et vendu tous mes biens. J'ai même hypothéqué ma résidence principale pour acheter Mont Roucous. Je croyais en effet énormément dans ce projet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est intéressant que vous ayez travaillé chez Danone. Avez-vous eu connaissance, dans ce cadre, de la présence de lampes à UV, de filtres à charbon ou d'autres traitements interdits ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Je représente ici Mont Roucous et je ne parlerai pas d'autre chose.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous êtes ici en effet en tant que président de Mont Roucous.

M. Jean-Claude Lacaze. - À Mont Roucous, on utilise des UV pour l'eau industrielle. En effet, nous ne sommes pas raccordés au réseau d'adduction publique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est-à-dire pour les autres process ?

M. Jean-Claude Lacaze. - En effet, pour les autres process uniquement. Pour le reste, nous utilisons la filtration à 0,45 microns en entrée d'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le scandale qui a frappé le secteur de l'eau a-t-il eu un impact sur vos ventes ? Contrairement aux autres entreprises que nous avons auditionnées, vous êtes 100 % français ; à ce titre, votre vision de l'effet de ce scandale sur le marché nous intéresse. Comment avez-vous perçu cet épisode du point de vue de la loyauté de la concurrence ? Quel est en un mot votre retour sur cette année de scandales à répétition ?

M. Jean-Claude Lacaze. - À Mont Roucous, nous respectons vraiment ce que nous offre la nature. Rendez-vous compte : nous sommes la seule marque à ne proposer qu'une seule référence - le litre -, après avoir abandonné le 50 centilitres, le 25 centilitres ou encore le 1,5 litre. Comme je vous l'indiquais, nous avons connu une progression fantastique. Régulièrement en fin d'année, d'ailleurs, nous ne parvenons pas - et je m'en excuse auprès de nos clients - à faire face à la demande. Pour ces raisons, nous n'avons pas ressenti les effets des scandales que vous évoquez. Nos ventes se maintiennent et, sans que je puisse le quantifier, nous pourrions expédier beaucoup plus de volume que ce que nous embouteillons.

Par ailleurs, les eaux que vous évoquez sont dix, vingt à trente fois plus minéralisées que celle de Mont Roucous. J'estime donc que nous ne jouons pas dans la même cour et nous ne les considérons pas véritablement comme des concurrentes. Nous sommes dans une niche, celle des mamans et des bébés. Ce segment représente l'essentiel de nos ventes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il a pu y avoir un effet d'image sur l'ensemble du secteur...

M. Didier Ramos. - D'une manière générale, il est certain que cela ne fait pas de bien à la catégorie des eaux embouteillées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela n'a toutefois pas été perçu dans vos chiffres, puisque vous indiquez être en situation de pénurie...

M. Jean-Claude Lacaze. - L'effet est en effet masqué.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez sans doute été destinataire du questionnaire de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), qui a mené une mission d'inspection sur votre secteur. Avez-vous des remarques particulières sur ce questionnaire ? Souhaitez-vous appeler l'attention de la commission sur certaines de vos réponses ?

Par ailleurs, dans le cadre ou à la suite de la publication de ce rapport de l'Igas, avez-vous fait l'objet de contrôles récents et si oui par qui - ARS, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?

M. Didier Ramos. - Nous avons en effet reçu le questionnaire de l'Igas et nous y avons répondu. L'ARS est venue inspecter le site quelques mois plus tard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous des comptes rendus de cette inspection ?

M. Didier Ramos- Nous avons reçu un projet de rapport, mentionnant la microfiltration à 0,45 microns. D'une manière générale, les laboratoires mandatés par l'ARS réalisent chaque année 20 à 26 prélèvements sur nos points d'émergence et 25 à 50 contrôles et analyses sur nos produits finis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous déjà connu un incident bactériologique ou virologique nécessitant la destruction de votre production ?

M. Didier Ramos- Nous avons eu deux alertes au cours des cinq dernières années, en mai 2021 et en novembre 2024, à la suite de contrôles réalisés au niveau des émergences par le laboratoire mandaté par les ARS. Dans ces cas-là, nous stoppons le forage, nous le nettoyons et procédons immédiatement à une contre-visite donnant lieu à de nouvelles analyses, qui ont toujours été négatives.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour bien comprendre, dans ces cas-là, est-ce la qualité de l'eau qui est en cause ou le système qui la remonte ?

M. Didier Ramos- Le système qui la remonte peut subir à un moment une micropollution. Il en suffit d'une pour que l'ARS soit alertée par le laboratoire et nous demande d'intervenir, avant contre-analyse.

M. Jean-Claude Lacaze. - Bien souvent, nous constatons, grâce à notre laboratoire interne, qu'un mauvais prélèvement effectué sans respecter la méthodologie est rapidement problématique.

Mme Marie-Lise Housseau. - Votre entreprise ne compte pas parmi les plus gros embouteilleurs, mais elle est très fortement ancrée dans son territoire. Quelles relations entretenez-vous avec votre écosystème, avec la commune de Lacaune en particulier, mais aussi avec la DDT, la Dreal ou l'ARS ? Comment vous nourrissez-vous des conseils que ces services peuvent vous apporter ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Ils jouent pour nous un rôle d'experts. Comme je l'indiquais précédemment, nous disposons de nouvelles ressources potentielles. Lors d'une réunion avec la Dreal et la DDT il y a dix jours, nous nous sommes rendu compte que l'une de ces trois ressources - les études durent dix-huit mois - impactait un ruisseau. Nous avons donc arrêté toute activité sur cette ressource. Tout cela se fait en concertation. En ce qui concerne nos relations avec la mairie, je dirai que nous sommes plutôt bien vus à Lacaune.

M. Didier Ramos. - En effet, en 2024, la surtaxe était de 1,09 million d'euros alors que la commune compte un peu moins de 2 500 habitants. D'une manière générale, nous entretenons de bonnes relations avec la municipalité. La plus grande partie des collaborateurs sont nés et vivent à Lacaune. Quand vous créez un emploi sur le site d'embouteillage, c'est une famille entière qui en bénéficie.

M. Laurent Burgoa, président. - C'est une somme intéressante pour un budget municipal. Vous avez l'air de rendre les gens heureux dans votre secteur...

M. Jean-Claude Lacaze. - Nous sommes heureux nous-mêmes de faire ce que nous faisons.

M. Hervé Gillé. - Je souhaite obtenir une précision au sujet de la microfiltration. Comme vous l'avez indiqué, celle-ci a été autorisée par les administrations et elle était déjà en place lorsque vous avez racheté l'usine. En quelle année était-ce ?

M. Jean-Claude Lacaze. - En 2007.

M. Hervé Gillé. - Cet élément doit être souligné : la microfiltration à 0,45 micron a donc été autorisée par les administrations dès 2007. Vous le savez, nous sommes en la matière dans une sorte de flou juridique, puisque l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a rendu un avis national qui fait jurisprudence et qui fixe un seuil à 0,8 microns. Par ailleurs, la réglementation européenne n'est pas encore affirmée.

Cela n'engage que moi, mais je considère pour ma part le seuil de 0,8 microns comme insuffisamment consolidé. Le seuil de 0,45 microns, lui, ne l'est absolument pas. Vous avez donc racheté une entreprise qui, certes, pratiquait une microfiltration ayant bénéficié de l'aval des autorités, mais qui, encore aujourd'hui, n'est pas réglementaire. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Que voulez-vous que je vous dise ? Quand j'ai racheté cette entreprise, je n'ai jamais pensé qu'il pouvait y avoir une quelconque contradiction avec la légalité. Dans le cas contraire, je ne l'aurais pas rachetée. Quand vous avez 57 ans, que vous démissionnez d'un groupe dans lequel vous gagnez bien votre vie et que vous vous lancez dans une telle aventure, vous y réfléchissez à deux fois. Si j'avais eu le moindre doute, j'aurais renoncé.

Par ailleurs, je connais un peu notre environnement. Je pense que dans les pays limitrophes, une filtration à 0,45 microns est commune. Je fais ici appel à mes souvenirs, sans pouvoir l'étayer par des éléments concrets.

M. Didier Ramos. - C'est aussi le process d'embouteillage qui nécessite la microfiltration. La microfiltration vise en effet à éliminer des particules qui sont naturellement présentes dans l'eau. Les analyses qui sont faites aux points d'émergence ainsi que sur le produit fini sont conformes.

M. Hervé Gillé. - Il n'y a aucun souci. Il n'en reste pas moins que cela n'a pas un caractère réglementaire.

M. Olivier Jacquin. - Si j'en crois vos explications, l'intégralité de votre impluvium se situe en zone boisée.

M. Jean-Claude Lacaze. - Nous sommes en effet propriétaires des 60 hectares environnant le site. Toutes nos ressources, à l'exception d'une seule, sont sur ce territoire forestier. La ressource supplémentaire qui a été récemment homologuée se situe sur le terrain de l'Office national des forêts (ONF), avec lequel nous avons passé une convention nous autorisant à prospecter sur son territoire. Nous savons désormais que sur notre territoire, nous avons fait le plein : nous ne trouverons plus de ressources supplémentaires. Il y a bien de l'eau, mais il y a un risque d'appauvrir les nappes.

M. Olivier Jacquin. - Dès lors, les polluants que l'on trouve souvent dans les impluviums des zones agricoles - nitrates et phytosanitaires - sont-ils absents de ce territoire ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Ils en sont totalement absents. Il n'y a aucune culture alentour.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'en est-il de la présence de substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) ?

M. Didier Ramos. - La présence de pesticides est déjà évaluée dans le cadre du contrôle sanitaire. Nous sommes par ailleurs très attentifs au sujet des PFAS et des microplastiques. Nous avons donc fait réaliser en 2024 par un laboratoire allemand des analyses visant à rechercher des PFAS sur notre produit fini. Le résultat a été négatif pour l'ensemble des vingt-sept molécules recherchées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il était nul ?

M. Didier Ramos. - Il était toujours en dessous du seuil de détection, sachant que ce dernier variait de 0,001 micron à 0,005 micron selon la molécule recherchée.

Mme Florence Lassarade. - J'ai été pédiatre et durant toutes mes études de médecine, on ne voyait dans les hôpitaux bordelais et alentour que l'eau de Mont Roucous. Cette eau bénéficiait en effet d'une grande confiance, du fait de sa faible minéralisation.

Les microfiltres nous intriguent : trouve-t-on partout les mêmes ? Nécessitent-ils un entretien ? Les avez-vous remplacés depuis que vous avez racheté l'installation ?

Par ailleurs, je suis membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et nous avons fait de nombreuses études sur les microplastiques dans l'eau, y compris du robinet. Avez-vous fait des recherches de ce type, similaires aux recherches de PFAS, sur vos eaux en bouteille, qui sont à mon avis de grande qualité ?

M. Didier Ramos. - Concernant les microplastiques, nous avons fait réaliser en septembre 2024 par un laboratoire externe une étude sur l'un de nos produits finis. Le résultat a conclu à l'absence de particules, sachant que les recherches portaient sur des microplastiques dont la taille était supérieure à 10 microns. Quant aux filtres, ils sont évidemment très régulièrement changés, de manière à être propres en permanence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Lacaze, vous êtes ici auditionné en tant que président de la société des eaux de Mont Roucous. Toutefois, le périmètre de notre enquête est plus vaste et votre expérience professionnelle préalable peut nous intéresser.

En vous rappelant que vous êtes sous serment, je vous pose donc avec bienveillance une question franche et directe : au cours de votre vie chez Danone, avez-vous eu connaissance de pratiques illégales telles que celles qui ont été révélées par la presse, à savoir l'utilisation sur de l'eau minérale naturelle des lampes à UV, de filtres à charbon ou d'autres traitements manifestement interdits ?

M. Jean-Claude Lacaze. - Je n'ai pas une mémoire excellente, mais je vais bien sûr vous répondre. Quand vous êtes chez Danone, vous êtes directeur général d'une entreprise qui embouteille de l'eau, mais vous n'êtes pas au courant des traitements qui peuvent être effectués ici ou là. C'est le rôle des spécialistes. Si j'ai pu entendre certaines fois certaines choses, je n'ai pas d'éléments supplémentaires à vous fournir. Nous étions très segmentés. Je dirigeais l'entreprise essentiellement en matière commerciale et marketing. Pour tout ce qui concerne l'eau embouteillée et l'exploitation des ressources naturelles, ce sont les équipes dédiées qui maîtrisaient ces questions.

Dans mon entreprise, je suis polyvalent : je prévois les investissements, mais je peux aussi passer le balai le vendredi soir si nécessaire. Chez Danone, les choses fonctionnaient autrement.

Franchement, je crois que la catégorie est très respectueuse de l'environnement. Les directives que l'on nous donne sont globalement suivies. Je suis tombé à la renverse quand j'ai appris ces scandales par voie de presse. Je suis depuis un peu plus attentif.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je note que votre réponse est précise. Vous n'avez pas été informé de pratiques telles que celles qui ont été dévoilées dans la presse et vous n'avez pas eu à les valider, d'une manière ou d'une autre, au niveau du comité de direction.

M. Jean-Claude Lacaze. - Je vous le confirme.

M. Laurent Burgoa, président. - Cette question était d'autant plus intéressante que nous auditionnerons demain matin la directrice des sources chez Danone.

Messieurs, je vous remercie pour cette audition que j'ai trouvée passionnante, mais aussi pour votre franchise. Vous avez parlé avec vos tripes. Il est émouvant d'apprendre que vous avez misé toutes vos économies pour développer cette entreprise, devenue un fleuron pour votre département et pour notre pays. Si je le pouvais, je viendrais visiter votre site avec plaisir. Quand on est petit, on peut servir de modèle aux plus grands.

M. Jean-Claude Lacaze. - Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais vous exposer une situation.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous en prie.

M. Jean-Claude Lacaze. - Je voudrais vous raconter cette histoire. En 2007, je rachète Mont Roucous. Le 14 mars 2013, Mont Roucous fait la une de 60 millions de consommateurs. On y voit une bouteille de Mont Roucous, accompagnée du titre suivant : « Mont Roucous contient du tamoxifène ». Vous avez compris comment j'avais racheté Mont Roucous : je ne m'étais jamais versé un dividende jusqu'à ce jour où le ciel m'est tombé sur la tête. Je ne savais même pas ce qu'était le tamoxifène. Heureusement, mon précédent employeur m'avait formé aux situations de crise et j'ai fait ce que j'ai pu.

Vous savez, les ventes ont chuté du jour au lendemain. TF1 et France 2 ont repris cette fichue photo. Le tamoxifène est un résidu médicamenteux prescrit dans le traitement du cancer du sein. Quand je regarde cette photo, je me dis que cette situation est invraisemblable. C'est là, messieurs les élus, que je vous interpelle. Je ne peux pas comprendre qu'un journal qui n'est jamais venu chez nous, qui ne nous a pas entendus, puisse publier une telle information.

Certes, il nous a écoutés par la suite. Le journaliste nous a même envoyé une lettre dans laquelle il expliquait que cette affaire allait le hanter. Mais cela m'est égal : en attendant, il a fallu gérer cette situation et les ventes se sont cassé la figure. Ne peut-on pas imaginer qu'avant d'affirmer quelque chose d'aussi grave, de nature à « flinguer » une entreprise, il faille attendre les résultats d'une contre-analyse ou venir voir sur place ce qu'il en est ? Cet épisode a été pour moi un véritable traumatisme.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le président, je vous entends et je partage votre point de vue. Votre récit est émouvant. Notre commission d'enquête est particulièrement vigilante sur ce point : lorsque notre rapporteur émettra ses conclusions, il devra être sûr à 100 % de ce qu'il affirme.

M. Hervé Gillé. - En l'occurrence, il s'agissait bien d'une erreur d'analyse.

Audition de Mme Cathy Le Hec,
directrice des sources d'eaux minérales - Danone Waters Europe
(Jeudi 13 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales chez Danone Waters Europe, qui est accompagnée de Mme Marion Bouissou-Thomas, directrice des affaires publiques de Danone France.

Je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Cathy Le Hec et Marion Bouissou-Thomas prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle à l'intention des internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de clarifier les contrôles des exploitations d'eaux minérales naturelles du groupe Danone, mais nous allons bien sûr entendre l'ensemble des autres minéraliers afin d'aboutir à un état des lieux le plus complet possible.

Madame Le Hec, avez-vous, à un moment ou un autre, utilisé des traitements interdits - filtres charbon, UV ? Si oui, pourquoi ?

Estimez-vous que le recours aux traitements interdits pendant plusieurs années par certains de vos concurrents constitue une concurrence déloyale ?

Vos sites ont-ils fait l'objet de contrôles renforcés à la suite des révélations relatives à Nestlé Waters ? Avez-vous été contactés par les autorités - administratives, politiques - à ce sujet ?

Utilisez-vous des traitements de microfiltration pour vos eaux minérales naturelles ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs dans un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur vous interrogera.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : une présentation liminaire de vos réflexions sera suivie d'un premier temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur ; nous terminerons éventuellement cet entretien avec une dernière batterie de questions.

Mme Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales chez Danone Waters Europe. - En tant que directrice des sources d'eau minérale de Danone en France, je tenais à vous remercier de m'avoir conviée à cette audition afin de vous présenter les activités et les pratiques de Danone, et répondre à vos questions relatives aux eaux minérales. À ce titre, je rappellerai que notre conduite est régie par un principe majeur, la transparence, qui est au centre des enjeux portés par cette commission d'enquête - c'est pourquoi nous prenons ces échanges très au sérieux. En effet, la transparence, et donc la confiance, se trouve au coeur de nos missions et de nos relations avec tous nos interlocuteurs.

Pour commencer, je présenterai brièvement notre activité.

Chez Danone, nous avons la responsabilité de quatre marques d'eau minérale : Évian, captée en Haute-Savoie ; Badoit, prélevée au coeur de la Loire ; Volvic, captée en plein coeur des volcans d'Auvergne, dans le département du Puy-de-Dôme ; enfin, La Salvetat, située dans l'Hérault, en région Occitanie. Les deux premières ont été acquises en 1970, tandis que Volvic et La Salvetat l'ont été respectivement en 1992 et 1990.

Chacune de ces ressources a une histoire et des origines géologiques propres qui lui confèrent des propriétés différentes. Ces eaux sont toutes reliées à un territoire et à un patrimoine local. Au total, cela représente plus de 3 000 emplois. Nous travaillons avec 25 communes situées autour des sources et une centaine d'exploitations agricoles.

Grâce à son savoir-faire en matière de gestion et de commercialisation de la ressource en eau, Danone remplit une mission essentielle : apporter une hydratation de qualité. Celle-ci s'inscrit dans notre raison d'être, qui consiste à apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre. En tant que minéralier, il est de notre devoir et de notre responsabilité de préserver la ressource en eau, en quantité et en qualité. Il y va de la protection de l'environnement et de la pérennité de nos activités.

De formation scientifique, je suis docteur en agronomie - eau et environnement -, et cela fait près de vingt ans que je travaille chez Danone au service de la préservation de l'eau minérale et de ces quatre ressources. Je reviendrai sur la façon dont nous menons ces politiques de protection, mais je suis aujourd'hui devant vous pour évoquer les pratiques que nous mettons en oeuvre avec rigueur pour garantir la qualité de ces ressources.

Les eaux minérales présentent des caractéristiques qui sont reconnues. Ce sont par nature des eaux pures qui répondent à des besoins spécifiques en termes d'hydratation. Les experts qui ont été auditionnés par cette commission d'enquête sont, je le sais, revenus à de multiples reprises sur cette définition, mais il est important de le rappeler, car c'est au coeur de notre activité quotidienne.

Ces eaux répondent à des critères stricts de qualité auxquels nous nous conformons et qui sont inscrits dans le code de la santé publique. D'origine souterraine, elles doivent être microbiologiquement saines - grâce notamment à un processus de filtration qui peut durer plus de dix ans -, pures et stables dans leur composition. Je tiens à préciser clairement que nos eaux minérales naturelles ne font l'objet d'aucun traitement qui pourrait en altérer les caractéristiques. C'est justement la pureté originelle qui leur confère toutes leurs qualités, et c'est la raison du succès de nos sources, qui remontent parfois à plusieurs siècles - la source Cachat à Évian-les-Bains date de 1789, et celle de Volvic de 1889.

Cette définition de l'eau minérale et ce travail de protection sont au coeur de notre activité. Au-delà du code de la santé publique, les travaux de l'Académie de médecine attestent les bienfaits de ces eaux minérales, qui, je le redis, présentent des spécificités en fonction de leur terroir d'origine. Évian est recommandée depuis 1826 pour les bébés, car elle est faiblement minéralisée et totalement conforme aux critères particulièrement stricts définis par la réglementation française. Volvic peut aussi, grâce à ses minéraux, être adaptée à une consommation quotidienne. Pour ce qui est des eaux gazeuses, Badoit est connue pour ses teneurs en bicarbonate, et La Salvetat est très faible en sodium.

Je m'attarderai quelques instants sur notre métier. Visant à assurer la protection de l'eau, il repose sur une expertise de long terme et requiert des connaissances en hydrogéologie et sur le fonctionnement et les activités humaines des territoires concernés. De telles connaissances sont indispensables pour évaluer l'évolution du niveau de la nappe et adapter notre activité et nos prélèvements. Ces données sont partagées, en transparence, avec les services de l'État, comme c'est le cas à Volvic lors des comités de suivi.

Je le rappelle, nos prélèvements en eau sont limités et soumis à des autorisations qui sont accordées par les pouvoirs publics.

Le métier de minéralier, c'est connaître, mais c'est aussi surveiller. Cette surveillance s'applique depuis les impluviums jusqu'à la mise en bouteille. Au-delà des contrôles effectués par les services de l'État, plus de 700 contrôles par jour sont réalisés sur les sites de Danone et mis à disposition des autorités. À ce propos, nous disposons d'une hydrothèque afin d'assurer la traçabilité de nos produits.

Être minéralier, c'est gérer, mais c'est aussi être capable d'anticiper. Notre devoir, et notre responsabilité, c'est de garantir la durabilité de cette ressource, en quantité et en qualité. Pour cela, la stratégie de préservation des ressources en eau mise en oeuvre depuis plus de trente ans chez Danone repose sur une collaboration étroite avec l'ensemble des acteurs locaux. Tout l'enjeu consiste à concilier le développement local sur le territoire des sources avec la protection de l'eau.

Pour ce faire, nous avons mis en place une gouvernance dédiée par le biais de l'Association pour la protection de l'impluvium de l'eau minérale Évian (Apieme), du Comité environnemental pour la protection de l'impluvium de Volvic (Cepiv), de La Bulle verte pour Badoit, et de l'association Politique environnementale pour la protection de la source La Salvetat (Peps's).

Toutes nos actions s'orientent autour de trois objectifs majeurs : l'aménagement et le développement raisonné des villages, la protection des milieux naturels et de la biodiversité, et l'accompagnement d'une agriculture durable et respectueuse de la qualité de l'eau. Au total, plus de 17 millions d'euros ont été investis ces dernières années pour protéger un territoire d'environ 280 kilomètres carrés.

Nous avons, par exemple, mis en place avec les collectivités le programme Zéro pesticide, qui avait été lancé pour l'entretien des espaces verts une dizaine d'années avant la réglementation. Et l'agriculture étant l'activité dominante sur nos territoires, nous collaborons étroitement avec les agriculteurs, dont plus d'une centaine travaillent sur nos impluviums. Nous pouvons ainsi protéger plus de 10 000 hectares.

Enfin, nous menons plusieurs programmes de protection de la biodiversité, en préservant notamment les zones humides. L'impluvium d'Évian a été le premier site d'une source à être classé au titre de la convention relative aux zones humides d'importance internationale de Ramsar.

En complément, nous inscrivons notre stratégie dans une gestion à long terme, particulièrement importante face aux enjeux climatiques.

Tout d'abord, nous assurons la gestion quantitative des systèmes aquifères. Nous prenons en compte les paramètres météorologiques et veillons à adapter nos prélèvements en cas de nécessité.

Ensuite, nous investissons depuis des années dans des projets qui visent à optimiser l'utilisation de l'eau sur nos sites d'embouteillage. Cela inclut les programmes de récupération et de réutilisation des eaux pour augmenter l'efficience des prélèvements. Chaque goutte compte et doit être préservée !

Par ailleurs, nous avons acté des engagements significatifs sur certains territoires, notamment à Volvic, où nous avons signé avec la préfecture un plan d'utilisation rationnelle de l'eau. Nous engageons des processus innovants afin de réutiliser des eaux pour le nettoyage de notre site industriel.

En conclusion, je suis convaincue que les eaux minérales ont un avenir, car tous nos salariés agissent au quotidien pour prendre soin de nos impluviums. Grâce à ces mesures, nous pouvons protéger ces eaux, garantir leur composition originelle et répondre aux exigences de qualité et de conformité.

Face aux défis du changement climatique et de la protection de l'environnement, nous poursuivons et renforçons nos efforts pour préserver les territoires des sources, optimiser l'utilisation de l'eau et innover dans des processus de production.

J'espère avoir répondu à vos questions. Je suis évidemment à votre disposition pour vous apporter tous les compléments nécessaires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci de cet exposé qui soulève beaucoup de questions. Je commencerai par une reformulation et une vérification, eu égard aux traitements interdits par la réglementation - filtres à charbon, lampes UV - qui ont été pratiqués chez Nestlé : pouvez-vous confirmer que le groupe Danone n'y a jamais eu recours sur l'un de ses sites ?

Mme Cathy Le Hec. - Je vous le confirme, monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un débat s'est engagé autour de la microfiltration. La pratiquez-vous dans vos usines ? Si oui, quels sont les seuils de coupure ? Dans les quatre sites que vous avez évoqués, êtes-vous en conformité avec les arrêtés préfectoraux en vigueur ?

Mme Cathy Le Hec. - Oui, nous utilisons la microfiltration, et je préciserai dans quel but. Le seuil de coupure a été fixé à 0,8 micron par les arrêtés préfectoraux. Il est suffisant par rapport à l'objectif visé, qui est de retenir les particules d'éléments instables, tels que le fer, le manganèse ou l'arsenic - pour Volvic -, dont les seuils de consommation quotidienne doivent être limités. De plus, il répond aux recommandations de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), qui avait bien précisé qu'un tel seuil ne modifiait pas la composition originelle de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre réponse est intéressante, car c'est la première fois qu'on nous dit cela. Ce seuil de 0,8 micron est donc respecté sur l'ensemble de vos sites ?

Mme Cathy Le Hec. - C'est cela.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, la réglementation était-elle claire à cet égard ?

Mme Cathy Le Hec. - La réglementation est très claire sur ce qu'est une eau minérale : c'est une eau dont les caractéristiques minérales résultent de ses interactions avec la roche. En termes de microbiologie, cette eau est saine et exempte de flore pathogène, c'est-à-dire naturellement protégée. Tout au long du parcours de la source jusqu'aux points d'émergence, il n'existe aucun signe d'évolution ni d'impact. En outre, le fait de retirer des éléments instables ne doit pas entraîner de modification de la composition originelle de l'eau.

Le cadre étant fixé, il ne nous semble pas nécessaire de le modifier. Cela dit, eu égard aux variations qui existent entre les pays européens, des adaptations pourraient être utiles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'avis de l'Afssa - ancêtre de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) - portant sur le seuil de 0,8 micron était-il clair ?

Mme Cathy Le Hec. - Tout à fait. Nous n'avons jamais eu le besoin d'utiliser un seuil de microfiltration inférieur à 0,8 micron et la réglementation nous paraît suffisamment claire du point de vue de la gestion de nos ressources et du respect de la qualité des nappes.

M. Laurent Burgoa, président. - Vos sites comptent La Salvetat-sur-Agout, dans l'Hérault, département exposé à des épisodes cévenols. Un épisode de ce type a-t-il pu avoir des conséquences sur la pureté de la nappe ? L'un de vos concurrents a évoqué ce facteur à propos de l'évolution de la pureté de son eau.

Mme Cathy Le Hec. - Le site de La Salvetat se situe à la limite de l'Hérault et du Tarn, dans une position géographique et climatique assez différente de celle du bord de la Méditerranée. Nous pouvons y observer les effets du changement climatique, que ce soit en termes de température ou de précipitations : il y pleut en moyenne 1 400 millimètres par an, mais nous constatons ces dernières années une diminution de la pluviométrie, plus marquée d'ailleurs que dans d'autres territoires.

En tout état de cause, aucun impact lié à des événements climatiques n'est à signaler sur la qualité de la ressource qu'est l'eau La Salvetat.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous est-il arrivé de devoir fermer des forages car la pureté de l'eau n'était plus garantie ?

Mme Cathy Le Hec. - Non. Des interruptions ponctuelles ont pu survenir, mais uniquement pour la réalisation de travaux et non pas en raison de problèmes sanitaires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À vous entendre, Danone Eaux semble être un bon élève en termes de respect de la réglementation et de maintien de la qualité. Comment qualifieriez-vous l'épisode des révélations faites par la presse au sujet de Nestlé Waters ? Qu'en avez-vous appris ?

Mme Cathy Le Hec. - Je ne commenterai pas les activités de Nestlé. Pour ce qui nous concerne, nos actions de longue durée sont déterminantes en faveur de la protection des sources, qu'il s'agisse d'anticiper des problématiques de qualité, trouver des solutions ou de préparer la protection des ressources en eau dans la perspective des évolutions climatiques à venir.

Le maintien de la qualité des ressources passe d'abord par la protection des impluviums, en s'assurant que les activités humaines ne viennent pas modifier la qualité de l'eau dans les territoires concernés. Ensuite, nous avons prêté la plus grande attention à nos forages en travaillant, avec des experts, à la réalisation des ouvrages avec les meilleurs matériaux et procédés, de manière à nous assurer que les points de captage respectent la qualité de l'eau.

Enfin, des investissements importants ont été réalisés en n'utilisant que de l'inox pour les canalisations reliant les forages aux sites de production, car ce matériau facilite l'hygiène des installations. J'y ajoute le travail des équipes sur les sites d'embouteillage, la complémentarité de ces actions nous ayant permis de garantir le niveau de qualité de nos eaux minérales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez habilement dévié ma question, mais je me permets d'y revenir : avez-vous perçu l'épisode comme une forme de concurrence déloyale dans la mesure où des procédés interdits ont été utilisés, alors que vous vous efforciez d'être en conformité avec la réglementation ? Par ailleurs, êtes-vous membre de la Maison des eaux minérales naturelles (MEMN) ?

Mme Cathy Le Hec. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous y reviendrons ensuite. Je vous laisse d'abord répondre au sujet de la concurrence déloyale.

Mme Cathy Le Hec. - Je ne sais pas s'il s'agit de concurrence déloyale. À mes yeux, la principale considération qui doit nous animer est la protection de la qualité, afin de garantir à nos consommateurs que les eaux sont conformes et que l'eau minérale est non pas une appellation marketing, mais bien un produit inscrit dans le code de la santé publique.

Lorsque les éléments auxquels vous faites référence ont été révélés dans la presse, j'ai été sidérée. Au sein de la MEMN, la nouvelle feuille de route doit consister à rassurer quant à la qualité de nos eaux minérales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons appris par voie de presse que Nestlé Waters est sorti de ce groupement. Ce groupe en a-t-il été expulsé ou l'a-t-il quitté volontairement ?

Mme Cathy Le Hec. - Je suis entrée au conseil d'administration de la MEMN à la fin de l'année 2023. Après la sidération suscitée par les révélations de la presse, l'enjeu, pour chacun des membres du groupement, a consisté à se préoccuper de ses ressources, de ses salariés et de ses consommateurs. Pour ce qui concerne Danone, nos marques ont été associées à plusieurs reprises par la presse au groupe Nestlé, et il était important de rappeler que les marques Évian, Volvic, Badoit et La Salvetat n'étaient pas concernées par les faits.

Les différents membres de la MEMN ont ensuite exprimé la volonté de changer de gouvernance et nous avons donc demandé la démission du président. Un nouveau conseil d'administration a été constitué en l'absence de Nestlé et j'ai l'honneur d'en être la présidente après avoir présenté ma candidature fin 2024, en étant assistée d'un vice-président représentant Spadel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'ancien président appartenait donc à Nestlé Waters.

Mme Cathy Le Hec. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les représentants de Nestlé sont-ils partis de leur propre chef ?

Mme Cathy Le Hec. - Le président a démissionné...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sous pression des autres minéraliers.

Mme Cathy Le Hec. - À leur demande, en effet. Les autres membres du conseil d'administration appartenant à Nestlé Waters se sont mis en retrait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le scandale a-t-il eu des répercussions sur vos ventes ? Comment envisagez-vous l'avenir du secteur ? Les consommateurs pourraient-ils migrer vers les eaux de boisson ? Que pensez-vous de ces dernières ? En commercialisez-vous ?

Mme Cathy Le Hec. - Nous n'avons pas enregistré une modification de nos parts de marché.

Lorsque je me suis présentée à la présidence de la MEMN, mon objectif a consisté à définir une nouvelle feuille de route, en mobilisant mes compétences et mon expérience au service de la promotion de la qualité et de la spécificité des eaux minérales.

Je reste confiante dans l'avenir de ces ressources, mais ce dernier ne sera assuré qu'à la condition de continuer à enrichir notre connaissance de la protection des impluviums et de poursuivre nos actions en matière de protection et de surveillance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il existe parfois une proximité entre les eaux minérales et les eaux de boisson sur l'emballage des produits. Avez-vous des recommandations à formuler en termes de loyauté pour le consommateur ?

Mme Cathy Le Hec. - Je vais répondre à cette question en tant que représentante de Danone. Nous mettons en bouteille des boissons à base d'eau minérale afin de permettre à nos consommateurs de bénéficier de la qualité des eaux minérales, mais avec une possibilité d'hydratation différente. En clair, certaines personnes n'ont pas toujours envie de boire de l'eau et offrir ce type de produits laisse la possibilité de s'hydrater avec des boissons moins sucrées, tout en restant en accord avec nos valeurs en termes de qualité.

Pour ce qui est de l'évolution du secteur, il faut rassurer les consommateurs si nécessaire, mais nous n'avons pas de critères de qualité à suggérer à ce stade, le code de la santé publique définissant clairement l'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'évoquais plutôt la signalétique apposée sur les bouteilles : pensez-vous que la situation est satisfaisante ?

Mme Cathy Le Hec. - Je suis favorable au fait de bien expliquer ce qu'est une eau minérale naturelle, définie par certains critères.

Mme Audrey Linkenheld. - Je vous remercie pour la clarté de vos propos et l'attention que vous portez à la qualité de la ressource, grâce à laquelle vous exercez votre activité dans un secteur stratégique.

Comment expliquez-vous que les exigences de qualité, évidentes pour un acteur majeur tel que Danone, l'aient manifestement été dans une moindre mesure pour les autorités nationales - en particulier pour le Gouvernement et le ministère de l'industrie -, alors qu'elles auraient dû avoir comme premier réflexe d'adopter des mesures adaptées à la protection de la qualité de cette ressource ?

Comment expliquez-vous cette divergence d'analyse ? Avez-vous fait passer des messages auprès des représentants de l'État et du Gouvernement pour indiquer que la sauvegarde du secteur passe par cette prise de conscience partagée ?

Mme Cathy Le Hec. - Notre travail quotidien porte sur la protection des ressources en eau, et non sur l'interprétation de ces activités. Cela étant, pour chaque projet, nous prenons le temps de l'évoquer avec les préfets et les autres services de l'État. L'objectif est de respecter la réglementation, que ce soit pour la modification d'un ouvrage, un recaptage ou un projet d'innovation destiné à améliorer la réutilisation sur nos sites d'embouteillage. Il s'agit de déterminer les éléments à détailler dans le cadre de l'instruction, comme l'adéquation d'une modification du nettoyage des lignes avec le cadre d'hygiène de la maintenance des installations. Telle est la nature de nos échanges avec les services de l'État : l'information en amont des projets et l'obtention des éléments déterminant la manière dont nous devons procéder.

On parle souvent de l'embouteillage, mais gérer la ressource en eau dépasse largement ce sujet. Protéger cette ressource, c'est anticiper. En matière de qualité, voilà plus de trente ans que nous sommes engagés, avec mes équipes, sur les territoires des sources. En effet, Danone n'est pas propriétaire de ces impluviums, autour desquels il y a de la vie, des villages, de l'agriculture...

Finalement, protéger la ressource consiste non à placer le territoire sous cloche, mais à concilier les activités présentes avec la qualité de l'eau. Le raisonnement porte donc sur l'aménagement du territoire. Voilà pourquoi une gouvernance rassemblant l'entreprise et les communes des territoires concernés permet de laisser leur place aux villages, d'assurer un traitement et une collecte des eaux usées ou encore un déneigement sans impact sur la ressource en eau, tout en travaillant avec les agriculteurs. D'ailleurs, ces derniers, comme les minéraliers, sont ancrés dans un territoire et veulent continuer à vivre de leur métier. Il convient donc de faire évoluer les pratiques dans le sens d'une agriculture pérenne, mais aussi d'une eau de qualité.

La réponse ne réside donc pas tant dans les discussions autour de réglementations qu'au niveau du territoire. Nous connaissons le contexte et les difficultés de la profession agricole : notre politique à leur égard est volontaire et de partenariat. L'association entre les maires et les entreprises permet ainsi de proposer des orientations vers l'agriculture régénératrice, la protection des sols, le maintien des prairies comme alimentation première pour l'élevage, une bonne gestion des effluves, et d'autres actions visant à s'assurer que les pratiques n'affecteront pas la qualité de l'eau. Telle est, selon nous, la garantie de cette qualité.

Mme Audrey Linkenheld. - Je reformule ma question : avez-vous ou d'autres dirigeants de votre groupe ont-ils indiqué aux autorités nationales, plutôt chargées de l'industrie que de la santé, que les événements en cours dans le secteur pouvaient porter préjudice à tous les acteurs, y compris ceux qui, comme vous l'affirmez, respectent la réglementation depuis toujours ? Il semblerait que Nestlé Waters ait communiqué dans l'autre sens. Vous qui respectez le seuil de 0,8 micron, avez-vous alerté sur le risque de répercussions économiques importantes pour un secteur stratégique ? Si oui, quelles ont été les réactions ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous tenu des réunions au ministère pour évoquer, par exemple, votre vision de la microfiltration et de la ressource ? Quelles ont été vos démarches auprès des pouvoirs publics nationaux depuis les récentes révélations ?

M. Laurent Burgoa, président. - Nous savons que, en février 2023, une réunion interministérielle a eu lieu sur le sujet de l'eau minérale en bouteille et de la microfiltration. Les ministères vous ont-ils consultés à cette période, ou peu après ?

Mme Cathy Le Hec. - Je vous remercie d'avoir précisé votre question.

Il n'y a eu de contact au niveau du ministère ni pour changer la réglementation ni pour prendre position sur l'affaire que vous évoquez. Non, il n'y a pas eu d'intervention de notre part. En revanche, nous accueillons toujours volontiers les acteurs, parlementaires ou autres, qui souhaitent se rendre sur nos installations et comprendre notre métier. Nous n'avons cependant pas engagé une démarche ou établi de contacts pendant cette période tendant à nous positionner sur les actions d'autres acteurs du marché, ou à faire évoluer la régulation.

Mme Marion Bouissou-Thomas, directrice des affaires publiques de Danone France. - Je confirme que nous n'avons pas pris l'initiative de rendez-vous spécifiquement sur ce sujet. Au quotidien, je constate cependant que des parlementaires m'interrogent. Nous répondons à chaque question comme nous l'avons fait aujourd'hui.

M. Laurent Burgoa, président. - Des députés, des sénateurs ?

Mme Marion Bouissou-Thomas. - En effet. Avec mon équipe, je gère des rendez-vous au quotidien. Nous lisons tous la presse : il est normal que de telles questions nous soient posées. J'ai eu à coeur d'y répondre, de la même manière que Mme Le Hec l'a fait aujourd'hui.

Le Gouvernement ne nous a pas sollicités directement à la suite de la réunion que vous avez mentionnée, et nous n'avons pas tenu de meeting spécifique sur ce sujet. Nous avons des contacts avec les ministères de l'industrie, de l'énergie, de l'agriculture ou de la santé sur l'ensemble des enjeux qui nous concernent - tout est déclaré à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). D'ailleurs, nous les avons rencontrés, au cours des deux dernières années, sur l'eau. Nous souhaitions en particulier savoir comment nous pouvions nous engager dans la perspective du plan Eau. Cependant, cela n'est pas allé plus loin que cela.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans vos propos préliminaires, vous avez mentionné une hydrothèque d'eaux minérales. Où est-elle située ?

Mme Cathy Le Hec. - Elle est présente sur les sites d'embouteillage. Sur nos sites de production, une surveillance importante de la qualité de nos eaux est effectuée, du captage à la mise en bouteille. Nous prélevons également, sur nos chaînes de production, des bouteilles de produit fini, stockées au minimum deux ans, parfois davantage. Ainsi, nous disposons d'un échantillon en cas, par exemple, de réclamations de consommateurs. Nous pouvons ainsi procéder à des analyses et vérifications sur ces bouteilles, dans un objectif de traçabilité.

M. Laurent Burgoa, président. - À la suite de l'hypermédiatisation de l'objet de notre commission d'enquête, sur vos sites, la délégation départementale de l'agence régionale de santé (ARS) ou la direction départementale de la protection des populations (DDPP) ont-ils effectué plus de contrôles qu'auparavant ?

Mme Cathy Le Hec. - En effet, le site de La Salvetat a fait l'objet d'une inspection détaillée par l'ARS du département et l'ARS de région en 2024. Cependant, je ne saurais dire si cela signifie qu'il y a plus de contrôles qu'avant ou non. L'ARS serait peut-être venue même sans ces déclarations, car les contrôles, réguliers, font partie du suivi de notre activité. Ainsi, il arrive que l'ARS, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou la DDPP se rendent sur nos sites. La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a également procédé à des contrôles de nos prélèvements - je pense, notamment, à Volvic, dans le cadre du plan d'utilisation rationnelle de l'eau.

M. Laurent Burgoa, président. - Certains de vos concurrents pratiquent la microfiltration, parfois autorisée par un arrêté préfectoral. Si vous deviez faire de même sur l'un de vos quatre sites, comment vous y prendriez-vous par rapport aux pouvoirs publics ?

Mme Cathy Le Hec. - Je rappelle que la microfiltration n'a pas une visée de désinfection. Il s'agit plutôt, dans le cas des eaux minérales, de retenir les particules des minéraux naturellement présents. Dès lors que nos actions préservent les caractéristiques des eaux minérales, je ne me place pas dans de telles perspectives.

Cela étant, si jamais c'était nécessaire - en d'autres termes, si nous souhaitions modifier nos eaux -, nous agirions comme nous l'avons toujours fait : nous informerions les services de l'État, mettrions en oeuvre un test pilote et tenterions de démontrer que la modification entraînée par la microfiltration ne modifie pas la composition originelle de l'eau.

Ainsi, le procédé n'a pas vocation à compenser une problématique de qualité et ne doit pas changer cette composition.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur les eaux de boisson, que vous qualifiez d'eaux minérales naturelles aromatisées. Vous acquittez, les concernant, la fiscalité locale sur les eaux minérales naturelles, à partir desquelles elles sont produites.

Mme Cathy Le Hec. - Sur leur part d'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En effet. Les eaux de boisson, qui ne sont plus des eaux minérales naturelles, ne sont cependant pas assujetties à la même fiscalité. C'est un point d'attention pour les élus locaux, qui voient parfois des forages déclassés - je ne parle pas de votre groupe. Les budgets communaux, car nous parlons souvent de petites communes rurales, s'en trouvent atrophiés.

Dans la mesure où vous-mêmes acquittez cette fiscalité pour les eaux minérales aromatisées, n'y a-t-il pas là une forme de concurrence déloyale vis-à-vis de ceux qui ne la paient pas ? Par exemple, vous la payez sur 99 % de la Volvic citron.

Mme Cathy Le Hec. - Je ne peux vous le confirmer, car cela ne relève pas de mon coeur de métier. La boisson est à base d'eau minérale, mais je ne sais pas si la surtaxe s'applique ou non. C'est un point important, que nous pourrons vous préciser.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le sujet est crucial pour nos réflexions et pour les communes, que nous représentons en tant que membres de la chambre des territoires.

J'en viens aux nouveaux polluants. Vous indiquez que plus de 100 agriculteurs travaillent au-dessus, peut-on dire, de votre ressource et de vos impluviums. Que constatez-vous, sur les microplastiques et les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), pour vos quatre eaux ? Suivez-vous ces paramètres avec soin ?

Mme Cathy Le Hec. - Concernant les PFAS, ou polluants éternels, la réglementation a été adaptée en 2023 par rapport à l'arrêté de 2007, qui a été modifié. Elle définit, pour les eaux destinées à la consommation humaine, une liste de vingt PFAS et un seuil. Elle ne s'applique pas directement aujourd'hui, puisqu'elle entrera en vigueur en 2026. Cela étant, nous nous efforçons d'anticiper les évolutions réglementaires et, surtout, d'être en capacité d'analyser la ressource et les risques pensant sur elle. C'est pourquoi nous avons sérieusement examiné la question des PFAS, avec plusieurs campagnes de contrôle, par différents laboratoires, sur nos produits finis.

Selon nos observations, dans la majorité des cas, nous ne détectons pas de PFAS dans nos produits finis. Lorsque c'est le cas, nous sommes très proches du seuil à partir duquel les laboratoires sont en mesure de les quantifier. Ce seuil de quantification est de l'ordre d'un à deux nanogrammes par litre. Nos eaux sont donc préservées quant à cette problématique des PFAS.

Quant à la protection des impluviums, notre programme lié à l'activité agricole comprend notamment l'agriculture régénératrice, qui vise à préserver les sols et à limiter l'utilisation des intrants. Sur les territoires où nous sommes implantés, agricultures conventionnelle et biologique se côtoient, mais 96 % des surfaces étaient sans pesticides en 2023.

Enfin, sur le suivi des microplastiques, sujet majeur également, plusieurs spécialistes ont démontré la diversité de ces substances, de leur présence dans l'environnement et de leur origine, liée par exemple à l'usure des pneus ou aux textiles. Dans le cadre de notre activité, il s'est agi de déterminer une méthodologie de mesure de la quantité des microplastiques dans l'eau et de la manière de prévenir leur présence dans notre processus d'embouteillage.

Ainsi, les analyses à la source, aux points de captage, ne révèlent pas la présence de microplastiques. Dans les sites d'embouteillage, des actions sont menées pour limiter ce risque, de l'aspiration des microparticules au rinçage des bouteilles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez mentionné une batterie de mesures de protection des impluviums. Notre commission d'enquête vise aussi à déterminer des recommandations à formuler sur ce point, car nous constatons une dégradation de la ressource en eau sur notre territoire, qui ne concerne pas que les eaux minérales naturelles. Pourriez-vous nous communiquer une liste exhaustive et détaillée, du déneigement à la collaboration avec les agriculteurs, de toutes les mesures prises par Danone pour protéger les impluviums ? Vous avez évoqué la nature multidimensionnelle de cette protection, basée sur les trois piliers de l'aménagement raisonné des villages, de la biodiversité et de l'agriculture.

Mme Cathy Le Hec. - Nous vous transmettrons volontiers cette note.

Si vous le souhaitez, vous pouvez venir visiter nos sites et nos impluviums, tout en observant la manière dont nous travaillons avec les agriculteurs. Peut-être, monsieur le président, aurez-vous une préférence pour celui de La Salvetat !

M. Laurent Burgoa, président. - Nous vous remercions de cette audition enrichissante. Vos propos feront évoluer notre réflexion.

Nous envisageons bien la visite d'un site du groupe Danone. Ce ne serait pas nécessairement celui de l'Hérault, mais plutôt celui d'Évian. Nous vous en tiendrons informés. Ayant visité le site de l'un de vos concurrents, il est important pour nous d'observer vos méthodes dans une autre région. Si nous pouvions visiter l'hydrothèque qui s'y trouve, ce serait également avec plaisir.

Mme Cathy Le Hec. - Ce plaisir sera partagé.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle que nous auditionnons des représentants de Volvic et d'Évian à 14 heures.

Audition conjointe de MM. Emmanuel Gerardin, directeur de la société des eaux de Volvic, et Frédéric Lebas, directeur de l'usine d'Évian
(Jeudi 13 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions avec celle de MM. Emmanuel Gerardin, directeur de la société des eaux de Volvic ; et Frédéric Lebas, directeur de l'usine Évian.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

MM. Emmanuel Gerardin et Frédéric Lebas prêtent serment.

Cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, porte sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Avez-vous utilisé des traitements interdits tels que le charbon actif ou les ultraviolets et, si oui, à quelles fins ?

Estimez-vous que le recours aux traitements interdits pendant plusieurs années par certains de vos concurrents constitue une concurrence déloyale ?

Vos sites ont-ils fait l'objet de contrôles renforcés à la suite des révélations relatives à Nestlé Waters ? Avez-vous été contacté par les autorités administratives politiques à ce sujet ?

Utilisez-vous des traitements de microfiltration sur vos eaux minérales naturelles ?

Quels enseignements tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs ?

Je vous propose de consacrer une quinzaine de minutes à votre propos liminaire, avant de répondre aux questions de notre rapporteur et des autres membres de cette commission.

M. Frédéric Lebas, directeur de l'usine Évian. - Dans le cadre de cette commission d'enquête, j'interviens en tant que directeur de l'usine des eaux minérales d'Évian depuis octobre 2024, après trente-cinq années d'expérience chez Danone. La sécurité et la préservation de la qualité des eaux constituent une priorité absolue de notre groupe, des sources à la production.

L'histoire de l'eau minérale naturelle d'Évian commence en 1789 lorsque le marquis de Lessert découvre la source Cachat. Après l'établissement d'une station thermale en 1806 et d'une première usine d'embouteillage en 1828, la source est déclarée d'intérêt public en 1926. En 1970, le groupe BSN acquiert Évian avant de devenir Danone en 1994. L'usine, implantée sur la commune de Publier, appartient à la division eaux du Groupe Danone.

En 2023, la Société Anonyme des Eaux Minérales d'Évian a réalisé un chiffre d'affaires de 1,7 milliard d'euros, incluant Évian, Badoit et La Salvetat. Le site d'embouteillage d'Évian, construit en 1965, a été entièrement rénové entre 2011 et 2019, nécessitant un investissement de 300 millions d'euros. Distribuée dans 145 pays, Évian réalise 40 % de ses ventes en France, l'Europe et l'export représentant chacun 30 %.

Naturellement filtrée à travers les roches et sables glaciaires pendant quinze ans, l'eau d'Évian est reconnue pour ses bienfaits depuis 1878 par l'Académie de médecine. Dans les années 1950, sa faible minéralité en fait une eau adaptée aux nourrissons, permettant de préparer les biberons sans ébullition préalable.

L'usine emploie 1 200 salariés, dont 1 050 sur le site industriel d'Amphion. Danone génère 1 800 emplois directs, incluant une activité hôtelière historique. L'attachement à la valorisation d'une eau minérale naturelle aux propriétés uniques anime l'ensemble de nos collaborateurs.

L'usine s'alimente à partir de dix-sept émergences surveillées quotidiennement. Les installations respectent scrupuleusement la réglementation applicable au traitement des eaux minérales, et seules les opérations de déferrisation et de démanganisation autorisées sont réalisées. Nous n'utilisons aucun filtre inférieur à 0,8 micron. En 2024, 80 % de la capacité de prélèvement autorisée a été utilisée, avec une production de 1,5 milliard de litres.

Les 300 contrôles quotidiens, du forage à l'usine, sont soumis aux réglementations strictes et aux audits internes et externes tels qu'ISO 9001, FSSC 22 000 et FSI. Ce niveau d'exigence impose une excellence opérationnelle constante afin d'assurer une qualité et une sécurité irréprochables.

Des actions concrètes ont été mises en place pour réduire notre empreinte environnementale : optimisation du transport ferroviaire, réduction de la consommation énergétique, stations d'épuration innovantes alliant traitement minéral et végétal. Le site recycle 97 % des déchets, tandis qu'un centre de recherche développe les emballages de demain.

L'eau d'Évian s'infiltre sur une zone de captage - l'impluvium - de 35 km² à 1 000 mètres d'altitude, composée de 58 % de prairies, 20 % de forêts, 6 % de zones humides, 6 % de cultures et 10 % de surface urbanisée. Depuis 1992, l'Association pour la Protection de l'Impluvium de l'Eau Minérale d'Évian (APIEME), issue d'un partenariat entre la société des eaux d'Évian et treize communes, oeuvre à la préservation des ressources en eau en mobilisant collectivités, agriculteurs et associations environnementales autour de trois axes : agriculture durable, protection des milieux naturels et aménagement territorial raisonné.

En tant que directeur d'usine, je veille au bon fonctionnement du site et garantis la conformité réglementaire en relation avec les autorités, tout en contribuant au développement de la marque Évian.

M. Emmanuel Gerardin, directeur de la société des eaux Volvic. - Je dirige la Société des Eaux de Volvic depuis mars 2022, après l'avoir intégrée en 2005 comme chef d'équipe. À l'exception de quatre années chez Danone dans le secteur des produits frais, j'ai consacré l'essentiel de ma carrière à cette entreprise et, à ce titre, je suis fier d'être un « bébé Volvic ».

Intégrée au Groupe Danone en 1992, Volvic emploie directement plus de 1 000 personnes, auxquelles s'ajoutent 400 emplois indirects dans le Puy-de-Dôme. Quatrième entreprise du département, elle repose sur deux sites d'embouteillage : l'un dédié exclusivement à l'eau minérale Volvic (75 % des volumes), l'autre aux boissons aromatisées à base d'eau minérale (25 %). Nos marchés, principalement européens, couvrent à 98 % la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni.

La qualité de l'eau minérale constitue une priorité impliquant une protection renforcée de l'impluvium, notamment depuis 2006 via le Comité Environnemental pour la Protection de l'Impluvium de Volvic (CEPIV), regroupant la Société des Eaux de Volvic et les quatre communes concernées. Son financement repose aux deux tiers sur la Société des Eaux de Volvic, le tiers restant étant assuré par la commune de Volvic.

Prélevée entre 50 et 100 mètres de profondeur, l'eau acquiert sa composition minérale unique après une filtration de cinq ans à travers six roches volcaniques. L'impluvium de 38 km² se compose à 80 % de forêts et de prairies, 10 % de zones bâties, 8 % de landes et 3 % de cultures.

Le CEPIV agit sur trois axes :

- Aménagement du territoire : installation de centrales de traitement collectif des effluents et sécurisation des axes routiers ;

- Protection de l'environnement : création de la Réserve naturelle régionale des Cheires et Grottes de Volvic, site abritant le plus grand gîte d'hibernation de chauves-souris d'Auvergne, en partenariat avec la Ligue de Protection des Oiseaux et la région Auvergne-Rhône-Alpes ; désherbage mécanique de la voie ferrée traversant l'impluvium ;

- Soutien aux éleveurs locaux : accompagnement de dix exploitants engagés dans une agriculture régénératrice via une formation assurée par un bureau d'études en agroécologie, ainsi qu'un soutien financier.

Ces actions profitent également à l'eau potable, qui représente plus de 50 % des prélèvements sur l'impluvium. La Société des Eaux de Volvic en assure quant à elle entre 20 et 25 %, selon la pluviométrie annuelle.

L'eau minérale Volvic provient de la source Clairvic, avec cinq émergences surveillées quotidiennement. Nous n'utilisons aucun filtre inférieur à 0,8 micron ni aucun traitement non conforme.

Un plan de maîtrise sanitaire permet de contrôler les risques à chaque étape de la production. Les valeurs des paramètres critiques sont suivies en permanence, et des actions correctives sont immédiatement mises en oeuvre en cas d'écart. Certifié FSSC 22 000, le site de Volvic réalise 300 contrôles internes quotidiens, en complément des analyses de l'ARS via le laboratoire Carso.

Face au changement climatique, des investissements de 30 millions d'euros ont permis de réduire de 15 % les prélèvements depuis 2017 et les opérations ne visant pas directement l'hydratation des consommateurs font l'objet d'optimisations.

Un Plan d'Utilisation Rationnelle de l'Eau (PURE), adopté en 2021, a conduit à une réduction des autorisations de 10 %, avec des baisses supplémentaires de 5 % en cas d'alerte sécheresse, 10 % en alerte renforcée et jusqu'à 12,5 % en alerte crise. Pour 2025, une réduction supplémentaire de 5 % a été annoncée.

Le projet stratégique « ReUse », lancé en 2021, vise à recycler les eaux usées traitées pour les réutiliser sur site, hors embouteillage. La réglementation autorisant désormais cet usage dans l'industrie agroalimentaire, Volvic économisera 220 millions de litres d'eau avec une réduction supplémentaire de 10 % des prélèvements et des restrictions pouvant atteindre 25 % en cas de crise. D'ici à la mise en oeuvre complète du projet, la baisse totale des prélèvements atteindra 25 % entre 2021 et 2025.

Un comité de suivi réunissant préfecture, ARS, SMUERR et Société des Eaux de Volvic analyse annuellement l'aquifère et les prélèvements. En 2023, une tension sur l'eau potable a conduit à un accord permettant d'utiliser un puits de Volvic pour sécuriser l'approvisionnement de 31 communes et de 60 000 habitants, sans augmentation des prélèvements, illustrant l'engagement de Volvic aux côtés des pouvoirs publics.

En tant que directeur, je garantis la sécurité, la qualité et la performance des opérations industrielles, tout en interagissant avec les autorités. À travers ces actions, je contribue également au rayonnement de la marque Volvic.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie pour cette présentation liminaire qui vient confirmer les déclarations de votre directrice lors de son audition, à savoir que vous n'utilisez pas de filtration inférieure à 0,8 micron dans vos usines.

Pourriez-vous confirmer également qu'aucun traitement interdit, tel que lampes à ultraviolets ou filtre à charbon actif, n'a jamais été utilisé dans vos installations ?

M. Emmanuel Gerardin. - Je le confirme.

M. Frédéric Lebas. - Je le confirme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un point de votre présentation a retenu mon attention : l'existence, chez Volvic, de deux lignes distinctes, l'une dédiée aux eaux minérales naturelles, l'autre aux boissons à base d'eau minérale naturelle aromatisée. Pourriez-vous préciser les modalités de cette installation ?

M. Emmanuel Gerardin. - Il s'agit de deux sites d'embouteillage distincts, séparés par dix minutes de marche, appartenant au même site industriel. Le premier, avec sept lignes, est dédié exclusivement à l'eau minérale Volvic, tandis que le second, avec cinq lignes, produit uniquement des boissons à base d'eau minérale Volvic, représentant 25 % du volume total.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous ce choix technique ? S'agissait-il uniquement d'une question de volume, ou d'autres considérations, sanitaires ou techniques, ont-elles motivé ce choix ?

M. Emmanuel Gerardin. - Aujourd'hui, seule la production de boissons aromatisées est maintenue sur le site dédié. Toutefois, par le passé, des produits aromatisés à base d'eau minérale Volvic et des eaux minérales pures ont été fabriqués sur une même ligne, principalement pour des raisons de capacité. Cette configuration a été testée sur des produits spécifiques, notamment le format brique, alternative au plastique. Par manque d'espace, ce conditionnement a été réalisé sur le site des boissons, incluant temporairement de l'eau minérale. Chaque adaptation a fait l'objet d'analyses de risque et de contrôles de l'ARS. Aujourd'hui, cette pratique n'est plus en vigueur, non pour des raisons sanitaires, mais pour optimiser le portefeuille de produits et répondre aux enjeux du marché.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous, dans ce cas, garantir la traçabilité des produits ?

M. Emmanuel Gerardin. - Cette configuration impose des ajustements du processus, notamment pour l'alimentation en eau minérale. Les boissons aromatisées, aseptiques et sans conservateur, sont traitées thermiquement par pasteurisation, un procédé interdit pour l'eau minérale. En amont de l'embouteillage, des processus spécifiques à l'eau minérale sont ainsi nécessaires et en place sur le site dédié.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un enjeu fiscal se pose. Les boissons aromatisées que vous produisez sont-elles soumises à la taxe locale sur les eaux minérales naturelles ?

M. Emmanuel Gerardin. - Je vous confirme que nous nous acquittons de cette taxe sur nos deux activités - eau minérale et produits aromatisés - sur la base des volumes vendus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce point est essentiel pour nous, eu égard aux enjeux d'équité entre les différentes marques produisant de l'eau.

Sur d'autres sites, certains forages ont été fermés faute de pouvoir garantir la pureté originelle de l'eau, soit en raison d'une dégradation de la ressource, soit parce que le processus de production ne permettait plus de la préserver.

Avez-vous déjà été contraints d'arrêter certains forages pour ces raisons ?

M. Emmanuel Gerardin. - Jamais.

M. Frédéric Lebas. - Jamais.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous déjà dû détruire des palettes en sortie d'usine en raison d'anomalies survenues dans le processus de production ? Si tel est le cas, à quelle fréquence ce type d'incident se produit-il ?

M. Emmanuel Gerardin. - Oui, cela nous arrive. En 2024, environ trente palettes ont été détruites pour des raisons de qualité, principalement par précaution à la suite d'alertes détectées lors de nos analyses. Si nécessaire, je pourrai vous fournir un chiffre précis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie. Comment analysez-vous ces incidents dans le processus de production ? Disposez-vous d'un retour sur leur origine et les facteurs ayant conduit à ces destructions ?

M. Emmanuel Gerardin. - L'année dernière, les destructions concernaient des cas isolés liés à de fausses alertes. De nouveaux contrôles ont été effectués sur les palettes en prélevant des échantillons de produits finis. Finalement, les palettes ont été détruites, principalement parce qu'elles n'étaient plus complètes.

Lorsque des problèmes avérés surviennent, la destruction peut être plus conséquente. Si les produits concernés ont quitté nos périmètres de contrôle, nous pouvons être amenés à effectuer des retraits ou des rappels, en informant l'ARS et la DPP.

Dans ces cas, un processus d'arbre des causes est systématiquement déclenché. Les équipes enquêtent puis je valide les mesures correctives mises en place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous préciser les causes potentielles de ce type d'incidents ?

M. Emmanuel Gerardin. - Il peut s'agir d'un défaut de maintenance, d'une usure anormale d'un appareil, ou encore d'un problème lié à la conception d'une pièce détachée. L'entretien, les interventions humaines - maintenance ou nettoyage -, ainsi que des dysfonctionnements d'automatisme figurent également parmi les causes possibles. Chaque situation présente ses spécificités.

M. Frédéric Lebas. - En 2024, nous avons recensé sept incidents ponctuels considérés comme des alertes, entraînant automatiquement un blocage d'une partie de la production conformément à notre principe de réaction. De nouveaux contrôles se sont ensuite révélés négatifs, confirmant l'absence de contamination. Néanmoins, nous détruisons systématiquement la palette concernée, par précaution. Au total, près de cinquante palettes ont été détruites.

Une analyse des causes premières est systématiquement menée. La majorité des incidents trouvent leur origine dans des interventions humaines, notamment lors du remplacement de robinets de soutirage ou de prélèvement. Des précautions sanitaires insuffisantes ou un mode de prélèvement inapproprié peuvent conduire à des contaminations. Dans ces cas, nous procédons au changement du robinet et aux vérifications nécessaires. En l'occurrence, chaque nouvel échantillon s'est ensuite révélé conforme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Faites-vous référence à des alertes microbiologiques, impliquant des traces de bactéries ?

M. Frédéric Lebas. - En effet. En 2024, les alertes ont concerné la détection d'un coliforme sur un échantillon ainsi qu'une anomalie relevée lors des contrôles de la flore totale. Toutefois, ces cas restent extrêmement ponctuels.

M. Emmanuel Gerardin. - Nous menons près de 300 contrôles quotidiens sur les produits finis et l'alimentation en eau minérale, à Évian comme à Volvic.

Ce plan de contrôle interne, qui répond aux exigences réglementaires en matière de fréquence d'échantillonnage, vient en complément des analyses menées par l'ARS via le laboratoire Carso.

Il est normal de rencontrer occasionnellement des alertes ou fausses alertes, compte tenu du mode de prélèvement et des techniques d'analyse, notamment sur les boîtes de Pétri. Notre autonomie en matière de laboratoire, y compris dans la fabrication des milieux de culture, peut également générer des écarts ponctuels.

En réalité, l'absence totale d'alertes semblerait anormale, tant la rigueur et la fréquence des contrôles rendent inévitable la détection d'anomalies, même mineures.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Interrogés sur l'usage de traitements interdits, certains de vos concurrents ont déclaré que ces derniers n'avaient aucune utilité, tandis que d'autres ont refusé de répondre.

En tant que directeurs d'usines, pourriez-vous nous indiquer l'intérêt de l'utilisation de traitements tels que les lampes à UV ou les filtres à charbon ?

De même, dans quelles circonstances la microfiltration inférieure à 0,8 micron pourrait-elle se justifier ?

Il s'agit d'un exercice hypothétique. Nous sollicitons simplement un éclairage de votre part afin de mieux comprendre les enjeux de ces procédés.

M. Emmanuel Gerardin. - À Volvic, nous utilisons un filtre de 1 micron en sortie des filtres manganifères, dont le rôle est de réduire la concentration d'arsenic dans l'eau. Ce processus est déclaré aux autorités et conforme à la réglementation. Grâce à ce dispositif et à notre management de la qualité, nous garantissons la pureté de notre produit sans recourir à d'autres procédés.

Ainsi votre question semble complexe, car elle suppose d'envisager l'utilité d'un traitement que nous ne jugeons pas nécessaire dans notre gestion quotidienne.

L'objectif principal de la microfiltration que nous utilisons est de bloquer les particules fines, notamment celles issues de la filtration sur sable manganifère utilisée pour le traitement de l'arsenic. Il s'agit donc avant tout d'une barrière physique, sans vocation à éliminer d'autres éléments.

M. Frédéric Lebas. - À Évian, six forages sur dix-sept ne subissent aucune filtration. D'autres disposent d'une filtration spécifique variant de 1 à 25 microns, tandis que certains font l'objet d'un traitement lié à la déferrisation et à la démanganisation.

La pureté originelle de l'eau est garantie, contrôlée à la fois avant et après filtration, tant sur le plan bactériologique que physico-chimique.

Pour répondre précisément à votre question : nous n'avons jamais utilisé de traitements interdits. Cependant, si une eau était contaminée, une microfiltration inférieure à 0,22 micron permettrait de la purifier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons parfaitement compris que vous ne pratiquez aucun traitement interdit, soyez-en assurés. En tout état de cause, confirmez-vous qu'un filtre à 0,2 micron permet de purifier l'eau sur le plan sanitaire ?

M. Frédéric Lebas. - Je ne suis pas un expert des traitements applicables sur le plan sanitaire, d'autant qu'il existe des procédés plus poussés, comme l'osmose, utilisés notamment aux États-Unis.

Ces méthodes sortent totalement du cadre des eaux minérales qui doivent préserver leur pureté originelle, et un quelconque traitement devrait impérativement garantir cette caractéristique. Toutefois, je ne suis pas en mesure de définir précisément quels seraient les seuils adéquats.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il nous a été affirmé que les filtres de 0,8 micron n'affectent en rien la teneur en minéraux de l'eau.

Pouvez-vous nous confirmer que la minéralité de l'eau demeure identique avant et après filtration ?

M. Frédéric Lebas. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, une filtration inférieure à 0,8 micron pourrait-elle affecter la minéralité de l'eau ?

M. Frédéric Lebas. - Sur la base des contrôles que nous effectuons sur la filtration à 0,8 micron, je peux vous garantir qu'elle n'altère pas la minéralité de l'eau.

En revanche, concernant une filtration inférieure à 0,8 micron, je ne suis pas en mesure de répondre, n'ayant ni l'expertise ni l'expérience nécessaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Depuis un an, avez-vous été destinataire du questionnaire de l'IGAS et y avez-vous répondu ?

Avez-vous fait l'objet de contrôles renforcés ou de contrôles inopinés des services de l'État sur votre site cette année ?

En somme, quels changements avez-vous identifiés depuis les révélations sur les eaux embouteillées ?

M. Emmanuel Gerardin. - Je ne peux pas indiquer précisément quels changements sont intervenus, cependant je peux vous confirmer que nous faisons l'objet de contrôles réguliers de l'ARS et de la DDPP sur le site de Volvic.

Le dernier contrôle inopiné de la DDPP a eu lieu récemment. Je pourrai vous fournir la date précise ultérieurement.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous pourrez nous la transmettre par écrit d'ici quelques jours. Ce délai ne pose aucune difficulté pour nous.

M. Frédéric Lebas. - Concernant Évian, un contrôle conjoint de l'IGAS et de l'ARS a eu lieu le 24 mars 2022.

Par la suite, un contrôle de la DGCCRF s'est déroulé en juillet de la même année.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certains de vos concurrents justifient la mise en place de la microfiltration par la présence de biofilm, c'est-à-dire la formation naturelle d'un dépôt à l'intérieur des tuyaux, susceptible d'altérer la qualité de l'eau.

Vous avez mentionné que certains de vos forages ne disposent d'aucun filtre. Considérez-vous que le biofilm justifierait une microfiltration à 0,8 micron ou plus, ou bien estimez-vous que vos procédures de désinfection et de nettoyage permettent d'éliminer ce risque, rendant cette filtration inutile ?

M. Frédéric Lebas. - Les forages sans traitement concernent des eaux ne contenant ni fer ni manganèse, ce qui rend inutile tout processus de filtrage à cet effet.

Concernant le biofilm, les conduites, depuis l'émergence jusqu'à l'usine, font l'objet de nettoyages réguliers précisément pour éliminer ces dépôts et garantir la qualité de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La microfiltration peut-elle être envisagée comme une alternative au nettoyage régulier ?

M. Frédéric Lebas. - Oui. Cependant, à Évian, nous nettoyons régulièrement les conduites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'utilisez pas la microfiltration à cette fin ?

M. Frédéric Lebas. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, vous nettoyez vos conduites afin d'éviter la constitution d'un biofilm. Monsieur Gerardin, confirmez-vous ce qui vient d'être dit ?

M. Emmanuel Gerardin. - Oui, les nettoyages effectués doivent garantir l'hygiène des installations, en éliminant tous types de pollutions, y compris d'éventuels biofilms.

Le premier moyen de maîtrise repose sur un protocole de nettoyage rigoureux, conforme aux standards en vigueur dans l'industrie alimentaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, vos filtres n'interviennent pas dans ce cadre ?

M. Emmanuel Gerardin. - Non, les microfiltres utilisés à Volvic, d'une maille de 1 micron, sont exclusivement placés en aval de la filtration sur sable manganifère, dont l'objectif est de réduire la concentration d'arsenic. Ils servent uniquement à capter d'éventuelles particules fines issues de ce traitement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le nettoyage régulier des tuyaux pour prévenir la formation de biofilm représente-t-il un coût important ?

M. Emmanuel Gerardin. - Il apparaît difficile de répondre en termes de coût, l'enjeu principal n'étant pas financier.

Notre première responsabilité est de garantir un produit sain, tant qualitativement que sanitairement, pour nos consommateurs.

La fréquence et la nature des nettoyages sont dictées par cet impératif, qui bien entendu, représente un coût.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'attache à comprendre la logique adoptée par certains de vos concurrents, qui diffère de la vôtre.

Si des microfiltres à 0,2 micron sont utilisés pour gérer la question du biofilm, leur remplacement ponctuel est-il moins coûteux qu'un nettoyage régulier des conduites ?

Peut-être n'avez-vous pas de vision précise sur ces pratiques et ne pouvez-vous pas répondre à cette question.

M. Frédéric Lebas. - En effet, je ne saurais vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À Volvic, un contentieux est en cours avec un pisciculteur, M. de Féligonde, portant sur l'accroissement des assecs attribué aux prélèvements effectués par Volvic.

Avez-vous aujourd'hui une connaissance complète et exhaustive de votre aquifère et de votre niveau de prélèvement ?

Considérez-vous que l'exploitation actuelle garantit la restauration des masses d'eau ? Êtes-vous pleinement à l'aise avec les volumes prélevés chaque année et leur impact sur le système hydrologique ?

M. Emmanuel Gerardin. - Affirmer que nous avons une connaissance parfaite de notre aquifère serait inadapté. En revanche, nous disposons de données approfondies, notamment grâce aux thèses de recherche initiées sur l'impluvium de Volvic, permettant d'analyser son fonctionnement, son temps d'infiltration et la répartition de l'eau sur le territoire.

Nous savons que cette ressource est partagée et nous prélevons dans le cadre strict de nos autorisations, systématiquement en deçà des seuils réglementaires, qu'ils soient journaliers, mensuels ou annuels.

Toutefois, le réchauffement climatique est une réalité. Pour préserver la ressource à long terme et assurer une activité durable autour de l'eau minérale de Volvic, la réduction des prélèvements constitue un enjeu majeur.

Les précipitations annuelles restent relativement stables, mais leur nature évolue : plus ponctuelles et plus intenses, elles modifient les infiltrations et le renouvellement des eaux souterraines.

C'est pourquoi nous adoptons une démarche proactive pour garantir la pérennité de la ressource, non seulement pour notre activité, mais aussi pour l'écosystème environnant, auquel nous attachons une importance particulière.

M. Hervé Gillé. - Nestlé Waters a révélé l'utilisation de traitements dissimulés en amont des contrôles officiels, exposant un risque de tromperie et un manque de transparence dans le processus industriel. Par ailleurs, les contrôleurs admettent qu'il paraît impossible de vérifier l'intégralité des installations.

Pour restaurer la confiance des consommateurs, des standards plus stricts et des contrôles renforcés s'avèrent nécessaires, notamment au point d'entrée de l'eau dans le processus industriel. Votre secteur, dans son intégralité, a tout intérêt à s'engager dans cette démarche, notamment par le biais des fédérations professionnelles.

Quelles mesures concrètes proposez-vous pour renforcer les procédures de contrôles ?

Enfin, sur la question des conflits d'usage, votre nappe bénéficie-t-elle d'un Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) ?

M. Emmanuel Gerardin. - Il existe une instance collective sur le territoire de Volvic, mise en place depuis plusieurs années, bien qu'il ne s'agisse pas formellement d'un SAGE. Ce comité de suivi regroupant l'ensemble des acteurs de l'eau, des autorités réglementaires, des syndicats de gestion de l'eau potable, ainsi que la Société des Eaux de Volvic, permet de partager les données sur l'aquifère, d'aligner les plans d'action et d'améliorer la gestion de l'eau, notamment en limitant les pertes, en optimisant le stockage et en échangeant sur les bonnes pratiques.

Volvic s'engage de manière proactive par des innovations technologiques et partage son expertise pour une meilleure gestion de la ressource, notamment face aux épisodes de sécheresse comme ceux de 2022 et 2023. Cette approche collective, encouragée par les pouvoirs publics et le préfet, vise à travailler ensemble et à réduire les prélèvements.

Fin 2024, à la demande du préfet, j'ai participé à une table ronde sur l'eau, réunissant les gestionnaires de l'eau potable et divers acteurs pour discuter du partage de la ressource et des actions à mener.

Chez Danone, nous considérons l'eau minérale comme une ressource unique. Avant même la création de l'appellation bio, elle incarnait déjà cette pureté : non modifiée, naturelle, et propre à chaque territoire. Volvic, par exemple, porte le nom de sa commune, témoignant de son identité propre, à l'image d'une appellation d'origine contrôlée.

La première mesure essentielle est de mieux communiquer sur cette spécificité. Nous avons lancé une campagne d'information sur les réseaux sociaux, mais il est nécessaire de renforcer la pédagogie auprès des consommateurs.

L'autre enjeu concerne le contenant. Le plastique est souvent critiqué, parfois injustement, alors qu'il demeure l'un des matériaux les plus sûrs pour la conservation des boissons, notamment l'eau minérale. Nous sommes aujourd'hui capables d'intégrer du plastique recyclé à 100 % dans nos bouteilles. Un levier clé pour améliorer l'image de cette industrie repose sur l'augmentation des taux de collecte en France, favorisant ainsi une économie circulaire efficace.

M. Hervé Gillé. - Je vous remercie, toutefois ma question demeure sans réponse : peut-on renforcer les procédures de contrôle depuis l'émergence jusqu'à l'embouteillage pour éviter toute fraude ?

M. Frédéric Lebas. - Ces contrôles existent et sont réalisés, notamment par l'ARS qui peut intervenir à tout moment. Sont-ils suffisants ? Il m'est difficile de vous répondre avec assurance. L'affaire récente nous enjoint à reconstruire l'image de marque des industriels du secteur, nécessitant davantage de transparence et de communication sur nos pratiques.

En tant que directeur d'usine depuis près de deux décennies, j'ai pleinement conscience de mes responsabilités. Travailler dans un groupe plaçant la transparence comme valeur essentielle constitue pour moi une fierté. Cette exigence repose sur trois principes : respecter strictement les réglementations, fournir une eau parfaitement sûre aux consommateurs et protéger la réputation de la marque Danone.

Ma responsabilité consiste également à répondre à vos questions, avec rigueur et intégrité. Aller au-delà de ce cadre me semble difficile.

M. Hervé Gillé. - J'en conviens. Toutefois, estimez-vous qu'aucune amélioration du processus ne semble nécessaire ?

M. Frédéric Lebas. - Je ne peux pas affirmer qu'aucune amélioration n'est nécessaire. Cependant, il m'est difficile d'identifier aujourd'hui les mesures supplémentaires à mettre en place pour aller plus loin.

M. Laurent Burgoa, président. - Depuis la médiatisation de cette affaire, ayant conduit à la création de cette commission d'enquête, avez-vous constaté une diminution des ventes d'Évian et de Volvic ?

M. Emmanuel Gerardin. - Non.

M. Frédéric Lebas. - Non.

M. Laurent Burgoa, président. - Si vous deviez recourir à la microfiltration, quelles démarches engageriez-vous auprès des autorités administratives de vos départements ?

M. Emmanuel Gerardin. - Encore une fois, il est difficile de répondre de manière hypothétique. Si nous prenons l'exemple d'initiatives passées, comme la production de briques à base d'eau minérale sur le site des boissons, deux démarches essentielles s'imposent : consulter nos services internes, notamment les équipes juridiques et réglementaires de Danone, pour évaluer la conformité du projet ; et échanger avec les autorités compétentes, en particulier l'ARS et les services de l'État, afin de présenter le projet, de valider sa faisabilité et d'établir les protocoles nécessaires à sa mise en oeuvre.

Ce principe s'applique dès que nous entreprenons une démarche sortant du cadre habituel de l'embouteillage d'eau minérale.

M. Frédéric Lebas. - L'étape suivante impliquerait vraisemblablement une phase de test surveillée, contrôlée et examinée conjointement par nos spécialistes et l'usine.

Ensuite, lors de la soumission aux autorités, des échanges pourraient avoir lieu sur ces tests avant toute validation.

C'est ainsi que je l'envisagerais. Aujourd'hui, cette question ne se pose pas.

M. Emmanuel Gerardin. - Un exemple concret, bien que différent de la microfiltration, illustre notre approche.

Quelques années plus tôt, nous avons mis en place un pilote pour tester une station de traitement des effluents, avec l'objectif de recycler l'eau et d'obtenir une qualité équivalant à l'eau potable, afin de la réutiliser dans l'usine. Bien que ce procédé soit déjà autorisé et pratiqué dans l'industrie alimentaire en Europe, notamment chez Danone, ce n'était pas le cas en France. Nous avons ainsi mené un test à 1/6? de l'échelle réelle, en partenariat avec les autorités, sans l'intégrer immédiatement dans notre processus industriel.

L'objectif était d'établir des paramètres de faisabilité et de lancer la démarche France Expérimentation, qui permet d'évaluer de nouveaux procédés et, si nécessaire, d'adapter la réglementation dans un intérêt commun.

Finalement, nous n'avons pas poursuivi cette démarche, l'État ayant annoncé entre-temps la légalisation prochaine de ce procédé. Nous attendons désormais la validation finale.

Cet exemple démontre notre procédure vis-à-vis d'une technologie non encore validée, assurant transparence et collaboration avec les autorités.

M. Laurent Burgoa, président. - Le préfet de département est-il déjà venu visiter votre site ?

Quelles sont vos relations avec le maire de votre commune ?

M. Emmanuel Gerardin. - Le préfet, M. Mathurin, s'est rendu sur le site peu après sa prise de fonction, conscient des enjeux liés à l'eau sur le territoire et des nombreux projets en cours. Nos échanges avec lui sont réguliers, et encore plus fréquents avec ses services.

M. Laurent Burgoa, président. - Rencontrez-vous également la sous-préfète de Riom ?

M. Emmanuel Gerardin. - Cette dernière joue un rôle clé, notamment en animant le comité de suivi et en participant à la plupart des réunions opérationnelles.

Nous entretenons également des échanges réguliers avec le maire de Volvic, lors d'événements ou sur divers sujets locaux.

M. Laurent Burgoa, président. - Contribuez-vous, par le biais de financements, à des projets environnementaux dans votre commune ou à l'échelle de l'intercommunalité ?

M. Frédéric Lebas. - Ayant intégré Évian depuis quatre mois seulement, je n'ai pas encore pu m'entretenir avec M. le préfet de Haute-Savoie. En revanche, j'ai rencontré Mme la sous-préfète de Thonon, qui s'est rendue sur le site. Par ailleurs, j'entretiens des échanges réguliers avec les services de l'État en fonction des projets.

Concernant les maires, nous collaborons avec plusieurs communes et, plus particulièrement, via l'APIEME avec les treize concernées par l'impluvium. Nous participons pleinement à cette initiative, notamment par l'attribution d'une subvention à cette association.

M. Emmanuel Gerardin. - Les projets environnementaux sont nombreux, notamment à travers le CEPIV, qui regroupe les quatre communes concernées par l'impluvium de Volvic.

Ces initiatives sont menées en concertation avec les maires et incluent également les projets de réduction des prélèvements d'eau, essentiels dans un contexte de ressource partagée avec l'eau potable.

L'ensemble des actions déjà mises en place et celles en préparation contribuent directement au territoire, en réponse à la question des projets environnementaux au bénéfice de la communauté autour de Volvic.

M. Hervé Gillé. - L'intérêt des SAGE mérite selon moi d'être approfondi dans le cadre de notre commission d'enquête, car leur pouvoir prescriptif peut modifier la gestion des ressources en eau. Ils sont développés en concertation avec les parties prenantes pour protéger des cours d'eau ou des nappes, comme en Gironde pour les nappes profondes. Lorsqu'un prélèvement devient excessif, ils permettent d'identifier des prélèvements de substitution et de créer une solidarité territoriale en rééquilibrant les usages.

L'intérêt des SAGE réside également dans leur intégration dans les documents d'urbanisme (SCOT, PLUI, PLU), ce qui renforce leur portée.

Dans le cas de l'impluvium, un SAGE plus structurant, avec des prescriptions claires, pourrait aller au-delà des actions actuelles du comité.

Les initiatives environnementales déjà mises en place pourraient ainsi être intégrées dans un plan d'action global, favorisant une meilleure protection et une qualité environnementale renforcées.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, Messieurs les directeurs, pour cette audition enrichissante. Nous aurons certainement l'occasion de vous retrouver dans quelques semaines, Monsieur Lebas, dans le cadre d'une visite de votre site d'Évian.

Audition de M. Yves Le Breton, préfet de Haute-Savoie
(Jeudi 13 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Bonjour à tous. Nous poursuivons nos auditions avec celle de M. Yves Le Breton, préfet de Haute-Savoie depuis le 23 août 2023.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Yves Le Breton prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, vise à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à nous éclairer sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

En tant que préfet de Haute-Savoie, vous opérez dans une région où l'activité des embouteilleurs est importante pour l'économie locale. Pourriez-vous rappeler les principaux sites bénéficiaires d'une autorisation d'exploitation et leurs poids en termes de production, de chiffre d'affaires et d'emplois pour le département ?

Des contrôles réguliers sont-ils effectués par les services de la préfecture et l'ARS sur les eaux minérales naturelles et les eaux de source exploitées dans le département ?

En quoi les affaires ayant touché les groupes Alma et Nestlé Waters ont-elles fait évoluer vos contrôles sur le plan local ? Une attention particulière a-t-elle été portée aux dispositifs susceptibles d'être dissimulés par les industriels ?

Comment évaluez-vous la coordination entre les services impliqués dans le contrôle des embouteilleurs ?

Quels enseignements tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs ?

Je vous propose de consacrer une quinzaine de minutes à votre propos liminaire, avant de répondre aux questions de notre rapporteur, puis à celles des autres membres de cette commission.

Yves Le Breton. - Le secteur des eaux embouteillées en Haute-Savoie repose sur deux acteurs majeurs : Évian et Thonon, ainsi que sur une production plus modeste à Megève.

Le site des eaux d'Évian, appartenant au Groupe Danone, constitue le premier employeur privé de l'arrondissement de Thonon-les-Bains, avec plus de 1 000 salariés à l'usine d'embouteillage de Publier et 200 salariés au siège de la filiale « eaux » du groupe, situé à Évian-les-Bains. Sa production annuelle atteint 1,5 milliard de litres, soit 6 millions de cols par jour. Évian figure parmi les eaux les plus reconnues mondialement, grâce à son fort développement à l'export.

Le deuxième site, la Société des eaux minérales de Thonon, située au bord du Lac Léman, appartient au groupe Alma. Elle produit environ 130 millions de litres par an, soit plus de 400 000 cols quotidiens. Cette eau est vendue sous deux appellations : Eau de Thonon, issue de la source de la Versoie, avec un volume de 350 000 m par an et l'eau Saint-François, une eau commercialisée en « marque de distributeur », avec un volume maximum autorisé de 200 000 m par an.

Enfin, la source de la Sasse à Megève produit 37 m en 2024, soit 50 000 cols, représentant ainsi un volume anecdotique destiné principalement à la restauration.

L'organisation des contrôles repose sur une coordination entre plusieurs services : l'Agence Régionale de Santé (ARS), en charge des autorisations sanitaires, de la mise sur le marché et des contrôles réglementaires ; la direction départementale de la protection des populations (DDPP), qui veille à la loyauté des pratiques commerciales et à la protection des consommateurs ; la direction départementale des territoires (DDT), compétente sur les aspects police de l'eau et autorisations environnementales.

En Haute-Savoie, comme ailleurs, le préfet joue un rôle essentiel dans la coordination des services de l'État. La DDPP, placée sous son autorité, et l'ARS, qui agit au nom du préfet, collaborent étroitement sur ces problématiques, notamment sur l'étiquetage, contrôlé dès l'instruction des dossiers d'autorisation sanitaire.

Bien qu'il n'existe pas de comité spécifique sur les eaux embouteillées, une habitude de travail particulièrement ancrée entre les services a permis de gérer efficacement des situations sensibles, comme les pollutions industrielles aux PFAS sur les bassins de Rumilly et Annecy depuis 2022.

Cette coordination repose sur deux niveaux : un cadre managérial, via le collège des chefs de service de l'État, se réunissant chaque semaine sous mon autorité et incluant la DDPP et l'ARS ainsi que des réunions ad hoc sur les enjeux industriels, organisées selon les besoins.

Sans nul doute, les procédures relatives à ces dossiers peuvent être améliorées, et les services locaux se montrent particulièrement à l'écoute de bonnes pratiques proposées par l'administration centrale.

Permettez-moi de souligner l'esprit de coopération qui guide le travail des différents services concernés, notamment l'ARS, bénéficiant de l'expertise technique nécessaire pour appuyer les décisions préfectorales et remonter rapidement les problèmes détectés.

Depuis mon arrivée en août 2022, la principale difficulté rencontrée concerne les délais d'information des industriels. Bien que les problèmes signalés se sont avérés d'ampleur limitée, nous avons constaté des délais de communication de deux à trois semaines, bien trop longs au regard des enjeux. À titre d'exemple, un lot de bouteilles Évian destinées à la destruction a finalement été remis sur le marché par un intermédiaire, nécessitant un rappel de produits. La société a informé les autorités dans un délai jugé insatisfaisant, ce qui lui a valu un avertissement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci, monsieur le préfet. Nous n'avions pas connaissance du dernier cas évoqué. Pourriez-vous préciser les circonstances de cet incident ?

Yves Le Breton. - En novembre 2022, la Société d'exploitation des eaux d'Évian nous a signalé un détournement de bouteilles d'eau minérale (format 50 centilitres), initialement destinées au marché asiatique. Ces bouteilles, fabriquées en 2021, avaient été envoyées à la destruction en raison d'un risque de présence de fragments de matière plastique, issus de la détérioration d'une plaque de trémie lors du convoyage des préformes donc au cours du processus de production. Cette incertitude sur la qualité des bouteilles avait conduit l'industriel à retirer ce lot du marché. Or, destinées à être détruites par un prestataire, ces bouteilles sont réapparues à la vente au détail dans le sud de la France.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'était pas dans le Gard ?

Yves Le Breton. - C'était plutôt autour de Marseille.

L'industriel a fait preuve de diligence en engageant la procédure de destruction. Toutefois, nous n'avons été informés de la défaillance du prestataire que plusieurs semaines après l'incident.

Ce type d'événements souligne le besoin impérieux de vigilance, notamment dans un secteur requérant de nombreux prestataires pour la destruction des produits non conformes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le cadre de nos recommandations, nous nous attachons à mieux comprendre le fonctionnement à double commande entre l'État et l'ARS. Or, parfois, il semble que le rôle du préfet se borne à l'apposition d'une signature en fin de processus, sans réelle marge de manoeuvre. Certains ont également signalé des délais d'instruction prolongés de la part des services de l'ARS, sur lesquels ils n'ont pas d'autorité hiérarchique directe.

Quel est votre regard sur cette organisation ?

Yves Le Breton. - Le système repose sur des administrations placées sous l'autorité du préfet ou agissant dans le cadre d'un protocole spécifique, comme c'est le cas pour l'ARS. Je ne porte pas de jugement sur cette organisation. Le rôle du préfet consiste à assurer une coordination efficace, en évitant un fonctionnement en silos, où chaque service remplit sa mission sans communication transversale.

Pour répondre à cet enjeu, deux leviers sont essentiels : la coordination directe du préfet avec les responsables des services, notamment avec le délégué territorial de l'ARS et le dialogue avec la direction générale de l'ARS, permettant d'aborder l'ensemble des sujets relevant de sa compétence, y compris ceux qui ne relèvent pas directement du préfet, nécessitant une synergie locale.

Concernant le rôle du préfet dans les décisions techniques, notamment sur des sujets complexes comme le filtrage, l'expertise appartient aux ARS. Je ne suis pas spécialiste de ces questions, mais le protocole ARS-préfecture et les échanges réguliers avec les cadres de l'ARS permettent de faire remonter les difficultés et d'adapter les décisions aux enjeux économiques et sanitaires du territoire.

Les délais d'instruction se trouvent affectés par deux facteurs clés : les ressources humaines, tant en quantité qu'en expertise, pour permettre aux services de conseiller utilement le décideur ; la charge de travail des services, notamment pour la DDPP, qui fait face à des contraintes budgétaires et humaines.

Ces difficultés sont bien connues, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes de juillet 2023 sur les moyens d'action du préfet. L'ARS se trouve vraisemblablement confrontée aux mêmes enjeux, ce qui impacte également les délais.

Enfin, la préparation de cette audition a été l'occasion de rappeler l'importance d'une politique de contrôle efficace, en identifiant les points de vigilance prioritaires et en veillant à la qualité des eaux embouteillées et aux pratiques industrielles.

Pour une administration territoriale, il convient d'avoir une vision claire et pragmatique sur les bonnes pratiques et les axes d'amélioration, afin d'optimiser l'efficience des contrôles et d'assurer une gestion plus fluide entre les services de l'État.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Gérez-vous actuellement des demandes de modifications concernant les sites d'embouteillage ?

Par ailleurs, avez-vous traité des demandes précédentes et, si oui, quels ont été les délais d'instruction observés ?

Yves Le Breton. - S'agissant des exemples concrets de délais d'instruction, je me propose de vous répondre par écrit.

Quant aux demandes, une modification est intervenue fin 2024 concernant Évian, visant à rectifier une imprécision figurant dans un arrêté de 2012. Cette correction concernait notamment une mention relative à la microfiltration, qui contenait une coquille.

Toutefois, les contrôles menés entre 2012 et 2024 ont confirmé que cette imprécision n'a produit aucune incidence sur l'activité de l'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quoi correspondait cette coquille ?

Yves Le Breton. - Les signes « égal ou au plus » et « égal ou au moins » étaient inversés, inversant grossièrement la logique de filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous confirmer, en l'état actuel de vos connaissances, que les arrêtés préfectoraux sont respectés sur les deux principaux sites, à savoir Évian et Thonon ?

Yves Le Breton. - À ma connaissance, oui, puisque des contrôles réguliers sont effectués.

Concernant Évian, le dernier contrôle a eu lieu fin 2024, en octobre ou novembre. À ma connaissance, les agents en charge de cette inspection n'ont relevé aucune irrégularité par rapport aux arrêtés d'autorisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous reçu un rapport d'inspection à cet égard ?

Yves Le Breton. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous confirmer qu'aucune microfiltration inférieure à 0,8 micron n'est pratiquée sur les deux sites ?

Yves Le Breton. - À ma connaissance, les arrêtés préfectoraux sont respectés et la réglementation sur la microfiltration appliquée. Aucun signalement ne m'a été fait concernant une filtration inférieure à 0,8 micron sur ces sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'affaire des eaux minérales naturelles soulève la question de la circulation de l'information entre l'administration déconcentrée et les ministères centraux.

Votre préfecture a-t-elle été destinataire du rapport de l'Igas sur ce sujet et, si oui, à quel moment ?

Par ailleurs, a-t-elle été informée du contenu du « bleu » de Matignon relatif au plan de transformation de Nestlé, qui mentionnait également des informations sur les pratiques de microfiltration ?

Depuis votre prise de fonction, quels ont été vos contacts avec la DGS, les cabinets ministériels ou les ministres eux-mêmes sur cette affaire ?

Yves Le Breton. - Mon prédécesseur a été informé de la mission de l'IGAS le 25 mars 2022. En revanche, à ma connaissance, le rapport n'a pas été transmis à la préfecture.

Concernant le « bleu » de la réunion interministérielle, je ne l'ai pas en ma possession. C'est d'ailleurs habituel, ces documents étant rarement transmis aux préfets, j'en ai reçu très peu dans l'exercice de mes fonctions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces documents sont généralement retraduits sous forme d'instructions, n'est-ce pas ?

Yves Le Breton. -Les décisions résultent généralement d'un accord interministériel validé par le Premier ministre et se traduisent par une instruction ministérielle ou interministérielle, selon la nature du sujet.

À ma connaissance, le rapport de l'Igas et les travaux postérieurs liés à cet examen interministériel n'ont pas donné lieu à des instructions officielles à ce stade. Toutefois, celles-ci sont sans doute en cours. Votre travail d'investigation vous a vraisemblablement permis d'avoir une vision plus précise sur ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez donc pas échangé avec les ministères centraux ou avec d'autres préfets confrontés à des situations similaires, voire plus complexes ?

Depuis la révélation des faits, ou même avant, avez-vous constaté le moindre changement dans la communication ou la coordination sur ces sujets ?

Yves Le Breton. - Comme je l'indiquais, les situations rencontrées n'ont pas nécessité de recours à des ressources extérieures. Les mesures mises en place ont permis de gérer ces sujets localement, sans qu'une gestion de crise soit requise.

Cependant, ces problématiques étant à la fois complexes et techniques, tout éclairage national est le bienvenu pour renforcer la gestion locale de ces dossiers.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous eu l'occasion d'évoquer ce sujet entre préfets, notamment lors de réunions à Beauvau ? Existe-t-il un sous-groupe ou des échanges spécifiques entre préfets concernés par l'embouteillage des eaux minérales ?

Avez-vous été contacté par un préfet du Gard, des Vosges ou d'un autre département concerné, ou inversement, pour partager votre vision et vos pratiques sur cette question ?

Yves Le Breton. - S'il existe plusieurs réseaux thématiques au sein du corps préfectoral, à ma connaissance, aucun n'est spécifiquement dédié à l'eau minérale. En cas de difficulté, il est courant de solliciter un homologue sur une base interpersonnelle.

Par ailleurs, la réunion des préfets aborde régulièrement des problématiques d'intérêt général, bien que celle des eaux minérales n'ait pas été soulevée à ce jour. Il est possible qu'elle le soit dans les semaines ou mois à venir.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous eu l'occasion d'échanger avec votre prédécesseur sur ce sujet ?

Yves Le Breton. - Ce sujet n'a pas été évoqué lors de mon échange avec mon prédécesseur. Nous avons abordé d'autres thématiques, notamment les pollutions industrielles liées aux PFAS, une problématique émergente à la mi-2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Après avoir découvert par la presse l'implication du groupe Alma Source, avez-vous demandé des contrôles renforcés à l'ARS ou ces derniers vous ont-ils été proposés par l'agence ?

Comment s'organise la coordination locale entre les services déconcentrés de la DGCCRF et de l'ARS ?

Enfin, au-delà des instructions officielles, les révélations sur cette affaire ont-elles modifié vos pratiques ?

Yves Le Breton. - Je me permets d'insister sur un point : à ma connaissance, aucune anomalie n'a été révélée sur le site de Thonon-les-Bains.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'appartenance des Eaux de Thonon au groupe Alma justifierait une vigilance particulière dans le suivi des contrôles.

Yves Le Breton. - En effet, il s'agit d'un point d'attention. Les Eaux de Thonon font l'objet d'un contrôle tous les trois ans, le prochain étant prévu en 2025.

Concernant la coordination, je préconise une approche interservices afin de pouvoir examiner l'ensemble des points de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les contrôles sont-ils usuellement effectués dans un cadre interservices ?

Yves Le Breton. - Ces décisions ne relèvent pas directement de mes prérogatives, toutefois un contact existe entre les agents responsables du contrôle, aussi bien à l'ARS qu'à la DDPP.

Cette coordination repose davantage sur des échanges informels plutôt que sur une structure formalisée, telle qu'un comité spécifique dédié à l'embouteillage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, aucune modification des pratiques de contrôle ou de la cadence des inspections n'a été mise en place à la suite de ces révélations ?

Yves Le Breton. - À ma connaissance et jusqu'à présent, les contrôles ont été menés régulièrement et conformément aux pratiques en vigueur, sans manquement signalé. Dans ce contexte, nous n'avons identifié aucune situation justifiant une modification des modalités de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre préfecture a-t-elle ordonné des mesures spécifiques concernant les eaux minérales naturelles, telles qu'un déclassement de forage, l'arrêt d'une exploitation ou une mise en demeure ?

Pourriez-vous nous donner un aperçu des principales décisions administratives prises dans ce domaine en Haute-Savoie ?

Yves Le Breton. - Le site d'Évian compte dix-sept forages, dont l'un a été déconnecté en janvier 2024 à la demande de l'exploitant, après la détection de tertio-butyléther (TBE), un composé organique volatil (COV) hautement soluble dans l'eau. Il s'agit d'une pollution d'origine organique, distincte d'une pollution industrielle. En l'absence de seuil réglementaire de référence, l'exploitant a choisi d'arrêter le forage par précaution.

Dès la détection du TBE, l'industriel a informé l'ARS, qui a immédiatement organisé une réunion avec la DDPP pour évaluer la situation. En décembre 2024, lors d'une visite de récolement sur un autre forage situé dans le secteur, un agent de l'ARS a pu constater et confirmer sur place la déconnexion effective de l'ouvrage.

Ce cas illustre la coopération étroite entre les services sanitaires et les contrôles sur site.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, s'agit-il du seul cas de déconnexion de forage pour ce type de problématique dans le département ?

Yves Le Breton. - Je pourrai vous fournir des exemples supplémentaires par écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous en remercions par avance.

Compte tenu de la présence avérée de PFAS dans votre département, avez-vous mis en place une surveillance particulière pour les eaux minérales naturelles ?

Yves Le Breton. - Les principaux points de découverte des PFAS se situent dans un tout autre secteur du département. À ce jour, aucune présence significative de PFAS n'a été identifiée à proximité des points de forage et d'exploitation des eaux minérales. La direction régionale de l'environnement, de l'Aménagement et du Logement (Dreal), via son unité interdépartementale, mène des recherches sur l'ensemble du département.

La contamination aux PFAS concerne essentiellement les bassins industriels de Rumilly et d'Annecy, où une procédure interservices a été mise en place pour suivre et traiter cette problématique. Un comité d'élus a également été instauré afin d'assurer un suivi concerté et d'informer les collectivités locales sur l'évolution de la situation et les mesures engagées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les prélèvements effectués par les minéraliers, en particulier Évian, en tous cas en termes absolus, figurent sans doute parmi les plus importants de France.

Avez-vous une analyse suffisamment précise et argumentée de ces niveaux de prélèvement ?

Yves Le Breton. - Concernant Évian, les seuils maximaux de prélèvement ne sont pas atteints. En 2023, environ 80 % de l'autorisation a été exploitée.

La sobriété hydrique des outils industriels constituant un enjeu essentiel, les usines d'embouteillage d'Évian et de Thonon font l'objet d'une saisine par la DREAL pour intégrer un plan de sobriété hydrique. Cette démarche, relativement nouvelle pour la Haute-Savoie, s'inscrit dans un contexte de changement climatique, marqué notamment par les sécheresses de 2022 et 2023.

Le Plan Eau, annoncé par le Président de la République et le gouvernement, vise à impliquer tous les industriels, y compris ceux du secteur de l'eau, dans une gestion plus raisonnée de la ressource. Par exemple, Danone travaille sur un projet de réutilisation des eaux industrielles pour alimenter le golf d'Évian, qui appartient également au Groupe. À ce jour, les seuils fixés ne sont pas dépassés, et aucun signal d'alerte particulier ne justifie une remise en cause immédiate de ces niveaux.

Autour du site d'Évian, une procédure innovante de protection de l'impluvium a été mise en place pour préserver la qualité des eaux filtrées, garantissant ainsi une eau minérale conforme aux exigences en aval. Ce dispositif repose sur une collaboration active entre les autorités publiques et les acteurs privés, témoignant d'une démarche proactive et durable dans la gestion de la ressource en eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Identifiez-vous des éléments importants à porter à la connaissance de notre commission afin d'enrichir nos recommandations sur le contrôle des eaux embouteillées ?

Yves Le Breton. - L'amélioration de la coordination entre les services demeure un enjeu constant, et l'administration territoriale de l'État reste ouverte à toute recommandation permettant d'optimiser ses pratiques.

Je me permets d'attirer votre attention sur les moyens humains mis à disposition des autorités territoriales, qu'il s'agisse du préfet de département ou de la direction générale de l'ARS. L'efficacité du contrôle repose sur la capacité à mobiliser des agents qualifiés, capables de mener des inspections rigoureuses et d'apporter un conseil éclairé aux décideurs. Il apparaît fondamental de préserver cette expertise au niveau départemental afin d'assurer un suivi adapté à des sujets techniquement complexes.

La mise en lumière de ces enjeux dans le cadre de votre rapport pourrait ainsi contribuer à garantir une surveillance de haut niveau sur le contrôle des eaux embouteillées.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous eu l'occasion de visiter les sites industriels d'Évian et de Thonon depuis votre prise de fonction en Haute-Savoie ?

Yves Le Breton. - Oui, j'ai visité les deux sites, à ma demande, dans les six mois suivant ma prise de fonction.

M. Laurent Burgoa, président. - Cette problématique des eaux minérales est-elle régulièrement évoquée par les grands élus du département ou par les maires concernés, notamment au regard du contexte médiatique récent ?

Yves Le Breton. - Je n'ai pas eu l'occasion d'échanger spécifiquement sur ce sujet avec les élus du Chablais, bien qu'ils soient directement concernés. Toutefois, les deux sites occupant une place centrale dans la vie sociale et économique du territoire, un dialogue permanent existe entre les responsables du groupe Danone et les élus.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie pour cette audition instructive, ainsi que pour vos compléments d'information par écrit.

Audition de M. Pierre Ricordeau, ancien directeur général
de l'agence régionale de santé d'Occitanie
(Mardi 18 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Monsieur Pierre Ricordeau, qui fut directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) d'Occitanie de 2018 à avril 2022. Monsieur, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pierre Ricordeau prête serment.

Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

M. Pierre Ricordeau, ancien directeur général de l'agence régionale de santé d'Occitanie. - Aucun intérêt.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle rapidement pour les internautes, cette audition étant retransmise en direct sur le site du Sénat, que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille ». Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Mes chers collègues, je rappelle que les ARS sont chargées du contrôle sanitaire des eaux conditionnées, c'est-à-dire de la vérification de la qualité des eaux, de l'inspection des installations et du contrôle des mesures de surveillance mises en oeuvre par l'exploitant.

En tant que directeur général de l'ARS d'Occitanie, vous avez opéré dans une région où l'activité des embouteilleurs est importante pour l'économie locale. De nombreuses exploitations se trouvent en Occitanie. Pour n'en citer que quelques-unes : Perrier, La Salvetat, Mont-Roucous ou encore Quézac.

Quel a été, lorsque vous étiez en fonction, le rôle de l'ARS d'Occitanie dans la crise des eaux minérales de Nestlé dans le Gard ? Comment expliquez-vous que des épisodes de contaminations bactériologiques se soient produits chez Perrier entre 2020 et 2022, donnant lieu à des destructions de lots, alors qu'à l'époque des filtres à charbon actif et des lampes à UV étaient utilisés pour la désinfection de l'eau ? Quelles ont été, dans cette période, vos interactions avec les autres services de l'État, au niveau central, avec la direction générale de la santé (DGS) et, au niveau local, avec le préfet du Gard ?

Plus globalement, comment l'ARS a-t-elle exercé son rôle de contrôle sanitaire des eaux embouteillées sur le site, mais aussi sur les autres sites de la région ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui a fragilisé la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps. Vous présenterez, à titre liminaire, vos réflexions, en cinq minutes maximum. Suivra un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

M. Pierre Ricordeau- Je vous remercie, Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Messieurs les sénateurs, Mesdames les sénatrices, je vous remercie de m'accueillir devant cette commission. Entre novembre 2018 et avril 2022, j'ai été directeur général de l'ARS d'Occitanie, issue de la fusion des ARS Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon en 2016. Ayant quitté l'ARS depuis près de trois ans et n'étant pas un spécialiste de l'eau, j'ai échangé avec mes anciennes équipes, que je remercie, et ai visionné un certain nombre des auditions que vous avez conduites.

L'ARS d'Occitanie est composée d'un siège, installé sur les sites de Toulouse et de Montpellier, ainsi que de 13 directions départementales. Les questions de santé environnementale sont pilotées par la direction de la santé publique, en charge également de l'inspection-contrôle de l'ARS. Quant aux missions opérationnelles, elles sont conduites dans les directions départementales en lien avec la direction de la santé publique.

Initialement, l'agence comprenait également deux cellules mutualisées régionales, héritées de l'ARS Midi-Pyrénées. Je précise qu'une cellule régionale peut associer des agents qui sont au siège, mais aussi en direction départementale. La première cellule avait pour objet l'eau, hors eaux minérales et thermales, tandis que la seconde traitait des eaux minérales et thermales, essentiellement dans l'ancienne région de Midi-Pyrénées. Ainsi, la source Perrier dans le Gard relève de cette organisation départementalisée. À l'Est, ce travail opérationnel était assigné aux directions départementales. La cellule « eaux minérales et thermales » a connu deux évolutions, une extension de son champ d'intervention à l'Est, puis sa fusion avec l'autre cellule pour ne former plus qu'une cellule mutualisée régionale unique sur l'eau, début 2022.

Les équipes de la santé-environnement manifestent un fort engagement et sont dotées de solides compétences techniques. Elles ont établi un lien régulier de grande qualité, avec la direction générale de la santé au ministère afin de lui apporter leur expertise - je salue leur travail. La particularité de leurs missions est d'être essentiellement exercées pour le compte du préfet de département, ce qui n'est pas le cas pour l'essentiel des autres missions de l'ARS.

Ces équipes traitent d'un grand nombre de sujets, en dépit d'effectifs qui ont eu tendance à se réduire - environ d'une centaine d'équivalents temps plein (ETP) au total à l'époque. Cette contraction a concerné l'ensemble des services de l'ARS, compte tenu des schémas d'emploi négatifs qui leur ont été appliqués jusqu'à l'arrivée de la pandémie de Covid 19.

Leurs missions portent premièrement sur la prévention et la gestion des risques de l'environnement extérieur, tels que l'air extérieur, les rayonnements non ionisants et les déchets, deuxièmement sur la prévention et la gestion des risques dans les espaces clos concernant notamment les problèmes d'amiante, d'habitat insalubre et de radon et troisièmement, les missions sur l'eau telles que la protection de la ressource, l'alimentation en eau potable et le problème des légionnelles, les eaux thermales, les eaux de baignade et les eaux de piscine. Les eaux conditionnées relèvent de cette compétence « Eau ». Les effectifs dédiés à cette mission sont limités, soit environ 2,8 ETP, en 2018, en comptabilisant ceux de la cellule mutualisée régionale, couvrant l'Ouest et ceux des directions départementales, sur l'Est.

En toute franchise, le sujet des pratiques des industriels de l'eau en bouteille n'est pas celui que nous avions identifié à l'époque comme présentant le plus de risques du point de vue sanitaire, préoccupation première de l'ARS. En effet, au-delà des sujets sensibles des eaux thermales et des eaux de baignade, la préoccupation entraînant la plus forte mobilisation, en termes de gestion de risque sanitaire, est celui des eaux potables, les eaux du robinet. Cette vigilance particulière s'explique par le très grand nombre de captages dans la région Occitanie - près de 4 800 captages publics et un certain nombre de captages privés - d'une part, ainsi que par les risques de pollution par les pesticides et les métabolites de pesticides, d'autre part.

Cette appréciation du risque sur les eaux embouteillées se fonde sur les résultats du contrôle sanitaire, qui sont très bons. Ainsi, en 2019 sur l'ensemble de la région on n'avait relevé que 11 prélèvements non conformes aux normes bactériologiques et aucun aux normes chimiques. À titre de comparaison, la même année, plus de 1 000 prélèvements non conformes aux normes bactériologiques et plus de 600 aux normes chimiques concernaient l'eau du robinet. Par ailleurs, aucune toxi-infection alimentaire collective (TIAC) n'a été constatée en Occitanie depuis la création de l'ARS en 2016 avec une origine d'eau minérale alors qu'on en avait recensé un grand nombre dans le cadre d'une eau d'origine du robinet.

Je reconnais que ces eaux n'étaient donc pas ciblées dans le programme régional d'inspection et de contrôle qui privilégiait plutôt les inspections de captages destinés à l'eau du robinet. Nous avons effectué ce choix parce qu'il existait également d'autres formes de contrôle que l'inspection-contrôle, telles que les visites obligatoires de récolement sur les sites d'eau embouteillée qui sont assez régulières sur l'ensemble des sites alors qu'elles n'existent pas sur les captages pour l'eau du robinet. 15 contrôles au total, dont 10 visites de récolement et 5 inspections, ont été effectués sur la période 2018-2022. Perrier est le site le plus visité, au moins une fois par an par l'ARS. À ces visites de l'ARS, s'ajoutent les visites du laboratoire agréé pour le contrôle sanitaire, sur un rythme, à l'époque, moyen de 80 visites par an sur l'ensemble de la région.

Compte tenu de la nature de la mission effectuée pour le compte du préfet, la gestion courante des dossiers est réalisée au niveau départemental, en lien avec les autres services de l'État. En cas de problème significatif ou de blocage, le dossier est alors transmis à la direction générale de l'ARS. J'ai ainsi eu connaissance de problèmes relatifs aux eaux embouteillées, à deux reprises, illustrant parfaitement le fonctionnement de l'ARS dans une telle situation.

La première a concerné la source Lapadé, à Luchon, en 2019. J'ai été alerté par la directrice de la santé publique fin juin 2019, d'une série de contaminations problématiques détectées sur cette eau minérale naturelle. Le prélèvement à l'émergence du contrôle sanitaire ainsi que les contrôles suivants ont démontré la présence de coliformes totaux. Des tests récents, utilisant notamment la technique MALDI-TOF (Matrix Assisted Laser Desorption Ionization - Time of Flight), ne permettaient pas d'écarter une contamination d'origine fécale et la présence de virus. Cet épisode a confirmé l'ancienne analyse des équipes quant au manque de fiabilité de cette source Lapadé.

Trois jours après l'alerte de juin, nous avons demandé, en urgence, à la sous-préfète de Saint-Gaudens, la destruction des lots contaminés, la désinfection de la source ainsi que son déclassement en eau rendue potable. Nous avons également prévenu la DGS. Celle-ci ainsi que la direction départementale de la protection des populations (DDDP), qui avait échangé avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ont confirmé notre position. Un travail de concertation avec l'exploitant, organisé par la sous-préfète a été ensuite engagé. La mairie de Luchon, qui possède le captage, a décidé de rechercher un nouveau forage. L'exploitant, quant à lui, a mis fin à la production de l'eau minérale de cette source, dès le 19 juillet, soit moins d'un mois après les signalements initiaux. Il a alors souhaité investir sur une autre source qu'il possédait à Luchon, la source Estivelle. Au contraire de l'eau minérale naturelle de la source de Lapadé, l'eau de l'Estivelle n'est qu'une eau de source.

Cette seconde source a fait l'objet d'un arrêté modificatif, en novembre 2019. En effet, l'exploitant a demandé à ce que soit autorisé un nouveau traitement d'absorption sur alumine, concernant l'arsenic dans l'eau de source brute. Eu égard à la nouveauté du traitement, nous avions alors saisi la DGS, qui, après un certain nombre d'échanges, a validé l'utilisation de cette technique. La question de la filtration à 0,2 micron n'était pas posée à ce stade et n'est intervenue que plus tard, lors de la finalisation de l'arrêté modificatif.

Je comprends en consultant les documents de l'époque que l'exploitant avait demandé de faire ainsi référence dans l'arrêté à une pratique qui était mise en oeuvre depuis longtemps sur ce forage. Les services ont considéré, à l'époque, que la source était d'une grande pureté. Le seul objet du filtre était technologique et non à but de désinfection. Il visait à retirer les particules solides ou les impuretés pour protéger les équipements. La réglementation n'interdisait pas formellement ce type de filtre dès lors que l'objectif n'était pas de modifier les caractéristiques microbiologiques de l'eau. Nous avions, cependant, le sentiment d'être dans une zone grise. Ce type de dispositif était toléré et connu dans un certain nombre de sources en France, s'agissant notamment d'une eau de source. Ce sentiment sera confirmé ultérieurement par la mission de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui a identifié 12 % d'arrêtés non conformes à ce titre.

L'arrêté préfectoral qui est finalement pris avec l'accord de l'ARS, inclut la microfiltration à 0,2 micron, avec la condition que ce filtrage n'ait pas pour but de modifier les caractéristiques microbiologiques de l'eau. Il est demandé à l'exploitant de réaliser des mesures analytiques pour vérifier la conformité de l'eau de production à l'embouteillage.

Je suis saisi une seconde fois sur les questions d'eau minérale, en 2021, à la suite d'une série de contaminations de l'eau embouteillée sous la marque Perrier, révélée par le contrôle sanitaire. J'en ai été informé par la directrice de la santé publique, début juillet 2021. Depuis plusieurs mois, des épisodes de contamination bactériologique avaient été identifiés lors du contrôle sanitaire au niveau de la chaîne de production et sur les produits finis. Il s'agissait de contamination en flore aérobie revivifiable. Les autres paramètres bactériologiques étaient conformes.

Dans ce type de situation, l'industriel vérifie ses installations, recherche les fuites éventuelles et réalise des nettoyages. Les lots de produits non conformes sont bloqués et des analyses sont relancées quelques jours plus tard afin de s'assurer de la conformité des produits distribués aux consommateurs. Cela fut le cas en raison de l'effet inhibiteur et bactériostatique du CO2 utilisé dans l'eau de Perrier. Il n'y a pas eu de destruction de l'eau sur cette période, mais des blocages et déblocages après vérification de l'absence de contamination. Un nouvel épisode est apparu fin juin. Les lots ont été à nouveau bloqués. Une campagne de recontrôle a été organisée avec l'envoi des échantillons à trois laboratoires agréés pour comparer les résultats. Certains lots ont été retenus jusqu'à la fin juillet, puis libérés après assurance de l'absence de risques sanitaires.

Concernant ces épisodes, si les procédures mises en oeuvre permettent de s'assurer du retour à un niveau conforme avant la commercialisation, ce type de gestion est très inhabituel. C'est pourquoi l'ARS a échangé dès le début de l'année 2021 avec la DGS et avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation et de l'environnement (Anses), puis à nouveau lors de l'épisode de juin 2021. L'avis partagé avec la DGS était qu'il n'y avait pas de risque sanitaire, mais que l'industriel devait absolument améliorer ses procédés industriels pour remédier à la situation. Les contaminations étaient liées aux modifications structurelles du site d'embouteillage de Perrier depuis 2020, en raison d'un projet de développement qui visait à augmenter assez significativement la production. Le site avait également souffert des arrêts intermittents de production pendant le confinement de la crise du Covid 19. Même s'il était question alors de germes non pathogènes pour l'homme, notre analyse était que les déviations observées traduisaient clairement un défaut de maîtrise des procédés industriels.

Mes services et Nestlé ont échangé tout au long de l'année 2021 sur une fréquence élevée. La DDDP était régulièrement informée ou associée ainsi que la préfète. Plusieurs réunions ont eu lieu en mars et en juin 2021 entre la délégation départementale et Nestlé pour souligner cette situation non satisfaisante et la nécessité d'y remédier de façon pérenne. Les relations n'ont pas toujours été aisées ou fluides avec Nestlé. On a parfois observé un manque d'information de l'ARS dans les temps, sur les résultats de l'autosurveillance. Il semblerait que Nestlé ait critiqué l'application de la réglementation en France et contesté les résultats de notre laboratoire agréé. Les équipes ont agi avec professionnalisme. L'ARS a demandé à Nestlé de s'expliquer lors de chaque incident ainsi que d'adapter son autosurveillance. Elle a renforcé son contrôle sanitaire, avec dès le mois d'avril, une augmentation non seulement du nombre de points de prélèvements, mais de la fréquence avec deux analyses par semaine jusqu'à la fin de l'année 2021. Au total, nous sommes passés de 180 prélèvements par an sur Perrier en 2018-2019 à plus de 700 en 2021. Notre laboratoire a mis en place la technique particulière dite MALDI-TOF.

Nestlé a été dans l'obligation de présenter un plan d'action en septembre 2021, à l'ARS et à la DDDP. Ce plan a consisté en la modification progressive des installations avec le bouclage des lignes pour améliorer la circulation dynamique de l'eau et faciliter les nettoyages. Il a également inclus l'ajout ou le déplacement de filtres à 3 microns et 1 micron à but technologique. À cette époque, il n'était pas question de filtres à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quel moment, vous situez-vous ?

M. Pierre Ricordeau. - Le plan d'action a été présenté en septembre 2021. Le dossier avec un projet d'arrêté préfectoral a été soumis au conseil départemental de l'environnement, des risques sanitaires et technologiques (CoDERST), en janvier 2022.

Je n'ai pas eu connaissance de nouveaux phénomènes de contamination fin 2021, en dépit d'un épisode cévenol. Lors des nombreux échanges et des visites de récolement de l'ARS sur place en 2021 et début 2022, Nestlé Waters ne nous a jamais indiqué avoir utilisé des traitements interdits.

Je voudrais saluer le travail substantiel réalisé par les équipes au cours de l'année 2021 sur le dossier de Perrier. Elles ont dû traiter de questions très complexes dans une situation qui n'était clairement pas habituelle pour elles. Elles ont montré une forte détermination dans l'action pour garantir la sécurité sanitaire des produits. Je le dis d'autant plus, après avoir lu une grande partie des échanges pour préparer cette audition, qu'elles étaient fortement mobilisées depuis le début 2020 sur la pandémie de Covid. L'ensemble des services régionaux et départementaux, y compris ceux affectés à la santé et à l'environnement, était, alors, réquisitionné pour la gestion de la crise. On a commencé à sortir de ce mode de gestion de crise à peu près à partir de mon départ en avril 2022. On s'en souvient peu, mais en 2021 et au début 2022, l'ARS d'Occitanie était non seulement mobilisée fortement sur la vaccination et le contact-tracing, mais devait gérer les pires vagues de Covid qu'a connues l'Occitanie, en avril 2021, en juillet 2021 et en janvier 2022, dates de pics de malades en service de réanimation.

C'est dans ce contexte que nous sommes informés de la mission de l'IGAS sur les eaux minérales, fin janvier 2022. Mon équipe de la cellule mutualisée a intégré le petit groupe de travail constitué par l'IGAS, dont une des tâches était l'envoi de questionnaires aux exploitants, le 17 mars avec retour à l'IGAS demandé pour la fin mars. Sauf mise en copie par l'exploitant de sa réponse à l'IGAS, nous n'avions pas connaissance de ses réponses. En l'espèce, nous n'avons pas été destinataires d'une copie de la réponse de Nestlé Waters pour Perrier.

Trois inspections ont été entreprises en mars et avril dans le cadre de la mission de l'IGAS. Cette dernière a été informée de ce choix début mars. Celui-ci tient compte de la capacité des équipes - la cellule mutualisée venait d'être renouvelée -et du délai très court prévu par l'IGAS. Trois groupes différents, de tailles différentes, dans des départements différents, ont été inspectés. Perrier n'en faisait pas partie. Les rapports ont été rendus peu après mon départ. Je ne les évoquerai donc pas. J'en ai terminé avec cette introduction visant à présenter les missions « Eaux » de l'ARS et sa gestion des dossiers.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie pour cet exposé clair et chronologique. Vous avez été directeur général de l'ARS d'Occitanie de 2018 à avril 2022. Avez-vous eu connaissance de la réunion qui s'est tenue au ministère de l'Industrie le 31 août 2021, au cours de laquelle Nestlé a reconnu avoir eu recours à des traitements interdits dans certaines usines de conditionnement d'eaux minérales naturelles ? En cas de réponse positive, à quel moment en avez-vous eu connaissance ?

M. Pierre Ricordeau. - Je n'en ai jamais eu connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez donc eu aucun échange avec le ministère de l'Industrie. Les échanges s'intensifient-ils à ce moment-là ? Observez-vous une quelconque réaction ? Que se passe-t-il ?

M. Pierre Ricordeau. - Il n'y a absolument rien.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué chez Nestlé les différents épisodes de contamination qui avaient été observés. Avez-vous eu alors des soupçons sur ces traitements illégaux ? En d'autres termes, étant en poste jusqu'en avril 2022, en avez-vous eu connaissance, à un quelconque moment ?

M. Pierre Ricordeau. - Non, nous n'en avons eu aucune connaissance. Ce n'est même pas évoqué, comme hypothèse, par les services. Nous avions plutôt des contaminations. Nous n'avions donc aucune information sur ce sujet.

Comme mentionné dans mes propos liminaires, il est alors question de filtres à 1 micron et 3 microns, dans le plan d'action que nous leur demandons. Nous sommes après la fameuse réunion que vous évoquez. Nestlé Waters ne nous parle pas, à ce moment, de filtres à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À aucun moment, vous ne saviez s'il y avait des filtres à 0,2 micron dans son processus de production.

M. Pierre Ricordeau. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aimerais également vous interroger sur un autre élément d'incompréhension que vous pourrez peut-être clarifier grâce aux échanges avec vos services. Comment expliquez-vous qu'il y ait eu une fraude dont l'objectif était de couvrir une détérioration potentielle de la qualité de la ressource et en même temps, des contaminations ? Quelle est votre analyse a posteriori de cette situation ? La comprenez-vous ?

M. Pierre Ricordeau. - Je ne dispose pas de tous les éléments et ne suis pas certain d'être le meilleur expert en la matière. Il me semble que cela justifie plutôt les causes qui étaient alors avancées pour expliquer les contaminations, à savoir : le changement du processus industriel qui avait été profondément réformé et, peut-être, l'exploitation intermittente, avec arrêt puis reprise, en raison de la crise du Covid.

Si j'ai bien compris, ces traitements existaient depuis longtemps. Dans la période qui a précédé ces épisodes à partir de 2020, il n'y a pas eu d'épisodes significatifs de même type. La connaissance désormais de l'utilisation de traitements interdits tend à renforcer l'idée que c'est un manque de maîtrise de la transformation du processus industriel qui explique ces cas de contamination. Toutefois, je ne suis pas le meilleur expert pour répondre à la question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avions également formulé cette hypothèse. Toutefois, les filtres que nous avons observés étaient placés à l'émergence, en amont du processus de production. Cela pose un problème de réconciliation de ces deux données. Le filtre étant placé à l'émergence, la question de la qualité des émergences se pose. Nous sommes en attente de rapports d'hydrogéologie. Peut-être voulez-vous ajouter un point ?

M. Pierre Ricordeau. - Ce n'est pas forcément contradictoire, car si le filtre est à l'émergence, c'est qu'il y a un problème à l'émergence. Je n'en ai pas connaissance, mais je l'imagine. En revanche, c'est plutôt après l'émergence que s'est posé le problème, nous semble-t-il, en 2020-2021, en raison du processus industriel qui suit l'émergence. La transformation de celui-ci, dans le cadre probablement d'un manque de maîtrise, a entraîné les contaminations. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en avait pas avant, à l'émergence, cependant cela n'est pas forcément contradictoire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nestlé vous a alors présenté un plan de transformation dans lequel, en effet, les filtres ont une maille de 1 et de 3 microns. Le confirmez-vous ?

M. Pierre Ricordeau. - Ce n'est pas le seul élément. Ce plan d'action répondait à notre demande, même si Perrier travaillait sur d'autres pistes. C'est un élément parmi d'autres. J'ai voulu le signaler compte tenu du sujet des filtres. Je ne sais pas si ces filtres étaient réellement à 3 microns ou s'ils étaient en réalité à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué des problèmes de fluidité dans votre relation avec Nestlé. Tout d'abord cette relation était-elle entretenue à votre niveau ou à celui de la direction ? Pourriez-vous nous communiquer une liste la plus exhaustive possible des cas d'absence de fluidité, de tension ou de points de discordance ?

M. Pierre Ricordeau. - Les échanges n'ont jamais eu lieu à mon niveau. Ils étaient gérés par la direction départementale, avec, dans certains cas, l'appui de la directrice de la santé publique. Dès le début de 2021, mes équipes ont été assez mécontentes de constater des retards dans l'information sur le résultat de l'autosurveillance. Un courrier, signé par mon directeur départemental, a été adressé à Nestlé pour faire état de ce problème et demander à l'entreprise de changer ses pratiques. Nous étions alors au début du processus. Je n'ai pas de traces précises de cette relation, tout au long du processus. À titre d'exemples, Nestlé a déploré que la réglementation telle qu'elle est appliquée en France soit plus stricte et a douté des résultats de notre laboratoire agréé et a demandé qu'il soit audité. Nous avons eu une relation qui n'est pas tout à fait habituelle. Je ne sais pas comment la qualifier. Elle est un peu dure.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous quittez vos fonctions en avril 2022, la question de Nestlé Waters a-elle été abordée avec votre successeur ?

M. Pierre Ricordeau. - Non. J'y ai réfléchi. Selon moi, le sujet a été traité. Je crois que nous n'en avons pas parlé.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous dites, je crois. En êtes-vous certain ?

M. Pierre Ricordeau. - Je n'en ai pas le souvenir.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous disposez de quelques jours pour nous répondre, si le souvenir vous revenait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre illustration du dossier « Luchon » est tout à fait intéressante, car il s'agit d'un cas alternatif à celui de Nestlé, avec des décisions prises extrêmement rapidement. Pouvez-vous nous présenter les différences entre les deux cas, qui ont justifié, chez vous, des approches différentes, notamment des actions plus rapides, une décision de fermeture du forage ?

M. Pierre Ricordeau. - S'agissant de l'exemple de la source Lapadé à Luchon, nous ne pouvions pas exclure des contaminations d'origine fécale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui n'était pas le cas chez Nestlé ?

M. Pierre Ricordeau. - Pas à ma connaissance. Dans le cas de Luchon, les services ont constaté que cette source n'était pas fiable. Elle était souvent contaminée. Alors que je découvrais cet épisode, en 2019, l'ARS avait déjà des doutes depuis un certain temps concernant la fiabilité de cette source. Elle a demandé à la mairie d'étudier un autre forage. Nous n'avions donc pas la même appréciation sur la source Perrier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne vous êtes donc jamais posé la question de la fermeture d'un forage sur Perrier. Cette question a-t-elle été évoquée à un quelconque moment ? A-t-elle été discutée ?

M. Pierre Ricordeau. - Nous ne nous la sommes pas posée. Je n'en ai pas le souvenir. Comme je vous l'ai précisé, l'analyse faite à l'époque, dont j'ai retrouvé la trace dans la documentation, a porté sur la transformation du processus industriel. La première différence entre les deux cas est que nous n'avions pas de doute sur la source de la pollution, mais sur le fait que le processus industriel n'ait pas été maîtrisé.

La seconde différence réside dans le fait que le problème a été assez vite compris par l'industriel. Il aurait pu faire le choix de conserver la source, mais au contraire, il a rapidement partagé notre analyse. Finalement, la discussion, menée par la sous-préfète de Saint-Gaudens, a été assez brève parce que l'industriel s'est rangé à nos arguments. Par ailleurs, il n'a pas voulu exploiter une eau rendue potable, mais a préféré investir sur une autre source, qui n'est pas une eau minérale, mais une eau de source.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - S'agissant de la microfiltration à Luchon, découvrez-vous, à un moment, une microfiltration à 0,2 micron ? Demandez-vous alors une mise en conformité ? La question technologique est, en effet, posée. Vos services l'ont-ils vérifiée car c'est un point qui peut être autorisé par la réglementation.

M. Pierre Ricordeau. - La question de la deuxième source à Luchon n'est pas liée aux filtres à 0,2 micron, mais au souhait de l'industriel de mettre en place un nouveau type de filtre, dit « sur alumine », pour traiter l'arsenic. Sa demande de modification de l'arrêté pour intégrer ce nouveau traitement a donné lieu à un débat qui s'est clos par l'autorisation de la DGS.

Lors de la finalisation de l'arrêté, l'industriel nous a demandé d'intégrer des filtres à 0,2 micron qu'il utilisait manifestement depuis longtemps. Cette requête relevait certes d'une autre problématique, étrangère à celle des filtres sur alumine. Toutefois, nous savions que cette source était très pure, notamment grâce aux tests à l'émergence. Celle-ci a une flore à l'émergence qui est très faible. Nous avons donc convenu que ce type de filtre ne pouvait être qu'à but technologique, en raison de l'absence de besoin de désinfecter. En revanche, l'industriel avait souligné que c'était important pour enlever les particules. Nous étions alors, manifestement, dans une zone grise, ni rouge ou noire, je ne sais quel terme utiliser.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGS a-t-elle validé également l'ensemble des microfiltrations ?

M. Pierre Ricordeau. - La DGS n'a pas validé ce point. Elle n'a pas été consultée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi ne pas l'avoir consulté sur ce point, mais sur l'autre, si vous saviez que vous étiez dans une zone grise ?

M. Pierre Ricordeau. - Je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'en avez plus le souvenir ou vous ne savez pas.

M. Pierre Ricordeau. - Je n'en ai plus le souvenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pensez-vous que quelqu'un puisse répondre à cette question au sein des services de l'ARS d'Occitanie ?

M. Pierre Ricordeau. - Je peux essayer de vous répondre par écrit.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez déclaré : « Nous n'avons jamais eu d'épidémie liée à une mauvaise qualité de l'eau ». Cette réflexion est étrange, car il me semble que la qualité de l'eau, en tout cas l'eau minérale, est rarement vérifiée lorsqu'il y a des épidémies. Est-ce exact ?

M. Pierre Ricordeau. - Je ne suis pas certain de comprendre votre question. Mes propos signifiaient que les contrôles sanitaires ont constaté qu'il y avait très peu de contamination dans les eaux minérales par rapport aux eaux du robinet. Bien entendu, en cas de déclaration de toxi-infection, la source de celle-ci est toujours recherchée. Or, il s'avère que depuis 2016, l'eau minérale n'a jamais été à l'origine des contaminations déclarées en Occitanie.

Mme Antoinette Guhl. - En conséquence, chaque fois que vous êtes informé d'une épidémie qui peut être liée soit à des aliments, soit à de l'eau, vous effectuez des recherches sur l'eau minérale ?

M. Pierre Ricordeau. - Non, on recherche la cause.

Mme Antoinette Guhl. - Je n'ai jamais entendu dire qu'on recherchait la cause d'une épidémie dans l'eau minérale.

M. Pierre Ricordeau. - Il peut y avoir des causes provenant de l'eau minérale. Il y en a eu dans une eau andorrane.

Mme Antoinette Guhl. - Quel regard portez-vous aujourd'hui sur le travail et les investigations que vous meniez à l'époque et que vous dirigiez ?

M. Pierre Ricordeau. - Je répondrai de deux manières. La première est de constater que des traitements clairement interdits ont été mis en oeuvre dans certains endroits, sans que nous nous en apercevions. C'est un échec collectif qui renvoie au levier dont on peut disposer en ARS en termes de contrôle. Je partage ce qui a été dit par Madame Cécile Courrèges, directrice générale de l'ARS d'Auvergne-Rhône-Alpes devant votre commission sur ce sujet. Ces éléments me font penser aux constats concernant les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Certains éléments relèvent de politiques de groupe qu'il conviendrait d'examiner.

Le second angle de ma réponse est purement sanitaire. En effet, force est de constater que le contrôle sanitaire des eaux embouteillées fonctionne. On peut probablement l'améliorer et le renforcer, mais il fonctionne.

En réponse à votre question, j'ai donc un sentiment un peu partagé parce que, manifestement, on a raté quelque chose, tout en pouvant affirmer que du point de vue sanitaire, le système est solide et a fonctionné.

Mme Antoinette Guhl. - Quand vous dites « on a raté quelque chose », vous assumez par ces mots toute la faute alors que vous n'aviez pas eu l'information des agissements de Nestlé, contrairement au ministère de l'Industrie qui était informé, puisque Nestlé lui avait avoué directement ses agissements. Ce qui a surtout manqué, c'est l'information que vous auriez dû avoir, au bon moment, si elle avait été transmise par les directions qui dépendent du ministère qui avait été informé.

M. Pierre Ricordeau. - Je ne me prononcerai pas sur ce point. Je peux vous dire que nous n'avions pas détecté ces éléments lors des actions de contrôle et d'inspection que nous avions menées.

Mme Antoinette Guhl. - Vous ne vous prononcez pas sur la non-transmission des informations qui étaient connues par une partie de l'État. Est-il normal qu'on vous ait laissé effectuer votre mission sans vous alerter, alors même qu'il était très clair que certains avaient eu connaissance de certains agissements de Nestlé ? Cela constitue une mauvaise utilisation des deniers publics et de vos compétences. C'est une défaillance, me semble-t-il, dans la chaîne de responsabilité.

M. Pierre Ricordeau. - Ce n'est pas habituel, dirons-nous.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je souhaiterais revenir sur les relations entre vos équipes et Nestlé. Vous avez mentionné que celles-ci étaient au départ peu amènes puis qu'elles étaient devenues tendues par la suite, peut-être en raison de préconisations de l'ARS que Nestlé ne voulait pas mettre en oeuvre. Savez-vous à quel moment, la relation s'est crispée ? Ne pensez-vous pas qu'il y ait un lien de cause à effet avec la visite au ministère de l'Industrie en août 2021 ? L'absence d'amélioration des relations ne les a-t-il pas conduits à agir plus fermement ?

Enfin, à partir du moment où le ministère avait été informé des problèmes de Nestlé, ne pensez-vous pas que vos supérieurs auraient dû revenir vers le directeur de l'ARS qui a en charge la protection du consommateur ?

M. Pierre Ricordeau. - Je ne qualifierais pas les relations avec Nestlé de mauvaises ou exécrables, mais elles étaient « dures ». Par ailleurs, contrairement à mon directeur départemental, je n'ai pas suivi ces relations en direct. Toutefois, au début de l'année 2021, un mécontentement s'était exprimé, comme en témoigne le courrier du directeur départemental de l'ARS à Nestlé, exprimant très clairement son fort mécontentement. Je ne suis pas sûr qu'il y ait un lien avec les déclarations faites au ministère de l'Industrie. J'ai entendu d'autres explications. Les affaires de 2020-2021 ne sont pas forcément directement connectées à celles des traitements interdits, qui sont, si j'ai bien compris, beaucoup plus anciennes.

Mme Marie-Lise Housseau. - S'agissant de l'absence d'information de l'ARS par le ministère, vous avez déclaré que ce n'était pas tout à fait normal. Pouvez-vous dire que c'est anormal ?

M. Pierre Ricordeau. - Ce n'est pas habituel. Je ne dispose pas de l'ensemble des éléments qui ont conduit à cette décision.

M. Laurent Burgoa, président. - Est-ce inhabituel ?

M. Pierre Ricordeau. - C'est inhabituel.

M. Jean-Pierre Corbisez. - Votre retour à l'IGAS en avril 2022 a-t-il un lien direct ou indirect avec votre départ de la direction de l'ARS en Occitanie ? A-t-il un lien direct ou indirect avec l'affaire Nestlé ?

M. Pierre Ricordeau. - Il n'y a aucun lien. C'est un choix personnel. J'y suis revenu, à ma demande.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le directeur, je vous remercie pour cette audition qui permettra d'enrichir notre réflexion sur le sujet de notre commission d'enquête.

Mes chers collègues, je vous donne rendez-vous demain après-midi à 13 h 30 dans le même lieu pour auditionner Mme Marie-Françoise Lecaillon, ancienne préfète du Gard.

Audition de Mme Marie-Françoise Lecaillon, ancienne préfète du Gard
(Mercredi 19 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Marie-Françoise Lecaillon, ancienne préfète du Gard du 8 mars 2021 au 20 août 2023.

Avant de vous passer la parole, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Mme Marie-Françoise Lecaillon prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous des liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille ».

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous poursuivons cette série d'auditions visant à mettre en lumière l'action des autorités à l'échelle locale en ce qui concerne les exploitants d'eaux minérales naturelles.

En tant que préfète du Gard, vous avez suivi les difficultés rencontrées par Nestlé Waters sur le site de Vergèze, avec plusieurs épisodes de contamination bactériologique, puis le début de la mise en oeuvre du « plan de transformation » destiné à mettre fin à l'usage illicite des UV et des filtres à charbon.

Quel a été le rôle de la préfecture, sous votre autorité, dans le suivi de ce dossier ? Comment avez-vous exercé votre rôle de contrôle des eaux embouteillées sur le site ?

À quelle date vos services ont-ils eu connaissance de traitements non autorisés sur les eaux de Perrier ? Les services de l'Agence régionale de santé (ARS) vous ont-ils immédiatement informée ? Quelle a été votre réaction ?

Quelles ont été vos interactions avec les autres services de l'État concernés, au niveau central, avec les cabinets ministériels de l'économie, de l'industrie ou de la santé, ou encore avec la direction générale de la santé (DGS) ou la direction générale de la consommation de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) et, au niveau local, avec l'ARS ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes cruciaux sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : un propos liminaire de 15 à 20 minutes suivi d'un temps de questions-réponses avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

Mme Marie-Françoise Lecaillon, ancienne préfète du Gard. - Merci Monsieur le président. J'ai été préfète du Gard du 8 mars 2021 au 6 août 2023, puis rattachée au secrétariat général du ministère de l'Intérieur jusqu'à ma retraite, à ma demande, le 1er mars 2024. Étant donné le temps écoulé depuis la fin de mes fonctions, certains détails du dossier Perrier peuvent m'échapper. Pour préparer cette audition, j'ai consulté les services de la préfecture du Gard et la direction générale de l'ARS d'Occitanie pour récupérer des éléments du dossier portant sur ma période d'exercice. J'ai également pris connaissance des articles de presse parus depuis début 2024 et j'ai visionné les enregistrements des auditions qui m'apparaissaient pertinentes.

À mon arrivée dans le Gard, Perrier m'apparaissait comme une entreprise mondialement connue employant environ 1 000 personnes sur le site de Vergèze. La question des traitements non conformes a émergé début novembre 2022. J'ai eu à traiter deux problèmes principaux concernant Perrier :

- La problématique des volumes prélevés, cruciale pour le maintien de l'activité à long terme face aux sécheresses récurrentes. Je ne traiterai pas ce point dans la mesure où les questions que vous m'avez adressées n'y font pas référence et que vous avez auditionné les élus, les responsables de l'Établissement public territorial de bassin (EPTB) et le directeur départemental des territoires et de la mer. Mon courrier du 28 juillet 2023 abordait l'ajustement des prélèvements aux conditions de recharge de la nappe de façon à assurer une gestion durable ;

- Les contaminations bactériologiques : depuis fin 2020, l'usine a fait face à des contaminations par des germes revivifiables à 36 °C et 22 °C dans son réseau, sans contamination des forages. Ces contaminations n'étaient pas persistantes, les produits redevenaient conformes 48 heures après l'embouteillage. La direction générale de la santé avait confirmé que cela ne remettait pas en cause les autorisations d'exportation.

Pour lutter contre ces contaminations, l'exploitant a rationalisé son réseau de distribution d'eau, demandant l'autorisation d'exploiter une nouvelle ligne d'embouteillage et modifiant le processus de production. J'ai signé l'arrêté correspondant le 1er mars 2022.

J'ai été informée le 30 août 2022 par mail de la délégation territoriale de l'ARS de la non-conformité de deux lots de produits finis, canettes et bouteilles en verre, produits le 16 août. Cette information a été confirmée par une note du 1er septembre 2022. Les lots ont été bloqués et de nouvelles analyses programmées, aboutissant à la destruction des lots des lignes 29 et 15. J'ai demandé à l'entreprise de définir les mesures prises pour maîtriser le risque sanitaire, un point de situation sur les travaux, et une transmission hebdomadaire des résultats d'autosurveillance. L'ARS a également proposé de renforcer le contrôle sanitaire sur les produits finis.

Le 14 novembre 2022, nous avons reçu un nouveau signalement de non-conformité lors de la mise en service de la ligne 15. J'ai alors demandé, sur proposition de l'ARS, la destruction des lots conditionnés le 26 octobre.

Concernant le traitement illicite de l'eau minérale naturelle, j'ai été associée à une réunion en visioconférence fin octobre ou début novembre 2022 avec la directrice de cabinet de la ministre déléguée en charge de l'organisation territoriale et des professions de santé. Cette réunion semble avoir été ma première information sur ce que les ministères de la santé et de l'industrie connaissaient depuis un certain temps.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le ministère de l'industrie était-il présent à cette visioconférence ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Je ne m'en souviens pas, je sais que le directeur général de l'ARS Occitanie y participait. En revanche, je me souviens très bien avoir dit lors de cette réunion que ma seule connaissance sur le fonctionnement de l'usine Perrier se limitait aux deux points mentionnés précédemment.

Par mail du 7 novembre 2022, le directeur général de l'ARS m'a informée qu'à la suite de la réunion avec la directrice de cabinet de la ministre déléguée, il avait rencontré les représentants de Nestlé Waters le 3 novembre 2022. Cette réunion s'inscrivait entre deux réunions avec les cabinets des ministres de la santé et de l'industrie.

M. Laurent Burgoa, président. - Est-ce que vous parlez de Monsieur Didier Jaffre quand vous mentionnez le directeur général de l'ARS ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Je vous le confirme.

Dans le cadre de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Nestlé Waters a répondu à un questionnaire sur le site de Vergèze. L'entreprise s'est engagée à retirer à moyen terme les barrières de protection comme les UV et le charbon actif. Un déplacement sur le site du directeur général de l'ARS Occitanie a été convenu. Dans un mail du 4 novembre adressé à Monsieur Jaffre, Monsieur Nicolas Bouvier du cabinet Brunswick indique que le plan de transformation a été présenté aux autorités nationales à l'été.

Le 12 décembre 2022, le directeur général de l'ARS m'a informé par mail de sa visite et m'a transmis le compte rendu qu'il avait adressé à la directrice de cabinet de la ministre déléguée en charge de l'organisation territoriale et des professions de santé. Il y confirmait l'utilisation de traitements interdits, relevant potentiellement d'une infraction à l'arrêté ministériel de 2007. Il mentionnait également la problématique de l'étiquetage des eaux minérales naturelles et le possible non-respect des dispositions du code de la consommation. Il demandait un positionnement national sur la microfiltration à 0,2 micron et proposait deux options pour les traitements par UV et charbon actif : un retrait immédiat ou une dérogation pour une période transitoire. Il était favorable aux deux dispositifs au titre de la seule sécurité sanitaire.

La position nationale a été formalisée par le compte rendu de la concertation interministérielle dématérialisée (CID) du 23 février 2023, transmis le 24 février par Nicolas Chantrenne alors directeur adjoint du cabinet du ministre en charge de l'industrie. Ce bleu du cabinet de la Première ministre autorisait la pratique de la microfiltration inférieure à 0,8 micron et demandait à la préfète du Gard et au directeur général de l'ARS Occitanie de définir une démarche d'accompagnement et de contrôle de l'eau aux différentes émergences dans le cadre du plan de transformation prévu par l'industriel.

À la suite de la réception de ce document, nous avons organisé une réunion avec Nestlé Waters, initialement prévue le 22 mars, puis reportée au 28 mars. Lors de cette réunion, l'entreprise a présenté son plan de transformation. Je n'ai pas retrouvé de compte rendu formalisé de cette réunion, mais j'ai les diaporamas présentés, que je peux faire transmettre par la préfecture si nécessaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons déjà ce document.

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - J'ai rendu compte de cette réunion à Mathilde Bouchardon, conseillère au cabinet du ministre de l'industrie. Il est intéressant de noter que le directeur général de l'ARS était davantage focalisé sur les aspects sanitaires, tandis que je me concentrais sur les enjeux industriels. Nous avons ainsi effectué une coordination interministérielle à notre niveau, travaillant de manière concertée.

J'ai transmis mon compte rendu à la conseillère du cabinet du ministre de l'industrie le 30 mars, puis j'ai transféré ce mail au directeur général de l'ARS. J'ai demandé à Nestlé Waters de nous fournir un véritable plan de transformation, car à l'époque, nous ne disposions que d'un diaporama de quatre pages. Nous avons finalement obtenu ce document le 27 avril 2023.

Concernant les délais, il est important de noter qu'ils ne sont pas uniquement dus aux procédures administratives, mais également à l'exploitant. En relisant les échanges, on peut penser que Nestlé Waters avait probablement des raisons de gagner du temps. Sans parler d'obstruction, tant que le dossier n'était pas déposé, nous ne pouvions pas l'instruire.

J'ai eu un échange avec la conseillère du cabinet qui pensait que Nestlé respectait déjà la norme de filtration définie par le bleu. J'ai corrigé cette impression et soulevé la question de la période transitoire. Elle m'a informé avoir reçu une demande de rendez-vous urgent de la part de la présidente de Nestlé Waters.

Nos relations avec le cabinet du ministre de l'industrie ont été plutôt fluides, même si elles n'étaient pas quotidiennes. La direction territoriale de l'ARS a reçu une présentation détaillée du plan de transformation le 2 juin 2023.

Nous avons poursuivi les réunions techniques, notamment le 26 juin, dont le compte rendu m'a été envoyé le 28 juin. Ce document mentionnait que Nestlé Waters avait rendez-vous le 29 juin avec la DGCCRF.

J'ai reçu un courrier de Nestlé Waters le 28 juin 2023 demandant l'autorisation de retirer les barrières de protection dans un délai de quinze jours, une réunion pour valider le calendrier, et mentionnant le contexte économique tendu.

J'ai présidé une réunion à la préfecture du Gard qui a conclu à la nécessité de revoir l'ensemble des autorisations préfectorales. J'ai signé le 28 juillet un projet de lettre proposé par l'ARS, qui reprenait les engagements de Nestlé Waters et demandait le dépôt des dossiers pour faire évoluer les arrêtés préfectoraux.

J'ai également fait un point sur les certificats d'exportation et réintroduit les attentes concernant la connaissance de l'hydrosystème, les deux aspects étant liés dans ce changement important.

En conclusion, je me permets de vous livrer quelques réflexions.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez toujours été une femme et une préfète libre.

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Dans ma situation actuelle, je peux m'exprimer sans conséquence. Je tiens à souligner qu'au niveau déconcentré de l'État, nous travaillons très bien avec tous les services, quel que soit leur statut. La particularité concernant l'eau, comme l'a expliqué Monsieur Jaffre, c'est que c'est une compétence du préfet de département et que les services sont mis à sa disposition.

Je rappelle qu'au moment de la réorganisation des services de l'État, la question s'était posée de savoir si les ingénieurs sanitaires allaient intégrer les directions départementales de la protection des populations (DDPP) ou rester dans ce qui allait devenir les ARS. Le choix a été fait de les laisser dans les ARS, et les services de l'État travaillent très bien entre eux. Les comptes rendus des réunions techniques montrent que d'autres services de l'État étaient associés et consultés.

Il est important de souligner qu'il n'y avait pas de divergence entre les positions des différents services sur ces sujets. J'ai beaucoup échangé avec Monsieur Jaffre et je tiens à réaffirmer que j'ai travaillé en toute confiance avec lui. C'est une nécessité, car nous n'avons pas les moyens dans les préfectures d'avoir des personnes pour suivre tous les dossiers. La confiance est essentielle et elle n'a jamais été trahie. Nous avons toujours échangé et partagé les informations.

Concernant mes décisions ou non-décisions, comme cela a été mentionné, nous avons découvert le dossier lorsque Nestlé Waters nous a informés.

J'ai pris le temps d'analyser la situation, car il était important de comprendre pourquoi nous avons agi différemment dans le Gard par rapport aux Vosges. La principale différence réside dans le fait que la découverte du problème a commencé beaucoup plus tôt dans les Vosges. Dans notre cas, nous sommes intervenus à la suite d'une information par Nestlé Waters. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'échanger à ce sujet avec ma collègue préfète des Vosges.

Pour ma part, j'ai découvert le sujet début novembre. Il apparaît clairement que les cabinets ministériels et les directions d'administration centrale étaient informés bien avant nous. Je regrette sincèrement de n'avoir jamais été en contact direct avec la DGS ou la DGCCRF. Si cette dernière avait insisté davantage auprès de nous sur l'importance de ce dossier, nous l'aurions probablement intégré différemment dans nos réflexions. Notre approche s'est principalement concentrée sur les aspects de sécurité sanitaire.

Il faut également noter que le bleu de la CID nous invitait à accompagner l'entreprise dans son plan de transformation. Je ne pouvais pas ignorer l'importance de Perrier à Vergèze, qui représente 1 000 emplois directs et bien plus d'emplois indirects, dans un département où le taux de chômage avoisinait les 10 %, contre 7,2 % au niveau national. Bien que consciente de l'existence du chantage à l'emploi, je ne pouvais pas écarter cet aspect de mes réflexions, d'autant plus que je n'avais pas identifié de danger sanitaire immédiat pour la population.

Je tiens à préciser que sans instruction écrite ministérielle et en l'absence de risque sanitaire avéré, je n'aurais pas pris l'initiative d'arrêter l'exploitation, d'autant qu'une partie importante de la production, qui subit des traitements non autorisés en France pour les eaux minérales naturelles, était destinée à l'exportation vers les États-Unis. Cette position était claire dans nos discussions avec le directeur général de l'ARS. Je pense que je n'avais pas pris conscience de la tromperie des consommateurs qui constitue un délit.

Avec le recul, je pense que j'aurais dû, après avoir reçu le bleu de Matignon, mettre en demeure l'entreprise de cesser l'utilisation des UV et des charbons actifs. Cela nous aurait donné une base juridique plus solide pour agir, notamment en vue d'une éventuelle saisine du procureur de la République dans le cadre de l'article 40 en cas de non-conformité persistante. C'est une erreur de ma part de ne pas y avoir pensé à l'époque.

Concernant les délais de révision des arrêtés préfectoraux, le processus est long et complexe. Il nécessite le dépôt d'un dossier complet par le porteur de projet, une pré-instruction, des passages en commissions, des avis à recueillir, etc. Ce dossier met en lumière la complexité des réglementations, parfois contradictoires, entre les normes sur l'eau minérale naturelle et celles sur la sécurité sanitaire.

Je m'interroge également sur les moyens dont dispose l'État déconcentré pour réaliser et analyser ces contrôles. Sans remettre en cause la compétence des ingénieurs et des services de l'État, je note que les ressources humaines sont limitées face à l'ampleur de la tâche. Par exemple, en Occitanie, nous disposions de seulement deux ingénieurs dans le Gard et neuf au niveau régional pour treize départements, couvrant tout l'éventail des problématiques liées à l'eau.

Enfin, je partage l'idée qu'il serait utile de réunir les préfets concernés par des sujets communs pour assurer une certaine cohésion et élaborer une stratégie commune de contrôle.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci beaucoup, Madame la préfète. Vous avez une fois de plus démontré votre franc-parler. Je vais maintenant laisser la parole à notre rapporteur

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me joins aux remerciements du président, car vous nous avez effectivement livré votre part de vérité avec beaucoup de détails, ce qui est très utile pour notre commission. J'ai néanmoins quelques questions complémentaires.

Si vous souhaitez apporter des précisions sur certains points, comme vous l'avez signalé, il vous est possible de nous répondre par écrit après vérification.

Vous nous avez précisé que c'est à votre demande qu'il a été mis fin à vos fonctions. Est-ce que cela avait un lien, de près ou de loin, avec la question qui nous occupe aujourd'hui ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Cette décision n'avait aucun lien avec l'objet de votre commission.

M. Laurent Burgoa, président. - Je peux le confirmer.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je souhaite revenir sur ce que vous appelez avec beaucoup de pudeur la « période transitoire ». Durant cette période, vos services et l'ARS étaient informés d'une fraude au consommateur, à savoir l'existence de traitements illégaux habituellement pratiqués sur l'eau du robinet, contraires à la réglementation sur les eaux minérales naturelles. Pourriez-vous nous expliquer plus en détail si vous avez envisagé l'application de l'article 40 ? Avez-vous discuté de cette possibilité avec vos services ou avec Monsieur Jaffre ? Par ailleurs, avez-vous eu connaissance de l'article 40 déposé dans le Grand Est, et si oui, à quel moment ? Je rappelle que l'article 40 a une portée générale : lorsqu'on est informé d'une fraude, on doit la signaler au procureur de la République.

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Au cours de ma carrière, j'ai effectivement eu recours à l'article 40 à plusieurs reprises, notamment pour des cas de fraude environnementale comme des décharges sauvages organisées. Dans ces situations, nous avions travaillé en collaboration avec le parquet de Marseille. Concernant le cas qui nous occupe aujourd'hui, je dois admettre que je n'ai pas souvenir d'avoir abordé la question de l'article 40, ce que je regrette. J'ai redécouvert récemment, en relisant la note de Monsieur Jaffre à la suite de sa visite du 29 novembre, qu'il avait mentionné la fraude envers les consommateurs.

Pour contextualiser, j'ai pris connaissance de cette affaire en novembre 2022. D'après ce que j'ai pu retracer, les administrations centrales étaient informées depuis l'été 2021. Une mission de l'IGAS avait été diligentée, et c'est à la suite de sa visite sur le site de Vergèze et des réponses de Nestlé Waters que la fraude a été mise en lumière.

Concernant mes échanges avec ma collègue des Vosges, nos discussions ont principalement porté sur la gestion de la situation avec Nestlé Waters, notamment face à leurs annonces de plan social. Dans le Gard, nous n'étions pas confrontés à cette problématique, ce qui a influencé ma décision de ne pas risquer la fermeture de l'usine en l'absence de risque sanitaire avéré.

Je reconnais que j'aurais dû déduire, après avoir reçu le bleu de Matignon autorisant la microfiltration, que les autres traitements étaient interdits. J'aurais alors dû mettre en demeure Nestlé Waters de cesser ces pratiques. Le directeur général de l'ARS et moi-même avions interrogé les ministères de l'industrie et de la santé sur cette période transitoire, mais en l'absence de réponse, j'aurais dû prendre mes responsabilités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En novembre 2022, étiez-vous au courant de l'illégalité de ces traitements ? Vous mentionnez que vous auriez dû le déduire du bleu de Matignon, mais je voudrais comprendre si vous en aviez effectivement connaissance à ce moment-là.

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Oui, j'étais au courant. La note que j'ai reçue des services était détaillée et mentionnait clairement ce point. Cependant, lors des échanges avec le directeur général de l'ARS Occitanie mi-décembre, la question de la période transitoire a été soulevée, proposant deux options : soit arrêter l'exploitation, soit accorder une période transitoire. Nous n'avons pas reçu de réponse à cette interrogation.

Je reconnais que j'aurais dû m'en inquiéter davantage. Cependant, il faut comprendre que nous gérions de nombreux dossiers simultanément. Sans relance des services, notamment de la direction territoriale de l'ARS qui a très bien suivi le dossier, il est facile de passer à d'autres sujets urgents. Je tiens à souligner que l'actualité était particulièrement intense, notamment avec les émeutes de 2023 et d'autres enjeux spécifiques au département du Gard, sans oublier une visite du président de la République.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui me questionne dans votre réponse, c'est que même a posteriori, vous semblez indiquer que vous n'auriez pas eu recours à l'article 40, mais plutôt à une mise en demeure. Cela m'interroge sur la culture administrative autour de cet article 40, qui est pourtant de portée générale et s'impose dès que les faits sont caractérisés. Ma question est donc la suivante : dans les notes de vos services, que ce soit de l'ARS ou d'autres, vous a-t-on à un moment proposé de recourir à l'article 40 ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Je n'ai pas retrouvé de trace écrite d'une telle proposition. Il est probable que nous en ayons discuté oralement, mais je ne peux l'affirmer avec certitude. Je tiens à préciser que ce n'est pas par méconnaissance de l'article 40, que j'ai utilisé dans d'autres situations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'essaie de comprendre pourquoi, face à une fraude au consommateur qui apparaît massive et prolongée - même si cette perception est peut-être influencée par la connaissance actuelle des trente ans de fraude - vous avez choisi de ne pas la révéler à la justice. C'est ce point précis qui m'interpelle. Pouvez-vous éclaircir ce choix ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Je comprends votre questionnement. Je pense qu'il y a peut-être un point d'amélioration à apporter dans les relations entre les administrations centrales et les services déconcentrés. Nous sommes assez éloignés des questions d'infractions au code de la consommation dans notre pratique quotidienne. J'ai peut-être eu des moments d'inattention en réécoutant l'audition de la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Elle a évoqué la mission de l'IGAS, en disant qu'elle attendait ses conclusions, et a mentionné les relations avec l'ARS, mais n'a pas évoqué la préfecture.

Les inspecteurs de la concurrence et de la consommation, qui effectuent un excellent travail, suivent des plans de contrôle définis au niveau national. On pourrait établir un parallèle avec les inspecteurs du travail qui disposent de pouvoirs propres, y compris celui de relever des infractions et de saisir le procureur, sans passer par la préfecture. Si parfois ils nous informent de problèmes potentiels, cela reste rare. J'ai eu une expérience similaire lorsque j'étais préfète de l'Allier, concernant Saint-Yorre, mais je ne me souviens pas précisément de la source de l'information.

Il est possible que nous en ayons discuté lors du compte rendu de la visite du 29 novembre, mais à l'époque, nous avions également à l'esprit l'importance de Perrier à Vergèze, qui représente environ 1 000 emplois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce point est crucial pour notre compréhension de la situation. Quand Nestlé nous décrit la situation à Vergèze, nous avons l'impression d'une activité florissante et des créations d'emplois. Ils ne nous ont jamais présenté une entreprise en danger. Ce qui m'interpelle, c'est qu'il existait une alternative à la fermeture, que vous avez d'ailleurs évoquée pour Maison Perrier : le déclassement des eaux minérales naturelles. Pourquoi l'État n'a-t-il pas envisagé cette option pour faire cesser l'infraction, sans pour autant arrêter la production ? Cela aurait simplement signifié que Perrier n'aurait plus eu le droit d'étiqueter son produit comme de l'eau minérale naturelle. Cette question du déclassement a-t-elle été envisagée avant que Nestlé ne la propose pour Maison Perrier ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Dans mes échanges avec Nestlé, la question d'un plan de sauvegarde de l'emploi n'a jamais été évoquée. À mon arrivée, Nestlé avait un plan d'investissement conséquent d'environ 200 millions d'euros, visant à doubler la production, bien qu'il ait été affecté par la crise sanitaire. Lorsque le problème de non-conformité des traitements a émergé, nous n'étions pas dans une logique de réduction d'emplois comme dans les Vosges, mais plutôt d'investissement pour consolider le site. En tant que préfète, face à l'infraction sur les traitements, j'ai constaté que la sécurité sanitaire n'était pas remise en cause, comme l'a souligné à plusieurs reprises le directeur général de l'ARS. Je tiens à préciser que si j'avais eu le moindre soupçon d'un risque avéré pour la santé des consommateurs, je n'aurais pas hésité à agir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avec le recul, pensez-vous que l'option du déclassement aurait dû être sérieusement envisagée pour mettre fin à l'infraction au droit du consommateur ? Cette mesure n'aurait pas empêché la poursuite de l'activité économique, mais aurait permis au consommateur de savoir exactement ce qu'il achète, reconnaissant la différence entre une eau traitée et une eau minérale naturelle, cette dernière étant vendue à un prix supérieur.

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Effectivement, avec le recul, j'aurais dû agir différemment. Après la réception du bleu de Matignon concernant la microfiltration inférieure à 0,8 micron, j'aurais dû officiellement signifier à Perrier que les autres dispositifs utilisés, à l'exception de ceux pour le marché américain représentant la moitié de la production, devaient être retirés. J'aurais dû les mettre en demeure. Selon les derniers échanges, notamment dans la lettre du 28 juin, ils affirmaient pouvoir effectuer ce retrait en quinze jours. Je reconnais avoir mal évalué la situation. Dès que nous avons eu la certitude de l'infraction début novembre, confirmée par le compte rendu du directeur général de l'ARS le 12 décembre, j'aurais dû agir. Si Perrier n'avait pas répondu aux injonctions, nous aurions peut-être eu recours à l'article 40.

Concernant le déclassement, nous en étions conscients puisque c'était en partie l'objet du plan de transformation. Les réunions visaient à les inciter à se mettre en conformité, notamment en modifiant l'arrêté préfectoral.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant la microfiltration à 0,2 micron, saviez-vous, à travers vos échanges avec l'administration centrale et l'ARS, que le seuil de 0,2 micron était contraire à la réglementation en vigueur fixant la limite à 0,8 micron ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Je pense que tout est dit dans le compte rendu du directeur général de l'ARS, à la suite de sa mission d'inspection du 29 novembre. En lisant entre les lignes, on comprend que l'existence des filtres était avérée. Nestlé Waters a également fait une demande à ce sujet auprès des cabinets ministériels, ce qui tend à confirmer leur utilisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous passons d'une irrégularité à une autre. Concernant cette nouvelle irrégularité liée aux filtres à 0,2 micron, êtes-vous consciente de l'écart entre la réglementation, les recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et la position de la DGS ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Quand le cabinet de la Première ministre me sollicite directement, je me conforme à ses instructions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est ce que je voulais vous entendre dire.

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Je tiens à réitérer que, compte tenu des connaissances dont nous disposions à ce moment-là, le directeur général de l'ARS a implicitement indiqué, je crois que c'est dans son mail du 12 décembre, qu'il préférait maintenir le dispositif en place pour des raisons de sécurité sanitaire. Notre priorité était la gestion de la sécurité des personnes et du risque sanitaire. Nous avons déjà dû fermer des restaurants et prendre d'autres mesures similaires en raison de problèmes de santé publique. Je ne minimise pas l'importance du manque d'information du consommateur, mais dans notre hiérarchisation des priorités, nous accordons naturellement plus d'attention aux alertes concernant des lots contaminés, nécessitant des destructions, qu'aux problèmes de désinformation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur ce volet, je souhaite vous apporter un éclairage supplémentaire, car nous avons effectivement pris en compte la question sanitaire. Ce qui nous a interpellés dans le Gard, c'est la différence avec ce qui s'est passé dans le Grand Est. Là-bas, lorsque les tromperies ont été révélées et que les dispositifs ont été remplacés par des systèmes de microfiltration moins efficaces, les autorités ont immédiatement mis en place un contrôle sanitaire renforcé. Dans votre cas, on est resté pendant une période assez longue sur de l'autocontrôle de l'industriel qui avait déjà triché. Cela nous interroge sur la prise en compte du risque de fraude chez un industriel qui, ayant déjà fraudé sur un aspect, pourrait le faire sur d'autres, d'autant plus qu'il a retiré des filtres à l'émergence.

Ce qui nous préoccupe d'un point de vue sanitaire, bien que le risque ne se soit pas matérialisé, c'est que l'État ait laissé à l'industriel la responsabilité de l'autocontrôle au lieu de mettre en place un contrôle renforcé comme dans le Grand Est. C'est une question que nous avons également soulevée avec l'ARS.

Concernant les délais, nous observons que lorsqu'il s'agit de Maison Perrier, le dossier avance très rapidement. L'industriel a obtenu l'autorisation d'exploiter Maison Perrier en quelques mois. En revanche, lorsqu'il s'agit de modifier l'arrêté préfectoral pour la filtration à 0,2 micron, alors qu'il y a un problème de légalité, une très longue période s'écoule. Je ne sais pas si cela appelle un commentaire de votre part, mais nous avons l'impression que lorsque l'industriel est volontaire, les choses vont très vite, et que lorsqu'il n'est pas pressé, il prend le temps qu'il veut pour régulariser sa situation.

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Votre observation est certainement juste. Lorsqu'il s'agit de faire évoluer une autorisation, nous ne disposons pas toujours des dossiers complets rapidement. Concernant la période entre mon départ et la prise de fonction de mon successeur, je ne suis pas en mesure de préciser le moment exact où les choses se sont faites. Il est vrai que la transformation était une priorité de Nestlé, mais c'était aussi pour nous un moyen de les maintenir sur Vergèze. Je pense que cela a peut-être été un des éléments déterminants. Il est généralement plus simple de déclasser que d'accorder de nouvelles autorisations. De plus, des interrogations persistent, notamment sur la capacité de la nappe à supporter des augmentations de production. C'est un point de vigilance que nous avons tous essayé de garder à l'esprit, en collaboration avec la DDTM, et qui restera d'actualité.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous visité le site de Perrier ? Avez-vous abordé ce sujet avec votre successeur ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - J'ai visité Perrier, comme de nombreuses entreprises du département, par exemple Sanofi ou encore le site de Marcoule. Par ailleurs, j'ai évoqué le cas de Perrier avec mon successeur, car c'est un dossier que j'ai traité personnellement et je m'attendais à ce qu'il y ait une suite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je souhaite vous demander une dernière précision concernant la fin de votre mandat dans le Gard. Vous nous avez dit tout à l'heure qu'à la suite du courrier du 28 juin, vous aviez présidé une réunion au cours de laquelle vous aviez constaté la nécessité de réviser tous les arrêtés préfectoraux. À quelle date cette réunion a-t-elle eu lieu et Nestlé était-il présent ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Nestlé était présent à cette réunion du 24 juillet, mais il y avait eu plusieurs réunions techniques auparavant, donc l'entreprise savait qu'elle devait déposer des dossiers de révision. L'ARS Occitanie m'a transmis la note qu'elle m'avait envoyée à l'issue de cette réunion retraçant la situation et le projet de réponse que j'ai signé le 28 juillet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Souhaitez porter des éléments à l'attention de la commission d'enquête sur la problématique des volumes prélevés ?

Mme Marie-Françoise Lecaillon. - Mon prédécesseur, Didier Lauga, avait signé un arrêté qui engageait Perrier à diminuer les volumes prélevés. Deux aspects étaient à considérer. Premièrement, concernant les types de prélèvements, nous avons d'une part les prélèvements d'eau minérale naturelle, dont nous venons de parler, et d'autre part les prélèvements d'eau non classifiée utilisée pour la gazéification. L'objectif était de réduire l'utilisation de l'eau pour gazéifier l'eau minérale naturelle et de privilégier la gazéification par des moyens industriels.

Par ailleurs, comme l'ensemble des entreprises du Gard, Perrier était assujettie aux restrictions des arrêtés sécheresse et donc à la diminution de ses prélèvements. L'unité interdépartementale de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) était chargée de veiller au respect de ces dispositions.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, Madame la préfète, pour cette audition franche et directe.

Audition de M. Yves Séguy, ancien préfet des Vosges
(Mercredi 19 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Yves Séguy, ancien préfet des Vosges.

Avant de vous passer la parole, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

M. Yves Séguy prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Nous poursuivons notre série d'auditions visant à analyser l'action des autorités à l'échelle locale en ce qui concerne les exploitants d'eaux minérales naturelles.

En tant que préfet des Vosges, vous avez suivi le début de la mise en oeuvre dans les Vosges du « plan de transformation » de Nestlé Waters qui consistait principalement à retirer les traitements interdits de ses eaux minérales naturelles par UV et filtres à charbon.

À quelle date vos services ont-ils eu connaissance de traitements non autorisés sur les eaux de marque Vittel « Grande Source », Hépar et Contrex ? Quelle a été votre réaction ?

Quel a été le rôle de la préfecture, sous votre autorité, dans le suivi de ce dossier très sensible ?

Quelles ont été vos interactions avec les autres services de l'État concernés, au niveau central, avec les cabinets ministériels de l'économie, de l'industrie ou de la santé, ou encore avec la direction générale de la santé (DGS) ou la direction générale de la consommation de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) et, au niveau local, avec l'Autorité régionale de santé (ARS) ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs envers un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : un propos liminaire de 15 à 20 minutes suivi d'un temps de questions-réponses avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

M. Yves Séguy, ancien préfet des Vosges. - Permettez-moi de commencer par quelques éléments de contexte concernant mes fonctions antérieures de préfet des Vosges. J'ai occupé ce poste du 23 novembre 2020 au 21 octobre 2022, une période marquée par la gestion de la crise sanitaire du Covid-19.

L'eau est un sujet majeur dans tous les départements, mais particulièrement dans les Vosges. Ce département voit naître trois rivières importantes : la Saône, la Moselle et la Meurthe. Il se situe sur deux bassins-versants, Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée. Paradoxalement, c'est le seul département qui connaît une zone de répartition des eaux sur le bassin Rhin-Meuse avec la nappe des Grès du Trias Inférieur (GTI).

Les activités de thermalisme sont également importantes dans les Vosges, avec Plombières-les-Bains, Bains-les-Bains, et bien sûr Vittel et Contrexéville. L'évolution de l'offre thermale nous a particulièrement mobilisés en 2021 et 2022. Le projet Vittel 2030 a présenté la stratégie portée par les acteurs du territoire, notamment face aux incertitudes concernant la présence du Club Med sur le site de Vittel.

La communauté de communes Terre d'Eau, qui accueille Vittel et Contrexéville, compte 18 000 habitants répartis sur 45 communes, avec une densité démographique de 43 habitants par kilomètre carré. Elle se situe en zone de revitalisation rurale, ce qui est important pour l'analyse des capacités du territoire.

Les activités de production d'eau minérale embouteillée constituent une activité importante et historique. L'histoire des eaux minérales à Contrexéville et à Vittel remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle, avec des dates clés en 1854 pour Vittel et 1861 pour Contrexéville. Les activités de mise en bouteille à Contrexéville ont débuté en 1908. En 1969, le groupe Nestlé est entré au capital de la Société Générale des Eaux Minérales de Vittel (SGEMV) à hauteur de 30 %, pour finalement l'acquérir entièrement en 1992.

Depuis 1992, Nestlé Waters a créé une filiale, Agrivair, chargée de la protection de la ressource en eau, de l'impluvium et des surfaces environnantes. Sur le plan économique, Nestlé Waters a compté jusqu'à 2 000 salariés dans les Vosges en 2005. Après le plan social de 2023, les effectifs se situent autour de 550 salariés.

En 2021, Nestlé Waters bénéficiait d'autorisations pour 65 forages, qui n'étaient pas tous exploités. Les trois gîtes hydrominéraux exploités permettent de prélever la qualité Hépar pour le gîte A, Vittel Grande Source et Contrex pour le gîte B, et Vittel Bonne Source pour le gîte C, cette dernière étant destinée notamment à l'exportation sur le marché allemand.

Les services de l'État mobilisés sur l'exploitation de la ressource en eau autour du préfet sont principalement la direction départementale des Territoires (DDT), la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), l'ARS et la direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP). Il existe également des organisations interservices à caractère opérationnel, co-présidées par le préfet et le procureur de la République, telles que la mission inter-services de l'eau et de la nature (MISEN) et le comité opérationnel départemental anti-fraude (CODAF).

À mon arrivée dans le département des Vosges, j'ai rapidement pris la mesure des points de vigilance existants à l'ouest du département, principalement liés au partage de la ressource en eau. Cette problématique, qui remonte aux années 1970, n'a cessé de s'accentuer au fil du temps. En 2004, un arrêté préfectoral a classé les cantons de l'ouest vosgien en zone de répartition des eaux, reconnaissant ainsi le déficit chronique de la nappe des GTI et renforçant le régime des autorisations de prélèvement.

Pour résoudre ce problème, les comités de bassin Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée ont inscrit dans leurs schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) la nécessité de mettre en place un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) sur le secteur des GTI. Le SAGE est un outil de concertation permettant de traiter les conflits d'usage dans le domaine de l'eau.

Il faut noter que plusieurs masses d'eau souterraines sont sollicitées sur ce vaste espace. Certaines parties de ces masses d'eau constituent les gîtes hydrominéraux A, B et C, exploités pour l'embouteillage d'eau minérale et le thermalisme. L'objectif principal de l'État dans le département est la régénération rapide de la nappe des GTI, la plus profonde, grâce à la maîtrise des prélèvements industriels, l'amélioration des rendements des réseaux d'adduction d'eau potable et les économies réalisées par les collectivités et les particuliers.

L'élaboration du SAGE fait suite à la création de la zone de répartition des eaux en 2004, couvrant l'essentiel de l'ouest du département. En 2009, le périmètre de la zone de répartition des eaux (ZRE) a été repris pour l'élaboration du SAGE, en y ajoutant le canton de Monthureux-sur-Saône. Le SDAGE Rhin-Meuse a rendu la réalisation du SAGE GTI obligatoire.

En 2010, la commission locale de l'eau (CLE) a été mise en place, initialement portée par l'association La Vigie de l'eau. Le projet d'élaboration du SAGE a débuté en 2011. La stratégie du SAGE, visant à combler le déficit par des économies d'eau et des mesures de substitution, a été validée par la CLE le 26 avril 2016. Le 1er janvier 2017, le conseil départemental des Vosges a pris en charge le portage de la CLE.

Le 3 juillet 2018, la CLE a décidé de saisir la commission nationale du débat public (CNDP) pour nommer un garant pour la concertation préalable sur le projet de SAGE GTI. Cette concertation s'est déroulée du 13 décembre 2018 au 20 février 2019. La proposition de construction d'un aqueduc a suscité de vives discussions avant d'être rejetée, l'avis du comité de bassin du 18 octobre 2019 ayant été déterminant dans ce renoncement.

En février 2020, un protocole d'engagement volontaire des acteurs publics et privés pour la restauration quantitative des aquifères du secteur de Vittel a été conclu. Ce document, préfigurant les contrats de territoire eau et climat proposés par l'Agence de l'eau Rhin-Meuse, a donné un nouvel élan à l'élaboration du SAGE et a impacté les documents d'urbanisme ou d'aménagement du territoire tels que le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ou le schéma départemental des carrières (SDC).

Le 6 juillet 2022, la CLE a adopté le projet de SAGE de la nappe des GTI visant à équilibrer les volumes prélevés avec la recharge naturelle. Le périmètre du SAGE, adopté le 16 avril 2021, couvre 190 communes de l'ouest du département des Vosges, comptant environ 60 000 habitants. L'alimentation en eau potable est assurée par une cinquantaine d'opérateurs. La CLE est perçue comme le parlement de l'eau sur le territoire et sa composition a été renouvelée par arrêté préfectoral du 29 septembre 2022.

Après une enquête publique du 10 janvier au 21 février 2023, le SAGE a été adopté par arrêté préfectoral le 28 juillet 2023, après 14 ans de travail, d'études et de concertation. Ce dispositif vise à rétablir l'équilibre de la nappe des GTI au plus tard en 2027, selon un calendrier défini dans le protocole d'engagement volontaire des acteurs publics et privés pour la restauration quantitative des aquifères du secteur de Vittel de février 2020.

Les étapes comprennent la poursuite de la baisse des prélèvements de Nestlé Waters, l'évolution des autorisations de prélèvements, l'amélioration des rendements des réseaux d'adduction d'eau potable et des travaux de sobriété chez les industriels. Il est prévu de réduire les prélèvements dans le gîte C d'un million de mètres3 par an par rapport à 2017, en substituant les ouvrages fragiles, en mobilisant davantage le gîte B et en mettant en place un plan d'économie d'eau pour tous les usages.

Je tiens à rappeler qu'au-delà des objectifs de retour à l'équilibre de la nappe des GTI, la constitution d'un observatoire hydrogéologique des gîtes A, B et C a été actée. Cet observatoire, placé sous le pilotage de la CLE, est chargé de suivre notamment les pressions et les niveaux piézométriques.

En 2021, une commission d'enquête parlementaire, présidée par Madame Mathilde Panot, s'est penchée sur la mainmise des intérêts privés sur la ressource en eau et ses conséquences. J'ai eu l'occasion d'apporter mon éclairage à cette commission. Dans ce cadre, nous avons évoqué la problématique des décharges plastiques découvertes sur le territoire des communes de They-sous-Montfort et Saint-Ouen-lès-Parey. Cette situation fait actuellement l'objet d'une enquête judiciaire.

Conformément à l'article 4 du protocole d'engagement de 2020, j'ai traité la demande de Nestlé Waters visant à réaménager leurs autorisations de prélèvement. Cette demande impliquait une diminution de 500 000 mètressur le gîte C, couplée à une demande de prélèvement dans le gîte B pour sécuriser la production et rationaliser les points de prélèvement.

Il est important de noter que les forages A et B ont été autorisés au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) à la suite des constats effectués en 2016 par l'administration précédente. À l'époque, neuf ouvrages exploités par Nestlé Waters ont été soumis à une nouvelle procédure au titre de la loi sur l'eau. Deux de ces ouvrages prélevaient plus de 900 000 mètrespar an dans le gîte A, les sept autres prélevant plus de 200 000 mètrespar an dans le gîte B. Nestlé Waters a mis en avant le principe d'antériorité d'usage au sens de la loi sur l'eau de 1992, position controversée qui a donné lieu à des éléments pris en compte par la justice dans le cadre de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) conclue par le procureur de la République d'Épinal.

Nestlé Waters a déposé en 2019 une demande de modification environnementale, qui a été retirée à la suite d'un changement de réglementation. En avril 2021, j'ai informé le pétitionnaire que cette autorisation était soumise à évaluation environnementale. Par conséquent, Nestlé Waters a rapidement envisagé de déposer une nouvelle demande, soumise à enquête publique, passage en conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CoDERST), et à une expertise technique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

J'ai signé les nouveaux arrêtés pour les gîtes A et B le 19 octobre 2022, au terme d'une procédure démarrée en décembre 2021. Ces autorisations se sont faites à volume constant, avec des dispositions spécifiques. Pour le gîte A, le total des prélèvements autorisés est de 902 000 mètrespar an pour neuf forages. Pour le gîte B, il est de 1 700 000 mètrespar an pour 19 forages. Pour mémoire, les volumes prélevés sur le gîte A s'élevaient à 753 000 mètreset à 1 274 000 mètressur le gîte B.

Ces nouvelles autorisations visent à rationaliser l'exploitation des eaux souterraines dans les bassins de Contrexéville et Vittel, tout en facilitant le suivi et les contrôles. L'exploitant dispose désormais d'une autorisation par gîte, avec un volume maximum défini par ouvrage. Des dispositions ont été prises pour garantir une gestion équilibrée de la ressource en eau, préserver l'environnement et prendre en compte les effets du changement climatique. Les volumes autorisés sont notamment définis mensuellement et deux périodes ont été identifiées afin de tenir compte de l'étiage, Nestlé Waters devant proposer aux services de l'État un protocole de réalisation d'un inventaire complet des zones humides et des haies du périmètre des communes concernées par les ouvrages de prélèvement. Enfin, les arrêtés prévoient un réexamen complet du dossier, notamment de l'évaluation des impacts sur la base de données collectées au plus tard le 31 décembre 2032.

Parallèlement à ces démarches, la problématique de la qualité de l'eau commercialisée est apparue par surprise. J'ai été informé verbalement des traitements non autorisés par les représentants de l'ARS Grand Est début juin 2022. Lors de cette réunion, l'ARS m'a présenté l'historique des traitements diligentés à la demande de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ainsi que les écarts observés liés à des traitements non autorisés et dissimulés. Ces traitements concernaient principalement des filtres à charbon actif et des lampes UV sur plusieurs émergences. L'ARS m'a par ailleurs informé qu'elle poursuivait des réunions techniques associant ses inspecteurs et Nestlé Waters à la mi-juin 2022, avant même de conclure le rapport définitif transmis à l'IGAS. Ces documents ne m'ont jamais été communiqués au préalable.

Après avoir été profondément surpris par ces constats, et même déconcerté au regard de la qualité du travail mené en amont et de la qualité des relations entretenues avec les responsables de Nestlé Waters, j'ai cherché à savoir si la qualité alimentaire des eaux commercialisées était en cause. L'ARS m'a assuré qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'était à signaler.

Sur l'article 40, la directrice générale de l'ARS, qui bénéficie d'une délégation de mission et de signature, a échangé avec moi à plusieurs reprises en juin 2022 sur ces éléments. Sa note du 27 juin 2022, adressée au cabinet du ministre de la Santé, au directeur général de la santé et au chef de l'inspection générale des affaires sociales, fait clairement référence à nos échanges et confirme que j'ai été informé de l'ensemble des éléments issus du contrôle de l'ARS, y compris des éventuelles suites judiciaires, et que je soutenais les analyses de l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie, Monsieur le préfet, d'être parmi nous. Vous avez été préfet des Vosges du 23 novembre 2020 au 5 octobre 2022, sur une période qui nous intéresse particulièrement.

Vous avez évoqué le rapport de l'Igas, mais pas la réunion qui a lieu au cabinet du ministre de l'Industrie le 31 août 2021. Avez-vous été informé de cette réunion ou est-ce que vous avez reçu les premiers éléments d'information en juin 2022 ?

M. Yves Séguy. - Je n'ai pas été informé de cette réunion, je n'ai appris la situation qu'en juin 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'inspection de l'ARS sur le site a eu lieu le 6 avril 2022, mais vous n'avez été informé qu'au mois de juin. Est-ce que ce délai vous semble normal ? À quelle date précise avez-vous été informé ?

M. Yves Séguy. - J'assume par définition, au regard des fonctions qui sont les miennes, un certain nombre de responsabilités. Quand j'accorde une délégation, j'attends retour d'information. Au regard de la sensibilité de cette affaire et compte tenu de la mission commandée par l'IGAS à l'ARS, je n'ai pas été avisé sur l'instant de ce qui se passait, ni des premiers retours. Je ne l'ai été que quelques semaines après.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est le rapport avec la mission de l'IGAS ?

M. Yves Séguy. - L'ARS répondait à la demande de l'IGAS. J'aurais préféré l'apprendre plus tôt, mais l'affaire était suffisamment importante et sérieuse pour que j'en prenne acte sans m'émouvoir de ce retard d'information auprès de la directrice générale de l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci beaucoup pour cette précision. Quelles suites avez-vous données à cette inspection et à la présentation par Nestlé de son plan de transformation ?

M. Yves Séguy. - L'ARS m'informe en juin que Nestlé doit rapidement prendre des mesures et nous convenons que les équipes de l'ARS suivront la mise en oeuvre du plan de transformation de l'industriel. Nous convenons également de suivre ensemble l'évolution de la situation et d'examiner quelles suites y donner, notamment sur le plan judiciaire.

À la fin de l'été, après la période des vacances où il est difficile de joindre les uns les autres, je discute de l'affaire avec le procureur de la République. Vous avez compris dans mon propos liminaire que les relations entre un préfet et un procureur de la République sont fréquentes. Selon les périodes, nous nous voyons chaque semaine, notamment pour suivre des questions de sécurité.

Nous convenons la directrice générale de l'ARS, le procureur et moi-même de nous revoir rapidement pour préciser notre perception de la situation. En septembre 2022, je convie donc à une réunion, en préfecture le procureur, la directrice générale de l'ARS et des représentants de la DDT et de la DDETSPP. Le secrétaire général de la préfecture et le sous-préfet de Neufchâteau y participent également. Il y avait enfin des représentants de tous les services concernés par cette affaire qui nous heurtait, notamment de la gendarmerie. Le procureur prend l'avis des inspecteurs ayant procédé aux contrôles et des spécialistes des questions d'eau. Nous convenons des modalités que va mettre en place la directrice générale de l'ARS pour porter à sa connaissance, par écrit, tous les éléments utiles pour qu'il analyse en profondeur la situation, ce qui a abouti à la saisie quelques semaines plus tard de la DGCCRF.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, le rapport provisoire établi par l'ARS est transmis à Nestlé le 29 avril et vous n'avez pas connaissance de son existence. Est-ce que le rapport définitif du 1er juillet vous a été adressé ?

M. Yves Séguy. - Ce rapport ne m'a pas été communiqué. Il a suivi un cheminement direct entre l'ARS et son commanditaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce normal ?

M. Yves Séguy. - Même si je pouvais comprendre l'extrême sensibilité de l'affaire, être informé m'aurait paru utile, nécessaire et même indispensable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie. Pour poursuivre sur la question de l'article 40, nous sommes dans une situation différente de celle du Gard où les autorités n'ont pas jugé opportun de procéder à un article 40. Pourquoi, dans les Vosges, cette procédure a-t-elle été lancée et pourquoi la préfecture ne s'est-elle pas associée à cet article 40 ? Est-ce que l'article 40 était pour vous une évidence ?

M. Yves Séguy. - Au regard de l'importance des faits signalés, des éléments réunis, des responsabilités et des fonctions qu'exerce un préfet, je ne pouvais agir différemment. Étant chargé du respect des lois, du contrôle de légalité et de la défense des intérêts nationaux, il m'était impossible de rester inactif. Les modalités pratiques ont été définies lors de cette réunion, en totale solidarité avec le procureur. Nous avons convenu que la directrice générale de l'établissement public administratif, en charge des missions d'inspection, pouvait rédiger un rapport. Deux options s'offraient à elle : soit m'envoyer un rapport que je transmettais au procureur de la République en indiquant : « Monsieur le procureur, voici les éléments que vient de me faire parvenir la directrice générale de l'ARS, je crois utile de vous en saisir », soit, comme convenu lors de notre réunion de coordination, lui adresser directement les éléments. Dans son article 40, la directrice générale de l'ARS fait référence à cette réunion du 21 septembre et me met en copie du texte envoyé au procureur de la République.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous que des autorités analogues, placées dans une situation similaire, aient réagi de manière très différente et qu'il ait fallu attendre cette commission d'enquête pour que les faits soient instruits par la justice ? Considérez-vous qu'il existe un problème de culture administrative concernant l'article 40 ? Comment avez-vous observé ce sujet tout au long de votre carrière ? C'est un point particulièrement important pour cette commission, car nous constatons que des services se renvoient la responsabilité d'un article qui, pour nous, a une portée générale et oblige chaque serviteur de l'État, du préfet au ministre, de l'agent d'inspection jusqu'au sommet de la hiérarchie administrative et politique.

M. Yves Séguy. - J'ajoute que parmi les autorités visées par l'article 40, il y a aussi les élus et les parlementaires.

Je n'ai ni les qualités ni la responsabilité d'apprécier l'action de mes collègues. Je ne connais pas les éléments dont ils disposaient pour prendre position de telle ou telle manière.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour aller dans le sens de notre rapporteur, je pense qu'il cherche à savoir si votre administration centrale vous sensibilise à la procédure de l'article 40 ?

M. Yves Séguy. - Je n'ai pas de statistiques précises, mais en tant que préfet, je signe de nombreux articles 40 chaque année et j'imagine que mes collègues font de même. Ces articles 40 portent sur divers sujets et font partie de la gestion administrative courante. C'est un acte que nous assumons tous.

Au regard des informations portées à ma connaissance, de la qualité des relations et de la confiance établies avec la direction générale de Nestlé Waters, notamment sur toutes les procédures administratives que nous menions en régularisation et en adaptation dans le droit fil du protocole de 2020, il me paraissait inconcevable de ne pas réagir. En droit, en responsabilité et en conscience, je ne pouvais faire autrement que de signaler ces faits au procureur de la République. Je ne peux pas à la fois me charger quotidiennement d'un certain nombre de missions de police, de respect des textes et des lois, et ne pas intervenir sur de tels manquements, pour des faits qui ont été dissimulés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous donnons quitus de votre action. Cette commission observe qu'il semble y avoir un problème culturel sur l'article 40 et son utilisation. Avez-vous le même sentiment et avez-vous rencontré les difficultés que nous constatons ?

M. Yves Séguy. - Non, je n'ai pas rencontré ce type de difficulté. Quand le ministre de l'Intérieur estime qu'il y a des difficultés, il nous rappelle que nous pouvons agir au moyen de l'article 40. Cela fait partie de nos modes opératoires, il suffit d'appliquer le droit. Encore faut-il avoir les éléments de perception et d'analyse pour pouvoir aboutir à ce type de démarche.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu un échange avec la préfète du Gard sur l'article 40 ?

M. Yves Séguy. - Nous n'avons pas échangé. En toute sincérité, je n'avais pas connaissance, dans le détail, de ce qu'elle pouvait rencontrer, sauf à lire dans la presse les difficultés de la source Perrier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été associé à la CJIP conclut le 10 septembre 2024 entre Nestlé Waters et le parquet d'Épinal ? Si votre réponse est positive, la préfecture l'est-elle encore, d'une manière ou d'une autre ?

M. Yves Séguy. - Cette question devrait plutôt être posée à ma successeure. Lorsque j'étais en fonction dans les Vosges, j'ai évidemment travaillé avec le procureur de la République. Il connaissait mon sentiment sur cette affaire, mais je n'ai pas été associé au travail qu'il a mené.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez dit à plusieurs reprises que vous avez été affecté par la duplicité de l'industriel. Sur les enjeux économiques, dans une note du 27 juin 2022 transmise au directeur général de la santé, la directrice générale de l'ARS évoque la crainte d'un éventuel désengagement de Nestlé Waters des sources vosgiennes et que la décision administrative de retirer les traitements soit le prétexte à une restructuration économique déjà planifiée aux conséquences sociales dramatiques pour le territoire.

Est-ce que Nestlé vous a fait part d'un éventuel désengagement ? Est-ce que la question économique a été mise en balance dans les décisions que vous étiez amené à prendre.

M. Yves Séguy. - Mon métier implique de concilier différents intérêts et de rechercher l'intérêt général.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est ni une question-piège ni un reproche. Vous avez le droit de parler avec des industriels. L'objectif est de comprendre comment se prennent les décisions.

M. Yves Séguy. - Je ne peux évidemment pas occulter les questions économiques, même si elles ne supplantent pas les enjeux sanitaires et environnementaux. Dans mes fonctions, j'entretiens naturellement des relations avec les acteurs économiques du territoire. Concernant la situation de Vittel en 2022, j'étais initialement plus impliqué sur les enjeux liés à la pérennité du thermalisme et du patrimoine thermal. Cela a motivé l'intervention de nombreuses collectivités territoriales, de la région, du département et de la Banque des Territoires, dans le cadre du plan Vittel 2030 porté par les élus locaux.

Les difficultés de Nestlé-Waters étaient connues depuis plusieurs mois : perte du marché allemand, perte du marché russe à la suite du conflit en Ukraine, hausse des coûts énergétiques. Cela a entraîné une baisse notable de l'activité et une dégradation des résultats. Les informations que je recevais de la Banque de France et de la direction des finances publiques laissaient présager un nouveau plan social, ce qui s'est effectivement produit.

J'ai informé les cabinets ministériels de ma lecture de la situation par une note d'opportunité, qui englobait l'ensemble des difficultés mentionnées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie. Pouvez-vous transmettre cette note à notre commission d'enquête ?

M. Yves Séguy. - Je ne l'ai pas en ma possession, mais la préfecture pourra certainement vous la communiquer.

M. Khalifé Khalifé. - Entre 2020 et 2022, en raison de la gestion du Covid, les préfets se sont rapprochés des ARS, établissant des relations très étroites. J'ai pu l'observer dans d'autres territoires. Trouvez-vous anormal de ne pas avoir été informé de ces différentes réunions et points de situation ? Est-il possible que le préfet de région ait été avisé à votre place ?

M. Yves Séguy. - Avant d'être préfet des Vosges, j'étais secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin, préfecture de région. Je connaissais bien la situation, le Grand Est ayant été durement touché par le Covid. Vous avez raison de rappeler qu'à cette période difficile, nous avions des contacts quotidiens avec l'ARS. Je connaissais particulièrement bien la directrice générale adjointe, devenue par la suite directrice générale de l'ARS. Nous entretenons toujours des relations de qualité.

Je ne pense pas que la préfète de région ait été informée alors que je ne l'étais pas. Nous travaillions ensemble depuis longtemps, j'ai été son premier collaborateur, et elle n'avait pas non plus cette information. Les préfets de région, dans l'organisation actuelle des grandes régions, réunissent presque chaque semaine les préfets de département, notamment grâce à la visioconférence. La qualité des échanges est réelle et importante. Si l'un d'entre nous avait eu connaissance de la situation, nous en aurions discuté, car nous étions tous concernés par cette affaire.

M. Khalifé Khalifé. - Connaissant le contexte et la préfète, cela m'aurait étonné, mais il était important de le préciser pour le rapport.

M. Hervé Gillé. - Certains préfets ont effectivement eu des relations renforcées avec les ARS pendant la crise sanitaire, mais elles étaient parfois compliquées. Cela a d'ailleurs été critiqué pendant la crise, car les ARS n'étant pas sous autorité préfectorale, la coordination variait selon les régions. Je suppose que ce n'était pas votre cas. Cela pourrait affecter les relations normales qu'un préfet devrait avoir avec les ARS, compte tenu de la situation. Vous connaissez le débat actuel sur l'éventuel placement des ARS sous l'autorité des préfets, ce qui simplifierait la gestion des dossiers. Quel est votre point de vue sur ce débat ?

Par ailleurs, j'ai été surpris par les échanges verbaux que vous avez eus avec l'ARS. Cela suggère-t-il qu'il y a eu un évitement des confirmations écrites, et que ces informations confidentielles ne pouvaient pas être consignées par écrit ? Pouvez-vous confirmer mon interprétation ? Cela impliquerait une forme de traitement particulier de cette situation pour éviter d'éventuels dégâts collatéraux ou une transparence potentiellement préjudiciable.

Enfin, pourriez-vous résumer votre introduction concernant les SAGE et les différentes mesures relatives aux nappes phréatiques ? J'ai cru comprendre qu'il y avait un dépassement problématique en termes de prélèvement, puis des problèmes de qualité, avec des procédures longues à mettre en place. Les SAGE sont-ils bien en place pour les nappes faisant l'objet de prélèvements ? Quelles ont été les conséquences des décisions ou non-décisions prises en la matière ?

M. Yves Séguy. - À ma connaissance, il n'y a qu'un seul SAGE qui porte sur la nappe des GTI. C'est la seule nappe qui, selon les experts, était en déséquilibre.

Mon travail initial dans le département était axé sur la mise en oeuvre des travaux antérieurs et d'apporter ma contribution à l'amélioration de la gestion quantitative de l'eau. L'approbation du SAGE a pris 14 ans, principalement en raison de la nécessité d'expliquer sur ce territoire rural que l'eau est une ressource rare et vulnérable, malgré son apparente abondance.

Les échanges oraux avec l'ARS ne cachaient rien. Il s'agissait probablement d'une volonté de discrétion, peut-être exacerbée par l'importance de la situation découverte, qui nous paraissait invraisemblable compte tenu de l'envergure de l'opérateur concerné. C'est d'ailleurs peut-être pour cette raison que la directrice générale de l'ARS a décidé de remettre au procureur le rapport détaillé de l'action de ses services.

Quant à l'autorité du préfet sur les ARS, en cas de crise majeure comme celle du Covid, les textes permettent désormais au préfet d'assurer l'unité de commandement et de responsabilité. Pour d'autres situations, c'est un sujet qui mérite réflexion, notamment en matière de santé environnementale ou de santé mentale. Il y a certainement des marges de progrès dans notre relation avec l'ARS pour bâtir une action publique plus efficace.

Enfin, j'entretiens de bonnes relations avec l'ARS.

M. Hervé Gillé. - Regrettez-vous de ne pas avoir vous-même déclenché l'article 40 plus tôt ?

M. Yves Séguy. - Je ne le regrette pas. L'article 40 stipule que le signalement doit être effectué « sans délai », mais cela ne signifie pas « dans la précipitation ». Les relations avec le procureur sont étroites et basées sur la confiance et le partage des responsabilités. Au moment où j'échange avec lui, je ne dispose que d'éléments de synthèse assez sommaires. C'est ce travail d'approfondissement que nous avons fourni lors de la réunion en préfecture. Je souhaitais que tous les acteurs soient présents, non pas pour cacher des éléments, mais pour que chacun mesure le degré de responsabilité et le travail restant à accomplir. Cela signifiait également que les sites en question étaient désormais sous très haute surveillance.

Mme Marie-Lise Housseau. - Votre exposé chronologique était très détaillé et clair. Il corrobore parfaitement les témoignages des deux maires que nous avons auditionnés, Messieurs Luc Gerecke et Franck Perry. Ils nous ont confirmé que les gîtes A et B n'étaient pas déficitaires, contrairement au gîte C, et ont évoqué le projet de pipeline qui a été abandonné au profit du SAGE et d'un observatoire. Ils nous ont également informés qu'une CJIP leur avait été proposée et que la préfète des Vosges était venue avec le procureur pour en expliquer les avantages, notamment l'exonération de poursuites judiciaires en échange d'une indemnisation. Cependant, lorsque j'ai interrogé la préfète à ce sujet, elle a affirmé découvrir ce qu'était une CJIP et que l'initiative venait du procureur. Étant donné que vous avez travaillé avec le procureur, pouvez-vous nous éclairer sur cette proposition qui semble avantager Nestlé Waters ? Était-elle uniquement à l'initiative du procureur ou quelqu'un d'autre a-t-il pu lui suggérer cette idée ?

M. Yves Séguy. - Je vous assure que je n'ai rien suggéré au procureur. C'est son domaine de responsabilité directe et je ne me serais pas permis d'intervenir. Je ne sais pas si quelqu'un d'autre est intervenu.

En examinant la CJIP, on constate qu'elle comprend à la fois une pénalité, un investissement dans des actions de renaturation et un soutien financier à l'observatoire. Cela semble offrir davantage de moyens d'action et de transparence. Quant à savoir si c'est suffisant, cela dépasse mon cadre d'intervention. J'observe que les CJIP sont de plus en plus utilisées dans les contentieux environnementaux.

Concernant les propos des élus, il est possible qu'ils aient fait un raccourci ou une confusion, peut-être en évoquant le pilotage de la convention de revitalisation.

Mme Marie-Lise Housseau. - Ils ont mentionné les indemnisations. La présidente de la CLE a également indiqué qu'elle attendait 30 000 euros dans le cadre de cette CJIP. Je constate que les sommes mentionnées semblent relativement modestes comparées aux conséquences potentielles d'une condamnation judiciaire et de poursuites pénales.

M. Yves Séguy. - Je ne commenterai pas une décision de justice. Je prends acte qu'elle a été validée par ordonnance du président du tribunal judiciaire d'Épinal. Nous verrons si toutes les actions prévues dans la CJIP, qui font l'objet d'un contrôle de l'Office français de la biodiversité, se concrétiseront.

Mme Antoinette Guhl. - Je vous remercie pour toutes vos réponses. Considérez-vous qu'une fraude estimée à 3 milliards d'euros a été suffisamment sanctionnée par une amende de 2 millions d'euros ?

M. Yves Séguy. - En tant que préfet, je ne peux pas commenter une décision de justice.

L'assiette calculée pour évaluer la fraude caractérisée repose sur une analyse juridique qui a été débattue. Comme je l'ai mentionné dans mon propos liminaire, il s'agissait de déterminer s'il fallait appliquer le principe d'antériorité à de nombreux forages préexistants. Nous sommes face à une affaire qui s'étend sur une très longue période, avec des forages quasiment historiques. De mémoire, le calcul repris par le procureur quantifie les chiffres d'affaires réalisés par la société et je crois que la pénalité était plafonnée à 30 % de ces chiffres d'affaires. Le procureur a respecté les règles et je pense qu'il a agi en droit, et non en opportunité.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez bien précisé qu'il s'agit d'un plafond et non d'un plancher. Les 2 millions d'euros d'amende ne représentent clairement pas 30 % du chiffre d'affaires, il est très en dessous de ce plafond.

M. Laurent Burgoa, président. - En tant que préfet des Vosges, avez-vous visité les sites industriels de Nestlé ?

M. Yves Séguy. - Je l'ai fait, comme je le fais encore aujourd'hui, notamment pour aller à la rencontre des acteurs économiques qui sont importants pour le territoire.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez une certaine expérience, vous avez occupé divers postes dans la fonction préfectorale. Vous avez évoqué vos relations avec l'ARS. Est-ce que les préfets de région devraient signer les arrêtés d'autorisation de prélèvement des minéraliers en lieu et place des préfets de département puisque les ARS sont régionales ?

M. Yves Séguy. - Il existe un lien juridique appelé délégation, qui est contrôlé et contrôlable. Je ne suis pas certain que la volonté du Gouvernement soit de remettre en question ce lien étroit avec le territoire. Les responsabilités exercées au plus près des territoires, en l'occurrence par les préfets de département, me semblent devoir être maintenues. Elles sont parfaitement reconnues et assumées. Le fait que nous disposions de services de niveau régional, voire d'autres services parfois à compétences interdépartementales, n'y change rien. L'offre d'expertise est à géométrie variable pour les ARS régionales, avec une déclinaison départementale. Elle fait l'objet d'échanges réguliers, comme on pourrait le faire avec n'importe quel autre prestataire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons auditionné un responsable d'association, Monsieur Schmitt, qui nous a déclaré sous serment avoir été menacé chez lui, je crois même par un fonctionnaire de police. Avez-vous eu connaissance de ces menaces ? Par ailleurs, Monsieur Schmitt a fait état d'un climat de tension très élevé, ce qui nous a été confirmé par les élus, bien que dans des termes différents. Que pouvez-vous nous en dire ? Avez-vous été informé de la situation de Monsieur Schmitt ? Pouvez-vous nous parler du climat qui règne autour de la question de l'eau et des ressources dans le département des Vosges ?

M. Yves Séguy. - L'exploitation des eaux minérales dans l'ouest du département des Vosges est une question centrale depuis près de 150 ans. L'eau représente un axe d'émancipation et de développement du territoire. Le rapport à l'eau est perçu avec un niveau affectif et passionnel extrêmement fort. C'est un aspect culturel. Cette passion a d'ailleurs été soulignée dans le rapport de la Commission nationale du débat public, qui mentionne que l'intensité des débats a entravé le partage d'informations et l'échange d'arguments.

Le commissaire enquêteur chargé de la préparation des arrêtés de réorganisation des forages a également noté dans son rapport le peu d'observations enregistrées malgré une forte mobilisation du territoire.

Il est évident que c'est un sujet qui divise, d'où la nécessité d'apaiser la situation. On ne peut avancer que de manière apaisée, en expliquant les enjeux. C'est ce à quoi je me suis efforcé, et d'autres poursuivent certainement dans cette voie.

Je crois fermement aux capacités de développement durable. Il ne faut pas sanctuariser un territoire, aussi sensible soit-il. Il faut respecter la ruralité et ceux qui veulent continuer à y travailler et à vivre de leur travail, y compris en rapport avec l'eau. L'essentiel est d'être capable de gérer la ressource en respectant les potentialités qu'elle permet d'exploiter. C'est un débat qu'il faut mener avec force et conviction, car toutes les parties ne sont pas nécessairement disposées à l'entendre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu connaissance de menaces ?

M. Yves Séguy. - Je n'ai pas été informé des difficultés rencontrées par la personne que vous avez mentionnée. En revanche, lors des réunions publiques, j'ai veillé à ce que les forces de l'ordre soient à proximité pour calmer les esprits si nécessaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie pour cette audition qui a permis d'éclairer notre commission d'enquête.

Audition de M. Thomas Breton, sous-directeur du contentieux
à la direction des affaires juridiques des ministères sociaux
(Mercredi 19 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle avec celle de Thomas Breton, sous-directeur du contentieux à la direction des affaires juridiques des ministères sociaux.

Avant de vous passer la parole, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

M. Thomas Breton prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Pour les internautes qui suivent cette audition en direct sur le site du Sénat, je rappelle que le Sénat a constitué le 20 novembre dernier une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Cette commission fait suite aux révélations de plusieurs médias au début de l'année 2024 concernant des pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, notamment le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre objectif est de faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur la façon dont a été gérée juridiquement la révélation des fraudes de Nestlé Waters, et notamment la question du recours, ou du non-recours, au signalement au titre de l'article 40 du Code de procédure pénale.

Lorsque Jérôme Salomon, directeur général de la santé à l'époque, demande conseil en octobre 2021 à la direction des affaires juridiques du ministère sur la pertinence d'un signalement au titre de l'article 40, pourquoi avez-vous renvoyé cette responsabilité vers la DGCCRF ou des services déconcentrés ?

Pourquoi ne vous êtes-vous pas prononcé sur l'opportunité de mesures administratives telles que la mise en demeure ou la suspension de l'exploitation ?

Pourquoi, par la suite, la direction des affaires juridiques du ministère a-t-elle aussi peu encouragé Virginie Cayré, alors directrice de l'ARS Grand Est, à procéder à un signalement au titre de l'article 40, ce qu'elle a fait malgré tout ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : un propos liminaire de 15 à 20 minutes suivi d'un temps de questions-réponses avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

M. Thomas Breton, sous-directeur du contentieux à la direction des affaires juridiques des ministères sociaux. - J'occupe les fonctions de sous-directeur du contentieux de la direction des affaires juridiques depuis le 1er mai 2021, date de réorganisation de cette direction. J'ai été amené à travailler sur le sujet qui occupe votre commission d'enquête à quatre moments distincts : le 13 octobre 2021, au mois de juillet 2022, brièvement en septembre/octobre 2022 et enfin en mars/avril 2023.

Concernant le 13 octobre 2021, mon directeur Charles Touboul, que vous auditionnerez demain matin, m'a transmis en milieu de matinée un message qu'il avait reçu quelques minutes plus tôt de Jérôme Salomon, alors directeur général de la santé. Le titre de ce message était « Possibles infractions à la réglementation relative aux eaux minérales naturelles conditionnées par Nestlé Waters ». Ma sous-direction a travaillé en échangeant avec la DGS. Nous avons fait un point avec Charles Touboul en milieu d'après-midi et, en fin d'après-midi, je lui ai transmis des éléments de réponse que j'ai moi-même envoyés à Jérôme Salomon à 20 h 20.

En résumé, la DAJ des ministères sociaux a estimé ce 13 octobre 2021 qu'il fallait diligenter une enquête administrative, qui serait confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). En revanche, un signalement au procureur de la République par les services du ministère chargé de la santé n'apparaissait pas pertinent à ce moment-là, pour deux raisons principales : Nestlé Waters s'était auto-incriminée et surtout le domaine des infractions concernait peu le ministère de la santé. Nous nous sommes prononcés au vu des pièces dont nous avons été saisis, les directions des affaires juridiques de tous les ministères étant des directions de support qui répondent aux directions métiers, aux services déconcentrés ou aux établissements publics qui les saisissent.

La direction générale de la santé (DGS) nous posait quatre questions dans son message :

- Elle souhaitait savoir si une saisine de l'Igas concomitante à un signalement au procureur de la République poserait des difficultés susceptibles d'entacher ou de pénaliser l'une ou l'autre de ces démarches ;

- Elle voulait déterminer quelle administration devait être à l'origine du signalement au procureur de la République, et donc savoir s'il lui appartenait de faire ce signalement alors que Nestlé Waters s'était présenté et avait été reçu par la DGCCRF ;

- Elle voulait savoir si elle devait joindre à ce signalement une fiche rédigée pour le ministre par la DGCCRF le 14 septembre précédent ;

- Elle nous interrogeait également sur les autres mesures administratives à mettre en oeuvre.

Pour les questions 2 et 3, notre réponse indiquait qu'en première analyse, il semblait que la fraude reconnue par Nestlé Waters ne relevait pas du domaine de la santé publique, mais que les éventuelles infractions qui pouvaient être retenues relevaient du domaine de la tromperie du consommateur, donc de la compétence directe du ministère des Finances et de la DGCCRF. Notre réponse insistait également sur l'auto-incrimination et sur le fait qu'il était peu évident, au vu de ces deux éléments, qu'un signalement par le ministère de la santé puisse avoir lieu.

Concernant les mesures administratives, nous avons fourni une réponse technique, indiquant que le contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine relevait de la compétence de l'État, que toute modification notable des caractéristiques de l'eau minérale naturelle ou tout changement notable devait faire l'objet d'une demande de révision de la reconnaissance ou de l'autorisation d'exploitation, que toute personne publique ou privée titulaire d'une telle autorisation était tenue de n'employer qu'un certain nombre de produits, et que le Code de la santé publique prévoyait un régime de mise en demeure.

Le 8 juillet 2022, j'ai été informé par la DGS de l'organisation d'une réunion le mercredi 13 juillet au cours de laquelle les inspecteurs de l'Igas devaient restituer les principales conclusions de leur rapport.

J'y ai assisté sans avoir reçu préalablement le rapport en question. Je n'ai pas de notes de cette réunion et la DAJ n'a reçu aucune demande d'analyse juridique concernant ce rapport ou ses recommandations. Le rapport m'a été transmis le 19 juillet à titre confidentiel, sans instructions particulières.

Le même jour, Virginie Cayré, directrice générale de l'ARS Grand Est, a contacté mon directeur pour évoquer la possibilité d'un signalement au titre de l'article 40, en joignant une note et un rapport de contrôle. J'ai transmis une note juridique à mon directeur le 22 juillet identifiant trois manquements principaux : la présence de traitements sur filtration, l'utilisation de traitements non autorisés, et un contrôle sanitaire des eaux brutes faussé. Cette note précisait que l'ARS n'avait pas identifié de nouveau risque sanitaire, mais que l'appellation « eau minérale naturelle » n'aurait probablement pas été accordée si l'État avait été informé des traitements pratiqués. Après analyse des infractions possibles, nous avons conclu que le délit de risque causé à autrui (article 223-1 du Code pénal) ne semblait pas constitué, faute de risque sanitaire avéré. En revanche, les délits de tromperie (article L. 441-1 du Code de la consommation) et de pratiques commerciales trompeuses (article L. 121-2 du même code) pouvaient justifier un signalement au procureur.

J'ai accompagné ma note d'un courriel à mon directeur, soulignant qu'un signalement semblait juridiquement justifié, mais que la décision finale devait revenir au cabinet. J'ai également mentionné que l'ARS évoquait un risque d'instrumentalisation par Nestlé et que nous n'avions pas été sollicités pour analyser le rapport de l'Igas, qui ne faisait état d'aucun risque pénal. Je poursuivais en disant que les incriminations possibles en l'état des connaissances ne relevaient pas de la santé et que l'Igas avait indiqué que l'ARS d'Île-de-France avait transmis un signalement à un Parquet au titre de l'article 40, sujet sur lequel je n'ai jamais reçu d'autre information.

Le 29 juillet, mon directeur a résumé ma note dans un courriel adressé à Virginie Cayré, avec en copie Grégory Emery, directeur général adjoint de la santé, et le cabinet du ministre de la santé François Braun. Il y reprenait les faits et les infractions potentielles, indiquant qu'un signalement semblait nécessaire, que l'ARS pouvait le faire même si les infractions n'étaient pas d'ordre sanitaire, et proposait deux options au cabinet. Il ajoutait qu'il fallait regarder si, compte tenu des infractions, les incriminations relevant du Code de la consommation devaient être traitées par la DAJ des ministères sociaux.

En septembre et octobre 2022, j'ai été contacté par le cabinet de Mme Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé concernant une éventuelle saisine du procureur par l'ARS Grand Est. J'ai interrogé Mme Cayré qui m'a informé qu'un échange était prévu avec le procureur la semaine suivante. J'ai transmis cette information à la DGS.

Le 15 septembre, la DGS m'a posé des questions techniques sur la publicité d'un éventuel signalement et l'information de Nestlé Waters. Le 6 octobre, Virginie Cayré a informé les cabinets des ministres, la DGS et l'Igas qu'elle avait effectué un signalement au procureur à la suite du contrôle réalisé par ses équipes.

En mars-avril 2023, nous avons eu un dernier contact avec l'ARS concernant une demande technique du Service national d'enquête de la DGCCRF, à la suite d'un « soit transmis » du Tribunal judiciaire d'Épinal relatif au signalement effectué le 3 octobre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - M. le sous-directeur, je vous remercie pour votre présence. Avant de poursuivre, permettez-moi d'exprimer ma surprise quant à vos propos précédents. Vous avez suggéré que puisque Nestlé s'était auto-incriminée devant les pouvoirs publics, un article 40 ne semblait pas nécessaire. Cette position me paraît très discutable venant d'une direction des affaires juridiques. Cela reviendrait à dire que n'importe quel délinquant pourrait échapper à la Justice en se contentant d'informer les autorités préfectorales. Cette approche me semble juridiquement très contestable, mais vous aurez l'occasion d'y revenir.

Le mercredi 13 octobre 2021 à 10 h 43, Jérôme Salomon, directeur général de la santé, a envoyé un mail à Charles Touboul, votre supérieur hiérarchique, l'informant de possibles infractions commises par Nestlé. Il demandait des analyses juridiques en vue d'une réunion interministérielle prévue le lendemain à 9 heures, pour discuter des actions à envisager. Il évoquait notamment la saisine de l'Igas, un signalement au procureur, et des mesures administratives pour faire cesser l'infraction rapidement, y compris la possibilité de demander à l'ARS de mettre Nestlé en demeure de se mettre en conformité dans un délai déterminé voire de suspendre son activité.

Vous avez répondu le soir même à 20 heures 20. Cette réponse a-t-elle été validée par le directeur des affaires juridiques ?

M. Thomas Breton. - Le courriel que j'ai envoyé n'a pas fait l'objet d'une validation formelle. Cependant, une réunion s'est tenue en milieu d'après-midi au cours de laquelle nous avons discuté de son contenu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre directeur vous a-t-il dit, d'une manière ou d'une autre, qu'il n'était pas d'accord avec ce que vous aviez écrit ?

M. Thomas Breton. - Je n'ai pas de souvenir ni de trace d'une telle remarque.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant l'enquête judiciaire évoquée par M. Salomon, vous indiquez qu'elle est possible sur le plan du droit de la consommation. Pourquoi la DAJ s'oriente-t-elle directement, à ce moment-là, vers le droit de la consommation ? Qu'est-ce qui explique que vous n'ayez pas souhaité, ou voulu, vérifier la question du risque sanitaire et que celui-ci n'apparaisse pas dans votre réponse à ce moment-là ?

M. Thomas Breton. - À ce moment-là, au vu des pièces qui nous sont transmises, notamment la fiche pour le ministre du 14 septembre 2021 de la DGCCRF, aucun élément ne mentionne un risque sanitaire. Or, un signalement au titre de l'article 40 suppose que les faits présentent un caractère de vraisemblance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - On parle pourtant d'un retrait de traitements illégaux, mis en place à des fins sanitaires. Il y a donc un lien entre la question sanitaire et l'article 40. Or, vous écartez immédiatement la question de l'enjeu sanitaire.

M. Thomas Breton. - Au moment où nous sommes saisis le 13 octobre 2021, comme en juillet 2022, aucun élément dans les pièces qui nous sont transmises montre un risque sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous indiquez dans votre mail que, en première analyse, la fraude que reconnaît Nestlé n'est pas du domaine de la santé publique, mais que les éventuelles infractions pouvant être retenues sont du domaine de la tromperie du consommateur.

M. Thomas Breton. - Nous utilisons le conditionnel parce que nous n'avons qu'un seul document et qu'il nous semble, à ce moment-là, que plus qu'un signalement, c'est une vérification des faits à laquelle il faut procéder.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'article 40 fait obligation à l'ensemble des fonctionnaires de signaler les infractions dont ils ont connaissance. La question n'est pas de savoir quelle est l'autorité compétente. Dans ces conclusions, la DAJ dit que la pertinence d'un signalement sur la base de l'article 40 par le ministère de la santé n'apparaît pas évidente. Or, vous écrivez et vous nous dites à l'instant que les éventuelles infractions pouvant être retenues relèvent du domaine de la tromperie du consommateur. Pourquoi la DAJ, qui devrait comme toutes les directions des affaires juridiques faire preuve de la plus grande prudence, fait le choix à ce moment-là de l'imprudence et de ne pas être en conformité avec la lettre de l'article 40 ? Est-ce que vous considérez aujourd'hui, avec le recul, que ce que vous avez écrit est conforme à la règle de l'article 40 du code de procédure pénale ?

M. Thomas Breton. - Il me semble que oui. J'ai conscience que nous avons visiblement une divergence. Cependant, au regard des pièces dont nous disposions, il fallait vérifier les faits.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quand un industriel reconnaît des faits de tromperie, que vous en êtes informé via le directeur général de la santé, vous considérez que les faits ne sont pas suffisamment caractérisés pour aller devant le procureur de la République et qu'il utilise les moyens d'enquête dont il dispose !

M. Thomas Breton. - Dans l'urgence dans laquelle nous étions et avec les pièces dont nous disposions, je peux concevoir que cela surprenne, mais nous estimions qu'il y avait lieu de vérifier les pièces.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces pièces évoquent clairement que nous sommes en présence de traitements désinfectants pour faire baisser le risque microbiologique. Vous avez sept éléments à votre disposition, mais vous dites en première analyse que la fraude reconnue par Nestlé n'est pas du domaine de la santé publique. Est-ce que la question microbienne fait partie du domaine de la santé publique ?

M. Thomas Breton. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour autant, vous me dites que vous écartez d'emblée le risque sanitaire. Comment réconcilie-t-on ces deux éléments ?

J'ai le sentiment que la DAJ essaie de temporiser les demandes de Jérôme Salomon, voire de le dissuader d'agir, alors que nous sommes sur une situation où, d'un point de vue de la tromperie, les faits sont reconnus, portés à la connaissance de l'État et que, du point de vue de la question sanitaire, il y a une alerte dans les documents dont vous disposez.

À partir de quand faut-il faire un article 40 ? À partir de quand conseille-t-on au directeur général de la santé qui vous interroge de transmettre un signalement au titre de l'article 40 ?

Pourquoi avez-vous considéré, alors même que l'industriel s'est auto-incriminé, qu'il n'y avait pas lieu de faire un article 40 ?

M. Thomas Breton. - Je comprends que ma réponse ne vous satisfait pas. Au regard des pièces dont nous disposions, nous avons considéré qu'il fallait lancer une enquête administrative.

M. Laurent Burgoa, président. - Est-ce que c'est votre propre décision ou vous a-t-elle été conseillée ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que l'analyse de la DAJ est la vôtre ? J'estime que vous n'avez pas procédé à une analyse juridique et je constate votre gêne à répondre. Des acteurs extérieurs à la DAJ sont-ils intervenus ? Est-ce que vous étiez aligné avec votre directeur sur cette position ?

M. Thomas Breton. - Je n'ai été l'objet d'aucune pression.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de la réunion de l'après-midi, qui a eu l'idée du non-signalement ? Sur quoi portait le débat juridique entre vous ?

M. Thomas Breton. - Je suis navré, je n'ai pas de notes de cette réunion et je suis incapable de répondre à cette question. Il me semble que nous étions tous d'accord. Il y avait mon directeur et un chef de bureau, mais je ne peux pas vous dire qui a pris la décision.

Je n'ai pas de souvenirs précis de cette réunion qui a duré un quart d'heure, ni de débats ou de pressions. Je comprends que cela puisse vous interpeller.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui était le chef de bureau qui a participé à cette réunion ?

M. Thomas Breton. - Il s'agissait de Patrick Wardenski, chef du bureau des questions judiciaires et du droit privé, qui est l'un des quatre bureaux que je dirige.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reste étonné. Le directeur général de la santé vous pose une question sérieuse concernant la fermeture d'un site, l'Igas est sollicitée, la question du recours à l'article 40 posée, et vos échanges se concluent en 15 minutes.

M. Thomas Breton. - Nous avons été saisis à 10 h 47 et la réunion a eu lieu à 15 h 45.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce vous qui préparez la réunion de 15 heures et les éléments sur lesquels vous vous prononcez ? Qui fait les recherches ? Pouvez-vous nous expliquer comment les choses se sont déroulées ? Nous avons du mal à comprendre comment une direction des affaires juridiques peut se prononcer ainsi sur l'article 40.

M. Thomas Breton. - Ce jour-là, Charles Touboul a organisé une réunion de 15 heures 45 à 16 heures. Mon chef de bureau a travaillé sur le sujet et j'ai également examiné certains aspects. Nous avions d'autres sujets à traiter. Je n'ai pas retrouvé beaucoup d'échanges de courriels ce jour-là. Les discussions ont eu lieu oralement. Je n'ai pas de notes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'instruction est donc de votre côté et de celui de votre chef de bureau, avec validation de M. Touboul.

Avec le recul, lorsque vous considérez que l'État est informé de faits de tromperie, que des questions sanitaires sont soulevées, le fait d'écarter rapidement la question sanitaire et de ne pas recourir à l'article 40 est-il une erreur de jugement ?

M. Thomas Breton. - Je sais que ma réponse va vous surprendre, mais il me semblait, à ce moment-là, que le risque sanitaire n'était pas démontré par les pièces du dossier. Je ne pense pas qu'il y ait eu d'erreur de jugement à ne pas recourir à l'article 40. C'est sur la base de l'absence de risque sanitaire que nous avons jugé qu'il n'était pas opportun de recourir à l'article 40.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Partagez-vous l'idée que l'article 40 est un article de portée générale qui s'applique à l'ensemble des fonctionnaires, non pas dans leur domaine spécifique ni dans les fonctions qui leur sont confiées par la loi, mais pour l'ensemble des faits d'ordre pénal dont ils pourraient avoir connaissance ?

M. Thomas Breton. - Je connais bien la manière dont ce texte est rédigé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Partagez-vous cette vision de l'article 40 ? Il est difficile d'obtenir un oui ou un non de votre part, mais je vous invite à répondre simplement à cette question ?

M. Thomas Breton. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au regard de ce que nous partageons, comprenez-vous que ne pas recourir à l'article 40 alors que vous êtes au courant de faits de tromperie, que vous êtes une direction des affaires juridiques, c'est-à-dire ceux qui sont les plus proches des textes, de leur sens, et qui sont les garants de leur application par l'État, pose un problème, alors que vous avez connaissance de faits relevant de la tromperie commerciale ?

M. Thomas Breton. - La DGCCRF était saisie. Je peux comprendre que cela vous surprenne, mais nous avons examiné l'article 40 et son opportunité uniquement au regard du risque sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai l'impression qu'aujourd'hui, face à une situation similaire, vous agiriez de la même manière. C'est ce qui m'inquiète le plus. Si aujourd'hui, votre direction avait connaissance de faits relevant du pénal, mais ne la concernant pas directement du point de vue de ses compétences, vous les laisseriez passer. Cela m'inquiète quant à la culture de l'article 40 dans l'administration.

M. Laurent Burgoa, président. - En tant que sous-directeur du contentieux des ministères sociaux, avez-vous déjà proposé un recours à l'article 40, et si oui, dans quelle affaire ?

M. Thomas Breton. - Je n'ai jamais proposé de recours à l'article 40, mais j'ai déjà eu à statuer sur son opportunité. Une direction des affaires juridiques est une direction support, donc il nous arrive d'être saisis. Le sujet est suffisamment sérieux pour que nous ayons rédigé une fiche récapitulative disponible sur l'intranet des ministères sociaux, qui explique ce que tout fonctionnaire doit faire quand il a connaissance de faits relevant de l'article 40.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur toutes les saisines dont vous avez eu à connaître concernant l'article 40, avez-vous conseillé son application ?

M. Thomas Breton. - J'ai conseillé son application à la suite de plusieurs signalements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 28 juillet 2022, à 14 h 57, Virginie Cayré, directrice de l'ARS Grand Est, écrit à M. Touboul que le cabinet lui ayant donné son feu vert, sa directrice des affaires juridiques a pris contact avec le procureur d'Épinal et qu'une réunion est prévue avec lui début septembre. D'ici là, les premiers éléments pour pouvoir déterminer la meilleure qualification des faits lui seront transmis. Charles Touboul lui répond le vendredi 29 juillet 2022 à 8 h 15. Avez-vous été associé à cette réponse ?

M. Thomas Breton. - La réponse de Charles Touboul est un condensé de la note que je lui ai adressée. Il n'y avait pas les deux options qu'il évoque, mais le reste est un résumé fidèle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Charles Touboul répond que : « l'article 40 est possible, mais pas absolument évident dans ce contexte particulier ». Qu'entendez-vous par « contexte particulier » ? Pourquoi l'article 40, en juillet 2022, n'est toujours pas considéré comme évident ? Nous sommes maintenant plus de neuf ou dix mois après votre première analyse.

M. Thomas Breton. - En juillet 2022, lorsque l'ARS nous saisit, elle nous informe qu'elle va transmettre un signalement au procureur. Nous avons répondu sur les modalités de ce signalement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quand vous dites que l'article 40 est possible, mais pas absolument évident, ce n'est pas une question de modalité, c'est une question d'opportunité.

M. Thomas Breton. - Le courriel envoyé par Charles Touboul, basé sur la note que je lui ai adressée, détermine qui est le mieux placé pour appliquer l'article 40. Nous réfléchissons à ce genre de modalité parce que les procureurs de la République interrogent ceux qui adressent les signalements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'ARS vient de faire en avril 2022 une inspection sur site qui a constaté la pratique de traitements illégaux. Comment pouvez-vous lui répondre que l'article 40 est possible, mais pas absolument évident dans ce contexte particulier ? Quelle est la signification de ce « contexte particulier » ?

M. Thomas Breton. - Nous n'avons jamais envisagé de bloquer un signalement en cours. La question était de savoir comment, qui, dans quelles conditions et sur quelles infractions le faire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous interprétez ma question qui était : pourquoi n'est-il pas absolument évident de procéder à un signalement alors que l'ARS a mené une inspection prouvant l'existence de traitements illégaux ?

M. Laurent Burgoa, président. - Permettez-moi de reformuler la question de notre rapporteur.

M. Touboul écrit dans son mail « l'article 40 est possible, mais pas absolument évident ». C'est une formulation ambiguë, difficile à comprendre.

M. Thomas Breton. - Juridiquement Charles Touboul écrit que le signalement doit être transmis. Nous étions saisis d'une note de l'ARS adressée au cabinet indiquant qu'elle allait le faire. La question pour nous n'était plus de savoir si on devait ou non le faire.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourquoi ne pas avoir précisé dans votre réponse si l'article 40 était possible ou impossible ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La suite du mail qui repose la question de l'opportunité : « En opportunité toutefois et alors que l'abstention à faire le signalement n'est pas vraiment susceptible de donner lieu à des poursuites ». On dirait une manoeuvre de dissuasion ! Vous ajoutez que les incriminations ne relèvent pas de votre sphère d'intervention et que le risque évoqué par l'ARS d'instrumentalisation pour effectuer une restructuration du site et des équipes qui y travaillent n'est pas négligeable. Cette dernière phrase n'appartient plus au domaine d'une direction des affaires juridiques, mais relève d'une question d'opportunité, de poids et de mesures par rapport à la vie économique.

Comment voulez-vous que nous comprenions autrement ces mots que comme une tentative de dissuasion du recours à l'article 40 ? Vous dites clairement à votre interlocuteur qu'il ne risque rien à ne pas déclencher d'article 40 et vous utilisez le risque d'instrumentalisation comme argument pour ne pas effectuer l'article 40.

M. Thomas Breton. - La note que j'ai adressée à M. Touboul était très claire, il vous répondra sur ce message.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous ne répondez pas aux questions du rapporteur. Je vous rappelle que vous avez prêté serment. Je vous demande de répondre directement à la question du rapporteur, sinon nous serons obligés de prendre des mesures, ce qui serait dommageable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi, après avoir conseillé le 13 octobre 2021 de ne pas informer la Justice, tout en mettant en avant qu'un tel signalement pouvait être fait par les autorités de contrôle (ARS et Igas), indiquer ensuite à l'ARS Grand Est qu'elle peut hésiter sur un tel signalement, lui rappeler qu'elle ne risque rien d'un point de vue pénal à ne pas le faire et lui donner des éléments contextuels qui n'ont rien à voir avec les missions d'une direction des affaires juridiques sur le risque d'instrumentalisation dans le cadre d'une restructuration du site ?

Avez-vous eu des discussions avec le cabinet sur ce sujet pour établir votre note et ce mail ?

M. Thomas Breton. - Je n'ai jamais eu de consignes du cabinet, nous avons eu des échanges avec l'ARS qui nous a fait part de ces éléments.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le risque d'instrumentalisation figure-t-il dans votre courriel ?

M. Thomas Breton. - Je vous le confirme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie de nous le transmettre.

Pourquoi rappelez-vous à la directrice générale de l'ARS, qui s'apprête à faire un signalement, qu'une abstention n'est pas vraiment susceptible de donner lieu à poursuites ?

M. Thomas Breton. - C'est le courriel de Charles Touboul qui le précise, pas moi. Je n'ai eu aucun échange avec qui que ce soit sur ce sujet entre le 22 et le 29 juillet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc un ajout de M. Touboul. Vous n'avez jamais indiqué qu'il fallait conseiller à la directrice générale de l'ARS de s'abstenir de faire un signalement.

M. Thomas Breton. - Vous constaterez dans le courriel que je vous transmettrai que je signale également le risque d'instrumentalisation et que je donne des éléments de contexte.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que c'est un ajout de M. Touboul ?

M. Thomas Breton. - Il me semble que c'est un ajout par rapport à ce que j'ai écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mettez-vous à la place de la commission d'enquête. Vous avez une fonctionnaire qui annonce à une direction des affaires juridiques qu'elle va exercer l'article 40, ce qui était d'ailleurs la recommandation, contestable, de la direction des affaires juridiques de déléguer aux autorités de contrôle. La DAJ lui dit à nouveau que l'abstention à faire un signalement n'est pas vraiment susceptible de donner lieu à la poursuite. On essaie de la dissuader, je ne sais pas comment lire cette phrase différemment.

Quels sont les éléments qui vous ont amené à faire état du risque d'instrumentalisation ?

M. Thomas Breton. - Je pourrais compléter ma réponse à l'écrit, car je n'ai pas revu ces éléments. Il me semble que nous avons fait une réunion avec l'ARS et que c'est au cours de cette réunion qu'il y a eu ce débat.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été en lien pendant cette période d'instruction avec le cabinet ?

M. Thomas Breton. - À ma connaissance, non.

M. Hervé Gillé. - Je vais reformuler vos réponses pour voir si je les ai bien comprises. Alors que vous n'aviez aucune certitude de l'état de la qualité sanitaire des eaux, tout en ayant connaissance d'un système de traitement illégal visant à rendre ces eaux potables, vous n'avez pas cherché à enclencher l'article 40. Si vous n'êtes pas d'accord avec ma reformulation, vous pouvez la corriger.

Je note que vous avez une mémoire très aléatoire, ce qui me surprend. Il y a beaucoup de notes que vous ne retrouvez pas. Je ne comprends pas qu'une direction juridique ne dispose pas de process de traçabilité et que les réunions ne fassent l'objet d'aucun compte rendu. Ces éléments nous manquent aujourd'hui. Est-ce que c'est voulu ?

Je ne comprends pas non plus pourquoi l'approche interministérielle n'a pas été déclenchée plus tôt, compte tenu de la nature du sujet, avec une clé d'entrée qui est d'abord économique, mais qui, de toute évidence, peut interroger la DGS. Sans l'Igas, l'ARS n'aurait pas été mobilisée.

M. Thomas Breton. - Je ne crois pas qu'il manque de pièces, la DAJ n'a jamais eu l'intention de cacher des éléments. Je ne prends pas systématiquement de notes pendant les réunions, surtout dans le cadre d'une visioconférence d'un quart d'heure avec mon directeur. Je lui ai transmis le 22 juillet 2022 une note qui répondait à la question posée par l'ARS.

Concernant la traçabilité, je vous l'ai dit en introduction, j'ai travaillé à quatre moments sur ce dossier. Les traces sont toutes conservées. Nous répondons aux questions qui nous sont posées, c'est le principe d'une direction des affaires juridiques. À plusieurs reprises dans les pièces du dossier, on nous indique qu'il n'y a pas de risque sanitaire en octobre 2021. En juillet 2022, nous sommes saisis de modalités pour rédiger la transmission d'un article 40. Je conçois que cela vous surprenne, mais tel que nous étions saisis, je pense avoir répondu correctement.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous avez bien sensibilisés sur le fait que votre analyse juridique portait sur l'absence de risque sanitaire. Dans les cas qui ont motivé la création de cette commission d'enquête, nous sommes plutôt sur l'infraction de tromperie, qui relève de la DGCCRF.

Êtes-vous en contact avec votre homologue de cette instance ou travaillez-vous en silo, sans communiquer avec les autres services de l'État ?

M. Thomas Breton. - Sur cette affaire, je n'ai pas eu de contact avec la DGCCRF.

M. Laurent Burgoa, président. - En votre qualité de responsable juridique, considérez-vous que les informations qui vous remontent établissent l'infraction de tromperie ?

M. Thomas Breton. - En juillet 2022, il n'y a aucun doute sur la constitution de l'infraction. En juillet 2021, nous nous considérons comme saisis uniquement de la question sanitaire, que nous ne percevons pas clairement, et sur laquelle nous demandons des éclaircissements. Dans d'autres affaires, j'échange régulièrement avec d'autres directions des affaires juridiques, mais le 13 octobre 2021 nous nous sommes contentés de répondre aux questions de la DGS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DAJ a-t-elle été amenée à se prononcer sur les traitements non autorisés relevés par l'ARS Occitanie sur le site de Perrier ?

M. Thomas Breton. - LA DAJ n'a jamais été saisie d'autres faits que ceux que j'ai mentionnés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous livre mon sentiment à l'issue de cette audition. Tout d'abord, je reste perplexe face aux événements de 2021, lorsque vous avez été saisi et que les tromperies ont été révélées et caractérisées. Je ne comprends pas pourquoi vous avez choisi de ne pas recourir à l'article 40. Ensuite, je suis stupéfait par la réponse donnée à la directrice générale de l'ARS, qui s'apparente à de la dissuasion.

L'Igas nous dit qu'elle s'était posé la question de l'article 40 et qu'elle aurait probablement dû l'appliquer. Or, dans cette situation où les faits appellent manifestement son application, vous nous affirmez avoir eu raison d'agir comme vous l'avez fait tout au long du processus. Cela m'inquiète non seulement pour cette affaire, mais aussi pour les futures situations que vous pourriez avoir à traiter et à révéler du point de vue de l'article 40.

M. Laurent Burgoa, président. - Souhaitez-vous réagir au rapport du rapporteur ?

M. Thomas Breton. - Je réaffirme qu'en juillet 2022, il n'y avait aucun doute sur la possibilité et la nécessité d'appliquer l'article 40. J'ai d'ailleurs signalé des éléments de contexte dans mon message. En octobre 2021, la situation me semblait différente d'un point de vue sanitaire. J'ai entendu vos critiques. Je pense qu'en juillet 2022, dans mon esprit, il était clair qu'il y aurait une action, et j'expliquais les méthodes, les modalités et le type d'infraction à mentionner. La note l'explique clairement, puisque nous estimions qu'il fallait préciser au procureur de la République les infractions concernées.

M. Laurent Burgoa, président. - La nuit porte conseil ! Si certaines informations vous revenaient, je vous invite à nous les transmettre par courriel dans les plus brefs délais. Cela pourrait peut-être éclaircir les questions soulevées par le rapporteur. Face à certaines de vos réponses un peu floues, je me permets de vous rappeler que vous avez prêté serment. La nuit pourrait vous permettre de clarifier votre pensée, et vous pourriez préciser ou infirmer par écrit certains de vos propos.

Saisine du Secrétaire général de l'Élysée
d'une demande de transmission de documents
(Mercredi 20 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Le rapporteur souhaite communiquer une information à notre commission.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'informe notre commission que nous avons écrit au secrétaire général de l'Élysée, Alexis Kohler, pour lui demander de nous transmettre la documentation relative aux réunions et aux échanges qui ont eu lieu à la Présidence de la République sur les questions qui nous intéressent, relativement à l'affaire Nestlé Waters.

Audition de M. Charles Touboul Moracchini,
ancien directeur des affaires juridiques des ministères sociaux
(Mercredi 20 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons notre série d'auditions en accueillant M. Charles Touboul Moracchini, ancien directeur des affaires juridiques des ministères sociaux.

Monsieur, nous vous remercions pour votre présence dans le cadre de cette commission d'enquête.

Avant de vous céder la parole, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Charles Touboul Moracchini prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur la façon dont a été gérée juridiquement la révélation des fraudes de Nestlé Waters, et notamment la question du recours, ou du non-recours, au signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Lorsque Jérôme Salomon, directeur général de la santé à l'époque, vous demande conseil en octobre 2021 sur la pertinence d'un signalement au titre de l'article 40, pourquoi avez-vous renvoyé cette responsabilité vers la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou des services déconcentrés ?

Pourquoi ne vous êtes-vous pas prononcé sur l'opportunité de mesures administratives telles que la mise en demeure ou la suspension de l'exploitation ?

Pourquoi, par la suite, avez-vous également peu encouragé Virginie Cayré, alors directrice de l'ARS Grand Est, à procéder à un signalement au titre de l'article 40, ce qu'elle a fait malgré tout ?

M. Charles Touboul Moracchini, ancien directeur des affaires juridiques des ministères sociaux. - J'ai l'honneur d'être auditionné ce matin en ma qualité d'ancien directeur des affaires juridiques des ministères sociaux, fonctions que j'ai exercées entre le 1er septembre 2019 et le 31 août 2022. Durant cette période, la direction des affaires juridiques (DAJ) a été sollicitée sur l'affaire dite des eaux minérales conditionnées.

Je vous remercie de me laisser la parole pour cette intervention liminaire, qui sera assez brève pour nous laisser le temps d'un échange direct.

Il me semble que votre commission est attachée à une approche chronologique des faits. C'est en suivant cette méthode que je vous présenterai les avis de la direction des affaires juridiques. Ils ont essentiellement porté sur les suites administratives et judiciaires susceptibles d'être données aux faits qui ont été portés à la connaissance du ministère des solidarité et de la santé dans ce dossier.

Cette question s'est présentée à la DAJ à deux stades avant le 1er septembre 2022 date à laquelle j'ai quitté mes fonctions.

Le premier stade intervient en octobre 2021, lorsque la DGS est informée via le cabinet du ministre de l'économie et le cabinet du ministre de la santé, de l'existence de possibles manquements à la réglementation de la part de Nestlé Waters, qui en a fait spontanément état. La DGS s'interroge alors sur la possibilité d'un signalement sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale et son articulation avec une éventuelle enquête administrative, en particulier une saisine de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Il nous est demandé une réponse dans la journée du 13 octobre en vue d'une réunion le lendemain matin avec le ministère de l'économie.

Nous répondons dans ce délai qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre les deux procédures administratives et judiciaires qui peuvent, en droit, être conduites parallèlement. Nous observons qu'en pratique une saisine de l'Igas avec l'appui des ARS territorialement compétentes permettrait de disposer de plus d'éléments sur la base desquels « faire l'article 40 » comme on dit habituellement dans l'administration.

La DGS nous interroge aussi sur le point de savoir quelle administration serait amenée à procéder au signalement le moment venu, alors qu'elle souligne que Nestlé s'est spontanément présentée au ministère de l'économie. Nous observons pour notre part que les manquements potentiels relèvent en première analyse du droit de la consommation (tromperie du consommateur) et que Bercy semble d'ores et déjà maîtriser le volet pénal du dossier que son administration suit dans le cadre d'une autre procédure. Nous en déduisons que la pertinence d'un signalement au titre de l'article 40 qui proviendrait du ministère des solidarités et de la santé n'apparaît pas évidente.

La DGS nous remercie de cette réponse. Sauf erreur de ma part, nous ne sommes pas informés des suites qui lui sont données, ce qui n'est pas inhabituel pour une DAJ. C'est souvent après-coup que l'on découvre ce qu'il s'est passé et c'est ce qui est arrivé aussi dans cette affaire. J'apprends en effet deux mois plus tard que l'Igas a été saisie le 19 novembre par les ministres de l'économie, de l'industrie et de la santé. C'est la fin de la première séquence d'intervention de la DAJ, nous sommes donc fin 2021.

Le second stade intervient en juillet 2022, quand l'Igas a rendu ses conclusions. Mes équipes sont invitées par la DGS à une réunion de restitution le 13 juillet dans la perspective d'éventuelles suites administratives ou judiciaires. Nous sommes rendus destinataires du rapport par la DGS une semaine plus tard, le 19 juillet. Le même jour, la directrice de l'ARS du Grand Est, Madame Cayré, nous le transmet également. Elle s'interroge à son tour sur l'opportunité d'un signalement sur le fondement de l'article 40 et sollicite notre analyse sur ce point. Elle nous transmet, avec sa saisine, une copie d'une note qu'elle a adressée quelques jours plus tôt au cabinet sur le sujet.

Avant que nous ne répondions - nous sommes le 29 juillet - Madame Cayré revient vers nous pour nous informer que le cabinet ayant donné le feu vert pour l'article 40, ses juristes ont pris l'attache du procureur d'Épinal et qu'une réunion se tiendra avec lui début septembre.

À ce stade, la DAJ n'est donc plus à proprement parler saisie du principe du signalement au procureur de la République - il est déjà intervenu de facto - mais surtout sur ses modalités. Ce n'est pas gênant, nos éléments sur le principe restent utiles à l'ARS pour la conforter dans la mise en oeuvre de sa démarche, même si c'est après coup, et nous nous efforçons d'être utiles sur les modalités opérationnelles en proposant des solutions concrètes.

Sur le principe, donc un peu pour mémoire, nous confirmons qu'il y avait bien matière à qualification pénale relevant essentiellement du droit de la consommation (délit de tromperie et délit de pratiques commerciales trompeuses prévus respectivement par les articles L.441-1 et L.121-2 du code de la consommation). Nous écartons en revanche l'infraction de risque causé à autrui de l'article 223-1 du code pénal qui nécessite la preuve d'un danger immédiat qui fait défaut ici. Nous rappelons qu'en droit, un signalement doit être transmis par toute autorité qui a connaissance d'un délit en soulignant qu'il n'y a pas de compétence pour réaliser la transmission d'un article 40 et que l'ARS Grand Est en a parfaitement la possibilité - nous le faisons pour mémoire, puisqu'elle l'a déjà fait.

Sur les modalités du signalement, désormais objet principal de la saisine, nous observons, conformément à nos premières indications de fin 2021, que l'on est principalement face à un problème de droit de la consommation, c'est-à-dire l'information donnée au consommateur, et non de droit de la santé publique, la santé des consommateurs n'ayant jamais été mise en danger. Cette confirmation amène à reposer la question de l'administration la mieux à même de faire l'article 40, puisque la DGCCRF traite du droit de la consommation, dispose de contrôleurs dédiés et a eu connaissance du dossier bien avant nous.

Nous formulons deux options en conséquence pour formaliser le signalement de l'article 40 : soit y procéder au niveau de l'ARS Grand Est elle-même, soit envisager de laisser les services de Bercy prendre le relais eu égard au champ « consommation » des infractions. Comme l'ARS est déjà en lien avec le parquet d'Épinal à qui elle a signalé les faits, et qu'elle doit le rencontrer à la rentrée de septembre, nous invitons l'ARS à s'en ouvrir directement au procureur, afin qu'il puisse la guider de la manière la plus efficace et opérationnelle possible.

Lorsque je quitte mes fonctions, l'affaire en est là, au stade de la mise en oeuvre de l'article 40, dont le principe est acté.

J'ai appris a posteriori, dans le cadre de vos travaux, qu'un article 40 avait bien été transmis par l'ARS elle-même quelques semaines après ce rendez-vous, en octobre 2022 et qu'une convention judiciaire d'intérêt public environnemental (CJIPE) était intervenue deux ans plus tard, le 31 juillet 2024. J'ai consulté cette CJIPE en ligne, et j'ai constaté qu'elle avait retenu la tromperie, comme l'avait fait la DAJ au cours de la procédure, donc le terrain du droit de la consommation, et non d'éventuelles atteintes à la santé publique, qu'elle rejette explicitement (point 4.1).

C'est une satisfaction pour la DAJ - je ne parle que de mon point de vue, puisque je ne suis plus le directeur aujourd'hui -, que la procédure ait abouti sur le terrain que les équipes avaient retenu depuis le début, même si c'est dans le cadre d'une alternative aux poursuites. C'est une reconnaissance de la qualité du travail des équipes de la DAJ.

Je ne doute pas que vos questions reviendront sur certains points évoqués lors de l'audition de Monsieur Thomas Breton hier après-midi et sur lesquels il y a eu à l'évidence des incompréhensions. Mais nous les aborderons mieux dans le cadre d'un échange. J'arrête donc ici ce propos liminaire, non sans témoigner personnellement de l'impartialité absolue des équipes, de leur très grande rigueur juridique et de leur attachement viscéral à la poursuite de l'intérêt général sur l'ensemble des affaires qui leur étaient confiées, celle-ci comme toutes les autres.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour cette présentation, je vais reprendre cette chronologie, comme je l'ai fait hier avec votre sous-directeur de l'époque, et reprendre aussi un certain nombre de questions qui ont été révélées par cette audition d'hier auxquelles, d'ailleurs, il n'a pas été parfaitement répondu et pour lesquelles nous aurons besoin de précisions.

Le mercredi 13 octobre 2021, à 10 h 43, Jérôme Salomon, directeur général de la santé, vous écrit dans un courriel avoir été informé par son cabinet de possibles infractions de Nestlé. Il vous demande des analyses juridiques en vue d'une réunion interministérielle qui se tient le lendemain à 9 heures. Il vous pose la question sur les actions à envisager de façon concomitante.

Il cite lui-même une saisine de l'Igas, un signalement au procureur de la République et les mesures administratives à mettre en oeuvre afin de faire cesser l'infraction dans les plus brefs délais.

Dans votre réponse, vous écartez d'emblée qu'il s'agisse d'une question sanitaire. Or, dans la documentation qui vous est transmise, il est dit que le retrait des traitements illégaux réalisés par Nestlé pose une question microbiologique : nous y voyons une question sur le risque sanitaire. Quel a été votre argument pour vous écarter de ce risque sanitaire ?

M. Charles Touboul Moracchini. - Une première réponse factuelle à votre propos Monsieur le rapporteur, quand vous dites que la DAJ n'aurait pas pris parti sur la proposition faite par la DGS de mettre en demeure Nestlé Waters : notre courriel indique bien qu'une telle mesure est tout à fait possible au regard des textes.

Pourquoi sommes-nous partis sur le terrain non sanitaire, si j'ose dire ? Je m'en tiendrai aux faits. Nous sommes partis des éléments que nous a communiqués la DGS qui, à ce moment-là, les découvre tels qu'ils lui ont été communiqués par Bercy. Ce que je comprends alors - je le dis avec humilité, je n'étais pas dans ces circuits-là -, c'est qu'il y a eu une réunion à Bercy avec Nestlé Waters, que la DGCCRF en a été informée, et que l'information est arrivée au ministère de la santé par les cabinets ministériels, ce qui est assez habituel, donc la DGS a été informée par le cabinet du ministre de la santé. À ce stade, je pense donc que la DGS ne fait que récupérer un dossier qui lui a été communiqué par une voie politico-administrative, sans éléments qu'elle aurait établis elle-même et qui relèveraient du registre sanitaire. Et elle nous en saisit très rapidement ; je ne suis pas la personne qui a eu le premier contact, mais je n'ai pas de raison de mettre en doute le fait qu'alors, pour la DGS, ce dossier ne relève plutôt pas du sanitaire. Vous le savez mieux que moi après toutes vos auditions, la question était que Nestlé Waters avait traité des eaux qui n'auraient pas dû l'être, leur faisant perdre leur caractère d'eau minérale - c'est probablement ce qui a entraîné ce réflexe que la DGS, en nous transmettant ce dossier très rapidement pour avis, le regarde sous l'angle du droit de la consommation. Je ne veux pas m'exprimer à la place de la DGS, je ne dis pas que son analyse serait alors définitive, ce n'est qu'en première analyse qu'elle nous transmet ce dossier comme relevant non pas du sanitaire, mais de la consommation - et nous partons de cette base, comme le fera l'Igas. La DAJ n'a pas pour rôle de qualifier le risque sanitaire, mais mon travail c'est, en fonction de ce qu'on me dit, d'examiner les incriminations pénales potentielles et de voir de quel côté du droit elles vont tomber. C'est cela, mon métier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'entends ce point, la question est effectivement à poser à la DGS.

J'aimerais, ensuite, revenir sur « la culture de l'article 40 ». Nous ne comprenons pas pourquoi vous ne conseillez pas à Jérôme Salomon le signalement au procureur, puisqu'il vous pose la question dans son courriel, et que vous dites vous-même - je cite votre courriel - que « les éventuelles infractions pouvant être retenues (seront) du domaine de la tromperie du consommateur ». Les choses sont caractérisées puisque Nestlé les a dites au ministère de l'économie ; vous êtes une direction des affaires juridiques, la garante par excellence du droit au sein de l'administration, vous savez, comme moi, comme nous le savons tous, que l'article 40 est de portée générale et qu'il s'applique donc à la direction des affaires juridiques - mais vous ne conseillez pas le signalement au motif, avez-vous commencé à nous dire dans votre propos liminaire, que Bercy s'en occuperait, ou serait censé s'en occuper. La vérité, c'est que lorsque nous interrogeons hier votre sous-directeur, il nous dit qu'il ne sait pas ce qu'il en était et il ne sait pas non plus si vous le saviez - peut-être vous étiez-vous renseigné, vous pourrez nous le dire, en tout cas nous ne savons pas si, à ce moment-là, vous saviez que Bercy n'avait pas fait de signalement au titre de l'article 40. Lorsque nous l'avons interrogée, la DGCCRF nous a dit que pour faire un tel signalement, il lui aurait fallu un rapport définitif des ARS.

Nous avons donc le sentiment que les administrations se renvoient la balle, y compris la vôtre, qui est pourtant la garante ultime du droit pour les questions sanitaires. J'ai travaillé en ministère, je connais la prudence légendaire de votre direction et son souci que les choses soient faites en bon ordre - aussi voudrais-je y voir plus clair dans le cheminement intellectuel qui vous a conduit à écarter le signalement au titre de l'article 40. Je ne le comprends pas, et j'aimerais aussi savoir si vous reprendriez une telle décision aujourd'hui, étant donné que les faits étaient caractérisés d'un point de vue de la tromperie du consommateur ?

M. Charles Touboul Moracchini. - Je partage vos constats, sauf sur ce point capital : nous n'avons jamais écarté l'article 40. Nous disons alors que le signalement n'est pas « évident », une expression qui vous fait vous interroger, si j'ai bien écouté l'audition de mon sous-directeur Thomas Breton.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce sous-directeur nous a dit que l'expression « pas évident » revenait à ne pas recommander le recours à l'article 40, et que s'il avait à se prononcer aujourd'hui sur le même cas, il maintiendrait cette position...

M. Charles Touboul Moracchini. - Il l'a explicité avec ses mots, je le ferai avec les miens. Dire qu'un recours n'est « pas évident », cela veut dire simplement qu'on peut le faire, mais qu'il n'y a là rien d'évident et qu'il y a une part d'opportunité.

Vous évoquez la « culture de l'article 40 », c'est un point très important. Elle est très forte dans les administrations en général, parce que, comme vous le savez très bien, c'est aussi une manière pour les agents publics de se protéger, de se « couvrir », en ne conservant pas par-devers eux des informations incriminantes qu'on pourrait leur reprocher d'avoir gardées. La culture de l'article 40 est donc un régime de trop-plein plutôt que de rareté - c'est très lié à des questions que vous connaissez bien mieux que moi, très présentes dans le débat public et parlementaire sur l'incrimination générale des comportements dans notre société, et particulièrement des comportements des agents publics. Chacun vit avec ce risque pénal, cette hantise du risque pénal, et il y a un réflexe très répandu dans les administrations de recourir à l'article 40 pour se « couvrir », je l'ai constaté dans les administrations où j'ai travaillé.

Une direction des affaires juridiques est là pour faire du droit et expliquer comment le droit fonctionne. La lettre de l'article 40 est très claire : il est ouvert à tout agent public. La pratique est évidemment beaucoup plus restrictive, ce qui n'a jamais été, à ma connaissance, contesté par le juge. Il est évident que quand vous êtes agent public - je suis sûr que c'est aussi votre cas, comme parlementaires, mais je n'irai pas plus loin sur la comparaison, car je ne veux pas donner l'impression de faire des comparaisons déplacées -, quand vous êtes agent public et que vous entendez parler ou vous avez connaissance de courriels, de pièces qui font état de comportements irréguliers, qui sont potentiellement sanctionnables sur le plan pénal, vous n'allez pas de ce seul fait saisir le procureur, ou bien tous les agents publics passeraient la moitié de leur temps dans les parquets pour leur dire : « J'ai entendu parler de ça, j'ai lu ça. »...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous ne sommes pas dans cette configuration dans le cas qui nous occupe : nous parlons d'un industriel qui a fraudé et qui vient le dire aux services de l'État - le risque n'est pas ici d'en faire trop, comme vous le dites, mais plutôt pas assez. Nous avons auditionné les administrations, plusieurs ont exprimé des regrets, l'Igas a reconnu qu'elle aurait pu se poser la question plus rapidement.

Les faits de fraude étaient avérés, vous dites que Bercy suivait le risque pénal, mais vous ne répondez pas sur le fait de savoir si vous en étiez certain, si vous l'aviez vérifié - avez-vous eu un échange avec votre homologue de Bercy sur ce sujet ?

Votre argument d'un risque du « trop-plein » ne tient pas ici, cette affaire a été connue par l'administration en 2021 et elle n'a été révélée par la presse qu'en janvier 2024. Nous sommes plutôt dans le risque du « pas assez », vous ne trouvez pas ?

M. Charles Touboul Moracchini. - J'aimerais poursuivre sur la « culture de l'article 40 ». Comment cela fonctionne dans la vie administrative concrète, telle que je l'ai vue dans les différents postes que j'ai occupés ? C'est à peu près toujours la même chose et c'est de bon sens - je n'en avais pas conscience, mais cette explication me semble utile.

Je vois deux situations schématiques pour les agents publics, quant au recours à l'article 40 - il y en a probablement d'autres, mais c'est une première ébauche. Il y a d'abord celle où la question se pose sur votre champ de compétence ; le signalement au titre de l'article 40 ne fait alors aucun doute. Il y a ensuite le cas qui n'entre pas dans votre secteur, d'autres agents en sont informés, dont c'est le champ de compétence, et alors ce n'est pas à vous de faire le signalement, parce que ce n'est pas vous qui avez les éléments - vous avez l'information par d'autres agents publics, à qui il revient de faire le signalement, c'est ainsi que cela se passe.

Dans le cas d'espèce, Nestlé Waters est allé voir le cabinet du ministre de l'économie, lequel a transmis à la DGCCRF, laquelle a saisi le cabinet du ministre de la santé, lequel a transmis à la DGS. Quand on nous demande conseil sur ce dossier, nous sommes au quatrième ou au cinquième rang, avec l'idée que ce dossier ne relève pas de la santé publique - ce n'est pas à moi d'en juger, je ne suis pas un scientifique, on me dit en première analyse que cela ne relève pas du sanitaire, ce n'est donc pas dans notre champ et c'est à d'autres agents, qui ont plus d'éléments que nous, de faire un signalement s'il y a lieu.

Ce point est décisif dans le malentendu d'hier avec Thomas Breton : nous n'avons pas dit que ce n'était pas à nous de faire un signalement et advienne que pourra. Je le répète, je pense que c'est au coeur de vos travaux : nous sommes alors saisis d'un sujet de droit de la consommation, Bercy a été saisi par Nestlé, des procédures pénales sont en cours sur un dossier connexe - c'est donc plutôt à cette administration de faire un signalement. Je dis bien : plutôt à elle de faire. Pourquoi je dis « plutôt » ? Parce que si j'avais eu, et je suis sûr que Thomas Breton aurait fait pareil, sauf que la configuration ne s'est pas présentée, si nous avions eu des indications selon lesquelles, pour des raisons qui leur auraient appartenu, le cabinet du ministre de l'économie ou la DGCCRF n'auraient pas voulu faire ce signalement, nous n'aurions alors absolument pas pu nous abstenir de le faire. Il fallait qu'il n'y ait pas de « bouchon » vers le parquet, il revenait à l'administration la plus proche du dossier de faire le signalement. Encore une fois, lorsque nous sommes saisis, nous sommes en « queue de comète » - le sujet ne relève pas de la santé publique, nous le savons encore mieux aujourd'hui puisque nous disposons de pièces supplémentaires établissant que ce n'est vraiment pas un sujet de santé publique.

Est-ce que je referais la même chose aujourd'hui ? A question claire, réponse claire : oui, tout à fait. Ce n'est pas à vous de faire un signalement quand vous êtes au cinquième ou sixième niveau de connaissance de la chose, que ce n'est pas votre champ sectoriel et que d'autres agents publics sont en charge du dossier : vous n'êtes pas là pour les court-circuiter, pour leur passer devant. La bonne chose à faire, je vous rejoins, c'est bien sûr d'aller parler à Bercy, c'est tout à fait évident.

Hier, vous avez demandé à Thomas Breton quels échanges j'ai pu avoir avec Bercy, et vous me posez la question en creux. Il y a deux situations dans une direction des affaires juridiques : celle où vous êtes en charge du dossier, vous faites alors du contentieux administratif ; celle où on vous consulte, on vous pose des questions, mais ce n'est pas vous qui êtes en lien avec les opérateurs ni avec les administrations parties prenantes. Dans le cas d'espèce, nous étions plutôt dans la deuxième partie, nous devions répondre aux questions qui nous étaient posées, mais on ne nous a jamais dit de prendre l'attache par exemple de nos collègues juristes de Bercy - nous l'aurions fait si on nous l'avait demandé, mais ce n'était pas du tout ça, notre office. Nous étions saisis la veille d'une réunion avec Bercy, nous avons conseillé, sur le recours à l'article 40, d'en parler à nos collègues du ministère de l'économie en précisant que le signalement relevait plutôt d'eux, c'était intuitif, eu égard aux informations dont nous disposions. Cette façon de faire est tout à fait régulière au regard de l'article 40, conforme aux pratiques administratives telles que j'ai pu les voir comme juriste dans l'administration depuis 25 ans - et si c'était à refaire, je le dis aujourd'hui à la lumière de pièces complémentaires que j'évoquerai, mais que vous avez déjà, oui, je le referais.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vais tâcher de suivre votre doctrine de l'article 40, qui me semble s'éloigner beaucoup de la lettre, mais pour voir où elle mène. Le directeur général de la santé vous interroge sur le fait de savoir s'il doit, ou pas, faire un signalement au titre de l'article 40 ; vous lui répondez que la réponse n'est pas évidente. Si j'étais à sa place, j'aimerais que mon directeur des affaires juridiques m'aiguille un peu mieux ; vous nous dites aujourd'hui que cette réponse ne veut pas dire non, mais qu'elle signifie que ce signalement n'est pas évident : si j'étais Jérôme Salomon, je me dirais que je serais finalement peu conseillé en la matière, qu'on ne me dit rien de définitif...

Vous dites, ensuite, qu'il vous reviendrait évidemment de faire un signalement si l'administration en charge ne le faisait pas, mais que c'est bien à elle de le faire puisqu'elle est en charge et pas vous - pour éviter un encombrement du parquet, c'est ce qu'on peut appeler votre « théorie du bouchon ». Cependant, vous ne vérifiez pas si vos collègues de Bercy ont fait ce signalement, vous ne les contactez pas pour savoir si une procédure est en cours - ceci alors que votre direction des affaires juridiques est en charge, ultimement, du respect de la loi. Si vous l'aviez vérifié, votre « théorie du bouchon » s'appliquerait, mais ce n'est pas le cas ici, puisque, pendant quatre ans, il n'y a pas eu de signalement : vous en êtes d'accord ? Pourquoi n'avez-vous pas vérifié ?

M. Charles Touboul Moracchini. - Monsieur le rapporteur, vous avez fait des compliments à la direction des affaires juridiques dans d'autres auditions, vous avez relevé qu'elle avait répondu dans la journée et vous avez dit que vous trouviez cela admirable. C'est exactement ce qui s'est passé : nous avons répondu dans la journée sur un sujet compliqué, c'est un beau service rendu à la DGS et Jérôme Salomon m'a chaleureusement remercié par mail pour les éléments que je lui ai envoyés. Il n'a donc pas eu la même appréciation que vous, Monsieur le rapporteur, de la qualité de la réponse qui lui avait été adressée.

Ensuite, j'ai déjà dit pourquoi nous ne sommes pas allés voir la DGCCRF : personne ne nous l'a demandé. On nous a demandé un avis juridique préalable à une réunion où nous n'étions pas et qui se tenait le lendemain ; vous avez parlé de réunion interministérielle, mais ce n'était pas le cas au sens formel, la réunion n'était pas convoquée à Matignon par le Secrétariat général du Gouvernement, je crois que c'était simplement une réunion entre les cabinets des ministres de l'économie et de la santé. La DAJ donne alors des éléments pour la discussion, mais nous n'avons pas à tenir la main de nos collègues, sauf si on nous le demande, pour vérifier que tout a bien été fait. Dans le courriel, nous expliquons le cadre, nous essayons de le contextualiser - nous venons en support, il y a une part de subjectivité, c'est aussi l'honneur de la DAJ et j'ai toujours procédé comme ça : une bonne direction des affaires juridiques ne se contente pas de dire le droit, elle n'est pas un juge, le conseil juridique ne dit pas « possible » ou « impossible » comme le faisaient les directions des affaires juridiques d'avant, qui ne se « mouillaient » pas, elles se prononcent aussi sur une part d'opportunité - c'est ce qu'on a fait dans le cas d'espèce en disant que le signalement n'est « pas évident ». Je continue de le penser puisque, comme on le verra ensuite avec la convention juridique, la fin de l'histoire allait montrer que nous avions raison.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous parlons la même langue, mais j'avoue que, depuis hier, j'ai du mal à comprendre le sens des mots que vous utilisez dans votre courriel du 29 juillet à 8 h 15. Vous dites que le recours à l'article 40 est « possible, mais pas absolument évident dans ce contexte particulier » - pourquoi « pas absolument évident » et quel « contexte particulier » ?

M. Charles Touboul Moracchini. - Je vais reprendre point par point. Le recours à l'article 40 est « possible », cela veut dire qu'on peut le déclencher juridiquement, mon courriel précise aussi que c'est le cas même en l'absence de « compétence », c'est-à-dire même hors notre secteur particulier - comme Monsieur le rapporteur l'a rappelé, l'article 40 est de portée générale, chacun peut y recourir et le faire hors de son champ sectoriel, cela ne pose pas de problème ; l'article 40 indique même que tout agent public doit le faire, y compris quand il n'est pas le mieux placé. Il y a des configurations où, même si vous n'êtes pas du secteur, c'est à vous de signaler, et c'est très bien ainsi. Ensuite, pourquoi n'était-ce « pas évident » ?

M. Laurent Burgoa, président. - Vous écrivez : « pas absolument évident »...

M. Charles Touboul Moracchini. - Oui, j'ajoute l'adverbe à mon explication. Le recours n'a rien d'évident parce que le sujet ne relève pas de la santé, ce n'est pas un sujet que la DGS a découvert elle-même. L'information vient de l'opérateur, il est venu se dénoncer dans les conditions que vous connaissez mieux que moi, il est venu dire à l'administration : « Voilà, en toute transparence, ce que je fais - et c'est probablement irrégulier », et il le dit à l'administration qui est en charge des règles qu'il pense enfreindre. La seule qualification pénale qui est en jeu concerne les droits de la consommation - l'opérateur est probablement bien conseillé sur le plan juridique, puisqu'il s'adresse au ministère chargé de suivre ces règles. Avec les informations dont je dispose, je comprends que la DGCCRF suit le dossier, qu'elle en a les éléments, et qu'elle a une affaire pénale en cours avec cet opérateur dans une affaire connexe, en plus d'être l'administration qui est compétente sur la matière considérée.

Ce sont ces éléments qui me font écrire que le signalement par la DGS au titre de l'article 40 n'est pas « absolument évident dans ce contexte ». J'ai découvert par la suite, avec les pièces connues ultérieurement, que j'étais encore loin du compte - c'était encore moins évident que ce que je ne l'avais imaginé : en réalité, ce n'était pas à nous de le faire. Cela ne veut pas dire qu'il ne fallait surtout pas le faire, je n'ai jamais dit ni écrit qu'il ne fallait pas le faire. Pardon de le dire crûment, mais en réponse à la DGS qui me demande ce qu'elle doit faire - c'est un réflexe habituel dans les administrations, après la révélation de faits ennuyeux et potentiellement graves, de se « couvrir » en recourant à l'article 40 - je lui réponds qu'elle n'a pas d'obligation à le faire, parce qu'elle n'est vraiment pas en première ligne sur ce dossier, et la suite l'a confirmé.

M. Laurent Burgoa, président. - N'aurait-il pas été plus clair d'expliciter dans votre courriel ce que vous nous dites aujourd'hui : le recours à l'article 40 est possible, mais la compétence désigne plutôt la DGCCRF pour y procéder ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous dites avoir dû intervenir dans un délai raccourci, nous l'entendons. Mais le courriel à l'ARS Grand Est vient neuf mois après celui à Jérôme Salomon, vous avez eu le temps de décrocher pour vérifier si l'article 40 avait été enclenché - je pense que c'était possible en un jour, alors a fortiori en neuf mois...

Effectivement, le jeudi 28 juillet 2022, à 14h57, Virginie Cayré, directrice générale de l'ARS Grand Est, vous écrit que « le cabinet lui ayant donné son feu vert, ma DAJ, Madame Monteiro, a pris l'attache du Procureur d'Épinal et nous aurons une réunion avec lui début septembre. D'ici là, nous lui transmettons les premiers éléments pour que nous puissions déterminer la meilleure qualification des faits. »

Dans votre réponse du 29 juillet à 8 h 15 à laquelle le président s'est référé, vous écrivez : « En droit, un signalement doit être transmis par toute autorité qui a connaissance d'un délit. Il n'existe donc pas de compétence pour réaliser la transmission d'un article 40 » - vous rappelez à raison la compétence générale. Cependant, vous écrivez ensuite cette phrase que Thomas Breton, votre sous-directeur de l'époque, dit qu'elle ne figurait pas dans l'analyse qu'il vous avait transmise : « En opportunité toutefois et alors que l'abstention à faire le signalement n'est pas vraiment susceptible de donner lieu à poursuites (...) » : nous lisons cela comme une forme de dissuasion à utiliser l'article 40, que répondez-vous ?

Toujours dans ce courriel, vous évoquez une question économique, alors que vous nous dites aujourd'hui vous être cantonné à la dimension sanitaire - il y a cette phrase : « Le risque évoqué par l'ARS d'instrumentalisation pour effectuer une restructuration du site et des équipes qui y travaillent n'est pas négligeable ».

Dans ce courriel, vous écrivez donc à la directrice de l'ARS Grand Est que si elle ne recourt pas à l'article 40, elle n'aura pas de difficulté, et vous lui écrivez aussi, quittant le domaine sanitaire auquel vous nous dites que vous réserviez vos jugements, qu'en opportunité, il y a une question de restructuration du site. Pourquoi ?

M. Charles Touboul Moracchini. - J'hésite à dire ce que je vais dire. Sur la méthode, nous ne parlons pas ici d'un dossier de 300 pages, mais de trois : vous n'avez que trois pages devant vous. Les questions que vous me posez portent sur des segments de phrase de quatre ou cinq mots, détachés de l'analyse. Dans le courriel que vous citez, l'expression « pas absolument évident dans le contexte particulier » se trouve dans les trois lignes de courtoisie que je mets en tête de l'analyse qui suit, où j'explique ce que je vous ai expliqué, et d'abord la compétence de la DGCCRF. Je veux bien répondre à toutes vos questions, je suis à votre entière disposition et je comprends très bien votre objectif de clarifier les choses, mais j'ai vu que cela n'a pas été facile hier pour Thomas Breton et je suis un peu surpris de la manière dont, parfois, les questions se présentent - je le dis très respectueusement...

M. Laurent Burgoa, président. - Je suis à mon tour surpris de vos propos, Monsieur le directeur. Vous remettez en cause le travail de contrôle parlementaire, qui est nécessaire. Faites attention à vos propos. Un travail important est effectué, notamment par nos administrateurs. Le rapporteur a également toute latitude dans son travail de contrôle parlementaire.

M. Charles Touboul Moracchini. - Je respecte pleinement vos travaux, Monsieur le Président, je me permettais juste cette remarque parce que la question qui m'est posée est revenue hier à plusieurs reprises, elle revient encore aujourd'hui...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Elle est cruciale, comprenez-le !

M. Charles Touboul Moracchini. - ... alors que la réponse se trouve à la trentième ligne, après le membre de phrase que vous citez, Monsieur le Président. J'ai pris la peine de distinguer le droit et l'opportunité. Le droit, c'est ce que la DAJ dit avec autorité ; l'opportunité, c'est l'aide à la décision qu'elle apporte, il ne s'agit alors que d'opportunité - chacun peut se positionner en opportunité.

Je vous cite mon courriel : « En opportunité toutefois et alors que l'abstention à faire le signalement n'est pas vraiment susceptible de donner lieu à poursuites, on peut hésiter sur un tel signalement. En effet d'une part, les incriminations constatées ne relèvent pas de la sphère la plus naturelle d'intervention de l'ARS et, d'autre part, le risque évoqué par l'ARS d'instrumentalisation pour effectuer une restructuration du site et des équipes qui y travaillent n'est pas négligeable. »

Deux options sont envisageables dans le contexte d'alors. Première option : poursuivre la démarche engagée officieusement à ce stade par l'ARS, jusqu'à un signalement officiel ; j'indique à l'ARS qu'elle peut poursuivre et qu'il n'y a aucun problème à le faire. Deuxième option : s'en tenir à ce signalement officieux et inviter le parquet, s'il le souhaite, à se rapprocher de l'administration de la consommation, qui est peut-être mieux à même d'apprécier l'application de cette législation. Mon courriel n'est donc pas énigmatique, comme pourrait le laisser croire la seule mention des expressions que vous en citez, il présente les options en présence : soit un signalement par l'ARS, soit par la DGCCRF - les deux chemins sont possibles, ce qui compte, c'est d'y parvenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est surprenant.

M. Charles Touboul Moracchini. - Non, ce n'est pas du tout surprenant. Je comprends que cela vous ait peut-être surpris, Monsieur le rapporteur, en faisant le lien avec ce que j'indiquais sur l'article 40. Cet article donne mandat, en quelque sorte, à tout agent public ayant connaissance d'un délit d'en donner l'information au parquet. La pratique n'est évidemment pas celle-là : il y a une logique de proximité, c'est de pur bon sens. Il est préférable de saisir quand l'information vous arrive directement, ou bien quand elle se trouve dans votre champ de compétence - vous êtes alors la bonne personne pour le faire, ou bien les agents publics passeraient beaucoup de temps dans les parquets...

Cependant, en tant que directeur des affaires juridiques, je suis garant ultime de l'application du droit et je vais reprendre une expression que vous avez utilisée hier lors de l'audition de Thomas Breton, Monsieur le rapporteur, je la partage : une DAJ, c'est ceinture et bretelles. Effectivement, je suis là pour sécuriser les interlocuteurs qui m'interrogent. C'est pourquoi je me suis posé la question, parce que je connais bien l'article 40 comme praticien depuis 20 ans, j'ai quand même un doute et je pose la question à mes équipes : est-on sûr que, surtout si l'affaire prenait de l'ampleur, le fait de ne pas signaler au titre de l'article 40 ne mettrait pas en risque le décideur, en l'occurrence la directrice de l'ARS Grand Est ? Ce dont je me souviens, c'est que j'avais en tête une analogie, peut-être fausse, avec le service de renseignement financier Tracfin, un mécanisme où l'absence de signalement fait courir le risque de la complicité. On me répond alors que non, et que la complicité, c'est vraiment dans des cas extrêmes et qu'en l'espèce, notre commanditaire n'encourt pas ce risque. Dès lors, nous l'écrivons dans un français dont je sais qu'il est perfectible, Monsieur le Président, en précisant que l'abstention à faire le signalement n'est pas suffisante pour donner lieu à poursuite. Cela indique que vous avez une marge d'appréciation et que si vous ne l'utilisez pas, en tant qu'ARS, vous ne vous exposez pas à des poursuites. Je suis dans mon rôle de DAJ en l'écrivant, ce n'est pas du tout une façon de dissuader l'ARS de faire un signalement - et j'ai été rassuré d'entendre Virginie Cayré vous dire, en audition, qu'elle n'avait été dissuadée par personne, elle a bien dit « personne », de faire son article 40, vous lui aviez posé directement la question. Je ne lui ai pas reparlé depuis deux ans et j'ai été rassuré de constater qu'elle n'avait pas malencontreusement interprété mes mots, qu'elle n'y avait pas lu une façon de la dissuader - mais qu'elle y avait vu une marge d'appréciation qu'il lui appartenait d'utiliser, en conscience, sans qu'un risque pénal ne pèse sur elle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pardon, mais le fait qu'il y ait, ou pas, un risque de poursuite, ne donne pas de marge d'appréciation, car l'article 40 pose une obligation de signalement.

Je reviens sur l'explication par votre « théorie du bouchon » : neuf mois s'écoulent entre vos deux courriels, prenez-vous contact avec votre homologue de Bercy dans ce délai, ou bien ne réagissez-vous qu'une fois saisi par l'ARS ? Et alors, pourquoi vous montrer si précautionneux, et avancer l'argument économique ? N'aurait-il pas été plus simple, et plus sûr même pour vos interlocuteurs, de vérifier auprès de Bercy qu'un signalement était en cours - pourquoi ne pas faire cette simple vérification ? C'est difficile à comprendre...

M. Charles Touboul Moracchini. - Je ne saurais vous répondre sur cet argument du « risque d'instrumentalisation pour effectuer une restructuration du site et des équipes qui y travaillent », parce que je n'avais pas d'information sur ce point mentionné par l'ARS, je me contentais d'écrire que l'ARS paraissait embarrassée et je l'indique - je vous prie d'en prendre note - dans les paragraphes relatifs à l'opportunité, où j'indique qu'il y a une marge d'appréciation. Et si c'était à refaire aujourd'hui, j'indiquerais encore qu'il y a une marge d'appréciation.

L'article 40 est écrit comme il est écrit, mais il y a son usage, sa pratique, j'aimerais vous en donner une vue concrète, pour que vous sachiez comment les choses se passent - aussi bien dans ma direction, qu'à l'ARS Grand Est ou qu'à l'Igas, nous avons à peu près tous réagi de la même façon. Combien d'agents publics étaient informés de ce dossier ? Une cinquantaine ? Une soixantaine ? Pensez-vous qu'ils devaient tous, sous peine de poursuites pénales, se rendre chez le procureur pour faire un signalement ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au moins le premier qui constate que le signalement n'a pas été fait - pour reprendre votre « théorie du bouchon ».

M. Charles Touboul Moracchini. - Comment le savoir ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est la question que l'on vous pose, qui est aussi celle de la responsabilité.

M. Charles Touboul Moracchini. - Attention, sauf dans les cas où la DAJ fait du contentieux, où elle réunit les informations pour rédiger des mémoires qu'elle envoie au juge, et qu'elle va donc chercher de l'information, la DAJ n'intervient qu'en consultation, comme un cabinet d'avocats ; nous sommes alors, soit en consultation simple, nous pouvons même accompagner des administrations lors de réunions, notre présence juridique rassure, soit nous sommes en copilotage, comme cela a été le cas pour toute la production normative de la crise sanitaire, une période où nous avions beaucoup travaillé avec vous. Dans le cas dont nous parlons aujourd'hui, nous ne sommes pas du tout copilotes, je comprends alors que les cabinets des ministres de la santé et de l'économie sont associés, avec les services opérationnels que sont la DGS et la DGCCRF - et à aucun moment je ne suis en relation avec mon homologue de Bercy, la DAJ du ministère de l'économie et des finances, que je connais bien pour y avoir commencé ma carrière. Je sais que la DAJ de Bercy travaille le plus souvent en position de conseil, plutôt qu'en opérationnel - et je pense que la DGCCRF ne l'avait même pas interrogée, mais je m'avance certainement trop en le disant, car je n'ai aucun élément d'information à ce sujet. La DAJ de Bercy n'est donc pas dans le paysage à ce moment-là, et ce n'est pas à moi d'aller chercher une direction opérationnelle, la DGCCRF, pour lui demander si elle fait bien son travail.

Vous savez, il y a une hiérarchie dans l'administration, informelle, mais très puissante, c'est presque une société de castes, avec au sommet les directions métiers, qui parlent entre elles, et en dessous les directions de support. J'étais très fier d'être DAJ, mais je n'étais qu'un directeur de services supports et donc je n'allais pas court-circuiter la direction générale de la santé, sauf si elle me le demandait, ou bien l'ARS, pour aller prendre langue avec un agent d'un autre ministère, d'autant qu'en l'espèce, les échanges se déroulaient au niveau cabinet. Je n'ai jamais été avare de coups de téléphone, je suis très à l'aise avec Bercy puisque ça a été ma « maison », mais à aucun moment la question ne s'est posée d'aller parler à la DGCCRF pour savoir si c'était à nous de faire le signalement, le dossier était déjà dans les circuits ministériels, il avait de l'antériorité, et il était évidemment assez politique - je mesure bien que Nestlé, c'est important, même si je ne suis pas spécialiste.

Vous m'interrogez sur l'expression que j'utilise dans le courriel, du « feu vert » donné par le cabinet santé à l'ARS Grand Est pour faire le signalement. Effectivement, l'information est remontée au cabinet, et nous en étions consultés la veille, comme vous le savez. Dans ce contexte, ce n'était pas à moi d'appeler la DGCCRF pour savoir si elle avait signalé, sauf si on me l'avait demandé, je l'aurais alors fait très volontiers. Nous n'étions pas du tout en charge de ce dossier et, aujourd'hui encore, je ne changerais rien à l'avis que j'ai rendu alors.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Jérôme Salomon va assister à une réunion interministérielle au niveau des cabinets, pourquoi ne lui conseillez-vous pas de vérifier qu'un signalement est en cours à l'initiative de Bercy ? Cela aurait été tout à fait conforme à votre « théorie du bouchon », et c'était bien plus simple, clair, précis...

M. Charles Touboul Moracchini. - Je vous l'ai dit, la DAJ n'est généralement pas informée des suites données à ses avis...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas le sujet. Ma question, c'est plutôt : je suis Jérôme Salomon et je vais demain matin dans une réunion à Bercy, j'ai besoin de me positionner - pourquoi ne me proposez-vous pas d'interroger mon homologue pour savoir si un signalement est en cours, en me précisant que si c'est le cas, je n'aurais alors pas à le faire, en application de votre « théorie du bouchon », oui, pourquoi ?

M. Charles Touboul Moracchini. - Je lui indique que son alter ego, le DGCCRF, est déjà en charge du dossier. Jérôme Salomon est une personnalité et il a suffisamment d'expérience pour savoir ce qu'il doit faire...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sa question portait tout de même sur l'article 40...

M. Charles Touboul Moracchini. - Et ma réponse lui a donné entière satisfaction, il m'en a chaleureusement remercié. Il était parfaitement informé, je n'avais pas à lui rappeler qu'il pouvait demander ce qu'il en était à son homologue de Bercy. Je rappelle, aussi, que nous étions en fin de crise sanitaire, nous étions très occupés et, si ce dossier a toute son importance, mon rôle n'était pas d'appeler Jérôme Salomon pour lui demander ce qu'il s'était dit à la réunion avec les cabinets ministériels...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas le sens de ma question. Ce que je vous demande porte sur l'avis que vous lui donnez avant la réunion avec les cabinets ministériels : pourquoi ne lui conseillez-vous pas de demander à ses interlocuteurs de Bercy s'ils ont fait, ou pas, un signalement - pour lui dire éventuellement qu'il aurait à le faire ? C'aurait été l'application exacte de ce que vous nous dites aujourd'hui comme étant la pratique de l'article 40, selon votre « théorie du bouchon » : pourquoi ?

M. Charles Touboul Moracchini. - Dans mon courriel, j'indique à Jérôme Salomon que l'article 40 peut se justifier en droit, et qu'il y a des agents publics beaucoup plus en charge que nous ; je pense que cela le rassure, car il comprend qu'il n'est pas en première ligne. Honnêtement, qui pouvait imaginer que nos collègues de Bercy n'avaient pas recouru à l'article 40 ? Je ne veux pas charger les autres, mais je ne comprends pas - je n'ai pas écouté l'audition de la DGCCRF, je suis sûr qu'elle avait de très bonnes raisons à agir comme elle l'a fait, mais je ne les connais pas et mon intuition va plutôt dans le sens contraire. Mes souvenirs peuvent manquer de précision, mais la lecture des courriels me rappelle que nous avions alors tous l'idée qu'un dialogue allait se nouer. La DAJ était saisie la veille de la réunion que nous pensions de dialogue, elle s'est ensuite déroulée et, vous savez ce qu'il en est pour avoir travaillé avec une direction des affaires juridiques, Monsieur le rapporteur, une DAJ est un service support qu'on vient voir lorsqu'il y a une difficulté, souvent urgente, on lui demande de se prononcer très vite - mais on ne l'informe que très rarement des suites des événements, cela m'est arrivé cent fois : c'est frustrant, mais c'est ainsi. Nous n'avons pas de service après-vente, qui nous donnerait une sorte de droit de suite sur le comportement de la direction métiers. Dans le cas d'espèce, l'avis que nous avions donné paraissait suffire, il a été jugé satisfaisant, nous sommes passés ensuite à une autre séquence - celle de l'enquête et du rapport de l'Igas, la DAJ y a participé et j'en suis content, ce rapport a apporté beaucoup à vos travaux, donc au public, il pose des questions d'intérêt général très utiles, je m'enorgueillis que cette voie aussi ait été exploitée.

M. Hervé Gillé. - Vous dites que ce dossier ne relevait « probablement pas du risque sanitaire », l'adverbe « probablement » est problématique : vous ne pouvez pas exclure le risque sanitaire parce qu'on ne vous communique pas des éléments objectifs, mais vous en restez à une appréciation subjective - et c'est donc sans certitude de risque sanitaire, que vous dites qu'il n'y en a « probablement pas », alors qu'en réalité, cette absence de certitude de risque sanitaire justifiait un recours précoce à l'article 40.

Ensuite, entre octobre 2021 et juillet 2022, il ne s'est rien passé. Vous justifiez aujourd'hui toutes vos positions, et vous nous dites même que l'évolution des choses vous a donné raison. Or, nous savons maintenant mieux les enjeux sanitaires, mais aussi le manque de transparence, l'inquiétude des consommateurs et de l'ensemble des parties prenantes : dans ces conditions, est-ce bien normal qu'entre octobre 2021 et juillet 2022, il ne se passe rien ? Vous le dites et vous en prenez la responsabilité.

Enfin, ce que vous démontrez avec brio, c'est l'incapacité des administrations à travailler ensemble, en interministériel : chacune attend l'autre. Le dossier Nestlé Waters n'était pourtant pas une paille, il sort du lot, mais rien ne paraît changer dans les habitudes des administrations, chacune reste dans son couloir en attendant que l'autre agisse - et c'est seulement le rapport de l'Igas qui a apporté de l'information, encore a-t-il été commandé bien tardivement.

M. Charles Touboul Moracchini. - Il ne s'est pas rien passé entre octobre 2021 et juillet 2022, il s'est même passé quelque chose d'essentiel : l'enquête de l'Igas. Et ces travaux de l'Igas, je vous ai dit que je m'en enorgueillissais, parce que quand la DGS m'interroge sur le recours à l'article 40, en plus de lui dire qu'un signalement est possible, j'écris qu'une mission de l'Igas serait utile - l'adverbe « probablement » vous pose problème, mais c'est précisément parce que nous n'avons pas de certitude sur le risque sanitaire, que nous indiquons ce recours à l'Igas pour avoir les idées claires...

M. Hervé Gillé. - Et donc, pendant ce temps, on ne fait rien, quoique le risque sanitaire soit éventuel - pendant tous ces mois ?

M. Charles Touboul Moracchini. - On ne fait pas rien, puisque l'Igas mène ses travaux, dans des délais qui me semblent raisonnables, pour autant que je puisse en juger.

M. Hervé Gillé. - Vous n'avez pas de certitude sur le risque sanitaire, donc il existe, et vous le laissez courir pendant des mois, au motif que l'Igas a été dépêchée pour voir ce qu'il en est : votre réponse n'est pas correcte, elle ne peut nous satisfaire.

M. Charles Touboul Moracchini. - Qui mieux que l'Igas pouvait s'assurer de ce risque ? Pensez-vous que le parquet d'Épinal aurait pu le faire ?

M. Hervé Gillé. - Cela s'appelle le principe de précaution.

M. Charles Touboul Moracchini. - Attention, il n'a rien à voir avec le droit pénal : ce n'est pas au pénal qu'on prend des mesures conservatoires pour interrompre les traitements, ce n'est pas le pénal qui, en l'espèce, protège les Français.

M. Hervé Gillé. -  Il peut le faire.

M. Charles Touboul Moracchini. - Non, le droit pénal sanctionne, mais les mesures conservatoires dont vous parlez relèvent de l'administration. Je reprends le déroulement des choses. Dans ce dossier, nous n'avions pas d'éléments de suspicion d'un problème sanitaire, la DGS l'a confirmé ; tout indiquait que nous étions sur un problème de droit de la consommation, un problème de transparence. Je suis bien d'accord avec vous sur l'importance de la transparence avec les consommateurs, mais on parle alors du droit de la consommation. Comme le risque sanitaire zéro n'existe pas, nous indiquons aussi le recours à l'Igas, je vous en ai parlé. Mais pour ce qui est des mesures conservatoires, certaines ont été prises, vous les connaissez mieux que moi ; de mon côté, je n'ai pas du tout été sollicité sur leur mise en oeuvre, j'ai indiqué dès l'amont qu'elles étaient possibles, je comprends qu'elles ont été mises en oeuvre, que les préfets, conseillés par les ARS, ont pris toutes les mesures conservatoires pour protéger - au cas où - les Français. Ces mesures conservatoires ne dépendent pas du parquet - le pénal intervient le moment venu, quand il s'agit, éventuellement, d'aller punir Nestlé pour des actes et comportements répréhensibles ; mais pour ce qui est de protéger les Français contre le risque encouru, c'est au préfet et à l'ARS de prendre les mesures conservatoires - la DAJ l'a indiqué dès l'amont, puis n'a pas été sollicitée sur cet aspect des choses par la suite.

Une fois l'Igas saisie, elle travaille en lien avec les ARS et c'est d'ailleurs ce travail qui va faire recourir à l'article 40. C'est un classique, que j'ai croisé dans mes fonctions : il y a des cas où l'on se pose la question d'un signalement, où les choses ne sont pas bien établies, y compris dans notre champ de compétence, et où, plutôt que de signaler « à l'aveugle », on recourt à l'Igas pour établir les choses, une investigation qui sera utile en cas de poursuites pénales. Mais ne pensez pas, Monsieur le sénateur, que le signalement au procureur soit un « coupe-circuit » : il permet d'informer le pénal, de se « couvrir », de faire qu'il y ait éventuellement une punition, mais cela n'arrête pas les faits - arrêter les faits, cela relève de la police administrative, pas du pénal.

Mme Audrey Linkenheld. - Je comprends à votre propos que dans la gestion du risque, il y a une répartition entre votre DAJ, qui, comme direction support, considère qu'elle gère le risque juridique, et la DGS qui, comme direction métiers, gère le risque sanitaire - mais qu'à aucun moment, vous ne considériez que votre matière même, la santé publique, change quelque chose à cette séparation, et cela est difficile à entendre. Quand vous dites que Nestlé a eu le bon réflexe de s'adresser à Bercy, parce que sa fraude n'aurait concerné que le droit de la consommation, en tant que parlementaire, en tant que citoyenne, je me dis que l'entreprise l'a fait exprès, car les risques économiques n'ont pas les mêmes conséquences et ne font pas l'objet de la même analyse que les risques sanitaires - et le principe de précaution consiste à s'assurer qu'on ne minimise pas le risque sanitaire au nom d'un principe économique. C'est la base de nos questions sur cette affaire, où se croisent l'économique, l'environnemental et le sanitaire, et nous sommes là au fondement du principe de précaution.

Je comprends votre raisonnement, mais ce qui m'interpelle, c'est qu'en tant que DAJ, vous ne vous posiez pas cette question : pourquoi Nestlé s'est-il adressé à Bercy plutôt qu'au ministère de la santé, pourquoi cette affaire se passe chez eux, et pas chez nous ? J'entends ce que vous nous dites avec la « théorie du bouchon », ou encore la distinction entre pénal et police administrative, mais le fond de ma question demeure : pourquoi une telle séparation entre ces directions métiers et support, alors qu'on parle de santé publique ?

M. Charles Touboul Moracchini. - Est-ce que j'ai été un DAJ « désincarné » ? Non, en plus j'étais en fin de mandat, très imprégné de cette expérience professionnelle, nous venions de vivre très intensément la crise sanitaire : la santé publique nous habitait tous au ministère, le jour, la nuit, les week-ends, et même le jour de Noël - nous avons tous « mouillé la chemise » pour protéger la santé des Français, au-delà des questions strictement juridiques.

La question que vous posez est celle des mesures conservatoires. Nous avons dit, dès l'amont, que ces mesures ne posaient pas de difficulté juridique. Mais ces mesures ne relèvent pas du pénal, et le principe de précaution ne conduit pas non plus au pénal, ces matières sont étanches les unes aux autres.

La suite de l'histoire a conforté l'avis de la DGS sur le risque sanitaire. Le procureur, une fois saisi, n'a pas entendu poursuivre, il a choisi une alternative aux poursuites, en préférant la voie d'une convention judiciaire d'intérêt public en matière environnementale (CJIPE) qui, comme son nom l'indique, est judiciaire, et non pénale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'en déduisez-vous ?

M. Charles Touboul Moracchini. - Que le parquet a estimé qu'il n'y avait pas matière à poursuivre et qu'il a préféré une transaction, laquelle a éteint les poursuites et n'est pas une reconnaissance de responsabilité. Attention, d'une manière plus large, nous ne sommes pas dans « le pénal, ou rien » : il y a des questions très importantes qui se traitent sans passer par la case pénale. C'est d'une certaine façon ce qu'on a fait en suggérant le recours à l'Igas pour établir les choses, ce qui ne ferme pas la porte à un signalement, qui sera alors beaucoup plus documenté. Si l'article 40 a pu être fait de manière pertinente, c'est parce qu'il y a eu le rapport de l'Igas, qui s'est appuyé sur les données des ARS. L'ARS Grand Est a fait les constats par elle-même et c'est forte de ces constats - qui valaient beaucoup plus que les informations venues de Bercy, dont nous disposions - que Virginie Cayré a estimé que c'était de sa responsabilité de faire un signalement au procureur, quand bien même la matière paraissait relever du droit de la consommation. Et nous, à la DAJ, nous lui avons dit qu'il n'y avait pas de difficulté à ce qu'elle le fasse. Elle a fait un signalement, puis cela s'est terminé par du non-pénal : le procureur d'Épinal a décidé de faire une transaction. La CJIPE est une alternative aux poursuites, le code pénal précise qu'elle ne vaut ni reconnaissance de culpabilité, ni, a fortiori, condamnation - et l'amende est d'intérêt public, ce n'est pas une condamnation pénale. Le pénal n'a donc pas abouti dans cette affaire, je crois utile de le souligner.

Je constate, pour le déplorer, qu'on met en doute les appréciations de la direction des affaires juridiques., alors que ce n'était pas à elle de dire si le risque était sanitaire, ou pas. La DAJ se prononce sur les éléments qu'on lui communique, et le dossier d'espèce n'indiquait pas de risque sanitaire. L'Igas enquête ensuite, ainsi que le service national d'enquête de la DGCCRF : leurs travaux concluent qu'il n'y a pas le début d'un problème sanitaire. Je cite la CJIPE, signée par le procureur : « Il est établi qu'à aucun moment, les irrégularités constatées n'ont eu pour conséquence de faire peser un risque sanitaire sur les populations et les consommateurs. » C'est décisif, je ne suis pas un spécialiste de l'eau minérale, je n'avais pas à m'interroger sur l'altération de la minéralité des eaux, un sujet qui entre dans votre commission d'enquête - et ce que dit cette CJIPE, c'est que le risque sanitaire n'est pas établi : « Aucune conséquence sur la santé publique n'a été relevée », et j'imagine que si cela avait été le cas, le procureur aurait poursuivi, plutôt que de signer une convention.

Un dernier mot pour vous dire que je ne me serais pas exprimé de la même façon si je n'avais pas vu l'audition de mon collaborateur hier, où j'ai eu le sentiment qu'on mettait en doute un certain nombre de qualités professionnelles de mes équipes, de ma direction et peut-être de moi-même. On nous dit que nous aurions reporté sur Bercy, puis que nous n'aurions rien fait ; que fait le procureur, après avoir reçu de l'ARS Grand Est le signalement sur le fondement de l'article 40 ? Il saisit qui, pour aller au fond des choses ? Le service national d'enquête de la DGCCRF, pas le ministère de la santé. CQFD.

Mme Antoinette Guhl. - Je voudrais commenter ce que vous dites sur le risque sanitaire. Au moment où vous preniez votre décision, on n'était pas sûr qu'il n'y avait pas de risque sanitaire. Aujourd'hui, on sait qu'il n'y en avait pas, l'eau était traitée, il y avait fraude, elle était avouée, vous en étiez informé. Or, il y a eu ensuite un risque sanitaire, quand on a demandé à Nestlé d'enlever les filtres et quand on a appliqué le plan de transformation qui a été validé par la DGS et par la DGCCRF. Donc oui, l'État a fait courir un risque sanitaire aux Français dans la consommation de l'eau minérale naturelle en ne mettant pas un arrêt à la vente de cette eau.

Vous dites avoir fait votre travail en disant qu'un recours à l'article 40 était possible, c'est un peu court, car ce que nous voulons, c'est que les Français soient en sécurité dans leur consommation, grâce à notre administration et à l'information qu'on leur donne. Or dans cette affaire, les Français n'ont pas été en sécurité, il n'y avait pas de certitude contre le risque sanitaire et il y avait fraude avérée sur l'information : les ministères de la santé et de l'économie n'ont pas protégé les Français et vous, comme service juridique qui avez eu à traiter ce dossier, vous avez été défaillant.

Alors vous allez répondre pour ce qui relève de votre seule compétence, mais je suis choquée de vous entendre dire que la fin de l'histoire a montré que vous aviez raison. Pour moi, la fin de l'histoire a montré que vous avez été défaillants dans le conseil que vous avez donné, puisqu'en réalité, vous n'avez pas assuré la sécurité sanitaire des Français en laissant Nestlé Waters continuer à distribuer une eau qui n'était pas une eau minérale naturelle, mais qui était une eau polluée avec des filtres qui laissaient passer les virus. On peut certes choisir de faire confiance à l'entreprise quand elle dit que son eau ne contient pas de virus, mais quand cette entreprise fraude depuis 20 ans, je ne vois pas pourquoi lui faire confiance.

Vous avez laissé faire cette fraude. Vous avez eu le dossier entre vos mains, vous êtes un service juridique de l'État, mais vous laissez passer la possibilité d'un risque sanitaire, et un défaut de transparence.

M. Charles Touboul Moracchini. - La fin de l'histoire, c'est votre commission qui va l'écrire. Pour ce qui est de la DAJ, saisie d'une demande sur l'article 40, la fin de l'histoire, c'est plutôt la CJIPE de juillet dernier.

Sur le fond de l'affaire, nous avons dit depuis le début que la fraude relève du droit de la consommation - c'est désormais confirmé. Vous nous trouvez peu, et même pas assez allant sur la voie pénale - or, le procureur lui-même ne l'a pas empruntée une fois qu'il a été saisi. Je n'ai pas d'argument à ajouter, si ce n'est que je suis très sensible aux sujets que vous évoquez, Madame la sénatrice. Quand on est DAJ au ministère de la santé, la santé des Français, c'est capital. Je suis moi-même très consommateur d'eau minérale naturelle et cette affaire me choque, comme consommateur - j'espère que vous saurez faire des propositions utiles pour garantir la transparence de l'information.

Je n'aime pas raisonner sur de la fiction, mais je vais m'y risquer. Si j'avais eu à me prononcer sur la levée des filtres que vous évoquez, Madame la sénatrice, ce qui n'a jamais été le cas, je crois que j'aurais conseillé une évaluation préalable par l'Igas, justement pour apprécier le risque sanitaire. Mais ce que je peux vous dire avec certitude, c'est que cette question des dispositifs de protection n'a absolument rien à voir avec les saisines qui étaient les nôtres.

Mme Antoinette Guhl. - Une réunion interministérielle se tenait le lendemain de votre courriel, elle a décidé d'appliquer le plan de transformation proposé par Nestlé. Votre avis a permis que cette réunion tranche en faveur de ce plan présenté par l'entreprise.

M. Charles Touboul Moracchini. - J'ai découvert l'existence du plan de transformation en écoutant les travaux de votre commission d'enquête. Je n'ai jamais été interrogé sur un tel plan ni sur le point de savoir s'il était suffisant ou non ni s'il respectait le droit. En revanche, le procureur d'Épinal l'a examiné et il l'a estimé suffisant - je n'ai pas d'autres observations à faire que celles qui relèvent de mon intervention, qui a porté sur le recours à l'article 40 et s'est « terminée » par l'action du procureur d'Épinal, qui a examiné ce plan de transformation et qui a recouru à une convention, laquelle fixe une amende, des mesures de réparation, ainsi qu'une indemnisation des associations requérantes.

J'ai dit tout à l'heure que la DAJ était loin d'être en première ligne, j'ai découvert en lisant la CJIPE combien nous étions plus loin encore que je ne me le figurais. Cette convention montre que les parquets étaient saisis depuis bien longtemps sous l'angle de l'installation classée et de l'environnement, c'est pour cela que le parquet d'Épinal a fait masse de l'ensemble des volets de l'affaire. C'est une convention environnementale, il y avait des plaintes bien avant la première saisine de la DAJ. L'impression que ça donne, c'est que le dossier a d'abord relevé de l'environnement, avant de relever de la consommation. J'en ai été surpris, et cela confirme qu'il y avait beaucoup de gens dans l'administration qui étaient concernés par ce dossier beaucoup plus directement que nous ne l'étions.

Je comprends que ce soit désagréable à vos oreilles sur le plan politique et des politiques publiques, mais d'un point de vue strictement pénal, nous étions très loin de nos bases.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vais tenter une conclusion de nos échanges. D'abord, sur la question de l'article 40. Ce que je retiens, avec peut-être aussi certains de mes collègues, c'est votre « théorie du bouchon », mais aussi le fait que vous ne l'avez pas appliquée au cas d'espèce, puisque pendant les neuf mois entre votre première intervention et la seconde, vous ne vérifiez pas qu'un signalement est fait par Bercy.

Sur la question sanitaire, ensuite, j'aimerais distinguer la matérialisation d'un risque et sa gestion, parce que cela est bien dans votre métier. Les faits, c'est que le risque n'était pas matérialisé au sens où il n'était pas établi qu'une bouteille d'eau consommée était polluée ni que l'eau consommée avait entraîné des maladies. Cependant, autre chose est la gestion du risque : lorsque, le 5 octobre 2021, vous renvoyez sur l'Igas, il est aussi possible que la DGS demande à l'ARS de vérifier immédiatement ce qu'il en est, pour voir s'il y a lieu de retirer l'eau de la vente. Or, ce qui est décidé, c'est d'attendre le retrait des traitements illégaux, puis, mais beaucoup plus tard, exiger un contrôle sanitaire renforcé sur la question virologique.

Une question se pose donc sur la gestion du risque sanitaire. Je vous donne un exemple en Occitanie, pour vous faire entendre les questions que nous nous posons sur la gestion du risque. En Occitanie, il a fallu attendre des mois pour sortir de l'autocontrôle : pendant des mois, c'est Nestlé, qui avait fraudé avec des traitements illégaux et qui avait menti, c'est Nestlé qui continuait à faire son autocontrôle sans même que l'administration ne s'empare du sujet et ne contrôle par elle-même : c'est ce que nous appelons une gestion défectueuse du risque sanitaire. Vous avez posé la question : qu'auriez-vous pu faire pour faire cesser le comportement frauduleux ? La réponse est simple : le ministère aurait pu utiliser ses moyens administratifs, avec l'ARS. Or, entre le 5 octobre 2021 et le 28 juillet 2022, on perd plus de neuf mois. Dans votre courriel, vous listez effectivement ce qui peut être fait, vous nous l'avez rappelé ; mais vous ne conseillez pas d'aller voir ce qui se passe en réalité, vous n'allez pas au bout, pour établir ce qu'il en est d'un risque sanitaire. Vous vous contentez de dire qu'il n'y a « probablement pas » de risque sanitaire, en vous fondant sur ce que Nestlé a dit à la DGCCRF. Je ne vous en fais pas reproche, mais on sent que, dans ce dossier, la procédure est orientée par ce que Nestlé a dit à Bercy - elle va d'un côté où la question sanitaire n'est pas bien gérée, de mon point de vue.

M. Charles Touboul Moracchini. - J'ai déjà répondu, à plusieurs reprises, sur la DGCCRF. Ce n'était pas à la DAJ de court-circuiter le réseau en allant voir une direction qui n'est pas son alter ego, avec qui elle n'a aucune relation directe, et avec qui elle n'a pas vocation à en avoir.

A-t-on perdu du temps en s'adressant à l'Igas, en a-t-on retardé l'action des ARS ? Je ne le crois pas, précisément parce que l'Igas a travaillé directement avec les ARS. Vous avez plus d'informations que moi sur ce dossier, j'ai appris beaucoup en lisant le rapport de l'Igas et en écoutant vos auditions, sur les zones d'ombre dans nos règles, européennes et nationales, sur les espaces laissés aux opérateurs pour avoir des comportements parfois répréhensibles. C'est aussi pourquoi l'intervention de l'Igas, avec son niveau d'expertise, en lien avec les ARS, me semble avoir été pertinente. L'inspection aurait-elle pu travailler plus vite ? Je ne sais pas, c'est une question technique que je ne maîtrise pas.

Quant à votre dernier point, je vous redis que nous n'avons pas été interrogés sur les options en présence, sur les mesures à prendre. Nous devions nous prononcer pour le lendemain, la demande nous était arrivée à 8 heures du matin ; j'ai écouté l'audition de Thomas Breton hier, j'avais oublié la réunion interne qu'il mentionne, mais je lui fais toute confiance pour l'exactitude de ses dires, de même que je valide et reprends à mon compte l'intégralité des mots qu'il a écrits dans ses courriels - vous l'avez compris, je suis très à l'aise avec le fond de ce dossier, avec ce que la DAJ a conseillé, et comme directeur, c'est mon devoir et mon honneur d'endosser tout ce que mon sous-directeur a écrit. Nous avons été saisis sur des points précis, jamais nous n'avons eu à répondre à une question ouverte sur ce qu'il faudrait faire et si nous estimions nécessaire de prendre d'autres mesures.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour votre participation, Monsieur le directeur. Chacun a à coeur sa mission de contrôle parlementaire, chacun fait son travail - et si hier des questions plus directes ont pu être posées, c'est aussi que les réponses avaient pu manquer de précision, mais sachez que chacun ici est intègre et respecte pleinement les administrations et leurs agents.

Audition de M. Norbert Nabet, ancien conseiller chargé de la santé publique au cabinet du ministre des solidarités et de la santé
(Jeudi 20 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons nos auditions avec celle de Monsieur Norbert Nabet, conseiller chargé de la santé publique au cabinet du ministre des solidarités et de la santé de mars 2021 à septembre 2022.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Norbert Nabet prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, vise à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Cette audition vise à nous éclairer sur la gestion, au sein du cabinet ministériel, de la révélation des fraudes commises par Nestlé Waters, et en particulier la question du recours à un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Qu'attendiez-vous de la mission confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les eaux minérales naturelles et qu'avez-vous pensé de ses conclusions ?

Lorsque Jérôme Salomon, directeur général de la santé, évoque en octobre 2021 l'éventualité d'un signalement au titre de l'article 40, pour quelle raison cette responsabilité a-t-elle été transférée à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou aux services déconcentrés, alors même que ceux-ci ignoraient à l'époque l'existence de cette fraude ?

Pourquoi n'avoir guère encouragé Virginie Cayré, directrice de l'Agence régionale de santé (ARS) Grand Est, à procéder à ce signalement ?

Je vous propose de consacrer une vingtaine de minutes à votre propos liminaire, avant de répondre aux questions de notre rapporteur, puis à celles des autres membres de cette commission.

M. Norbert Nabet, conseiller chargé de la santé publique au cabinet du ministre des solidarités et de la santé. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Permettez-moi de relever une imprécision dans votre présentation : j'ai quitté le cabinet en mai, et non en septembre. Ma prise de fonctions remonte au 1er avril, et mon départ au 10 ou 12 mai 2022. Cette distinction revêt son importance, le rapport de l'Igas ayant été rendu en juillet.

M. Laurent Burgoa, président. - Absolument, je vous remercie pour cette précision.

M. Norbert Nabet. - Si vous en êtes d'accord, je me propose de répondre directement à vos questions, ainsi j'apporterai des précisions au fil de nos échanges.

M. Laurent Burgoa, président. - Cette approche nous convient parfaitement. Vous aurez l'occasion de développer votre propos au fur et à mesure des questions de Monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour commencer, qui vous informe de cette affaire en premier lieu ? Étiez-vous présent à la réunion de juillet consacrée à l'industrie ?

Pourriez-vous préciser les acteurs avec lesquels vous avez interagi à votre arrivée sur ce dossier ?

M. Norbert Nabet. - Plusieurs années se sont écoulées et l'exactitude de mes souvenirs, notamment sur certaines dates, n'est pas garantie. Dans la mesure où je suis sous serment, je tiens à éviter toute approximation qui pourrait prêter à confusion, car j'ai pleinement conscience de l'importance de ces détails.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous aurez la possibilité d'apporter des précisions ultérieurement si un doute subsiste concernant une date.

M. Norbert Nabet. - Nous avons reçu l'information en septembre, par un courriel du cabinet du ministère de l'industrie adressé au directeur de cabinet du ministère de la Santé. J'ai été saisi de cette affaire au même titre que je l'avais été pour mes autres dossiers, en y consacrant un degré d'attention identique.

Le contexte de l'époque était marqué par une forte tension, toutefois l'organisation du cabinet garantissait un périmètre distinct du volet Covid- 19. Le dossier a été immédiatement transmis à la direction générale de la santé (DGS) qui a fait preuve de diligence quant à son instruction, insistant également pour qu'il soit traité promptement et avec une expertise à la hauteur des éléments connus à l'époque.

Une réunion de concertation a ensuite réuni les cabinets et les services, notamment la DGCCRF et la DGS. Je n'ai pas le souvenir de ma participation ou de celle de mon collaborateur. Cela dit, tout a été consigné par écrit sous forme de compte rendu. Notre position, formalisée par la suite, portait principalement sur la question de l'article 40. La direction des affaires juridiques (DAJ) a été saisie, et sa recommandation donnait priorité à l'inspection en laissant aux services la capacité de saisir le procureur en fonction de la nature des éléments recueillis.

À mon souvenir, le traitement du dossier a été rapide et n'a rencontré aucun obstacle ni dans le fonctionnement de l'administration, ni au sein du cabinet, ni dans les échanges entre ministères. La lettre de saisine de l'Igas a été rédigée et signée sans délai, et la mission engagée sans que j'aie eu d'interactions particulières avec l'Inspection ou de remontées des ARS entre son lancement et mon départ du cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu connaissance de réunions organisées à l'Élysée sur ce dossier, ou y avez-vous personnellement participé ?

M. Norbert Nabet. - Aucunement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous que la DAJ préconisait un passage par l'inspection plutôt qu'un recours à l'article 40 ?

M. Norbert Nabet. - La DGS estimait qu'une inspection conjointe avec la DGCCRF s'avérait nécessaire. Le service national d'enquêtes (SNE), déjà impliqué dans une démarche à caractère judiciaire, intervenait également en soutien, tout comme l'Igas, avec l'appui des ARS, afin d'assurer la couverture des aspects sanitaires. Cette orientation a été actée.

S'agissant de l'article 40, la question a été posée de manière explicite. De mémoire, la réponse indiquait que son activation ne s'imposait pas. Toutefois, il ne me semble pas que la DAJ ait exprimé par écrit une préférence pour l'inspection. En revanche, l'application de l'article 40 au niveau du ministère ne paraissait ni évidente ni requise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon Monsieur Touboul, l'activation de l'article 40 relevait du périmètre de Bercy.

Cette question a-t-elle fait l'objet d'échanges entre les cabinets industrie et santé ?

M. Norbert Nabet. - J'imagine qu'elle a pu être abordée entre les services. En revanche, je n'ai pas eu d'échange avec mon homologue du cabinet sur ce sujet, ou, du moins, je n'en ai pas le souvenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi avez-vous privilégié l'inspection plutôt qu'une action simultanée avec les ARS ? L'inspection ne portait d'ailleurs pas uniquement sur Nestlé, mais sur l'ensemble du secteur des minéraliers. Or, vous aviez alors connaissance d'un problème précis et immédiat lié à Nestlé.

M. Norbert Nabet. - À mon niveau, il semble difficile de vous apporter un éclairage précis. La présentation faite par la DGS dans le cadre de nos échanges quotidiens m'avait paru, à l'époque, parfaitement claire. Un contrôle de l'eau était en place sur les indicateurs connus à ce moment-là et n'avait révélé aucun signal d'alerte.

La réflexion menée par la DGS, autorité experte, reposait sur l'hypothèse que l'intervention sur l'eau minérale pouvait soulever un risque sanitaire. Dès lors, la mobilisation des agents, en parallèle de l'Igas et dans des délais rapides, permettait selon nous d'y répondre avec un niveau de contrôle supérieur à celui du régime de surveillance habituel qui, jusqu'alors et à ma connaissance, n'avait révélé aucun signal d'alerte particulier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'ARS Grand Est a été informée un an et demi après les premières révélations au niveau du cabinet de l'industrie. Or, durant cette période d'inspection, les ARS, faute d'information, ont poursuivi leur activité comme si aucune fraude n'avait été révélée.

Un tel délai vous semble-t-il légitime, alors même que les ARS sont les seules à pouvoir agir concrètement par le biais des contrôles ?

M. Norbert Nabet. - Je ne suis pas compétent pour me prononcer sur le délai, et cette question ne s'est pas posée à mon niveau.

En revanche, lorsque le cabinet a été saisi, il m'a semblé que le dossier avait été traité avec sérieux et diligence. L'inspection ainsi que la mobilisation de l'Igas et des agences m'ont paru des choix appropriés dans ce cadre. À aucun moment, je n'ai jugé anormal que les événements suivent cet ordre et ce rythme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'après les échanges du 5 octobre 2021 entre Corinne Feliers, cheffe de bureau de la qualité des eaux, et sa sous-directrice Joëlle Carmès, les cabinets santé et industrie n'étaient pas favorables, à ce stade, à la mobilisation des ARS. Ce choix semble donc avoir été pleinement assumé, impliquant une rétention partielle d'information.

Pouvez-vous confirmer qu'une décision explicite a été prise de ne pas informer les ARS ?

M. Norbert Nabet. - Je ne peux pas répondre à votre question avec certitude. Je n'ai aucun souvenir d'une discussion au cours de laquelle il aurait été explicitement décidé qu'il n'était ni utile ni nécessaire d'informer les ARS.

M. Hervé Gillé. - Selon vous, aurait-il fallu informer les ARS à ce moment-là ?

M. Norbert Nabet. - Au regard de mon expérience, je ne relève aucune anormalité dans le processus qui a été engagé, d'autant plus que les ARS sont souveraines, ou, plus précisément, disposent d'une pleine capacité à agir sur ces questions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Permettez-moi de vous exposer mon incompréhension : Nestlé, un industriel aux antécédents sanitaires lourds - je pense notamment à l'affaire Buitoni -, signale une situation de fraude au ministère de l'industrie, qui engage ensuite des échanges avec le cabinet santé.

M. Norbert Nabet. - Permettez-moi de préciser que je n'ai jamais eu le moindre échange avec Nestlé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie pour cette précision. Cependant, au lieu de solliciter directement les autorités de contrôle en lien avec ses usines, vous passez par une mission d'inspection, retardant d'un an et demi l'information des autorités compétentes. Du point de vue de la maîtrise du risque sanitaire, cette approche soulève de nombreuses interrogations.

Les échanges internes de vos services indiquent explicitement le choix de ne pas transmettre l'information aux ARS. Qui prend cette décision ? Relève-t-elle du cabinet ou d'une orientation ministérielle ?

M. Norbert Nabet. - Selon ma perception, le rapport de l'Igas visait à répondre avec méthode et en s'appuyant sur des éléments de preuve, à une double question : l'ampleur de la mauvaise pratique et les conséquences de son interruption, notamment sur le plan sanitaire.

Il s'agissait d'apporter un éclairage préalable, afin que, une fois cette analyse menée, l'inspection ou les ARS disposent des bases nécessaires pour intervenir avec leurs propres outils, conformément aux orientations formulées dans la lettre de saisine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pendant ce temps, la fraude de l'industriel se poursuit, et l'on cherche à évaluer les conséquences qu'aurait son interruption ?

M. Norbert Nabet. - L'objectif était d'évaluer, de manière précise, l'impact que cette suppression pourrait avoir sur la qualité des eaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il me semble que nous exprimons, en des termes différents, la même idée.

M. Norbert Nabet. - Certes, toutefois je tiens à préciser que la lettre de mission mentionne clairement la nécessité d'examiner l'impact d'un arrêt de ces pratiques sur la qualité de l'eau et les implications sanitaires.

Si la décision de ne pas intervenir immédiatement a été prise, c'est probablement parce qu'un doute subsistait quant aux effets de cette suspension, et qu'il convenait d'en qualifier précisément les conséquences avant d'agir.

M. Laurent Burgoa, président. - Confirmez-vous que la lettre de mission adressée à l'Igas a été rédigée par le cabinet ?

M. Norbert Nabet. - Elle est rédigée et proposée par les services, puis signée par les ministres.

M. Laurent Burgoa, président. - N'est-elle pas validée par le cabinet ?

M. Norbert Nabet. - Si, bien sûr.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez évoqué la souveraineté des ARS. Sauf erreur de ma part, en tant que services de l'État placés sous l'autorité du ministre de la santé, elles ne sont pas autonomes. Confirmez-vous cette lecture ?

M. Norbert Nabet. - Oui, toutefois les ARS restent des établissements publics administratifs, et je présume que je ne suis pas le premier à souligner cet aspect important. En tout état de cause, elles assurent en permanence un programme d'inspection des installations sanitaires, adapté à la situation du terrain et mené en lien avec le préfet. Il arrive également que les instances nationales interviennent dans le cadre d'une mission, saisissent une agence ou la mobilisent pour des contrôles spécifiques.

M. Laurent Burgoa, président. - Un flux d'informations circule, tant ascendant que descendant, n'est-ce pas ?

M. Norbert Nabet. - Oui, bien sûr. Cette circulation de l'information est structurée entre la DGS et les ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la note commandée par la DGS et lors de la réunion interministérielle du 14 octobre 2021, d'autres solutions comme la suspension des forages ou le déclassement des eaux ont-elles été envisagées ?

Pourquoi avoir maintenu un statu quo dans lequel l'industriel a pu poursuivre son activité sans sanction ? Il a fallu attendre que les ARS prennent l'initiative pour que la responsabilité de l'industriel soit engagée.

Par ailleurs, du point de vue commercial, l'entreprise a poursuivi son activité sans contrainte : ni déclassement ni modification de son périmètre d'exploitation.

Partagez-vous cette analyse ?

M. Norbert Nabet. - Oui. Je ne peux toutefois me prononcer sur l'aspect frauduleux, qui ne relevait pas du périmètre de notre intervention.

Dans l'instruction menée par la DGS, il me semble que ces questions ont bien été examinées, et la position arrêtée lors de la réunion interministérielle du 14 octobre a été la saisine rapide de l'inspection et des ARS, dans le cadre de la lettre qui a été adoptée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette décision a-t-elle été validée par votre tutelle ?

M. Norbert Nabet. - Oui, le ministre a signé la lettre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La décision de ne pas engager d'actions à l'échelle territoriale - qu'il s'agisse de déclassements ou d'arrêts - a-t-elle été validée sur le plan politique ?

M. Norbert Nabet. - Cette décision a suivi la chaîne de validation habituelle. À mon niveau, je n'ai pas souvenir qu'elle ait fait l'objet d'un retour nécessitant de forcer un arbitrage à ce stade.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce moment-là, un consensus semblait exister entre ministères sur la gestion du dossier, même si cette position évoluera après votre départ. Confirmez-vous ce point ?

M. Norbert Nabet. - Je n'ai perçu aucun désaccord entre le ministère de l'industrie et le ministère de la santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Virginie Cayré, directrice de l'ARS Grand Est, indique qu'elle a engagé l'article 40 après avoir obtenu le « feu vert » du cabinet.

Êtes-vous à l'origine de ce « feu vert » ?

M. Norbert Nabet. - Non, je n'ai aucun souvenir d'un échange avec Virginie Cayré sur ce sujet durant mes fonctions. Je n'exclus pas que des échanges aient eu lieu avec la DGS.

M. Hervé Gillé. - Il semblerait légitime que, même si les ARS n'avaient pas été informées de la situation, elles aient au moins été sollicitées pour intensifier les contrôles sur l'ensemble du secteur. J'aimerais recueillir votre point de vue à ce sujet.

Par ailleurs, vous distinguez la problématique sanitaire des considérations économiques et commerciales. Pourtant, ces eaux minérales sont précisément achetées et consommées en raison de leurs supposés bénéfices pour la santé.

M. Norbert Nabet. - Je comprends votre propos, néanmoins il ne s'agit pas de produits de santé à proprement parler.

M. Hervé Gillé. - Certaines eaux minérales sont prescrites par des médecins pour leurs propriétés spécifiques et font l'objet d'autorisations à ce titre. Elles se trouvent ainsi directement liées au domaine de la santé, dont vous semblez vous exclure. Comment expliquer que vous n'ayez pas jugé nécessaire d'intervenir sur un problème qui relève, non seulement d'une question sanitaire au sens strict, mais aussi d'un enjeu de santé publique ?

Enfin, puisque vous affirmez que la gestion du dossier a été menée avec rigueur et selon les procédures adéquates, où se situe alors la faille ?

M. Norbert Nabet. - La DGS et le cabinet ont privilégié une action rapide et cohérente en lien avec la DGCCRF, sans connaissance précise de l'ampleur de la mauvaise pratique. Une dimension majeure du dossier concernait la tromperie, relevant des prérogatives de la DGCCRF. Cela ne signifie pas que nous n'étions pas concernés, mais que la fonction du ministère de la santé consistait à évaluer l'impact sanitaire. Or, à cette période, les nombreux indicateurs de surveillance, qui bénéficient d'un suivi rigoureux, ne révélaient aucun signal d'alerte particulier.

La saisine rapide de l'Inspection représentait une mesure exceptionnelle dans un contexte de forte tension, et la lettre aux agences a permis de structurer un plan d'inspection approfondi. Il ne me semble pas que cette approche puisse être qualifiée d'insuffisante dans ce contexte. Je n'ai pas eu de relations conflictuelles avec les cabinets de l'industrie ou de l'économie, et nos échanges par courriel ont rapidement abouti à un accord.

L'essentiel du travail a été mené en profondeur par les experts de la DGS, instruit, validé et mis en oeuvre très rapidement. À notre niveau, ce dossier a toujours été considéré comme une priorité. À l'époque, l'ampleur du scandale qui émergera plusieurs mois plus tard n'était pas perceptible. Je me souviens d'un courriel du directeur général de la santé au cabinet, soulignant la gravité du problème et les risques politiques, économiques et sanitaires qu'il impliquait, et insistant sur la nécessité de les examiner.

La lettre de mission a été rédigée en quelques jours ou semaines. Je ne crois pas que nous ayons perdu un temps précieux au détriment de la santé des Français. Ce dossier a été traité avec sérieux et célérité, dans un volume d'affaires conséquent, et, à ce moment-là, avec un consensus clair entre les ministères concernés.

Mme Audrey Linkenheld. - Pourriez-vous confirmer que, selon vous, l'objectif principal du rapport commandé à l'Igas était d'évaluer si l'arrêt des mauvaises pratiques pouvait avoir un impact sanitaire, plutôt que d'analyser si leur maintien présentait un risque pour la santé publique ?

J'aimerais également clarifier la raison pour laquelle vous insistez sur le consensus entre les ministères de l'industrie et de la santé durant votre mandat.

Enfin, pourriez-vous nous décrire la coordination entre le cabinet, la DGS et les ARS ?

M. Norbert Nabet. - La lettre de mission de l'Igas repose sur quatre points dont l'un porte sur les conséquences d'un retrait des mesures. Toutefois, les points précédents examinent également l'impact sanitaire du maintien de ces pratiques.

J'ai cru comprendre, monsieur le rapporteur, que vous faisiez allusion à une évolution des relations entre ministères après le mois de juin. Or, durant mes fonctions, je n'ai constaté aucun désaccord. Il arrive que des ministères aient des divergences, ce qui relève du fonctionnement normal de l'administration et donne lieu, si nécessaire, à un arbitrage du Premier ministre. Ce n'était pas le cas en l'espèce. Lorsque le projet de lettre a circulé, plusieurs versions ont été discutées, sans aucun affrontement.

Mme Audrey Linkenheld. - Avez-vous eu connaissance de l'évolution des relations entre ministères par d'autres sources ?

M. Norbert Nabet. - Aucunement. Après mon départ, j'ai quitté la sphère publique et n'ai plus été en contact avec ces sujets jusqu'à leur révélation médiatique.

M. Hervé Gillé. - Si vous me le permettez, ma question demeure sans réponse : où se situe l'erreur, pour en arriver à une telle situation ?

M. Norbert Nabet. - Je ne dispose pas de tous les éléments pour identifier une erreur spécifique. À l'époque, notre priorité consistait à évaluer l'ampleur de la situation et ses impacts, y compris ceux d'une suspension immédiate des pratiques en cause. Cette option a été envisagée, mais il semblait nécessaire, d'un point de vue sanitaire, d'en mesurer les conséquences avant toute décision.

La gestion du volet fraude relevait de la DGCCRF. En tant que médecin, mon approche portait sur les risques sanitaires, et ces questions ont été traitées avec rigueur dans des délais contraints. Nous avions exigé que l'Igas rende son rapport sous trois mois ; il a finalement été publié un peu plus tard, mais la lettre de mission précisait bien que toute irrégularité relevée durant l'enquête pouvait donner lieu à des actions immédiates, sans attendre la remise du rapport final.

La coordination entre les instances était soutenue : réunions hebdomadaires avec la DGS, échanges constants entre conseillers et services, et suivi régulier du dossier. Une fois la décision prise, son exécution s'est déroulée sans accroc à ma connaissance.

La question de l'article 40 a fait l'objet d'une saisine de la DGS, qui a formulé une réponse jugée pertinente. Par ailleurs, le directeur de cabinet et le ministre organisaient des réunions mensuelles avec les ARS. N'assistant pas à ces réunions, je ne peux pas vous garantir la présence systématique du ministre, cependant ces échanges constituaient un cadre de coordination régulier.

Le fonctionnement interne du cabinet reposait sur des réunions hebdomadaires avec toutes les directions d'administration centrale, et des échanges permanents entre les conseillers et le cabinet ministériel. Les dossiers étaient passés en revue systématiquement avec le directeur adjoint du cabinet, dans un contexte perturbé par la crise sanitaire.

Enfin, je tiens à souligner la qualité de l'organisation et de l'expertise de la DGS, dont la mobilisation a été exemplaire. À aucun moment, je n'ai perçu de dysfonctionnement ou même de signal faible indiquant un problème dans le suivi de ce dossier. Les décisions ont été prises sans concession, avec un souci constant d'expertise et de rigueur, et dans un contexte de fin de mandat où les enjeux étaient particulièrement scrutés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 5 octobre 2021, Corinne Feliers indique à Joëlle Carmès vous avoir rappelé que le SNE de la DGCCRF était déjà mobilisé sur ce dossier dans le cadre de l'enquête menée au sein du groupe Alma. Elle précise que demander au SNE d'examiner également le groupe Nestlé apparaissait comme la meilleure option pour obtenir rapidement des informations sur ses pratiques. Par ailleurs, elle mentionne vous avoir suggéré d'investiguer les raisons ayant conduit à l'adoption de ces traitements et de solliciter du groupe Nestlé une transparence totale sur les risques identifiés concernant ses ressources et ses chaînes d'embouteillage.

Avez-vous suivi ces préconisations ?

M. Norbert Nabet. - Elles figurent dans la lettre d'inspection. Je n'ai aucun souvenir d'avoir rejeté ces recommandations ni de les avoir jugées inutiles. Si cela avait été le cas, vous en auriez trouvé trace. Le processus a suivi son cours : les recommandations ont été transmises au sous-directeur, puis au directeur de l'administration, qui les a intégrées avant de formuler une proposition au cabinet.

En l'occurrence, la note préparée par Jérôme Salomon reprenait une grande partie de ces éléments, qui ont ensuite été intégrés à la lettre d'inspection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le choix de ne pas recourir immédiatement au contrôle sanitaire reposait-il sur un accord avec le ministère de l'industrie pour que Nestlé maintienne ses traitements illégaux pendant une certaine période ?

M. Norbert Nabet. - En aucun cas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous indiquez néanmoins que le rapport de l'Igas visait à déterminer si ces traitements illégaux pouvaient être retirés sans risque.

M. Norbert Nabet. - Cette approche a vraisemblablement été choisie pour éviter d'alerter l'industriel. Dans un contexte où une enquête était déjà en cours, l'objectif était de traiter la situation rapidement, sans interférences susceptibles de compromettre le contrôle.

Je peux affirmer avec certitude que je n'ai jamais été contacté par qui que ce soit du côté de l'industrie pour me demander de différer l'intervention de l'ARS ou de l'inspection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'attache à comprendre le processus de décision : un industriel reconnu en infraction déclare devant le ministère de l'industrie que ses traitements sont nécessaires pour désinfecter l'eau. Ainsi, la suppression éventuelle de ces traitements pose une question sanitaire majeure.

M. Norbert Nabet. - À ce stade, nous cherchions à évaluer l'impact sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En somme, l'objectif consistait à déterminer si ces traitements pouvaient être supprimés sans risque sanitaire.

M. Norbert Nabet. - Il s'agissait de s'assurer qu'une éventuelle instruction de retrait immédiat ne provoquerait aucun impact négatif sur la santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le cadre du plan de transformation, le ministère de l'industrie a-t-il assuré que Nestlé ne retirerait pas immédiatement ses traitements, le temps que l'évaluation soit menée ?

M. Norbert Nabet. - Je n'ai reçu aucun commentaire ni demande concernant l'attitude de l'industriel, que ce soit du côté de l'industrie ou de Nestlé. Notre seul enjeu relevait de l'évaluation sanitaire.

Par ailleurs, la DGS et le ministère de la santé ont toujours défendu avec fermeté leur périmètre, sans chercher à alléger la situation. Si une décision politique avait dû être prise, elle l'aurait été dans le cadre d'un arbitrage interministériel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La possibilité de déclasser ces eaux vers la catégorie des eaux de boisson a-t-elle également été envisagée ?

M. Norbert Nabet. - À mon souvenir, non.

Mme Audrey Linkenheld. - Le DAJ du ministère de la santé n'a semble-t-il jamais été troublé par le fait que Nestlé ait choisi de s'adresser au ministère de l'industrie plutôt qu'à celui de la santé, ni par l'idée que l'activation de l'article 40 pouvait relever de l'industrie plutôt que de la santé.

Or, selon nous, et en cohérence avec ce que vous avez souligné sur l'importance de défendre fermement les prérogatives sanitaires, la DAJ du ministère de la santé ne devrait-elle pas maintenir une vigilance accrue lorsqu'un doute subsiste sur un enjeu sanitaire ?

M. Norbert Nabet. - Le rôle de la DAJ consiste à dire le droit en fonction du contexte. L'importance du risque, sa gravité et son ampleur peuvent, bien sûr, influer sur le niveau de précaution et l'urgence d'une recommandation, mais Charles Touboul serait plus à même de répondre précisément sur ce point.

Lorsque nous avons été saisis et que la question de l'article 40 s'est posée, notre priorité était de vérifier l'urgence de la situation. Or, à ce moment-là, aucun signal faible ne laissait présager un risque sanitaire immédiat, même si la potentialité d'un problème était bien identifiée. L'objectif était donc d'enquêter rapidement et méthodiquement, sans pour autant considérer que la santé publique était activement menacée. Dans ce cadre, je comprends la position adoptée par la DAJ du ministère de la santé.

Quant à Charles Touboul, je salue son travail remarquable et exceptionnellement réactif, dans un contexte marqué par une forte pression. Son analyse juridique s'est avérée solide et rassurante. Eu égard aux éléments alors disponibles et à la présentation du dossier, il apparaissait essentiel d'apporter des réponses précises avant de prendre des mesures aux conséquences lourdes.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos nombreuses questions.

Audition de Mme Mathilde Merlo, cheffe du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé
(Jeudi 20 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Bonjour à tous. Nous poursuivons nos auditions avec celle de Madame Mathilde Merlo, chef du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé. À la demande du rapporteur, et compte tenu des auditions précédentes, nous avons décidé qu'elle ne serait pas retransmise en direct, mais en différé, afin d'échanger en toute sincérité et confidentialité.

Avant de vous céder la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Mme Mathilde Merlo prête serment.

Merci. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, vise à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Madame, le bureau que vous dirigez exerce un rôle central en matière de réglementation des eaux minérales naturelles et de source. Vous participez également à l'animation du réseau des agences régionales de santé sur cette thématique. Elles mettent en oeuvre la réglementation française des eaux conditionnées et réalisent les contrôles officiels des exploitants.

Si les eaux minérales naturelles qui ont fait l'objet de traitements frauduleux ne présentaient aucun risque sanitaire, pourquoi ces traitements interdits et une filtration ont-ils été installés par les industriels ? Plusieurs d'entre eux, dont Nestlé Waters, ont eu et ont toujours recours à des traitements de microfiltration de l'eau minérale naturelle à 0,2 micron. Ces traitements sont-ils autorisés ? S'apparentent-ils à une forme de désinfection de l'eau ? Provoquent-ils une modification du microbisme de l'eau ? Selon vous, la microfiltration est-elle susceptible de dissimuler des contaminations virologiques ?

Mme Mathilde Merlo, cheffe du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé. - Bonjour. Je me présente aujourd'hui à vous pour cette audition en tant que chef du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé depuis le 1er septembre 2023.

Cette audition fait suite à celle du directeur général de la santé, le 22 janvier dernier, sous l'autorité duquel j'exerce mes fonctions à la sous-direction de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation.

Ingénieure chimiste et de santé publique, j'ai d'abord exercé au ministère chargé du travail, puis à celui de l'écologie avant de rejoindre l'agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail pendant une dizaine d'années. J'ai pris mes fonctions à la DGS en mars 2019, d'abord pour l'élaboration du plan national santé environnement, puis pour la gestion de la tutelle de l'Anses.

Le bureau de la qualité des eaux compte aujourd'hui 13 personnes, principalement des ingénieurs. Il est chargé de définir les politiques publiques pour garantir la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine - c'est-à-dire l'eau qui coule de nos robinets -, conditionnées, dont les eaux minérales naturelles et les eaux de source, et de loisirs, piscines et baignades. Cette activité s'entend depuis le point de captage jusqu'à son utilisation finale, y compris pour assurer un accès à l'eau à chacun d'entre nous.

Au sein du bureau, environ 0,75 ETP est consacré à la gestion du dossier des eaux conditionnées.

Plus récemment, dans un contexte de changement climatique, nous avons développé une nouvelle politique de réutilisation des eaux impropres à la consommation humaine pour certains usages, afin d'inciter à une utilisation résiliente, tout en assurant la sécurité sanitaire des utilisateurs.

Le bureau assure également le pilotage de systèmes d'information nous permettant de collecter les données des agences régionales de santé acquises pour la mise en oeuvre de cette politique et de les rapporter au niveau européen. Notre activité quotidienne s'inscrit en effet dans un système de règles européennes très complet, fondé sur trois principales directives, donc chacune comporte un exercice de rapportage propre.

La déclinaison de ces règles au niveau national s'effectue dans un cadre interministériel, avec les ministères chargés de l'écologie et de l'agriculture, sur la base de l'expertise des agences sanitaires.

La gestion de la sécurité sanitaire des eaux minérales naturelles et des eaux de source repose sur la directive 2009/54/CE sur les eaux minérales naturelles et la directive 2020/2184. Cette dernière concerne principalement les eaux destinées à la consommation humaine, mais elle s'applique pour partie également aux eaux de source.

Ces directives sont transposées en droits français par des dispositions législatives et réglementaires, complétées par sept arrêtés d'application.

La France compte aujourd'hui 104 sites d'exploitation d'eau minérale naturelle et d'eau de source, répartis inégalement sur le territoire, au sein de 59 départements et 18 régions. En 2023, les ARS ont réalisé environ 4 000 prélèvements, correspondant à 147 000 analyses effectuées dans le cadre du contrôle sanitaire des agences régionales de santé. Le taux de conformité dépassait 98 %.

Je me permets de remettre ces chiffres en perspective avec ceux qui accompagnent notre activité au quotidien : 32 800 captages d'eau potable en France, alimentant 17 200 stations de traitement et de production d'eau potable, et 23 750 unités de distribution. Ces dernières correspondent à l'ensemble des canalisations et des équipements permettant la livraison de l'eau au robinet.

S'agissant des eaux de loisirs, la France compte près de 3 400 sites de baignade, 1 300 en eau douce, 2 100 en eau de mer, et plus de 4 000 piscines publiques. Nous en assurons le contrôle avec les ARS.

Ma prise de fonctions au bureau de la qualité des eaux est intervenue en septembre 2023, après les révélations de recours à des traitements interdits par certains minéraliers, la mission d'inspection de l'IGAS, et le retrait des traitements interdits sur les deux sites concernés, dans le Gard et dans les Vosges. Depuis, trois évènements principaux sont survenus.

À l'automne 2023, l'Anses a remis ses travaux que nous avions sollicités à l'été, pour proposer un système de surveillance renforcé des eaux minérales naturelles et interpréter les résultats. Au printemps 2024, la Commission européenne a organisé un audit inopiné relatif au contrôle officiel des eaux conditionnées. Nous l'avons piloté pour les autorités françaises, avec l'appui des services de la consommation et du ministère de l'agriculture.

La Commission européenne a rendu son rapport en juin 2024. Depuis l'été 2024, nous menons des travaux interministériels et avec les ARS pour prendre en compte de ses recommandations, confirmées par les constats et conclusions de la mission d'information de la sénatrice Guhl sur les eaux conditionnées. Sur la base des informations dont nous disposons à ce sujet depuis 2021, notre activité sur ce dossier s'attache à répondre à trois enjeux principaux.

D'abord, nous nous assurons de la pureté originelle des eaux minérales naturelles et de source, condition nécessaire à leur exploitation, après autorisation des préfets, avec l'appui des ARS. Ensuite, il nous revient de renforcer la coordination des services de l'État pour les contrôles officiels des eaux conditionnées dans le respect des compétences respectives de chacun. Enfin, le marché des eaux conditionnées étant européen et nécessitant des pratiques harmonisées, il est essentiel de clarifier le statut de la microfiltration au niveau européen. Son objectif ne peut être de pallier une insuffisance de la qualité originelle de l'eau ni de modifier le microbisme de l'eau, c'est-à-dire sa signature originelle.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions pour ce qui concerne la période postérieure au 1er septembre 2023, date à laquelle j'ai pris mes fonctions.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci. Je laisse le rapporteur vous poser des questions pour que vous complétiez votre propos.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons souhaité ne pas diffuser cette audition en direct pour la sérénité des échanges. Nous n'avons pas les mêmes exigences vis-à-vis de vous, en termes de responsabilités, que vis-à-vis du directeur général de la santé. Nous recherchons un certain nombre d'informations dont vous pourriez tout de même disposer, dans la mesure où vous travaillez très directement sur les sujets dont traite notre commission d'enquête.

Lors de nos auditions, il est apparu que plusieurs industriels ont eu - et ont toujours - recours à des microfiltrations à 0,45 ou 0,2 micron. Cette pratique n'est toutefois pas universelle : le seuil de 0,8 micron sous lequel la filtration était interdite a toujours été clair pour certains industriels, tels que Danone. Qu'en pensez-vous ? Considérez-vous que cette question était claire, ou qu'elle pouvait faire l'objet de discussions, comme le prétendent certains mis en cause ?

Mme Mathilde Merlo. - La directive européenne reprise en droit français s'appuie sur un principe de pureté originelle de l'eau. Celle-ci doit en effet être pure au forage, sans indicateur de contamination.

De plus, ce matériau étant vivant, la directive tolère la présence d'un certain nombre de micro-organismes naturels non pathogènes. Elle prévoit donc des valeurs indicatives, reprises en droit français, traduisant l'existence d'une vie dans l'eau.

Ensuite, la directive européenne, comme le droit français, autorise une liste positive de traitements extrêmement limitée ayant pour unique objet de retirer des éléments instables, dont certains sont indésirables pour la santé : l'arsenic, le fer, le soufre et le manganèse. Elle cite quelques outils permettant le traitement, à savoir la décantation, la filtration et la séparation.

Au ministère de la santé, nous avons construit notre doctrine sur la base des recommandations de l'AFSA, datant de 2021, en adoptant une taille de pores permettant d'arrêter les matériaux issus du traitement par un système de microfiltration à 0,8 micron. Celle-ci devrait suffire, d'autant plus qu'une filtration à un niveau inférieur pourrait générer une désinfection. Ceci étant, cette question ne devrait même pas se poser, étant donné que l'eau issue du forage devrait être pure et exemple de macro-organismes pathogènes.

Ces éléments me semblent très clairs dans la directive européenne.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De votre point de vue, cette doctrine était-elle claire pour les industriels, ce qui semble avoir été le cas par exemple pour Danone ? Comment jugez-vous ceux qui nous disent aujourd'hui qu'elle ne l'était pas ?

Mme Mathilde Merlo. - Lors de ma prise de poste, ce principe m'a paru très clair à la lecture des textes. Il l'est d'autant plus qu'il n'y a pas lieu de traiter l'eau au forage. Elle doit être pure. Seul le retrait d'éléments instables est autorisé en matière de filtration.

Une fois ces traitements opérés, un process industriel s'instaure du forage à l'embouteillage. Ces dispositifs s'entretiennent, se changent, se nettoient, se désinfectent. J'entends que des industriels revendiquent des systèmes de filtration bien inférieurs, jusqu'à 0,2 micron. Ils peuvent générer un impact sur la présence de pathogènes en créant un effet désinfectant. Des micro-organismes revivifiables peuvent s'y développer. Ils ne sont pas pathogènes, et peuvent être relevés dans les eaux minérales naturelles, en général très profondes, mais ils sont soumis à un plafond par bouteille.

La deuxième exigence de la directive européenne reprise en droit français précise bien qu'aucun traitement ne peut modifier le microbisme de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous, au regard des éléments dont vous disposez, que les microfiltrations à 0,2 ou 0,45 micron constituent un élément de désinfection ou peuvent modifier le microbisme de l'eau ?

Mme Mathilde Merlo. - Cette question est compliquée. Je n'ai fait que reconstruire un puzzle sur la base de nombreux échanges avec mes collègues des ARS. Je perçois que deux sites sont atypiques par rapport à d'autres. Les révélations de 2021 nous ont poussés à nous interroger quant à la qualité originelle de l'eau à ces endroits. La microfiltration à 0,2 micron n'arrêtera pas tout. Dès lors que la pureté originelle de l'eau n'est plus respectée, ces eaux ne peuvent plus être qualifiées de minérales naturelles. J'ai pu recueillir des informations de collègues qui ont immédiatement désiré s'assurer du respect de ce principe. Les forages qui ne le respectaient plus ont été fermés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous repréciser ces sites ?

Mme Mathilde Merlo. - Je parle de Vergèze dans le Gard, et des sites de Vittel, Contrex et Hépar dans les Vosges.

Je rappelle qu'une eau minérale naturelle doit être une eau originellement pure. Elle n'a pas à être désinfectée. Ces deux sites ont eu recours à des traitements interdits. Dans ce cadre, la première mission de nos collègues des ARS visait à s'assurer de la pureté originelle de ces eaux. Lorsqu'elle n'était pas avérée, les captages ont été fermés. C'est ce qui s'est passé à Vergèze et dans le Grand Est.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est, à votre connaissance, le nombre de captages fermés ?

Mme Mathilde Merlo. - Je peux affirmer qu'au moins deux d'entre eux ont été fermés. Je vous invite à interroger les ARS concernées sur ce point.

Du plan de transformation mis en place en Occitanie et dans le Gard, j'ai compris qu'une fois évacuée la question des forages qui ne correspondaient plus à la pureté originelle de l'eau prescrite, il pouvait persister des intrusions de micro-organismes pathogènes ou une flore revivifiable prenant une ampleur trop importante. Celle-ci justifierait pour partie le recours à des microfiltrations à 0,2 micron. Je n'ai pas plus d'information autre que le fait que cette microfiltration intervient postérieurement à l'émergence de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous aller au bout de ce raisonnement ? Cette microfiltration intervenant dans le processus de production est-elle autorisée à 0,2 ou 0,45 micron ? Ou peut-elle s'apparenter à une désinfection ?

Mme Mathilde Merlo. - Dès lors que l'exploitant apporte la preuve que la microfiltration à 0,2 micron n'a pas pour effet de modifier le microbisme de l'eau, il me semble que les contraintes et les exigences de la directive européenne sont respectées. En revanche, si cette filtration a pour effet de désinfecter la présence de micro-organismes pathogènes intervenus à un moment du processus, elle contrevient à ce texte. Je ne parle plus ici de la pureté originelle de l'eau, mais d'un incident qui serait intervenu sur le processus d'embouteillage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans votre analyse, une telle microfiltration à 0,45 ou 0,2 micron est-elle susceptible de modifier le microbisme de l'eau ?

Mme Mathilde Merlo. - La réponse dépend de ce qui est présent dans l'eau. Elle peut en effet modifier la présence d'organismes revivifiables. Les eaux des forages sont très anciennes, et très profondes. La présence de tels organismes y est parfois très faible. Si une microfiltration à 0,2 micron est opérée alors même qu'ils en sont absents, elle ne modifiera pas leur nombre. En revanche, s'il s'agit de micro-organismes pathogènes apparus dans le système de production, cette microfiltration peut en effet les arrêter.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des échanges de mail montrent que la DGS a relancé le cabinet en janvier 2023, et qu'elle a émis un avis défavorable à la demande formulée par Nestlé à la direction des affaires juridiques de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et au cabinet du ministère de l'Industrie de voir autoriser la filtration à 0,2 micron. Pourquoi ?

Mme Mathilde Merlo. - Je n'étais pas présente à cette époque. Cette décision me paraît sensée. L'eau minérale naturelle doit être pure au départ. Il n'y a donc pas lieu de réaliser une filtration pour la purifier. La désinfection est interdite. Une liste de traitements positifs est autorisée. Elle peut justifier, une fois le traitement appliqué, et afin de retenir les éléments indésirables, de mobiliser un système de filtration. Des pores de 0,8 micron devraient suffire dans ce cadre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 23 février 2023, il a été acté lors d'une concertation ministérielle dématérialisée l'autorisation d'un traitement inférieur à 0,8 micron sur les sites de Nestlé dans les Vosges et dans le Gard. Pouvez-vous confirmer que cette position n'était pas celle de la DGS ?

Mme Mathilde Merlo. -Je n'étais pas présente. La DGS me semble être restée sur sa doctrine, sur la base de l'avis de l'Anses. En effet, la note que vous évoquez, puis la concertation interministérielle dématérialisée (CID) ont été alimentées par une demande adressée à cette agence au sujet de la microfiltration. Elle indiquait alors que des bactéries pouvaient être retenues sous un seuil de 0,8 micron. Sous ce seuil, l'exploitant, qui se doit de mettre sur le marché une eau conforme, doit apporter la preuve que son microbisme n'a pas été modifié. Il n'a en aucun cas le droit de procéder à une désinfection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, un industriel a-t-il été en mesure d'apporter cette preuve ?

Mme Mathilde Merlo. - Je manque de données pour m'exprimer. Je pense que cette analyse doit être menée au cas par cas. Les eaux minérales naturelles ou de source sont des produits de terroir. Elles ne sont pas toutes équivalentes, ne présentent pas les mêmes taux d'organismes revivifiables, et ne nécessitent pas les mêmes traitements, qui doivent être adaptés à chaque situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je retiens qu'à votre connaissance, aucun industriel n'a pu apporter cette preuve.

Mme Mathilde Merlo. - Je ne dispose pas de données pour vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'interroge sur la maîtrise du risque sanitaire dans cette affaire, depuis sa révélation au ministère de l'Industrie en août 2021 jusqu'aujourd'hui. Les ARS ont réagi différemment. Elles ont immédiatement pris des mesures dans le Grand Est en lançant un contrôle sanitaire renforcé dès qu'elles ont eu connaissance de la fraude, tandis que l'autocontrôle de l'industriel a été maintenu en Occitanie. De votre côté, avez-vous tiré de bonnes pratiques de cette affaire ? Le risque sanitaire a-t-il été mieux géré dans le Grand Est qu'en Occitanie ?

Mme Mathilde Merlo. - Je ne peux pas vous dire si certains collègues ont mieux agi que d'autres.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne vous demande pas un jugement sur vos collègues, mais sur les pratiques. Avez-vous le sentiment que les risques sont mieux gérés dans le Grand Est qu'en Occitanie ?

Mme Mathilde Merlo. - Je n'ai pas suffisamment d'informations pour donner mon avis sur votre question. En revanche, l'autosurveillance de l'exploitant et le contrôle de l'ARS s'inscrivent aujourd'hui dans une forme de complémentarité. L'exploitant a une obligation de surveillance de premier niveau, et l'ARS contrôle les paramètres de la directive européenne, permettant au préfet de prendre une décision sur la base des résultats du contrôle sanitaire.

Je m'interroge plutôt sur les autres sources : la pureté originelle de l'eau y est-elle assurée ? Il est nécessaire de s'assurer de la complémentarité de ce qui peut être fait par l'exploitant et des contrôles de second niveau mis en place par l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de l'audition d'Alma Source portant sur la situation de Cristaline, nous avons pris connaissance d'alertes sur la qualité des eaux de cette marque. Il apparaît que lors de la crise de la ressource en eau à Mayotte, des bouteilles y ont été envoyées pour constituer un stock de l'État. Des usagers y ont dénoncé des odeurs d'hydrocarbure. Des tests ont confirmé la présence d'hydrocarbures à des seuils élevés. Avez-vous eu connaissance de ces éléments ? L'origine de la contamination a-t-elle été clairement identifiée ? Quelles mesures ont été prises à la suite de ce constat ?

Mme Mathilde Merlo. - J'ai bien connaissance de ces éléments, traités par la DGS en interministériel, mais pas par mon bureau. Je n'aurai que des informations partielles à vous apporter. Il me semble que vous avez adressé un courrier officiel au ministre de la Santé pour obtenir des informations spécifiques.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce courrier a été cosigné il y a une dizaine de jours.

Mme Mathilde Merlo. - Il est préférable que nous vous transmettions les éléments en cours de préparation. Je peux vous dire que des vérifications ont été effectuées par les ARS sur ce qui relève de notre compétence : la qualité de l'eau depuis le point de captage jusqu'au conditionnement. Il ne semble pas que l'origine de la contamination soit connue à ce stade. Elle semble plutôt avoir eu lieu lors du transport.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au sein de quel bureau cette question est-elle traitée ?

Mme Mathilde Merlo. - Nous disposons d'un centre de sécurité sanitaire, qui a géré ce signalement. Le bureau de la qualité de l'eau est intervenu en appui technique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des ARS ont également reçu plusieurs centaines de signalements de consommateurs se plaignant d'odeurs de moisissure en ouvrant des bouteilles Cristaline. Il semble que le groupe Alma n'en ait pas alerté les autorités. Les investigations menées par les ARS ont montré que les lieux de stockage des bouteilles d'eau - des ports, des conteneurs en plein soleil, dans l'humidité - n'étaient pas étanches. Quelles mesures ont été prises ? Étiez-vous informés de ces faits ?

Mme Mathilde Merlo. - La DGS est informée via le centre de crise sanitaire, qui recevait l'appui du bureau. Nous avions pour rôle, en lien avec la DGCCRF et le ministère de l'agriculture, de nous assurer que l'origine de la contamination n'était pas liée au système d'exploitation de ces eaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons le sentiment que vous n'avez pas d'éléments complets à nous donner. Ces faits ont-ils conduit l'administration à s'interroger sur la nature même de la bouteille Cristaline ? Avez-vous des explications définitives à nous apporter face à ces situations ayant eu lieu à deux endroits différents ?

Mme Mathilde Merlo. - Notre champ de compétence couvre le circuit de l'eau du point de captage jusqu'à l'embouteillage. C'est plutôt le ministère de la consommation qui est en charge du contrôle des matériaux au contact de l'eau (MCDA), c'est-à-dire des bouteilles. L'une des hypothèses expertisées concerne en effet la qualité de ce matériau, qui pourrait ne pas être suffisamment étanche par rapport à des conditions de stockage, permettant éventuellement à des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) de contaminer l'intérieur de la bouteille. Les conditions de stockage et notamment des intercalaires en contact avec la bouteille auraient pu amener à une contamination de l'eau postérieure à sa distribution.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le ministère de la consommation a-t-il été mis dans la boucle ?

Mme Mathilde Merlo. - Nous travaillons en interministériel. Les réunions pilotées par mes collègues du centre de crise associent les ministères de la santé, de la consommation et de l'agriculture.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'a-t-il été fait à l'égard de ces lots ? Avez-vous échangé avec le Groupe Alma ?

Mme Mathilde Merlo. - Des documents écrits devraient vous être adressés de façon imminente sur ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La substance ayant donné le goût moisi a-t-elle été identifiée ?

Mme Mathilde Merlo. - D'un point de vue microbiologique, je ne sais pas, mais il s'agit, d'un point de vue chimique, d'hydrocarbures aromatiques polycycliques qui peuvent venir d'essence ou de fioul.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce dangereux ?

Mme Mathilde Merlo. - Je ne peux pas vous répondre précisément quant aux éléments de danger, mais ces substances sont suffisamment préoccupantes pour faire l'objet de directives et de seuils à respecter. Je précise qu'elles sont fortement odorantes, et se sentent très vite.

Mme Marie-Lise Housseau. - Des mesures correctives ont-elles été mises en place à la suite des fraudes et dysfonctionnements mis en lumière : manque d'informations entre les différents niveaux, différences de réaction entre les ARS, manque de transparence vis-à-vis des préfets ? Si un tel évènement survenait à nouveau, sommes-nous certains qu'il serait traité différemment cette fois ? Des consignes ont-elles été données à différemment niveaux ?

Mme Mathilde Merlo. - Quand nous sommes confrontés à un épisode de telle ampleur, nous nous interrogeons nécessairement sur nos modes de fonctionnement. Nous le faisons avec les moyens limités dont nous disposons. Certaines actions sont engagées afin de retravailler avec les ARS sur la compréhension d'un certain nombre de points qui n'auraient pas été compris de la même manière par toutes les parties. Il est à noter que le nombre restreint de sites en France participe à la difficulté d'entretenir des compétences dans ce domaine.

Nous avons sûrement des améliorations à prévoir dans la bonne collaboration entre les différents services et en interministériel. Il n'en demeure pas moins que nous sommes encore confrontés à des incertitudes que nous voudrions lever au niveau européen.

Ainsi, nous identifions des points d'améliorations au niveau local, national et européen.

Mme Audrey Linkenheld. - Pouvez-vous confirmer que l'on ne sait pas, aujourd'hui, si la difficulté observée à Mayotte est liée au lieu de stockage de l'eau ou aux bouteilles en plastique ? J'ai besoin que vous soyez précise sur ce point. Le Groupe dont il est question a développé une stratégie commerciale et marketing autour de sa bouteille et de la qualité du plastique utilisé ainsi que de son recyclage. Il me paraît important que l'on soit tous très clairs sur cette question, notamment vis-à-vis du consommateur.

Mme Mathilde Merlo. - Je ne dispose pas de tous les éléments de réponse. La question ayant été posée au ministère de la santé, une réponse vous sera adressée. Il était, semble-t-il, exclu que l'origine de la contamination relève du site de production, du point de captage à l'embouteillage. En revanche, l'une des hypothèses relève de la capacité du matériau en lui-même à éviter la contamination.

Mme Audrey Linkenheld. - Qu'entendez-vous par « matériau » ?

Mme Mathilde Merlo. - Je parle de la bouteille.

Mme Audrey Linkenheld. - Le sujet est sensible. Nous ne parlons pas d'une bouteille, mais d'un opérateur important. Nous ne pouvons nous contenter d'entendre que nous obtiendrons des informations par écrit. Nous avons besoin d'entendre votre analyse, au regard des informations qui sont les vôtres.

Mme Mathilde Merlo. - La question nous a été posée récemment, et de nombreuses activités ont été menées par le ministère de la santé, en lien avec ceux de la consommation et de l'agriculture et avec nos services locaux. Je ne dispose pas de la consolidation complète des éléments associés. Je ne veux pas dire de bêtises ou répondre à côté.

En revanche, l'une des hypothèses voudrait que le matériau plastique ait pu être traversé par des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) présents à l'extérieur, avec lesquels elle aurait été en contact.

Mme Audrey Linkenheld. - Cette hypothèse est donc toujours sur la table.

Mme Mathilde Merlo. - À ma connaissance, oui. Nous vous apporterons des réponses écrites.

M. Laurent Burgoa, président. - Les faits remontent à plus de six mois. Quelles mesures l'État a-t-il prises depuis pour empêcher qu'ils se produisent à nouveau ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De la Cristaline est-elle toujours utilisée pour reconstituer les stocks à Mayotte, ou un principe de précaution a-t-il été appliqué ?

Mme Mathilde Merlo. - Nous ne sommes intervenus que techniquement pour interpréter les résultats analytiques. Je ne serai pas en mesure de vous répondre précisément. Le ministère de la santé s'attache à réunir l'ensemble des éléments demandés il y a quelques jours.

C'est le centre de crise sanitaire qui est en première ligne sur ces questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous le nom d'un contact à me communiquer ? Qui est le directeur de ce centre ?

Mme Mathilde Merlo. - Je vous propose de vous tourner vers le directeur général de la santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGS a émis de premiers éléments en vue d'une instruction. De quelle manière votre bureau l'a-t-il construite, le cas échéant ? Est-elle fondée sur du droit comparé, sur des faits scientifiquement étayés, etc. ?

De plus, quelle est la place de la Commission européenne ? Nous savons que Jérôme Salomon, l'ancien directeur général de la santé, a rappelé à plusieurs reprises le risque de contentieux européen, et que l'Union européenne n'a pas été saisie. Avez-vous pu comprendre ce qui s'est passé ?

Mme Mathilde Merlo. - Le dernier point de la CID de février 2023 appelle à un état des lieux des pratiques des autres États membres pour mieux affiner notre doctrine si besoin, d'autant que certains exploitants sont présents dans d'autres pays. Aucune suite n'a été donnée à cette demande. En revanche, nous avons subi un audit européen au printemps 2024, qui nous a conduits à présenter la situation française au comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPVADA). La France a porté à deux reprises ses interrogations sur les pratiques de microfiltrations et leur justification au sein d'autres États membres. À cette occasion, d'autres pays, tels que l'Irlande, la Belgique, la Suisse, le Portugal et l'Espagne ont réclamé une clarification au niveau européen du statut de cette microfiltration.

Ensuite, nous avons tiré des enseignements de cet épisode. Il nous semble aujourd'hui prioritaire de nous assurer de la pureté originelle de l'eau, de reposer les fondamentaux de la directive européenne en vérifiant les indicateurs tels qu'ils sont prévus dans ce texte. L'Anses nous offre la possibilité d'effectuer des analyses différentes pour mieux comprendre un diagnostic posé.

Par ailleurs, nous devons clarifier autant que faire se peut la doctrine de la microfiltration.

Enfin, l'autorisation de production et d'exploitation est délivrée par le préfet. Elle donne donc lieu à un arrêté préfectoral. Nous devons mettre en place une révision de ces textes, autant que de besoin.

Ces trois éléments nous ont guidés dans la construction de cette instruction.

M. Laurent Burgoa, président. - Si nous n'avons plus d'autres questions, il me reste à vous remercier, Madame Merlo.

Mme Mathilde Merlo. - Merci et bon après-midi.

Audition de Mme Joëlle Carmès, ancienne sous-directrice
de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation
à la direction générale de la santé
(Jeudi 20 février 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Bonjour à tous. Nous poursuivons nos auditions avec celle de Madame Joëlle Carmès, sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la DGS entre 2018 et 2024.

Mme Joëlle Carmès, sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la DGS entre 2014 et 2024. - J'ai exercé ces fonctions entre 2014 et 2024.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour ces précisions.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Mme Joëlle Carmès prête serment.

Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Plusieurs médias ont révélé au début de l'année 2024 les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de sources. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Madame, la sous-direction que vous avez dirigée de 2014 à 2024 exerce un rôle central en matière de réglementation des eaux minérales naturelles et des eaux de source codifiée au sein du code de la santé publique. Vous avez également animé, sur cette thématique, le réseau des agences régionales de santé (ARS). Celui-ci met en oeuvre la réglementation française des eaux conditionnées et réalise les contrôles officiels des exploitants.

Si les eaux minérales naturelles qui ont fait l'objet de traitements frauduleux ne présentaient aucun risque sanitaire, pourquoi ces traitements interdits et une microfiltration ont-ils été installés par les industriels ? Plusieurs d'entre eux, dont Nestlé Waters, ont eu et ont toujours recours à des traitements de microfiltration de leurs eaux minérales naturelles à 0,2 micron. Ces traitements sont-ils autorisés ? S'apparentent-ils à une forme de désinfection de l'eau ? Provoquent-ils une modification du microbisme de l'eau ? Selon vous, la microfiltration est-elle susceptible de dissimuler des contaminations virologiques ?

Plus généralement, comment animiez-vous le réseau des ARS sur la question de l'eau en bouteille ? Nous avons le sentiment que les agences et les services locaux étaient un peu livrés à eux-mêmes.

Mme Joëlle Carmès. - Bonjour. En tant que sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la direction générale de la santé de janvier 2014 à mai 2024, j'ai eu à gérer, avec le bureau de la qualité des eaux, le dossier concernant les eaux minérales naturelles conditionnées produites par l'entreprise Nestlé Waters dans les Vosges et dans le Gard. Cette mission s'est déroulée de septembre 2021 à début mai 2024. À cette date, mon mandat de sous-directrice est arrivé à échéance. J'occupe depuis les fonctions de directrice de projet chargée de la prévention des infections et de l'antibiorésistance auprès du directeur général de la santé, le docteur Grégory Émery.

Dans le domaine de la santé et de l'environnement, la direction générale de la santé a entre autres pour mission la protection de la santé de la population à travers les différents usages de l'eau, et notamment des eaux conditionnées - eaux minérales naturelles, eaux de source, eaux rendues potables par traitement -, et ce jusqu'à leur commercialisation.

Concernant spécifiquement les eaux conditionnées, la sous-direction de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation de la DGS a pour rôle :

- d'élaborer des projets de dispositions législatives et réglementaires qui seront soumis à la direction générale de la santé, puis intégrés dans le code de la santé publique, dans le cadre notamment de la transposition de directives européennes. Ce fut le cas de la dernière directive sur les eaux destinées à la consommation humaine de décembre 2020 pour ce qui concerne les eaux de source et les eaux rendues potables par traitement. Ces dernières présentent les mêmes critères physico-chimiques et radiologiques en tant qu'eaux destinées à la consommation humaine ;

- apporter un appui aux agences régionales de santé chargées du contrôle sanitaire sur le terrain, en expliquant les règles et les textes, en répondant à leurs questions techniques et juridiques, en diffusant des outils d'aide à l'inspection et au contrôle des établissements, et en apportant un appui à la gestion des alertes en lien avec le centre de crise sanitaire du ministère ;

- rédiger les projets de saisine de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et assurer les réponses à leurs sollicitations.

Dans le cas des eaux minérales naturelles de Nestlé Waters, nous avons, avec le bureau de la qualité des eaux, rédigé quatre projets de saisine : un pour l'Igas et trois pour l'Anses, un sur la microfiltration et deux pour une demande d'appui scientifique et technique.

Nous avons également réalisé des bilans annuels de la qualité de l'eau sur la base des données transmises par les ARS, destinés en particulier à renseigner le plan national de contrôle officiel pluriannuel (PNCOPA), adressé par le ministère chargé de l'agriculture à la Commission européenne. Ils sont également mis en ligne annuellement sur le site du ministère de la santé.

Les ARS apportent leur expertise sanitaire aux préfets chargés du pouvoir décisionnaire sous la forme d'arrêtés préfectoraux. Le contrôle sanitaire à leur charge est complété par une autosurveillance exercée par l'exploitant.

L'eau est l'un des aliments les mieux contrôlés en France. Les bilans annuels montrent une très bonne qualité microbiologique et physico-chimique des eaux conditionnées, avec un taux de conformité aux limites de qualité réglementaire supérieur à 99 %.

En septembre 2021, la cheffe du bureau de la qualité des eaux de la sous-direction m'a informée avoir appris par ses homologues de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) que la société Nestlé Waters avait sollicité un échange avec le cabinet du ministre chargé de l'industrie à la fin du mois d'août 2021. Elle le saisissait concernant l'utilisation de traitements non autorisés au sein de ses usines de conditionnement d'eau minérale naturelle. Notre cabinet en a été informé le 24 septembre. Le directeur général de la santé en a également été informé. Le groupe industriel Nestlé Waters n'a pris aucun contact à mon niveau. Je n'ai en outre participé à aucune réunion interministérielle à Matignon ou à l'Élysée sur le sujet, contrairement à d'autres thématiques.

À la suite d'une décision des cabinets ministériels, une mission de l'Inspection des affaires sociales (Igas) a été lancée en novembre 2021 par les ministres chargés de la santé, de l'économie et de la consommation sur les usines de conditionnement d'eau. De ses conclusions, rendues en juillet 2022, il ressort notamment que la dissimulation volontaire de la part de certains exploitants, constatée lors des visites d'inspection par les autorités compétentes locales, a rendu ces situations de fraude non décelables par les autorités. Environ 30 % des dénominations commerciales font l'objet de traitements non conformes, aux UV, au charbon actif ou par le recours à la microfiltration à un seuil inférieur à 0,8 micron.

Depuis 2022, sur les sites de production des Vosges et du Gard, plusieurs actions ont été menées, dont le retrait des traitements non autorisés ou le lancement de plans de transformation des installations accompagnés d'un renforcement de la surveillance de la qualité de l'eau. L'Anses a été mobilisée pour apporter un appui scientifique et technique.

La gestion de ce dossier au sein de la sous-direction, avalisée par la direction, a reposé sur le respect de l'application de la réglementation en vigueur, une directive européenne transposée en droit interne. Nous en respections les règles. En effet, une eau minérale naturelle et une eau de source sont obligatoirement des eaux souterraines, microbiologiquement saines, qui doivent être tenues à l'abri de tous risques de pollution. Seuls quelques traitements sont autorisés par la réglementation, dont la séparation des constituants naturellement présents, tels que le fer ou le soufre. La désinfection de l'eau est interdite. La teneur en minéraux et autres constituants caractéristiques d'une eau minérale naturelle doit être stable dans le temps.

La réglementation concernant spécifiquement la microfiltration doit être respectée.

La position adoptée en matière de microfiltration s'appuyait sur les recommandations de l'Anses de 2001, confirmées fin 2022 début 2023, en l'absence de nouveaux éléments. Un dispositif de microfiltration avec un seuil de coupure à 0,8 micron est toléré par les autorités compétentes, à condition qu'il soit mis en oeuvre dans un but exclusivement technologique afin de retenir certaines particules présentes à la source ou liées à certains traitements. Un suivi de la qualité de l'eau doit être effectué avant et après ce traitement pour s'assurer qu'il ne modifie pas les caractéristiques microbiologiques de l'eau.

En février 2023, il a été proposé d'intégrer ce seuil de 0,8 micron dans la réglementation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ce point ?

Mme Joëlle Carmès. - Il a été proposé de l'intégrer dans le cadre de la transposition de la directive de 2020. Il s'agissait de modifier un arrêté de 2007 en vigueur, ce qui aurait nécessité une notification à Bruxelles avec un statu quo de trois mois, potentiellement prolongé de trois mois supplémentaires en cas d'avis circonstanciés d'autres États membres. Cette proposition aurait permis d'échanger sur les pratiques des autres pays.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quelle date cette proposition a-t-elle été émise, et par qui ?

Mme Joëlle Carmès. - Elle a été émise en 2022, avant la concertation interministérielle dématérialisée (CID), par la direction générale de la santé. Elle a été transmise à mon directeur qui l'a ensuite communiquée au cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que s'est-il passé alors ?

Mme Joëlle Carmès. - J'y reviendrai.

En février 2023, le compte-rendu de la CID menée par le cabinet de la Première ministre concernant les sites des Vosges et de Vergèze mentionne la possibilité de recourir à une microfiltration à un seuil inférieur à 0,8 micron. Ce même compte-rendu demande au secrétariat général des Affaires européennes (SGAE) de conduire une analyse de la situation de la microfiltration et des pratiques existantes dans les autres pays de l'Union. L'objectif est d'envisager une sollicitation de la Commission européenne pour une évolution de la réglementation communautaire ou une saisine de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), le cas échéant.

Il est nécessaire de clarifier le statut de la microfiltration au niveau européen, étant donné que le marché des eaux minérales naturelles est européen et appelle à des pratiques harmonisées.

J'ai participé à l'organisation en France de l'audit de la Commission européenne et aux réunions sur le sujet, à l'exception du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (CPVADA) du 30 avril. Je ne me suis pas déplacée sur les sites de production. Je quittais mes fonctions début mai 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous revenir sur la proposition de la direction générale de la santé visant à préciser, par arrêté, la réglementation à 0,8 micron ? L'avez-vous émise dans un contexte dans lequel vous sentiez que la réglementation était menacée, que le vent pouvait tourner ? Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de durcir cette norme ? Cette recommandation semblait claire.

Mme Joëlle Carmès. - Nous voulions préciser une recommandation de l'AFSA, reprise par l'Anses. On ne peut pas durcir une norme qui n'existe pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de passer d'une recommandation à une norme ?

Mme Joëlle Carmès. - Dès lors que l'Igas nous a présenté son rapport, qui montrait des variations dans les seuils de coupure en microfiltration appliqués par les différentes ARS, notre proposition couvrait deux aspects. Nous voulions intégrer ce seuil dans la réglementation à des fins d'homogénéisation, mais aussi comprendre les pratiques dans les autres pays européens. La notification d'un tel texte à l'Europe aurait permis des échanges avec d'autres pays. Nous avions ainsi pour objectif de d'inscrire dans la réglementation ce qui n'était jusqu'alors qu'une recommandation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous serions reconnaissants de nous transmettre tous les éléments relatifs à cette proposition, qu'il s'agisse de mails, de notes ou d'autres documents.

Qui a écarté cette proposition ?

Mme Joëlle Carmès. - Je ne dirais pas qu'elle a été écartée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui s'est opposé à sa mise en oeuvre ?

Mme Joëlle Carmès. - Des échanges ont suivi le rendu du rapport de l'Igas sur ces traitements, au niveau des cabinets ministériels. À l'été 2022, tout le dossier « santé-environnement » a été confié au cabinet Organisation des territoires, dirigé par la ministre Agnès Firmin-Le Bodo. Le conseiller Pierre Breton portait l'ensemble du dossier santé environnement, qui comprenait non seulement la problématique de l'eau, mais aussi tous les sujets de la sous-direction, de l'environnement extérieur à l'environnement intérieur.

À partir de la fin d'été 2022, ce dossier a été travaillé avec le cabinet, dans un contexte particulier de sécheresse touchant environ 35 % des sols du territoire. De plus, le travail était alors très orienté vers la transposition de la directive européenne sur les eaux destinées à la consommation humaine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La direction générale de la santé a-t-elle retiré sa proposition ? Sinon, qui a arbitré en sa défaveur ?

Mme Joëlle Carmès. - Nous n'avons pas retiré notre proposition. Aucun arbitrage en sa défaveur n'a été rendu d'emblée. Un échange a eu lieu entre la direction et le cabinet concernant l'utilisation de seuils de microfiltration différents dans les usines d'embouteillage. La question était de savoir si le seuil de 0,8 pouvait être abaissé sans altérer le microbisme de l'eau. C'est pourquoi il a été décidé, avant d'éventuellement intégrer ce nouveau seuil dans la réglementation, de solliciter l'avis de l'Anses en novembre sur la microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui a pris cette décision ?

Mme Joëlle Carmès. - Elle a été prise conjointement par la direction et le cabinet. Les seuils de microfiltration variaient considérablement d'une usine à l'autre, parmi les 30 % qui disposaient de tels systèmes. Il a donc été jugé nécessaire de consulter notre agence d'expertise sur ce seuil. Deux questions principales ont été posées à l'Anses : en dessous de quel seuil la microfiltration peut-elle affecter le microbisme de l'eau ? La microfiltration avec un seuil de coupure à 0,2 a-t-elle un effet de désinfection ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que l'Anses a maintenu sa position sur le seuil de 0,8 micron comme référence. Le confirmez-vous ?

Mme Joëlle Carmès. - Oui, car ce seuil est issu d'une saisine basée sur un procédé industriel spécifique. Le directeur général de l'Anses a indiqué qu'aucun autre dossier de demande n'a démontré l'absence de changement du microbisme de l'eau à un seuil inférieur. C'est pourquoi j'indiquais plus tôt que nous nous sommes appuyés sur ce seuil de 0,8 micron, confirmé début janvier 2023 dans un avis complémentaire à celui de décembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À cet instant, la CID est intervenue pour contre-arbitrer la direction générale de la santé ?

Mme Joëlle Carmès. - Oui, sur deux sites spécifiques : à Vergèze et dans les Vosges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous relevons donc un double sujet. D'une part, vous cherchez confirmation auprès de votre autorité sanitaire que le seuil de référence est bien celui en vigueur, ce qu'elle confirme. D'autre part, une décision est prise pour seulement deux sites, ce qui soulève des questions d'équité, notamment du point de vue concurrentiel pour les autres industriels du pays qui ne sont pas concernés par cet arrangement. Comment qualifieriez-vous la décision rendue par cette CID, étant donné qu'elle va à l'encontre de l'avis de l'Anses et de celui de la direction générale de la santé ?

Mme Joëlle Carmès. - Je n'ai pas à commenter une décision de Matignon concernant ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Même si elle vous semble illégale au regard de la réglementation que vous venez vous-même de vérifier ?

Mme Joëlle Carmès. - Elle n'était pas illégale, étant donné que le seuil de 0,8 micron n'était pas fixé dans la réglementation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourtant, celle-ci stipule la non-modification du microbisme de l'eau, raison pour laquelle vous avez sollicité l'avis de l'Anses. Cette dernière vous répond que cette conviction est acquise à 0,8 micron. La décision de la CID va donc à l'encontre de son avis et pourrait potentiellement modifier le microbisme de l'eau, ce qui serait non conforme à la réglementation. Ainsi, considérez-vous que la décision prise en CID était conforme à la réglementation sur les eaux minérales naturelles ?

Mme Joëlle Carmès. - J'insiste : je n'ai pas à commenter cette décision. À l'issue de cette CID, nous avons, par l'intermédiaire de mon directeur, sollicité le cabinet pour obtenir des précisions sur l'application de ses dispositions. Le compte-rendu comportait plusieurs points, notamment ce seuil de microfiltration inférieur à 0,8 micron, mais également le travail que devait effectuer le SGAE sur les pratiques dans les autres pays européens.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous obtenu un retour du cabinet à la suite de votre demande de précisions ? Le travail a-t-il été engagé du côté du SGAE, comme prévu ?

Mme Joëlle Carmès. - Le cabinet santé a relancé le SGAE, mandaté pour dresser un état des lieux des pratiques au niveau européen. Il nous a indiqué attendre sa réponse avant de poursuivre le travail sur le seuil de microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et quand la réponse intervient-elle ?

Mme Joëlle Carmès. - Nous avons relancé en mars, puis à nouveau au cours de l'année. Dans le cadre d'une note pour la ministre, nous avons mentionné qu'au début de l'année 2024, nous n'avions toujours pas obtenu de retour. Le cabinet a donc relancé le SGAE une nouvelle fois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette note du SGAE est-elle finalement arrivée ?

Mme Joëlle Carmès. - J'ai quitté mes fonctions il y a dix mois. Je n'en ai pas connaissance, sous cette réserve.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous devez appliquer une norme contraire à votre norme de référence. Pour ce faire, vous devez attendre le SGAE qui ne répond jamais. Comment gérez-vous cette situation ? La DGS semble se trouver dans une impasse. Cette CID la place dans une position dont elle ne peut pas vraiment sortir.

Mme Joëlle Carmès. - Étant donné que l'Anses préconisait une filtration à 0,8 micron, nous affichions une position de maintien de ce seuil. Le seuil inférieur ne concernait que les deux sites mentionnés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'acceptiez-vous ?

Mme Joëlle Carmès. - C'était une décision du cabinet de la Première ministre. Nous l'acceptions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La question de la conformité à la réglementation des décisions du Premier ministre se pose également. Un principe de légalité s'applique ici.

Je vous remercie pour ces précisions, dont nous n'avions absolument pas connaissance. Nous n'avons pas non plus reçu les documents concernant les échanges avec le SGAE, ni la note que vous avez rédigée pour la ministre.

Mme Joëlle Carmès. - Ce sujet a été abordé dans le cadre d'une note adressée au Premier ministre, en janvier 2024. Il y est indiqué qu'à notre connaissance, la démarche n'a pas été menée par le SGAE.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous également nous communiquer les différentes relances ?

Mme Joëlle Carmès. - Oui.

Mme Audrey Linkenheld. - J'ai compris que vous envisagiez de changer la recommandation de seuil à 0,8 micron en réglementation. Je comprends vos bonnes intentions, mais est-il possible que dans d'autres directions ou cabinets ministériels, certains aient vu cette transformation comme une opportunité d'affaiblir le seuil en question ? Cela ne répondrait pas à votre préoccupation, mais pourrait satisfaire les industriels gênés par ce seuil de 0,8 micron, ayant démontré des pratiques contraires à son respect.

Mme Joëlle Carmès. - Ce seuil de 0,8 micron était préconisé par l'Anses, en l'absence d'autres demandes d'industriels. Je n'ai pas connaissance des faits que vous rapportez ou imaginez. À ce stade, il est crucial de tenir des échanges sur les pratiques au niveau européen concernant le seuil décidé. Une fois ce seuil fixé, sous réserve que le microbisme de l'eau ne soit pas modifié, la réflexion pourra être menée sur l'opportunité de l'intégrer à la réglementation.

Nous retenons deux variables dans ce dossier : la directive européenne avec ses critères de transposition, et sa révision potentielle. Si elle est maintenue, les industriels pourraient proposer des systèmes de microfiltration avec des seuils différents, mais sans altérer le microbisme de l'eau. C'est à ce moment-là que la réflexion sur l'intégration du seuil dans la réglementation pourra avoir lieu. Actuellement, certains pays européens souhaitent une révision de la directive. La suite dépendra de cette révision et des travaux des industriels sur les systèmes de microfiltration.

Mme Audrey Linkenheld. - Au regard de ce qui s'est passé ensuite, ne pensez-vous pas que certains de vos interlocuteurs aient déjà eu en tête le fait que cette prescription nouvelle permettrait la mise en place d'un seuil différent de celui que vous aviez imaginé ? Vous n'avez pas mentionné vouloir modifier le seuil en même temps. J'ai compris que l'évolution du seuil venait d'ailleurs, possiblement d'échanges européens ou de demandes diverses.

Vous comptiez transformer la recommandation en prescription, à un seuil de 0,8 micron. Est-il possible que certains de vos interlocuteurs, tout en acquiesçant à cette transformation, eussent déjà en tête un seuil plus bas, sachant que pour diverses raisons, légitimes ou non, il était difficile à respecter pour certains ?

Mme Joëlle Carmès. - Je ne dispose d'aucun élément d'information me permettant de vous répondre.

Mme Audrey Linkenheld. - En 2021, vous avez insisté sur le fait que les mauvaises pratiques des industriels étaient conçues pour être indécelables. À partir de ce constat, votre direction a-t-elle mené des investigations suffisamment étendues pour que tous ces acteurs et tous les territoires soient mieux surveillés ? Ces pratiques n'étaient peut-être pas limitées à ceux qui avaient été identifiés ou qui s'étaient manifestés d'eux-mêmes.

Mme Joëlle Carmès. - Les procédés illicites employant du charbon ou des UV ont été relevés sur les deux sites des Vosges et du Gard. Une fois ces procédés retirés, en 2022 dans les Vosges et à l'été 2023 dans le Gard, nous n'avions plus de problème. Leur retrait a permis d'évaluer la qualité de l'eau avant et après microfiltration.

Mme Audrey Linkenheld. - Vous, comme d'autres plus tôt, avez indiqué que les pratiques étaient indécelables par les autorités de contrôle dans le Gard et dans les Vosges. Quelles mesures votre direction a-t-elle prises pour s'assurer que toutes les précautions avaient été prises pour vérifier l'absence d'autres pratiques indécelables sur d'autres sites, chez le même industriel ou chez d'autres ?

Mme Joëlle Carmès. - L'Igas a été chargée d'une mission d'inspection. Avant son lancement, les directeurs généraux des ARS en ont été informés par un message de mon directeur et lors d'un séminaire. Ils avaient donc tous connaissance de la nécessité de participer à cette mission et surtout d'apporter un soutien à l'Igas dans sa mission de visite sur site.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous que le fonctionnement régulier aurait conduit à adopter la solution préconisée par la direction générale de la santé si la CID n'était pas intervenue ?

Mme Joëlle Carmès. - Éventuellement. C'était une des solutions envisagées, étant entendu qu'il était tout de même nécessaire d'établir un bilan de tout ce qui se passait au niveau européen.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous imaginiez qu'une saisine européenne aurait lieu dans tous les cas, et qu'elle serait l'occasion d'agir via cette technique.

Mme Joëlle Carmès. - J'ai expliqué que dès lors qu'un seuil est intégré dans un texte, celui-ci est notifié. Il s'ensuit un statu quo de trois mois pendant lequel d'autres États membres peuvent émettre des avis circonstanciés, donnant lieu à des échanges sur le contenu. J'ai également mentionné une autre option : relancer la Commission européenne par le biais d'une note des autorités françaises pour réviser la directive de 2009.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui était à l'origine de cette seconde option ? Vous ne l'avez pas présentée comme une des pistes de la DGS.

Mme Joëlle Carmès. - La DGS avait sollicité en 2019 une révision de la directive européenne et de ses critères. Ce sujet était régulièrement abordé, notamment concernant la nécessité d'échanger sur le contenu de ce document avec les autres pays européens, dans le cadre d'une éventuelle révision.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un mail du 27 septembre 2021 adressé à Jérôme Salomon, vous mentionnez que Nestlé a contacté le cabinet Industrie. Vous rapportez que la DGCCRF pourra confirmer que cet acteur traite ses eaux minérales naturelles pétillantes par UV et charbon actif, alors que ce type d'eau ne devrait subir que des traitements limités autorisés. Vous écrivez qu'il ne semble pas y avoir de préoccupation d'ordre sanitaire, car les eaux en question sont exemptes de problèmes de qualité biologique, mais qu'il s'agit bien d'une infraction aux dispositions du code de la santé publique sur l'interdiction de ces traitements et d'un problème de loyauté. Ne voyez-vous pas là un vice de raisonnement, puisque les analyses sur la qualité des eaux étaient faussées par les traitements pratiqués ? À notre connaissance, étant donné cette falsification des résultats microbiologiques par les traitements pratiqués, vous n'aviez en réalité aucun moyen de connaître le véritable risque sanitaire sur les eaux brutes dans ces usines à ce stade.

Mme Joëlle Carmès. - Le bilan de la qualité des eaux conditionnées montre une excellente qualité bactériologique et physico-chimique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, mais avec traitement.

Mme Joëlle Carmès. - Après le retrait des traitements, un contrôle renforcé a été mis en place par les agences régionales de santé. Celles-ci ont pour rôle de vérifier la conformité réglementaire des différents paramètres.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le contrôle renforcé n'intervient que bien plus tard. Nous nous plaçons là en septembre 2021. Le risque sanitaire est tel que des forages sont fermés, ce qui prouve bien l'existence de problèmes dans certains endroits, à minima concernant les eaux brutes. À ce stade, aucun contrôle renforcé n'est réalisé.

D'ailleurs, le contrôle renforcé est différencié : dans le Grand Est, il est clairement effectué, tandis qu'en Occitanie, il est laissé à la charge de l'industriel sous forme d'autocontrôle jusqu'à l'intervention de l'Anses fin 2023. À ce stade, disposiez-vous d'autres éléments vous permettant d'affirmer l'absence de préoccupation sanitaire ?

Mme Joëlle Carmès. - Cette information date du 27 septembre. Elle faisait suite à un échange entre ma cheffe de bureau et ses collègues de la DGCCRF. J'avais également reçu ce message du cabinet santé. Je l'ai retransmis à ma direction, accompagné de la note de la DGCCRF qui mentionnait l'absence manifeste de risque sanitaire. Elle indiquait que des traitements au charbon actif et aux UV étaient utilisés de manière frauduleuse, ce qui n'était pas autorisé pour ce type d'eau, contrairement aux eaux potables. C'est sur la base de cette note et de ces échanges que j'ai rapporté ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'évaluation du risque sanitaire relève de votre responsabilité, pas de celle de la DGCCRF ni des services de l'État qui ont été sensibilisés par Nestlé Waters aux questions qui leur étaient posées. C'est précisément dans ce contexte de retrait potentiel des traitements que vous savez être utilisés pour masquer une qualité d'eau dégradée que se pose la question sanitaire sous-jacente. Vous nous répondez que des traitements étaient opérés, mais ceux-ci avaient justement pour objectif de dissimuler les problèmes de sécurité sanitaire.

Ainsi, la direction générale de la santé semble avoir accepté sans réserve ce qui lui était rapporté par l'industriel, sans se reposer la question en ces termes à ce moment-là. Pouvez-vous confirmer cette impression ?

Mme Joëlle Carmès. - Lorsque ma chef de bureau m'a informé de ses échanges avec ses homologues de la DGCCRF concernant l'utilisation de procédés illicites, nous nous sommes immédiatement interrogés sur la raison de ce fait. Je vous répondais sur la qualité de l'eau dans la bouteille, qui n'a pas posé de problème à cette époque. Bien évidemment, notre première interrogation a porté sur les raisons de ces traitements, la qualité de l'eau, et si cela ne concernait que ces deux sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi ne vous êtes-vous pas tournés vers les ARS pour effectuer un contrôle et comprendre directement ce qui se passait sur place ?

Mme Joëlle Carmès. - Dès que j'ai reçu l'information, des échanges entre les cabinets ministériels économie et santé ont eu lieu. Mon directeur a également contacté son homologue, la directrice de la DGCCRF, afin d'organiser une réunion pour discuter des suites à donner à cette affaire. Une enquête administrative en lien avec les ARS a été rapidement mise en place. On m'a demandé de rédiger, avec l'équipe du bureau de l'eau, un projet de saisine de l'inspection générale des affaires sociales en collaboration avec les ARS, le SNE et la DGCCRF.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un courrier du 10 novembre 2022 adressé à Pierre Breton, Jérôme Salomon indique que Nestlé semble exercer une forme de chantage envers l'ARS Grand Est. L'entreprise attendrait un alignement sur ses propositions avant de transmettre la localisation exacte des points de prélèvement d'eau brute en vue de réaliser un contrôle. Ce mail du 10 novembre 2022 précise que l'ARS Grand Est n'a toujours pas eu accès à la véritable eau brute. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces éléments ?

Mme Joëlle Carmès. - Le cabinet nous avait effectivement transmis cette note de l'ARS Grand Est pour la commenter. Un paragraphe y indique que l'ARS n'obtenait pas les points de prélèvement si elle ne donnait pas son accord quant au seuil de microfiltration. Je devrais retrouver les termes exacts.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce message a été adressé en novembre, six mois après la première inspection qui a eu lieu sur le site en Grand Est. Ne pensez-vous pas être confrontée à un problème grave concernant le comportement de l'industriel et à un certain retard dans la mise en oeuvre des moyens publics pour obtenir ces informations ?

Mme Joëlle Carmès. - J'ai besoin d'examiner la situation de plus près.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous ne disposons pas de la note de l'ARS. Pouvez-vous nous la transmettre dans les prochains jours ?

Mme Joëlle Carmès. - Oui.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour cette audition qui aura été enrichissante pour notre commission d'enquête. Je donne rendez-vous à mes collègues le 4 mars, après la semaine de vacances parlementaires, pour l'audition de l'ARS Bretagne.

Audition de Mme Élise Noguera, directrice générale
de l'agence régionale de santé de Bretagne
(Mardi 4 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons nos auditions avec celle de Mme Élise Noguera, directrice générale de l'ARS de la région Bretagne depuis le 13 février 2023.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Mme Élise Noguera prête serment.

J'invite également vos collaboratrices qui seraient susceptibles de prendre la parole à prêter serment.

Mme Nathalie Le Formal, directrice de la Santé publique à l'ARS Bretagne, prête serment.

Mme Anne Serre, directrice adjointe santé Environnement, prête serment.

Mme Carole Cheruel, responsable du département « Ingénierie du Génie Sanitaire », prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêts n'est déclaré.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, vise à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Cette audition a pour objet de faire la lumière sur les contrôles des exploitations d'eaux minérales à l'échelle locale. Je le rappelle, les ARS sont chargées du contrôle sanitaire des eaux conditionnées.

En tant que Directrice générale de l'ARS de la région Bretagne, vous opérez dans une région où l'activité des embouteilleurs est importante pour l'économie locale.

Comment votre ARS est-elle armée pour garantir le contrôle des eaux conditionnées ? Quelles seraient les évolutions souhaitables pour renforcer les contrôles (en termes de renforcement des effectifs et des moyens, de mutualisation des pratiques, etc.) ?

En quoi les fraudes qui ont touché les groupes Alma et Nestlé Waters ont-elles fait évoluer votre dispositif de contrôle au niveau local en Bretagne ?

Avez-vous eu connaissance de traitements interdits (y compris microfiltration à moins de 0,8 micron) sur certains sites relevant de votre ARS ? Qu'en a-t-il résulté ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

Mme Élise Noguera, directrice générale de l'agence régionale de santé de Bretagne. - Merci, Monsieur le président.

Avant d'évoquer la question de l'eau, je souhaite rappeler les compétences en matière de santé environnementale de l'ARS, qui concernent les environnements extérieurs, les sites et sols pollués, la lutte antivectorielle, la qualité de l'air, les espèces végétales à impact sur la santé humaine, ainsi que les environnements intérieurs. Cela inclut également la lutte contre l'insalubrité dans l'habitat, la prévention des légionelloses, le pilotage du plan régional de santé-environnement, ainsi que la mobilisation des collectivités locales sur les enjeux locaux de santé-environnement. Enfin, cela englobe tous les sujets émergents en lien avec les impacts sanitaires du changement climatique, de l'alimentation saine et durable, des pesticides, etc.

La question de l'eau en Bretagne est un sujet majeur et mobilisateur. Les eaux destinées à la consommation humaine soulèvent des enjeux spécifiques à plusieurs titres. Premièrement, les ressources en eaux potables bretonnes sont majoritairement des eaux superficielles qui sont plus sensibles aux pollutions et aux variations de l'environnement que les eaux souterraines. Deuxièmement, une pollution diffuse des milieux par les nitrates, les pesticides et plusieurs autres métabolites de pesticides conduit l'ARS à se mobiliser pour assurer la protection des ressources en eau.

Les enjeux intersectoriels en matière d'eau sont forts, notamment autour du monde agricole, avec un secteur associatif très mobilisé sur ce sujet. La Bretagne compte 770 captages d'eau destinés à la consommation humaine, 820 unités de distribution et 15 000 prélèvements effectués chaque année. La qualité sanitaire des eaux de près de 600 sites de baignade est contrôlée et 6 000 prélèvements sont réalisés chaque été.

En matière de ressources humaines, l'ARS consacre quinze ETP à la politique de l'eau. Quatorze ETP sont répartis entre nos quatre délégations départementales et un ETP est consacré à l'animation fonctionnelle transversale au niveau de la région.

Concernant l'eau conditionnée, quatre sites géographiques sont répartis sur trois départements : un site à Plancoët dans les Côtes-d'Armor, deux sites dans le Finistère à Saint-Goazec et à Commana, et un site à Paimpont en Ille-et-Vilaine. La production régionale peut être qualifiée de modeste : 203 733 m en 2023, ce qui représente 1,5 % de la production nationale, qui était de 13 673 000 m la même année. Il existe quatre désignations commerciales d'eau minérale naturelle : Plancoët, Plancoët Fines Bulles, Plancoët Intense dans les Côtes-d'Armor et Brocéliande en Ille-et-Vilaine.

M. Laurent Burgoa, président. - Quels sont les industriels sur ces quatre sites ?

Mme Élise Noguera. - Dans le Finistère, le groupe Alma, dans les Côtes-d'Armor, Ogeu, et pour l'eau Paimpont, la société Intermarché.

Concernant les désignations commerciales, nous avons quatre eaux de source : l'eau de source Ste Alix dans les Côtes-d'Armor, l'eau de source Isabelle et Montagne d'Arrée dans le Finistère, et Pas du Houx en Ille-et-Vilaine.

Sur les quinze ETP consacrés à la politique de l'eau, nous estimons à 0,15 ETP en moyenne le temps dédié aux eaux conditionnées. Cela représente 1,3 % de l'effectif consacré à l'eau de consommation humaine.

Notre organisation au sein de l'ARS pour le suivi et le contrôle sanitaire des eaux conditionnées se fait au niveau de chaque direction départementale, avec un pôle eau au sein du département santé et environnement pour la consommation humaine. Les décisions d'autorisation sont préparées pour le compte du préfet, conformément à nos protocoles ARS-préfecture signés en 2010 et à la circulaire ministérielle d'octobre 2011.

Notre mission principale est d'assurer le contrôle sanitaire des eaux conditionnées. Cela comprend l'inspection des installations, le contrôle des mesures de sécurité sanitaire mises en oeuvre par l'exploitant et la réalisation d'un programme d'analyse de la qualité de l'eau, de la ressource jusqu'à la bouteille. Les prélèvements, autrefois réalisés par nos agents, sont désormais confiés à des laboratoires agréés dans le cadre d'un marché public. Nous venons de renouveler ce marché pour la période du 1er avril 2025 au 31 décembre 2028.

Notre programme annuel de prélèvements et d'analyses représente en moyenne 170 prélèvements sur l'ensemble des usines bretonnes : 18 par an pour les usines du Finistère, 33 pour Paimpont et 100 pour Plancoët. Nous effectuons également des visites de récolement lors des autorisations initiales d'embouteillage des eaux minérales naturelles et des évolutions de chaîne de production. Plancoët concentre l'essentiel de ces visites avec six visites depuis 2008.

Concernant les inspections, trois sites d'embouteillage sur quatre ont été inspectés au printemps 2022 dans le cadre de la mission de l'IGAS. Pour Plancoët, de nouvelles inspections ont été menées début 2025 sur les installations de l'eau de source Ste Alix.

Les résultats du contrôle sanitaire sont publiés annuellement par la DGS et transmis aux autorités européennes. Pour notre région, les taux de conformité de ces dernières années varient entre 98 et 100 %.

La préparation de cette audition nous a conduits à reprendre l'ensemble des dossiers, et nous avons identifié une situation particulière à Paimpont avec la présence déclarée d'un filtre inférieur à 0,8 micron.

L'actualité 2024 et l'annonce d'une instruction nationale à venir vont probablement nous amener à renforcer nos contrôles et inspections, tout en tenant compte de nos ressources humaines limitées.

Depuis mon arrivée en février 2023, je n'ai pas été saisie de difficulté particulière sur la question des eaux conditionnées, ni par les équipes, ni par les préfets. L'instruction nationale dédiée aux eaux embouteillées à venir sera l'occasion de renforcer notre cadre d'action sur ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous expliquer comment vous travaillez avec les préfectures, notamment pour les autorisations d'exploitation et leurs modifications ?

Mme Élise Noguera. - Nous agissons dans le cadre du protocole ARS-préfet, pour le compte des préfets. Nous sommes chargés d'organiser le contrôle sanitaire et ses suites. Pour les autorisations relevant du préfet de département (procédures d'autorisation, demandes de mesures correctives, sanctions administratives), nous conduisons l'ensemble des instructions jusqu'aux décisions. Nous rédigeons les rapports, la proposition d'arrêtés, les passages en CODERST et transmettons tous les bilans des contrôles sanitaires, des récolements et des inspections. Nous informons également sur les non-conformités dans le cadre du contrôle sanitaire et pouvons émettre des avis sur différents travaux dans le champ du suivi et du contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous nous expliquer combien de temps prend l'instruction, et avec qui vous interagissez à la Préfecture ? Nous avons constaté des délais d'instruction très longs, donnant le sentiment que l'industriel pouvait retarder les choses. Avez-vous des exemples de mises en demeure à nous donner ?

Mme Carole Cheruel, responsable du département « Ingénierie du Génie Sanitaire ». - Concernant les délais d'instruction pour un dossier complet d'autorisation d'émergence et de conditionnement, nous avons eu un cas en 2023 impliquant une nouvelle émergence dans un mélange. Ce dossier, déposé complet en août 2022, a reçu l'autorisation signée par le préfet en décembre 2023. Le processus a duré environ 15 mois, incluant les analyses complètes de l'eau, le rapport de l'hydrogéologue, les avis des services concernés, le passage au CODERST et la signature de l'arrêté préfectoral.

Pour les modifications de filières plus simples, comme un changement de filtre ou de conditionnement, nous avons traité six demandes depuis 2011 dans le département, instruites entre un et trois mois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous préciser ce que sont ces demandes de modifications de filières ?

Mme Carole Cheruel. - Ces modifications peuvent concerner l'ajout de gaz carbonique à une eau, l'installation d'un filtre à manganèse ou une modification d'étiquette.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant le respect des arrêtés préfectoraux sur la qualité de l'eau, avez-vous déjà dû mettre en place des mises en demeure ?

Mme Carole Cheruel. - En 2015 et 2017, nous avons eu des cas de teneurs en nickel dépassant les limites réglementaires sur les eaux de Plancoët et Ste Alix, détectées lors des contrôles sanitaires. Ces incidents étaient liés à des difficultés d'exploitation ponctuelles qui ne se sont pas reproduites depuis. Nous avons demandé la non-commercialisation de ces eaux. L'exploitant les a conservées sur site pour destruction.

Mme Élise Noguera. - Je tiens à préciser que, dans notre région, nous n'avons pas eu de situation nécessitant un déclassement d'eau minérale ou d'eau de source, ni de suspension ou d'arrêt d'exploitation, au vu des contrôles effectués. Par ailleurs, en Bretagne, c'est la DREETS qui agit pour le compte des trois DDPP départementales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Revenons sur la question de l'exploitation utilisant un filtre sous le seuil de 0,8 micron. Pouvez-vous nous préciser le type de filtre utilisé, depuis quand il est en service, s'il figure dans l'arrêté préfectoral, si vous l'avez découvert lors de la mission IGAS ou si vous en étiez déjà informés ? Quelles actions avez-vous entreprises suite à sa découverte ?

Mme Élise Noguera. - C'est l'exploitant de la société des eaux de source de Paimpont du Groupe Intermarché qui nous a déclaré en 2021 l'utilisation d'un micro-filtre à 0,2 micron. Cette déclaration a été faite dans le cadre de l'installation d'une technique de déferrisation et de démanganisation. L'ARS n'a pas autorisé ce traitement et a rappelé à l'exploitant que ce type de filtration inférieure à 0,8 micron n'était pas un procédé autorisé selon l'avis de l'ex-AFSSA de 2001.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ils vous ont informé en 2021, mais le filtre était-il déjà en place à ce moment-là ?

Mme Élise Noguera. - L'exploitant nous a déclaré l'utilisation de ce micro-filtre, comme cela peut arriver lors d'évolutions de techniques. Formellement, nous n'avons pas demandé le retrait du filtre à cette date. Nous avons sollicité la Direction générale de la santé sur l'utilisation et la possibilité d'utiliser cette microfiltration à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dès la demande de l'industriel, vous avez donc transmis l'information à la DGS pour obtenir son avis. Vous connaissiez l'avis de l'AFSSA sur le seuil de 0,8 micron et vous avez demandé une nouvelle expertise sur ce sujet.

Mme Élise Noguera. - En 2022, la DGS nous a indiqué qu'elle sollicitait l'Anses pour une expertise. Finalement, l'Anses a considéré qu'il fallait se référer à l'avis de 2001. Ensuite, l'inspection de l'Igas a eu lieu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour clarifier le calendrier, à quel moment avez-vous reçu le retour de l'expertise de l'Anses ?

Mme Élise Noguera. - On nous a informés qu'une saisine de l'Anses serait faite pour une éventuelle expertise, mais finalement, l'Anses a renvoyé à l'avis de l'ex-AFSSA de 2001, considéré comme suffisant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avril 2022, avez-vous donc reçu la confirmation de l'Anses que ce filtre n'était pas autorisé ?

Mme Élise Noguera. - Nous avons pris connaissance des conclusions de l'inspection de l'Igas lors de leur publication en février 2024. Nous n'avons pas intégré cette microfiltration dans l'arrêté préfectoral. Au début de l'année 2025, nous avons écrit à l'exploitant pour lui demander de démontrer en quoi l'utilisation de cette microfiltration à 0,2 micron ne modifie pas le microbisme de l'eau. Nous lui avons accordé un délai de deux mois pour nous répondre.

M. Laurent Burgoa, président. - Si je comprends bien, l'industriel vous informe qu'il filtre l'eau minérale. Vous prenez un arrêté pour l'interdire, mais vous ne contrôlez pas si la filtration est maintenue ou non ?

Mme Élise Noguera. - Nous n'avons pas pris d'arrêté pour interdire la microfiltration. Nous lui avons rappelé que ce n'est pas une pratique autorisée.

M. Laurent Burgoa, président. - Donc vous laissez continuer la filtration alors qu'elle n'est pas autorisée. Cela fait quatre ans que cette situation a été mise au jour. En tant que directrice générale d'une ARS, avec votre expérience, trouvez-vous cette situation normale ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si vous me permettez d'insister sur les dates, vous avez reçu le retour de l'Anses en avril 2022, et vous nous dites que c'est en février 2025 que vous mettez en demeure l'industriel. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé entre avril 2022 et février 2025 ? De notre point de vue, ce délai semble long pour une mobilisation de l'action publique. Vous aviez déjà reçu un avis assez clair de l'Anses.

Mme Anne Serre, directrice adjointe santé environnement. - Je ne suis pas certaine que l'avis de l'Anses soit si clair que cela. En avril 2021, la société nous a informés de l'installation d'un nouveau système de traitement. Elle a justifié la nécessité d'une filtration tangentielle pour des raisons de sécurisation du produit fini. Nous connaissons bien cette filière de traitement ainsi que la ressource en eau, dont nous savons qu'elle est de bonne qualité. Cette installation ne cache pas une pollution de la ressource. Cependant, nous n'étions pas certains de la conformité du seuil de coupure par rapport au seuil de 0,8 micron mentionné dans l'avis de 2001. C'est pourquoi nous avons interrogé le Bureau de l'eau de la DGS en juillet 2021. Il a reconnu que notre question était pertinente et que d'autres ARS avaient des interrogations similaires. Le Bureau a donc décidé de consulter l'Anses pour préciser l'avis de 2001. C'est au moment de relancer la DGS qu'il nous a été dit de nous référer à l'avis de 2001.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Était-ce en avril 2022 ?

Mme Anne Serre. - Effectivement. Nous avons été renvoyés à l'avis de 2001, qui stipule de ne pas modifier les caractéristiques microbiologiques de l'eau. En avril 2022, nous étions dans le contexte de l'inspection Igas, avec des questionnaires et des inspections menées par chaque ARS auprès des structures départementales d'embouteillage, dont Paimpont. Nous pensions qu'à la suite de ce travail d'inspection sur les filières de traitement, nous obtiendrions des réponses à nos questions. Honnêtement, nous étions vraiment en attente de ces réponses. L'avis de 2001 peut paraître clair aujourd'hui, mais à l'époque, et même encore maintenant, nous attendions une instruction pour le clarifier. Nous étions dans cette attente, à tort, puisque le cadre réglementaire ne changera pas.

M. Laurent Burgoa, président. - Où en êtes-vous aujourd'hui dans vos relations avec la DGS sur ce sujet ? Continuez-vous à échanger et à recevoir des conseils ou êtes-vous laissés seuls pour gérer la situation dans vos régions ?

Mme Élise Noguera. - Les événements de 2024 ont considérablement éclairé ces différents aspects du sujet. Une instruction nationale est également à venir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous reconnaissez que la période entre avril 2022 et février 2025 est longue. Ma question est la suivante : le rapport de l'Igas a-t-il été un élément qui vous a poussé à différer à nouveau votre décision après le retour qui vous a été fait sur l'Anses ? Quand avez-vous reçu le rapport de l'Igas ?

Mme Anne Serre. - Nous l'avons reçu en février 2024, lors de sa publication générale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aviez-vous eu des garanties que ce rapport vous serait communiqué avant sa publication ?

Mme Élise Noguera. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu une discussion avec le préfet entre 2021 et 2025 concernant cette irrégularité ?

Mme Élise Noguera. - D'après les documents portés à ma connaissance, je n'ai pas trouvé d'information indiquant que le préfet ait été informé, notamment sur la période antérieure à 2021. Il y a eu des échanges techniques au niveau des équipes, mais à ma connaissance, il n'y a pas eu d'information du préfet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quand le préfet a-t-il été mis au courant ?

Mme Élise Noguera. - Il a été informé au début de cette année, au moment où nous envisagions d'écrire à l'exploitant. L'information a dû être transmise fin janvier ou début février.

M. Laurent Burgoa, président. - Concernant le sujet de la microfiltration, serait-il possible d'obtenir tous les échanges que vous avez eus à ce sujet, aussi bien avec l'exploitant, le préfet que la DGS ?

Mme Élise Noguera. - Oui, nous les joindrons à la réponse au questionnaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aujourd'hui, avez-vous un canal de discussion ouvert avec l'industriel pour examiner la manière dont il pourrait retirer ce filtre pour se conformer à la réglementation ? D'après les courriers de la DGS que nous avons pu consulter, il semble que la DGS s'aligne sur le seuil de 0,45 micron, mais pas sur celui de 0,2. Pouvez-vous confirmer que vous avez les mêmes informations ? Avez-vous eu des discussions avec l'industriel ou en êtes-vous encore au stade des échanges de courriers ? A-t-il des solutions pour modifier son mode de traitement ?

Mme Élise Noguera. - Nous avons adressé un courrier en février, demandant une réponse écrite sous deux mois sur la possibilité de repenser sa chaîne de traitement sans microfiltres. À défaut, nous lui avons demandé de préciser les raisons technologiques qui l'ont amené à utiliser ces filtres et d'apporter la démonstration que ces filtres n'entraînent pas de modification du microbisme. Nous avons eu un échange oral, non encore formalisé par écrit, avec les équipes de la Direction départementale d'Ille-et-Vilaine. L'exploitant nous a indiqué qu'il envisageait de changer ses filtres pour passer à des filtres de 0,45 micron. Cependant, nous attendons sa réponse écrite et surtout des explications complètes sur l'ensemble de la situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je voudrais partager avec vous un élément qui nous a surpris à plusieurs reprises. Nous avons souvent entendu des ARS dire qu'elles attendaient que l'industriel fasse la démonstration que cela ne modifie pas le microbisme de l'eau. Selon notre compréhension, vous avez la possibilité de faire des analyses avant/après et de réaliser vous-même cette vérification. Au lieu de vous fier à un industriel qui est déjà en infraction avec la réglementation et qui n'a pas forcément intérêt à retirer ce filtre puisqu'il fait partie de son processus de production, pourquoi ne vous saisissez-vous pas du sujet pour faire vos propres analyses avant/après afin d'évaluer s'il y a modification du microbisme de l'eau ? Pourquoi transférer cette responsabilité à l'industriel ?

Mme Élise Noguera. - De manière générale, nous procédons ainsi en attendant des informations de l'industriel sur un certain nombre de points avant de procéder à nos propres contrôles.

Mme Anne Serre. - Un filtre ne s'envisage pas seul. Il est de la responsabilité et de la compétence de l'exploitant de bien définir les attentes de ce filtre et de réaliser ses propres prélèvements. Ceux-ci ne peuvent pas se faire n'importe où et doivent être sécurisés. Intervenir dans la chaîne ne se fait pas par hasard. Il n'est pas facile de faire un avant/après sans point de prélèvement en aval. Il faut pouvoir organiser le prélèvement avec l'exploitant. Nous n'avons donc pas les données amont/aval. La charge de la justification de la demande incombe à l'exploitant, bien que nous procédions ensuite à des contrôles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous ne sommes pas sur une demande d'autorisation qui donnerait lieu à une analyse, mais sur un fait accompli. Au-delà de la complexité évoquée, la conformité à la réglementation aurait dû être vérifiée. Cette idée ne semble pas avoir germé du côté de l'ARS. La logique évoquée conduit à un très fort ralentissement des processus. Cet élément est un peu troublant. Il y a un sujet sur la manière dont sont articulés l'autocontrôle et le contrôle.

Mme Anne Ventalon. - Quelles sont vos attentes au niveau de l'ARS vis-à-vis de cette commission d'enquête, et comment harmonisez-vous vos actions d'une région à l'autre depuis cette médiatisation ? Quelles consignes avez-vous de la part du corps préfectoral ? Avez-vous l'impression d'être dans une situation d'attente de la restitution des travaux du Sénat ?

Mme Élise Noguera. - Sur l'actualité des travaux en cours en 2024, il est certain que notre ARS doit renforcer son attention sur les techniques et les traitements qui ne seraient pas autorisés. De même, le fait de procéder par contrôle inopiné sera intégré à nos pratiques. Nos moyens au niveau des directions départementales requièrent beaucoup d'expertise. Une réflexion est en cours sur la possibilité de professionnaliser les missions afin de ne pas diluer cette expertise et de renforcer la capacité à régionaliser le suivi.

M. Laurent Burgoa, président. - Les ARS, de manière générale, parlent beaucoup des préfets de département, mais peu des préfets de région. Quel est leur rôle par rapport à ce sujet ?

Mme Élise Noguera. - La réglementation prévoit effectivement des pouvoirs en matière d'eau embouteillée au niveau des préfets de département. Nos équipes agissent pour le compte des préfets de département.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans le cadre des propositions que pourraient formuler les commissions d'enquête, pensez-vous qu'il serait pertinent d'établir une coordination au niveau du préfet de région ? En tant qu'ARS, cette approche vous semblerait-elle bénéfique ?

Mme Élise Noguera. - Je peux m'inspirer de ce qui a été récemment mis en place de manière plus générale sur l'eau, sans se limiter à l'eau embouteillée. En Bretagne, le Secrétariat général aux affaires régionales (SGAR), placé auprès du préfet, a instauré un comité stratégique avec l'ensemble des administrations déconcentrées de l'État travaillant sur la thématique de l'eau. Ce comité stratégique rassemble les directions régionales, les préfets ou leurs équipes départementales, et le SGAR pour traiter de manière transversale l'ensemble des questions liées à l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans votre introduction, vous avez mentionné un secteur associatif très mobilisé sur la question de l'eau. Je voudrais savoir si cela fait référence au contexte général que nous connaissons en Bretagne sur ces sujets, ou s'il y a quelque chose de spécifique concernant les embouteilleurs. Faisiez-vous allusion à un contexte plus large ?

Mme Élise Noguera. - Oui, c'est un contexte plus large.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci beaucoup. Je pense que cette audition permettra d'éclairer la commission d'enquête.

Audition de M. Jérôme Salomon, ancien directeur général de la santé
(Mercredi 5 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Jérôme Salomon, en sa qualité de directeur général de la santé de janvier 2018 à avril 2023.

Monsieur le directeur général, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jérôme Salomon prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

M. Jérôme Salomon, ancien directeur général de la santé. - Je n'ai aucun lien avec l'objet de votre commission d'enquête, Monsieur le président.

M. Laurent Burgoa, président. - Après ces éléments administratifs et juridiques indispensables, je me permets de rappeler à nos internautes que cette audition est retransmise en direct sur le site du Sénat. Notre Assemblée a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. En effet, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur les eaux minérales naturelles et de source. Notre commission vise à enquêter sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

L'objet de cette audition est de faire la lumière sur les décisions prises au niveau central des ministères compétents. Outre Matignon et l'Élysée, deux ministères ont été impliqués à titre principal dans l'affaire des eaux minérales : celui de la santé et celui de l'industrie. En tant que directeur général du ministère de la santé de janvier 2018 à avril 2023, vous avez été en première ligne sur ce dossier.

Comment avez-vous été sensibilisé à cette affaire et quelles ont été vos premières réactions ? Comment avez-vous perçu l'attitude du ministère de l'industrie ? Comment se sont déroulés les arbitrages qui, selon notre lecture, ont plutôt suivi la logique du ministère de l'industrie ? Quelle leçon tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Ces différents sujets feront l'objet de questions de notre rapporteur. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps, la présentation de votre propos liminaire, vos réponses aux questions de notre rapporteur et enfin à celles des autres membres de la commission d'enquête. Monsieur le directeur général, vous avez la parole. Je vous remercie d'avoir pu vous libérer, malgré vos nouvelles fonctions qui vous ont éloigné de Paris.

M. Jérôme Salomon. - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, je me présente devant cette commission d'enquête alors que vos travaux ont déjà permis de détailler les faits, après avoir entendu de nombreux responsables du secteur de la Santé, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), les agences régionales de Santé (ARS), la sous-directrice en charge du dossier à la Direction générale de la Santé (DG Santé) et le directeur général actuel du ministère de la santé (DGS). Le docteur Grégory Emery, qui a rejoint la DG Santé en août 2021, est devenu mon adjoint le 1er février 2022 et assure une parfaite continuité de l'action de la direction.

Je m'exprime sous serment et m'attacherai à répondre à vos questions en tant qu'ancien directeur d'administration centrale, médecin spécialiste de la santé publique et professeur des universités en maladies infectieuses. En revanche, je ne suis ni un ingénieur de l'environnement ni un expert de l'eau.

Pendant 63 mois, de janvier 2018 à avril 2023, j'ai eu l'honneur de servir l'État comme directeur général du ministère de la santé avec la mission, Ô combien importante et complexe, de protéger la santé de nos concitoyens.

Je déclare n'avoir aucun lien d'intérêt dans cette affaire et n'avoir jamais eu de contact sur le sujet avec des responsables du groupe Nestlé Waters. Je ne me suis pas rendu sur les sites d'exploitation. Je n'ai participé ni aux réunions régionales ni aux réunions interministérielles sur ce sujet. Mes propos porteront sur les sujets relevant du domaine de compétences du ministère chargé de la santé et de mon action en tant que DGS.

Il y a cinq ans, la France et le monde faisaient face à une épidémie causée par un nouveau coronavirus déclaré « urgence de santé publique de portée internationale », le 30 janvier, puis pandémie de Covid-19, le 11 mars 2020. La fin de la pandémie a été déclarée début mai 2023. Je saisis cette opportunité pour rendre hommage aux victimes et à leurs proches, à l'ensemble des professionnels de santé ainsi qu'à tous les acteurs de la lutte. Les personnels des ARS, des agences sanitaires, de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de la DG Santé, ont été totalement mobilisés face à une crise sans précédent et d'une durée exceptionnelle, poursuivant leur mission malgré une pression considérable.

En septembre 2021, nous avions déjà fait face à trois vagues meurtrières, lancé une campagne de vaccination de masse en janvier, instauré le « pass sanitaire » en juin, affronté durant l'été un variant plus contagieux et débuté les injections de rappel dans les maisons de retraite. Je ne m'exprimerai pas davantage sur ce sujet, mais je devais rappeler le contexte particulier dans lequel se sont déroulés les faits que vous examinez. Il me semblait nécessaire de partager cette mise en perspective avec vous.

Je voudrais insister sur deux points. Premièrement, je tiens à vous assurer de mon entière implication et de celle de la DG Santé sur ces sujets ainsi que de mon attachement à la prévention des risques pour la santé et à la gestion des enjeux environnementaux et alimentaires. Avec mes équipes, je me suis particulièrement engagé dans ce domaine afin de répondre aux attentes légitimes des Français en matière de qualité des eaux. Je souhaite exprimer ma totale confiance et ma profonde gratitude aux équipes de la DG Santé, notamment Mme Joëlle Carmès, sous-directrice prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation jusqu'en 2024. Elle était en charge de la législation et réglementation dans le cadre du code de la santé publique, de la transposition des directives européennes, des critères physico-chimiques et microbiologiques, du suivi technique et juridique, de l'aide à la gestion, des saisines de l'Igas et de l'Anses, de la qualité de l'eau et de la mise en ligne annuelle des informations pour les consommateurs.

Deuxièmement, je rappellerai que les eaux conditionnées, eaux minérales naturelles et eaux de sources constituent des denrées alimentaires. Mises sur le marché de l'Union européenne, leur production et commercialisation sont le fait d'entreprises alimentaires qui sont régies par le principe de la législation alimentaire de l'Union européenne.

S'agissant des eaux minérales, la France a transposé la directive 2009/54, relative à leur exploitation et mise dans le commerce. Ces eaux sont obligatoirement des eaux souterraines, microbiologiquement saines, qui doivent être protégées contre tout risque de pollution. Elles ne peuvent faire l'objet que de quelques traitements autorisés par la réglementation, dans le but de séparer les constituants naturellement présents, comme le fer ou le soufre. La désinfection de l'eau étant interdite, ces eaux doivent répondre à des exigences de qualité microbiologique très strictes. Les eaux minérales naturelles se distinguent des autres eaux par la présence de minéraux, oligo-éléments et autres constituants, et témoignent d'une stabilité de leurs caractéristiques essentielles. Cela signifie que la teneur en minéraux et autres constituants caractéristiques de ces eaux est stable dans le temps. Quant aux eaux de source, également d'origine souterraine, elles répondent quant à elles aux mêmes exigences de qualité physico-chimique et radiologique que l'eau du robinet.

Depuis 2007, la France dispose d'un arsenal législatif et réglementaire de gestion de la sécurité sanitaire de ces eaux conditionnées, portant notamment sur la procédure d'autorisation et de reconnaissance, la surveillance par l'exploitant, le contrôle sanitaire par l'autorité de contrôle, les règles d'hygiène, la déclaration d'intérêt public et le périmètre de protection, la gestion des situations de non-conformité, l'information des consommateurs et les dispositions pénales et administratives. La procédure d'autorisation d'exploitation d'une ressource naturelle d'eau à des fins de conditionnement relève de la compétence des préfets de département.

La DG Santé est responsable de la santé de la population, de sa protection dans le cadre des différents usages de l'eau, et notamment des eaux conditionnées jusqu'à leur commercialisation. Elle a la charge de la réglementation et de la sécurité sanitaire des eaux conditionnées produites en France. Elle s'appuie sur les ARS pour la réalisation du contrôle sanitaire et des inspections des établissements de conditionnement d'eau. La France dispose donc d'une réglementation conforme au droit européen, définie au niveau national par la DG Santé et mise en oeuvre dans les territoires par les ARS, qui apportent leur expertise sanitaire au préfet chargé du pouvoir décisionnaire. Les missions de la DG Santé et des ARS vont du point de captage jusqu'au conditionnement des eaux embouteillées.

Je rappelle que la qualité sanitaire des eaux conditionnées produites en France est très satisfaisante. 150 000 analyses sont réalisées chaque année dans le cadre du contrôle sanitaire des ARS. Le taux de conformité aux limites de qualité réglementaire est supérieur à 99 % pour les paramètres microbiologiques et physico-chimiques. En 2022, plus de 50 inspections sur un total de 104 sites et près de 1 900 visites des ARS ou d'un laboratoire agréé ont été effectuées au titre du contrôle sanitaire dans l'ensemble des usines de conditionnement d'eau.

L'eau destinée à la consommation humaine est en France l'un des aliments les plus contrôlés. Le niveau de conformité constaté explique pourquoi nous avions considéré jusqu'en 2021 qu'il n'était pas nécessaire de renforcer la surveillance des eaux conditionnées. Avec un taux de conformité supérieur à 99 %, le risque n'était pas nul - il ne l'est jamais - mais il était maîtrisé.

Je souhaite revenir sur le déroulé des faits à l'origine de cette commission d'enquête et le niveau d'information du ministère chargé de la santé. À l'été 2021, le groupe Nestlé Waters a révélé au ministère chargé de l'industrie, le recours à des pratiques illicites sur ses sites de production d'eau minérale naturelle dans les Vosges et dans le Gard. Le ministre chargé de la santé et en conséquence, les services de la DG Santé ont été ensuite mis au courant. Il s'agissait du recours à des traitements de type ultraviolet et charbon actif.

Les ministres chargés de la santé et de l'économie ont saisi l'Igas en novembre 2021 afin de mener une mission d'inspection des usines de conditionnement d'eau minérale naturelle et de source sur le territoire français. L'Igas a rendu son rapport d'inspection en juillet 2022, aux ministères commanditaires. Il convient de souligner que la qualité sanitaire des eaux conditionnées n'a pas été remise en cause et qu'aucune mise en danger des consommateurs n'a été relevée.

Les constats ont mis en lumière le recours à des traitements non conformes sur 30 % de sites, une réglementation susceptible d'interprétation, un défaut de coordination entre les autorités compétentes, une incapacité des services en charge des contrôles à déceler les pratiques frauduleuses ainsi qu'une insuffisance d'information des consommateurs.

Les recommandations concernant l'ensemble des autorités de contrôle sont cohérentes. Elles portent sur le renforcement de leur contrôle en nombre et efficacité, notamment en matière de qualité de la ressource ainsi que sur une meilleure coopération entre les différents services de contrôle, une meilleure information des autorités européennes et des consommateurs, et l'application du régime de sanctions strictes en cas de non-respect des règles sanitaires ou d'absence de loyauté.

À la suite des révélations de recours à des traitements interdits, les ARS concernées ont procédé aux inspections et mis en demeure les exploitants de procéder au retrait de ces traitements. Tenant compte de la nécessaire phase contradictoire, ces retraits ont été effectifs entre fin 2022 et mi 2023, selon les cas.

À la suite du retrait des traitements interdits qui avaient pour finalité potentielle de pallier un défaut de la qualité de la ressource, il est devenu indispensable de s'assurer de la qualité originelle des ressources d'eau minérale naturelle. Ces travaux mobilisent depuis 2023, les ARS, en particulier celle de Grand Est et d'Occitanie.

Je souhaite maintenant aborder la situation française en matière de sécurité sanitaire des eaux minérales naturelles. Selon l'analyse de la DG Santé, le dossier Nestlé Waters n'est pas une alerte de sécurité sanitaire, mais un sujet de fraude. Le consommateur a-t-il été dupé ? Indéniablement lorsqu'on utilise des ultraviolets (UV) ou du charbon pour des eaux minérales naturelles. Le consommateur a-t-il été exposé à un danger avéré pour sa santé ? Je ne dispose d'aucun élément en ce sens. Lorsque les minéraliers ont décidé d'avouer avoir recours à des traitements non autorisés, ils ne se sont pas présentés au ministère de la santé en invoquant un problème potentiel de santé pour leurs consommateurs. En revanche, ils se sont rendus au ministère de l'industrie parce que leurs pratiques étaient frauduleuses.

Je vais vous lire le premier message que mes équipes ont rédigé sur ce sujet, le 27 septembre 2021, lorsqu'elles ont eu connaissance de la démarche de Nestlé Waters auprès du cabinet de la ministre de l'industrie pour l'informer du recours à des traitements non autorisés. Je cite : « Nestlé a pris l'initiative de contacter le cabinet [du ministre] de l'industrie et la [direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes] DGCCRF pour avouer qu'elles traitent en effet ces eaux minérales naturelles par des traitements UV au charbon actif, alors que ce type d'eau ne doit subir que des traitements limités autorisés. Il ne semble pas y avoir de préoccupations d'ordre sanitaire, car les eaux en question sont exemptes de problèmes de qualité microbiologique, mais bien une infraction aux dispositions du code de santé publique sur l'interdiction de ces traitements et un problème de loyauté. D'autres producteurs pourraient être concernés. »

Les minéraliers ont mis en place des traitements non autorisés, mais ce faisant, en filtrant les eaux, en les traitant plus que ce que les textes permettaient ou toléraient, ils n'ont pas altéré la sécurité sanitaire de ces eaux. Lorsque les contrôles ont démontré que les eaux étaient impropres à la consommation, les bouteilles ont été détruites et les sites ont été fermés. Les différents rapports produits depuis 2022 invitent à clarifier la législation européenne et nationale.

Il est parfois reproché au ministère chargé de la santé de ne pas avoir interrompu la production et informé les autorités européennes ainsi que les consommateurs. Comme cela a déjà été indiqué à votre commission d'enquête, compte tenu des traitements effectués, la qualité sanitaire des eaux n'était pas remise en cause et celle-ci ne présentait pas de danger avéré pour le consommateur. Ces eaux, sur lesquelles les traitements étaient appliqués à la source, respectaient les limites de qualité réglementaire pour les paramètres microbiologiques et physico-chimiques.

Le constat de fraude et d'absence de loyauté pour le non-respect des règles d'étiquetage des produits commercialisés ne relève pas de la compétence et du pouvoir de décision du ministère chargé de la santé. La DG Santé, dans cette affaire comme dans tous les sujets concernant l'environnement et l'alimentation, a toujours été vigilante et mobilisée, rigoureuse et réactive, particulièrement attentive aux enjeux de santé publique et donc de protection des consommateurs. Je salue le professionnalisme et l'engagement des agents de la DG Santé.

Mesdames, Messieurs, permettez-moi de conclure ce propos. La question de la qualité des eaux est particulièrement complexe, sensible et sujet de l'inquiétude des consommateurs, dans un contexte de raréfaction de l'eau de bonne qualité, en raison d'épisodes de sécheresse, d'inondations et du changement climatique, alors que les eaux conditionnées disponibles dans le commerce sont perçues comme des produits de qualité supérieure. Face à ces enjeux, la priorité de santé publique, qui relève des collectivités, dans le cadre du service public de l'eau, est de garantir un accès à une eau potable pour tous.

Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre aux questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le directeur général, je vous remercie pour ces propos préliminaires. Je laisse la parole à Monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci, Monsieur Salomon. Vous êtes un acteur important de ce dossier. Si vous me le permettez, je vais dérouler un raisonnement chronologique, par un jeu de questions-réponses, ce qui me semble être la meilleure approche dans ce dossier. Je reviens peut-être au début de l'information portée à la connaissance du ministère de la santé. Vous avez déclaré dans votre propos liminaire, « les services de la DG Santé ont été ensuite mis au courant ». Pouvez-vous me confirmer que les révélations au ministère de l'industrie ont été effectuées le 31 août et que vous avez été informé un mois plus tard, c'est-à-dire le 27 septembre 2021 ?

M. Jérôme Salomon. - Oui, absolument. Le message est passé par les cabinets, de cabinet à cabinet. Les cabinets nous ont ensuite transmis l'information. Nous étions donc effectivement dans la deuxième quinzaine de septembre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -S'agissant de la maîtrise du risque sanitaire et des questions que vous vous êtes vous-même posées, dans un courriel en date du 1er octobre 2021 que vous adressez à Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, vous qualifiez d'emblée ces pratiques de frauduleuses et estimez que Nestlé Waters doit répondre d'un éventuel risque sanitaire relatif à la qualité de ses eaux.

Comment appréciez-vous à ce moment ce risque sanitaire ? J'ai bien entendu vos propos sur le fait que ces traitements interdits, finalement, renforçaient la sécurité sanitaire, tout en contrevenant à la réglementation sur les eaux minérales naturelles. Vous avez évoqué un taux de conformité aux limites de qualité réglementaire supérieur à 99 %. Toutefois, ce taux était faussé par l'existence des pratiques des industriels. Comment vous posez vous alors la question du risque sanitaire ?

M. Jérôme Salomon. - C'est peut-être le noeud de l'affaire. Pourquoi met-on des filtres et définit-on des seuils ? Cela obéit à une réglementation diverse, européenne et nationale, voire des avis l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), remontant au début des années 2000.

Il est très important de comprendre que cette microfiltration n'a aucune visée microbiologique, mais minérale. Sa finalité consiste à enlever des particules « problématiques » dans l'eau, que ce soit du fer, du soufre, ou même de l'arsenic. Plus les mailles du filtre sont fines, plus elles tendent à bloquer les bactéries, ce qui modifie leur équilibre, autrement dit le microbisme de l'eau. Je rassure aussitôt les consommateurs qui pourraient nous écouter, il s'agit de bactéries non pathogènes ou même de parasites qui sont parfois présents dans l'eau et qui ne sont pas forcément dangereux pour l'homme.

En réduisant le filtre, soit on ne respecte pas la réglementation, ce qui est une erreur, soit on répond à une inquiétude sur la qualité des eaux, en cherchant à filtrer une éventuelle contamination. Ainsi que vous l'avez souligné, Monsieur le rapporteur, compte tenu du résultat issu des traitements aux UV et au charbon, on constate une action de désinfection, soit volontaire, soit involontaire. Or, ce n'est pas l'objectif d'un traitement d'une eau minérale naturelle. Le consommateur d'une bouteille d'eau minérale naturelle n'achète pas une eau désinfectée. Le sachant, sa relation avec la marque en serait peut-être modifiée.

Voici donc ce que je peux vous dire simplement. Nous n'avons eu aucune information d'un éventuel impact humain, en termes d'enjeux de sécurité sanitaire et de santé publique. Il n'y a jamais eu de signal. De surcroît, vous pouvez imaginer combien nous étions attentifs aux signaux sanitaires et infectieux en septembre 2021. Il n'y avait pas eu non plus d'alerte sur les prélèvements. Il était donc question d'une enquête qui avait été bien menée, par mes collègues de la DGCCRF, et d'un partage d'informations sur une eau minérale naturelle traitée par des procédés non autorisés. Cela explique l'information de la DG Santé par le biais des cabinets, puisque celle-ci est en charge de la réglementation de la qualité de l'eau entre le point de captage et sa commercialisation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - S'agissant des traitements à UV, reconnaissez-vous un problème d'enjeu sanitaire, si du jour au lendemain, les industriels, prenons Nestlé Waters, retirent les lampes à UV et les filtres à charbon ? Dans un tel cas, vous poseriez-vous la question de la qualité des eaux et donc de ce qui a été commercialisé par les industriels.

M. Jérôme Salomon. - C'est ce qui a été fait. Lorsque vous constatez une pratique non autorisée, vous demandez à l'exploitant de supprimer cette pratique. Cette demande est accompagnée d'un plan de contrôle renforcé, qui ne permet pas de libérer immédiatement un lot. La situation est identique au domaine alimentaire. Toute anomalie constatée dans une cuisine ou dans un restaurant, conduit à s'assurer que la correction apportée ne modifie pas les enjeux de sécurité sanitaire, sous surveillance de l'autorité de contrôle, avant de permettre l'accès du consommateur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La vente d'eaux non conformes à la réglementation pendant de nombreuses années, sans que l'opinion publique ne soit informée de cette infraction, a beaucoup choqué. Au moment où la nouvelle vous parvient, vous avez mené une réflexion sur la question du recours à l'article 40 du code de procédure pénale.

Ma question est la suivante. Dès le 6 octobre 2021, vous écrivez à M. Norbert Nabet, conseiller au cabinet du ministre des solidarités et de la Santé, que « la DG Santé profitera de ses échanges avec la DGCCRF pour envisager un signalement conjoint DGCRRF - DG Santé, au procureur dans le cadre de l'article 40 ». Vous saisissez ensuite la direction des affaires juridiques, le 13 octobre 2021, en vue d'une réunion interministérielle programmée le lendemain. À la lecture des courriels que vous avez envoyés, il semble que votre intuition était de faire un signalement « article 40 ».

Après la réunion interministérielle, il est décidé de ne pas recourir à l'article 40, ce qui interpelle. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette décision ? M. Charles Touboul, ancien directeur des affaires juridiques des ministères sociaux, a déclaré « Pour moi, c'était à la DGCCRF de faire le signalement ». La DGCCRF participait à cette réunion interministérielle.

M. Jérôme Salomon. - Vous aurez noté que le délai est assez bref, entre le signalement des faits et mon interrogation. Bien que non-juriste, je me suis très rapidement posé la question. C'est peut-être dû à l'expérience de la DG Santé qui nous conduit à être assez réactifs sur ces signalements.

Tout d'abord, c'est un signalement qui a été effectué auprès du cabinet de la ministre de l'industrie le 31 août. Nous avons eu l'information par le cabinet le 24 septembre précisément, Monsieur le rapporteur. Nous avons également reçu la transmission de la note de la DGCCRF. Celle-ci informait sur le fait que plusieurs groupes produisant des eaux minérales naturelles achetaient des filtres non autorisés ou procédaient à des traitements dont l'efficacité n'avait pas été démontrée et qui n'étaient pas autorisés.

J'ai, effectivement, envisagé très rapidement la saisine du procureur de la République au titre de l'article 40. C'est à cette fin que j'ai saisi le directeur des affaires juridiques, afin qu'il me conseille au regard des manquements susceptibles d'avoir été commis par Nestlé Waters. La réponse, vous l'avez sans doute, est très technique et tout à fait cohérente à mon sens, puisqu'elle analyse compte tenu de l'état des connaissances de l'époque, les anomalies transmises comme relevant beaucoup plus du domaine de la tromperie du consommateur que d'un enjeu de santé publique.

Premièrement, il y avait donc une alerte du côté du ministère de l'économie et de la DGCCRF. La réponse de la direction des affaires juridiques a été « il faut faire une enquête ». C'était plutôt une bonne proposition. Il était déjà question de déterminer exactement l'ampleur du phénomène. Or, on s'est rendu compte ensuite, dans le cadre de la mission de l'Igas et avec le soutien des ARS, que le sujet était national. Cette solution permettait également d'enrichir le dossier avec des procès-verbaux d'infraction, des contrôles de l'Igas, et de mettre en place potentiellement l'article 40 ainsi que des dispositions du code de procédure pénale. Vous le savez les ARS peuvent avoir recours à des mesures administratives.

Deuxièmement, le lancement d'un signalement auprès du procureur se fondait également sur le droit de la consommation, en particulier la tromperie du consommateur. Cette action était déjà portée - je l'ai découvert petit à petit - par la DGCCRF au ministère de l'économie, des finances et de la relance d'alors, qui avait déjà eu des contacts, de nature contradictoire avec l'entreprise. Son action se plaçait également sous un angle pénal, s'agissant de plusieurs anomalies et infractions au droit de la consommation, qui étaient gérées directement avec les entreprises concernées.

Compte tenu de l'ensemble de ces informations, la pertinence d'un signalement au titre de l'article 40 a finalement paru plus logique de la part du ministère de l'économie que du ministère de la santé. Je rappellerai quand même que tous les manquements au code de la santé publique, selon moi, doivent faire l'objet d'un signalement. Votre audition de la directrice générale de l'ARS Grand Est illustre cette position. Des inspections très poussées sur les principales installations de sa région l'ont conduite à saisir le procureur de la République, avec notre appui technique et juridique, en raison de la nature différente des infractions. Par ailleurs, selon les dispositions de l'article 40, la personne devant signaler les faits incriminés au procureur est celle la plus proche du délit ou de l'infraction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Permettez-moi de vous interrompre. S'agissant de la réunion du 14 octobre, avez-vous évoqué ce sujet avec la DGCCRF sur leur intention de faire un signalement au titre de l'article 40, puisque, finalement, la décision a été différée ?

M. Jérôme Salomon. - La décision a été différée, non par refus de procéder à un tel signalement, mais par besoin de préciser ce qui se passait. On venait de recevoir un signalement, suivi d'une décision de procéder à une triple inspection, puisque les trois ministres ont saisi l'Igas. Cela atteste de la préoccupation ministérielle sur ce sujet. Or, plutôt que de recourir à l'article 40, en présumant une ou des tromperies du consommateur par des traitements non autorisés, on s'est préalablement interrogé sur l'ampleur du phénomène. On a donc cherché à qualifier la situation par un retour des ARS, afin de déterminer si une ou plusieurs régions étaient concernées. Ceci explique en quelque sorte cette suspension du signalement dans l'attente des retours des inspections.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Permettez-moi d'exprimer ma surprise qui n'appelle pas forcément une réponse de votre part, parce que vous n'êtes pas concerné. En août, les propos de Nestlé Waters ne font aucun doute sur le caractère frauduleux du dossier. Vous-même, vous le signalez. Toutefois, eu égard à cette décision de différer, il ne se passera rien en Occitanie pendant plus de quatre ans. Il faudra attendre l'action en justice de l'association Foodwatch.

M. Jérôme Salomon. - La réaction de l'ARS Grand Est a été beaucoup plus précoce.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Tout à fait.

M. Jérôme Salomon. - Par ailleurs, c'est un dossier qui a été immédiatement porté et piloté par un autre ministère.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela n'a donc pas été évoqué en ces termes lors de la réunion du 14 octobre ?

M. Jérôme Salomon. - Nous voulions alors définir beaucoup plus précisément ce qui se passait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - S'agissant de la saisine de l'Igas, dans les échanges de courriels préparant la réunion interministérielle (RIM) du 14 octobre 2021, vous suggérez à MM. Norbert Nabet et Pierre Bernardaud, du cabinet Santé, « le lancement d'une enquête administrative par les ARS concernées chapeautée d'une mission Igas de contrôle des deux sites de conditionnement Nestlé. » Finalement, la solution retenue n'est pas celle-ci puisque les ARS ne lanceront pas d'enquête administrative. Le choix s'est porté sur un contrôle par l'Igas concernant l'ensemble des usines de conditionnement d'eau minérale naturelle et d'eau de source, implantées sur le territoire français. Comment expliquez-vous ce choix de ne pas avoir confié des enquêtes administratives aux ARS ?

À la lecture de la documentation qui nous a été transmise, nous apprenons que « les cabinets Santé et industrie n'étaient à ce stade pas favorables à mobiliser les services déconcentrés que sont les ARS, afin de ne pas partager trop d'éléments » Je cite ici Mme Corinne Féliers, cheffe du bureau de la qualité des eaux, qui rapporte ces propos à sa sous-directrice Mme Joëlle Carmès, le 5 octobre 2021. Pourquoi cet attentisme du cabinet Santé ? Qui en était à l'origine ? Le savez-vous ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne vais pas commenter les décisions éventuelles du cabinet Santé. Il me semble que vous en avez auditionné un ancien membre. La différence n'est pas si grande entre les deux solutions. L'inspection de l'Igas s'appuie toujours sur les ARS. On ne peut pas imaginer une inspection de l'Igas dans un site de production ou d'exploitation sans que l'ARS ne soit directement présente en appui technique. Les travaux des inspecteurs de l'Igas s'appuient sur les ARS. En outre, toutes les missions d'inspection de l'Igas sont signalées aux ARS, en particulier lors de la réunion mensuelle de l'organe de direction des ARS. On ne peut affirmer qu'on a envoyé l'Igas, sans informer les ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aimerais revenir sur les délais. Les ARS Grand Est et Occitanie, qui contrôlent les deux sites de conditionnement de Nestlé Waters dans les Vosges et à Vergèze, ont finalement été alertées de l'existence de traitements illégaux le 5 avril 2022 pour la première et le 3 novembre 2022 pour la seconde. Ces délais vous semblent-il acceptables ? Comment les justifier ?

La situation appelait des enquêtes administratives. Or l'Igas n'est pas forcément en mesure d'apprécier le risque sanitaire comme peuvent l'être les ARS. Comment expliquez-vous que les inspections de terrain aient eu lieu finalement plus d'un an après les révélations faites au ministère de la santé ?

M. Jérôme Salomon. - Permettez-moi de corriger : la saisine de l'Igas date du 19 novembre 2021 et la présentation du rapport de juillet 2022. Ils ont donc bien oeuvré. Cela représente un immense travail sur plusieurs mois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Par rapport à votre recommandation, l'ARS Occitanie, par exemple, n'a pas inspecté Perrier ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne peux pas vous donner les informations région par région, car les ARS gèrent leur région.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le dossier part de Nestlé Waters. Finalement, on ne l'inspecte pas dans le cadre de la mission Igas ?

M. Jérôme Salomon. - Le champ d'investigation est gigantesque, compte tenu du nombre de sites et d'acteurs. Fin 2021, l'Igas est mobilisée. Rappelons-nous des circonstances. L'Igas est par ailleurs dotée de compétences techniques. Les profils de ces inspecteurs sont très variés et intéressants, techniques et médico-scientifiques. Il a donc fallu constituer cette inspection. Puis celle-ci s'est déployée sur les différents sites, sachant que tous les sites ne peuvent être inspectés simultanément. La remise du rapport de l'Igas aux trois ministères en juillet ne me choque pas par rapport à un lancement de la mission le 19 novembre, compte tenu de la complexité de la situation d'une part et du contexte très singulier, en particulier la pression exercée sur les ARS, d'autre part.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je relève qu'en dépit de la connaissance de la fraude d'un acteur, celui-ci n'a pas été inspecté. Je souhaiterais aborder la question de l'abaissement des seuils de la microfiltration chez Nestlé Waters. Nous avons trace, en septembre 2022, d'une demande formulée par la direction de Nestlé Waters au cabinet de la ministre chargée de l'industrie, de se voir autoriser le recours à la microfiltration à 0,2 micron dans leurs usines, afin d'arrêter le traitement par UV. Le traitement charbon aurait déjà été interrompu. Cette demande vous est transmise pour analyse par M. Pierre Breton, du cabinet Santé, le 12 septembre 2022. Vous lui répondez le 22 septembre 2022 que la DG Santé n'est pas favorable à l'acceptation de cette demande de Nestlé. Pouvez-vous nous expliquer ce qui motivait ce refus ?

M. Jérôme Salomon. - La raison en est la prohibition du recours à des traitements de microfiltration inférieurs à 0,8 micron. Aucune nouvelle donnée ne permettait de basculer de 0,8 à 0,2 micron, ce qui n'est pas totalement anodin. Nous n'avions aucune raison de soutenir ce changement, sans aucun élément rationnel scientifique ou explication, d'où l'intérêt par ailleurs de ma saisine de l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Suspectiez-vous alors une forme de désinfection puisque des traitements illégaux désinfectants étaient retirés pour être remplacés par des filtres à 0,2 micron ?

M. Jérôme Salomon. - Nous avions deux procédés non autorisés, et on nous proposait en remplacement, un procédé qui n'était pas non plus autorisé. C'était un peu étonnant. On ne revenait pas à la situation antérieure.

La DG Santé adopte une approche très technique. L'avis de l'AFSSA datait de 2001. La question se posait, objectivement, de l'existence de nouvelles données, en appui de la proposition de cette nouvelle technique par ce grand groupe. Était-elle connue des experts de l'Anses ? Disposions-nous de nouvelles publications permettant effectivement de modifier le seuil de coupure ? D'où ma saisine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous formulez une proposition alternative qui consisterait à autoriser Nestlé Waters à utiliser une filtration avec un seuil de coupure à 0,8 micron et d'inscrire ce traitement dans la réglementation française afin de mieux encadrer les pratiques.

Vous rappelez qu'une telle modification réglementaire devra être notifiée au préalable à la Commission européenne au titre de la directive 2015/1535 et de la directive 2009/54, cette notification obligeant au respect d'un délai de statu quo de 3 mois minimum pendant lequel elle sera soumise à l'avis de la Commission européenne et des autres États membres. Avez-vous eu un retour sur cette alternative et ces observations ? Savez pourquoi cette solution a été écartée ?

M. Jérôme Salomon. - Pour deux raisons. Premièrement, j'ai saisi l'Anses en novembre, afin d'obtenir les dernières données scientifiques sur la microfiltration, notamment sur un éventuel impact de la modification du seuil sur le microbisme de l'eau. C'était ma préoccupation. Poursuivre une visée antimicrobienne et de désinfection de l'eau n'était plus du tout la même chose. L'inspection a relevé une hétérogénéité. C'était perturbant. Nous avons eu vraiment une surprise. Cela valide a posteriori le fait qu'on ait lancé cette inspection. On s'est rendu compte objectivement que la situation était beaucoup plus complexe qu'on ne l'imaginait et beaucoup plus étendue.

Par ailleurs était posée la question scientifique du meilleur traitement physico-chimique et non microbiologique de l'eau minérale naturelle, au regard des connaissances scientifiques en 2022-2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 27 septembre 2022, cette solution est écartée par le cabinet pour les raisons que vous venez d'exposer. Ce même 27 septembre, M. Pierre Breton, conseiller au cabinet de la ministre déléguée à l'organisation territoriale et aux professions de santé, écrit à Mme Joëlle Carmes pour lui demander relecture technique d'une note qu'il a coécrite avec Mme Mathilde Bouchardon, son homologue au cabinet de l'industrie, en vue d'une entrevue accordée par les cabinets Élysée/Matignon à Nestlé Waters.

La note en question proposait d'autoriser Nestlé Waters à poursuivre la filtration à 0,2 micron si l'entreprise démontrait l'absence de changement du microbisme de l'eau. Le lendemain matin, vous lui renvoyez la note, largement revue par vos équipes, en expliquant que vous ne pouvez pas autoriser le recours à la microfiltration à 0,2 micron, en reprenant vos éléments abordés plus tôt dans le mois, que vous venez de rappeler.

Mais la note transmise le 28 septembre par Mme Isabelle Epaillard, directrice de cabinet, à M. Cédric Arcos, conseiller au cabinet de la Première ministre, mentionne de même une autorisation 0,2 micron. À Cédric Arcos qui lui demande si la DG Santé est « bien en phase » « concernant la préconisation finale sur la technique de filtration », Mme Isabelle Epaillard répond « Oui c'est vu avec eux ». Comment expliquez-vous cette position contraire ? La DG Santé a-t-elle changé d'avis entre temps ? Dans le cas contraire, considérez-vous que « oui, c'est vu avec eux » n'est pas exact.

M. Jérôme Salomon. - Il faudra poser la question au cabinet Santé. Je pense que vous avez mes notes qui sont claires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit de la DG Santé. Elle dit que la DG Santé est bien en phase.

M. Jérôme Salomon. - Je n'ai pas cet échange et je n'ai pas donné mon accord sur un changement. Ma position était claire, non pas que je fasse de la politique, mais j'étais simplement dans l'attente des conclusions du rapport de l'Anses. J'avais posé une question. Tant que je n'avais pas la réponse à la question, je ne pouvais pas changer de position, d'un point de vue technique.

M. Laurent Burgoa, président. - Si j'ai bien compris, cela veut dire que les propos de Mme Epaillard étaient faux ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne sais même pas qui l'a prononcé. Le rapporteur a mentionné que la DG Santé avait fait des remarques.

M. Laurent Burgoa, président. - Il est important pour nous de comprendre. L'ensemble de la commission d'enquête apprécie, Monsieur, votre franchise. Je tiens à la saluer.

M. Jérôme Salomon. - Si les services de la DG Santé et le DGS prennent une position vis-à-vis du cabinet, ensuite le cabinet, c'est tout à fait son rôle [interruption].

M. Laurent Burgoa, président. - C'est important pour nous.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reformule notre question : Quand Mme Epaillard dit « Oui, c'est vu avec eux », en fait, cela n'a pas été vu vous.

M. Jérôme Salomon. - Ce n'est pas vu avec moi, c'est la seule chose que je peux dire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui parce qu'elle parle de la DG Santé.

M. Jérôme Salomon. - Oui, mais la DG Santé... Moi, je suis DGS. Je ne sais pas...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Donc vous pensez qu'il est possible que quelqu'un dans vos services ait dit à Mme Epaillard que... [Interruption]

M. Jérôme Salomon. - Franchement, il faudra lui demander. Je n'ai pas souvenir d'avoir été saisi. En revanche, je me souviens d'avoir effectivement très bien travaillé avec le cabinet pour leur donner notre point de vue. Lorsque les services donnent un avis, les cabinets peuvent décider autrement. Heureusement que c'est la vie quotidienne des cabinets. En tout cas, nous n'avons pas changé de position du jeudi après-midi au vendredi matin.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est que le 2 octobre 2022 que Mme Isabelle Epaillard transmet à Cédric Arcos une note intitulée « position du ministère de la santé » qui elle, ne soutient pas la proposition d'autoriser la microfiltration à 0,2 micron, mais seulement à 0,8 micron. MM. Cédric Arcos et Victor Blonde l'interprètent comme un « gros changement de position » du ministère. Je me permets de rapporter leurs mots. Que s'est--il passé ? Que pouvez-vous nous dire ? Les discussions étaient-elles serrées ?

M. Jérôme Salomon. - N'ayant participé à aucune réunion interministérielle, ce qui est assez logique, car de telles réunions convoquent les cabinets, je ne peux pas vous présenter les arguments qui ont permis de modifier la position. On peut imaginer qu'il y a eu des discussions entre cabinets et certains arguments l'ont emporté sur le cabinet Santé. Ce qui ne me surprend pas, car il est normal que dans le cadre des arbitrages interministériels, tout le monde n'ait pas l'avantage dans une discussion technique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 20 janvier 2023, soit quelques jours seulement avant la CID, conférence interministérielle, une note du cabinet Santé est transmise au cabinet de la Première ministre. Elle propose de suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement de l'eau pour les sites de Nestlé Waters dans les Vosges « compte tenu des enjeux sanitaires et règlementaires rendant impossible d'accepter une microfiltration à 0,8 micron ». Savez-vous quelle suite a été donnée à cette note ?

M. Jérôme Salomon. - Une note de la DG Santé ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une note du cabinet Santé.

M. Jérôme Salomon. - Je n'ai pas cette note, mais j'en avais fait une dans ce sens également, en m'appuyant sur l'avis de l'Anses, qui est très clair. Il précise, d'une part, qu'on ne dispose pas d'éléments nouveaux permettant de modifier les seuils de coupure et, d'autre part, qu'il existe un impact sur le microbisme de l'eau si on diminue le niveau de microfiltration.

Quand on reprend l'histoire chronologiquement, on peut s'interroger sur ce qui a été fait entre telle date et telle date. Toutefois, ayant lancé une inspection de l'Igas, mobilisant les ARS dans une période difficile, il fallait évidemment laisser cette inspection aller à son terme. La décision était justifiée, car les résultats de cette inspection ont été riches d'enseignements, avec notamment une cartographie très intéressante du paysage national qui a soulevé un grand nombre de questions, compte tenu des anomalies relevées. Pourquoi certains ne respectent pas la réglementation ? Qu'est-ce que cela signifie ? Quelles en sont les conséquences sur les caractéristiques de l'eau et sur l'éventuel impact sur le microbisme, et donc, à ce moment-là, un impact de désinfection.

Nous avons logiquement saisi notre agence la plus scientifique, la plus technique et la plus respectée, l'Anses, qui nous répond, je crois, mi-janvier, entre le 15 et 19 janvier - je ne sais plus la date exacte -, mais on est quelques jours avant les faits que vous rapportez. Il y a donc une note de la DG Santé. Je pense que la note du cabinet Santé a dû en être assez proche, car elle était également assise sur l'avis de l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque l'Igas révèle l'existence de certains arrêtés avec des microfiltrations inférieures à 0,8 micron, il semble que certains cabinets, notamment celui de l'industrie, aient souhaité les utiliser pour aller vers une réglementation à 0,2 micron. Cette position l'emportera ensuite dans la conférence interministérielle. Avez-vous été informé de cette conférence interministérielle ? Quel était votre niveau de suivi du dossier à ce moment-là et des conclusions qui en étaient tirées ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne reprendrai pas vos propos sur une intention éventuelle des cabinets que je ne connaissais pas. En revanche, pour des « non-experts de l'eau » - ce qui n'est pas une insulte, car nous sommes tous confrontés à des domaines extrêmement techniques - constater que la norme de 0,8 micro n'est en réalité pas respectée, puis de s'interroger alors sur ce qu'est la bonne norme et de son application à tous ou non. Ces questions ne sont pas choquantes.

N'ayant pas participé à la concertation interministérielle et à la réunion qui a été présidée par le cabinet de la Première ministre, je ne peux vous dire les arguments qui ont été décisifs. Je suppose que c'était un arbitrage comme ils en rendent plusieurs par jour.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez eu aucun retour ?

M. Jérôme Salomon. - J'ai eu un retour définitif avec le Bleu budgétaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez eu aucun retour sur les raisons pour lesquelles la position du ministère de la santé a été écartée.

M. Jérôme Salomon. - Absolument.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ni de votre cabinet, de personne ?

M. Jérôme Salomon. - Ce n'est pas choquant en soi. Chacun présente ses arguments. À la fin, le cabinet de la Première ministre décide de suivre telle ou telle proposition.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cet arbitrage interministériel n'était pas de nature classique, avec un choix entre deux solutions réglementaires. L'un des choix - vous avez par ailleurs instruit le dossier en ce sens - soulevait de nombreuses questions de nature réglementaire, et ne relevait donc pas des textes en vigueur. Cette situation n'était pas ordinaire.

M. Jérôme Salomon. - J'apporterai une petite nuance, car on pourrait avoir l'impression d'être complètement dans un champ illégal ou illicite. Il est question d'une pratique qui se fonde sur des avis scientifiques, que ce soit l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l'AFSSA ou encore l'Anses. Alors que cette pratique a été très clairement partagée pendant des années, on constate finalement qu'elle n'est pas vraiment respectée. Quand on s'interroge alors sur les dernières évolutions - d'où ma saisine de l'Anses - celle-ci nous informe de l'absence de nouveaux éléments et en conséquence du maintien du seuil. En ce qui me concerne, je qualifierai de technique et scientifique, la discussion que j'ai eue avec mes collègues de l'Anses, plutôt qu'un échange sur le caractère contestable de la réglementation et ses violations. Ce n'est pas la même chose. Nos échanges portaient sur la norme technique et non sur une violation réglementaire flagrante.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'entends votre réserve. J'ai toutefois une réserve à la réserve. Le sujet portait sur la modification ou non du microbisme de l'eau. Or à aucun moment, la preuve n'a été apportée que la microfiltration à 0,2 micron ne modifiait pas le microbisme de l'eau en dépit des multiples relances aux industriels par les ARS.

J'en viens à ma dernière question. S'agissant des suites à donner à la CID, vous interrogez Mme Isabelle Epaillard et M. Pierre Breton du cabinet Santé, le 6 mars 2023 afin qu'ils vous précisent comment « les décisions prises [d'autorisation de la pratique de filtration à des seuils inférieurs à 0,8 micron par modification des arrêtés préfectoraux] s'appliquant à une société particulière, doivent être mises en oeuvre pour l'ensemble des usines de conditionnement d'eaux installées en France ». Pouvez-vous nous dire quelle réponse vous a été apportée sur ce point ? Il y a en effet un risque de rupture d'égalité entre les industriels.

M. Jérôme Salomon. - Je n'ai pas souvenir d'avoir une réponse précise, d'autant que nous étions encore dans l'attente d'un appui technique et scientifique de l'Anses aux ARS les plus concernées, en particulier celles du Grand Est et de l'Occitanie. On peut présenter la situation en référence à une certaine hétérogénéité, mais en pratique, l'hétérogénéité avait déjà été constatée par le rapport de l'Igas. Celle-ci avait soulevé une question technique qui avait été tranchée par l'Anses.

Le plus intéressant dans cette affaire est d'avoir procédé par cercles concentriques. On a un signal initial qui est finalement amplifié par les conclusions de l'Igas qui posent une question technique qui n'était pas évidente jusque-là. Le seuil est-il valable ou non ? On relance l'Anses qui répond par l'absence de nouveaux éléments. On se retrouve de nouveau devant une hétérogénéité de décisions. Quelles en sont les implications ? Comment accompagner les ARS ? Quelles sont les conséquences au niveau européen ? Quelle est la situation générale européenne compte tenu de notre réglementation et de la directive européenne ? Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) avait été, par ailleurs, déjà saisi. Le problème s'est amplifié de réponse en réponse.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vais céder la parole à nos collègues et demander à Madame Anne Ventalon de me remplacer quelques instants.

- Présidence de Mme Anne Ventalon Pointereau, vice-présidente-

M. Hervé Gillé. - Merci, Monsieur le président. Monsieur Salomon, je n'arrive toujours pas à comprendre sur quels éléments vous vous êtes appuyé pour certifier qu'il n'y avait pas de problème sanitaire. Quelles sont les pièces factuelles que vous pouvez nous remettre qui démontrent qu'il n'y avait aucun problème ou risque sanitaire et qu'on était donc simplement sur une fraude.

M. Jérôme Salomon. - C'est assez simple. Les eaux minérales naturelles sont contrôlées. En cas d'anomalie microbiologique ou de contamination d'une eau - on ne parle même pas de conséquences humaines -, cette eau n'est pas mise sur le marché. En outre, lorsqu'une ARS a l'information qu'un site pose problème, les contrôles sont encore renforcés.

En l'espèce, les contrôles étaient totalement satisfaisants. Nous n'étions pas en présence de bactéries à risque pathogène chez l'homme. Les contrôles ont été effectués, avant et après. Rassurons le consommateur, il n'y a jamais eu d'eau contaminée commercialisée. Nous n'avons pas eu, heureusement, ce genre de situation, ni même de signaux d'anomalies cliniques humaines faisant suspecter une origine hydrique. Il n'y avait pas de signal sanitaire, sinon la DG Santé aurait été pilote de la situation, comme tous les sujets de sécurité sanitaire.

M. Hervé Gillé. - Vous vous êtes donc uniquement appuyé sur le processus normal de contrôle. Toutefois, l'entreprise a mis en place ces systèmes illégaux en raison d'une non-conformité ?

M. Jérôme Salomon. - C'est vous qui l'affirmez. Je n'ai pas eu de résultat d'anomalie microbiologique.

M. Hervé Gillé. - Alors, pourquoi aurait-elle mis en place ce système illégal ?

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

M. Jérôme Salomon. - Il faudrait leur demander.

M. Hervé Gillé. - Je reformule. Alors qu'une entreprise connue met en place un système illégal de microfiltration et de traitement, dont on peut penser que la vocation était de sécuriser sa ressource, vous ne cherchez pas à enquêter en amont sur la présence de problèmes de commercialisation d'une eau qui n'était pas traitée à l'époque et qui pouvait comporter des problèmes sanitaires.

M. Jérôme Salomon. - Il ne faut pas inquiéter le consommateur.

M. Hervé Gillé. - Je n'inquiète personne. Je pose des questions.

M. Jérôme Salomon. - L'eau est en permanence contrôlée. Le nombre de contrôles est impressionnant. C'est l'aliment le plus contrôlé en France.

M. Hervé Gillé. - Je reformule ma question. Quels ont été les arguments de l'entreprise pour dire que ... [Interruption]

M. Jérôme Salomon. - Vous leur demanderez. Je ne sais pas pourquoi une entreprise met en place des... [Interruption]

M. Hervé Gillé. - La révélation d'une entreprise au ministère de l'industrie, sans passer par le ministère de la santé, du fait qu'elle ait mis en place un système illégal, constitue un fait majeur. Ce système illégal avait bien une vocation. Or vous ne l'interrogez pas pour en connaître les raisons. J'ai du mal à comprendre.

M. Jérôme Salomon. - C'est très logique. S'agissant des intentions, il faudra demander à la société Nestlé Waters pourquoi elle a mis en place ces traitements. Quant au dispositif mis en place, il est très clair. Il traite davantage l'eau qu'auparavant. Plus vous rajoutez d'étapes, en particulier des UV et du charbon, plus vous modifiez la composition de l'eau. L'eau a été surtraitée. Il n'est pas question de détérioration de l'eau après le passage des filtres. J'aurais eu, en revanche, une inquiétude si les filtres avaient été enlevés. De façon caricaturale, c'est comme si on avait mis un peu d'eau de Javel dans votre eau potable. Ce n'est pas bien, mais vous ne courez pas de risque particulier. Voyez-vous ce que je veux dire ?

M. Hervé Gillé. - Pensez-vous qu'aller au-delà des normes admises répondait à un objectif de précaution et non de traitement d'un problème en amont ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne sais pas ce qu'était leur intention.

M. Hervé Gillé. - Vous ne connaissiez pas leur intention, mais pour autant vous n'avez pas eu recours à l'article 40. Lorsque l'entreprise a révélé avoir utilisé certains traitements, l'investigation en tant que telle sur un risque éventuel sanitaire aurait justifié le déclenchement de l'article 40.

M. Jérôme Salomon. - Je vous ai expliqué la démarche d'analyse de la direction des affaires juridiques. En l'espèce, il y avait un suivi très précis par la DGCCRF, en particulier, par ma collègue Virginie Beaumeunier. Le traitement des dossiers en matière de sécurité sanitaire est très structuré. En cas de signal microbiologique ou clinique, il n'y a plus de sujet. Vous en avez de très nombreux exemples dans l'histoire de la sécurité sanitaire. C'est la DG Santé qui pilote.

La question que vous posez est très pertinente. Que s'est-il passé avant les traitements ? De quels résultats l'entreprise disposait-elle avant les traitements ? Pourquoi a-t-elle mis en place ces traitements ? Il faut leur poser la question.

M. Hervé Gillé. - Monsieur Salomon, cela relevait d'une enquête.

M. Jérôme Salomon. - Il y a quand même eu des inspections sur place, des prélèvements renforcés, des plans d'action et un signalement au titre de l'article 40.

M. Hervé Gillé. - Pas sur ce plan.

M. Jérôme Salomon. - Il y a eu un signalement de l'article 40 de l'ARS Grand Est.

M. Hervé Gillé. - Après coup.

M. Jérôme Salomon. - Vous parlez de l'Occitanie ?

M. Hervé Gillé. - D'une manière générale.

M. Jérôme Salomon. - Plusieurs points doivent être rappelés. Premièrement, aucun élément microbiologique ne nous est adressé. Or, on dispose de services d'enquête capable de faire un suivi du signal, notamment au ministère de l'économie. Deuxièmement, il n'y avait aucun signal de santé publique ou de sécurité sanitaire. Troisièmement, des procédés non autorisés ont été utilisés, ce que je considère être frauduleux.

Quelles ont été les raisons justifiant la mise en place de ces procédés ? Il faut vraiment poser la question directement à l'entreprise. Quant à l'aval, il est important de rappeler pour le consommateur qu'il n'y avait pas de sujet puisque l'eau avait été surtraitée. Elle est évidemment contrôlée.

M. Hervé Gillé. - Très bien. J'ai bien compris. Vous nous l'avez répété plusieurs fois, mais je reste néanmoins sur ma position. Vous faites référence au règlement alors que le fondement de l'interdiction de la microfiltration inférieure à 0,8 micron repose sur un avis de l'AFSSA. Est-ce bien exact ? Le cadre réglementaire n'a pas évolué sur cette question et n'a pas intégré l'avis de l'AFSSA. Il n'y a pas de règlement, en fait.

M. Jérôme Salomon. - C'est ce que j'ai répondu au rapporteur.

M. Hervé Gillé. - Et depuis, cela n'a pas évolué, malgré les procédures mises en place. Ma dernière question est la suivante : estimez-vous que les eaux minérales puissent être bénéfiques pour la santé humaine ?

M. Jérôme Salomon. - Ce n'est pas vraiment le sujet. Je dirais tout simplement que l'eau du robinet est probablement la plus simple pour nos concitoyens.

M. Hervé Gillé. - Il n'en demeure pas moins que les eaux minérales peuvent être prescrites pour certaines personnes par le corps médical.

M. Jérôme Salomon. - Oui, même si la communauté scientifique est assez divisée sur le sujet. Le message très important pour nos concitoyens est que l'eau du robinet est très contrôlée. Les collectivités en sont responsables. Elle est l'eau la moins chère. La question de l'accès financier aux eaux minérales peut se poser. Que certaines eaux minérales aient des propriétés particulières, peut-être. Malheureusement, on ne dispose pas d'une ressource scientifique suffisante pour les comparer.

M. Hervé Gillé. - Certaines eaux minérales ont un taux de magnésium, par exemple, un peu plus élevé.

M. Jérôme Salomon. - Oui, mais le magnésium est présent dans un grand nombre d'aliments. Il est donc complexe d'en déterminer précisément la source.

M. Hervé Gillé. - La détermination de la relation de cause à effet est pertinente, dans le cadre de prescriptions médicales.

M. Jérôme Salomon. - Le cas des prescriptions médicales est différent parce que la prise de minéraux par certains patients doit être contrôlée, notamment en cas d'insuffisance rénale. Je me référais à la population générale, qui a tout intérêt à avoir l'eau de qualité la plus accessible.

M. Hervé Gillé. - Certaines parties prenantes nous ont déclaré qu'une microfiltration à 0,2 micron n'enlevait pas la minéralité de l'eau. Qu'en pensez-vous ?

M. Jérôme Salomon. - La minéralité, non, mais certains constituants, oui. Plus vous filtrez, plus vous supprimez des constituants. La molécule d'eau, certes, passe toujours, mais on constate un impact sur les constituants qui est de plus en plus important. Cette observation est logique puisque la maille est de plus en plus fine.

M. Laurent Burgoa, président. - Je cède la parole à Mme Antoinette Guhl, puis à M. Khalifé.

Mme Antoinette Guhl. - Merci, Monsieur le président et Monsieur le directeur général. Dans cette affaire, Monsieur Salomon, vous avez été quasiment le seul à dire ce que nous affirmions aujourd'hui au grand public, c'est-à-dire, que ces eaux n'auraient pas dû être commercialisées telles qu'elles l'ont été.

Je voudrais qu'on revienne sur la question sanitaire des eaux. Vous affirmez depuis le début qu'il n'y a pas de problème sanitaire. Je ne partage pas votre avis, car je pense qu'il y a eu un problème sanitaire. En tant que rapporteure d'une mission d'information sur les politiques publiques en matière de contrôle du traitement des eaux minérales et de source, j'ai obtenu un certain nombre d'informations sur ce sujet précis, en particulier les dates d'arrêt des traitements.

La date d'arrêt des traitements illégaux pour les sites des Vosges est le 4 mai 2023. À partir de cette date, l'ARS Grand Est nous a déclaré avoir « mis en place des études virologiques ». Je vous pose la question en votre qualité de médecin : pourquoi des études virologiques ? Contrairement à une eau pure, l'Anses a très clairement indiqué que toute eau polluée au départ requiert une surveillance renforcée, avec notamment une étude virologique.

C'est ce qui s'est passé dans le Grand Est. L'ARS des Vosges a mentionné avoir réalisé des études virologiques sur toute l'eau minérale afin de s'assurer qu'à l'arrivée l'eau ne contenait pas de virus. De telles études n'ont pas été effectuées dans le Gard. Les traitements y ont été arrêtés le 20 décembre 2023 tandis que des analyses virologiques n'ont été effectuées que par Nestlé Waters, à partir de juin 2024, soit plus de six mois après l'arrêt des traitements.

Il n'y a donc pas eu de vérification et de contrôle renforcé tels que demandés par l'Anses. Lorsque vous déclarez aujourd'hui « Il n'y a pas de problème sanitaire », il me semble qu'il peut y avoir un problème. Quelle est votre analyse ?

M. Jérôme Salomon. - Je vous remercie pour votre rapport, très intéressant ainsi que pour votre question qui me permet de basculer dans mon domaine de compétences. J'ai relu attentivement le rapport de l'Anses. Le noeud de cette affaire - je l'ai mentionné dans mon propos liminaire - est que la mise en place de microfiltres a une visée uniquement physico-chimique. Elle porte sur les constituants et absolument pas sur les bactéries. Si sa finalité est l'éradication des bactéries, on a un problème. On n'est plus dans le cadre de l'eau minérale. Il faut être clair. La source polluée est fermée. Ce n'est plus une eau minérale. Je n'imagine même pas qu'on mette en bouteille de l'eau polluée. Dans votre commune, si l'eau est polluée, on coupe l'eau. C'est ce qui arrive malheureusement de plus en plus fréquemment pour nos concitoyens. Cela peut intervenir en raison d'importantes inondations ou orages. Je ne parle pas des eaux naturelles, mais de l'eau du robinet. Vous l'avez tous vécu. L'eau qui sort du robinet est de couleur marron. Il y a un problème. Il ne faut évidemment pas la consommer et on bascule par ailleurs sur de l'eau minérale.

Le micro-filtre concerne les composants. Si on diminue la taille du filtre, quelle qu'en soit la raison, c'est que l'on n'est pas complètement sûr de sa ressource ou que l'on a des informations. En tout cas, l'idée est de commencer à filtrer d'éventuelles bactéries. Cela modifie le microbisme de l'eau. Toutefois, il est important de souligner que les mailles de ces filtres ne sauraient arrêter les virus qui sont beaucoup plus petits. À titre d'illustration, la taille des picornavirus, à l'origine des gastro-entérites virales est 100 à 1 000 fois plus petite que la maille du filtre, c'est-à-dire de l'ordre du nanomètre et non du micron. Ces filtres n'ont donc pas la moindre visée virologique.

L'élément clé de mon raisonnement est qu'il n'y a aucune raison qu'il y ait des virus dans une eau minérale naturelle profonde souterraine, comme l'attestent les travaux scientifiques standards de recherche fondamentale.

M. Hervé Gillé. - L'existence des effluents contaminés par des virus en aval d'un hôpital a été démontrée.

M. Jérôme Salomon. - C'est exact, mais nous ne sommes pas dans la même situation. Je vais aborder des considérations plus techniques. Les virus ont besoin d'un milieu pour proliférer. Ils ne peuvent proliférer sans cellules pour les développer.

J'insiste donc sur le fait qu'une contamination bactérienne ou virale équivaut à une fermeture. J'espère avoir été assez clair.

Mme Antoinette Guhl. - Je comprends votre argumentation et ne doute pas de votre bonne foi. Toutefois, vous n'avez pas été entendu. Vos préconisations dans votre rapport n'ont pas été suivies d'effet. Nestlé Waters n'a pas respecté les normes. L'entreprise l'a elle-même déclaré. C'est avéré. Elle a utilisé une série de traitements assez coûteux pour une certaine raison. Des problèmes bactériologiques ont été identifiés. Des sources pont été fermées.

M. Jérôme Salomon. - Heureusement que l'on surveille la qualité de l'eau.

Mme Antoinette Guhl. - L'infraction de Nestlé Waters est avérée sur ses quatre marques d'eau que vous connaissez, Perrier, Vittel, Hépar et Contrex. On le sait. C'est avoué, C'est chiffré par l'État. Par ailleurs, vous soulignez qu'une microfiltration à 0,2 micron ne permet pas de qualifier l'eau, d'eau minérale naturelle. Vous tenez donc les mêmes propos que nous. Or, vous savez très bien que l'eau a été filtrée à 0,2 micron, ce qui a modifié son microbisme. C'est vous qui le dites. Je reprends vos propos.

M. Jérôme Salomon. - Pour rebondir sur votre question, ce n'est pas à visée antivirale. Ce n'est pas le bon traitement.

Mme Antoinette Guhl. - Ce n'est effectivement pas le bon traitement, s'il existe des virus. En cas de contamination aux matières fécales et de tromperie sur les traitements utilisés, notamment la filtration, celle-ci va supprimer les bactéries, mais non les virus. Une recherche virologique est donc nécessaire. On attend cette protection de l'État, et non de l'industriel qui ne se conforme pas aux normes. On ne peut pas lui faire confiance sur cette question. Or force est de constater une absence de recherche virologique pendant 6 mois dans le Gard, contrairement aux Vosges.

Ma question porte sur le gigantesque champ d'études de l'Igas. Ne peut-on y voir une volonté de gagner du temps pour avoir un plan de transformation de Nestlé Waters ou pour trouver une solution ? Ce qui a été fait, ensuite.

M. Jérôme Salomon. - De la part de l'Igas ?

Mme Antoinette Guhl. - Bien sûr que non. De la part de ceux qui ont commandité cette étude gigantesque à l'Igas alors que Nestlé Waters avait fait des aveux. En posant cette question, je ne sous-entends aucune inertie des services de l'État. Bien au contraire, ces derniers ont intensément travaillé sur le sujet. Je pense même qu'ils ont trop travaillé par rapport à ce qui aurait dû être fait. Je sais que vous partagez mon avis puisque vous avez décrit ce qui aurait dû être fait et que vos recommandations n'ont malheureusement pas été suivies. Je réitère ma question. L'Igas a effectué un grand nombre de contrôles sur un champ d'investigation très large. N'y avait-il pas là une volonté de gagner du temps ?

M. Jérôme Salomon. - Très sincèrement, je ne le pense pas. Je l'ai rappelé en introduction, on se situe en septembre 2021, en pleine crise de la pandémie. Mobiliser l'Igas, qui était assignée également sur d'autres sujets prioritaires, notamment la lutte contre le COVID, ainsi que les ARS qui étaient en cours de lancement de la campagne de vaccination dans les maisons de retraite, représentait une démarche très lourde à mettre en oeuvre. Cela signifiait au contraire que le sujet était important. Cette étude de l'Igas a été demandée par trois ministres. Elle a nécessité d'investiguer partout afin de comprendre ce qui se passait.

Loin de gagner du temps, cette étude nous a permis de déterminer non seulement ce qui se passait sur une ou deux sources, mais également la pratique globale nationale. Elle nous a beaucoup aidés pour saisir l'Anses et ensuite notifier la Commission européenne. Nous avions besoin d'informations, que l'on nous aurait demandées de toute façon. On nous aurait interrogé sur la nature isolée ou non de la pratique et in fine sur notre avis argumenté. Vous l'avez dit, Madame la sénatrice et je vous en remercie, les services de l'État ont beaucoup travaillé sur ce sujet dans une période compliquée, parce qu'ils avaient déjà beaucoup à faire.

Mme Antoinette Guhl. - Tout à fait. Je l'avais souligné dans mon rapport. Permettez-moi de poser une dernière question. Selon le directeur de l'ARS Occitanie, la DG Santé n'informe pas l'ARS du problème Perrier, avant novembre 2022. Le directeur de l'ARS ne le savait donc pas alors que cela faisait un an et demi que beaucoup travaillaient sur le sujet. Trouvez-vous normal qu'il n'ait pas été informé de la situation ? Il l'a apprise par l'industriel.

M. Jérôme Salomon. - Cela me paraît, entre guillemets, un peu surprenant. Il convient de vérifier si cela n'est pas dû à un changement de directeur.

Mme Antoinette Guhl. - Il était en poste depuis le mois de juin ou de juillet.

M. Jérôme Salomon. - Il me semble que l'inspection a été lancée lorsque son prédécesseur était en poste. Il faudra vérifier les dates. Toutes les inspections sont adressées à l'ensemble des directeurs généraux des ARS. On ne peut imaginer qu'une mission Igas porte sur un territoire déterminé sans que le DG de l'ARS concernée en soit informé. Il est possible qu'il n'y ait pas eu de transmission d'informations entre directeurs. Je ne le sais pas. Il faudra leur demander. Il n'y a pas eu de volonté d'opacité vis-à-vis des DG des ARS. Je les avais quasiment quotidiennement au téléphone. Nous échangions des informations. Il n'y avait, par ailleurs, aucune raison, de cacher la moindre information sanitaire entre la DG Santé et une ARS.

M. Khalifé Khalifé. - Je souhaite revenir sur les manifestations cliniques. Vous avez déclaré ne pas avoir eu de signalement clinique, ce qui est probable, même si cela devait être mineur, s'il y en avait eu. Avez-vous mis en place un registre, soit au niveau de l'ARS, soit au niveau de la DG Santé, afin de recenser les cas éventuels ?

M. Jérôme Salomon. - Les toxines d'infection alimentaire collective, aux origines entériques comme hydriques, sont soumises à déclaration obligatoire et doivent donc être signalées. En outre, la mobilisation de Santé publique France et des ARS était alors sans précédent. Tout signal, en particulier à cette époque, était analysé au quotidien, alors qu'auparavant, le rythme était plutôt hebdomadaire.

Bien évidemment, une attention toute particulière et principale est portée à l'évolution clinique ou au moindre signal d'épidémie, en particulier si une origine hydrique ou alimentaire est suspectée. Une enquête est immédiatement lancée si un signal ou un groupe de cas ont été signalés. Ce système fonctionne même aujourd'hui sans alerte.

M. Khalifé Khalifé. - D'après vous, quelles sont les motivations de Nestlé Waters pour frauder ?

M. Jérôme Salomon. - Aucune idée.

M. Khalifé Khalifé. - Permettez-moi de poser la question autrement. Nestlé Waters est une multinationale. Je suppose que l'entreprise possède d'autres structures, en dehors de la France, qui commercialisent de l'eau. Vous êtes-vous intéressé à cet aspect ? Je poserai la question demain aux dirigeants de Nestlé Waters, mais je préfère vous entendre également.

M. Jérôme Salomon. - On se situe dans un cadre européen, régi par une directive qui a été transposée. On se conforme à l'obligation d'échange d'informations, au quotidien par des mécanismes automatiques d'échange d'informations. Le champ sanitaire est donc européen. En l'espèce, l'entreprise concernée est un producteur d'importance majeure.

M. Khalifé Khalifé. - Utilisait-elle la même technique dans ses usines implantées hors du territoire français ?

M. Jérôme Salomon. - Je n'en ai aucune idée. On peut imaginer soit une démarche générale, soit une démarche de site, procédant d'une décision du responsable de site en raison des informations en sa possession. Je n'ai même pas rencontré les responsables de cette entreprise. C'est une tradition à la DG Santé. Il existe un mur hermétique avec les entreprises privées.

M.  Khalifé Khalifé. - Avez-vous contrôlé les autres producteurs que Nestlé Waters, d'autres usines ?

M. Jérôme Salomon. - Je ne vous ai pas encore communiqué des chiffres très intéressants qui témoignent de l'ampleur du contrôle. En effet, d'aucuns peuvent avoir l'impression que l'on regarde un site à la loupe, mais tous les sites sont bien évidemment contrôlés. Il existe 104 sites en France, situés sur 59 départements et 18 régions. Vous comprenez l'intérêt de la mission Igas. On devait observer les pratiques sur l'ensemble du territoire national. Cela représente 13,6 millions de mètres cubes, répartis à proportion égale entre eaux minérales naturelles et eaux de source. La production est concentrée. Certains sites produisent la moitié du volume. De très grands groupes industriels se partagent globalement ce marché. Tous les sites ont été contrôlés.

Pour souligner l'importance de ce sujet pour nous, je préciserai que les Français sont plutôt de grands consommateurs d'eau minérale naturelle, un peu plus que la moyenne européenne, avec 120 litres par an et par habitant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aimerais aborder quelques points avant la fin de cette audition. Premièrement, la DG Santé ayant un rôle d'animation des ARS, je souhaite revenir sur la différence de réaction entre l'ARS Grand Est et celle Occitanie. On observe que l'ARS Grand Est a fait un signalement au titre de l'article 40. Elle est particulièrement scrupuleuse en termes de contrôle sanitaire. Dès le débranchement des filtres illégaux qui assuraient la sécurité sanitaire, elle met immédiatement en oeuvre un système de sécurité renforcé, comprenant une analyse virologique, car les filtres de 0,2 micron n'arrêtent pas les virus. À l'inverse, l'ARS Occitanie n'a pas recours à l'article 40. Elle laisse le contrôle pendant 6 mois à l'industriel, et n'appelle pas un contrôle virologique, même si on a appris que l'industriel l'a effectué. Il apparaît que la qualité de la maîtrise du risque est bien inférieure d'une ARS à l'autre.

En charge de l'animation des ARS, quelle est votre analyse de cette différence de position entre l'ARS Grand Est et celle Occitanie, alors qu'elles sont confrontées au même problème, dans une situation similaire ? Lorsque vous êtes informé du signalement par l'ARS Grand Est, ne pensez-vous pas devoir demander à l'ARS Occitanie de procéder également à un tel signalement ?

Deuxièmement, s'agissant de la saisine de l'Igas, j'ai envie de dire que votre solution de départ était la bonne. On constate que les ARS sont informées, mais avec un retard important, sur un industriel qui a recours à des procédés interdits et qui choisit le moment pour dévoiler son infraction et son modus operandi. Comment expliquez-vous cette situation et le manque de communication entre l'État central et les ARS, qui n'ont pas pu être informées dans les temps ?

Par ailleurs, je suis interpellé par votre détachement vis-à-vis de la décision de la CID, très éloigné du ton de votre note du 20 janvier 2023, dans laquelle vous proposiez de suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement. Ce grand écart me surprend, même si je conviens qu'en tant que directeur général de la Santé, vous avez de nombreux dossiers à traiter.

Ma dernière question relève de la prospective. Compte tenu de votre expérience, avez-vous des recommandations qui pourraient nourrir le travail de la commission afin d'améliorer le dispositif de contrôle des eaux minérales naturelles ?

M. Jérôme Salomon. - Monsieur le rapporteur. La DG Santé actuelle vous l'a certainement indiqué, elle est dépourvue d'autorité hiérarchique sur les ARS. Les DG d'ARS, fort heureusement, disposent d'une véritable autonomie et une indépendance de décision, et viennent en appui des préfets. Un enjeu d'animation existe. En l'espèce, il a fonctionné. La mission de l'Igas a été partagée. Des collèges de directeurs généraux des ARS se réunissent. Je pense donc qu'il n'y a pas eu de problème sur ce point.

En revanche, les organisations, les réponses et les suivis des ARS sont effectivement peut-être divers. Ces singularités peuvent être justifiées par des particularités régionales, des différences dans leurs rapports d'inspection, etc. En outre, l'ARS a toujours le loisir de demander conseil et appui auprès de la DG Santé sur les actions à entreprendre. Certaines le font, d'autres non.

Pour répondre à votre question sur l'hétérogénéité, la démarche nationale tend à se développer pour atteindre une homogénéité nationale. C'est pourquoi on s'est interrogé sur l'hétérogénéité des seuils de coupure. Le service national d'enquête est très solide. Une coordination des inspections est à l'oeuvre.

S'agissant de ma réaction au résultat de la CID, j'ai répondu avec autant de calme parce qu'on avait lancé également l'appui scientifique et technique de l'Anses. Bien qu'ayant perdu l'arbitrage, je poursuivais ma démarche en prévoyant un accompagnement concret des ARS dans leur réponse aux situations locales. Cet appui technique et scientifique de l'Anses aux ARS est intervenu en avril. Nécessaire pour un grand nombre de ces Agences, il a permis de leur fournir une expertise, en particulier dans l'accompagnement du plan de gestion et du plan de renforcement des contrôles. Nous avions en effet une obligation d'accompagner les ARS sur un plan d'action efficace et concret.

Concernant les recommandations, je ne m'exprimerai pas en tant qu'ancien DGS, mais en tant que citoyen. Un grand nombre d'actions recommandées par l'Igas, dont les dix principales, ont été mises en oeuvre. La DG Santé actuelle pourra vous le confirmer. Certaines d'entre elles particulièrement pertinentes portent notamment sur les installations, la filtration, la révision de la directive, l'appui aux ARS, les arrêtés d'autorisation, les inspections, l'information des consommateurs - c'est évidemment très important - et le suivi de la qualité microbiologique des ressources. La démarche européenne est toujours en cours sur 2024-2025 ainsi que le plan d'inspection.

Ma préoccupation actuelle renvoie à une de vos questions : comment gère-t-on aujourd'hui une qualité de la ressource qui est probablement en forte baisse, non pas parce que les producteurs en sont responsables, mais parce que la situation a beaucoup changé ? C'est un sujet réel à double égard. Premièrement, le choix entre eaux minérales naturelles, eaux de source et eau du robinet, peut s'avérer ardu pour nos concitoyens. Les femmes enceintes nous disent « Mais quelle eau dois-je choisir ? » La question du coût n'est pas indifférente. La confiance du consommateur est primordiale.

Deuxièmement, la tendance est à la diminution de la ressource, situation que connaissent les élus de certains départements et régions concernées. Je pense que l'on est vraiment au bord d'un non-accès à l'eau dans des communes majeures, dans les 5 ans qui viennent. Certaines n'auront plus d'eau. À l'été prochain, on pourrait envoyer des camions-pompes ou des packs d'eau minérale. On en est là.

La priorité est donc de sécuriser la distribution de l'eau potable au robinet. Nous y sommes très attentifs. Un accès aux eaux de source et eaux minérales de qualité est également indispensable, sous réserve que les industriels qui en sont responsables s'assurent de commercialiser de la véritable eau minérale naturelle parce que les consommateurs attendent des qualités microbiologiques et des qualités physico-chimiques particulières.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le directeur général, vous avez insisté dans vos propos préliminaires, sur les difficultés contextuelles liées à la pandémie du COVID, en rendant un hommage appuyé à vos services et à l'ensemble des praticiens. Nous avons tous le souvenir des points de presse le soir, et de votre proximité avec le Premier ministre, ou divers ministres.

Compte tenu de vos fonctions et proximité, avez-vous pu évoquer le sujet de la filtration d'eau minérale, avec Matignon, l'Élysée ?

M. Jérôme Salomon. - Très clairement et objectivement, non, ni avec le Président de la République, ni avec les Premiers ministres. Par ailleurs, je n'ai pas participé aux réunions qui ont été évoquées dans la presse.

Permettez-moi de revenir, Monsieur le Président, sur l'époque COVID. Mon intention n'était pas de solliciter votre indulgence avec des circonstances atténuantes. Bien au contraire. Je suis impressionné par la réactivité et les efforts déployés par les ARS et l'Igas alors que la période était très compliquée. Ils ont été extrêmement rigoureux. Je n'ai constaté aucune réticence de leur part concernant les inspections des eaux minérales, en pleine période de finalisation de la vaccination des personnes âgées. Ils se sont surmobilisés pour répondre présent dans une période très difficile. C'est pourquoi je leur rends hommage ce soir.

M. Hervé Gillé. - Vous évoquez la période de COVID. Peut-on imaginer que le spectre des symptômes du COVID ait pu dissimuler, à un moment donné, des problèmes d'ordre sanitaire sur ces eaux ?

M. Jérôme Salomon. - Très franchement, je ne le pense pas. On avait testé les différentes formes de COVID. Les formes respiratoires étaient parfaitement cliniquement authentifiées à l'hôpital. On avait des PCR (Polymerase Chain Reaction) COVID. En cas de PCR COVID, le COVID n'est pas dans l'eau. Il ne faut pas inquiéter les personnes. Ce que l'on peut éventuellement trouver dans l'eau, ce sont les entérovirus, sur des épisodes de contamination par des effluents.

M. Hervé Gillé. - Je fais référence aux spectres. Quand on parle du contrôle et du registre, il peut y avoir des symptômes, à un moment donné, liés à une contamination de l'eau qui ressemblent à des symptômes du COVID et qui peuvent être noyés dans un cadre épidémiologique.

M. Jérôme Salomon. - Soit vous avez un prélèvement positif COVID, soit vous avez un prélèvement positif anti-rétrovirus, coliforme, ou entérocoque. Les laboratoires et médecins en France sont capables de dresser un diagnostic microbiologique, surtout pour les formes significatives.

M. Laurent Burgoa, président. - Je tiens à renouveler mes remerciements en mon nom et celui de l'ensemble des membres de la commission pour cette audition très enrichissante. Je vous remercie également pour votre franchise, Monsieur le directeur général.

M. Jérôme Salomon. - Je suis sous serment.

M. Laurent Burgoa, président. - On se retrouvera demain après-midi à 14 heures, puis à 15h30 pour l'audition de M. Philippe Fehrenbach, ancien du directeur du site Nestlé Waters du Gard, et après M. Luc Desbrun, directeur du site Nestlé Waters Vosges, en salle Médicis.

Audition de M. Philippe Fehrenbach,
ancien directeur du site Nestlé Waters Gard
(Jeudi 6 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Philippe Fehrenbach, directeur de l'usine Nestlé Water Supply Sud de Vergèze dans le Gard, de février 2021 à janvier 2025.

Monsieur le directeur, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Fehrenbach prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - J'ai accepté pour la première fois la présence d'un avocat à vos côtés, mais je rappelle que celui-ci ne pourra pas intervenir devant la commission, conformément aux règles s'appliquant aux commissions d'enquête, et qu'il ne prête donc pas serment.

Le Sénat a constitué le 20 novembre dernier une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, en particulier, le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif d'éclairer ce qui s'est passé dans les systèmes d'embouteillage d'eau minérale. Pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?

En tant que directeur de l'usine Nestlé Waters de Vergèze, c'est-à-dire de Perrier, depuis février 2021, vous avez été en première ligne dans cette affaire. Nestlé Waters a en effet fait état de l'usage de ces traitements interdits devant le cabinet de Madame Pannier-Runacher, alors ministre de l'industrie, le 31 août 2021. Du reste, vous connaissez bien le secteur puisque vous avez travaillé chez Vittel en 1998 et entre 2002 et 2003.

Les questions que nous vous poserons sont les suivantes : à quoi servaient ces traitements ? Comment, pourquoi, et par qui ont-ils été mis en place ? Que s'est-il passé après la réunion du 31 août 2021 au cabinet de Madame Pannier-Runacher, ministre de l'industrie ? Quelles ont été vos interactions avec les services de l'État concernés, notamment, avec l'agence régionale de santé (ARS) Occitanie et la préfecture du Gard ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous sommes tous attachés ?

Vous présenterez vos réflexions lors d'un propos liminaire, puis Monsieur le rapporteur vous interrogera. Nous passerons ensuite aux questions des autres membres de la commission.

M. Philippe Fehrenbach, ancien directeur du site Nestlé Waters Gard. - Je vous remercie de me donner l'opportunité de m'exprimer aujourd'hui sur l'activité de Nestlé Waters à Vergèze. Après plus de trente ans dans l'industrie agroalimentaire, j'ai eu la chance, depuis 2021, de m'occuper du site de Vergèze, qui impose à la fois le respect de son histoire industrielle et la gestion durable de l'eau. Mon rôle était de garantir une production efficace et responsable en veillant à concilier l'excellence industrielle, l'engagement environnemental et l'ancrage territorial d'un site qui fait la fierté de ses salariés et de la collectivité.

Cette usine emploie près de mille personnes qui travaillent chaque jour au rayonnement de la marque Perrier depuis plus de cent soixante ans. Dès 2021, tout le site s'est mobilisé pour la modernisation de l'usine et la mise en oeuvre du plan de transformation visant à répondre aux enjeux stratégiques. Mobiliser près d'un millier de personnes dans un tel projet a été un défi exigeant, mais tous les salariés se sont investis dans l'avenir de Perrier et dans la pérennité de notre activité. Je suis fier d'avoir exercé cette responsabilité pendant près de quatre années, car j'ai eu l'opportunité d'écrire une nouvelle page de l'histoire du site en le modernisant, tout en préservant son identité et son ancrage territorial.

Pour autant, je partage aussi la fatigue et la souffrance de nos équipes qui voient la qualité de leur travail et leur intégrité remises en question depuis un an dans de nombreuses déclarations médiatiques, souvent approximatives, voire erronées. Tous les employés de l'usine, tout comme mon successeur à sa direction, sont tournés vers le futur du site et comptent sur votre commission pour aborder nos enjeux avec le recul nécessaire et une approche constructive.

Je souhaite vous rappeler quelques éléments sur l'histoire de Perrier avant de détailler nos actions pour préserver et protéger notre ressource en eau.

Avant toute chose, laissez-moi vous rappeler en quelques mots l'histoire de Vergèze, qui est intimement liée à celle de Perrier, une eau minérale unique née sur ce territoire il y a plus de cent soixante ans. La source des Bouillens était connue dès l'Antiquité. Vergèze a d'abord servi au thermalisme, puis Napoléon III a autorisé, au XIXe siècle, l'exploitation de la source. Dès la fin du XIXe siècle, Perrier a été exportée, marquant le début de son histoire internationale. Son effervescence unique et son goût distinctif en ont fait une marque reconnue dans le monde entier, portée par un site de production qui a su évoluer avec son temps. Perrier a ainsi traversé les époques tout en restant fidèle à son identité gustative et à son ancrage local. Car Perrier, c'est aussi une partie de notre patrimoine et une fierté de la région.

L'eau Perrier est alimentée par un hydrosystème autour de la région de Vergèze. Elle provient de différentes roches calcaires du sous-sol situées dans le massif des Garrigues. L'eau de pluie se minéralise progressivement au cours de son chemin à travers ces roches, donnant ainsi naissance à une eau minérale naturelle. Elle est puisée grâce à trois forages dans les calcaires de l'Hauterivien, formés il y a cent vingt millions d'années, et à deux forages dans les calcaires du Burdigalien, formés il y a vingt millions d'années.

Aujourd'hui, notre activité repose également sur une deuxième marque complémentaire, Maison Perrier, une gamme récente de boissons aromatisées et rafraîchissantes qui répond aux évolutions des attentes des consommateurs en quête de nouvelles expériences gustatives. Vergèze, aujourd'hui, rassemble donc cinq forages d'eau minérale, deux forages pour la production de boissons, quatre forages d'eau industrielle et cinq forages pour l'extraction de CO2. Ce n'est pas seulement une usine, c'est un écosystème industriel unique.

Avec plus de mille salariés sur soixante-dix hectares, le site de Perrier est un acteur économique majeur du Gard, dont vous avez constaté vous-même l'échelle et la modernité. Perrier est distribué dans plus de cent quarante pays et occupe une place de leader sur plusieurs marchés stratégiques. En France, la marque est notamment leader sur le marché des eaux gazeuses. En 2024, le site a produit 1 251 milliards de bouteilles.

La nouvelle marque Maison Perrier, dédiée aux boissons, a été lancée l'année dernière pour répondre à une forte demande de nos consommateurs. Elle a aussi pour but de donner à Perrier une plus grande capacité d'innovation. Elle a trouvé son public : en un an, plus de 375 millions de bouteilles ont été vendues sur quatre-vingts marchés, renforçant ainsi le positionnement de la marque sur le segment dynamique des boissons. Ce succès est ancré dans l'image emblématique de Perrier et dans l'attachement de nos consommateurs à cette marque historique. L'équilibre actuel repose sur la production des deux marques Source Perrier et Maison Perrier en parallèle. La seconde ne pourrait exister sans la première.

Acteur économique local engagé, nous contribuons au financement de plusieurs projets municipaux, notamment en matière de préservation des ressources naturelles, qu'il s'agisse de l'eau, des sols ou de la biodiversité. Notre activité ne peut se développer dans le temps sans une gestion durable et responsable des ressources. Si Perrier existe depuis plus de cent soixante ans, c'est parce que la ressource a été gérée de manière durable et responsable depuis le début de son histoire, et notamment depuis que Nestlé Waters en est le garant. L'eau est une ressource partagée que nous nous attachons à gérer en collaboration avec toutes les parties prenantes de la région, notamment dans le cadre de notre participation à la norme internationale de bonne gestion de l'eau, en cours d'homologation.

Cela passe tout d'abord par la réduction de nos prélèvements d'eau, que nous nous sommes engagés à réduire de 40 % entre 2018 et 2026, soit un total de 2,5 millions de mètres cubes au maximum par an d'ici à 2026. Nous sommes proches de cet objectif et le respecterons dès 2026, comme promis. Nous avons aussi fait de Vergèze un site pilote pour la technologie Aquassay, un outil avancé permettant de visualiser notre utilisation d'eau du forage jusqu'à la station d'épuration, de manière à optimiser nos process ainsi que nos prélèvements. Cet outil nous permet d'améliorer de 39 % notre ratio entre volume d'eau prélevé et volume embouteillé, entre 2018 et 2026.

Au-delà de nos installations, nous travaillons aussi à la protection des écosystèmes et de la biodiversité autour du site, ainsi qu'à la régénération des cycles de l'eau sur notre territoire. Le Gard est un territoire exposé à des sécheresses sévères et à des épisodes cévenols. Sans des sous-sols sains et vivants, composés notamment de sable et de roches, nous ne pourrions pas produire de l'eau minérale naturelle Perrier. Nous avons donc engagé un plan de restauration écologique ambitieux visant à contribuer à la reforestation, à la restauration des zones humides et à l'amélioration des infrastructures liées aux ressources en eau. Nous avons ainsi planté dix mille arbres et haies depuis 2020 pour améliorer l'infiltration de l'eau et renforcer la biodiversité tout en protégeant cent douze hectares de forêts en partenariat avec le conservatoire d'espaces naturels du Languedoc-Roussillon.

Nous accompagnons également le passage à l'agriculture biologique, notamment dans le domaine viticole, en aidant les agriculteurs du département à réduire et à supprimer l'usage des pesticides. Nestlé Waters achète des terrains et les met à disposition d'agriculteurs et de viticulteurs pour permettre le passage au bio. Ainsi, le territoire du Gard compte plus de six cents hectares certifiés en agriculture biologique autour de la source. Dans un territoire où les vignobles sont nombreux, nous encourageons la gestion durable et les traitements préventifs naturels, en partenariat avec la cave coopérative viticole Héraclès, dont nous sommes à l'initiative et qui est aujourd'hui la plus grande cave bio de France, avec quatre-vingt mille hectolitres de vin de pays bio produits chaque année.

Ces actions très ciblées reposent sur une connaissance profonde du territoire et une surveillance renforcée de l'écosystème. Depuis 1960, nous avons mené plus de cinquante études à Vergèze pour mieux comprendre le sous-sol, les failles, la géologie, renforçant ainsi les connaissances sur l'hydrosystème local. Toutes ces données sont collectées et partagées chaque année avec les autorités via un rapport hydrogéologique détaillé.

Ces dernières années ont été une période d'investissement et de modernisation importante du site et de notre outil industriel. Nous avons notamment investi cinquante millions d'euros pour construire un entrepôt haut de gamme entièrement automatisé qui optimise les volumes de stockage, avec notamment des transporteurs de palettes autonomes. Vous avez pu le visiter il y a quelques semaines. Nous avons également investi dans une nouvelle ligne de production de canettes de trente-trois centilitres plus performante et moins gourmande en eau ; nous avons remis en service le train entre le site et le port de Fos-sur-Mer afin d'économiser deux mille cinq cents tonnes d'équivalent CO2 ; nous travaillons actuellement au développement d'une plateforme de verre consigné pour permettre une gestion plus efficace et plus centralisée et ainsi faciliter l'adoption du verre consigné.

Nous avons investi plus de cinquante millions d'euros dans un plan de modernisation de l'usine, notamment pour réaliser des améliorations techniques des systèmes de distribution d'eau et l'installation de nouvelles conduites, ainsi que vous avez pu le constater lors de votre visite. Ces travaux ont permis de développer la nouvelle offre de boissons Maison Perrier en créant un processus de production entièrement dédié. Ils sont le fruit d'un remarquable travail réalisé par les équipes de l'usine, qui se sont mobilisées pour réaliser cette transformation en un temps record.

Ces projets ne seraient pas possibles sans l'engagement des salariés du site. Perrier est une marque historique et beaucoup de ses collaborateurs sont issus de familles ayant travaillé à l'usine depuis des générations. Nous savons que leur engagement est total et nous accordons une place importante au dialogue avec nos partenaires sociaux. Un site industriel performant repose avant tout sur des équipes impliquées et un dialogue social apaisé, et je les en remercie. Nous continuerons à avancer avec et pour eux afin de garantir l'avenir du site de Vergèze.

Nous formons le voeu que les travaux de cette commission se déroulent de manière constructive et apaisée de manière à reconnaître le travail important fourni par nos équipes afin d'assurer la pérennité de notre activité et le rayonnement continu de la marque Perrier partout dans le monde.

Avant de conclure, je tiens à souligner une difficulté qui me semble importante. Une procédure pénale est en cours sur des faits sur lesquels votre commission se penche. Dans ces conditions, et sur les conseils de mon avocat, je vous informe, avec tout le respect que je dois à votre commission, à ses membres et à la représentation nationale, que si vous étiez amenés à me poser des questions sur des faits faisant l'objet de cette procédure, je ne pourrais y répondre.

En conclusion, derrière chaque Perrier servi en terrasse, il y a le travail et l'expertise de centaines de salariés engagés. Préserver cette marque, c'est préserver un site industriel clé, des emplois et un savoir-faire reconnu. Je suis fier d'avoir dirigé un site aussi emblématique.

M. Laurent Burgoa, rapporteur. - Nous avons déjà connu des situations dans lesquelles une information judiciaire était ouverte sans que cela empêche une commission d'enquête de se dérouler. J'ai à l'esprit l'affaire Benalla, durant laquelle la commission d'enquête était présidée par un sénateur devenu depuis membre du Conseil constitutionnel, ce qui prouve la régularité de la procédure !

Je me permets de vous rappeler en toute sympathie, monsieur le directeur, qu'il n'existe pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui n'est pas un tribunal, dès lors qu'elle est dépourvue de finalité répressive. Elle est destinée à faire la lumière sur des processus ou des dysfonctionnements, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement grâce à un pouvoir d'investigation spécifique.

La saisine du groupe qui a souhaité la création de cette commission d'enquête visait d'ailleurs plutôt à examiner l'action de l'État et à identifier d'éventuelles défaillances de sa part. Notre mission n'est pas de qualifier des faits en telle ou telle infraction, mais de mettre au jour la manière dont l'État a exercé ou non son contrôle sur certains faits. Tel sera notre travail.

Il en résulte, selon la loi, que si vous ne souhaitez pas déposer après avoir prêté serment devant notre commission d'enquête, vous vous exposez à une peine de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. En revanche, si vous estimez que votre réponse serait de nature à porter atteinte au secret des affaires et que vous ne souhaitez donc pas la communiquer publiquement, il vous est loisible de la transmettre en marge de l'audition publique, ou par écrit à notre commission, ce que nous avons toujours admis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur le directeur, vous avez évoqué vos équipes. Nous avons rencontré leurs représentants à Vergèze, qui ont fait part de leur volonté d'aller au bout de la vérité et de sortir de cette séquence, puisque les informations leur parvenaient également de manière fragmentaire.

Cette commission d'enquête est publique, et considère que ce qui a été dit à un cabinet ministériel il y a quelques années peut être dit devant la représentation nationale pour que celle-ci comprenne ce qui s'est noué au sein des usines du groupe Nestlé. C'est en allant au bout de la transparence que la confiance pourra être restaurée.

Je me permets donc de revenir sur les questions du président, auxquelles vous n'avez pas répondu. Pouvez-vous nous expliquer quels traitements illégaux ont été mis en place ? À partir de quel moment ? Ont-ils été portés à votre connaissance ? Par qui ? Pouvez-vous nous indiquer comment ces traitements ont été déployés, dans quel but, à quelle fin, afin que nous puissions comprendre ce qui s'est passé au niveau des eaux de la marque Perrier ?

M. Philippe Fehrenbach. - J'ai pris mes fonctions le 1er mars 2021. Ce jour-là, mon supérieur hiérarchique de l'époque m'a informé de ces traitements non réglementaires. Nous avons fait le tour de l'usine, et il me les a montrés. Précisons qu'il s'agissait de traitements par charbon actif et par ultraviolets. On m'a présenté en même temps un projet de plan de transformation, dont le coût était estimé à l'époque entre vingt et vingt-cinq millions d'euros, pour refaire un certain nombre de choses et s'affranchir de ces traitements. J'ai été personnellement chargé de mener à bien cette transformation et cette modernisation. Le montant, initialement évalué à vingt ou vingt-cinq millions d'euros, atteint aujourd'hui cinquante-trois millions d'euros. Les travaux s'achèveront à la fin de cette année, au plus tard au début de l'année prochaine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc au moment de votre prise de fonctions que vous avez été informé de l'existence de ces traitements. Vous avez fait carrière au sein du groupe Nestlé, aviez-vous connaissance de la mise en place de tels traitements dans les autres usines du groupe où vous aviez travaillé précédemment, sachant que nous savons aujourd'hui que ces pratiques étaient généralisées à l'ensemble des sites de production ?

M. Philippe Ferenbach. - Absolument pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'en viens maintenant à l'un des points clés pour la compréhension de notre commission d'enquête. Nous savons que, depuis lors, un certain nombre de puits ont été fermés. Ces traitements étaient-ils mis en place parce qu'il existait un problème de pureté originelle de l'eau sur les puits où ils étaient appliqués ?

M. Philippe Ferenbach. - Tout d'abord, je tiens à préciser qu'aujourd'hui, à Perrier, aucun puits n'est fermé. Le forage Romaine VIII (R VIII) est actuellement suspendu, à la demande de Monsieur le préfet, à la suite d'une déviation microbiologique ponctuelle survenue après la tempête Monica.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Depuis lors, certains forages ont-ils été déclassés et ne produisent plus d'eau minérale naturelle ?

M. Philippe Ferenbach. - Je souhaite m'attarder sur le cas de R VIII. Aujourd'hui, ce forage figure dans le dossier de demande d'autorisation d'exploiter une source d'eau minérale que nous avons déposé. Dans ce dossier de transformation, nous avons soumis le reclassement de deux forages, R III et R V, en tant que forages destinés à la production de boissons.

Le dossier Source Perrier, quant à lui, est désormais en cours d'instruction, il a subi d'importants retards en raison de la grève des hydrogéologues agréés, qui ont finalement été réquisitionnés par Monsieur le préfet en août dernier. Il devrait aboutir rapidement. Il me semble qu'un projet a déjà été transmis à l'ARS et que des échanges sont en cours entre les hydrogéologues agréés et l'ARS en vue de sa finalisation, que nous espérons pour fin mars. Le dossier du forage R VIII y est inclus. Nous verrons donc quelle sera la position des hydrogéologues agréés.

Quant à nous, nous considérons que R VIII reste une eau de source minérale, même si nous ne l'utilisons pas pour le moment, le forage étant suspendu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur l'utilisation de ces traitements interdits. Vous qui connaissez par coeur ce site, pouvez-vous nous expliquer ce qui justifiait la mise en place de ces traitements sur le site de Vergèze ? Était-ce la dégradation de la qualité de la ressource, notamment sur les puits qui ont depuis été déclassés, qui en était la cause ? Pouvez-vous nous exposer les raisons pour lesquelles, lors des inspections des services de l'État, des traitements illégaux étaient mis en place pour hygiéniser l'eau ? Êtes-vous en mesure de nous fournir des explications sur ce point ?

M. Philippe Ferenbach. - Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, car ces traitements étaient répartis sur différents puits. Quant à la raison de leur mise en place, je ne saurais l'expliquer, n'étant pas présent à l'époque et n'en étant pas à l'origine. J'ignore le véritable motif de leur installation, la preuve en est que nous les avons retirés en août 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur le directeur, vous êtes à la tête de cette usine, vous connaissez ce secteur sur le bout des doigts, vous connaissez par coeur ces tuyaux qui courent sur des kilomètres et des kilomètres. Vous n'allez pas me dire aujourd'hui que vous n'avez aucune idée des raisons pour lesquelles ces traitements ont été mis en place ! Et vous n'allez pas me faire croire, car je suis persuadé que vous êtes un homme curieux, que lorsque votre supérieur vous a expliqué que des traitements étaient appliqués, sachant qu'ils étaient illégaux, vous ne lui avez pas demandé pourquoi. À moins que vous n'ayez manqué singulièrement de curiosité sur ce sujet.

M. Philippe Ferenbach. - Il ne s'agit pas d'un manque de curiosité. Lorsque vous prenez vos fonctions, on vous explique qu'il existe des traitements non réglementaires, que la société souhaite les supprimer et qu'un plan de transformation a été élaboré à cette fin. On vous demande alors de mener à bien ce plan. Ce qui s'est passé avant mon arrivée, je l'ignore, je peux vous le garantir. Je n'ai pas cherché à le savoir. Je me suis concentré sur la manière de transformer cette usine le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions. C'était le principe qui guidait nos actions, et ça l'est encore. Quant à mon responsable hiérarchique de l'époque, il s'agit de Monsieur David Vivier.

M. Alexandre Ouizille. - Pensez-vous qu'il sera en mesure de répondre à cette question ?

M. Philippe Ferenbach. - Je ne sais pas. Vous le lui demanderez.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des traitements sont donc mis en place, dont personne ne connaît la raison, dont personne ne sait pourquoi ils continuent d'être utilisés durant plusieurs années. Vous ne le saviez pas.

M. Philippe Ferenbach. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et vous ne le savez toujours pas aujourd'hui.

M. Philippe Ferenbach. - Non, mais nous avons pu nous en affranchir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez pu vous en affranchir, je le précise, en procédant au déclassement de deux forages, alors qu'un troisième est aujourd'hui mis en pause. Les conditions sont donc différentes. Cet affranchissement a tout de même eu des effets particulièrement importants sur le site.

Nous avons auditionné d'autres directeurs de sites et, par exemple, sur le site d'Évian il n'a jamais été nécessaire d'arrêter un forage d'une quelconque manière. Or c'est arrivé dans les Vosges et sur le site de Perrier dans un certain nombre de cas.

Je prends acte du fait que le directeur du site ne savait pas pourquoi des traitements étaient mis en place pour tromper les services de l'État, pour tromper le consommateur, parce qu'il s'agit évidemment d'une fraude au consommateur, qui a été reconnue par Nestlé devant les cabinets ministériels.

Je vous pose une dernière fois la question sous serment : vous ne saviez pas, et vous ne savez toujours pas ?

M. Philippe Ferenbach. - Je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Depuis, n'avez-vous pas posé la question en interne ? Cela ne vous a pas intéressé ?

M. Philippe Ferenbach. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous comprenez qu'il soit difficile pour notre commission d'entendre et de croire cela ?

M. Philippe Ferenbach. - Sans doute. Vous évoquez un problème de fraude...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À hauteur de 3 milliards d'euros selon la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

M. Philippe Ferenbach. - ...je ne me prononcerai pas sur ce qualificatif.

Je peux indiquer clairement que, en août 2023, nous parvenions à fonctionner avec cinq forages sans aucun traitement. La transformation qui a été opérée à Vergèze, pour un montant de 53 millions d'euros, englobe l'intégralité du système, du forage jusqu'à l'usine, ce qui suppose de remplacer les tuyaux, d'en modifier les diamètres, de revoir toute l'installation que vous avez eu l'occasion de découvrir lors de votre visite.

Il s'agissait d'un chantier d'une ampleur considérable. Sans cette transformation, l'objectif aurait été plus difficile à atteindre. Celle-ci était donc indispensable pour parvenir à ce résultat.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'entends bien, mais vous soutenez que l'on vous demande de mener une transformation de plus de 50 millions d'euros en raison de ces traitements illégaux, dont vous affirmez ne pas connaître l'utilité. Vous le voyez : c'est incompréhensible.

M. Philippe Ferenbach. - Cette transformation a nécessité du temps et de l'argent, et elle s'est faite en collaboration avec l'agence régionale de santé (ARS). Il a fallu, en effet, obtenir sa validation, cela a pris du temps, car l'ARS devait également réaliser ses propres analyses. Nous disposons d'un suivi, avec plus de 700 analyses par jour. Partant de là, en tant que directeur d'usine, j'étais certain de la direction à prendre. Pour autant, il me fallait aussi convaincre l'ARS de l'absence de tout problème de sécurité alimentaire. Je tiens à souligner à ce propos qu'il n'y a jamais eu de problème de sécurité alimentaire à Vergèze, ni avant, ni pendant, ni après. Garantir cela constituait mon premier devoir en tant que directeur d'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous reviendrons sur cette question. Je vous remercie pour vos observations. Je le répète, des investissements de 50 millions d'euros ont été réalisés parce qu'il fallait remplacer ces traitements, dont on ignorait l'utilité. C'est franchement inaudible. Nous poserons la question à d'autres interlocuteurs. Je regrette, je le dis en toute franchise, que vous ne répondiez pas à cette question, car je ne vois pas comment vous pourriez ne pas en avoir la réponse.

Je poursuis sur un point qui concerne la manière dont les choses ont été traitées en interne au sein du groupe Nestlé. À votre connaissance, à la suite de ces révélations, des sanctions ont-elles été prises contre ceux qui ont décidé de mettre en place ces traitements illégaux ?

M. Philippe Ferenbach. - À ma connaissance, depuis le 1er mars 2021, aucune sanction n'a été prononcée. À qui aurait-on dû infliger une sanction ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À celui qui a décidé de mettre en place ces traitements, par exemple.

M. Philippe Ferenbach. - Peut-être n'était-il plus en poste ?

En revanche, si vous me demandez qui était au courant de la présence de ces traitements et en assurait la maintenance, je peux vous indiquer que nous disposions d'une équipe d'une vingtaine de personnes affectée aux ressources en eau, des employés qui travaillent sept jours sur sept. Eux étaient donc informés de l'utilisation de ces traitements et ils m'ont également aidé à les supprimer.

Parallèlement, j'ai constitué une équipe projet d'une dizaine de personnes pour travailler sur l'évolution du site et l'élimination de ces traitements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Globalement, au sein de l'usine, une trentaine de personnes avaient donc connaissance de ces traitements et de leur caractère illégal.

M. Philippe Ferenbach. - Non réglementaire, je m'en tiens à ce terme. Encore une fois, si la procédure judiciaire en décide autrement, nous verrons...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je soulève simplement la question de savoir s'ils étaient informés du caractère non réglementaire de ces traitements ou si vous étiez le seul à en avoir connaissance, vous qui leur demandiez d'agir. Car nous avons constaté la présence d'installations dissimulées derrière des armoires... Étaient-ils au courant de ce qui était ainsi réalisé ?

M. Philippe Ferenbach. - Nous n'avons pas nécessairement échangé sur ce point. Selon leur position, il me semble qu'ils en avaient conscience, mais nous n'avons pas débattu du caractère réglementaire ou non de ces traitements. Nous n'étions pas engagés dans ce débat à mon niveau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au-dessus de vous, s'agissait-il selon vous d'une décision qui émanait du sommet de la pyramide de Nestlé, puisque nous savons que ce système existait dans plusieurs usines ? Vous avez identifié vos subordonnés informés, mais concernant vos supérieurs, pouvez-vous nous indiquer qui était au courant et avec qui vous en aviez déjà discuté ?

M. Philippe Ferenbach. - Au-dessus de moi, avec mon responsable hiérarchique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous échangé avec d'autres personnes au sujet de ces traitements au cours de vos années passées chez Perrier, ou seulement avec votre supérieur ?

M. Philippe Ferenbach. - Uniquement avec mon supérieur hiérarchique direct, ainsi qu'avec les personnes que vous allez auditionner la semaine prochaine : Mesdames Muriel Lienau et Sophie Dubois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'après ce que vous me dites, Madame Lienau était donc au courant de l'existence de ces traitements et de leur fonctionnement au sein des usines.

M. Philippe Ferenbach. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien. Pour comprendre jusqu'à quand ces processus ont été utilisés, pouvez-vous nous indiquer à quel moment le dernier achat de matériel destiné à ces traitements a été effectué sur le site, ou est-ce une information dont vous ne disposez pas ?

M. Philippe Ferenbach. - Aucun achat de matériel lié à ce type de traitement n'a été réalisé depuis 2021.

Il faut bien comprendre qu'un matériel similaire peut être acquis pour d'autres usages, comme pour l'eau industrielle ou pour l'eau destinée aux États-Unis, car ces traitements existent dans d'autres pays. Nous avons donc dû acheter des équipements adaptés à la transformation pour les États-Unis, mais cela n'a rien à voir avec l'eau minérale. Concernant l'eau minérale, depuis 2021, nous n'avons pas acheté de matériel visant à remplacer un équipement non réglementaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je progresse dans notre compréhension des événements survenus sur ce site.

Pourquoi avez-vous choisi d'informer l'ARS Occitanie des traitements interdits le 3 novembre 2022 ? Y a-t-il une raison pour laquelle vous l'avez fait à ce moment précis ? Qu'est-ce qui a motivé cet autosignalement spontané ? Pourquoi avoir attendu, alors que le groupe s'était déclaré auprès du ministère de l'industrie un an auparavant ? Pouvez-vous nous expliquer le sens du choix de cette date ? D'après ce que nous avons compris des services de l'État, vous avez vous-même organisé la visite guidée en expliquant le déroulement des faits et la localisation des traitements illégaux.

M. Philippe Ferenbach. - Une enquête de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a été menée et nous attendions son rapport, comme l'ARS. Je ne saurais plus vous citer avec précision les motifs qui nous ont conduits à la date de novembre 2022. Il a fallu que Monsieur Jaffre se rende disponible et que nous convoquions l'ensemble des personnes concernées pour organiser cette visite, qui a donc eu lieu en novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour bien comprendre le contexte, la commercialisation de Maison Perrier a commencé alors, comme vous l'avez évoqué précédemment. Cette commercialisation est-elle la réponse du groupe au fait que, lorsqu'il supprimait les traitements interdits sur ces forages, l'eau présente n'était plus de l'eau minérale naturelle ? Est-elle la conséquence de la dégradation de la qualité de l'eau sur les forages, qui était dissimulée par les traitements interdits ?

M. Philippe Ferenbach. - Les forages R III et R V se situent dans le même aquifère de l'Hauterivien que les forages R VI, R VII et RVIII.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour vous, il s'agit donc toujours d'eau minérale naturelle ?

M. Philippe Ferenbach. - C'est de l'eau bénéficiant d'une pureté originelle.

Pour autant, les forages R III et R V sont devenus plus sensibles. Étant donné que nous disposions déjà d'une gamme d'eau de Perrier aromatisée, Maison Perrier faisait partie du plan de transformation : nous nous sommes dit en effet que nous pouvions consacrer des forages à la boisson, et nous avons choisi pour cela les forages R III et R V, qui étaient les plus sensibles aux phénomènes cévenols.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'après vos propos, la qualité de l'eau actuelle dans les forages R III et R V permettrait-elle encore de produire de l'eau minérale naturelle ?

M. Philippe Ferenbach. - Je dirais oui, pour la nappe, pour l'aquifère. Pour les ouvrages eux-mêmes, leur localisation, leur sensibilité, je dois dire que ce sont des forages qui datent. Mais l'aquifère contient bien de l'eau minérale naturelle. Si nous lancions un nouveau forage à côté des forages R III et R V, nous pourrions demander sa qualification en eau minérale naturelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Finalement, les traitements illégaux étaient donc là pour dissimuler la vétusté de l'outil industriel !

M. Philippe Ferenbach. - Je ne parlerais pas de vétusté, mais plutôt de sensibilité. La sensibilité peut être liée à la localisation - il s'agit de karst -, à une fissure, à une pénétration, à n'importe quoi, à une réaction à des phénomènes cévenols qui surviennent une ou deux fois dans l'année, mais tout de même plus fréquemment ces vingt dernières années que par le passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie, car vous venez de m'expliquer la raison de la présence des traitements illégaux, ce que vous ne parveniez pas à faire précédemment.

M. Philippe Ferenbach. - C'est votre conclusion, ce n'est pas la mienne. Je ne souscris pas à cette interprétation.

M. Laurent Burgoa, président. - On connaît les phénomènes cévenols dans tout le sud de la France : il s'agit de fortes pluies accompagnées de forts ruissellements. Lors de nos premières auditions, nous avons rencontré des hydrologues qui nous ont expliqué qu'une goutte d'eau mettait parfois entre cinq et dix ans à arriver dans la nappe. Or un phénomène cévenol ne dure que quelques heures.

Comment expliquez-vous qu'un tel phénomène, très rapide et très court, puisse détériorer la qualité de la nappe alors qu'il faudrait entre cinq et dix ans pour qu'une goutte d'eau y parvienne ?

M. Philippe Ferenbach. - Les hydrogéologues agréés pourront certainement répondre à la question, et ils le feront sans doute dans leur rapport en cours. La Garrigue est caractérisée par un relief karstique, il ne s'agit pas de sable, mais de formations rocheuses complexes. Un phénomène cévenol, avec une précipitation de plus de 100 millimètres en moins de douze heures, entraîne une pénétration éventuelle des eaux.

Sans m'aventurer trop loin dans les explications techniques, n'étant ni hydrogéologue ni agréé dans ce domaine, je précise qu'un tel phénomène génère deux conséquences majeures. D'une part, du ruissellement provoquant des inondations, d'autre part, une possible infiltration en amont, soit dans l'impluvium, soit dans les Cévennes, susceptible d'entraîner une perturbation hydrologique.

C'est ce que nous avons observé sur le forage R VIII, affecté non pas par une simple précipitation, mais par un double phénomène lors de la tempête Monica : un système pluvieux stationnaire suivi d'un second épisode, qui a occasionné un point sporadique. Depuis cet incident, le forage a été suspendu.

M. Laurent Burgoa, président. - Si j'interprète correctement vos propos, que je partage, les problèmes concerneraient principalement les nouveaux forages réalisés, par opposition aux forages historiques qui n'ont jamais présenté de pollution, quelle qu'en soit la nature. Ces nouveaux forages se situent plutôt sur les collines, comme nous avons pu le constater lors de notre visite, tandis que les forages anciens se trouvent davantage en plaine.

M. Philippe Ferenbach. - Il existe certainement une différence entre les forages dans le Burdigalien et dans l'Hauterivien. Toutefois, le forage R VIII a présenté une réaction, tandis que les forages R VI et R VII sont demeurés stables. Si l'on s'en tenait cette théorie, ce jour-là, ces deux derniers forages auraient dû présenter des réactions similaires.

Sur ce point, je ne souhaite pas m'étendre davantage, n'étant pas expert hydrogéologue. Cette question mériterait d'être approfondie avec les spécialistes compétents. Elle fait d'ailleurs partie des éléments actuellement étudiés par les hydrogéologues agréés qui travaillent sur ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Peut-être pouvons-nous avancer sur le plan de transformation que vous évoquez et sur la question de la microfiltration à 0,2 micron. Le groupe n'a pas ménagé ses efforts pour obtenir un arbitrage ministériel favorable, bien que problématique du point de vue de la réglementation. Cette question préoccupe depuis un certain temps cette commission d'enquête.

Pouvez-vous nous expliquer, vous qui êtes sur le terrain, dans l'usine, pourquoi la microfiltration à 0,2 micron est indispensable et pourquoi il n'était pas envisageable d'opter pour une solution réglementairement claire, sans ambiguïté, sans difficulté, à savoir la microfiltration à 0,8 micron ? Lorsque l'on décide d'engager autant de ressources, comment justifier la nécessité de recourir à une microfiltration à 0,2 micron sur le site Perrier, dans un tel contexte d'incertitude réglementaire ? Cela semble témoigner, peut-être, de l'urgence de la situation au regard du choix des traitements prohibés, mais c'est un autre sujet.

M. Philippe Ferenbach. - Le choix du 0,2 micron a été une décision technique de notre centre technique, situé à Vittel, le Nestlé Product Technology Center (NPTC). Nous défendons ce choix et nous souhaitons prouver qu'il est réglementaire, nous nous efforçons d'en démontrer la pertinence. Nos experts ont d'ores et déjà transmis plusieurs études aux administrations, aux autorités, et nous avons bon espoir de prouver que l'utilisation du 0,2 micron est conforme à la réglementation. Nous nous apprêtons également à répondre à Monsieur le préfet, d'ici un mois environ, une échéance à laquelle nous sommes tenus de fournir une réponse sur cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Auriez-vous pu procéder différemment ? Vous plaidez en faveur du 0,2 micron, mais vous aurait-il été possible d'opérer un autre choix technique, ou s'agissait-il d'un choix impérieux au regard de la configuration actuelle de l'usine et du site ?

M. Philippe Ferenbach. - Je ne suis pas véritablement en mesure de comparer l'usine à celles de concurrents ou à d'autres entités. Notre usine est vaste, étendue, d'une grande complexité, avec treize lignes de production, des conduites de 6 km de long. Cela vous a été expliqué, nous avons recours à cette filtration à 0,2 micron afin de prévenir la formation d'un biofilm et pour gérer l'intégralité de cette installation.

Cela ne signifie pas que nous ne procédons pas à des nettoyages, nous en réalisons tout autant. Nous avons mis en place un système qualité très élaboré, nous effectuons un nombre considérable de nettoyages de nos boucles, de nos circuits, de l'ensemble de ces éléments. Parallèlement, le 0,2 micron constitue un outil de stabilisation efficace qui nous permet de maîtriser cet aspect. Il ne s'agit pas d'une désinfection, nous y avons recours dans le but de maîtriser la partie process sur toute cette installation extrêmement complexe et vaste.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons naturellement interrogé vos concurrents pour chercher à comprendre ces positions ; à ceux qui sont en conformité avec la réglementation, qui ont recours aux filtres à 0,8 micron, nous avons ainsi soumis l'argument du biofilm, qui nous avait été avancé à Vergèze : les tuyaux sont difficiles à nettoyer et une particule se forme. Ils nous rétorquent : « C'est simple, nous nettoyons nos tuyaux, nous n'éprouvons donc pas le besoin de descendre en deçà de 0,8 micron. »

En définitive, notre analyse, c'est que le 0,2 micron offre la possibilité de moins traiter les infrastructures, de la même façon que vous nous expliquiez que les filtres illégaux représentaient un moyen de laisser perdurer des forages vétustes et de continuer à les exploiter.

M. Philippe Ferenbach. - C'est votre interprétation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais vous avez tenu des propos du même ordre, il me semble. Nous nous reporterons au procès-verbal.

M. Philippe Ferenbach. - Encore une fois, je ne connais pas les concurrents ni leurs installations, qui sont peut-être beaucoup plus simples, plus maîtrisables, moins grandes, moins longues, moins complexes.

Je souhaite également signaler la différence entre la cartouche de microfiltration et la céramique à 0,8 micron. Cela ne relève pas nécessairement de notre compétence, mais plutôt de celle du fabricant : quel est le résultat concret ? Nos experts restent disposés à démontrer à l'administration le fonctionnement de ce système et ses points de rupture. Pour pousser le raisonnement à l'absurde, si un filtre céramique à 0,8 micron produit un résultat équivalent à une cartouche à 0,2 micron, quel est l'objet du débat ? La différence réside simplement dans l'inscription 0,8 sur l'un et 0,2 sur l'autre. Je ne suis pas expert en la matière, la compagnie préconise l'utilisation du filtre à 0,2 micron, nous l'utilisons, il a démontré sa stabilité, nous l'apprécions et nous souhaitons sa reconnaissance réglementaire, car cette polémique médiatique est pénible et contraignante. Notre groupe, lors des prochaines auditions, vous présentera des démonstrations ou vous mettra en relation avec des experts spécialistes du filtre à 0,2 micron. Il ne m'appartient pas précisément de trancher cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur ce point, une zone d'ombre persiste : lorsque nous interrogeons Nestlé, l'entreprise affirme avoir adressé de multiples courriers à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour établir leur démonstration. Parallèlement, nous observons que des ARS sollicitent régulièrement le groupe pour obtenir la démonstration que ce procédé ne modifie pas le microbisme de l'eau. À notre connaissance, le groupe Nestlé Waters n'a jusqu'à présent jamais fourni cette démonstration de conformité réglementaire du 0,2 micron, malgré les relances fréquentes des ARS. Si ces réponses existent, nous sommes tout à fait disposés à en prendre connaissance. Vous avez évoqué le préfet et l'échéance fatidique fixée au 20 mars.

M. Philippe Ferenbach. - Exactement. C'est le 20 mars.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous nous assurez donc aujourd'hui que vous démontrerez, le 20 mars, que le traitement à 0,2 micron ne modifie pas le microbisme de l'eau.

M. Philippe Ferenbach. - Pour ma part, je préfère parler de flora. Nous répondrons pour le 20 mars. Nos experts demeurent disponibles pour rencontrer l'Anses à tout moment, ce qui ne s'est pas concrétisé jusqu'à présent. Je pense, par ailleurs, que lors des prochaines auditions que vous tiendrez, peut-être avec Madame Lienau, vous obtiendrez davantage de précisions sur ce sujet, avec un niveau d'expertise supérieur à celui que je peux vous apporter aujourd'hui.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous pourrons donc interroger votre ancienne directrice et la nouvelle présidente sur les échanges intervenus entre Nestlé et l'Anses, car nous n'en avons pas eu connaissance à ce jour. Nous pourrons leur demander de nous les communiquer.

M. Philippe Ferenbach. - On m'a informé que les experts se tenaient disponibles et souhaitaient cette rencontre. Je ne saurais me prononcer sur les raisons pour lesquelles celle-ci n'a pas eu lieu.

Ce que je peux indiquer aujourd'hui, c'est que notre compagnie défend ce filtre à 0,2 micron. Nous en sommes convaincus, nous l'utilisons, nous connaissons son usage et nous le maîtrisons.

Mme Antoinette Guhl. - Où les filtres interdits étaient-ils positionnés ?

M. Philippe Ferenbach. - Vous les avez vus vous-même durant la visite de l'usine, madame la sénatrice.

Mme Antoinette Guhl. - C'était le seul endroit où ces filtres étaient positionnés ? À l'émergence, ils étaient donc très proches du pompage ?

M. Philippe Ferenbach. - Non, ces filtres concernaient la partie émergence. Ensuite, des filtres au charbon actif et aux ultraviolets étaient positionnés sur la partie traitement, qui a été entièrement remaniée. Vous n'avez pas été en mesure de les voir, car nous les avions entièrement démontés.

Mme Antoinette Guhl. - C'est la raison pour laquelle je vous pose la question. Vous me répondez d'abord que je les ai vus, puis que je n'ai pas pu les voir... Nous en avons donc vu à l'émergence. Où étaient positionnés les autres ?

M. Philippe Ferenbach. - Les autres étaient positionnés au traitement d'eau, là où vous avez vu les nouveaux équipements, avant la mise en bouteille.

Mme Antoinette Guhl. - Mais alors, quelle était l'utilité de ceux qui étaient positionnés à l'émergence ? Autant je comprends bien que les autres avaient pour objectif d'éliminer des pollutions susceptibles de se produire au cours du processus industriel, en raison de la vétusté des tuyaux, mais ces filtres à l'émergence, pourquoi existaient-ils ?

M. Philippe Ferenbach. - À l'émergence, ils étaient positionnés sur la partie échantillonnage, là où nous prélevions des échantillons d'eau pour analyse.

Mme Antoinette Guhl. - Si des filtres étaient placés à cet endroit, c'est donc que l'on voulait faire passer pour pur l'échantillon d'eau à l'émergence ? Il ne s'agit pas de vous, puisque votre mission était d'enlever les filtres, mais c'était bien l'idée : il s'agissait de purifier l'eau à l'émergence ?

M. Philippe Ferenbach. - Tout à fait. En revanche, l'eau du tuyau, l'eau principale, était traitée au niveau du traitement d'eau, dans une installation beaucoup plus grande.

Mme Antoinette Guhl. - Très bien, je vous remercie.

J'ai une autre question : votre histoire de céramique à 0,8 micron, de cartouche à 0,2 micron ressemble à de la fabrique du doute, et cela me dérange profondément. Si vous affirmez qu'il est équivalent d'utiliser de la céramique à 0,8 micron ou de la cartouche à 0,2 micron, pourquoi Perrier ne respecte-t-il pas la réglementation en employant de la céramique à 0,8 micron ?

M. Philippe Ferenbach. - Aujourd'hui, nous n'avons pas prévu de plan B consistant à utiliser des filtres céramiques. Notre stratégie actuelle vise à défendre le filtre à 0,2 micron, dont nous sommes convaincus qu'il obtiendra une reconnaissance réglementaire. C'est précisément ce que nos experts s'attachent à démontrer.

Mme Antoinette Guhl. - Pourtant, la réglementation existe depuis des années. Vous avez la responsabilité d'engager 50 millions d'euros de travaux pour votre entreprise, dont vous savez qu'ils ne seront pas conformes à la réglementation !

M. Philippe Ferenbach. - Concernant la réglementation, je voudrais citer les propos de Monsieur Jérôme Bonet. Il a indiqué qu'il n'existait pas aujourd'hui de base juridique pour condamner le 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ce qu'a dit Monsieur Bonet. Il vous a demandé de faire la démonstration que cela ne changeait pas le microbisme de l'eau, à défaut, il serait nécessaire de les enlever. Je corrige pour que l'on ne prête pas au préfet des propos qui ne sont pas les siens.

M. Philippe Fehrenbach. - C'est ce que nous ferons le 20 mars.

Mme Antoinette Guhl. - Convenez-vous que vous n'êtes pas dans les clous de la réglementation ? Actuellement, vous ne disposez pas d'arrêté préfectoral vous autorisant à filtrer à 0,2. Vous réalisez 50 millions de travaux - une somme ! - en favorisant un process non conforme à la réglementation. Vous, en tant que directeur d'usine, cela vous a-t-il interpellé ?

M. Philippe Fehrenbach. - Ce 0,2 était la base de notre plan de transformation, qui a été partagé avec l'ARS, Madame la préfète et Monsieur le préfet, celui-ci nous a laissés faire cette transformation. Les dossiers boissons ont été traités à temps et sont passés par le Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) ; les dossiers Source Perrier ont pris du retard à cause des hydrogéologues agréés, qui ont fait grève. Si cela n'avait pas été le cas, ce dossier aussi aurait été clos aujourd'hui et le sujet du filtrage à 0,2 aurait déjà été abordé et discuté avec les experts. À mon niveau, je ne peux pas dire plus : il y avait une tolérance pour l'utilisation de filtrations à moins de 0,8.

Mme Antoinette Guhl. - Lorsque Maison Perrier n'existait pas, quelle marque vendiez-vous aux États-Unis, puisque vous nous avez expliqué que des filtres étaient nécessaires pour ce marché ?

M. Philippe Fehrenbach. - Nous vendions Perrier et nous le vendons toujours.

Mme Antoinette Guhl. - Vous vendiez l'eau minérale naturelle Perrier, la même que celle que vous vendez en France ?

M. Philippe Fehrenbach. - Oui, mais pour le marché des États-Unis, on peut la traiter.

Mme Antoinette Guhl. - Qu'était-il écrit sur l'étiquette ? « Eau minérale naturelle », ou autre chose ?

M. Philippe Fehrenbach. - Il me semble qu'il était inscrit « Eau minérale naturelle ». Oui, c'est bien cela.

Mme Antoinette Guhl. - Donc vous vendiez un produit sous la dénomination d'eau minérale naturelle qui n'était pas de l'eau minérale naturelle, y compris aux États-Unis, parce que vous disiez que vous pouviez la vendre sous cette appellation ?

M. Philippe Fehrenbach. - Non. Certains pays autorisent les traitements, voire les imposent.

Mme Antoinette Guhl. - Je vous remercie. C'est ce que je voulais savoir.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je me mets à votre place à votre arrivée en mars 2021. Votre supérieur hiérarchique vous fait visiter l'usine. Il vous montre tous les process, il vous indique qu'à tel endroit, ce n'est pas réglementaire, à tel autre non plus et qu'il vous revient de corriger cela. Vous êtes un connaisseur des usines d'embouteillage : vous êtes passé par Vittel, vous savez que c'est illégal et que cela peut être assimilé à une fraude. Comment réagissez-vous ? Ne vous êtes-vous pas senti piégé ? Ou est-ce une situation finalement classique dans les autres entreprises où vous aviez travaillé ?

M. Philippe Fehrenbach. - Ce n'est pas une situation classique. J'ai été surpris, je le reconnais. Je n'utiliserai pas d'autres termes. On m'a présenté en même temps le plan de transformation et on m'a fait part de la volonté du groupe de traiter ce sujet. J'ai accepté le challenge.

Mme Marie-Lise Housseau. - C'est tout à votre honneur, mais vous avez également accepté la responsabilité.

M. Philippe Fehrenbach. - Il y a une procédure judiciaire en cours, nous verrons. Je peux parler de ce que je sais à partir du 1er mars 2021 et de ce que nous avons essayé de mettre en place, peut-être pas assez rapidement, car cela a été compliqué.

Au vu de la situation actuelle, nous avons fait un grand pas en avant, dont je suis fier. Nous n'avons pas encore terminé médiatiquement sur certains sujets et il nous reste quelques batailles à mener autour du 0,2, mais nous avons fait 90 % du travail. Pour moi, c'est cela qui est important.

M. Khalifé Khalifé. - À votre connaissance, votre collègue de Vittel - une usine également incriminée - a-t-il reçu les mêmes recommandations que vous quand il a pris son poste ?

M. Philippe Fehrenbach. - Vous allez l'interroger dans moins d'une demi-heure, vous lui poserez la question.

M. Khalifé Khalifé. - Je le ferai volontiers.

Nestlé est une multinationale avec de nombreux postes un peu partout. Je ne reviens pas sur les États-Unis. Vous avez probablement d'autres usines du même type en Europe où l'on suit la même législation. Qu'en est-il de ces usines ?

M. Philippe Fehrenbach. - Certaines usines produisent du Nestlé Pure Life, avec des process totalement différents, comme la Reverse Osmosis (osmose inverse) et beaucoup d'autres situations : eaux de source, eaux minérales...

Dans les usines par lesquelles je suis passé, je n'ai pas eu connaissance de ce genre de traitements.

M. Khalifé Khalifé. - Vous n'en avez pas discuté au sein du groupe, malgré l'ampleur médiatique ?

M. Philippe Fehrenbach. - Non. Je ne peux parler que des usines par lesquelles je suis passé. J'ai été expatrié durant vingt ans, quinze ans en Russie, dix à douze ans dans le chocolat et la Dairy Nutrition (nutrition laitière). J'ai été chez Nestlé Waters au début de ma carrière, mais je n'y suis pas resté si longtemps. Dans les usines dans lesquelles j'ai travaillé, je n'ai pas eu connaissance de ce genre de traitements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je ne me trompe pas, l'installation d'une filtration nouvelle requiert une procédure au niveau de l'Union européenne. À notre connaissance, celle-ci n'a pas été engagée dans le cadre de cette microfiltration à 0,2. Pouvez-vous le confirmer ? Quelle est votre connaissance du sujet ?

M. Philippe Fehrenbach. - Je ne suis pas juriste, je n'ai pas de vision sur ce sujet. Je ne sais pas. Monsieur le préfet a aussi indiqué que juridiquement, par rapport à l'Union européenne... Je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez raison de dire que ce plan de transformation a bien été validé par un bleu de la Première ministre. Tout cela crée en effet de la confusion. Toutefois, ce plan de transformation a bien été conçu par quelqu'un. Vous aviez évoqué tout à l'heure un laboratoire technique de Vittel. Qui a conçu ce plan de transformation, que vous avez mis en oeuvre ?

M. Philippe Fehrenbach. - J'ai participé, avec mes équipes, à la conception de ce plan. Au départ, il portait sur 20 millions d'euros, mais il manquait d'ambition et ne couvrait pas tous les sujets.

Le NPTC, situé à Vittel, rassemble des ingénieurs, des experts en filtration, qui ont conseillé de travailler sur la technologie de filtration à 0,2.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes là, car vous avez accepté le challenge de sortir des traitements illégaux.

M. Philippe Fehrenbach. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous relevez ce challenge en utilisant des traitements qui ne sont pas validés par le préfet, qui ne sont pas initialement validés par le Gouvernement, mais qui finissent par l'être en 2023 dans le cadre d'une réunion interministérielle ; en 2023, alors que le plan est déjà mis en oeuvre...

Durant le processus d'élaboration de ce plan, vous êtes-vous interrogé sur le fait que vous mettiez en place quelque chose qui n'avait jamais été visé par personne, à savoir la filtration à 0,2 micron ?

M. Philippe Fehrenbach. - Nos experts sont convaincus que le 0,2 est, et sera, réglementaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - On s'en assure avant de mettre 50 millions d'euros sur la table ! Je sais que Nestlé est une multinationale qui a des moyens, mais un sou est un sou, même chez Nestlé !

M. Philippe Fehrenbach. - Le 0,2 est une partie...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y en a partout. Nous avons visité l'usine. C'est partout dans le processus de production.

M. Philippe Fehrenbach. - Ce n'est pas la partie la plus chère ou la plus compliquée à mettre en oeuvre. Le 0,2 est seulement une partie du plan de transformation, il ne faut pas croire que celui-ci reposait uniquement dessus. Si tel était le cas, il n'aurait pas conduit à engager le montant faramineux de 53 millions d'euros. Il s'agit d'une décision stratégique : Nestlé Waters est convaincu de la légalité et de l'impact de la filtration à 0,2. C'est tout ce que je peux vous dire.

Mme Marie-Lise Housseau. - Nestlé Waters est convaincu que le 0,2 est l'avenir, selon vous, mais cela ne correspond pas du tout à la réglementation, ni en France ni dans les autres pays. Vous ou quelqu'un d'autre dans votre groupe estimez que l'on peut s'asseoir sur la réglementation française et faire ce que l'entreprise juge bon pour se développer en suivant ses propres experts. Cela pose problème.

M. Philippe Fehrenbach. - Les experts sont convaincus que les filtres 0,2 sont utilisés à bon escient. Nous n'avons pas fait cela en catimini : nous l'avons partagé avec l'ARS, avec les autorités, avec les préfets. Nous leur avons indiqué ce que nous allions faire. Nous l'avons indiqué à l'ARS Occitanie. Nous ne l'avons jamais caché : cela figurait dans notre plan de transformation.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez sans doute suivi l'audition de Monsieur Salomon, ancien directeur général de la santé, qui a été très clair, notamment sur la période durant laquelle il était en responsabilité, et a eu connaissance du sujet. Pour lui, la réglementation ne permettait pas l'utilisation du filtrage à 0,2 micron. Il n'y était pas favorable en tant que responsable de la santé. Un responsable en charge de l'industrie tenait peut-être une autre position, cela relève ensuite d'un arbitrage interministériel...

Merci d'avoir joué le jeu, monsieur le directeur. C'est tout à l'honneur de Nestlé de répondre aux questions de notre commission. Merci à votre avocat de vous avoir accompagné. Vous ressortez indemne de la commission d'enquête !

Audition de M. Luc Desbrun, directeur du site Nestlé Waters Vosges
(Jeudi 6 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M Luc Desbrun, directeur de l'usine Nestlé Waters Supply East, dans les Vosges, depuis mars 2023.

Monsieur le directeur, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Luc Desbrun prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - À la suite de divers échanges, j'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés. Je rappelle que celui-ci ne pourra intervenir devant la commission et n'est donc pas soumis au serment, mais il pourra éventuellement vous conseiller, de la manière la plus discrète possible.

Cette audition est retransmise en direct sur le site du Sénat.

Je rappelle que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille ». Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur ce qui s'est passé dans les sites d'embouteillages d'eaux minérales : autrement dit, pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?

Monsieur Desbrun, vous êtes directeur du site Nestlé Waters dans les Vosges depuis 2023. Mais vous travaillez dans le secteur des eaux depuis au moins 1995, dans le groupe Perrier-Vittel, et avant les Vosges, vous avez été directeur de l'ingénierie de Nestlé Waters pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord de mai 2019 à juillet 2023. Autant dire que vous connaissez très bien ce secteur et les sites français.

À quoi pouvaient servir les traitements interdits dont le groupe Nestlé Waters a avoué l'usage au cabinet de Madame Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, le 31 août 2021 ? Comment, pourquoi, et par qui ont-ils été mis en place ?

Quelle était la situation lorsque vous étiez directeur de l'ingénierie pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord de Nestlé Waters, de mai 2019 à juillet 2023, puis lorsque vous êtes devenu directeur du site ?

Quelles ont été vos interactions avec les services de l'État concernés, et notamment l'Agence régionale de santé (ARS) Grand Est et la préfecture des Vosges ?

M. Luc Desbrun, directeur du site Nestlé Waters Vosges. - Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer aujourd'hui sur l'activité de Nestlé Waters Vosges.

Les premières stations thermales sont nées à Vittel dès 1855 ; ainsi, l'eau minérale fait partie de l'histoire des Vosges depuis plus d'un siècle. L'embouteillage a permis de valoriser ces eaux uniques bien au-delà du territoire local, dès 1875, avec la première ligne de production dans des bouteilles de grès.

Depuis son rachat des marques en 1992, Nestlé Waters s'inscrit pleinement dans cette tradition en poursuivant la production de ces eaux minérales naturelles locales, essentiellement destinées au marché national.

Je travaille personnellement dans cette entreprise depuis bientôt trente ans, et c'est avec cette expérience que j'ai pris la direction de Nestlé Waters Vosges en mars 2023. Avant cela, j'ai été expatrié pendant vingt ans ; je suis revenu en France en 2019 en tant que responsable des investissements de la division Nestlé Waters sur les sites de production de la région Europe, Moyen-Orient et Afrique.

Lors de mon arrivée, en mars 2023, à Nestlé Waters Vosges, la feuille de route était particulièrement difficile. Tout d'abord, un plan de transformation déjà engagé, supervisé par les autorités, visait, conformément à une volonté méritoire de notre présidente, à consolider l'arrêt des traitements non conformes à la réglementation décidé l'année précédente. Les révélations du début de l'année 2024 ont été relayées, trop souvent, de manière déformée par la presse, qui a laissé penser qu'il y aurait pu avoir des risques sanitaires, alors que cela n'a jamais été le cas. Cela a grandement compliqué la gestion de ce plan en interne, notamment en ce qui concerne la communication avec les équipes du site.

Le deuxième point de ma feuille de route était un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) visant un quart des effectifs du site, qui allait être déclenché en mai, soit à peine deux mois après mon arrivée. Ce PSE était nécessaire pour adapter l'organisation du site à une baisse significative du volume de production, essentiellement due à l'abandon du marché allemand l'année précédente. Notons que l'équilibre social était fragile, l'ensemble du site étant dans l'attente de l'annonce de ce plan ; cela s'est matérialisé par des grèves de grande ampleur à partir de septembre 2023.

Sachez que Nestlé Waters Vosges était la première usine du groupe que j'avais intégrée, en tant que jeune ingénieur, des années auparavant ; j'avais à coeur, malgré ces difficultés, d'y revenir afin d'assurer sa pérennité ainsi que celle de ses marques emblématiques.

Après la présentation de cette feuille de route, je voudrais maintenant vous donner plus de détails concernant le site.

Nestlé Waters Vosges se compose de deux unités distinctes, celle située sur la commune de Contrexéville, datant de 1956, et celle située sur la commune de Vittel, à quelques kilomètres, construite en 1955.

Nous y embouteillons nos eaux minérales naturelles de Vittel, Contrex et Hépar, à partir de treize forages. En 2024, nous avons embouteillé près de 767 millions de bouteilles sur neuf lignes de production, dont une ligne verre et une ligne de boissons aromatisées. Quelque 576 salariés et 27 alternants et stagiaires travaillent sur le site de Nestlé Waters Vosges et nous avons des liens avec de nombreuses écoles de la région, comme l'université de Lorraine ou le CESI de Nancy. Nous sommes également très engagés en matière de formation : nous avons délivré plus de 10 000 heures de formation professionnelle en 2024. Notre site est le deuxième employeur privé du département.

Mon rôle en tant que directeur d'usine est bien entendu d'assurer la production de nos eaux minérales naturelles, depuis les forages jusqu'au chargement des trains et des camions, tout en respectant des conditions optimales de sécurité, de qualité de nos produits, de conformité à la réglementation et aux standards du groupe, et enfin de respect de l'environnement.

Sur ce volet particulièrement, Nestlé Waters est attaché à ce que notre activité industrielle s'inscrive dans une logique de gestion responsable d'une ressource en eau précieuse, qui est à la fois notre richesse et notre responsabilité.

Un site industriel ne fonctionne pas en vase clos. Il vit à travers les hommes et les femmes qui y travaillent. Il s'ancre dans un territoire et il dépend d'une ressource naturelle qu'il a le devoir de préserver. Nos eaux proviennent d'un territoire unique, dont l'impluvium, à savoir la surface qui collecte les eaux pluviales qui alimentent nos nappes, joue un rôle fondamental non seulement dans la qualité, mais aussi dans la régénération de celles-ci. Cet environnement fait l'objet d'une attention particulière depuis plus de trente ans, avec des actions dédiées à la préservation des écosystèmes qui l'entourent.

Pour illustrer l'engagement de Nestlé Waters Vosges sur ce sujet, j'aimerais m'attarder brièvement sur deux exemples qui illustrent comment nous protégeons notre écosystème de manière concrète.

Le premier concerne les actions de notre filiale Agrivair. La qualité des eaux minérales naturelles des Vosges repose sur un écosystème préservé, dont les périmètres de protection ont été institués par des déclarations d'intérêt public dès 1912 pour Vittel et 1860, pour Contrexéville, par Napoléon III. Ces périmètres protégés permettent de contrôler des projets dont l'activité pourrait altérer la qualité des eaux souterraines.

Nous avons eu très tôt la volonté d'aller plus loin dans la préservation de nos écosystèmes ; c'est pourquoi nous avons engagé, il y a plus de trente ans, un plan de restauration écologique ambitieux avec Agrivair, selon un modèle unique de gestion durable de la ressource en eau.

Créée par Nestlé Waters en 1992, cette structure repose sur une approche collaborative avec les agriculteurs, les collectivités, l'Office national des forêts (ONF) et les instituts de recherche. Son objectif est de préserver durablement la qualité de l'eau en protégeant son environnement naturel.

Cela passe par des pratiques agricoles durables, comme l'interdiction totale des pesticides sur l'impluvium, une fertilisation raisonnée, ainsi que le maintien de prairies permanentes pour favoriser l'infiltration de l'eau et limiter l'érosion des sols. Agrivair soutient également les éleveurs en encourageant un élevage vertueux qui protège les sols et réduit la pression sur la ressource en eau.

En parallèle, 305 hectares de forêts sont gérés durablement en partenariat avec l'ONF. Ces forêts sont en libre évolution, avec des actions de reboisement et d'agroforesterie visant à améliorer la rétention de l'eau, à restaurer les sols et à favoriser la biodiversité.

Quelque 240 kilomètres de haies sont également entretenus durablement pour renforcer les corridors écologiques et la protection des sols. Enfin, dans le cadre des milieux humides, nous avons mené plusieurs projets de renaturation du ruisseau Petit Vair sur certaines parties de son tracé et de préservation des cours d'eau de la Meuse amont ou de la création de mares, de véritables réservoirs de biodiversité.

L'engagement d'Agrivair a été reconnu en 2023 par l'Office français de la biodiversité (OFB), avec l'obtention du label « Entreprises engagées pour la nature ».

Si ces actions visent à préserver la qualité de la ressource, nous avons aussi une responsabilité de gestion durable des volumes prélevés ; ce sera le deuxième exemple de préservation de l'écosystème de notre impluvium que je développerai.

Nestlé Waters s'approvisionne auprès de trois gîtes hydrogéologiques distincts pour ses marques Hépar, Contrex et Vittel. Si les gîtes A et B se régénèrent normalement, le gîte C fait l'objet, lui, d'un plan de rééquilibrage avec la Commission locale de l'eau (CLE), visant un retour à l'équilibre d'ici à 2026.

Je sais que ces éléments ont été précédemment évoqués, parfois en détail, dans des auditions antérieures à la mienne. Mais, au-delà des prélèvements de Nestlé Waters Vosges, l'objectif à l'horizon 2027 est d'atteindre collectivement un prélèvement du gîte C inférieur à 2,5 millions de mètres cubes prélevés par an, soit une baisse de 40 % par rapport à 2018.

Je tiens tout de même à indiquer que nos propres prélèvements sur ce site ont déjà été réduits de 80 % en dix ans et ne représentent plus, à l'heure actuelle, que 10 % des prélèvements totaux.

Concernant les efforts pour réduire notre consommation d'eau, nous avons mis en place un programme de réduction de consommation qui réutilise les eaux claires du site pour les applications d'eau industrielle. Quelque 100 000 mètres cubes d'eau sont économisés chaque année grâce à cette installation, contribuant ainsi à une réduction significative de notre empreinte hydrique.

Cette initiative s'inscrit dans une démarche plus large de gestion durable, validée par une certification internationale et indépendante, AWS (Alliance for Water Stewardship), qui garantit une approche concertée et responsable avec les acteurs du territoire.

Enfin, depuis 2023, nous participons aux travaux de l'Observatoire hydrogéologique dans le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage). Cet observatoire a pour but notamment de structurer la connaissance sur l'eau et de concevoir une plateforme numérique permettant de suivre les indicateurs d'état ou de gestion de la ressource.

Dans ce cadre, l'étude d'impact environnemental conduite sur la période 2021-2022 a par exemple démontré que nos prélèvements sur les gîtes A et B préservent leur équilibre quantitatif.

Avant de conclure et de répondre à vos questions, je voudrais souligner maintenant une difficulté qui me semble importante. Je comprends qu'une procédure pénale est en cours sur des faits sur lesquels votre commission se penche également.

Dans ces conditions et sur les conseils de mon avocat, je vous informe, avec tout le respect que je dois à votre commission, à ses membres et à la représentation nationale, que si vous étiez amené à me poser des questions en lien avec cette procédure, je ne pourrais y répondre.

Pour clore ce propos liminaire, je soulignerai que diriger un site comme celui des Vosges, avec son histoire, ses équipes aussi engagées que passionnées, et son enracinement territorial fort, est une responsabilité, mais aussi une grande fierté partagée.

Chaque jour, nous oeuvrons pour préserver une ressource précieuse, garantir un avenir durable à notre activité et faire reconnaître le savoir-faire des femmes et des hommes qui font vivre ce site.

Au-delà de la protection d'une industrie, la préservation de l'eau, c'est surtout la défense de nos territoires et d'un patrimoine.

Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Je veux vous dire, comme je l'ai dit à l'ancien directeur du site du Gard, que cette commission d'enquête n'est pas un tribunal. Nous avons beaucoup échangé avec votre conseil. Le Sénat a déjà mené des commissions d'enquête alors que des informations judiciaires étaient ouvertes à l'encontre de personnes auditionnées. Ainsi de celle qui avait entendu Monsieur Benalla : elle était présidée par mon ancien collègue, Monsieur Philippe Bas, un futur membre du Conseil constitutionnel !

Nous ne sommes pas là pour juger. Comme parlementaires, nous voulons déterminer si l'État a tout mis en oeuvre pour contrôler ces irrégularités. Nous ne sommes pas là pour connaître la typologie des infractions, qui concerne le volet pénal.

Hier, nous avons entendu l'ancien directeur général de la santé. Pour lui, il ne s'agit pas d'un problème sanitaire, mais de tromperie, ce qui relève d'un autre ministère. Nous laisserons la justice traiter de la qualification des faits.

Nous sommes là pour voir si les services de l'État ont bien contrôlé quelque chose qui était irrégulier. Tout le monde a convenu qu'il y avait eu des irrégularités. Votre groupe même est venu au ministère de l'industrie pour faire part de ces irrégularités.

Nous sommes très attachés à la séparation des pouvoirs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comme votre collègue qui vous a précédé devant nous cet après-midi, vous avez eu un mot sur la presse. C'est bien grâce aux révélations de la presse qu'une tromperie commerciale, estimée à 3 milliards d'euros par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), a été mise au jour. La presse a fait son travail.

Nous allons entendre Agrivair pour voir ce que fait Nestlé Waters pour préserver les terres et les écosystèmes. Nous avons la volonté de comprendre les efforts déployés par votre groupe.

Pourriez-vous revenir sur vos fonctions précédentes ? Vous étiez, je crois, directeur de l'ingénierie de Nestlé Waters. Pourriez-vous nous indiquer précisément quelle était votre fiche de poste, le périmètre de votre mission ?

M. Luc Desbrun. - J'ai pris cette fonction en 2019. J'ai été chargé de l'Engineering Hub, c'est-à-dire d'un groupe d'ingénieurs disséminés dans les usines du groupe. Personnellement, j'étais en charge de tous les investissements qui étaient supérieurs à 10 millions de francs suisses - Nestlé est un groupe suisse.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est-à-dire la supervision : vous planifiiez, suiviez la mise en oeuvre de tous les investissements supérieurs à cette somme ?

M. Luc Desbrun. - Tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur le site de Perrier, ce vaste plan de transformation relevait de votre compétence ?

M. Luc Desbrun. - Effectivement, j'ai eu l'occasion d'avoir un projet sur l'usine de Perrier. Je n'ai compris que plus tard que ce projet était en lien avec le plan de transformation. Le projet consistait à implanter un nouveau stockage d'eau, ainsi qu'une distribution.

À l'époque, dans mes fonctions précédentes, mon rôle se limitait à l'arrivée de l'eau sur l'usine et la distribution sur les groupes d'embouteillage. Je n'ai pas su, à l'époque, que ce projet faisait partie du plan de transformation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quand vous exerciez ces fonctions, avez-vous eu à connaître d'un plan sur le site des Vosges, ou sur d'autres sites en France du groupe Nestlé ?

M. Luc Desbrun. - Non. J'ai eu plusieurs projets sur le site des Vosges - notamment une ligne aseptique, une ligne 6 litres - mais jamais liée au plan de transformation sur le site des Vosges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour bien comprendre, intéressons-nous au site des Vosges, que nous n'avons pas visité, contrairement à celui du Gard. Nous avons forcément une vision un peu différente.

Vous arrivez en 2023.

M. Luc Desbrun. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quel moment avez-vous eu connaissance de ce qui s'était joué dans les Vosges et des traitements irréguliers, illégaux ? Par quel truchement l'apprenez-vous, sachant que cela fait trente ans que vous travaillez chez Nestlé ?

M. Luc Desbrun. - De la plus simple des manières : je suis informé par mon responsable hiérarchique de l'époque et par mon prédécesseur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En 2023, il n'y avait pas encore eu les révélations de la presse. Que vous dit-on alors ?

M. Luc Desbrun. - Ils m'expliquent qu'un plan de transformation est en cours sur le site et que, comme je l'ai expliqué dans mon propos liminaire, j'étais chargé de terminer ce plan, qui ne l'était pas tout à fait alors. Il reste des investissements en cours de 17 à 20 millions d'euros devant se terminer tout début 2026.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au moment où vous prenez vos fonctions, y a-t-il une partie des traitements illégaux qui sont encore en place ? Je pense notamment aux lampes à UV et aux filtres à charbon. Ou bien tous ces traitements étaient-ils déjà retirés ?

M. Luc Desbrun. - Le jour où je prends mes fonctions, tous les traitements non conformes à la réglementation ont déjà été retirés. Ils ont été retirés en 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous prenez vos fonctions, comprenez-vous quelle était l'utilité de ces traitements illégaux ? Est-ce que vous comprenez la manière dont ils ont été utilisés ? J'imagine que vous avez eu cette discussion avec votre prédécesseur, pour savoir pourquoi on transforme, ce qu'on transforme et comment on transforme.

M. Luc Desbrun. - Je n'ai pas eu, à cette époque, d'explications complètes. Rappelez-vous, je n'ai pas pu voir les traitements non conformes à la réglementation. Je ne connais pas l'étendue de ces dispositifs. À cette époque, non, je n'ai pas eu connaissance des raisons pour lesquelles ces traitements avaient été mis en place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Depuis cette époque, et pour préparer cette audition, avec votre avocat, j'imagine que vous avez eu cette discussion pour comprendre ce qui s'était passé sur votre site, sachant que vous alliez devant une commission d'enquête qui allait vous interroger sur ces faits. Dans votre compréhension, à quoi servaient ces filtres installés sur les usines des Vosges ?

M. Luc Desbrun. - Encore une fois, je n'ai pas vu le détail de ces dispositifs. Ce n'est pas à moi de répondre à cette question. Je n'étais pas en fonctions à l'époque de ces traitements non conformes. Ce n'est pas moi qui les ai installés. Aujourd'hui, en tant que directeur d'usine, je ne peux pas répondre à cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sous couvert de notre président, je tiens à vous dire que vous devez répondre à cette question. Devant une commission d'enquête, il n'y a pas de droit au silence qui puisse être exercé. Si vous avez eu connaissance de ces traitements, si vous saviez à quoi servaient ces filtres, vous devez me répondre.

M. Luc Desbrun. - Je vais le répéter : je n'ai pas eu l'occasion de voir ces dispositifs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ma question. Savez-vous à quoi servaient ces filtres ?

M. Luc Desbrun. - Je ne peux pas expliquer à quoi servaient ces filtres.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que vous le savez ?

M. Luc Desbrun. - Je ne sais pas, et ce n'est pas à moi de vous répondre sur les raisons pour lesquelles ces traitements ont été mis en place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y a une différence assez fondamentale. Le directeur qui vient de sortir de cette commission d'enquête nous a expliqué, après un moment de discussion, pourquoi ces filtres ont été mis en place à proximité de forages : ç'aurait été dû à la vétusté d'un certain nombre de ces forages. Partagez-vous cette analyse sur le site des Vosges, ou sur ce qu'on a pu vous en dire ?

M. Luc Desbrun. - Non, je ne la partage pas, dans le sens où, encore une fois, je n'ai pas assez de connaissances. Je n'ai pas vu ces filtres. Quand je suis arrivé dans mes fonctions, tous les traitements avaient été enlevés. Je n'ai rien vu. Il est extrêmement difficile aujourd'hui de vous dire à quoi ils servaient. Ce serait de la pure spéculation. J'ai bien sûr ma petite idée, mais je ne peux pas aujourd'hui vous l'expliquer.

M. Laurent Burgoa, président. - Justement, c'est votre petite idée qui nous intéresse.

Vous dites que vous n'avez pas eu connaissance de ces dispositifs. Je vous crois, puisque vous êtes arrivé sur le site des Vosges après leur enlèvement. Vos propos sont cohérents par rapport aux faits.

Mais il y a des anciens sur le site des Vosges. Les gens parlent ! Lorsque nous avons visité le site de Vergèze, les salariés nous ont dit qu'à l'époque, l'ARS avait attiré leur attention sur une armoire coulissante, ils nous ont montré l'endroit...

Quelqu'un a dû vous en parler lorsque vous êtes arrivé ! Que vous ne connaissiez pas le dispositif précis, certes, mais on vous a aussi peut-être emmené sur les lieux en vous disant qu'à une époque, il y avait un dispositif là.

M. Luc Desbrun. - Effectivement, j'ai été amené sur les lieux.

M. Laurent Burgoa, président. - C'est cela que le rapporteur voulait savoir.

M. Luc Desbrun. - La question est-elle si je savais où étaient placés les filtres ?

M. Laurent Burgoa, président. - Oui, vous a-t-on montré l'emplacement de ces dispositifs ?

M. Luc Desbrun. - Tout à fait.

M. Laurent Burgoa, président. -... que vous n'avez pas vus, car ils avaient été enlevés ?

M. Luc Desbrun. - Exactement. Cela, je peux le confirmer. Je sais à peu près où étaient les équipements, mais je ne les ai pas vus. Je ne peux pas les décrire.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans le Sud, nous sommes toujours attentifs aux « petites idées ». Pouvez-vous nous expliciter votre petite idée ?

M. Luc Desbrun. - Non, ce serait pure spéculation que d'essayer de vous expliquer ces dispositifs ; je n'ai jamais vu le détail de ces installations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous refusez de faire un raisonnement hypothétique ; vous refusez aussi de nous dire si vous avez eu une conversation avec quelqu'un qui vous a explicité ce qui s'est passé. Je vous demande si l'on vous a expliqué les choses, et vous me répondez que vous ne les avez pas vues. Ma question est : vous a-t-on expliqué ce qui s'est passé au sein de votre groupe ?

M. Luc Desbrun. - Non, jamais en détail. Ma réponse est très claire.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous m'avez dit qu'on vous avait raconté, au sein de l'entreprise, où cela s'était passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais pas les raisons ?

M. Luc Desbrun. - Non. Je ne connais pas les raisons. Je connais l'existence, bien sûr, parce que cela faisait partie du plan de transformation, mais je ne connais pas les raisons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Où se trouvaient ces traitements illégaux ? À l'émergence ou à un autre endroit du processus, vu que vous avez vu l'endroit sur le site ? Cela va nous permettre de faire les déductions...

M. Luc Desbrun. - Il y avait plusieurs cas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À la fois à l'émergence et au niveau du processus de production ?

M. Luc Desbrun. - Tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Parfois sur la même ligne, à différents endroits ?

M. Luc Desbrun. - Non, jamais sur la même ligne, mais à différents endroits oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À différents endroits sur différentes lignes ?

M. Luc Desbrun. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Parfois à l'émergence, parfois ailleurs ?

M. Luc Desbrun. - Tout à fait. Cela a été visité par la Commission européenne, par l'ARS. Il n'y a rien à cacher sur l'emplacement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour être franc, à Vergèze, on nous a montré un certain nombre d'emplacements. Il n'y a pas de sujet sur ce point.

Mais nous sommes surpris de la difficulté du groupe Nestlé à nous expliciter les raisons de sa fraude. C'est un problème.

J'essaie de comprendre quel était l'état du site dans les Vosges, que vous dirigez désormais.

Pouvez-vous nous dresser l'historique des puits qui ont été fermés et des raisons pour lesquelles ils ont été fermés, afin que nous comprenions comment fonctionnaient les différents sites et la manière dont cela s'est passé ?

M. Luc Desbrun. - Encore une fois, je n'étais pas là à l'époque des faits. Je vous dirai ce que je sais sur ces forages.

Deux forages ont été fermés sur le réseau Contrex à la suite du retrait des traitements non conformes, en octobre et novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'eau de ces forages ne présentait-elle plus les caractéristiques d'une pureté originelle à l'émergence ? Est-ce la raison de l'arrêt de ces forages ?

M. Luc Desbrun. - Je n'étais pas là. Je ne peux pas vous le confirmer.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais c'est toujours la même eau qui est dessous.

M. Luc Desbrun. - Je le suppose. Comme l'a dit mon collègue, aujourd'hui, c'est plus l'ouvrage qui pose problème.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le problème n'est pas la ressource, mais la qualité de l'ouvrage qui permet l'extraction ?

M. Luc Desbrun. - Oui.

Ces deux forages sont arrêtés en octobre et novembre 2022, en même temps que l'arrêt des traitements non conformes.

Les traitements non conformes à la réglementation de deux autres forages sont arrêtés le 3 juin 2022. Ces forages resteront en place jusqu'au 5 mai 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je n'ai pas compris : ils ont été arrêtés en juin 2022, mais sont restés en place jusqu'en mai 2023 ? Pouvez-vous nous expliquer cela ?

M. Luc Desbrun. - Les traitements non conformes à la réglementation ont été retirés du réseau de ces deux forages le 3 juin 2022, et les forages ont été suspendus le 5 mai 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que se passe-t-il dans l'intervalle ? Vous avez alors un problème de qualité de l'eau sur ces forages, puisque les traitements ont été arrêtés. Que se passe-t-il entre juin 2022 et mai 2023 sur ces forages ? Supposons que ces traitements illégaux servaient à assurer la qualité de l'eau. Comment fonctionnez-vous sur cette période ?

M. Luc Desbrun. - Cela fait partie du plan de transformation discuté avec nos ARS. En pure transparence, nous avons continué la production avec ces deux forages.

À côté de ces deux forages, il y avait un plan de remédiation. Le groupe a essayé, avant que j'arrive, de trouver des solutions pour que ces forages puissent retrouver une stabilité et être conservés dans le mélange. Malheureusement, et cela s'est passé sept à huit semaines après ma nomination comme directeur de l'usine, nous avons décidé de les suspendre. Le plan de remédiation auquel nous avions travaillé s'est révélé beaucoup plus complexe que prévu. Le groupe a décidé, proactivement, de suspendre ces forages.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Rassurez-nous : à partir de juin 2022, vous enlevez les traitements, mais vous installez les microfiltrations à 0,2 micron. Est-ce bien cela ?

M. Luc Desbrun- Je ne peux pas vous dire quand les microfiltrations à 0,2 micron ont été installées. À mon arrivée en mars 2023, elles sont déjà présentes sur le process.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De mars à mai, la microfiltration est donc présente sur le process ; elle permet de sécuriser les eaux, une fois que les traitements ont été retirés...

M. Luc Desbrun- Je ne dirais pas cela. La sécurité alimentaire - je suppose que c'est là que vous voulez en venir - n'a pas été un sujet. Nos systèmes de qualité comportent un mélange de microfiltration et de cycles de nettoyage. Des plans de nettoyage stricts nous permettent de maintenir l'hygiène de nos lignes. S'y ajoutent des plans de contrôle et un système de qualité qui nous permettent de garantir la sécurité alimentaire. Je le redis : la sécurité alimentaire - cela a été explicité par la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) - n'a jamais été un sujet pour Nestlé Waters Vosges sur la période.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je résume, c'est donc le mélange de la microfiltration et des nettoyages auxquels vous procédez qui assure la qualité de l'eau.

M. Luc Desbrun- Il faut y ajouter le plan de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La microfiltration joue donc tout de même pour vous un rôle hygiénisant.

M. Luc Desbrun. - C'est l'équilibre entre le plan de nettoyage et la microfiltration qui nous permet de contrôler l'apparition de biofilms dans nos installations. L'ensemble du système nous permet de garantir la sécurité alimentaire pour le consommateur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce point est important pour nous. Je vous remercie d'avoir quelque peu clarifié le rôle de la microfiltration. Les forages que vous évoquez ici sont-ils bien les forages Hépar ?

M. Luc Desbrun- Oui, tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué deux forages, puis deux autres, soit quatre forages au total.

M. Luc Desbrun- Quatre forages ont été suspendus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'autres ont-ils été ouverts afin de compenser cette suspension ? Je voudrais comprendre si la qualité de l'eau a été maintenue. Si vous aviez fait un forage à proximité, auriez-vous pu redémarrer l'exploitation ?

M. Luc Desbrun- C'est un peu plus compliqué que cela. Étant en surcapacité sur le réseau Contrex, nous n'avons pas eu besoin de capacités additionnelles. Sur le réseau Hépar en revanche, nous avons perdu de la capacité à l'occasion de la suspension de ces deux forages.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si le sujet portait non pas sur la pureté originelle de l'eau, mais sur l'ouvrage, qu'est-ce qui vous empêchait de forer juste à côté et de récupérer l'eau, si elle était de bonne qualité ?

M. Luc Desbrun- L'aquifère des Vosges est fracturé, il est extrêmement difficile de trouver des ressources additionnels sur le réseau d'Hépar. Nous cherchons en vain depuis plusieurs années des forages supplémentaires et nous n'avions pas à l'époque, pour l'eau minérale Hépar, de forages en réserve qui nous auraient permis de compenser les forages suspendus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous la dégradation de la qualité de ces forages ? Sont-ils anciens ? Est-ce dû à un problème de maintenance ? À titre de comparaison, sans vouloir distribuer les bons et les mauvais points, les responsables de Danone nous ont dit, pour un certain nombre de sites, qu'ils n'ont jamais eu à fermer un seul forage et que leurs forages sont entretenus. Comment expliquez-vous les problèmes que vous avez rencontrés ?

M. Luc Desbrun- N'étant pas hydrogéologue, il m'est assez difficile de répondre. À gros traits, j'évoquerai un mélange entre des conditions atmosphériques - il y a eu plusieurs inondations dans le Gard et nous connaissons également des épisodes de ce type de plus en plus fréquemment -, la vétusté des forages et les caractéristiques du sous-sol, qui peut être plus fragile et plus perméable qu'un autre. La profondeur du forage a pu jouer également sur le réseau d'Hépar, les eaux étant assez proches de la surface. Je le répète, le plan de remédiation envisagé n'a pas pu aboutir. Les recherches sur ces deux forages suspendus sont complexes et n'ont toujours pas donné de résultats.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous m'apporter une précision ? L'ARS a déterminé que de la matière fécale avait été retrouvée dans les analyses effectuées sur l'un des forages, ce qui justifiait la fermeture. Cela vient quelque peu contredire vos propos. Confirmez-vous la présence de matière fécale sur l'un des forages ?

M. Luc Desbrun- C'est possible, sur l'un des forages qui ont été suspendus ou fermés avant mon arrivée. Je n'en sais pas plus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur le forage Essar, en novembre 2022 ?

M. Luc Desbrun- Je ne sais pas, je n'étais pas sur place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment pouvez-vous nous assurer que la qualité de l'eau et sa pureté originelle sont garanties, alors que des rapports montrent le contraire ?

M. Luc Desbrun- Attention, je n'ai jamais dit que la pureté originelle était garantie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous ai demandé tout à l'heure si la pureté originelle avait été conservée et vous m'avez répondu que oui.

M. Luc Desbrun- Peut-être me suis-je mal exprimé. La pureté originelle sur ce forage n'était pas garantie. C'est d'ailleurs l'unique raison pour laquelle nous avons suspendu les deux forages d'Hépar. La pureté originelle et la stabilité du forage n'étaient plus assurées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La pureté originelle fait référence à l'eau. Si je comprends bien, c'est le forage lui-même qui détériore la qualité de l'eau...

M. Luc Desbrun- Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce, au contraire, l'eau qui pose un problème de pureté originelle ?

M. Luc Desbrun- Je vais l'exprimer différemment : l'eau que nous prélevions de ce forage ne présentait plus les conditions de stabilité requises par la réglementation relative à l'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y a donc bien un problème de pureté originelle de l'eau, avec une présence de matière fécale qui a été remontée par l'inspection de l'ARS.

J'en viens à ma dernière question sur la période précédant votre arrivée. Les prochaines porteront sur la période durant laquelle vous étiez en place. Connaissez-vous les raisons pour lesquelles c'est en avril 2022, soit près d'un an après les révélations au niveau ministériel d'août 2021, que les problèmes rencontrés sur le site sont portés à la connaissance des autorités, que les services de l'État organisent une visite et constatent les différents systèmes de fraude qui étaient en place ? Avez-vous échangé avec votre prédécesseur à ce sujet ? Pourquoi les choses se passent-elles à ce moment-là dans les Vosges ?

M. Luc Desbrun- Clairement non. Je n'ai jamais été informé des relations avec les autorités avant mon arrivée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Étiez-vous déjà en fonction en avril 2023 ?

M. Luc Desbrun- Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dès le 17 avril 2023, Nicolas Bouvier envoie à Mathilde Bouchardon, conseillère auprès du ministre de l'industrie, des « éléments de langage » prévus pour le comité social d'entreprise (CSE) et pour les médias concernant « la suspension de deux forages qui serait susceptible d'avoir un impact en termes d'emploi ». Le 15 mai, il lui transmet le contenu de l'annonce qui sera faite en CSE le 16 mai. Êtes-vous directement ou indirectement à l'origine de cette transmission d'informations à Mme Bouchardon ?

M. Luc Desbrun- Ni directement ni indirectement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas quelque chose que Nestlé vous a demandé de faire ?

M. Luc Desbrun- Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon votre analyse, dans quel but ces informations ont-elles été transmises ?

M. Luc Desbrun- Ne connaissant pas le détail de ces informations, je ne pourrais pas répondre à cette question. J'en suis désolé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur les décisions qui ont été prises au sujet de l'eau d'Hépar. Le 5 mai 2023, les forages Hépar Nord et Hépar Essar ont été mis à l'arrêt...

M. Luc Desbrun- Ils ont été suspendus, si je puis me permettre de vous reprendre, monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer la différence que vous faites entre « suspendus » et « mis à l'arrêt » ?

M. Luc Desbrun- Ces forages sont suspendus : cela signifie que, si nous parvenons à trouver l'origine des déviations constatées sur l'eau qui en est prélevée, nous gardons la possibilité de les réintégrer dans le mélange, c'est-à-dire dans la liste des forages servant à embouteiller l'eau d'Hépar.

M. Laurent Burgoa, président. - Sans faire de jeu de mots, aujourd'hui ils sont toujours à l'arrêt...

M. Luc Desbrun- Aujourd'hui, ils sont toujours suspendus.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous sommes sur la même longueur d'onde.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En conséquence, la production d'Hépar se poursuit avec un mélange différent ?

M. Luc Desbrun- Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela vous a-t-il amené à changer l'étiquette ?

M. Luc Desbrun- Non, car le mélange issu des quatre forages restants sur le site nous a permis de conserver la minéralisation qui est déclarée - elle ne figure pas seulement sur l'étiquette - dans notre arrêté. Cette minéralisation n'a pas changé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La question s'est-elle posée, à un moment, de l'arrêt pur et simple d'Hépar ? Nous en voyons quelques indices dans les différents dossiers. Cela a-t-il été envisagé chez Nestlé ?

M. Luc Desbrun- Jamais, depuis mon arrivée, il n'a été envisagé d'arrêter Hépar sur le site de Nestlé Waters Vosges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour Perrier, à Vergèze, il a été décidé de passer par le déclassement pour continuer d'exploiter les forages sous l'appellation « eau de boisson », et de vendre les bouteilles sous la marque Maison Perrier. Cette hypothèse a-t-elle été envisagée chez vous ? Vous êtes-vous posé, pour Hépar, la question du déclassement ? Peut-être y réfléchissez-vous aujourd'hui ?

M. Luc Desbrun- Cela a été envisagé, mais la réponse est très simple. Les eaux minérales qui sont embouteillées sur le site de Nestlé Waters Vosges, notamment Hépar, sont trop fortement minéralisées pour être classifiées en eaux de boisson.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc la faible minéralité chez Perrier qui permet ce déclassement.

M. Luc Desbrun- Je ne peux pas dire ce qui se passe à Vergèze. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aucun problème, vous n'avez rien dit de grave.

Si mes informations sont correctes, vous avez demandé, le 5 mai 2023, jour de l'arrêt de forages Hépar, une révision des autorisations d'exploitation des sources d'Hépar et de Contrex pour y autoriser le recours à la microfiltration à 0,45 micron. Est-ce exact ?

M. Luc Desbrun- Sur Hépar, nous sommes actuellement à 0,2 micron de filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette demande d'autorisation a quelque chose d'assez paradoxal.

M. Luc Desbrun- La demande d'autorisation visait à maintenir la microfiltration à 0,2 micron qui est issue du plan de transformation. En d'autres termes, le plan de transformation incluait une microfiltration à 0,2 micron sur le réseau Hépar. Dans la perspective de l'arrêté dont l'instruction est en cours, nous avons confirmé cette demande.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y a eu en effet une demande en deux temps. Selon mes informations, vous demandez 0,45 micron le 5 mai 2023, puis 0,2 le 29 mars 2024. Vous demandez donc 0,45 le jour de l'arrêt des forages. Pensez-vous qu'une microfiltration à 0,2 micron sur ces forages permettrait le redémarrage des forages d'Hépar ?

M. Luc Desbrun- Non, cela n'a rien à voir. Nous avons suspendu les forages parce qu'ils ne répondaient plus aux critères réglementaires de l'eau minérale. Cela n'a rien à voir avec un traitement ni avec la pureté originelle de la source.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai une dernière question sur la microfiltration à 0,2 micron, car je m'étonne quelque peu des explications qui nous sont données. À Vergèze, la microfiltration à 0,2 micron a été justifiée par l'étendue du site. Les concurrents de Nestlé Waters avec qui nous avons discuté nous expliquent qu'ils se sont mis avec facilité au diapason de la réglementation, qu'ils ont aussi de vastes usines avec un nombre de forages très importants, notamment sur les sites d'Évian ou de Volvic, et que finalement, la solution pour éviter les biofilms que vous évoquez, vous et votre collègue de Vergèze, s'appelle le nettoyage des infrastructures.

Vous évoquez pour votre part une forme de combinaison d'un nettoyage et d'une microfiltration à 0,2 micron. Pouvez-vous nous en dire plus ? Nous pourrions en tirer la conclusion sans doute hâtive que la microfiltration est un moyen de réduire la maintenance des infrastructures.

M. Luc Desbrun- Je vais vous expliquer ce qu'est pour nous le « 0,2 » à Nestlé Waters Vosges. Premièrement, le filtre de 0,2 micron présente la caractéristique importante de conserver le constituant essentiel de l'eau minérale, c'est-à-dire la minéralisation. Il faudrait descendre au niveau de la nanofiltration pour déceler un impact sur la composition chimique de nos eaux.

Deuxièmement, ces filtres ne désinfectent pas l'eau. Comme tous les autres traitements qui sont conformes à la réglementation, ils ont bien sûr un impact sur la flore naturelle de l'eau, mais ils laissent passer une partie de cette flore, qui va se retrouver et se redévelopper dans la bouteille. Nous avons fourni à ce sujet de nombreuses études aux administrations, nationales ou locales, afin de prouver cet effet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce point est très important pour nous. Avez-vous les dates de la transmission de ces études à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) par exemple ? À Vergèze, on nous a dit de la même manière que des informations avaient été transmises à de nombreuses reprises à l'Anses. Or nous n'en trouvons aucune trace. Disposez-vous d'éléments aujourd'hui - ou en disposerez-vous dans les jours qui viennent - qui vous permettent d'étayer votre affirmation ?

M. Luc Desbrun- Je serai transparent avec vous : ces informations ont été transmises par une organisation qui se situe à un échelon supérieur à l'usine. Je ne peux donc pas vous donner de date.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De quelle organisation s'agit-il s'il vous plaît ?

M. Luc Desbrun- Je ne sais pas, mais je pourrai vous répondre ultérieurement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les personnes en question vous auraient-elles dit, en préparation de cette audition, qu'elles les avaient transmises à de nombreuses reprises ?

M. Luc Desbrun- Pas seulement en préparation de cette audition : je savais que ce dossier avait été envoyé, que des tests avaient été effectués sur le site des Vosges et que tous les résultats avaient été compilés et envoyés aux autorités. En revanche, j'ignore quels sont exactement les services de Nestlé qui sont à l'origine de cet envoi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est noté. Si vous pouviez porter à nouveau notre demande d'obtenir des preuves de l'envoi aux ARS comme à l'Anses - puisque cela nous a été dit à Vergèze par Madame Lienau - d'éléments tendant à montrer que la microfiltration à 0,2 micron n'affectait pas le microbisme de l'eau, nous vous en serions reconnaissants. Cette question est au coeur du sujet réglementaire.

Vous avez évoqué tout à l'heure votre supérieur hiérarchique au moment de votre arrivée. Nous aimerions connaître également le nom de votre prédécesseur. Il pourrait être en situation de répondre aux questions auxquelles vous n'avez pas pu répondre.

M. Luc Desbrun- Il s'agit de Monsieur Ronan Le Fanic.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-il toujours en poste chez Nestlé ?

M. Luc Desbrun- Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et quel est le nom de la personne qui était votre supérieur hiérarchique lorsque vous avez pris vos fonctions ?

M. Luc Desbrun- Il s'agit de Monsieur David Vivier.

Permettez-moi de poursuivre mon explication sur la microfiltration à 0,2 micron. Celle-ci respecte, comme je l'ai expliqué, les constituants essentiels de l'eau minérale. Elle ne désinfecte pas l'eau. Une partie de la flore passe à travers le filtre et se redéveloppe dans la bouteille ; c'est tout l'objet des études que nous avons fait parvenir. Comme je l'ai exposé précédemment, cette microfiltration nous permet de garantir la sécurité alimentaire en combinaison avec des cycles de nettoyage stricts et un plan de contrôle. Nous réalisons ainsi sur le site Nestlé Waters Vosges plus de 800 analyses par jour. En résumé, cette microfiltration garantit la sécurité alimentaire sans altérer la composition minérale, tout cela dans le respect de la réglementation actuelle.

Le contexte des Vosges est assez spécifique : le site s'étend sur 44 hectares et nos tuyauteries sont longues de plusieurs dizaines de kilomètres. Notre eau est par ailleurs très fortement minéralisée, bien plus que la moyenne des eaux minérales en France. Dans ce contexte, nous utilisons ces filtres à 0,2 micron, parce qu'ils préviennent et ralentissent la formation de biofilms. Enfin, je voudrais rappeler qu'à ce jour, il n'existe à ma connaissance aucun texte officiel interdisant l'usage des filtres à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous ne referons pas le débat sur le sujet, mais à notre connaissance, il n'existe aucun texte qui l'autorise et la liste des traitements est limitativement autorisée par la directive.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous dirons que c'est flou.

Mme Marie-Lise Housseau. - Lorsque vous prenez vos fonctions en mars 2023, la situation est déjà considérablement détériorée : il y a eu un rapport de l'ARS et le préfet est au courant des problèmes. Dans votre présentation, vous avez utilisé les mêmes éléments de langage que votre homologue de Vergèze : on vous a dit qu'il y avait eu des irrégularités, mais qu'un projet de transformation était en cours ; il vous a été demandé de mettre en place ce projet très ambitieux - 20 millions d'euros en ce qui vous concerne, 50 millions d'euros pour votre collègue - ; on relève le challenge et on y va !

Comment expliquez-vous que vous n'ayez pas été plus curieux que cela, sachant que le dossier était déjà pratiquement entre les mains de la justice ? Pourquoi n'avez-vous pas cherché à savoir ce qui s'était précisément passé ? En tant que directeur, vous deviez bien vous douter que si les procédures avançaient, elles allaient bien, un jour ou l'autre, vous retomber dessus ? Pourquoi n'avez-vous pas été plus incisif ?

Par ailleurs, savez-vous pourquoi votre prédécesseur est parti ? En effet, les deux cas sont similaires : le directeur s'en va ; il y a des problèmes ; on met en route un plan de transformation et on embauche un nouveau directeur. Ces coïncidences sont frappantes. Avez-vous des explications à ce sujet ?

M. Luc Desbrun- Comme je le rappelais dans mon propos liminaire, je suis arrivé avec une feuille de route. L'organisation de Nestlé est très compartimentée. J'ai appliqué ma feuille de route, qui consistait dans la mise en place d'un plan de transformation, ce à quoi je me suis attaché. Je vous rappelle que j'avais en parallèle un plan de sauvegarde de l'emploi à mettre en place. Ma priorité n'était pas de faire une chasse aux sorcières dans l'usine. Je devais plutôt rassembler les équipes autour d'un nouveau projet pour aller de l'avant.

M. Laurent Burgoa, président. - Il me semble que Madame Housseau n'a pas parlé de chasse aux sorcières. Elle s'interrogeait plutôt sur votre trait de personnalité. Par curiosité, vous auriez pu vous intéresser à ce qu'il s'était passé. Il est important de connaître l'histoire du site.

Mme Marie-Lise Housseau. - En général, quand on prend un nouveau poste, on cherche à savoir où l'on met les pieds.

M. Luc Desbrun. - Je suis désolé, mais je ne commenterai pas ma personnalité. Je le répète, la mission qui m'a été confiée consistait à mettre en oeuvre un plan de transformation. J'ai appliqué ce dernier et je n'ai pas d'autres commentaires à faire sur le passé. Je n'étais pas là à cette époque et je n'étais pas responsable de l'usine.

Concernant votre deuxième question sur l'embauche des directeurs, les directeurs d'usine se succèdent tous les trois à cinq ans. Monsieur Fehrenbach est resté en poste quatre ou cinq ans, j'occupe mes fonctions depuis deux ans et mon prédécesseur était en place depuis quatre ou cinq ans à mon arrivée. Il s'agit là de rotations normales pour des directeurs d'usine. C'est une question de ressources humaines plus que de plans de transformation.

Mme Marie-Lise Housseau. - Nous avons auditionné les maires de Contrexéville et de Vittel, ainsi que la nouvelle préfète et le préfet de l'époque, et nous avons abordé la CJIP qui a été mise en place. Avez-vous pris part aux négociations sur cette convention ?

M. Luc Desbrun- Non, je n'ai pas pris part personnellement, en tant que directeur d'usine, aux négociations sur la CJIP.

Mme Marie-Lise Housseau. - Est-ce le cas de votre prédécesseur ?

M. Luc Desbrun- Je ne pense pas qu'il ait été impliqué non plus.

Mme Marie-Lise Housseau. - Qui, dès lors, a négocié la CJIP ?

M. Luc Desbrun- Je ne peux pas vous dire.

Mme Marie-Lise Housseau. - Il y a eu des réunions publiques. Aussi bien la nouvelle préfète que l'ancien préfet nous ont dit que le procureur était intervenu. Qui donc, chez Nestlé, était à l'initiative de cette CJIP ?

M. Luc Desbrun- Je suis désolé, je n'ai pas la réponse à cette question.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous connaissez tout de même le contenu de cette convention, les montants...

M. Luc Desbrun- Oui, tout à fait, je connais très bien la CJIP. Je l'ai lue. Je l'ai découverte par voie de presse et j'en ai été informé au dernier moment. Je n'ai nullement participé à son élaboration et je ne pourrai pas vous dire aujourd'hui qui était en charge de ce dossier.

Mme Marie-Lise Housseau. - Ne savez-vous donc pas qui a géré ce dossier chez Nestlé ?

M. Luc Desbrun- Non, madame la sénatrice.

Mme Marie-Lise Housseau. - Cela concerne directement votre site. Vous êtes l'interlocuteur du préfet et des maires. Le préfet nous a d'ailleurs dit qu'il avait été assez déçu de ne pas avoir été mis au courant des difficultés rencontrées par votre prédécesseur. C'est bien qu'il y a une relation de proximité entre le directeur de l'usine et le préfet. Les Vosges ne sont pas un département immense. Il est tout de même surprenant qu'au sein même de votre entreprise - j'ai bien conscience de la taille de Nestlé Waters -, vous ne sachiez pas qui a négocié la convention.

M. Luc Desbrun- C'est le département juridique qui l'a négociée. Vous l'avez compris, j'avais à l'époque une feuille de route assez importante et la CJIP ne faisait pas partie de mon champ de responsabilité.

M. Laurent Burgoa, président. - Je complète la question. Que vous ne soyez pas associé à la convention elle-même, nous pouvons le comprendre. Mais qu'en est-il de son exécution ? En dehors de la préfète, nous avons auditionné des élus ou encore la responsable de la commission locale de l'eau (CLE). Dans cette convention, on impose bien à Nestlé des actions de financement d'associations environnementales ou de projets locaux. N'est-ce pas vous, en tant que directeur d'usine, qui suivez tout cela ?

M. Luc Desbrun- Un certain nombre de projets ont en effet été associés à la CJIP. Il s'agit d'une renaturation de deux cours d'eau, le Petit Vair et le Vair, ainsi que des restaurations de zones humides sur les territoires de Vittel et de Contrexéville. L'exécution de cette CJIP est confiée à notre filiale Agrivair.

M. Laurent Burgoa, président. - Si je comprends bien, c'est donc Agrivair - l'audition de ses responsables sera intéressante - qui exécute pour vous une grande partie ou la totalité de la convention...

M. Luc Desbrun- Tout à fait.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous nous dites donc que c'est le service juridique de Nestlé Waters qui est à l'initiative de la CJIP et qui l'a travaillée...

M. Luc Desbrun- Oui. C'est son rôle.

Mme Marie-Lise Housseau. - Selon nos informations, cette initiative ne relevait ni de la préfète - elle venait d'entrer en fonction - ni du préfet. Il est difficile d'imaginer que le procureur soit à l'origine de la convention. J'en conclus que c'est Nestlé Waters qui en est à l'initiative.

M. Luc Desbrun- Je ne peux pas vous affirmer que l'initiative provenait de Nestlé Waters. Je peux vous dire en revanche que c'est le département juridique qui a été impliqué dans cet accord.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie.

Audition de Mme Mathilde Bouchardon, ancienne conseillère
du ministre délégué à l'industrie (M. Roland Lescure)
(Mardi 11 mars 2025)

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions.

Madame Bouchardon, vous avez été conseillère santé et agroalimentaire au cabinet du ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, Roland Lescure, du 29 juillet 2022 au3 juin 2024. Vous avez depuis rejoint le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) en tant que chargée de mission affaires sociales.

Avant de vous passer la parole, je suis tenue de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Mathilde Bouchardon prête serment.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Pour rappel, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de sources. Notre commission d'enquête a été constituée le 20 novembre 2024 pour faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur la façon dont ont été gérés par les différents ministères les développements de l'affaire Nestlé Waters, plus particulièrement entre mai 2022 et janvier 2024 en ce qui vous concerne.

La lecture des documents qui nous ont été transmis montre l'importance de votre rôle dans cette affaire et une propension à appuyer les demandes du groupe Nestlé. Pourquoi ce positionnement ?

Quelles ont été vos instructions reçues du ministre sur cette affaire ?

Quelle a été la nature de vos échanges avec le groupe Nestlé ? Avez-vous eu des échanges directs et/ou indirects avec le groupe Nestlé Waters, et notamment sa présidente-directrice générale (PDG) ? À quelle date et quelle en a été la teneur ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs et dénote une certaine bienveillance des autorités à l'égard de l'industriel Nestlé ?

Mme Mathilde Bouchardon, ancienne conseillère du ministre délégué à l'industrie (M. Roland Lescure). - Madame la vice-présidente, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs, c'est au titre de mes fonctions de conseillère agroalimentaire au cabinet du ministre chargé de l'industrie, du 25 juillet 2022 au 30 mai 2024, que je suis aujourd'hui entendue par votre commission d'enquête.

Mon rôle était alors de faire des préconisations sur des sujets industriels. Dans ce cadre, je recevais les industriels du secteur qui me partageaient leurs problématiques et je travaillais avec les services de la direction générale des entreprises pour définir des politiques de soutien aux industriels produisant en France.

Le cabinet industrie n'avait pas la tutelle de la direction générale de la santé et n'avait pas la capacité de saisir ni les ARS ni l'Anses.

Dans le dossier qui vous intéresse, l'essentiel des informations relevant du champ sanitaire m'a été communiqué par le cabinet de la ministre déléguée auprès du ministre de la santé, avec lequel nous avions une bonne relation de travail. Je leur partageais de mon côté les éléments que nous communiquait Nestlé Waters. Nous avons travaillé conjointement pour proposer à Matignon une réponse qui nous semblait être la plus adéquate possible à la problématique à laquelle nous faisions face.

Dans mon propos liminaire, je reviendrai sur la chronologie selon laquelle nous avons, au sein du cabinet industrie, traité ce sujet. N'ayant pas retrouvé tous les échanges que j'avais eus à l'époque sur ce dossier, je vous prie de m'excuser par avance si certains éléments s'avèrent insuffisamment précis. Je répondrai bien évidemment à toutes vos questions.

Le 2 août 2022, soit une semaine après mon arrivée au sein du cabinet industrie, la directrice générale de Nestlé Waters sollicite un entretien avec celui-ci, par un mail adressé à sa directrice, comme le font des dizaines d'acteurs industriels chaque jour. Ce mail de prise de contact évoquant un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et ma directrice et moi-même n'ayant jusque-là pas été informés de son existence, nous souhaitons recueillir un maximum d'éléments avant de rencontrer l'industriel. Les cabinets des ministres en charge de l'économie et de la consommation nous fournissent quelques éléments de contexte. Ils nous confirment l'existence d'une mission de l'Igas sur les eaux en bouteille, au rapport n'ayant pas été communiqué à ce stade. Ils nous précisent également qu'un article 40 du code de procédure pénale est sur le point d'être adressé au procureur de la République pour non-respect des dispositions du code de la santé publique par Nestlé Waters. Ils nous indiquent toutefois qu'il n'existe pas de risque sanitaire. Ils mentionnent par ailleurs une enquête menée par le service national d'enquête (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur des minéraliers. La DGCCRF nous confirme ensuite qu'elle est bien en train d'enquêter sur un autre minéralier et que, vis-à-vis de Nestlé Waters, le SNE pourra être saisi dans le cadre de l'article 40, ce qui sera effectivement le cas ultérieurement.

À la suite de ces échanges, ma directrice de cabinet sollicite auprès du cabinet santé la communication du rapport de l'Igas, qui lui sera transmis le 6 septembre 2022. À la lecture de ce rapport et des documents confidentiels l'accompagnant, nous obtenons confirmation qu'il n'existe pas de risque sanitaire et que la mise en place des traitements renforce même la sécurité sanitaire de l'eau embouteillée. Nous obtenons également confirmation que, compte tenu des manquements constatés, l'ARS Grand Est, au titre de l'article 40, saisira dans les plus brefs délais le procureur de la République.

Nous comprenons que les manquements constatés par les inspecteurs relèvent de trois catégories : la présence de traitements clairement interdits (UV et charbon actif) ; un contrôle sanitaire réglementaire des eaux faussé par la présence en amont du point de prélèvement de traitements interdits ; et la présence de traitements reposant sur des filtres à 0,2 ou 0,45 micron, dont la présence n'est pas en soi un obstacle à la délivrance de l'appellation d'eau minérale naturelle, à condition que ces traitements soient préalablement déclarés et que l'exploitant démontre qu'ils ne constituent pas un processus de désinfection (ce que l'industriel n'a pas fait).

Nous comprenons également que les textes juridiques européens ou nationaux ne sont pas suffisamment clairs - ni la directive ni l'arrêté du 14 mars 2007 n'indiquant de seuil de microfiltration autorisé, laissant une marge d'interprétation.

Nous recevons ensuite, avec ma directrice de cabinet, Nestlé Waters, le 9 septembre 2022. Nestlé Waters nous expose ses problématiques, en se concentrant surtout, dans mes souvenirs, sur le sujet de la microfiltration. Selon eux, cette microfiltration n'a pas pour but de modifier la composition microbiologique de l'eau, mais est nécessaire dans un but dit « technologique », pour limiter le risque de formation d'un biofilm pouvant être à l'origine de déviations microbiologiques ponctuelles - le groupe mettant en avant un tel risque en cas de tuyauteries longues.

Nous sommes alors très fermes avec le groupe Nestlé Waters, en lui demandant une pleine transparence. Nous lui demandons de communiquer l'ensemble de ses analyses aux ARS. À ce stade, nous n'apportons évidemment aucune réponse concernant le seuil de microfiltration.

Le jour même, nous contactons le cabinet de la ministre déléguée Firmin-Le Bodo, afin de l'informer que, selon nous, il s'agit surtout d'un sujet relevant du ministère de la santé, mais sur lequel nous pouvons être en appui.

Le 28 septembre 2022, nous envoyons, conjointement avec le cabinet santé, une première note au cabinet du Premier ministre, contenant plusieurs préconisations.

Sur le sujet de la microfiltration, nous préconisons d'autoriser Nestlé Waters à utiliser des filtres à 0,2 micron, sous couvert de la transmission d'une preuve de la qualité microbiologique des ressources (y compris au plan virologique) et d'une preuve du non-impact de cette filtration sur les paramètres microbiologiques de l'eau. L'objectif était alors de pleinement prendre en compte les constats établis par l'Igas sur la nécessité de renforcer la maîtrise du risque sanitaire.

Concernant Hépar, nous préconisons de demander à Nestlé Waters le partage, avec les services de l'État et les parties prenantes locales, de son étude de vulnérabilité en cours. À l'époque, nous savions que les forages connaissaient certaines vulnérabilités, sans en connaître précisément les causes ou l'ampleur. Ce n'est que fin novembre 2022 que le cabinet santé nous confirmera que l'eau n'est pas microbiologiquement pure à la source.

Le 13 octobre 2022, le cabinet du Premier ministre demande aux deux cabinets industrie et santé de prendre attache avec les ARS et Nestlé Waters, de demander à Nestlé Waters la transmission de toutes les données permettant d'objectiver la qualité de ses ressources et l'impact de la microfiltration à 0,2 micron et de demander à Nestlé Waters de cesser l'utilisation des traitements par charbon actif et UV. C'est ce que nous faisons à l'automne 2022.

Le 22 novembre 2022, le cabinet de la ministre Firmin-Le Bodo saisit l'Anses sur le sujet de la microfiltration.

Le 1er décembre 2022, se tient à Matignon une réunion visant à faire le point sur nos échanges avec les ARS et Nestlé Waters.

Le cabinet santé nous transmet ensuite les deux avis de l'Anses du 16 décembre 2022 et du 13 janvier 2023.

Le 16 février 2023, une nouvelle réunion est organisée à Matignon pour échanger sur le dossier.

Nous constatons alors, au sein du cabinet industrie, une absence de risque sanitaire, une règlementation européenne peu claire, une autorisation dans d'autres pays européens d'une microfiltration inférieure à 0,8 micron et l'existence, sur certains sites français de production d'eau minérale naturelle, d'arrêtés préfectoraux autorisant explicitement une microfiltration inférieure à 0,8 micron (voire à 0,2 micron, avec une problématique potentielle de distorsion de concurrence). Nous recommandons donc de modifier les arrêtés préfectoraux et d'autoriser, à titre temporaire, dans l'attente d'une clarification de la directive européenne, une microfiltration inférieure à 0,8 micron, dans un but uniquement technologique.

Pour les forages Hépar, dès lors que l'émergence n'est pas microbiologiquement pure, nous considérons que l'eau ne peut plus être qualifiée de minérale naturelle. Nous préconisons donc de suspendre l'autorisation d'exploiter ou de la modifier pour la restreindre à la commercialisation vers des marchés ayant des exigences différentes.

Une concertation interministérielle dématérialisée (CID), permettant de faire remonter au cabinet du Premier ministre les positions des différents ministères interrogés et ayant vocation à donner lieu à la production d'un « bleu » rendant compte des arbitrages pris par Matignon, a lieu du 22 au 23 février 2023. Le cabinet du ministre François Braun est alors d'accord avec le fait d'autoriser, par modification des arrêtés préfectoraux, la pratique de la microfiltration inférieure à 0,8 micron. Nous faisons part de notre accord avec la réponse formulée par le cabinet du ministre de la santé. Tel est l'arbitrage qui sera pris par Matignon.

Nous recevons ensuite conjointement, avec le cabinet de la ministre Firmin-Le Bodo, Nestlé Waters, pour leur faire part de l'arbitrage. Nous sommes extrêmement clairs avec eux, à la fois sur la nécessité de fermer le forage Hépar et sur la nécessité d'être pleinement transparent avec les ARS et les préfectures.

À compter de février 2023, la mise en oeuvre opérationnelle de l'arbitrage interministériel est suivie au niveau local par les préfectures et les ARS. Nous suivons d'assez loin les discussions. Les échanges techniques sur les plans de transformation et leur mise en oeuvre ne relèvent pas des compétences du ministère de l'industrie. En revanche, nous suivons le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) mis en oeuvre par Nestlé Waters dans les Vosges - ce suivi étant assuré par un autre conseiller au sein du cabinet.

En mars 2024, je suis informée par la DGCCRF d'un audit effectué par la Commission européenne pour évaluer le système français des contrôles officiels relatifs aux eaux minérales naturelles et aux eaux de source. Je quitte cependant le cabinet avant que les résultats de cet audit soient finalisés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans ce dossier engageant un industriel extrêmement important, nos auditions visent à apporter un éclairage sur les arbitrages rendus et les décisions prises au niveau des cabinets et au niveau ministériel.

La première réunion de votre cabinet avec Nestlé Waters a-t-elle eu lieu le 9 septembre 2022 ?

Mme Mathilde Bouchardon. - À ma connaissance, oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'industriel vous informe alors de la contamination d'une rivière en proximité du point de captage, qui conduit à un besoin de recourir à une microfiltration de l'ordre de 0,2 micron.

Mme Mathilde Bouchardon. - Je n'ai pas souvenir que l'industriel ait été aussi explicite concernant la cause de la contamination. J'ai souvenir qu'il a évoqué le Petit Vair. Nous découvrions le sujet. La réunion a porté principalement sur la microfiltration et le PSE. Nestlé Waters voulait rencontrer le cabinet industrie pour lui annoncer la mise en oeuvre d'un PSE dans les Vosges, lié notamment à la perte de parts de marché de Vittel sur les marchés allemands et autrichiens. En fonction de la décision de l'État, notamment concernant Hépar, ce PSE pouvait potentiellement être plus important.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un lien est donc établi, dès le départ, entre le dimensionnement du PSE et la réponse apportée par l'État sur la microfiltration.

Mme Mathilde Bouchardon. - C'est le lien qu'a fait Nestlé Waters.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les cabinets santé et industrie étaient présents. À ce moment, alertez-vous les ministres ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Sur le PSE, pas encore. Dans mes souvenirs, j'ai fait remonter au ministre, en septembre 2022, une note sur la situation générale des eaux en bouteille, mentionnant les investigations conduites par le SNE de la DGCCRF ayant mis en évidence la mise en oeuvre, par Nestlé Waters notamment, de pratiques interdites. Fin novembre 2022, nous l'informons ensuite des discussions avec Matignon sur un sujet de microfiltration concernant Nestlé Waters. Le 6 février 2023, nous avons ensuite une réunion avec lui pour discuter du contenu de la note destinée à Matignon pour la réunion du 16 février 2023. Le 20 février 2023, nous lui transmettons le projet de compte rendu de cette réunion. Le ministre était en phase avec la note remontée à Matignon et la réponse apportée à la CID.

En septembre 2022, nous essayions de comprendre la situation. Il s'agissait d'un dossier complexe. Nous estimions alors ne pas avoir suffisamment d'informations pour lui faire des recommandations précises.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette réunion s'est-elle inscrite dans le sillage de la rencontre entre le Président de Nestlé Waters et Victor Blonde, conseiller au cabinet de la Première ministre et à la Présidence de la République ? Dans un mail à votre directrice daté du 5 août 2022, ce dernier indique avoir rencontré la PDG de Nestlé Waters et estime qu'il serait utile que vous rencontriez Nestlé Waters avant la fin du mois, car les conclusions du rapport de l'Igas et les suites apportées pourraient avoir un impact important sur la restructuration envisagée par le Groupe.

Mme Mathilde Bouchardon. - Pour moi, cela s'inscrivait dans la suite du rapport de l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quelle date avez-vous fait remonter la note évoquée ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Le 3 septembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous rédigé cette note avec Pierre Breton ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Cette note indique au ministre que des investigations sont en cours. Le 28 septembre 2022, nous faisons ensuite remonter à Matignon, avec Pierre Breton, une note conjointe santé-industrie. Il s'agit de la première note que nous faisons remonter à Matignon sur le sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment construisez-vous cette note, dans laquelle vous affirmez qu'il faut autoriser une microfiltration à 0,2 micron ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Nous partons du constat d'un flou juridique. Il n'y a pas de seuil de microfiltration autorisé précisé, ni dans la directive ni dans l'arrêté. Le 21 septembre 2022, lors d'une réunion en visioconférence, l'Igas nous confirme, à Pierre Breton et à moi-même, que d'autres États membres autorisent la microfiltration, notamment l'Espagne qui filtre à 0,4 micron. À cet égard, la directive européenne dit que le microbisme de l'eau ne doit pas être modifié. Nous recommandons donc d'autoriser la microfiltration à 0,2 micron, à condition que le microbisme de l'eau ne soit pas modifié, à condition qu'un contrôle virologique et bactériologique soit réalisé, etc. Nous sommes affirmatifs, tout en restant dans le cadre explicitement prévu par le droit européen.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À cet endroit, on observe une divergence interprétative. La direction générale de la santé (DGS) et l'Anses évoquent de manière constante, une règlementation claire, faisant référence à un seuil de 0,8 micron. Or vous évoquez une convergence avec le cabinet de la ministre Firmin-Le Bodo et Nestlé Waters. Quels étaient les points de convergence ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Nous n'avions pas de contact avec la DGS. Nous étions en contact avec le cabinet de la ministre Firmin-Le Bodo, avec lequel nous avons rédigé une note conjointe. Je n'ai pas souvenir d'une divergence à ce moment-là. Nous avons effectivement convergé dans l'instruction de ce dossier très technique. Nous avons évoqué la nécessaire maîtrise du risque sanitaire, les dispositions prévues par la directive européenne, etc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous aviez donc, à ce moment, une position partagée.

Mme Mathilde Bouchardon. - Tel est mon souvenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel a été le rôle de l'Élysée dans la fabrication de la décision publique sur ce dossier ? Le 28 septembre 2022, vous transmettez à Victoire Vandeville, conseillère industrie auprès de l'Élysée, des notes de Nestlé Waters, sans commentaire. L'une de ces notes, vous ayant été transmise la veille par un lobbyiste de Nestlé Waters, Nicolas Bouvier, vise à démontrer la possibilité de microfiltrer à 0,2 micron.

Mme Mathilde Bouchardon. - Il s'agit d'une erreur d'adressage. Je pensais qu'elle était appelée à recevoir Nestlé Waters. Je lui ai adressé la note conjointe en vue de cet entretien. Ce n'était toutefois pas elle qui recevait Nestlé Waters fin septembre 2022, mais Victor Blonde et Cédric Arcos.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi avoir envoyé ces documents sans commentaire ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Il s'agissait d'un envoi de documents pour lui permettre de préparer son entretien. Je n'ai pas le souvenir d'avoir échangé avec elle à ce moment.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le suivi du dossier par l'Élysée a donc été assuré par Victor Blonde et Cédric Arcos. Victoire Vandeville n'a quant à elle pas été impliquée ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Je ne crois pas. Nous n'en avons jamais parlé ensemble.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle est votre appréciation du suivi de ce dossier par l'Élysée ? Quels étaient vos interlocuteurs au sein de l'Élysée ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Victor Blonde et Cédric Arcos étaient nos seuls interlocuteurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 13 octobre 2022, un message de Nestlé Waters laissé sur votre répondeur évoque une rencontre prochaine avec le ministre du travail au sujet du PSE. La question sociale et la question de la microfiltration ont ainsi été fortement imbriquées par Nestlé Waters. Le même jour, un courrier adressé à Victor Blonde évoque un projet de note que vous aurait transmis Pierre Breton du cabinet de la ministre Firmin-Le Bodo, recommandant de ne pas donner suite à la demande de filtration à 0,2 micron. Vous évoquez alors votre préoccupation et indiquez que le 0,2 vous semble la piste à privilégier. Était-ce la position du ministère ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Il s'agissait de la position du cabinet, déjà exprimée dans la note du 28 septembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce moment, êtes-vous au courant que la santé s'y oppose ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Sur un dossier complexe, la position du cabinet santé a évolué au fil du temps, en fonction des discussions menées en interne et des données remontant. En tout état de cause, la note du 28 septembre 2022 était conjointe.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce moment, vous n'avez jamais eu de remontées concernant la position de la DGS ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Je n'en ai pas le souvenir. Nous n'avons pas non plus reçu la note de la DGS de janvier 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 24 octobre 2022, vous transmettez aux directrices des cabinets santé et industrie le compte rendu d'un entretien que vous avez eu le jour même avec Nestlé Waters. Vous insistez alors sur la nécessité de trancher rapidement, « car l'impossibilité pour Nestlé Waters de poursuivre avec des filtres à 0,2 pourrait avoir des impacts industriels et en termes d'emploi non négligeables ».

Selon votre appréciation de la situation, si l'eau avait gardé sa pureté originelle et si les installations étaient correctement entretenues, pourquoi avoir besoin de cette microfiltration ?

Mme Mathilde Bouchardon. - L'industriel nous a indiqué que, même si l'eau était microbiologiquement pure à la source, une microfiltration pouvait être nécessaire, dans un but dit technologique. Cela n'a jamais été infirmé par les ARS ni par aucun autre acteur. Et cela n'est pas interdit. J'ai sollicité la DGCCRF à ce sujet en novembre 2022, qui m'a confirmé qu'une telle microfiltration pouvait être autorisée, à condition d'être déclarée et de ne pas modifier le microbisme de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'argument technologique figure effectivement dans la directive européenne. Néanmoins, vous étiez face à un industriel utilisant des traitements illégaux et proposant comme alternative, sous peine de devoir fermer certains puits, une microfiltration à 0,2 micron. N'y avait-il pas là un faisceau d'indices mettant en évidence une microfiltration à des fins de désinfection ?

Les outils technologiques mentionnés par la directive européenne visent à séparer un certain nombre d'éléments, dont le fer. Ils ne doivent cependant pas être utilisés comme un moyen de désinfection. Or le contexte était celui du retrait de traitements illégaux utilisés pour tromper les autorités dans leurs contrôles sanitaires.

Mme Mathilde Bouchardon. - Nous n'étions pas experts de l'eau. Nous n'avons cependant pas pris pour argent comptant tout ce que disait Nestlé Waters. Nous avons toujours insisté pour que Nestlé Waters transmette ses analyses aux ARS, compétentes sur le volet sanitaire.

Le cabinet industrie s'est ainsi attaché à faire le lien entre l'industriel et les services compétents de l'État et des autres ministères. Il était important d'expliquer la vision de l'industriel, sans porter dessus une analyse. Aujourd'hui encore, je ne saurais vous dire exactement ce que recouvre une microfiltration dans un but technologique. Nous avons donc toujours insisté sur la nécessité d'une contre-expertise par les agences sanitaires. Le cabinet industrie n'était qu'une porte d'entrée pour l'industriel. Nous avons relayé les informations transmises, en demandant une pleine transparence à l'industriel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous semblez être allé au-delà du simple partage de l'information. Vous avez porté une vision concernant la microfiltration à 0,2 micron dans le cadre de l'arbitrage interministériel, allant à l'encontre de celle portée par le ministère de la santé. Vous dites ne pas vous être appuyés exclusivement sur les analyses de Nestlé Waters. Sur quoi vous êtes-vous donc appuyés ? Quelles expertises avez-vous sollicitées pour que l'État puisse se forger sa propre opinion ?

Mme Mathilde Bouchardon. - En tant que cabinet industrie, nous ne pouvions pas solliciter d'analyses. Il appartenait au cabinet santé de demander des analyses aux ARS et à l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour porter votre vision, vous avez donc considéré les enjeux en termes d'emploi.

Mme Mathilde Bouchardon. - Nous avons fait remonter une préconisation, tel que cela nous était demandé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez préconisé de soutenir la demande de l'industriel concernant la microfiltration à 0,2 micron.

Mme Mathilde Bouchardon. - L'industriel ne demandait pas à ce que le forage Hépar soit fermé. Le 9 septembre 2022, il a indiqué que ceci pourrait entraîner un PSE plus important. Nous n'avons donc pas défendu la position de l'industriel.

Concernant la microfiltration, pour formuler notre recommandation, nous avons considéré les éléments (flou juridique, autorisation par d'autres États-membres, arrêtés préfectoraux autorisant déjà une microfiltration à 0,2 micron).

En février 2023, dans le cadre de la CID, nous étions en accord avec le ministère de la santé sur ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au moment de la CID, des notes sont envoyées par le ministère de la santé pour que cette préconisation ne s'applique pas. À l'inverse, le ministère de l'industrie soutient la demande de l'industriel.

Concernant la microfiltration à 0,2 micron, je note que la position du ministère de l'industrie n'a été fondée sur aucune expertise.

Mme Mathilde Bouchardon. - Si l'Anses avait qualifié la filtration à 0,2 micron de désinfection, nous ne l'aurions pas recommandée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est ce que dit l'avis de l'Anses.

Mme Mathilde Bouchardon. - Le premier avis de l'Anses a repris un avis de l'AFSSA de 2001, en citant une étude scientifique indiquant qu'à 0,2 micron, la flore bactérienne présente dans les eaux souterraines pouvait passer. En 2023, l'Anses a ensuite évoqué une microfiltration assimilable à une désinfection, mais uniquement dans le cas d'Hépar, sans généraliser à d'autres forages. Le microbisme de l'eau devant se mesurer au cas par cas, l'avis de l'Anses ne nous paraissait pas véritablement tranché.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'Anses a donné une position claire sur ce sujet, à plusieurs moments, qui n'est pas celle que vous avez choisi de défendre.

Mme Mathilde Bouchardon. - C'est votre interprétation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué d'autres pratiques au sein de l'Union européenne. Début 2023, vous sollicitez la DGCCRF à ce sujet. Celle-ci vous fait part, le 10 janvier 2023, d'un échange au niveau européen mettant en évidence des pratiques très au-dessus de 0,4 micron. Le 13 janvier 2023, la DGCCRF vous confirme ensuite l'absence de compte rendu d'une autorisation explicite par la Commission européenne d'une microfiltration à 0,4 micron. Au moment de la CID, vous connaissez donc l'état de l'art en Europe.

Mme Mathilde Bouchardon. - La DGCCRF n'a pas réussi à trouver ces éléments. Nous disposions simplement du rapport de l'Igas, mentionnant une microfiltration autorisée à 0,4 micron en Espagne. C'est la raison pour laquelle, dans le bleu issu de la CID, Matignon a demandé un état des lieux des pratiques européennes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ayant connaissance d'une microfiltration autorisée à 0,4 micron en Espagne, vous avez pris l'initiative de soutenir une microfiltration à 0,2 micron.

Mme Mathilde Bouchardon. - Il y avait aussi un raisonnement économique, car il y avait un risque de distorsion de la concurrence, du fait d'arrêtés préfectoraux autorisant déjà une microfiltration à 0,2 micron. Lors de la réunion du 16 février 2023, nous étions d'accord avec la possibilité d'autoriser la microfiltration en-dessous de 0,8 micron, dès lors que cela ne modifiait pas le microbisme de l'eau. Dans notre réponse à la CID, nous n'avons ensuite pas demandé à ce que soit mentionnée explicitement une microfiltration à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans une note datée du 1er décembre 2022, vous formulez un certain nombre de préconisations (concernant notamment la microfiltration à 0,2 micron), vous évoquez un risque de condamnation par la Commission européenne « peu élevé » (du fait d'une directive juridiquement floue), vous mentionnez aussi un risque fort de fermeture du site et vous reprenez la demande de Nestlé Waters de continuer à qualifier les eaux Hépar de minérales naturelles en dépit d'une contamination à la source.

Mme Mathilde Bouchardon. - Matignon n'avait plus de lien avec Nestlé Waters. L'objectif était donc d'informer le cabinet du Premier ministre de nos échanges avec Nestlé Waters et des préoccupations et souhaits de l'industriel. Cette note fait bien référence à un « souhait » de l'industriel de pouvoir continuer. Nous ne nous sommes pas prononcés sur ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez cependant pas pointé l'illégalité de cette option.

Mme Mathilde Bouchardon. - Cela a fait l'objet de discussions ultérieurement. La note visait simplement à faire un état des lieux des échanges avec les ARS et Nestlé Waters. Nous avons ensuite été très clairs lors de la réunion. Dès lors qu'une eau n'est plus microbiologiquement pure à la source, elle ne peut plus être qualifiée de minérale naturelle.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Qui a rédigé cette note ?

Mme Mathilde Bouchardon. - J'en ai rédigé le premier jet. Elle a ensuite fait l'objet d'itérations. Il ne s'agissait pas d'une note conjointe santé-industrie, mais d'une note du cabinet industrie.

Mme Florence Lassarade. - Aviez-vous un a priori favorable concernant le groupe Nestlé Waters ? Avez-vous été surprise par ses dérives ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Je n'avais pas d'a priori particulier. J'ai cependant été surprise, à la lecture du rapport de l'Igas, par le fait qu'une entreprise comme Nestlé Waters puisse se livrer à de telles pratiques frauduleuses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au moment de la CID, avez-vous pressenti une problématique d'égalité entre les différents acteurs du secteur ? Avez-vous envisagé d'avertir les autres acteurs du secteur de la possibilité de s'aligner sur la pratique de la microfiltration à 0,2 micron ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Non. Nous avions identifié une problématique de distorsion de la concurrence entre Nestlé Waters et les autres acteurs déjà autorisés à recourir à cette microfiltration. La CID devait par ailleurs déboucher sur la conduite d'un certain nombre de travaux, s'agissant de dresser un état des lieux des pratiques européennes, de rouvrir la discussion avec les autorités européennes sur la directive, etc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce sujet concernant les consommateurs, le cabinet consommation a-t-il été mis dans la boucle des échanges ? Ce dernier avait-il la volonté de rendre le sujet public ? En pratique, les infractions ont perduré longtemps.

Mme Mathilde Bouchardon. - Nous avons eu des échanges, en août ou septembre 2022, au moment où nous avons reçu la demande de l'industriel. Le cabinet consommation avait déjà les éléments (absence de risque sanitaire, enquêtes en cours, rapport de l'Igas, etc.).

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le cabinet consommation était donc au courant avant vous.

Mme Mathilde Bouchardon. - Il me semble qu'une réunion interministérielle a été organisée en juillet 2022, avant mon arrivée, à laquelle le cabinet consommation a participé, de même que le directeur adjoint du cabinet industrie. Lorsque nous avons reçu la demande d'entretien, nous avons rebouclé les informations.

Il s'agissait effectivement d'un sujet très consommation. Nous avons continué à le suivre en raison du PSE. Tout s'est ensuite imbriqué. Nous avons informé le cabinet consommation des conclusions de la CID. Nous avons ensuite informé ensemble la DGCCRF.

Il y avait par ailleurs un article 40 en cours qui compliquait l'information des consommateurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un industriel étant venu vous faire part d'une fraude, vous auriez pu en informer le grand public.

Mme Mathilde Bouchardon. - Il y avait une enquête pénale en cours sur le sujet. In fine, les consommateurs auraient été mis au courant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des millions de mètres cubes d'eau ont été vendus illégalement et ont continué de l'être, alors que l'État en était informé. Il y a donc bien un sujet de loyauté de l'information donnée par l'État aux consommateurs. L'industriel ayant reconnu la fraude, il n'y avait pas de discussion sur ce point. La responsabilité pénale est une autre question. L'information était connue du Gouvernement dès 2021 et n'a été rendue publique par la presse qu'en 2024.

Mme Mathilde Bouchardon. - À mon arrivée au cabinet en juillet 2022, il y avait un article 40 en cours sur les pratiques frauduleuses de Nestlé Waters. Pour nous, il n'y avait pas lieu d'informer le public. Il y a ensuite eu un temps d'instruction du dossier. Le bleu de Matignon n'a ensuite pas demandé d'informer le consommateur, considérant qu'une microfiltration inférieure à 0,8 micron n'était pas incompatible avec l'appellation eau minérale naturelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre arrivée, les traitements illégaux sont toujours en place. Ils n'ont été retirés que postérieurement.

Mme Mathilde Bouchardon. - L'instruction technique du dossier a nécessité quelques semaines.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous participé ou assisté aux discussions ayant conduit au choix de ne pas rendre public le rapport de l'Igas ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Je n'ai pas souvenir de telles discussions. Tous les rapports de l'Igas ne sont pas nécessairement publics.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit d'une décision ministérielle.

Mme Mathilde Bouchardon. - Le rapport de l'Igas insistait sur la présence d'éléments relevant du secret des affaires et d'éléments constitutifs d'infractions pénales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il insistait également sur la nécessité d'une meilleure information du public. Or la décision a été prise de ne pas le rendre public.

Mme Mathilde Bouchardon. - Je n'ai pas souvenir que nous ayons fait une recommandation en ce sens. Ce rapport a ensuite été rendu public début 2024, sur recommandation du cabinet santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette publication est intervenue après les révélations de la presse.

Mme Mathilde Bouchardon. - Je n'ai pas souvenir de discussions antérieures au sujet de la publication de ce rapport.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 17 avril 2023, Nicolas Bouvier vous transmet un projet d'annonce proactive concernant un plan social lié à la fermeture de deux forages dans les Vosges.

Mme Mathilde Bouchardon. - Nestlé Waters nous a transmis la communication qu'il comptait faire à l'occasion de la fermeture de ces forages. Au vu de ses relations avec l'État, l'industriel a sans doute souhaité montrer que sa communication n'était pas mensongère et qu'il ne rejetait pas la faute sur l'État.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 15 mai 2023, l'industriel vous transmet ensuite l'annonce qui sera faite à son CSE, faisant état d'une suppression de 171 postes. Quelle avait été la teneur de vos discussions sur le sujet ?

Mme Mathilde Bouchardon. - L'industriel nous tenait au courant du nombre d'emplois supprimés, ayant évolué au fil du temps. Il était important pour nous de disposer de cette information, pour anticiper les impacts économiques et sociaux dans les territoires. Du reste, un autre conseiller du cabinet suivait plus précisément ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez pris la décision de demander la fermeture de ces forages.

Mme Mathilde Bouchardon. - Nous avons indiqué à Nestlé Waters, en février 2023, que ces forages devaient être fermés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avez-vous une trace ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Je dispose du compte rendu d'une réunion du 20 février 2023 avec Nestlé Waters. J'ai souvenir d'une position ferme, Nestlé Waters ne souhaitant pas transformer ces forages pour exporter de l'eau sur des marchés aux normes différentes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Telle était votre position vis-à-vis d'Hépar. Pourquoi, dans votre note du 16 février 2023, avoir préconisé de ne pas suspendre l'autorisation d'exploitation des sites vosgiens, à l'encontre des préconisations du 24 janvier 2023 du ministère de la santé ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Nous avons préconisé de suspendre ou de modifier l'autorisation d'exploitation pour la restreindre à la commercialisation vers des marchés ayant des exigences différentes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vérifierons ce point.

À la suite de la CID de février 2023, un PSE a été annoncé en mai 2023. Des révélations ont ensuite été faites dans la presse en janvier 2024. Au niveau de votre cabinet, comment a évolué ce dossier durant cette période ? Avez-vous continué à faire des points réguliers ?

Mme Mathilde Bouchardon. - À partir de février 2023, la mise en oeuvre des plans de transformation a été suivie au niveau local. Le cabinet industrie n'ayant pas de compétence en la matière, nous avons continué à suivre le dossier de loin, en laissant la main aux acteurs locaux. Nous avons relayé auprès de Nestlé Waters la demande du Préfet du Gard de disposer rapidement du plan de transformation concernant son territoire. Nous avons également échangé avec le Préfet des Vosges, sur l'impact potentiel sur son territoire. De février à avril 2023, nous nous sommes ainsi efforcés de maintenir la pression sur Nestlé Waters. Ensuite, nous avons laissé la main aux acteurs locaux, en bénéficiant ponctuellement de points d'étape de la part de l'industriel.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Vous n'avez donc pas fait de points réguliers avec les ARS.

Mme Mathilde Bouchardon. - Non. Le cabinet santé était en lien avec les ARS. J'ai souvenir d'un mail du cabinet santé du 7 juillet 2023 mentionnant la mise en oeuvre du plan de transformation à Vergèze.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 4 avril 2024, un échange entre Benoît Vallet, directeur général de l'Anses et Cédric Arcos, du cabinet de la Première ministre, évoque des éléments de langage élaborés par le cabinet du ministre de l'industrie pour répondre à l'agitation médiatique. Avez-vous proposé ces éléments de langage ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Nous avons préparé des éléments de langage avec ma directrice de cabinet. L'objectif était de clarifier les éléments communicables au grand public, au regard des enquêtes en cours. Il s'agissait également de rassurer par rapport aux enjeux de sécurité sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans les éléments mentionnés par Cédric Arcos, le rapport de l'Anses est qualifié de simple courrier au DGS rappelant que certaines sources sont sujettes à des contaminations saisonnières et soulignant la nécessité de contrôles réguliers par les ARS. Benoît Vallet a précisé que l'Anses avait bien transféré au DGS un véritable rapport, rappelant sa position constante. Pourquoi avoir tenté de minorer la portée du rapport de l'Anses ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Je pense qu'il s'agit d'une incompréhension entre les deux interlocuteurs. Cédric Arcos a peut-être mentionné un courrier adressé à l'automne 2023, présentant le guide méthodologique élaboré par l'Anses pour accompagner les ARS dans leurs contrôles. Il y a peut-être eu une confusion liée à l'appellation « courrier ». Je ne pense pas qu'il y ait eu une volonté de minimiser la portée des avis de l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avant votre départ du cabinet industrie le 30 mai 2024, avez-vous participé aux réflexions sur le protocole DGAL-DGCCRF-DGS ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Non. J'ai simplement été informée d'un audit en cours. Ce protocole me semble davantage relever des compétences du ministère de la santé.

M. Khalifé Khalifé. - La microfiltration à 0,2 micron ne semble pas très répandue. Or vous avez évoqué des arrêtés préfectoraux l'autorisant.

Mme Mathilde Bouchardon. - Il existe quelques arrêtés préfectoraux l'autorisant, sans que cette pratique soit extrêmement répandue.

M. Khalifé Khalifé. - S'agissant d'un dossier relevant du domaine de l'agroalimentaire, au-delà des ARS, les services vétérinaires auraient-ils selon vous dû être impliqués ?

Mme Mathilde Bouchardon. - Je n'ai pas d'avis sur la question. J'ignore si le sujet a été abordé dans le cadre de l'audit de la Commission européenne.

M. Olivier Jacquin. - L'absence de risque sanitaire a pu vous amener à considérer qu'il ne s'agissait pas d'une affaire conséquente. Cependant, la fraude était conséquente. Or, dans vos propos, à aucun moment je n'ai senti une forme de regret ou de questionnement quant au traitement de cette fraude. Vous semblez avoir estimé qu'elle ne devait pas être suivie de sanctions.

Mme Mathilde Bouchardon. - Bien au contraire, cette fraude extrêmement importante et intolérable nous a profondément choqués. Cependant, dès lors qu'il y avait une enquête pénale en cours, nous nous sommes concentrés sur le sujet de la microfiltration et de l'appellation eau minérale naturelle.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Merci pour vos réponses. Vous nous transmettrez également les informations et documents montrant l'implication de votre ministère et du cabinet consommation dans ce dossier.

Audition de M. Guillaume du Chaffaut,
ancien directeur de cabinet adjoint du ministre de la santé
(Mme Brigitte Bourguignon, MM. François Braun et Aurélien Rousseau)
(Mardi 11 mars 2025)

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Monsieur Guillaume du Chaffaut, directeur de cabinet adjoint de plusieurs ministres successifs de la santé et de la prévention, à savoir Brigitte Bourguignon, de mai à juillet 2022, François Braun de juillet 2022 à juillet 2023 et Aurélien Rousseau de juillet 2023 à janvier 2024. Directeur d'hôpital de formation, vous êtes depuis février dernier directeur du groupe hospitalo-universitaire (GHU) de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) Nord.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guillaume du Chaffaut prête serment.

Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, tel que le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours ; cette audition a pour objet d'éclairer la façon dont les différents ministères ont géré les développements de l'affaire Nestlé Waters, notamment entre le mois de mai 2022 et celui de janvier 2024, pour la période qui vous concerne.

Pourquoi le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) rendu en juillet 2022 n'a-t-il été publié qu'en janvier 2024 ? Quelles suites lui avez-vous données ?

Avez-vous eu des échanges directs et/ou indirects avec le groupe Nestlé Waters, notamment avec sa présidente ? Si oui, à quelle date et qu'elle en a été la teneur ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs et dénote une certaine bienveillance des autorités à l'égard de l'industriel Nestlé ?

M. Guillaume du Chaffaut, ancien directeur de cabinet adjoint du ministre de la santé (Mme Brigitte Bourguignon, MM. François Braun et Aurélien Rousseau). - J'ai l'honneur de me présenter aujourd'hui devant la commission d'enquête que vous avez constituée à propos des pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Vous avez souhaité m'entendre au titre de mes anciennes fonctions de directeur de cabinet adjoint de trois ministres de la santé et de la prévention : Madame Bourguignon, Monsieur Braun, puis Monsieur Rousseau. Comme vous l'avez compris, je n'exerce plus ces fonctions. Après avoir été directeur général de l'Établissement français du sang (EFS) au cours de l'année 2024, j'ai retrouvé des fonctions de directeur d'hôpital et dirige, depuis le 24 février dernier, le groupe hospitalo-universitaire Nord de l'AP-HP. C'est un retour à mon métier d'origine, que j'ai exercé au sein de trois centres hospitaliers universitaires (CHU), à Amiens, à Montpellier et à Lyon.

Au cours de mes fonctions de directeur de cabinet adjoint, je n'ai eu à connaître du dossier des eaux minérales en bouteille qu'à deux reprises : au tout début de ma prise de fonction, en juillet 2022, lorsque la directrice générale de l'Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est m'a informé des résultats d'une inspection menée par ses équipes, concomitamment à celles de l'Igas ; en février 2023, lorsque ma collègue directrice de cabinet de Madame Agnès Firmin Le Bodo m'a informé des conclusions des réunions interministérielles à ce sujet. Ces conclusions ont été formalisées dans une concertation interministérielle dématérialisée, comme l'on dit, puis par le « bleu » de Matignon, évoqué à plusieurs reprises au cours de vos auditions.

Entre ces deux moments, le dossier a été suivi au ministère de la santé par le cabinet de la ministre déléguée, Madame Agnès Firmin Le Bodo. Dès leur nomination en juillet 2022, compte tenu du nombre important de dossiers en cours dans un contexte encore marqué par la fin de la crise sanitaire, les ministres avaient souhaité se répartir le suivi des dossiers. La santé environnementale, incluant la qualité des eaux, a été confiée dès l'été 2022 au cabinet de Madame Firmin Le Bodo, géographiquement voisin du mien dans les couloirs du ministère, sous la responsabilité de sa directrice de cabinet, Madame Isabelle Épaillard, et d'un conseiller de son équipe, et ce tout au long de mon passage au ministère de la santé.

Néanmoins, j'ai eu connaissance de ce dossier dès juillet 2022 et je souhaite revenir sur mon action dans ce cadre. Le mercredi 6 juillet 2022, soit deux jours après la prise de fonction du ministre François Braun, Madame Virginie Cayré, alors directrice générale de l'ARS Grand Est, me transmet une note synthétisant les conclusions des visites d'inspection menées par ses équipes dans le cadre des actions coordonnées par l'Igas auprès des industriels de l'eau en bouteille. C'est ainsi que j'ai découvert ce sujet, la mission confiée à l'Igas par les ministres de la santé, de l'économie et des finances et de l'industrie et la mobilisation des ARS.

Je venais alors de prendre mes fonctions de directeur de cabinet adjoint au ministère. Directeur d'hôpital de formation, arrivé directement des Hospices civils de Lyon, je découvrais le fonctionnement du ministère dans un contexte marqué par la sortie progressive de la crise Covid, la diffusion de l'épidémie de variole du singe et la grande crise des urgences hospitalières de l'été 2022. Le cabinet était encore en cours de constitution - nous n'étions que six ou sept - et l'administration, mobilisée sur tous les fronts, était relativement épuisée. Du reste, je tiens à leur rendre hommage, comme l'a fait le professeur Salomon devant vous. À titre personnel, c'est alors la première fois que j'ai à me pencher sur un dossier relatif à la qualité des eaux.

Le dossier qui m'a été transmis m'a semblé très clair, tant sur les écarts à la réglementation que sur les suites à donner aux contrôles proposés par la directrice générale de l'ARS. J'ai été notamment rassuré par la note qui précisait qu'« aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'est identifié à ce stade. La mise en place des traitements renforce même la sécurité sanitaire de l'eau embouteillée ». Au paragraphe suivant, la note confirme toutefois que « l'appellation eau minérale naturelle n'aurait pas été accordée si les traitements hors liste autorisée avaient été connus de l'État. » J'ai alors compris qu'il s'agissait d'un problème de tromperie du consommateur et non de sécurité sanitaire. J'ai donc signalé la sensibilité du sujet à la directrice de cabinet et ai indiqué à Madame Cayré ma disponibilité pour en discuter de vive voix. Mon intention était de bien comprendre les tenants et les aboutissants du dossier, l'action de l'ARS et les actions attendues de la part du cabinet.

Le 13 juillet 2022, Jérôme Salomon, alors directeur général de la santé, m'adresse, ainsi qu'à Carole Bousquet-Berard, directrice de cabinet, un courriel résumant la présentation faite par l'Igas à la direction générale de la santé (DGS) des conclusions de son travail. Ce courriel confirme l'ampleur du sujet, qui est avant tout un problème de tromperie du consommateur, justifiant que la présentation soit faite devant la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et le service national d'enquête (SNE). Les préconisations de l'Igas sont également présentées et semblent validées par le DGS.

Le 21 juillet 2022, je participe à une réunion avec le cabinet de la Première ministre sur ce sujet, probablement par conférence téléphonique pour des raisons d'agenda, mais je n'ai pas un souvenir très précis de cet échange téléphonique. Lors de cet échange, je comprends que les membres du cabinet de la Première ministre, récemment nommés également, souhaitent s'informer sur le dossier Nestlé Waters. Le contexte revêt une sensibilité particulière, car la Première ministre devait se déplacer dans les Vosges ; or, compte tenu de la place de cette industrie dans le département, le sujet pouvait être évoqué. J'ai partagé les informations dont je disposais, notamment l'existence d'un rapport Igas en cours de finalisation - je n'en disposais donc pas encore -, l'inspection conduite par l'ARS Grand Est, les infractions relevées - d'ailleurs reconnues par Nestlé - et la volonté de l'Agence de signaler les faits au procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale et de mettre en oeuvre un plan d'action en vue du retour au respect de la réglementation. Cette réunion est rapide, me semble-t-il, mais je n'en ai que des souvenirs partiels. Deux jours plus tard, le 23 juillet, j'indique à Madame Cayré dans un courriel qu'il m'est demandé de formaliser le plan d'action et le calendrier ; je lui précise également qu'il n'y a aucun obstacle au lancement de la saisine du procureur de la République au titre de l'article 40, en écrivant : « Aucun souci pour le lancement de l'article 40 dès lundi. »

À la suite des auditions réalisées par votre commission, j'ai cherché et trouvé dans mes archives le message adressé le 29 juillet par Charles Touboul, alors directeur des affaires juridiques des ministères sociaux à la DGS et à la direction de l'ARS Grand Est à propos de l'article 40. Je ne m'en souvenais plus, mais j'ai pu constater que je faisais également partie des destinataires. Ce message faisait suite à un échange bilatéral que j'ai eu avec Monsieur Touboul à propos de l'article 40, dans lequel il m'a demandé, après que Virginie Cayré l'avait informé de mon accord pour recourir à l'article 40, s'il devait communiquer ses interrogations sur l'opportunité d'une telle procédure, considérant que l'administration de la santé n'était pas la plus à même de procéder à ce signalement au procureur de la République, car elle n'était pas la plus proche du dossier.

En effet, comme cela a été évoqué précédemment, l'affaire était liée non pas à un problème sanitaire, mais à un sujet de consommation, en tout cas selon lui et selon la présentation qui nous en avait été faite jusqu'à présent. N'étant pour ma part ni un spécialiste des eaux en bouteille ni du droit des ministères sociaux, je l'ai invité à partager sa position largement dans cette boucle de messages, ce qu'il fait dans ce courriel du 29 juillet. Après vérification, j'ai constaté que je n'ai pas répondu à ce message, sans doute parce que ma position avait été déjà clairement exprimée quelques jours auparavant auprès de la directrice générale de l'ARS et parce que je savais que la directrice des affaires juridiques de l'ARS avait déjà saisi le procureur de la République d'Épinal, comme c'est indiqué dans le message de saisine.

Voilà ce qu'il en est de mon implication personnelle dans ce dossier à ce moment-là.

Le 24 août 2022, un conseiller de mon équipe, Monsieur Charles-Emmanuel Barthélemy, m'informe avoir reçu des représentants de Nestlé Waters, sans avoir connu au préalable l'objet de leur sollicitation - nous étions dans la période d'installation du cabinet, nous recevions beaucoup de demandes de rendez-vous. Selon son résumé, les représentants de Nestlé Waters cherchaient à savoir où en était le rapport de l'Igas. Je précise que je n'ai pour ma part jamais rencontré de représentants de Nestlé Waters, à aucun niveau.

Le 3 septembre 2022, Monsieur Cédric Arcos, conseiller santé de la Première ministre, m'indique qu'il souhaite recevoir les représentants de Nestlé Waters et demande des éléments d'actualité sur les suites du rapport de l'Igas. Conformément à la répartition des dossiers, c'est le cabinet de la ministre déléguée qui prend le relais. Sauf erreur de ma part, je n'en entends plus parler pendant plusieurs mois.

En début d'année 2023, Madame Épaillard présente les résultats du travail interministériel, notamment à la suite de la réunion du 16 février 2023. La position du ministère, validée sans modification par Madame Bousquet-Bérard, est adressée en interministériel le 23 février. Le cabinet du ministre de l'industrie donne son accord et un bleu est diffusé par Matignon le vendredi 24 février.

Je ne crois pas être intervenu davantage sur ce dossier avant mon départ du ministère de la santé le 20 décembre 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir fouillé vos archives pour nous répondre le plus précisément possible.

Lors de l'audition précédente, Madame Bouchardon nous a dit - cela nous a surpris - que les cabinets du ministère de la santé et du ministère de l'industrie étaient, à l'été 2022 - vous y étiez donc -, alignés sur la solution de filtres à 0,2 micron. Confirmez-vous un tel alignement avec le ministère de l'industrie, qui diffère de la position de la direction générale de la santé ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Je ne peux répondre qu'à titre personnel et non à la place des autres membres des deux cabinets du ministère de la santé.

Dans mes souvenirs, je n'ai aucunement eu à répondre à ce type de question sur un tel sujet ; d'ailleurs, je n'ai jamais pris une position différente de celle de la DGS.

À titre personnel, donc, je ne pense pas qu'au sein du cabinet Braun nous ayons exprimé cette position.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je précise que les deux cabinets auxquels vous faites référence sont ceux de Monsieur Braun et de Madame Firmin Le Bodo. Vous dites « à titre personnel », mais vous exprimiez la position du cabinet...

M. Guillaume du Chaffaut. - Oui, c'est en ma qualité de directeur adjoint de cabinet que j'ai répondu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos échanges avec les membres du cabinet de Madame Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès de Monsieur Braun, je le rappelle, vous ont-ils laissé penser qu'ils ont pris une position distincte et disjointe de celle du directeur général de la santé ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Je ne dispose d'aucun élément qui me permette de l'affirmer.

J'ai résumé, en étant le plus transparent possible, toutes les positions que j'ai prises sur cette question. Nous étions au tout début de l'affaire. Je n'ai pas eu connaissance de questions aussi techniques que celles qui ont porté sur le niveau de filtration, sur les recommandations à suivre, sur les réglementations à changer ; elles ont été traitées, non pas à l'été 2022, mais plus tard, comme je l'ai appris lors de vos auditions ou lorsque Madame Épaillard m'a présenté la conclusion des travaux.

À aucun moment, me semble-t-il - et j'ai mobilisé ma mémoire comme mes archives électroniques -, je ne me suis exprimé sur la question de l'alignement de positions entre les cabinets, encore moins pour en défendre une qui soit différente de celle de la DGS. Faute d'être spécialiste du sujet, je suis les avis des experts.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans les prochains jours, nous auditionnerons un ancien membre du cabinet de Madame Firmin Le Bodo. Une divergence d'appréciation entre les cabinets pourrait signifier un problème dans la construction de la décision publique...

M. Guillaume du Chaffaut. - Voilà, en tout cas, les décisions que j'ai prises.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le rapport de l'Igas Les Eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle a été remis en juillet 2022. Je rappelle qu'il a été diligenté en novembre 2021 après que Nestlé Waters a déclaré à la ministre de l'industrie, en août 2021, qu'il recourait à des traitements non autorisés. Or le rapport n'a été rendu public qu'en janvier 2024, après les révélations de la presse.

Comment expliquez-vous de tels délais de publication ? Quel cabinet - ou ministre - a pris la décision de ne pas publier en juillet 2022 ? Avez-vous participé à des réunions où cette décision a été discutée ? Pourquoi l'avoir publié en janvier 2024, même si nous avons l'intuition que les révélations de la presse ont pu aider ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Je ne crois pas avoir disposé du rapport de l'Igas au mois de juillet 2022. En revanche, j'ai disposé de deux éléments. [Ce propos a été rectifié spontanément par l'auteur par courriel du même jour, 23h41 : « Je souhaite également corriger un point évoqué au cours de mon audition : après nouvelle vérification dans mes courriers électroniques, j'ai constaté que l'Igas m'a bien transmis le rapport d'inspection le 20 juillet 2022 (voir message en PJ). C'est donc à tort que j'ai affirmé tout à l'heure que je ne disposais pas de ce rapport lors des divers échanges que j'ai évoqués à la fin du mois de juillet 2022 (et en particulier lorsque j'ai explicitement donné mon accord pour l'article 40 à Mme Cayré le 23 juillet). Je vous prie de bien vouloir excuser cette approximation, que je tenais à corriger compte tenu de la déclaration sous serment. »]

Le premier est une note de Madame Cayré, directrice de l'ARS Grand Est, qui explique les actions conduites par les inspecteurs de l'ARS, sous l'égide, si je puis dire, de l'Igas ; c'est elle, d'ailleurs, qui m'informe à ce moment-là de l'existence d'une telle mission.

Le second est la communication, dans un courriel du 13 janvier 2022, par le professeur Salomon de la présentation orale des travaux de l'Igas aux différentes administrations, à savoir la DGS, la DGCCRF et le service national d'enquêtes (SNE). Je précise que ce courriel relate une réunion au cours de laquelle les inspecteurs de l'Igas ont présenté les conclusions de leurs travaux ; il ne contient pas le rapport.

À ma connaissance, donc, je ne dispose pas du rapport à cette date ; je ne prends a fortiori pas la décision de le publier ou non. Par la suite, le dossier est traité par le cabinet de Madame Firmin Le Bodo. Aussi, le cabinet du ministre Braun n'a jamais eu à se prononcer sur la publication ou non de ce rapport.

Il est fréquent que les rapports ne soient pas publiés immédiatement : certaines fois, ils ne sont pas publiés du tout, lorsqu'il s'agit d'aider le Gouvernement à prendre une décision ; d'autres fois, ils sont publiés de façon décalée dans le temps, parce que certaines informations, sensibles, doivent rester confidentielles au titre du secret des affaires ou du secret médical. Je parle non pas de la publication de ce rapport en particulier, mais de la publication des rapports en général.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Connaissez-vous des rapports étayant une fraude massive aux consommateurs qui n'aient pas été publiés ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Non, je n'en connais qu'un seul, celui dont nous parlons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment jugez-vous cette décision de ne pas publier le rapport ? Selon vous, à qui revenait la décision de le publier ou non, si ce n'est aux ministres de la santé et de l'économie qui ont commandé ce rapport ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Je ne peux guère me prononcer sur ce rapport en particulier, mais, en général, les rapports sont remis aux commanditaires, puis leur publication fait l'objet d'une décision collective des cabinets. Il est rare que les ministres aient le temps de se prononcer sur ce genre de questions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'héritier naturel du cabinet d'Olivier Véran était-il le cabinet de François Braun ou celui d'Agnès Firmin Le Bodo ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Les deux ministres travaillaient ensemble ; la ministre déléguée était placée sous l'autorité de Monsieur François Braun.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, mais vous dites que vous n'avez pas reçu le rapport de l'Igas...

M. Guillaume du Chaffaut. - Il serait trop facile de renvoyer la responsabilité aux voisins, mais, en l'occurrence, les héritiers naturels du cabinet de Monsieur Véran étaient à la fois le cabinet de Monsieur Braun et celui de Madame Firmin Le Bodo.

Parmi les nombreux sujets qui ont été répartis entre les deux ministres, celui qui vous occupe a été confié à la ministre déléguée et à son équipe. La communication de la version définitive du rapport et les échanges, y compris interministériels, sont passés par cet intermédiaire. Madame Épaillard nous les a rapportés à la fin, puisqu'il a fallu décider d'une position interministérielle ; nous nous voyions tous les jours, c'est ainsi que le lien a pu se faire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous prenons acte que ni votre cabinet ni votre ministre, Monsieur Braun, n'ont eu à se prononcer.

M. Guillaume du Chaffaut. - Ne pas publier tout de suite un rapport n'est pas une décision atypique. En l'espèce, ce sont les préconisations d'action de l'Inspection qui sont importantes ; or, selon ce qui m'a été rapporté, la DGS, comme la directrice générale de l'ARS, était alignée avec les préconisations. Certaines peuvent être prises immédiatement, d'autres plus tardivement - les évolutions réglementaires, par exemple, prennent du temps, a fortiori dans le cadre européen. Peut-être les préconisations n'ont-elles pas été mises en oeuvre assez rapidement, mais c'est un autre sujet. De la lecture des éléments - la note et le courriel de Monsieur Salomon -, je retiens que tout le monde était d'accord avec les préconisations de l'Igas et qu'il s'agissait de chercher à les mettre en oeuvre au sein de l'administration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je conçois qu'il peut être d'usage de ne pas publier certains rapports, mais décider de ne pas publier un rapport qui constate une fraude massive l'est sans doute moins, surtout qu'à cette décision s'ajoute - et c'est troublant - celle de ne pas recourir à l'article 40 du code de procédure pénale. Ainsi, de nombreuses années durant, des informations ont été écartées ; or le consommateur avait bien le droit de savoir qu'il ne buvait plus une eau minérale naturelle.

M. Guillaume du Chaffaut. - Vous avez raison. Pour ma part, j'ai explicitement donné mon accord pour l'article 40.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Cayré dit : « Feu vert ».

M. Guillaume du Chaffaut. - Effectivement. Quant à moi, j'ai écrit, en juillet 2022 : « Aucun souci pour le faire dès lundi. » Je n'ai rien retenu ; d'ailleurs, j'en ai informé le cabinet de la Première ministre lors de la réunion téléphonique que j'ai évoquée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous dites que vous n'avez eu aucune relation - ni liens, ni rencontres, ni coups de téléphone - avec Nestlé Waters. En avez-vous eu avec le lobbyiste Nicolas Bouvier ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous alors expliciter le courriel de Monsieur Victor Blonde, conseiller consommation et concurrence de la Première ministre, Élisabeth Borne, dans lequel il vous dit avoir vu la PDG de Nestlé Waters et comprendre qu'ils ont sollicité un rendez-vous auprès de vous. Il vous demande de les voir avant la fin du mois, car les conclusions du rapport de l'Igas et ses suites auront un impact potentiellement important sur la restructuration qu'ils envisagent d'annoncer à la rentrée.

M. Guillaume du Chaffaut. - Pourriez-vous m'indiquer la date du courriel, s'il vous plaît, monsieur le rapporteur ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le courriel date du 5 août 2022.

M. Guillaume du Chaffaut. - Je le répète : je n'ai jamais vu, eu de conversation téléphonique, organisé de réunion ou échangé de messages personnels avec ces personnes. En revanche, un membre de mon équipe les a reçus le 24 août 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui est-ce ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Monsieur Charles-Emmanuel Barthélemy.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un compte rendu de la réunion a-t-il été établi ?

M. Guillaume du Chaffaut. - C'est l'objet du courriel que Monsieur Barthélemy m'a adressé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'est pas dans notre dossier ; nous souhaitons disposer d'une version de ce mail, je vous prie, ainsi que de la fiche de poste de Monsieur Barthélemy, qui justifie qu'il ait reçu ces personnes.

M. Guillaume du Chaffaut. - L'intitulé du poste de Monsieur Barthélemy était « conseiller chargé des produits de santé », me semble-t-il.

Le message a dû être adressé au secrétariat de la direction du cabinet. Nous étions encore au tout début de l'installation du cabinet - l'équipe n'était pas au complet, le périmètre de chaque conseiller était en train d'être calé -, une période où le secrétariat répartissait les demandes de rendez-vous - nombreuses, en cette période de prise de fonction du ministre. J'en déduis, faute de disposer de traces écrites, que c'est ainsi que Monsieur Barthélemy se trouve à faire ce rendez-vous. D'ailleurs il m'écrit : « ci-dessous un CR de ma réunion avec Nestlé Waters, sur laquelle je plaide coupable, j'aurais dû creuser le sujet avant d'aller au rendez-vous. Je pensais que c'était un simple échange de contact, mais c'était intéressant. » - et il conclut par un smiley.

Ainsi, il découvre le sujet au cours de cette rencontre : les filtrations mises en oeuvre, les actions en cours pour y remédier. Il m'écrit : « Ils disent que, sans le rapport Igas, ils ne peuvent pas avancer, Guillaume, sais-tu où c'en est ? ». Il ne les a vus qu'une fois, à cette occasion, où il a découvert le sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui vous a envoyé le rapport Igas ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Je ne crois pas l'avoir reçu ; en tout cas, je ne l'ai pas retrouvé. En revanche, Monsieur Salomon m'a adressé un courriel le 13 juillet pour me relater la rencontre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne l'avez jamais eu entre les mains ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Je ne m'en souviens pas ; en tout cas, à ce moment-là, je ne crois pas l'avoir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans son mail du 5 août, Victor Blonde écrit avoir dit à Nestlé qu'« ils n'avaient pas du tout été transparents sur tous les sujets [...] durant ces derniers mois et que ce n'était pas acceptable, et que si les suites du rapport Igas les amenaient à alourdir la barque de la restructuration, il était absolument nécessaire qu'ils fassent bien, en com' - en communication -, la distinction entre les deux (pour éviter qu'ils fassent porter sur ce problème leurs difficultés plus structurelles et leurs choix de réorganisation) ». Avez-vous des éléments à porter à la connaissance de la commission d'enquête sur la manière dont Nestlé a mêlé les sujets ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Je ne les ai jamais vus, j'en suis donc incapable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Même à partir des comptes rendus qui ont été mis à votre disposition ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Je ne crois pas. L'idée de ce message, si je comprends bien, est de ne pas faire porter sur l'Igas la responsabilité des licenciements ou des difficultés structurelles, qui préexistaient à ce rapport. Cela dit, il s'agit d'une simple déduction ; je ne dispose pas d'éléments permettant d'accréditer telle ou telle position.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comme le sujet sera ensuite traité par le cabinet de Madame Firmin Le Bodo, vous ne donnez aucune suite à l'ensemble des éléments que vous avez présenté, n'est-ce pas ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Absolument.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment la répartition des dossiers entre cabinets s'est-elle faite ? A-t-elle été décidée avant ou après votre arrivée, notamment sur ce dossier précis ?

M. Guillaume du Chaffaut. - J'ai pris mes fonctions auprès de Madame Bourguignon, laquelle n'est restée ministre de la santé que quelques semaines. J'ai été présent au moment du remaniement, lorsque Monsieur Braun et Madame Firmin Le Bodo ont été nommés. Monsieur Braun m'a demandé de poursuivre dans mes fonctions de directeur de cabinet adjoint.

Ils sont convenus qu'il fallait tracer une ligne de partage entre leurs sujets. Une liste de sujets confiés en propre à Madame Firmin Le Bodo a circulé et s'est étoffée au cours de l'été, comprenant par exemple le sport-santé ou la santé environnementale. Or justement les questions relatives à la qualité des eaux étaient traitées par la sous-direction de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation au sein de la direction générale de la santé ; aussi, ces sujets ont été confiés à Madame Firmin Le Bodo et à son équipe. Le partage a dû être officialisé à la fin de la période estivale, au début du mois de septembre. C'est pour cela que j'ai commencé à traiter le sujet, mais lorsque Monsieur Arcos me sollicite le 3 septembre, c'est Madame Épaillard qui a pris le relais et traite le dossier avec lui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'avais prévu d'autres questions, mais je découvre que vous vous êtes très rapidement déporté du dossier ; je m'en tiendrai donc à deux questions finales.

Tout d'abord, avez-vous d'autres éléments à partager avec la commission d'enquête sur la manière dont l'affaire a été traitée ? Passant de cabinet en cabinet, vous avez dû en voir des vertes et des pas mûres...

M. Guillaume du Chaffaut- Il n'est pas aisé de prendre du recul sur ce que l'on fait pendant que l'on est en fonction. En reconstituant les éléments de ce dossier et en écoutant certaines auditions de votre commission d'enquête, je n'ai pu qu'éprouver une certaine frustration en constatant que l'on n'a pas avancé plus vite à certains moments. S'il fallait en tirer un enseignement, ce serait que certaines actions auraient pu s'enchaîner plus rapidement.

Cela dit, du point de vue du ministère de la santé, ce dossier, à ce moment-là, ne représentait pas un risque sanitaire immédiat, contrairement à d'autres, que nous étions en train de gérer : les épidémies successives de Covid et de variole du singe, les urgences qui craquaient... Lorsque j'ai eu connaissance de ce dossier, j'en ai perçu la sensibilité, bien sûr, mais je ne l'ai pas vu comme posant un risque sanitaire immédiat au regard d'autres risques.

Par ailleurs, alors que l'on connaît les préconisations, les évolutions réglementaires prennent du temps, notamment à l'échelle européenne. On peut toujours souhaiter que les choses aillent plus vite ; d'ailleurs, si d'un coup de baguette magique je pouvais remonter dans le temps, c'est sur ce dossier que je reviendrais, pour ne pas avoir de regret. Pour autant, en ce qui concerne mon action, notamment la saisine de l'autorité judiciaire, nous avons fait au mieux dans le contexte qui était le nôtre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Contrairement à ce qui s'est passé avec l'ARS Grand Est, en Occitanie, il a fallu attendre le début de cette année pour que les agissements de l'industriel fassent l'objet de poursuites judiciaires. Lorsque vous étiez en fonction, vous êtes-vous demandé s'il fallait discuter avec l'ARS Occitanie d'un éventuel recours à l'article 40 sur cette question ?

M. Guillaume du Chaffaut. - Je me suis posé la question a posteriori, en reprenant mes notes : pourquoi à cette époque n'ai-je parlé qu'avec l'ARS Grand Est ? Je me suis rendu compte que je ne savais pas qu'il y avait un sujet dans les autres régions. Comme c'est Virginie Cayré, la directrice générale de l'ARS Grand Est qui m'a saisi sur le recours à l'article 40 et qui m'a informé de la mission d'inspection, j'ai pensé qu'il s'agissait d'un sujet propre à la région Grand Est. Ce n'est qu'en relisant le compte rendu du 24 août de mon conseiller que j'ai vu qu'il était fait mention de Vergèze, la source de Perrier dans le Gard : entre juillet et août 2022, nous n'en avons pas parlé, me semble-t-il - c'était passé sous les radars, et c'est à tort, manifestement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie de votre franchise.

M. Guillaume du Chaffaut. - Je suis transparent : je ne crois pas avoir su à l'époque qu'il y avait des sujets dans d'autres régions. Cela dit, si j'avais posé la question, on me l'aurait dit, c'est évident, mais je ne crois pas l'avoir posée...

Mme Anne Ventalon, présidente. - Je vous remercie à nouveau ; je vous prie de nous faire part du courriel et de la fiche de poste de Monsieur Barthélemy.

Audition de M. François Rosenfeld, ancien directeur de cabinet
de la ministre déléguée chargée de l'industrie
(Mme Agnès Pannier-Runacher)
(Mercredi 12 mars 2025)

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux, avec l'audition de François Rosenfeld, directeur de cabinet de la ministre chargée de l'industrie d'octobre 2020 à mai 2022.

Monsieur Rosenfeld, avant de vous céder la parole, je suis tenue de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Rosenfeld prête serment.

Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Pour rappel, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de sources. Notre commission d'enquête a été constituée le 20 novembre 2024 pour faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur la façon dont ont été gérés par les différents ministères les développements de l'affaire Nestlé Waters, plus particulièrement entre août 2021 et mai 2022 en ce qui vous concerne.

Pourriez-vous revenir en détail sur le rendez-vous du 31 août 2021 au cours duquel Nestlé Waters vient vous informer de son recours à des traitements frauduleux de ses eaux minérales ?

Quelles actions prenez-vous à l'issue de cette réunion ? Pourquoi ne pas procéder à une saisine de la Justice au titre de l'article 40 ?

Comment a été prise la décision de confier une mission à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

M. François Rosenfeld, directeur de cabinet de la ministre chargée de l'industrie d'octobre 2020 à mai 2022. - Je commencerai par un exposé chronologique pour répondre à votre première question concernant le rendez-vous du 31 août 2021.

Ce dossier est arrivé à la fin du mois d'août 2021, pendant la période de congés de la ministre et de moi-même. Le groupe Nestlé a contacté le secrétariat de la ministre pour demander un rendez-vous. Comme il est d'usage, cette demande a été transmise à la conseillère en charge des sujets agroalimentaires et à moi-même. En l'absence d'ordre du jour détaillé, nous pensions qu'il allait s'agir d'une simple réunion de prise de contact, car l'une des personnes devant être présentes avait récemment pris ses fonctions. Le groupe Nestlé avait néanmoins précisé qu'il serait intéressant que participent à ce rendez-vous des représentants de la direction générale des entreprises (DGE) et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Au final, seul un représentant de la DGCCRF a participé à cette réunion.

Le 31 août 2021, nous avons donc reçus trois représentants du groupe Nestlé : Monsieur Teulié, Madame Liénau (responsable de l'activité eau), ainsi qu'un troisième représentant dont je ne suis plus certain du nom (peut-être s'agissait-il de Monsieur Cornu). J'ai retrouvé mes notes de l'époque, qui sont assez succinctes. Ils nous ont expliqué, visiblement gênés, qu'ils avaient découvert des incohérences lors de contrôles sur certains sites de production d'eau. Ils ont indiqué que ces incohérences n'entraînaient aucun problème de sûreté alimentaire ni aucun problème de contenu en minéraux par rapport à l'affichage. Ils ont expliqué que certaines barrières de protection posaient des questions de conformité avec la directive sur les eaux minérales et qu'ils avaient lancé un plan de conformité depuis le début de l'année 2021 visant à retirer ces barrières de sécurité potentiellement assimilables à des moyens de désinfection. Ce plan exigeait de maintenir de la microfiltration, par ailleurs pratiquée en Angleterre et en Espagne. Ils souhaitaient discuter de ce sujet au niveau de l'industrie du marché des eaux minérales et le mettre à l'agenda européen pour éviter les distorsions entre pays.

Ils ont insisté sur l'absence de problème sanitaire dans leurs établissements de production d'eau et sur le fait que les traitements utilisés n'avaient pas d'incidence sur la loyauté de leurs pratiques vis-à-vis des consommateurs.

Ils ont conclu en demandant notre appui pour coordonner la réponse nationale à cette situation, évoquant un besoin de collaboration avec les autorités publiques (préfectures et agences régionales de santé-ARS) et mettant en exergue des arrêtés préfectoraux faisant apparaître des différences d'interprétation.

Ils nous ont ainsi sollicités par rapport à un manque de clarté de la directive européenne et à un manque de cohérence dans l'interprétation des textes par les autorités locales (préfets et ARS).

À l'issue de la réunion, nous avons immédiatement fait le point avec le représentant de la DGCCRF présent. Nous étions tous surpris par ces révélations. Le représentant de la DGCCRF, n'étant pas spécialiste du sujet des eaux, n'était pas immédiatement en mesure d'évaluer la gravité de la situation. Nous lui avons demandé de remonter l'information à sa hiérarchie pour obtenir une analyse et un premier retour sur le cadre réglementaire applicable à cette situation.

Nous comprenions aussi que ce sujet était à l'intersection des compétences du ministère de la santé et de la DGCCRF. Nous avons donc lancé des contacts avec le ministère de la santé, compétent vis-à-vis des sujets de sécurité sanitaire.

Nous avons également identifié la volonté de transparence de l'industriel comme n'étant pas tout à fait anodine. Le représentant de la DGCCRF nous a indiqué qu'il n'était pas impossible que cette demande de rendez-vous soit liée à une enquête déjà en cours. Nous avons sollicité un éclairage sur ce point.

J'ai adressé, le lendemain, un rapide compte rendu du cette réunion à la ministre chargée de l'industrie.

Quinze jours plus tard, une réunion régulière était prévue entre la ministre et la directrice de la DGCCRF pour faire le point sur les sujets de concurrence et de répression des fraudes ayant un impact sur l'industrie (Made in France, négociations commerciales entre industriels de l'agroalimentaire et agriculteurs, etc.). La veille, une fiche a été remontée par la DGCCRF, Madame Virginie Beaumeunier, à la conseillère du cabinet en charge de ces sujets, faisant le point sur le cadre règlementaire applicable aux eaux en bouteille (avec les contraintes s'appliquant à chaque catégorie d'eau) et concluant que, sur ce sujet, il était nécessaire de définir les suites à donner avec le ministère de la santé (chef de file sur le sujet du traitement des eaux). La DGCCRF a également souligné qu'il existait probablement, dans ce dossier, une problématique de loyauté vis-à-vis du consommateur.

Je n'ai pas participé à cette réunion, ce qui était fréquent au vu de la répartition des tâches au sein du cabinet. Je ne saurais donc vous renseigner sur son contenu.

Des échanges ont ensuite eu lieu entre les services du ministère de la santé et de la DGCCRF. Fin septembre ou début octobre 2021, les échanges sont remontés au niveau des cabinets. Je n'étais toutefois pas dans la boucle de ces échanges entre la conseillère santé du cabinet industrie, Lucile Poivert, et le conseiller santé publique du cabinet santé, Norbert Nabet.

Dans le cadre de ces discussions et après instruction du côté de la santé, la proposition a été faite par le cabinet santé de lancer une mission de l'Igas. Cette proposition nous a été transmise par email, ainsi qu'à la DGCCRF. La DGCCRF a estimé qu'il s'agissait de la manière appropriée d'avancer.

Une réunion a ensuite été organisée mi-octobre 2021, rassemblant l'ensemble des acteurs (services, cabinets et conseillers en charge), pour valider le principe d'un recours à une mission de l'Igas, avec une implication du service national d'enquête (SNE) de la DGCCRF (pour les sujets relatifs à la loyauté des pratiques de l'industriel vis-à-vis des consommateurs). La lettre de mission adressée à l'Igas a été rédigée par le ministère de la santé, en faisant l'objet d'échanges avec la DGCCRF et la conseillère en charge au sein de notre cabinet. Cette lettre de mission a été signée aux alentours du 19 novembre 2021 par les trois ministres concernés.

Ce rapport devait être remis dans un délai de 3 mois. Sa réalisation a néanmoins pris du retard. Les inspecteurs de l'Igas m'ont interrogé au mois de février 2022 sur les révélations faites par l'industriel lors de l'entretien du 31 août 2021. Le rapport a finalement été rendu en juillet 2022. Mes fonctions s'étaient toutefois interrompues deux mois auparavant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Notre commission d'enquête cherche à comprendre ce qui a animé la décision publique aux moments clés de ce dossier.

Le rendez-vous du 31 août 2021 a-t-il été l'occasion de la première demande de l'industriel sur ce sujet ?

M. François Rosenfeld. - À ma connaissance, c'était effectivement la première fois que nous entendions parler de ce sujet. Le mail de prise de contact ne faisait aucune référence à des échanges antérieurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous rappeler la liste des participants à cette réunion ?

M. François Rosenfeld. - Pour le cabinet industrie, il y avait Lucile Poivert et moi-même. Un représentant de la DGCCRF était présent, dont je n'ai pas retenu le nom. La DGE avait été invitée, en la personne de Hugues de Franclieu, de la sous-direction industrie agroalimentaire, me semble-t-il, mais n'était finalement pas représentée. Du côté de l'industriel, étaient présents : Madame Liénau, Monsieur Teulié et une troisième personne dont je n'ai pas noté le nom. L'invitation mentionnait, me semble-t-il, Monsieur Cornu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous expliquer comment Nestlé a justifié le recours aux traitements illégaux lors de cette réunion et quelles questions leur avez-vous posées ? Vous avez mentionné votre surprise face à ce qui vous a été présenté. Pourriez-vous revenir sur ce point et nous indiquer exactement ce qui vous a été dit.

M. François Rosenfeld. - Ils n'ont pas vraiment justifié leur démarche. La discussion a été relativement brève, d'une durée inférieure à 40 minutes. Une fois qu'ils nous ont exposé la situation, nous étions quelque peu déconcertés et surpris, ce qui a écourté l'échange. Le ton général de la conversation était le suivant : ils découvraient ces éléments à leur entrée en fonctions, sans vraiment en comprendre l'origine. Cependant, ayant identifié une potentielle problématique de conformité règlementaire, ils exprimaient leur volonté de mettre en oeuvre un plan de mise en conformité. De mémoire, ils n'ont pas apporté d'éléments de justification. J'ai simplement noté qu'ils avaient fait référence à « l'utilisation de barrières de protection pour protéger la qualité des eaux ».

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une enquête du SNE était déjà en cours à ce moment. Cette information n'avait donc pas été transmise au cabinet de la ministre. Est-il courant que les services mènent des enquêtes concernant des industriels sans que les ministres concernés en soient informés ?

M. François Rosenfeld. - Nous n'en savions effectivement rien. Dans le fonctionnement administratif, il est relativement fréquent que des services mènent des enquêtes sans que les cabinets en soient informés. Le travail des services est ainsi d'enquêter, le cas échéant dans le cadre de leurs plans de contrôle. Lorsque des décisions relèvent du niveau politique, elles sont bien sûr remontées.

À l'époque, nous avions un grand ministère de l'économie avec un ministre et cinq ou six ministres délégués. La ministre déléguée en charge de l'industrie n'avait pas dans son périmètre les questions de concurrence et de protection du consommateur. Les points mensuels qu'elle faisait avec la DGCCRF concernaient les sujets concurrence, consommation et répression des fraudes susceptibles d'avoir un impact sur l'industrie tels que le Made in France ou les négociations commerciales. Ces réunions n'étaient pas le lieu pour évoquer des enquêtes individuelles, hors décisions politiques à prendre mettant en jeu des industriels. Dans le dossier qui nous occupe, il n'y avait pas de raison pour que la ministre ou son cabinet soient informés a priori de la conduite d'une enquête par le SNE.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il aurait toutefois été cohérent et logique que le cabinet consommation en soit informé. À votre niveau, qu'avez-vous conclu de cette réunion ? Avez-vous identifié une potentielle problématique de loyauté vis-à-vis du consommateur ? Avez-vous joint le cabinet consommation ? Était-il au courant ?

M. François Rosenfeld. - À l'issue de cette réunion, nous percevons une problématique, mais nous ne sommes pas en mesure d'en évaluer l'ampleur. Nous demandons à la DGCCRF de conduire cette analyse, ayant vocation à remonter aux cabinets compétents. Une note est ainsi transmise par Virginie Beaumeunier en septembre 2021, au cabinet consommation et au cabinet industrie (ayant reçu l'industriel).

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le cabinet consommation était-il informé de l'enquête en cours ?

M. François Rosenfeld. - Je ne saurais vous le dire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nestlé Waters vous donne des éléments pour expliquer voire minorer la problématique, en évoquant notamment une microfiltration tolérée en Angleterre et en Espagne. Déclenchez-vous une action pour vérifier ou expertiser les pratiques européennes ? Quelle est l'action publique conduite à l'issue de cette réunion ?

M. François Rosenfeld. - Nous demandons à la DGCCRF de produire un état des lieux de ce qui est autorisé, de ce qui ne l'est pas et des marges d'interprétation dans la transposition nationale de la directive européenne.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de la santé nous a indiqué qu'il lui semblait clair, à l'époque, qu'un article 40 devait être déclenché, mais que cela relevait de votre responsabilité. Tous les acteurs ayant eu connaissance du dossier en aval semblent avoir considéré que, n'ayant pas reçu initialement l'information, il n'était pas de leur ressort de déclencher cette procédure. Au final, en l'absence de déclenchement de cette procédure à la révélation des faits, la fraude a perduré pendant des années, sans que la Justice soit saisie par l'État, qui était au courant.

Vous êtes-vous posé la question du déclenchement de cette procédure ? Avez-vous écarté cette possibilité en considérant que l'enquête du SNE était suffisante ?

M. François Rosenfeld. - Dans son argumentaire, l'industriel a fait état d'une absence de problème sanitaire et d'une absence de problématique de loyauté vis-à-vis du consommateur. Nous n'en savions toutefois rien. Nous avons donc demandé à la DGCCRF de nous éclairer sur la situation et les actions à entreprendre. Tel est le schéma classique. À la suite de cette saisine de la DGCCRF, sont intervenus les échanges que je vous ai décrits précédemment, qui ont abouti à une réunion à la mi-octobre 2021, associant la DGS, la DGCCRF et les deux cabinets concernés. Lors de cette réunion, la décision a été prise de manière consensuelle de ne pas recourir à l'article 40, mais de lancer une enquête de l'Igas, avec le SNE en support.

Ce que je comprenais à l'époque, c'est que des enquêtes étaient en cours, dans le cadre du mandat de la DGCCRF et de son SNE. Il n'y avait donc pas de nouvel acte de signalement au Procureur de la République à effectuer. Le cas échéant, j'aurais attendu que le service compétent nous indique que cela paraissait opportun.

La lettre de mission adressée à l'Igas, ayant fait l'objet d'échanges entre les deux ministères, a ensuite été particulièrement claire sur le fait qu'en cas de nouvelles pratiques relevées soulevant une problématique de loyauté vis-à-vis du consommateur, il appartiendrait au SNE de transmettre au Procureur de la République les procès-verbaux correspondants.

À l'issue de ces échanges, à mon niveau, la question de l'article 40 ne s'est plus posée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le caractère frauduleux des pratiques, révélées par l'industriel lui-même, ne faisait aucun doute. Le SNE n'a pourtant jamais déclenché de procédure au titre de l'article 40. Il a fallu attendre qu'une directrice générale d'ARS prenne seule cette décision, alors qu'elle était au bout de la chaîne de la décision publique.

Quelle vision avez-vous de cet article 40 ? Cet article a une portée générale. Face à un industriel révélant des faits illégaux et trompant le consommateur, pourquoi cette procédure est-elle sortie du spectre de tous les acteurs ?

M. François Rosenfeld. - Au sortir de la réunion, nous sommes étonnés et nous pressentons une problématique. L'industriel semblait gêné, mais ne nous a pas avoué des faits répréhensibles constituant un crime ou un délit au sens de l'article 40. Les traitements appliqués semblaient relever de la compétence du ministère de la santé ; la problématique d'information du consommateur semblait quant à elle plutôt relever de la DGCCRF. Le retour technique que nous avons obtenu des services ne préconisait pas de lancer un article 40. Je ne saurais cependant vous donner plus d'éléments concernant la manière dont ils ont conclu que cela n'était pas la bonne démarche à suivre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À la lecture des documents, les arguments de Nestlé Waters semblent avoir été repris. Autour des enjeux sanitaires, avez-vous demandé des précisions ou des vérifications à la DGS ?

Par ailleurs, dans un mail, vous indiquez que : « Selon Nestlé, son plan de transformation suppose de la part de l'État une interprétation plus large de la directive, car ils auront toujours besoin de méthodes de microfiltration dont la validité n'est pas établie. » Vous perceviez donc un problème avec la microfiltration.

M. François Rosenfeld. - Nous ne prenons absolument pas pour argent comptant les arguments de l'industriel. Il s'agit d'une constante dans notre positionnement d'acteur public vis-à-vis des industriels. Le compte rendu que j'ai rédigé visait simplement à rapporter les éléments présentés par Nestlé, sans prise de position. Étant ignorants du sujet et de la règlementation applicable, nous aurions été en incapacité de le faire. Dans le message que j'ai adressé à la ministre, j'ai bien souligné que la volonté de transparence affichée par l'industriel devait être considérée avec toute la distance critique nécessaire.

Le dossier a ensuite été traité selon le processus administratif habituel. Les services de Bercy ont commencé à travailler sur le sujet et se sont rapprochés de leurs homologues au sein de la DGS (pilotes sur les sujets relatifs au traitement sanitaire des eaux). Des réunions interministérielles ont ensuite eu lieu entre les cabinets, ce qui a permis de mobiliser des expertises complémentaires, tant sur le volet traitement des eaux que sur le volet consommateur. Tel est le fonctionnement normal pour traiter les sujets interministériels.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des délais semblent s'accumuler de manière systématique dans ce dossier. Vous l'avez évoqué concernant le rapport de l'Igas qui devait être rendu à court terme, mais qui ne l'a pas été. D'autres délais nous interpellent, notamment le fait que le DGS n'ait été informé des faits que le 27 septembre 2021, ou encore que l'Igas n'ait été sollicitée que le 19 novembre 2021, soit quatre ou cinq mois après votre première discussion avec les représentants de Nestlé. Comment expliquez-vous cet empilement de délais ? Y a-t-il des raisons conjoncturelles ou est-ce quelque chose de plus structurel ? Ces délais sont-ils propres à ce dossier ou les considérez-vous comme normaux pour l'administration ?

M. François Rosenfeld. - Pour ce qui est des facteurs conjoncturels, l'époque était encore marquée par une très forte charge liée au Covid. Les campagnes de vaccination initiales étaient en cours. Les services étaient néanmoins organisés pour traiter cela.

Cela étant, les délais que vous avez mentionnés apparaissent normaux. Il n'est pas surprenant que deux mois se soient écoulés entre la réunion du 1er septembre et la signature de la lettre de mission adressée à l'Igas, sachant que des expertises et des réunions interservices ont été menées durant cet intervalle. Cela aurait pu être plus rapide, mais ce délai ne m'apparaît pas démesurément long ou fautif.

S'agissant de savoir si ce dossier a fait l'objet d'un traitement particulier, je peux vous affirmer que tel n'a pas été le cas. Aucune instruction spécifique n'a été donnée pour que nous prenions notre temps. Les coûts de coordination sont habituels dans les dossiers dans lesquels interviennent plusieurs directions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En réponse à votre compte rendu, le 6 septembre 2021, la ministre donne pour seule instruction de la tenir au courant. Elle indique qu'il conviendrait de vérifier que des pratiques équivalentes n'existent pas chez les concurrents de l'industriel. Elle ajoute comprendre que la problématique relève plutôt de la tromperie commerciale que de la sécurité alimentaire. Enfin, elle s'interroge sur la portée des règles appliquées, nationales et européennes.

Ceci semble reprendre le discours de l'industriel. Or, à cette date, aucune analyse ne permet de tenir ce discours. L'information donnée par l'industriel est simplement répercutée.

M. François Rosenfeld. - À ce stade, ce sont les seuls éléments dont nous disposons. Mon compte rendu reprend les éléments communiqués par l'industriel. Je précise par ailleurs à la ministre avoir demandé à la DGCCRF, représentée lors de cette réunion, de conduire une analyse. La ministre pose ensuite des questions concernant ces éléments, ayant vocation à être expertisés par les services.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nestlé Waters semble vous avoir indiqué que les autres industriels étaient d'accord pour avoir une discussion sur le sujet de la microfiltration. Or ceux que nous avons auditionnés nous ont indiqué que, pour eux, la règle était claire, avec une microfiltration limitée à 0,8 micron. Avez-vous échangé à ce sujet avec les autres industriels ?

M. François Rosenfeld. - Non. Cela devait faire partie, me semble-t-il, des points examinés par la mission de l'Igas.

M. Jean-Pierre Corbisez. - Fin août 2021, vous recevez l'industriel. Début septembre 2021, vous adressez une note à la ministre déléguée, qui vous renvoie des questions. Vous demandez un complément d'information à la DGCCRF, car son représentant lors de la rencontre n'était pas un spécialiste des problèmes de pollution de l'eau. Une note complémentaire est ainsi adressée mi-septembre 2021. À la suite d'une réunion en présence de la ministre, le dossier est ensuite traité en co-responsabilité avec le ministère de la santé.

Dans le cadre de ce processus, une note a également été adressée à votre ministère de tutelle. À quel moment, avec quel destinataire et avec quel contenu ? Cette note était-elle identique à celle adressée au ministère de la santé ? Une réponse a-t-elle été faite par le ministère de la souveraineté industrielle à la ministre déléguée à l'industrie ? À quel moment le cabinet de Bercy a-t-il repris la main sur les échanges avec le ministère de la santé ?

M. François Rosenfeld. - À ma connaissance, une seule note a été produite par la DGCCRF à la mi-septembre 2021. Cette note a été transmise conjointement à la conseillère santé du cabinet industrie et au conseiller en charge des sujets de consommation et de protection du consommateur de Bercy. Il me semble que ce dernier ne faisait pas partie de l'équipe de Bruno Le Maire, mais du cabinet de la ministre déléguée en charge de la consommation.

À la suite de la remontée de cette note, je n'ai pas eu de contact avec le directeur du cabinet consommation. Des échanges ont sûrement eu lieu entre les conseillers, qui ne me sont pas parvenus.

Ensuite, il y a nécessairement eu une implication du cabinet consommation et du cabinet de Bercy au moment de la signature de la lettre de mission de l'Igas - cette lettre ayant été signée par les ministres de l'économie et des finances, de la santé et de l'industrie.

M. Hervé Gillé. - À ce stade de l'audition, nous ne savons toujours pas pourquoi Nestlé Waters a mis en oeuvre des traitements illégaux. Or cette question me paraît majeure.

Nous ne le savons pas, car vous n'avez pas lancé d'investigations. N'avez-vous pas demandé à l'industriel ? A-t-il refusé de vous répondre ?

M. François Rosenfeld. - Lorsque nous avons évoqué ce point lors de la réunion du 31 août 2021, la seule réponse qui nous a été donnée par les représentants de l'industriel est que, venant de prendre leurs fonctions, ils ne savaient pas.

M. Hervé Gillé. - Comment se fait-il que vous vous soyez arrêtés à cette réponse de l'industriel ?

M. François Rosenfeld. - Il s'agissait effectivement d'une question essentielle. Je n'étais cependant pas doté de pouvoirs de police. J'ai reposé la question et obtenu la même réponse. Je ne pouvais pas aller plus loin. C'est lorsque le dossier a été pris en main par la DGCCRF, disposant de pouvoirs d'enquête, que des moyens ont pu être mobilisés.

M. Hervé Gillé. - À ce moment, vous avez évoqué un potentiel sujet de sécurité sanitaire. Vous n'aviez donc pas l'absolue certitude d'une absence de problème sanitaire. Avant tout retour de la DGCCRF, un principe de précaution n'aurait-il pas dû être appliqué ? Au-delà du déclenchement d'une procédure au titre de l'article 40, n'aurait-il pas fallu arrêter l'embouteillement ?

M. François Rosenfeld. - L'industriel nous a fait état d'une absence de risque sanitaire, sans que nous soyons capables de l'expertiser. Dans les éléments remontés ensuite, je n'ai pas relevé de risque sanitaire avéré. Quoi qu'il en soit, nous avons transmis l'information à la DGCCRF, qui a pris attache avec le ministère de la santé. Il ne nous appartenait pas de prendre la décision de suspendre ou non la production. Il ne s'agissait pas d'une compétence de la ministre déléguée chargée de l'industrie.

M. Hervé Gillé. - Vous n'avez cependant pas fait jouer le principe de précaution. Vous avez ainsi eu une attitude plutôt bienveillante, qui a protégé l'industriel.

M. François Rosenfeld. - Je ne considère pas comme particulièrement bienveillante une attitude ayant consisté à suivre la procédure normale. Nous avons saisi les services compétents, pour leur demander d'expertiser le sujet. Nous avons ensuite suivi leurs recommandations.

J'ajoute que Nestlé Waters, trois semaines après cette première rencontre, a souhaité renouveler nos échanges. Nous avons alors fermé tous les canaux de communication, pour laisser les investigations se poursuivre. Nous n'étions donc pas particulièrement dans la bienveillance et n'avons pas pris à leur valeur faciale les éléments rapportés par l'industriel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des échanges de mails ont été transmis à notre commission d'enquête, qui mettent en évidence que les cabinets santé et économie n'étaient pas favorables à une mobilisation des services déconcentrés, ne souhaitant pas partager, à ce stade, trop largement les éléments du dossier. Ce choix, qui a eu pour conséquence un retard dans le déclenchement de l'article 40, résulte-t-il d'un arbitrage ministériel ?

M. François Rosenfeld. - Cette position m'étonne. Elle ne relève certainement pas d'une décision prise à mon niveau. Cela m'étonnerait aussi qu'une telle décision ait été prise par la conseillère santé de mon cabinet. Vous pourrez l'interroger à ce sujet. Je n'ai pas non plus de raison de penser qu'un tel arbitrage ait été rendu par la ministre. Je n'ai aucun souvenir d'une demande formelle en ce sens.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela a été affirmé par le ministère de la santé. Ils ont indiqué que le choix avait été fait de recourir prioritairement à une mission de l'Igas, plutôt que de demander aux ARS de conduire des missions d'inspection.

M. François Rosenfeld. - De mémoire, dans la lettre de mission adressée à l'Igas, le recours aux ARS était mentionné.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les ARS n'ont été informées qu'en avril et en novembre 2022.

Vous avez évoqué une réunion avec la DGS et la DGCCRF durant laquelle la décision a été prise de ne pas recourir à l'article 40. Ce point a-t-il fait l'objet d'instructions ministérielles ?

M. François Rosenfeld. - Non. Il s'agissait d'une réunion de concertation et de partage des positions remontées par les services. La conseillère qui y a participé n'était pas porteuse d'instructions pour refuser de recourir à l'article 40.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous abordé ce sujet avec la ministre Pannier-Runacher ?

M. François Rosenfeld. - Je n'ai pas souvenir de discussions approfondies sur ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ne lui avez-vous pas mentionné cette possibilité ?

M. François Rosenfeld. - Je lui ai adressé un compte rendu de la première réunion, car j'y avais assisté. Ensuite, des informations lui ont été remontées par les services ou la conseillère en charge. La note du 14 septembre 2021 m'a été transférée. Je ne lui ai pour ma part pas soumis de proposition écrite concernant l'article 40.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La note du 14 septembre 2021 fait état d'un risque de contentieux européen. La décision a-t-elle été prise de passer outre ?

M. François Rosenfeld. - Je n'ai pas le souvenir que cela ait été évoqué. Si une telle discussion a eu lieu lors d'une réunion entre la ministre, la directrice générale et la conseillère santé, je n'y ai pas assisté.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Merci à tous.

Audition de M. Victor Blonde, ancien conseiller technique
participations publiques, consommation et concurrence
au cabinet de la Première ministre (Mme Elisabeth Borne)
(Mercredi 12 mars 2025)

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Victor Blonde, conseiller technique participations publiques, consommation et concurrence au cabinet du Premier ministre et à la Présidence de la République d'octobre 2020 à octobre 2024.

Monsieur Blonde, avant de vous céder la parole, je suis tenue de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Victor Blonde prête serment.

Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Aucun lien d'intérêts n'est déclaré.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Pour rappel, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de sources. Notre commission d'enquête a été constituée le 20 novembre 2024 pour faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur la façon dont ont été gérés par les différents ministères, en interministériel, au niveau du cabinet du Premier ministre et de la Présidence de la République les développements de l'affaire Nestlé Waters, plus particulièrement d'août 2021 à octobre 2024 en ce qui vous concerne.

Quand et comment avez-vous pris connaissance pour la première fois du dossier Nestlé Waters, c'est-à-dire de l'utilisation par cette entreprise de traitements illégaux (charbon actif et UV) sur ses eaux minérales naturelles et ses eaux de source dans les Vosges et le Gard ?

Lorsque le lundi 11 juin 2022, le Secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler et vous-même vous êtes entretenus avec Mark Schneider, le PDG du groupe Nestlé, à l'occasion du sommet Choose France, qu'attendait-il de l'État en ce qui concerne ses eaux minérales naturelles ? Quelles suites avez-vous donné à ses demandes ?

Comment expliquez-vous, une fois les traitements au charbon actif et aux UV retirés, que Nestlé Waters ait fait de la filtration à 0,2 micron une nécessité pour garantir la sécurité sanitaire de ses eaux minérales naturelles ?

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez autorisé la filtration à 0,2 micron en février 2023, alors que cette décision paraît en contradiction totale avec les informations dont vous disposiez à l'époque assimilant cette filtration à une forme de désinfection ?

Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous avez rendu un arbitrage biaisé en faveur de Nestlé Waters et que vous avez cédé au lobbying de cette entreprise ?

M. Victor Blonde, conseiller technique participations publiques, consommation et concurrence au cabinet du Premier ministre et à la Présidence de la République d'octobre 2020 à octobre 2024. - Je tiens tout d'abord à vous remercier de me donner l'occasion de m'exprimer. J'ai été conseiller technique en charge de la participation publique, de la consommation et de la concurrence à Matignon de septembre 2020 à septembre 2024. C'est à ce titre que j'ai eu à connaître du dossier Nestlé Waters, à partir de l'été 2022.

Je précise que je ne suis ni un expert de l'eau, ni un expert des questions de santé publique, ni un acteur local. La fonction d'un conseiller à Matignon est, sous l'autorité de la Première ministre et de la direction de son cabinet, de coordonner l'action des ministères, d'impulser des actions répondant à la feuille de route fixée par la Première ministre et le Président de la République, de confronter les points de vue et les analyses, et parfois de trancher.

Dans le dossier qui nous occupe, le lancement des premières investigations dans le secteur par le service national d'enquête (SNE) de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans le Groupe Alma date de 2020. C'est à l'été 2021 que Nestlé Waters rencontre le cabinet de la ministre déléguée à l'industrie, avant le lancement d'une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) par les ministres de l'économie, de la santé et de l'industrie en novembre 2021.

En ce qui me concerne, je prends connaissance du dossier le 8 juillet 2022, par un mail de la directrice générale de la DGCCRF. Ce message fait le point sur les dossiers en cours relatifs à Nestlé, en préparation d'un entretien que le Secrétaire général de l'Élysée doit avoir, dans le cadre du sommet Choose France, avec le PDG de Nestlé. Le dossier m'est présenté dans les termes suivants : « Usine Nestlé Waters dans les Vosges ayant fait l'objet d'un audit par la mission Igas (production Vittel, Contrex et Hépar) ; constat de la pratique de filtration et discussions avec l'industriel sur la mise en conformité. La mission ne relève aucun enjeu de sécurité sanitaire. »

Cet entretien dans le cadre du sommet Choose France, auquel j'assiste, se tient le 11 juillet 2022 à Versailles, selon le format habituel : une vingtaine de minutes d'entretien en anglais, au cours d'une journée qui en compte des dizaines, sur les projets d'investissement de l'entreprise en France. Le sujet est brièvement évoqué en fin d'échange.

À la suite de cet entretien, nous organisons une réunion élargie avec mes collègues de Matignon susceptibles d'être concernés (conseillers santé, agriculture, emploi, territoires) et en présence de l'ensemble des ministères intéressés. Cette réunion, qui a lieu le 21 juillet 2022, permet de partager largement l'information en interministériel, à un moment où le rapport Igas est sur le point d'être remis. J'obtiens une copie de ce rapport en marge de cette réunion.

À ce stade, l'analyse du dossier met en évidence plusieurs constats :

Sur le plan sanitaire, l'analyse commune au sein de l'État est que ce dossier ne soulève pas de problématique de sécurité sanitaire ni de mise en danger de la santé du consommateur. Notre compréhension collective, au premier chef celle du ministère de la santé, est que ces traitements, en filtrant et en désinfectant au-delà de ce qui est autorisé, ont au contraire réduit le risque de contamination. C'est ce qui figure dans un mail de la DGCCRF du 10 juillet 2022 et que réitèrent les ministères dans plusieurs notes dans les mois qui suivent.

Sur le plan de la fraude, le rapport Igas de juillet 2022 permet de matérialiser les faits, notamment la présence de procédés non conformes (traitements UV et charbon). À la suite de ces signalements, début octobre 2022, l'ARS Grand Est saisit le procureur sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, contrairement à ce qui a pu être dit ultérieurement dans la presse.

Se pose assez rapidement la question du flou juridique résultant de la législation en vigueur sur le sujet précis des microfiltrations, ainsi que de l'ampleur réelle des pratiques non réglementaires des minéraliers, estimées à 30 % par la mission Igas. Les auteurs du rapport suggèrent que ce chiffre est un minimum, évoquant des pratiques beaucoup plus répandues.

Sur le plan de l'emploi et des conséquences économiques et sociales, nous identifions un risque que l'entreprise utilise cette crise pour justifier une restructuration en cours de son site des Vosges - cette restructuration impliquant alors une réduction d'effectifs de 130 personnes, en raison du ralentissement du marché allemand des eaux minérales.

Concernant mes interactions avec Nestlé, j'ai rencontré leurs représentants à trois reprises. La première rencontre a lieu le 11 juillet 2022, pendant le sommet Choose France, à l'occasion d'un bref entretien entre le Secrétaire général de l'Élysée et le PDG de Nestlé. À la demande de l'industriel, une deuxième rencontre est organisée le 2 août 2022, pour un échange d'un peu moins d'une heure avec la présidente de Nestlé Waters, deux personnes de l'entreprise et leurs conseils. La troisième rencontre a lieu le 28 septembre 2022, en présence du conseiller technique santé de la Première ministre, pour un entretien d'environ une heure avec les mêmes interlocuteurs.

Lors de ces deux derniers échanges, l'entreprise nous a présenté sa perception du dossier et les mesures qu'elle entendait mettre en oeuvre pour remédier à la situation. Nous l'avons interrogée sur ses pratiques. Celle-ci nous a interrogés sur les conclusions du rapport Igas, que nous n'avons pas divulguées, ainsi que sur les suites concrètes susceptibles d'être apportées par les ministères. Nous n'avons communiqué aucun élément tangible sur les suites envisagées, notamment concernant la saisine imminente du procureur, et avons invité l'entreprise à se rapprocher des ministères. Nous avons exigé de Nestlé une pleine transparence et la communication de l'ensemble de ses analyses aux ministères et aux acteurs locaux, contrairement à ce qui avait été fait précédemment.

Je n'ai plus rencontré de représentants de l'entreprise par la suite.

À partir de ce moment, à Matignon, nous avons systématiquement renvoyé l'entreprise vers les ministères et l'échelon local, considérant qu'il s'agissant du niveau le plus adéquat pour traiter le dossier.

Le 6 octobre 2022, la direction du cabinet de la Première ministre a ensuite validé dans une note une série d'orientations fondées sur les éléments transmis par les ministères :

• demander à l'industriel de fournir sous un mois aux ARS concernées toutes les données permettant d'évaluer l'effet des mesures mises en place, notamment du filtrage à 0,2 micron sur la qualité microbiologique de l'eau ;

• rappeler à Nestlé la nécessité de cesser tout traitement par charbon actif et UV pour le marché national ;

• solliciter, début novembre 2022, l'avis des ARS et des préfets concernant d'éventuelles dérogations, une fois les contrôles locaux effectués (le cas échéant pour envisager de donner suite à la demande de filtrage à 0,2 micron de l'industriel) ;

• demander à l'industriel de travailler directement et en transparence avec les préfets et ARS concernés, avec un suivi par les cabinets santé et industrie.

Nous avons demandé aux ministères d'échanger dès que possible avec les ARS et préfets concernés pour partager ces orientations. Nous leur avons également suggéré de partager avec l'Igas les démarches engagées.

Parmi les sujets demeurant en suspens à la fin 2022, figurait celui de la microfiltration inférieure à 0,8 micron. Il n'existait pas de mesure de droit positif l'interdisant formellement. Cette pratique n'était ni claire ni mise en oeuvre de manière uniforme.

L'avis de l'AFSSA de 2001, confirmé par l'Anses début 2023, indiquait qu'en deçà de 0,8 micron, il revenait à l'exploitant de démontrer l'absence de conséquences sur les caractéristiques microbiologiques de l'eau embouteillée. La présence d'une filtration inférieure à 0,8 micron n'était pas en soi un obstacle à la délivrance de l'appellation eau minérale naturelle, à condition que ce traitement soit préalablement déclaré et autorisé par arrêté préfectoral.

Selon le ministère de la santé, les experts évoquaient un pouvoir désinfectant de la microfiltration en dessous de 0,2 micron. Entre 0,2 et 0,8 micron, il subsistait une part de flou et d'interprétation. Les autorités belges et espagnoles appliquaient un seuil de 0,4 ou 0,45 micron. En France, un certain nombre de dérogations préfectorales permettaient de descendre en deçà de 0,8 micron.

La direction générale de la santé (DGS) est aujourd'hui en train de clarifier sa doctrine à cet égard et des échanges au niveau européen doivent permettre de préciser et d'actualiser les règles en la matière. Tel n'était toutefois pas le cas fin 2022.

Une première réunion de suivi du dossier avec les cabinets santé et industrie est organisée le 1er décembre 2022. Lors d'une réunion organisée le 16 février 2023, les ministères expriment ensuite des avis convergents. Sur cette base, nous nous accordons sur la position de l'État.

Les ministères nous demandent de prendre un « bleu », validé par le Secrétariat général du Gouvernement, fixant la ligne à tenir par l'ensemble des intervenants des administrations, tout en leur laissant une marge d'appréciation et une marge de manoeuvre au plus près du terrain. Aucune interprétation de la norme de référence n'est alors imposée, avec la possibilité d'autoriser une microfiltration inférieure à 0,8 micron.

Ce bleu, publié le 24 février 2023, après une consultation dématérialisée des ministères (CID), a eu valeur de décision, sans se substituer aux instructions de la DGS, aux décisions des préfets ou à une éventuelle révision de la directive européenne.

En ce qui me concerne, dans ce dossier, j'ai assumé pleinement la responsabilité de ma fonction de conseiller à Matignon, en respectant deux grands principes :

• m'appuyer sur l'expertise des ministères et du terrain, pour favoriser la prise de décision et l'action publique au bon échelon (selon le principe de subsidiarité, a fortiori dans un domaine très technique tel celui de la qualité de l'eau, relevant en premier lieu de la compétence du ministère de la santé, de la DGS, des ARS et préfets) ;

• travailler dans un esprit de forte collégialité, pour contribuer à la construction, dans un cadre interministériel, sur un dossier mobilisant un enchevêtrement de compétences et n'ayant pu faire l'objet d'arbitrages aux échelons inférieurs, de la meilleure solution possible.

Les échanges par mail qui vous ont été transmis attestent de mon attention portée à ces deux principes. Nous avons insisté pour que les ministères et les acteurs locaux soient les interlocuteurs de l'entreprise et pour que l'information et la coordination des services et échelons soient les plus fluides possible.

J'ai pris note des constats formulés par l'Igas, par la Commission européenne au printemps 2024 et par la mission d'information conduite par le Sénat. De fait, la règlementation relative à la microfiltration n'est pas suffisamment claire. Le fait que nous ayons dû prendre un bleu sur le sujet en atteste. La coordination entre les autorités compétentes mérite sans doute d'être améliorée. Je crois d'ailleurs que l'État y travaille.

Cependant, contrairement à ce qui a pu être rapporté dans la presse, nous avons, sur ce dossier, travaillé en étroite collaboration, avec mon collègue chargé des questions de santé au cabinet de la Première ministre et avec les cabinets des deux ministères concernés (la santé et Bercy). Personne n'a gagné ou perdu un arbitrage. La solution retenue a été élaborée conjointement avec les deux ministères concernés. Je tiens d'ailleurs à saluer le sérieux, l'intégrité et la qualité du travail des services et personnes avec lesquels j'ai eu l'occasion d'interagir sur ce dossier au sein de l'État.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous étiez, me semble-t-il, un conseiller partagé entre l'Élysée et Matignon. Vous n'avez mentionné que Matignon. Pourriez-vous clarifier ce point ?

M. Victor Blonde. - J'ai été conseiller à Matignon de septembre 2020 à septembre 2024 et conseiller à l'Élysée d'octobre 2020 à octobre 2024. La convocation à cette audition ne mentionnait toutefois que mes fonctions en tant que conseiller à Matignon.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez exercé vos fonctions auprès de trois Premiers ministres. Aviez-vous été recruté par l'Élysée ou Matignon ?

M. Victor Blonde. - J'étais membre de la mission déconfinement dirigée par Jean Castex. D'une certaine manière, je suis donc arrivé dans ses bagages à Matignon à l'été 2020. J'ai cependant été recruté en parallèle par l'Élysée et Matignon.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous revenir sur la rencontre du 11 juillet 2022, à l'occasion du sommet Choose France ? Vous avez mentionné que le dossier qui nous occupe avait été brièvement évoqué. Dans quels termes ? Qui participait à cette rencontre ? Quelles ont été les demandes exprimées par Nestlé et les réponses apportées ? Avez-vous pris note de certains éléments en prévision de réunions ultérieures ?

M. Victor Blonde. - Lors des sommets Choose France, des entretiens sont menés en parallèle avec des centaines d'entreprises, sous la forme d'entretiens bilatéraux ou de tables rondes, par le Président de la République, le Secrétariat général de l'Élysée, les ministres du Gouvernement ou leur directeur de cabinet.

L'entretien avec Nestlé a été mené par le Secrétaire général de l'Élysée. Je l'accompagnais en tant que conseiller en charge. L'industriel était représenté par son président, Mark Schneider.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le président de Nestlé était-il accompagné du lobbyiste habituel du Groupe ?

M. Victor Blonde. - Non. Généralement, les dirigeants de multinationales sont accompagnés de leur directeur général pour la France ou de leur responsable des affaires publiques en France. Je ne saurais cependant vous dire si tel était le cas.

L'entretien, d'une vingtaine de minutes, a porté très largement sur les projets d'investissement de Nestlé en France. Tel est l'objet principal des discussions dans le cadre du sommet Choose France. Le sujet de l'affaire Buitoni, survenue au printemps 2022, a fait l'objet d'un échange plus approfondi. En toute fin d'entretien, le Président de Nestlé a mentionné une problématique de normes sur son site des Vosges et une mission de l'Igas en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À cette date, aviez-vous connaissance d'une mission de l'Igas en cours ?

M. Victor Blonde. - J'en avais été informé trois jours avant par un mail de la DGCCRF. J'avais ainsi sollicité une mise à jour sur les dossiers en cours concernant Nestlé, en prévision de l'entretien du Secrétaire général de l'Élysée. Dans ce mail figurait un lien vers un communiqué de presse. Il était également question de l'affaire Buitoni. Je n'ai pas répondu à Virginie Beaumeunier et je n'ai pas transmis ces éléments au Secrétaire général de l'Élysée avant l'entretien, car ils m'étaient parvenus hors délais (généralement d'une semaine pour la préparation de ce type d'entretiens).

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le Président de Nestlé a-t-il exprimé une demande vis-à-vis de la situation ?

M. Victor Blonde. - Non. J'ignore s'il était lui-même très au fait du sujet ou si ces éléments avaient été placés dans son dossier par ses équipes France. De notre côté, nous n'avons pas évoqué plus longuement le sujet, car nous n'étions pas au courant des détails. Le Secrétaire général de l'Élysée découvrait le sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous estimez néanmoins le sujet suffisamment important pour convoquer une réunion le 21 juillet 2022 avec les ministères concernés. Selon vos propres termes, cette réunion visait à « aligner tout le monde sur ce dossier ». Vous vous saisissez donc de ce dossier. Est-ce à la demande du Secrétaire général de l'Élysée ou de votre propre initiative ?

M. Victor Blonde. - Il est assez courant que, lorsque des points sont évoqués lors de ce type d'entretiens avec l'Élysée ou Matignon, nous nous en saisissions pour faire le point, notamment avec les ministères. Dans ce cas précis, Alexis Kohler me demande probablement de faire le point. L'idée est alors de partager un même niveau d'information entre toutes les personnes concernées, sachant qu'à cette époque, de nouvelles équipes arrivent dans les ministères.

Lors de cette réunion du 21 juillet 2022, je constate un degré d'information assez disparate des différents interlocuteurs et ministères.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelles étaient ces disparités ?

M. Victor Blonde. - J'organise cette réunion à Matignon en tant que conseiller de la Première ministre, constatant que ce sujet relève de la coordination interministérielle. À ce titre, je n'invite que des conseillers ministériels.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Informez-vous régulièrement Alexis Kohler de l'avancement du dossier ?

M. Victor Blonde. - Je n'ai aucun échange avec Alexis Kohler sur ce sujet durant toute la période concernée. Ce sujet a été traité à Matignon, par le cabinet de la Première ministre. Un point d'information est simplement fait à l'Élysée à deux moments.

Après la réunion du 21 juillet 2022, je fais remonter un bref compte rendu à la direction du cabinet de la Première ministre - celle-ci étant appelée à se déplacer dans les Vosges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce point figure-t-il dans le dossier de la Première ministre pour cette visite ?

M. Victor Blonde. - Je l'ignore. Je n'obtiens pas de retour sur ce compte rendu. Comme il est d'usage, je fais remonter exactement les mêmes informations à l'Élysée.

J'adresse ensuite au cabinet du Premier ministre et à l'Élysée, en janvier 2024, au moment des publications dans la presse, un point de situation, reprenant les éléments factuels transmis aux journalistes par les ministères.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, l'Élysée n'est donc pas au courant du bleu résultant de la CID de début 2023.

M. Victor Blonde. - Pas à ma connaissance. Je revérifierai si ce sujet a été mentionné dans le cadre de points de suivi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une deuxième rencontre est organisée avec Nestlé avant le 2 août 2022. Le 5 août 2022, vous écrivez à Guillaume du Chaffaut et Carole Bousquet-Bérard, du ministère de la santé, pour leur indiquer que vous avez rencontré la présidente de Nestlé Waters, Madame Liénau.

M. Victor Blonde. - Madame Liénau était accompagnée de deux personnes dont je n'ai pas retrouvé le nom, ainsi que de son conseil.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous organisé cette rencontre ou était-elle convenue ?

M. Victor Blonde. - Après l'entretien lors du sommet Choose France, Nestlé a adressé à mon secrétariat, en utilisant par erreur mon adresse relevant de l'Élysée, une demande d'entretien.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle a été la teneur de cet entretien ? Quelles ont été les demandes formulées par Nestlé Waters ?

M. Victor Blonde. - Je ne dispose pas de notes ou de compte rendu de cet entretien, que j'ai assuré seul à Matignon. Je recevais ainsi plusieurs entreprises chaque jour dans le cadre de mes fonctions.

De mémoire, ils m'ont présenté leur activité, dont je n'étais pas familier. Ils ont retracé la chronologie de leurs échanges avec le Gouvernement. Ils ont évoqué la mission de l'Igas et les traitements interdits. J'ai perçu cela comme un point général sur le dossier. Pour ma part, je ne leur ai donné aucune information sur mon niveau de connaissance du dossier (à la suite de la réunion du 21 juillet 2022), ni concernant le contenu du rapport de l'Igas. Je les ai interrogés sur leurs pratiques et sur les impacts sociaux potentiels au niveau local. Je me souviens avoir insisté auprès d'eux sur l'importance d'une transparence exemplaire vis-à-vis de l'État sur l'ensemble de ce dossier, étant donné l'ampleur et le caractère massif de la fraude, même s'ils s'étaient présentés spontanément. J'ai également souligné qu'il était indispensable de distinguer clairement ce dossier de leur restructuration. Il était alors exclu que l'État assume, de quelque manière que ce soit, la responsabilité d'un éventuel alourdissement de leur plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) envisagé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pressentez donc que ce lien est fait par l'industriel.

M. Victor Blonde. - Sans doute.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 5 août 2022, vous écrivez à Monsieur du Chaffaut et Madame Bousquet-Bérard qu'il serait utile qu'ils rencontrent Nestlé Waters avant la fin du mois, car les conclusions du rapport Igas et les suites apportées pourraient potentiellement avoir un impact important sur la restructuration envisagée.

M. Victor Blonde. - Nous avions eu une remontée du Préfet des Vosges faisant ce lien. J'avais déjà convié à la réunion du 21 juillet 2022 les directions de Bercy suivant les restructurations industrielles. J'avais déjà fait spontanément ce lien. J'ai donc estimé nécessaire d'exprimer clairement à Nestlé Waters ma position sur le sujet.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - À ce stade du dossier, la Présidente de Nestlé Waters sollicite donc une rencontre à Matignon, dont vous n'avez pas de trace écrite.

M. Victor Blonde. - Je ne dispose pas d'un compte rendu de cet entretien et je n'ai pas retrouvé les notes que j'avais peut-être prises. En fin d'entretien, je les ai invités à se rapprocher des ministères. Il doit par ailleurs exister une trace de la demande de rendez-vous adressée à mon secrétariat.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Notre commission s'efforce de comprendre la fabrication de la décision de la CID concernant le seuil de 0,2 micron pour la microfiltration. Vous avez indiqué que personne n'avait gagné ou perdu un arbitrage dans ce dossier. Nous sommes en désaccord sur ce point. Lors de son audition, Monsieur Salomon nous a dit qu'il était courant de « perdre des arbitrages ». Du côté du ministère de la santé, il y a bien eu le sentiment d'un arbitrage perdu face au ministère de l'économie.

Le 28 septembre 2022, vous recevez un message d'Adrienne Brotons, directrice de cabinet du ministre de l'industrie, insistant sur le point suivant : « Le point urgent à trancher c'est d'autoriser Nestlé à utiliser des filtres à 0,2 pour poursuivre la production. ». Elle établit le lien que vous aviez fait vous-même et ajoute des considérations sur l'importance du sujet en matière d'emploi sur les sites Nestlé. En revanche, elle ne fait aucune mention du risque sanitaire ou du risque de fraude.

Avec le recul, estimez-vous avoir été correctement informé à cet instant ? Lors de notre visite de l'industriel en Occitanie, il nous a été fait état d'une entreprise se portant bien, en dépit des événements, avec une marque Perrier milliardaire et des embauches en nombre. Avez-vous le sentiment d'avoir été correctement informé sur la situation économique du groupe Nestlé à cette période et que le risque évoqué d'une aggravation du PSE avait été correctement caractérisé ?

M. Victor Blonde. - Je ne saurais l'affirmer avec certitude. Au-delà de ce mail de la directrice de cabinet de Roland Lescure, nous avons eu des remontées du ministère sur le potentiel impact. La première alerte à ce sujet est venue du Préfet des Vosges, à travers un courrier du 8 juillet 2022 adressée à la Première ministre et à son cabinet, au ministère de l'intérieur et au ministère de l'économie. Il s'agissait, dès le début, d'une donnée du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous serions preneurs de ce courrier.

M. Victor Blonde. - Je ne crois pas en avoir eu connaissance au moment du sommet Choose France. Je vérifierai.

Dans les interactions que j'ai à l'époque et à travers les remontées de Bercy, je comprends que Nestlé rencontre des difficultés sur le marché des eaux en Europe, en Allemagne et en Autriche notamment, indépendamment de la santé économique globale du Groupe.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce moment-là, l'information du ministère de l'industrie est centrée sur ces questions d'emploi, mais ne nous semble pas tellement caractérisée. Les questions sanitaires, elles, ne sont pas abordées.

Le 2 octobre 2022, Isabelle Epaillard, la directrice adjointe du cabinet santé, vous transmet, ainsi qu'à Cédric Arcos, une note blanche réaffirmant les réticences du cabinet santé à l'égard de la microfiltration à 0,2 micron. Le même jour, vous adressez à Cédric Arcos une note destinée au directeur du cabinet de la Première ministre, datée du 27 septembre 2022, qui n'est pas sans ambiguïté puisqu'elle précise que la microfiltration « renforce plutôt la sécurité sanitaire ». Ceci n'est pas exact si cette microfiltration se substitue à des traitements interdits destinés à garantir la sécurité sanitaire. Par ailleurs, cette note met en évidence que retirer des traitements interdits hygiénisant l'eau sans les remplacer pose une question de sécurité sanitaire.

Cédric Arcos vous répond en ces termes : « Gros changement de position de la santé sur notre affaire, car, après vérification, jamais une décision de filtrage à 0,2 n'a été autorisée. Du coup, parce qu'ils pensent qu'un tel filtrage modifie les propriétés bactériologiques de l'eau, ils ne souhaitent pas donner une telle autorisation. ».

Cette évolution semble vous contrarier et vous écrivez : « Je sens qu'on va perdre encore du temps et qu'ils vont engager des licenciements supplémentaires qu'ils vont nous mettre sur le dos. »

Vous êtes très affirmatif. Est-ce le fruit de votre analyse ou d'une pression exercée par Nestlé ?

M. Victor Blonde. - À cette date, l'information qui me remonte n'est plus uniquement économique. Lors de la réunion du 21 juillet 2022, à laquelle je m'assure que le ministère de la santé participe, le risque sanitaire est au coeur des discussions.

La note du 26 septembre 2022, émanant conjointement de l'industrie et de la santé, fait le point sur l'intégralité du dossier, c'est-à-dire sur la situation réglementaire, le volet sanitaire, le volet fraude et les actions proposées.

Le projet de note auquel vous faites référence, qui fait l'objet d'échanges entre Cédric Arcos et moi-même, entre le 27 septembre et le 6 octobre 2022, est basé sur cette note conjointe signée par les conseillers des deux cabinets.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette note conjointe fait apparaître un avis divergent du ministère de la santé au sujet de la microfiltration.

M. Victor Blonde. - Cette note, signée par les deux cabinets, recommande « d'autoriser le groupe Nestlé Waters à utiliser une technique de filtration à 0,2 micron sous couvert de la transmission d'une preuve de la qualité microbiologique des ressources et d'une preuve de non-impact de cette filtration sur les paramètres microbiologiques. ».

Quelques jours après, dans le cadre de nos échanges avec Cédric Arcos au sujet de la note destinée à Aurélien Rousseau, Cédric Arcos me fait savoir que le cabinet santé semble avoir changé de position.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Salomon estime avoir toujours eu la même position.

M. Victor Blonde. - Je n'ai pour ma part jamais échangé avec la DGS ou les ARS. Les interactions avec le ministère de la santé ont été assurées par l'intermédiaire de Cédric Arcos. J'ai simplement rencontré le cabinet de la ministre déléguée à la santé lors du point de suivi du 1er décembre 2022 et de la réunion du 16 février 2023. J'ai pu être en copie de certains mails, mais la note que vous évoquez a été adressée à Cédric Arcos, qui me l'a ensuite transmise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous semblez néanmoins avoir connaissance de la position du ministère de la santé. Vous écrivez : « Sachant que l'industrie me dit que le ministère de la Santé n'écrira jamais qu'ils soutiennent, mais qu'ils ne sont pas complètement opposés au fond. Je ne sais pas si c'est de l'enfumage ou bien si c'est crédible. Tu les as eus au tel ».

Qui, au sein de l'industrie, vous a communiqué ces éléments ?

M. Victor Blonde. - La conseillère en charge, Mathilde Bouchardon. Je soupçonne à ce moment que la santé a fait remonter, quelques jours après la note conjointe, une note exprimant un avis différent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous que le même cabinet ait émis deux notes contradictoires ?

M. Victor Blonde. - Je ne saurais vous l'expliquer. Cela peut arriver. Il peut y avoir des informations supplémentaires prises en compte.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avez-vous discuté avec eux ?

M. Victor Blonde. - Non. J'ai laissé ces interactions à Cédric Arcos.

Quoi qu'il en soit, nous tenons compte de ces nouveaux éléments et nous amendons la note pour refléter les écarts de position exprimés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué une absence d'arbitrage au détriment du ministère de la santé, mais vous reconnaissez, à ce moment, une divergence de position entre les deux ministères. Les positions auraient donc convergé ensuite ?

M. Victor Blonde. - Complètement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 3 octobre 2022, Cédric Arcos vous écrit : « J'étais avec le cab santé aujourd'hui pour le lancement du CNR Santé. Ils pensent vraiment que quelque chose n'est pas clair dans l'attitude de l'industriel, qui couplait un traitement UV et charbon avec un filtrage à 0,2. Ils pensent qu'à minima, il faut que l'industriel donne tous les éléments à l'ARS et que des contrôles soient réalisés pour s'assurer que les propriétés bactériologiques de l'eau sont bien intactes. ».

Pourtant, la dernière version de la note transmise au directeur de cabinet de la Première ministre préconise de « solliciter d'ici début novembre l'avis des ARS et des préfets quant aux éventuelles dérogations pouvant être accordées dès lors qu'il est constaté qu'il n'y a pas de changement de la qualité microbiologique de l'eau entre l'amont et l'aval du traitement ».

Comment expliquez-vous cette approche, alors que les contrôles des ARS ne sont appelés à être réalisés qu'en novembre 2022 ?

M. Victor Blonde. - Cela ne me paraît pas contradictoire. Cette note, que j'ai consignée avec Cédric Arcos, met également en avant la nécessité de demander des d'informations supplémentaires à l'industriel permettant d'évaluer l'effet des mesures mises en place, et notamment du filtrage à 0,2 sur la qualité microbiologique de l'eau. Ces orientations visent à rappeler la nécessité de cesser les traitements interdits et d'engager une analyse plus poussée, ce qui n'avait pas été fait auparavant. Cette note ne tranche pas sur le sujet de la microfiltration, en indiquant : « Sur ces bases, la question de donner suite à la demande de filtrage à 0,2 micron pourra alors se poser. ».

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est à noter qu'à ce jour, bien que cette microfiltration soit aujourd'hui en place, l'industriel n'a toujours pas apporté la preuve qu'elle n'entraînait pas une modification des caractéristiques microbiologiques de l'eau.

Je remarque par ailleurs que la version précédente de la note recommandait de « ne pas donner suite à la demande de filtrage à 0,2 micron, afin de ne pas créer de précédent hors de tout cadre légal ». Comment expliquez-vous ce changement de position ?

M. Victor Blonde. - Je ne saurais vous répondre. Il est courant que les notes rédigées conjointement fassent l'objet d'échanges. Il n'y a cependant pas d'avis divergents entre Cédric Arcos et moi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La préconisation a toutefois évolué substantiellement. Quelles ont été les motivations de ce changement ?

M. Victor Blonde. - Je ne saurais pas vous le dire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans cette note du 6 octobre 2022, vous rappelez les développements précédents du dossier, avant d'aborder la question de la microfiltration à 0,2 micron. Vous résumez ainsi la position des ministères : « Si le ministère de l'industrie est sensible aux difficultés économiques rencontrées par les sites de Nestlé dans les Vosges et dans le Gard, dès lors qu'aucun risque pour la santé n'a été identifié, le ministère délégué à l'organisation territoriale du système de santé considère, pour sa part, qu'une autorisation de filtration à 0,2 micron ne saurait être accordée en l'état des données fournies par l'industriel et qu'elle constituerait par ailleurs un précédent national qui ne serait pas sans effets collatéraux. ». En conséquence, vous préconisez de « demander à l'industriel de fournir sous un mois aux ARS concernées toutes les données permettant d'évaluer l'effet des mesures mises en place, et notamment du filtrage à 0,2 micron, sur la qualité de l'eau ».

Le 13 octobre 2022, vous faites part à Cédric Arcos des orientations que vous souhaitez ainsi transmettre aux ministères.

Or cette préconisation ne semble pas avoir été suivie d'effets. Des preuves ont-elles été apportées concernant l'impact sur le microbisme de l'eau ? La décision publique demandant à vérifier ce point a-t-elle été activée ?

M. Victor Blonde. - Lorsque ces orientations sont validées, elles sont transmises aux ministères. Il appartient ensuite aux ministères de les mettre en oeuvre, en lien avec les ARS. Un point de situation sera ensuite fait le 1er décembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans une note du 8 novembre 2022 de la directrice générale de l'ARS Grand Est, qui vous est transmise, il est clairement indiqué que la filtration à 0,2 micron, bien qu'elle ne supprime pas tous les microorganismes, réduit considérablement la flore microbienne, s'apparentant ainsi à une désinfection, ce qui n'est pas autorisé.

Comment se fait-il que cet élément, apportant une réponse à vos interrogations, ne semble pas modifier votre détermination à faire autoriser la filtration à 0,2 micron ?

M. Victor Blonde. - Je n'avais aucune détermination à faire autoriser la filtration à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi autoriser une telle microfiltration, alors que l'ARS Grand Est indique qu'elle modifie les caractéristiques microbiologiques de l'eau ?

M. Victor Blonde. - Le bleu n'a pas abouti à une autorisation de la filtration à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le bleu fait référence à la possibilité de descendre en-dessous de 0,8 micron et de valider un plan de transformation intégrant une filtration à 0,2 micron.

M. Victor Blonde. - Le bleu ne valide pas le plan de transformation de Nestlé. Il donne la main aux autorités préfectorales et aux ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour tous les acteurs, ce bleu constitue bien un feu vert donné à l'industriel, ce qui soulève d'ailleurs une problématique de distorsion de la concurrence. Ce document « confirme la possibilité d'autoriser par modification des arrêtés préfectoraux la pratique d'une filtration inférieure à 0,8 micron ». Il préconise ensuite de « définir une démarche d'accompagnement et de contrôle de la qualité de l'eau aux différentes émergences dans le cadre de la transformation du site prévue par l'industriel Nestlé Waters ».

Le fait que l'ARS Grand Est vous indique que la filtration à 0,2 micron modifie le microbisme de l'eau, en contradiction avec la directive européenne, ne semble pas modifier la décision finale prise concernant la microfiltration.

M. Victor Blonde. - En octobre 2022, la possibilité d'autoriser la microfiltration à 0,2 micron doit encore être expertisée. Nous avons donné des orientations en ce sens aux ministères et nous attendons leurs retours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au moment de la CID, il était nécessaire de savoir si la filtration à 0,2 micron modifiait le microbisme de l'eau, sous peine de prendre une décision contraire à la règlementation. L'ARS Grand Est vous indique que la pratique n'est pas conforme. Pour autant, vous décidez de la valider.

M. Victor Blonde. - Le 16 février 2023, nous organisons une réunion de suivi. Les ministères nous expriment alors une position conjointe, dont les termes seront repris dans le bleu. Le compte rendu de cette réunion est rédigé par la directrice de cabinet de la ministre déléguée à la santé. Il est très légèrement amendé par Cédric Arcos sur la question de la microfiltration inférieure à 0,8 micron, au regard des pratiques constatées dans d'autres pays européens et des arrêtés préfectoraux existants. Ce compte rendu faisant l'objet d'un consensus est ensuite transformé en bleu, à la demande des ministères (compte tenu de la sensibilité du dossier). Pour répondre à cette demande, une CID est organisée. Le texte ainsi soumis fait l'objet d'amendements de la part du ministère de la santé et notamment de la directrice du cabinet du ministre. La formulation « dans le cadre du plan de transformation du site prévu par l'industriel Nestlé Waters » est ainsi introduite par le ministère de la santé. Le ministère de l'industrie approuve cette version amendée qui, in fine, est validée.

Les cabinets des ministères sont alors absolument alignés sur les recommandations à donner et les actions à entreprendre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez un alignement des cabinets. La décision a donc été prise au niveau des cabinets ministériels, sans prise en compte de l'avis de l'ARS Grand Est faisant état d'une non-conformité et sur la base d'informations concernant les impacts économiques émanant uniquement de l'industriel et d'une note du Préfet des Vosges. Vous validez ainsi en conscience un plan de transformation contraire à la règlementation européenne et emportant un risque de contentieux européen.

M. Victor Blonde. - Je ne partage pas cette analyse.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un audit, la Commission européenne a pointé le fait que la décision prise n'était pas conforme à la directive.

M. Victor Blonde. - Je conteste l'hypothèse d'une prédominance de la dimension économique sur la dimension sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous n'avions effectivement pas en tête que le cabinet santé avait endossé la décision. Nous les interrogerons sur ce point. Quelques jours avant la décision, Jérôme Salomon a réaffirmé son opposition à travers une note. Cela signifierait que le cabinet santé a contre-arbitré le DGS.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - En janvier 2023, vous prenez connaissance de l'avis de l'Anses sur la microfiltration à 0,2 micron, qui indique clairement que « l'utilisation de dispositifs de filtration avec des seuils de coupure inférieurs à 0,8 micron est présentée par les industriels comme permettant d'assurer la sécurité sanitaire de l'eau embouteillée, sans qu'aucun élément de preuve ne soit apporté en support à cette affirmation ». Cet avis précise également qu'une microfiltration inférieure à 0,2 micron « constitue une action assimilable à une désinfection ».

Comment avez-vous réagi à la lecture de cet avis contredisant les arguments de Nestlé Waters ?

M. Victor Blonde. - Cet avis ne semble pas apporter d'élément nouveau par rapport à l'avis de l'AFSSA de 2001 ni par rapport au cadre règlementaire. C'est l'interprétation que j'en fais, en m'appuyant sur les autorités de la santé.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Il s'agit pourtant d'une preuve supplémentaire que la microfiltration à 0,2 micron est assimilable à une désinfection.

M. Victor Blonde. - Sur ce sujet de la microfiltration, je m'en remets au ministère de la santé. Le fait que cette question ait nécessité un bleu de Matignon montre bien qu'elle était entourée d'un flou juridique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque la décision se matérialise, il est indiqué, dans une note jointe au relevé de décision (daté du 17 février 2023), que « quelle que soit l'option retenue, elle présentera un risque de contentieux élevé dès lors que l'initiative française ne demeurera pas secrète ». Ceci semble traduire une connaissance partagée du caractère non-conforme de la décision. Vous semble-t-il normal qu'une décision de l'État doive être tenue secrète en raison d'un risque de contentieux européen ?

M. Victor Blonde. - Dans le bleu, il est demandé au secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) de conduire une analyse de la situation de la microfiltration et des pratiques existantes, avant d'envisager de solliciter la Commission européenne pour une évolution de la réglementation communautaire ou en vue d'une saisine de l'EFSA. Telle était la recommandation des ministères, partant du constat partagé d'un flou juridique et d'applications divergentes de la norme européenne. Cette recommandation ne traduit aucune volonté de dissimulation, mais au contraire un besoin de clarification au niveau européen.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, aucun État européen n'autorise la filtration à 0,2 micron. L'avis de l'Anses est de surcroît plutôt clair sur ce point.

Je m'étonne par ailleurs que, dans le traitement de ce dossier depuis 2021, la question des droits du consommateur soit totalement absente. Vous avez indiqué que Matignon était le lieu de l'interministériel. Or l'impression est que le cabinet consommation a été totalement absent des discussions. Des millions de bouteilles d'eau minérale naturelle ont pourtant été commercialisées sans en être.

M. Victor Blonde. - Le cabinet consommation a été convié à la réunion du 21 juillet 2022. Il a ensuite été mis dans la boucle de la CID.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - A-t-il validé également le compte rendu de la CID ?

M. Victor Blonde. - Il est réputé l'avoir fait.

Dans le traitement de tels dossiers, il est assez classique qu'une partie d'un ministère prenne le lead.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le dossier fait apparaître une problématique d'information du consommateur. Or à aucun moment cette problématique ne semble faire partie des préoccupations.

M. Victor Blonde. - Les droits du consommateur sont visés par la saisine du procureur concernant les pratiques frauduleuses mises en oeuvre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il a fallu attendre que l'ARS Grand Est saisisse le procureur, alors que le cabinet du ministère de l'industrie avait connaissance des faits depuis juillet 2021. En Occitanie, il a fallu attendre une plainte de l'association Foodwatch pour que le dossier soit instruit, en janvier 2025.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Avez-vous connaissance d'une note du SGAE sur les différentes pratiques des autres États membres en matière de microfiltration ?

M. Victor Blonde. - Non. Nous avons sollicité une telle note en février 2023.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Cette note a-t-elle été transmise ?

M. Victor Blonde. - Si elle l'a été, je n'en ai pas été destinataire.

Mme Antoinette Guhl. - Avez-vous subi, au cours de l'instruction de ce dossier, des pressions qui auraient pu influencer votre décision ?

M. Victor Blonde. - Je n'ai subi aucune pression.

Mme Antoinette Guhl. - À quelle fréquence et sous quelles formes avez-vous échangé avec Monsieur Rousseau, directeur de cabinet de la Première ministre, autour de ce dossier ? Était-ce clair qu'une affaire Nestlé était en cours ?

M. Victor Blonde. - Une remontée d'information lui a été faite après la réunion du 21 juillet 2022. Une note lui a ensuite été adressée le 6 octobre 2022, présentant l'intégralité du dossier et dont il a validé les orientations.

Mme Antoinette Guhl. - La note du 6 octobre 2022 a-t-elle fait l'objet d'un retour écrit ?

M. Victor Blonde. - Écrit et scanné, selon la pratique habituelle.

Mme Antoinette Guhl. - Pourriez-vous nous transmettre ce document, qui acte l'avis de Monsieur Rousseau ?

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Nous disposons de ce document.

Mme Antoinette Guhl. - La réglementation européenne mériterait certes d'être précisée. Néanmoins, elle est tout de même très claire sur la filtration. Personne ne pratique aujourd'hui la filtration à 0,2 micron. Tout le monde sait qu'entre 0,8 et 0,4 micron, la pratique est admise, mais doit avoir uniquement pour but d'extraire des minéraux et rien d'autre, sans changer la qualité microbiologique de l'eau ; et qu'en dessous de 0,4 micron, il y a un risque réel de modification de la qualité de l'eau. Au bout de quelques semaines, nous avions compris cela. Comment se fait-il qu'après plusieurs années, vous continuiez à arguer d'un flou juridique ? L'impression est que ce flou arrange bien tous ceux ayant pris des décisions contraires à cette règlementation.

M. Victor Blonde. - Vous avez travaillé sur ce sujet plus longtemps que moi dans le cadre de votre mission d'information.

À l'époque, sur la base des éléments qui nous étaient remontés, nous percevions un flou entre le 0,2 et 0,8 micron, sous réserve que la microfiltration ne soit mise en place qu'à des fins technologiques. Dans le bleu, nous avons donc préconisé d'autoriser à descendre en-dessous de 0,8 micron. À ce moment, des arrêtés préfectoraux le permettaient déjà.

Mme Antoinette Guhl. - Tel était le cas, mais pour des raisons différentes. Dans le bleu évoqué, la référence faite, pour le site des Vosges, à une filtration inférieure à 0,8 micron n'est pas très précise. De surcroît, pour le site du Gard, vous préconisez de veiller à mettre en oeuvre le plan de transformation de Nestlé Waters. Or ce plan de transformation intègre une filtration à 0,2 micron. Une autorisation de recourir à une filtration à 0,2 micron est donc dissimulée dans votre décision.

M. Victor Blonde. - Nous aurions été, à Matignon, dans le cadre d'un bleu, bien incapables de fixer précisément une norme en-deçà de 0,8 micron. C'est pour cela que nous avons renvoyé vers les autorités compétentes (préfectures et ARS).

Concernant le plan de transformation, le document soumis à la CID était formulé de la façon suivante : « Concernant le site de Vergèze, le cabinet de la Première ministre valide la démarche d'accompagnement et de contrôle proposée par la préfète du Gard et le directeur général de l'ARS Occitanie, étant entendu que l'autorisation de microfiltration évoquée ci-dessus peut également s'appliquer ». Cette rédaction a fait l'objet d'un amendement par la directrice de cabinet du ministre de la santé, qui, validé par le ministère de l'industrie, a été repris dans le document final.

Notre intention n'était donc pas de valider le plan de transformation de Nestlé ou de dissimuler en son sein une autorisation de filtrer à 0,2 micron.

M. Olivier Jacquin. - Comment qualifieriez-vous les relations de l'État avec Nestlé ?

M. Victor Blonde. - Dans ce dossier, le dialogue a été assez dur. Le constat était celui d'une fraude massive. Cela transparaît dans les échanges que j'ai pu avoir avec eux. Je ne peux par ailleurs pas juger des autres interactions de Nestlé avec l'État.

M. Olivier Jacquin. - L'importance de cette fraude semble avoir été minorée, dès lors qu'elle n'emportait pas de risque pour la santé humaine. Le fait que le consommateur soit floué semble avoir été relégué au second plan.

M. Victor Blonde. - Tel n'a pas été le cas. Dès le début, ce dossier est apparu concerner une fraude massive. Dans le cadre de la réunion du 21 juillet 2022, au-delà des enjeux de sécurité sanitaire, l'un des premiers sujets évoqués a été celui de la cessation des pratiques frauduleuses et de la saisine du procureur.

Mme Marie-Lise Housseau. - Avez-vous participé à l'élaboration de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) signée le 2 septembre 2024 entre Nestlé Waters et l'État, visant à réparer la fraude en exonérant Nestlé Waters de poursuites pénales ?

M. Victor Blonde. - Aucunement.

Mme Marie-Lise Housseau. - Savez-vous qui a été à l'initiative de cette procédure ?

M. Victor Blonde. - Après l'adoption du bleu de février 2023, je n'ai plus été impliqué dans ce dossier, si ce n'est en janvier 2024 au moment des révélations dans la presse.

Mme Marie-Lise Housseau. - L'actuelle Préfète des Vosges nous a indiqué avoir participé à la communication autour de cette CJIP vis-à-vis des élus du territoire, en découvrant la procédure. L'ancien Préfet des Vosges a indiqué ne pas en être à l'initiative. Un représentant de la direction de Nestlé Waters, Luc Desbrun, n'a pas non plus su répondre à cette question. Il a évoqué une implication des juristes de Nestlé Waters. Au final, nous ne parvenons pas à savoir qui a décidé de mettre en oeuvre cette procédure du code de l'environnement.

M. Victor Blonde. - Je ne saurais vous répondre. Je n'ai été associé à aucune décision sur ce sujet.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Merci à tous.

Audition de Mme Lucile Poivert, ancienne conseillère santé
et biens de consommation au cabinet de la ministre déléguée
chargée de l'industrie (Mme Agnès Pannier-Runacher)
(Mercredi 12 mars 2025)

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Lucile Poivert, conseillère santé et biens de consommation au cabinet de la ministre chargée de l'industrie, Agnès Pannier-Runacher, jusqu'au 23 décembre 2021.

Madame Poivert, avant de vous céder la parole, je suis tenue de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Lucile Poivert prête serment.

Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Pour rappel, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de sources. Notre commission d'enquête a été constituée le 20 novembre 2024 pour faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur la façon dont ont été gérés au niveau du cabinet de la ministre de l'industrie, en lien avec les autres ministères, les développements de l'affaire Nestlé Waters, plus particulièrement entre août 2021 à décembre 2021 en ce qui vous concerne.

Pourriez-vous revenir en détail sur le rendez-vous du 31 août 2021 au cours duquel Nestlé Waters vient vous informer de son recours à des traitements frauduleux de ses eaux minérales naturelles ?

Quelles actions prenez-vous à l'issue de cette réunion ? Pourquoi ne pas procéder à une saisine de la Justice au titre de l'article 40 ?

Comment a été prise la décision de confier une mission à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Mme Lucile Poivert, conseillère santé et biens de consommation au cabinet de la ministre chargée de l'industrie, Agnès Pannier-Runacher, jusqu'au 23 décembre 2021. - Comme vous l'avez rappelé, ayant quitté mes fonctions en fin d'année 2021, je n'ai suivi que le début de ce dossier. Une demande de rendez-vous a tout d'abord été adressée par Nestlé Waters au secrétariat particulier de la ministre, fin août 2021, durant la période de congés annuels des administrations. Cette demande de rendez-vous a été redescendue au niveau du cabinet. Cette demande ayant été présentée comme relativement urgente, nous avons organisé un rendez-vous dès le 30 ou 31 août 2021.

Nous n'avions que très peu de précisions sur l'objet de cette demande. J'ai tenté d'obtenir, via le secrétariat particulier de la ministre, des informations sur les thèmes susceptibles d'être abordés dans le cadre de cet entretien. Nous ne disposions toutefois que de très peu d'informations.

J'ai convié la direction générale des entreprises (DGE) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à cet entretien, car il s'agit du binôme administratif traitant habituellement des sujets industriels liés à l'eau.

Je n'avais pour ma part jamais eu à connaître du sujet de votre commission d'enquête. À l'époque, les dossiers ayant eu trait récemment aux industries de l'eau concernaient la vente d'eau en vrac et les contenants en plastique.

Cette réunion s'est tenue en fin de journée dans le bureau du directeur de cabinet, François Rosenfeld. J'y participais. Je ne suis plus certaine que la DGE était représentée. En revanche, un représentant de la DGCCRF était présent. L'industriel était représenté par Monsieur Teulié, Madame Liénau et une troisième personne dont j'ai oublié le nom.

L'industriel s'est présenté et a expliqué sa démarche, indiquant qu'il s'agissait d'une prise de contact, car certains de ses représentants avaient récemment pris leurs fonctions. Il est ensuite entré dans le vif du sujet, en expliquant avoir constaté un certain nombre de pratiques non-conformes sur ses sites. Aux dires de l'industriel, ces pratiques étaient en cours de mise en ordre depuis le début de l'année.

Il s'agissait de pratiques de purification, utilisant notamment le charbon actif et les UV. De la microfiltration était également utilisée, à la validité faisant débat, du fait de pratiques divergentes d'un pays européen à l'autre et d'interprétations différentes dans les applications sur le territoire national.

Ils ont insisté sur l'absence de sujet sanitaire, dans la mesure où l'eau était propre à la consommation du fait de ces traitements. Ils ont également indiqué qu'il n'y avait pas d'écart par rapport à l'information du consommateur, car les propriétés en matière de minéraux n'étaient pas affectées par ce type de traitements.

Ils n'étaient pas très précis quant aux causes des problématiques qu'ils rencontraient. J'ai souvenir qu'ils ont évoqué des sujets assez généraux, comme l'impact du changement climatique dans le temps sur la qualité de l'eau et des sources, les effets de pollution induits par les intrants utilisés dans le monde agricole, etc.

Nous découvrions le sujet. À l'issue de l'entretien, nous avons échangé avec le représentant de la DGCCRF, qui nous a indiqué ne pas être familier du sujet, mais qu'une enquête du service national d'enquête (SNE) était en cours sur les fournisseurs de filtres pour les entreprises d'eaux minérales, pour identifier d'éventuelles pratiques non-légitimes de filtration.

À la suite de cette réunion ayant soulevé un certain nombre de questions, nous avons demandé à la DGCCRF d'analyser le dossier. Nous souhaitions connaître ou vérifier la nature des écarts avec la législation, ainsi que les potentiels sujets de santé et de qualité de l'eau. Nous nous interrogions aussi sur une possible utilisation généralisée de ces pratiques par les industriels de l'eau, dans un contexte de changement climatique présenté comme pouvant avoir des effets systémiques.

Le conseiller ministériel en charge des sujets de protection du consommateur a été informé. Il également été destinataire de la note d'analyse produite par la DGCCRF.

Cette note a rappelé que la purification et le traitement de l'eau étaient encadrés par la législation européenne et nationale, avec des pratiques autorisées et d'autres interdites. Elle a également clarifié le fait que ce contrôle était effectué au niveau de la production, sous la responsabilité des ARS - la DGCCRF intervenant quant à elle une fois l'eau embouteillée, pour contrôler la véracité de l'information fournie au consommateur.

Cette note est remontée quelques jours avant une réunion régulière entre la ministre et la directrice générale de la DGCCRF. Nous en avons discuté dans ce cadre.

La conclusion de cette note était qu'une coordination avec le ministère de la santé était nécessaire pour envisager les actions à entreprendre. Fin septembre 2021, je l'ai donc transmise au cabinet du ministre de la santé. La DGCCRF a également abordé le sujet avec la direction générale de la santé (DGS).

Début octobre 2021, j'ai eu des échanges téléphoniques avec le conseiller en charge au sein du cabinet du ministre de la santé. Nous avons ensuite convenu d'organiser une réunion entre les services de la santé et de la DGCCRF.

Assez rapidement, la proposition, articulée par le ministère de la santé, a été de lancer une mission Igas. L'intérêt de cette approche était de pouvoir conduire une mission au niveau national, pour produire une vision consolidée - les échanges, avec l'industriel notamment, ayant fait apparaître des pratiques différentes au niveau local. La DGCCRF a indiqué que ce mode de fonctionnement lui convenait. Elle a proposé de mettre à l'appui son SNE, déjà mobilisé sur le sujet, avec une enquête en cours sur la question des filtres, sous l'autorité du procureur de la République.

Mi-octobre 2021, nous avons échangé au niveau des cabinets. Nous avons validé un projet de lettre de mission avec l'Igas, visant à mobiliser les services de l'État pour une mission rapide, prévue pour être réalisée dans un délai de trois mois. Cette lettre a été signée par le ministre de la santé, la ministre déléguée à l'industrie et le ministre de l'économie (concerné par le volet consommation). Le conseiller du ministre de l'économie en charge des sujets de consommation a été mis dans la boucle.

Pour rappel, la DGCCRF rend des comptes à la fois au ministre de l'économie, au ministre chargé de la consommation et de la concurrence et au ministre chargé de l'industrie. Différents ministres et cabinets de Bercy ont donc eu à connaître de ce dossier.

Cette mission Igas a été lancée début novembre 2021. Je n'ai ensuite pas suivi l'évolution de ce dossier, ayant quitté mes fonctions en fin d'année 2021.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges directs avec la ministre sur ce sujet ?

Mme Lucile Poivert. - Les interactions entre le cabinet et la ministre étaient de plusieurs ordres. Nous avions des interactions écrites, lorsque nous faisions remonter des mails et/ou des notes. Nous avions des interactions thématiques, avec des réunions consacrées à des sujets dédiés. De mémoire, je n'ai pas provoqué de réunion dédiée à ce sujet en particulier. Nous tenions également des réunions de cabinet hebdomadaires, permettant d'aborder avec la ministre l'ensemble des sujets et leur état d'avancement. Des réunions régulières étaient aussi organisées avec certains services, dont la DGCCRF, avec laquelle nous avions un rendez-vous mensuel. Après le rendez-vous avec Nestlé Waters, nous avons abordé le sujet dans le cadre de l'une de ces réunions mensuelles avec la DGCCRF.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel a été le contenu des échanges lors de cette réunion ?

Mme Lucile Poivert. - La DGCCRF avait fait remonter la veille une note explicitant la situation et l'état du droit. Nous avons discuté du contenu de cette note et adhéré à sa conclusion, préconisant un échange avec le ministère de la santé et la constitution d'une équipe pour suivre ce sujet - la DGCCRF étant compétente en matière de contrôles sur l'eau embouteillée, mais pas sur la production industrielle. À l'issue de cette réunion, il a été décidé de prendre contact avec le ministère de la santé, de mon côté au niveau du cabinet et du côté des services avec la DGS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans votre souvenir, à ce moment, la question de recourir à l'article 40 s'est-elle posée ?

Mme Lucile Poivert. - La question ne s'est pas posée. Nous n'étions pas très au clair sur le cadre juridique et l'état d'infraction de l'industriel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'industriel est venu vous voir pour admettre des infractions. Il aurait donc été flou concernant ces infractions.

Mme Lucile Poivert. - Ils nous ont indiqué avoir utilisé des traitements non-règlementaires (charbon actif et UV), mais avoir trouvé une solution potentiellement valable avec la microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ont-ils évoqué une problématique de seuil de microfiltration ?

Mme Lucile Poivert. - Ils ont évoqué des interprétations différentes du cadre règlementaire dans d'autres pays européens, dont le Royaume-Uni. Ils estimaient être en conformité, au motif que la composition de l'eau respectait les critères de l'appellation eau minérale naturelle. Nous avions toutefois besoin d'une expertise sur le sujet, pour comprendre la législation. La note de la DGCCRF de mi-septembre 2021 a ensuite permis d'apporter un éclairage.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - L'industriel vous a-t-il expliqué les raisons de son recours à la microfiltration ? À quel problème cette « solution » était-elle destinée à répondre ?

Mme Lucile Poivert. - Leur eau de source n'était pas consommable directement sans traitement. Il y avait un risque sanitaire.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Ont-ils parlé de désinfection ?

Mme Lucile Poivert. - Ils ont indiqué avoir utilisé des traitements au charbon actif et aux UV, puis avoir envisagé la microfiltration comme un traitement alternatif pouvant répondre à la fois aux enjeux sanitaires et règlementaires.

M. Hervé Gillé. - Lors de ce rendez-vous, l'industriel aurait donc reconnu un risque sanitaire, ayant justifié l'utilisation de traitements au charbon actif et aux UV.

Mme Lucile Poivert. - Je n'ai pas un souvenir aussi précis de cette réunion, s'étant tenue en 2021 et n'ayant pas fait l'objet d'un enregistrement. Le terme de « risque sanitaire » n'est peut-être pas le bon. Ils nous ont expliqué avoir utilisé ces traitements, car la qualité de l'eau était incertaine.

M. Hervé Gillé. - Il semble logique que ces traitements aient été mis en place pour traiter un problème.

Mme Lucile Poivert. - C'est ce que j'ai compris de cette réunion.

M. Hervé Gillé. - Ils ont donc reconnu un risque sanitaire, ayant justifié la mise en place de traitements illégaux. Ils ont ensuite indiqué vouloir mettre en place une microfiltration, dont il est avéré qu'elle n'est pas autorisée en-dessous de 0,8 micron.

Mme Lucile Poivert. - Je ne suis pas certaine qu'ils soient allés jusqu'à ce niveau de précision. Il ne s'agissait pas d'une réunion technique. Nous-mêmes découvrions le sujet et n'étions pas en mesure d'avoir une discussion de nature juridique.

M. Hervé Gillé. - De tout évidence, il y avait un problème sanitaire. Des dispositifs ont été mis en place pour traiter le problème. Cependant, au-delà des déclarations de l'industriel, aucun élément ne permettait d'écarter un risque sanitaire. Comment se fait-il qu'aucune décision n'ait été prise en vertu du principe de précaution ? Il aurait pu être décidé de suspendre immédiatement l'embouteillage. La production s'est poursuivie et aucune mesure n'a été mise en place immédiatement pour contrôler le processus industriel.

Mme Lucile Poivert. - Les ARS ont en charge de vérifier la qualité de l'eau au plan sanitaire. Le cabinet et les services du ministère de la santé ont été associés très tôt au traitement du dossier. La problématique a donc été prise en compte.

M. Hervé Gillé. - Ils n'ont été associés que très tardivement.

Mme Lucile Poivert. - Le ministère de la santé a été associé dès que le sujet est remonté.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'industriel voyait donc la microfiltration comme une réponse à un problème de qualité de l'eau.

Mme Lucile Poivert. - C'est ce que j'ai compris. Ils souhaitaient que ce changement de procédé puisse être accepté par les autorités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur le fonctionnement de la DGCCRF ? Lorsque vous les contactez, êtes-vous au courant qu'une enquête est en cours sur l'industriel Alma ?

Mme Lucile Poivert. - Lorsque nous les invitons à cette réunion, nous n'avons pas connaissance de l'agenda de celle-ci. Le représentant de la DGCCRF évoque cette enquête à l'issue de la réunion. Un point est ensuite fait sur cette enquête dans la note remontée par la DGCCRF, ainsi que sur les investigations conduites vis-à-vis des systèmes de filtration.

Il est assez logique que nous n'ayons pas été informés plus tôt de cette enquête, ne relevant pas du périmètre du cabinet de la ministre chargée de l'industrie, mais de celui en charge de la protection du consommateur. De plus, nous ne sommes pas systématiquement au courant de toutes les enquêtes en cours - certaines pouvant s'inscrire dans la durée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quand le cabinet consommation est-il entré dans la boucle ?

Mme Lucile Poivert. - Le conseiller technique du cabinet en charge de la consommation, Loïc Tanguy, a été destinataire des analyses de la DGCCRF. Il a ensuite fait remonter à la signature la lettre de mission de l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez évoqué le partage des responsabilités en matière de contrôles entre la DGCCRF et les autorités sanitaires. La DGCCRF nous a indiqué n'avoir pas eu recours à l'article 40, dans l'attente de rapports définitifs des ARS, dont elle n'a pas été destinataire. Quel est votre point de vue sur cette complexité de l'organisation des contrôles, soulevant une problématique d'efficacité administrative ?

Mme Lucile Poivert. - La complexité des contrôles en matière de sécurité alimentaire est un sujet récurrent, ayant fait l'objet de plusieurs rapports. L'implication de différentes organisations dans des contrôles autour d'un même sujet engendre inévitablement de la complexité et des coûts de coordination supplémentaires.

Concernant l'article 40, il convient de rappeler que la DGCCRF dispose de pouvoirs spécifiques de contrôle. Dans d'autres dossiers ayant eu des suites pénales, j'ai pu constater que les procès-verbaux dressés par les inspecteurs de la DGCCRF pouvaient être transmis directement au procureur de la République. Dans ce contexte, l'article 40 n'est pas si souvent utilisé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans l'affaire qui nous occupe, la DGCCRF, ayant eu connaissance du dossier en août 2021, n'effectue jamais de signalement, au motif qu'elle attend un rapport des ARS. Au final, dans le Gard, il faudra attendre qu'une plainte soit déposée par l'association Foodwatch en janvier 2025 pour que la Justice soit saisie. Il y a là un dysfonctionnement patent. La complexité administrative apparaît avoir empêché la saisine de la Justice.

Vis-à-vis de l'article 40, quelle a été votre position ?

Mme Lucile Poivert. - Il y a d'abord eu une phase de compréhension du dossier et du cadre règlementaire. Une analyse a pour cela été conduite par la DGCCRF. Nous en avons conclu que la problématique principale était celle du contrôle de l'embouteillage, relevant de la compétence des ARS. Nous nous sommes assurés que le ministère de la santé prenne en main ce sujet, en lien avec nous.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le choix de lancer une mission IGAS a conduit à ce que les ARS ne soient informées que très tardivement. En Occitanie, ce n'est qu'en octobre 2022 que l'ARS a été informée. La mission de l'Igas n'inspecte pas le site de Vergèze, alors que le sujet avait été remonté. Au final, les ARS sont intervenues beaucoup trop tardivement dans ce dossier, ce qui est difficilement compréhensible.

Mme Lucile Poivert. - Je n'ai pas suivi l'évolution de ce dossier après la fin d'année 2021. Néanmoins, au moment de l'adoption de la lettre de mission de l'Igas, il était évident que cette mission devait associer les ARS et le SNE. Cela était mentionné explicitement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avant votre départ, avez-vous informé votre successeur de ce dossier ?

Mme Lucile Poivert. - J'ai assuré un tuilage. Mon successeur a ensuite repris tous mes dossiers. De surcroît, le conseiller en charge de la consommation est demeuré en poste. Mon départ n'a donc pas eu de conséquence négative sur le suivi de ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 3 février 2022, votre successeur, Edgar Tilly, sollicité par les inspecteurs de l'Igas au sujet du dossier Nestlé Waters, a sollicité un éclairage auprès du cabinet du ministre de la santé.

Mme Lucile Poivert. - Je ne saurais me prononcer à sa place. J'ai assuré une passation sur l'ensemble de mes dossiers. D'autres conseillers ont également suivi ce dossier au sein de Bercy.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Quelles leçons tirez-vous de cette crise ?

Mme Lucile Poivert. - La question soulevée par Monsieur le rapporteur sur l'efficacité des contrôles impliquant plusieurs administrations est récurrente dans de nombreux domaines - le ministère de l'agriculture pouvant également être impliqué dans des dossiers ayant trait à la sécurité alimentaire.

M. Hervé Gillé. - Dans ce dossier, une des problématiques de fond est le manque de transparence. Il a fallu qu'une association de consommateurs révèle cette situation, alors qu'elle était connue des ministères et que certaines ARS avaient communiqué sur le sujet. L'industriel n'a pas voulu faire preuve de transparence, en n'annonçant pas le problème et son traitement avec l'ensemble des parties prenantes.

Or vis-à-vis de ce manque de transparence, vous avez aussi une responsabilité. À cet égard, votre réponse, faisant état de problèmes récurrents, n'est guère satisfaisante.

Ce manque de transparence est d'autant plus dramatique qu'il installe une défiance du consommateur, susceptible de conduire à une catastrophe industrielle.

En pratique, ce dossier a été mal traité. Sinon, nous n'en serions pas là.

Mme Lucile Poivert. - Au stade où j'ai traité ce dossier, l'enjeu était plutôt de faire la lumière sur la situation. Il n'est pas choquant qu'il n'y ait pas eu de communication à ce stade. Nous en étions au stade de l'analyse et le SNE réalisait une enquête sous l'autorité du procureur de la République.

M. Hervé Gillé. - Cela aurait pu être rendu public.

Mme Lucile Poivert. - Il est souvent d'usage d'attendre les conclusions d'une enquête avant de communiquer sur un plan d'action.

M. Hervé Gillé. - Il y avait déjà des faits avérés de tromperie.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Merci à tous.

Audition de M. Cédric Arcos, ancien conseiller technique santé
au cabinet de la Première ministre (Mme Elisabeth Borne)
(Jeudi 13 mars)

Mme Marie-Lise Housseau, vice-présidente. - Monsieur, nous vous remercions pour votre présence dans le cadre de cette commission d'enquête.

Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Monsieur Cédric Arcos, chef de pôle Santé au cabinet du Premier ministre.

Je précise que vous êtes, Monsieur Arcos, directeur d'hôpital. Vous avez été conseiller santé au cabinet de la Première ministre Élisabeth Borne de mai 2022 à janvier 2024. Puis, vous avez été directeur de cabinet du ministre chargé de la santé Frédéric Valletoux de février à septembre 2024, avant de devenir chef du pôle Santé au cabinet des Premiers ministres Michel Barnier et François Bayrou, poste que vous occupez toujours actuellement.

Avant de vous céder la parole, je suis tenue de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment et à dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cédric Arcos prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous, par ailleurs, à déclarer d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêts n'est déclaré.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je vous remercie. Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur la façon dont ont été gérés, au niveau du cabinet du Premier ministre et en interministériel, les développements de l'affaire Nestlé Waters, plus particulièrement à partir de votre arrivée au sein du cabinet de la Première ministre, c'est-à-dire à compter du mois de mai 2022.

Quand et comment avez-vous pris connaissance pour la première fois du dossier Nestlé Waters, c'est-à-dire une utilisation par cette entreprise de traitements illégaux (charbon actif et UV) sur ses eaux minérales naturelles et ses eaux de source dans les Vosges et dans le Nord ?

Comment expliquez-vous, une fois les traitements au charbon actif et aux UV retirés, que Nestlé Waters fasse de la filtration à 0,2 micron une nécessité pour garantir la sécurité sanitaire de ses eaux minérales naturelles ?

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez autorisé la filtration à 0,2 micron en février 2023, alors que cette décision paraît en contradiction totale avec les informations dont vous disposiez à l'époque, assimilant la filtration à 0,2 micron à une forme de désinfection ?

Enfin, que répondez-vous à ceux qui estiment que vous avez rendu un arbitrage biaisé en faveur de Nestlé Waters et que vous avez cédé au lobby de cette entreprise ?

Ce sont quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur, Monsieur Alexandre Ouizille, vous interrogera. Nous vous proposons de démouler cette audition en trois temps. Vous présenterez successivement vos réflexions, en cinq minutes maximum de présentation liminaire. Cette présentation sera suivie d'un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis par les autres membres de la Commission. Enfin, nous pourrons terminer par une dernière batterie des questions-réponses. Je vous donne la parole, Monsieur Arcos.

M. Cédric Arcos, chef de pôle santé au cabinet du Premier ministre. - Merci beaucoup, Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et sur la gestion par les pouvoirs publics des risques associés à cette activité.

Je m'exprimerai au titre de mes fonctions de conseiller Santé au cabinet de la Première ministre de mai 2022 à janvier 2024, et de directeur de cabinet du ministre chargé de la santé de février à septembre 2024. Je précise que je ne suis ni médecin ni expert scientifique du traitement de l'eau. Je m'efforcerai de présenter le plus fidèlement possible mon action en tant que conseiller Santé de la Première ministre. Ma mission consistait à veiller à la bonne avancée du travail gouvernemental en matière de santé, à la mise en oeuvre des orientations décidées par la cheffe du Gouvernement et le président de la République en matière de santé, ainsi qu'à procéder aux arbitrages nécessaires à la bonne marche de l'action gouvernementale.

Matignon est en effet le lieu où remontent les demandes d'arbitrage des ministères, que ce soit pour trancher entre des points de vue divergents, pour des questions budgétaires, pour définir des orientations sur des politiques ou des projets de loi, ou pour stabiliser des positions interministérielles, comme dans le dossier qui nous intéresse aujourd'hui.

Pour illustrer ce rôle d'arbitrage, je rappelle quelques chiffres : chaque année, environ 1 400 réunions interministérielles (RIM) sont organisées. En 2023, il y a eu 1 219 RIM et 233 concertations interministérielles dématérialisées.

Contrairement à ce qu'il serait possible d'imaginer, le cabinet du Premier ministre n'arbitre pas sur le siège. Une réunion interministérielle ne consiste pas à convoquer les ministères, entendre leurs arguments et rendre immédiatement un jugement. Chaque question posée fait l'objet d'un travail interministériel préalable, impliquant Matignon et les conseillers concernés. À Matignon, nous nous assurons que les discussions entre les ministères ont eu lieu avant de procéder à l'arbitrage. Cela nous permet d'avoir le maximum d'informations pour prendre la meilleure décision possible. Nous évitons ainsi que les ministères viennent sans s'être concertés, nous demandant de trancher à leur place. Une décision efficace et acceptée par tous les ministères ne s'élabore pas de la sorte.

En fin de processus, une réunion interministérielle est organisée pour fixer la position du gouvernement sur un sujet précis. Dans le dossier dont nous parlons aujourd'hui, ce processus a été scrupuleusement suivi. Le ministère de l'industrie a signalé le dossier, déclenchant un travail interministériel approfondi sur plusieurs mois entre le ministère de la santé et le ministère de l'industrie. Matignon est resté dans son rôle de coordination, sans se substituer à l'expertise des ministères concernés. Nous avons veillé à ce que les ministères communiquent entre eux et que la décision soit la plus éclairée possible, en sollicitant des avis et expertises en France et en Europe. Nous avons également vérifié que chacun reste dans son domaine de responsabilité, notamment les agences régionales de santé et les préfets, qui jouent un rôle crucial en matière de contrôle.

Permettez-moi d'entrer dans le détail de la chronologie, qui est essentielle dans ce dossier, et de présenter les décisions prises. J'ai été informé du dossier Nestlé Waters le 13 juillet 2022, par un courriel de mon collègue Victor Blonde, conseiller en charge de la consommation et de la concurrence. Ce courriel mentionnait une problématique avec l'entreprise Nestlé Waters, sans davantage de détails. Comme il est d'usage à Matignon, il proposait d'organiser une réunion avec les différents ministères.

Le contexte était celui de l'après-élection législative, avec des équipes en cours de réorganisation. Une réunion a été organisée le 21 juillet 2022, rassemblant les différents ministères et conseillers concernés à Matignon. Cette réunion a permis d'aborder divers sujets, dont celui de Nestlé Waters, sous un angle principalement industriel. J'ai alors appris que l'affaire remontait à 2021, qu'une enquête de la DGCCRF et du service national des enquêtes avait été diligentée, et qu'une mission de l'Igas était en cours. Nous avons également été informés qu'un article 40 était en préparation par l'ARS Grand Est au motif de fraude.

Dès ce premier échange, il est apparu que ce dossier n'était pas nouveau et qu'il ne s'agissait pas d'un problème de risque sanitaire. Il s'agissait plutôt un dossier de fraude d'un industriel concernant l'eau vendue dans les bouteilles.

À l'issue de la réunion, le ministère de la Santé a confirmé l'absence de risque sanitaire, mais a souligné un problème majeur de pratiques commerciales. La mission de l'Igas a révélé qu'environ 3 0 % des désignations commerciales faisaient l'objet de traitements non conformes, indiquant un problème relativement massif.

Je tiens à insister sur un point crucial qui a guidé notre approche. À chaque étape, dans tous les documents et discussions, il n'a jamais été question d'un risque sanitaire pour les consommateurs. Au contraire, la filtration aurait même pour effet de renforcer la sécurité sanitaire des eaux. Le problème résidait dans le fait que le produit ne correspondait pas à ce qui était qualifié aux consommateurs.

Notre objectif était donc de mettre fin à ces pratiques sans délai, de définir une position stable et transparente malgré l'absence de réglementation sur ce niveau de filtration, et de renforcer les règles et les contrôles de l'État.

Au début du mois d'août 2022, mon collègue en charge de la consommation et de la concurrence a écrit directement au cabinet du ministre de la Santé, en me mettant en copie comme le veut l'usage, pour partager les points discutés avec l'entreprise Nestlé et en prévision du fait que l'entreprise avait sollicité un rendez-vous auprès du ministère de la santé.

Le 2 septembre 2022, mon collègue me convie à une réunion avec un représentant de Nestlé Waters. J'ai accepté cette rencontre, comme il est d'usage à Matignon de rencontrer les entreprises avec lesquelles un dossier est en cours. En prévision de ce rendez-vous, j'ai envoyé un courriel au cabinet de la ministre déléguée à l'organisation territoriale des professions de santé, pour demander qu'un point me soit remonté afin que je sois informé de la situation.

Le rendez-vous avec les dirigeants et les conseillers en communication de Nestlé s'est tenu le 29 septembre 2022, en présence de mon collègue et de moi-même. Ce fut la seule fois que j'ai rencontré ces acteurs. Par la suite, j'ai refusé à plusieurs reprises de répondre à leurs sollicitations, que ce soit en tant que conseiller Santé de la Première ministre ou en tant que directeur de cabinet. J'ai refusé ces rencontres pour plusieurs raisons : j'avais déjà entendu les arguments de l'entreprise ; une procédure article 40 était en cours, avec des arbitrages prévus pour février 2023 ; je ne souhaitais pas donner l'habitude à cette entreprise de court-circuiter les différents responsables, qu'ils soient locaux ou ministériels.

Lors de la réunion du 29 septembre 2022, nous avons écouté la présentation du dossier par l'industriel. Les représentants de Nestlé ont remis un document présentant leur plan de transformation et leur analyse de la microfiltration, confirmant qu'il s'agissait d'un traitement mis en place à des fins technologiques. Ils ont également indiqué retirer sans délai certains traitements illégaux. La réunion n'était pas particulièrement conviviale, étant donné notre insatisfaction quant au manque de transparence de l'entreprise par le passé. Ils nous ont informés avoir changé de conseil en communication et adopté une nouvelle méthode de travail. La réunion s'est terminée ; je n'ai plus rencontré ces acteurs par la suite.

Avant cette réunion, les cabinets Santé et Industrie nous avaient adressé une note conjointe détaillant l'historique du dossier et les différents éléments techniques. J'ai spécifiquement demandé si les préconisations figurant dans la note concernant le niveau de filtrage à 0,2 micron avaient été validées par la Direction générale de la santé (DGS). J'en ai reçu confirmation.

Une semaine plus tard, le 2 octobre 2022, j'ai reçu une nouvelle note, cette fois-ci exclusivement du cabinet Santé, qui modifiait sensiblement ses recommandations. Le niveau de filtration recommandé passait de 0,2 à 0,8 micron. J'ai partagé cette note avec mon collègue conseiller en charge de la consommation et de la concurrence. Nous avons décidé d'intégrer cette nouvelle position dans la note que nous avions prévu de faire remonter au directeur de cabinet à Matignon.

Cette note proposait quatre axes principaux :

• demander à l'industriel de fournir sous un mois aux ARS toutes les données permettant d'évaluer l'efficacité des mesures mises en place, notamment le filtrage appliqué ;

• rappeler la nécessité de cesser sans délai tous les traitements interdits ;

• solliciter l'avis des ARS et des préfets sur une éventuelle dérogation, une fois les contrôles menés localement ;

• demander à l'industriel de travailler directement et en transparence avec les autorités locales et le cabinet ministériel.

Le 13 octobre 2022, nous avons reçu un retour du directeur de cabinet validant ces quatre préconisations et en ajoutant une cinquième : sensibiliser particulièrement les préfets et les ARS sur la grande sensibilité du dossier. J'ai immédiatement transmis ces cinq points au cabinet Santé le jour même. En termes de méthode, nous avons indiqué au cabinet qu'il lui incombait désormais de reprendre entièrement la gestion de ce dossier, qui ne pouvait relever de la compétence de Matignon. Enfin, j'ai demandé que l'Igas soit tenue informée de toutes ces avancées.

Le 1er décembre 2022, j'ai organisé avec mon collègue en charge de la consommation une nouvelle réunion de suivi. Nous avons reçu une note du cabinet Industrie présentant un plan d'action sur les cinq points, évoquant une saisine de l'Anses et mentionnant une contamination de la source Hépar que l'industriel sécuriserait par une microfiltration à 0,2 micron, faisant l'objet d'une demande de dérogation. J'ai également reçu une note du cabinet Santé, qualifiée de non définitive par la direction de cabinet, qui souhaitait vérifier certains points techniques avec l'Anses et la DGS au préalable.

Lors de cette réunion, nous avons constaté avec mon collègue que les ministères travaillaient en étroite collaboration, échangeant presque en permanence. Le travail est réalisé avec sérieux, les acteurs sont systématiquement associés, et les différents avis scientifiques seront sollicités. Une question importante a été soulevée concernant la doctrine sur la microfiltration, en raison d'un flou juridique sur les pratiques entre 0,2 et 0,8 micron.

Le 28 janvier 2023, une nouvelle note du cabinet Santé, accompagnée de l'avis de l'Anses, sollicitait une réunion de travail à Matignon pour définir la ligne sur les pratiques de microfiltration, l'avis de l'Anses n'apportant pas de nouveaux éléments, se contentant de rappeler l'avis de l'AFSSAPS de 2021, qui évoquait le cas espagnol d'une filtration à 0,4 micron.

La veille de la réunion de travail, le 17 février 2023, j'ai reçu un message du cabinet de la ministre déléguée proposant une position en quatre points :

• saisir l'AFSSAPS pour demander des clarifications sur les seuils de microfiltration ;

• maintenir l'autorisation de fait de la microfiltration en dessous de 0,8 micron dans l'attente de ces clarifications ;

• mettre en place immédiatement une surveillance renforcée en amont et en aval pour garantir la sécurité sanitaire des eaux ;

• cesser l'exploitation de Hépar jusqu'à l'amélioration de la qualité de l'eau.

Ces points ont été discutés lors de la réunion du 17 février 2023, aboutissant à un consensus entre les deux cabinets. Un compte-rendu a été rédigé par le cabinet de la ministre déléguée à la santé, sur lequel les cabinets ont échangé sans en modifier la substance. À l'issue de cette réunion informelle, en-dehors de la présence du secrétariat général du gouvernement, les deux cabinets nous ont demandé de fixer cette ligne et de « bleuir » la décision, c'est-à-dire de prendre une décision permettant d'établir la doctrine du gouvernement en la matière. Nous avons donc demandé l'organisation d'une concertation interministérielle dématérialisée, lancée pendant deux jours par le secrétariat général du gouvernement.

Je tiens à souligner que, contrairement à certaines allégations dans la presse, la CID n'est pas un outil caché. Les concertations sont effectivement adressées à tous les ministères. Toutes les positions ministérielles sont reçues par écrit et tracées. C'est ensuite que le Premier ministre valide les éventuelles divergences. En l'espèce, il n'y a pas eu de divergence. Le cabinet de santé a demandé quelques amendements de forme, validés par le ministère de l'Industrie. Immédiatement ensuite, la position convergente des deux cabinets a été validée.

Le bleu demande le retrait des traitements interdits. Il demande un plan de surveillance renforcé en amont et en aval. Il autorise les autorités compétentes à maintenir la microfiltration, pas spécifiquement à 0,2 micron, mais en dessous de 0,8 micron.

J'ai ensuite saisi à nouveau le secrétariat général des Affaires européennes pour obtenir une clarification de la réglementation européenne. Malheureusement, la Commission européenne n'a pas indiqué que la révision des règles était une priorité, laissant aux États membres la liberté d'interprétation. Plusieurs États membres se posaient les mêmes questions. Le partage des pratiques industrielles est cependant difficile, chaque État membre ne souhaitant pas les divulguer. Nous avions connaissance de la pratique espagnole à 0,4 micron, tandis qu'il nous avait été mentionné oralement que les Anglais filtraient à 0,1 micron.

Je n'ai plus eu à connaître de ce dossier jusqu'au printemps 2024, lorsque nous avons dû répondre à une sollicitation du cabinet industrie demandant de valider des éléments de réponse à la suite de la demande de journalistes d'avoir accès à certains documents. J'ai continué à refuser de rencontrer les représentants de Nestlé Waters, en accord avec le directeur général de la santé. Enfin, j'ai validé les réponses de mon ministre aux questions au Gouvernement à la suite de la parution des premiers articles. Par la suite, le dossier a été suivi par le conseiller sanitaire au sein du cabinet, puis par le directeur adjoint du cabinet, sans qu'il ne me soit remonté.

En conclusion, je souhaite insister sur trois points importants. En premier lieu, je n'ai jamais subi ni la moindre pression ni la moindre intervention sur ce dossier. En outre, j'ai observé un travail interministériel soucieux de concilier les intérêts en présence, entre la sécurité des consommateurs, le renforcement des contrôles, l'amélioration de la coordination de l'action de l'État et l'obtention de clarifications européennes. Enfin, j'ai personnellement veillé à ce que le travail interministériel prenne systématiquement en compte les différentes dimensions de ce dossier et que l'avis des autorités sanitaires soit systématiquement retenu.

Nous avons cherché à prendre des décisions en toute transparence, avec des notes et des contrôles partagés. Les ministères ont travaillé en bonne intelligence et ont pris leurs décisions ensemble, sans sentiment de pression mutuelle.

Je vous remercie de votre attention et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Marie-Lise Housseau, vice-présidente. - Je vous remercie, Monsieur, pour cette chronologie très éclairante. Je vous demanderai, si vous le voulez bien, de nous transmettre votre document. Nous pourrons le confronter avec nos autres éléments. Je donne à présent la parole à Monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci beaucoup, Madame la présidente. Merci, Monsieur Arcos, pour votre exposé initial. J'ai une question de béotien concernant le fonctionnement de Matignon. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre une RIM et une CID ? Pouvez-vous nous éclairer sur leur mode de fonctionnement respectif ?

M. Cédric Arcos. - Merci, Monsieur le rapporteur, pour cette question. Il existe parfois beaucoup de fantasmes autour de ces procédures. À Matignon, nous disposons de deux outils principaux d'arbitrage. Tout d'abord, la réunion interministérielle (RIM) est une réunion physique des différents ministères organisée à Matignon en présence d'un représentant du Secrétariat général du Gouvernement. Lors de cette réunion, une discussion a lieu, suivie d'une prise de décision. Un compte-rendu est ensuite rédigé par le représentant du Secrétariat général du Gouvernement, prenant la forme d'un bleu. Pour information, le terme bleu fait référence à la couleur du papier utilisé avant l'ère informatique.

La consultation interministérielle dématérialisée (CID), quant à elle, fonctionne différemment. Au lieu de réunir physiquement les ministères, nous leur envoyons un document et leur posons un certain nombre de questions. Nous leur accordons un délai variable, généralement de quelques heures, pour répondre. Dans le cas présent, nous avions laissé deux jours en raison de l'importance du sujet. Les cabinets doivent alors répondre officiellement au Secrétariat général du Gouvernement en exposant la position de leur ministère sur chaque point. Ensuite, les conseillers valident ou non les différents points. La CID permet une traçabilité accrue, car nous disposons de l'intégralité des réponses de chaque ministère par écrit.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment choisissez-vous entre l'une ou l'autre ? Est-ce que vous optez pour une CID lorsque vous souhaitez une trace écrite ou lorsque vous estimez qu'une RIM n'est pas nécessaire ? Pouvez-vous préciser les critères de décision ?

M. Cédric Arcos. - L'outil le plus courant est la RIM. Une CID est généralement utilisée lorsqu'un document a déjà été discuté. Par exemple, pour le Comité interministériel du handicap, nous avons eu cinq RIM officielles entre les ministères. Nous avions un tableau de mesures annoncées en matière de handicap. Nous diffusons ce document à tous les ministères. Chacun modifie ses parties, exprime son accord, etc. Cela permet de tracer les positions de chaque ministère de manière plus rationnelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ma deuxième question concerne le processus de remontée à l'autorité politique. Ce qui peut être surprenant pour nous, parlementaires, c'est que, selon vos propos, les conseillers traitent la question. À aucun moment, il ne semble y avoir de décision politique prise dans ce dossier. Pouvez-vous me le confirmer ?

M. Cédric Arcos. - Je vous le confirme, Monsieur le Rapporteur. Il n'y a pas eu de décision politique dans ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets d'insister, car votre réponse me surprend. Nous sommes face à une situation de fraude massive envers les consommateurs. La décision que vous allez prendre va permettre à cette fraude de perdurer, puisqu'il y a une période dans le plan de transformation où cette tromperie va continuer. Nous essayons de faire des calculs et nous parlons de millions de mètres cubes vendus aux consommateurs qui pensent acheter un produit naturel alors qu'il ne l'est pas. Cette fraude massive ne donne lieu à aucune décision politique. Je souhaite connaître votre point de vue sur cette situation.

M. Cédric Arcos. - Sur tous ces éléments, Monsieur le rapporteur, plusieurs points sont à considérer. En premier lieu, le niveau politique est informé. Lors de la manifestation de l'industriel auprès du ministère de l'Industrie, le politique en est nécessairement informé, d'autant plus qu'une enquête nationale de la DGCCRF est en cours. De plus, une saisine de l'Igas est systématiquement effectuée par les ministres. Le niveau politique a alors connaissance des faits.

En outre, en ce qui nous concerne, à aucun moment la Première ministre n'a été tenue informée. Nous avons estimé à notre niveau qu'il n'était pas nécessaire de faire remonter le dossier. En revanche, nous informons régulièrement notre directeur de cabinet sur les différents dossiers.

Pour répondre à votre question sur les critères de remontée d'un dossier au niveau politique, plusieurs facteurs entrent en jeu. Aujourd'hui, avec l'ampleur prise par l'affaire et votre commission d'enquête, je comprends qu'il soit possible de s'interroger sur notre gestion du dossier. Cependant, à l'époque, nous n'avions pas le sentiment qu'il s'agissait d'une affaire nécessitant une intervention politique directe.

Parmi les éléments qui déterminent la remontée d'un dossier sont les suivants, figure l'ampleur du problème. Il s'agissait, en l'occurrence, d'un sujet connu depuis 2021. De surcroît, un rapport de l'Igas était en cours, ainsi qu'une enquête de la DGCCRF. Surtout, l'absence de risque sanitaire était avérée. Ce point est crucial. S'il y avait eu un enjeu sanitaire, le dossier aurait évidemment été remonté. Enfin, l'accord entre les ministères est à souligner. Il n'existait pas de désaccord majeur entre les différents ministères concernés. Généralement, un sujet remonte au niveau politique lorsqu'il y a des désaccords entre les ministères ou lorsqu'un ministre exprime un malaise par rapport à la décision proposée. Dans ce cas, nous informons notre autorité, notre directeur de cabinet, de la situation.

Il est vrai que ce dossier soulève des questions éthiques, notamment sur la tromperie des consommateurs. Cependant, à l'époque, il ne s'agissait pas d'un dossier national au sens large, mais plutôt d'un problème concernant un industriel sur deux sites spécifiques. De plus, il n'y avait pas de dommages directs aux consommateurs sur la question de la santé.

En résumé, nous remontons généralement un dossier à notre autorité politique lorsqu'il existe des différences significatives entre les ministères ou lorsqu'un arbitrage politique est nécessaire. Dans ce cas précis, ces conditions n'étaient pas réunies selon notre évaluation de l'époque.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'entends deux points dans votre réponse. En premier lieu, vous estimez que votre devoir n'impliquait pas d'informer la Première ministre des irrégularités qui allaient affecter des millions de consommateurs pendant plus d'un an, le temps que les traitements soient supprimés. Vous considérez qu'il appartenait aux ministres, s'ils le jugeaient utile, de remonter ces informations par leurs propres canaux. En outre, vous pensez qu'il revenait aux ministres d'évaluer la situation, et non à vous, bien que vous preniez la décision finale. Est-ce que cette interprétation est conforme à vos propos ?

M. Cédric Arcos. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Par ailleurs, confirmez-vous que pendant des mois, voire des années, la fraude s'est perpétuée au détriment du consommateur et que cette situation a été validée dans le bleu, qui prévoit un certain nombre de recommandations prenant du temps à se mettre en oeuvre ? L'industriel lui-même a ensuite proposé d'autres solutions, notamment le déclassement des eaux, qui n'a cependant jamais été envisagé par les ministères de l'industrie ou de la santé au moment de l'arbitrage. Pouvez-vous confirmer que la fraude s'est effectivement perpétuée ?

M. Cédric Arcos. - Monsieur le rapporteur, je ne partage pas votre interprétation du dossier. L'objectif du bleu n'est pas de valider la situation existante, mais de mettre en place des actions concrètes. Ce document prévoit clairement l'arrêt immédiat de tous les traitements irréguliers, ce qui était déjà la règle locale que les autorités compétentes n'avaient pas appliquée. Il prévoit également le renforcement systématique des contrôles, avec une augmentation du nombre de contrôles sur site, la mise en place de contrôles en amont et en aval, ainsi que la consultation des autorités européennes. Face à cette problématique inacceptable, l'objectif est d'accompagner le plus rapidement possible un retour à la normale, c'est-à-dire la fin de ces pratiques, tout en tenant compte de la réalité industrielle.

Il est important de rappeler un point central : la microfiltration est autorisée si et seulement si elle ne modifie pas le microbisme de l'eau. La loi le stipule. Nous ne pouvons pas la contredire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Deux éléments sont à prendre en compte. En premier lieu, vous avez demandé à l'industriel de démontrer l'absence de modification des caractéristiques de l'eau dans un délai d'un mois, demande à laquelle il n'a jamais répondu. En outre, vous disposiez d'un outil simple pour rétablir l'ordre immédiatement, le déclassement des eaux. Cette solution a d'ailleurs été mise en place ultérieurement par Perrier. Pourquoi l'État n'a-t-il pas pris la décision de déclasser ces eaux, ce qui aurait permis de rétablir les droits de chacun et d'assurer la transparence requise ? Pouvez-vous m'expliquer pourquoi cette option n'a pas été envisagée, tandis qu'elle nous est apparue rapidement au cours de l'enquête ?

M. Cédric Arcos. - Vous posez une excellente question, Monsieur le rapporteur, mais pas à l'interlocuteur adéquat. Cette possibilité de déclassement n'a jamais été remontée par le ministère de la Santé, et pour cause, puisqu'elle ne relève pas de sa compétence. Le déclassement des eaux est du ressort des agences régionales de santé (ARS) et des préfets.

La problématique centrale qui nous a été soumise était différente. Des industriels nous demandaient l'autorisation d'appliquer une microfiltration inférieure à 0,8 micron. Nous avons constaté qu'aucune norme ne l'interdisait explicitement, mais nous n'étions pas certains de la marche à suivre. De plus, la situation manquait d'équité, car certains arrêtés autorisaient déjà cette pratique. Nous avions également connaissance de son utilisation dans d'autres pays, notamment en Espagne.

La seule question posée à Matignon était donc de savoir si nous pouvions autoriser une filtration plus fine. La réponse a été positive, sous réserve du respect de la loi. Cela signifie que le traitement doit être appliqué à des fins technologiques, ce que l'industriel affirmera toujours et dont il est responsable. De plus, ce traitement ne doit pas modifier le microbisme de l'eau.

Le principe fondamental de la réglementation sur l'eau est l'autocontrôle. Or nous avons décidé de renforcer ces contrôles systématiquement et de ne pas relâcher la vigilance. Nous visons à intensifier les contrôles en amont et en aval. Il est crucial de comprendre que la question posée à Matignon portait uniquement sur l'autorisation d'une filtration plus fine, et non sur le déclassement ou d'autres actions qui ne relèvent pas de notre compétence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez considéré la question que l'industriel vous posait. Vous ne vous êtes pas interrogés, au ministère de l'industrie et au ministère de la santé, sur la meilleure solution à apporter. J'en viens à la fabrication de la décision sur la microfiltration à 0,2 micron. Quels sont les éléments disponibles lorsque la décision est prise en février 2023 ? Les cabinets s'alignent. J'ai appris hier que le cabinet du ministère de la Santé s'alignait sur ses homologues. Vous avez probablement reçu les notes de Jérôme Salomon.

M. Cédric Arcos. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Salomon, jusqu'à la veille de la décision, envoie des notes précisant que la DGS est hostile à son contenu annoncé et contre l'arbitrage pris. En outre, un avis ANSES réaffirme que la règle est une microfiltration à 0,8 micron. Enfin, vous indiquiez avoir sollicité les experts. Manifestement, solliciter ne signifie pas suivre les experts. En effet, l'ARS Grand Est précise qu'une microfiltration à 0,2 micron modifie le microbisme de l'eau. L'industriel, à l'inverse, exige le passage à une microfiltration à 0,2 micron en proférant des menaces sur la question de l'emploi. Ce point est retracé dans vos échanges. Vous ne l'évaluez d'ailleurs pas autrement que par les assertions de Nestlé. A contrario, le bloc sanitaire refuse une microfiltration à 0,2 micron. L'industriel Danone, lui-même, lorsque nous l'avons reçu, nous a indiqué que la limite de 0,8 micron était clairement indépassable pour l'ensemble du secteur. Visiblement, ce point n'est pas clair pour vous ; il l'est en revanche pour un des acteurs du secteur, pour l'Anses et pour l'ARS. Quels sont par conséquent les éléments du dossier qui vous poussent vers la microfiltration à 0,2 micron ?

M. Cédric Arcos. - Monsieur le rapporteur, je tiens à préciser plusieurs éléments. Tout d'abord, il est important de souligner que nous ne nous prononçons pas sur le 0,2 micron. Il n'y a donc rien qui nous amène à cette valeur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous validez un plan de transformation qui prévoit le seuil de 0,2 micron. La note indique clairement qu'il est demandé d'accompagner le plan de transformation de Nestlé Waters.

M. Cédric Arcos. - Le bleu précise, concernant le site de Vergèze, que le cabinet de la Première ministre demande à la préfète du Gard et au directeur général de l'ARS Occitanie de prendre en compte l'autorisation de microfiltration, c'est-à-dire la possibilité d'utiliser des filtres jusqu'à 0,8 micron. Il est également demandé de définir une démarche d'accompagnement et de contrôle de la qualité de l'eau aux différentes émergences.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ne jouez-vous pas avec les mots ? Vous validez une démarche d'accompagnement et de contrôle qui autorise d'abaisser le seuil de 0,8 micron, quand le plan de transformation prévoit 0,2 micron. N'est-ce pas une validation implicite du déploiement de ce plan de transformation ?

M. Cédric Arcos. - Non, Monsieur le rapporteur. Ce n'est pas le rôle de Matignon. Seul le préfet, dans le cadre de ses responsabilités et sur conseil technique de l'ARS, peut valider ou non le plan de transformation. À aucun moment nous n'avons cette prérogative.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous disposez dans votre dossier d'une expertise technique de l'ARS qui affirme que la microfiltration à 0,2 micron modifie le microbisme de l'eau.

M. Cédric Arcos. - Il est crucial de clarifier le fait que nous n'avons pas validé le plan de transformation. Cette décision n'est pas du ressort de Matignon. Les autorités compétentes sont chargées de valider ou non le plan de transformation. Notre rôle se limite à répondre à la seule question qui nous est posée de pouvoir ou non abaisser le seuil.

Concernant l'avis de l'Anses, la situation n'est pas aussi limpide que vous le suggérez, sinon nous n'aurions pas passé des mois à solliciter divers avis. L'Anses rappelle simplement l'avis de l'AFSSAPS, c'est-à-dire que la microfiltration peut être autorisée sous 0,8 micron, sous certaines conditions strictes. En premier lieu, elle doit faire l'objet d'une demande d'autorisation de la part de l'industriel. Dans l'affaire Nestlé Waters, le problème réside dans l'absence d'autorisation préalable, les filtres ayant été installés sans accord. En outre, il faut prouver l'absence de modification de l'eau et le documenter.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'avis de l'Anses de janvier 2023, peu de temps avant la décision de février 2023, est pourtant clair. Je cite : « Une microfiltration inférieure à 0,2 micron constitue une action assimilable à une désinfection ». Vous avez donc la réponse à votre question. Vous savez par les analyses de terrain et par l'Anses qu'il s'agit d'une désinfection. Pourtant, vous validez, dans le bleu, une baisse sous 0,8 micron, avec un plan de transformation qui, si vous ne l'avez pas validé, mais simplement accompagné, prévoit le déploiement d'une microfiltration à 0,2 micron.

Je souhaiterais comprendre ce qui a orienté la décision publique dans cette direction. J'ai le sentiment que la réflexion a beaucoup porté sur la meilleure manière de s'affranchir de la limite de 0,8 micron, sans se poser la question du déclassement de l'eau, soulignée par Monsieur Salomon dans sa note.

J'entends vos réponses, mais je trouve qu'elles soulèvent des interrogations. Je ne comprends pas pourquoi, au moment de la prise de décision, ces éléments ont été écartés au profit du risque pour l'emploi que vous avez mentionné. Je ne vois pas d'autre raison pour cette validation, étant donné ce que vous dites des autorités sanitaires. Je peux comprendre l'arbitrage, mais est-ce vraiment sur cette base que la décision a été prise ?

M. Cédric Arcos. - Nous ne faisons pas abstraction des avis des autorités sanitaires. La DG de l'ARS Grand Est a soulevé la question de la microfiltration, indiquant qu'en dessous de 0,2 micron, il existe une difficulté potentielle de modification des caractéristiques microbiologiques de l'eau. Elle a surtout exprimé le besoin d'un appui scientifique de l'Anses pour analyser la situation, n'ayant pas de certitude à ce stade.

Concernant le processus décisionnel, la veille de la décision, la direction du cabinet du ministre de la Santé m'a communiqué la position qu'elle comptait prendre, après concertation avec la DGS et la direction des affaires juridiques (DAJ). Il n'était alors pas question de la limite de 0,2 micron. La discussion portait sur la possibilité de descendre sous 0,8 micron, conformément à un avis de 2001. Cette option était envisageable sous certaines conditions légales, notamment l'obtention d'une autorisation, la vérification de l'absence de modification des caractéristiques de l'eau, et la mise en place d'un plan de renforcement des contrôles.

L'industriel, tout au long de la procédure, a évoqué l'utilisation de filtres à des fins technologiques pour prévenir la formation d'un biofilm. Je n'ai pas les compétences pour valider cette affirmation. Notre rôle était de fournir une ligne d'action en réponse à la question posée.

Mme Marie-Lise Housseau, vice-présidente. - Il semble effectivement que les industriels, notamment les directeurs des sites de Vergèze et des Vosges, aient interprété très favorablement votre position du 17 février concernant la possibilité d'une microfiltration inférieure à 0,8 micron. Ils nous ont en effet indiqué que tous leurs plans de réorganisation, de restructuration et leurs investissements étaient basés sur une limite de 0,2 micron. Lorsque nous leur avons signalé que cette limite n'était pas légale, ils ont semblé convaincus d'avoir reçu l'autorisation du ministère et de l'État. Il existe manifestement une ambiguïté et une interprétation très favorable de la part des embouteilleurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame la présidente, si je peux me permettre, même les autorités déconcentrées de l'État, lorsque nous en discutons avec elles, affirment qu'il y avait le bleu. Elles semblent considérer que l'existence de ce document validait la démarche.

M. Cédric Arcos. - Il est compréhensible que les industriels interprètent les informations à leur avantage. Cependant, il est important de préciser que le bleu n'est pas destiné aux industriels. Il s'agit d'un document interne au Gouvernement, destiné aux cabinets ministériels pour coordonner les positions. Le contenu de ce document, en l'occurrence, indique simplement la possibilité, sous certaines conditions technologiques, de demander une autorisation, à condition que la décision ne modifie pas les caractéristiques de l'eau.

Il incombe ensuite à l'industriel de prouver qu'il respecte ces conditions. Nous n'avons jamais mentionné la limite de 0,2 micron dans le bleu de Matignon. Notre décision était basée sur un avis convergent des deux ministères concernés, tenant compte des incertitudes scientifiques et du besoin d'une planification européenne. Il est important également de noter que l'interdiction formelle ne concerne que les valeurs inférieures à 0,2 micron.

L'industriel a fourni des études scientifiques pour justifier sa position. Notre rôle était de définir un cadre. Ensuite, il appartient à l'industriel de démontrer qu'il ne modifie pas les caractéristiques de l'eau. Les autorités compétentes disposent de tous les outils nécessaires pour le vérifier et, le cas échéant, intervenir. D'ailleurs, certaines sources ont été fermées par la suite pour prendre en compte ces évolutions.

Il est important de noter également que l'article 40 a été engagé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Attendez. L'article 40 a été engagé par une directrice générale d'ARS, en « bout de chaîne », un an et demi après que l'État central et le ministère de l'industrie ont été informés. Lorsque nous avons interrogé les différents acteurs juridiques, ils s'interrogent tous sur la façon dont la situation a pu évoluer de la sorte. À Vergèze, il a été nécessaire d'attendre l'intervention de Foodwatch en janvier 2025 pour que la situation soit instruite. Une question se pose : pourquoi le ministère de l'industrie n'est-il pas intervenu ? Finalement, l'État déconcentré, d'une certaine manière, sauve l'État central. Au niveau local, il a été décidé d'engager l'article 40. Je pense qu'il est important de reconnaître que cette action n'est pas à mettre au crédit de l'État central.

M. Cédric Arcos. - Je ne peux pas m'exprimer sur les actions du ministère de l'industrie. En revanche, je suis d'accord pour affirmer que l'État déconcentré a agi en premier lieu. La doctrine générale, traduite notamment dans l'article 40, est que l'acteur le plus proche du terrain est souvent le mieux placé pour agir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le problème, Monsieur Arcos, est que les ARS n'ont pas été informées initialement. Les délais d'information sont un problème majeur dans ce dossier. Les ARS n'ont été impliquées qu'en octobre pour l'Occitanie et en avril 2022 pour le Grand Est. Il y a eu une période où, à la suite du rapport de l'Igas, il semble qu'il ait été décidé de ne pas informer immédiatement les ARS, préférant garder l'affaire au niveau central. Ce choix a empêché les ARS de jouer pleinement leur rôle. Si une enquête avait été lancée immédiatement au niveau des ARS, la situation aurait pu être différente. Dans ce cas, je maintiens que les ARS ont finalement sauvé l'honneur de l'État central dans cette affaire.

M. Cédric Arcos. - Je ne me prononcerai pas sur des faits dont je n'ai pas eu connaissance. Je vous proposerai plutôt d'aborder les éléments que j'ai pu examiner. Dès lors que j'ai eu à connaître le dossier, les ARS étaient particulièrement réactives et efficaces dans leur gestion de la situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant la région Grand Est, je partage votre analyse. J'ai une autre analyse concernant l'ARS Occitanie.

Un point me préoccupe : votre affirmation initiale selon laquelle il n'y aurait pas de risque sanitaire. Bien que le risque ne se soit pas concrétisé à notre connaissance, la question de la gestion du risque mérite d'être examinée. Nous sommes confrontés à un industriel qui utilise des traitements illégaux. Ces traitements (UV, charbon actif) habituellement utilisés pour l'eau du robinet le sont pour une désinfection. Lors de nos entretiens avec les directeurs d'usine des différents sites, nous avons appris que des forages avaient été fermés, avec difficulté sur la qualité de l'eau. D'autres forages étaient défaillants dans la remontée de l'eau, posant un certain nombre de difficultés. Le retrait de ces outils pose une question sanitaire. Le rapport Igas souligne un enjeu virologique avec une microfiltration de 0,2 micron, car il n'est pas possible d'établir un contrôle virologique fiable. Face à cette situation, l'ARS Grand Est a rapidement mis en place un contrôle virologique renforcé. Tel n'a pas été le cas en revanche en Occitanie, l'ARS s'étant contentée de l'autocontrôle par une entreprise ayant commis des fraudes massives. Cette disparité dans la gestion du risque sanitaire entre les régions est préoccupante.

Par ailleurs, le remplacement des filtres illégaux par d'autres filtres tout affirmant qu'il n'existe pas de sujet de désinfection me semble problématique.

Je pense qu'il existait un véritable enjeu sanitaire dans ce dossier, et que la gestion du risque n'a pas été uniforme sur l'ensemble du territoire. Partagez-vous cette analyse ?

M. Cédric Arcos. - Monsieur le rapporteur, je souhaite réagir à votre analyse du dossier. Il est indéniable que la gestion du risque sanitaire dans le domaine de l'eau est un enjeu majeur. Nous sommes confrontés à de nombreux défis : raréfaction de la ressource, impact du changement climatique, prélèvements massifs. Ces changements affectent nos méthodes de contrôle et nécessitent des adaptations technologiques.

Dans ce contexte, la France a demandé à plusieurs reprises à la Commission européenne d'harmoniser les pratiques entre les États membres, car nous constatons que ces préoccupations sont partagées par d'autres pays.

Concernant notre approche, je tiens à souligner que la première préoccupation des ARS a toujours été la maîtrise du risque sanitaire. Il n'y a eu aucune légèreté dans la position de l'État ou de ses représentants sur le territoire. Nous avons pris des mesures concrètes, comme la mise sous scellés d'environ un million de bouteilles non conformes.

Il est important de rappeler que l'eau en France est l'un des produits les plus contrôlés, avec 97 % de conformité. Dans un contexte de défiance généralisée, il est crucial d'affirmer qu'il n'y a pas de légèreté sur ces sujets, bien au contraire.

Quant à la question des virus que vous soulevez, je tiens à préciser que la France dispose d'un système de surveillance extrêmement performant. Dès qu'un problème viral est détecté, des mesures sont immédiatement prises.

Je voudrais également corriger un point de votre intervention. Dans le cas du Grand Est, nous avons demandé à l'ARS de mettre en place « toutes les mesures nécessaires à la préservation de la qualité de l'eau », incluant une surveillance renforcée bactériologique et virologique des différentes émergences. Le risque viral est donc systématiquement pris en compte dans nos décisions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez raison, je corrige mon propos. En effet, la question se pose plus en amont, car à ce stade, tout était déjà en place.

M. Cédric Arcos. - Cette affaire est importante, car elle nous pousse à nous remettre en question. Nous sommes confrontés à plusieurs problèmes majeurs : des fraudes massives touchant 30 % du marché, ce qui est inacceptable pour les consommateurs, et la difficulté de nos équipes de contrôle à détecter ces fraudes.

Face à ces défis, l'État doit se demander comment améliorer ses pratiques pour prévenir ces dysfonctionnements. Cette affaire met en évidence la nécessité de renforcer l'organisation et la coordination des services de l'État. Trois administrations sont impliquées : ministère de la santé, DGCCRF et ministère de l'agriculture. Nous devons réfléchir à la manière de mutualiser nos forces pour être plus efficaces que les industriels qui cherchent à frauder.

L'objectif n'est pas de prétendre que l'État a agi de façon parfaite. Au contraire, nous reconnaissons la nécessité d'évoluer et de nous améliorer. C'est précisément le but de cet examen approfondi : identifier nos faiblesses pour renforcer notre action.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je souhaite vous poser une question importante, étant donné votre position centrale dans le processus. En analysant les différentes étapes, nous constatons que le cabinet du ministère de la santé juge que certains éléments ne sont pas clairs. Il est évident que, jusqu'à la décision effective, le cabinet du ministre de la santé s'y opposait, avec le soutien de son administration. Monsieur Salomon nous a en effet indiqué : « Ça arrive tous les jours de perdre des arbitrages. Cet arbitrage, je l'ai perdu. » Selon vous, quels sont les éléments qui ont convaincu le cabinet du ministère de la santé d'aller à l'encontre de son administration ?

M. Cédric Arcos. - Ils vous répondront. Dans les éléments qui me sont remontés, il n'y a pas d'arbitrage négatif. Je me souviens particulièrement du message qui m'a été adressé la veille de la réunion interministérielle informelle, le 16 février. Le cabinet entame son courriel en indiquant « après concertation avec la DGS et la DAJ, voici notre proposition : autorisation de fait d'aller en-dessous de 0,8 micron, etc. »

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Salomon affirme le contraire. Jusqu'au dernier jour, il envoie des notes contraires.

M. Cédric Arcos. - Par principe, nous n'avons pas accès aux notes des directions d'administration centrale, sauf si elles nous sont transmises. Dans ce cas précis, ce n'était pas le cas, ce qui est une pratique normale. Matignon ne se substitue pas aux cabinets des ministres.

Je constate pour ma part que le ministère évolue comme dans toute prise de décision. Initialement, nous découvrons le sujet. Nous rencontrons des industriels qui manquent de clarté dans leur communication. J'ai eu l'occasion de critiquer la communication de la société, que je n'ai pas jugée convaincante. Je tiens à souligner qu'un travail approfondi a été mené de la part du cabinet du ministère de la santé, qui a fait preuve d'une transparence systématique, y compris dans plusieurs des notes en votre possession. Le cabinet recherche systématiquement les avis des différentes autorités sanitaires.

Si la question avait été une validation d'un seuil à 0,2 micron, la réponse aurait été claire. La question posée était cependant différente. Face à la différence de pratique sur le territoire, à une incertitude réglementaire constatée par tous, il a été demandé s'il était possible de passer légèrement sous le seuil de 0,8 micron. La réponse a été affirmative avec des réserves. Cette réponse constitue un simple rappel de la loi.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je voudrais poser une question supplémentaire. Dans le bleu, il était clairement indiqué qu'il fallait arrêter immédiatement les traitements illégaux. Or, le 7 avril, l'ARS d'Occitanie, par la voix de son directeur général Didier Jaffre, vous avait alerté sur le fait que la situation de Perrier n'était pas réglée et que le respect de la réglementation devait être immédiat. En réalité, Nestlé ne s'est pas mis en conformité. Comment avez-vous réagi face à ce mépris de Nestlé, que vous aviez, par votre décision et votre autorisation d'un seuil inférieur à 0,8 micron, en quelque sorte avantagé, qui ne faisait pas l'effort de mettre fin aux traitements interdits ?

M. Cédric Arcos. - La question est difficile. Je n'ai pas de souvenir précis de ma réaction face à des industriels qui ne respectent pas leurs obligations. Le message de Monsieur Jaffre visait à m'informer. Je ne l'avais pas sollicité. Il m'a écrit spontanément pour me transférer, de mémoire, un échange qu'il avait eu avec la direction de cabinet. D'une certaine manière, ce message me rassure, car je constate que la question est suivie. En revanche, j'observe qu'il reste un chemin à accomplir. Je n'ai pas poussé l'analyse davantage.

Mme Marie-Lise Housseau. - Avec le recul sur cette affaire qui, malgré tout, a été un fiasco, même si vous estimez avoir fait tout ce qui était en votre pouvoir, pensez-vous, au poste que vous occupez actuellement, que les conditions sont réunies pour qu'un tel désastre ne se reproduise pas ? En outre, quelles seraient vos recommandations pour éviter de retomber dans une situation similaire avec un autre industriel dans un autre domaine ?

M. Cédric Arcos. - Merci, Madame la présidente. Concernant ce dossier, je dirais que nous sommes dans une meilleure position aujourd'hui. Je me garde de toute réponse définitive. Il y a beaucoup de complexité dans la gestion de ces dossiers difficiles. Pour répondre plus directement à votre question, nous avons progressé. Nous avons à présent connaissance des pratiques. Le rapport de l'Igas nous a beaucoup appris, ainsi que les différentes inspections que nous mettons en place et que nous renforçons. Je crois que la grande majorité des entreprises ont été visitées. Il y a vraiment eu une prise de conscience, une exigence accrue, à la suite d'une rupture de confiance, puisque nous avons affaire à des industriels qui nous ont délibérément menti, qui n'ont pas demandé les autorisations pourtant existantes et inscrites dans la loi.

Comment pourrions-nous faire mieux ? Je crois que nous avons véritablement besoin d'une harmonisation des règles européennes. Nous voyons aujourd'hui que les États ne partagent pas leurs pratiques. Il existe un réel besoin d'une harmonisation européenne. Je crois également qu'il est nécessaire d'adapter notre réglementation au regard des enjeux climatiques et du changement de la nature de la ressource. Nous sommes confrontés à de nouvelles exigences. Nous examinons également les exigences actuelles de transparence et de qualité, qui font que le tolérable d'il y a 15 ou 20 ans n'est plus acceptable aujourd'hui, d'autant que les techniques de contrôle ont évolué. Dans tous les cas, une harmonisation me paraît réellement indispensable.

Le dernier élément qui nous permettra d'être encore plus efficaces dans la mission de l'État demain réside dans l'harmonisation et le renforcement de la coordination entre les ministères. Très souvent, les industriels peu scrupuleux, ceux qui veulent frauder - heureusement tous ne sont pas dans ce cas - profitent de la désorganisation du contrôle, de la difficulté, et également de la diminution de l'expertise. Nous n'avons pas toujours la personne experte dans chacune des régions, dans chacun des territoires, etc. Les industriels qui veulent frauder l'ont compris. Par le renforcement de la coordination, qui est l'objet du travail actuel, la DGS et son directeur seront mis en avant. Nous serons sans doute beaucoup plus efficaces. En résumé, cette affaire nous a permis d'avancer.

Mme Marie-Lise Housseau, vice-présidente. - Je vous remercie.

Audition de Mme Sophie Dubois, directrice générale de Nestlé Waters France d'avril 2018 à janvier 2025, actuelle présidente de Nestlé France
(Mardi 18 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, permettez-moi, pour commencer, de remercier Mmes Anne Ventalon et Marie-Lise Housseau, qui ont eu l'amabilité de me suppléer la semaine dernière à la présidence de la commission d'enquête. Je remercie également tous ceux qui ont pu me témoigner des marques de sympathie en ce moment particulier.

Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Sophie Dubois, qui a été directrice générale de Nestlé Waters France d'avril 2018 à janvier 2025. Depuis le 1er janvier 2025, Sophie Dubois est la nouvelle présidente de Nestlé en France, succédant à Muriel Liénau.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite, madame, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Dubois prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous rappelle également qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui est non pas un tribunal - elle est dépourvue de finalité répressive -, mais une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus. Il en résulte que, selon la loi, « la personne qui (...) refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ».

Si vous estimez que votre réponse est de nature à aller à l'encontre du secret professionnel ou des affaires, donc que vous ne souhaitez pas la communiquer publiquement, il vous est loisible de demander à procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit à notre commission.

Enfin, j'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés, comme j'ai pu le faire pour d'autres personnes qui l'ont souhaité. Je rappelle que celui-ci ne pourra intervenir devant la commission.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Je rappelle que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille ».

En effet, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours. Pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises, et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?

Aujourd'hui présidente de Nestlé en France, vous avez dirigé de 2018 à 2025 les activités de Nestlé Waters en France.

Les directeurs des sites Nestlé des Vosges et du Gard ont reconnu que des traitements interdits existaient au moins depuis 2021, et Nestlé Waters, par la voix de Muriel Liénau, a avoué l'usage de ces traitements interdits au cabinet de Madame Pannier-Runacher, alors ministre déléguée chargée de l'industrie, le 31 août 2021. À cet égard, votre déposition est cruciale dans cette affaire.

À quoi servaient ces traitements ? Comment, pourquoi et par qui ont-ils été mis en place ? Qu'attendiez-vous de la réunion du 31 août 2021 au cabinet de Mme Pannier-Runacher ? Comment y avez-vous contribué, et que s'est-il passé ensuite ? Quelles ont été vos interactions avec les ministères et les services de l'État concernés, notamment les agences régionales de santé (ARS) Occitanie et Grand Est ou les préfectures du Gard et des Vosges ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise, qui entame la confiance des consommateurs dans un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques-uns des thèmes sur lesquels notre rapporteur souhaite vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : une présentation liminaire de vos réflexions, en vingt minutes environ, les questions de notre rapporteur, puis celles des autres membres de la commission.

Mme Sophie Dubois, directrice générale de Nestlé Waters France d'avril 2018 à janvier 2025, présidente de Nestlé France. - Je vous remercie de m'avoir invitée pour m'exprimer devant cette commission d'enquête. Je ne peux que souhaiter qu'elle puisse contribuer à une meilleure compréhension des enjeux auxquels sont confrontés l'ensemble des minéraliers.

Depuis le 1er janvier 2025, j'occupe la fonction de présidente de Nestlé France.

En tant que présidente de Nestlé Waters France marketing et distribution entre avril 2018 et décembre 2024, j'avais notamment la responsabilité du développement des marques et de leur commercialisation, c'est-à-dire des ventes, du marketing, de la finance et de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) en France. Je tiens à préciser que la gestion des usines et des ressources en eau ne relevait pas directement de mon périmètre opérationnel. Néanmoins, mes équipes étaient évidemment en lien régulier avec les usines, afin de garantir la bonne coordination de nos activités.

À titre liminaire, je souhaite vous apporter les éléments de contexte qui me semblent essentiels pour mieux comprendre notre activité et l'environnement dans lequel elle s'inscrit.

Il me semble nécessaire de rappeler que l'eau minérale naturelle occupe une place importante historiquement et économiquement en France. Les consommateurs français ont un attachement très fort à certaines marques d'eau minérale naturelle, dont ils apprécient les qualités gustatives et minérales uniques. Être minéralier représente donc une responsabilité majeure : celle de mettre à la disposition d'un large public des eaux uniques issues de territoires protégés dont proviennent leurs compositions minérales et leurs propriétés gustatives.

Il existe près de quatre-vingt-dix marques d'eau minérale en France. Chaque source est unique, ses caractéristiques étant étroitement liées à son territoire d'origine. L'eau traverse différentes couches géologiques sur de longues périodes, ce qui lui permet d'atteindre sa richesse minérale. Sa qualité dépend donc de la qualité des sols et de l'environnement où elle s'infiltre. L'âge de nos eaux varie de quelques années pour Hépar à plusieurs millénaires pour Vittel Bonne source. Les caractéristiques de chacune de nos eaux leur confèrent des bénéfices spécifiques : Hépar, riche en magnésium, aide à réduire la fatigue et favorise le transit ; Contrex, avec sa teneur unique en calcium et en magnésium, contribue à la santé osseuse ; Vittel est une eau pour une consommation quotidienne, qui recharge en minéraux, mais qui est aussi très appréciée des sportifs ; Perrier séduit par son effervescence unique et son caractère rafraîchissant, qui en fait un leader incontournable du marché français des eaux gazeuses. Perrier est aussi une marque ancrée dans le territoire, au point que nous avons désormais un musée dédié à la marque, lequel accueille des centaines de visiteurs par an.

Notre métier est d'embouteiller l'eau à la source, en assurant les mesures et les contrôles nécessaires pour garantir la qualité et la sécurité alimentaire du produit aux consommateurs.

Comme tous les minéraliers, nous devons aujourd'hui répondre à de nouveaux enjeux pour continuer à construire l'avenir, dans un contexte qui a beaucoup changé. Nos conditions d'exploitation sont rendues plus difficiles par l'intensification des activités humaines et par le changement climatique, avec des périodes de fortes pluies ou de sécheresse qui sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus intenses, et qui peuvent perturber le cycle de l'eau. Nous devons également projeter nos marques vers l'avenir et répondre aux nouvelles attentes de nos consommateurs et de nos clients, notamment en matière de développement durable et de produits sains. Enfin, nous devons moderniser nos sites en intégrant les nouvelles technologies.

Concrètement, comment intégrons-nous ces enjeux sur le terrain tout en continuant à assurer la sécurité alimentaire en toutes circonstances ? Tout d'abord, l'ensemble de nos processus de production ont été revus, avec notamment un enjeu de mise en conformité. L'entreprise a également fortement investi dans l'outil industriel pour le moderniser et ouvrir de nouvelles perspectives, et nous continuons à nous mobiliser pour assurer la gestion durable et responsable de la ressource en eau.

Depuis 2021, pour mettre ces procédés en conformité tout en continuant à assurer la sécurité alimentaire en toutes circonstances, l'entreprise a réalisé une transformation majeure des opérations de ses deux sites en France, dans le Gard et dans les Vosges. Comme nous l'avons expliqué depuis plus d'un an, Nestlé Waters France a, sous le contrôle des autorités et après avoir reçu la confirmation de la conformité du niveau de microfiltration utilisé, retiré les mesures de protection non conformes à la réglementation applicable aux eaux minérales naturelles en France, les dispositifs ultraviolets et les filtres à charbon, suspendu certains forages plus sensibles aux aléas climatiques dans les Vosges, réalloué certains forages à la production de boissons Maison Perrier sur le site de Vergèze et renforcé les mesures de contrôle et de gestion intégrée de la qualité. Nos directeurs d'usine ont eu l'occasion de vous expliquer dans le détail cette mise en conformité, puisqu'il s'agissait là de l'une de leurs feuilles de route.

L'entreprise a reconnu que ses pratiques passées n'étaient pas conformes au cadre réglementaire applicable en France, elle a exprimé ses regrets et mis en place un plan de transformation qui a permis de mettre fin à ces pratiques, qui ne pouvaient pas perdurer.

Beaucoup de choses ont été écrites sur le sujet, qui ont pu engendrer une grande confusion. Je tiens donc à être très claire : les eaux embouteillées par Nestlé Waters France, à savoir Perrier, Vittel, Contrex et Hépar, n'ont jamais présenté le moindre risque sanitaire. De nombreuses personnes auditionnées par votre commission l'ont d'ailleurs confirmé, dont l'actuel directeur général de la santé et son prédécesseur, le préfet du Gard et le directeur général de l'ARS Occitanie. En dehors de votre commission, le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention a indiqué, dans l'hémicycle, qu'aucun risque à la santé publique n'était à déplorer, ce qu'a également fait le tribunal judiciaire d'Épinal, dans le cadre de la convention judiciaire d'intérêt public conclue en septembre dernier.

Comme je l'ai mentionné, un volet majeur de notre plan de transformation a été la mise en oeuvre d'un renforcement des mesures de contrôle et de gestion intégrée de la qualité sur nos deux sites. Aujourd'hui, près de 1 500 analyses sont réalisées chaque jour entre les sites des Vosges et de Vergèze pour garantir la qualité de l'eau et assurer la sécurité alimentaire de nos produits en toutes circonstances.

J'y insiste : « en toutes circonstances » ! Les aléas climatiques sont notre nouvelle réalité. Nous ne maîtrisons pas la météo, mais nous maîtrisons la qualité de nos eaux et assurons qu'elles sont toujours sûres, quoi qu'il arrive. D'ailleurs, les résultats de nos tests quotidiens sont à la disposition des autorités sur une plateforme collaborative de l'État nommée Resana, et les autorités font leurs propres tests régulièrement, tant à la source que sur le produit fini, et vérifient en permanence la conformité aux normes de sécurité alimentaire et de qualité.

Outre la sécurité, je tiens à ajouter que la composition minérale de nos eaux naturelles, qui rend nos eaux uniques, a toujours été préservée - c'est celle qui figure sur nos étiquettes. Pourtant, là aussi, notre offre a été régulièrement comparée à l'eau du robinet, alors même que nous n'ajoutions rien à notre eau et que l'eau du robinet, au contraire, fait souvent l'objet de traitements chimiques.

De manière plus générale, et je le regrette, certains médias ont déroulé un feuilleton anxiogène. Dans ce contexte, nous avons eu du mal à faire entendre notre point de vue, alors qu'aujourd'hui toutes les opérations de Nestlé Waters sont conformes au cadre réglementaire applicable en France et que toutes nos procédures de qualité sont adaptées pour nous permettre de faire face aux aléas climatiques en toutes circonstances.

Pour permettre la pérennité de nos activités et de nos marques, nous devons agir de manière proactive pour protéger les ressources, en adoptant des pratiques durables pour faire face au changement climatique, mais également à l'urbanisation, aux activités industrielles et aux pratiques agricoles qui peuvent se développer autour de nos sites. C'est la condition pour que nos marques puissent continuer à exister et pour répondre aux attentes des consommateurs. Cette préservation de la ressource est au coeur de notre métier de minéralier.

Chez Nestlé Waters, la préservation des ressources repose sur deux piliers fondamentaux : une connaissance approfondie du territoire, fondée sur des études scientifiques que Nestlé Waters réalise dans le Gard et dans les Vosges depuis plus de trente ans ; des investissements permanents. Depuis le début des années 90, Nestlé Waters a investi plus de 100 millions d'euros dans la préservation des ressources dans les Vosges et dans le Gard, nous permettant de mener des actions concrètes, en collaboration avec les acteurs locaux, visant à protéger les sols et à préserver ou même à restaurer la biodiversité. Ces investissements sont autant d'engagements envers les territoires au sein desquels Nestlé Waters s'est implanté en France. La protection de la ressource ne peut s'accomplir que de manière collective, en étroite collaboration avec l'ensemble des acteurs locaux.

Permettez-moi d'illustrer brièvement mon propos par quelques exemples concrets. À Vergèze, dans le Gard, Nestlé Waters aide les viticulteurs à réduire l'usage des pesticides et à se développer en bio. L'entreprise collabore également avec Vinci pour maîtriser les eaux de ruissellement de l'autoroute.

Dans les Vosges, le programme Agrivair, fondé à l'origine avec l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), est un modèle unique de coopération. Depuis plus de trente ans, Nestlé Waters travaille avec les agriculteurs, les entreprises, les collectivités et les habitants pour concilier activités humaines et protection des sources. Fort d'une équipe de treize personnes, Agrivair promeut une agriculture durable, avec une politique « zéro pesticide » autour des sources de Vittel, Contrex et Hépar. Dans ce cadre, des terres agricoles sont mises gratuitement à disposition des agriculteurs, en contrepartie du respect d'un cahier des charges favorisant les pratiques respectueuses de l'environnement. Le programme repose sur un partenariat avec quarante exploitations agricoles engagées dans cette démarche. En parallèle, Agrivair travaille avec l'Office national des forêts (ONF) pour gérer durablement plus de 300 hectares de forêts. Agrivair a d'ailleurs été reconnu entreprise engagée pour la nature par l'ONF en 2023.

Au-delà de ses sources, Nestlé Waters travaille aussi à des programmes de régénération du cycle de l'eau dans les régions dans lesquelles nous sommes présents. Nous menons, par exemple, autour de Vittel, la renaturation d'un cours d'eau, le Petit Vair, qui traverse différentes zones clés de la ville - espaces naturels, zones d'habitation, station thermale ou encore hippodrome. À Vergèze, un plan ambitieux de restauration écologique est également en cours, comprenant reforestation et restauration des zones humides, comme la renaturation de la rivière Rhôny. L'objectif de ces programmes est de restaurer le régime naturel des cours d'eau pour limiter l'érosion et protéger l'habitat aquatique. Les berges sont revégétalisées pour renforcer les écosystèmes et la biodiversité. En un mot, ces projets redonnent vie au cycle local de l'eau.

La protection de la ressource et de l'environnement ne peut être gérée seule. Elle nécessite une collaboration avec l'ensemble des acteurs du territoire. D'ailleurs, à cette fin, j'ai été amenée, dans le cadre de mes fonctions, à échanger régulièrement avec les élus locaux des communes sur lesquelles nous sommes implantés, ainsi qu'avec les préfets, notamment sur les enjeux économiques de nos sites et de leur territoire, comme l'ont expliqué ici devant vous les maires de Contrexéville, Vittel et Vergèze, le 30 janvier dernier.

Enfin, tout notre effort de ces dernières années, dans le cadre du plan de transformation et au-delà, s'inscrit dans une vision d'avenir pour nos marques, qui anticipe les attentes des consommateurs et adapte notre offre aux évolutions du marché.

De fait, en parallèle de l'eau minérale naturelle, le segment des boissons connaît un fort potentiel de croissance. La demande pour les eaux gazeuses aromatisées en France a augmenté de 10 % en moyenne chaque année depuis dix ans. Les consommateurs sont toujours davantage à la recherche de plaisirs sains, tels que les eaux aromatisées ou les cocktails sans alcool.

Nous avons intégré cette tendance au travers du lancement de la gamme Maison Perrier, une gamme de boissons qui regroupe des eaux gazeuses aromatisées, des boissons à base de jus de fruits, des cocktails sans alcool et des boissons énergétiques. Cette nouvelle gamme, plus innovante et plus créative, renforce notre positionnement sur ce segment dynamique, pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Elle nous permet de proposer une offre commerciale complète aux côtés de notre marque historique.

Nous innovons aussi pour permettre à nos marques des Vosges de bénéficier du dynamisme du segment des eaux aromatisées. Nous avons, par exemple, lancé Vittel+, qui est leader du segment des eaux fonctionnelles, Vittel aromatisée, une gamme de boissons rafraîchissantes avec des ingrédients 100 % d'origine naturelle, ou encore, cette année, Vittel fruitée, une nouvelle gamme à base de jus de fruits.

Les nouvelles générations de consommateurs expriment également une attente croissante pour des produits à moindre impact environnemental : ils souhaitent des produits avec moins d'emballage, innovants et durables. Aujourd'hui, tous nos emballages sont recyclables et nous augmentons, année après année, la proportion de matières recyclées dans nos emballages. Nous utilisons, en moyenne, 65 % de matières recyclées dans les canettes et 50 % dans les bouteilles en polytéréphtalate d'éthylène (PET), et jusqu'à 100 % pour la gamme Vittel, hors bouchon et étiquette. Nos bouteilles en verre sont consignées et réutilisées pour 90 % d'entre elles. Nous réduisons également le poids de nos emballages et avons mis en place le bouchon solidaire. Dans les Vosges, nous avons également créé une ligne dédiée à la production d'un bidon Vittel 6 litres, réduisant de 20 % la quantité de plastique utilisée par rapport à une offre de six fois 1 litre. Notre bidon Vittel 6 litres est également fabriqué à 100 % à partir de matières recyclées.

Toutes ces actions nous permettent de répondre aux attentes fortes de nos clients et de nos consommateurs et de réduire nos émissions de carbone. Ces évolutions illustrent notre capacité à innover et à anticiper les attentes des consommateurs. Elles s'inscrivent dans une démarche globale qui vise à conjuguer performance économique et responsabilité environnementale.

En conclusion, Nestlé Waters a fait l'objet d'une couverture médiatique intense, mettant en cause l'intégrité de ses équipes au travers d'approximations et même, parfois, de contre-vérités, alors même que ce sont ces équipes qui ont fait tout le travail pour assurer la mise en conformité et en ont assumé les conséquences sur l'activité et la réputation. Ce qui est dit et commenté dans les médias a trait à des pratiques passées. Ce traitement médiatique a été éprouvant pour nous tous, que ce soit dans le Gard, dans les Vosges, au siège ou dans les forces de vente.

Pourtant, les équipes sont restées totalement mobilisées, et je les en remercie ici encore. Leur engagement ne faiblit pas, car, au-delà de leur travail, elles tirent une fierté sincère de ces marques emblématiques qui font partie de l'histoire et du quotidien des Français. Cet attachement dépasse d'ailleurs l'entreprise. Il est partagé par les habitants du Gard et des Vosges, pour qui ces eaux sont un patrimoine autant qu'un savoir-faire.

Enfin, je souhaite, à l'instar de mes collègues qui se sont exprimés ici, rappeler qu'une procédure pénale est en cours concernant des faits sur lesquels votre commission d'enquête mène également des travaux. Dans ce contexte, et avec tout le respect que je dois à votre commission, si certaines de vos questions portent sur des éléments relevant de cette procédure, je ne serai pas en mesure d'y répondre.

Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, madame la directrice, pour vos propos.

Notre commission d'enquête est la plus impartiale possible. Nous ne sommes pas un tribunal, nous laissons l'information judiciaire se faire, mais dans notre rôle de contrôle des événements et de l'activité de l'exécutif, nous disposons de prérogatives.

Plus que tout autre, l'exemple de la commission d'enquête sur l'affaire Benalla, dont le président était notre ancien collègue Philippe Bas, devenu membre éminent du Conseil constitutionnel, montre bien que nous respectons les fonctions exécutive et judiciaire, et que celles-ci ont également du respect pour la fonction législative. C'est tout le sens de notre Constitution !

Je vous fais confiance, madame la directrice, pour répondre aux questions que Monsieur le rapporteur va vous poser. Je lui laisse immédiatement la parole.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie, Madame Dubois, pour ces premiers éléments, qui suscitent cependant une réaction de ma part. Vous avez eu des mots assez durs pour la presse et les médias. Je rappelle que c'est grâce aux enquêtes journalistiques que le consommateur a pu être informé de l'existence d'une fraude de l'ordre, selon le service national des enquêtes (SNE), de 3 milliards d'euros. Par conséquent, je salue le travail qui a pu être fait par les différents journalistes.

Nous avons prévu d'entendre en audition les représentants d'Agrivair. Nous avons donc aussi la volonté de comprendre ce que vous mettez en place en matière de préservation de la ressource.

J'en reviens là où le président a commencé, à savoir à la manière dont les choses se sont passées, dont ces traitements ont été mis en place, quand et à quelle fin. Je ne crois pas que vous ayez apporté de réponses sur ces points. À notre connaissance, ces traitements ont été utilisés sur tous les sites français de Nestlé Waters. Par conséquent, il y a une dimension systémique. À quel niveau la décision a-t-elle été prise ?

Nous aimerions disposer de ces informations pour comprendre l'ampleur de ce qui a pu se passer chez Nestlé, même si nous entendons qu'un travail a été effectué depuis.

Mme Sophie Dubois. - L'entreprise a reconnu avoir utilisé, par le passé, des traitements non conformes. C'est une situation héritée du passé. Je ne sais pas de quand elle date.

Nous l'avons reconnu publiquement. Dans une démarche proactive, nous sommes allés voir les autorités pour leur exposer la situation. L'entreprise a exprimé ses regrets et a mis en place le plan de transformation qui a mis fin à ces pratiques, qui, en effet, ne pouvaient pas perdurer.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous parlez de pratiques du passé. Vous êtes arrivée chez Nestlé en tant que directrice générale en avril 2018, me semble-t-il. Voulez-vous dire que ces pratiques étaient antérieures à votre arrivée chez Nestlé ?

Mme Sophie Dubois. - Je ne sais pas à quand remontaient ces pratiques. Ce que je peux vous dire, c'est que je n'étais pas au courant de celles-ci quand je suis arrivée à la présidence de Nestlé Waters marketing et distribution en avril 2018.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais avaient-elles déjà cours ?

Mme Sophie Dubois. - Nous avons reconnu publiquement que l'on avait utilisé ces traitements non conformes. Je vous dis simplement que c'est une situation héritée du passé, que je ne sais pas de quand elle date et que je n'étais pas au courant à mon arrivée chez Nestlé Waters en 2018.

M. Laurent Burgoa, président. - Je voudrais juste une précision, madame. Vous avez été en fonction d'avril 2018 à janvier 2025 - arrêtez-moi si je me trompe.

Mme Sophie Dubois. - C'est bien cela.

M. Laurent Burgoa, président. - Lorsque Nestlé a rencontré le cabinet de la ministre Pannier-Runacher, le 31 août 2021, vous étiez donc bien en fonction en tant que directrice générale de Nestlé Waters France.

Vous reconnaissez les traitements illégaux et vous faites part du plan de modernisation que Nestlé a mis en place, ce qui est tout à votre honneur. Mais à quel moment avez-vous eu connaissance de ces traitements illégaux ? Ma question est simple ; pouvez-vous y répondre, madame ?

Mme Sophie Dubois. - J'ai été informée de ces traitements illégaux non conformes à l'été 2021.

M. Laurent Burgoa, président. - En gros, au moment de votre rendez-vous avec le cabinet de la ministre ?

Mme Sophie Dubois. - Précisément lorsqu'il a été décidé de mettre en place un plan de transformation pour mettre fin à ces pratiques passées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes directrice du groupe, vous apprenez qu'il y a eu des pratiques illégales et vous ne cherchez pas à savoir depuis quand elles ont cours. Autrement dit, vous ne diligentez pas d'enquête en interne pour identifier les raisons qui ont conduit à recourir à ces pratiques ? C'est pour le moins étonnant.

Mme Sophie Dubois. - Je rappelle que je n'étais pas chargée de la gestion des usines et de la gestion des ressources en eau. Mon périmètre de responsabilités se limitait au développement des marques et à la commercialisation. J'étais présidente de l'entité juridique Nestlé Waters marketing et distribution. Quand j'ai été mise au courant du dossier, en 2021, j'ai bien évidemment compris qu'il y avait un problème lié à la règlementation appliquée en France pour les eaux minérales naturelles. Toutefois, j'ai également compris qu'il n'y avait pas d'enjeu de sécurité alimentaire et que la composition minérale et le goût unique de nos eaux avaient toujours été préservés, ce qui signifie que l'expérience consommateur n'a pas souffert de ces traitements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les représentants du groupe qui ont été entendus par le cabinet de la ministre déléguée, chargée de l'industrie, en août 2021, ont indiqué avoir découvert l'existence de ces traitements illégaux en décembre 2020. Or vous nous dites n'avoir été prévenue qu'en août 2021, alors que vous êtes directrice du groupe ? Pouvez-vous nous confirmer cela ?

Mme Sophie Dubois. - La seule chose que je sais, c'est qu'il s'agit d'une situation héritée du passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ma question.

Mme Sophie Dubois. - Je vous confirme que j'ai été mise au courant de la situation à l'été 2021, au mois de juillet ou au début du mois d'août, je ne me rappelle pas précisément la date. Je n'étais pas présente aux réunions pendant lesquelles les représentants du groupe se sont entretenus avec les autorités nationales. Encore une fois, j'étais chargée des stratégies marketing et commerciale et pas de l'activité industrielle. Il n'y avait donc pas de raison que je sois informée de ces éléments avant la mise en place du plan de transformation, qui allait avoir des conséquences sur l'activité commerciale.

M. Laurent Burgoa, président. - La temporalité est un élément important dans ce dossier. Quand nous avons entendu en audition, il y a quelques semaines, l'ancien directeur du site de Vergèze, il nous a dit avoir eu connaissance de ces faits en mars 2021. Comment se fait-il que vous n'ayez pas eu l'information avant l'été 2021 ? Le délai est quasiment d'un trimestre. Or les moyens technologiques permettent une communication rapide de nos jours.

Mme Sophie Dubois. -Les directeurs d'usine ne me rapportaient pas.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous confirmez donc n'avoir eu l'information qu'à l'été 2021.

Mme Sophie Dubois. - Absolument. Les directeurs d'usine rapportaient à la direction des opérations techniques, c'est-à-dire à une direction qui est séparée de la mienne.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans mon propos introductif, j'ai précisé que vous aviez été directrice générale de Nestlé Waters France d'avril 2018 à janvier 2025. En tant que directrice générale, vous ne vous occupiez que du marketing ?

Mme Sophie Dubois. - J'étais chargée des stratégies marketing et commerciale plus particulièrement.

M. Laurent Burgoa, président. - Qui donc chez Nestlé Waters France s'occupait du sujet des traitements non conformes ?

Mme Sophie Dubois. - Je ne peux pas vous le dire, mais il y avait une direction technique chargée des opérations à la tête de laquelle se trouvait M. Ronan Le Fanic.

M. Laurent Burgoa, président. - Il s'agit donc plutôt de la direction technique opérationnelle.

Mme Sophie Dubois. - Oui. D'ailleurs, dans mon poste précédent chez Purina, je n'étais pas non plus responsable des usines qui rapportaient de la même manière à une direction technique séparée. Ce type d'organisation est assez courant dans des groupes comme le nôtre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela fait un an et demi que le scandale a eu lieu et vous saviez que vous deviez venir déposer devant notre commission d'enquête. Pourtant, vous n'avez jamais organisé de discussion en interne pour savoir à partir de quel moment les traitements illégaux avaient été mis en place et pour quelles raisons ? En tant que directrice générale, vous n'avez pas été informée et vous ne pouvez donc pas nous donner d'éléments supplémentaires ?

Mme Sophie Dubois. - Sur ce sujet je n'ai aucune information sur les dates ou sur les personnes. Je me suis concentrée sur le plan de transformation dès lors qu'il a eu des conséquences dans le champ de mes activités, c'est-à-dire lorsqu'il a fallu revoir les plans marketing et commerciaux liés à des capacités d'approvisionnement plus limitées, notamment pendant les travaux sur le site de Vergèze, lorsqu'il a fallu refondre la marque Hépar, lancer la marque Maison Perrier et informer nos clients de l'évolution de nos activités. Il n'était pas dans mes attributions de faire une recherche de responsabilités sur ces faits qui relevaient du passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous nous confirmez donc que vous n'avez assisté à aucune réunion dans laquelle vous auriez été briefée sur ce qui s'était passé et informée d'éléments qui vous permettraient de répondre aux questions que nous vous posons dans le cadre de cette commission ?

Mme Sophie Dubois. - La seule communication qui m'a été faite concernait l'existence de ces traitements non conformes, au moment du lancement du plan de transformation visant à assurer la mise en conformité de l'ensemble de nos opérations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, dans votre groupe, du côté opérationnel, y a-t-il eu des sanctions internes qui ont été prononcées à l'encontre de ceux qui avaient mis en place ces traitements ou qui les avaient perpétués ?

Mme Sophie Dubois. - Pas à ma connaissance. En tout cas, je l'ignore.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour en revenir à la réunion du 31 août, vous nous avez dit ne pas y avoir assisté. Avez-vous été associée d'une manière ou d'une autre à la préparation de la réunion ?

Mme Sophie Dubois. - Absolument pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mes questions portent surtout sur l'aspect opérationnel, notamment sur la fermeture des forages et les raisons qui l'ont justifiée, mais je crains que vous ne me répondiez à chaque fois que vous n'étiez pas au courant et qu'il faudrait s'adresser à la direction des affaires opérationnelles.

Mme Sophie Dubois. - Je suis prête à répondre à vos questions dans la mesure de mes connaissances. Toutefois, en effet, les questions techniques et scientifiques n'étaient pas dans mon périmètre de responsabilités. Mes connaissances en matière technique et industrielle sont donc limitées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La microfiltration était-elle dans votre périmètre ?

Mme Sophie Dubois. - Les questions industrielles n'étaient pas dans mon périmètre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans ces conditions, je n'ai plus de questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Après la réunion d'août 2021, avez-vous eu un retour sur ce qui s'était dit ?

Mme Sophie Dubois. - Non.

M. Laurent Burgoa, président. - Ni en amont ni en aval ?

Mme Sophie Dubois. - Je n'ai été impliquée que lorsqu'il a fallu mettre en place le plan de transformation, à partir du moment où il a eu des conséquences sur les plans marketing et commerciaux.

M. Laurent Burgoa, président. - Si j'ai bien compris, dans votre groupe, le travail est organisé en silo. Chaque chaîne est séparée et chacun travaille dans son domaine.

Mme Antoinette Guhl. - Dans l'organigramme de Nestlé Waters, la direction des opérations dépend-elle de la direction générale ou ces deux entités sont-elles séparées ? Je n'ai jamais vu cela dans aucune entreprise.

Mme Sophie Dubois. - Je comprends que notre organisation puisse paraître compliquée. J'étais chargée de l'entité Nestlé Waters France marketing et distribution. Les usines sont des entités séparées, réparties entre Nestlé Waters Supply Est pour le site des Vosges et Nestlé Waters Supply Sud pour le site de Vergèze. Je n'avais aucune responsabilité opérationnelle.

Mme Antoinette Guhl. - Quand vous avez été informée du problème, en 2021, vous avez dû comprendre que l'appellation d'eau minérale naturelle ne convenait pas aux marques que vous commercialisiez, puisque la règlementation n'était pas respectée. Vous étiez responsable du marketing de sorte que le champ de vos responsabilités couvrait le produit, la communication, l'étiquetage, etc. Comment avez-vous géré le fait de ne plus pouvoir utiliser l'appellation d'eau minérale naturelle dans l'étiquetage des produits commercialisés par Nestlé Waters sous les marques Vittel, Hépar, Contrex et Perrier ?

Mme Sophie Dubois. - Je tiens à redire que la sécurité alimentaire de nos eaux a toujours été garantie.

Mme Antoinette Guhl. - Il s'agit de marketing, pas de sécurité alimentaire.

Mme Sophie Dubois. - Le goût unique de nos eaux, ainsi que leur composition minérale, ont toujours été préservés, de sorte que l'expérience consommateur n'a en rien été altérée. Les comparaisons avec l'eau du robinet n'ont pas lieu d'être dans la mesure où nos eaux sont d'origine souterraine, ancrées dans des territoires qui leur confèrent des caractéristiques uniques, ce qui n'est pas le cas de l'eau du robinet. En effet, les origines de cette eau peuvent être diverses, elle est traitée chimiquement et n'est pas forcément issue de nappes souterraines.

Mme Antoinette Guhl. - Confirmez-vous que vous ne pouviez pas, en tant que directrice marketing, continuer à utiliser l'appellation d'eau minérale naturelle pour les produits de votre groupe, car ceux-ci n'en avaient pas les caractéristiques ? Même si elles étaient puisées dans les sous-sols et gardaient une forme de minéralité, les eaux de Nestlé Waters n'avaient pas la pureté originelle nécessaire, puisqu'elles subissaient un certain nombre de filtres non autorisés pour les eaux minérales naturelles.

Mme Sophie Dubois. - Je ne peux que répéter ce que je viens de dire sans faire davantage de commentaires, car ces questions font l'objet d'un traitement judiciaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Je crois qu'il faudrait que vous soyez plus explicite. Une procédure judiciaire est en cours, qui pourra durer des années ou bien être très courte. Dans l'intérêt général de votre groupe, et celui du Sénat, vous pourriez être plus prolixe.

M. Daniel Gremillet. - Vous avez fait état du montant des investissements qui ont été réalisés depuis 1990. Est-ce que ce montant englobe Agrivair et les achats fonciers qui ont été opérés sur le site de Vittel-Contrex ?

Mme Sophie Dubois. - Le montant de 100 millions d'euros que j'ai cité englobe Agrivair. Pour le reste, je complèterai ma réponse par écrit car certains points sont à vérifier.

M. Olivier Jacquin. - Cette audition est édifiante et votre stratégie de communication ne manque pas de m'étonner ! Vous vous revendiquez directrice marketing et lorsque votre système marketing est menacé par une fraude, vous ne semblez guère émue et votre seule réponse est de rappeler que la santé du consommateur n'est pas affectée. Je suis très étonné face à cette absence de responsabilité. Je ne suis pas certain que cela serve le groupe que vous tentez de défendre.

Mme Sophie Dubois. - Je n'ai pas répondu uniquement sur la partie qui touche à la sécurité alimentaire. Encore une fois, je ne peux pas me prononcer sur une qualification juridique. J'ai voulu insister sur le fait que la composition minérale de nos eaux et leur goût unique ont toujours été préservés. Nous n'avons rien ajouté à notre eau. De ce point de vue, l'expérience utilisateur n'a pas été altérée. Il m'est difficile d'aller au-delà dans mes commentaires.

Mme Audrey Linkenheld. - J'ai fait des études de marketing et j'ai bien en tête certaines notions comme le mix marketing ou les « 4P », pour produit, place, prix et promotion. Comme ma collègue Guhl, je suis assez surprise : vous nous dites que l'expérience consommateur n'a pas été altérée, mais la promesse client d'une eau minérale naturelle a-t-elle été respectée, dès lors que l'eau minérale a subi des traitements et n'est donc plus naturelle ? Or le respect de la promesse client doit être une priorité.

J'ai fréquenté le monde de l'entreprise et je comprends bien l'organisation de votre groupe, telle que vous nous l'avez exposée : il est tout à fait possible d'exercer comme directrice marketing et distribution une fonction de nature horizontale tout en ayant comme collègues des directeurs opérationnels qui gèrent des sites dans le cadre d'une organisation de nature plus verticale. Ce type d'organisation, comme vous l'avez dit, est assez fréquent dans les entreprises.

Toutefois, au sein de cette organisation, telle que vous l'avez décrite, il semble qu'il n'y ait pas de transversalité ni aucun arbitrage à prendre. Que se passerait-il en cas de désaccord entre la directrice marketing et distribution et son collègue, directeur des sites ? Ne revient-il pas à la directrice générale d'arbitrer ? Autrement dit, comment se font les discussions entre le vertical et l'horizontal ?

En outre, j'ai du mal à comprendre que, dès lors que vous avez eu connaissance de la fraude, dont je rappelle qu'elle a abouti à la mise en place d'un plan de transformation, vous vous soyez contentée d'une seule information pour construire votre politique marketing et distribution sans jamais chercher à la préciser, notamment auprès de ceux qui dirigent les sites.

Pourriez-vous donc nous préciser de nouveau l'organigramme et nous dire comment vous gérez la transversalité de votre organisation et qui prend les décisions en cas de désaccord ?

Mme Sophie Dubois. - La direction technique rapportait à la directrice générale Nestlé Waters Europe et je lui rapportais aussi.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourriez-vous nous donner son nom ?

Mme Sophie Dubois. - Il s'agit de Madame Muriel Liénau.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous l'entendrons en audition demain.

Mme Sophie Dubois. - Par ailleurs, je ne suis pas restée sans rien faire. Mon équipe s'est mobilisée sur la mise en conformité de l'ensemble des opérations. Encore une fois, la situation est un héritage du passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous nous avez dit que vous n'interveniez jamais sur les opérations.

Mme Sophie Dubois. - Je suis intervenue sur la partie du plan de transformation qui me concernait, soit l'adaptation des plans marketing et commerciaux à des capacités d'approvisionnement plus limitées, le lancement de la gamme Maison Perrier, la refonte de la gamme Hépar ou bien encore l'information des clients et des consommateurs. Tout cela entrait dans mon périmètre de responsabilités.

Cela fait bientôt quatre ans que l'entreprise a ouvertement reconnu les traitements non conformes et s'est mobilisée pour mettre fin à ces pratiques en lançant un plan de transformation avec courage et détermination.

Mme Audrey Linkenheld. - Vous n'avez pas répondu sur la promesse client.

Mme Sophie Dubois. - Encore une fois, l'eau du robinet peut provenir de différents endroits. Elle peut avoir un goût différent d'un lieu à l'autre et elle peut être traitée chimiquement. Les eaux minérales naturelles proviennent d'une source souterraine protégée et sont ancrées dans un territoire qui leur confère un goût et une composition minérale uniques. Ce sont ces bénéfices-là que recherchent les consommateurs et c'est la raison pour laquelle je peux dire que les traitements non conformes n'ont en rien altéré l'expérience consommateur.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez créé la marque Maison Perrier. L'avez-vous créée parce que l'eau utilisée dans ce cadre ne pouvait pas être vendue comme une eau minérale Perrier ?

Mme Sophie Dubois. - Le lancement de la gamme Maison Perrier relève d'une approche stratégique visant à répondre aux nouvelles attentes des consommateurs sur un segment des boissons en plein développement. Le projet de lancement de Maison Perrier était antérieur au plan de transformation et a été accéléré durant la mise en place de celui-ci. Les puits qui ont été alloués à la production de Maison Perrier étaient ceux sur lesquels il était plus difficile de maintenir la stabilité des caractéristiques essentielles de l'eau minérale, du fait de leur ancienneté.

Mme Antoinette Guhl. - Confirmez-vous qu'il existe bien deux qualités d'eau aujourd'hui, ce qui signifie que Maison Perrier utilise une eau qui ne peut pas être vendue comme une eau minérale naturelle, car elle a besoin d'être traitée ?

Mme Sophie Dubois. - Maison Perrier n'est pas vendue comme une eau minérale naturelle. C'est une nouvelle gamme de boissons destinée à répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Elle respecte parfaitement les règles applicables aux boissons, qui relèvent d'une règlementation distincte. Il s'agit d'une offre complémentaire de notre gamme historique d'eaux minérales naturelles qui répond à des besoins complètement différents. Pour l'eau minérale naturelle, les bénéfices sont liés à la santé, grâce à la teneur en minéraux. Pour la gamme Maison Perrier, les bénéfices sont liés au plaisir et à la variété.

Mme Antoinette Guhl. - La préfecture a déclassé deux puits dont l'eau ne peut donc plus être commercialisée sous l'appellation Perrier eau minérale naturelle. Or ce sont ces deux puits qu'utilise la marque Maison Perrier. Quand bien même cela ne relèverait pas d'une volonté marketing ou stratégique de la marque, dans la mesure où la création de Maison Perrier fait partie du plan de transformation, on peut considérer qu'elle est une réponse au déclassement de ces deux puits. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Mme Sophie Dubois. - L'entreprise a décidé d'allouer ces deux puits, plus sensibles aux aléas climatiques, à la production de la nouvelle gamme de boissons Maison Perrier, qui nous permet d'innover et de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je tiens à dire que la manière dont vous êtes entrée dans cette audition m'a semblé parfaitement déloyale. Vous nous avez fait vingt minutes de réclame, ou de publicité, pour Nestlé. Puis vous avez répondu à nos questions à la manière d'un robot, tout en nous disant que vous n'aviez jamais discuté en interne, ce qui ne peut que susciter des interrogations sur la manière dont votre groupe fonctionne. L'une de nos collègues a préféré quitter l'audition tellement la situation est déplorable, et je la comprends. Nestlé n'a pas joué le jeu, dans cette audition. Tous les communiqués de presse indiquent que vous vous apprêtez à quitter la direction de Nestlé Waters France, or vous nous dites que vous ne savez pas ce qui se passe dans les usines du groupe. Une telle attitude face à la représentation nationale n'est pas acceptable. Cette audition n'aura servi à rien.

Mme Sophie Dubois. - J'ai essayé de répondre du mieux possible à vos questions, en fonction de mes connaissances et sous serment. J'ai essayé de vous expliquer l'organisation de notre groupe, dont je reconnais qu'elle est compliquée. Je ne peux que déplorer la manière dont vous interprétez mes réponses. Encore une fois, j'ai été mise au courant du sujet au moment du plan de transformation. J'ai participé à ce plan. Il s'agissait de décisions courageuses de la part de l'entreprise. Les équipes en place ont fait tout le travail et souffrent, aujourd'hui, des commentaires que l'on peut lire dans les médias, notamment sur la sécurité alimentaire de nos eaux. Je reconnais toutefois à votre commission d'enquête le mérite d'avoir levé le doute sur l'absence de risque sanitaire. J'ai fait partie de ces équipes qui, avec courage et détermination, ont résolu la situation. Pour le passé, je ne peux pas me prononcer et la justice est saisie.

M. Laurent Burgoa, président. - On peut être surpris, compte tenu des fonctions de directrice générale que vous avez exercées, que vous n'ayez pas eu connaissance des faits avant août 2021. Cela ne peut qu'attirer notre attention. Encore une fois, je ne suis pas un spécialiste du marketing, mais en tant que parlementaire et président de cette commission d'enquête, je suis surpris, compte tenu de l'importance de vos responsabilités, que vous n'ayez pas été informée plus tôt. Nous recommanderons à Nestlé de mieux faire circuler l'information au sein du groupe. Je suis un peu surpris, pour ne pas dire déçu.

Audition de Mme Adrienne Brotons, ancienne directrice de cabinet
du ministre de l'industrie (Roland Lescure)
(Mercredi 19 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui Madame Adrienne Brotons, qui fut directrice du cabinet du ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, Roland Lescure, de juillet 2022 à septembre 2024.

Madame Brotons, avant de vous céder la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite maintenant à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Adrienne Brotons prête serment.

La commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille a été instituée par le Sénat le 20 novembre dernier, après que plusieurs médias ont révélé, au début de l'année 2024, les pratiques illégales commises par certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à des traitements interdits sur les eaux minérales naturelles et de source. Nous souhaitons faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

La présente audition a pour objectif de nous éclairer sur la façon dont différents ministères ont géré les développements de l'affaire Nestlé Waters, entre juillet 2022 et septembre 2024.

Les documents qui nous ont été transmis en amont de cette audition montrent, Madame Brotons, l'importance de votre rôle dans cette affaire, ainsi que celui de votre conseillère, Madame Mathilde Bouchardon. En outre, ils révèlent la forte propension du cabinet du ministre de l'industrie à appuyer les demandes du groupe Nestlé, sans tenir compte ni du risque sanitaire potentiel ni d'une opération de tromperie massive à l'égard des consommateurs.

Pourquoi le cabinet du ministre s'est-il positionné ainsi ? Quelles instructions avez-vous reçues du ministre et quelles sont celles que vous avez adressées à Madame Bouchardon ? Quelle a été la nature de vos échanges avec le groupe Nestlé, ou avec d'autres groupes ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise, qui entame la confiance des consommateurs et traduit la bienveillance relative des autorités à l'égard de cet industriel ?

Mme Adrienne Brotons, ancienne directrice de cabinet du ministre de l'industrie. - Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre commission d'enquête. Je vais m'efforcer de vous restituer le plus fidèlement possible la chronologie des faits et, surtout, la façon dont nous avons construit notre réflexion sur ce sujet au sein du cabinet du ministre de l'industrie.

Cette réflexion a évolué au fil du temps, pour prendre en compte les nouvelles informations qui nous ont été communiquées dans le cadre d'un dialogue constant avec nos collègues du ministère de la santé et de Matignon.

Pour commencer, le 28 juillet 2022, je suis nommée directrice de cabinet du ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie. Je prends donc mes fonctions en plein été, dans des bureaux vides et avec une équipe qui reste à constituer.

Le 2 août 2022, je reçois une demande de rendez-vous de la part de la présidente de Nestlé Waters, Madame Muriel Liénau. Nous recevons régulièrement des demandes de rendez-vous de la part d'industriels au sein du cabinet du ministre. Les rencontres qui en découlent nous permettent de mieux connaître les problématiques des industriels implantés sur le territoire français et de les informer des priorités du Gouvernement dans leur domaine.

Nous répartissons ces rendez-vous entre les conseillers, la direction du cabinet et le ministre. Quand la demande émane d'un président ou d'un directeur général, le rendez-vous a lieu avec moi ou avec le ministre lui-même.

Le courriel que je reçois de Muriel Liénau mentionne un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui serait en cours de finalisation. Pour préparer ce rendez-vous, nous demandons à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de nous transmettre un certain nombre d'informations. Nous découvrons, à cette occasion, que la DGCCRF et les cabinets du ministère de l'économie ne disposent pas du rapport en question. Je demande donc au directeur de cabinet adjoint du ministre de la santé, Guillaume du Chaffaut, s'il peut me le communiquer, ce qu'il fait le 6 septembre 2022.

À la suite de différents échanges avec les services, j'apprends qu'une enquête administrative a été diligentée par une lettre en date du 19 novembre 2021. Elle devait être conduite par l'Igas, avec l'appui des agences régionales de santé (ARS) concernées et de la DGCCRF.

En lisant le rapport de l'Igas et la note de l'ARS Grand Est qui l'accompagnait, j'apprends plusieurs choses.

Tout d'abord, la note de l'ARS précise « qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau n'est identifié à ce stade et que la mise en place des traitements renforce même la sécurité sanitaire ».

Ensuite, concernant la fraude, la note de communication du rapport évoque le délit de tromperie des consommateurs et le dépôt d'une plainte en application de l'article 40 du code de procédure pénale.

Enfin, concernant la filtration inférieure à 0,8 micron, le rapport regrette l'existence d'un flou juridique, dans la mesure où ni la réglementation européenne ni l'arrêté du 14 mars 2007 n'indiquent de seuil de microfiltration autorisée, ce qui ouvre une marge d'interprétation.

Le 9 septembre 2022, nous recevons la présidente de Nestlé Waters. Lors de ce rendez-vous, nous décidons de l'écouter et de dire le moins de choses possible, pour nous donner le temps de construire avec le ministère de la santé une position commune. Dans mes souvenirs, l'équipe de Nestlé Waters nous expose la situation suivante : elle reconnaît l'existence de traitements illégaux aux rayons ultraviolets (UV) et au charbon actif, mais considère qu'il n'y a pas de risque sanitaire. Elle affirme même être en train de retirer ces traitements illégaux, en les remplaçant par des filtres inférieurs à 0,8 micron. Du reste, l'équipe précise que ces filtres seraient autorisés en Espagne et au Royaume-Uni et ne désinfecteraient pas l'eau.

À la suite de ce rendez-vous, nous alertons le cabinet de la ministre Madame Agnès Firmin Le Bodo et décidons de vérifier chacun des points évoqués par l'industriel. Nous cherchons d'abord à obtenir confirmation qu'il n'y a pas de risque sanitaire pour la population. Il ressort de plusieurs échanges avec l'Igas et le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo qu'un tel risque n'existait pas.

Bien que l'industriel prétende être en train de mettre fin aux traitements illégaux, la fraude passée semble avérée. Nous cherchons donc à vérifier que le dépôt de plainte a été lancé et que la fraude constatée sera bien sanctionnée pénalement. Nous échangeons en ce sens avec nos services et les différents cabinets du ministère de la santé, jusqu'à obtenir confirmation, le 19 octobre, que le procureur a bien été saisi.

Par la suite, nous saisissons la DGCCRF, afin d'évaluer la véracité des cas de filtrations au Royaume-Uni et en Espagne évoqués par Nestlé Waters.

Enfin, nous nous faisons communiquer les textes et constatons, comme l'Igas, que la réglementation sur la filtration n'est pas claire. Si une directive européenne de 2009 interdit tout traitement de désinfection, l'arrêté du 14 mars 2007 définit une liste positive de traitements autorisés, mais ne précise pas le seuil de coupure acceptable pour la microfiltration.

En 2001, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), soit l'ancêtre de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), autorise un industriel à recourir à une filtration à 0,8 micron, dans la mesure où elle vise un but technologique, s'accompagne d'un suivi de la qualité des eaux et ne modifie pas les caractéristiques microbiologiques de l'eau.

Une fois ces premières vérifications faites, et après un échange avec le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo, nous transmettons une note commune à Matignon, le 28 septembre 2022. Celle-ci a été signée par le conseiller santé du cabinet de Madame Firmin Le Bodo et, du côté du cabinet du ministre de l'industrie, par la conseillère agroalimentaire.

Il n'est pas si courant d'adresser ce genre de note commune à destination de Matignon ; le plus souvent, le cabinet du Premier ministre prend ses décisions après avoir entendu des positions divergentes. Or, sur le sujet de la filtration, nous avons travaillé de concert et sommes parvenus à une proposition commune.

Dans cette note commune, nous rappelons plusieurs choses : tout d'abord, les manquements constatés par les inspecteurs sont constitutifs d'une fraude ; ensuite, aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau n'est identifié ; enfin, la mise en place des traitements renforce la sécurité sanitaire.

En outre, nous partageons nos doutes sur la qualité de l'eau à l'émergence de la source en raison de ces traitements. Les filtres peuvent être autorisés par arrêté préfectoral, si l'exploitant démontre qu'il ne constitue pas un processus de désinfection. Notez que l'Espagne admet une filtration à 0,4 micron.

Sur la base de ces constats, les deux cabinets, dans la même note, proposent d'autoriser une filtration à 0,2 micron, si Nestlé apporte la preuve qu'elle n'entraîne aucun changement microbiologique de l'eau. Nous restons donc bien dans le champ de ce qui est autorisé par la réglementation européenne.

Nous proposons également de vérifier la qualité de l'eau à l'émergence de la source de la marque Hépar et d'encourager l'ARS à déposer plainte en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale. Je rappelle que, à ce stade, nous ignorions toujours si la plainte avait été déposée et la justice, saisie.

À la suite de cette note, nous recevons, le 13 octobre 2022, une réponse de la part du cabinet du Premier ministre. Celui-ci nous ordonne de demander à Nestlé de cesser l'utilisation des traitements par charbon actif et rayonnement UV, de transmettre toutes les données permettant d'objectiver la qualité des sources et l'impact d'une microfiltration à 0,2 micron et, enfin, de prévenir les ARS et les préfets concernés.

Trois informations nouvelles vont modifier notre analyse de la situation et conduire à une nouvelle discussion interministérielle. Tout d'abord, le 30 novembre 2022, nous sommes informés par le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo que le forage principal d'Hépar n'est pas pur à la source sur le plan microbiologique. Ainsi, il apparaît que l'eau issue de ce forage ne pourra pas être commercialisée sous le nom d'« eau minérale naturelle ».

Par conséquent, la demande de Nestlé de continuer à commercialiser cette eau avec une filtration à 0,2 micron, le temps de mettre en place son plan de modernisation, ne nous semble pas acceptable. Dès lors, nous recommandons à Matignon de suspendre l'autorisation d'exploitation pour ce site.

Le deuxième élément nouveau est la réception des avis de l'Anses, demandés pour appuyer les ARS dans leur analyse des effets de la filtration. Le premier avis, en date du 16 décembre 2022, rappelle l'état du droit, ainsi que les termes de l'avis qui avait été rendu sur la filtration à 0,8 micron. En outre, il cite des études scientifiques indiquant qu'une partie de la flore bactérienne naturellement présente dans les eaux souterraines peut ne pas être retenue par des filtres à 0,2 micron. Cela nous interroge et nous fait penser qu'il n'y a peut-être pas de désinfection automatique de l'eau à 0,2 micron.

Un mois plus tard, le 13 janvier 2023, l'Anses nous envoie un avis modifié précisant que, dans le cas d'Hépar, la filtration à 0,2 micron a un effet similaire à celui d'une désinfection. Je le précise, l'Anses effectue ce constat uniquement pour l'eau Hépar.

Nous comprenons de ces avis que l'impact sur le microbiome de l'eau doit être étudié au cas par cas, puisque l'Anses ne donne pas une réponse de portée générale sur l'impact d'une filtration inférieure à 0,8 micron. Ce point constitue, à mon sens, un aspect important du dossier.

Nous avons cherché à établir une règle nationale générale en nous appuyant sur l'expertise de l'Anses. Nous nous sommes rendu compte, à la suite de ses avis, que l'analyse de la désinfection ne pouvait être faite que localement, au cas par cas, par les ARS et, le cas échéant, avec l'appui de l'Anses.

Enfin, le troisième élément nouveau nous est communiqué par l'Igas, le 9 février 2023. Nous découvrons alors qu'un grand nombre d'arrêtés en France autorise une filtration inférieure à 0,8 micron et que certains arrêtés autorisent même explicitement la filtration à 0,2 micron.

Le 16 février 2023, une nouvelle réunion est organisée à Matignon pour échanger sur le dossier. Sur la base de ces derniers éléments, nous aboutissons à une position commune avec le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo. Nous préconisons ainsi de retirer la qualification d'« eau minérale naturelle » au forage principal d'Hépar et d'autoriser, à titre temporaire, dans l'attente d'une clarification de la directive, une microfiltration inférieure à 0,8 micron, dans un but uniquement technologique. Le compte rendu de cette réunion est rédigé par le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo.

Par la suite, Matignon envoie un projet de décision par courriel et demande aux cabinets concernés de faire part de leurs observations. Le cabinet du ministre de la santé propose quelques amendements, qui ont été approuvés par le cabinet du ministre de l'industrie. Ce texte deviendra donc le bleu, publié le 24 février 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie pour la précision de vos propos. J'essaierai, comme vous, de suivre le déroulé chronologique des faits.

Avez-vous pris connaissance du dossier lors de votre rencontre avec la présidente de Nestlé Waters, ou bien avez-vous été briefée par votre prédécesseur, d'une manière ou d'une autre, avant même d'être sollicitée par l'industriel ?

Mme Adrienne Brotons. - Je n'avais pas connaissance de ce dossier avant la demande de rendez-vous. C'est la sollicitation de Nestlé Waters et, surtout, la mention du rapport de l'Igas qui ont appelé notre attention. Voilà pourquoi nous avons préparé cette rencontre en amont, bien plus que nous le faisions pour d'autres rendez-vous.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous prétendez que l'industriel vous a informé de l'existence de traitements illégaux. Lors de ces échanges, avez-vous demandé à Nestlé Waters la date à laquelle ces traitements illégaux avaient été mis en place ? L'industriel a-t-il répondu à vos interrogations ? Avez-vous échangé sur le contenu, l'ampleur et l'intensité de la fraude qui venait de vous être révélée ?

Mme Adrienne Brotons. - Je n'ai pas retrouvé de compte rendu écrit de ces échanges, mais je me souviens que nous avions demandé à l'industriel de nous indiquer le moment à partir duquel les filtrations illégales avaient été installées. Or il ne le savait pas lui-même. Cela semble suggérer qu'il s'est contenté de récupérer ces sites et que les filtres étaient déjà posés. Par conséquent, cela pose la question du contrôle de ces installations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelles informations avez-vous reçues à ce moment-là ?

Mme Adrienne Brotons. - Nestlé Waters m'a fait savoir qu'il procédait à un traitement par rayonnement UV et filtrage à charbon actif et que l'eau ne présentait aucun risque pour la population. En outre, il m'a indiqué vouloir remplacer ces installations illégales pour les remplacer par des filtres à 0,2 micron, notamment parce que l'Espagne et le Royaume-Uni tolèrent des filtrations inférieures à 0,8 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le cas d'un retrait des installations illégales, l'industriel évoque-t-il un risque de pollution ? Explique-t-il les conséquences d'une telle décision ?

Mme Adrienne Brotons. - Non, il semble dire que la filtration à 0,2 micron lui permet de commercialiser des eaux minérales naturelles, tout en préservant la santé des consommateurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges avec le ministère de l'environnement et les services de l'État compétents en matière de consommation ?

Mme Adrienne Brotons. - Nous n'avons pas eu d'échanges avec le ministère de l'environnement sur ce sujet. Néanmoins, nous avons dialogué avec les services ministériels chargés de la consommation pour récupérer un certain nombre d'informations et préparer le rendez-vous avec Nestlé Waters. Je ne me souviens plus si nous avons eu un nouvel échange juste après. Par ailleurs, j'ai évoqué ce dossier lors de réunions hebdomadaires avec des directeurs de cabinet de Bercy.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la note conjointe que vous avez rédigée avec le cabinet de la ministre Firmin Le Bodo, vous proposez d'autoriser une filtration à 0,2 micron, à condition que Nestlé apporte la preuve que cela ne modifie pas le microbisme de l'eau.

Avez-vous pris connaissance d'éléments vous permettant de considérer que l'industriel apportait bel et bien cette preuve ?

Voici ce qu'indiquait Mme Virginie Cayré, directrice générale de l'ARS Grand Est, dans une note du 17 novembre 2022 : « Les UV seront enlevés ou ont été pour partie seulement déjà enlevés, mais Nestlé les remplace systématiquement par des filtres à 0,2 micron, là encore, au motif de la sécurité sanitaire. Cette démarche de substitution interroge sur la qualité de la ressource elle-même et des installations de prélèvement, notamment sur la nécessité de désinfecter l'eau. Nous n'avons aujourd'hui aucune connaissance de la réelle qualité des eaux des ressources dans la mesure où les eaux étaient prétraitées lors de l'inspection. Cette position n'est pas acceptable. » Au demeurant, Madame Cayré précise que la filtration à 0,2 micron permettait, en soi, de désinfecter l'eau. En outre, je vous renvoie aux avis circonstanciés de l'Anses sur l'eau Hépar.

J'ai le sentiment que cette question est restée irrésolue jusqu'à la tenue de la concertation interministérielle dématérialisée (CID). Les éléments dont vous disposiez semblent révéler une modification du microbisme de l'eau, mais peut-être avez-vous reçu des informations qui vous ont permis d'écarter cette hypothèse ?

Mme Adrienne Brotons. - La note commune que nous avons transmise à Matignon, le 28 septembre 2022, ne fait que rappeler l'état du droit. A priori, aucun élément juridique n'indique que, à 0,2 micron, l'eau est désinfectée. C'est bien à l'industriel d'apporter la preuve que le procédé mis en oeuvre ne modifie pas le microbisme de l'eau. Voilà pourquoi nous avons demandé à Nestlé Waters de transmettre un certain nombre d'éléments, à la suite du courriel que nous avons reçu de Matignon.

Ces éléments ont été communiqués à l'ARS. Or l'ARS Grand Est nous fait savoir, à la fin de l'année 2022, qu'elle n'est pas en mesure de les analyser. La ministre Firmin Le Bodo a donc saisi l'Anses afin d'établir si la filtration à 0,2 micron modifiait le microbisme de l'eau. Le cabinet du ministre Lescure, quant à lui, n'a pas été associé à cette démarche.

M. Laurent Burgoa, président. - L'État demande systématiquement aux industriels de prouver qu'ils commercialisent une eau de qualité. Pourquoi ne serait-ce pas à lui d'apporter cette preuve ?

Mme Adrienne Brotons. - Je vais répondre à votre question, monsieur le président, mais je souhaite d'abord compléter mes propos précédents. Dans sa note du 8 novembre 2022, l'ARS Grand Est précise que le dossier Nestlé Waters implique une technicité qui va au-delà de ses compétences. Dès lors, elle est contrainte de faire appel à l'Anses pour rechercher des paramètres qui se situent au-delà de son contrôle habituel, ainsi qu'à la direction générale de la santé (DGS) sur les questions réglementaires du seuil de coupure de filtre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez eu le bon réflexe en demandant à Nestlé Waters, conformément au sens de la réglementation, de prouver que la filtration n'avait pas d'impact sur le microbisme de l'eau. Or il apparaît que l'ARS Grand Est et l'Anses doutent du procédé mis en oeuvre par l'industriel et que celui-ci n'a jamais apporté la moindre preuve sur l'absence de modification de la qualité de l'eau. D'ailleurs, le préfet du Gard l'a mis en demeure de communiquer cette information, ce qui n'a toujours pas été fait à l'heure actuelle.

Encore une fois, il semble qu'aucun élément ne vous permette de dire que la filtration à 0,2 micron ne modifie pas le microbisme de l'eau.

Mme Adrienne Brotons. - N'étant pas experte du domaine de l'eau, je n'ai pas compétence pour dire si, oui ou non, une filtration à 0,2 micron modifie le microbisme de l'eau. Je ne suis pas en mesure de dire si les éléments que Nestlé Waters a communiqués aux ARS étaient complets, ni s'ils permettaient de prouver qu'il y avait, ou pas, désinfection de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vois une contradiction par rapport à ce que vous aviez énoncé le 9 septembre : vous indiquiez alors que, pour que la demande soit entendue, une démonstration devait être apportée. Vous nous expliquez maintenant que cela n'était pas, en définitive, votre affaire et que vous avez proposé une solution en réunion interministérielle sans avoir de réponse à la question essentielle dans cette affaire : l'eau était-elle filtrée dans un but de désinfection, ou non ? Autrement dit, l'entreprise vendait-elle encore de l'eau minérale naturelle ?

Mme Adrienne Brotons. - Si je puis me permettre, monsieur le rapporteur, de nombreux points sont évoqués et il y a quelques confusions.

Dans la note commune du 28 septembre, nous indiquons qu'il faut laisser à Nestlé Waters la possibilité d'apporter la preuve, si tel est le cas, que l'eau n'est pas désinfectée avec une filtration à 0,2 micron. Nous ne faisons que dire l'état du droit.

Pour cela, nous nous appuyons sur un avis de 2001 d'une des agences dont l'Anses est issue : l'Afssa. À cette époque, l'agence avait rendu un avis sur un cas particulier : un industriel l'avait saisie pour qu'elle confirme qu'une filtration à 0,8 micron n'entraînait pas de désinfection, et la mise en place de la filtration avait été autorisée. Nous décidons d'appliquer le même raisonnement.

Matignon nous donne alors son accord pour demander aux experts de récupérer les éléments de Nestlé Waters, de les analyser et d'en tirer des conclusions. Les ARS, qui, je le rappelle, sont sous la tutelle du ministère de la santé, nous semblent être les bons experts à solliciter. Mais celles-ci nous écrivent en demandant un appui technique de l'Anses.

Nous saisissons de nouveau l'agence, qui, je le redis, et c'est bien là toute la difficulté du dossier, ne rend pas un avis général sur la filtration à 0,2 micron. Ce que dit l'Anses dans son avis complémentaire, c'est que la filtration à 0,2 micron dans le cas de la source Hépar est une désinfection. Cette information n'a pas énormément de conséquences puisque nous savons, à ce moment-là, que la source en question n'est pas pure à l'origine et, en conséquence, que cette eau ne peut plus être une eau minérale naturelle.

Pour aller un peu plus loin, monsieur le rapporteur, je pense que votre question en cache une autre : pourquoi ne pas avoir choisi, dans le doute, d'interdire la filtration à 0,2 micron ? L'industriel aurait été en droit de nous reprocher d'avoir appliqué une règle non conforme à la directive européenne et de ne pas lui avoir laissé la possibilité de démontrer qu'il ne désinfectait pas l'eau.

Il nous revient d'appliquer le droit, pas de le tordre ! Il était donc logique que l'on permette à l'industriel d'apporter des preuves.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout ce que vous venez de dire ne me pose qu'un seul problème. Je l'ai énoncé précédemment et vous n'avez pas répondu à ma question, qui, il me semble, appelle soit un « oui », soit un « non ». À votre connaissance, l'industriel a-t-il apporté la preuve que la filtration à 0,2 micron ne constituait pas une désinfection de l'eau ?

Mme Adrienne Brotons. - Je ne peux pas vous répondre car, face aux éléments apportés par l'industriel, les experts n'ont pas apporté de réponse.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'État doit bien in fine se mettre en situation de répondre à la question... Si je suis votre raisonnement, la responsabilité de la situation incomberait à l'Anses. D'après vous, vous avez défendu une position dans le cadre d'un arbitrage en CID sans avoir le dernier mot sur le sujet, parce que les experts ne vous avaient pas aiguillée. Les représentants de l'Anses nous ont dit, en audition, avoir clairement indiqué que leur avis rendu au début des années 2000 était toujours valable et que la position du directeur général de la santé était nette.

Nous avons tout de même le sentiment que vous accordez une permission - je rappelle que la microfiltration est une possibilité dérogatoire ouverte par la directive - sans savoir si la démarche est conforme à la réglementation. Vous autorisez sans savoir.

Mme Adrienne Brotons- Non !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pardonnez-moi, mais il est bien question - je reprends les conclusions de la CID - d'accompagner Nestlé dans son plan de transformation pour pouvoir accepter des seuils de coupure sous 0,8 micron.

Mme Adrienne Brotons. - Ces conclusions reprennent l'état du droit : dans le respect des textes communautaires, on autorise à descendre au-dessous du seuil de 0,8 micron, avec la limite que l'industriel doit apporter la preuve qu'il n'y a pas désinfection de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Preuve qui n'a pas été apportée !

Mme Adrienne Brotons. - Encore une fois, les éléments sont analysés par les experts de l'ARS. Ceux-ci ne nous ont pas dit que la preuve avait été apportée ; ils ne nous ont pas non plus dit que l'inverse était vrai et qu'il y avait désinfection de l'eau. À ma connaissance, au moment où je travaille sur le dossier, les autorités sanitaires ont estimé qu'il y avait désinfection dans un seul cas : celui d'Hépar.

Si je puis me permettre, monsieur le rapporteur, je souhaiterais rappeler la teneur de votre audition des représentants de l'Anses. Vous demandez : « Est-ce qu'une microfiltration à 0,2 micron est, pour vous, assimilable à une désinfection ? ». Monsieur Schuler répond : « [...] En dessous de 0,4 micron, nous ne sommes plus dans une situation où l'on peut affirmer qu'il n'y a pas d'impact sur le microbisme de l'eau. » Vous relancez : « Donc cela signifie que vous considérez qu'il y a une modification du microbisme de l'eau, au point que cette eau ne peut plus être considérée comme de l'eau minérale naturelle ? » M. Schuler répond : « C'est difficile de répondre par oui ou par non [...] »

Dès lors que les experts, dont je ne fais pas partie, nous indiquent qu'il n'est pas possible d'apporter une réponse générale sur la filtration à 0,2 micron, qu'on ne peut le faire que sur des cas particuliers, comme le cas d'Hépar, nous les suivons. Nous avons une réponse claire sur Hépar ; notre décision l'est tout autant. Pour les autres sources, je n'ai reçu aucun élément m'indiquant que la filtration à 0,2 micron constituait une désinfection.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez évoqué l'aspect juridique. N'aurait-il pas fallu saisir la Commission européenne à ce moment-là et demander l'avis de l'Agence sanitaire européenne ? Si cela n'a pas été fait, pourquoi ?

Mme Adrienne Brotons. - C'est en effet ce qui figure dans les préconisations du bleu issu de la consultation interministérielle du début de l'année 2023 et c'est la conclusion à laquelle nous aboutissons, après avoir peut-être perdu un peu de temps dans des allers-retours entre le local et le national. Nous comprenons que la difficulté de mise en oeuvre de la norme par nos experts nécessite que l'on en rediscute à l'échelon européen. Il est donc précisé, dans le bleu, que le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) doit lancer une discussion avec les autres États membres en ce sens.

M. Laurent Burgoa, président. - Cela a-t-il été fait ?

Mme Adrienne Brotons. - Comme vous le savez, le SGAE est rattaché aux services du Premier ministre. Je ne sais donc pas répondre à votre question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La Commission européenne a clairement indiqué - mais postérieurement à notre affaire - que la filtration à 0,2 micron constituait bien une désinfection. L'interroger pendant l'année d'instruction aurait peut-être permis d'avoir une réponse.

Par ailleurs, Madame Mathilde Bouchardon nous a rapporté que, ayant sollicité la DGCCRF, celle-ci lui fait part, le 10 janvier 2023, d'un échange au niveau de l'Union européenne sur ce point et conclut que l'on se situe dans ce cadre très au-dessus de 0,4 micron, donc, a fortiori, au-dessus de 0,2 micron. Deux jours plus tard, le 12 janvier, répondant à une nouvelle question de Madame Bouchardon, elle indique n'avoir retrouvé aucun compte rendu dans lequel la Commission aurait formellement autorisé la microfiltration à 0,4 micron.

Autre point important, les grands concurrents français de Nestlé, comme Danone, nous déclarent n'avoir aucun problème avec la réglementation : ils filtrent à 0,8 micron, conformément aux avis de l'Afssa ou de l'Anses.

Il nous semble que, quand vous cherchez à obtenir des réponses, on vous dit plutôt non du côté européen, tout comme du côté de l'Anses et des ARS. Et vous finissez par dire plutôt oui. Quelque chose m'échappe dans la construction du raisonnement. Quel élément vous a déterminés, vous et vos collègues, à accompagner le plan de transformation, faisant, au passage, prendre un risque industriel au ministère de l'industrie ?

Mme Adrienne Brotons. - Lors de notre rencontre, les représentants du groupe Nestlé Waters nous indiquent que des filtrations inférieures à 0,8 micron sont pratiquées au Royaume-Uni et en Espagne. Nous cherchons à le vérifier, mais le benchmark ne nous permet pas de confirmer leurs dires. Nous ne trouvons que des comptes rendus de réunion dans lesquels les deux États interrogent la Commission européenne sur des filtrations inférieures à certains niveaux. Nous n'avons pas la réponse de la Commission européenne.

Cela signifie, non pas qu'il n'y a pas de tels procédés dans ces États membres, mais que nous n'avons pas la preuve que les affirmations de Nestlé Waters sont vraies. D'ailleurs, nous n'avons pas non plus retrouvé le niveau de 0,4 micron mentionné dans le rapport de l'Igas.

Sur le fait que Nestlé serait le seul industriel à ne pas respecter les niveaux ou à demander une filtration à 0,2 micron, je vous rappelle que le rapport de l'Igas fait état de 30 % de non-conformité sur les arrêtés préfectoraux en France. Je doute que Nestlé représente 30 % des sources dans notre pays...

Vous revenez une nouvelle fois sur le fait que nous recevons des réponses plutôt négatives de la part de la DGCCRF, de l'Anses et de l'ARS. Je ne veux pas me répéter, mais j'y insiste : la DGCCRF dit avoir retrouvé un compte rendu dans lequel le Royaume-Uni et l'Espagne posent des questions sur des niveaux de filtration, mais ne se prononce pas sur la filtration à 0,2 micron ; l'ARS indique avoir besoin d'un appui de l'Anses ; celle-ci ne répond que sur le cas particulier d'Hépar.

Au moment de la prise de décision, je n'ai donc pas d'élément me permettant de dire que, dans tous les cas, la filtration à 0,2 micron est une désinfection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous néanmoins d'accord pour dire que c'est à l'industriel de vous le prouver ? En aucun cas, l'absence de preuve ne peut vous amener à prendre la décision que vous prenez. Parce que l'industriel ne vous a pas apporté de preuve, vous devez agir en protecteur du droit des consommateurs et en garant du respect de la réglementation. Il me semble qu'à ce moment précis rien ne peut vous conduire à aller vers un accompagnement du plan de transformation.

Vous indiquez que l'ARS se bornait à dire qu'elle avait besoin d'appui technique. Sa directrice, Madame Cayré, indique pourtant que, « si la filtration à 0,2 micron n'enlève pas tous les micro-organismes, la flore microbienne est indéniablement fortement diminuée ; il s'agirait donc bien d'une désinfection, ce qui n'est pas autorisé ». C'est assez clair !

Mme Adrienne Brotons- Cette phrase, vous le noterez, est au conditionnel et la note à laquelle vous faites référence se termine par une demande d'appui technique de l'Anses. Encore une fois, nous n'avons pas de preuve que la filtration à 0,2 micron est une désinfection. C'est pourquoi la CID et le bleu qui en est tiré se cantonnent à indiquer que l'industriel doit apporter la preuve et les autorités locales prendre une décision sur chacune des sources, sur la base de ces éléments et avec, s'il le faut, l'appui de l'Anses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons un désaccord persistant sur le sujet. Passons donc à des questions complémentaires : lors de la CID, le cabinet d'Agnès Firmin Le Bodo prend de manière assez étonnante une position orthogonale à celle du directeur général de la santé. Les notes de Monsieur Salomon vous étaient-elles parvenues ? Avez-vous compris le raisonnement ayant conduit le cabinet à prendre une position proche de celle du ministère de l'industrie et contraire à celle de son administration ?

Mme Adrienne Brotons. - Nous n'avons pas eu connaissance des notes du directeur général de la santé. Nos interlocuteurs appartenaient au cabinet de la ministre, avec qui nous avons eu des échanges tout au long de la gestion du dossier et avec qui nous avons réussi à dégager des positions communes - ce qui n'est pas si courant, comme je l'indiquais dans mon propos liminaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des discussions avec les représentants de l'Élysée ? Endossez-vous complètement la décision prise en CID ou est-elle vue avec votre ministre ?

Mme Adrienne Brotons. - Nous avons eu des échanges avec Victor Blonde, mais plutôt dans le cadre de ses fonctions à Matignon. Je n'ai pas souvenir d'avoir eu le moindre échange avec Alexis Kohler sur le sujet.

En ce qui concerne votre deuxième question, si je me souviens bien de la chronologie des faits, nous faisons une première note au ministre avant même de rencontrer Nestlé Waters, à la suite de l'enquête lancée par la DGCCRF sur les eaux minérales. Dans ce cadre, nous mentionnons les deux minéraliers - Nestlé et Alma - sur lesquels pèse un soupçon de fraude. Nous instruisons ensuite le dossier et, au moment de la finalisation du raisonnement, nous faisons plusieurs points avec le ministre. Je n'ai pas mon agenda, mais je pense que c'était au début du mois de décembre, après que nous avons appris que la source Hépar n'était pas pure. Jusqu'à la CID, nous partageons les éléments à plusieurs reprises avec le ministre et construisons avec lui la position que nous allons porter.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il était donc d'accord avec la position arrêtée ?

Mme Adrienne Brotons. - Oui, nous l'avons construite ensemble.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons beaucoup parlé du ministère de la santé, de la direction générale de la santé et des ARS - à titre personnel, je partage l'idée que le risque sanitaire n'était pas avéré. Mais il y a aussi vos services. Pourquoi aucun signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, venant soit de votre ministère, soit des services déconcentrés, n'a-t-il été fait à propos du site de Vergèze, dans le Gard ?

Mme Adrienne Brotons. - Quand nous prenons connaissance du sujet, il est fait mention, dans les éléments d'information à notre disposition, d'un signalement à venir au titre de l'article 40. Nous allons vérifier que c'est bien le cas, alors même que ce signalement doit être fait par l'ARS Grand Est. Nous relançons plusieurs fois nos administrations et le ministère de la santé avant d'obtenir confirmation.

À partir de là, pour nous, ce signalement couvre l'ensemble des faits révélés par Nestlé Waters. L'Igas avait été saisie sur le fondement d'une autodénonciation de l'industriel, un rapport avait été élaboré, et il est impossible d'avoir connaissance du contenu d'un signalement au titre de l'article 40 quand on ne l'a pas rédigé soi-même. Quand bien même ce signalement n'aurait pas couvert l'ensemble des faits frauduleux révélés, le procureur de la République n'est pas restreint dans son champ d'enquête. On pouvait donc penser qu'il allait étendre son analyse au-delà des faits concernant les Vosges.

M. Laurent Burgoa, président. - Sans indiscrétion, quelle formation avez-vous ?

Mme Adrienne Brotons. - Je suis énarque.

M. Laurent Burgoa, président. - Comme vous le savez, chaque parquet, hormis ceux qui sont spécialisés, est autonome. Le parquet des Vosges ne peut pas intervenir dans le Gard.

Mme Adrienne Brotons. - Sauf erreur de ma part, le cadre de l'article 40 s'applique à tout agent public. Un procureur d'un département ayant connaissance d'une fraude dans un autre département ne doit-il pas en informer l'autre procureur ? C'est une interrogation, et c'est sincèrement ce que nous avons pensé.

M. Laurent Burgoa, président. - On voit bien, depuis le début de nos auditions, que les services de l'État travaillent beaucoup en silos. On ne va tout de même pas demander à nos parquetiers de se mettre en réseau pour s'informer ! Il aurait donc fallu quelqu'un pour saisir le parquetier de Nîmes et, s'il pouvait à la rigueur s'autosaisir, encore fallait-il qu'il dispose des éléments pour cela. D'où notre interrogation.

M. Khalifé Khalifé. - Merci madame pour vos explications et la clarté de vos propos. Alors que le rapporteur évoque un travail en silos, vous avez parlé de cohésion des acteurs dans votre exposé liminaire. Je m'interroge sur l'aspect temporel : quand vous avez pris vos fonctions, vous n'avez pas eu l'historique. Au travers de mon métier, j'ai servi l'État pendant quarante ans : ne vous a-t-il pas manqué quelqu'un qui aurait pu suivre spécifiquement ce dossier au sein du cabinet, afin d'en connaître l'historique, de consulter les techniciens, etc. Le directeur de cabinet a mille sujets à gérer au quotidien : ne regrettez-vous pas de ne pas avoir fait appel à une ressource supplémentaire pour suivre spécifiquement ce dossier ?

On parle de fraude, puisqu'on a enfreint la loi. En quoi l'industriel en question avait-il intérêt à frauder ? Bien sûr, nous lui poserons la question. A-t-il négligé les installations qu'il a trouvées ? Vous nous avez dit que les dirigeants de Nestlé n'étaient pas au courant, mais je m'étonne que l'on se satisfasse de cette réponse, car ils ont bien dû s'apercevoir qu'ils n'achetaient pas le bon consommable. Comment expliquez-vous que Nestlé ait conservé ces anciennes pratiques ?

Mme Adrienne Brotons. - Au cabinet, nous avons toujours essayé de casser les silos, notamment en nous interrogeant sur des questions qui ne relevaient pas forcément de notre compétence, afin de vérifier qu'elles étaient bien gérées par les experts concernés.

C'est ainsi que nous nous sommes interrogés sur la sécurité sanitaire, pensant relever une contradiction entre ce que disaient, d'une part, l'ARS Grand Est, et, d'autre part, l'Igas. Cela n'était pas de notre compétence - nous aurions pu laisser le ministère de la santé évaluer le risque sanitaire -, mais nous avons contacté le cabinet de Madame Firmin Le Bodo et l'Igas pour leur faire part de nos doutes et avons provoqué une réunion entre l'Igas et les deux cabinets ministériels. Cela nous a permis de mieux comprendre le rapport de l'Igas et d'arriver à la conclusion qu'il n'y avait pas de risque sanitaire.

Votre question est certainement plus large et concerne probablement l'articulation entre la DGS et la DGCCRF, ou celle entre les ARS et l'Anses, sur lesquelles je ne suis pas forcément compétente pour répondre. À notre niveau, nous avons toujours essayé de nous assurer que les questions étaient traitées par les experts concernés, sans angle mort - même si cela était hors de notre champ de compétence.

Bien sûr, j'aurais aimé mettre quelqu'un sur ce dossier, mais la composition des cabinets ministériels est encadrée par un arrêté du Premier ministre. Le cabinet du ministre de l'industrie était composé de treize personnes et est passé à quinze quand nous avons récupéré l'énergie. Il ne s'agit pas que de conseillers « au fond », puisque cela comprend aussi le chef de cabinet, le chef de cabinet adjoint et la cellule communication. J'aurais aimé avoir un conseiller par dossier, mais malheureusement je ne disposais pas de la ressource disponible. C'était un dossier parmi les mille gérés par la conseillère chargée de l'agroalimentaire, de la santé, des biens de consommation et du made in France.

Pourquoi Nestlé Waters a-t-il voulu frauder ? Je ne peux pas répondre à la place de l'industriel : posez-lui la question. Mais je m'étonne comme vous qu'il n'ait pas eu connaissance de la présence de ces filtrations illégales installées avant l'acquisition des infrastructures.

M. Khalifé Khalifé. - Je suis très satisfait de la réponse.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une instruction du ministre de la santé est en cours de rédaction pour autoriser un seuil de coupure de 0,40 ou 0,45. Avec le recul, regrettez-vous d'avoir pris cette décision au niveau de la CID, sans avoir la réponse à cette question fondamentale pour le consommateur : le microbisme de l'eau était-il, oui ou non, modifié ?

Mme Adrienne Brotons. - Permettez-moi de préciser que je n'ai pas pris de décision.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Effectivement, c'est le ministère de l'industrie qui a pris cette position.

Mme Adrienne Brotons. - La décision, avec laquelle nous sommes très à l'aise, a été prise par Matignon ; sur un tel un sujet aux implications juridiques, je tiens à utiliser les bons mots.

Je regrette profondément que nous n'ayons jamais eu de réponse claire à une question claire, posée par le directeur général de la santé à l'Anses : au-dessous de 0,2 micron, l'eau est-elle désinfectée ? Mais je n'attaque personne : je comprends pourquoi l'Anses nous dit qu'elle ne peut pas répondre, faute de règle générale. Dans son premier avis, communiqué en décembre, l'Anses cite même des études scientifiques qui laissent penser qu'il n'y a pas de désinfection au-dessous de 0,2 micron. L'analyse doit donc être faite au niveau local, ce qui n'est pas facile.

On constate un écart entre le texte juridique et la capacité des experts à le mettre en oeuvre, ce qui pose la question de la définition de la norme. Faut-il conserver telle quelle une norme, même claire, que les experts ne réussissent pas à mettre en oeuvre ou faut-il la faire évoluer ? Nous sommes arrivés collectivement, avec nos collègues du ministère de la santé et de Matignon, à cette conclusion : la règle européenne méritait d'être clarifiée pour être mise en oeuvre. Nous avons perdu du temps dans des allers-retours entre le niveau local et le niveau national, car nous n'arrivions pas à avoir de réponse à cette question.

M. Laurent Burgoa, président. - Compte tenu de votre expérience, quelle serait votre préconisation en matière de norme ?

Mme Adrienne Brotons. - Une telle préconisation doit être faite par des experts et prendre en compte l'évolution de nos sols. Le niveau de pollution de nos sols, en France et en Europe, pose la question des mécanismes de filtration de nos eaux profondes que nous autorisons, ou pas. Faut-il encore commercialiser ces eaux, notamment parce que nous allons manquer d'eau ? Les mécanismes de filtration qui n'étaient pas autorisés il y a quelques années doivent-ils l'être aujourd'hui ? Comment garantir que ces systèmes sont contrôlés par des experts ? Je ne peux pas répondre techniquement à cette question, qui me dépasse.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour cette audition, éclairante et constructive, et qui améliore notre culture générale sur un sujet que nous découvrons au fil de l'eau et qui est plus ou moins pétillant selon les jours.

Audition de Mme Muriel Lienau, responsable de la zone EMENA
(Europe, Middle East and North Africa) de Nestlé Waters de 2020 à 2023, présidente de Nestlé France de 2023 à 2025,
actuelle présidente-directrice générale de Nestlé Waters
(Mercredi 19 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Il y a quelques semaines, M. le rapporteur et moi-même avions sollicité l'Élysée pour savoir s'ils pouvaient nous fournir des documents intéressants pour notre commission d'enquête. Le secrétaire général de l'Élysée nous en a transmis ; une fois ceux-ci analysés, M. le rapporteur et moi-même déciderons d'une éventuelle convocation des personnes concernées. Je tenais à vous faire part de cette information et je remercie le secrétaire général d'avoir fait droit à notre demande.

Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Muriel Lienau, PDG de Nestlé Waters depuis le 1er janvier 2025 et présidente de Nestlé France de mars 2023 à janvier 2025. Nous vous retrouvons avec plaisir ; vous nous aviez accueillis voilà quelques semaines sur le site de Vergèze dans le Gard. Je vous remercie pour cette rencontre cordiale et enrichissante.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Muriel Lienau prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous rappelle qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui n'est pas un tribunal, puisque celle-ci est dépourvue de finalité répressive. Notre instance est destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus.

Il en résulte que, aux termes de la loi, « la personne qui refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ».

Si vous estimez que votre réponse est de nature à aller à l'encontre du secret professionnel ou des affaires, et, partant, que vous ne souhaitez pas communiquer publiquement, il vous est loisible de demander à procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit à notre commission - je l'accepterai bien volontiers.

Enfin, j'ai autorisé, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés - je salue votre avocat, que nous avions déjà rencontré à Vergèze. Je rappelle que celui-ci ne pourra pas intervenir devant la commission.

Je rappelle rapidement que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur ce qui s'est passé dans les sites d'embouteillages d'eaux minérales : autrement dit, pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?

PDG de Nestlé Waters depuis le 1er janvier 2025 et présidente de Nestlé France de mars 2023 à janvier 2025, responsable de la zone EMENA (Europe, Middle East and North Africa) de Nestlé Waters de 2020 à 2023, chef des ventes et du marketing de Nestlé Waters de 2015 à 2018, cadre dirigeante de Nestlé Beverages France de 2007 à 2015, vous connaissez tout de Nestlé Waters.

Vous avez été en première ligne dans cette affaire. On notera, en effet, que Nestlé Waters, par votre voix, avoue utiliser ces traitements interdits au cabinet de Mme Pannier-Runacher, alors ministre de l'industrie, le 31 août 2021. Du reste, votre nom apparaît très souvent dans la documentation transmise par les ministères.

À quoi servaient ces traitements interdits ? Comment, pourquoi et par qui ont-ils été mis en place ?

Qu'attendiez-vous de la réunion du 31 août 2021 au cabinet de Mme Pannier-Runacher ? Que s'est-il passé ensuite ?

Quelles ont été vos interactions avec les ministères et les services de l'État concernés, notamment les agences régionales de santé (ARS) Occitanie et Grand Est ou les préfectures du Gard et des Vosges ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : votre propos liminaire durant une vingtaine de minutes ; un temps consacré aux questions de notre rapporteur ; enfin, une dernière batterie de questions-réponses avec nos collègues.

Je forme le voeu que cette audition soit plus constructive que celle au cours de laquelle nous avons entendu votre collègue, Mme Sophie Dubois, ancienne directrice générale de Nestlé, et ce dans l'intérêt de nos institutions, de nos concitoyens - ils sont aussi des consommateurs - et même de votre groupe. Hier, Mme Dubois a indiqué que vous étiez au courant de l'affaire des « filtrations ».

Mme Muriel Lienau, responsable de la zone EMENA (Europe, Middle East and North Africa) de Nestlé Waters de 2020 à 2023, présidente de Nestlé France de 2023 à 2025, actuelle présidente-directrice générale de Nestlé Waters. - Merci pour votre invitation.

Nestlé Waters a beaucoup été évoquée devant vous ces derniers mois. Je suis heureuse d'avoir l'occasion d'exprimer directement le point de vue de l'entreprise pour apporter quelques précisions qui me semblent essentielles.

Vous avez déjà eu l'occasion d'auditionner certains de mes collègues. Naturellement, j'ai regardé ces auditions et j'ai pu constater une forme de frustration de votre part face à certaines réponses. Permettez-moi donc de souligner que je me tiens ici aujourd'hui devant vous en tant qu'architecte de la transformation de Nestlé Waters depuis 2020. Je suis ici pour vous apporter la clarté nécessaire à la poursuite des travaux qui, je l'espère, permettront de fournir une lecture approfondie et juste des enjeux auxquels Nestlé Waters, comme l'ensemble de l'industrie, fait face.

Je dois toutefois m'assurer de la préservation de nos droits de la défense du fait de l'instruction pénale menée au tribunal judiciaire de Paris sur des faits que votre commission a plusieurs fois évoqués. Comme cela a été indiqué par d'autres personnes de la société, je pourrais donc être amenée à ne pas répondre ici à certaines questions.

Je tiens également à parler au nom des salariés de Nestlé Waters, qui ont la responsabilité de produire des eaux qui figurent parmi les plus emblématiques de France. La qualité de leur travail et leur intégrité ont malheureusement trop souvent été remises en cause ces derniers mois sur la base de très nombreuses approximations et de contre-vérités. Je le déplore vivement et veux redire ici toute la pertinence de leur expertise et la qualité irréprochable de leur travail. Je les en remercie.

À nos consommateurs, je veux aussi redire que nous regrettons très sincèrement cette situation héritée du passé, mais que jamais la sécurité alimentaire n'a été en jeu et que tous nos efforts ont été consacrés à pouvoir continuer à fournir les eaux minérales naturelles dont ils apprécient les qualités minérales et gustatives.

Pour en venir à notre sujet, je dirige depuis le 1er janvier 2025 Nestlé Waters & Premium Beverages, une entité autonome au sein du groupe Nestlé. Précédemment, j'ai eu la responsabilité de la région Europe pour Nestlé Waters de janvier 2020 à décembre 2024. En parallèle, j'ai été présidente de Nestlé France de février 2023 à décembre 2024.

C'est à la suite de ma prise de poste que, à la fin de l'année 2020, j'ai appris la présence de traitements non autorisés - ultraviolets et charbons actifs - sur nos sites du Gard et des Vosges ; j'ai immédiatement décidé que ces pratiques ne pouvaient perdurer. C'était une situation héritée du passé dont je ne connais pas l'origine. Dès que j'en ai été informée, j'ai souhaité engager un plan de transformation à différents niveaux afin de sortir de cette situation de non-conformité, d'arrêter ces traitements et de trouver des solutions nous permettant de produire en totale conformité avec la réglementation en vigueur.

En 2021, j'ai également révélé à nos autorités de tutelle cet enjeu de non-conformité, proposé des options envisageables pour en sortir et piloté la mise en oeuvre de notre plan de transformation sous leur contrôle. Je ne renie aucune des décisions prises à cette occasion.

Avant de répondre à vos questions sur ce plan, laissez-moi exprimer les trois certitudes qui ont fondé mon approche tout au long de ce processus.

Première certitude : la sécurité alimentaire a toujours été et reste notre principale boussole. Notre devoir de minéralier est de mettre à la disposition des consommateurs des eaux uniques, issues de territoires protégés dont provient leur minéralité et dont la sécurité est assurée en toutes circonstances. Nous n'avons jamais failli à ce devoir et la sécurité alimentaire de nos produits n'a jamais été en cause, comme l'ont rappelé ici, devant votre commission, nombre d'intervenants. Les eaux minérales naturelles que nous commercialisons sous les marques Vittel, Contrex, Hépar et Perrier ont toujours pu et peuvent être consommées en toute sécurité. Nous avons toujours mis cet engagement au coeur de notre approche et cela requiert, comme vous avez pu le constater lors de votre visite sur le site du Gard le 7 février dernier, une rigueur absolue dans l'exploitation de nos sites et des contrôles permanents. En outre, je me permets d'ajouter que la composition minérale unique de chacune de nos eaux a toujours été préservée et a toujours été conforme à celle qui figure sur l'étiquetage.

Deuxième certitude : il s'agit là d'un enjeu sectoriel, car l'eau minérale naturelle est pour tous un produit vivant et sensible, soumis en particulier aux aléas climatiques et environnementaux et aux impacts de l'activité humaine. De plus, le travail des minéraliers doit respecter une directive européenne souvent qualifiée de floue, comme cela a été rappelé ici à de nombreuses reprises, car celle-ci date de plus de quarante ans et laisse aux États membres une large part à l'interprétation sur la manière d'atteindre les objectifs fixés. Or les pratiques que nous avons révélées n'étaient, selon l'inspection générale des affaires sociales (Igas), pas seulement réservées à Nestlé Waters et probablement plus répandues que ce qui a pu être évoqué. J'émets ici le voeu que votre commission, en clôturant ce débat, permette d'assurer la pérennité du secteur des eaux minérales naturelles françaises face à ces enjeux.

Troisième certitude : décider voilà quatre ans de porter le sujet de la non-conformité devant le Gouvernement était une décision difficile, mais indispensable à mes yeux pour opérer notre transformation sous le contrôle des autorités et conformément à leurs directives. Soyons clairs : nous n'avons jamais fait pression sur quiconque. Certains nous prêtent d'avoir forcé la main de je ne sais quel décideur ; c'est totalement faux. Bien sûr, nous avons eu des échanges avec des décideurs publics, mais nous avons toujours été respectueux de leur indépendance et des règles relatives à ce dialogue. Nous nous sommes ainsi toujours attachés à répondre en toute transparence à l'ensemble des questions qui nous ont été posées, que ce soit par les autorités administratives et politiques dans un premier temps, puis par la justice et par vous aujourd'hui.

Je vais désormais répondre aux deux grandes questions induites par cette transformation. Sur quoi celle-ci a-t-elle porté ? De quoi l'ensemble du secteur des eaux minérales a-t-il besoin ?

Tout d'abord, ce plan est bien plus qu'une mise en conformité. Il s'agit d'une modernisation, d'une transformation en profondeur de nos sites, de notre activité et même de nos marques. Mais cette transformation ne pouvait se faire du jour au lendemain. Il était évident qu'elle devait être menée sous le contrôle des autorités. Une fois que j'ai pris la décision d'arrêter le recours à ces traitements non autorisés, il n'était pas possible de simplement les retirer. La situation exigeait un ajustement industriel complet - et par définition complexe - et de grande ampleur qui prenne en compte la spécificité de nos sites. Il fallait également présenter cette situation et la manière d'y remédier aux autorités pour que cette transformation s'opère sous leur contrôle.

J'ai donc porté ce sujet devant le cabinet du ministre de l'industrie en août 2021. Dans les mois qui ont suivi, l'Igas a été saisie afin d'établir un état des lieux des activités de l'ensemble des minéraliers en France. Nous n'avons appris la création de cette mission qu'en février 2022 lorsque celle-ci nous a sollicités. Nous avons alors répondu en toute transparence à l'enquête de l'Igas. Comme vous le savez, nos échanges avec les autorités nationales ont repris durant l'été 2022, notamment sur la base de ce rapport, même si nous n'en avions pas connaissance pour notre part.

Les conclusions du rapport de l'Igas n'ont été portées à notre connaissance que le 23 février 2024. À l'occasion de nos échanges au cours de l'été 2022, nous avons soumis aux autorités nationales les options possibles pour mener à bien notre plan de transformation et nous mettre en conformité avec la réglementation. En février 2023, après la transmission de données en réponse aux questions posées, les cabinets des ministères de l'industrie et de la santé nous ont fait part des résultats des échanges interministériels qui s'étaient tenus. Sur la base de cette clarification, nous avons pu avancer.

Ainsi, notre plan de transformation a reposé sur quatre grands piliers.

Premièrement, le retrait des traitements non réglementaires après confirmation par les autorités que le type de microfiltration utilisé sur nos sites des Vosges et du Gard était conforme, et ce sur la base de données scientifiques partagées ; je reviendrai sur ce point dans un instant.

Deuxièmement, la suspension de certains forages dans les Vosges qui ne répondaient plus aux critères de stabilité des constituants essentiels de l'eau minérale. Sur le site du Gard, nous avons réaffecté deux forages à la production de boissons. Le lancement d'une nouvelle marque, Maison Perrier, était déjà envisagé et s'est accéléré dans ce cadre.

Troisièmement, le renforcement de nos procédures de contrôle de gestion intégrée de la qualité, conformément aux directives des autorités.

Quatrièmement, l'accélération de nos investissements visant à renforcer la protection de nos ressources en eau tant sur nos sites que dans l'environnement, face notamment aux risques climatiques et à l'impact de l'activité humaine.

Notre approche de la sécurité alimentaire repose donc sur une gestion intégrée de la qualité qui s'appuie sur un dispositif de filtration combiné à un programme strict de nettoyage des circuits d'embouteillage et à 1 500 analyses quotidiennes sur les deux sites, couvrant de multiples paramètres, notamment physico-chimiques, microbiologiques et sensoriels. Ces trois éléments nous permettent de garantir à tout moment la sécurité alimentaire de nos produits, sous le contrôle des autorités.

Nous avons investi 50 millions d'euros dans le cadre spécifique de ce plan de transformation et, au-delà, nous avons également investi de manière significative au cours des dernières années pour moderniser nos sites. Au total, ce sont près de 95 millions d'euros qui ont été investis au cours des cinq dernières années sur le site des Vosges et 150 millions d'euros sur le site de Vergèze.

De quoi le secteur des eaux minérales a-t-il besoin aujourd'hui ? J'ai la conviction qu'il faut clarifier le sujet de la microfiltration et surtout de son impact sur la flore de l'eau. Je souhaite en effet évoquer ce sujet crucial de la microfiltration qui semble encore malheureusement être à l'origine d'une certaine confusion - c'est normal, car celui-ci est très technique.

Il n'existe aujourd'hui aucun règlement autorisant ou interdisant une technologie de microfiltration particulière. L'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) de 2001 a seulement validé, sur la base d'un cas particulier observé sur l'un des 104 sites d'embouteillage d'eau qui existent en France, un traitement spécifique, le filtre céramique, dit 0,8 micron. L'avis n'exclut pas explicitement d'autres types de microfiltration.

L'ancien directeur général de la santé, M. Salomon, par ailleurs très critique à notre égard, soulignait lui-même lors de son audition devant vous que l'avis de l'Afssa de 2001 n'était pas un règlement, mais que l'utilisation du filtre 0,8 céramique analysée dans cet avis est plutôt, je le cite, « une bonne pratique ». Soulignons aussi que cette évaluation date d'il y a près de vingt-cinq ans. Beaucoup de technologies et de méthodes ont évolué depuis.

En ce qui nous concerne, comme vous le savez, les autorités ont accepté en février 2023 la possibilité que nous puissions, sous conditions, utiliser une microfiltration pouvant aller jusqu'à 0,2 micron sur nos sites du Gard et des Vosges. Les autorités ont pris en compte le fait que le niveau de microfiltration inférieur à 0,8 micron était autorisé dans d'autres pays européens soumis à la même directive ; que les autorisations pouvant aller jusqu'à 0,2 micron existaient déjà en France - il ne s'agit donc pas d'une exception accordée à Nestlé Waters - ; enfin, que des données scientifiques récentes démontrent qu'il ne s'agit pas d'une désinfection et que la flore naturelle de l'eau est préservée.

Nous avons soumis aux autorités locales des dossiers d'autorisation en ce sens avec de la microfiltration cartouche à 0,2 micron. Or, entre le 0,8 céramique et le 0,2 cartouche, nous parlons bien de deux technologies différentes comme nous vous l'avons présenté lors de votre visite sur le site du Gard. Toutefois, pour entrer dans plus de détails (Mme Muriel Lienau brandit un document comportant un graphique.), la courbe que je me permets de vous présenter démontre, en comparant la répartition des pores, que ces filtres ont des caractéristiques physiques très similaires. Ainsi, 90 % des pores du filtre céramique dit 0,8 micron, sont en fait inférieurs à 0,4 micron. Le pore moyen des filtres céramiques est d'environ 0,25 micron, ce qui est également le cas pour les filtres cartouche 0,2 micron. Cela est non pas un avis ou une opinion, mais un fait scientifiquement prouvé. Pourtant, aujourd'hui encore, les discussions se concentrent malheureusement exclusivement sur le seuil de coupure - ou pore - affiché sur les étiquettes de ces filtres - 0,2 ; 0,45 ; 0,8 micron - sans prendre en compte leurs spécificités techniques réelles.

Aujourd'hui, nous pouvons aussi établir scientifiquement que ces deux technologies ont les mêmes effets. Celles-ci préservent les constituants essentiels de l'eau minérale, dont sa minéralité, mais aussi sa flore naturelle, tout en garantissant la sécurité alimentaire. Ainsi, l'effet de ces deux types de microfiltration étant le même, il serait incompréhensible et illogique d'interdire l'un au profit de l'autre.

Le plan de transformation très significatif que nous avons engagé devait évidemment reposer sur la technologie la plus fiable, la plus solide, la plus normée et la plus durable, c'est-à-dire le filtre à cartouche à 0,2 micron. Je le redis ici avec force : nous avons transmis aux autorités compétentes - et nous continuons de le faire - toutes les données permettant de confirmer que ce dispositif actuel répond aux exigences du cadre réglementaire.

Un dernier mot pour conclure. Je suis fière d'avoir mené à bien cette transformation majeure, malgré les incertitudes et les débats qui persistent. Ce fut un défi considérable que mes équipes et moi-même avons relevé avec responsabilité et détermination. Je rappelle ici les trois principes cardinaux qui nous ont toujours guidés : assurer la sécurité alimentaire de nos consommateurs ; assurer l'exploitation en complète transparence vis-à-vis des autorités de tutelle et de contrôle ; assurer un avenir pour nos sites des Vosges et du Gard, pour les marques emblématiques qui en sont issues, pour nos salariés et pour les communautés locales.

Finalement, je crois que tous ces débats soulèvent une interrogation qui revient sans cesse : l'eau minérale naturelle a-t-elle un avenir ? Du côté de Nestlé Waters, nous avons tout fait pour que celle-ci en ait un. Personne ne pourrait imaginer la France sans sa centaine de marques d'eau minérale qui constituent un marqueur très fort du terroir et du patrimoine, au coeur des habitudes de consommation des Français, au restaurant comme à domicile. L'enjeu pour tous les minéraliers est de pouvoir demain, dans un contexte environnemental et climatique complexe, continuer d'offrir la plus grande sécurité aux consommateurs tout en préservant l'unicité de chacune de ces eaux, ainsi que leurs caractéristiques essentielles de minéralité, de flore et de signature gustative.

À nos yeux, les technologies existent aujourd'hui pour permettre au secteur de l'eau embouteillée de faire face aux enjeux du XXIe siècle en garantissant la sécurité alimentaire et en s'assurant de la conformité avec les réglementations en vigueur. Cela requiert certainement encore un débat d'experts, sans a priori ni dogmatisme, pour mieux prendre en compte l'ensemble des technologies disponibles sur le marché et comparer ce qui est comparable. Nos données et nos experts sont disponibles pour ce faire.

Merci pour votre écoute. Je me tiens désormais à votre disposition pour les questions, dans la limite de la préservation de nos droits eu égard à l'enquête judiciaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci, madame la présidente. Je ne répondrai pas à la dernière phrase que vous avez prononcée. Comme je sais que vous suivez nos auditions, vous m'avez souvent entendu citer l'exemple de la commission d'enquête menée par le Sénat à la suite de l'affaire Benalla. Philippe Bas était alors le président de la commission des lois ; il est devenu depuis membre du Conseil constitutionnel ; c'est un gage de sérieux et de fiabilité juridique.

Je partage totalement votre point de vue et votre conclusion quant à l'importance pour notre pays de disposer d'industriels de l'eau minérale forts. Je pense pouvoir m'exprimer au nom de tous les membres de notre commission d'enquête : aucun d'entre nous ne souhaite qu'un site s'affaiblisse et encore moins que des emplois disparaissent. Nous sommes tous très attachés à nos territoires.

En revanche, il revient à notre commission - je fais confiance à M. le rapporteur et à l'ensemble de ses membres - d'apporter de la transparence sur des faits afin que nos concitoyens retrouvent confiance et puissent consommer sereinement ces boissons. Tel est notre objectif, sans vilipender un industriel plus qu'un autre. Nous avons visité le site de Nestlé dans le Gard ; vendredi, nous nous déplacerons en Haute-Savoie sur un site du groupe Danone et un autre du groupe Alma. Ainsi, nous nous serons rendus sur trois sites appartenant à trois industriels différents ; nous ne pourrons pas malheureusement nous rendre dans une usine située dans le Tarn, cher à notre collègue Marie-Lise Housseau ; cette dernière nous y représentera.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour votre présence devant nous aujourd'hui, madame Lienau.

Je tiens à vous rassurer quant à votre liberté de parole devant notre commission d'enquête : selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), les propos que vous tenez devant une commission d'enquête ne peuvent pas être utilisés par le juge pénal pour appuyer son dossier. Vous êtes donc plus libre ici qu'à l'extérieur pour vous exprimer et répondre à nos questions.

Mes premières questions portent sur l'historique de cette affaire, car nous n'arrivons pas à obtenir de clarifications et d'explications sur ce point. Or nous en avons besoin, les Français en ont besoin. Le Service national des enquêtes (SNE) estime le montant de cette fraude à 3 milliards d'euros. Nous voudrions comprendre sa genèse et savoir pourquoi elle s'est poursuivie.

Lors de votre propos liminaire, vous avez indiqué avoir été informée de cette fraude par les équipes en décembre 2020. Quelles sont les équipes qui vous ont informé de ce qui se passait au sein de votre groupe ?

Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai pris mes fonctions en janvier 2020. C'était une année compliquée - je pense que vous vous en souvenez. Quelques semaines après ma prise de fonctions, j'ai dû gérer les conséquences du covid, avec des usines très impactées qui ont néanmoins maintenu leur exploitation pendant toute cette période. Il était important pour nous de mettre en place toutes les mesures de sécurité afin de protéger nos collaborateurs et d'assurer le transport de nos eaux. Cela a été ma priorité, ainsi que celle de mes équipes. Cette situation de crise a duré plusieurs mois, alors que je venais de prendre mes fonctions.

Lors de ce travail, j'ai passé en revue les processus. À cette occasion, certains membres de mes équipes m'ont alertée sur une situation héritée du passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De qui s'agissait-il, s'il vous plaît ?

Mme Muriel Lienau. - Il s'agissait de plusieurs membres des équipes techniques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer les noms de ces responsables, afin que ceux-ci puissent être entendus devant notre commission d'enquête, le cas échéant ? Quelles sont les équipes qui vous ont remonté ces éléments ?

Mme Muriel Lienau. - J'ai travaillé avec ces équipes techniques qui m'ont apporté...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets de vous reposer ma question. Qui était le chef de cette équipe technique ? Quelle est la personne qui vous a informée de la situation pour que nous puissions retracer la manière dont les choses se sont déroulées au sein du groupe dans les années antérieures ? Quelle est la personne qui vous a informée ?

Mme Muriel Lienau. - Cette équipe technique ne comportait pas de chef.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle est la personne qui vous a informée, alors ? Quel est son nom ?

Mme Muriel Lienau. - Plusieurs personnes m'ont informée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est leur nom ?

Mme Muriel Lienau. - Je n'ai pas leur nom.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que voulez-vous dire ?

Mme Muriel Lienau. - J'ai choisi de me concentrer sur l'avenir. J'ai choisi de ne pas rechercher de responsabilités individuelles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Lienau, je suis désolé de vous arrêter. Vous êtes devant une commission d'enquête. Nous vous posons des questions. Celles-ci sont légitimes, car elles permettent de comprendre ce qui s'est passé dans votre entreprise et de savoir comment vous avez réagi et si les Français peuvent désormais vous faire confiance.

Nous avons pris bonne note des mesures que vous avez prises. Mais nous avons besoin de clarté sur ce qui s'est passé. Qui vous a mis au courant de la situation qui avait cours au sein de votre groupe, s'il vous plaît ?

M. Laurent Burgoa, président. - Je vais peut-être changer la modalité des questions. Par quel moyen avez-vous appris cette information ? Est-ce au cours d'une réunion ? Par le biais d'un courrier ou d'un courriel ? Bien sûr, si c'est le cas, je vous demanderai de nous transmettre ces documents.

Mme Muriel Lienau. - Plusieurs éléments m'ont permis d'obtenir ces informations, que j'ai recoupées. Celles-ci ne provenaient donc pas d'une seule personne. J'ai choisi, avec ces équipes qui avaient la compréhension d'une situation qui était héritée du passé et dont j'ignore l'origine, de ne pas rechercher de responsabilités individuelles, mais de consacrer toute mon énergie pour trouver des solutions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous refusez donc de répondre à la question de cette commission d'enquête, afin que nous puissions connaître les personnes qui vous ont informée et les postes que celles-ci occupaient au sein des usines. Vous refusez de nous expliquer comment cette information vous est parvenue.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vais être plus sénatorial que le rapporteur. Même si nous n'avons pas pu obtenir grand-chose lors de son audition d'hier, Mme Dubois nous a parlé de l'existence d'un directeur opérationnel. Pouvez-vous nous expliquer l'organigramme de Nestlé ? Hier, on nous a dit que la directrice générale de l'entreprise ne s'occupait que du marketing : j'ai un peu de mal à comprendre. Lorsqu'on est directeur général, on chapeaute toute la maison.

En tant que PDG, et sans parler de la question de la filtration, existe-t-il un directeur opérationnel chargé de l'ensemble des questions techniques ? La réponse à cette question est oui ou non.

Mme Muriel Lienau. - Aujourd'hui, j'ai un directeur technique.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'était pas le cas entre 2020 et 2022 ?

Mme Muriel Lienau. - J'ai mis en place une organisation avec différentes ressources techniques. C'est cette organisation que j'étais en train de mettre en place en 2020 qui m'a apporté ces éléments.

M. Laurent Burgoa, président. - À quelle période ? Le directeur du site de Vergèze nous a indiqué avoir eu des informations sur la filtration en mars 2021. Hier, Mme Dubois nous a indiqué avoir été mise au courant dans le courant de l'été 2021 ; en tout cas, elle connaissait la situation lors de la réunion du 31 août 2021.

Compte tenu de vos responsabilités, à quelle période de l'année 2021 avez-vous été informée de cette filtration ?

Mme Muriel Lienau. - Je vous ai dit que j'avais été informée de ces pratiques à la fin de l'année 2020. J'ai alors décidé...

M. Laurent Burgoa, président. - Était-ce par le biais du directeur du site ?

Mme Muriel Lienau. - Ce sont différentes personnes des équipes techniques...

M. Laurent Burgoa, président. - Je souhaite conserver l'amabilité nécessaire, mais il faut, madame, que vous soyez un peu plus explicite. Pouvez-vous nous préciser qui était le responsable ? Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup ! Nous transmettre cette information est non seulement dans votre intérêt, mais aussi dans celui de la maison Nestlé, si je peux me permettre.

Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit au début, cette question porte sur des faits qui font l'objet d'une procédure judiciaire. Je ne peux donc pas y répondre.

M. Laurent Burgoa, président. - Pas du tout, madame. Je suis désolé, mais, en tant que président de cette commission d'enquête, je suis contraint de vous rappeler que l'article 6 de l'ordonnance du 18 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que la personne qui ne comparaît pas ou refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Le refus de communiquer les documents demandés par le rapporteur de la commission d'enquête est passible de la même peine.

Vous êtes donc tenue de répondre aux questions posées. Je vous rappelle qu'outre les peines mentionnées, le tribunal saisi peut prononcer l'interdiction de l'exercice de tout ou partie des droits civiques pour une durée de deux ans à compter de l'issue de la peine. Si vous estimez que votre réponse est de nature à porter atteinte au secret professionnel ou des affaires et que vous ne souhaitez donc pas la communiquer publiquement, il vous est loisible - je vous l'ai dit dès le début - de demander à notre commission de procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit. En revanche, il ne vous est pas possible de refuser purement et simplement de communiquer les éléments demandés, sauf à assumer que nous saisissions la justice.

Vous invoquez devant nous un droit à ne pas vous auto-incriminer dans la mesure où une procédure judiciaire serait pendante. Permettez-moi de vous rappeler que vous déposez sous serment et que le droit de se taire ne s'applique pas aux commissions d'enquête dès lors que ces dernières sont dépourvues de finalité répressive.

Si la CEDH a estimé que l'impossibilité pour les personnes comparaissant devant une commission d'enquête de pouvoir invoquer leur droit au silence était problématique, elle n'a toutefois pas jugé que cela constituait une violation de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour a en effet clairement rappelé que le droit à ne pas s'auto-incriminer s'apprécie uniquement devant le tribunal.

De ce point de vue, la teneur des déclarations faites devant une commission d'enquête importe peu. En effet, même si des propos tenus devant le Parlement peuvent effectivement amener une personne auditionnée à s'auto-incriminer, la Cour estime que la violation de ce droit n'est caractérisée uniquement que dans la mesure où un tribunal pénal fonderait la démonstration de culpabilité sur ces propos.

Autrement dit, selon la Cour, l'absence de droit au silence devant une commission d'enquête ne constitue pas en tant que tel une violation de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention. Celle-ci ne pourra être caractérisée que devant le juge pénal, qui est seul tenu au respect de ce cadre juridique du procès équitable.

Selon la jurisprudence de la CEDH - pour les spécialistes, il s'agit de l'arrêt Corbet et autres contre France du 19 mars 2015 -, ce qui compte, c'est l'utilisation faite, au cours du procès pénal, des dépositions recueillies sous la contrainte devant la commission d'enquête. Si elles sont utilisées par le juge pénal d'une manière tendant à incriminer l'intéressé, il y a violation de l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

En d'autres termes, la protection contre l'auto-incrimination ne joue pas devant la commission d'enquête, mais lors du procès pénal. Ce n'est pas à vous de vous taire, mais au juge de ne pas utiliser ce que vous aurez dit devant la commission. Contrairement à une lecture erronée de la jurisprudence de la Cour, la personne entendue en commission d'enquête est donc, de fait, protégée : ses propos ne pourront être utilisés contre elle lors d'un procès pénal.

Votre argument selon lequel vous ne pouvez apporter des éléments de nature à permettre à un juge pénal de caractériser une infraction n'a donc pas lieu d'être dans la mesure où vous pourrez expressément faire valoir devant ce même juge votre droit à ne pas vous auto-incriminer. Le juge pénal sera tenu par la décision précitée de la CEDH.

Au demeurant, notre commission d'enquête va spécifiquement vous interroger sur des faits que le groupe Nestlé a portés à la connaissance de l'administration et qui, pour une grande partie, ont été rendus publics. En d'autres termes, votre silence donne l'impression à la commission d'enquête, comme aux citoyens qui nous regardent, que votre groupe a d'autres choses à cacher qui n'auraient pas été révélées. Autrement dit, si répondre à nos questions revenait à vous auto-incriminer, c'est qu'il y aurait un motif à vous incriminer...

En conclusion, permettez-moi, madame la présidente, de rappeler que vous témoignez ici sous serment et que tout mensonge, y compris par omission, est constitutif d'un parjure sanctionné pénalement.

Je souhaite donc que vous fassiez preuve à l'égard de notre commission d'enquête de la transparence qui est attendue depuis des mois par les représentants de la nation, par nos concitoyens, par le personnel de Nestlé Waters, par mes collègues membres de la commission d'enquête, mais aussi par les autres acteurs d'un secteur globalement mis en cause.

Monsieur le rapporteur, je vous demande donc de reposer votre question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets de vous reposer ma question, madame la présidente. Pouvez-vous nous indiquer les personnes qui vous ont révélé l'existence de ces traitements illégaux en décembre 2020, s'il vous plaît ?

Mme Muriel Lienau. - Monsieur le président, je ne remets pas en question la légitimité de votre commission. Avec tout le respect que je dois à votre commission, nous avons déjà soulevé le sujet de la proximité entre vos travaux et une affaire judiciaire en cours. Moi-même et mes avocats vous avons fait parvenir plusieurs courriers, sans succès.

Malheureusement, je ne suis pas juriste et je ne peux pas débattre de ces sujets et de ces questions juridiques. Mes conseils juridiques me confirment que, compte tenu de la proximité des travaux entre votre commission et la procédure judiciaire, je ne peux pas répondre à cette question.

Mais je suis là devant vous - je vous l'ai déjà dit - pour vous apporter toute la clarté et toute la transparence sur le plan de transformation que j'ai mené depuis 2020.

M. Laurent Burgoa, président. - Pardon de vous couper, madame...

Mme Muriel Lienau. - J'ai mis toute mon énergie à travailler sur ce plan avec mes équipes. J'ai utilisé toute leur énergie pour apporter et trouver des solutions avec eux ; je m'y attelle depuis 2020.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame la présidente, avec tout le respect que j'ai pour votre fonction, et après avoir mentionné les articles pertinents du code pénal, je vous demande de bien vouloir répondre à la question de M. le rapporteur, sans quoi je devrai malheureusement en tirer toutes les conséquences juridiques que je viens de vous exposer, avec les implications que vous connaissez sur le plan pénal.

Madame, je vous demande de faire attention. Cette maison est empreinte de sagesse et nous disposons d'une administration de très grande qualité. Ce n'est pas notre première commission d'enquête ; j'ai notamment participé à la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Tout s'est très bien passé : je ne souhaiterais pas que nous ayons recours à certaines procédures pour la première fois.

Pour la dernière fois, madame, je vous prie de bien vouloir répondre à la question. Je demande à M. le rapporteur de vous la reposer, s'il vous plaît. Sinon, j'en tirerai toutes les conséquences.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je repose bien volontiers la question, monsieur le président.

Madame, pouvez-vous m'indiquer quelles étaient les personnes qui vous ont mise au courant de l'utilisation des traitements illégaux au sein de Nestlé Waters ?

Mme Muriel Lienau. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je le répète : je ne suis pas juriste et je ne peux donc pas débattre avec vous de ces questions juridiques. Mes conseils juridiques et mes avocats m'ont confirmé que je ne pouvais pas répondre à cette question à cause de la proximité entre les deux procédures.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous en prenons acte et nous verrons les conséquences que nous en tirerons dans les jours à venir.

Monsieur le rapporteur, essayez de poser de nouvelles questions ; espérons que nous aurons plus de chance dans les réponses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me concentre toujours sur la manière dont vous avez accueilli cette information, pour laquelle nous ne saurons pas - aujourd'hui, en tout cas - qui vous l'a révélée.

Je souhaite comprendre la manière dont les choses se sont passées en interne chez Nestlé Waters. Ces révélations ont eu des conséquences sur la réputation du groupe, sur son avenir. Elles ont entraîné beaucoup de turbulences pour les salariés. Avez-vous pris des sanctions internes vis-à-vis des personnes qui se sont rendues coupables de mettre en place ces traitements illégaux ?

Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai mis toute mon énergie avec les équipes à trouver des solutions. J'ai fait des choix, des choix managériaux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame, pouvez-vous répondre une fois à une question ? Cela nous aiderait ! Voulez-vous bien répondre à nos questions ? Les éléments de langage que vous prononcez avant chaque réponse rendent notre travail difficile. Répondez aux questions que l'on vous pose, s'il vous plaît. Les prétéritions de langage sont vraiment agaçantes !

Mme Muriel Lienau. - J'ai fait le choix de ne pas chercher de responsabilités individuelles. C'est mon choix, un choix managérial. J'ai fait le choix d'utiliser toute l'énergie de mes équipes pour trouver des solutions, pour transformer, pour évoquer le sujet en toute transparence avec les autorités. J'assume mon choix.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'accord. Cela veut donc dire que les salariés de votre groupe savent qu'ils peuvent bénéficier d'une forme d'impunité vis-à-vis du groupe lorsqu'ils ont recours à ce type de pratiques. C'est visiblement le choix que vous avez fait, en effet.

Avez-vous tout de même essayé de savoir quand ces pratiques avaient commencé sur les différents sites ? Les informations dont nous disposons indiquent que ce serait en 1993 sur le site des Vosges pour l'un des traitements et en 2000 pour un autre traitement. Confirmez-vous ces informations ? Pouvez-vous nous donner les informations concernant le site de Vergèze, s'il vous plaît ? Quand ces traitements ont-ils commencé ? Quelle a été la durée de l'infraction ?

Mme Muriel Lienau. - Je n'ai pas effectué de recherches. Je sais que cette situation est héritée du passé. De nouveau, dès la fin de l'année 2020, dès que j'ai eu connaissance de cette information, je me suis attelée à résoudre la situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez dit que cette situation était « héritée du passé ». Était-ce le cas avant l'arrivée de Nestlé sur les sites ou cette situation est-elle directement imputable au passé du groupe ?

Mme Muriel Lienau. - Je n'ai pas l'information.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous nous dites donc que vous ne savez pas s'il y avait un problème lorsque Nestlé a repris ces sites. Vous arrivez, vous n'avez aucune information et vous ne vous posez aucune question sur ce qui s'est passé, vous vous concentrez sur l'avenir. Voici la question suivante : pourquoi tout cela a-t-il été instauré ?

Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai pris mes fonctions en 2020, j'ai eu connaissance de cette situation à la fin de l'année 2020 et j'ai alors décidé de mettre un terme à cette situation non conforme.

Je me suis tout d'abord assurée que la sécurité alimentaire avait toujours été préservée. Je me suis aussi assurée qu'il existait des solutions et j'ai compris, grâce aux équipes techniques, qu'il y en avait pour poursuivre l'exploitation du site.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Lienau, vous recommencez à nous donner les éléments que vous nous avez déjà fournis en réponse à notre première question. Je pense que cela suffit.

Le dispositif comportait des traitements illégaux. Vous les avez remplacés : vous avez donc forcément procédé à leur analyse. Vous aviez d'ailleurs dit au Gouvernement que vous ne pouviez pas les retirer pour rien.

Pourquoi ces traitements illégaux étaient-ils utilisés dans les usines ? Quel était leur rôle ? S'agissait-il de compenser l'état trop vétuste des infrastructures par le biais de ces mesures d'hygiène ? Ou était-ce parce que la pureté originelle des puits était en cause ? Il convient peut-être de combiner ces deux explications, d'ailleurs.

Mme Muriel Lienau. - Je ne sais pas pourquoi ces traitements étaient utilisés. Je sais que ceux-ci permettaient d'assurer la sécurité alimentaire de nos eaux. J'ai compris qu'il existait d'autres façons d'y parvenir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez donc compris que ces traitements étaient utilisés pour assurer la sécurité alimentaire. Dès lors, si ceux-ci étaient retirés sans qu'une autre mesure soit décidée, la sécurité alimentaire n'était plus assurée. Êtes-vous d'accord avec cette assertion ?

Mme Muriel Lienau. - D'autres traitements et d'autres filtres étaient utilisés. Pour remplacer les traitements non conformes, j'ai compris qu'il fallait revoir tout le design de l'usine. J'ai donc constitué une équipe afin d'aboutir à une refonte complète de notre outil industriel, de conforter la sécurité alimentaire grâce à la microfiltration, à de nouveaux processus stricts de contrôle et de nettoyage et aux contrôles de qualité que nous avons instaurés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reformule ma question. Lorsque vous avez supprimé ces traitements, il vous est apparu nécessaire d'arrêter un certain nombre de forages, à la fois dans les Vosges et sur le site de Vergèze. Faut-il en déduire que la stabilité originelle pour les forages en question n'était plus garantie ? Pouvez-vous me répondre par oui ou par non à cette première question ?

Deuxième question : vous avez investi 50 millions d'euros en tuyauteries et en processus en tous genres - pour le dire simplement - afin de sortir de cette situation. Faut-il en déduire que l'infrastructure elle-même était vétuste ? Cette vétusté rendait-elle nécessaires ces traitements illégaux à tel point qu'il a fallu combiner la microfiltration à 0,2 micron et des investissements colossaux pour compenser le retrait de ces traitements ? Là encore, pouvez-vous me répondre par ou par non ?

Mme Muriel Lienau. - Malheureusement, la réponse n'est pas aussi simple. C'était tout un processus qu'il fallait adapter, ce que nous avons fait. Nous avons pris la décision de suspendre deux forages dans les Vosges, car ceux-ci ne pouvaient plus assurer la stabilité des constituants essentiels de l'eau minérale. Telle a été notre décision. Nous avons aussi décidé de réallouer deux forages du site du Gard à la production de boissons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, ce n'est pas votre décision : ce sont bien les autorités qui vous l'ont imposée.

Mme Muriel Lienau. - C'est notre décision. Les deux décisions sont les nôtres.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ma connaissance, la décision dans les Vosges vous a été imposée par les autorités administratives.

Je souhaite désormais vous poser une question relative à votre rencontre avec le ministère. Il me semble que la directive est assez claire : celle-ci n'implique pas de prendre rendez-vous avec le ministère de l'industrie lorsqu'on veut mettre en place un nouveau traitement. Je souhaite partager avec vous les termes de la directive. Une eau minérale ne peut faire l'objet d'aucun traitement autre que ceux qui sont listés par la directive. Les traitements listés par la directive sont ceux permettant de séparer des éléments instables comme le fer, le soufre, le manganèse, etc. Tous les autres traitements sont interdits, sauf à mettre en oeuvre une procédure spécifique. Toute mise en place d'un type de filtration doit donc faire l'objet de cette procédure spécifique, au sein de laquelle il faut démontrer qu'il n'y a pas de modification du microbisme de l'eau.

Ma question est donc la suivante : avez-vous engagé cette procédure et vous êtes-vous rapprochée des autorités européennes afin de faire valider ce traitement qui ne fait pas partie de la liste des traitements autorisés ?

Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai évoqué ce sujet avec les autorités en août 2021. Nos deux sites industriels étaient touchés : cela impliquait une refonte d'ampleur. J'ai décidé de porter ce sujet auprès du ministère de l'industrie, notre ministère de tutelle : j'ai fait montre de transparence sur les sujets de non-conformité et j'ai apporté des solutions par le biais de ce plan.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi n'avez-vous pas eu recours à la procédure classique auprès de la Commission européenne, telle que celle-ci est prévue par la directive et les textes ? Aviez-vous eu des informations vous laissant penser que les traitements à 0,2 micron ne seraient pas acceptés ?

Mme Muriel Lienau. - J'ai suivi la voie qui me semblait la plus appropriée pour régler le sujet important de la non-conformité. J'avais décidé que cette situation ne pouvait plus perdurer : j'ai donc agi en toute transparence. À partir de ce moment, j'ai opéré sous le contrôle des autorités et selon leurs directives.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'apportez pas de précisions sur les raisons vous ayant conduit à ne pas utiliser la procédure ordinaire de révision.

Pourquoi ces révélations ont-elles eu lieu le 31 août 2021 ? Je rappelle le contexte : quand et comment avez-vous su que le SNE, qui dépend de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), menait alors son enquête sur l'utilisation des filtres par des industriels minéraliers ? Le SNE avait obtenu auprès des fournisseurs la liste de leurs clients et les factures afférentes.

Autrement dit, pour ne pas tourner autour du pot, est-ce parce que vous avez été prévenue par vos fournisseurs qu'une enquête était en cours et que vous alliez être repérée lors de cette enquête de la DGCCRF que vous avez pris contact avec le ministère de l'industrie ?

Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, une fois que j'ai pris connaissance de la situation à la fin de l'année 2020, j'ai commencé à travailler avec mes équipes, en vue de préparer les solutions industrielles et le travail d'ingénierie. Durant l'été 2021, nous étions prêts pour porter ce sujet auprès des autorités. Nous avons appris par l'un de nos fournisseurs l'existence de l'enquête de la DGCCRF. Nous avons alors accéléré la présentation de notre plan de transparence auprès du ministère de l'industrie. Nous avons pris rendez-vous dans le courant du mois d'août ; la rencontre au ministère a eu lieu à la fin du mois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous apprenez l'existence de l'enquête à la fin du mois de juillet et vous vous rendez au ministère à la fin du mois d'août : est-ce bien ce que vous êtes en train de nous dire ?

Mme Muriel Lienau. - Oui, tout était prêt, puisque nous avions travaillé sur ce plan de transformation depuis six mois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais cela accélère un peu votre présentation devant le ministère.

Mme Muriel Lienau. - J'ai en effet accéléré la prise de rendez-vous.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une chose me frappe : vous savez que vous utilisez des traitements interdits depuis décembre 2020. Mais vous ne les retirez de la production sur le site des Vosges que fin 2022, donc un an et demi plus tard ; pour le Gard, c'est en août 2023, soit plus de deux ans et demi plus tard.

Pourquoi les choses ont-elles pris autant de temps ? Est-ce parce que cela impliquait de profonds changements dans le processus industriel ? Vous avez dit que vous étiez prête à faire toute la lumière sur ce plan de transformation : pouvez-vous nous expliquer ce qu'il s'est passé, s'il vous plaît ?

Mme Muriel Lienau. - D'un point de vue industriel, un plan d'une telle ampleur dans une usine comme la nôtre - je pense que vous avez déjà entendu parler de certains plans dans d'autres usines - prend normalement cinq ans. Nous avons été capables de le réaliser en deux ans.

Comme je vous l'ai dit, nous avons commencé à préparer les travaux en 2021. Je les ai portés à la connaissance du ministère à partir d'août 2021. Ensuite, nous avons continué à travailler sur la préparation du plan et des travaux d'ingénierie. Comme je vous l'ai indiqué, à partir d'août 2021, nous nous sommes placés sous le contrôle des autorités et avons attendu leurs directives.

Le début de l'année 2022 a été marqué par l'enquête de l'Igas, à laquelle nous avons participé. En juillet 2022, nous avons présenté à nouveau l'avancée de nos plans de transformation qui étaient alors bien détaillés. Nous avons repris contact avec les autorités ; nous savions que le rapport de l'Igas avait été finalisé, mais, je le répète, nous n'y avons pas eu accès avant 2024.

En juillet 2022, nous avons présenté le détail de tous les plans de transformation afin d'en valider les étapes. Entretemps, dans le cadre de l'enquête de l'Igas, nous avions fait part de la situation à l'ARS Grand Est au printemps 2022 - je n'ai plus la date exacte en tête.

Sur le site des Vosges, l'inspection de l'Igas se cantonnait à une seule des marques produites, sur laquelle aucun traitement n'était appliqué. J'ai choisi de leur présenter la situation avec la plus grande transparence.

Nous attendions ensuite les instructions des ministères pour offrir la même transparence sur le site de Vergèze. Lors d'une visite en novembre 2022, nous avons présenté la situation et le plan de transformation, qui devait ensuite être accepté par les autorités locales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit d'un point important pour nous et je veux être sûr de bien comprendre ce que vous avez dit : vous avez attendu d'obtenir l'autorisation des ministères pour contacter les ARS ?

Mme Muriel Lienau. - Non, l'ARS Grand Est était associée à l'enquête de l'Igas. Nous leur avons présenté la situation à cette occasion. L'ARS Occitanie a été informée de la situation à Vergèze en novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Pourquoi se rendre d'abord au ministère de l'industrie et prendre contact bien plus tard avec les ARS, les autorités locales de contrôle ? Ce n'est qu'un an et demi plus tard que vous leur proposez une visite guidée.

Mme Muriel Lienau. - Nous attendions les instructions des ministères. À partir de septembre 2022, nous avons rencontré les ministères de l'industrie et de la santé à plusieurs reprises et nous leur avons proposé...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est donc sur l'instruction de l'État central que vous prenez contact avec les autorités locales de contrôle.

Mme Muriel Lienau. - Nous leur avons demandé plusieurs fois l'autorisation de le faire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous le leur avez demandé plusieurs fois, et ce n'est qu'en septembre 2022 que les ministères vous ont donné leur autorisation, est-ce bien cela ?

Mme Muriel Lienau. - Cela a eu lieu en novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La visite a eu lieu en novembre, mais, auparavant, vous leur aviez demandé plusieurs fois l'autorisation de prendre contact avec les ARS, n'est-ce pas ?

Mme Muriel Lienau. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disposez-vous des traces de vos demandes ?

Mme Muriel Lienau. - Pas de traces.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment formuliez-vous vos demandes auprès des ministères ? Preniez-vous contact avec les directeurs de cabinet ? Est-ce M. Nicolas Bouvier qui s'en chargeait ?

Mme Muriel Lienau. - Nous avons eu plusieurs rendez-vous en septembre 2022 avec les ministères de l'industrie et de la santé, au cours desquels nous avons partagé les plans de transformation. Un rendez-vous avec les équipes de Matignon, qui coordonnaient les deux ministères, a eu lieu à l'été 2022. Puis nous avons eu plusieurs rendez-vous avec les ministères pour présenter le plan de transformation : offrir plus de transparence en était l'un des aspects essentiels.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je retiens de votre déposition que c'est l'État central qui a retenu un temps l'information pour les ARS et que ce n'est qu'au moment où vous avez eu son autorisation que vous avez pris contact avec elles. Ce n'est pas vous qui vouliez différer leur information.

Mme Muriel Lienau. - Je ne dis pas que l'État a retenu l'information. Je dis simplement que celui-ci nous a octroyé l'autorisation de le faire à ce moment-là.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de la réunion du 31 août, vous exprimez la demande d'une microfiltration à 0,2 micron auprès des autorités.

Dans votre propos liminaire, vous avez beaucoup insisté sur le fait qu'il s'agissait d'un problème pour l'ensemble du secteur. Or, lorsque nous échangeons avec d'autres grands acteurs - Danone pour ne pas le citer -, ceux-ci nous disent que la réglementation sur les filtres à 0,8 micron a toujours été claire.

Pourquoi n'avez-vous pas imaginé une solution avec des filtres à 0,8 micron, à l'instar de ce que pratiquent vos concurrents ? Est-ce impossible de faire fonctionner vos usines avec de tels filtres, à tel point que vous avez absolument besoin des filtres à 0,2 micron ? Qu'est-ce qui justifie que cela ne soit pas possible pour vous ?

L'un de vos directeurs de site avait proposé une explication : les microfiltrations permettaient de gérer la formation de biofilms dans vos tuyaux. Nous avons interrogé Danone : ils nous ont dit qu'en présence de biofilms, ils nettoyaient leurs tuyaux. Dès lors, avez-vous décidé d'avoir recours à la microfiltration pour éviter cette maintenance supplémentaire ?

Mme Muriel Lienau. - Je souhaite tout d'abord corriger un point : nous n'avons formulé aucune demande en août 2021, nous avons juste informé les autorités de notre plan de transformation.

Ensuite, comme je vous l'ai expliqué, le microfiltre à 0,8 micron en céramique n'a de 0,8 que le nom. Sa filtration est en réalité de 0,25 micron, soit exactement le même niveau de filtration que le filtre cartouche 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est le document que vous avez brandi voilà quelques instants ?

Mme Muriel Lienau. - Oui, c'est ce que j'ai dit. Nous vous avions d'ailleurs expliqué cela lors de votre visite dans le Gard voilà un mois. Je m'étonne que vous n'ayez pas demandé depuis aux différents intervenants s'ils utilisaient des filtres céramiques ou des filtres cartouches.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Lienau, nous avons posé un certain nombre de questions à la suite de notre venue dans le Gard. Je vois que vous suivez de près ce que nous faisons. Durant notre visite, vous nous avez aussi dit que vous aviez déposé de nombreux dossiers auprès de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour prouver votre bonne foi. Tout ce que nous avons comme dossier provenant de Nestlé pour justifier le filtre à 0,2 micron, c'est cette feuille recto verso avec une synthèse qui fait la moitié de la première page. (M. Alexandre Ouizille brandit une feuille.)

Si vous avez vraiment un dossier à votre disposition - nous vous l'avions d'ailleurs demandé de nouveau lors de notre visite à Vergèze -, donnez-le-nous, cela nous aidera. De plus, demain est la date butoir qui vous a été fixée le préfet du Gard pour apporter la démonstration que vous ne modifiiez pas le microbisme de l'eau. Demain, aurons-nous la bonne surprise, en ouvrant le journal, de découvrir que cette démonstration a été faite et qu'elle a été fournie à la préfecture du Gard ?

Mme Muriel Lienau. - Cette démonstration a déjà été faite dès les discussions avec l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ce qu'ont dit l'Igas et l'Anses.

Mme Muriel Lienau. - Je peux vous faire parvenir les documents extrêmement complets que nous avons transmis à l'Igas, dont une étude prouvant, pour le site des Vosges, que le microfiltre à 0,2 micron à cartouche préserve la flore naturelle de l'eau qui se redéveloppe ensuite dans la bouteille. Nous avons partagé ce dossier, très complet, non seulement avec l'Igas, mais aussi avec les ARS Grand Est et Occitanie.

Dans le cadre de l'instruction en cours relative aux arrêtés préfectoraux, le préfet du Gard a sollicité des informations supplémentaires pour le site de Vergèze. Nous y travaillons ; celles-ci seront lui communiquées demain, comme vous l'avez précisé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci.

Vous soutenez qu'il s'agissait d'un problème touchant l'ensemble du secteur. Or, à notre connaissance, Nestlé Waters est le seul groupe à avoir formulé cette demande auprès des autorités.

J'aimerais aussi comprendre ce qui s'est passé du côté de la Maison des eaux minérales naturelles. Lorsque nous sommes venus à Vergèze, vous nous avez expliqué que vous aviez pris la décision de vous en écarter. Mais lorsque Mme Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales de Danone, a déposé devant nous, elle nous a dit l'inverse : « Ce sont les différents membres de la Maison qui ont ensuite exprimé la volonté de changer de gouvernance et nous avons donc demandé la démission du président. Un nouveau conseil d'administration a été constitué en l'absence de Nestlé et j'ai l'honneur d'en être la présidente, car, pour ce qui concerne Danone, nos marques ont été associées à plusieurs reprises par la presse au groupe Nestlé et il était important de rappeler que les marques Évian, Volvic, Badoit et La Salvetat n'étaient pas concernées par les faits. »

Confirmez-vous ce que vous m'avez dit à Vergèze, à savoir que c'est vous qui avez choisi de partir et que les propos de Mme Cathy Le Hec sont faux ?

Mme Muriel Lienau. - La représentante de Nestlé à l'association était Mme Dubois, qui a pris la décision de partir. Celle-ci n'était pas présidente.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais est-ce Mme Dubois qui a pris la décision de partir ou est-ce Nestlé ?

Mme Muriel Lienau. - Mme Dubois, en tant que représentante de Nestlé, a pris la décision de partir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui a donc été dit par Mme Le Hec n'est pas correct ?

Mme Muriel Lienau. - Non, ce n'est pas correct.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien. Je vais peut-être laisser la parole à mes collègues, puis je reprendrai mes questions.

M. Khalifé. - Merci, madame, pour toutes ces précisions. J'ai une question préalable : depuis combien d'années Nestlé a-t-il repris les deux sites concernés par cette enquête ?

Mme Muriel Lienau. - Nestlé est propriétaire des sites depuis 1992.

M. Khalifé Khalifé. - Au cours des dernières auditions, nous avons eu des informations qui me semblent un peu différentes de ce que vous avez dit : vous n'étiez pas au courant de ce problème, que vous avez découvert seulement au moment où vous l'avez déclaré tout à l'heure, sans en connaître la raison. Aujourd'hui, vous en connaissez la raison, qui est davantage liée à la qualité de l'eau extraite : c'est pourquoi il fallait réaliser ces traitements. C'est une information qui me semble importante et nouvelle pour cette commission.

Les ultraviolets et les filtres à charbon sont utilisés pour maintenir la qualité de l'eau. Je m'étonne que, de 1992 à aujourd'hui, des factures aient été payées pour avoir accès à ces techniques sans que l'entreprise sache à quoi celles-ci servaient. Or ces techniques ne sont pas habituellement utilisées pour la production de ce type d'eau : comment l'expliquez-vous ?

Mme Muriel Lienau. - Comme je vous l'ai dit, j'ai pris mes fonctions en 2020 : je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre 1992 et 2020.

Je tiens à apporter une correction à vos propos. Oui, les filtres étaient utilisés pour assurer la sécurité alimentaire, mais il existait d'autres solutions pour y parvenir : ce sont ces solutions que nous avons mises en place ces dernières années.

M. Hervé Gillé. - Madame, si je résume rapidement - vous pourrez critiquer mon résumé -, vous avez donc voulu imposer un règlement avant qu'il n'existe.

Vous n'avez, délibérément, pas respecté la directive pour obtenir les autorisations d'un traitement à ce jour non autorisé.

Surtout, vous n'avez pas mis en oeuvre une enquête interne au sein de votre établissement pour démontrer la nécessité de mettre en place ces traitements non conformes. Vous n'avez pas mené d'enquête interne. Si vous en avez mené une, communiquez-nous les documents et les résultats s'y rapportant.

Autre question : vous nous présentez des éléments qui ne sont pas encore attestés aux niveaux national et européen, selon lesquels les procédures de traitement à 0,8 micron ou à 0,2 micron auraient exactement le même effet. Surtout, vous soutenez que les filtres céramiques dits à 0,8 micron seraient en réalité des filtres à 0,2 micron. Dans ces conditions, pourquoi n'avez-vous pas utilisé du 0,8 micron, puisque cela a le même effet selon vous ? Pourquoi avoir choisi du 0,2 micron ? Pourriez-vous clarifier ces éléments ?

Enfin, vous avez mis en place un plan de transformation et une modification du design. Très bien ! Mais si vous avez mis en place un tel plan, c'est qu'il y a eu au préalable des études pour l'élaborer. En amont de ces études, il y a donc forcément eu une étude pré-opérationnelle qui démontrait pourquoi ces changements étaient nécessaires au vu des défauts constatés, ainsi que l'effet correctif apporté par la modification du design. Pouvez-vous nous communiquer également ces études ? Nous aurions ainsi tous les éléments à notre disposition.

Dernier point : vous parlez de transparence à propos de la démarche que vous avez mise en place. Si vous étiez vraiment transparente, pourquoi n'avez-vous pas communiqué au public le défaut que vous avez constaté, en toute transparence ? Pourquoi avoir attendu ? En fait, vous n'avez même pas attendu, puisque ce sont des révélations externes qui ont dévoilé la non-conformité et le fait que vous n'aviez pas le droit d'utiliser une étiquette comportant l'appellation eau minérale. Pourquoi n'avez-vous pas communiqué au public, après votre rencontre avec le Gouvernement, de manière transparente, le fait que vous commercialisiez une eau non conforme ?

Mme Muriel Lienau. - Pour répondre à votre première question, il n'existe aucune disposition réglementaire autorisant ou prohibant un type de microfiltration particulier. En 2001, l'Afssa a validé une bonne pratique, qui s'est ensuite largement répandue dans toute l'industrie. Depuis, aucune étude n'a été faite - M. Salomon l'a dit clairement devant vous.

Nous apportons aujourd'hui une étude...

M. Hervé Gillé. - La directive, madame, mentionne 0,8 micron.

Mme Muriel Lienau. - Non, ce n'est pas indiqué dans la directive.

M. Hervé Gillé. - La question que je vous pose est la suivante : vous mettez sur la table un document précisant qu'un traitement à 0,2 micron est la même chose qu'un traitement à 0,8 micron. Dès lors, pourquoi n'avez-vous pas utilisé celui à 0,8 micron ?

Mme Muriel Lienau. - Nous avons bien sûr examiné les différents types de microfiltration possibles. La microfiltration à 0,2 micron est la seule qui soit normée et dont l'efficacité est stable. C'est pourquoi j'ai pris la décision, avec mes équipes, de l'utiliser.

M. Hervé Gillé. - J'en déduis donc que les microfiltrations à 0,2 et 0,8 micron, ce n'est pas la même chose.

Mme Muriel Lienau. - Ce sont deux types de technologies différents, mais, comme je vous l'ai montré, les caractéristiques physiques sont les mêmes, puisque la répartition des pores est la même et que les effets des deux techniques sont les mêmes. C'est pourquoi nous demandons que le filtre de 0,2 micron soit considéré au même titre que le filtre céramique à 0,8 micron, qui a été validé en 2001 par l'Afssa. Nous demandons une discussion d'experts pour valider le filtre de 0,2 micron.

M. Laurent Burgoa, président. - Je partage le point de vue de M. Gillé. Pour le dire de manière humoristique, moi qui suis chasseur, le plomb de 2 et le plomb de 8, ce n'est pas la même chose : je ne m'en sers pas pour le même gibier. C'est pareil en matière de filtration - je me permets de le dire.

Mme Muriel Lienau. - Monsieur, ce sont des normes et des données qui nous ont été transmises par l'Institut de la filtration et des techniques séparatives (IFTS). D'ailleurs, ces spécialistes de la filtration pourraient peut-être être entendus par votre commission. Je suis étonnée qu'aucun des fournisseurs de filtres n'ait été interrogé.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie de nous proposer des personnes à auditionner. Je me permets juste de dire que nous attendions davantage d'informations de votre part sur les personnes qui pratiquent la filtration dans votre entreprise plutôt que des conseils sur les personnes que nous devons auditionner.

Mme Muriel Lienau. - Les données de l'IFTS nous ont donc conduits à choisir le filtre de 0,2 micron. Je l'assume. Quand j'ai compris que le filtre céramique dit 0,8 micron avait en réalité une filtration à 0,4 micron, il était important pour moi, après ce que nous avions traversé et dans un souci de transparence, d'utiliser le filtre de 0,2 micron qui a l'effet d'un filtre de 0,2 micron, et non un filtre de 0,8 micron qui, en réalité, a l'effet d'un filtre de 0,2 micron.

Choisir le moment où nous allions informer le public et les consommateurs de notre décision était une étape importante pour nous, après la mise en place du plan de transformation, la recherche de solutions, puis le lancement de Maison Perrier, resté confidentiel jusqu'au lancement effectif qui a eu lieu en 2024.

M. Hervé Gillé. - Mais vous avez continué à commercialiser.

Mme Muriel Lienau. - Nous avons opéré pendant tout ce temps sous le contrôle des autorités. En 2024, lors du lancement de Maison Perrier, nous avons porté le sujet auprès des consommateurs.

Mme Marie-Lise Housseau. - J'ai assisté aux témoignages des autres directeurs qui vous ont précédé. En fait, vous avez tous le même système de défense : vous avez été embauchés, on vous a averti plus ou moins tardivement du fait qu'il y avait des traitements interdits, mais aucun d'entre vous - ni vous, ni M. Desbrun, ni M. Fehrenbach, ni Mme Dubois - n'a cherché à savoir pourquoi de tels traitements étaient utilisés. Vous avez admis que c'était ainsi et vous nous avez tous dit que le challenge était de réorganiser et de mettre en oeuvre un plan de transformation ambitieux.

Aujourd'hui, vous refusez de nous dire qui vous a averti. On se focalise peut-être sur des personnes ; peut-être souhaitez-vous en couvrir certaines qui sont parties à la retraite. En réalité, je me demande si ce n'est pas beaucoup plus simple que cela : n'avez-vous pas hérité depuis 1992 d'un réseau tellement vétuste que les traitements étaient absolument obligatoires, sinon vous n'auriez pas pu assurer la sécurité alimentaire, primordiale pour vous ? Vous étiez donc tous au courant et vous vous êtes dit qu'il fallait faire quelque chose. Vous avez le mérite, visiblement, d'avoir engagé ce plan de transformation.

Quand celui-ci a été suffisamment avancé, et comme il y avait peut-être aussi des fuites dans la presse, vous êtes allée voir le ministère. Partant, je pense que les dégâts étaient peut-être beaucoup plus importants que ce que l'on soupçonne et que le problème durait depuis beaucoup plus longtemps ; je vous pose la question.

Mme Muriel Lienau. - Je ne comprends pas la question.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour ma part, j'ai bien compris ! En résumé, la question de Mme Housseau est la suivante : la filtration a-t-elle été instaurée bien avant ce que nous pensons ? Le système a peut-être cours depuis que Nestlé a racheté les sites en 1992.

Mme Marie-Lise Housseau. - Avez-vous acheté une usine qui était vieillissante ? Le directeur du site de Vergèze nous a quand même dit que le réseau était sensible. On peut aussi le qualifier de vétuste. Dès lors, les traitements étaient obligatoires : vous n'aviez pas le choix. C'est pourquoi vous vous êtes dit à un moment donné qu'un plan de transformation majeur s'imposait. Vous avez injecté des millions d'euros, certes, mais vous n'aviez pas le choix. À Vergèze, tout le monde savait que le réseau n'était plus en mesure de fournir une eau sûre sur le plan alimentaire. Ma question est peut-être provocante, mais j'aimerais avoir votre réaction.

Mme Muriel Lienau. - Je le répète : je ne dispose pas d'informations sur la situation prévalant avant ma prise de poste. J'ai pris la décision - et c'était une décision courageuse...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Non, ce qui est courageux, c'est de comprendre ce qui s'est passé, de faire une enquête interne, comme M. Gillé l'a indiqué, et d'aller au bout de la vérité. Être respectueux des consommateurs que vous avez fraudés : c'est cela, le courage. Ce n'est pas d'élaborer un plan de transformation une fois que le SNE est en train de mener une enquête.

Mme Audrey Linkenheld. - Je vais rebondir sur les derniers propos du rapporteur en commençant par un commentaire, puis je poserai mes questions.

J'imagine que vous avez suivi l'audition d'hier ; je vais évoquer aujourd'hui ce que j'ai hésité à dire hier à l'une de vos collaboratrices. J'ai eu avec elle un petit échange sur ceux qui, ici, avant d'être sénateur ou sénatrice, avaient eu la chance de faire des études de marketing ou de gestion ou de fréquenter des universités ou de grandes écoles. Je crois que c'est aussi votre cas.

J'ai connu une époque où, quand on voulait faire du marketing - c'était mon cas - et qu'on était à la recherche d'un stage ou d'un emploi, certains noms faisaient rêver. Votre entreprise en faisait partie. On était fiers de pouvoir faire ses classes dans ce type de groupe, parce que cela rimait avec professionnalisme et innovation. Je ne suis pas là pour faire votre publicité ; d'autres noms résonnaient dans l'esprit des étudiants, mais, quand même, votre groupe figurait en bonne place.

Trente ans après, ce n'est plus exactement la même chose, pour rebondir sur ce qui vient d'être dit par le rapporteur. Vous n'êtes pas juriste - cela, on l'a bien compris. Mais nul besoin d'avoir fait du droit pour comprendre ce que je suis en train de dire : je peux vous assurer que l'image que renvoie votre groupe est à cent mille lieues de celle qui était la sienne dans le passé. C'est préjudiciable pour vous, pour l'ensemble de la filière et pour tous ceux qui y travaillent, de l'ouvrier et de l'employé jusqu'au patron. C'est toute l'image d'un pays qui pâtit de vos déclarations.

Vous nous avez indiqué qu'au moment de prendre vos fonctions, vous avez engagé une revue de processus et que c'est au cours de celle-ci que vous avez découvert - on ne sait toujours ni par qui ni comment - les non-conformités pratiquées dans votre entreprise. Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est une revue de processus ?

Hier, votre directrice du marketing et de la distribution nous a dit qu'elle était pleinement partie prenante du plan de transformation, mais qu'elle n'avait pas d'échanges particuliers avec la directrice des opérations. Pouvez-vous nous dire comment vous menez ce plan de transformation et nous indiquer s'il y a, oui ou non, des réunions transversales entre vous et les différents autres responsables chez Nestlé - ceux qui s'occupent des sites, du marketing, etc. ?

Vous nous avez indiqué que votre souhait de ne pas poursuivre à titre individuel les responsables des non-conformités était un choix managérial. Ce choix est-il dicté par le fait que les personnes qui sont à l'origine de ces non-conformités avaient agi sur ordre ?

Mme Muriel Lienau. - Les revues de processus sont des revues assez régulières que nous faisons sur les différentes usines. C'est à cette occasion que j'ai pris connaissance de certaines non-conformités, qui ont conduit à l'élaboration de mon plan de transformation.

Mme Audrey Linkenheld. - Ce n'est vraiment pas une question juridique, votre avocat n'a pas de raison de s'y opposer. Je voudrais que vous nous décriviez une revue de processus. Nous sommes ici un certain nombre à savoir comment fonctionne une entreprise, à savoir ce qu'est un meeting ou une revue. Je vous demande juste de me décrire une revue de processus chez Nestlé. Est-ce une réunion ? Avec qui ? À quelle fréquence ? En visioconférence ou en présentiel ? Avec un relevé de décision ?...

Mme Muriel Lienau. - Nous avons des revues régulières des opérations de toutes les usines au cours desquelles nous revoyons les processus et identifions les changements à opérer. Ce sont des réunions qui peuvent avoir lieu tous les trimestres avec les différents départements techniques.

J'ai mis en place le plan de transformation à partir de 2020 et j'ai, au fur et à mesure de l'évolution du plan, impliqué un certain nombre de personnes de l'entreprise, dont Mme Dubois, à partir de l'été 2021.

Mme Audrey Linkenheld. - Ma question portait sur la transversalité et la manière dont vous conduisez le plan de transformation. Mais je constate que, même lorsqu'il ne s'agit pas d'une question juridique, il est difficile d'obtenir une réponse précise.

Mme Muriel Lienau. - J'ai la responsabilité du plan de transformation : c'est donc moi qui ai piloté, en tant que manager, les équipes impliquées dans ce plan. Il s'agissait au départ des personnes des opérations - des personnels techniques -, puis j'y ai adjoint d'autres personnes qui devaient et pouvaient contribuer à ce plan, dont Mme Dubois. J'ai moi-même géré et coordonné l'équipe de ce plan de transformation et j'en assume la responsabilité.

Mme Audrey Linkenheld. - Il y a donc bien, dans l'équipe, le directeur technique et la directrice du marketing et de la distribution ?

Mme Muriel Lienau. - Il y a les équipes techniques, mais aussi toutes les équipes qui avaient besoin de faire partie de ce plan de transformation, à différents moments.

Oui, j'ai fait le choix managérial de ne pas rechercher de responsabilités individuelles, mais d'utiliser toute l'énergie et la connaissance des équipes pour trouver des solutions et de travailler tous ensemble sur le plan de transformation. Je l'assume.

Mme Audrey Linkenheld. - Ce n'est pas ma question. Votre choix managérial repose-t-il sur le fait que vous saviez que les personnes qui avaient eu des pratiques non conformes avaient obéi à la commande d'un manager ?

Mme Muriel Lienau. - Avant d'être dans mes équipes, je ne le sais pas. À partir du moment où j'ai pris mes fonctions et où ces personnes ont intégré mon équipe, j'ai utilisé toute leur expertise pour faire un état des lieux et travailler avec elles sur le plan de transformation.

Mme Audrey Linkenheld. - Pouvez-vous nous dire quelles fonctions vous occupiez chez Nestlé préalablement ?

Mme Muriel Lienau. - À partir de quand ? Je suis chez Nestlé depuis plus de trente ans...

Mme Audrey Linkenheld. - Avant votre prise de fonctions en 2020.

Mme Muriel Lienau. - J'étais responsable du marché suisse.

Mme Audrey Linkenheld. - Nestlé Waters ou Nestlé ?

Mme Muriel Lienau. - Nestlé Suisse.

M. Laurent Burgoa, président. - On m'informe que Mme Lienau est chez Nestlé Beverage France depuis 2007.

Mme Muriel Lienau. - Oui s'agissant de la France, mais je suis chez Nestlé depuis 1991 - j'étais en Allemagne auparavant.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous connaissez donc bien la maison ?

Mme Muriel Lienau. - Oui, très bien.

Mme Antoinette Guhl. - Pour quelqu'un qui est chez Nestlé depuis 1991, vous avez bien peu de réponses à nous apporter, madame Lienau.

Je trouve absolument scandaleuses les deux auditions que nous avons eues, hier et aujourd'hui, de deux directrices de Nestlé. Nous sommes la représentation nationale, dans le cadre d'une commission d'enquête. Il est très irrespectueux à notre égard, mais aussi à l'égard des citoyens et de vos consommateurs, d'user de tels éléments de langage, préparés par vos avocats.

Alors que votre groupe fraude depuis aussi longtemps - cela fait vingt ans que vous utilisez des filtres pour produire de l'eau minérale qui n'en est pas, puisqu'elle ne devrait pas subir les traitements que vous lui faites subir -, un peu de transparence aurait été tout à l'honneur de Nestlé. C'est scandaleux.

D'autant plus que, le 13 juin 2024, alors que je vous interrogeais dans le cadre de ma mission d'information, vous m'aviez indiqué que tout allait très bien, que les puits étaient de bonne qualité, qu'il n'y avait aucun problème chez Nestlé Waters. Et le lendemain, le 14 juin, deux puits étaient fermés, parce qu'ils étaient pollués...

Ma question - puisqu'on tourne autour du pot - est la suivante : vos eaux ont-elles été contaminées aux bactéries fécales, aux pesticides et aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), nécessitant des traitements pendant de nombreuses années pour pouvoir être vendues ? Oui ou non ? Qu'en savez-vous, vous qui êtes chez Nestlé depuis 1991 et chez Nestlé Waters depuis 2020 en tant que directrice ?

Mme Muriel Lienau. - Vous faites probablement référence à une déviation sporadique sur un de nos forages, en juin 2024, à la suite d'un événement climatique extrême, la tempête Monica. Nous avons alors décidé, avec les autorités, de suspendre ce forage et de mettre en place un protocole, validé avec lesdites autorités. Ce forage est toujours suspendu.

Mme Antoinette Guhl. - Vos eaux étaient donc bien polluées, par conséquent non conformes, au moment où vous me disiez qu'elles étaient de bonne qualité.

Je repose donc ma question : vos eaux ont-elles été contaminées aux matières fécales, aux PFAS et aux pesticides, nécessitant des traitements pour pouvoir être mises en vente dans le respect d'une forme de sécurité sanitaire, même si vous ne respectiez pas la réglementation sur les eaux minérales naturelles ? Oui ou non ?

Mme Muriel Lienau. - Toutes nos eaux sont pures à la source.

Mme Antoinette Guhl. - Je n'ai pas bien compris.

Mme Muriel Lienau. - Toutes nos eaux sont pures à la source. Comme je vous le disais, nous avons eu une déviation sporadique en 2024.

Mme Antoinette Guhl. - Qu'entendez-vous par sporadique ?

Mme Muriel Lienau. - Cela signifie qu'il y a eu, à l'occasion d'un événement climatique extrême, une déviation sporadique. Un protocole a alors été mis en place avec les autorités pour suspendre le forage, encore suspendu à ce jour.

Mme Antoinette Guhl. - C'est du sporadique qui dure...

Mme Muriel Lienau. - Il y a eu une déviation sporadique en 2024. Depuis, le forage est suspendu et toutes les données du forage sont transmises en continu aux autorités. Depuis, il n'y a pas eu de déviation sur ce forage, mais nous attendons la décision du préfet sur son utilisation.

Mme Antoinette Guhl. - Pensez-vous que, demain, les eaux que vous vendez pourront encore s'appeler « eaux minérales naturelles » ? Aujourd'hui, elles ne respectent pas la réglementation, puisque le filtre à 0,2 micron n'est pas autorisé. Vous deviez apporter des preuves au préfet. Pensez-vous que demain vous aurez le droit - parce qu'aujourd'hui vous ne devriez pas l'avoir - de vendre vos eaux sous la dénomination « eau minérale naturelle » ?

Pour avoir interrogé le préfet Bonet, nous avons bien compris en quoi le filtrage à 0,2 micron était problématique. Je vois bien où vous voulez en venir : vous vous dites que tant qu'on parlera de filtres en céramique, on n'abordera pas les autres sujets... Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si, oui ou non, vous vendez de l'eau minérale naturelle, comme c'est écrit sur vos bouteilles, de Perrier notamment. Je veux donc savoir si, à l'intérieur, il y a de l'eau minérale naturelle ou s'il y a, comme cela a été le cas pendant des années, de l'eau qui ne mérite pas cette appellation.

Mme Muriel Lienau. - Le préfet a signé un arrêté préfectoral temporaire pour l'eau minérale de Perrier, en toute connaissance des traitements que nous utilisons aujourd'hui, dont la microfiltration cartouche à 0,2 micron sur le site de Vergèze. Il y a deux mois, le préfet nous a demandé des éléments complémentaires, notamment des études très exhaustives, qu'il recevra demain.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez travaillé en Suisse : la pratique française de tricherie qui consiste à utiliser des filtres, alors qu'il ne devait pas y en avoir, existe-t-elle dans d'autres pays où Nestlé est implanté, en particulier en Suisse ?

Mme Muriel Lienau. - Nos marques sont toutes formellement reconnues par les autorités locales, dans chacun des pays où nous sommes implantés.

Mme Antoinette Guhl. - Donc on ne saura pas !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Utilisez-vous, dans vos usines ailleurs en Europe, des traitements illégaux ou de la microfiltration à 0,2 micron ?

Mme Muriel Lienau. - Nulle part en Europe, nous n'utilisons de traitements non conformes. Nous utilisons dans tous nos sites en Europe des traitements appropriés à chacun de nos sites, formellement autorisés par les autorités et en toute transparence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je repose ma question : y a-t-il d'autres usines en Europe où vous utilisez des filtres à 0,2 micron, oui ou non ?

Mme Muriel Lienau. Nous utilisons des formes adaptées à chacun...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez l'obligation de dire la vérité devant cette commission d'enquête.

Je repose donc ma question : avez-vous, ailleurs en Europe, des sites où vous utilisez, comme en France, des traitements à 0,2 micron, oui ou non ? Veuillez répondre sans jeter de coups d'oeil à votre avocat pour savoir si vous avez le droit de répondre. C'est pourtant une question simple...

Mme Muriel Lienau. - Nous utilisons des niveaux de microfiltration qui sont validés avec les autorités dans tous les pays où nous sommes implantés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ne pas répondre, c'est déjà répondre.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame, vous avez occupé divers postes chez Nestlé France depuis 2007 ; vous connaissez bien la maison. Je vous fais une honnête proposition pour vous donner une dernière chance de nous communiquer les noms des personnes qui auraient pu mettre en place cette microfiltration : acceptez-vous de me transmettre ces noms, le cas échéant par courrier électronique ? Je m'engage à ce que leur audition ne soit pas publique afin de préserver leur anonymat - certaines sont peut-être à la retraite ou occupent d'autres fonctions.

Je vous donne une dernière chance. Mais autrement, je devrai malheureusement en référer au président du Sénat afin d'en tirer toutes les conséquences. C'est aussi dans l'intérêt de votre groupe. Merci de me répondre par oui ou non.

Mme Muriel Lienau. - Je maintiens ma position.

M. Laurent Burgoa, président. - Entendu. Nous en tirerons les conséquences.

Audition de Mme Isabelle Epaillard, ancienne directrice adjointe
de cabinet du ministre de la santé (François Braun) et ancienne directrice de cabinet de la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale
et des professions de santé (Agnès Firmin-Le Bodo)
(Jeudi 20 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Isabelle Epaillard, ancienne directrice de cabinet de la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, d'août 2022 à janvier 2024.

Madame, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Isabelle Epaillard prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Nos auditions sont retransmises en direct sur le site internet du Sénat. Notre commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau embouteillée a été mise en place le 20 novembre dernier, à la suite de révélations parues dans plusieurs médias au début de l'année 2024, sur les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à un traitement interdit sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve, bien entendu, des éventuelles procédures judiciaires en cours.

L'audition de ce matin a pour objectif d'éclairer la façon dont le ministère de la santé a géré les développements de l'affaire Nestlé Waters, plus particulièrement d'août 2022 à janvier 2024 en ce qui vous concerne.

Les documents qui nous ont été transmis montrent l'importance de votre rôle. Nous voudrions comprendre l'évolution du positionnement du ministère de la santé dans cette affaire. Quelles ont été les instructions reçues de la ministre et celles que vous avez données à vos conseillers ? Quelle a été la nature de vos échanges avec le groupe Nestlé et avec le ministère de l'industrie ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise, qui a entamé la confiance des consommateurs ? Notre rapporteur vous interrogera sur ces différents thèmes. Mais auparavant, vous pouvez développer un propos liminaire d'une vingtaine de minutes.

Mme Isabelle Epaillard, ancienne directrice adjointe de cabinet du ministre de la santé et ancienne directrice du cabinet de la ministre déléguée à l'organisation territoriale des professions de santé. - Je vous remercie de me permettre de m'exprimer devant votre commission d'enquête. Je m'exprime au titre de mes fonctions de directrice adjointe du cabinet du ministre de la santé et de directrice du cabinet de la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, que j'ai exercées d'août 2022 à janvier 2024.

La feuille de route de la ministre déléguée, qui définissait ses domaines d'intervention, comprenait les questions liées à la santé et à l'environnement. J'ai donc été amenée à suivre et à conduire les travaux concernant ces champs dans le cadre de mes fonctions. Je m'attacherai à vous présenter le plus fidèlement possible la mission qui a été la mienne sur ce dossier.

Je me suis attachée à adopter une méthode rigoureuse, par étapes, reposant sur un postulat de départ : m'assurer qu'à aucun stade du dossier la santé des consommateurs n'était mise en danger. C'est avec ce postulat que j'ai abordé la gestion de ce dossier, qui, signalé par l'industrie et concernant le secteur des eaux minérales naturelles, s'est appréhendé dans un cadre interministériel, en veillant à ce que chacun reste dans son rôle et ses responsabilités.

Avec mon conseiller chargé des questions de santé environnementale, je me suis efforcée de travailler, à chaque étape, en prenant appui sur l'expertise de la direction générale de la santé (DGS), de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et des agences régionales de santé (ARS) concernées - Grand Est et Occitanie. J'ai également échangé avec le cabinet du ministre délégué chargé de l'industrie, en particulier sa directrice de cabinet et sa conseillère santé, agroalimentaire, produits de grande consommation et Europe.

Compte tenu du caractère interministériel du dossier, j'ai aussi veillé à tenir régulièrement informé le conseiller santé de la Première ministre. J'ai sollicité, avec le cabinet de l'industrie, des points d'étape, qui, précédés de notes de présentation des travaux, ont fait l'objet de comptes rendus. La dernière réunion, organisée par Matignon le 16 février 2023, s'est conclue par une position fixant la ligne à suivre. Cette position a été « bleuie », à l'instar d'autres processus concernant plusieurs champs ministériels et nécessitant un arbitrage de Matignon, sous la forme d'une concertation interministérielle dématérialisée (CID) entre les cabinets concernés et Matignon, entre le 22 et le 23 février 2023.

Permettez-moi de revenir sur les différentes étapes de ce dossier, en suivant l'ordre chronologique.

Je suis amenée à en assurer l'animation et la conduite pour le compte de la santé à compter de septembre 2022, conformément à la répartition des domaines d'intervention fixés dans la feuille de route de la ministre déléguée. Le conseiller industrie du cabinet de la Première ministre sollicite en effet la direction du cabinet du ministre de la santé dans la perspective d'une prochaine rencontre avec la direction de Nestlé Waters. Je prends alors connaissance du dernier point de situation du dossier, datant de juillet 2022, quand l'inspection générale des affaires sociales (Igas) rend son rapport de mission relatif à l'autorisation, au traitement et au contrôle des eaux minérales naturelles et des eaux de source. Je comprends que cette mission fait suite à l'enquête diligentée par le service national d'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au sein du groupe Alma et à la démarche du groupe Nestlé pour sa filiale Nestlé Waters auprès du cabinet de la ministre chargée de l'industrie à l'été 2021.

Dans son rapport, l'Igas établit les constats suivants : le contrôle sanitaire des eaux embouteillées révèle que, dans leur très grande majorité, elles sont conformes ; une part non négligeable de désignations commerciales, 30 % selon l'Igas, fait l'objet de traitements non conformes, pointant un problème de pratique de la part des industriels concernés ; la réglementation est insuffisamment claire et laisse une marge d'interprétation.

Je prends également connaissance des actions menées par la directrice générale de l'ARS Grand Est concernée par le suivi du site vosgien de Nestlé Waters, au travers d'une note qu'elle a établie avant ma prise de fonction, le 27 juillet 2022. Tout en précisant qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'a été identifié lors de l'inspection réalisée par ses services en avril 2022 dans le cadre des travaux de l'Igas, la directrice générale fait état de pratiques de traitement par ultraviolets (UV), par charbon actif et de la mise en place de filtres dont la « présence n'est pas en soi un obstacle à la délivrance de l'appellation, mais à condition qu'ils soient préalablement déclarés et que l'exploitant démontre qu'ils ne constituent pas un processus de désinfection, c'est-à-dire qu'ils ne modifient pas les caractéristiques microbiologiques de l'eau embouteillée ». Enfin, la directrice générale de l'ARS Grand Est s'interroge sur les suites à donner, en envisageant le recours à l'article 40 du code de procédure pénale auprès du procureur de la République d'Épinal, ce qu'elle fera quelques jours après la reprise du dossier par mon cabinet, par courrier daté du 3 octobre 2022.

Dans la perspective de la rencontre entre les conseillers industrie et santé de Matignon avec la direction de Nestlé Waters, s'engage un travail d'analyse et d'appréciation de la situation sous ses différents angles, associant les conseillers ayant la charge du dossier au sein des cabinets des ministres chargés de l'industrie et de l'organisation territoriale des professions de santé (OTPS), ainsi que l'expertise des équipes de la DGS.

Une première note conjointe industrie-santé est ainsi préparée et adressée à Matignon. Un point détaillé de la situation et du contexte y est présenté et de premières recommandations sont émises. À ce stade des investigations, la note confirme qu'aucun risque sanitaire lié à la qualité de l'eau embouteillée n'est identifié. La mise en place de traitements renforce même la sécurité sanitaire de l'eau embouteillée.

Nous produisons cette note dans un contexte normatif marqué par le caractère flou et imprécis des dispositions de la directive européenne du 18 juin 2009 relative à l'exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales, caractère d'ailleurs souligné par la mission de l'Igas en juillet 2022 et qui entraîne des pratiques disparates au sein des États membres. Cette directive est transposée en droit interne par l'arrêté du 14 mars 2007, qui définit une liste positive des traitements autorisés et en exclut a contrario tout autre non listé.

En ce qui concerne la microfiltration, aucun seuil de coupure n'est précisé dans la réglementation. Il faut en fait se reposer sur l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), devenue ensuite l'Anses, en date du 29 novembre 2001, lequel indique qu'« un dispositif de filtration tangentielle ayant un seuil de coupure de 0,8 micron peut être utilisé pour le traitement d'eau de source ou d'eau minérale naturelle avec l'objectif de retenir des particules présentes naturellement dans l'eau au captage », mais, un peu plus loin, qu'il « ne doit pas être utilisé pour rendre les caractéristiques microbiologiques des eaux conformes aux dispositions réglementaires ».

Sur la base de cet avis, la mise en oeuvre d'une microfiltration avec un seuil de coupure de 0,8 micron est tolérée par les services, sous réserve qu'elle soit mise en oeuvre dans un but exclusivement technologique et qu'un suivi de la qualité de l'eau soit réalisé avant et après traitement afin de s'assurer qu'il n'y a pas d'influence sur les caractéristiques microbiologiques de l'eau. En revanche, cet avis ne dit rien sur le caractère admissible ou non des filtrations à un seuil de coupure inférieur.

De nos échanges avec la DGS en particulier, il sera finalement convenu, en l'état de nos investigations, de présenter une nouvelle note proposée par le cabinet santé, évoluant dans ses recommandations, qui est adressée le 2 octobre à Matignon, précisément au conseiller santé de la Première ministre. La position relative à la technique de filtration est plus strictement exprimée. En effet, après discussion et échanges avec la DGS, il nous paraît alors utile, dans le cadre du processus d'échange mis en place, d'interroger la proposition d'autoriser le groupe Nestlé à avoir recours à une filtration avec un seuil de coupure. Les risques de contentieux sont à prendre en compte, notamment au regard de la directive du 18 juin 2009.

Le 13 octobre, nous sommes destinataires d'une note adressée par les conseillers industrie et santé de Matignon, proposant de suivre une ligne de conduite reposant sur quatre axes : demander à l'industriel de fournir sous un mois aux ARS concernées toutes les données permettant d'évaluer l'effet des mesures mises en place, notamment du filtrage à 0,2 micron, sur la qualité microbiologique de l'eau ; rappeler à Nestlé la nécessité de cesser tout traitement par charbon actif et UV pour le marché national ; solliciter au début du mois de novembre, une fois que les contrôles auront pu être menés localement par les ARS, l'avis de ces dernières et des préfets quant aux éventuelles dérogations qu'ils pourraient accorder dès lors qu'il est constaté qu'il n'y a pas de changement de la qualité microbiologique de l'eau entre l'amont et l'aval ; en matière de méthode, demander à l'industriel de travailler directement et en transparence avec les préfets et ARS concernés, Grand Est et Occitanie, avec un suivi par les cabinets OTPS et industrie.

En fait, je n'ai pas attendu le retour de Matignon pour saisir le directeur général de l'ARS Occitanie et appeler son attention sur le site de Vergèze, dans le Gard, qui produit Perrier. En outre, le 20 octobre, une réunion est organisée, associant les préfets et les directeurs généraux des ARS, ainsi que le cabinet industrie, suivie d'une réunion avec la direction de Nestlé Waters en présence également du cabinet industrie, le 24 octobre.

Lors de ces échanges, nous présentons les axes d'action à conduire par les directeurs généraux d'ARS, en particulier les contrôles nécessaires avant d'envisager de donner suite à la demande de filtrage à 0,2 micron. L'échange avec Nestlé Waters, au cours duquel les plans de transformation des sites de Vergèze et des Vosges sont abordés, pose les enjeux pour Nestlé Waters et repose essentiellement sur la question du maintien de la microfiltration à 0,2 micron, assortie du retrait des traitements par UV et charbon actif. Au cours de cet entretien, les deux cabinets exigent de Nestlé Waters que cette filiale se mette à la disposition des préfets et des ARS.

Dans les faits, et par un suivi précis et régulier du dossier avec le directeur général de l'ARS, je sais que Nestlé Waters et l'ARS Occitanie se sont rencontrés le 3 novembre, rencontre qui a été suivie d'une visite technique sur site le 30 novembre, ainsi que d'une réunion au niveau de la préfète un peu plus tard. De son côté, la directrice générale de l'ARS Grand Est nous adresse, le 8 novembre, une première analyse des retours d'informations et des données fournies par Nestlé Waters sur le site des Vosges. Comme demandé lors de la réunion du 24 octobre, les traitements par UV et charbon actif ont bien été retirés, mais les filtres à 0,2 micron ont été maintenus.

Face à l'absence de textes clairs et aux compétences techniques nécessaires pour vérifier l'absence de modifications microbiologiques, la directrice générale de l'ARS fait état du besoin d'un soutien technique, notamment de l'Anses. Après échange au niveau du cabinet OTPS avec la direction de l'Anses, le directeur général de la santé saisit officiellement l'Agence le 23 novembre 2022. La saisine demande l'évaluation de l'impact d'une microfiltration à 0,2 micron sur le microbisme naturel de l'eau minérale naturelle avant son conditionnement.

Alors que nous nous préparons à transmettre au conseiller santé de Matignon un point de situation sur les actions conduites depuis mi-octobre en vue d'une nouvelle réunion de suivi du dossier prévue le 1er décembre, je suis informée par la directrice générale de l'ARS Grand Est, après les contrôles réalisés mi-novembre sur le site des Vosges, de forts risques de fermeture de la production, compte tenu des difficultés liées à l'arrêt de la production de Contrex et des mauvais résultats constatés au captage Hépar-Essar. En particulier, les résultats des contrôles font état d'une contamination au forage principal qui ne se constate plus après filtration, rendant l'eau conforme, ce qui démontre l'effet de surtraitement apporté par la filtration. J'en tiendrai informé le conseiller santé de Matignon.

Toutefois, dans ces conditions, j'adresse, le 30 novembre 2022, une note de situation non définitive à l'attention du conseiller santé de la Première ministre, expliquant ma position d'attente après la saisine de l'Anses, dont le rendu, initialement prévu le 15 décembre 2022, sera finalement remis le 13 janvier 2023.

Dans cet avis du 13 janvier 2023, l'Agence rappelle celui de l'Afssa de 2001, selon lequel la microfiltration n'est pas interdite. L'Anses estime que les autorités disposent des moyens d'encadrer l'utilisation des dispositifs de filtration, au travers notamment de l'arrêté du 14 mars 2007 modifié, qui doit permettre de documenter l'impact de la microfiltration sur le microbisme de l'eau, en amont et en aval de la filtration, et, de là, de construire un éventuel dossier de demande d'autorisation.

En prenant en compte le cas espagnol également, à l'origine d'une sollicitation auprès de la Commission européenne sur les traitements de filtration avec un seuil de coupure à 0,4 micron, l'Anses recommande d'échanger avec les autorités espagnoles ou la Commission européenne, rappelant que, conformément à l'arrêté du 14 mars 2007, la demande visant à ajouter un traitement devra être transmise à la Commission européenne, qui sollicitera l'Efsa (European Food Safety Authority - Autorité européenne de sécurité des aliments, AESA).

C'est à cette étape de nos travaux que nous transmettons, le 26 janvier 2023, une note qui reprend la position de la DGS datée du 20 janvier 2023. La note propose un scénario de sortie qui prend appui sur l'avis de l'Anses et qui s'articule de la manière suivante : une suspension immédiate de l'autorisation d'exploitation et de conditionnement. Toutefois, la note précise également que la décision pourrait être temporaire et réversible si Nestlé Waters met en oeuvre un plan d'action pour recouvrer la qualité de l'eau à l'émergence, en particulier sur le site des Vosges, s'agissant de la source Hépar-Essar, et selon des conditions de surveillance et de suivi à respecter sous l'autorité des préfets et des directeurs généraux d'ARS.

C'est également à ce moment, au début du mois de février 2023, que nous demandons à la DGS de conduire une enquête auprès des correspondants Eaux dans les ARS pour vérifier s'il existe des arrêtés d'autorisation et d'exploitation d'eaux minérales naturelles ou de source précisant une microfiltration inférieure au seuil retenu par l'Afssa, soit 0,8 micron. En effet, dans sa note du 20 janvier, la DGS mentionne d'autres sites d'embouteillage d'eau qui utiliseraient des traitements non autorisés.

À l'issue de cette enquête flash, il apparaît que dix-sept arrêtés en vigueur sont concernés, dont celui qui est appliqué dans le Bas-Rhin, comme nous l'indiquera par courriel la directrice générale de l'ARS Grand Est. Dans ces conditions, la direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de la santé est consultée. La DAJ indique, dans sa note du 15 février 2023, qu'il n'existe pas de seuil réglementaire européen ou français - les avis de l'Afssa de 2001 et de l'Anses de 2023 ne constituent pas des actes réglementaires, mais offrent une analyse scientifique et des recommandations. Elle explique que certains représentants de l'État chargés de délivrer les autorisations ont ainsi pu s'en écarter. La DAJ préconise également de saisir les instances européennes, en particulier l'Efsa, pour enclencher une discussion entre experts et engager une revue des différentes pratiques européennes.

C'est donc après avoir pris en compte ces derniers éléments que je fais connaître au conseiller santé de la Première ministre la position que nous porterons le 16 février lors de la dernière réunion organisée à Matignon : saisine de l'Efsa pour éclaircir le point des microfiltrations et du seuil ; dans l'attente, maintien de l'autorisation de fait de la microfiltration au-dessous de 0,8 micron ; mise en place d'une surveillance renforcée en amont et en aval pour garantir la sécurité sanitaire des eaux exploitées ; arrêt provisoire de l'exploitation de l'émergence Hépar-Essar jusqu'au recouvrement d'une qualité conforme de l'eau.

C'est donc en repartant de notre position, discutée lors de la réunion du 16 février, que nous proposons un compte rendu qui est validé par le cabinet industrie. Compte tenu de la nécessité opérationnelle de transmettre aux autorités sanitaires déconcentrées - les ARS -, un document posant les principes sur lesquels elles pourront s'appuyer, nous demandons à Matignon, comme c'est la pratique pour fixer une ligne de conduite dans le cadre de travaux interministériels, de « bleuir » le document. Les conseillers santé et industrie de Matignon demanderont au Secrétariat général du Gouvernement (SGG) d'organiser une concertation interministérielle dématérialisée (CID), qui se déroule entre le 22 et le 23 février 2023.

La ligne est fixée dans ce document et s'articule autour de cinq axes : mise en place sans délai d'un plan d'action renforcé par l'industriel sous le contrôle du préfet et du directeur général de l'ARS ; possibilité, au regard des autres autorisations déjà accordées et en l'absence de normes empêchant ce niveau de filtration, d'autoriser, par modification des arrêtés préfectoraux, la pratique des microfiltrations inférieures à 0,8 micron, sous réserve d'une demande d'autorisation par l'industriel ; mise en place par l'ARS Grand Est d'une surveillance renforcée de la qualité de l'eau aux différentes émergences ; définition, dans le cadre du plan de transformation du site prévu par l'industriel Nestlé Waters, d'une démarche d'accompagnement et de contrôle de la qualité de l'eau aux différentes émergences, placée sous l'autorité du préfet du Gard et du directeur général de l'ARS Occitanie ; demande au Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) de conduire une analyse de la situation de la microfiltration et des pratiques existantes dans les autres pays de l'Union européenne afin d'envisager, le cas échéant, de solliciter une évolution de la réglementation européenne.

Dès lors, s'est engagée la phase de suivi des plans d'action fixés par la CID. Nous rencontrons une dernière fois, côté santé, la direction de Nestlé Waters avec le cabinet industrie le 20 février 2023. Cet échange a pour objectif de présenter le plan d'action de l'industriel - fixé par le « bleu » qui arrivera par la suite -, dont nous attendons une mobilisation forte, réactive et constante sur les sites des Vosges et de Vergèze.

Au cours des semaines suivantes, nous avons continué de suivre avec attention la mise en place des plans d'action et de contrôle par des échanges réguliers, en particulier avec les deux directeurs généraux d'ARS concernés, qui sont nos interlocuteurs naturels en tant que chargés de la mise en oeuvre sur le terrain des plans de surveillance et de contrôle : suivi du retrait des traitements par UV et charbon actif, fermeture des deux points de forage Hépar. Les deux ARS pourront également s'appuyer dans leurs travaux sur les équipes techniques mises à disposition par l'Anses. Je me suis également assurée de la saisine par le Secrétariat général des affaires européennes de la Commission européenne en interrogeant le conseiller santé de Matignon.

Au terme de cette présentation reprenant volontairement la chronologie des étapes qui ont scandé le suivi de ce dossier, je souhaiterais revenir sur quelques aspects abordés au cours de mon propos et qui me semblent bien illustrer la manière avec laquelle ce dossier a été construit.

C'est d'abord la constance. Nous avons appliqué avec constance et méthode le postulat de départ, à savoir nous assurer de l'absence de risque sanitaire, préoccupation qui ressort de tous les documents écrits dans le cadre de ce dossier et que les directeurs généraux de la santé ont rappelée sous serment devant votre commission d'enquête. Les différentes étapes qui ont rythmé ce dossier démontrent le sérieux, la rigueur, mais aussi l'humilité avec lesquels nous nous sommes efforcés de conduire ce dossier complexe.

C'est ensuite la méthode, comme en témoignent les échanges de courriels très réguliers qui attestent de ce suivi fin et constant. J'ai conduit, pour la partie santé, ce travail interministériel : en requérant les analyses et avis des autorités sanitaires, de la DGS, de l'Anses, mais aussi des ARS ; en échangeant régulièrement avec le cabinet industrie, mais également en rendant compte à Matignon ; en veillant à prendre en compte les différentes dimensions du dossier, d'abord sanitaire - postulat de départ -, mais aussi économique et social ; en formalisant, dans un souci constant de transparence et de partage d'informations, les positions et décisions prises au travers de comptes rendus, de notes, mais aussi du relevé de la CID de février 2023 - autant d'éléments que je tiens à votre disposition.

Cette méthode atteste, s'il devait y avoir le moindre doute, comme le laissaient peut-être entendre certains articles de presse, l'absence de pression et même d'intervention dans le suivi de ce dossier. Je mesure qu'aujourd'hui je témoigne devant vous sous serment. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci beaucoup, madame Epaillard, de ce propos liminaire. Avec ses questions, le rapporteur va aussi reprendre l'historique du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En effet, je vais m'efforcer, moi aussi, de reprendre cette chronologie pour vous interroger sur d'éventuels changements de pied que nous avons identifiés, et en comprendre la nature et la raison.

À la fin du mois de septembre 2022 - puisque vous nous avez dit vous saisir du dossier à cette date -, Pierre Breton, qui est sous votre responsabilité au sein du cabinet, coécrit une note avec son homologue au cabinet de l'industrie, Mathilde Bouchardon. La note en question, transmise au cabinet de la Première ministre le 28 septembre, propose notamment d'autoriser Nestlé Waters à poursuivre la microfiltration à 0,2 micron, à condition que l'industriel apporte la preuve de l'absence de changement du microbisme de l'eau.

Pierre Breton transmet cette note à la DGS le 27 septembre 2022 en demandant une relecture technique et éventuellement des ajouts ou des corrections de votre côté. Le lendemain, le 28 septembre 2022, à 9 h 30, Jérôme Salomon, directeur général de la santé, renvoie la note largement amendée par ses équipes en écrivant : « Nous ne pouvons pas soutenir la proposition d'autoriser le groupe Nestlé Waters à avoir recours à une filtration à un seuil de coupure à 0,2 micron, [...] il y a forcément un impact sur la composition microbiologique de l'eau, dans le non-respect de la directive 2009/54. »

Vous disiez tout à l'heure qu'il y a un flou sur la réglementation. S'agissant de la procédure à suivre, les choses me semblent assez claires : la demande visant à ajouter un traitement doit être faite auprès du ministre non pas de l'industrie, mais de la santé. Cette demande doit être ensuite transmise à la Commission européenne et il faut apporter la preuve de l'innocuité du traitement et du fait qu'il ne modifie pas la composition de l'eau minérale naturelle ni son microbisme.

Je ferme cette parenthèse et reviens à ce que vous écrit Jérôme Salomon : « Cela créerait un précédent. Le recours à un traitement UV peut interroger sur la qualité microbiologique des ressources en eau exploitées par Nestlé Waters. L'existence de risques sanitaires liés à la présence de virus entériques d'origine hydrique ne peut être exclue si ce traitement de microfiltration était assimilé à tort à une désinfection par Nestlé Waters. » À 18 h 07, le même jour, vous transférez la note à Cédric Arcos, sans reprendre ces amendements et en mentionnant, comme dans la note initiale, le seuil de 0,2 micron.

Que s'est-il passé entre-temps ? Pourquoi avez-vous finalement écarté la position de la DGS ? La DGS est-elle revenue sur sa position entre 9 h 30 et 18 h 07 ? D'après ce que nous a dit M. Salomon sous serment, il n'a jamais été d'accord avec cette position sur le 0,2 micron. Dans le courriel à Cédric Arcos, vous avez un échange à ce moment-là, à 18 h 07. Concernant la préconisation finale sur la technique de filtration, il vous demande : « Me confirmes-tu que la DGS est bien en phase ? », et vous répondez : « Oui, c'est vu avec eux. » Il est alors 21 h 42 (Mme Isabelle Epaillard le confirme.)

Je ne comprends pas : la position de la DGS est totalement antagoniste à celle de la note jointe, mais vous dites à M. Arcos, du cabinet de la Première ministre, que c'est vu avec eux et que c'est validé avec eux. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette contradiction ?

Mme Isabelle Epaillard. - J'ai écouté l'audition de Jérôme Salomon et ai relu avec attention ces échanges de courriels, qui remontent à plusieurs mois. Quand je réponds « Oui, c'est vu avec eux » à Cédric Arcos, à 21 h 42, le 28 septembre, pour moi, on est toujours sur une note conjointe avec un paragraphe « constat ministère de la santé », qui reprend in extenso le message qu'avait transmis, le 28 septembre, le directeur général de la santé concernant le 0,2 micron. Je pense donc qu'entre-temps les services ont travaillé, que nous avons une nouvelle note, et c'est dans ce sens que je réponds. Je sais que sur ces dossiers-là, j'ai travaillé régulièrement, pratiquement tous les jours et je fais passer une note le 2 octobre, qui donne ma position.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que s'est-il passé ?

Mme Isabelle Epaillard. - Lorsque je réponds à Cédric Arcos « Oui, c'est vu avec eux », je sais qu'il y avait des travaux en cours. Mais pour moi, on était sur la version de la note que j'ai là, qui comprenait bien un constat du ministère de la santé reprenant les éléments de Jérôme Salomon.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous diriez donc que c'est une erreur : la note qui est partie n'est pas la note sur laquelle vous vouliez dire « Oui, c'est vu avec eux », si je vous comprends bien.

Mme Isabelle Epaillard. - Oui, et entre-temps cette note a été reprise et minore la position de la DGS. Je reprends donc les éléments, j'en reparle avec Pierre Breton et nous décidons que, comme nous sommes au début de nos investigations, il est important que nous revenions sur le 0,2 micron et que nous interrogions Nestlé Waters sur les raisons de leur recours à une microfiltration inférieure. Nous posons donc la question, et c'est ainsi que la note est repartie le dimanche 2 octobre 2022 à Cédric Arcos. Elle posera les éléments qui feront l'objet du retour de Matignon le 13 octobre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je résume votre position, lorsque vous dites « Oui, c'est vu avec eux », vous pensez en fait vous exprimer sur une note revue qui intègre les remarques de M. Salomon, et vous ne vous rendez pas compte que vous prenez position sur la note qui ne les reprend pas.

Mme Isabelle Epaillard. - C'est ainsi que je le comprends en regardant tous mes documents, et surtout en m'appuyant sur la position finale, en tout cas au 2 octobre, qui reprend bien la position de la DGS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien, j'entends votre explication sur l'erreur.

J'aimerais que vous m'apportiez des précisions sur ce qui se dit dans certains échanges. Le 28 septembre, Adrienne Brotons, directrice du cabinet du ministre de l'industrie, et Victor Blonde échangent, avant la réunion du lendemain à Matignon avec Nestlé Waters, pour laquelle Pierre Breton a adressé la note du 27 septembre ne reprenant pas les éléments du directeur général de la santé. Dans ces échanges, Adrienne Brotons évoque le fait que le cabinet de l'industrie a « bien convergé ces dernières semaines avec le cabinet Firmin Le Bodo et Nestlé Waters ». D'ailleurs, le cabinet industrie et Matignon, que nous avons auditionnés, considèrent la note du 2 octobre comme un changement de pied pour eux.

Pouvez-vous nous dire, dans un premier temps, quels étaient ces points de convergence évoqués par Mme Brotons ? Sur quels points précis diriez-vous avoir convergé à ce moment-là avec le cabinet industrie ?

Mme Isabelle Epaillard. - Nous sommes alors vraiment au début - je me suis saisie du dossier quelques jours auparavant, au début du mois d'octobre. Nous sommes donc plutôt dans l'échange avec le cabinet industrie, qui se fait surtout au niveau des conseillers, puis nous faisons la synthèse, côté direction de cabinet, des informations à notre disposition, du postulat de départ et des vérifications à effectuer.

C'est pour cela que je me suis attachée à vous rappeler, en me permettant de citer la directrice générale de l'ARS, les points que je vais tout de suite chercher à expertiser lorsque je prends le dossier. Puis nous essayons de travailler avec le cabinet industrie en posant l'état de la réglementation et ce que Nestlé Waters nous a donné comme informations, afin de voir quels sont les éléments nécessaires pour pouvoir avoir une position.

À la fin du mois de septembre et au début du mois d'octobre, c'est loin d'être aisé, car il nous manque des informations. D'ailleurs, c'est ce qui se passera après : à la suite de la note du 2 octobre, puis du retour du 13 octobre, nous demanderons aux ARS d'investiguer davantage en procédant à des contrôles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La note du 2 octobre que vous avez évoquée à juste titre tout à l'heure et que vous transmettez à Cédric Arcos, est intitulée « Position du ministère de la santé ». Il ne s'agit donc plus d'une note conjointe, car, évidemment, les choses ont changé.

Mme Isabelle Epaillard. - Mais le cabinet industrie la verra.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Bien sûr, je ne veux pas dire qu'elle est dissimulée, je disais juste que c'est votre position santé au sujet de Nestlé Waters. (Mme Isabelle Epaillard le confirme.) Cette note soutient la proposition d'autorisation de la microfiltration non plus à 0,2 micron, mais à 0,8 micron. Cédric Arcos l'interprète comme, je le cite, « un gros changement de position de la santé sur notre affaire, car, après vérification, jamais une décision de filtrage à 0,2 micron n'a été autorisée ». Après lecture de cette note, Victor Blonde, le conseiller partagé Élysée-Matignon, répond à Cédric Arcos : « Aïe ! Ils avaient des réserves, mais c'est quand même assez inattendu. J'imagine qu'ils n'en ont pas parlé à l'industrie avec qui ils ont cosigné la précédente note. »

Une première question pour répondre à M. Blonde de manière différée : avez-vous parlé avec le cabinet industrie du fait que vous alliez reprendre une position ministère de la santé et de la prévention (MSP) pour corriger ce qui était écrit dans la note conjointe ? J'allais vous demander si vous estimiez qu'il y avait eu une forme d'influence du cabinet industrie sur la première note, mais vous m'avez répondu que vous l'aviez cosignée par erreur, pensant qu'il s'agissait d'une autre version. Je retiens ce point.

Mme Isabelle Epaillard. - En tout cas, j'ai retravaillé et revérifié les éléments de la DGS. Dans ces cas-là, nous faisions des points très réguliers avec elle. Je voulais comprendre les éléments.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avez-vous parlé à ce moment-là avec le cabinet industrie ?

Mme Isabelle Epaillard. - J'ai regardé dans mes échanges de courriels et, sauf erreur de ma part, je n'ai pas retrouvé d'élément indiquant que j'en ai parlé à Adrienne Brotons, la directrice de cabinet. En revanche, je suis quasiment sûre - permettez-moi de ne pas être trop catégorique - que les échanges et la discussion ont eu lieu de manière informelle entre nos deux conseillers, car ils se parlaient très régulièrement. Il n'y avait pas de raison que je n'indique pas que j'avais finalement une position plus fermée, en l'état des investigations et de ce que nous connaissions du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien, merci de cette réponse.

Le 5 octobre 2022, soit trois jours après la transmission de la note « Position du ministère de la santé », Cédric Arcos transmet une note au directeur de cabinet de la Première ministre recommandant de donner un mois à l'industriel pour fournir aux ARS des données permettant d'évaluer l'effet des mesures mises en place, notamment de la filtration à 0,2 micron, sur la qualité microbiologique de l'eau, puis de solliciter l'avis des ARS et des préfets quant aux éventuelles dérogations avant de donner suite ou non à la demande de filtrage à 0,2 micron. Étiez-vous au courant de cette note et de cette position ? Saviez-vous que la position du ministère de la santé n'avait pas du tout été reprise dans la note transmise à la Première ministre à ce moment-là ?

Mme Isabelle Epaillard. - Non, je n'ai pas souvenir d'en avoir eu connaissance. Mais nous allons très rapidement avoir le retour, le 13 octobre, et nous mettre en ordre de marche.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'étiez donc pas au courant, à ce moment-là, de la transmission de cette note à la Première ministre ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je ne suis pas au courant du détail de ces échanges. Je ne voudrais pas être catégorique dans ma réponse... Je ne m'en souviens pas. Je sais que j'ai la note après, puisque, le 13 octobre, Cédric Arcos me fait passer les éléments tels qu'ils ont été arbitrés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 24 octobre 2022, Mathilde Bouchardon vous transmet, ainsi qu'à Adrienne Brotons, le compte rendu d'un entretien que vous avez eu le matin même avec Nestlé. Le compte rendu indique la nécessité de « trancher rapidement, car l'impossibilité pour Nestlé de poursuivre avec ses filtres à 0,2 micron pourrait avoir des impacts industriels en termes d'emplois non négligeables ».

J'aimerais comprendre ce qui s'est passé ce mois-là, car on semble glisser de la position du ministère de la santé, à 0,8 micron, à la question « oui ou non au 0,2 micron tout de suite ». La position du ministère de la santé, exprimée dans la note du 2 octobre, était relativement claire. Que s'est-il passé lors de cette réunion ? Avez-vous aussi validé cette forme de décalage de la question ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Isabelle Epaillard. - Lors de la réunion avec Nestlé Waters, je ne prends aucune position. J'ai un échange.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce que Nestlé Waters vous a présenté des éléments à l'appui du seuil de 0,2 micron ?

Mme Isabelle Epaillard. - Non, justement. À ce moment-là, ses représentants nous font état des transformations qu'ils envisagent sur leurs deux sites et de leurs difficultés, notamment d'un point de vue économique sur le site des Vosges. Nous constatons qu'ils utilisent deux traitements, au charbon et aux UV - dont nous leur demanderons très rapidement le retrait - et une microfiltration à un seuil inférieur à celui de 0,8 micron rappelé dans l'avis de l'Afssa de 2001.

Nous échangeons donc, dans l'esprit de la note du 2 octobre et des axes posés par les éléments du 13 octobre de Matignon, toujours dans l'idée de comprendre pourquoi un industriel a recours à ce type de microfiltration et que celui-ci nous démontre qu'il n'apporte pas de modification au microbisme de l'eau. Il n'y a pas de question sanitaire : nous savons que c'est plutôt surtraité ; en revanche, il peut y avoir une influence sur le microbisme, et il faut que nous puissions le prouver, car, dans ce cas-là, nous sommes sur une non-conformité non pas sanitaire, mais commerciale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La question sanitaire posée par M. Salomon dans la note qu'il vous adresse demeure : le retrait des traitements qui surtraitent et leur remplacement par des filtres à 0,2 micron posent une question virologique. C'est pourquoi, ensuite, un contrôle sanitaire renforcé a été décidé. L'enjeu sanitaire n'est donc écarté à aucun moment, puisque le changement pose un certain nombre de questions.

Mais je note en effet que le débat se porte maintenant sur le seuil de 0,2 micron : autrement dit, la position initiale du ministère de la santé - la règle, c'est 0,8 - n'est pas reprise. On est en train de glisser vers le 0,2 micron et la question de la modification du microbisme de l'eau, alors même que M. Salomon, dans son premier courrier - et ce sera sa position constante -, dira qu'à 0,2 micron, quoi qu'il en soit, il y a forcément un impact sur la composition microbiologique de l'eau et donc un non-respect de la directive. C'est la position de M. Salomon, et cela le sera tout au long de la procédure, du début à la fin. (Mme Isabelle Epaillard le confirme.)

Là, pour le coup, on est quand même très loin de la position du ministère de la santé exprimée dans la note du 2 octobre. Êtes-vous d'accord avec cela ?

Mme Isabelle Epaillard. - Il y a une évolution, parce que nous voulons comprendre si c'est possible, mais avec toutes les vérifications qui sont nécessaires. Je suppose que vous l'avez bien noté : à ce moment-là, nous avons des échanges constants avec la DGS. Quand je rencontre les directeurs généraux des ARS, au moment de la mise en place du plan d'action, je leur demande d'aller vérifier ce qui se passe, de faire les contrôles. D'ailleurs, c'est ainsi que nous aurons un retour de la directrice générale de l'ARS Grand Est, qui demandera un appui technique de l'Anses, parce qu'elle a besoin de compétences pour contrôler. Nous lançons donc effectivement une démarche de vérification pour savoir s'il y a une modification des caractéristiques microbiologiques de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je le note et je peux le comprendre. Notons toutefois que nous sommes le 20 mars 2025 et que cette question est toujours pendante. Je me permets de le signaler, parce qu'on verra ensuite que, au moment où la décision finale est prise en CID, cette question n'est toujours pas résolue et que, pourtant, une décision d'accompagnement du plan de transformation est prise. J'y reviendrai.

Mme Isabelle Epaillard. - Je vous apporterai des éléments.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Donc, les questions qui commencent à émerger, le débat s'étant décalé, sont par exemple : « Que risque-t-on à autoriser la microfiltration à 0,2 micron ? » En ce qui concerne le risque de contentieux européen, le compte rendu de la réunion informelle du 1er décembre à Matignon, sous l'égide de MM. Blonde et Arcos, avec Pierre Breton - peut-être vous-même, d'ailleurs, je ne sais pas -, mentionne que le risque de contentieux avec la Commission européenne est peu élevé en cas d'autorisation de la microfiltration à 0,2 micron.

Savez-vous d'où provient cette affirmation, alors que Jérôme Salomon pensait au contraire que le risque n'était pas négligeable, ce que la DGS mentionne d'ailleurs dans une note du 20 janvier 2023 ? Cette position a été reprise dans la note datée du 24 janvier et transmise au cabinet de la Première ministre.

Qu'est-ce qui fait, d'après vous, que les alertes sur ce point du contentieux européen, avec cette obligation très claire de transmettre la demande à la Commission, n'ont pas été entendues ?

Mme Isabelle Epaillard. - Des éléments de contexte sont pris en compte, à ce moment-là. Nous savons que l'Espagne a fait une demande auprès de la Commission européenne, sans connaître la réponse qui a été donnée. En tout cas, nous savons qu'elle pratique une microfiltration inférieure à 0,8 micron, de l'ordre de 0,4 ou 0,45 de mémoire. Nous savons aussi que cela se pratiquerait au Royaume-Uni.

Je voudrais vous dire que la position de la santé a toujours été claire vis-à-vis de la Commission européenne : dans toutes les notes que j'ai pu faire passer à Matignon, je demande à chaque fois la saisine de la Commission européenne, notamment de l'Efsa. Vous l'avez noté : pour comprendre cette situation complexe, pour laquelle nous avons demandé des éléments à l'industriel, nous avons besoin de recourir au maximum d'experts. C'est l'idée de la saisine de l'Efsa, que je reformulerai d'ailleurs dans mon courriel juste avant la réunion de février qui donnera lieu à la CID et qui sera reprise dans son compte rendu. Côté santé et dans ma position, si est demandée la saisine de la Commission européenne ou de l'Efsa, cela signifie que nous allons présenter le dossier aux experts.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous m'éclairer sur une note de la DAJ, non datée, mais jointe au relevé de décision de votre réunion du 16 février ?

Mme Isabelle Epaillard. - Cette note date du 15 février. J'ai reçu un courriel le 15 au soir, ou le 16. C'est moi qui ai demandé cette note à la DAJ.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - S'agit-il de M. Touboul ?

Mme Isabelle Epaillard. - Non, le 15 février, ce n'est plus lui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans cette note, la DAJ évoque les risques et opportunités de la saisine de la Commission européenne et de l'Efsa. Elle indique que, « quelle que soit l'option retenue, elle présentera un risque contentieux élevé dès lors que l'initiative française ne demeurera pas secrète ». C'est quand même très troublant. La DAJ veut-elle dire que, si la question du 0,2 micron n'est pas gérée en interne, dans les cabinets, mais portée devant la Commission, étant donné que ce seuil n'est pas accepté par les autorités européennes, il y aura un risque contentieux élevé ? Comprenez-vous ainsi le fait de dire que, si cela sort du secret, alors le contentieux se matérialise ?

Mme Isabelle Epaillard. - D'abord, la directive européenne ne fixe pas de seuil.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Non, mais cela n'est pratiqué dans aucun État membre. Dans le cadre du contrôle qu'elle a réalisé sur les eaux en France, la Commission a considéré que certaines eaux filtrées à 0,2 micron n'étaient pas conformes. Nous l'auditionnerons aussi, d'ailleurs, même si elle a rendu son audit postérieurement.

Pour que vous le sachiez, la position partagée à l'échelon européen et les informations qui semblent avoir été glanées à l'époque auprès de la DGCCRF montrent qu'aucun État européen ne veut aller à 0,2 micron. Expliquez-moi cette notion de secret : que veut dire la DAJ, d'après vous, quand elle évoque cela ?

Mme Isabelle Epaillard. - Permettez-moi de souligner que la DGCCRF nous fait quand même état d'une adaptation de la réglementation en Espagne.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À 0,45 micron. Ce n'est pas une adaptation, c'est la réglementation espagnole.

Mme Isabelle Epaillard. - Oui, mais elle doit appliquer la directive européenne.

Si la DAJ s'exprime ainsi, c'est probablement parce qu'elle considère que, dès lors que la Commission européenne et l'Efsa seront saisies, on mettra cartes sur table. Pour moi, c'est normal, c'est la règle, il faut le faire. Je préconise de les saisir au regard de la complexité de ce dossier, pour que les choses soient clairement posées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci, c'est clair.

Le 26 janvier 2023, vous transmettez au cabinet de la Première ministre une « Note de situation à date du 24 janvier », qui indique : « Compte tenu des enjeux sanitaires et réglementaires rendant impossible d'accepter une ultrafiltration inférieure à 0,8 micron » - ce qui est aussi une manière de tirer les conséquences de la note de la DAJ, selon laquelle le risque contentieux serait élevé si la question était portée devant la Commission - « la proposition du cabinet OTPS » - c'est-à-dire vous (Mme Isabelle Epaillard le confirme.) - « est de suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement de l'eau pour les sites [...] des Vosges. »

Nous en sommes alors, me semble-t-il, à la troisième position depuis septembre : d'abord, l'autorisation à 0,2 micron si l'industriel démontre la non-modification du microbisme ; ensuite, l'autorisation à 0,8 micron ; et maintenant, la suspension de l'autorisation d'exploitation. Pouvez-vous nous expliquer ce qui peut apparaître comme un changement de pied ? Que se passe-t-il alors ? Qu'est-ce qui vous pousse à aller vers cette solution qui, in fine, ne sera pas adoptée ?

Mme Isabelle Epaillard. - Ce n'est pas une troisième évolution. Nous sommes dans une évolution continue, dans un work in progress. Nous essayons d'évoluer, de comprendre étape par étape, de façon très méthodique, en conservant toujours le postulat de départ que j'ai rappelé. C'est ce que j'ai essayé d'expliquer dans mon propos liminaire.

Le raisonnement qui a été suivi est le suivant : absence de risque sanitaire - tous les éléments le confirment ; absence de seuil clairement défini par la directive européenne ; constat qu'il n'y aurait pas que Nestlé Waters qui appliquerait des traitements - la note de la DGS l'indique.

C'est à ce moment-là - vous l'avez peut-être retrouvé dans les échanges de messages - que je demande à la DGS d'interroger, sous la forme d'une enquête flash, l'ensemble des correspondants Eaux des ARS : il nous est remonté qu'au moins dix-sept arrêtés avaient été pris.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De quand date cette enquête flash ?

Mme Isabelle Epaillard. - De fin janvier, ou tout début février.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est bien entre le 26 janvier et le 9 février ?

Mme Isabelle Epaillard. - Oui, les dix-sept arrêtés sont un élément qui me parvient après la note du 26 janvier. La note de la DGS est en deux temps : elle évoque la suspension, mais précise que cette décision peut être temporaire et réversible, à certaines conditions, que l'on retrouve dans le « bleu » de CID, notamment le contrôle de l'émergence Hépar-Essar et les plans de contrôle et de surveillance mis en place par la direction générale de l'ARS.

C'est vraiment entre la note du 26 janvier et la position que j'indique à Cédric Arcos juste avant la réunion de février à Matignon que ces éléments complémentaires interviennent. Je note également qu'à pareille époque les pratiques nous sont remontées, notamment la pratique espagnole, mentionnée dans l'avis de l'Anses du 13 janvier, qui nous invite à interroger l'Espagne ou la Commission européenne.

J'ajoute que la note de la DAJ n'est pas antérieure à la note du 26 janvier ; elle est publiée juste avant la position du 16 février. C'est en constatant les dix-sept arrêtés, après l'enquête flash, que je consulte la DAJ pour comprendre comment de tels arrêtés peuvent exister. La DAJ explique que nous disposons, non pas d'un seuil réglementaire, ni dans la directive ni dans l'arrêté, mais d'avis rendus en 2001 et 2023. D'où les dix-sept arrêtés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'enquête flash est donc un élément nouveau pour moi. C'est sans doute ce qui motive Pierre Breton, le 9 février 2023, à adresser à Joëlle Carmès, sous-directrice chargée des eaux minérales, un certain nombre d'éléments qui relativisent fortement la position de la DGS. Je le cite : « Maintenant que nous savons de manière certaine que des arrêtés autorisent les microfiltrations inférieures à 0,8, » - parmi lesquels on compte aussi des arrêtés technologiques liés à la séparation d'un certain nombre de produits, qui n'ont donc rien à voir avec la microfiltration à des fins sanitaires telle que présentée par Nestlé, qui nous explique qu'elle ne peut pas commercialiser son eau sans cette microfiltration. Pierre Breton poursuit : « sommes-nous vraiment en mesure de justifier notre position face à Nestlé ? [...] L'argument du contentieux avec la Commission est-il toujours valable ? » Pierre Breton posait la question : pour moi oui, mais qu'en pensez-vous ? Il ajoute : « En relisant le rapport, l'argument de désinfection avec une microfiltration à 0,2 micron n'est pas si clair que cela, et visiblement la position de l'Anses non plus. » Je ne vois pas, pour le coup, en quoi la position de l'Anses, celle de M. Salomon et celle de la directrice générale de l'ARS Grand Est manquent de clarté : lorsque cette dernière est interrogée sur le 0,2 micron, elle dit qu'à ce seuil on est dans le cadre d'une désinfection.

Pierre Breton avait-il votre aval pour remettre en cause - ou au moins questionner - aussi fortement la position de la DGS ? Cela relève-t-il d'une commande de votre part ou est-ce spontané ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je ne m'en souviens pas précisément. J'ai décrit la méthode avec laquelle j'ai travaillé. Je pense avoir échangé avec Pierre et lui avoir même demandé que la note de la DAJ soit transmise à la DGS, pour que nous nous posions les questions. C'est un travail quotidien au milieu de nombreux autres dossiers. Il est normal que le cabinet demande à la direction générale...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je voulais savoir si vous l'aviez fait de manière conjointe.

Mme Isabelle Epaillard. - ... et que nous échangions et posions les questions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien. Donc, le 10 février, Joëlle Carmès sollicite Jérôme Salomon, peut-être désarçonnée après cet échange avec Pierre Breton. Elle sollicite une réponse à son niveau, qui rappelle la position du 20 janvier sur l'interdiction de la microfiltration inférieure à 0,8 micron.

Diriez-vous que la position du cabinet de la ministre était alors en train de changer ? En effet, le 16 février 2023, on remarque une nouvelle variation dans la position de votre cabinet, celle que vous avez exprimée il y a quelques instants. Vous écrivez à Cédric Arcos : « Après de nouveaux échanges avec la DGS et y avoir associé la DAJ, nous aurions tendance à privilégier le scénario suivant, sous réserve naturellement des échanges de demain avec vous et le cabinet industrie : saisine de l'Efsa pour éclaircir le point sur les microfiltrations et les seuils ; » - à ma connaissance, cela n'a pas été fait - « dans l'attente, maintien de l'autorisation de fait de la microfiltration au-dessous du seuil de 0,8 micron ; » - donc autorisation sous le seuil - « mise en place d'une surveillance renforcée en amont et en aval ; » - pour répondre finalement aux inquiétudes de M. Salomon sur les virus, car il faut bien un contrôle renforcé si on enlève des traitements pour les remplacer par des filtres qui, potentiellement, laissent passer les virus dans un contexte où l'on n'est pas sûr de la pureté originelle de l'eau - « arrêt provisoire de l'exploitation de l'émergence Hépar-Essar jusqu'à recouvrement de la qualité conforme de l'eau » - recouvrement qui n'est toujours pas intervenu à l'heure où nous parlons, même si Nestlé évoquait hier un écart sporadique.

Pourquoi parlez-vous dans cette note d'« éclaircir le point sur la microfiltration et les seuils », alors que ce point est connu de votre cabinet depuis septembre 2022 et que la position de la DGS n'a pas bougé ? Qu'est-ce qui vous fait à ce moment-là passer le seuil, si j'ose dire, et affirmer que vous êtes prêts à aller au-dessous de 0,8 micron ? C'est la première fois que vous l'exprimez dans une note. J'aimerais comprendre ce qui vous fait agir ainsi, un peu contre l'avis de la DGS.

Mme Isabelle Epaillard. - Lors de son audition, le directeur général de la santé a indiqué qu'il est dans son rôle technique et que les cabinets ne le suivent pas forcément ensuite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, l'administration propose et les politiques décident, mais avez-vous des échanges avec votre ministre ?

Mme Isabelle Epaillard. - Non, je n'ai pas eu d'échange avec la ministre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À aucun moment, sur ce dossier ?

Mme Isabelle Epaillard. - Compte tenu de la façon dont je travaillais avec Mme Firmin Le Bodo, j'ai dû aborder le dossier, mais les arbitrages sont restés à mon niveau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a jamais eu d'arbitrage à son niveau ?

Mme Isabelle Epaillard. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Question plus personnelle : vous ne sentez pas que la gravité du sujet appelle quand même - puisque vous ressentez le besoin de « bleuir » en passant par le cabinet de la Première ministre - une décision politique ? Il s'agit en effet de maintenir des traitements illégaux qui trompent potentiellement le consommateur pendant plusieurs années. Qu'est-ce qui fait que vous gardez cela à votre niveau ? Ne sentez-vous pas que c'est suffisamment politique pour être remonté à la ministre ?

Mme Isabelle Epaillard. - Il y a une méthode et des étapes. Le risque sanitaire, à toutes les étapes, est absent - c'est confirmé. Nous sommes effectivement sur une non-conformité industrielle. À ce moment-là, je sollicite dès le départ un arbitrage dans le cadre d'une démarche interministérielle, qui se conclura par la CID.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais qu'est-ce qui vous fait basculer dans l'acceptation du 0,2 micron sous conditions ? Ce passage de 0,8 à 0,2, sous certaines conditions, donc, vous l'exprimez en quatre points : saisine de l'Efsa, maintien de l'autorisation sous 0,8 micron, mise en place d'une surveillance renforcée amont-aval et arrêt provisoire de l'exploitation.

Je note d'ailleurs, pour votre information, que la surveillance renforcée amont-aval a longtemps relevé de l'autocontrôle en Occitanie et n'a pas été mise en place rapidement, contrairement au Grand Est, comme cela aurait dû être le cas dans la gestion du risque avec une entreprise qui a tout de même des habitudes de dissimulation.

Qu'est-ce qui vous fait basculer dans la tolérance à l'égard de la microfiltration à 0,2 micron ?

Mme Isabelle Epaillard. - J'écris qu'on est non pas sur le seuil de 0,2, mais, de fait, au-dessous du seuil de 0,8. Je ne parle jamais, me semble-t-il, du seuil de 0,2 (M. le rapporteur le confirme.) D'ailleurs, le « bleu » de CID n'évoque pas le seuil de 0,2.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez raison, mais il évoque un plan de transformation qui, lui, mentionne le seuil de 0,2.

Mme Isabelle Epaillard. - Jamais le « bleu » de CID n'en parle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous y viendrons. C'est un point important, en effet. Qu'est-ce qui vous fait changer de position ?

Mme Isabelle Epaillard. - Les éléments que j'ai exposés tout à l'heure.

Ces informations complémentaires, ce sont la note du 26 janvier, les arrêtés, les pratiques dans d'autres pays, pour lesquelles nous allons solliciter l'avis de l'Efsa et de la Commission.

Puis, surtout, vous avez constaté, dans la position que j'ai tenue avant le 16 février, que les aspects liés à ce qui pourrait avoir une incidence sanitaire sont très clairement exprimés, à la fois sur l'émergence Hépar, notamment celle qui pose des difficultés et dont la vulnérabilité a été confirmée par la directrice générale de l'ARS lors des contrôles que nous avions lancés et demandés en octobre. J'ai aussi suivi avec beaucoup de vigilance les contrôles, en demandant régulièrement aux directeurs généraux où ils en étaient.

Un certain nombre d'éléments ont changé la donne, comme les dix-sept arrêtés constatés et les pratiques d'autres pays européens. Nous avons donc constaté que des autorisations de fait avaient été données, étant entendu que l'industriel devait ensuite en faire la demande, comme cela est d'ailleurs formulé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 16 février, une réunion se tient avec Adrienne Brotons, du cabinet industrie et celui de la Première ministre, qui conclut en vous suivant sur un certain nombre de points : suspension de l'autorisation de la source Hépar, autorisation de microfiltration inférieure à 0,8 micron dans les Vosges et mise en place d'un plan de surveillance renforcé. En revanche, vous n'êtes pas suivie, sauf erreur de ma part, sur la question pourtant centrale, puisque conforme au respect de la réglementation, de la saisine de l'Efsa pour éclairer les questions de seuils de microfiltration.

Mme Isabelle Epaillard. - Si, c'est le point 5 de la CID : « Demande au Secrétariat général des affaires européennes de conduire une analyse de la situation de la microfiltration des pratiques existantes dans les autres pays afin le cas échéant d'envisager de solliciter la Commission pour une évolution de la réglementation. »

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai vu l'ombre d'un cocher tenant l'ombre d'une brosse nettoyant l'ombre d'un carrosse... On peut saisir l'Efsa. Donc il est dit que peut-être un jour la Commission européenne sera informée - elle le sera d'ailleurs très tardivement, à l'occasion des révélations.

Mme Isabelle Epaillard. - C'est une procédure habituelle : normalement, c'est le SGAE qui doit être saisi et qui saisit ensuite l'Efsa. En tout cas, je l'entends ainsi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'accord.

Mme Isabelle Epaillard. - C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai dû adresser un courriel quelques semaines plus tard pour savoir où en était la saisine, car j'y tenais particulièrement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci de ces précisions.

Le 23 février 2023, à 18 h 33, alors que la CID est terminée depuis 33 minutes, Jérôme Salomon vous écrit, ainsi qu'à Pierre Breton : « Sauf avis contraire de votre part d'ici au 15 mars prochain, je vous informe de mon intention de mettre en oeuvre les actions suivantes : un courrier de la DGS à la directrice générale de l'ARS Grand Est [...] pour lui faire part de la lecture de la situation et des mesures à mettre en place, notamment une microfiltration avec un seuil de coupure supérieur ou égal à 0,8 micron, un changement de qualification des eaux conditionnées dans le respect de la réglementation » - c'est-à-dire un déclassement des eaux minérales naturelles vers des eaux de boisson - « et un plan d'action renforcé sur la qualité microbiologique des eaux. » Il annonce également que « l'arrêté du 14 mars 2007 relatif aux critères de qualité des eaux conditionnées, aux traitements et mentions d'étiquetage particuliers des eaux minérales naturelles et de source conditionnées ainsi que de l'eau minérale naturelle distribuée en buvette publique sera modifié pour intégrer le seuil de 0,8 micron pour la microfiltration. Cette modification impliquera une notification préalable à la Commission européenne » - bref, la règle du jeu - « avant la publication du texte. Un courrier de la DGS sera ensuite adressé à l'ensemble des directeurs généraux d'ARS pour les informer de la démarche engagée précitée. »

Là, vous êtes vraiment en décalage complet par rapport au directeur général de la santé et à l'arbitrage de la CID. Cela signifie-t-il que vous n'aviez pas informé M. Salomon de ce qui avait été décidé ou qu'il a lui-même voulu exprimer la position de sa direction ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je ne me souviens plus si je l'ai informé directement. En revanche, je suis quasiment sûre que, dans nos échanges quasi quotidiens, la position et les éléments d'appréciation que nous avions pu ajouter et prendre en compte entre la note du 26 janvier et la réunion à Matignon du 16 février ont été connus de la DGS. Je pense qu'à ce moment-là Jérôme Salomon nous demande où nous en sommes pour avoir une position.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il ne vous demande pas où vous en êtes, il vous dit ce qu'il va faire. Ce n'est pas la même chose !

Mme Isabelle Epaillard. - Je pense qu'il est alors en attente d'une position du cabinet. De mémoire, je lui réponds que nous allons rapidement revenir vers lui pour la lui indiquer, parce que j'attends le « bleu » de CID.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela ne vous trouble-t-il pas d'avoir une position à ce point orthogonale à ce que préconise le directeur général de la santé ? Comment expliquez-vous que votre cabinet soit en opposition aussi frontale sur des éléments aussi essentiels que la microfiltration ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je voudrais revenir sur les éléments qui fondent notre raisonnement : ce sont les contrôles qui sont nécessaires et qui seront repris.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Jérôme Salomon le dit aussi, mais il rappelle aussi la loi, le cadre. Or, le cadre, c'est la saisine de la Commission pour obtenir une autorisation. Ce n'est pas « bleuir » la demande d'un industriel. Il rappelle un cadre clair sur la manière dont on obtient une autorisation pour une microfiltration à 0,2 micron. C'est cela que je ne comprends pas : pourquoi le cabinet passe outre cette recommandation qui me semble pourtant de bon sens, à savoir déclasser les eaux de ceux qui ne respectent pas la réglementation ?

Mme Isabelle Epaillard. - Jérôme Salomon est dans sa position de directeur d'un service de l'administration. Il rappelle les points de vigilance. Les points de vigilance qui excluent, encore une fois, tout risque sanitaire sont pris en compte dans notre position.

Je rappelle le contexte : la directive ne fixe pas de seuil, l'arrêté non plus...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... mais la réglementation précise comment obtenir l'autorisation pour de nouveaux traitements.

Mme Isabelle Epaillard. - Voilà pourquoi je demande la saisine de la Commission européenne et ensuite de l'Efsa, pour justement clarifier. À partir de ce moment-là, la position du cabinet santé évolue et nous posons des questions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur la place du politique dans ce dossier. Je peux comprendre qu'un arbitrage politique outrepasse la recommandation d'un service, cela peut arriver. Mais vous le faites sans l'aval de votre ministre, vous endossez seule la responsabilité d'aller contre le directeur général de la santé, qui vous recommande l'exact opposé de ce que vous êtes en train de faire. Ne vous dites-vous pas qu'il serait tout de même nécessaire de « monter d'un étage », si je puis m'exprimer ainsi, et d'avoir un arbitrage politique ? On a un sentiment d'autopilotage.

Mme Isabelle Epaillard. - Je m'appuie sur un ensemble d'éléments qui nous apportent des garanties, comme le montrent tous les documents, sur l'absence de risque sanitaire, sur les éléments qui sont exigés auprès de l'industriel. Nous sommes donc dans l'identification d'une non-conformité industrielle. Je m'inscris dans le cadre d'un travail interministériel qui sera placé sous l'autorité et la validation d'un arbitrage de Matignon. C'est ainsi que le dossier est suivi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai encore beaucoup de questions à vous poser.

À 18 h 40, vous répondez à Jérôme Salomon, qui vous a écrit pour mettre en oeuvre tout un plan d'action qu'il a concocté côté DGS et qui ne verra jamais le jour, car il est contraire à l'arbitrage politique rendu. Ce qui me surprend dans votre réponse à Jérôme Salomon - dont vous dites qu'il était au courant -, c'est que vous lui répondez : « Après les derniers échanges de la semaine dernière avec l'équipe DGS-EA, »... Qu'est-ce que EA déjà ?

Mme Isabelle Epaillard. - C'est le bureau dirigé par Joëlle Carmès.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je poursuis la citation : « nous avons partagé et transmis les dernières informations concernant ce dossier avec les cabinets industrie et Matignon. Nous devrions avoir un retour très rapidement [...] et je ne manquerai pas de vous l'adresser. » Trouvez-vous que ce courriel reflète la réalité ? Vous étiez au courant de la position interministérielle depuis le 16 février et la CID s'était achevée 40 minutes plus tôt. Pourquoi dites-vous à Jérôme Salomon que vous le tiendrez au courant sur son plan d'action la semaine prochaine, alors que vous avez déjà l'information ? Vous auriez pu lui dire : voilà ce qui a été « bleui » ? Pourquoi ne le faites-vous pas ?

Mme Isabelle Epaillard. - Parce que j'attends d'avoir le « bleu ». De mémoire, après chaque CID, on vous envoie un projet, qui doit être relu sous délai par les différents cabinets concernés, puis on attend le « bleu ». Je sais que c'est imminent, donc je lui réponds que je vais le lui transmettre. D'ailleurs, il me répond, de mémoire : « Ah super ! »

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En tout cas, il n'a pas l'air d'avoir connaissance de la position en train d'être débattue. Le 6 mars 2023, Jérôme Salomon vous écrit : « J'ai pris connaissance du “bleu” de la CID diffusé le 24 février dernier portant sur le plan d'action relatif à la qualité des eaux à l'émergence - sites des Vosges et de Vergèze. » Cela signifie-t-il qu'entre le 24 février et le 6 mars, vous n'avez pas informé la DGS des conclusions de la CID ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je n'ai pas en mémoire les courriels en question. Cela m'étonnerait quand même que cela n'ait pas été fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous aussi.

Mme Isabelle Epaillard. - Ce sera un élément à vérifier dans les échanges de courriels. À partir du moment où nous avons le « bleu » de CID, il n'y a pas de raison que nous ne le transmettions pas à la DGS : la ligne de conduite est alors connue et doit, en plus, se décliner avec un certain nombre d'actions que nous allons suivre très rapidement, car je vais avoir des échanges très réguliers, et pas seulement moi, mais également la DGS et mon conseiller, avec les deux ARS particulièrement concernées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous passons maintenant à la mise en oeuvre du plan de transformation dans le Gard et les Vosges. Le 7 avril 2023, Didier Jaffre, directeur général de l'ARS Occitanie, vous envoie un courriel évoquant sa rencontre avec Nestlé le 28 mars, à la suite du « bleu » de réunion interministérielle (RIM). Il indique notamment : « Pendant cette période transitoire de réalisation des travaux du plan de transformation, qui va durer entre douze et dix-huit mois, Nestlé Waters n'envisage en aucun cas de retirer les traitements par charbon actif et par UV. Dès lors, Nestlé Waters n'est pas en conformité avec la réglementation européenne et ne peut pas vendre une eau dite minérale naturelle, à l'exception des États-Unis. » Il évoque plusieurs scénarii, notamment la vente exclusive au marché américain, la modification des étiquettes ou la commercialisation de la marque Maison Perrier. Quelle suite avez-vous donnée à ce courriel ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je n'ai pas le souvenir exact du courriel. Je réponds qu'il faut demander le retrait des charbons et des UV. On maintient toujours la même position, je ne transige pas sur ce point. Il y a effectivement un point d'attention, une différence sur le site du Gard, puisqu'il y a une ligne dédiée à la consommation aux États-Unis, où les règles et les exigences, notamment sur les traitements UV, ne sont pas tout à fait les mêmes que les nôtres. Mais pour le reste, notre position c'est le retrait.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourriez-vous nous faire passer ce document, car nous ne l'avons pas ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je vérifierai ce que j'ai comme courriel.

M. Laurent Burgoa, président. - Avec la date de réponse, si vous pouvez la rechercher et nous la faire parvenir. Je vous laisse le temps...

Mme Isabelle Epaillard. - Je regarderai.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je constate que vous êtes sur la même position que Cédric Arcos, qui nous a déclaré sous serment, comme vous-même, que le « bleu » de RIM demandait l'arrêt immédiat des traitements interdits. Dès lors, pourquoi cette absence de réaction ? Pourquoi ne s'est-il rien passé pendant ces douze à dix-huit mois mentionnés par Didier Jaffre ? Comment l'expliquez-vous ? Finalement, la seule partie du compte rendu qui a été mise en oeuvre, c'est l'autorisation de la microfiltration à 0,2 micron. L'Efsa n'a pas été informée, les traitements n'ont pas été supprimés. La seule partie de ce « bleu » qui s'est appliquée, c'est le plan de transformation de Nestlé Waters.

Mme Isabelle Epaillard. - Nous avons quand même eu un renforcement des contrôles par les ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est vrai. Vous avez raison.

Mme Isabelle Epaillard. - Il s'agissait de garantir la sécurité sanitaire, qui est notre repère sur ce dossier. Il n'y a peut-être pas à l'ARS Occitanie la même antériorité qu'à l'ARS Grand Est : comme vous l'avez relevé, c'est moi qui demande à son directeur général - au début du mois d'octobre, de mémoire - d'aller voir ce qui se passe sur le site. D'ailleurs, cela fera l'objet d'un compte rendu de sa sous-directrice sur les derniers contrôles qui ont pu être réalisés chez Nestlé Waters sur le site du Gard, et ce alors que la directrice générale de l'ARS Grand Est travaillait sur une démarche antérieure, avec notamment une inspection de l'Igas en avril 2022. C'est peut-être un élément d'explication.

En tout cas, ma ligne a été d'assurer un suivi très régulier, pas forcément par moi - car ce n'est pas forcément au directeur de cabinet de suivre quotidiennement la mise en oeuvre des plans d'action -, mais via les conseillers ou la DGS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous que les traitements n'aient été retirés que douze mois et dix-huit mois plus tard, alors que le communiqué parlait d'un retrait immédiat ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je pense que les contrôles ont été mis en place tardivement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout à fait !

Mme Isabelle Epaillard. - Et il y avait sans doute également des raisons techniques. Sur ce point, je vous inviterais à interroger plutôt les représentants de l'industriel, ainsi que le directeur général de l'ARS Occitanie.

Comme je l'ai rappelé dans mon propos liminaire, le système implique des positions nationales. Je suis amenée à solliciter le bleu pour pouvoir décliner une ligne de conduite qui sera adressée aux autorités déconcentrées. En effet, les éléments en question relèvent de la responsabilité non pas du cabinet ou de la direction générale de santé, mais des ARS et des préfets, sur l'ensemble du territoire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Hier, les représentants de Nestlé Waters nous ont indiqué avoir attendu une autorisation de l'État avant de communiquer aux ARS les informations relatives aux traitements illégaux. En avez-vous eu connaissance ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je ne comprends pas très bien. Les ARS étaient au courant dès le mois d'octobre que Nestlé avait eu recours à des traitements de filtres au charbon, d'UV et de microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sans doute n'êtes-vous pas la bonne personne à qui poser cette question, mais je m'étonne que l'État central ait été au courant au mois d'août 2021 quand l'ARS Occitanie ne l'a été qu'en octobre 2022.

Mme Isabelle Epaillard. - En tout cas, pour ma part, j'ai sollicité des explications.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais avez-vous entendu dire que Nestlé Waters était en attente d'une autorisation de l'administration centrale pour pouvoir communiquer les informations concernées aux ARS ?

Mme Isabelle Epaillard. - Non.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourquoi y a-t-il eu un signalement de l'ARS au titre de l'article 40 du code de procédure pénale dans les Vosges, et pas dans le Gard ? Certes, je peux comprendre que chaque ARS garde son autonomie de décision et d'action. Mais je m'étonne que, sur deux dossiers similaires, il puisse y avoir deux positions distinctes.

Vous avez évoqué les relations entre le cabinet que vous dirigiez et Matignon. Avez-vous également des contacts avec l'Élysée ? Si oui, avec qui ?

Mme Isabelle Epaillard. - J'ai été avisée dès le mois de juillet 2022 que la directrice générale de l'ARS se posait la question d'un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Lorsque j'ai repris le dossier à la fin du mois de septembre ou au début du mois d'octobre, il m'a été indiqué que le signalement avait été effectué. En vérifiant, j'ai constaté que ce n'était pas le cas. J'ai donc interrogé la directrice générale de l'ARS.

On m'a dit que, dans le Gard, les acteurs concernés ne s'inscrivaient pas exactement dans la même temporalité pour ce qui est de la compréhension du dossier et de la manière de se l'approprier. Songeons également qu'il y a eu un changement de directeur général de l'ARS. Cela explique-t-il les éléments que vous avez mis en avant ? Comme je n'étais pas là auparavant, je l'ignore.

Par ailleurs, je n'ai jamais échangé avec l'Élysée.

M. Laurent Burgoa, président. - Dans ce dossier, il y a eu - nous en serons, me semble-t-il, tous d'accord - non pas contamination sanitaire, mais plutôt tromperie du consommateur, qui pensait boire de l'eau minérale naturelle. Il s'agit donc d'abord d'un problème de droit de la consommation, ce qui relève de la compétence du ministère de l'industrie. Quelle a été la teneur de vos échanges avec vos homologues de l'industrie ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je rejoins votre appréciation : il n'y a pas eu de contamination sanitaire. En revanche, il y a eu une non-conformité industrielle, ce qui suppose tout de même une analyse sanitaire.

Il y a besoin d'éléments de connaissance, d'où l'idée de la saisine de la Commission européenne ou de l'Efsa. Nous avions un avis de l'Afssa, puis de l'Anses. Il y a une nécessité de documenter, notamment, les conséquences d'une microfiltration. Cela relève plutôt du ministère de la santé. L'exercice est donc par nature - je l'ai indiqué tout à l'heure - interministériel.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous le voyons, vous êtes, et c'est tout à votre honneur, particulièrement impliquée sur ce dossier. Vous le savez, le rapport de notre commission d'enquête sénatoriale est très attendu. Auriez-vous des préconisations pour clarifier le dispositif, sécuriser nos concitoyens et améliorer la lisibilité de l'action publique en la matière ?

Mme Isabelle Epaillard. - Je crois qu'il faudrait d'abord renforcer les expertises et la capacité des ARS à y avoir recours. Notre organisation est déconcentrée : c'est somme toute logique ; cela permet de mener les contrôles au plus près sur le terrain. Mais les ARS n'ont pas forcément toujours les compétences nécessaires à leur disposition.

La directrice générale de l'ARS Grand Est a d'ailleurs indiqué qu'elle aurait besoin de compétences supplémentaires. Quelques mois plus tard, il a été demandé à l'Anses de venir l'appuyer. Mais l'Anses a déjà beaucoup d'avis à rendre et d'expertises à apporter.

Or l'enjeu est, me semble-t-il, important. Nous commençons à constater que, dans notre pays, l'eau se dégrade ou se raréfie. Il va falloir prendre des décisions. Cela va impliquer de renforcer la présence sur le terrain de personnes capables d'effectuer les analyses techniques nécessaires à cet égard.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame, nous vous remercions de cet échange fructueux, et nous vous souhaitons beaucoup de réussite dans vos nouvelles fonctions dans le sud de la France.

Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) -Audition
de MM. Vincent Filhol, ancien magistrat, avocat et Nicolas Jeanne,
professeur de droit pénal à l'université de Tours
(Jeudi 20 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons nos travaux en abordant aujourd'hui le nouvel outil qu'est la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP).

Pour en débattre, nous accueillons :

• M. Vincent Filhol, magistrat actuellement en disponibilité et exerçant auprès d'un cabinet d'avocats, enseignant en droit pénal des affaires, anciennement vice-procureur au Parquet national financier (PNF), rédacteur au bureau du droit économique et financier de la direction des affaires criminelles et des grâces, puis détaché en tant que chargé de mission auprès du directeur des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères. ;

• M. Nicolas Jeanne, agrégé de droit privé et de sciences criminelles, professeur de droit pénal et de procédure pénale à l'université de Tours, auparavant maître de conférences à l'Université de Cergy. Vos travaux de recherche approfondissent spécifiquement le rôle du ministère public dans la chaîne pénale, et les pouvoirs qui lui sont dévolus, au titre desquels figure la possibilité de conclure des transactions pénales.

Je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

MM. Nicolas Jeanne et Vincent Filhol prêtent serment.

Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur l'outil juridique qu'est la CJIP, créée par la loi du 9 décembre 2016, dite Loi Sapin 2. Cette procédure permet au procureur de la République de conclure une convention judiciaire d'intérêt public avec une personne morale mise en cause pour des faits d'atteinte à la probité. Cette mesure alternative aux poursuites est applicable aux entreprises, associations, collectivités territoriales mises en cause pour des faits de corruption, trafic d'influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe.

Elle a pour effet d'éteindre l'action publique si la personne morale mise en cause exécute les obligations auxquelles elle s'est engagée dans la convention.

Son champ a été étendu aux questions environnementales par la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.

Une telle convention judiciaire d'intérêt public a été conclue le 2 septembre 2024 entre le procureur d'Épinal et Nestlé Waters. Des infractions ont en effet été relevées dans les Vosges, constitutives de tromperie des consommateurs, mais aussi en matière de prélèvements illégaux dans les aquifères d'eau minérale.

Cette CJIP a été validée par ordonnance du président du tribunal judiciaire d'Épinal le 10 septembre 2024. Pour autant, elle a été vivement critiquée par plusieurs associations environnementales, qui ont notamment relevé la disproportion entre les profits tirés par Nestlé de ces infractions, évalués par le service national d'enquête de la DGCCRF, selon la presse, à 3 milliards d'euros, et le montant de l'amende et des réparations infligées à Nestlé, de seulement 3 millions d'euros.

Nous souhaitons donc mieux comprendre les atouts et limites de ces instruments juridiques. Ainsi, pourquoi conclure une CJIP ? Qui en a généralement l'initiative ? Peut-on la contester, et comment ? Comment s'assurer de la proportionnalité entre l'infraction et les obligations mises à la charge de la personne morale incriminée ? Avez-vous un regard sur le cas particulier de cette CJIP ?

M. Vincent Filhol, ancien magistrat, avocat. - Je suis magistrat judiciaire en disponibilité depuis juillet 2023, et j'exerce désormais en qualité d'avocat. Avant de rejoindre le barreau, j'ai également eu l'opportunité de travailler au Quai d'Orsay, après mon passage au PNF.

Je suis tenu au secret professionnel s'agissant des procédures pénales que j'ai pu connaître. J'ai suivi l'évolution des CJIP, y compris en matière environnementale. Je vous ai transmis plusieurs documents, dont une circulaire de politique pénale.

Au cours de cette audition, je pourrai citer certains éléments en lien avec la CJIP environnementale, en collaboration avec le professeur Jeanne. À cette fin, notre cabinet a établi un tableau de synthèse recensant ces procédures. Ce document pourra vous être communiqué afin d'apporter une vision globale de ces conventions publiques, dont la mise en perspective pourrait vous être utile.

J'aborderai d'abord la CJIP financière, avant de laisser mon collègue évoquer la CJIP environnementale. Ces deux dispositifs partagent de nombreux points communs, mais aussi des spécificités.

La CJIP a été instaurée en 2016. J'ai suivi sa mise en place depuis le PNF. Son émergence était déjà débattue avant la loi Sapin 2, qui a marqué une avancée majeure en matière de lutte contre la corruption, notamment après la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et du PNF en 2013-2014.

Bien que relativement récente, cette loi reste déterminante. Avec huit années d'existence pour la CJIP financière et quatre pour la CJIP environnementale, nous disposons désormais d'un certain recul. À titre de comparaison, la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) existe depuis 2004 et fait aujourd'hui partie intégrante du paysage judiciaire. Il aurait été difficile, à son origine, d'anticiper son expansion et son rôle central dans le traitement des affaires pénales.

Depuis son introduction en droit français en 2016, la CJIP a suscité des critiques rappelant celles qui avaient été formulées à l'encontre de la CRPC. Inspirée du droit américain, elle a été conçue, paradoxalement, pour limiter certaines formes d'extraterritorialité exercées par les États-Unis. Michel Sapin rappelle souvent que les autorités américaines reprochaient à la France de ne pas agir en matière de poursuites économiques et financières, affirmant : « you don't do the job, we do the job. » La mise en place de la CJIP visait ainsi à instaurer un mécanisme similaire à celui des accords négociés pratiqués outre-Atlantique.

Depuis son instauration, le PNF emploie cet outil pour répondre aux enjeux d'extraterritorialité et offrir aux entreprises françaises une alternative en matière de transactions financières.

Lorsque j'ai rejoint le Quai d'Orsay en 2019-2020, les discussions portaient sur l'élargissement du droit pénal aux atteintes environnementales. Il s'agissait d'enrichir l'arsenal juridique à disposition des magistrats français et internationaux, notamment en recourant à des mécanismes alternatifs au procès pénal. Une étude de l'OCDE publiée en 2020 sur la résolution des affaires de corruption transnationale par des accords hors procès soulignait d'ailleurs que la majorité de ces affaires étaient conclues par ce type d'accord. C'est dans cette perspective que la CJIP financière a été créée en 2016.

L'objectif était double : renforcer l'efficacité de la justice pénale et préserver l'attractivité du territoire français. Contrairement à la CRPC, qui entraîne, sauf exception, une inscription au casier judiciaire, la CJIP permet aux entreprises de mieux maîtriser leur risque pénal en évitant un procès. Elle implique des sanctions financières ainsi que des mesures de conformité, participant ainsi à l'émergence d'un cadre de compliance propre à la France. Par ailleurs, elle garantit aux entreprises le maintien de leur accès aux marchés publics, dans la mesure où elles ne plaident pas coupables, à la différence de la CRPC.

L'article 41-1-2 du Code de procédure pénale, qui précède le nouvel article relatif à la CJIP environnementale, précise que l'entreprise reconnaît l'existence de faits sans pour autant formuler une déclaration de culpabilité. Ce dispositif offre au parquet une réponse rapide et efficace, notamment en exploitant les enquêtes internes menées par les entreprises, qui constituent un apport essentiel en matière financière.

L'entreprise pourra ainsi mieux maîtriser son risque juridique tout en poursuivant son activité, sous réserve de s'acquitter d'une amende et, le cas échéant, de mettre en place un programme de conformité placé sous le contrôle de l'Agence française anticorruption (AFA), créée par la loi Sapin 2.

Contrairement à la CJIP financière, la CJIP environnementale n'a pas été accompagnée de la création d'une autorité équivalente dans le domaine environnemental.

L'article 41-1-2 du code de procédure pénale semble avoir trouvé un équilibre satisfaisant, comme en témoigne son maintien depuis la loi Sapin 2, sans remise en cause majeure. Depuis 2018, le champ d'application de la CJIP a été élargi à la fraude fiscale. Outre cet ancrage législatif, plusieurs circulaires de politique pénale en précisent l'usage, notamment celle d'application de la loi Sapin 2 de 2018 et la circulaire dite « Belloubet » de juin 2020. Celle-ci a renforcé le rôle du PNF dans la lutte contre la corruption internationale. Il existe en outre un ensemble de règles informelles relevant de la « soft law », visant à guider les magistrats dans l'application de la CJIP.

Dès 2019, avant même la version actualisée de 2023, le parquet a publié des lignes directrices précisant les conditions de mise en oeuvre de la CJIP, afin d'offrir aux entreprises et aux avocats une meilleure visibilité sur l'action publique en la matière. Ces lignes directrices de 2023, particulièrement détaillées, s'inscrivent dans une logique pédagogique et s'inspirent des pratiques du droit anglo-saxon, notamment des recommandations du Département de la Justice américain. Elles visent à clarifier les critères d'application de la CJIP. Cette approche pédagogique pourrait nourrir la réflexion sur d'éventuelles améliorations à apporter à la CJIP environnementale.

Une fois le principe de la CJIP admis, le PNF en précise les modalités de conclusion : identification des facteurs aggravants ou atténuants, application des coefficients multiplicateurs, détermination du montant de l'amende en fonction du plafond de 30 % du chiffre d'affaires et prise en compte des avantages tirés des infractions.

Je ne m'exprime pas ici uniquement en tant qu'ancien magistrat, mais également en tant que juriste et avocat, citoyen concerné par ces questions. Une interrogation essentielle réside dans le cadre précis dans lequel le PNF propose une CJIP. Cette réflexion va même au-delà, puisque le PNF encourage l'autorévélation des infractions.

Par ailleurs, une fois la CJIP signée, l'entreprise demeure soumise à un contrôle strict, notamment par le biais d'un suivi - ou monitoring - des engagements qu'elle a pris. Celui-ci constitue un enjeu fondamental, dans la mesure où le non-respect des obligations convenues peut entraîner la reprise des poursuites par le Parquet, la prescription étant suspendue pendant toute la durée d'exécution des engagements.

Il convient également de rappeler que la CJIP ne s'applique qu'aux personnes morales. Cette exclusion des personnes physiques suscite régulièrement des débats, d'autant que le PNF et les circulaires de politique pénale rappellent que les dirigeants ou collaborateurs impliqués restent pénalement responsables. Leur mise en cause repose notamment sur les résultats des enquêtes internes. Le Parquet conserve toute latitude pour engager des poursuites à leur encontre. Ainsi, la conclusion d'une CJIP par une entreprise ne signifie nullement que les personnes physiques concernées échapperont à toute procédure judiciaire.

Enfin, les lignes directrices du PNF ont progressivement influencé d'autres parquets. Ils ont adopté une terminologie similaire, notamment en intégrant les notions de facteurs aggravants et atténuants dans leurs propres CJIP. Cette harmonisation contribue à une meilleure lisibilité des décisions et permet aux citoyens et praticiens de comprendre les critères ayant conduit à la fixation du montant de l'amende ou à l'imposition d'un programme de conformité.

Cette dimension pédagogique, qui caractérise les CJIP financières, mérite d'être soulignée dans le cadre de vos travaux sur la CJIP environnementale.

M. Nicolas Jeanne, professeur de droit pénal à l'université de Tours. - Mon intervention, en complément de celle de Monsieur Filhol, portera sur la problématique de la convention judiciaire d'intérêt public appliquée au domaine environnemental, la CJIPE. Dans ce cadre, je me dois de mettre en évidence un paradoxe. D'une part, les circulaires émanant de la Direction des affaires criminelles et des grâces, ainsi que la pratique des parquets, témoignent d'une attraction croissante pour cet outil. D'autre part, ce mécanisme conduit à un important mouvement de distraction du contentieux environnemental, écartant ainsi, dans une certaine mesure, la compétence des juridictions pénales.

Pour comprendre cette forme d'attraction, gardons à l'esprit que le contentieux pénal environnemental représente moins de 1 % de l'activité des juridictions pénales. De surcroît, le taux de réponse pénale aux infractions environnementales (47 %) est significativement inférieur à celui observé pour les délits de droit commun (64 %). Par ailleurs, lorsqu'une réponse pénale est apportée, elle consiste, dans 75 % des cas, en une mesure alternative aux poursuites. Le législateur a ainsi estimé que les outils dont disposaient les procureurs de la République n'étaient pas pleinement adaptés à la répression de la délinquance environnementale.

Celle-ci est souvent perçue comme particulièrement technique, en raison de la complexité des normes applicables. De plus, les dispositifs existants sont apparus insuffisants au regard d'un impératif essentiel en matière environnementale : la remise en état des sites dégradés et la réparation du préjudice écologique.

En effet, les mesures à la disposition du procureur en droit pénal classique se sont révélées inadaptées pour répondre efficacement à ces enjeux. Je peux ici citer les mesures dites d'« aide à la décision » prévues par l'article 41-1 du Code de procédure pénale, notamment le classement sous condition. Celui-ci, auparavant synonyme d'un simple rappel à la loi, prend désormais la forme d'un avertissement pénal probatoire. Il permet au procureur de proposer à l'auteur des faits un classement sans suite à condition que ce dernier régularise sa situation.

À côté de ces mécanismes, une véritable alternative aux poursuites a été introduite : la composition pénale, étendue aux personnes morales par la loi du 23 mars 2019. Destinée aux infractions délictuelles passibles de moins de cinq ans d'emprisonnement, elle permet au procureur de la République de proposer une amende d'un montant équivalent à celui encouru pour l'infraction concernée. Pour les personnes morales, le montant de l'amende dans le cadre de la composition pénale équivaut au quintuple de celui encouru pour une personne physique.

Il convient de noter que l'exécution de cette mesure entraîne l'extinction de l'action publique. Toutefois, la composition pénale présente un inconvénient du point de vue du procureur de la République, puisqu'elle doit être validée par un juge du siège. De plus, elle est inscrite au casier judiciaire.

S'agissant du droit commun de la procédure pénale, le procureur dispose également de la CRPC, un dispositif désormais applicable à l'ensemble des délits, à quelques exceptions près. Elle permet de proposer une peine pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement. Comme pour la composition pénale, elle doit être homologuée par un juge du siège et produit les effets d'une condamnation pénale.

En matière environnementale, le Code de l'environnement consacre une transaction pénale, qui s'applique uniquement aux contraventions et aux délits punis de moins de deux ans d'emprisonnement. Contrairement aux autres mesures évoquées, ce n'est pas le procureur qui fixe le montant de l'amende, mais l'autorité administrative. Le procureur intervient uniquement pour homologuer la mesure. L'amende ainsi proposée ne peut excéder un tiers du montant maximal encouru pour l'infraction concernée. Par ailleurs, le procureur peut assortir cette transaction d'une obligation de remise en état du site concerné. Si l'ensemble des engagements pris dans le cadre de la transaction sont respectés, l'action publique est éteinte et aucune mention n'apparaît au casier judiciaire.

Toutefois, ces dispositifs ont été jugés insuffisants par le législateur, qui s'est inspiré de la CJIP financière pour renforcer la réponse pénale aux infractions environnementales. Cette évolution résulte des recommandations formulées dans le rapport de l'Inspection générale des services judiciaires intitulé « Une justice pour l'environnement ». La loi du 24 décembre 2020 a ainsi introduit la CJIP environnementale dans notre droit.

Cette convention environnementale présente plusieurs spécificités par rapport à son équivalent en matière financière. Elle est exclusivement applicable aux infractions délictuelles prévues par le Code de l'environnement, avec une possible extension aux infractions connexes. Toutefois, cette connexité ne s'applique pas aux crimes ni aux délits contre les personnes, régis par le Livre II du Code pénal.

Les mesures pouvant être proposées dans le cadre d'une CJIP environnementale sont, en grande partie, similaires à celles de la CJIP financière. Cependant, elle présente quelques particularités : en plus de l'amende d'intérêt public et de la confiscation des biens saisis, le procureur peut proposer la régularisation de la situation au regard de la loi ou des règlements dans le cadre d'un programme de mise en conformité. Surtout, la CJIPE impose à l'entreprise une obligation de réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises, dans un délai maximal de trois ans.

Enfin, l'ordonnance de validation de la CJIP environnementale doit être publiée sur les sites des ministères de la Justice, de l'Économie et de l'Environnement.

D'après les travaux préparatoires, l'introduction de la CJIP environnementale présente plusieurs avantages :

• une accélération du traitement des infractions environnementales, favorisant ainsi la réparation rapide du préjudice ;

• un contrôle renforcé des entreprises à travers des programmes de mise en conformité ;

• la possibilité d'infliger des amendes dissuasives ;

• une responsabilisation accrue des entreprises.

Surtout, l'un des principaux attraits de cette mesure réside dans la nature même de la sanction qu'elle implique. En effet, l'ordonnance de validation de la CJIP environnementale ne constitue ni une déclaration de culpabilité ni un jugement de condamnation. Elle permet ainsi de sanctionner et de réparer l'atteinte environnementale sans pour autant affliger la personne morale ou l'exposer aux conséquences d'une condamnation pénale classique. Celle-ci pourrait en effet nuire à l'entreprise elle-même, mais également à ses salariés, en compromettant sa viabilité économique.

Toutefois, cette approche a suscité de nombreuses critiques. Certains y voient une forme de « droit à polluer », tandis que d'autres dénoncent une possibilité d'« acheter son irresponsabilité pénale ». D'autres encore pointent le risque d'une externalisation du contentieux environnemental à des compliance officers ou une rupture d'égalité entre les citoyens devant la loi pénale.

En somme, la CJIP ne rendrait pas véritablement la justice, mais offrirait plutôt un service aux entreprises, en leur permettant de maintenir leur activité, et à l'État, qui y trouve un intérêt financier. À titre d'exemple, la CJIP financière a rapporté environ 5,5 milliards d'euros aux finances publiques depuis son introduction.

L'intérêt pour la CJIP environnementale s'explique également par la possibilité d'imposer des sanctions financières significatives. Contrairement aux amendes prévues par le Code de l'environnement, le montant de l'amende dans le cadre d'une CJIP environnementale peut atteindre jusqu'à 30 % du chiffre d'affaires annuel moyen de l'entreprise concernée.

Depuis son entrée en vigueur en 2021, la CJIP environnementale a suscité certaines interrogations pratiques. Contrairement à la CJIP financière, son cadre juridique repose uniquement sur deux circulaires fournissant quelques orientations aux procureurs, sans réelle ligne directrice établie par une instance dédiée. L'absence d'un parquet spécialisé dans la répression des infractions environnementales pourrait expliquer ce manque d'encadrement structuré.

Pour l'heure, 34 CJIPE ont été publiées sur le site du ministère de la Justice, et 35 ont été validées : 1 en 2021, 2 en 2022, 10 en 2023 et 12 en 2024. En 2025, aucune CJIP environnementale n'a encore été validée à ce jour.

Par ailleurs, bien que le montant des amendes prononcées dans le cadre de ces conventions reste encore relativement modeste, une tendance à la hausse se dessine. Les sanctions financières varient de quelques centaines d'euros à un maximum de 2 millions d'euros, cette dernière ayant été infligée à Nestlé Waters.

La majorité des CJIP environnementales validées trouvent leur origine dans des signalements effectués par des riverains, des agents municipaux, des associations locales, ou encore dans le cadre de missions de contrôle et d'inspection. Cependant, toutes ces procédures ont reposé sur des enquêtes approfondies. À ce jour, aucune CJIP environnementale n'a été initiée à la suite d'une révélation spontanée de la part des personnes morales concernées.

Contrairement à la CJIP financière, qui relève principalement du PNF, les CJIP environnementales sont majoritairement mises en oeuvre par les parquets locaux en province. Toutefois, cette décentralisation s'accompagne d'une certaine concentration au sein de quelques juridictions. Par exemple, les parquets du Puy-en-Velay et de Besançon, après avoir expérimenté ce dispositif, y ont eu recours à plusieurs reprises.

Les opérateurs économiques mis en cause sont, pour la plupart, des entreprises de taille moyenne ou petite. Parmi les exceptions figurent TUI Cruises, Veolia, Nestlé et SNCF Réseau. En dehors de ces cas, le recours à la CJIP environnementale concerne principalement des acteurs de moindre taille. Contrairement à la CJIP financière, on n'observe pas encore d'internationalisation de ce mécanisme en matière environnementale, comme cela avait été le cas avec les affaires impliquant Société Générale ou Airbus.

S'agissant du contenu des CJIP validées, on constate que la connexité entre infractions reste marginale, à l'exception notable de la CJIP conclue avec Nestlé Waters. Dans deux tiers des cas, aucune obligation de réparation en nature du préjudice environnemental n'a été imposée. Aucune mesure de mise en conformité interne, notamment en matière de gouvernance au sein des entreprises concernées, n'a été proposée jusqu'à présent.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci d'avoir respecté votre temps de parole. Je laisse la parole à notre rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour ce premier cadrage. Mes questions porteront plus sur le cas de Nestlé Waters. Quelles sont vos hypothèses sur les éléments ayant conduit le procureur à recourir à une telle procédure au regard des infractions qui étaient susceptibles d'être caractérisées ? Sont-elles particulièrement difficiles à prouver ?

Monsieur Jeanne, vous indiquiez que l'affaire Nestlé Waters constituait une exception en matière de connexité des infractions. Celle-ci pose-t-elle un problème juridique ? Soulève-t-elle des interrogations quant à l'opportunité de ce recours ?

M. Nicolas Jeanne. - L'analyse des circulaires de la Direction des affaires criminelles et des grâces du 11 mai 2021 et du 9 octobre 2023 permet d'observer une évolution dans l'approche adoptée. En effet, la première indiquait que la CJIP devait être privilégiée pour des infractions environnementales graves. En revanche, en 2023, ce seuil a été abaissé, admettant ainsi le recours à la CJIP pour des infractions de moindre gravité. Cette évolution semble refléter la volonté de la Chancellerie d'élargir le champ d'application de cette procédure.

Par ailleurs, les alternatives aux poursuites disponibles ne semblaient pas offrir une réponse suffisamment ferme dans ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous préciser votre propos ?

M. Nicolas Jeanne. - Parmi les options dont disposait le procureur, la transaction pénale prévue par le Code de l'environnement ne permet de prononcer qu'une amende équivalente au tiers du montant encouru. En comparaison, le caractère comminatoire de la CJIP assure non seulement le paiement d'une amende, mais également la mise en conformité et la remise en état des sites concernés.

Par ailleurs, la connexité des infractions me semble poser un problème dans l'application des CJIP. Si elle peut être discutée dans le cas de Nestlé, elle doit être replacée dans un contexte plus large, notamment au regard de la pratique observée dans d'autres affaires.

Lorsqu'une personne morale accepte de recourir à une CJIP, elle ne cherche pas seulement à régulariser une infraction isolée, mais plutôt à obtenir un règlement global d'une situation infractionnelle. Ainsi, lorsqu'un ensemble de faits est soumis à l'appréciation des procureurs, ceux-ci ont tendance à proposer à l'entreprise une sorte de quitus général pour l'ensemble des infractions commises sur une période donnée, indépendamment de leur qualification juridique précise.

Cependant, l'usage de cette notion de connexité dépasse le seul cadre de l'affaire Nestlé. On l'a également retrouvée dans d'autres CJIP de grande ampleur, comme la CJIP LVMH. Cette pratique a suscité des débats et des contestations au sein de la doctrine pénaliste, certains y voyant une manière d'étendre excessivement le champ d'application de la CJIP.

Enfin, on note que dans certaines affaires, la connexité a pu être invoquée pour élargir le périmètre de la CJIP.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que certaines infractions n'étaient pas censées entrer dans le périmètre de la CJIP, mais que le procureur, par ses choix et son action, les intègre tout de même à la procédure.

M. Nicolas Jeanne. - Exactement. En principe, la CJIP environnementale concerne les infractions relevant du droit de l'environnement. Toutefois, il est possible d'y intégrer d'autres infractions relevant d'autres législations ou codes, à condition qu'elles présentent un lien de connexité. Cela permet de traiter globalement une situation infractionnelle, un point clé en termes d'acceptabilité pour la personne morale concernée.

Le problème réside dans la définition même de la connexité. L'article 203 du Code de procédure pénale en identifie quatre cas, mais la jurisprudence a admis que d'autres formes pouvaient émerger avec la pratique. En d'autres termes, la connexité se voit conférer une certaine souplesse, mais aussi un potentiel flou juridique.

Dans ce cadre, faudrait-il envisager une éventuelle réforme législative ? L'intégration de certaines infractions à une CJIP peut créer une suspicion quant à l'usage de cette procédure. Peut-être devrions-nous limiter cette extension et privilégier le principe d'indivisibilité plutôt que celui de connexité. L'indivisibilité est un mécanisme plus strict, qui impose que les infractions soient intrinsèquement liées, l'une ne pouvant exister sans l'autre.

Dans l'affaire Nestlé, on peut légitimement se demander si la connexité invoquée est réellement justifiée.

M. Vincent Filhol. - La notion de connexité est largement utilisée, notamment en matière financière. Dans mes anciennes fonctions au PNF, j'ai eu à y recourir à plusieurs reprises. Elle est encadrée par la loi et la jurisprudence.

Dans les CJIP financières, la connexité a permis au PNF d'élargir certaines affaires à d'autres faits connexes. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le champ d'application de la CJIP financière est relativement restreint. À l'origine, elle concernait uniquement des infractions telles que le blanchiment de fraude fiscale, la corruption et le trafic d'influence. Par la suite, elle a été étendue à la fraude fiscale.

Prenons un exemple concret : le PNF ne peut pas, en principe, conclure une CJIP autonome pour du recel de favoritisme. En revanche, il lui est déjà arrivé d'associer une telle infraction à des faits de corruption, en s'appuyant non pas sur la connexité, mais sur une autre logique juridique.

Il est intéressant de noter que le droit de l'environnement est encore plus morcelé que le droit financier. Les infractions environnementales sont disséminées dans plusieurs codes juridiques. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles, en 2020, le législateur a choisi d'appliquer à la CJIP environnementale un principe similaire à celui de la CJIP financière. Il l'a fait avec encore plus de pragmatisme, car contrairement aux infractions financières qui figurent principalement dans le Code pénal, les infractions environnementales dépassent largement le cadre du Code de l'environnement. Il était donc nécessaire de permettre la prise en compte de la connexité.

Ce point est d'ailleurs contrôlé par le juge. Dans la CJIP Nestlé Waters, par exemple, la notion de connexité est explicitement mentionnée dans l'accord conclu entre le procureur et la personne morale. L'ordonnance de validation du juge rappelle également les liens étroits entre les infractions prévues par le Code de l'environnement et celles relevant de la tromperie. Cette approche, certes critiquable, repose sur la justification de la bonne administration de la justice.

Je me dois de souligner que ces décisions s'inscrivent dans une politique pénale plus large. En 2023, le périmètre des infractions pouvant donner lieu à une CJIP a été élargi, avec une injonction forte d'y recourir davantage. Ce changement s'observe notamment dans la terminologie employée entre 2021 et 2023 dans les circulaires du Garde des Sceaux. Là où l'on parlait en 2021 de privilégier la CJIP pour les infractions graves, la circulaire de 2023 adopte une approche plus souple, encourageant son utilisation même pour des infractions moins graves.

Enfin, le procureur détaille les raisons du recours à cette procédure. Au paragraphe 4, page 11, on trouve des précisions sur le mode de calcul de l'amende. L'enjeu dépasse largement ce seul élément. En effet, les faits retenus incluent des manquements qui, pour certains, sont prescrits. On a pris en compte les dernières années, mais une partie des infractions ne peut plus être poursuivie en raison de la prescription.

Par ailleurs, les irrégularités avaient déjà cessé dès 2020, grâce à des mesures de conformité mises en place par l'entreprise en lien avec les autorités administratives. La CJIP souligne aussi la coopération de la société avec les autorités. Le procureur considère ainsi que l'entreprise a pleinement collaboré avec les instances judiciaires et administratives.

Autre point notable : il est précisé qu'aucun risque sanitaire pour la population n'a été identifié en lien avec ces faits. Le lien de causalité entre les manquements au Code de l'environnement et une atteinte effective à l'environnement n'est pas établi avec certitude. Malgré cette incertitude sur les conséquences environnementales, et en l'absence d'impact sur la santé publique, la CJIP a été retenue comme une réponse appropriée.

L'ordonnance de validation du juge reprend ces éléments, en insistant sur l'absence de réitération des faits et sur la coopération volontaire de l'entreprise. Ces critères sont prévus par les circulaires de 2021 et 2023 et sont très proches de ceux appliqués aux CJIP en matière financière.

En ce qui concerne la justification du recours à la CJIP dans ce dossier, les motifs sont explicités dans la convention elle-même et s'alignent sur les principes définis dans ces circulaires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans cette affaire, on constate la présence d'infractions au droit de la consommation. La fraude a été estimée à environ 3 milliards d'euros par le Service national des enquêtes, rattaché à la DGCCRF. Pourtant, l'amende infligée à la société dans le cadre de la CJIP s'élève à seulement 2 millions d'euros.

J'aimerais recueillir votre avis sur l'échelle des sanctions appliquées dans cette affaire. Vous semble-t-elle conforme aux pratiques habituelles ?

Par ailleurs, le droit de la consommation se prête particulièrement aux recours. Dans quelle mesure la CJIP protège-t-elle totalement la société contre d'éventuelles actions intentées par une association de consommateurs ou des consommateurs individuels sur ces faits ?

M. Nicolas Jeanne. - Lorsqu'on compare la CJIP environnementale à la CJIP financière, on est d'abord frappé par la faiblesse relative des montants : 2 millions d'euros contre plusieurs milliards pour la CJIP Airbus, par exemple. Cependant, il convient de noter que la CJIP Nestlé Waters est celle qui a donné lieu à l'amende d'intérêt public la plus élevée dans le domaine environnemental.

À mes yeux, le mode de calcul mérite de faire l'objet d'une discussion. Contrairement aux CJIP financières, les parquets spécialisés en matière environnementale ne disposent pas de lignes directrices aussi précises que celles du PNF. Ce dernier applique un modèle rigoureux, intégrant des facteurs majorants et minorants, dans une équation qui assure une certaine lisibilité. En matière environnementale, même si des circulaires existent pour orienter les décisions, l'approche reste plus floue.

En lisant la CJIP, on peut être surpris par l'absence de référence à l'autre mode de calcul possible, en cas de jugement. L'amende encourue aurait pu être déterminée soit par le quintuple de l'amende prévue par le texte (soit 1,5 million d'euros dans ce cas), soit par 10 % du chiffre d'affaires annuel. Or, le procureur d'Épinal ne mentionne pas cette seconde option. Ce manque de clarté peut donner l'impression d'une atténuation des sanctions, alors qu'il s'agit sans doute simplement d'un défaut de cadrage précis dans la méthodologie actuelle.

Enfin, je rappelle que la CJIP n'éteint l'action publique qu'à condition que les obligations imposées soient effectivement exécutées. À ce stade, celles-ci ne l'ont pas encore été, ce qui signifie qu'en théorie, des poursuites devant la juridiction correctionnelle restent possibles. Par ailleurs, même si cela s'avérait difficile devant le juge pénal, les consommateurs conservent la possibilité d'engager une action devant le juge civil pour obtenir réparation du préjudice. La loi Hamon prévoit également un mécanisme d'action de groupe, qui pourrait être mobilisé dans ce cadre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends que ce mécanisme peut être mobilisé tant que la CJIP n'est pas totalement exécutée.

M. Nicolas Jeanne. - Il faut distinguer les intérêts au pénal et les intérêts au civil. Sur le plan pénal, l'extinction de l'action publique ne peut intervenir que si les obligations prévues par la CJIP ont été entièrement exécutées.

Sur le plan civil, en revanche, la CJIP n'empêche en aucun cas une victime de saisir le juge pour réclamer une indemnisation.

M. Vincent Filhol. - L'article 41-1-3 encadrant la CJIPE renvoie aux dispositions générales de l'article 41-1-2, qui régit la CJIP financière. Ce texte précise que l'exécution des obligations prévues par la convention entraîne l'extinction de l'action publique. Toutefois, il rappelle également que cela ne fait pas obstacle au droit des victimes - à l'exception de l'État - de poursuivre la réparation de leur préjudice devant la juridiction civile.

Si cette procédure peut être contestée ou critiquée, il est important de souligner qu'elle n'empêche pas les victimes, qu'il s'agisse de consommateurs individuels ou d'associations, d'engager d'autres actions en réparation. D'ailleurs, dans l'affaire Nestlé Waters, une association n'a pas accepté de faire valoir son préjudice dans le cadre de la CJIP et a préféré agir sur d'autres fondements juridiques. À l'inverse, d'autres associations ont participé à la procédure tout en exprimant des réserves sur ses modalités.

Concernant la question du montant de l'amende, le texte prévoit une fixation proportionnée, en tenant compte des avantages tirés des manquements constatés. Or, la notion même de proportionnalité reste subjective, chacun pouvant l'interpréter différemment.

En matière financière, des lignes directrices précises permettent d'encadrer ce calcul avec des critères clairs, ce qui n'est pas encore le cas pour les CJIP environnementales. Cette absence de cadre normatif peut donner une impression de flou. Par ailleurs, bien que le texte mentionne un plafond de 30 % du chiffre d'affaires pour l'amende, il n'indique ni le chiffre d'affaires exact de la société concernée ni les détails du calcul effectué.

Dans cette affaire, l'amende de 2 millions d'euros, bien que plus élevée que celles des autres CJIP environnementales, peut paraître modeste au regard du poids économique du groupe concerné. Cette perception renforce la nécessité d'une meilleure pédagogie autour du dispositif.

Au-delà de ce dossier particulier, une réflexion plus large s'impose sur la manière d'améliorer la transparence des CJIP environnementales. L'expérience des CJIP financières montre que leur acceptation a progressé grâce à une meilleure explicitation des critères et à la mise en place de lignes directrices claires par le PNF. Un dispositif similaire pourrait être envisagé pour les CJIP environnementales, afin de renforcer leur lisibilité et leur légitimité.

Enfin, pour inscrire durablement ce mécanisme dans la politique pénale environnementale, il pourrait être pertinent d'inciter les parquets à détailler plus systématiquement le mode de calcul des amendes, à l'image du PNF. Être transparent, c'est aussi permettre la critique et le contrôle, conditions essentielles pour assurer la crédibilité et l'acceptabilité de ces mesures.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'interroge sur le processus décisionnel dans le cadre d'une CJIP, et plus précisément sur la manière dont les différentes parties interagissent avec le parquet. Comment cette négociation se déroule-t-elle concrètement ? Des échanges formels sont-ils menés avec les associations, la société concernée et d'autres acteurs impliqués ?

M. Vincent Filhol. - Le processus de négociation d'une CJIP environnementale s'apparente largement à celui d'une CJIP financière. À cet égard, les lignes directrices de 2023 apportent des précisions détaillées quant aux modalités d'interaction entre une entreprise et le parquet.

Dans ce cadre, la notion de « foi du palais » joue un rôle essentiel. Cette pratique permet aux avocats d'échanger avec les magistrats en dehors de la procédure formelle, favorisant ainsi un dialogue constructif. Si cette phase informelle n'est pas consignée dans le dossier, elle constitue néanmoins un élément central du processus, en particulier pour les CJIP. Celles-ci ne surgissent pas ex nihilo ; mais résultent d'une négociation préalable entre la personne morale et le parquet.

L'initiation d'une telle négociation peut prendre diverses formes. Dans certains cas, l'entreprise prend elle-même l'initiative de contacter les autorités et d'engager un dialogue, souvent en vue d'une mise en conformité et dans une démarche de coopération. Plus rarement, elle peut procéder à une auto-divulgation des faits avant même l'ouverture d'une enquête judiciaire - une pratique encouragée par le PNF, dans une logique de gestion du risque. Une telle démarche peut en effet permettre d'obtenir plus aisément une CJIP assortie de conditions plus favorables.

Toutefois, l'entreprise découvre dans la majeure partie des cas l'existence d'une enquête en raison d'une réquisition, d'une perquisition, d'une audition ou encore d'un article de presse. Elle peut alors décider d'engager des discussions avec le procureur. Le moment où la négociation devient officielle et où les éléments communiqués peuvent être versés au dossier suscite des débats entre le PNF et les avocats, car il implique un arbitrage entre transparence et protection des droits de la défense.

Le succès du PNF dans l'appropriation de la CJIP illustre la pertinence de ce dispositif. En sept ans, une vingtaine de CJIP financières ont été conclues. Malgré leur nombre limité, elles portaient sur des affaires significatives. Cette réussite tient à la relation de confiance établie entre les entreprises, leurs conseils et le parquet. De fait, la négociation d'une CJIP implique de nombreuses réunions et un dialogue approfondi, souvent dans un cadre moins solennel que celui d'une audience. Ce mode de discussion constitue une évolution notable de la culture judiciaire française, marquant une transition vers une justice négociée qui, en matière financière, s'est révélée particulièrement efficace.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Jeanne, vous avez mentionné la notion d'indivisibilité comme un premier levier pour lutter contre la connexité artificielle. Auriez-vous d'autres recommandations à formuler ?

La CJIP a joué un rôle majeur dans l'affaire Nestlé Waters, suscitant de nombreux débats. À ce titre, avez-vous des suggestions à nous apporter ?

M. Nicolas Jeanne. - Je recommanderais de substituer à la notion de connexité celle d'indivisibilité. L'élargissement du champ des infractions pouvant être traitées dans le cadre d'une CJIP devrait reposer sur un concept impliquant l'interdépendance des infractions commises, c'est-à-dire que l'une n'aurait pu être réalisée sans l'autre. Ce critère ne me semble pas pleinement satisfait par la connexité.

Un autre point méritant une amélioration concerne l'absence de mesures de mise en conformité interne imposées aux entreprises dans le cadre d'une CJIPE. Aucun dispositif de ce type n'a été prévu. Cette lacune semble résulter d'une difficulté liée au renvoi textuel : l'article 41-1-3 du Code de procédure pénale, qui encadre la CJIP environnementale, renvoie à l'article 41-1-2 relatif à la CJIP financière. Ce dernier prévoit une peine complémentaire de mise en conformité, qui permet au procureur d'imposer certaines obligations à l'entreprise. Or, aucun renvoi n'est prévu dans le cadre de la CJIP environnementale. Il serait donc opportun d'étendre l'article 41-1-3 afin d'y inclure les mesures prévues par l'article 132-39 du Code pénal.

Par ailleurs, l'intérêt majeur d'une CJIP pour les entreprises relève dans le fait qu'elle leur évite l'exclusion des marchés publics. Or, dans le cadre des CJIP environnementales, une condamnation pour une infraction environnementale ne constitue pas un motif d'exclusion des marchés publics. Introduire une telle disposition constituerait un levier supplémentaire vis-à-vis des entreprises, en agissant directement sur leurs sources de revenus.

Enfin, il est essentiel de renforcer la motivation des décisions. La CJIP ne pourra être pleinement acceptée par l'opinion publique tant qu'elle ne bénéficiera pas d'une justification plus approfondie. Trop souvent, les magistrats validant ces conventions se contentent de reprendre les termes de la proposition initiale, sans réelle motivation substantielle. Une amélioration en ce sens me semble indispensable.

M. Vincent Filhol. - Le rapport du procureur général de 2022 formulait déjà de nombreuses recommandations en matière de CJIP environnementale, cette mesure étant considérée, deux ans après son entrée en vigueur, comme un dispositif efficace.

Le procureur général et les membres du groupe de travail proposaient notamment un renforcement de la formation des magistrats. Le droit de l'environnement est un domaine complexe, fragmenté, parfois mal rédigé, empruntant également au droit public et recelant une grande technicité.

Au-delà de cet enjeu de formation, il conviendrait d'améliorer la lisibilité des CJIP, éventuellement par voie de circulaire, afin d'harmoniser les pratiques. Contrairement au PNF, dont la compétence est bien établie, aucun parquet n'a aujourd'hui une autorité comparable en matière environnementale. Une évolution en ce sens pourrait être envisagée, à travers une extension de compétences ou la création d'un parquet national de l'environnement. En attendant, il serait pertinent d'adopter des lignes directrices sous forme de circulaires pour encourager les procureurs à clarifier les méthodes de calcul de l'intérêt public et à les expliciter au sein des CJIP. Il en va de même pour l'évaluation du préjudice écologique. L'idée d'une nomenclature, à l'image de celle utilisée pour le préjudice corporel, mérite d'être approfondie afin de garantir une certaine objectivité.

Un autre axe d'amélioration réside dans le suivi des programmes de conformité. Le rapport préconisait d'ailleurs la création d'une agence dédiée. Bien que la tendance actuelle ne soit pas à la multiplication des autorités indépendantes, il semble néanmoins pertinent de réfléchir à l'acteur qui pourrait piloter une véritable politique de conformité environnementale.

M. Laurent Burgoa, président. - L'office français de la biodiversité pourrait adopter ce rôle.

M. Vincent Filhol. - Bien que cet organisme joue un rôle clé, il ne peut être comparé à une autorité de régulation d'envergure, ce qui soulève la question d'un éventuel ajustement de son périmètre d'intervention.

Il conviendrait d'examiner d'éventuelles extensions de compétences du PNF et des instances européennes, en raison des liens existants avec la criminalité financière. Par ailleurs, la pratique de la CJIP, en particulier par le PNF, mérite d'être approfondie. Enfin, le droit des victimes demeure une question centrale. Il s'agirait de réfléchir aux moyens d'améliorer et de renforcer leurs droits, notamment en informant plus efficacement les associations sur le dispositif et en les impliquant davantage dans la CJIP, ce qui pourrait être précisé par voie de circulaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci beaucoup pour cette audition, qui voit émerger quelques propositions d'évolutions législatives. N'hésitez pas à compléter vos propos par écrit. Ces compléments seront bienvenus.

Audition de M. Nicolas Bouvier, consultant en relations publiques
au cabinet Brunswick, représentant d'intérêts du groupe Nestlé
(Mardi 25 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - En préambule, j'indique que M. le rapporteur, Mme Mireille Jouve et moi-même avons visité vendredi dernier en Haute-Savoie les sites de Danone à Évian et d'Alma à Thonon. Cela a été très instructif.

Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Nicolas Bouvier, consultant en relations publiques au cabinet Brunswick, représentant d'intérêts du groupe Nestlé.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Nicolas Bouvier prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête qui est non pas un tribunal - elle est dépourvue de finalité répressive -, mais une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou sur des services, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus.

Ainsi, selon la loi, « la personne qui [...] refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ».

Si vous estimez que votre réponse va à l'encontre du secret professionnel ou des affaires, et que, en conséquence, vous ne souhaitez pas la communiquer publiquement, il vous est loisible de demander à procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit à notre commission d'enquête.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Par cette audition, notre objectif de faire la lumière sur la relation entre Nestlé Waters et les services de l'État, en particulier au sein des ministères. En effet, nous retrouvons votre nom à de multiples reprises dans la documentation qui nous a été transmise par lesdits ministères.

Aussi, pourquoi Nestlé Waters a-t-il fait appel à vos services plutôt qu'à sa direction des affaires publiques ? Pourquoi une telle insistance auprès des pouvoirs publics, jusqu'à maintenant ? Quels points ont été évoqués en votre présence ? Voilà quelques questions que M. le rapporteur vous posera.

Vous disposez d'une vingtaine de minutes maximum pour présenter votre propos liminaire, après quoi M. le rapporteur vous interrogera, puis nos collègues.

M. Nicolas Bouvier, consultant en relations publiques au cabinet Brunswick, représentant d'intérêts du groupe Nestlé. - Mon nom a été cité plusieurs fois ici même ; il me semble donc important de pouvoir vous apporter directement ma contribution. Depuis 2016, je suis associé chez Brunswick, un cabinet de conseil spécialisé en communication stratégique, communication de crise et affaires publiques. Au total, j'ai plus de trente ans d'expérience dans ces domaines, ayant exercé au sein de plusieurs cabinets de conseil depuis 1989. Parallèlement, je suis depuis longtemps investi dans la promotion de la déontologie professionnelle. À ce titre, je suis membre de l'Association française des conseils en lobbying et affaires publiques (AFCL), dont j'ai exercé la présidence de 2019 à 2023 et où je reste engagé en tant que vice-président.

Ma mission pour le compte de Nestlé Waters a commencé en juin 2022, mais avant de la détailler, puisque je suis sollicité pour apporter mon éclairage sur ma mission de représentation d'intérêts, je souhaite tout d'abord évoquer ce métier. La loi en donne une définition et impose également des obligations d'enregistrement de fiches d'activité auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Une entreprise fait face à des enjeux, développe son activité, déploie une stratégie, envisage des projets, investit, prend des engagements. Elle se trouve donc naturellement amenée à dialoguer régulièrement avec les autorités, en particulier avec celles qui exercent une tutelle sur son secteur d'activités. Ce dialogue, au sens large, s'inscrit dans ce que l'on appelle communément les affaires publiques ; de façon plus resserrée, lorsqu'une décision publique est en jeu, il s'agit de la représentation d'intérêts, qui est définie par la loi.

Les représentants d'intérêts sont des salariés d'entreprises, de fédérations professionnelles, d'ONG ou, comme dans mon cas, des consultants intervenant pour le compte et en accompagnement de leurs clients. Cette représentation d'intérêts consiste à interagir de manière transparente avec les acteurs de la décision publique au travers d'un partage d'informations, d'expertise, d'analyse et de propositions visant à éclairer l'élaboration et la mise en oeuvre des décisions publiques. Pour les décideurs publics, ce partage d'informations doit bien entendu s'opérer dans un cadre contradictoire. Le représentant d'intérêts a en effet vocation à contribuer aux réflexions des décideurs, jamais à s'y substituer - j'y insiste -, car il appartient bien ensuite aux décideurs publics - et à eux seuls - de faire des choix et d'opérer une synthèse entre différentes considérations. Ce sont uniquement eux qui par la loi, le décret ou autres textes tranchent et arrêtent la décision publique.

Ce respect de la décision publique est essentiel à notre déontologie professionnelle. La profession n'a d'ailleurs pas attendu la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Sapin 2) pour prendre ses responsabilités. Dès 1991, elle s'est dotée d'une charte de déontologie qui engage ceux qui y souscrivent.

Cette charte, mise à jour à plusieurs reprises, repose sur quelques grands principes : incompatibilité professionnelle, absence de rémunération des élus et agents publics, obligation de moyens et non de résultats, transparence dans les contacts, intégrité de l'information transmise. Des systèmes de registre volontaire pour les représentants d'intérêts avaient été mis en place au Parlement - en 2009 à l'Assemblée nationale et en 2010 au Sénat -, mais leur efficacité était limitée en raison de leur caractère volontaire et de leur champ restreint. La loi Sapin 2 a ainsi eu le mérite de poser une définition claire de ce métier, de rendre l'enregistrement obligatoire, de l'étendre aux interactions avec la sphère exécutive et de poser un cadre déontologique auquel nous souscrivons, reposant en particulier sur la transparence et la probité. La mise en oeuvre de ce dispositif s'effectue sous le contrôle de la HATVP.

Avant de passer au contenu de ma mission pour Nestlé Waters, permettez-moi de citer l'extrait suivant : « L'activité des représentants d'intérêts est pleinement légitime, les parlementaires étant à l'écoute de la société civile, dans toute sa diversité. Elle doit toutefois être suffisamment encadrée et transparente, pour garantir le bon déroulement du débat parlementaire. » Il s'agit de l'introduction de la brochure sur les dix bons réflexes pour gérer les relations avec les représentants d'intérêts, établie par le comité de déontologie parlementaire du Sénat. Elle résume bien ma vision de ce métier.

Ma mission pour Nestlé Waters s'inscrit totalement dans le cadre de l'approche professionnelle déontologique que je viens de présenter. Il s'est agi d'une mission de conseil et d'accompagnement en communication stratégique, communication de crise et affaires publiques, comprenant un volet de représentation d'intérêts que je vais détailler.

Cette mission a débuté en juin 2022. Nestlé Waters m'a contacté alors que l'entreprise souhaitait accélérer la mise en oeuvre de son plan de transformation et qu'elle était sans nouvelles du ministère de l'industrie depuis la réunion d'août 2021, plusieurs fois évoquée durant les auditions de votre commission d'enquête, et de la mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). À ce moment-là, Nestlé Waters attendait la position des autorités, afin de mettre en oeuvre tous les aspects de son plan de transformation, sous leur contrôle, pour mettre fin à sa situation de non-conformité.

Je rappelle qu'à la suite du lancement de la mission de l'Igas les deux sites de Nestlé Waters ont été invités à répondre à un questionnaire très complet, mais que seul le site des Vosges a fait l'objet d'une visite de l'agence régionale de santé (ARS). Au moment où je suis sollicité par Nestlé Waters, il y a donc un décalage d'informations entre l'ARS Grand Est, pleinement informée de la situation du site des Vosges, et l'ARS Occitanie, qui ne dispose pas de cette information pour le site du Gard. De ce fait, l'une des questions que nous souhaitions pouvoir aborder avec les autorités nationales était celle de l'information des autorités dans le Gard.

Après le changement de Gouvernement en mai 2022, j'ai sollicité un rendez-vous avec le cabinet de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, qui nous a reçus le 8 juillet 2022. L'objectif était de réaffirmer l'engagement de Nestlé Waters et d'obtenir des informations sur l'avancement de la mission de l'Igas, sans succès.

La chronologie qui suit remet en perspective les principales étapes de ma mission et les rendez-vous organisés pour Nestlé Waters à la plupart desquels j'ai participé.

À la suite du changement de Gouvernement en mai 2022, les interlocuteurs initiaux au sein du cabinet du ministre l'industrie n'étaient plus en place. J'ai donc sollicité en juin 2022, pour le compte de Nestlé Waters, un rendez-vous avec le cabinet de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie. Ce choix m'a paru pertinent au vu de la double tutelle de ce ministre sur l'industrie et sur la consommation.

Nous rencontrons donc M. Antonin Dumont, conseiller consommation du ministre de l'économie, le 8 juillet 2022, accompagné de Mmes Suderie et Balde de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Ce rendez-vous avait vocation à souligner que Nestlé Waters restait pleinement mobilisé pour sortir de sa situation et s'interrogeait sur l'état d'avancement de la mission de l'Igas, point sur lequel nous n'avons pas obtenu de réponse.

Parallèlement, lors du sommet Choose France du 11 juillet 2022, M. Mark Schneider, alors directeur général de Nestlé, a rencontré M. Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée, et M. Victor Blonde, conseiller chargé de la consommation aux cabinets de l'Élysée et de Matignon. Je n'ai pas assisté à cette rencontre, qui portait principalement sur le sujet des investissements industriels de Nestlé en France, mais j'ai compris que M. Kohler a indiqué que le dossier des eaux minérales était du ressort du Gouvernement.

J'ai donc pris contact avec M. Victor Blonde pour pouvoir évoquer ce dossier en détail. Nous l'avons rencontré à Matignon le 2 août 2022. Il nous a écoutés ; il ne nous a pas donné d'informations et il nous a invités à poursuivre l'échange avec les cabinets des ministres chargés de la santé et de l'industrie.

Le 24 août 2022, nous rencontrons M. Charles-Emmanuel Barthélemy, conseiller produits de santé du ministre de la santé, dont le cabinet avait été sollicité à la mi-juillet. Il nous a écoutés, mais lui non plus ne nous a pas donné d'informations.

Le 9 septembre 2022, nous rencontrons Mme Adrienne Brotons, directrice de cabinet du ministre de l'industrie et Mme Mathilde Bouchardon, conseillère technique chargée de la santé et de l'agroalimentaire. Elles nous ont écoutés, mais elles non plus ne nous ont pas apporté davantage d'informations.

Le 29 septembre 2022, nous avons une nouvelle réunion à Matignon avec M. Victor Blonde et M. Cédric Arcos, conseiller santé au cabinet de la Première ministre. Il s'est agi de présenter plus en détail les options envisageables pour Nestlé Waters afin de mener à bien son plan de transformation, notamment poursuivre le retrait des traitements non autorisés et solliciter l'arbitrage du Gouvernement sur le type de microfiltration utilisé. En outre, nous avons évoqué l'absence du retour du cabinet de M. Braun, et il nous a été indiqué que l'échange se poursuivrait avec le cabinet de Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé.

Deux réunions se sont tenues avec Mme Épaillard, sa directrice de cabinet, et M. Pierre Breton, son conseiller technique chargé de la santé environnementale, les 24 octobre et 9 novembre 2022. Mme Mathilde Bouchardon a également assisté à ces réunions, qui visaient à poursuivre les échanges concernant la perspective de la mise en place du plan de transformation de Nestlé Waters dans les Vosges et dans le Gard.

Sur la question du retard d'information de l'ARS Occitanie évoqué précédemment, Mme Épaillard, à l'issue de la réunion du 24 octobre, a demandé au directeur général de l'ARS Occitanie, M. Didier Jaffre, d'entrer en contact avec nous.

Le 3 novembre 2022, nous avons donc eu un échange téléphonique avec M. Didier Jaffre et Mme Catherine Choma, directrice de la santé publique au sein de l'ARS Occitanie. Ils ont été complètement informés de la situation sur le site de Vergèze ; une visite détaillée du site a été organisée le 29 novembre 2022, mais je n'y ai pas assisté.

En décembre 2022 et en janvier 2023, différents échanges, par téléphone ou par mail, ont eu lieu pour répondre aux demandes et aux questions des cabinets.

Le 20 février 2023, nous avons été invités à une réunion à Bercy avec Mme Isabelle Épaillard, M. Pierre Breton et Mme Mathilde Bouchardon. Mme Adrienne Brotons devait y participer, mais elle a eu un empêchement de dernière minute, si je me souviens bien. Ce rendez-vous visait à nous restituer la teneur de l'arbitrage interministériel. Nous avons eu non pas transmission du bleu de Matignon, mais seulement lecture des passages relatifs à Nestlé Waters.

Cette chronologie illustre bien, à mes yeux, la dualité du processus de décision publique : d'une part, des interactions entre l'entreprise et différents interlocuteurs publics qui ne partagent pas toute leur connaissance du dossier, ce qui peut laisser penser à l'entreprise que les choses n'avancent pas ; d'autre part, des échanges entre cabinets, administrations et autorités se poursuivent très probablement en parallèle.

La période suivant l'arbitrage interministériel, entre mars et décembre 2023, a été consacrée à la mise en oeuvre par Nestlé Waters de son plan de transformation. Durant cette période, des échanges ont bien sûr eu lieu avec les autorités locales, ARS et préfectures, pour les sites des Vosges et du Gard. Je n'ai ni organisé ni assisté à ces échanges. J'ai seulement échangé en avril 2023 avec Marie-Françoise Lecaillon, préfète du Gard, pour lui transmettre des documents préparatoires à l'une de ces réunions.

Parallèlement, sur le volet commercial du plan de transformation, une réunion a été organisée le 29 juin 2023 à la DGCCRF avec Mmes Cluzel, Servoz, Taupin et Dekneudt . L'objectif était de présenter le projet de nouvelle gamme de boissons Maison Perrier, dont le lancement était prévu quelques mois plus tard.

Jusqu'en janvier 2024, les échanges avec les cabinets, principalement celui du ministre de l'industrie, se sont poursuivis afin de les tenir informés de la mise en oeuvre du plan de transformation et de l'application locale des décisions issues de l'arbitrage interministériel.

À partir de 2024, le plan de transformation de Nestlé Waters est achevé d'un point de vue opérationnel sur les sites des Vosges et du Gard. Les relations se sont concentrées avec les autorités locales, notamment pour finaliser les arrêtés préfectoraux. Je n'ai pas été associé à ces échanges.

Quelques rendez-vous ont néanmoins été sollicités et organisés à l'échelle nationale : à la fin du mois de janvier 2024, M. Schneider, alors directeur général du groupe Nestlé, a sollicité un entretien téléphonique de courtoisie avec M. Kohler, à l'occasion de la médiatisation du plan de transformation. Je n'ai pas assisté à cet échange.

J'ai sollicité des rencontres avec M. Arcos pour assurer un suivi de la situation, d'abord au printemps 2024, en tant que directeur de cabinet du ministre de la santé sous le gouvernement de M. Gabriel Attal, puis au début du mois d'octobre 2024, lorsqu'il est devenu conseiller santé du Premier ministre Michel Barnier.

Le 10 octobre 2024, un rendez-vous a eu lieu avec M. Kohler, afin de permettre à M. Laurent Freixe, nouveau directeur général du groupe Nestlé, de se présenter lors de son premier déplacement en France. Il était accompagné de Mme Muriel Liénau, alors directrice générale de Nestlé France. Je n'ai pas assisté à cette rencontre.

À la suite de ce rendez-vous, des demandes d'entretiens ont été adressées aux cabinets des ministres chargés de la santé et de l'industrie, sous le gouvernement de M. Michel Barnier, afin de les tenir informés.

Le 4 novembre 2024, une réunion s'est tenue avec M. Louis Culot, conseiller agroalimentaire au cabinet du ministre délégué chargé de l'industrie, ainsi qu'avec M. Thibault Henry de Villeneuve, conseiller chargé de la protection des consommateurs au cabinet de la secrétaire d'État à la consommation.

Les 18 novembre et 17 décembre 2024, j'ai sollicité des entretiens téléphoniques pour Mme Liénau avec M. Kohler. Dans un contexte d'instabilité gouvernementale, l'objectif était de les informer de la création de Nestlé Waters & Premium Beverages, une entité autonome au sein du groupe Nestlé, qui devait voir le jour au 1er janvier 2025.

Comme vous l'avez constaté, certaines demandes de rendez-vous n'ont pas toujours abouti. Vous ayant transmis hier, conformément à votre demande, l'ensemble des rendez-vous sollicités ou réalisés dans ce cadre, il ne m'a pas semblé nécessaire de les reprendre systématiquement dans cette chronologie. Toutefois, je me tiens à votre disposition si vous souhaitez y revenir.

Je souligne que tous les échanges avec les décideurs publics autour du plan de transformation de Nestlé Waters ont été menés dans le respect du cadre légal applicable à la représentation d'intérêts, en toute transparence et sans aucune pression. En particulier, les actions relevant de la représentation d'intérêts au sens de la HATVP ont fait l'objet de fiches d'activité publiées sur le répertoire public.

Dès le début, j'ai compris que cette mission traduisait la volonté de la direction de Nestlé Waters de mettre fin aux traitements non autorisés et d'opérer sous le contrôle des autorités la transformation de ses activités en France. En accompagnant Nestlé Waters dans ses interactions avec les décideurs publics, j'ai veillé à exercer mon métier avec rigueur et responsabilité, en relayant la voix et l'expertise de l'entreprise dans un cadre conforme aux règles de la représentation d'intérêts.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque Nestlé Waters vous confie cette mission en mai 2022, est-ce la première fois de votre histoire professionnelle que vous travaillez avec l'entreprise ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui, c'est en mai 2022 que je travaille pour la première fois avec Nestlé Waters.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Savez-vous par qui Nestlé Waters était accompagnée auparavant ? Y a-t-il eu une forme de tuilage sur le dossier ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, je ne le sais pas. En revanche, je sais que ce sont les responsables des affaires publiques de Nestlé France qui ont organisé la réunion du 31 août 2021. À ma connaissance, c'est la seule représentation d'intérêts avant mai 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, en août 2021, la représentation d'intérêts est encore « faite maison », puisque c'est une direction de Nestlé qui organise les rendez-vous...

M. Nicolas Bouvier. - Oui, c'est ainsi que je le comprends.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Savez-vous si Nestlé a eu recours à un autre acteur de votre secteur ?

M. Nicolas Bouvier. - Aucunement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'imagine que Nestlé vous a présenté la situation en mai 2022 : qu'est-ce qui vous fait comprendre, dans leur présentation, l'urgence et la gravité de la situation ? Quelles sont vos spécificités, pour ainsi dire, qui justifient leur choix de faire appel à vous ?

M. Nicolas Bouvier. - L'urgence de la situation m'a paru évidente. Premièrement, Nestlé Waters utilise des traitements non conformes et souhaite sortir de cette situation - c'est d'ailleurs pourquoi Nestlé Waters a informé le cabinet du ministre de l'industrie de l'époque, en août 2021. Deuxièmement, une mission de l'Igas a été diligentée à la fin de l'automne 2021, de mémoire ; Nestlé Waters a été sollicité pour y répondre au printemps 2022. Or à la fin du printemps, au moment je suis approché, ils n'ont de nouvelles ni du cabinet du ministre ni de la mission de l'Igas. L'entreprise est perplexe, alors qu'elle souhaite mettre en oeuvre son plan de transformation sous le contrôle des autorités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel a été l'objet de la réunion de présentation ? Qu'avez-vous appris sur la fraude, notamment sur sa durée, sa profondeur, son périmètre ? Que vous est-il dit de la situation à gérer ?

M. Nicolas Bouvier. - Il m'a été dit que dans le cadre de la mission de l'Igas tout a été révélé aux autorités ; que Nestlé Waters utilise deux traitements - les ultraviolets et les filtres à charbon actif -, qui ne sont pas autorisés en France pour les eaux minérales naturelles ; et que Nestlé Waters souhaite retirer ces traitements de ses sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi y recourent-ils, selon vous ? Est-ce un problème lié à la pureté originelle de l'eau ou à la vétusté des infrastructures et aux sous-investissements ? Pourquoi décident-ils de passer de l'ombre à la lumière ?

M. Nicolas Bouvier. - Selon moi, ce n'est lié ni à la vétusté ni à la pureté originelle. En toute humilité, je crois que ces deux traitements - mais je ne suis pas spécialiste - participent à un dispositif mis en place pour assurer la qualité et la sécurité sanitaires des eaux produites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, les traitements visent à la sécurité sanitaire ?

M. Nicolas Bouvier. - Je comprends qu'ils font partie du dispositif de qualité et de sécurité sanitaires...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Retirer ces dispositifs soulèverait donc une question de sécurité sanitaire ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui, c'est pourquoi le retrait ne pouvait être fait du jour au lendemain, mais devait s'opérer de façon organisée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Retrait ou maintien ? Certains puits continuent à être exploités avec ces mêmes dispositifs. Les produits sont désormais étiquetés Maison Perrier et ne sont plus considérés comme de l'eau minérale naturelle...

M. Nicolas Bouvier. - La réglementation est différente.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je ne dis pas le contraire, je le rappelle simplement.

Selon Nestlé, dans les puits où la qualité de l'eau n'est plus stabilisée, ces filtres sont toujours nécessaires ; d'où le changement de nom commercial en Maison Perrier. Y sont produites d'autres boissons, et non de l'eau minérale naturelle.

Est-ce que Nestlé vous a dit depuis combien de temps cela durait ? Nous avons du mal à avoir la réponse de Nestlé.

M. Nicolas Bouvier. - Je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez eu aucun échange à ce sujet ?

M. Nicolas Bouvier. - Je n'ai pas l'information, j'en suis navré.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dont acte.

Le contenu de vos échanges avec les pouvoirs publics nous intéresse particulièrement, car l'un des objectifs de notre commission d'enquête est de comprendre comment la décision publique s'est construite. Or cette décision a conduit à ce que le public, justement, ne soit pas informé, alors même que l'industriel a reconnu dès l'été 2021 qu'il a commis une fraude. Pourtant, les Français ne l'ont appris qu'en janvier 2024 par la presse.

Ma question porte donc sur la nature de vos échanges et sur le déroulement des événements. Vous nous avez transmis une liste de trente-six sollicitations ou entretiens entre le 17 juin 2022 et le 17 décembre 2024, dont treize avec le seul cabinet du ministre de l'industrie.

Étiez-vous présent à l'ensemble de ces entretiens ? Au surplus, ces trente-six sollicitations en deux ans et demi traduisent-elles un niveau d'activité de lobbying intense, qui pourrait être justifié par l'urgence de la situation, ou un niveau d'activité habituel ?

M. Nicolas Bouvier. - Je précise que la liste que je vous ai transmise hier à votre demande rassemble à la fois les sollicitations de rendez-vous et les rencontres qui se sont effectivement tenues. Certaines sollicitations n'ont pas abouti. Pour les rendez-vous réalisés, il faut donc diviser ce chiffre par deux.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est-à-dire ?

M. Nicolas Bouvier. - La liste indique deux occurrences : la sollicitation du rendez-vous - première occurrence -, puis son organisation - deuxième occurrence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En tout cas, même s'il n'y a eu que dix-huit rendez-vous, cela fait tout de même un rendez-vous par mois entre juin et décembre 2022 avec les autorités publiques sur ce sujet.

M. Nicolas Bouvier. - Sans entrer dans une dans une bataille de chiffres - ce ne serait pas très pertinent -, je crois qu'une douzaine de rendez-vous ont été organisés avec cinq cabinets ministériels différents : les cabinets de Matignon, ceux du ministre de la santé et de la ministre déléguée, celui de l'économie et celui de l'industrie. De mon expérience, le niveau d'intensité est non pas gigantesque, mais standard.

Il y a quelques rendez-vous auxquels je n'ai pas assisté, mais j'étais présent à la plupart des rendez-vous à Matignon ou aux ministères de la santé, de l'économie et de l'industrie.

M. Laurent Burgoa, président. - Si j'ai bien noté, les rendez-vous auxquels vous n'auriez pas assisté sont ceux qui se sont tenus à l'Élysée.

M. Nicolas Bouvier. - Effectivement, monsieur le président. Je n'ai assisté ni au rendez-vous de 2022 ni à celui de 2024 ; je précise qu'il est d'ailleurs courant que le consultant ne soit pas présent aux rendez-vous organisés par le directeur général de Nestlé.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous eu un retour de Nestlé Waters sur ces rendez-vous ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui, en général, j'ai des retours assez brefs. Par exemple, quand M. Schneider est sorti du rendez-vous du 11 juillet 2022, il a dit : « sur le sujet de l'eau minérale »...

M. Laurent Burgoa, président. - Vous l'attendiez dans la rue ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, pas du tout. Le sommet Choose France s'est tenu à Versailles ; c'est un grand barnum, très sécurisé, avec une forte affluence et de nombreux ministres présents ; je n'y ai donc pas assisté.

En revanche, d'après le suivi que j'en ai eu, M. Schneider a mentionné la présence de M. Blonde et a rapporté que M. Kohler avait indiqué que le dossier relevait du Gouvernement. M. Blonde étant conseiller technique à Matignon et ayant participé à cette rencontre, je me suis donc rapproché de lui par la suite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'indiquez aucune sollicitation pour l'année 2025 dans votre liste. Est-ce à dire qu'en 2025 vous n'avez eu aucune activité de lobbying auprès des pouvoirs publics pour Nestlé ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, je n'ai été impliqué dans aucune demande de rendez-vous en 2025.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il eu des demandes de rendez-vous en 2025, selon vous ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, je ne crois pas. Peut-être y a-t-il eu des rendez-vous avec les autorités locales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas connaissance de rendez-vous à l'échelle nationale ?

M. Nicolas Bouvier. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En lisant votre liste de sollicitations, j'ai été surpris par la différence de traitement entre l'ARS Grand Est et l'ARS Occitanie. Vous avez participé à deux rencontres avec M. Didier Jaffre, directeur général de l'ARS Occitanie, mais votre liste ne comporte aucun contact avec la directrice générale de l'ARS Grand Est. Comment expliquez-vous la différence d'approche de Nestlé ?

Dans le Grand Est, les décisions ont été prises rapidement : le recours à l'article 40 du code de procédure pénale, le contrôle sanitaire renforcé. En Occitanie, cela a traîné et il n'y a pas eu de recours à l'article 40.

M. Nicolas Bouvier. - Selon moi, il faut remonter à la mission de l'Igas, mais je n'étais pas sur le dossier. Aussi, par les questions que j'ai posées, j'ai compris que la mission de l'Igas s'est rapprochée de l'ensemble des minéraliers en France, leur a adressé des questionnaires pour tous les sites et a choisi pour chaque industriel un site, où elle a missionné l'ARS correspondante afin que ses services contrôlent sur place les traitements en vigueur.

Pour Nestlé Waters, les deux sites ont répondu au questionnaire. L'Igas a missionné uniquement l'ARS Grand Est sur le site des Vosges, pour inspecter un forage seulement. Nestlé, qui avait fait le choix de la transparence, a proposé à l'ARS de visiter l'ensemble des forages des trois marques qui sont produites sur le site.

Aussi, au printemps 2022, lorsque l'ARS Grand Est mène cette mission d'inspection pour le compte de l'Igas, elle a une compréhension complète de la situation, notamment des non-conformités sur le site des Vosges. À l'inverse, l'ARS Occitanie, qui n'a pas été missionnée dans le cadre de la mission de l'Igas, n'a pas du tout ce niveau d'information.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous savez que l'ARS Occitanie n'a pas été missionnée par l'Igas ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment le savez-vous ?

M. Nicolas Bouvier. - Nestlé me l'a dit. La question s'est posée, lorsque j'ai été missionné en mai 2022, de savoir quelles seraient les conclusions de l'Igas. Nestlé imagine à l'époque qu'elles auront des conséquences sur leur plan de transformation. Comme cette question est attendue, Nestlé m'explique en détail ce qu'il s'est passé : deux questionnaires très complets, une seule visite très complète aussi, et ce décalage d'informations. C'est pourquoi dès le premier rendez-vous avec M. Antonin Dumont, du cabinet de M. Le Maire, en présence de la DGCCRF, Nestlé dit qu'il va falloir informer l'ARS d'Occitanie à propos du site du Gard, notamment en vue de la mise en oeuvre opérationnelle du plan de transformation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est d'autant plus important que dans le Gard les traitements illégaux ont duré jusqu'au mitan de l'année 2023...

M. Nicolas Bouvier. - Dire qu'il faut informer l'ARS Occitanie est une position rémanente. Ce n'est que lors du rendez-vous du 24 octobre 2022 que Mme Épaillard annonce qu'elle va contacter M. Jaffre. Ensuite, M. Jaffre m'a contacté, parce que j'étais vu comme le facilitateur de ces rendez-vous. Je l'ai informé que je n'avais pas la légitimité nécessaire pour lui présenter la situation. En revanche, j'ai proposé d'organiser un rendez-vous téléphonique, lequel s'est tenu le 3 novembre 2022 : M. Jaffre a dit qu'il voulait voir le site lui-même avec ses équipes. Ce rendez-vous s'est organisé à la fin du mois de novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est assez cohérent avec les propos de Mme Liénau - pour le peu qu'elle nous en a dit -, qui indique avoir attendu le feu vert de l'administration centrale pour échanger avec les services déconcentrés. On comprend donc que l'État et Nestlé ont décidé...

M. Nicolas Bouvier. - Non...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... Pour le dire plus clairement : l'État a informé Nestlé, et cela s'est répercuté ensuite à l'échelle locale.

M. Nicolas Bouvier. - L'État a informé l'ARS, qui nous a contactés pour obtenir une pleine compréhension et une révélation complète de ce qui était en vigueur sur le site.

Il y a un décalage dans le retrait des traitements. Certains ont commencé à être effectués dès 2022, de mémoire, sur le site des Vosges. L'ARS Occitanie, pour le site du Gard, n'a eu une pleine connaissance de la situation qu'en novembre, ce qui a entraîné un décalage de six mois pour le retrait des traitements également.

M. Laurent Burgoa, président. - Comment expliquez-vous cette position de retrait de l'ARS Occitanie par rapport à d'autres ARS très impliquées dans les dossiers de contrôle de l'eau minérale en bouteille ?

M. Nicolas Bouvier. - L'ARS Occitanie était très impliquée dans le contrôle du site du Gard. En revanche, la mission de l'Igas avait fourni l'occasion à Nestlé de révéler dans le détail la situation sur le site des Vosges, mais pas sur le site du Gard. Il y avait effectivement un décalage. Je pense que l'ARS Occitanie a été diligente, mais des choses n'ont pas été montrées jusqu'au mois de novembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La question est donc : pourquoi l'Igas a-t-elle décidé de ne pas se rendre sur l'un des principaux sites de Nestlé, alors même qu'un problème sur l'ensemble des sites Nestlé Waters est révélé au Gouvernement à l'été 2021 ? Mais elle n'est pas de votre ressort.

M. Nicolas Bouvier. - De fait, je n'ai pas la réponse !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mme Liénau a expliqué qu'elle avait attendu que le Gouvernement révèle les informations aux ARS avant d'échanger avec elles. C'est pour cette raison qu'elle a choisi de ne pas s'adresser directement à l'ARS, qui est pourtant l'autorité de contrôle la plus proche.

M. Nicolas Bouvier. - Selon Nestlé Waters, dès lors que l'information avait été transmise au cabinet du ministre de l'industrie et que celui-ci avait fait le choix de diligenter une enquête de l'Igas non pas spécifique aux sites de Nestlé, mais étendue à l'ensemble du secteur des eaux minérales en France, alors l'entreprise se sentait tenue par cet arbre de décisions, qui n'était pas le sien.

Cependant, cela explique aussi pourquoi, à l'été 2022, l'entreprise a manifesté une certaine impatience : elle voulait savoir quelles seraient les prochaines étapes. En effet, si l'objectif était de supprimer les traitements non conformes et d'opérer une transformation, il était indispensable d'obtenir un retour clair sur la marche à suivre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous non plus nous ne comprenons pas pourquoi l'État n'a pas directement informé ses autorités de proximité.

J'en viens à la question du rapport de l'Igas. En juillet 2022, l'Igas rend son rapport Les Eaux minérales naturelles et eaux de source : autorisation, traitement et contrôle. Quand avez-vous été destinataire des recommandations de l'Igas ? Quand les avez-vous transmises à Nestlé et à Mme Liénau ?

M. Nicolas Bouvier. - Jamais.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Jamais ?

M. Nicolas Bouvier. - Pour être précis, nous n'avons eu connaissance du rapport qu'au moment où l'Igas l'a mis en ligne, à la suite des révélations de la presse, c'est-à-dire au printemps 2024. Jusqu'à cette date, je n'ai jamais vu le rapport.

À l'été 2022, nous avons demandé, à plusieurs reprises, ce qu'il en était des conclusions du rapport de l'Igas, mais quand nous avons compris que nous pouvions continuer à discuter sans en avoir les résultats, nous avons arrêté de poser la question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous informé des conclusions du rapport de l'Igas ? D'après les échanges dont nous avons trace, il semble que vous comptiez - et peut-être l'État lui-même - sur une réponse de l'Igas sur les traitements autorisés et illégaux.

M. Nicolas Bouvier. - Personne ne nous a informés des conclusions de la mission de l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela veut-il dire qu'à aucun moment vous n'avez débattu des conclusions du rapport lors de vos rendez-vous ?

M. Nicolas Bouvier. - Dans la première période, nous avons systématiquement posé la question, mais nous n'avons jamais eu de réponse. M. Blonde a lui-même déclaré devant votre commission d'enquête qu'il avait eu le rapport deux jours avant et qu'il ne nous en a pas parlé ; je peux vous le confirmer.

Selon moi, la plupart des gens que nous rencontrons dans les cabinets ministériels ont connaissance du rapport de l'Igas, mais, à aucun moment, ils ne souhaitent nous en faire partager les conclusions.

Dans cette période, lors des réunions - c'est la lecture que j'en fais a posteriori -, les personnes que nous rencontrons écoutent plus qu'elles ne nous parlent. C'est logique, mais, selon moi, c'est aussi une façon pour elles d'évaluer la sincérité de la démarche de Nestlé Waters.

En général, lors des rendez-vous, il s'est agi d'exposer la situation et d'expliquer le problème. À chaque fois, Mme Liénau a dû redétailler, depuis le début, l'existence de traitements non conformes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un point peut sembler contradictoire, et je souhaite qu'il soit clarifié. Mme Virginie Cayré, directrice de l'ARS Grand Est jusqu'en juin 2024 - vous ne l'avez pas rencontrée - a déclaré sous serment que Nestlé Waters lui a dit que, d'après l'entreprise, l'Igas allait recommander une modification de la réglementation. Savez-vous ce qui aurait pu amener Nestlé Waters à exprimer cette conviction auprès de Mme Cayré ?

M. Nicolas Bouvier. - Je n'en ai aucune idée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous convenez tout de même qu'il y a une forme de contradiction entre le fait de ne pas avoir reçu officiellement d'informations et, en même temps, d'avoir eu connaissance de la probable orientation du rapport ?

M. Nicolas Bouvier. - Les hypothèses formulées sur les conclusions du rapport de l'Igas ont soulevé ce type de questions, mais, honnêtement, nous n'avons jamais travaillé solidement sur une telle hypothèse.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges, par voie écrite ou orale, avec la Présidence de la République, notamment avec Alexis Kohler ? Avec qui avez-vous été en contact et quand ?

M. Laurent Burgoa, président. - Tout à l'heure vous avez dit : « nous rencontrons des gens ». Qui est ce « nous » ?

M. Nicolas Bouvier. - J'articulerai ma réponse en deux temps. La première partie concernera l'Élysée, puis je reviendrai dans un deuxième temps sur le « nous » qui, en l'occurrence, ne s'applique pas aux réunions de l'Élysée puisque je n'y ai pas participé.

Pour ce qui est de l'Élysée, il y a eu le rendez-vous de Choose France du mois de juillet 2022, auquel M. Schneider a participé seul avec M. Kohler et M. Blonde. Je n'y ai pas assisté et je n'ai pas non plus contribué à l'organisation de cette entrevue.

Pour 2023, je n'ai connaissance d'aucun contact. En janvier 2024, au moment où le plan de transformation va être rendu public, M. Schneider a souhaité avoir un échange de courtoisie avec M. Kohler. Ses équipes m'ont donc sollicité pour qu'un entretien téléphonique puisse se tenir entre M. Schneider et M. Kohler. En octobre 2024, M. Schneider a été remplacé par Laurent Freixe, qui s'est rendu en France dans le cadre de sa prise de fonction. Afin d'établir un suivi dans la relation avec les autorités françaises, notamment par rapport au projet d'investissement, Mme Liénau, qui était à l'époque directrice générale de Nestlé France, m'a demandé, pour le compte de M. Freixe, de voir si M. Kohler était disponible pour un échange. Il y a alors eu deux entretiens téléphoniques avec Mme Liénau en novembre et en décembre 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En novembre et en décembre 2024, il y a eu deux entretiens téléphoniques entre M. Kohler et Mme Liénau ?

M. Nicolas Bouvier. -Tout à fait. Mme Liénau était également présente lors du rendez-vous d'octobre 2024 avec M. Freixe.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Octobre, novembre et décembre : cela fait donc trois échanges avec la Présidence de la République ?

M. Laurent Burgoa, président. - La commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en décembre 2024, mais on savait déjà dès le printemps qu'elle aurait lieu, n'est-ce pas ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Effectivement...

M. Laurent Burgoa, président. - Personne n'ignorait qu'il devait y avoir une commission d'enquête. Or une rencontre entre Nestlé et M. Kohler a eu lieu au tout début de nos travaux...

M. Nicolas Bouvier. - Il y a aussi eu au printemps 2024, en prélude à vos travaux, la mission flash sur les politiques publiques de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de source.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avant d'en finir sur les rendez-vous d'octobre, de novembre et de décembre, qui sont des points importants, je voudrais revenir sur la rencontre lors du sommet Choose France en juillet 2022 entre Alexis Kohler et le directeur général de Nestlé. Nous savons qu'une réunion interministérielle s'est tenue le 24 juillet 2022, à la suite de ces échanges. Étiez-vous présent lors de cette réunion ?

M. Nicolas Bouvier. - C'était une réunion interministérielle : je n'avais pas à y assister.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il ressort des nombreux échanges que vous avez eus avec le ministère de l'industrie et de la santé, et que Nestlé a eus avec la préfecture et l'ARS Grand Est à l'été 2022, que le groupe a appuyé sa demande d'autorisation de la filtration à 0,2 micron en utilisant comme levier ce plan de restructuration. Les équipes de la DGS évoquent en interne une sorte de « chantage » à l'emploi auquel se serait livré Nestlé pour obtenir la validation de ses filtres.

M. Blonde, conseiller à Matignon et à l'Élysée, écrit avoir dit à Nestlé : « qu'ils (Nestlé) n'avaient pas du tout été transparents sur tous les sujets [...] durant ces derniers mois et que ce n'était pas acceptable, et que si les suites du rapport Igas les amenaient à alourdir la barque de la restructuration, il était absolument nécessaire qu'ils fassent bien, en com, la distinction entre les deux, pour éviter qu'ils fassent porter sur ce problème leurs difficultés plus structurelles et leurs choix de réorganisation ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Nicolas Bouvier. -Il s'agit, en effet, d'une précision très importante.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je le crois aussi...

M. Nicolas Bouvier. - Je puis vous assurer qu'il n'y a eu aucun chantage à l'emploi au cours des rendez-vous auxquels j'ai participé. Pourquoi la question de l'emploi est-elle venue sur la table ? En 2021, Nestlé Waters a fait le choix de retirer Vittel des marchés allemand et autrichien. La suspension de cette commercialisation a eu un impact social et organisationnel sur le site des Vosges, avec un plan de sauvegarde de l'emploi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais les services de l'État évoquaient un alourdissement potentiel de la restructuration ?

M. Nicolas Bouvier. - Permettez-moi de terminer mon explication. Comme je vous le disais, l'impact de la baisse des ventes de Vittel était déjà bien réel. En 2022, l'Igas remet aussi son rapport. Nestlé se doute alors que d'autres décisions difficiles risquent d'être prises, ce qui aura notamment une incidence sur le site des Vosges.

Nestlé Waters fait donc le choix de mettre le plan de sauvegarde de l'emploi lié à l'activité de Vittel en suspens, dans l'attente de futures décisions qui pourraient venir le compléter, afin d'éviter aux salariés deux plans sociaux consécutifs. Voilà la compréhension que j'ai eue de ce dossier et que je me suis permis de relayer au cours des différents rendez-vous. C'est un point qui a été abordé très explicitement dès le 2 août avec M. Victor Blonde et d'autres personnes. Quand finalement, à la suite de l'arbitrage interministériel, donc un an après, au printemps 2023, ce plan de sauvegarde de l'emploi sur le site des Vosges a pu être enclenché, nous avions très clairement expliqué qu'il se justifiait pour deux raisons : d'une part, le retrait et la baisse de volumes de Vittel et, d'autre part, la suspension des puits Hépar.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Revenons aux discussions entre Nestlé et la Présidence de la République. Un échange s'est tenu le 10 octobre 2024 entre Laurent Freixe, nouveau directeur général de Nestlé, et Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée, à la suite de la parution dans la presse du rapport rendu par l'ARS Occitanie en août 2024, qui suggérait à Nestlé d'envisager un arrêt de sa production d'eau minérale Perrier. Pourquoi le groupe Nestlé souhaite-t-il rencontrer la Présidence de la République alors que le rapport a été remis et qu'il lui a été soumis dans le cadre du contradictoire ?

M. Nicolas Bouvier. - La relation que vous faites entre ces événements m'échappe. J'ai sollicité un rendez-vous pour M. Freixe avec M. Kohler uniquement parce que le nouveau directeur général se déplaçait en France. Aucun autre paramètre n'est entré dans l'équation. Vous établissez un lien avec la publication d'un rapport de l'ARS Occitanie en août 2024 : or il n'y en a pas. Ce rendez-vous a simplement permis de balayer l'ensemble des sujets pour Nestlé, notamment sa politique d'investissement qui intéresse au premier chef l'Élysée et ses équipes dans le cadre du suivi de Choose France.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons une idée sur les motivations de cette démarche. Les échanges de mails des conseillers de l'Élysée datés du 18 décembre 2024 indiquent que Nestlé semblait s'inquiéter de la diffusion du rapport de l'ARS Occitanie, qui mettait l'accent sur le fait que les traitements mis en oeuvre par le groupe Nestlé n'étaient pas compatibles avec l'appellation d'eau minérale naturelle. Par ailleurs, l'ARS soulignait que ces traitements ne réglaient que partiellement le sujet de la qualité sanitaire de l'eau. Je cite le rapport : « forte présence de virus de manière régulière qui ne sont pas éliminés par la filtration ». Nestlé s'inquiétait aussi du fait que le préfet du Gard devait renouveler l'autorisation d'exploiter la source en 2025.

M. Nicolas Bouvier. - Ces échanges ont eu lieu en décembre ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout à fait, en décembre 2024.

M. Nicolas Bouvier. - La chronologie est importante. Le rendez-vous d'octobre était un rendez-vous de présentation des dossiers. Mme Liénau a souhaité ensuite s'entretenir avec M. Kohler en suivi de rendez-vous, et ce pour deux raisons. D'une part, parce que l'entité eau de Nestlé devenait autonome au 1er janvier 2025, conformément à ce qui avait été annoncé en novembre 2024. Ce rendez-vous a donc été demandé afin de se montrer prévenant à l'égard de nos interlocuteurs. D'autre part, parce qu'un changement de Gouvernement est intervenu au début du mois de décembre 2024. Mme Liénau était inquiète. Il s'agissait de savoir si l'arbitrage interministériel du 20 février 2023 était toujours d'actualité. N'oublions pas qu'entre-temps Nestlé avait engagé des dizaines de millions d'euros pour transformer ses sites sur la base de cet arbitrage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'entends votre raisonnement, mais je ne comprends pas le court-circuitage de l'itinéraire ministériel classique : on voit bien que les discussions s'accélèrent en septembre, en octobre et en décembre, et que les débats quittent les ministères pour se porter sur l'Élysée. Quelle est la raison d'un tel choix ?

M. Nicolas Bouvier. - Le Gouvernement de M. Barnier était en forte instabilité. On se doutait qu'il n'allait pas durer. Nous n'avions donc plus d'interlocuteurs dans les ministères. Comme je l'ai souligné dans mon propos liminaire, à l'automne 2024, je me suis attaché à essayer de reprendre contact tant avec Matignon qu'avec le ministère de la santé et avec Bercy. Pour faire simple, Matignon m'a dit : « voyez ça avec les ministères ». Le ministère de la santé ne m'a pas répondu. Quant à Bercy, nous avons eu un entretien avec deux conseillers techniques, mais sans suite particulière.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été rassuré au sujet de l'arbitrage de février 2023 ?

M. Nicolas Bouvier. - À ma connaissance, M. Kohler a toujours eu la même ligne sur ce dossier : voyez ça avec le Gouvernement ! Vous en conviendrez, dans une situation d'absence de Gouvernement, cela complique un peu la tâche pour une entreprise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En octobre et en novembre, il y avait un Gouvernement.

M. Nicolas Bouvier. - Oui, mais c'est en décembre que la question s'est posée.

Mme Marie-Lise Housseau. - Votre contrat avec Nestlé est-il terminé ?

M. Nicolas Bouvier. - Non.

Mme Marie-Lise Housseau. - Avant cet entretien d'aujourd'hui, avez-vous été briefé par Nestlé ?

M. Nicolas Bouvier. - Non, j'ai préparé cette audition seul, avec mon équipe.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous suivi les auditions de Mmes Dubois et Liénau ?

M. Nicolas Bouvier. - Bien sûr, je suis impliqué sur ce dossier : je m'intéresse donc légitimement à vos travaux.

Mme Marie-Lise Housseau. - Les différents responsables de Nestlé que nous avons auditionnés sont tous venus accompagnés d'un avocat et nous ont tous plus ou moins « servi » les mêmes réponses. Vous venez de nous indiquer que vous n'aviez pas reçu de consigne particulière. Mais vous a-t-on proposé un avocat pour vous accompagner aujourd'hui ?

M. Nicolas Bouvier. - Non. Nestlé a ses propres avocats. Je ne suis pas dans la même situation que ce groupe. À ma connaissance, la procédure judiciaire qui est ouverte ne me concerne pas.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous n'avez donc pas échangé sur la stratégie à adopter lors de cette audition ?

M. Nicolas Bouvier. - Non. En tout cas, pas avec Nestlé ou avec ses avocats.

Mme Marie-Lise Housseau. - Quelle était votre lettre de mission ? Certes, vous nous avez expliqué en quoi consistait votre métier : mettre l'entreprise en relation avec des membres de différents cabinets. Mais qu'étiez-vous censé obtenir ? La possibilité d'utiliser de manière dérogatoire les filtres à 0,2 micron ?

M. Nicolas Bouvier. - Non. Comme je l'ai indiqué, dans ce métier, du moins tel que je le pratique, nous refusons toute obligation de résultat. Nous avons une obligation de moyen : en l'occurrence, cela consistait d'abord à renouer le contact, afin de pouvoir comprendre ce que les autorités avaient décidé sur le plan de transformation, l'objectif étant que ce dernier puisse se déployer de manière opérationnelle. Il n'y avait pas de mission particulière sur les filtres à 0,2 micron. Certes, ceux-ci ont - vous le savez - été inclus dans le plan de transformation, mais c'était une mesure parmi six ou sept autres.

Mme Marie-Lise Housseau. - Et quelles étaient les autres ?

M. Nicolas Bouvier. - De mémoire, le premier élément était - c'est une évidence, mais je le rappelle - le retrait des traitements non conformes. Les autres étaient, outre la validation de la possibilité d'utiliser les filtres à 0,2 micron dès lors que cela ne constitue pas une désinfection, le renforcement des contrôles sur les deux sites, la suspension ou la réallocation de certains forages sur les deux sites, le volet commercial, avec le lancement d'une nouvelle marque de boisson que M. le rapporteur évoquait tout à l'heure, et le renforcement des plans de protection de la ressource en eau sur les deux sites.

En effet, comme cela a été souligné, Nestlé investit beaucoup avec les agriculteurs pour protéger les impluviums, c'est-à-dire les zones qui participent à la création des nappes souterraines dont sont issues ces eaux minérales naturelles. Des engagements complémentaires ont été pris dans le cadre du plan de transformation.

Mme Marie-Lise Housseau. - La majorité de ces éléments relèvent surtout de l'information. Mais le véritable enjeu n'était-il pas d'obtenir la possibilité d'utiliser les filtres à 0,2 micron, alors que c'est interdit aujourd'hui ?

M. Nicolas Bouvier. - Je ne pense pas que c'était l'aspect principal, même si c'est évidemment important. Tel que je comprends la réglementation et la législation européennes, il n'y a pas eu autorisation d'un traitement interdit. Il y a simplement une obligation finale qui est posée dans le cadre des types de microfiltrations utilisées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets de vous arrêter, car je pense que c'est un point essentiel.

La directive est assez claire. Il y a des traitements qui sont autorisés explicitement. Tous les autres doivent faire l'objet d'une déclaration près de la Commission européenne et d'une validation par les autorités européennes. En vous entendant, je m'inquiète un peu, car vous étiez chargé de la mise en oeuvre de cette obligation.

Pour que certains traitements puissent être utilisés, il faut obtenir une autorisation de la Commission européenne. Il me paraît important d'agir en conformité avec les textes quand on décide d'aller sensibiliser des autorités publiques.

M. Nicolas Bouvier. - J'avais compris que c'était surtout du ressort des autorités préfectorales. Peut-être ma compréhension n'était--elle pas bonne ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aimerais à présent aborder la question de la qualité des eaux initiales. Avez-vous eu vent du rapport des hydrogéologues qui est en cours, notamment sur le site de Vergèze ? Avez-vous pu le consulter ?

M. Nicolas Bouvier. - Oui, j'ai eu vent de ce rapport : cela fait partie des diligences que M. le préfet du Gard a engagées afin de pouvoir répondre à la demande de Nestlé de renouvellement des arrêtés. Mais je n'ai aucune idée de ses conclusions intermédiaires ou finales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il des épisodes récents de pollution de l'eau ou de problèmes sur les infrastructures et les sites du groupe Nestlé Waters ?

M. Nicolas Bouvier. - Pas à ma connaissance. Mais tout dépend de ce que vous entendez par « épisodes récents ».

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Disons depuis le début de l'année 2025.

M. Nicolas Bouvier. - Je n'en ai pas eu écho.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aujourd'hui, votre mission avec Nestlé est-elle interrompue ?

M. Nicolas Bouvier. - Non. Il n'y a pas encore eu d'arrêtés préfectoraux, dans un sens ou dans un autre. Ma mission d'accompagnement continue donc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous ne savez pas où en est le rapport des hydrogéologues ?

M. Nicolas Bouvier. - Nestlé ne m'en a pas informé. Je crois savoir que des responsables du groupe ont échangé avec des hydrogéologues. En effet, dans le cadre de leur mission, ces derniers n'ont pas fait une évaluation des eaux et de leur qualité in abstracto ; ils sont venus sur le terrain, et ils ont nécessairement rencontré des représentants de Nestlé. Mais, à ma connaissance, ce n'est pas allé beaucoup plus loin, et je ne pense pas que les responsables de l'entreprise en sachent beaucoup plus à cet égard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À la mi-décembre 2024, Mme Liénau a cherché à s'entretenir avec le secrétaire général de l'Élysée « le plus rapidement possible ». M. Kohler l'a rappelée dès le lendemain. Pouvez-vous nous indiquer quel était l'objet de cet entretien ?

M. Nicolas Bouvier. - Je crois l'avoir dit tout à l'heure. À ma connaissance, il s'agissait, à la suite de la chute du gouvernement Barnier, de savoir si, avec un nouveau gouvernement, il pourrait y avoir une permanence de la décision de l'État, notamment de l'arbitrage de 2023. C'est, du moins, ce que j'ai compris. Je n'ai pas participé à cet entretien.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, selon vous, la question de la pollution des eaux n'a pas été évoquée. Pourtant, le 18 décembre 2024, M. Benoît Faraco, conseiller environnement à la Présidence de la République, indiquait dans un courrier à M. Kohler, que les sources étaient « de plus en plus régulièrement polluées », notamment de bactéries et, en partie, de matières fécales. Il ajoutait que cela disqualifiait régulièrement les eaux devant être traitées pour être rendues propres à la consommation, d'où une grosse « perte de valeur pour les entreprises ». N'était-ce pas l'objet de l'entretien ?

M. Nicolas Bouvier. - Pas à ma connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous vous dites très investi sur les questions relatives à la déontologie de votre profession, en tant que président, puis vice-président d'une association. Je m'adresse à la fois au praticien et au citoyen : trouvez-vous normal qu'il ait fallu attendre le mois de janvier 2024 et une enquête de presse pour que le grand public et les consommateurs soient informés de faits ayant été révélés aux autorités publiques en 2021 ?

M. Nicolas Bouvier. - À mon sens, même si une telle chronologie peut paraître trop longue aux yeux de certains, elle était nécessaire pour réaligner l'ensemble des pièces du dispositif et des différentes parties prenantes de la machine étatique et administrative : Igas, ARS, etc. Cela a effectivement pris du temps. Mais, comme je l'ai indiqué, Nestlé cherchait plutôt à accélérer les choses qu'à les ralentir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un tel réalignement vous semble-t-il incompatible avec le fait d'informer le consommateur que les eaux traitées ne répondent plus aux critères de la naturalité des eaux minérales naturelles ?

M. Nicolas Bouvier. - Le consensus général de toutes les parties prenantes a toujours été de dire qu'il n'y avait pas d'enjeu de sécurité sanitaire...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... et que vous pouviez donc léser les droits du consommateur !

M. Nicolas Bouvier. - Non. Je ne crois pas que quiconque ait jamais formulé les choses en ces termes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Mais ne pensez-vous pas que lorsqu'on laisse perdurer une fraude évaluée par le service national des enquêtes à quelque 3 milliards d'euros, le consommateur est lésé dans ses droits ?

M. Nicolas Bouvier. - C'est votre analyse. Pour ma part, je ne résumerais pas les choses ainsi.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Bouvier, nous vous remercions de vos réponses.

Communication du président et du rapporteur
(Mercredi 26 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, M. le rapporteur et moi-même avons deux informations importantes à vous communiquer.

D'abord, compte tenu des éléments dont nous disposions au dossier, il nous a paru indispensable de faire une demande de documents le 18 février dernier au secrétaire général de l'Élysée, M. Alexis Kohler.

Je dois dire que M. Kohler a parfaitement joué le jeu. Nous avons reçu un certain nombre de documents issus de la présidence. Cela étant - vous comprendrez que, compte tenu des règles de secret applicables aux commissions d'enquête, je ne puisse en dire davantage à ce stade -, plusieurs de ces documents nous ont conduits, M. le rapporteur et moi-même, à considérer qu'il était nécessaire d'entendre M. Kohler. Il apparaît en effet que la présidence de la République a été approchée à plusieurs reprises par le groupe Nestlé à propos du dossier des eaux en bouteille.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons souhaité entendre le secrétaire général de la présidence de la République. Son audition aura lieu le mardi 8 avril 2025, à dix-sept heures.

Je laisse M. le rapporteur vous faire part de la seconde information.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous le savez, notre commission d'enquête n'est pas une « commission d'enquête Nestlé », même si c'est cette entreprise qui est le plus souvent citée par la presse compte tenu de ses agissements. Notre mission est de faire la lumière sur les pratiques des industriels du secteur et sur les actions, les silences, les dissimulations ou les omissions des services de l'État.

Je rappelle que trois sujets sont apparus lors de nos auditions. Ils démontrent le sérieux du dossier.

Le premier est celui de la fraude commerciale, par laquelle certains industriels ont vendu aux consommateurs de l'eau minérale à un prix très supérieur à celui de l'eau du robinet, alors même que les traitements qu'ils faisaient subir à cette eau auraient dû la priver d'une telle appellation.

Le deuxième est le risque sanitaire, certes non réalisé, mais potentiel : des nappes contaminées bactériologiquement ont pu continuer à être exploitées, risque particulièrement net lorsque les industriels ont été contraints de retirer les traitements interdits qui étaient précisément destinés à désinfecter l'eau.

La troisième, ce sont les prélèvements excessifs, parfois illégaux, sur les nappes, dans un contexte de réchauffement climatique, qui conduisent certaines régions à subir des périodes de sécheresse inconnues jusqu'alors.

Nous avons pris l'attache de tous les groupes minéraliers en France. Tous ont joué le jeu : Danone, le groupe Ogeu, Mont Roucous et même le groupe Alma, pourtant engagé dans une procédure judiciaire. Il y a une exception : les dirigeants de Nestlé Waters, qui, depuis le début de nos travaux, n'ont cessé de se dérober ; nous le déplorons.

Dès le 20 décembre dernier, la présidente de Nestlé Waters, Muriel Liénau, a ainsi remis en cause en cause la légitimité même de notre commission. Par la suite, elle a refusé de répondre à nos questions ou de nous transmettre des documents. Nos questions aux dirigeants de Nestlé portent notamment sur la durée des fraudes de Nestlé. Leurs réponses sont essentielles pour nous et les nombreux Français qui suivent nos travaux.

Si ces fraudes n'ont duré que quelques années, elles ont pu passer entre les mailles du filet des contrôles et être liées à des épisodes ponctuels de contamination des eaux.

Si elles durent depuis beaucoup plus longtemps, c'est tout autre chose. Cela signifie qu'il existe une faille structurelle dans les contrôles des services de l'État et que les fraudes avaient peut-être aussi vocation à dissimuler une contamination plus durable de certaines nappes d'eau minérale.

Nous n'ignorons pas qu'existent en France des procédures judiciaires à l'égard de Nestlé, comme d'ailleurs en Belgique et en Suisse. Notre objectif n'est pas d'incriminer Nestlé, et nous laissons la justice suivre son cours, dans le respect absolu de ses prérogatives et de son indépendance.

Encore une fois, notre mission est de faire la lumière sur une affaire qui entache tout le secteur et qui, à terme, ne peut d'ailleurs que porter préjudice au groupe Nestlé lui-même.

À cet égard, la stratégie des dirigeants de Nestlé Waters, consistant à refuser de répondre à nos questions, est sans doute la pire possible. Elle n'empêchera pas les procédures judiciaires de prospérer. En revanche, elle ne permet pas à Nestlé de s'expliquer une fois pour toutes sur cette affaire. Surtout, elle laisse à penser à la représentation nationale comme à nos concitoyens que ce groupe a encore des choses à cacher.

En tout état de cause, notre commission d'enquête ne peut pas en rester au refus de s'exprimer de Mme Muriel Liénau, présidente de Nestlé Waters, que ses avocats ont d'ailleurs justifié dans une lettre reçue ce jour.

C'est pourquoi nous avons considéré qu'il était nécessaire d'entendre Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé, par ailleurs citoyen français. Nous verrons si Nestlé a l'intention ou non de faire toute la transparence. Son audition aura lieu le mercredi 9 avril 2025, à seize heures trente.

Audition de M. Ronan Le Fanic, ancien directeur de Nestlé Waters Vosges, responsable technique et opérations de Nestlé Waters
(Mercredi 26 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Ronan Le Fanic.

Monsieur, vous êtes hydrogéologue. Vous avez dirigé Nestlé Waters Vosges de juin 2019 à avril 2023. Vous êtes maintenant responsable du centre technique de Nestlé Waters.

Je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Ronan Le Fanic prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous rappelle qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui est non pas un tribunal, dès lors qu'elle est dépourvue de finalité répressive, mais une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et à contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus.

Vous avez l'occasion d'exposer le sujet qui nous occupe en toute transparence. Il vous revient de la saisir.

J'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés. Je rappelle que, comme il est d'usage, celui-ci ne pourra pas intervenir devant la commission.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur ce qui s'est passé dans les sites d'embouteillage d'eaux minérales. Pourquoi et comment des traitements interdits ont-ils été utilisés dans certaines entreprises ? Et comment ont-ils pu ne pas être détectés par les services de contrôle pendant des années ?

En tant que directeur de l'usine Nestlé Waters des Vosges de 2019 à 2023, qui produit les marques Vittel, Contrex et Hépar, vous avez été aux avant-postes. On notera en effet que Nestlé Waters fait l'aveu de l'usage de ces traitements interdits au cabinet de Mme Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, le 31 août 2021. Du reste, vous connaissez bien le secteur, puisque vous travaillez chez Nestlé Waters depuis 2006.

Aujourd'hui, en tant que responsable du centre technique de Nestlé Waters, vous êtes en première ligne sur la question très discutée de la microfiltration. Nous avions d'ailleurs eu un rapide échange sur ce thème à Vergèze.

À quoi servaient ces traitements ? Comment, pourquoi et par qui ont-ils été mis en place ? Quelles ont été vos interactions avec les services de l'État concernés, notamment l'agence régionale de santé (ARS) Occitanie et la préfecture du Gard ?

Pourquoi vouloir imposer à tout prix la microfiltration à 0,2 micron alors que le reste du secteur n'y est pas favorable ?

Quelles leçons tirez-vous de cette crise, qui entame la confiance des consommateurs envers un secteur auquel nous tenons tous ?

Je voudrais saisir l'occasion de cette audition pour faire comprendre l'enjeu de nos questions sur les traitements interdits, qui n'est absolument pas d'incriminer un groupe industriel. Il s'agit pour nous de comprendre l'utilité de ces traitements et comment ils ont perduré. Comme l'a indiqué M. le rapporteur, nous voulons savoir si ces fraudes n'ont duré que quelques années, auquel cas elles ont pu passer entre les mailles du filet des contrôles et être liées à des épisodes ponctuels de contamination des eaux. En revanche, si elles durent depuis beaucoup plus longtemps, cela signifie qu'il existe une faille structurelle dans les contrôles des services de l'État. Cela peut aussi signifier que ces fraudes avaient peut-être vocation à dissimuler une contamination durable de certaines nappes d'eau minérale ou des dysfonctionnements du processus de production.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps. Vous présenterez successivement vos réflexions. Cela sera suivi d'un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission. Nous pourrons terminer par une dernière batterie de questions-réponses.

M. Ronan Le Fanic, ancien directeur de Nestlé Waters Vosges, responsable technique et opérations de Nestlé Waters. - Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant cette commission d'enquête.

Avant de plonger au coeur du sujet, je souhaite me présenter brièvement. Hydrogéologue de formation, je suis titulaire d'un doctorat en gestion des ressources en eau. J'ai occupé plusieurs fonctions techniques et industrielles au sein de Nestlé Waters. De juin 2019 à février 2023, j'ai notamment dirigé l'usine des Vosges, avant de prendre mes fonctions actuelles de directeur technique de Nestlé Waters.

Mon intervention portera plus spécifiquement sur les aspects techniques qui fondent nos pratiques et nos choix industriels. Cela me semble d'autant plus nécessaire que l'industrie de l'eau embouteillée doit s'adapter, comme vous le savez, à une intensification accrue des phénomènes climatiques. Pour l'expliciter, mon propos s'articulera autour de trois axes : les défis liés aux conditions d'exploitation, le cadre réglementaire en vigueur et, enfin, les différentes méthodes de microfiltration.

En tant que minéraliers, nous ne produisons pas de l'eau ; nous préservons un héritage naturel. Il s'agit en effet de notre mission : embouteiller et mettre à disposition des consommateurs des eaux uniques, issues de territoires protégés, en assurant en permanence la sécurité et la qualité des produits finis, tout en gérant la ressource en eau de manière responsable.

Dans ce contexte, les minéraliers doivent gérer un certain nombre d'enjeux liés aux conditions climatiques de chaque site : l'hydrogéologie du terrain concerné, les conditions climatiques, l'activité humaine sur les zones de recharge, les processus industriels en place spécifiques à chaque qualité d'eau. Certaines de ces conditions ont bien évidemment évolué depuis l'origine de chaque site, et chaque minéralier doit mettre en place la bonne approche pour assurer la pérennité de ces eaux.

À mon sens, ce contexte est crucial pour comprendre la situation qui est au coeur des travaux de cette commission. Celle-ci « s'interroge sur la qualité des ressources en eau souterraine, véritable trésor écologique et économique pour la France » et « s'efforcera d'ouvrir des pistes pour assurer sa préservation ».

Trois exemples illustrent cette idée.

Premièrement, l'eau minérale naturelle, dont les propriétés minérales et la pureté proviennent de son cheminement à travers différentes couches géologiques, dépend fortement de la qualité des sols et de l'environnement où elle s'infiltre. Des facteurs externes, comme des pluies très intenses, des inondations ou des épisodes de sécheresse prolongée, peuvent affecter cet environnement. La succession rapide d'une sécheresse suivie de pluies torrentielles est particulièrement difficile à absorber pour les systèmes hydrologiques, même pour des nappes naturellement protégées, comme celles d'où proviennent nos eaux minérales naturelles. De tels phénomènes entraînent sur la zone de recharge de nos aquifères des augmentations de pression très rapides. Ces variations se propagent vite en profondeur, pouvant passer d'un aquifère superficiel à un aquifère plus profond. Ce n'est pas la goutte d'eau de pluie qui vient de tomber qui se retrouve rapidement au forage ; nous parlons ici uniquement de transfert de pression. Tous les paramètres que nos équipements de suivi analysent en temps direct et les nombreux contrôles qualité quotidiens effectués sur site nous permettent de gérer ces situations de manière proactive. C'est ainsi que ce secteur des eaux embouteillées peut rester résilient face aux enjeux du XXIe siècle.

Deuxièmement, la flore naturelle de l'eau est quelque chose propre à chaque source. Elle dépend du type de roche que la goutte d'eau a traversée pour rejoindre l'aquifère, du temps mis par cette goutte d'eau pour effectuer son voyage souterrain, de quelques années à plusieurs millénaires, du fait qu'elle a traversé une couche de terre organique avant de s'infiltrer ou de l'altitude de la zone de recharge qui influencera sa température et, donc, sa microbiologie, très sensible à ce paramètre. Chacune des sources est unique. C'est notamment pour cela que l'évaluation de la situation à l'échelon local par les autorités compétentes fait sens. Nous savons aujourd'hui que toute action sur l'eau, un produit naturel et vivant, entraîne nécessairement un changement de sa flore. Cela inclut même le simple fait de l'embouteiller. Des traitements autorisés, comme le retrait du fer ou du manganèse, modifient la flore de l'eau. Son microbisme est dynamique.

Troisièmement, les processus industriels diffèrent largement d'un site à l'autre, d'une marque à l'autre. Nos deux sites en France sont particulièrement complexes, avec plusieurs dizaines de kilomètres de canalisation à gérer entre les forages et le site d'embouteillage, de gros volumes d'eau stockés en amont des lignes de production, quatre marques à l'usine des Vosges, deux marques à celle de Vergèze. Chaque eau nécessite des traitements spécifiques. Cela peut aller de l'oxydation et du retrait du fer pour Vittel Grande Source à rien pour Hépar, qui ne subit qu'une microfiltration.

Vous l'avez compris, la nature écrit l'histoire de nos eaux, mais c'est à nous d'en garantir la qualité. Les principes directeurs de la réglementation qui encadre nos activités ont été définis voilà plus de quarante ans, avant l'apparition de certaines problématiques propres à notre époque et avant le développement de nombreuses techniques analytiques.

Cette réglementation, qui est « insuffisamment claire » et « laisse une marge d'interprétation », pour reprendre les termes de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), est à l'origine de certaines divergences d'interprétation.

La réglementation applicable aux eaux minérales naturelles, sur le plan européen ou français, repose sur une approche finaliste, c'est-à-dire qu'elle considère avant tout l'objectif du traitement plutôt que ses effets secondaires. De ce fait, elle n'interdit pas le recours à la microfiltration, sans non plus l'autoriser explicitement, pas plus qu'elle n'établit de taille de fil qui serait autorisée ou interdite.

Lorsqu'il est question de microfiltration, il s'agit avant tout d'un débat technique sur les normes industrielles. Il appartient aux ARS et aux préfets qui contrôlent chaque site d'évaluer la pertinence de l'utilisation d'un certain niveau de microfiltration pour l'installation concernée et de confirmer que cette utilisation correspond bien au cadre réglementaire.

Je tiens à ajouter que dix-sept eaux embouteillées en France ont déjà, dans leur arrêté préfectoral, de la microfiltration inférieure à 0,8 micron. Nos dossiers en cours d'instruction par les préfets des Vosges et du Gard doivent permettre à nos marques Contrex, Hépar et Perrier d'être l'objet des dix-huitième, dix-neuvième et vingtième arrêtés en France qui mentionneraient la microfiltration inférieure à 0,8 micron comme autorisée.

Il ne s'agit en aucun cas d'un traitement de faveur que sollicite Nestlé Waters, ni même d'une demande de dérogation. C'est uniquement l'application stricte du cadre réglementaire actuel.

Avant d'aborder les techniques de filtration, j'aimerais m'attarder sur un élément important concernant le rapport de l'Igas de 2022. Celle-ci conclut que l'enjeu de non-conformité concerne 30 % des marques en France et ajoute que 49 % des marques présentent un écart, notamment sur des dispositifs de filtration ne figurant pas dans leur arrêté d'exploitation.

Adrienne Brotons, ancienne directrice de cabinet du ministre de l'industrie, l'a d'ailleurs rappelé devant cette commission : « Je doute que Nestlé représente 30 % des sources en France. » Je vous le confirme, nous en sommes très loin.

Cette clarification étant faite, je vais désormais aborder le sujet technique de la filtration. Afin d'éclairer au mieux la commission sur les différences entre les deux technologies de microfiltration, j'ai apporté deux filtres.

Le premier est une cartouche à 0,2 micron. Dans ce cas, la filtration est dite frontale. L'eau est poussée perpendiculairement à la surface du filtre et ressort par l'intérieur de la cartouche.

Le second est une membrane céramique dite à 0,8 micron. Dans ce cas, la filtration est latérale ou tangentielle. L'eau circule à très haut débit dans de petits tubes à l'intérieur de la céramique et est filtrée en passant à travers les parois d'un tube poreux qui, à l'oeil nu, paraît imperméable.

Au-delà de leurs différences technologiques, ce qui importe est leur impact final sur la flore de l'eau. Or nous pouvons établir avec certitude que la filtration cartouche à 0,2 micron a le même effet que la membrane céramique à 0,8 micron. Ces deux technologies conservent les constituants essentiels d'une eau minérale, dont sa minéralité et sa flore naturelle, et ne désinfectent pas l'eau.

Malheureusement, aujourd'hui, les discussions se concentrent sur la dénomination commerciale de ces filtres et le chiffre affiché sur l'étiquette plutôt que sur leurs caractéristiques techniques réelles.

Sur la microfiltration, ne nous arrêtons pas aux chiffres : regardons la science. Ce qui compte, c'est de comparer non pas la dénomination de ces filtres, mais les effets qu'ils produisent. Pour la céramique, le 0,8 micron qui est utilisé comme dénomination commerciale fait référence aux plus gros trous dans ses membranes, les petits trous par lesquels passe l'eau. Pour faire simple, tous les trous sont au maximum de 0,8 micron. C'est ce qu'on appelle un seuil absolu. Or la taille moyenne des trous est en réalité bien inférieure. Ainsi, 90 % des trous d'une membrane dite à 0,8 font en réalité moins de 0,4 micron. La taille moyenne des trous s'établit à environ 0,25 micron, ce qui est exactement le cas des filtres cartouche à 0,2. Si l'on souhaite exprimer uniquement des seuils absolus, le filtre à cartouche à 0,2 micron s'appellerait un filtre à cartouche à 0,45.

Cette évaluation est faite non pas par Nestlé Waters, mais par un laboratoire indépendant, l'Institut de la filtration et des techniques séparatives.

Si l'on revient un instant au fait que de très nombreux sites d'embouteillage en France utilisent aujourd'hui ces membranes céramiques dites à 0,8, la logique veut qu'une très large majorité des volumes d'eau embouteillée en France passent déjà à travers une microfiltration avec une taille moyenne de 0,2 micron. Ce n'est pas une hypothèse ; c'est un fait.

Il a beaucoup été question ici des avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). À titre personnel, je ne suis pas convaincu que, lorsque l'Afssa a validé la membrane céramique à 0,8 micron en 2001, elle savait que celle-ci avait en réalité les caractéristiques techniques d'un filtre cartouche à 0,2. D'une certaine manière, l'Afssa a déjà validé, en 2001, le fait que la microfiltration à 0,2 micron est bien compatible avec la réglementation française actuelle.

Je voudrais aussi revenir sur un point qui a été soulevé lors de l'audition de Mme Liénau, la semaine dernière. Les industriels du secteur doivent effectivement apporter aux ARS des données prouvant à chaque fois que la microfiltration conserve les caractéristiques essentielles de l'eau minérale, dont sa minéralité et sa flore naturelle, et qu'elle n'est pas une désinfection.

Nous avons soumis aux ARS, ainsi qu'à l'Igas, plus de 1 200 pages de documentation technique et scientifique dans nos différents dossiers. Nous avons aussi envoyé au préfet du Gard le 20 mars, à sa demande, une documentation supplémentaire pour étayer une nouvelle fois notre propos, avec de nombreuses données à la pointe de la technologie. Cette justification rigoureuse, partagée dès le mois de mai 2022 avec les autorités, est technique, scientifique et juridique.

Ce que nous aimerions demander maintenant aux autorités sanitaires nationales, comme la direction générale de la santé (DGS) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), est d'ouvrir cette discussion technique dans les meilleurs délais, en travaillant si nécessaire avec un laboratoire indépendant et qualifié dans ce domaine. Sur la base de nos échanges réguliers avec les ARS sur nos dossiers en cours d'instruction, nous sommes convaincus que cela les aiderait aussi. En effet, même si la décision finale leur revient à l'échelon local, un alignement entre le local et le national est toujours souhaitable.

L'autre question que nous avons parfois entendue dans cette commission est celle de la raison qui mène Nestlé Waters à privilégier la cartouche à 0,2 micron plutôt que la membrane céramique à 0,8, alors même que nous expliquons qu'elles ont des effets similaires. Au moins trois raisons majeures nous conduisent aujourd'hui à utiliser la microfiltration par cartouche.

La première est une raison industrielle. Contrairement aux membranes céramiques dites à 0,8, les filtres cartouche à 0,2 sont soumis à des protocoles normés, garantissant leur performance, leur reproductibilité et leur fiabilité. Cette qualification stricte assure un haut niveau de contrôle et de sécurité.

La deuxième est une raison de maîtrise opérationnelle. Les cartouches à 0,2 micron s'intègrent parfaitement dans nos procédures de gestion qualité. Leur entretien et leur désinfection sont plus simples que celles des membranes céramiques. Par exemple, elles ne nécessitent pas la manipulation de soude et d'acide pour nos opérateurs, ce qui est un point très positif pour leur sécurité.

La troisième est une raison de sécurité d'approvisionnement. En France, un seul fournisseur de membrane céramique est agréé pour la production d'eau et d'eau embouteillée. Cette situation crée un monopole de fait, exposant les sites d'eau embouteillée en France à des risques en cas de rupture d'approvisionnement, d'augmentation des prix ou de changement de stratégie du fournisseur. À l'inverse, la microfiltration par cartouche bénéficie d'un marché plus concurrentiel avec plusieurs fournisseurs, garantissant une meilleure résilience et une flexibilité accrue pour le secteur.

Avant de conclure, je souhaite apporter quelques éléments juridiques fournis par mon avocat, qui me paraissent importants.

Monsieur le président, la semaine passée, lors d'une audition, vous avez lu une note sur les obligations et sanctions existant devant la commission d'enquête selon l'article 6 de la fameuse ordonnance de 1958. Mais vous avez omis son troisième alinéa, qui rappelle précisément les limites d'une commission d'enquête face à une enquête pénale : « Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter. »

Vous avez également mentionné l'arrêt Corbet de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), en le présentant comme une validation des principes des commissions d'enquête parlementaires concomitantes à une procédure pénale. Cette lecture est simpliste. La CEDH a aussi rappelé à cette occasion qu'il existait une réelle problématique au regard du droit à un procès équitable.

La commission d'enquête parlementaire a beau insister sur le fait que la justice pénale ne tiendrait pas compte d'éventuels propos auto-incriminants ou qu'elle ne pourrait pas fonder une condamnation exclusivement sur ceux-ci, cette garantie est, à l'évidence, illusoire tant la teneur des déclarations est relayée publiquement.

Par conséquent, je ne répondrai à aucune question portant sur l'utilisation des traitements passés - par qui et quand ont-ils été installés, qui connaissait leur existence ? - et, plus généralement, sur tout point susceptible d'être couvert par l'instruction en cours.

Depuis plus d'un an, Nestlé Waters est au centre d'attentions soutenues, souvent critiques, sur des sujets techniques complexes.

S'il est évidemment naturel et légitime que des débats existent, dans cette vague de critiques, je veux aussi rappeler un élément fondamental qui ne doit pas être perdu de vue. Derrière ces discussions réglementaires, derrière ces enjeux industriels et très techniques, il y a des femmes et des hommes, des équipes engagées, des techniciens et des ingénieurs, des opérateurs et des ouvriers qui, chaque jour, travaillent avec rigueur pour garantir la qualité de nos eaux minérales naturelles pour nos consommateurs. Ces salariés, dont j'ai longtemps partagé le quotidien, possèdent un savoir-faire unique, un attachement profond aux sources qu'ils utilisent et qu'ils protègent. La gestion d'un site d'eau minérale naturelle ne se résume pas à des seuils de filtration. C'est un métier, une expertise et une vigilance constante qui s'exercent dans un cadre exigeant. C'est une activité qui est par nature très liée aux territoires sur lesquels on opère.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Le Fanic, je précise que cette commission ne se substitue pas à une investigation judiciaire. Nous cherchons la transparence sur des faits qui se sont produits. Nous le devons aux consommateurs, c'est-à-dire à nos concitoyens, qui sont inquiets.

J'ai conscience de la qualité des salariés des entreprises et industries concernées. Il n'a jamais été question, dans mon esprit comme dans celui de M. le rapporteur ou de nos collègues, de porter atteinte à ces personnels.

Nous effectuons notre travail de contrôle. Les parlementaires ont, je le rappelle, deux missions : d'une part, voter la loi ; d'autre part, contrôler l'action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. C'est le sens de la présente commission d'enquête. Celle-ci est parfaitement légale. La commission des lois s'est prononcée à l'unanimité en faveur de sa création.

Enfin, sachez que je goûte fort peu les propos selon lesquels nous ferions une lecture « simpliste » du droit en vigueur. Au Sénat, nous avons d'excellents collaborateurs, et nous faisons une lecture sage des textes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Le Fanic, lors de l'audition de Mme Liénau, nous nous sommes heurtés à un mur de silence. Je trouve grave votre refus d'expliciter devant la représentation nationale et les Français ce qui s'est passé pendant des années. Je trouve également inquiétant de vous entendre invoquer votre droit à ne pas vous « auto-incriminer ». Est-ce à dire que, devant la justice aussi, vous auriez peur de décrire comment les choses se sont passées ?

Notre objectif est d'avancer dans la connaissance des événements. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous auditionnerons le directeur général de votre groupe. Ce sera sans doute notre ultime tentative de discussion. Il se peut que nous échouions et que Nestlé refuse de dire aux Français ce qui s'est passé dans ses usines pendant des années. Mais, à mon avis, ce ne serait pas une bonne idée.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Le Fanic, avant de poursuivre cette audition, je dois m'assurer d'un élément : avez-vous l'intention de répondre aux questions que nous allons vous poser ?

M. Ronan Le Fanic. - Oui, monsieur le président.

M. Laurent Burgoa, président. - Dont acte.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon une note du cabinet du ministère de la santé du 30 novembre 2022, des prélèvements du 16 novembre 2022 montraient une contamination par des matières fécales des forages Essar, l'un des quatre forages, me semble-t-il, de la ressource Hépar. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Quand cette contamination a-t-elle été connue ? Quelle en était la raison ?

M. Ronan Le Fanic. - Essar, qui faisait partie des six forages dans le mix Hépar, a été suspendu depuis, de même qu'un autre. Sur ces deux forages, nous n'arrivions pas à maintenir les caractéristiques essentielles d'une eau minérale naturelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelle caractéristique n'arriviez-vous pas à maintenir ? La pureté originelle ?

M. Ronan Le Fanic. - Les caractéristiques sont définies par la directive européenne ; elles sont soit physiques, soit microbiologiques. En l'occurrence, ce forage avait, de manière sporadique, des déviations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous être plus précis ?

M. Ronan Le Fanic. - Il s'agissait de déviations sporadiques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lesquelles ?

M. Ronan Le Fanic. - C'était de nature clairement plus microbiologique que chimique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce problème de nature microbiologique, pouvez-vous le qualifier ?

M. Ronan Le Fanic. - Vous y avez fait référence lorsque vous avez évoqué les analyses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y avait des matières fécales ?

M. Ronan Le Fanic. - Non. Contrairement à ce qui s'écrit dans une certaine presse, il n'y a pas de matières fécales dans nos ouvrages. Ce qui est détecté, ce sont des « bactéries d'origine fécale » : c'est le terme juridique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette même note indique également que Nestlé prévoyait de suspendre l'exploitation de deux captages sur trois de la source Contrex en raison de contaminations. Vous avez suspendu le 28 novembre 2022 l'exploitation des forages Contrex Thierry-Lorraine et Belle-Lorraine. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. Ronan Le Fanic. - Sur le site des Vosges, nous avons suspendu en tout quatre forages : deux Hépar et deux Contrex.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour les mêmes raisons ?

M. Ronan Le Fanic. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous réussi à identifier les causes de la dégradation de ces eaux minérales naturelles, qui ont la propriété d'être souterraines, dans un environnement réputé protégé ? Une exploitation trop intense ? D'autres facteurs liés à l'environnement ?

M. Ronan Le Fanic. - Ces forages ne sont pas dans des aquifères surexploités. Nous avons beaucoup d'experts, et nombre d'études ont été réalisées sur le sujet. Nous avons essayé pendant des mois d'améliorer la situation. Malheureusement, nous n'y sommes pas parvenus, et nous avons dû prendre la décision de suspendre les quatre ouvrages.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne répondez pas à ma question sur les causes de la dégradation des eaux.

M. Ronan Le Fanic. - Nous n'avons pas réussi à mettre le doigt précis sur ces causes. Il s'agit de systèmes géologiques complexes. Nous avons essayé d'améliorer la situation. En vain.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La commission a également eu connaissance de l'arrêt de deux des quatre forages Hépar. Toutefois, si j'ai bien compris, l'un a été arrêté avant l'autre.

M. Ronan Le Fanic. - Non. Les deux ont été arrêtés simultanément le 5 mai 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette décision vous a été imposée par l'administration centrale, Matignon et le cabinet de l'industrie, le 16 février 2023. Votre direction a indiqué que l'arrêt de ces forages diminuerait des deux tiers la production d'Hépar. Une solution aurait consisté à requalifier Hépar comme eau rendue potable par traitement, mais c'est impossible, car cette eau contient trop de sulfates.

Votre direction préconisait donc de continuer à utiliser ces forages avec une microfiltration à 0,2 micron. Selon votre analyse d'alors, cette microfiltration était-elle suffisante pour éviter la contamination de l'eau d'Hépar par des bactéries pathogènes ?

M. Ronan Le Fanic. - En tant que directeur d'usine, je n'ai jamais eu accès aux documents de synthèse au niveau ministériel. Le plan de transformation qui a été présenté visait à faire toute la transparence sur la situation à Hépar avec les autorités nationales, puis, rapidement, départementales. Comme vous le savez, nous avons été couverts par la mission de l'Igas au mois d'avril 2022. Nous avions pour objectif d'accélérer les mesures de protection, afin d'essayer de sauver ces forages stratégiques pour le site. Nous n'y sommes pas parvenus, et nous avons décidé de les suspendre. Pour nous, cette suspension est une décision de Nestlé Waters.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne considérez pas que la décision vous a été imposée ?

M. Ronan Le Fanic. - Je n'ai jamais eu vent des documents que Mme Brotons a évoqués, je crois, la semaine dernière.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais, à un moment, la microfiltration à 0,2 micron a été envisagée comme une solution pour maintenir les forages ouverts ?

M. Ronan Le Fanic. - Pendant la période de transition, nous avons fonctionné sous un contrôle qualité renforcée avec les ARS, qui effectuaient leurs contrôles en plus de nos contrôles internes. Nous avions déjà retiré les autres traitements non conformes, dont les ultraviolets (UV). Nous avions donc le process actuel et uniquement de la microfiltration sur Hépar, qui ne nécessite aucun autre traitement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est souvent argué devant cette commission - c'est d'ailleurs un peu contradictoire avec ce que vous venez d'indiquer - que la microfiltration à 0,2 micron ne présente pas de caractéristiques désinfectantes. Or vous venez de dire qu'elle était perçue comme un moyen de poursuivre l'exploitation.

M. Ronan Le Fanic. - Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Sur le process Hépar, ai-je dit, il n'y a que la microfiltration pour le mix à six forages. Nous avons décidé, après discussion avec les autorités et sous leur contrôle, de retirer les UV, qui ne couvraient que deux des six forages, les deux qui ont fini par être suspendus. Le reste de l'installation, sous le contrôle des autorités et le contrôle qualité renforcée, a été maintenu et nous a permis de continuer l'exploitation au départ.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui ressort de la documentation, c'est que vous avez dit aux autorités centrales et locales qu'avec la microfiltration à 0,2 micron l'exploitation pouvait se poursuivre.

M. Ronan Le Fanic. - De toute manière, le protocole qualité a été discuté avec les autorités. Nous n'avons rien fait sans leur accord.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans une note du 8 décembre 2022, Mme Virginie Cayré, directrice générale de l'ARS Grand Est, écrivait : « Dans l'hypothèse où l'eau serait contaminée, la substitution des UV par des filtres à 0,2 micron ne traiterait qu'une partie des micro-organismes potentiellement pathogènes ; les virus passent la barrière des filtres. Le contrôle sanitaire rendu inopérant, car ne détectant plus les bactéries indicatrices d'une contamination fécale et son cortège de micro-organismes pathogènes, ne permettrait plus d'évaluer les risques sanitaires pour le consommateur. Il faudrait alors imposer un suivi au-delà des paramètres réglementaires classiques avec l'appui scientifique de l'Anses pour détecter de telles pratiques. » Reprenez-vous cette analyse à votre compte ?

M. Ronan Le Fanic. - Le sujet a été parfaitement discuté dans le cadre des protocoles qualité renforcés. Évidemment, pour l'ARS, les virus passeraient à un filtre 0,2. Encore faut-il qu'il y ait des virus. L'ARS a exécuté le protocole présenté dans le rapport et la note d'appui de l'Anses. Nous n'avons trouvé aucun virus. La directrice de l'ARS Grand Est vous l'a indiqué lors de son audition.

De notre côté, nous avons également énormément de contrôles sur les analyses virales. Nous disposons d'un laboratoire accrédité qui procède à ces analyses depuis quasiment dix ans. Sur plus de 6 000 analyses, qui concernent les Vosges et Vergèze - il y en a eu un peu plus de 3 200 sur chaque site, y compris sur les forages que nous avons suspendus depuis -, nous n'avons jamais trouvé de virus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les analyses incluaient-elles à chaque fois le virologique ?

M. Ronan Le Fanic. - Pas systématiquement. Ainsi que Mme Liénau vous l'a indiqué, nous effectuons environ 1 500 analyses par jour entre les deux usines. Il n'y a pas d'analyse virologique systématique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certifiez-vous donc qu'à Vergèze comme dans les Vosges il n'y a jamais eu de virus dans l'eau ?

M. Ronan Le Fanic. - Tout à fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'était important de le préciser.

Dans un deuxième temps, mes questions porteront sur le recours à la microfiltration à 0,2 micron et je souhaiterais que vous y répondiez en tant que responsable du centre technique de Nestlé Waters.

À de multiples reprises, des représentants de Nestlé nous ont dit - et vous nous avez dit la même chose lors de notre déplacement sur le site de Vergèze - avoir transmis à la direction générale de la santé (DGS) et à l'Anses un dossier substantiel d'études visant à démontrer la pertinence de la microfiltration à 0,2 micron et l'absence de modification du microbisme de l'eau. Pourriez-vous nous dire précisément ce que contient ce dossier et quelle est la nature des études qui y figurent ? Nous aimerions également savoir à qui et quand vous avez transmis ce document.

M. Ronan Le Fanic. - Nestlé Waters n'a jamais été en contact direct avec la DGS et l'Anses sur le sujet que vous évoquez. Nous avons simplement fait savoir, dans le cadre des discussions interministérielles auxquelles nous avons participé depuis août 2021, que, si l'Anses ou la DGS souhaitaient discuter du sujet de la microfiltration avec nos experts, nous serions disponibles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sous le contrôle du président Burgoa et d'un certain nombre de mes collègues qui étaient avec moi lors du déplacement sur le site de Vergèze, notamment Mme Guhl, je crois me rappeler que vous nous avez dit avoir transmis un dossier.

M. Ronan Le Fanic. - Nous avons transmis ce dossier à nos autorités de tutelle, c'est-à-dire à l'ARS Grand Est et à l'ARS Occitanie ainsi qu'à l'Igas. Nous leur avons fait parvenir dès le mois de mai 2022 un dossier technique justifiant que la microfiltration à 0,2 micron n'était pas une désinfection et était conforme à la réglementation actuelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous nous dire précisément à quel moment vous avez envoyé ce dossier ?

M. Ronan Le Fanic. - Nous avons envoyé à l'Igas, le 4 mai 2022, notre dossier technique sur la microfiltration. De plus, nous avons fait figurer un chapitre sur la microfiltration et sa justification dans les dossiers que nous avons dû soumettre pour la mise à jour de nos arrêtés, qui sont encore en instruction dans les deux départements concernés. Le dossier concernant le site de Vergèze faisait ainsi 829 pages.

En plus de ces dossiers, nous avons dû, en avril 2024, produire une note complémentaire pour répondre aux questions de l'ARS Occitanie et du préfet du Gard. Nous leur avons donc renvoyé un document de 60 pages. Puis, en octobre 2024, à la suite de l'inspection menée par l'ARS et la direction départementale de la protection des populations (DDPP) sur le site de Vergèze, nous avons renvoyé 50 à 60 pages de notes complémentaires et de données très précises pour appuyer notre situation.

Enfin, comme vous le savez sans doute, nous avons renvoyé le 20 mars dernier, c'est-à-dire il y a une semaine, un nouveau dossier où figurent des données à la pointe sur la situation de Vergèze et où nous expliquons que la microfiltration à 0,2 micron n'est pas une désinfection et nous semble conforme à la réglementation en vigueur puisqu'elle ne modifie aucune caractéristique essentielle d'une eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il y a une question à laquelle je n'ai pas réussi à obtenir de réponse au cours des auditions précédentes. Les ARS sont des autorités de contrôle locales. Une procédure existe à l'échelle européenne, qui précise de manière très claire et très bornée que tout ce qui n'est pas autorisé est interdit et que, pour lever une interdiction, il faut formuler une demande auprès de la Commission européenne, laquelle fera procéder à son examen au niveau de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Bref, il existe tout un circuit pour obtenir la validation de traitement. Les auditions d'hier nous ont permis de prendre la mesure des actions de lobbying que vous menez, en multipliant notamment les sollicitations auprès des pouvoirs publics.

Or à aucun moment vous n'avez suivi la procédure ordinaire qui consiste à aller présenter votre dossier devant la Commission européenne et à attendre ensuite que l'on vous délivre une autorisation, puis à appliquer le droit. Pourquoi ne pas avoir suivi cette voie ?

M. Ronan Le Fanic. - Je vous remercie de me poser cette question, que vous aviez en effet déjà posée lors de l'audition d'hier. Il faut bien distinguer les choses. On ne peut pas considérer que, lorsque les dirigeants de sites industriels en France contactent leur autorité de tutelle, c'est-à-dire l'ARS, ils font du lobbying. Ils ne font que suivre le cadre réglementaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Ronan Le Fanic. - En outre, l'autorisation qui est mentionnée dans la directive européenne correspond à des cas précis. Vous avez d'ailleurs dit, à juste titre, que ces cas étaient bornés. Notre demande sur la microfiltration, quelle que soit la taille du filtre envisagé - il en existe de tout type dans les usines d'eau minérale, à 0,2 ou à 0,8 micron, à 1 micron, à 1,2 micron, à 5 ou à 10 microns -, n'entre pas dans ces cas de figure.

Pour vous donner un exemple, l'autorisation vaudrait dans le cas où un vendeur de traitement d'eau proposerait une solution magique pour retirer le fer et le manganèse présents dans l'eau, sans recourir à l'oxydation ou au retrait tel qu'on le fait aujourd'hui en utilisant des filtres médias. Pour que les autorités nationales puissent valider ce nouveau traitement du fer ou du manganèse, il faudrait en effet que le vendeur obtienne d'abord un tampon de l'Efsa.

Encore une fois, la validation européenne ne s'applique que dans des cas très spécifiques, qui ne correspondent pas au nôtre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas ainsi que nous lisons la directive. Pouvez-vous nous préciser les éléments qui vous permettent de dire cela ?

M. Ronan Le Fanic. - Nous vous les ferons parvenir de manière détaillée. Mais si la lecture que vous faites de la directive était correcte, cela voudrait dire que les dix-sept marques d'eau minérale embouteillée dont les arrêtés prévoient une microfiltration inférieure à 0,8 micron auraient toutes sollicité l'Efsa ! Nous avons vu, en effet, que les arrêtés de plusieurs marques d'eau minérale embouteillée prévoyaient une microfiltration à 0,2 micron ; or à ma connaissance, l'Efsa n'a jamais rendu d'avis sur ce sujet.

Il est également important de rappeler qu'il ne revient pas aux embouteilleurs de saisir la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne ou de saisir l'Efsa. Cette dernière reçoit des demandes d'avis scientifiques qui émanent principalement de la Commission européenne, mais aussi du Parlement européen ou des États membres. Je ne l'invente pas, c'est écrit sur leur site internet.

Par conséquent, nous nous inscrivons strictement dans le suivi de la réglementation française sur l'eau minérale. Ce sont les ARS qui doivent se prononcer sur les microfiltrations, qu'elles soient à 0,2, à 0,8 ou à 1 micron, ou bien à 3, à 5 ou à 10 microns. Il s'agit d'un procédé référencé et connu de l'Efsa, et il n'y a aucune raison de solliciter les autorités sanitaires européennes sur un sujet qui n'a rien à voir avec le risque sanitaire.

Je tenais à ce que cela soit clair, parce que c'est ainsi que l'on procède dans la vraie vie.

M. Laurent Burgoa, président. - Mais les ARS n'ont pas le pouvoir de fixer des normes.

M. Ronan Le Fanic. - Je ne parle pas de normes.

M. Laurent Burgoa, président. - Jusqu'à présent, les questions que vous a posées M. le rapporteur sur la microfiltration portaient bien sur des normes, puisqu'il s'agissait de savoir si celle-ci devait se faire à 0,2, à 0,8 ou à 0,4 micron. Les conséquences varient selon la taille de la microfiltration utilisée.

Pour en revenir à l'audition d'hier, il est tout à fait normal que, dans un groupe comme le vôtre, une personne soit chargée de faire du lobbying au niveau national ou international. Toutefois, comment se fait-il que vous ne soyez pas allés frapper à la porte de vos interlocuteurs au ministère de la santé pour faire changer la norme ? En effet, cela ne dépend pas des ARS, que ce soit celle du Grand Est, d'Occitanie, de Bretagne ou de Rhône-Alpes, car elles n'en ont pas le pouvoir. Cela doit se faire au niveau national et au niveau central, au moins au niveau ministériel. Vous connaissez bien les rouages : pourquoi donc ne vous êtes-vous pas adressés au ministre ?

M. Ronan Le Fanic. - Nous n'avons jamais envisagé de faire changer les normes, qu'elles soient françaises ou européennes. Le dossier que nous avons soumis à plusieurs reprises aux autorités locales qui sont notre point d'entrée - je précise bien qu'il ne s'agit ni de la DGS ni de l'Anses - prouve que ce que nous faisons aujourd'hui sous le contrôle des autorités est conforme au cadre réglementaire français et européen en vigueur.

Nous n'avons donc jamais eu l'intention de faire changer la réglementation sur l'eau minérale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre réponse me surprend au moins pour deux raisons.

Tout d'abord, M. Bouvier nous a expliqué très clairement, hier, qu'il avait été embauché pour traiter la question de la réglementation au niveau européen et que, s'il y a eu trente-six sollicitations et entre dix à vingt rencontres avec les pouvoirs publics, c'était précisément dans l'objectif de changer la réglementation.

Ensuite, l'audit de la Commission européenne a permis de conclure - peut-être trouvez-vous ces conclusions trop définitives - qu'une microfiltration à 0,2 micron entraînait une modification du microbisme de l'eau, de sorte qu'il ne s'agit plus d'une eau minérale naturelle.

Enfin, l'enquête que l'ARS a menée sur le site de Perrier a abouti à dire qu'il n'était pas certain que l'on puisse continuer à commercialiser comme une eau minérale naturelle celle qui est produite sur ce site. Il y a donc bien eu une volonté de changer la réglementation jusqu'à obtenir ce bleu qui justement était une évolution pour...

M. Ronan Le Fanic. - Il ne s'agit pas d'une évolution que Nestlé Waters demande.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si, puisque le groupe a embauché un cabinet de lobbying pour obtenir cette disposition.

M. Ronan Le Fanic. - Je pense que M. Bouvier a dû vous expliquer qu'il avait été embauché pour essayer de traiter ces sujets au niveau national.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout à fait.

M. Ronan Le Fanic. - Nous avons deux grosses usines qui sont concernées par ces sujets et nous savons qu'il est important d'avoir une cohérence à l'échelle tant nationale que locale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes donc d'accord sur le fait qu'il y a une activité...

M. Ronan Le Fanic. - Non, nous ne demandons aucun changement de loi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais ne jouons pas sur les mots : il s'agit non pas de la loi, mais du cadre applicable, c'est-à-dire de la réglementation et des directives potentielles de la direction générale de la santé. Or je le redis, un audit de la Commission européenne s'est prononcé contre la microfiltration à 0,2 micron.

M. Ronan Le Fanic. - Il s'agit d'un audit des autorités françaises par la Commission européenne et non pas d'un audit portant sur les pratiques dans nos usines.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, mais êtes-vous d'accord pour reconnaître que cet audit conclut que la réglementation à 0,2 micron...

M. Ronan Le Fanic. - Les données n'étaient que partielles. Nous n'avons jamais échangé avec ceux qui ont mené cet audit. Ceux qui sont venus à l'usine des Vosges, ce sont les représentants de l'ARS que visait l'audit de la Commission européenne. Encore une fois ce n'est pas l'usine qui était visée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Très bien, mais vous pouvez entendre que les autorités chargées de la réglementation, que ce soit l'Anses dans ses avis, la Commission européenne dans ses audits ou bien la direction générale de la santé, se sont prononcées contre la microfiltration à 0,2 micron. Vous nous avez montré des filtres et il a été très intéressant pour nous de pouvoir les voir de près et les palper, mais bien évidemment nous nous en remettons à ce que disent les autorités réglementaires.

Par ailleurs, vous nous avez dit que vous aviez fait le choix de cette microfiltration pour des raisons de process et de monopole sur un ensemble de produits. Mais vous n'avez pas hésité à engager des dizaines de millions d'euros alors même que vous saviez qu'il y avait un problème de nature réglementaire ! J'en veux pour preuve que vous avez embauché un lobbyiste pour traiter le sujet. Cela me trouble, pour ne pas dire que cela me fascine.

Vous utilisez des filtres illégaux, alors que ces éléments sont totalement bornés par la réglementation et contestés par l'Anses ainsi que par l'audit de la Commission européenne. Comment expliquez-vous ce choix de la solution la plus compliquée possible ? Nous nous posons forcément la question de la qualité de la ressource à l'origine, autrement dit de sa pureté originelle. Nous avons compris qu'il y avait eu un problème sur ce point dans plusieurs forages sur le site des Vosges. L'un de vos directeurs de site, M. Philippe Fehrenbach, a également évoqué dans le cadre de son audition la vétusté des installations et des forages eux-mêmes. Est-ce donc cela qui nécessite une microfiltration à 0,2 micron plutôt qu'une microfiltration standard à 0,8 micron ? Comment donc justifiez-vous ce choix ?

M. Ronan Le Fanic. - Comme je l'ai déjà dit dans mon propos liminaire, la réglementation ne fixe aucun seuil autorisé ou interdit de microfiltration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En tout cas, l'avis de l'Anses sécurise une microfiltration à 0,8 micron. Vous auriez été tranquilles et il n'y aurait pas eu de risque réglementaire.

M. Ronan Le Fanic. - L'avis de l'Anses présente la filtration par membrane céramique comme un traitement pour retirer le fer et le manganèse. Il ne s'agit pas d'une filtration à 0,8...

M. Laurent Burgoa, président. - Nous n'allons pas débattre pendant des heures sur la taille à 0,8, à 0,2 ou à 0,4 micron ! Toutefois, la microfiltration à 0,8 micron ne semble pas poser de problème à vos collègues qui travaillent dans d'autres groupes industriels. Comment l'expliquez-vous ? Les représentants de la Maison des eaux minérales naturelles nous ont dit qu'ils considéraient que la norme en matière de microfiltration était à 0,8 micron. Pourquoi donc faire différemment ? C'est une qualité de savoir être seul, mais pourquoi Nestlé Waters est-il le seul industriel à refuser cette norme ?

M. Ronan Le Fanic. - Il est important de comprendre que, si certains de nos compétiteurs considèrent qu'une microfiltration par membrane céramique à 0,8 micron est satisfaisante, c'est parce que le cadre réglementaire est à vocation finaliste. En effet, quel est l'impact sur l'eau d'une filtration céramique à 0,8 micron par rapport à une filtration cartouche à 0,2 micron, les deux faisant la même taille ? Certes, un industriel peut être très satisfait d'une filtration céramique à 0,8 micron et considérer que cela fonctionne très bien. De fait, il a été prouvé - les autorités ont les données - que, du point de vue du design, les deux types de filtration sont équivalents.

Je n'ai aucun problème à expliciter une fois de plus ce point fondamental : nous sommes en train de juger des sujets très techniques en faisant référence à des dénominations commerciales. Une membrane céramique permet une filtration à 0,8 micron, ce qui correspond à la taille des plus gros trous dans notre membrane, mais nos compétiteurs font la comparaison avec la taille du trou moyen parce que c'est cela qui compte. Par conséquent, une partie de la profession peut continuer à dire qu'elle apprécie le 0,8 céramique, mais nous disposons des données qui prouvent qu'il est possible de filtrer beaucoup mieux qu'avec un 0,8 céramique.

De plus, le 0,8 céramique a été validé par l'Afssa dès 2001. Comme je le disais, cela revient en quelque sorte à valider le fait que le 0,2 cartouche - puisque, en réalité, c'est la même chose - est conforme à la réglementation française et européenne. Aucun texte de loi en Europe ou en France n'interdit une taille de filtration, mais il faut démontrer sa justification. Nous l'avons fait depuis 2022 et nous continuons de le faire parce que notre dossier est solide.

Comme je l'ai déjà dit, si, au travers de cette commission, nous aboutissons à ce que l'Anses accepte de rencontrer les acteurs du secteur qui gèrent ces sujets au quotidien et qui ont l'expertise nécessaire pour différencier les deux cartouches que je vous ai présentées, nous n'aurons pas perdu notre temps. Nous le souhaitons et nous considérons que c'est nécessaire. Les échanges que nous avons avec les ARS au niveau local laissent à penser que, d'une certaine manière, c'est aussi cela qu'elles attendent.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'aurais plutôt envie de dire : « Que de temps perdu ! » Vous avez le numéro de téléphone de l'Anses et rien ne vous empêchait de lui écrire depuis trois ans que le sujet est sur la table.

M. Ronan Le Fanic. - Il n'est pas simple pour un industriel de contacter directement l'Anses. M. Jérôme Salomon, ancien directeur de la DGS, a dit devant cette commission qu'il y avait des murs hermétiques entre la DGS et le secteur privé, et il en était assez fier. Si vous nous permettez de rendre un peu plus poreux ces murs hermétiques, nous serons d'accord et nous participerons à ces réunions techniques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce que je retiens, c'est que vous nous aviez dit l'avoir fait lorsque nous sommes venus à Vergèze, mais que ce n'est pas le cas.

M. Ronan Le Fanic. - Nous l'avons proposé au cabinet ministériel et je précise que je n'étais pas présent lors de ces réunions au niveau national. Nous n'avons fait que le proposer, mais nous n'avons jamais reçu de coup de fil en retour pour indiquer que nos interlocuteurs étaient d'accord.

M. Laurent Burgoa, président. - N'aurait-il pas été opportun de faire un courrier officiel à l'Anses ?

M. Ronan Le Fanic. - La seule fois où nous avons fait un courrier au directeur de la DGS pour lui demander de saisir l'Anses, en début d'année, cela s'est soldé par une fin de non-recevoir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je crois avoir bien compris la situation sur le site des Vosges : des forages ont été fermés et il y avait des problèmes de pureté originelle.

M. Ronan Le Fanic. - Il y avait des déviations sporadiques...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - ... qui ont conduit à la fermeture de quatre forages.

M. Ronan Le Fanic. - À leur suspension.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À leur suspension sine die.

Les directeurs de site de Nestlé Waters ont avancé l'argument du biofilm pour justifier le recours au filtrage à 0,2 micron. Vos concurrents disent que, chez eux, il n'y a pas de biofilm qui se forme parce qu'ils nettoient leurs tuyaux. Or, à Vergèze, vos collègues nous ont dit qu'ils utilisaient des longueurs de tuyaux particulières. Nous nous sommes donc rendus en Haute-Savoie sur les sites de certains de vos concurrents qui utilisent des longueurs de tuyaux analogues aux vôtres : ils nous ont répété qu'il suffisait de nettoyer les tuyaux pour éviter la formation de biofilm.

Par conséquent la microfiltration à 0,2 micron permettrait-elle de décaler le nettoyage des tuyaux pour le faire moins souvent que vos concurrents ? En effet, pour nettoyer les tuyaux, il faut arrêter la file de production. Je m'interroge sur ce point, car vos concurrents n'évoquent jamais la question du biofilm ; or vous le faites pour justifier la microfiltration à 0,2 micron.

M. Ronan Le Fanic. - Je vous remercie de cette question, qui porte sur un sujet très important pour l'industrie. Il est d'ailleurs au coeur de nos activités quotidiennes dans le site des Vosges et dans celui de Vergèze.

Comme je l'ai mentionné dans mon propos liminaire, la qualité et la microbiologie d'une eau sont propres à chaque source, de sorte qu'elles sont toutes différentes. Nous en gérons énormément et elles sont toutes différentes, et elles peuvent aussi l'être au sein du même aquifère. Il faut donc bien comprendre que le sujet est à l'échelle locale.

Je ne commenterai pas la qualité d'eau brute des usines que vous avez visitées, car je ne la connais pas. En revanche, je connais très bien nos usines. Je les connais même suffisamment pour pouvoir, par forage et par qualité d'eau, vous donner une sorte de cartographie de la flore présente dans l'eau. Nous savons aussi, parce que nous avons ces capacités analytiques en interne, quelles bactéries sont plus susceptibles de générer du biofilm. En effet, en présence de certaines bactéries, il y aura forcément du biofilm, alors que, pour d'autres, cela ne changera pas grand-chose. Nous avons, dans nos deux usines, des bactéries que des scientifiques et des universitaires, dont je précise qu'ils ne sont pas employés par Nestlé, qualifient comme étant génératrices de biofilm.

L'enjeu est donc bien réel pour nous et le sujet n'est aucunement lié à l'obsolescence des installations. Nous passons notre temps à nettoyer les tuyaux, les cuves et les lignes de production. Mais nous savons que, dans nos eaux, il y a cette flore naturelle qui est susceptible de générer du biofilm. Voilà pourquoi nous travaillons en continu sur cette problématique dans nos usines.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie de ces précisions, qui sont intéressantes pour nous. Je note toutefois, au sujet de l'obsolescence des installations, que le retrait des traitements illégaux a conduit à un plan de transformation massif, lequel a nécessité 50 millions d'euros d'investissement.

M. Ronan Le Fanic. - Vous parlez du site de Vergèze.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui.

M. Ronan Le Fanic. - Ce n'est pas le retrait des traitements non conformes qui a nécessité 50 millions d'euros. Compte tenu des volumes en jeu et de la séparation complète depuis le forage jusqu'à la ligne de production, toutes les tuyauteries intermédiaires et toutes les cuves étaient concernées, comme vous avez pu les voir.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le retrait des traitements non conformes a donc bien nécessité des investissements.

M. Ronan Le Fanic. - Non, c'est la séparation des flux physiques pour permettre d'embouteiller, sur le site de Vergèze, l'eau de Maison Perrier en tant qu'eau de boisson et l'eau Perrier en tant qu'eau minérale qui a coûté 50 millions d'euros.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et la nécessité de faire cela venait de l'absence de stabilité sur les forages de Maison Perrier et, donc, de la perte de la pureté originelle de la ressource sur ces forages. Pouvez-vous nous le confirmer ?

M. Ronan Le Fanic. - Nous avons dû, parce que cela faisait partie de notre stratégie, dédier deux forages du site de Vergèze à la production de boissons. Nous avons donc passé l'année 2023, plus précisément de juillet à décembre, à monter un dossier d'instruction pour que la ressource issue de ces deux forages puisse être qualifiée en tant qu'eau de consommation humaine. Nous avons bien évidemment reçu pour cela l'appui d'organismes hydro-agréés et de l'ARS ; il a fallu quasiment six mois pour exécuter cette transformation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Trois hydrogéologues ont été missionnés sur le site de Vergèze pour vérifier que la pureté originelle de l'eau est toujours au rendez-vous dans un certain nombre de puits et pour établir ce qui n'est plus de l'eau minérale naturelle et ce qui l'est encore. Avez-vous eu le premier rapport de ces hydrogéologues et avez-vous eu l'occasion de réagir face à leurs conclusions ?

M. Ronan Le Fanic. - Non. Deux hydrogéologues ont été réquisitionnés à la fin du mois d'août par le préfet du Gard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour l'instant, vous n'avez rien vu de leur rapport ?

M. Ronan Le Fanic. - Pour l'instant, nous n'avons rien vu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il eu, entre janvier et mars, c'est-à-dire aujourd'hui, des incidents d'exploitation sur le site de Vergèze dans le Gard ?

M. Ronan Le Fanic. - Qu'entendez-vous par « incidents d'exploitation » ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Admettons que c'est une terminologie assez générale pour désigner des problèmes sur la production, notamment des arrêts liés à des contaminations ou à des difficultés sur la ligne de production.

M. Ronan Le Fanic. - Il n'y a rien eu qui sortait de la routine. Nous n'avons pas subi d'épisode cévenol cette année et j'espère qu'il n'y en aura pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a donc pas de problème sur les lignes de production à Vergèze ? Vous pouvez le certifier sous serment ?

M. Ronan Le Fanic. - Oui, pour l'instant, l'activité est routinière.

Mme Antoinette Guhl. - Lorsqu'un représentant de Nestlé parle de « déviation sporadique », cela signifie qu'il y a une pollution ponctuelle. C'est une précision importante, pour que ceux qui nous écoutent comprennent bien de quoi il s'agit : une déviation sporadique, c'est une pollution ponctuelle.

Vous avez dit que, derrière cette affaire Nestlé, il y avait des salariés. Je vous répondrai que ce n'est pas rendre service aux salariés que de tricher et contourner la réglementation pendant plus de vingt ans, en les obligeant à se retrouver en dehors des clous de la réglementation !

Derrière cette affaire Nestlé, il y a aussi les consommateurs, qui vous ont fait confiance pendant vingt à vingt-cinq ans, en croyant acheter de l'eau minérale naturelle qu'ils considéraient même comme haut de gamme.

Derrière cette fraude, il y a aussi les agents de l'État, que vous méprisez. Certains d'entre eux sont venus contrôler vos installations sur lesquelles il y avait des tricheries. Vous les avez dupés pendant vingt-cinq ans. Or il doit être difficile quand on est contrôleur pour l'État de se rendre compte que, pendant vingt ans, l'on n'a pas vu cette fraude. Je crois que, en tant qu'institution de l'État, il est bon que nous puissions dire à ces contrôleurs qu'ils font bien leur travail et que c'est parce que la fraude était très bien orchestrée qu'ils ne l'ont pas vue.

Je vois bien que vous essayez de nous entraîner dans un débat technique sur le 0,2, le 0,6 ou le 0,8 micron. Mais la fraude a duré plus de vingt ans et ce qui m'intéresse, c'est de comprendre comment vous avez pu pendant si longtemps vendre de l'eau minérale naturelle pour laquelle vous avez utilisé des traitements dont vous saviez qu'ils étaient interdits - et je parle non pas du 0,2 micron, mais des traitements au charbon actif et des traitements UV.

Monsieur Le Fanic, en tant que responsable d'exploitation, vous saviez que ces traitements ne devaient pas être utilisés. Comment est-il possible que cela ait duré aussi longtemps ? Il ne s'agit pas d'une déviation sporadique ou d'une pollution ponctuelle ; il s'agit sans doute d'une pollution permanente, puisque ces filtres étaient permanents. Est-ce que je me trompe ?

M. Ronan Le Fanic. - Je n'utiliserai pas de qualificatif juridique, car je ne suis pas juriste. Je vous laisse donc la qualification des faits telle que vous l'énoncez.

Les faits qui relèvent du passé, comme je l'ai déjà dit, font l'objet d'une enquête en cours par la justice. Je ne peux donc répondre à aucune question commençant par quand, qui, pourquoi ou comment.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous le savez ?

M. Ronan Le Fanic. - Je ne peux pas répondre.

Mme Antoinette Guhl. - Pourtant, les faits qui concernent le site des Vosges ont déjà été jugés et c'est là que vous exerciez vos fonctions.

M. Ronan Le Fanic. - Je n'ai été directeur que du site des Vosges, en effet.

Mme Antoinette Guhl. - Le terme de « fraude » est qualifié par la justice, dans le cadre d'une convention que Nestlé Waters a signée. Le groupe a d'ailleurs dû payer 2 millions d'euros en conséquence de cette fraude.

M. Ronan Le Fanic. - C'est exact. Nous avons signé une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) qui portait sur le site des Vosges.

Mme Antoinette Guhl. - Il y a donc bien eu une fraude.

Depuis 2010, vous êtes responsable de la ressource eau.

M. Ronan Le Fanic. - J'ai exercé plusieurs métiers entre-temps.

Mme Antoinette Guhl. - Dont celui-ci. Il a donc été dans votre responsabilité d'analyser la ressource en eau, n'est-ce pas ?

M. Ronan Le Fanic. - Il l'a été.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez donc déjà été entendu dans le cadre de l'affaire qui concernait le site des Vosges et vous ne serez pas réentendu, puisque l'enquête judiciaire en cours porte sur le site de Vergèze, où vous n'avez pas travaillé.

Par conséquent, vous devriez pouvoir nous dire si, en 2010, les sources Vittel, Hépar et Contrex, que vous couvriez en tant que responsable de la ressource en eau, ont subi des pollutions non pas sporadiques, mais bien permanentes puisque les filtres étaient permanents.

M. Ronan Le Fanic. - Comme je l'ai déjà dit, les filtres pouvaient être permanents, mais ils n'étaient pas sur des déviations permanentes. Il ne faut pas mélanger les deux.

Pour le reste, il s'agit de faits qui portent sur le passé et qui sont entre les mains de la justice. Je ne connais pas le contenu détaillé de la procédure judiciaire en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une même affaire ne peut pas être jugée deux fois.

M. Ronan Le Fanic. - Vous trouverez la réponse concernant tous les faits qui vous intéressent dans la CJIP qui est un document public.

Mme Antoinette Guhl. - Et vous avez lu ce document ?

M. Ronan Le Fanic. - Je l'ai lu, mais je ne l'ai pas signé.

Mme Antoinette Guhl. - Vous savez donc ce qui y figure.

M. Laurent Burgoa, président. - La CJIP a éteint l'action pénale, mais celle-ci pourrait être rouverte si Nestlé ne respectait pas les conditions qui sont posées dans ce document.

M. Ronan Le Fanic. - C'est en effet ainsi que fonctionne une CJIP.

M. Laurent Burgoa, président. - À ce jour, l'action pénale est éteinte, de sorte que nous pouvons considérer que les questions de ma collègue ne relèvent pas de la procédure judiciaire en cours.

M. Ronan Le Fanic. - Ces questions ne sont pas résolues, mais les discussions sont suspendues, le temps que nous réalisions le plan d'action qui est adossé à la CJIP.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce qui signifie qu'elles n'entrent pas dans le cadre judiciaire.

Mme Antoinette Guhl. - Puisque vous avez lu la CJIP, vous conviendrez avec moi qu'il s'agit bien d'une fraude qui a été réalisée par Nestlé, qui dure depuis plus de vingt ans et dont le montant est estimé, dans le site des Vosges - c'est la partie qui vous concerne -, à plus de 3 milliards d'euros. Tout cela est écrit dans la convention que Nestlé a signée.

M. Ronan Le Fanic. - Le montant de 3 milliards d'euros ne figure pas dans la convention.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez raison. Le chiffre est très sous-évalué à mon sens.

M. Ronan Le Fanic. - Nous contestons ce chiffrage, comme vous le savez.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez raison de le contester, car il ne porterait que sur trois ans.

M. Ronan Le Fanic. - Nous contestons ce chiffrage, car les hypothèses de calcul nous semblent parfaitement inadaptées. En tout état de cause, dans le cadre de la CJIP que vous mentionnez, le tribunal d'Épinal avait considéré que le montant de l'amende était parfaitement proportionné au regard de la cession des manquements - c'est-à-dire compte tenu du fait que nous avons arrêté les traitements non conformes -, de l'absence de risque sanitaire et du maintien de la qualité minérale de nos produits. Ce document est public et il s'agit d'un avis rendu par la justice et non pas par moi.

Mme Antoinette Guhl. - J'en reviens à la microfiltration à moins de 0,8 micron, un sujet que vous semblez apprécier. Savez-vous qu'il y a des eaux minérales pour lesquelles la filtration peut être à moins de 0,8 micron ? Cela figure d'ailleurs dans la réglementation des eaux minérales. Mais cela s'accompagne d'un certain nombre de conditions, notamment celle d'enlever les minéralités trop importantes. C'est, me semble-t-il, ce que vous faites à Vittel.

M. Ronan Le Fanic. - Que voulez-vous dire par « enlever les minéralités trop importantes » ?

Mme Antoinette Guhl. - Il s'agit d'enlever certaines particules spécifiques. Par exemple, pour certaines eaux, il faut une filtration à moins de 0,8 micron pour enlever des particules d'argile.

M. Ronan Le Fanic. - Il ne s'agit donc pas de minéraux.

Mme Antoinette Guhl. - Non, il s'agit de particules qui se retrouvent dans l'eau à l'issue de sa traversée minérale et c'est pour pouvoir les retirer que la microfiltration à moins de 0,8 micron est autorisée et non pas pour supprimer des bactéries ou pour résoudre d'autres problèmes susceptibles d'affecter la qualité de l'eau à la source.

M. Ronan Le Fanic. - Comme je le disais, la réglementation a un objectif de finalité. Ces procédés sont utilisés pour retirer principalement, comme vous le dites, des particules en suspension. Aujourd'hui, la science montre que la filtration ne devrait pas se faire à 0,8 micron, mais à 0,2 micron : la filtration préserve alors les caractéristiques essentielles, mais fait bien plus qu'enlever des particules de fer.

Mme Antoinette Guhl. - Est-ce que vous entrez dans le cadre des conditions que je viens d'énoncer ? Autrement dit, est-ce que c'est pour enlever un certain nombre de particules que vous voulez descendre à 0,2 micron ? Sinon pourquoi faites-vous ce choix ?

M. Ronan Le Fanic. - Comme je l'ai dit, nous voulons ainsi pouvoir gérer le biofilm de manière efficace. L'avis de l'Afssa est très clair, la céramique à 0,8 micron que nous vous avons montrée sert à retirer le fer et le manganèse, mais n'élimine pas le biofilm. Or des dossiers techniques justifient que la microfiltration que nous utilisons permet de gérer ce biofilm, qui fait en effet partie de particules relarguées. Voilà ce que nous essayons de mettre sous contrôle dans nos deux sites.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes un salarié de Nestlé Waters, mais vous êtes aussi un citoyen français et un consommateur. L'eau est un produit particulier, très important dans la vie de tous les jours. L'eau minérale est conseillée dans certains cas, notamment pour les enfants et les nourrissons.

Dans votre entreprise, aucune enquête interne n'a été diligentée et il n'y a eu aucune sanction. Aujourd'hui, vous refusez les uns et les autres de venir évoquer le sujet devant la représentation nationale et, comme l'a très justement dit Mme Guhl, même lorsque nous sommes sur des faits qui ont été jugés et que le risque pénal est écarté, l'exécution de la CJIP ne dépendant que de vous, vous refusez de répondre à nos questions.

Je vous demande donc ce que cela vous ferait en tant que citoyen français si vous étiez de l'autre côté. Comment considéreriez-vous une entreprise qui a fraudé pendant des années et des années ? Quel regard porteriez-vous sur la situation et que vous diriez-vous ?

M. Ronan Le Fanic. - Comme je l'ai déjà dit, la qualification de « fraude » vous appartient, car je ne suis pas juriste, même si je parle sous le contrôle de mon avocat. Ce n'est pas moi qui ai décidé de lancer, en parallèle de votre commission d'enquête, une procédure judiciaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ma question s'adressait à vous en tant que citoyen français.

M. Ronan Le Fanic. - Je comprends que la situation soit compliquée. Je comprends que vous vous posiez les questions que vous vous posez. Mais il faut que vous essayiez aussi de comprendre que j'ai le droit de ne pas y répondre dans le contexte actuel.

M. Laurent Burgoa, président. - Je serai peut-être plus tempéré que M. le rapporteur. À la différence de ceux que nous avons entendus dans les auditions précédentes, vous avez répondu à un certain nombre de nos questions et je vous en remercie. Je considère qu'il n'y a pas eu d'obstruction. Je tiens donc à souligner que la situation s'améliore un peu, comme le bon vin qui se bonifie...

Audition de M. David Vivier, ancien directeur industriel
chez Nestlé Waters
(Mercredi 26 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. David Vivier.

Vous avez travaillé chez Nestlé Waters à partir de 2004 et vous en avez été directeur industriel à partir de 2011. Vous avec quitté Nestlé Waters en septembre 2023 pour travailler dans une autre branche du groupe.

Je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. David Vivier prête serment.

Je vous rappelle qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui n'est pas un tribunal, dès lors qu'elle est dépourvue de finalité répressive, mais une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui leur sont reconnus.

Vous avez l'occasion d'exposer le sujet qui nous occupe en toute transparence. Il vous revient de la saisir.

Enfin, j'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés. Je rappelle que celui-ci ne pourra intervenir devant la commission.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de sources. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

En tant que directeur des opérations de Nestlé Waters, et à ce titre, le supérieur hiérarchique des responsables des sites de Nestlé Waters dans les Vosges et dans le Gard, vous avez été en première ligne dans cette affaire dite « Nestlé ». Vous êtes sans doute l'un des meilleurs connaisseurs des usines Nestlé Waters. Du reste, les directeurs des deux sites vous ont cité comme étant celui qui leur avait appris l'existence de traitements interdits.

À quoi servaient ces traitements ? Comment, pourquoi et par qui ont-ils été mis en place ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Vous présenterez d'abord vos réflexions, puis il y aura un temps de questions-réponses avec notre rapporteur, suivi d'échanges avec les autres membres de la commission.

M. David Vivier, ancien directeur industriel chez Nestlé Waters. - Merci, Monsieur le président.

Je suis ingénieur de formation et travaille depuis près de 30 ans au sein du groupe Nestlé. J'ai occupé des fonctions de direction industrielle chez Nestlé Waters pour l'activité des eaux minérales naturelles jusqu'en octobre 2023. Actuellement, je suis directeur d'économie et de production Europe chez Cereal Partners Worldwide.

Concernant mon expérience dans l'industrie des eaux embouteillées, je souhaite d'abord attirer votre attention sur la manière dont Nestlé Waters s'est adaptée aux défis croissants liés au climat et à l'intensification des activités humaines. Ensuite, j'aborderai l'ampleur du plan de transformation engagé à partir de 2021 et les enjeux techniques associés. Enfin, j'apporterai un éclairage sur les spécificités industrielles de l'embouteillage d'eau minérale naturelle et les efforts pour gérer durablement cette ressource précieuse et complexe.

L'un des enjeux majeurs de la production d'eau minérale naturelle aujourd'hui est l'impact des aléas climatiques et de l'intensification des activités humaines sur nos ressources en eau. Dans ce contexte, mon rôle a été de piloter l'ingénierie pour améliorer les processus industriels, un travail de longue haleine. Cela s'est traduit par une modernisation constante des infrastructures, la mise en place de technologies de pointe et l'optimisation des processus de production pour une meilleure efficacité et gestion des ressources.

Cette modernisation, accompagnée de la formation de nos équipes et de l'intégration de nouvelles technologies, a permis d'améliorer nos outils de production et d'accroître la performance de nos sites. Concrètement, nous avons mis en service de nouveaux forages, installé des lignes d'embouteillage à haute cadence avec robotisation, et optimisé nos systèmes de consommation énergétique pour réduire notre empreinte carbone. À Vergèze, nous avons investi 50 millions d'euros dans un entrepôt entièrement automatisé, optimisant les volumes de stockage avec des transporteurs de palettes automatiques. Parallèlement, nous avons amélioré techniquement les systèmes de distribution d'eau et installé de nouvelles conduites. Cette démarche s'inscrit dans une stratégie plus large d'adaptation et de transformation de nos sites industriels pour répondre aux défis environnementaux et réglementaires.

Concernant le plan de transformation et les enjeux techniques, les investissements pour assurer la pérennité de nos sites ne sont pas récents. L'arrivée de Muriel Liénau à la tête de Nestlé Waters a marqué un tournant, accélérant particulièrement nos modernisations industrielles. Nous avons cherché à anticiper les évolutions technologiques et industrielles pour maintenir des sites à la pointe, tournés vers l'avenir.

Une telle transformation repose d'abord sur une phase de conception industrielle, suivie de la commande des équipements, puis de leur installation. Malgré les difficultés liées à la période covid-19 et à la généralisation du modèle de production à la demande, nous avons su avancer avec réactivité et efficacité pour concevoir et mettre en oeuvre ce plan en seulement trois ans. J'ai participé à sa mise en place en assurant notamment le lien avec les directeurs de site.

Les sites de production sont complexes et très différents les uns des autres. Le site des Vosges est unique, regroupant quatre eaux différentes : Hépar, Contrex, Vittel Grande Source et Vittel Bonne Source. Cette complexité a nécessité l'intégration des travaux d'ingénierie et de configuration dans un plan de production déjà complexe.

La transformation du site de Vergèze représentait également un défi. Nous avons dû revoir les plans de production pour faciliter l'installation des nouveaux équipements et d'un circuit de distribution entièrement automatisé.

Ma première mission était d'assurer la sécurité dans l'exécution du plan sur des chantiers lourds et à risque d'un point de vue industriel. J'étais également responsable d'évaluer la faisabilité des solutions proposées, tant sur le plan technique qu'industriel, et d'assurer leur intégration dans les plans de production. L'objectif était de garantir leur mise en place progressive sans perturber l'activité des sites.

Cette transformation industrielle d'envergure a nécessité une planification minutieuse à chaque étape, impliquant la reconfiguration des ressources en eau, la modernisation des infrastructures de production et l'intégration de nouvelles technologies. Chaque étape a exigé des études approfondies et des investissements ciblés, nous conduisant à redéfinir nos méthodes de production pour garantir la pérennité de nos activités sur le long terme.

Ce chantier a imposé des défis organisationnels majeurs. D'un point de vue managérial, je veillais à ce que nous disposions des équipes et des compétences nécessaires pour exécuter l'intégralité du plan de transformation. Sur le plan de la stratégie industrielle, je révisais les projets d'investissement et validais les montants nécessaires à leur mise en place. D'un point de vue opérationnel, je travaillais en étroite collaboration avec les équipes techniques pour évaluer et valider les investissements nécessaires, tout en m'assurant que le plan de contrôle qualité soit suivi par les équipes de production et de nettoyage. Sur le plan social, j'ai travaillé avec les équipes des sites pour maintenir un dialogue transparent avec les organisations syndicales, expliquant les impacts et les bénéfices futurs des chantiers en cours.

Concrètement, nous avons simplifié les circuits de distribution, amélioré l'environnement immédiat des forages, revu en profondeur les stations de traitement d'eau, et testé rigoureusement les boucles de nettoyage selon un protocole de qualification strict pour respecter notre cahier des charges qualité.

La mise en oeuvre du plan a nécessité un arbitrage rigoureux des priorités, une allocation renforcée des ressources et une mobilisation accrue des équipes industrielles et techniques pour pouvoir retirer le plus rapidement possible les traitements non conformes. Au-delà des considérations industrielles, il est crucial pour un embouteilleur d'avoir une compréhension fine des territoires sur lesquels repose la ressource. Préserver l'eau minérale, c'est aussi préserver les écosystèmes qui la rendent possible.

La gestion des ressources en eau et l'optimisation des pratiques de filtration ont été des aspects majeurs du plan de transformation. L'entretien et le nettoyage des forages sont des opérations techniques complexes qui s'inscrivent dans des cycles longs, nécessitant des précautions particulières pour éviter toute altération de la qualité de l'eau.

Nous avons conduit des études approfondies de notre écosystème, analysant le sol et le sous-sol pour élargir notre connaissance des aquifères que l'entreprise exploite. Nous avons mis en place des actions visant à préserver la biodiversité et à protéger les sols, comme la replantation d'arbres et la promotion d'une agriculture biologique.

Nestlé Waters a beaucoup investi ces dernières années pour protéger l'impluvium de Vergèze, malgré une structure hydrogéologique complexe. Cela s'est traduit par des actions renforcées de surveillance de la qualité de l'eau, des collaborations avec des experts en hydrogéologie et des partenariats avec des acteurs locaux.

J'espère avoir souligné l'ampleur du plan de transformation mis en oeuvre à partir de 2021. L'entreprise a fait des choix difficiles et ambitieux pour pérenniser ses infrastructures industrielles et garantir le futur de son activité, le tout sous le contrôle strict des autorités et en totale conformité avec leurs directives. La sécurité alimentaire a toujours été garantie, et l'entreprise n'a jamais transigé sur la qualité et la composition minérale de ses eaux.

Je tiens à remercier les équipes des sites et du siège pour leur engagement dans la mise en oeuvre et l'exécution de ce plan de transformation. Enfin, sur conseil de mon avocate, je souhaite indiquer que je ne serai pas en mesure de répondre aux questions visant à rechercher et à établir des responsabilités personnelles ou à qualifier une infraction, étant donné qu'une information judiciaire est actuellement conduite par un juge d'instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris concernant certains traitements d'eau utilisés par l'entreprise par le passé.

Lors de l'audition de Madame Liénau, vous avez rappelé les obligations légales de répondre à une convocation, de prêter serment, ainsi que les sanctions pénales prévues par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 en cas de manquement. Je souhaite préciser que ce même article 6 stipule qu'une commission d'enquête ne peut être créée sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires en cours. Si une commission existe déjà, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire sur les faits dont elle est chargée. L'obligation de répondre aux questions s'explique donc par l'interdiction faite aux commissions d'enquête d'examiner des faits sous instruction. Ces règles sont indissociables. Dans ce cadre, je répondrai aux questions ne relevant pas du champ de l'enquête pénale. Cependant, je ne pourrai pas m'exprimer sur l'utilisation passée des traitements ou sur tout autre point susceptible d'être couvert par l'instruction en cours.

M. Laurent Burgoa, président. - J'apprécie votre approche plus mesurée que celle de l'intervenant précédent qui jugeait notre analyse quelque peu simpliste.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour ces propos préalables. Je rappelle que vous avez occupé le poste de directeur des opérations Nestlé Waters et qu'à ce titre, vous étiez le supérieur hiérarchique des responsables des sites de Nestlé Waters dans les Vosges et dans le Gard. Pouvez-vous nous le confirmer ?

M. David Vivier. - Je le confirme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez intégré Nestlé en 2004 et occupé le poste de directeur industriel depuis 2011. Votre mission consistait à piloter le leadership de la stratégie de la division production et ingénierie, et à superviser l'exploitation de sept usines d'embouteillage. Pourriez-vous nous préciser les sites dont vous aviez la responsabilité ?

M. David Vivier. - Les sites étaient Vergèze, les Vosges, le site de Quézac en Lozère, ainsi que ceux de Plancoët, Saint-Lambert et Carola, qui ont été cédés. Nous avions également un site satellite, celui d'Étalle en Belgique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Parmi tous ces sites, seul Vergèze semble concerné par l'enquête judiciaire. Pouvez-vous nous dire si, à l'époque où vous dirigiez ces sites, les traitements illégaux pratiqués à Vergèze étaient également en vigueur sur les autres sites ?

M. David Vivier. - Je ne peux pas répondre en raison de l'enquête en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aucune enquête ne concerne l'ensemble de ces sites.

M. David Vivier. - Je ne peux pas vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur quels fondements refusez-vous de répondre pour ces sites, puisqu'ils ne font pas l'objet de l'enquête ?

M. Laurent Burgoa, président. - Tout à l'heure, votre collègue Ronan Le Fanic a mentionné qu'il n'y a pas d'information judiciaire concernant le site des Vosges, puisqu'il existe une convention. La procédure pénale est suspendue tant que la convention est en vigueur. Les questions concernant ces sites devraient pouvoir obtenir des réponses.

M. David Vivier. - En réalité, je ne comprends pas le champ de l'enquête.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le champ d'enquête de notre commission concerne le secteur des eaux minérales naturelles.

M. David Vivier. - Je ne connais pas précisément le champ de l'enquête pénale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pensez que le champ d'enquête pénale porte sur ces sites ?

M. David Vivier. - C'est possible, je ne le sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque nous avons échangé avec les directeurs des sites de Vergèze et des Vosges, ils vous ont désigné comme la personne qui les avait informés de l'existence de ces traitements interdits dans leurs usines. Confirmez-vous ce point ?

M. David Vivier. - Je confirme les avoir informés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire qui vous en a informé ?

M. David Vivier. - Je ne peux pas vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous ne pouvez pas non plus me dire si les mêmes traitements illégaux étaient en place dans les sept usines sous votre direction ?

M. David Vivier. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je m'épuise à le répéter, mais l'enquête pour les Vosges est suspendue par l'existence de la CJIP. Qu'est-ce qui vous empêche de répondre concernant les Vosges ?

M. David Vivier. - Encore une fois, nous avons dit que nous ne parlerions pas du passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Au début, vous refusiez de répondre sur ce qui relève de l'enquête pénale, et maintenant, sur le passé.

M. David Vivier. - Le passé est en lien avec l'enquête pénale.

M. Laurent Burgoa, président. - Je trouve que cette attitude engage l'image du groupe. La semaine dernière, nous avons reçu une directrice générale qui a indiqué ne rien savoir. Je respecte votre droit. Cependant, vous êtes écouté par des millions de Français. L'image que vous donnez du groupe n'est pas très valorisante.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous disiez que l'un des aspects du plan de transformation était l'amélioration de l'environnement immédiat des forages. Pouvez-vous nous préciser ce que cela signifie ?

M. David Vivier. - Les forages sont protégés par de petits bâtiments conçus spécifiquement, et nous avons rénové certains instruments de mesure à l'intérieur pour surveiller des paramètres essentiels qui seront modifiés lors des transformations. Ces instruments comprennent des débitmètres, des manomètres de pression, des mesures de pH en continu, ou des mesures de conductivité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez mentionné précédemment la question des boucles de nettoyage. Pouvez-vous nous expliquer les améliorations apportées ?

M. David Vivier. - Auparavant, nous n'avions pas de boucles partout et nos circuits de nettoyage étaient moins sophistiqués. Ces nouvelles boucles permettent une action de nettoyage plus efficace, et offrent également plus de flexibilité entre deux séquences de production.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur quel forage ces boucles de nettoyage étaient-elles ?

M. David Vivier. - Les boucles de nettoyage ne se font pas au niveau des forages, mais dans l'usine.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y avait-il des lignes sans boucle de nettoyage auparavant ?

M. David Vivier. - Nous avions un atelier plutôt vétuste pour certaines lignes. Nous avons installé ces boucles de nettoyage sur l'ensemble des lignes d'embouteillage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous définir ce que vous entendez par « vétuste » ?

M. David Vivier. - La vétusté varie selon les installations, leur usage et le niveau de maintenance effectué. Nous savions que dans certaines parties de l'usine, il était nécessaire de remplacer toute la partie de distribution d'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant les forages, le directeur de l'usine de Vergèze nous a clairement indiqué que la vétusté de certains forages pouvait potentiellement être une source de contamination de la ressource. Partagez-vous cette analyse ?

M. David Vivier. - Exactement. Nous avons des forages d'âges variés, certains d'une vingtaine d'années, d'autres d'une dizaine. La vétusté dépend réellement de la manière dont on opère le forage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quels forages étaient particulièrement vétustes et à risque ?

M. David Vivier. - En général, ce sont les forages les plus anciens qui présentent le plus de risques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur le site de Vergèze, pouvez-vous préciser quels forages étaient concernés ?

M. David Vivier. - Dans le cadre du plan de transformation, nous avons travaillé, par exemple, sur les forages Romaine III et Romaine V.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, le problème de stabilité était-il dans l'eau elle-même ou dans le processus de remontée de l'eau ?

M. David Vivier. - En général, cela peut provenir soit du forage lui-même, soit de l'environnement proche du forage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant les difficultés rencontrées à Vergèze, vous avez déclassé un certain nombre de puits et fermé Romaine VIII ?

M. David Vivier. - J'ai participé à la mise en place des forages R6, R7 et R8, que je connais bien. Je pense que c'est le R8 qui a été suspendu.

M. Laurent Burgoa, président. - Je confirme que R8 a été suspendu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, était-il devenu impossible de continuer à produire de l'eau minérale naturelle à partir des forages Romaine III et Romaine V ?

M. David Vivier. - Nous avions des difficultés à maintenir les caractéristiques et les constituants essentiels de l'eau minérale. Nous rencontrions parfois des problèmes de charges bactériennes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et virales ?

M. David Vivier. - Concernant les virus, nous avons mis en place un plan virologique depuis 2015, en collaboration avec l'ARS. Nous avons réalisé environ 6 500 analyses, dont environ 3 000 pour le site de Vergèze. Nous n'avons jamais trouvé de virus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez mentionné que le plan de transformation visait à préserver l'équilibre des écosystèmes. Qu'avez-vous mis en place concrètement ?

M. David Vivier. - Nous avons mis en place des activités de remédiation. Nous avons identifié certaines fragilités à proximité des forages et avons travaillé à les éliminer. Ce sont les éléments proches du forage qui peuvent faire varier la stabilité des constituants essentiels de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y avait-il déjà des filtres à 0,2 micron à l'époque des traitements illégaux ?

M. David Vivier. - Je ne m'en souviens pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon le rapport de l'Igas, « la microfiltration peut aussi être perçue comme une fausse sécurisation. La littérature scientifique indique que même un seuil à 0,2 micron ne peut pas être considéré comme un mécanisme de suppression totale de la flore, notamment virale. En clair, la mise en place de la microfiltration à 0,2 micron sur des eaux non conformes pourrait exposer le consommateur à un risque sanitaire en lien avec l'ingestion de virus qui ne seraient pas retenus par un filtre à 0,2 micron, voire de bactéries. » L'Anses, en décembre 2022 et décembre 2023, écarte également la microfiltration en dessous de 0,8 micron. La Directrice générale de l'ARS Grand Est, en novembre 2022, a aussi écarté ce seuil de microfiltration, déclarant : « Si la filtration à 0,2 micron n'enlève pas tous les micro-organismes, la flore microbienne est indéniablement fortement diminuée. Il s'agirait donc bien d'une désinfection, ce qui n'est pas autorisé. »

Aujourd'hui encore, Nestlé tente de démontrer que cette solution est la bonne, contrairement à l'avis de toutes les autorités de contrôle. Pourquoi cette insistance du groupe ? Que se passerait-il si nous supprimions les microfiltrations à 0,2 micron sur le site de Vergèze ? L'eau pourrait-elle encore être commercialisée ?

M. David Vivier. - Il est difficile de répondre à cette question. Nestlé Waters préconise un ensemble de mesures comprenant la microfiltration, mais aussi des cycles de nettoyage adaptés à nos différentes eaux, ainsi qu'un système de contrôle qualité avec des analyses. Notre expertise interne nous a conduits à considérer que cette approche tripartite permet un contrôle optimal de la qualité. Il serait complexe de raisonner en isolant un seul de ces éléments, car c'est leur synergie qui est efficace.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos concurrents affirment ne pas avoir besoin de microfiltration pour garantir la qualité de leur eau. Ils mettent en place un processus de nettoyage qui, certes, implique des arrêts de production, mais qui leur permet d'assurer la qualité originale de l'eau. Si le problème se limite au biofilm et aux tuyaux, un nettoyage régulier suffirait-il à garantir la qualité de l'eau sans recourir à la microfiltration ?

M. David Vivier. - En réalité, nous effectuons énormément de nettoyages sur nos sites. Permettez-moi d'expliquer les raisons qui vont au-delà de la microbiologie. Sur le site des Vosges, nous avons affaire à des eaux très chargées en minéraux. Nous passons beaucoup de temps à nettoyer, car les dépôts minéraux créent du calcaire, formant des structures irrégulières qui sont des pièges parfaits pour les bactéries. Chaque eau et chaque site hydrologique est unique. Nos nettoyages sont très fréquents. Nous avons des cycles de nettoyage déclenchés par des modèles mathématiques. Nous mesurons la teneur en bactéries dans nos tuyaux et déclenchons le nettoyage en fonction de seuils prédéfinis de charge microbienne. Le filtre à 0,2 micron est seulement l'un des éléments qui nous aident à piloter la qualité de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je comprends bien, ce filtre est intégré dans le modèle mathématique. Il permet probablement de retarder le déclenchement du nettoyage, puisqu'il joue un rôle dans la gestion hydrologique.

M. David Vivier. - Peut-être, mais je tiens à souligner que nous effectuons énormément de nettoyages, particulièrement sur le site des Vosges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le coeur de la question concerne la notion de pureté originelle. Pendant des années, vous avez utilisé des traitements illégaux. La vraie question est de savoir si les traitements que vous mettez en place permettent de restaurer une pureté originelle défaillante. En d'autres termes, sommes-nous toujours en présence d'une eau minérale naturelle ? Je sais que des analyses de géologues indépendants sont en cours. Selon vous, à l'exception des forages Romaine III et V, l'ensemble du site des Vosges produit-il toujours de l'eau minérale naturelle ?

M. David Vivier. - Bien sûr.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous ne pouvons pas épuiser toutes les questions, mais il est positif de voir que les échanges évoluent. Monsieur Vivier, je vous remercie.

Audition de M. Julien Didelot, directeur de la société Agrivair,
chargée des mesures de protection des impluviums de Nestlé
dans les Vosges
(Jeudi 27 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Julien Didelot, spécialisé en science environnementale et technicien de la qualité de l'eau, qui est depuis 2020 le directeur de la société Agrivair, filiale de Nestlé Waters tournée vers la protection hydrominérale vosgienne.

Monsieur, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Julien Didelot prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous précise qu'il n'y a pas de droit au silence devant une commission d'enquête, qui n'est pas un tribunal. Dès lors, elle est dépourvue de finalité répressive. Il s'agit d'une instance destinée à faire la lumière sur des processus ou des services, à recueillir des informations et contrôler l'action du Gouvernement, grâce aux pouvoirs d'investigation spécifiques qui lui sont reconnus.

Il en résulte que, selon la loi, « la personne qui [...] refuse de déposer ou de prêter serment devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».

Si vous estimez que votre réponse est de nature à aller à l'encontre du secret professionnel ou des affaires, donc que vous ne souhaitez pas la communiquer publiquement, il vous est loisible de demander de procéder à sa transmission en marge de l'audition publique ou par écrit à notre commission.

Enfin, j'ai accepté, à votre demande, la présence d'un conseil juridique à vos côtés. Je rappelle que celui-ci ne pourra intervenir devant la commission.

Cette audition a pour objet de faire la lumière sur ce qui s'est passé dans les sites d'embouteillage d'eaux minérales et sur les pratiques des minéraliers. Nous abordons aujourd'hui la question des actions menées pour préserver les nappes d'eau minérale.

Créée au moment du rachat de la Société des eaux minérales de Vittel par Nestlé en 1992, Agrivair a pour but de protéger « la ressource hydrominérale vosgienne en encourageant l'application d'une politique zéro pesticide autour des sources de Vittel et Contrexéville pour garantir la qualité des eaux ».

Quels sont plus précisément les objectifs d'Agrivair ? Quels sont vos moyens ? Quelles actions menez-vous et avec quel impact concret ? Voilà les quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger.

Je vous propose de faire une présentation liminaire de votre activité en une vingtaine de minutes. Ce temps sera suivi d'un échange de questions-réponses avec le rapporteur et les autres membres de la commission.

M. Julien Didelot, directeur de la société Agrivair. - Monsieur le président de la commission d'enquête, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, je suis actuellement directeur d'Agrivair, une filiale de Nestlé Waters dont l'objectif est de promouvoir des pratiques agricoles respectueuses auprès du monde agricole afin de préserver l'environnement et la biodiversité sur le territoire de Vittel-Contrexéville. J'ai rejoint cette structure voilà douze ans, d'abord en tant que technicien agro-environnement en charge des actions agricoles et des relations avec les agriculteurs, avant de devenir directeur en avril 2020.

Agrivair fait partie de l'organisation de Nestlé Waters en tant que filiale de Nestlé Waters Vosges. Depuis trente-trois ans, cette structure mène une politique volontariste de protection préventive et concertée des sols afin de protéger la ressource en eau et de préserver la biodiversité en collaborant avec les acteurs locaux. Au cours des années 1980, l'impluvium était composé d'exploitations de plus en plus utilisatrices d'engrais chimiques et de pesticides. Le développement du tourisme thermal, avec la création de trois golfs et d'un hippodrome, s'est accompagné du désherbage de plusieurs centaines d'hectares d'espaces verts, ainsi que de la construction de voies de chemin de fer, ce qui a augmenté le risque de pollution des sources déjà menacées par l'activité agricole.

Pour tenter d'atténuer les risques liés à cette intensification, à la fin des années 1980, Nestlé Waters a lancé un vaste programme de recherches et d'études, en partenariat avec ce qui était alors l'Institut national de recherche agronomique, l'Inra. Une équipe pluridisciplinaire composée d'économistes, d'agronomes, de sociologues et de zootechniciens fut conviée, avec pour objectif d'établir un scénario de protection des sources au travers d'une politique zéro pesticide, tout en conservant le niveau des revenus agricoles, et avec une exigence, celle de convaincre les acteurs locaux concernés de l'intérêt collectif d'adopter une politique de protection durable.

Pour donner suite à ce programme, Agrivair est créée en 1992 afin de mettre en pratique les préconisations des chercheurs de l'Inra.

Agrivair est également le gestionnaire du patrimoine foncier de Nestlé Waters Vosges. Au quotidien, je gère une équipe de treize personnes, qui peut recevoir des renforts en période de forte activité. Les deux tiers de mon équipe sont dédiés aux services directs fournis aux partenaires agricoles au sein même des exploitations agricoles. Le reste de l'équipe est réparti entre les fonctions ressources humaines, administration, gestion foncière et relation avec les parties prenantes. À ce titre, nous rencontrons bien évidemment les élus du territoire, ainsi que les services de l'État, comme la direction départementale de territoire des Vosges, dans le cadre de projets environnementaux. Pour certaines de ces actions, je peux rendre compte au directeur de l'usine de Nestlé Waters Vosges, M. Luc Desbrun, que vous avez par ailleurs eu l'occasion d'interroger le 6 mars dernier.

Notre budget annuel pour la protection de la ressource en eau et la préservation de la biodiversité est d'un peu plus de 2 millions d'euros. Je gère ce budget et les actions qui en découlent de manière indépendante, avec des rapports trimestriels et annuels.

En résumé, Agrivair s'occupe de toute la partie amont, c'est-à-dire avant le process industriel, de la partie surfacique et de tout ce qui se passe à l'extérieur des sites de production. Tout ce qui se passe en dessous des sols - quantité d'eau, prélèvement, unité de production - et en aval relève de la responsabilité des sites de production.

Nous agissons sur un territoire de 11 400 hectares, soit l'équivalent de la taille de Paris, regroupant dix-sept communes, plus d'une centaine d'exploitations agricoles, des entreprises et bien d'autres activités. Cette zone de protection est appelée l'impluvium. Elle représente le territoire de surface dans lequel s'infiltrent les eaux pluviales avant de se minéraliser au contact des roches.

Le programme Agrivair est fondé avant tout sur une démarche partenariale. Notre philosophie est d'engager sans jamais rien imposer. Ainsi, chacun est libre d'adhérer ou non. Aujourd'hui, ce sont quarante exploitations agricoles qui travaillent pour assurer la protection de la ressource en eau. Ce partenariat passe par la mise à disposition gratuite de terres et l'accompagnement des exploitants par un soutien humain et matériel. En contrepartie, les partenaires s'engagent à respecter un cahier des charges pour une agriculture raisonnée, durable et rentable. Ce cahier des charges repose sur deux exigences fondamentales : zéro produit phytosanitaire et moins de 10 milligrammes par litre de nitrates sous le système racinaire de la plante.

Sur la partie agricole, pour aider à des pratiques respectueuses de l'environnement, plusieurs actions sont mises en place et développées avec et pour les partenaires agricoles : limitation du nombre d'animaux par superficie, fertilisation raisonnée et adaptée aux besoins des cultures, fertilisation organique limitée, plantation de haies et autres feuillus en plein champ ou en bordure pour renforcer la biodiversité au coeur même des parcelles agricoles et offrir de l'ombrage aux animaux dans les pâturages, préservation des prairies permanentes.

Sur le volet biodiversité, nous menons des actions opérationnelles sur le territoire en collaborant avec les acteurs locaux. Agrivair suit aujourd'hui quatorze bio-indicateurs en faveur de la biodiversité dans différents milieux : milieux agricoles, milieux humides et eaux douces, milieux forestiers.

Nous avons par ailleurs participé à la renaturation de deux kilomètres du Petit Vair, une petite rivière qui coule dans le département des Vosges, dont il a déjà été question au cours de précédentes auditions. Cette opération vise à restaurer le cours naturel de la rivière, dynamiser les écoulements d'eau et améliorer les écosystèmes. Agrivair a également participé à la création et à la restauration de mares en lien avec les différentes parties prenantes locales.

La politique zéro pesticide que nous menons depuis 1992 dans différents milieux agricoles, forestiers et urbains sur le territoire de Vittel-Contrexéville a permis d'obtenir les résultats suivants : 12,6 % des zones boisées du territoire sont aujourd'hui destinées à la protection de la ressource en eau et à la préservation de la biodiversité ; 64,5 % des surfaces agricoles sont protégées grâce à quarante partenaires qui ont une conduite zéro phyto, ce qui représente 4 103 hectares sur les 6 359 hectares de surfaces agricoles dans l'impluvium. Notre programme permet de protéger, au total, 5 225 hectares de surfaces agricoles, dont 1 122 hectares de terres agricoles protégées à l'extérieur de l'impluvium ; 2 062 hectares de prairies permanentes sont préservés, soit 77,8 % des surfaces totales en prairie de l'impluvium ; 240 kilomètres de haies sont en gestion directe par Agrivair et plus de 25 000 arbres ont été plantés en dix ans sur le territoire, avec vingt-trois exploitations agricoles engagées dans l'agroforesterie, ce qui permet de lutter contre l'érosion, de limiter les ruissellements et d'apporter de l'ombrage aux animaux.

Sur les espaces verts hors milieu agricole, comme les parcs thermaux, les golfs et l'hippodrome, la politique environnementale zéro pesticide a été mise en oeuvre, notamment avec le soutien des prestataires, dans le but de préserver les ressources en eaux minérales. Ceux-ci innovent constamment avec de nouvelles pratiques naturelles, comme le désherbage mécanique et/ou alternatif, le choix de végétaux floraux adaptés au changement climatique, la création de zones de protection pour certaines essences, comme les orchidées sauvages.

Ensemble, nous développons des techniques de lutte biologique. Par exemple, nous procédons au désherbage thermique des espaces verts, au gaz ou à vapeur. Toutes les voies ferroviaires de l'impluvium local, qu'elles soient privées ou appartiennent à la SNCF, sont aussi désherbées par ce procédé.

Afin de lutter contre les campagnols, des expérimentations sont menées dans les golfs et sur l'hippodrome de Vittel. Sur ce dernier, nous avons par exemple mis en place des perchoirs pour les rapaces. Pour réguler les populations de chenilles processionnaires, les golfs et le parc thermal sont également équipés de nichoirs à mésanges, prédateurs principaux de la chenille. En 2021, il y avait 200 nichoirs en expérimentation sur le parc thermal - ceux-ci sont toujours présents. Ces moyens de lutte biologique permettent d'éviter l'utilisation d'intrants chimiques.

Nous travaillons également pour la protection du patrimoine forestier. Nos forêts privées sont gérées durablement par notre partenaire, l'Office national des forêts (ONF), dans le cadre d'un plan simple de gestion et labellisé PEFC, programme de reconnaissance des certifications forestières. Aujourd'hui, Agrivair collabore avec l'ONF pour la gestion et la préservation de plus de 300 hectares de forêts au sein de l'impluvium.

Nous menons enfin différentes actions de prévention sur le territoire, en finançant par exemple le passage à un mode de chauffage alternatif en remplacement des citernes à fioul chez les particuliers. Depuis 2019, ce sont près de soixante citernes de particuliers qui ont pu être supprimées.

En conclusion, je tiens à dire que, depuis plus de trente ans, Agrivair s'engage activement pour protéger la ressource en eau et préserver la biodiversité, en collaboration avec l'ensemble des acteurs du territoire. Nous favorisons une approche fondée sur la concertation et l'innovation afin de concilier protection de l'environnement et développement économique, tout en garantissant la pérennité d'une ressource essentielle.

J'aimerais surtout souligner que cet engagement est avant tout le fruit du travail et du dévouement des équipes d'Agrivair, qui oeuvrent au quotidien, aux côtés des agriculteurs, des collectivités et des experts, pour mettre en place des solutions durables. Leur implication, leur expertise et leur passion permettent de faire vivre cette démarche unique, reconnue à la fois localement et à l'échelle nationale.

Enfin, cette démarche est rendue possible par le travail de nos partenaires : les quarante exploitants agricoles qui, chaque jour, s'efforcent de préserver les ressources en eau et cette biodiversité, mais également les collectivités qui sont engagées dans la protection de l'environnement et le maintien de ce cadre naturel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie de cette intervention très enrichissante, qui nous a permis de comprendre la manière dont vous fonctionnez.

Je m'interroge sur la façon dont vous mesurez les impacts. Je m'explique. Nous le savons, dans les Vosges, il y a eu des suspensions d'activité dans un certain nombre de puits de forage de Nestlé à cause de difficultés pour maintenir la pureté originelle de l'eau.

Votre activité vous conduit-elle à faire en sorte de régénérer, de restaurer ces sources pour en reprendre l'exploitation ? Comment mesurez-vous l'efficacité de votre action sur les masses d'eau ?

M. Julien Didelot. - Nous sommes en charge de la partie amont, c'est-à-dire avant le process industriel, de la partie surface et de la partie relations avec les parties prenantes à l'extérieur de l'usine. Je ne suis pas en charge de la partie sous-sol ni de tout ce qui concerne les quantités de prélèvement.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Je reformule ma question. Je pense que ce qui se passe sur l'impluvium a des conséquences sur la qualité des ressources qui se retrouvent sous terre. Avez-vous vocation à restaurer celle-ci par vos actions sur l'impluvium ? Menez-vous une action spécifique autour des puits dont l'activité a été suspendue ?

M. Julien Didelot. - Ma fonction est bien de protéger la ressource en amont. Tout ce qui concerne la qualité des produits finis, les unités de production, la partie forage, n'est pas de mon ressort.

Comment mesure-t-on l'efficacité du programme Agrivair ? D'abord, nous avons toute confiance dans les quarante exploitations qui sont engagées dans le zéro produit phytosanitaire. Nous assurons néanmoins un contrôle des opérations de fertilisation sur place, directement dans les exploitations agricoles. C'est grâce à ces actions que nous sommes capables de maîtriser la qualité du programme.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Tous vos adhérents sont-ils en agriculture biologique ?

M. Julien Didelot. - Tous les adhérents sont en zéro phytosanitaire, mais tous ne sont pas en agriculture biologique. Nous avons différents types de productions sur le territoire : production laitière, production de viande bovine, mais également production ovine.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Quels moyens vous donnez-vous pour contrôler la mise en oeuvre de la convention ? Y a-t-il un organisme certificateur ?

M. Julien Didelot. - Il n'y a pas d'organisme certificateur. C'est une convention privé-privé qui engage la société avec l'exploitant agricole, dans le respect du cahier des charges Agrivair.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - C'est donc vous qui faites un certain nombre de contrôles ?

M. Julien Didelot. - C'est nous qui partageons avec l'exploitant agricole des plantes de fertilisation en fonction des besoins des cultures. C'est nous qui réalisons également un ensemble d'analyses afin de vérifier la qualité des effluents et le respect du cahier des charges. En fonction de ces analyses, nous préconisons les conduites à tenir.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Pouvez-vous nous parler des parcelles qui se situent sur une partie des décharges de plastiques de première génération dont, je crois, vous avez la propriété foncière ?

M. Julien Didelot. - Je rappelle simplement que ces décharges de plastiques sont issues d'une activité industrielle passée, des années 1950 aux années 1980.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Cela implique-t-il un traitement particulier ?

M. Julien Didelot. - Il n'y a pas eu de traitement particulier, ces sites n'ayant pas de vocation agricole ou touristique.

Depuis 2020, à la prise de mes fonctions, le groupe s'est engagé à assurer un suivi environnemental, en lien avec les services de l'État.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Pouvez-vous nous dire en quoi consiste votre partenariat avec l'ONF ? Quels en sont les objectifs ?

M. Julien Didelot. - Nous travaillons en partenariat avec l'Office national des forêts sur un plan simple de gestion de plus de 300 hectares de surface. L'objectif est non pas la production de bois, mais la préservation de la ressource en eau et de la biodiversité.

M. Alexandre Ouizille rapporteur. - Sur les prairies naturelles, vous donnez-vous des objectifs de restauration ? Comment cela fonctionne-t-il ?

M. Julien Didelot. - Le premier objectif est la préservation de ces prairies naturelles, qui ont des propriétés remarquables. Il s'agit d'un véritable dogme chez nous, car c'est un gage de protection de la ressource en eau, après le couvert forestier, bien entendu. C'est la mesure phare inscrite dans notre cahier des charges.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Essayons de résumer les choses pour mieux comprendre la spécificité de votre métier et de vos fonctions. Qu'est-ce qui est le plus difficile dans votre métier, dans la protection de cet impluvium ? Sans remettre en cause la qualité de votre travail, que je salue, on voit que la dégradation de la qualité des eaux demeure un problème. Qu'est-ce qui rend ce travail si difficile et quels axes d'amélioration pourraient permettre de protéger encore mieux la ressource ?

M. Julien Didelot. - Ce qui rend le travail difficile, c'est d'abord la superficie de l'impluvium : 11 400 hectares, soit la taille de Paris. De multiples activités, principalement agricoles, sont présentes sur cet impluvium. Il faut assurer le respect du cahier des charges des quarante exploitations agricoles concernées, mais aussi convaincre d'autres agriculteurs de s'engager dans la démarche de protection des sols, pour accroître la surface protégée. Ces deux objectifs suscitent des difficultés chaque jour. Il est également difficile de concilier l'enjeu de l'eau avec les autres activités économiques du territoire : activités sportives, touristiques ou encore thermales. Nous nous attachons à permettre la continuité de ces activités tout en maintenant la politique de zéro produit phytosanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment le cahier des charges a-t-il évolué depuis la création d'Agrivair ? S'améliore-t-il régulièrement ? Est-il encore perfectible ?

M. Julien Didelot. - Depuis trente-trois ans, le programme Agrivair a prouvé sa performance. Le cahier des charges doit avant tout traduire un modèle robuste. Il résulte de préconisations, visionnaires, formulées par les chercheurs de l'Inra il y a plus de trente ans. Il a été révisé en fonction des évolutions du monde agricole et des connaissances scientifiques. Une révision a été réalisée en 2016 ; une caution scientifique a permis des ouvertures, mais certains critères essentiels pour la protection des sols et la préservation tant de la ressource en eau que de la biodiversité ont été maintenus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tous les exploitants présents sur l'impluvium ne sont pas signataires de la convention. J'imagine que vous essayez régulièrement d'en convaincre le plus grand nombre pour parvenir à une certaine complétude de vos efforts sur l'impluvium. Qu'est-ce qui empêche cette complétude ? Quels sont les freins ? Quels arguments vous sont opposés ?

M. Julien Didelot. - Notre philosophie est d'engager sans rien imposer. Parmi les freins, on peut relever la volonté de certains exploitants de garder leur indépendance. Les agriculteurs sont parfois réticents à voir une entreprise extérieure assurer des services sur son exploitation. Cela contribue au non-engagement de certaines exploitations dans Agrivair.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Signez-vous de nouvelles conventions chaque année ou avez-vous atteint un plafond ?

M. Julien Didelot. - Notre travail quotidien est bien d'essayer d'engager des superficies toujours plus larges dans la protection de la ressource. Il se déroule sur le long terme. Il faut au préalable apprendre à connaître les exploitations et les exploitants, pouvoir leur apporter des garanties quant au programme de protection de la ressource, des garanties dont ils ne bénéficiaient pas en dehors du programme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'en viens au sujet de l'eau de surface, qui fait partie de votre champ d'intervention. Pouvez-vous nous détailler de quelle manière vous procédez à la renaturation de certains ruisseaux, notamment le Petit Vair, et vous préservez d'autres cours d'eau ?

M. Julien Didelot. - Effectivement, la restauration et la renaturation de cours d'eau sont bien l'une des activités d'Agrivair. Nous avons notamment procédé à de tels travaux sur quelque deux kilomètres du Petit Vair en aval de Vittel. Ces travaux nécessitent des travaux approfondis sur l'hydromorphologie du cours d'eau, les espèces présentes à ses abords et la qualité des habitats. En fonction de ces diagnostics préliminaires, nous effectuons des actions visant à rendre de la naturalité au cours d'eau et à améliorer la qualité des écosystèmes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans quelle mesure les évolutions de votre activité sont-elles liées au changement climatique ? Celui-ci complique-t-il vos actions quotidiennes et vous oblige-t-il à changer vos manières de faire ? Nous avons compris les principes généraux de votre activité ; nous souhaiterions savoir de manière concrète comment évolue votre travail au quotidien.

M. Julien Didelot. - Notre activité est très mouvementée depuis quelques années du fait des aléas climatiques que l'on subit, notamment de fortes sécheresses suivies d'importants épisodes pluvieux. Nous devons intervenir dans quarante exploitations agricoles, sur plus de 5 200 hectares, et les opérations de fertilisation doivent être menées dans des fenêtres temporelles de plus en plus courtes. Outre la ressource humaine, ces opérations requièrent une météo favorable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi ces périodes sont-elles de plus en plus courtes ?

M. Julien Didelot. - Même en l'absence de phénomènes pluvieux pendant un certain temps, les terres restent praticables, roulables. Notre démarche de protection des sols nous impose de pratiquer la fertilisation dans les exploitations agricoles sans détériorer le sol.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une partie du travail de notre commission d'enquête consiste à déterminer comment l'on pourrait mieux protéger la ressource en eau. Les puits et forages fermés ou requalifiés sur les sites de Nestlé dans les Vosges ou le Gard sont une illustration de cette difficulté. Qu'est-ce qui vous empêche d'aller au bout de votre mission ? Quels outils vous manque-t-il pour mieux protéger l'impluvium, que nous pourrions recommander dans notre rapport ?

M. Julien Didelot. - Vous pouvez d'abord nous aider par la reconnaissance du programme Agrivair. Le territoire a pu être protégé grâce à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), établissement public auquel nous sommes liés par une convention dont l'objet est la préservation de la ressource en eau sur le territoire de Vittel-Contrexéville, mais aussi au-delà. Aujourd'hui, Agrivair est sollicité pour apporter son expertise dans d'autres territoires, qui utilisent les outils de cet établissement public pour protéger leurs ressources en eau potable.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie de vos réponses, qui ont permis de mettre en avant l'action positive de cette filiale du groupe Nestlé.

Si je vous ai bien compris, l'action d'Agrivair ne porte aujourd'hui que sur l'impluvium des Vosges. Vous réfléchissez à son extension sur d'autres sites. Pourquoi votre action, remarquable, n'a-t-elle pas encore été dupliquée sur d'autres sites de Nestlé ?

M. Julien Didelot. - Nous essayons de dupliquer le programme Agrivair sur d'autres sites. Je travaille personnellement depuis 2018 à une démarche similaire de protection de la ressource en eau sur le site d'Étalle, en Belgique ; une dizaine d'exploitations agricoles sont engagées dans cette démarche, avec un cahier des charges imposant zéro produit phytosanitaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons appris que des partenariats avec des agriculteurs existent sur d'autres sites, mais il me semblerait utile de formaliser ce type de démarches sur le modèle d'Agrivair.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mon collègue Olivier Jacquin, qui ne peut être présent ce matin, m'a demandé de vous poser la question suivante. Un des scientifiques que nous avons auditionnés sur l'intérêt de l'agriculture biologique pour la protection des captages nous a affirmé qu'un problème pouvait néanmoins se poser : l'épandage de cuivre. Pouvez-vous confirmer que, dans les zones de grande culture comme celles que vous protégez, les exploitations biologiques ne pratiquent pas l'épandage de cuivre, celui-ci étant réservé aux zones viticoles ?

M. Julien Didelot. - Je peux simplement vous confirmer qu'il n'y a pas d'épandage de cuivre sur les territoires couverts par les conventions Agrivair dans les Vosges ou en Belgique.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci encore de vos réponses, monsieur Didelot. L'action d'Agrivair apparaît très positive.

Audition de M. Loïc Tanguy, ancien conseiller « consommation
et pratiques commerciales » aux cabinets de MM. Alain Griset
et Jean-Baptiste Lemoyne, successivement ministres délégués
aux petites et moyennes entreprises
(Jeudi 27 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Monsieur Loïc Tanguy, en qualité de conseiller consommation et pratiques commerciales auprès du ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises entre juillet 2020 et mai 2022, soit Monsieur Alain Griset de juillet 2020 à décembre 2021 et Monsieur Jean-Baptiste Lemoyne entre décembre 2021 et mai 2022.

Monsieur Tanguy, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Loïc Tanguy prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je suis aussi obligé de vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête.

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle pour les internautes, puisque cette audition est retransmise en direct sur internet, que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur l'attitude et les décisions des ministères à l'égard de Nestlé Waters.

Monsieur Tanguy, vous avez été conseiller consommation auprès des ministres Alain Griset et Jean-Baptiste Lemoyne, de 2020 à 2022. Au surplus, vous avez exercé quatre ans à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCRRF), en qualité de directeur de cabinet adjoint de juillet 2016 à juillet 2017, puis directeur de cabinet de juillet 2017 à juillet 2020. Les questions de protection du consommateur n'ont donc pas de secret pour vous.

Quand et comment avez-vous appris l'existence de traitements illégaux sur certaines eaux minérales ? Comment vous et vos ministres successifs avez-vous réagi ? Quel rôle avez-vous joué dans les décisions des pouvoirs publics en la matière ? Quelles leçons tirez-vous de cette crise qui entame la confiance des consommateurs pour un secteur auquel nous tenons tous ?

M. Loïc Tanguy, ancien conseiller « consommation et pratiques commerciales » au cabinet du ministre délégué chargé des entreprises, du tourisme et de la consommation. - Je me permets de commencer cette audition par un propos liminaire pour détailler mon implication dans ce dossier entre septembre et novembre 2021. Je vous prie d'avance de bien vouloir m'excuser pour d'éventuelles imprécisions dans ce récit. Les faits discutés remontent maintenant à plus de trois ans et mes souvenirs sont à ce titre parcellaires.

À la mi-septembre 2021, je suis destinataire d'une note adressée par la directrice générale de la DGCCRF à la ministre chargée de l'industrie. Cette note fait suite à un rendez-vous entre des représentants de la société Nestlé Waters et le cabinet de la ministre, deux semaines plus tôt, fin août 2021. Je n'étais pas informé de cette réunion et je n'y participais pas. Dans cette note, la DGCCRF fait un point sur la réglementation applicable aux eaux minérales naturelles et détaille ses investigations dans ce secteur. Focalisée initialement sur un acteur en particulier, l'enquête de la DGCCRF progresse bien et est susceptible de s'étendre à d'autres acteurs comme Nestlé Waters qui utiliseraient, sur certaines sources, des procédés non autorisés.

Il me semble, à la lecture de cette note, que la DGCCRF fait parfaitement bien son travail de lutte contre les fraudes au service des consommateurs.

La note précise enfin que les investigations sont toujours en cours et qu'il n'est pas possible de tirer des conclusions définitives. En effet, les constats que le service national des enquêtes (SNE) de la DGCCRF a déjà pu effectuer doivent être approfondis par des échanges complémentaires avec le ministère de la santé. En effet, c'est ce ministère, et notamment la direction générale de la santé (DGS) et les agences régionales de santé (ARS), qui sont compétents en matière de traitement et de sécurité sanitaire des eaux minérales naturelles. Cette note est essentiellement descriptive et ne demande pas d'arbitrage des ministres. Par ailleurs, elle ne fait pas état d'un quelconque risque sanitaire.

Le cabinet de la ministre chargée de l'industrie prend l'initiative de contacter le ministère de la santé. Au cours des semaines qui suivent, je suis alors tenu informé des échanges qui ont lieu entre les deux ministères et notamment d'une réunion mi-octobre qui réunit les deux cabinets, la direction générale de la santé et la DGCCRF. C'est dans ce cadre que je suis informé de la décision de saisir l'inspection générale des affaires sociales (Igas), et suis en copie d'échanges entre la conseillère du cabinet industrie et la DGCCRF sur cette saisine. Pendant cette période, au titre de mes fonctions, je suis en contact régulier avec la DGCCRF, que je connais bien - avec la directrice générale et ses directeurs de cabinet. À aucun moment, ils ne me font remonter de difficultés ou de points bloquants.

Le choix d'effectuer cette saisine de l'Igas me semble à même de répondre de manière satisfaisante à la situation rencontrée, et ce pour trois raisons principales. La première est que cette mission doit permettre d'approfondir la question du risque sanitaire, ce qui me semble important, même si aucun risque ne semble apparaître a priori. La deuxième est que cette mission prévoit de créer un cadre d'intervention conjoint des ARS, de l'Igas et du SNE de la DGCCRF. S'agissant d'une enquête qui se situe à l'interface des domaines de compétences de la DGCCRF et du ministère de la santé, ce dispositif de coordination me semble à même de permettre à l'enquête d'être finalisée dans les meilleures conditions. La troisième est que cette lettre de mission prévoit de faire un large diagnostic de l'ensemble du secteur. Dans sa note, résultat de ses enquêtes, la DGCCRF suspectait que les pratiques frauduleuses pouvaient être généralisées. Il était donc particulièrement opportun de faire toute la lumière sur cette affaire et qu'une mission puisse couvrir les différentes entreprises du secteur et dresser un panorama complet de la situation.

La saisine de l'Igas est mise à la signature des ministres début novembre. Je fais monter le parapheur à Bruno Le Maire en tant que ministre de tutelle de l'ensemble des ministères de Bercy, afin qu'il puisse signer cette lettre de mission. La saisine de l'Igas est ainsi signée par les ministres le 19 novembre 2021. À l'issue de l'élection présidentielle du printemps 2022 et de la formation d'un nouveau gouvernement, je quitte mes fonctions de conseiller ministériel en mai 2022. À cette date, la mission de l'Igas n'a pas encore finalisé ses travaux ni rendu ses conclusions.

Monsieur le président, dans ce dossier, comme pendant mes deux années en cabinet au ministère de l'économie, ma priorité en tant que conseiller consommation et pratiques commerciales aura toujours été de créer un cadre permettant à la DGCCRF d'exercer au mieux ses missions et de protéger les consommateurs et l'ordre public économique.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci.

Le 31 août 2021, Madame Muriel Liénau, responsable de Nestlé Waters, obtient un entretien à sa demande avec le cabinet de Madame Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, pour, nous a-t-elle dit, faire oeuvre de transparence quant à l'étendue des traitements non autorisés mis en place dans les usines de Nestlé dans les Vosges et le Gard, et pour lui soumettre les plans de transformation visant à remplacer ces traitements par d'autres traitements qui font aussi l'objet de discussions dans le cadre de cette commission, tels que la microfiltration à 0,2 micron. Vous a-t-on rendu compte de ces échanges et si oui, de quelle manière et avec quel niveau de précision ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'étais pas présent à cette réunion, de manière assez logique puisque c'était une demande qui avait été formulée au cabinet du ministre de l'industrie. Je ne saurais pas vous dire aujourd'hui si j'ai été débriefé de cette réunion entre le 31 août et le 14 septembre, mais, comme je le disais dans mon propos liminaire, j'ai été destinataire d'une note de la directrice générale de la DGCCRF le 14 septembre et, en tout état de cause, informé à cette date.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un point de curiosité et de surprise : nous sommes face à un dossier de tromperie du consommateur davantage qu'à un dossier industriel. Le coeur du scandale, c'est cette tromperie. Qui a tranché ? Y a-t-il eu délibération ? Est-ce parce que l'industriel a choisi d'entrer par la porte du ministère de l'industrie que cela a été traité là plutôt que du côté de la défense des consommateurs, qui était dans votre périmètre ? Notre impression, c'est que c'est l'industriel qui choisit et demeure, finalement, l'autorité traitante. Est-ce juste ?

M. Loïc Tanguy. - L'industriel a choisi sa porte d'entrée. Il ne m'a pas contacté. Je ne l'ai pas rencontré dans ce cadre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez pas été sollicité par Nestlé ou ses conseils ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'ai pas été sollicité par Nestlé dans le cadre de cette affaire. La question de ces traitements n'a jamais été abordée avec moi.

À Bercy, il y a une coordination entre les cabinets, qui se connaissent, se côtoient et travaillent ensemble. Je connaissais Madame Lucile Poivert puisque, quand j'étais directeur de cabinet de la DGCCRF, elle était conseillère en charge de la consommation pour Madame Agnès Pannier-Runacher. Nous avons travaillé main dans la main dans ce dossier. C'est elle qui a pris le pilotage côté Bercy, de manière assez naturelle, puisque c'est elle qui avait eu connaissance du dossier et avait eu des interactions avec Nestlé Waters. C'est elle qui a pris l'initiative des échanges avec le ministère de la santé, mais j'étais informé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été associé aux réflexions ? Quelle a été la part de votre ministère et de votre ministre dans les réflexions et les décisions prises ? Qu'avez-vous apporté à cette discussion ?

M. Loïc Tanguy. - Lucile Poivert a pris l'initiative des rendez-vous et des contacts avec la DGS. Elle me tenait informé. Par ailleurs, j'avais des contacts très réguliers avec la DGCCRF et on ne m'a pas remonté de difficultés, donc je considérais que le dossier était traité avec cohérence, que l'action de la DGCCRF n'était pas entravée et qu'il n'y avait pas de difficultés entraînées par les décisions qui pouvaient être prises.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu une discussion sur ce sujet avec votre ministre de rattachement ?

M. Loïc Tanguy. - Mes souvenirs sont trop lointains et je ne saurais pas vous dire si j'en ai discuté avec Alain Griset.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il n'y a pas eu d'arbitrage ?

M. Loïc Tanguy. - Non, il n'y en a pas eu.

En revanche, la DGCCRF était en phase avec les décisions prises et la saisine de l'Igas, qui était une solution cohérente pour permettre à l'enquête de se poursuivre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui est difficile à comprendre, c'est que Bercy apprend qu'il y a des fraudes, attestées et même signalées par l'industriel lui-même, et fait le choix exclusif de l'interne, de l'enquête, et absolument pas le choix de l'information du public. C'est donc le choix de faire boire aux Français, sans qu'ils le sachent, de l'eau qui n'est pas de l'eau minérale naturelle puisqu'elle est traitée, comme l'eau du robinet, sans être vendue au même prix.

Je ne dirais pas que vous étiez l'UFC-Que Choisir du Gouvernement, mais vous aviez une responsabilité de défense du consommateur plus importante que celle du ministère de l'industrie. Or vous semblez à la remorque du dossier, mis en copie de mails, sans arbitrage politique de votre ministre. Avez-vous pris la pleine mesure du dossier ?

M. Loïc Tanguy. - La question que vous posez est liée à la communication susceptible d'être faite à cette date. Pour moi, il est très clair qu'entre septembre 2021 et juillet 2022, ce n'est pas le temps de la communication.

Ma première réaction à la lecture de cette note a été de m'assurer qu'il n'y avait pas de risque sanitaire, car alors, il faut une information immédiate du consommateur. C'est ce qui est fait par les pouvoirs publics. Pendant ma présence au cabinet, nous avons renforcé cette communication avec le site RappelConso, pour informer les consommateurs en cas de risque sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cela signifie que lorsque nous ne sommes pas face à un risque sanitaire, la doctrine de l'État, quand un industriel vient relater une fraude à la consommation, n'est pas d'en informer immédiatement les consommateurs. Est-ce bien cela ?

M. Loïc Tanguy. - Quand on parle de fraude, on parle de tromperie ou de pratique commerciale trompeuse au sens du code de la consommation. C'est un délit pénal réprimé par deux ans de prison, deux millions d'euros d'amende et même potentiellement plus, en pourcentage du chiffre d'affaires.

Les enquêtes en matière de fraude sont réalisées par les agents de la DGCCRF, dans un cadre bien précis, afin de rassembler tous les éléments pour démontrer la matérialité et l'intentionnalité de la fraude et que les faits puissent être portés devant le juge pénal et que les personnes qui ont trompé le consommateur puissent être sanctionnées.

La contrepartie de cette procédure extrêmement lourde et des conséquences qui y sont attachées, c'est qu'on est tenu par le secret de l'enquête. Lorsqu'il y a une enquête sur une fraude pénale, on ne peut pas communiquer. Voilà le temps qui s'ouvre, et qui était déjà ouvert, puisque la DGCCRF avait déjà des enquêtes en cours à ce moment-là.

C'est le temps de l'enquête, qui est le temps pour réaliser un panorama plus large : est-ce que ce sont les pratiques de quelques industriels seulement, ou ces pratiques sont-elles généralisées ? Voilà le temps qui s'ouvre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La doctrine me semble double : si cela relève du sanitaire, on informe tout de suite - vous me dites que si cela relevait du sanitaire et du pénal, vous auriez informé le grand public. Le fait que cela relève du pénal ne purge pas le sujet, puisque si cela relève du pénal, mais dans un autre secteur, vous laissez se dérouler les enquêtes... J'ai compris ce que vous vouliez dire.

Nous avons entendu la DGCCRF. Le président Burgoa n'a pas pu s'empêcher de ne plus être trop sénatorial lors de cette audition...

M. Laurent Burgoa, président. - C'est la dernière fois où je me suis énervé !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Voilà un service qui, quatre ans après, à notre connaissance, n'est jamais allé devant le juge pénal, et ne lui a jamais relaté les faits. Nous avons donc le sentiment que les choses ont traîné. Ils nous ont dit qu'ils attendaient les réponses du rapport de l'ARS pour pouvoir rédiger leur procès-verbal.

Finalement, confier l'enquête à la DGCCRF n'a pas été la solution, mais le bouchon : cela a empêché le juge pénal de se saisir de l'affaire.

C'est toute la question que nous nous posons sur l'article 40. Est-ce que vous pensez que la DGCCRF a fait son travail dans cette affaire ?

M. Loïc Tanguy. - À la lecture de la note du 14 septembre, il me semblait évident que la DGCCRF avait fait son travail. Il y a eu un signalement à l'ARS ; la DGCCRF a fait son enquête, elle a mené des perquisitions et une opération de visite et de saisie (OVS). Elle a ensuite remonté la filière pour identifier si d'autres industriels étaient concernés par ces traitements. Je le redis : quand je lis la note, il est évident que la DGCCRF a très bien fait son travail.

Après, se pose la question de l'articulation entre les autorités de contrôle. La DGCCRF est une autorité transverse de protection des consommateurs : elle est chargée de protéger les consommateurs dans tous les domaines de l'économie, de telle sorte qu'elle est l'interlocutrice unique des consommateurs. Cela a permis de mettre en place SignalConso.

La contrepartie, c'est que la DGCCRF est en interface avec des ministères sectoriels et avec des autorités administratives indépendantes sectorielles. Il y a un partage de compétence et donc une coordination à réaliser entre la DGCCRF et ces autorités. Faut-il, dans certains cas, améliorer la coordination entre les services ? Sans doute. Faut-il remettre en cause ce système ? Je ne pense pas. Honnêtement, après mai 2022, je ne peux pas me prononcer sur le dossier.

En tout état de cause, pour avoir travaillé quatre ans à la DGCCRF puis deux ans au cabinet en lien avec la DGCCRF, je pense que c'est une administration qui fait un travail formidable.

M. Laurent Burgoa, président. - Le rapporteur souhaitait vous faire réagir sur le fonctionnement global de cette institution. Je me suis un peu énervé lors de cette audition, car j'ai ressenti, peut-être à tort, qu'il n'y avait pas trop de liens entre le national et le local.

La direction départementale de la protection des populations (DDPP) du Gard avait travaillé en osmose avec l'ARS sur des contrôles, mais n'avait pas l'impression que les informations remontaient au niveau national. Pourtant, ils travaillaient ensemble. Même si l'ARS avait le leadership sur le local, comme les équipes étaient ensemble, l'information circulait localement, mais avait l'air de ne pas remonter. Pourquoi ? Est-ce la pratique de la maison ? Vous qui avez une expérience de cette structure... Nous voudrions mieux comprendre.

Lors de cette audition, j'avais des personnes fort sympathiques devant leur ordinateur qui n'arrivaient pas à sortir de cet ordinateur et me répondaient en disant qu'elles n'étaient pas au courant, quand bien même elles avaient des responsabilités importantes. Expliquez-nous les relations entre le local et le national de cette belle institution.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui était terrible, c'est que la DGCCRF nous disait que leurs agents étaient physiquement présents, qu'ils avaient vu les choses, mais qu'ils attendaient un rapport de l'ARS pour le constater... Finalement, c'est Foodwatch qui prévient la justice et lance la procédure, plutôt que les services de l'État qui travaillent dessus depuis quatre ans... J'aimerais comprendre.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce qui m'avait particulièrement agacé, c'est que la préfecture du Gard avait les informations et que l'ARS avait rédigé son rapport définitif sur le site de Vergèze. Or les services nationaux n'avaient pas l'information, ils avaient quasiment six mois de retard... Pourtant, nous disposons de portables, de mails ! Expliquez-nous le fonctionnement interne de cette institution.

M. Loïc Tanguy. - J'aurais des difficultés à vous expliquer ce cas particulier.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous connaissez bien cette maison et vous avez eu des responsabilités importantes au cabinet. Est-ce que cela arrive de temps en temps, régulièrement, ou pas du tout, qu'il n'y ait pas de lien entre le local et le national ?

M. Loïc Tanguy. - Pour moi, dans le cadre d'un fonctionnement normal de la DGCCRF, il n'y a pas de problème d'interaction entre le SNE, qui est un service à compétence nationale, et les services de la DGCCRF dans les directions départementales. Ces services travaillent très bien.

Dans l'affaire dont il a été fait mention sur les perquisitions qui ont eu lieu en décembre 2020, à ma connaissance, il y a eu une très bonne articulation entre les services locaux et le SNE.

Honnêtement, je ne saurai pas vous apporter d'explications sur ce point spécifique.

M. Laurent Burgoa, président. - Localement, cela fonctionnait très bien. Dans vos fonctions, vous n'avez pas eu connaissance d'autres cas où il n'y aurait pas eu de lien entre le national et le local ?

M. Loïc Tanguy. - Au sein de la DGCCRF, une animation permet de coordonner l'activité des différents services. Je ne sais pas si c'est le cas ou pas en l'espèce, mais il peut y avoir des difficultés si les agents sont dans le cadre d'une commission rogatoire, sous l'autorité du procureur, ou dans le cadre de leur propre pouvoir habituel.

M. Laurent Burgoa, président. - En Occitanie, il n'y avait pas d'information judiciaire, donc ce n'était pas sous l'autorité du procureur. C'était de leur propre initiative : un contrôle administratif.

M. Loïc Tanguy. - Je ne saurais pas vous dire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je reviens sur l'article 40, un point sensible.

Je refais le film : en août 2021, les informations dont fait état Nestlé sont transmises à la DGS. Jérôme Salomon, directeur général, interroge sa direction des affaires juridiques pour savoir s'il faut recourir à l'article 40. Charles Touboul, son directeur des affaires juridiques que nous avons également entendu, nous indique qu'au vu des informations disponibles sur la fraude, à savoir la présence de filtres non autorisés qui remettent en cause l'appellation d'eau minérale naturelle, les infractions relèvent plus de la tromperie que du domaine sanitaire. Et dans la mesure où il estime que le risque n'est pas avéré, il en déduit qu'il revient à Bercy et non à la DGS de signaler ces infractions au procureur sur le fondement de l'article 40.

Ensuite, nous l'interrogeons parce que lui-même était au courant. Et il nous répond, par une théorie qui n'engage que lui, que sur le recours à l'article 40, il revient au fonctionnaire dont le domaine de compétence est directement concerné par les éléments susceptibles de caractériser l'infraction, de prendre la responsabilité d'un tel signalement, car il dispose des compétences techniques les plus adéquates pour en apprécier l'opportunité.

J'ai l'impression que la personne qui était la plus adéquate, c'était à la fois vous et votre ministre. Mais quand je vous écoute, j'ai l'impression que, tel que vous voyez le fonctionnement de la DGCCRF du côté de Bercy, celle-ci vous libère, en quelque sorte, de vos obligations vis-à-vis de l'article 40. Vous considérez que le fait de lancer une enquête auprès de la DGCCRF vous libère de vos obligations issues du code de procédure pénale, car il existe ce SNE. Pour vous, faire appel au SNE, c'est gérer la question pénale une bonne fois pour toutes. Et comme cette affaire n'a pas été gérée par le SNE, cela nous interroge...

M. Loïc Tanguy. - Je serais bien en peine d'apporter autant d'éléments juridiques que le directeur des affaires juridiques du ministère de la santé.

D'abord, je n'ai pas eu de contact avec Nestlé Waters. Je n'ai donc pas recueilli une quelconque information de leur part sur cette situation. Les informations dont je dispose proviennent de la DGCCRF, qui a des pouvoirs d'enquête propres.

En quatre ans à la DGCCRF et deux ans de cabinet, je ne crois pas une seule fois avoir entendu parler d'un agent de la DGCCRF qui fasse usage de l'article 40 dans le cadre d'une procédure pour laquelle la DGCCRF est habilitée. Si, dans le cadre d'un contrôle, un agent de la DGCCRF est informé d'une pratique qui relève du code du travail ou d'autres choses pour lesquelles il n'est pas compétent, il est susceptible de pouvoir faire un article 40. Mais dans le cadre d'une pratique commerciale trompeuse définie au sein du code de la consommation et pour lequel il est habilité, pour moi, la question ne se posait pas.

Je n'avais pas d'informations directes sur ce qui avait été déclaré par Nestlé. Des agents habilités à la recherche d'infractions et de fraudes, de pratiques commerciales trompeuses, étaient déjà informés de cette situation. Donc pour moi, l'article 40 n'avait pas lieu d'être.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci de cette réponse qui reprend un peu mes dires. Vous exprimez à peu près la même idée, certes un peu différemment.

Nous savons que dès août 2021, et même avant 2020, il y avait des enquêtes du SNE. Pourtant, aucun signalement n'a été fait au procureur quatre ans plus tard, lorsque la presse fait ses révélations. Le consommateur qui voit cela se dit que l'État, d'une certaine façon, a couvert ou n'a pas traité le risque pénal. Quel est votre avis ? Est-ce classique que cela mette autant de temps à remonter ? N'est-ce pas un peu inquiétant par rapport aux droits des consommateurs ? Trouvez-vous que la procédure est longue ?

M. Loïc Tanguy. - Je le répète : le SNE s'est saisi d'un signalement en 2020 - je ne saurais vous dire à quelle date exactement - et a mené une enquête qui est, à mon sens, remarquable : elle ne se contente pas de regarder ce qui a fait l'objet du signalement, mais va plus loin : elle se demande si d'autres personnes ont également la même pratique et elle étend le champ de l'enquête.

En matière de délit de pratique commerciale trompeuse, pour que le dossier soit recevable par le juge, il faut qu'il soit suffisamment complet pour que les faits puissent être jugés ; il faut une enquête longue, démontrer un certain nombre de points pour avoir un dossier robuste.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Même lorsqu'il y a des aveux ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'étais pas là le 31 août. Je ne sais pas exactement ce qui a été dit.

Concernant les délais, les enquêtes du SNE peuvent être longues. Je ne peux absolument pas me prononcer sur le délai des enquêtes en question, car je n'ai pas tous les éléments dont je devrais disposer pour porter un jugement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 27 octobre 2021, Virginie Beaumenier, DGCCRF, écrit à Lucile Poivert, que vous connaissez si bien, en vous mettant en copie, que le SNE termine l'enquête en cours, qui se déroule sous l'autorité du procureur, mais qu'il n'y a pas lieu d'en engager d'autres dans l'attente des conclusions de la mission de l'Igas. Vous savez pourtant qu'il y a des fraudes commises par Nestlé. Pourquoi temporiser dans l'attente des conclusions de la mission ? Cela ne revient-il pas, d'un point de vue purement factuel, à laisser un blanc-seing à Nestlé, d'autant plus que les autorités administratives locales - ARS, préfecture - ont volontairement été tenues à l'écart de ces révélations et qu'elles ne diligenteront pas de contrôle immédiat, mais un an et demi plus tard ? Vous parlez de sérieux et de diligence, mais ici, c'est l'exact contraire, non ?

M. Loïc Tanguy. - Revenons au fondement de la mission de l'Igas. Elle avait pour but de créer ce cadre, pour que le SNE puisse apporter les éléments dont il dispose et de rassembler, avec l'Igas comme architecte ensemblier, les ARS et le SNE.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'Igas a-t-elle les mêmes pouvoirs d'un point de vue pénal que le SNE ?

M. Loïc Tanguy. - Vous connaissez sans doute mieux que moi, désormais, la répartition des compétences entre la DGCCRF et les ARS. Les ARS sont plutôt compétentes techniquement et juridiquement pour l'amont, à savoir la partie entre la source et l'embouteillage, et le SNE et la DGCCRF pour l'eau déjà embouteillée. Il faut une articulation entre les deux. La DGCCRF a besoin de l'expertise des ARS pour finaliser ses procédures. C'est pour cela qu'on a fait cette mission Igas avec les deux entités, ARS et SNE ensemble, pour travailler en collaboration et accélérer les investigations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Même si le cadre, du coup, n'est plus le même que celui du SNE...

M. Loïc Tanguy. - Voilà comment était rédigée la saisine de l'Igas : l'idée était de reprendre les éléments dont dispose d'ores et déjà le SNE pour les partager, afin que chacun puisse travailler en collaboration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous que ni au terme de la première enquête du SNE - pour laquelle il n'y en aura pas de deuxième sur Nestlé - ni au terme du rapport Igas, il n'y aura de saisine du procureur au titre de l'article 40 pour faire cesser les atteintes au droit de la consommation, et qu'il faille attendre, en bout de chaîne, sur un seul endroit du territoire, dans le Grand Est, que ce soit une directrice générale, après avoir obtenu le feu vert de son cabinet, seule, qui fasse usage de l'article 40 ? Cela n'a pas été le cas en Occitanie.

Pensez-vous qu'on a bien protégé les droits du consommateur et tenté de faire cesser les infractions ?

Le raisonnement pourrait encore tenir s'il s'était passé quelque chose après l'enquête de l'Igas. Cela n'a pas été le cas. Il a fallu attendre le contrôle d'une ARS par rapport aux différents sites concernés...

M. Loïc Tanguy. - Sur ce point, je ne suis pas en capacité de vous répondre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez bien un avis ? Vous avez un avis sur le fonctionnement de la DGCCRF, sur la qualité de son travail. Vous semble-t-il normal, en tant que haut fonctionnaire, au service de l'intérêt général, qu'il n'y ait eu aucun signalement au procureur de la République au terme de ces enquêtes et de cette mission d'inspection qui, pourtant, faisaient état de fraude et de non-conformité ?

M. Laurent Burgoa, président. - En tant que conseiller ministériel chargé de la consommation, avez-vous été en contact avec un collaborateur de Matignon ou de l'Élysée, qui vous aurait sollicité ou que vous auriez approché, ou avec les autorités locales ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'ai eu de contact ni avec Matignon ni avec l'Élysée.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'est pas une question piège ; il s'agit juste d'enrichir la culture générale de la commission d'enquête en la matière. La préfecture, l'ARS ou la DDPP vous ont-elles tenu informé ou les avez-vous sollicitées ?

M. Loïc Tanguy. - Je n'ai eu de contact ni avec les ARS ni avec les préfectures sur ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - J'ai une ultime question technique. Lorsque vous occupiez le poste de directeur de cabinet à la DGCCRF, avez-vous entendu parler de l'enquête en question ?

M. Loïc Tanguy. - Il m'est difficile de vous répondre. À mon sens, en décembre 2020, j'ai eu connaissance des opérations de visite et de saisie (OVS) qui avaient eu lieu. En revanche, s'agissant du lancement de l'enquête, je ne saurais pas vous dire si j'en ai été informé.

M. Laurent Burgoa, président. - Notre travail de parlementaires consiste à faire des propositions. Au regard de votre expérience professionnelle, auriez-vous des préconisations à nous soumettre - avec le rapporteur, nous avons également quelques idées - pour renforcer la transparence auprès de nos concitoyens et des consommateurs qui ont le droit de boire un produit de qualité sans se poser de questions ?

M. Loïc Tanguy. - Il n'existe pas de baguette magique ou de solution miracle permettant de concilier la protection du secret de l'enquête et la transparence. Ces deux objectifs sont quelque peu contraires. Pour autant, des dispositifs permettant d'obtenir davantage de transparence à un moment donné de l'enquête pourraient être envisagés.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le rapporteur, je ne vous ai peut-être pas bien écouté. Ma question s'adressait davantage au concitoyen qu'au responsable en poste au sein de différents ministères. Au regard des faits, en tant que citoyen français, ne pensez-vous pas qu'une information judiciaire aurait peut-être pu être ouverte, notamment en Occitanie, pour clarifier la situation et apporter davantage de transparence ?

M. Loïc Tanguy. - Je ne saurais pas vous répondre pour ce dossier en particulier. Néanmoins, des solutions pourraient peut-être être trouvées pour renforcer la transparence lors de la transmission des informations par la DGCCRF. Encore une fois, il n'existe pas de formule magique : il faut respecter à la fois les droits de la défense et le secret de l'enquête, aussi trouver le juste équilibre n'est-il pas évident.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Tanguy, nous vous remercions. Monsieur le rapporteur, vous avez été rapide, car l'entretien a duré quarante minutes et non pas une heure comme il était prévu.

Audition de M. Jérôme Vidal, ancien conseiller « consommation et pratiques commerciales » au cabinet de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
(Jeudi 27 mars 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons nos auditions avec celle de Monsieur Jérôme Vidal ancien conseiller « consommation et pratiques commerciales » au cabinet d'Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, entre juillet 2022 et juin 2024.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jérôme Vidal prête serment.

Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts avec l'objet de notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête, constituée le 20 novembre dernier, vise à faire la lumière sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours. Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Cette audition entend clarifier la nature des décisions prises par les ministères à l'égard de la société Nestlé Waters.

Monsieur Vidal, vous disposez d'une solide expertise en matière de consommation, puisque vous avez débuté votre carrière en 2006 en tant qu'inspecteur à la DGCCRF. Vous avez notamment été affecté à la brigade interrégionale d'enquête sur la concurrence de Lille, au sein de la DREETS du Nord-Pas-de-Calais.

Quand et dans quelles circonstances avez-vous eu connaissance de traitements non conformes appliqués à certaines eaux minérales ? Quelle a été la réaction des ministres auxquels vous étiez rattaché, et la vôtre ? Quel rôle avez-vous précisément joué dans les décisions prises par les pouvoirs publics ?

Plus spécifiquement, dans quelles conditions avez-vous été associé à la concertation interministérielle dématérialisée (CID) de février 2023, qui semble avoir entériné les demandes de Nestlé concernant la microfiltration à 0,2 micron ?

Enfin, quelle analyse tirez-vous de cette affaire, qui fragilise la confiance des consommateurs dans un secteur auquel nous sommes tous attachés ?

Nous vous proposons de commencer par une intervention liminaire d'une vingtaine de minutes. Monsieur le rapporteur prendra ensuite la parole pour vous interroger, ainsi que Madame la sénatrice Guhl.

M. Jérôme Vidal, ancien conseiller « consommation et pratiques commerciales » au cabinet d'Olivia Grégoire. - Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le rapporteur, Mesdames, Messieurs, je vous suis reconnaissant de m'accorder cette audition, au cours de laquelle je m'attacherai à faire preuve de la plus grande transparence et de la plus grande sincérité.

Je suis fonctionnaire au sein du corps de la DGCCRF, au sein de laquelle j'ai exercé diverses fonctions, à Lille ou à Châlons-en-Champagne, où j'ai débuté sur des dossiers relatifs à la consommation et à la concurrence.

Je suis actuellement détaché auprès de l'Autorité de la concurrence, en qualité de rapporteur général adjoint et chef du service chargé du contrôle des concentrations. J'ai exercé, du 18 juillet 2022 au17 juin 2024, les fonctions de conseiller en charge de la consommation et des pratiques commerciales auprès de la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme. C'est à ce titre que je suis entendu aujourd'hui par votre commission d'enquête portant sur certaines pratiques industrielles dans le secteur des eaux minérales embouteillées.

Dès mon arrivée au cabinet, j'ai été informé de l'existence de fraudes potentielles dans ce secteur, pour lesquelles une enquête de la DGCCRF était déjà en cours. Une autre fraude potentielle, concernant l'entreprise Nestlé Waters, m'a également été signalée. Ces pratiques consisteraient à commercialiser des eaux minérales naturelles ne respectant pas la réglementation applicable, notamment les conditions fixées par les arrêtés préfectoraux encadrant l'usage de l'appellation « eau minérale naturelle ».

J'emploie sciemment, à ce stade, les termes de fraudes « potentielles », car les actes d'instruction visant à caractériser une infraction pénale étaient en cours, tant pour l'enquête du Service national des enquêtes (SNE) que pour le dossier concernant Nestlé Waters - même si, à ce moment-là, j'avais compris que l'entreprise avait déjà reconnu certains manquements.

Le 21 juillet 2022, soit trois jours après ma prise de fonctions, j'ai participé à une réunion d'information organisée avec le cabinet de la Première ministre. J'en ai ensuite rédigé un compte rendu, que j'ai adressé à ma direction de cabinet. Bien que le cabinet du ministre de l'industrie ait été représenté lors de cette réunion par son directeur adjoint, j'ai également transmis ce document à Madame Mathilde Bouchardon, conseillère en charge de l'industrie agroalimentaire au sein de ce même cabinet, peu après sa prise de fonctions, intervenue environ une semaine après la mienne.

Trois informations principales figurent dans ce compte rendu :

1. Une enquête du service national d'enquête (SNE) de la DGCCRF était en cours dans ce secteur ;

2. La directrice générale de l'ARS Grand Est s'apprêtait à effectuer un signalement au procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, à propos d'une potentielle fraude commise par Nestlé ;

3. Les pratiques signalées, ainsi que les éléments du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), ne laissaient apparaître aucun risque sanitaire pour les consommateurs.

Pour les deux affaires qui m'avaient été signalées, le volet relatif à la consommation était pris en charge dans le cadre d'une enquête de la DGCCRF, tandis qu'une saisine de la justice était imminente, intervenant d'ailleurs en octobre 2022. Les échanges interministériels et les arbitrages relatifs au cadre réglementaire de l'appellation « eau minérale naturelle » ont, à ma connaissance, principalement impliqué les cabinets des ministres en charge de la santé et de l'industrie.

La conseillère du ministre de l'industrie m'a informé des décisions arrêtées à l'issue de la CID de février 2023. Depuis la réunion du 21 juillet 2022, je n'ai eu aucun autre échange avec d'autres cabinets ministériels, ni avec l'entreprise Nestlé elle-même, à l'exception d'un unique rendez-vous organisé au printemps 2023, dans le cadre du dossier relatif à la baisse des prix devant bénéficier aux consommateurs et à la grande distribution, lors de la réouverture des négociations commerciales, sur le volet Egalim.

En tant que conseiller, ma position était claire : tant qu'une enquête était en cours, aucune communication publique ne pouvait être envisagée, sous peine d'interférer avec la procédure en vue de caractériser pénalement une fraude. En matière d'enquêtes menées par la DGCCRF, les procès-verbaux sont transmis au procureur de la République, seul habilité à rendre l'information publique, conformément à l'article 11 du code de procédure pénale. À ma connaissance, la DGCCRF n'informe pas le public lorsqu'elle transmet un procès-verbal ; c'est au procureur qu'il revient d'engager d'éventuelles poursuites ou de rendre l'affaire publique. Une exception demeure : lorsque les faits sont susceptibles de représenter un danger grave ou immédiat pour la santé ou la sécurité des consommateurs, la loi impose une information du public. Dans de tels cas, les agents de la DGCCRF peuvent alerter les consommateurs, conformément au livre V du code de la consommation, notamment à travers les dispositifs de rappel de produits. En l'espèce, aucun risque sanitaire n'ayant été identifié, cette obligation ne s'appliquait pas.

Cette approche ne signifie pas que les consommateurs ne sont jamais informés des fraudes. En matière de fraude économique, et sauf risque sanitaire avéré, l'information ne peut être communiquée au public qu'à la clôture de l'enquête, outre les cas où l'entreprise prend l'initiative de communiquer ou si le procureur décide de rendre l'affaire publique. La DGCCRF publie régulièrement les résultats de ses enquêtes sur son site internet, ainsi que les sanctions individuelles à la suite de décisions de justice ou d'actes administratifs. Dans les dossiers les plus sensibles, elle peut également diffuser des communiqués de presse, en lien avec le cabinet du ministre chargé de la consommation.

Il arrive ainsi que les consommateurs ne soient informés d'une fraude qu'après jugement. Cette présomption de fraude est une situation courante, et tous les cabinets ministériels n'ont pas nécessairement connaissance de l'ensemble des enquêtes menées en France. Nous avons régulièrement affaire à des fraudes, notamment dans les secteurs du vin (comme la francisation), de l'huile d'olive, du miel ou encore de l'usage abusif du label bio. Le non-respect du poids annoncé des produits constitue également une fraude fréquente. Toutes font systématiquement l'objet d'une enquête de la DGCCRF, suivie, une fois le dossier instruit, d'une communication appropriée.

À titre d'exemple plus récent, j'évoquerai les pratiques commerciales trompeuses relevées chez certains influenceurs, dans un dossier porté par Messieurs Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta. Là encore, les révélations sont intervenues à l'issue de l'enquête, et l'information n'a été rendue publique qu'au moment où les personnes mises en cause ont été appelées à s'expliquer devant la justice, après l'établissement d'un procès-verbal. Il est même arrivé que certains influenceurs prennent eux-mêmes l'initiative de révéler l'existence d'une enquête.

La défense des intérêts des consommateurs a constitué la ligne directrice constante du cabinet auquel j'appartenais, dans le respect du cadre juridique en vigueur. J'en veux pour preuve la volonté manifeste de la ministre de permettre l'agrément d'association de défense des consommateurs à l'organisation à but non lucratif Foodwatch, alors que cette dernière a déposé plainte avec constitution de partie civile dans le dossier des eaux minérales embouteillées.

Je me tiens désormais à votre disposition pour répondre à l'ensemble de vos questions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avant cette réunion du 21 juillet, aviez-vous été informé du dossier, de quelque manière que ce soit ?

M. Jérôme Vidal. - Au regard des documents dont je dispose, mon information remonte bien à cette réunion du 21 juillet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À quel moment avez-vous eu connaissance de l'enquête du SNE ?

M. Jérôme Vidal. - J'en ai eu connaissance soit au cours de la réunion du 21 juillet, soit un à deux jours auparavant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été informé des conclusions de la mission conduite par l'Igas concernant les eaux embouteillées, dont le rapport a été rendu en juillet 2022, au moment de votre prise de fonctions ?

Si tel est le cas, par quel canal et à quelle date exacte avez-vous eu connaissance de ces conclusions ?

M. Jérôme Vidal. - À ma connaissance, le rapport de l'Igas faisait l'objet, à ce moment-là, d'une certaine confidentialité, notamment vis-à-vis de la DGCCRF. En conséquence, je n'ai pas eu accès au fond de ses conclusions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le SNE évalue cette fraude, a minima, à plus de trois milliards d'euros. Pourtant, de votre côté, vous n'avez pas eu connaissance du rapport de l'Igas.

M. Jérôme Vidal. - Je prends connaissance de conclusions particulièrement significatives, notamment sur le versant « consommation ». Ce que je retiens du compte rendu, c'est que, selon l'Igas, aucun risque sanitaire n'avait été identifié.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le rapport de l'Igas soulève tout de même la question d'un risque virologique associé à l'usage de la microfiltration, employée en substitution de traitements non conformes. L'avez-vous consulté, à un quelconque moment, avant sa publication sur le site de l'Igas, courant 2024 ?

M. Jérôme Vidal. - Non, je n'ai eu accès à ce rapport à aucun moment. La DGCCRF intervient pour vérifier la conformité des pratiques au regard de ce qui est défini comme étant une « eau minérale ». Tous les échanges qui ont eu lieu ont principalement concerné la définition de ce cadre réglementaire, notamment entre les ministères en charge de l'industrie et de la santé, mais également avec les agences régionales de santé (ARS).

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant la question de la confidentialité vis-à-vis du SNE, pourriez-vous nous en dire davantage sur les raisons pour lesquelles il vous a été indiqué que le rapport de l'Igas ne devait pas être transmis ?

M. Jérôme Vidal. - Il me semble avoir mentionné cet élément dans le compte rendu que j'ai rédigé à l'issue de la réunion. Si ce document ne figure pas encore parmi les pièces dont vous disposez, je peux naturellement vous le transmettre. D'après mes souvenirs, le rapport venait tout juste d'être remis en juillet 2022, et, à ce moment-là, une forme de confidentialité s'y attachait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous vous remercions de bien vouloir nous transmettre ce compte rendu.

Loïc Tanguy nous expliquait, à l'inverse, qu'un passage de relais s'était opéré entre le SNE et le rapport de l'Igas, justifiant qu'aucune seconde enquête ne soit diligentée par le SNE à l'encontre des pratiques de Nestlé Waters.

Il est à la fois instructif et surprenant d'apprendre qu'un principe de confidentialité aurait pu être opposé. Cette logique de « muraille de Chine » entre services soulève un point essentiel dans notre compréhension du dossier.

M. Jérôme Vidal. - Ce point a bien été évoqué lors de la réunion du 21 juillet. Il semble, par la suite, que cette réserve de confidentialité ait été levée, puisque des échanges ont eu lieu entre la DGCCRF et nous-mêmes afin de nous assurer qu'elle disposait effectivement du rapport de l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qui a soulevé ce point lors de la réunion du 21 juillet ?

M. Jérôme Vidal. - Je ne m'en souviens pas précisément. Le compte rendu que je m'apprête à vous transmettre n'est pas nominatif.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans le cadre de vos fonctions, avez-vous été sollicité soit par Monsieur Nicolas Bouvier - conseil en affaires publiques recruté à cet effet par Nestlé - soit, plus largement, par des représentants du groupe Nestlé directement ?

M. Jérôme Vidal. - Dans le cadre de ce dossier, j'ai n'ai reçu aucune sollicitation.

M. Laurent Burgoa, président. - Avez-vous déjà été en contact avec Monsieur Bouvier, quel que soit le dossier ou le contexte ?

M. Jérôme Vidal. - Il est possible que j'aie eu un échange avec Monsieur Bouvier dans un contexte sans lien avec Nestlé, mais je n'en ai pas le souvenir précis à ce stade.

M. Laurent Burgoa, président. - Si certains éléments devaient vous revenir ultérieurement, n'hésitez pas à nous en faire part par écrit.

Avez-vous eu l'occasion de rencontrer des représentants de Nestlé dans le cadre d'autres dossiers que celui des eaux minérales en bouteille ?

M. Jérôme Vidal. - Effectivement, au printemps 2023, dans le cadre d'un dossier relatif aux pratiques commerciales, plus précisément aux négociations commerciales avec la grande distribution, visant à obtenir une baisse des prix au bénéfice des consommateurs. Ce sujet était totalement distinct du volet consommation, et n'avait aucun lien, direct ou indirect, avec les questions de fraude ou les discussions sur le cadre réglementaire applicable aux eaux minérales naturelles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous faisons face à une affaire que certains s'emploient à qualifier de non-sanitaire, mais qui relève incontestablement d'une problématique de fraude et de tromperie à l'égard du consommateur. Or, Nestlé a, d'une certaine manière, orienté la manière dont le dossier a été traité, en choisissant la porte d'entrée institutionnelle à laquelle il s'est adressé.

Tout, dans ce dossier, semble appeler une implication centrale du ministre délégué à la consommation et de vous-même, en votre qualité de conseiller en charge de ces questions. Pourtant, la conduite du dossier semble s'être organisée davantage sous la forme d'un dialogue bilatéral entre l'industrie et la santé.

Dès lors, estimez-vous avoir occupé, dans ce dossier, la place qui vous revenait ? Ou bien avez-vous vous-même été surpris par le positionnement du ministère chargé de la consommation ?

M. Jérôme Vidal. - La question ne s'est pas posée en ces termes. Lorsque j'arrive en juillet 2022, une enquête était déjà en cours sur le volet consommation, et j'ai eu connaissance d'une saisine imminente concernant Nestlé Waters. À mes yeux, les volets relatifs à l'enquête et à la fraude étant traités, le sujet relevait davantage des champs de compétence de l'industrie et de la santé.

C'est dans cette logique que j'ai appréhendé la répartition des rôles, d'autant que j'étais en lien régulier avec la DGCCRF. Si un sujet relevant de mon périmètre avait émergé, j'en aurais été informé. Par ailleurs, j'ai bien été tenu au courant des conclusions de la CID en février 2023. Ainsi, je n'étais pas en situation d'intervenir dans le traitement de ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La CID à laquelle vous faites référence statue sur un point fondamental du droit de la consommation. Il s'agit de déterminer si la microfiltration remet en cause la notion même de pureté originelle attachée à l'appellation « eau minérale naturelle »

À ce titre, vous êtes pleinement concerné. Il paraît difficile de considérer que ce dossier ne vous incombe plus au motif qu'une enquête du SNE puis une mission de l'Igas étaient en cours, tant les enjeux de consommation semblent omniprésents. Aujourd'hui encore, une incertitude persiste sur certains produits vendus sous l'appellation « eau minérale naturelle ».

M. Jérôme Vidal. - Il convient de distinguer le volet consommation qui intervient en aval. Dans ce cadre, la DGCCRF a pour mission de vérifier que les indications figurant sur les produits sont conformes à la réglementation en vigueur. Or, dans ce dossier, la question de la microfiltration illustre bien la complexité de la situation, impliquant l'intervention de plusieurs acteurs. Pour pouvoir qualifier une pratique de tromperie, encore faut-il que la DGCCRF dispose d'un cadre clair lui permettant de constater qu'un prélèvement d'eau, par exemple, ne respecte pas les conditions fixées par un arrêté préfectoral. Par ailleurs, ces arrêtés peuvent différer d'un département à l'autre, ce qui ajoute un niveau supplémentaire de complexité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans ce dossier, il ne s'agit pas de mettre au jour une fraude dissimulée, mais de répondre à une fraude reconnue. Or, dans ce cas, il semble pour le moins paradoxal que l'administration se soit attachée à rechercher la preuve de faits déjà avoués. Lorsqu'une entreprise déclare spontanément qu'elle a commis une fraude à l'encontre des consommateurs, la priorité absolue devrait être de faire cesser cette pratique sans délai, et de mobiliser les instruments juridiques et pénaux appropriés.

C'est précisément ce que nous avons du mal à comprendre dans la gestion de ce dossier. Nestlé est venu se présenter devant les autorités, et vous étiez, dans vos fonctions, l'un des dépositaires de cette alerte.

M. Jérôme Vidal. - En juillet 2022, des enquêtes étaient en cours. Concernant spécifiquement le dossier Nestlé Waters, un signalement a été transmis au procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale.

La fraude constitue une infraction pénale complexe. Il convient de distinguer entre la responsabilité de la personne morale et celle de la personne physique, ce qui suppose un travail d'instruction conséquent. La quantification précise de la fraude constitue également un élément déterminant, notamment pour permettre d'ajuster, le cas échéant, le niveau de la sanction prévue.

Ces exigences procédurales expliquent pourquoi, à mon arrivée au cabinet, je n'ai pas identifié de carence sur le volet consommation, les enquêtes étant déjà lancées. Même dans les situations où une entreprise reconnaît certains manquements, l'instruction demeure complexe, et nécessite un temps d'analyse important.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce n'est pas l'administration elle-même, mais bien la plainte de l'association Foodwatch - intervenue à la suite de révélations de presse - qui a véritablement permis une avancée du traitement du dossier, du moins pour ce qui concerne la région Occitanie.

Il en résulte une réponse publique tardive, qui a laissé perdurer des pratiques frauduleuses pendant une période prolongée. En effet, les traitements non conformes n'ont été interrompus qu'en 2023, soit bien après les premières révélations de 2021. C'est dans cet intervalle que se cristallise l'incompréhension que nous exprimons ici quant à l'action des pouvoirs publics.

Le 21 juillet 2022, vous demandez à la directrice de cabinet de la DGCCRF un état d'avancement de l'enquête du SNE, et vous indiquez qu'un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale est sur le point d'être transmis au procureur de la République pour non-respect des dispositions du code de la santé publique. Une note complémentaire devait être produite par le ministère de la santé afin d'apporter des éléments sur la dimension fraude du dossier.

Le 8 août 2022, vous relancez la directrice de cabinet, à la suite d'une sollicitation émanant de Nestlé Waters auprès du cabinet du ministre chargé de l'industrie.

Pourquoi avoir relayé cette demande au lieu de laisser le cabinet du ministre de l'industrie gérer ce point ?

M. Jérôme Vidal. - La conseillère n'est arrivée qu'à la toute fin du mois d'août. Durant cette période intermédiaire, entre juillet et août, j'ai assuré un rôle de relais, en particulier avec la DGCCRF, que je connaissais bien, eu égard à mon parcours. J'ai ainsi pu transmettre les messages ou les comptes rendus évoqués précédemment, ainsi que les informations disponibles à ce moment-là.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous évoquez, en juillet 2022, le signalement envisagé au titre de l'article 40, faites-vous référence à celui que devait effectuer Madame Cayré, directrice générale de l'ARS Grand Est ?

M. Jérôme Vidal. - Le compte rendu fait bien état d'un signalement envisagé par la directrice générale de l'ARS Grand Est.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce moment précis, nous sommes au coeur d'un dossier qui relève pleinement des problématiques de concurrence et de répression des fraudes. Dès lors, pourquoi n'étiez-vous pas en situation de pilotage sur ce dossier ?

M. Jérôme Vidal. - Je comprends parfaitement le sens de votre question. Au sein du cabinet, dans de nombreux dossiers, nous laissons les services de la DGCCRF mener leurs enquêtes. Notre rôle consiste avant tout à nous assurer qu'une enquête soit bien engagée. On nous aurait d'ailleurs vivement reproché l'inverse, si le cabinet avait tenté d'interférer pour empêcher l'ouverture d'une enquête.

En l'occurrence, les services ont été saisis, ou en tout cas ont engagé une enquête dès 2021. Et à mon arrivée en juillet 2022, je sais qu'un signalement au titre de l'article 40 est en cours de préparation. Si j'étais arrivé un an plus tôt, votre question aurait sans doute appelé une autre réponse. Mais à la date où je prends mes fonctions, les deux volets - enquête et consommation - sont d'ores et déjà engagés.

Dans ce contexte, je n'ai pas vocation à intervenir. Bien entendu, j'entretiens des échanges réguliers avec la DGCCRF, mais j'ai conscience, pour l'avoir expérimenté, de la complexité de ces procédures, qui peuvent nécessiter plusieurs années d'instruction.

Je comprends parfaitement votre interrogation sur le fait qu'une entreprise soit venue reconnaître une fraude. Néanmoins, cette reconnaissance ne suffit pas, à elle seule, à permettre une caractérisation juridique immédiate de l'infraction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, cependant un tel aveu devrait, au minimum, conduire à la saisine du procureur de la République.

Or, il semblerait, selon nos échanges, que l'ouverture d'une enquête par le SNE représente une réponse suffisante, voire un substitut à l'obligation de signalement. En d'autres termes, vous semblez considérer que la simple existence d'une enquête administrative dispense de l'application de l'article 40.

M. Jérôme Vidal. - Ce n'est pas la situation que je constate à mon arrivée : à ce moment-là, j'ai bien connaissance qu'un signalement au titre de l'article 40 est en préparation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si vous aviez été en poste un an plus tôt, au moment où Nestlé est venu déclarer avoir commis un certain nombre de fraudes, auriez-vous personnellement procédé à un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale ?

M. Jérôme Vidal. - Votre question me paraît trop théorique pour que je puisse y répondre de manière tranchée. Ce qui peut vous sembler évident ne l'est pas nécessairement dans la réalité des faits. Je pense que la question mérite effectivement d'être posée, mais elle dépend fortement du contexte.

Il apparaît, en tout cas, qu'un choix a été fait à l'époque : celui de confier une mission conjointe à l'Igas. Je n'ai pas participé à cette décision, et je découvre également, à travers ces auditions, un certain nombre d'éléments sur les orientations retenues à ce moment-là.

Cela étant dit, je peux vous confirmer que les agents de la DGCCRF, dans le cadre de leurs missions, ne procèdent pas systématiquement à un signalement au titre de l'article 40. Cette démarche reviendrait, en pratique, à demander au procureur de mandater la DGCCRF elle-même pour réaliser l'enquête. Il apparaît ainsi plus pertinent, dans notre fonctionnement, d'établir directement un procès-verbal caractérisant les faits, puis de le transmettre au parquet, qui peut alors se saisir et, le cas échéant, transmettre au juge.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous alors que l'enquête menée par le SNE, qui n'a pas été prolongée par une seconde enquête, mais relayée par une mission de l'Igas, n'ait donné lieu à aucune saisine du procureur de la République ?

Estimez-vous normal qu'il ait fallu attendre, non pas l'action directe de l'administration, mais celle de Foodwatch en Occitanie, et celle de la directrice de l'ARS dans le Grand Est ?

Ce que nous peinons à comprendre, c'est que l'État, tout en disposant de l'information et en ayant conduit une enquête, n'ait pas lui-même saisi la justice - laissant finalement aux révélations de la presse, puis à l'initiative d'une association, le soin de déclencher le recours au juge.

M. Jérôme Vidal. - En ce qui me concerne, au regard des informations dont je dispose à ce moment-là, le périmètre exact du signalement envisagé au titre de l'article 40 par la directrice générale de l'ARS Grand Est n'est pas clairement établi. Je ne suis pas en mesure de préciser avec certitude les pratiques visées par cette saisine, ni l'étendue exacte des faits qu'elle recouvrait.

M. Laurent Burgoa, président. - Les signalements effectués au titre de l'article 40 du code de procédure pénale sont examinés par le procureur de la République territorialement compétent, lequel demeure seul maître de la décision d'ouvrir ou non une information judiciaire. Ainsi, un article 40 transmis dans les Vosges ne saurait couvrir, en droit, une infraction qui aurait été commise dans un autre ressort.

Certains représentants ministériels nous ont indiqué considérer que le signalement transmis dans les Vosges suffisait, à leurs yeux, pour couvrir l'ensemble du territoire. Or, un signalement distinct aurait dû être transmis dans chaque ressort concerné.

M. Jérôme Vidal. - S'agissant de la réunion du 21 juillet, je ne crois pas que des précisions aient été apportées quant à l'ensemble des sites ou départements concernés. Pour ma part, j'ai établi un compte rendu fidèle de la réunion à laquelle j'ai assisté. J'ai pris acte du fait que le SNE avait été saisi, et qu'un signalement au titre de l'article 40 était envisagé.

À ce stade, la question d'éventuels signalements dans d'autres départements ne s'est pas posée, dans la mesure où je n'avais pas connaissance d'éléments spécifiques les concernant.

M. Laurent Burgoa, président. - Il conviendrait peut-être - je le dis avec une pointe d'humour - d'envisager une action de sensibilisation à destination de l'ensemble des cabinets ministériels, sur les obligations découlant de l'article 40 et sur les principes de compétence territoriale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, vous considérez avoir été insuffisamment informé à ce moment-là. En outre, votre cabinet ne semble pas avoir été associé à la rencontre qui s'est tenue le 9 septembre 2022 entre Nestlé Waters et le cabinet du ministre chargé de l'industrie.

Pouvez-vous nous confirmer que vous n'avez pas participé à cette réunion ?

M. Jérôme Vidal. - Je le confirme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Estimez-vous normal de ne pas y avoir été associé, compte tenu des enjeux majeurs liés à la consommation qui étaient clairement en jeu dans ce dossier ?

M. Jérôme Vidal. - Comme je l'ai déjà indiqué, les enquêtes étant en cours à ce moment-là, j'estimais que le volet consommation était pleinement pris en charge par les services compétents.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dès lors, considérez-vous comme normal que vos collègues n'aient pas jugé utile de vous associer à cette rencontre ?

M. Jérôme Vidal. - À mon sens, la question ne s'est pas posée en ces termes. Il existe des échanges réguliers entre cabinets ministériels, et, pour ma part, je me tenais informé des éventuelles difficultés par l'intermédiaire de la DGCCRF.

Dès lors, je n'ai pas identifié de sujet particulier ni de nécessité impérieuse d'être associé à cette réunion. Cela étant dit, il me semble que je n'ai pas été informé de sa tenue.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre cabinet a-t-il été sollicité à un moment ou à un autre, dans le cadre d'un échange interministériel sur ce dossier ?

M. Jérôme Vidal. - La seule occasion à laquelle j'ai participé à un échange de nature interministérielle sur ce dossier remonte à la réunion du 21 juillet 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous également nous confirmer que vous n'avez pas été associé à la rédaction de la note conjointe des ministères de la santé et de l'industrie, en date du 27 septembre 2022 ?

M. Jérôme Vidal. - Il ne me semble pas avoir été associé à la rédaction de cette note. À ma connaissance, aucun élément ne permet de l'attester.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous conviendrez avec moi que le type de filtre utilisé peut avoir un impact déterminant sur la possibilité, ou non, de qualifier une eau de « minérale naturelle », au regard de la réglementation en vigueur ?

M. Jérôme Vidal. - Au final, oui. Cependant, les échanges intervenus en amont me paraissent relever des ministères de l'industrie et de la santé, dans la mesure où ils disposent de l'expertise technique sur ces questions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes pourtant le garant des droits du consommateur. Or, dans ce dossier, la question centrale porte justement sur le fait que des consommateurs ont acheté, en toute confiance, de l'eau étiquetée « minérale naturelle », alors même qu'elle avait subi des traitements interdits par la réglementation.

Je peine à voir en quoi le ministère de l'industrie serait plus légitime que vous pour participer à ces discussions. Certes, il peut intervenir au regard des enjeux économiques liés au secteur, mais vous restez éminemment concernés.

Encore une fois, estimez-vous normal d'avoir été ainsi tenu à l'écart d'un dossier aussi fondamental pour la protection des consommateurs ?

M. Jérôme Vidal. - Je n'ai pas été totalement tenu à l'écart, dans la mesure où j'ai bien été informé des conclusions de la CID. En outre, sauf erreur de ma part, la DGCCRF a été associée aux réunions interministérielles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, la DGCCRF n'a pas été systématiquement associée à toutes les réunions.

M. Jérôme Vidal. - En tout état de cause, j'ai été tenu informé, du côté de l'industrie. En cas de problème relevant du champ de la consommation, la DGCCRF me l'aurait signalé. Je ne suis pas en mesure de vous en dire davantage sur ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGCCRF n'est pas intégrée dans la note qui émane des cabinets. Les réunions interministérielles se tiennent précisément au niveau des cabinets ministériels, et non à celui de la DGCCRF.

Il ne s'agit pas ici de mettre en cause votre responsabilité personnelle, mais de comprendre pourquoi vous n'avez jamais véritablement été intégré dans le processus décisionnel de ce dossier.

M. Jérôme Vidal. - Je tiens à dissiper toute forme de doute ou de malentendu. La DGCCRF est une administration remarquable, dotée d'un SNE qui mène régulièrement des investigations approfondies, permettant d'établir des procès-verbaux en matière de fraude.

Ce qui me tenait à coeur, en tant que conseiller, c'était d'abord que les enquêtes soient menées de manière rigoureuse et qu'elles aillent jusqu'à leur terme. Ensuite, s'agissant des discussions relatives au cadre réglementaire applicable, je les ai perçues comme relevant avant tout d'un échange entre experts.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons auditionné la DGCCRF, et les échanges ont parfois été complexes à suivre. C'est pourquoi, compte tenu de l'expérience que vous avez de cette administration, vous pourriez nous éclairer sur son fonctionnement, notamment dans l'articulation entre le niveau national et le niveau local.

Dans le Gard, nous avons constaté que l'ARS et la direction départementale de la protection des populations (DDPP) ont travaillé de manière concertée pour effectuer des contrôles. Or, les représentants de la direction générale de la DGCCRF semblaient ne pas avoir connaissance des éléments produits localement, notamment le rapport de l'ARS.

Comment expliquer cette lacune dans la remontée d'information ?

M. Jérôme Vidal. - Oui, je crois qu'il y a sans doute eu un point d'incompréhension. Je m'exprime ici à partir de l'expérience que j'ai pu acquérir au sein de cette administration. On évoque très fréquemment l'article 40 du code de procédure pénale, mais je pense qu'il faut également porter attention à l'article 11 de ce même code, qui dispose que les actes accomplis dans le cadre de la recherche d'infractions pénales sont couverts par le secret professionnel. Cet article prévoit également des exceptions, notamment en cas de danger grave et imminent pour la santé ou la sécurité des consommateurs. Dans ce cas précis, la communication au public peut s'imposer.

Je comprends ainsi parfaitement que, dans un tel cadre, au sein même de la DGCCRF, les agents fassent preuve d'une grande prudence, notamment lorsqu'ils sont interrogés sur la réception ou non d'un rapport dans un dossier en cours d'instruction.

C'est au regard de cette exigence de prudence que j'interprète les réactions que vous avez pu avoir au moment de l'audition de la DGCCRF.

M. Laurent Burgoa, président. - Je reconnais que l'audition de la DGCCRF a fait naître chez moi quelques vives réactions, que je n'éprouve pourtant que rarement.

M. Jérôme Vidal. - Vous mesurez bien la difficulté à répondre à certaines questions, dès lors que nous demeurons soumis aux exigences de l'article 11 du code de procédure pénale, qui limite strictement ce qu'il est possible de dévoiler. Je ne prétends pas en maîtriser chaque alinéa par coeur, mais je suis conscient des contraintes qu'il impose en matière de communication.

M. Laurent Burgoa, président. - Je partage en partie votre interprétation, toutefois permettez-moi d'apporter une nuance. Pour que les dispositions de l'article 11 puissent être valablement opposées, encore faut-il qu'un article 40 ait été activé.

Or, dans le cas spécifique de l'Occitanie, à ma connaissance, aucune information judiciaire n'a été engagée.

M. Jérôme Vidal. - Il me semble que l'article 11 couvre l'ensemble des enquêtes ayant pour objet la recherche d'infractions pénales.

Mme Antoinette Guhl. - Au moment où nous avons interrogé la DGCCRF, l'enquête n'était pas encore ouverte sur le site de Vergèze. Elle ne l'a été que dans les jours qui ont suivi. À ce stade, rien n'empêchait, juridiquement, d'échanger librement sur ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Concernant la CID des 22 et 23 février 2023, nous avons été surpris de constater que votre cabinet ne figure pas parmi les destinataires du compte rendu d'arbitrage de Matignon - le « bleu » - de cette concertation.

Pouvez-vous nous confirmer cette information ?

M. Jérôme Vidal. - Le cabinet consommation n'a pas été destinataire direct du bleu, mais nous avons été informés le jour même par la conseillère industrie. Le document nous a ensuite été transmis dès le lendemain. En tout état de cause, j'ai bien eu connaissance des conclusions de la CID.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aviez-vous un avis sur cet arbitrage ?

M. Jérôme Vidal. - Non, je n'ai pas eu d'avis.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur Vidal, nous souhaiterions disposer du document par lequel la conseillère en charge de l'industrie vous informe des conclusions du bleu, si vous le retrouvez dans vos archives.

M. Jérôme Vidal. - Oui, je peux retrouver l'échange en question et vous le transmettre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 29 juin 2023, les services de la DGCCRF ont été saisis par Nestlé Waters au sujet de la marque Maison Perrier, créée par Nestlé pour commercialiser une eau qui n'est plus qualifiée de « minérale naturelle », certains puits ayant été déclassés. Autrement dit, il s'agit de puits qui, auparavant, relevaient de la catégorie des eaux minérales naturelles, mais dont l'exploitation correspond désormais à de l'eau de boisson - autorisant des traitements qui seraient interdits dans le cadre strict des eaux minérales.

Avez-vous été informé de cette évolution par la DGCCRF ? Étiez-vous au courant que cette question s'inscrivait dans le cadre plus global du plan de transformation engagé par Nestlé Waters ? Ce dossier concernant Maison Perrier vous évoque-t-il quelque chose ?

M. Jérôme Vidal. - À ma connaissance, non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce dossier soulève une question essentielle : celle de la loyauté de l'information donnée au consommateur. Il interroge sur la distinction entre une eau commercialisée sous le nom Perrier, toujours présentée comme « eau minérale naturelle », et celle vendue sous l'appellation Maison Perrier, qui ne relève plus de ce régime.

À votre connaissance, ce sujet n'est-il jamais remonté jusqu'au cabinet ?

M. Jérôme Vidal. - À ma connaissance, non. Si votre question porte sur la possibilité que Maison Perrier trompe le consommateur en entretenant une confusion avec l'appellation « eau minérale naturelle », je peux vous confirmer que ce point n'a, à ma connaissance, jamais été remonté au cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - N'avez jamais eu à traiter ce sujet ?

M. Jérôme Vidal. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Considérez-vous cette situation comme problématique ?

M. Jérôme Vidal. - Il m'est difficile de vous répondre. Peut-on considérer qu'il y a tromperie vis-à-vis du consommateur dès lors que celui-ci est clairement informé que Maison Perrier ne relève pas de la même catégorie que l'« eau minérale naturelle » ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un débat a bien eu lieu au sein de la DGCCRF à ce propos en 2023. Dans ce contexte, considérez-vous comme normal que cette question ne soit pas remontée jusqu'au cabinet ?

M. Jérôme Vidal. - Lorsqu'une position claire est arrêtée par les administrations compétentes, le sujet ne nous est généralement pas remonté. Les sujets portés à la connaissance du cabinet concernent généralement des difficultés particulières ou des arbitrages à apporter.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour vous, il ne s'agissait pas d'une difficulté ni d'une situation nécessitant un arbitrage ?

M. Jérôme Vidal. - Dans mon souvenir, ce sujet n'a jamais été présenté comme un dossier nécessitant une attention particulière.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans une note datée du 6 octobre 2023, il est clairement indiqué que la DGCCRF a reçu la société Nestlé Waters à la demande du cabinet du ministre chargé de l'industrie, dans le cadre d'un échange sur la création d'une nouvelle marque, Maison Perrier. Vous n'en avez pas été informé.

Considérez-vous ce fonctionnement comme normal ? Ou reconnaissez-vous tout de même un sujet de coordination et de communication entre cabinets, particulièrement sur un dossier relevant aussi manifestement des droits du consommateur ?

M. Jérôme Vidal. - Non, je ne considère pas qu'il y ait eu un dysfonctionnement en matière de communication. Les cabinets concernés entretenaient des relations étroites, et la DGCCRF, avec laquelle nous avions des échanges réguliers, aurait fait remonter le sujet par mon intermédiaire si elle avait estimé qu'il présentait une sensibilité particulière relevant du champ de la consommation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les cabinets étaient proches, mais pas au point de vous transmettre les informations ?

M. Jérôme Vidal. - Sur ce sujet précis, non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Chacun tirera les conclusions qu'il estimera pertinentes quant à la réalité de cette proximité entre cabinets.

Comment avez-vous réagi, le 29 janvier 2024, lorsque les révélations des journalistes Marie Dupin et Stéphane Foucart ont été rendues publiques ?

M. Jérôme Vidal. - Lorsque l'information a été rendue publique, j'étais conscient qu'une partie des enquêtes était toujours en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été associé à l'audit conduit en mars 2024 par la direction générale de la santé de la Commission européenne ?

M. Jérôme Vidal. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre ministre s'est-elle positionnée à un moment ou à un autre sur ce dossier ?

M. Jérôme Vidal. - Non, ma ministre ne s'est pas positionnée sur ce sujet en raison du contexte dans lequel il s'inscrivait, à savoir l'existence d'enquêtes en cours menées par la DGCCRF.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Aviez-vous, de votre côté, informé votre ministre de l'ensemble de ces éléments ?

M. Jérôme Vidal. - Sur ces sujets précis, non. Elle aurait naturellement été informée si une rencontre avec Nestlé avait été prévue, mais tel n'a pas été le cas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ainsi, votre ministre n'a été destinataire d'aucune information spécifique sur ce dossier et n'a rendu aucun arbitrage à son sujet ?

M. Jérôme Vidal. - Je vous le confirme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En définitive, toutes les décisions se sont prises au niveau des cabinets ministériels, en excluant le vôtre.

M. Jérôme Vidal. - Entre juillet 2022 et juin 2024, oui.

Mme Antoinette Guhl. - Dans vos fonctions de conseiller auprès d'une ministre, j'imagine qu'il vous revient régulièrement d'exercer une vigilance particulière sur l'attribution des dossiers, afin que ceux-ci soient traités par la personne ou l'entité idoine. Il me semble que cette attention fait partie intégrante des prérogatives d'un cabinet ministériel, voire de toute équipe politique.

Dans cette affaire, vous avez nécessairement vu passer le dossier et évalué, à un moment ou à un autre, qu'il s'agissait d'un dossier fondamentalement lié à la consommation. Dans ce cas, pourquoi n'avoir pas estimé qu'il relevait de votre responsabilité d'en informer votre ministre et de faire en sorte qu'elle s'en saisisse ?

M. Jérôme Vidal. - Il s'agissait bien d'un dossier relevant du champ de la consommation, mais qui faisait déjà l'objet d'enquêtes en cours. Je considère qu'il ne revenait pas au cabinet de s'immiscer dans leur déroulement. Stopper ou orienter une enquête menée par la DGCCRF - qui, par nature, est souvent longue et complexe - aurait été inapproprié.

Bien sûr, lorsqu'il existe des difficultés de transmission ou des blocages identifiés, le cabinet peut jouer un rôle de facilitation. Mais en l'espèce, nous savions que des procès-verbaux étaient en cours de rédaction, et que la procédure se poursuivait ensuite sous l'égide du procureur de la République, dans le cadre de l'article 40.

Mme Antoinette Guhl. - Il me semble important de distinguer entre une réponse juridique - relevant du cadre judiciaire - et une réponse administrative, qui relève pleinement de votre champ de compétence.

En 2022, Nestlé utilise des procédés de filtration dans ses usines, notamment pour Vittel, Hépar, Contrex et Perrier. Vous en avez connaissance, l'entreprise elle-même vous l'ayant indiqué. Or, en tant que représentant du ministère de la consommation, vous êtes garant de la loyauté de l'information fournie au consommateur : l'étiquette doit correspondre strictement au produit vendu. Lorsque l'on vend de la viande de cheval en la faisant passer pour de la viande de boeuf, sans poser nécessairement un risque sanitaire, le ministère de la consommation s'en saisit.

Dès lors, pourquoi - dans une situation où de l'eau de boisson est vendue comme de l'« eau minérale naturelle » - la ministre de la consommation de l'époque ne s'est-elle pas saisie du dossier ?

M. Jérôme Vidal. - Permettez-moi, à mon tour, de vous poser une question : à quelles fins ? Dans le cadre d'une démarche visant à informer les consommateurs, ou de celle d'une prise d'information personnelle ?

Mme Antoinette Guhl. - Ma réponse est sans équivoque : afin de faire cesser la production et la mise sur le marché d'un produit qui ne correspond pas à ce qu'il prétend être. Si Perrier, Vittel, Hépar et Contrex ne relèvent pas de la catégorie « eau minérale naturelle », alors elles ne doivent ni être produites, ni étiquetées, ni vendues sous cette appellation. Il s'agit d'une exigence élémentaire de protection du consommateur.

M. Jérôme Vidal. - Je ne peux m'exprimer que sur la période allant de juillet 2022 à mai 2024. Durant cet intervalle, j'ai eu connaissance des enquêtes lancées. N'ayant pas assisté à la réunion initiale, je ne peux me prononcer ni sur la durée exacte des pratiques, ni sur les références précises concernées, ni sur d'éventuelles responsabilités individuelles.

Ce que je peux dire, au regard de mon expérience sur plusieurs dossiers de fraude traités par la DGCCRF, c'est que ce type d'enquête prend souvent du temps, parfois plusieurs mois voire davantage, avant d'aboutir à une qualification pénale solide. En matière de fraude, la communication vers le public intervient, en règle générale, à l'issue du processus judiciaire, au moment du jugement.

Certes, il semble légitime de s'interroger sur le moment auquel le consommateur doit être informé d'une fraude présumée. La résolution de cette question s'avère complexe, pour plusieurs raisons.

Imaginons le cas où une entreprise viendrait déclarer aux autorités qu'elle a participé à une fraude, tout en signalant que cette pratique pourrait concerner l'ensemble de son secteur et de ses concurrents. Si l'administration révèle cette fraude immédiatement, elle compromet la possibilité de conduire une enquête discrète et efficace auprès des autres acteurs.

En outre, lorsqu'une entreprise déclare une fraude, les pouvoirs publics se heurtent à une situation d'asymétrie d'information. Peuvent-ils légitimement s'appuyer sur les déclarations initiales de l'industriel, sans procéder à une vérification ? Si celui-ci affirme que la fraude porte sur trois références, mais que l'enquête en identifie cinq, le risque de désinformation ou de communication prématurée devient évident.

C'est pourquoi, en pratique, il convient de se montrer extrêmement prudent. Pour garantir l'efficacité des actes d'investigation, je ne me fierais pas aveuglément aux déclarations d'un industriel, bien qu'il semble en apparence coopératif.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je peux tout à fait entendre l'argument de la prudence dans les premiers mois de l'enquête, le temps de vérifier les faits et de mener des investigations solides. Cependant, il est question d'un silence de trois ans, au terme duquel ce sont les médias, et non l'administration, qui finissent par informer les citoyens et les consommateurs.

M. Jérôme Vidal. - Ce que vous évoquez relève du temps judiciaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, toutefois il s'agit d'un produit de consommation courante, que des millions de personnes continuent d'acheter chaque jour, en toute confiance, sans savoir qu'ils sont potentiellement trompés sur la nature même de ce qu'elles consomment.

M. Laurent Burgoa, président. - Il convient de préciser que les consommateurs ont effectivement été trompés pendant un certain temps. De nos jours, ils ne le sont plus.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Absolument, Monsieur le président. Ils ont été trompés jusqu'à la mi-2023 pour certaines eaux. Aujourd'hui, un débat subsiste tout de même sur la question de la microfiltration, et des arrêtés doivent encore intervenir pour clarifier le cadre réglementaire.

Trois ans après les faits, n'êtes-vous pas choqués de ce que les consommateurs aient été informés par voie médiatique ?

M. Jérôme Vidal. - Je ne suis pas choqué par l'état du droit, qu'il s'agisse du code de procédure pénale ou du livre V du code de la consommation, encadrant strictement la communication sur les enquêtes en cours.

En pratique, le consommateur est informé de la fraude une fois les investigations terminées. Cette règle s'applique également dans d'autres secteurs, notamment dans le domaine du miel.

Il me semble par ailleurs qu'un aspect important n'a pas encore été évoqué : celui de l'indemnisation.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez évoqué, à titre d'hypothèse, le cas où un industriel viendrait signaler que l'ensemble de son secteur pratique une fraude. Nestlé vous a-t-il, à un moment donné, indiqué que d'autres minéraliers, ou l'ensemble des minéraliers, étaient également impliqués dans des pratiques frauduleuses ?

M. Jérôme Vidal. - Je n'étais pas présent à cette réunion. À ma connaissance, je n'ai ni vu ni entendu que l'industriel ait évoqué l'existence de pratiques similaires chez d'autres acteurs du secteur.

Mme Antoinette Guhl. - Plus généralement, d'après ce que vous avez pu entendre - que ce soit par les échanges informels, les rumeurs internes au cabinet ou les discussions au sein du ministère - est-ce qu'il circulait l'idée, à un moment donné, que la fraude ne concernait pas uniquement Nestlé, mais qu'elle pourrait être plus largement répandue dans l'ensemble du secteur des eaux minérales ?

M. Jérôme Vidal. - Non. Une enquête du SNE avait été initiée un an auparavant, portant sur un ensemble de pratiques potentiellement plus larges, impliquant plusieurs industriels. Par la suite, si l'enquête s'est principalement recentrée sur un acteur en particulier, une interrogation demeurait : celle de savoir si ces pratiques n'étaient pas, en réalité, plus largement répandues dans le secteur, compte tenu des contraintes communes que plusieurs opérateurs mettaient alors en avant.

M. Laurent Burgoa, président. - Si je résume vos propos, même en présence d'une fraude manifeste ou d'une atteinte aux droits des consommateurs, tant que la procédure judiciaire n'est pas aboutie, l'État ne serait pas en mesure de communiquer.

Cette position m'interpelle, car elle reviendrait à considérer qu'en cas d'infraction présumée, tant que la justice n'a pas tranché, les consommateurs peuvent continuer à acheter et consommer un produit frauduleux, sans faire l'objet d'aucun avertissement public.

M. Jérôme Vidal. - Il peut exister, en amont, des présomptions de fraude. Toutefois, seule l'autorité judiciaire est habilitée à établir de manière définitive l'existence d'une infraction. Il arrive que le juge considère, à l'issue de la procédure, que la qualification de fraude ne s'applique pas. Ce n'est pas une situation systématique, mais elle n'est pas rare.

Il appartient précisément au procureur d'apprécier l'opportunité des poursuites, et au juge de statuer au fond. Je suis au regret de ne pouvoir vous en dire davantage, car même face à ce qui peut apparaître comme une fraude manifeste, encore faut-il en démontrer le caractère intentionnel. S'agissait-il d'une volonté délibérée ou d'une négligence ? Par ailleurs, la nature de l'auteur - personne physique ou personne morale - influe directement sur le régime de responsabilité applicable, ainsi que sur les sanctions encourues. Celles-ci peuvent aller, selon les cas, de peines d'emprisonnement à des amendes pouvant atteindre 10 % du chiffre d'affaires.

Il convient de concilier deux exigences : d'une part, la nature des informations susceptibles d'être communiquées aux consommateurs, et d'autre part, le cadre juridique qui encadre cette communication.

J'imagine, Madame la sénatrice, que votre préoccupation consiste à garantir que le consommateur soit alerté dès qu'un risque de fraude existe - par exemple, en lui signalant qu'il pourrait y avoir une fraude sur l'origine des tomates vendues.

Mme Antoinette Guhl. - Ce que je souligne, c'est que l'État, dans d'autres circonstances similaires, n'attend pas l'issue d'une procédure judiciaire pour faire respecter sa propre réglementation.

Lorsque l'on découvre que des lasagnes vendues comme étant à la viande de boeuf contiennent en réalité de la viande de cheval, l'État n'attend pas une décision de justice pour exiger immédiatement que les fournisseurs cessent la production et la commercialisation de ces produits non conformes.

C'est précisément là que réside, à mes yeux, la différence fondamentale entre action judiciaire et action administrative. Vous n'avez évidemment pas la main sur le cours de la justice. Mais vous disposiez, au titre de vos prérogatives administratives, de la capacité d'agir pour protéger les consommateurs.

J'ose croire que, dans le cas des lasagnes à la viande de cheval, vous auriez réagi immédiatement en suspendant la commercialisation. Dès lors, pourquoi ne pas avoir agi de la même manière dans le cas des eaux minérales ? D'autant que l'ARS elle-même reconnaissait l'existence d'une fraude, au point de saisir le procureur au titre de l'article 40.

Dans ce contexte, la DGCCRF aurait dû se saisir plus rapidement du dossier, établir les procès-verbaux nécessaires et enclencher les procédures adaptées. La responsabilité de votre ministère, en tant qu'autorité de tutelle de la DGCCRF, me semble clairement engagée dans l'absence d'action administrative à ce stade.

M. Jérôme Vidal. - Je pense que la situation était beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre une lecture rétrospective. Je tiens à rappeler que je suis arrivé en poste en juillet 2022, c'est-à-dire après la remise du rapport de l'Igas, qui posait un certain nombre de constats et appelait à une coordination entre les parties prenantes. Comme je l'ai consigné dans mon compte rendu, j'ai eu connaissance à cette date qu'un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale s'apprêtait à être adressé par la directrice générale de l'ARS Grand Est.

Sur l'aspect purement administratif, et plus particulièrement sur la question d'une éventuelle injonction visant à faire cesser une pratique, je ne suis pas en mesure de vous répondre de manière précise. À titre personnel, au cours de ma carrière, je n'ai pas eu à recourir directement à ce type d'outil.

M. Laurent Burgoa, président. - Au fil de cette audition, on constate que ce dossier, qui relevait manifestement du champ de la consommation, a été principalement piloté par le ministère de l'industrie. Bercy est une grande maison, au sein de laquelle coexistent plusieurs entités ministérielles.

Comment s'organise concrètement cette répartition des compétences en interne ? Existe-t-il des réunions régulières entre les différents cabinets ?

M. Jérôme Vidal. - Les relations entre les différents cabinets rattachés aux ministres délégués de Bercy sont généralement très fluides. Sur certains sujets, des affectations prioritaires peuvent se dessiner plus nettement. Par exemple, dans le dossier des eaux minérales, le ministère de l'industrie a assuré le pilotage principal.

À l'inverse, dans le cadre des sujets liés à la loi Egalim et à la réouverture des négociations commerciales - qui relèvent également fortement de la sphère industrielle - c'est le cabinet chargé de la consommation qui a été en première ligne, notamment pour organiser les rencontres avec les grands industriels.

M. Laurent Burgoa, président. - Concrètement, qui décide de l'attribution d'un dossier au sein de Bercy ? Est-ce le ministre de l'économie lui-même qui arbitre et coordonne la répartition des sujets entre les différents ministres délégués et leurs cabinets respectifs ?

M. Jérôme Vidal. - Ce cas peut effectivement se présenter. En l'occurrence, pour les sujets liés à la loi Egalim ou aux négociations commerciales, étant donné mon expérience à la DGCCRF et ma connaissance approfondie de ces dossiers, il s'est avéré naturel que ces sujets soient gérés par le cabinet consommation, en collaboration avec le cabinet industrie. La coordination entre les cabinets est fluide et s'adapte aux compétences spécifiques de chacun. Il peut toutefois arriver que des dossiers soient spécifiquement attribués à un cabinet en fonction des besoins organisationnels ou des priorités de Bercy.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je relève une certaine ironie concernant le rapport de l'Igas, qui appelait à davantage de transparence dans le secteur, et que, semble-t-il, personne n'a eu avant qu'il ne soit rendu public après les révélations de presse.

Ma dernière question est la suivante : avez-vous connaissance de la personne qui a pris la décision de ne pas publier ce rapport de l'Igas à ce moment-là ?

M. Jérôme Vidal. - Non, Monsieur le rapporteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci à tous pour ce temps d'échange.

Audition de Mme Agnès Firmin Le Bodo, ancienne ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé,
puis ministre de la santé
(Mardi 1er avril 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous reprenons nos auditions avec celle de Madame Agnès Firmin le Bodo.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Agnès Firmin le Bodo prête serment.

Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête portant sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. En effet, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé que certaines entreprises du secteur auraient eu recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Nous cherchons à faire toute la lumière sur ces faits, dans le respect des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif d'examiner les relations entre la société Nestlé Waters et les services de l'État, notamment au sein des ministères concernés, ainsi que d'analyser les réactions de l'État face aux révélations sur le traitement illégal de ces eaux.

Vous avez occupé le poste de ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, puis ministre de la santé et de la prévention, du 4 juillet 2022 au 11 janvier 2024, période couvrant une grande partie de cette affaire. Il ressort des documents transmis par les ministères que vos services et votre cabinet ont été impliqués à plusieurs reprises dans ce dossier.

Quel était votre niveau d'information sur cette affaire ? Quelles instructions ont été données à votre cabinet, aux services de la direction générale de la Santé et des ARS ? Quel a été votre rôle dans les discussions interministérielles, notamment face à l'Industrie ? Avec le recul, estimez-vous que certains aspects de cette crise auraient pu être gérés différemment ?

Tels sont les principaux axes sur lesquels notre rapporteur vous interrogera après votre propos liminaire.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ancienne ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, puis ministre de la santé. - Merci de me donner l'occasion de m'exprimer aujourd'hui. Je le fais en ma qualité d'ancienne ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, fonction que j'ai occupée du 4 juillet 2022 au 18 décembre 2023, avant d'être nommée ministre de la Santé et de la Prévention du 19 décembre 2023 au 11 janvier 2024.

Dès ma nomination en tant que ministre déléguée, l'une de mes premières missions fut d'établir une répartition claire des attributions entre le ministre de la Santé alors en fonction, François Braun, et moi-même. Celle-ci, définie après la constitution de mon cabinet ministériel, devait ensuite être validée par la Première ministre. Elle s'est finalisée début septembre, après l'arrivée de ma directrice de cabinet, Isabelle Epaillard, le 16 août. J'ai ainsi pris en charge la santé environnementale. Ma feuille de route a été officiellement validée par la Première ministre quelques semaines plus tard.

C'était la première fois qu'un ministre de l'avenue Duquesne se voyait confier la responsabilité de la santé environnementale dans l'exercice de ses fonctions. C'est à ce titre que j'ai pris en charge ce dossier en septembre 2022. Il relevait auparavant du ministre de la Santé. Les premiers échanges sur ce sujet ont eu lieu dès le mois de juillet 2022 entre le cabinet du ministre de la Santé, alors François Braun, et celui du ministre délégué chargé de l'Industrie, Roland Lescure.

L'organisation de mon cabinet ministériel ne différait en rien de celle des autres structures similaires. Ma feuille de route était particulièrement dense, les enjeux liés à la santé étant nombreux : accès aux soins, exercice et conditions de travail des professionnels de santé, sécurité des soignants, santé des femmes, transition écologique du système de santé, le dossier de la fin de vie, etc. Par ailleurs, mes fonctions impliquaient à minima deux déplacements sur le terrain par semaine.

Compte tenu de cette charge de travail, je ne pouvais suivre directement l'ensemble des dossiers. Je m'appuyais sur une équipe compétente, composée de 13 conseillers. L'un d'eux était spécifiquement dédié aux questions de santé environnementale. Tous travaillaient sous l'autorité d'Isabelle Epaillard, que vous avez auditionnée le 20 mars dernier.

C'est dans ce cadre que cette dernière m'a informée de l'existence de ce dossier, au début du mois de septembre 2022, lors d'un échange préparatoire aux travaux de la semaine à venir.

Je me suis immédiatement interrogée sur le risque sanitaire et les enjeux liés à la santé publique. Ce sujet fut d'ailleurs ma priorité chaque fois que nous avons abordé ce sujet ensemble. Selon les différents avis rendus, notamment celui de la Direction générale de la santé (DGS), aucun risque sanitaire n'a été identifié. Il a donc été convenu que ce dossier serait suivi au niveau de madame Epaillard, comme les autres affaires similaires. Nestlé Waters ne constituait pas une exception. Nous faisions régulièrement le point, à chaque évolution ou lorsque ma directrice de cabinet estimait qu'une mise à jour était nécessaire. C'est pour cette raison que je n'ai jamais pris part aux réunions sur ce sujet, à l'instar des autres ministres.

Les réunions interministérielles se sont déroulées dans de bonnes conditions, et rien ne justifiait mon intervention directe. Ce dossier relevait davantage d'une problématique de non-conformité industrielle que d'une question sanitaire. Toutefois, la question du risque sanitaire est demeurée une préoccupation constante tout au long du processus, conformément au rôle du ministère de la Santé, qui est précisément d'évaluer et de prévenir ce type de risque. Nous avons fonctionné de cette manière jusqu'à la réunion qui a entériné la décision en février 2023, dans un climat de transparence et de confiance mutuelle. Cette coopération n'a pas toujours été la norme entre le ministère de la Santé et celui de l'Industrie sur d'autres sujets. Cependant, sur cette question spécifique, un consensus clair a été atteint.

Sachez que je n'ai jamais rencontré les représentants de Nestlé Waters. Ma directrice de cabinet a conduit les échanges avec les cabinets du ministère de l'Industrie et les agences régionales de santé (ARS), après une réunion avec Matignon à laquelle mon cabinet n'a pas participé, conformément à l'organisation que je viens de vous exposer.

Ce dossier a été géré avec la plus grande rigueur par ma directrice de cabinet, en qui j'avais toute confiance, et en coordination étroite avec l'ensemble des autorités compétentes : le ministère, les préfectures, les ARS, ainsi que l'Anses.

La question du risque pour la santé publique a été systématiquement écartée à chaque étape de l'instruction de ce dossier. À aucun moment nous n'avons eu le moindre doute quant au fait qu'il relevait avant tout d'une problématique de consommation, avec en arrière-plan un enjeu de normes à adapter à l'échelle européenne.

Je ne doute pas que votre enquête permettra d'avancer sur ce point essentiel. Ce sujet ne nécessitait pas un traitement politique, dans la mesure où un consensus avait été établi entre les cabinets. Aujourd'hui, devant vous, je me suis attachée à exposer les faits, à vous faire part de ce dont j'ai eu connaissance et des actions que j'ai menées dans le cadre de mes fonctions.

Je suis disposée à répondre à toutes vos questions sur les faits relevant de ma responsabilité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre directrice de cabinet a précisé devant notre commission qu'à aucun moment, ce dossier n'avait fait l'objet d'un arbitrage à l'échelon politique. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - J'ai été tenue informée de ce dossier de manière très régulière par ma directrice de cabinet. Les échanges entre le cabinet en charge de l'organisation territoriale et des professions de santé et celui du ministère de l'Industrie se déroulaient de manière fluide, avec une volonté commune de progresser sur ce sujet.

Un consensus s'est dégagé quant à l'absence totale de risque sanitaire - ma principale préoccupation dans l'exercice de mes fonctions. De plus, ce dossier était géré par le conseiller santé de Matignon.

Certains dossiers, en l'absence de divergence entre les ministères concernés, ne nécessitent pas d'arbitrage. Celui-ci en faisait partie. Ainsi, je n'ai effectivement pas exercé d'arbitrage politique, dans la mesure où le risque sanitaire était inexistant. Dès lors, cette affaire relevait davantage de l'Industrie et de l'information des consommateurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez l'existence d'un consensus. Or, nous avons pu découvrir au fil des travaux de cette commission d'enquête qu'il existait des divergences entre votre cabinet d'une part, et la DGS, d'autre part. Le Directeur général de la Santé lui-même, entendu par notre commission, a déclaré avoir perdu plusieurs arbitrages dans ce dossier. Nous sommes surpris, car nous avions compris que de telles divergences d'appréciation appelaient normalement une intervention et un arbitrage politique.

Par ailleurs, vous affirmez qu'aucun risque sanitaire n'a été identifié. Pourtant, il ressort notamment des auditions de madame Virginie Cayré, directrice générale de l'ARS Grand Est de septembre 2020 à juin 2024, et de monsieur Jérôme Salomon, directeur général de la santé de 2018 à 2023, que le retrait des dispositifs de traitement illégaux soulevait un enjeu sanitaire de premier ordre. En effet, ces dispositifs avaient été mis en place précisément pour pallier des problèmes de stabilité de la qualité des eaux, voire pour compenser la vétusté de certaines installations - des faits qui nous ont été rapportés par plusieurs directeurs de site.

Dès lors, il apparaît évident qu'une problématique sanitaire était bien présente et que la suppression de ces traitements soulevait une question majeure en la matière. D'ailleurs, le groupe Nestlé a envisagé de recourir à une solution de microfiltration afin de répondre à cet enjeu.

Ainsi, étiez-vous informée de cette divergence d'appréciation entre votre cabinet et la direction générale de la santé ? Cette opposition de points de vue a perduré jusqu'à la concertation interministérielle dématérialisée (CID) des 22-23 février 2023, puisqu'au lendemain même de cette décision, monsieur Salomon a adressé une note exprimant une position contraire à celle qui avait été retenue.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Il existait certes un enjeu sanitaire, mais le risque sanitaire, quant à lui, avait été écarté. Cette distinction est essentielle.

Le ministère de la Santé a été impliqué dans ce dossier en raison de l'existence d'un enjeu sanitaire. Néanmoins, toutes les mesures prises ainsi que les tests réalisés ont constamment conduit à écarter le risque de contamination pour la population. Cette question a d'ailleurs été au centre de mes préoccupations et de celles de ma directrice de cabinet, qui en faisait un point de vigilance constant.

Le rôle du ministère de la Santé dans cette affaire a donc consisté à s'assurer que ce risque était bien éliminé. L'enjeu principal relevait ainsi d'une problématique de fraude, notamment concernant l'utilisation de certains produits tels que le charbon actif et les rayons ultraviolets.

Je rappelle que les échanges entre la DGS, ma directrice de cabinet, le cabinet de l'Industrie et Matignon se sont déroulés dans le cadre des discussions interministérielles. Ma directrice de cabinet m'en informait régulièrement et me transmettait les conclusions de ces concertations. Ils n'étaient pas nécessairement synonymes de divergences fondamentales.

Toutefois, à un certain stade, une décision devait être prise. Pour ce faire, ma directrice de cabinet s'est appuyée sur un consensus trouvé entre Matignon, le cabinet de l'Industrie et le ministère de la Santé. Cette position a ensuite été entérinée en février 2023.

Enfin, vous avez mentionné des installations ne répondant pas aux normes en vigueur. Je rappelle que le site d'Hépar a effectivement été fermé en raison d'un problème identifié, et que des mesures correctives ont été mises en place.

Tout ce que je vous rapporte ici s'appuie sur les informations qui m'ont été communiquées lors de mes échanges réguliers avec ma directrice de cabinet. Ces points étaient abordés au fil de nos réunions de travail et des bilans qu'elle effectuait après ses rencontres avec la DGS, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ainsi qu'avec les préfets et les directeurs d'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame Brotons, alors directrice de cabinet de Monsieur Lescure, nous a expliqué que des échanges et validations avaient eu lieu en vue d'un arbitrage politique sur les points essentiels du dossier. Nous sommes surpris que cette démarche n'ait pas été suivie du côté du ministère de la Santé.

Revenons sur votre argument concernant l'évacuation du risque sanitaire. Je vous lis une note de Jérôme Salomon, datée du 28 septembre 2022 :

« Nous ne pourrons pas soutenir la proposition d'autoriser le groupe Nestlé Waters à avoir recours à une filtration avec un seuil de coupure à 0,2 micron. Cela créerait un précédent. Le recours à un traitement UV, tel qu'il était pratiqué, peut interroger sur la qualité microbiologique des ressources en eau exploitées par Nestlé Waters. L'existence du risque sanitaire lié à la présence de virus entériques d'origine hydrique ne peut pas être exclue si ce traitement de microfiltration était assimilé à tort à une désinfection. »

Bien qu'aucune contamination ne se soit matérialisée, l'industriel a mis en place un autocontrôle durant une période, notamment en Occitanie. Ce n'est qu'ensuite qu'un protocole de l'Anses a préconisé un contrôle sanitaire renforcé.

Donc, même du point de vue de la gestion du risque, un véritable enjeu sanitaire se posait face au traitement de ce dossier. Contrairement à ce que vous avez exprimé, ce sujet n'était donc pas entièrement « évacué », mais nécessitait d'être maîtrisé et encadré.

Nous avons constaté que, dans d'autres ministères, des interactions fortes avaient cours entre les ministres et leurs cabinets lors des arbitrages. Vous avez introduit votre propos en expliquant que votre portefeuille était très chargé et que vous étiez souvent en déplacement. Avec le recul, estimez-vous être passée à côté d'un arbitrage sur ce dossier ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je le redis : le travail a été mené en toute confiance et en toute conscience.

Dans les échanges réguliers que nous avions sur ce dossier, ma directrice de cabinet m'a informée de la décision prise. Bien entendu, à un moment donné, j'ai dit « oui ». Si c'est cela que vous appelez une validation de ma part, alors oui, j'ai validé.

Toutefois, je n'étais pas directement impliquée dans le processus d'échanges. On me rapportait les conclusions une fois actées. Mais c'est justement le rôle du ministre : s'assurer que les décisions prises au sein de son cabinet sont bien mises en oeuvre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre directrice de cabinet nous a dit qu'elle avait elle-même pris tous les arbitrages à son niveau.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Il était logique qu'elle prenne ces décisions, puisqu'elle était au coeur du dossier. Elle me tenait informée des arbitrages retenus. Puisque je n'avais aucune raison de m'y opposer, ces décisions étaient validées de facto. C'était le mode de fonctionnement que nous avions choisi.

Par ailleurs, je tiens à souligner que le travail interministériel accompli durant ces quatre mois a permis d'aboutir à des avancées et des propositions inédites sur un sujet qui était dans l'air depuis longtemps.

En somme, j'assume pleinement les décisions prises par mon cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu connaissance du rapport de l'Igas de juillet 2022 ? Si oui, quand ? Avez-vous donné des instructions précises à votre cabinet pour mettre en oeuvre ses recommandations ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Oui, c'est ce rapport qui a déclenché nos travaux. Cependant, je ne l'ai pas lu moi-même : il a été remis au ministère de la Santé en juillet 2022. C'est seulement en septembre, lorsque les attributions ministérielles ont été redistribuées, que mon cabinet et moi avons pris en charge ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous en a-t-on dressé un compte rendu ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Oui. Je me suis interrogée sur la question sanitaire et sur les enjeux relatifs à la fraude relevant de l'utilisation du charbon actif et des ultraviolets, ainsi que du dispositif de microfiltration. C'est tout ce que je connais de ce rapport.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le risque viral y est pourtant clairement mentionné comme un point sanitaire important.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Il s'agit effectivement d'un enjeu, mais le risque a été maîtrisé grâce aux mesures mises en place, comme l'atteste le rapport de l'ARS Grand Est par la suite. Il ne faut pas attribuer à ce rapport des conclusions qu'il ne contient pas sur ce sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il mentionne bien une question virologique. L'ARS Grand Est s'est saisie de ce point en 2022, et celle d'Occitanie, en 2023.

Ensuite, qui a décidé de ne pas le publier ? Quelles ont été vos instructions en la matière ? Il invite à la transparence sur les questions d'eaux minérales naturelles, mais il est resté dans les tiroirs jusqu'à sa publication après les révélations de la presse en 2023.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je ne sais pas qui a pris cette décision. Je n'ai eu connaissance de ce rapport qu'en septembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Savez-vous pourquoi les autorités locales, notamment les ARS, n'ont pas été informées immédiatement des traitements pratiqués par Nestlé ? Elles ne l'ont été qu'en avril 2022 dans les Vosges, à la veille d'une inspection, et en novembre 2022 dans le Gard, par l'exploitant lui-même. La mission Igas n'avait pas conduit à un contrôle de ce site. Estimez-vous que c'est normal ? Pourquoi ce retard de l'État ? Quand Nestlé est venu déposer devant notre commission, ses représentants ont indiqué être en attente de l'État central pour saisir les ARS. Pouvez-vous nous éclairer ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - En avril 2022, j'étais députée, et non ministre. Le dossier Igas est arrivé au ministère de la Santé, dont je n'avais pas la charge. Par ailleurs, n'oublions pas le lien entre les industries et les préfets sur ce sujet de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ces personnes ont été reçues comme vous l'êtes aujourd'hui.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je sais que ma directrice de cabinet s'est assurée, vers le mois d'octobre, que l'ARS avait donné son feu vert vis-à-vis de l'application de l'article 40 du code de procédure pénal.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Étiez-vous informée de cette procédure ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Oui.

M. Laurent Burgoa, président. - Pourquoi l'ARS Occitanie d n'a-t-elle pas effectué de signalement au titre de l'l'article 40 concernant le site occitan ? Cette démarche avait été engagée dans les Vosges.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je ne peux malheureusement pas vous apporter de réponse à ce sujet, n'étant pas juriste de profession. Peut-être existe-t-il un décalage temporel dans l'intégration de l'Occitanie à ce dossier, qui expliquerait qu'à l'époque l'article 40 n'ait pas été appliqué ? Je sais que la question de l'article 40 s'est posée lorsque nous avons pris en charge ce dossier, pour la région Grand Est.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges avec Roland Lescure ou la Première ministre, avec Alexis Kohler ou le président de la République ? Notre documentation indique en effet que l'Élysée a joué un rôle actif dans ce dossier.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je n'ai eu aucun échange, avec aucune des personnes citées. Tant que le risque sanitaire était écarté par nos cabinets - ce qui ne signifie pas pour autant qu'aucun enjeu n'existait -, nous n'avions pas besoin d'arbitrage ministériel ou d'intervention des ministres. Si ma directrice de cabinet m'avait signalé une difficulté majeure, la situation aurait été toute autre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La maîtrise du risque laissée à l'autocontrôle d'une entreprise qui a pu mentir à plusieurs reprises peut interroger.

M. Laurent Burgoa, président. - Je parlerais de contournement de la vérité, plus que de mensonge.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je tiens à préciser que des contrôles sont régulièrement effectués. L'autocontrôle existe, certes, mais il est complété par des inspections diligentées par les autorités compétentes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un dispositif de contrôle renforcé a d'ailleurs été instauré a posteriori, en raison des risques spécifiques liés à la situation de ces usines.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je tiens à réaffirmer haut et fort que les enjeux n'ont pas été pris à la légère.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la note de Jérôme Salomon datant du 5 octobre, adressée à Cédric Arcos, conseiller technique en charge de la santé au sein du cabinet de la Première ministre, la position du ministère de la Santé est effacée. Il ne subsiste essentiellement que celle du ministère de l'Industrie, notamment en ce qui concerne l'évaluation des mesures de filtrage à 0,2 micron. Pourtant, je rappelle que monsieur Salomon s'était opposé à cette orientation, tout comme l'ARS Grand Est lorsqu'elle fut consultée.

Pouvez-vous nous éclairer sur ce qui s'est joué à ce moment-là ? Comment expliquer que la position du ministère de l'Industrie ait prévalu sur celle initialement défendue par la Direction générale de la Santé ? En vous écoutant, on pourrait croire que l'ensemble des parties prenantes a avancé de concert. Or, l'examen des différentes notes successives révèle un désaccord de fond entre l'approche du ministère de la Santé et celle qui a finalement été retenue.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Vous m'interrogez sur une note émanant de Matignon, qui travaille en concertation avec le ministère de la Santé et le ministère de l'Industrie, en organisant des réunions de travail avec les cabinets des ministres concernés, puis en procédant à une synthèse des positions exprimées. Je ne commenterai pas une analyse à laquelle je n'ai pas directement pris part. Je n'ai pas participé à la synthèse que vous mentionnez. C'est à Cédric Arcos qu'il appartient d'expliquer la méthodologie et les conclusions de cette synthèse, lesquelles résultent néanmoins d'un travail interministériel et partenarial conduit par les cabinets.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit d'une note conjointe des cabinets. Le 26 janvier 2023, dans une note de situation, votre directrice de cabinet précise : « Compte tenu des enjeux sanitaires et réglementaires rendant impossible d'accepter une microfiltration inférieure à 0,8, la proposition du cabinet OTPS est de suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement de l'eau pour les sites Nestlé situés dans les Vosges. »

On observe donc un changement majeur entre cette position initiale et la solution adoptée, qui consiste à accompagner le plan de transformation de l'industriel. Il s'agit d'une évolution significative.

Que s'est-il passé à ce moment-là dans les discussions ? Vous pouvez me répondre que ces décisions ont été prises au niveau des cabinets et que vous n'en avez pas connaissance.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Malheureusement, je suis contrainte de vous répondre en ce sens. La ligne qui a été la nôtre repose sur un principe clair : dès lors que le sujet n'est plus d'ordre sanitaire, puisque le risque pour la santé publique a été écarté, il ne relève plus de la compétence du ministère de la Santé. Cela ne signifie pas que les enjeux ne sont pas pris en considération. Chaque fois que des préoccupations sanitaires ont été soulevées, elles ont fait l'objet d'une évaluation approfondie et ont été écartées lorsqu'aucun risque avéré n'a été identifié. C'est, je l'imagine, ce raisonnement qui a conduit à la conclusion retenue, à laquelle le ministère de la Santé ne s'est pas opposé.

Toutes ces réunions se sont déroulées dans un cadre interministériel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sans que vous ayez connaissance des raisons qui ont conduit à l'arbitrage final, ni des motifs pour lesquels l'orientation défendue par votre ministère n'a pas prévalu.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - C'est précisément le principe même d'un arbitrage. Nous transmettons à Matignon l'ensemble des éléments à prendre en compte. Des notes communes et distinctes - dont l'une, consacrée aux enjeux sanitaires - lui ont d'ailleurs été adressées. En dehors de cela, les documents étaient généralement partagés entre les différents ministères. C'est Matignon qui a pris la décision finale sur ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cependant, lorsqu'on arrive au niveau de Matignon, il semble que votre ministère ait modifié sa position. Il s'agit donc bien d'un changement d'orientation au sein même du ministère de la Santé.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je ne crois pas que mon ministère ait changé de position. Entre le moment où les discussions ont eu lieu et celui où tous les risques sanitaires ont été écartés, notre rôle s'est strictement limité à évaluer l'existence d'un risque sanitaire pour le consommateur. Dès lors qu'aucun risque pour la santé publique n'a été identifié, la décision finale a été celle qui a été arrêtée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ne pensez-vous pas que le rôle d'un gouvernement, de ministres, est d'informer les consommateurs lorsqu'un industriel dénonce lui-même son utilisation d'un procédé non conforme ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je vous répondrai non pas en tant que citoyenne, mais en tant que ministre que j'étais. Cette question ne relevait pas du ministère de la Santé. Dès lors que l'enjeu de santé publique a été écarté, il s'agissait d'une question d'information du consommateur. Or, cette responsabilité incombe non pas au ministère de la Santé, mais au ministère de l'Industrie. Si ce dernier ne l'a pas fait, j'imagine qu'il avait ses raisons, qui devaient également être fondées sur l'absence de risque sanitaire avéré.

Par ailleurs, il me semble que la question du retrait de l'appellation « eau minérale naturelle » des eaux Hépar s'est posée à un moment donné. Peut-être même a-t-elle été effectivement supprimée, du moins pour certaines références.

Mon ministère était concerné par les enjeux de santé environnementale. Je regrette d'ailleurs que ceux-ci ne soient plus explicitement mentionnés dans les attributions actuelles. C'est uniquement sous cet angle que mon cabinet a eu à traiter le dossier Nestlé Waters, comme d'autres affaires similaires. Dès lors que l'enjeu de santé publique a été écarté, la suite relevait de la DGCCRF, qui est compétente en matière de protection des consommateurs.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous venez de dire que la ministre que vous avez été pouvait avoir une position différente de cette de la citoyenne que vous êtes.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - La ministre que j'étais, bien consciente de son rôle, a considéré que le risque sanitaire était évacué, bien que les enjeux sanitaires aient persisté. Cette exigence de vigilance a guidé toutes mes interventions sur ce dossier. J'ai toujours posé en priorité la question du risque sanitaire, et ce fil conducteur a été constant. C'est précisément la mission du ministère de la Santé et sa responsabilité première. C'est pourquoi j'ai répondu en tant que ministre. Quant à savoir si la citoyenne que je suis aurait abordé la question différemment, je ne crois pas que cette réflexion se soit posée à moi en ces termes.

M. Olivier Jacquin. - Dans ce dossier, vous avez accordé fort peu d'attention au problème de fraude commerciale d'une ampleur considérable. Pour le reste, je trouve votre position plutôt cohérente avec celle attendue d'un ministre de la Santé.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je suis certaine d'avoir mentionné le terme de fraude au moins une fois. L'enjeu autour de la fraude est majeur. Simplement, il n'était pas traité à mon niveau, mais à celui du ministre de l'Industrie.

M. Olivier Jacquin. - Avez-vous adressé des remarques à vos collègues de l'Industrie à ce sujet ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Jamais.

M. Olivier Jacquin. - Vous n'avez cessé d'affirmer que le risque pour la santé publique avait été écarté. Cependant, une note émanant du directeur général de la Santé, monsieur Salomon, aurait dû vous alerter sur la persistance d'un risque sanitaire. Pourquoi n'avez-vous pas tenté d'appuyer sur ces éléments pour peser dans l'arbitrage ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Le rapport de l'Igas conclut à l'existence d'une fraude, mais à l'absence de risque sanitaire avéré. Ces deux éléments sont les seuls que je retiens de ce rapport.

Par ailleurs, je crois me souvenir qu'un rapport établi par le procureur au mois de septembre 2024 indiquait que tout risque sanitaire avait été écarté et que les contrôles, qu'ils aient été réalisés sous forme d'autocontrôle ou par les ARS, confirmaient systématiquement cette absence de danger. Il me semble donc que le directeur général de la Santé se trouvait pleinement dans son rôle en soulevant cette question, même si les différentes expertises ont finalement conclu à l'absence de risque avéré.

Je me suis interrogée à de nombreuses reprises à ce sujet. Ma directrice de cabinet m'a apporté des réponses. Celles-ci ont, me semble-t-il, été validées par les préfets, les directeurs des ARS ainsi que par les contrôles réalisés en autocontrôle.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je pense que vous avez regardé les auditions des directeurs de Nestlé.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Non. J'ai lu quelques échos dans la presse.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous auriez pu constater leur gêne manifeste ainsi que le peu d'empressement dont ils ont fait preuve pour répondre à nos interrogations. Ils se sont systématiquement retranchés derrière des formules telles que : « Je n'ai rien vu, je n'ai rien demandé », ou encore « Je n'étais au courant de rien ».

Rétrospectivement, pensez-vous que l'État a pleinement assumé ses responsabilités dans cette affaire ? Quel regard portez-vous aujourd'hui sur ce dossier, au vu des évolutions qu'il a connues ?

Ne pensez-vous pas que la gestion de cette crise aurait pu être différente ? Si un événement similaire survenait avec un autre industriel, considérez-vous que les procédures en place et les méthodes appliquées soient suffisantes pour garantir la protection de la santé publique et des consommateurs ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je ne peux pas vous laisser affirmer que le ministère de la Santé ne s'est pas senti concerné. Nous aurions pu ne pas nous sentir impliqués dès lors que, dès le début, le risque sanitaire avait été écarté. Or, nous avons précisément travaillé en coordination interministérielle jusqu'à la finalisation du rapport, car il était essentiel, à chaque nouvelle évolution du dossier, de réévaluer l'éventualité d'un risque sanitaire.

En l'espace de quatre mois, davantage d'avancées ont été réalisées que durant toute la période précédente où ce dossier était en suspens.

Cette affaire a surtout mis en lumière une grande incertitude entourant les normes en vigueur. J'espère que les travaux de votre commission permettront d'aboutir à une réglementation harmonisée, en particulier sur la question de la filtration, pour la porter à l'échelle de l'Europe. En effet, les eaux provenant de nos sources sont distribuées à travers le monde entier. Nous recevons également des eaux importées d'autres pays. Nous avons donc besoin de normes uniformes, ou à tout le moins de débattre de ces questions au niveau européen. Je le réaffirme : dès lors qu'une fraude a été avérée, il appartient à la justice de se saisir du dossier et de mener les investigations requises. Ce dossier révèle également l'existence d'un flou réglementaire en la matière.

En effet, il n'existe pas aujourd'hui de normes uniformes applicables à tous les pays : selon les réglementations, la taille du microfiltre varie de 0,2 à 0,8 micron, avec des seuils intermédiaires à 0,45, voire 0,4 micron. Cette absence d'harmonisation offre aux industriels la possibilité de s'engouffrer dans ces failles normatives, qui ne sont ni suffisamment précises ni clairement établies. Quoi qu'il en soit, le ministère de la Santé s'est senti concerné jusqu'au terme de cette affaire.

Je suis convaincue que nous avons géré ce dossier avec rigueur et détermination, animés par une volonté sincère d'aboutir à des conclusions claires et de comprendre les raisons qui nous ont conduits à cette situation. Toutefois, la difficulté actuelle réside dans la mise en oeuvre des recommandations formulées, notamment à l'échelle européenne. À ce stade, je ne suis pas en mesure de vous préciser l'état d'avancement de ces préconisations.

J'espère que l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a été saisie et que des avancées sont en cours, mais je ne peux vous en apporter la garantie. Depuis le 11 janvier, j'ai été amenée à me consacrer à d'autres dossiers que celui des eaux.

M. Jean-Pierre Corbisez. - Madame Agnès Pannier-Runacher a précédé Roland Lescure au ministère de l'Industrie. Lors de son audition, son ancien directeur de cabinet nous a confirmé avoir été en contact avec votre propre cabinet. Dans ce contexte, au moment où les équipes de Pannier-Runacher et les vôtres étaient en relation, avez-vous, vous-même, eu un échange avec elle ou avec son ministre de tutelle, Bruno Le Maire ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je n'ai été en contact ni avec madame Pannier-Runacher, ni avec monsieur Lemaire. Je suis entrée en poste le 4 juillet 2022, et ai récupéré le dossier en septembre 2022, lorsque nous avons réparti les feuilles de route. Les dates ont une importance. Tout ce qui a pu se passer avant le 4 juillet 2022 ne relève pas de ma connaissance. Entre le 4 juillet et septembre 2022, je sais que ce dossier était suivi par François Braun.

M. Laurent Burgoa, président. - Confirmez-vous que le rapport Igas avait été envoyé au cabinet, et donc au ministre de la Santé en fonction, monsieur Braun ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - J'ai pris en charge ce dossier à compter du mois de septembre 2022. Le rapport Igas a été publié en juillet de cette même année et transmis, à ce moment-là, au ministère de la Santé. À cette période, j'étais ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale, et ce dossier ne relevait pas encore de mes attributions. Le rapport a donc bien été réceptionné par le cabinet du ministère de la Santé et de la Prévention, mais pas par le mien.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je crois que nous avons une divergence de point de vue.

En effet, vous disposiez d'un rapport de l'Igas indiquant que la microfiltration soulevait une problématique virologique. Le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, évoquait également un risque potentiel à cet égard. Malgré cela, un arbitrage final a été rendu à l'encontre de ces recommandations - alors même qu'il continuait, le jour de la décision, à produire des notes alertant sur le danger d'une telle orientation. J'ai du mal à comprendre comment l'on peut considérer que la question sanitaire a été pleinement prise en compte et que ce dossier a été traité avec toute la rigueur nécessaire.

D'autant plus que, dans ce contexte, vous nous affirmez qu'il n'y a pas eu d'arbitrage politique à proprement parler. Vous dites avoir été informée, certes. Seulement, à aucun moment les divergences internes au sein du ministère de la Santé n'ont été clairement exposées et débattues de manière transparente.

De plus, lorsque vous évoquez un flou réglementaire, vous reprenez des termes employés par Nestlé. Interrogez d'autres acteurs du secteur, tels que Danone ou d'autres entreprises ayant rencontré des difficultés judiciaires, ainsi que la Commission européenne. Dans son audit, cette dernière indique clairement qu'une microfiltration à 0,2 micron entraîne inévitablement une modification du microbisme de l'eau.

Nous sommes interpellés par l'absence de dialogue direct entre les pouvoirs publics et Nestlé. À aucun moment, il n'a été question de confronter les arguments de Nestlé avec ceux des autres acteurs du marché. Bien entendu, nous savons que ce dialogue n'a pas eu lieu directement avec vous, mais bien avec votre cabinet.

Or, nous savons que Nestlé a sollicité l'État à plusieurs reprises. D'après le carnet de son représentant d'intérêts Nicolas Bouvier, ce sont près d'une trentaine d'échanges qui ont eu lieu à divers niveaux. Dans ces conditions, ne pensez-vous pas que vous vous êtes laissée enfermer dans le cadre défini par l'industriel, sans tenir compte des problématiques soulevées par l'ensemble du secteur ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je ne peux pas vous laisser dire cela. Il me semble qu'à un moment du processus, les préfets ont été sollicités afin de vérifier l'existence d'autres arrêtés portant sur d'autres sources. De mémoire, 17 arrêtés ont été recensés.

Ainsi, l'affirmation selon laquelle nous nous serions exclusivement focalisés sur le site des Vosges ou celui du Gard ne reflète pas la réalité. Nous avons, semble-t-il, une divergence de point de vue sur ce sujet. J'assume pleinement la méthodologie qui a été la mienne. Pour moi, un échange ne vaut pas validation. Si je n'avais pas été en accord avec ma directrice de cabinet, je lui aurais fait savoir très clairement.

Quant à la question virologique que vous évoquez, le directeur général de la Santé a parfaitement rempli son rôle en nous alertant à ce sujet. Cette problématique a toujours été prise en considération, et ce, jusqu'au moment où il a été établi qu'il n'existait aucun risque sanitaire pour la consommation de ces eaux.

Enfin, lorsque je parle d'un flou réglementaire, je ne m'aligne nullement sur la position de Nestlé. Je n'ai jamais rencontré Nestlé, ni ne l'ai écouté sur ce sujet. Je ne sais même pas précisément ce que cet industriel dit sur cette affaire. Ce que j'affirme, en revanche, est un constat factuel : il n'existe pas aujourd'hui de normes européennes harmonisées sur la microfiltration des eaux minérales. Les seuils varient entre 0,2 et 0,8 micron, ce qui signifie que les solutions proposées diffèrent selon les pays, alors qu'elles devraient obéir aux mêmes exigences.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons posé la question des normes européennes et demandé à l'EFSA d'examiner cette question. Il suffit d'analyser les solutions techniques proposées pour constater que l'Europe manque d'une ligne directrice claire en la matière.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez exercé des responsabilités en matière d'organisation territoriale. Or, sur ce dossier, nous avons constaté des divergences dans les réactions des ARS, notamment entre celles des Vosges et de l'Occitanie. De la même manière, les préfets ont parfois adopté des approches différentes.

On reproche souvent à l'État de fonctionner en silos. Cette affaire illustre bien le fait que la coordination entre le niveau local et le niveau national n'a pas toujours été optimale. L'administration déconcentrée a, dans certains cas, agi de manière autonome, sans véritable directive centralisée, notamment au niveau des ARS et des préfets.

Avec votre expérience de ministre, pensez-vous qu'il serait opportun, sur des sujets tels que celui-ci, d'instaurer une position nationale claire afin d'assurer une réponse uniforme sur l'ensemble du territoire ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je pense que la réponse a été unique. L'enjeu principal consistait à garantir qu'il n'existait pas de risque sanitaire.

Je ne peux pas vous laisser dire que les préfets et les directeurs d'ARS ont été laissés livrés à eux-mêmes. Les échanges entre les cabinets ministériels et les directeurs d'ARS ont été constants, et la question de l'eau est un sujet majeur. Peut-être ces derniers ont-ils exprimé une impression d'isolement lorsqu'ils ont été interrogés, mais je suis convaincue qu'ils ont bénéficié d'un appui du ministère tout au long du processus, sur toutes les questions qu'ils se sont posées.

Concernant l'article 40, je vous ai déjà répondu. Il est possible que le décalage temporel ait pu laisser penser que ce signalement couvrait l'ensemble du dossier. La décision sur ce dossier a bien été prise à l'échelle nationale.

Je ne peux pas dire que les préfets et les directeurs d'ARS aient été laissés sans accompagnement.

M. Laurent Burgoa, président. - Il ressort pourtant clairement des auditions des ARS et des préfets concernés que ces derniers se sont parfois sentis isolés dans leurs prises de décision. Nombre d'entre eux ont témoigné n'avoir reçu aucun retour concret lorsqu'ils ont interrogé l'administration centrale sur cette affaire.

Les ARS, convoquées mensuellement, n'ont pas semblé avoir de directives claires à suivre. Le constat est similaire en ce qui concerne les préfets. Il est apparu que les représentants de l'État sur le terrain ont souvent dû gérer cette situation seuls, faute d'instructions précises.

Je ne remets pas en cause votre responsabilité directe, mais j'aimerais connaître votre réaction sur cette impression d'un État local laissé sans cadre national défini.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je ne peux pas m'exprimer sur les préfets, car ils ne relèvent pas de l'autorité du ministère de la Santé. En revanche, en ce qui concerne les directeurs d'ARS, il est vrai que ce dossier impliquait des compétences partagées entre plusieurs ministères, ce qui a pu complexifier la coordination.

Toutefois, je maintiens que les directeurs d'ARS n'ont pas été laissés sans soutien. Concernant l'article 40, ma directrice de cabinet a interrogé la directrice de l'ARS Grand Est afin de vérifier l'application des procédures. Par ailleurs, plusieurs échanges ont eu lieu avec les ARS pour faire le point sur ce sujet.

Il est possible que, sur un dossier aussi complexe, certains directeurs d'ARS aient pu ressentir un manque d'accompagnement à certaines étapes. Cependant, pour avoir participé régulièrement aux réunions mensuelles des ARS, je peux vous assurer que les questions liées à l'eau - bien que ne concernant pas uniquement Nestlé Waters - ont été abordées dans un contexte plus large, notamment en raison des problématiques de sécheresse en 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez un sentiment ou un ressenti pour les ARS. Je rappelle que l'État central a été informé de cette situation dès l'été 2021. Certaines ARS ont été informées par les industriels eux-mêmes, qui sont intervenus pour montrer la fraude aux autorités locales. Vous ne pouvez pas nier que cette situation relève d'un problème de transmission de l'information au sein de l'État.

De plus, l'État central décide d'une mission d'inspection avec l'Igas en raison de ce qui se passe chez Nestlé, mais cette inspection ne prend pas en compte Nestlé dans les usines auditées. N'y voyez-vous pas un problème ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - Je vous parle de la période pendant laquelle j'étais en poste. Je ne vais pas commenter ce qui a pu se passer avant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que vous inspirent mes propos ? Que pensez-vous du fait que l'industriel ait informé les ARS, des mois après les révélations aux autorités publiques ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre. - La fraude constatée concerne la DGCCRF, et pas mon ministère.

Par ailleurs, je n'étais pas aux manettes du ministère de la Santé. Je ne peux pas vous répondre.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie pour ce temps d'échange, et vous souhaite un bon retour à l'Assemblée nationale.

Audition de M. Roland Lescure, ancien ministre délégué
chargé de l'industrie
(Mardi 1er avril 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Roland Lescure, ancien ministre de l'Industrie.

Monsieur le ministre, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Roland Lescure prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur « les pratiques des industriels de l'eau en bouteille ».

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur la relation entre Nestlé Waters et les services de l'État, en particulier au sein des ministères, et sur les réactions de l'État face au scandale des eaux traitées illégalement.

Vous avez été ministre délégué chargé de l'industrie du 4 juillet 2022 au 8 janvier 2024 puis du 8 février 2024 au 5 septembre 2024, c'est-à-dire une large part de la période au cours de laquelle cette affaire se déroule.

En effet, nous retrouvons vos services et votre cabinet à de multiples reprises dans la documentation qui nous a été transmise par les ministères.

Quel a été votre niveau d'information sur cette affaire ? Quelles ont été vos instructions à votre cabinet et aux services, par exemple la DGCCRF ? Quelles ont été vos instructions aux préfets, qui signent les arrêtés d'exploitation des eaux minérales ?

Quels ont été vos arbitrages dans les discussions interministérielles, notamment face au ministère de la santé ?

Avec le recul, jugez-vous que certains aspects de cette crise auraient pu être gérés différemment ?

M. Roland Lescure, ancien ministre de l'industrie. - Vous avez souhaité m'entendre dans le cadre de cette commission d'enquête portant sur l'entreprise Nestlé Waters. Je vous remercie de me donner l'occasion aujourd'hui de partager - à partir de mes souvenirs - le travail que nous avons mené avec mon équipe sur ce sujet en collaboration avec le ministère de la santé, sous la gouverne de Matignon.

Je n'entrerai pas dans les détails techniques de cette affaire parce que cela a largement été abordé lors de vos précédentes auditions. Je tâcherai de vous retracer le travail que nous avons réalisé avec mon équipe et qui a amené à nos recommandations. Vous avez également entendu mon ancienne directrice de cabinet, Madame Adrienne Brotons et mon ancienne conseillère technique chargée du dossier, Madame Mathilde Bouchardon. Elles vous ont, je crois, fidèlement retracé les informations que mon cabinet a eues à sa disposition et la façon dont la recommandation a été construite avec le ministère de la santé, et sous l'autorité du cabinet de la Première ministre. Vous avez pu le constater lors de leur audition : mes équipes ont toujours travaillé avec précision, détermination et sens de l'État et de l'intérêt général. C'est dans ce sens que nous avons traité ce dossier, comme tous les autres.

Pour ma part, je souhaite vous présenter comment j'ai eu connaissance de ce dossier et comment nous avons construit la position du ministère.

Je suis nommé ministre délégué chargé de l'industrie, sous l'autorité de Monsieur Bruno Le Maire, le 4 juillet 2022. À mon arrivée au ministère, je n'ai pas d'équipe. Madame Agnès Pannier-Runacher a quitté le ministère depuis plus d'un mois pour devenir ministre de la transition écologique et nous n'avons pas eu l'occasion d'organiser une passation entre nous. Avec mes collègues Madame Olivia Grégoire, à la consommation, à l'artisanat, et aux professions libérales, Monsieur Jean-Noël Barrot, au numérique, et Monsieur Gabriel Attal, au budget, nous sommes sous la tutelle de Bruno Le Maire. Pour ma part, j'ai autorité par délégation du ministre de tutelle, essentiellement sur la direction générale des entreprises et plus accessoirement sur les autres directions générales du ministère, dès lors qu'elles pourraient servir à l'accomplissement de mes missions.

Les sujets ne manquent pas à mon arrivée, puisque je dois : recruter mon cabinet ; élaborer notre feuille de route ; répondre aux convocations des commissions permanentes des deux assemblées ; rencontrer les administrations, les élus, les syndicats, les associations, les représentants patronaux, un certain nombre de patrons d'entreprises industrielles et mes homologues européens - le tout en réalisant mes premiers déplacements de terrain.

Cela me donne l'occasion de vous présenter rapidement le fonctionnement du cabinet et notre manière d'aborder les dossiers.

Dès les premiers jours, je suis confronté à mon premier dossier extrêmement sensible : la fermeture de la SAM - la Société Aveyronnaise de Métallurgie -, un sous- traitant automobile de l'Aveyron. Ce dossier fera l'objet de ma première question au Gouvernement. Dès lors les sujets s'enchaînent : la préparation de la loi de finances ; la gestion de la crise des prix de l'électricité ; la préparation du plan de rationnement du gaz pour l'hiver 2022 ; les négociations commerciales ; la fermeture de Camaieu ; les sujets de plus long terme que sont la décarbonation de l'industrie et l'élaboration des plans stratégiques des filières industrielles. Le traitement du dossier Nestlé Waters s'inscrit dans ce contexte d'activités très dense.

Pour assurer un pilotage efficace de tous ces dossiers, nous organisons le cabinet de la manière suivante. Mes conseillers au fond suivent le quotidien des dossiers : ils les instruisent avec les services, participent aux réunions interministérielles (RIM), rencontrent les industriels, proposent des modifications règlementaires, échangent régulièrement avec les autres cabinets et rapportent au cabinet de tutelle et à Matignon. La directrice de cabinet, avec son adjoint, pilote le travail des conseillers techniques : ils les orientent, prennent avec eux un certain nombre de décisions, rencontrent régulièrement l'administration et des entreprises à haut niveau, répondent aux convocations de l'Élysée, de Matignon et du cabinet du ministre de tutelle. Ils peuvent aussi prendre à leur niveau un certain nombre de rendez-vous que mon agenda ne me permet pas d'honorer. Les uns et les autres me voient régulièrement pour me rendre compte de leurs avancées, dès lors qu'un arbitrage qui ne peut être rendu qu'à mon niveau est attendu. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) par exemple, donne lieu à différents niveaux de rencontres interministérielles, entre les cabinets, les directions de cabinets, les ministres - et quand les cabinets sont d'accord, les RIM, en général, se tiennent sans les ministres.

Sur Nestlé Waters, j'ai été sollicité par mon équipe pour valider la position, commune avec le ministère de la santé qui remonterait à l'arbitrage de Matignon, à partir de décembre 2022. C'est en décembre 2022 que mon équipe demande à me voir pour évoquer ce dossier et préparer la position du ministère en vue d'une réunion organisée par Matignon. Mes collaborateurs viennent d'apprendre par le ministère de la santé que l'eau du principal forage d'Hépar n'est pas pure à l'émergence.

Je dois avouer que j'ai été estomaqué d'apprendre qu'une grande entreprise internationale avait pu tromper les consommateurs français pendant si longtemps.

Mon premier réflexe est de demander à mon cabinet de vérifier qu'il n'y a pas de risque sanitaire. Je suis immédiatement rassuré sur ce point. Je leur demande également si la fraude passée, liée au traitement UV et charbon fait l'objet d'une enquête pénale et s'il a été demandé à l'entreprise de les retirer. Je comprends que c'est bien le cas.

Dès lors, notre travail visera à définir notre position sur Hépar et, plus largement, sur la filtration inférieure à 0,8 micron sur les autres sources exploitées par Nestlé Waters.

Au terme de ce travail, nous décidons, avec mon équipe, de proposer au cabinet de la Première ministre de procéder au retrait de l'autorisation de commercialiser l'Hépar sous l'appellation « Eau minérale naturelle » s'agissant du forage en question. Il s'agit d'une décision lourde, qui a des conséquences sérieuses : elle a des impacts sur l'emploi de salariés. Pour autant, c'est une décision logique, car elle découle de l'application directe et sans ambiguïté des textes qui régissent la commercialisation d'eaux minérales en France.

En février 2023, au moment où intervient la consultation interministérielle dématérialisée (CID) consacrée à cette question, notre position fera l'objet d'un arbitrage par le cabinet du Premier ministre et, comme vous le savez, conduira à la fermeture du site.

Sur la question du filtrage, vous avez eu connaissance de toutes les informations que mon cabinet et moi-même avons eues à ce sujet, et qui ont fondé notre arbitrage. La directive européenne précise qu'une eau minérale ne doit pas être désinfectée. L'arrêté de 2007 autorise en France la filtration sans préciser le niveau de filtration acceptable. L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a autorisé, dans le cas particulier d'un industriel, une filtration à 0,8 micron. L'Anses, ni aucune autorité d'ailleurs, n'interdit une filtration inférieure à 0,8 micron. L'Espagne a autorisé une filtration à 0,4 micron. Plusieurs arrêtés préfectoraux en France autorisent une filtration à 0,4 et même à 0,2 micron.

Sur cette base, nous préconisons, en adéquation avec le ministère de la santé et son cabinet, de laisser les agences sanitaires locales analyser l'effet des filtrations et autoriser, si la démonstration est faite qu'il n'y a pas de désinfection, Nestlé Waters à installer des filtres inférieurs à 0,8 micron.

Contrairement à ce que j'ai pu lire ou parfois entendre, nous n'avons fait ici qu'appliquer l'état du droit. Il n'existe pas, au moment de la décision de Matignon, de norme interdisant une filtration inférieure à 0,8 micron. Ce qui explique d'ailleurs probablement que des autorités locales l'aient autorisée sur certaines sources.

Le « bleu » de Matignon permet de confirmer aux autorités locales qu'elles peuvent avoir la lecture suivante des textes : il est possible d'autoriser une filtration inférieure à 0,8 micron si vous constatez que l'eau n'est pas désinfectée par cette filtration.

Et face à la complexité de mise en oeuvre de cette norme, que nous avons constatée après plusieurs allers-retours entre échelon local et national sur ce sujet, nous recommandons à Matignon d'ouvrir une discussion au niveau européen pour clarifier cette norme.

Voilà quel a été mon rôle dans ce dossier.

Durant toute ma carrière, j'ai veillé à gérer les équipes dont j'avais la charge en responsabilité, en leur déléguant ce qui devait l'être tout en assumant pleinement les positions que j'ai prises à l'issue de leur travail. C'est la manière dont j'ai exercé mes responsabilités de ministre sur ce dossier comme sur tous les autres.

C'est dans cet état d'esprit que je me présente devant vous et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci d'endosser la responsabilité politique comme vous le faites, cela a fait débat avec d'autres ministres que nous avons auditionnés.

Une première question sur le contexte. Comme la ministre qui vous a précédé devant nous aujourd'hui, vous dites que vous aviez à gérer de très nombreux dossiers et que votre agenda de ministre était plein : est-ce une sorte de précaution, ou bien est-ce un constat qu'il est très difficile de suivre les dossiers au quotidien lorsqu'on est ministre, y compris ceux du registre dont s'occupe notre commission d'enquête ?

M. Roland Lescure, ministre. - Il est vrai qu'en prenant ses fonctions de ministre, on est d'emblée saisi de nombreux dossiers, de court, moyen et long terme, il faut tous les traiter. On le fait avec l'organisation que je vous ai présentée, qui est pyramidale, avec une logique de subsidiarité - ce qui peut être traité à l'échelon des conseillers doit l'être, ce qui doit remonter au directeur de cabinet doit remonter, et ce qui doit remonter au ministre, de par son importance, qu'il s'agisse d'information ou de décision, remonte au ministre, le tout dans un contexte interministériel. Nous avons organisé cet ensemble de manière très efficace, avec la directrice de cabinet que vous avez auditionnée, qui est extrêmement rigoureuse et organisée. Même si j'assume pleinement les décisions qui ont été prises à tous les niveaux, cette organisation de subsidiarité fait qu'on délègue ce qui peut l'être, de manière à être géré de la manière la plus efficace. J'ai découvert en étant ministre qu'on ne maîtrise plus alors son agenda, que chaque demi-heure est comptée et qu'effectivement, la demi-heure du temps ministre, elle est rare et donc elle est chère.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Donc vous n'avez pas le sentiment d'une dépossession de votre décision, c'est important de le préciser.

Ensuite, toujours sur le contexte et pour que nous comprenions bien les choses, avec qui avez-vous interagi sur ce dossier au point de vue de la décision ? Nous voyons que le cabinet de la Première ministre a été mis sur l'affaire, que des éléments sont remontés à l'Élysée, il y a eu aussi les interventions de Nestlé Waters : avec qui avez-vous été en interaction sur ce dossier ?

M. Roland Lescure, ministre. - Avec deux personnes : Adrienne Brotons, ma directrice de cabinet, et Mathilde Bourchardon, ma conseillère technique. J'ai été amené à participer à des réunions avec des personnes que vous mentionnez, mais jamais avec Nestlé Waters, dont je n'ai jamais rencontré de responsables.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nestlé Waters n'a jamais demandé une réunion ni un échange directement avec vous ? C'est surprenant, sachant que l'entreprise a sollicité l'Élysée à plusieurs reprises, en la personne d'Alexis Kohler, pour avoir un rendez-vous, alors que le canal logique devrait être le ministre de l'industrie que vous étiez : qu'en pensez-vous ?

M. Roland Lescure, ministre. - Nous avons été sollicités par des dizaines d'industriels dès notre arrivée, les sollicitations étaient constantes jusqu'à mon départ et nous les gérions de la manière que je vous ai dite - en l'occurrence, Nestlé Waters a été reçue par ma directrice de cabinet en septembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliqueriez-vous que Nestlé Waters ait sollicité plusieurs fois l'Élysée : est-ce usuel ? Une telle sorte de court-circuitage vous est-elle déjà arrivée sur d'autres dossiers - et comment la comprenez-vous ?

M. Roland Lescure, ministre. - Je n'ai jamais travaillé à l'Élysée, donc je me garderais bien d'avoir un avis sur la façon dont l'Élysée s'organise. J'ai eu des réunions avec Alexis Kohler, comme ministre et comme parlementaire, jamais nous n'avons évoqué ce dossier et je ne me suis jamais senti en porte-à-faux dans la décision sur ce dossier, qui était interministériel et très cadré - vous savez que les réunions interministérielles sont très formelles, et qu'elles donnent lieu à des comptes-rendus de décision qui sont imprimés sur papier bleu, ce qui fait d'eux les « bleus » dont vous avez eu connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Agnès Firmin Bodo, que nous entendions juste avant vous, vous a quelque peu renvoyé la patate chaude quand on lui a demandé pourquoi son ministère avait laissé perdurer une fraude, puisque pendant quelques mois, l'État n'a pas informé les consommateurs qu'ils achetaient des eaux minérales naturelles qui ne l'étaient plus, puisqu'elles étaient traitées : votre ancienne collègue du Gouvernement nous a renvoyés vers le ministère de l'industrie. Je vous pose donc la question : pourquoi ne décidez-vous pas d'informer les consommateurs français qui achètent massivement ces eaux prétendument minérales naturelles, trompés par l'industriel qui est lui-même venu devant votre prédécesseur reconnaître sa tromperie - pourquoi ne leur dites-vous qu'ils sont trompés par l'industriel, alors même qu'il l'a reconnu ?

M. Roland Lescure, ministre. - Je ne pense pas qu'on puisse dire que les eaux minérales en question ne pouvaient pas être qualifiées d'eau minérale naturelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si, et sans aucun doute pour les traitements antérieurs révélés par Nestlé Waters : avant le retrait des traitements illégaux, on ne peut guère parler d'eau minérale naturelle, je suis surpris que vous puissiez vous interroger sur ce point...

M. Roland Lescure, ministre. - Oui, il y a eu des traitements c'est bien pourquoi il y a eu un article 40 et une enquête judiciaire... Je comprends votre question sur l'information des consommateurs. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) avait insisté à plusieurs reprises sur le caractère confidentiel de son rapport et donc nous n'étions pas, nous, habilités à le rendre public. En tout cas, on ne nous a pas fait la demande. Je vous rappelle que, dès l'automne 2022, il y avait deux procédures judiciaires en cours, un article 40 initié par l'ARS Grand Est et une autre menée par le service national d'enquêtes de la DGCCRF. Dans ce contexte, mon devoir était de respecter l'indépendance de la justice, de ne pas interférer dans les enquêtes en cours, une communication publique de ma part, à ce stade, aurait pu constituer une entrave à l'action du parquet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De fait, vous laissez se perpétuer une fraude en n'informant pas le public. Nous savons que rapport de l'Igas demandait plus de transparence sur les eaux minérales naturelles, et que la décision de publicité du rapport revient au ministre - cependant, c'est la presse qui a conduit à ce que vous révéliez le contenu du rapport en 2024. Vous dites vous être posé la question, mais qu'a prévalu pour vous l'idée de ne pas interférer dans les enquêtes en cours, mais pourriez-vous revenir sur cette question de la publicité du rapport de l'Igas ?

M. Roland Lescure, ministre. - J'ai été mis dans la boucle en décembre 2022, même si j'assume les décisions qui ont été prises auparavant. L'Igas insistait sur la nécessité de préserver la confidentialité de son rapport, limitant même sa diffusion aux services compétents, notamment les ARS. Une communication aurait pu interférer sur les procédures en cours. Ensuite, un rapport de l'Igas est rendu public après avis des ministres ; on ne m'a jamais demandé mon avis sur une publication, je n'ai donc pas eu à me prononcer sur cette publication éventuelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Savez-vous à qui on l'a demandé ?

M. Roland Lescure, ministre. - Non, je ne sais pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avec le recul, vous dites- vous qu'il aurait mieux valu informer le public ?

M. Roland Lescure, ministre. - Il est difficile de refaire l'histoire. J'ai été surpris, après la réunion interministérielle, du temps qu'il a fallu pour mettre en place le plan de transformation qui avait été décidé. Mon équipe n'était pas chargée du suivi, mais elle s'en est inquiétée à partir de l'été 2023 - en tout cas, entre septembre 2022 et février 2023, nous étions dans une période d'instruction du dossier, un dossier qui méritait certainement un temps d'instruction avant que des décisions ne soient prises et qu'elles ne soient communiquées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous eu des échanges avec votre collègue Olivia Grégoire, qui était à Bercy en charge de la consommation ?

M. Roland Lescure, ministre. - Non. Je crois comprendre qu'il y a eu des échanges entre nos cabinets, sous la gouverne du cabinet de Bruno Le Maire, mais je pense que les autres cabinets de Bercy étaient régulièrement tenus informés par mon cabinet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce qu'une fraude évaluée sur trois ans à 3 milliards d'euros par le service national d'enquête (SNE) de la DGCCRF, relève du dossier qu'on place en haut de la pile ?

M. Roland Lescure. - Certainement. J'ai été estomaqué d'apprendre cette fraude, j'imagine que le SNE a conduit son enquête en conséquence. Cependant, cette procédure d'enquête aurait pu être gênée par une intervention politique, quelle qu'elle soit, je m'en suis donc bien gardé et je n'ai pas eu d'information sur l'ampleur du travail d'enquête administrative ni encore moins, judiciaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Agnès Pannier-Runacher était déjà partie du ministère quand vous y êtes arrivé ; avez-vous eu un temps d'échange sur ce dossier, une forme de passation, ou pas du tout ?

M. Roland Lescure, ministre. - Non, aucune, elle avait été nommée ministre de la transition écologique et de l'énergie depuis un bon mois quand je suis arrivé et nous n'avons pas organisé de transition, j'ai commencé tout de suite à travailler.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Un point reste mystérieux pour nous après toutes nos auditions, c'est le fait que les autorités locales n'aient pas été informées des traitements pratiqués par Nestlé Waters. L'ARS Occitanie en a connaissance en novembre 2022, non pas grâce à ses contrôles, mais parce que l'industriel lui-même prend les agents de l'ARS par la main et leur indique ce qui s'est passé, comment la fraude se passait sur le site de Vergèze. Est-ce que cela vous surprend ? Qu'est-ce qui, selon vous, n'a pas fonctionné pour qu'entre août 2021, où le ministère est informé, et novembre 2022, où l'ARS Occitanie est informée par l'industriel, aucune information n'ait été transmise du ministère aux ARS, qui sont pourtant les autorités de contrôle de proximité : comment analysez-vous cela ?

M. Roland Lescure, ministre. - L'image du gentil industriel qui vient se dénoncer me surprend dans votre bouche, Monsieur le rapporteur, vous avez interrogé Nestlé Waters et vous savez ce que ses responsables sont venus chercher en se rapprochant des autorités...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ils ont été peu prolixes, en réalité, et nous ont dit qu'ils attendaient du ministère une sorte d'accord pour en référer aux ARS...

M. Roland Lescure, ministre. - J'ai été surpris qu'il n'y ait pas d'échange entre les ARS et l'Igas, la lettre de saisine de l'Igas mentionne que l'inspection générale doit s'appuyer sur les ARS - ce que je peux vous dire, c'est qu'à partir du moment où mon équipe s'est saisie du dossier, donc en septembre 2022, des échanges avec les ARS ont été mis en place de manière rapide, et que les échanges ont été fréquents.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À partir de septembre 2022, le processus se met en place au ministère de l'Industrie et une première note est écrite par votre conseillère, Madame Bouchardon ; cette note va vers la question de la microfiltration à 0,2 micron. Comment avez-vous produit cette décision ? C'était la demande de l'industriel quand il est venu vous voir que d'obtenir une validation de son plan de transformation...

M. Laurent Burgoa, président. - Nestlé Waters n'a pas vu le ministre, mais son cabinet...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est exact, l'industriel avait vu votre cabinet. Il demandait de valider cette microfiltration à 0,2 micron, qu'est-ce qui fait que vous allez vers cette solution, qui est celle de l'industriel ? Consultez-vous d'autres industriels ? Il y a une question de loyauté envers les autres industriels, parce que si l'un d'eux obtient le droit de filtrer à 0,2 micron alors que les autres s'en empêchent parce qu'une telle microfiltration s'apparente à une désinfection, il y a bien un sujet. Or, les industriels que nous avons reçus nous ont tous dit que la réglementation était claire, et qu'ils ne se sont même jamais demandé si une microfiltration à 0,2 micron était autorisée. Je crois que Madame Bouchardon a sollicité la DGCCRF pour savoir s'il y avait des cas en deçà de 0,4 micron, et qu'on y lui a répondu par la négative et qu'aller en deçà de 0,4 micron était problématique au regard du droit européen. Cependant, vous allez quand même vers cette décision : qu'est-ce donc qui a emporté cette décision de 0,2 micron et d'accompagner Nestlé Waters dans ce plan de transformation ?

M. Roland Lescure, ministre. - Une remarque préliminaire : nous ne prenons pas de décisions, nous faisons des recommandations qui s'avèrent être communes entre le ministère de la santé et le ministre de l'industrie, et qui sont entérinées par Matignon, c'est la chaîne de responsabilités.

Ensuite, comme je l'ai dit dans mon intervention liminaire, je suis mis dans la boucle à un moment où l'on arrive proche d'une recommandation et où le dossier a été suffisamment instruit pour que ma directrice de cabinet souhaite m'en saisir - en décembre 2022. Il s'avère qu'il y a une note rédigée à ma destination en septembre 2022, je dois avouer que je n'en ai pas eu connaissance : j'arrivais au ministère, je trouvais des notes par dizaine, chaque rencontre avec les industriels donnait lieu à une note et je ne les lisais pas toutes, mea culpa.

Enfin, la question posée sur la loyauté de la concurrence est essentielle, on touche au noeud du problème. L'Union européenne pose le principe qu'il ne faut pas désinfecter les eaux pour pouvoir les qualifier de « minérales naturelles ». Or nous nous rendons compte, en examinant le dossier, qu'il n'y a pas de définition objective, générale, ni internationale de cette définition. Nous apprenons que l'Espagne autorise une filtration à 0,4 micron. Nous apprenons qu'un certain nombre de sources ont été autorisées en dessous de 0,8 micron - je crois même que certaines ont déjà été autorisées à 0,2 micron. Notre recommandation, alors, n'est pas d'autoriser 0,2 micron, mais d'autoriser à descendre en dessous de 0,8 micron, à condition que les industriels prouvent que ce n'est pas une désinfection -le seuil jusqu'où aller, du reste, n'est pas précisé dans le « bleu » de Matignon.

Notre recommandation et la décision finale qui est prise par Matignon, c'est de déléguer aux autorités locales la capacité à autoriser à descendre en dessous de 0,8 micron, à condition que le seuil retenu ne soit pas considéré comme un seuil de désinfection. Et la question de la loyauté et de la concurrence se pose, dès lors qu'à l'été 2022, les niveaux de filtration pratiqués sont déjà divers, certains industriels filtrent à 0,2 micron, d'autres à 0,4, d'autres à 0,8 et d'autres pas du tout. Et c'est pourquoi nous considérons important que l'Europe donne plus de précisions à des normes qui paraissent simples vues de l'échelon européen, mais qui sont appliquées diversement, et finalement très difficiles à mettre en oeuvre et à contrôler.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le « bleu » ouvre la possibilité aux ARS de se saisir et de voir si, en deçà de 0,8 micron, le microbisme de l'eau est modifié. Or, dès 2001, l'Anses avait dit que c'était le cas, et elle le répète en 2022. Je vous cite une note de la directrice de l'ARS Grand Est que votre cabinet a reçue le 17 novembre 2022 : « Les UV seront enlevés ou ont été pour partie seulement déjà enlevés, mais Nestlé les remplace systématiquement par des filtres à 0,2 micron, au motif de la sécurité sanitaire. Cette démarche de substitution interroge sur la qualité de la ressource elle-même et/ou des installations de prélèvement et notamment sur la nécessité de désinfecter l'eau. Nous n'avons aujourd'hui aucune connaissance de la réelle qualité des eaux des ressources dans la mesure où les eaux étaient prétraitées lors de l'inspection. Cette position n'est pas acceptable. »

Nous sommes le 1er avril 2025, nous ne savons toujours pas ce qu'il en est du seuil en-deçà de quoi la microfiltration fait perdre la qualité d'eau minérale naturelle.

M. Roland Lescure, ministre. - Monsieur le rapporteur, avant de m'exprimer ici, j'ai juré de dire la vérité, rien que la vérité, et ce n'est pas votre cas - vous n'avez pas eu à le faire, et c'est normal...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pensez que je mens ?

M. Roland Lescure, ministre. - Non, mais je voudrais m'assurer que ce que vous dites est conforme aux éléments dont je disposais quand je m'occupais de ce dossier.

Vous faites référence à des avis de l'Anses qui, selon vos dires, seraient sans ambiguïté sur le fait que 0,2 micron constitue une filtration désinfectante, je ne les ai pas vus. Vous parlez d'un avis de 2001, d'un avis de 2022 - pour ma part, j'ai suivi les analyses de mon cabinet qui s'est, lui, fondé sur les analyses de l'Anses montrant qu'il est possible de conclure que le filtre de 0,2 micron peut être accepté dans la mesure où ce filtrage ne constitue pas une désinfection et qu'il revient à l'industriel d'en apporter la preuve. L'Anses, elle-même, quand vous l'avez interrogée, ne vous a pas fait une réponse très claire ni définitive sur la filtration à 0,2 micron. Vous considérez que le microbisme de l'eau est modifié par une telle filtration, au point que l'eau ne puisse alors plus être considérée comme de l'eau minérale naturelle. Or, cela dépend de la définition qu'on donne aux eaux minérales naturelles, des délimitations précises qu'on donne aux caractéristiques de ces eaux. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Ce que je vois, c'est que ni l'Anses, ni les ARS ne sont capables de nous dire les choses précisément - cela aurait été beaucoup plus simple si l'on nous avait dit, par exemple, qu'une filtration à 0,28 micron était acceptable, mais pas à 0,27 micron, la décision aurait été facile à prendre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Que faites-vous de la position de l'ARS Grand Est ?

M. Roland Lescure, ministre. - L'ARS Grand Est dit qu'à 0,8 micron, c'est bon. D'autres décisions, via les autorités préfectorales, autorisent 0,4 micron, voire 0,2 micron.

Je ne veux pas jeter la pierre à ceux qui ont fait ces analyses, mais, en instruisant ce dossier, nous comprenons que le principe posé par l'Union européenne qu'on ne désinfecte pas une eau minérale, se traduit par des filtrations dont le seuil dépend des eaux, des sources, des conditions locales et c'est pourquoi nous préconisons que les ARS, avec l'aide de l'industriel, regardent si un filtre de 0,2, 0,3, 0,4, 0,7 ou 0,8 micron constitue une désinfection.

Ensuite, je ne peux pas être tenu comptable de ce qui s'est passé depuis que j'ai quitté le ministère, j'en suis désolé, je n'ai pas d'informations sur l'avancée des travaux. Ce que j'avais compris, c'est que dès juillet 2023, le plan de transformation de Nestlé Waters était en marche et qu'à partir de là, le contrôle de la qualité des eaux devenait un contrôle normal qui relève des ARS qui elles-mêmes relèvent du ministère de la santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous informais qu'en 2022, personne n'avait statué sur le fait qu'une filtration à 0,2 micron pouvait être considérée comme conforme par les ARS.

Je suis surpris par votre réponse, en ce qu'elle place les ARS en position difficile - du reste aujourd'hui, la DGS penche plutôt pour un cadrage national. L'impression que votre position donne, c'est celle d'un report de la responsabilité en bout de chaîne, alors même que l'Anses dispose d'expertise - et qu'en bout de chaîne, les acteurs ont d'autant plus de mal à trancher la décision que personne, à l'échelle nationale, ne paraît en mesure de le faire, y compris aujourd'hui. Vous semblez dire que l'Anses n'a pas tout à fait dit ce que je lui fais dire, pensez-vous, comme nous l'a dit l'un de vos anciens collaborateurs, que son propos manque de clarté ?

M. Roland Lescure, ministre. - Non. J'ai fait des études scientifiques et je sais que c'est compliqué, la science. L'Anses fait visiblement face à des difficultés pour évaluer de manière objective un cadre national, voire international. Nous savons que l'eau n'est pas filtrée partout pareil en Europe et je comprends que l'Anses ne soit pas en mesure de faire une recommandation nationale et qu'on renvoie aux conditions locales, donc à un travail de l'ARS avec les industriels. Cependant, vous dites aussi que les ARS ne seraient pas toujours à même de le faire et qu'elles se retourneraient vers l'Anses...

Il faut donc faire un travail là-dessus et nous l'avons recommandé à l'issue de notre réunion interministérielle de février 2023, en demandant une action à l'échelon européen. Je trouverais dommage que des sites français soient désavantagés par rapport à d'autres sites européens et qu'on se mette à boire de l'eau minérale naturelle made in Spain, made in Germany ou made in Luxembourg, qu'on ferme tous nos forages en France sous prétexte que les réglementations européennes ne s'appliquent pas de la même manière chez nos voisins - et je pense que nous serons tous d'accord sur ce point...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez raison, nous voulons tous que la concurrence s'exerce à armes égales...

Cependant, j'aimerais insister sur la décision que vous avez prise en février 2023 et la façon dont vous accompagnez l'arbitrage interministériel. D'un côté, vous avez les avis de l'Anses, la position de l'ARS Occitanie qui juge inacceptable la filtration à 0,2 micron, le fait qu'on vous dise que nulle part en Europe une telle filtration est autorisée ; qu'avez-vous sur l'autre plateau de la balance, qui vous fait pencher vers la décision d'autoriser le 0,2 micron ?

M. Roland Lescure, ministre. - Attention, nous n'avons pas autorisé 0,2 micron, Monsieur le rapporteur. Nous avons confirmé la possibilité d'autoriser, par modification des arrêtés préfectoraux, la pratique de la microfiltration inférieure à 0,8 micron. Nous avons demandé à l'ARS Grand Est de mettre en place une surveillance de la qualité de l'eau aux différentes émergences, quel que soit le débit de prélèvement. Et concernant le site de Vergèze, dans le Gard, auquel vous faites référence, le « bleu » indique que « le cabinet de la Première ministre a demandé à la préfète du Gard et au directeur général de l'ARS de prendre en compte l'autorisation de microfiltration évoquée ci-dessus et de définir une démarche d'accompagnement et de contrôle de la qualité de l'eau aux différentes émergences dans le cadre du plan de transformation ». L'idée, c'est qu'on autorise à être en dessous de 0,8 micron en fonction des considérations locales et que l'on contrôle effectivement que la qualité de l'eau n'est pas significativement altérée par ces filtres.  Cela me semble assez clair - et le « bleu » ne mentionne nulle part la filtration à 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il mentionne l'accompagnement du plan de transformation et je vous confirme que ce « bleu » a été lu localement comme autorisant la microfiltration à 0,2 micron.

M. Roland Lescure, ministre. - Je vous ai cité le « bleu » tel qu'il a été rédigé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Exactement, il mentionne le plan de transformation de Nestlé Waters, lequel passe par une microfiltration à 0,2 micron...

M. Roland Lescure, ministre. - Le « bleu » mentionne une microfiltration inférieure à 0,8 micron.

M. Laurent Burgoa, président. - Au cours de nos auditions, nous avons compris que si le risque sanitaire n'était pas clairement établi, la tromperie l'était effectivement et l'ARS Grand Est avait engagé une procédure au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Comment se fait-il qu'un service comme la DGCCRF n'ait pas fait d'article 40 - et qu'il ait fallu attendre février dernier pour qu'elle le fasse en Occitanie, ce qui n'est peut-être pas sans lien avec notre commission d'enquête ?

M. Roland Lescure, ministre. - J'ai entendu le débat que vous avez eu avec ma directrice de cabinet, en particulier sur ce point. J'ai été moi aussi surpris, en particulier par le fait que le procureur des Vosges, dès lors que l'industriel se dénonçait pour tous ses sites, n'ait pas élargi son action ni alerté son collègue du Gard. J'ai bien compris que ce n'était pas votre lecture des choses...

M. Laurent Burgoa, président. - Ni celle du ministre Dupont-Moretti, le procureur des Vosges n'a pas compétence nationale...

M. Roland Lescure, ministre. - J'entends bien, mais je suis surpris qu'un procureur qui a connaissance de faits délictueux, ne saisisse pas son collègue du territoire où il sait que de tels faits se produisent. De mon côté, je plaide coupable, nous avons supposé que l'enquête de l'Igas portant sur le territoire national et une procédure au titre de l'article 40 étant déclenchée, la question était en cours de traitement.

M. Hervé Gillé. - Je suis surpris par le flou de bien des propos dans ces auditions, et vous n'échappez pas à cette impression. Vous dites que certains sites ont été autorisés à utiliser une microfiltration à 0,2 micron : lesquels ? En France, à l'étranger ? On en revient à une décision ancienne de l'Agence qui a précédé l'Anses, et bien des personnes nous ont dit que le seuil de 0,8 micron, établi par cette décision, était « sanctuarisé ». Vous avez un avis différent, mais on a toujours du mal à bien comprendre ce qu'il en est. D'autant plus quand vous dites ne pas avoir autorisé 0,2 micron en autorisant de descendre sous 0,8 micron : expliquez-moi la différence... Votre présentation des choses est plus que surprenante : après tout, un industriel pourrait filtrer à 0,1 micron, il respecterait encore l'autorisation d'aller sous 0,8 micron... Finalement, qu'avez-vous autorisé, précisément ?

Ensuite, si je vous suis bien, vous êtes pour le moins-disant européen, parce que comme le cadre n'est pas fixe, si d'autres filtrent à 0,2 micron, pourquoi devrait-on se l'interdire ? C'est le sentiment que vous me donnez, et cela me trouble d'autant plus qu'un contentieux est ouvert à l'échelon européen. Et pourquoi est-ce le cas ? Mais parce que l'Europe n'a pas été saisie comme elle aurait dû l'être, et vous devez avoir un niveau de responsabilité. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Enfin, vous dites que Nestlé Waters avait en charge d'apporter la preuve sanitaire. Mais entre nous, à quel moment l'industriel l'a-t-il fait ? Le plan de transformation prévoit des contrôles, mais comment savoir ce qu'il en est, dès lors que, comme on nous l'a dit ici, les principes de filtration interdits étaient cachés dans une armoire et qu'on ne peut pas tout contrôler, en réalité, dans le process ? Il n'y a pas eu d'enquête approfondie de la part de Nestlé Waters, ses responsables l'ont reconnu devant nous, il n'y a pas eu d'enquête pour comprendre l'origine du détournement, et nous ne savons toujours pas à quel niveau de responsabilité les traitements non autorisés ont été mis en place...

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez au moins la faculté de lire dans les pensées de la directrice de Nestlé Waters, mon cher collègue, parce que le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'a pas beaucoup parlé devant notre commission d'enquête...

M. Roland Lescure, ministre. - Je ne me permettrais pas de commenter ce que la représentante de Nestlé Waters a dit ou n'a pas dit, c'est votre rôle de commission d'enquête, mais je vais tâcher de lever les ambiguïtés que vous me prêtez.

Les listes des sources qui ont été autorisées à filtrer sont dans le rapport de l'Igas, elles sont en France et je parle bien de différentes autorisations qui existent d'ores et déjà en France, de filtration à des niveaux différents qui nous ont conduits à préconiser une approche locale qui pouvait autoriser à descendre en dessous de 0,8. À condition de renforcer les contrôles sanitaires pour s'assurer que la santé soit préservée en amont et en aval et qu'on puisse montrer qu'il n'y avait pas de filtration excessive conduisant à une déminéralisation de l'eau minérale naturelle. Donc, si je n'ai pas a été clair, j'espère l'avoir été davantage dans cette réponse.

M. Hervé Gillé. - Vous avez autorisé de filtrer à moins de 0,8 micron, on ne sait toujours pas si le microbisme de l'eau est changé à 0,2 micron, voire à 0,1...

M. Roland Lescure, ministre. - Non, parce que dans la réglementation actuelle, la réponse à cette question est : ça dépend. J'aurais préféré un seuil clair, la décision aurait été plus simple à prendre. Effectivement, nous avons réalisé que cette décision dépendait des sources locales, de leur qualité, de la météorologie locale. C'est pourquoi nous avons décidé d'autoriser à descendre en dessous de 0,8 micron, sous réserve que ce soit testé et prouvé. La seule décision à laquelle vous faites référence sur le 0,8 micron, elle n'autorise pas cette filtration en général, elle autorise un industriel à utiliser un filtrage à 0,8 parce qu'il l'avait demandé à l'autorité compétente. Les industriels auraient-ils pu faire la même demande trois ans auparavant, par exemple ? Possiblement, ça fait partie de leurs responsabilités. En l'occurrence, lorsque nous nous saisissons du dossier, nous nous rendons compte qu'il n'y a pas de règle uniforme et que nous devons adapter un droit européen qui, visiblement, n'est pas interprété de la même manière dans différents États. Notre idée n'est pas le moins-disant européen, c'est le mieux-disant européen, parce que si des États filtrent en dessous de ce qui est acceptable, il faut aussi qu'on puisse le faire et c'est aussi pourquoi nous recommandons d'approcher l'Union européenne pour faire un benchmarking et s'assurer qu'on puisse interpréter cette réglementation de manière à ne pas fausser la concurrence entre pays du marché européen.

Quant au contentieux européen, je n'étais pas ministre des affaires européennes ni Premier ministre et je me permets de vous renvoyer vers mes collègues pour répondre à vos questions sur la façon dont le processus européen a été lancé à l'issue de cette réunion interministérielle. Ce que je sais, c'est que le « bleu » demande au secrétariat général des affaires européennes (SGAE) de conduire une analyse de la situation de la microfiltration et des pratiques existantes dans les autres pays de l'Union afin, le cas échéant, d'envisager de solliciter la Commission européenne pour une évolution de la réglementation communautaire ou en vue d'une saisine de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) - je vous cite là le texte du « bleu », il est très clair.

M. Hervé Gillé. - Vu de l'Europe, nous étions dans l'illégalité...

M. Olivier Jacquin. - Vous dites avoir été estomaqué par l'ampleur de la fraude, mais vous n'avez pas demandé à la DGCCRF de faire un article 40, et vous dites avoir attendu que la justice fasse son travail ; cependant, vous connaissez les délais de la justice, donc vous saviez que la tromperie continuerait le temps de l'instruction. Pourquoi ne pas l'avoir fait cesser, comme vous l'aviez fait pour Hépar ?

M. Roland Lescure, ministre. - J'ai déjà répondu à votre première question. L'article 40 était déjà lancé, une procédure judiciaire était en cours, nous ne la suivions pas puisque nous n'en étions pas directement à l'origine, mais, pour nous, la justice suivait son cours.

L'eau d'Hépar, quant à elle, nous savions qu'elle était contaminée à la source, qu'elle était ensuite décontaminée puis vendue comme naturelle, ce qui est illégal.

Pour le reste, il y a une ambiguïté sur le fait de savoir si, selon la taille du filtre, on est en présence d'une eau minérale naturelle ou pas - et donc, nous attendons que le dossier soit instruit et nous faisons la recommandation qui conduit à une décision de Matignon, entre le 22 et le 23 février 2023. Sachez bien que si on avait pris cette décision avant, elle se serait appliquée avant. Il y a le temps de l'instruction pour un dossier dont vous reconnaîtrez qu'il est assez complexe et que nous avons découvert, en ce qui nous concerne, en septembre 2022.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il est écrit dans la note sur le rapport de l'Igas, qu'il vaut mieux tenir l'information secrète parce qu'il y aurait un risque de contentieux européen. Cependant, s'il y a un risque de contentieux, c'est bien qu'on pense être dans l'illégalité : comment justifier le secret - qu'en pensez-vous ?

Le « bleu », ensuite, demande une action à l'échelon européen, en particulier la saisine du SGAE. On peut se demander quelle en est la force exécutoire puisque, jusqu'à aujourd'hui et à ma connaissance, il ne s'est toujours rien passé. On a donc le sentiment que, d'un côté on dit aux ARS de se débrouiller, de l'autre on dit qu'on va saisir les autorités européennes, mais en réalité, il ne se passe rien - pardon, mais la seule chose qui ait été faite, c'est le plan de transformation de Nestlé et pour le reste, rien, ou si peu : qu'en pensez-vous ?

M. Roland Lescure, ministre. - Nous avons bien pris en compte l'illégalité du traitement, puisqu'une enquête judiciaire était en cours, et qu'un article 40 a été fait.

Quant à la force exécutoire du « bleu », il ne faut pas oublier qu'il a conduit à fermer la source Hépar, nous avons donc intégré les choses, y compris pour prendre des décisions importantes puisque le Premier ministre décide la fermeture de cette source, avec les emplois qui lui sont liés - et elle a disparu depuis des étals.

Je pense que nous avons pris des décisions graves, que nous les avons prises de manière aussi instruite que possible - et que nous avons pris les bonnes décisions.

M. Laurent Burgoa, président. - La marque Hépar existe toujours, elle est encore vendue...

M. Roland Lescure, ministre. - J'avoue que je ne bois que de l'eau du robinet, qui est filtrée...

M. Hervé Gillé. - La marque Hépar existe toujours, elle a été suspendue des ventes pendant un certain temps et elle a été remise sur les étals - et si vous savez pourquoi précisément la production a été suspendue puis rétablie, je vous remercie de nous en informer.

Le fond de la question, Monsieur le ministre, c'est qu'à chaque fois, on a le sentiment profond qu'on a voulu dissimuler à l'usager, au consommateur, une situation qui était particulièrement préoccupante pour essayer de faire en sorte que l'industriel, effectivement, s'en sorte au mieux.

M. Roland Lescure, ministre. - Monsieur le sénateur, j'ai été ministre de l'industrie et de l'énergie pendant deux ans et demi. J'ai pris des décisions extrêmement difficiles, y compris face à des industriels avec lesquels j'étais loin d'être en relation amicale. Je pense avoir assumé mes responsabilités de ministre de l'industrie de manière pleine et entière, y compris avec des décisions qui ont eu des conséquences dramatiques sur l'emploi - au coeur de cette affaire dont vous parlez début octobre, j'ai dû prendre la décision de fermer Camaieu, avec 2 600 emplois à la clé, parce qu'un actionnaire me proposait un plan d'affaires inacceptable tout en me demandant 40 millions d'euros. Des décisions difficiles, j'en ai pris - chaque fois en tenant compte de l'intérêt général du mieux que je pouvais, de l'intérêt des citoyens, de l'intérêt des consommateurs et de l'intérêt des salariés. J'espère l'avoir fait tout au long de mon mandat et j'espère que mes prédécesseurs et mes successeurs le font aussi.

M. Hervé Gillé. - C'est là-dessus qu'on aimerait un avis plus fouillé...

M. Laurent Burgoa, président. - Merci pour cet échange direct et nourri, qui nous éclaire.

Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ancienne secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, puis ministre déléguée chargée de l'industrie
(Mercredi 2 avril 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, je commence par un point d'information sur le calendrier de notre commission d'enquête, qui entre dans sa dernière phase. Nous avons convoqué M. Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence de la République, mardi prochain. Nous donnerons ensuite une dernière chance au groupe Nestlé de s'expliquer en auditionnant son directeur général, Laurent Freixe, mercredi à 16 heures 30. À la suite de cette réunion, notre rapporteur vous présentera un point d'étape de nos travaux. Votre présence sera donc importante.

Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition d'Agnès Pannier-Runacher, ancienne ministre déléguée chargée de l'industrie, du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022.

Madame la ministre, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Agnès Pannier-Runacher prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle, pour les internautes qui suivent cette audition en direct, que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source. Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif d'apporter un éclairage sur la relation entre Nestlé Waters et les services de l'État, en particulier au sein des ministères, et sur les réactions de l'État face au scandale des eaux traitées illégalement.

Vous avez été ministre déléguée chargée de l'industrie, du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022, c'est-à-dire pendant les premières années de cette affaire. Par ailleurs, vous avez été, par l'intermédiaire de votre cabinet, la porte d'entrée de Nestlé dans les délibérations ministérielles.

De fait, nous retrouvons vos services et votre cabinet à plusieurs reprises dans la documentation qui nous a été transmise par lesdits ministères. Quel a été votre niveau d'information sur cette affaire ?

Quelles ont été vos instructions à votre cabinet et aux services, en particulier la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?

Quelles raisons ont motivé votre choix, avec vos collègues des ministères de l'économie et de la santé, de commander une enquête auprès de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) ? Avec du recul, cette décision nous apparaît comme une erreur, étant donné qu'elle s'est substituée à des actions plus immédiates et urgentes.

Quel a été votre rôle dans les discussions interministérielles, notamment dans votre dialogue avec le ministère de la santé, avec Matignon ou avec l'Élysée ?

Avec le recul, jugez-vous que certains aspects de cette crise auraient pu être gérés différemment ?

Nous vous proposons de nous présenter vos réflexions dans le cadre d'un propos liminaire d'une quinzaine de minutes. Notre rapporteur ainsi que les membres de cette commission vous interrogeront ensuite.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, ancienne secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, ancienne ministre déléguée chargée de l'industrie. - J'ai eu à connaître de ce dossier entre le 31 août 2021, date du rendez-vous entre Nestlé, mon cabinet et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et le 20 mai 2022, lorsque j'ai été nommée ministre de la transition énergétique.

C'est pendant cette période que j'ai lancé l'ensemble des enquêtes qui ont permis d'objectiver les agissements de Nestlé et de lancer les procédures judiciaires que vous connaissez. Sans ces actions, il n'aurait pas été possible de mettre au jour les problématiques qui ont été révélées à la justice.

Pour être plus précise, Nestlé Waters a sollicité un entretien avec mon cabinet, qui s'est tenu le 31 août en présence de la DGCCRF, et lors duquel l'entreprise a évoqué des procédés de traitement de l'eau dans certaines de ses usines et demandé une clarification de la réglementation en vigueur.

À l'issue de cet entretien, mon directeur de cabinet m'a fait parvenir un compte rendu sur les pratiques indiquées par Nestlé et ses doutes quant à la sincérité de la démarche de l'entreprise. Ce compte rendu, qui vous a été transmis, mentionne une enquête lancée contre Alma par la DGCCRF, dont Nestlé avait manifestement connaissance, ce qui nous a alertés.

Il a donc été demandé à la DGCCRF de faire remonter une note d'analyse juridique des propos qu'avait tenus Nestlé pendant l'entretien et des recommandations sur les suites à donner. À ce moment et comme dans tous ceux qui ont suivi, mon cabinet et moi-même avons eu pour ligne de conduite de suivre systématiquement les recommandations de notre administration. Plus encore, nous avons demandé à cette dernière de tester des hypothèses pour aller plus loin en matière de protection et d'analyse des problématiques qui nous avaient été transmises.

La DGCCRF a donc fait remonter une note au ministre, dont j'ai également été destinataire, dans la deuxième quinzaine de septembre.

Cette autorité indiquait, au regard de son champ de compétence - la loyauté de l'étiquetage -, avoir identifié une difficulté quant à la dénomination d'eau minérale eu égard aux traitements que Nestlé indiquait pratiquer. En outre, les sujets sanitaires ne faisant pas partie de ses attributions, la DGCCRF nous recommandait de saisir le ministère de la santé.

C'est ce qu'a fait mon cabinet. Une réunion a été organisée en octobre entre mon cabinet, celui du ministre de la santé, la DGCCRF et la direction générale de la santé (DGS), qui a conclu au lancement d'une mission de l'Igas. La lettre de mission a ensuite fait l'objet d'un travail interministériel. Je l'ai cosignée en novembre 2021 aux côtés de Bruno Le Maire et d'Olivier Véran.

Le rapport a été rendu en juillet 2022. J'avais alors changé de fonction. Je n'ai donc pas eu à connaître de ses conclusions ni des suites qui lui ont été données. Je précise que la DGCCRF dispose de pouvoirs de police en matière de loyauté commerciale. Aussi, dès le premier jour où elle a été saisie, cette autorité a pu mener les investigations qui relevaient de son champ de compétence.

Ainsi, concernant une éventuelle transmission d'infractions au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, l'administration se trouvait bien dans son champ de compétence de police et préparait les contrôles pour saisine du procureur et du parquet, en attendant que les éléments soient consolidés.

C'est précisément ce qui s'est passé, par exemple, lorsque j'ai été amenée à prononcer une amende contre Leclerc. La transmission de l'infraction au titre de l'article 40 n'était pas nécessaire, le cas correspondant bien au cadre des pouvoirs de police dont dispose la DGCCRF.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame la ministre, au cours des années passées dans vos fonctions, avez-vous eu des discussions avec d'autres ministres sur ce dossier ou avec le secrétaire général de la présidence de la République, Monsieur Kohler, qui, nous le savons, a échangé avec Nestlé Waters ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous n'avons pas organisé de réunion ministérielle sur ce dossier ni d'échanges entre ministres. Nous avons systématiquement travaillé en suivant les recommandations de nos administrations. Ce sont nos cabinets qui ont mené ces différents travaux. Ceux-ci sont entièrement retracés dans les documents qui vous ont été fournis. Nous avons signé une lettre collective de saisine de l'Igas, dont l'enquête a mis au jour plusieurs éléments qui n'auraient pas été révélés sans son action.

Je n'ai eu aucun contact avec l'Élysée ni avec Matignon. Les services et les cabinets ont seulement travaillé en interministériel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nestlé Waters s'est rendu auprès de votre cabinet pour révéler les pratiques illégales et frauduleuses qui lui ont été ensuite reprochées.

Pourquoi avez-vous décidé de ne pas révéler cette information au public ? La population française n'a été informée de ces faits que bien plus tard, au début de l'année 2024, par voie de presse et non par une annonce des autorités publiques. En effet, le rapport de l'Igas n'a pas été rendu public, sur décision du ministre en fonction à l'époque.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nestlé est venu auprès de mon cabinet non pas pour expliquer avoir fraudé et ne pas respecter la réglementation commerciale, mais, comme le restitue le compte rendu, pour nous informer avoir pris connaissance de problèmes que le groupe souhaitait régler. Ce n'est pas tout à fait la même chose.

C'est pour cette raison que nous avons demandé à la DGCCRF de faire une analyse juridique des propos de Nestlé. Par ailleurs, il s'agit seulement de paroles, et non d'actes qui ont été vérifiés.

Nous avons ensuite fait confiance à la DGCCRF, qui joue précisément ce rôle de police de la loyauté commerciale. Or cette direction avait lancé un certain nombre d'enquêtes sur les pratiques d'autres fournisseurs, qui n'avaient pas davantage été révélées au public, puisqu'il fallait avoir des preuves de la vérité pour la manifester.

Le 31 août, Nestlé a donc porté ces propos devant mon cabinet. Nous les avons fait éclaircir par la DGGCRF, dont nous avons suivi les recommandations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'a-t-il été dit lors de cette réunion ? François Rosenfeld, votre directeur de cabinet à l'époque, a déclaré à la commission que, lors de cet entretien, Nestlé a reconnu avoir recours à des traitements assimilables à de la désinfection, qui « posaient des questions de conformité avec la directive européenne relative à l'exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles ».

Il n'y avait donc pas de doutes !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Non, ces propos soulevaient des questions, auxquelles nous n'avions pas encore de réponse. Nous avons donc demandé à la DGCCRF d'en faire une analyse juridique, avant de suivre ses recommandations.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous vous en êtes tenue là.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame la ministre et son cabinet s'en sont tenus là : soyez précis.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Lors de l'entretien avec Nestlé, la police relative à ce sujet était dans la pièce, et nous avons suivi ses recommandations. Il aurait été difficile d'adopter une conduite plus conforme au respect de la loyauté commerciale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourtant, le public n'a été informé qu'en janvier 2024 : il faudra revenir sur ce point...

De même, la DGCCRF n'a procédé à un signalement qu'au début de l'année 2025, près de quatre ans après les faits - et après que nous l'avons auditionnée !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - L'enquête visant Alma n'avait été déclenchée qu'un an auparavant. L'absence de communication publique s'explique simplement par la lenteur du déroulement de ce type d'enquête. Le rôle de la DGCCRF est d'établir les faits pour le compte du procureur, de manière à nourrir la procédure judiciaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cependant, dans le cas d'Alma, la justice avait été saisie.

On peut regretter que la saisine de l'Igas ait retardé l'information des agences régionales de santé (ARS). Pourtant, la solution proposée par l'ancien directeur général de la santé, Monsieur Salomon - faire appel aux autorités de contrôle de proximité que sont les ARS plutôt qu'à l'Igas - était encore sur la table.

Par conséquent, l'ARS Grand Est n'a été informée de l'existence de ces traitements par l'Igas que le 5 avril 2022, soit huit mois après que le groupe Nestlé est venu à votre rencontre. Pire encore, en Occitanie, c'est Nicolas Bouvier, autrement dit Nestlé en personne, qui a révélé à l'ARS la fraude, en offrant à cette autorité la possibilité de visiter le site pour en faire la démonstration. C'est bien ce qui explique notre surprise quant au rapport de l'Igas.

En outre, l'Occitanie était en dehors du périmètre de contrôle de l'Igas. C'est donc le principal intéressé, qui n'avait pas été contrôlé, qui a lui-même informé les ARS ! Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Mes services ont travaillé avec le cabinet du ministère de la santé moins de quinze jours après le rendu de la note de la DGCCRF. J'ignore ce qui s'est passé entre le cabinet, sa direction, l'Igas et l'ARS. Cela était extérieur à mon champ de compétence.

Votre propos m'étonne beaucoup. J'ai été inspectrice générale des finances : lorsqu'une enquête est lancée, l'inspection a accès à toutes les autorités relevant du ministère. Le premier réflexe est donc de commencer par faire le point avec celles-ci.

J'ignore ce qui s'est passé, mais il n'y a aucune raison de penser qu'il n'y a pas eu de circulation de l'information au sein du ministère de la santé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Madame la ministre, c'est une information qui ressort des auditions que nous avons menées.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Vous m'interrogez sur un sujet sur lequel je ne peux pas vous répondre, puisque je n'en ai pas eu connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais vous dites que cela vous étonne beaucoup, comme si vous remettiez mes propos en cause ; ou est-ce parce que le déroulement de l'enquête vous semble anormal ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Vous m'interrogez sur des faits qui n'avaient pas été mis en évidence à l'époque où j'étais en fonction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'était en avril 2022.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Vous mentionnez un autre choix proposé par le directeur général de la santé, dont je n'ai pas eu connaissance.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le rapporteur, madame la ministre, je préférerais que nos échanges restent cordiaux.

C'est tout de même la première fois que j'entends un ministre répondre à un rapporteur !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon nous, commander un rapport à l'Igas n'était pas la bonne solution, puisque cela a fortement différé le contrôle.

Ni aucun ministre ni Nestlé n'a mis en oeuvre la procédure spécifique prévue par la directive européenne sur les eaux minérales, qui consiste à demander auprès des autorités européennes la validation d'un traitement ne faisant pas partie de ceux qui sont autorisés. Pourquoi ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Notre objectif était de clarifier les pratiques de Nestlé. Lorsque j'ai eu à connaître de ce dossier, nous n'en étions pas encore à la phase de régularisation. L'enjeu, alors, était de comprendre concrètement quels traitements étaient pratiqués par Nestlé, sur chaque site : nous établissions encore notre diagnostic.

Il était difficile de mettre en oeuvre des recommandations sans connaître la réalité des pratiques, sur place et sur pièce. C'était tout l'enjeu de la mission demandée à l'Igas. La lettre de mission fixait les objectifs suivants : « Inspecter les usines de conditionnement d'eaux minérales naturelles et d'eaux de source concernées afin de rechercher la mise en oeuvre de pratiques interdites par la réglementation », en précisant que « pour cibler les pratiques à rechercher, [l'Igas s'appuierait] notamment sur le rapport annexé à la présente lettre reprenant la nature des pratiques constatées par le service national d'enquête ou supposées être mises en oeuvre à la production par les opérateurs du secteur ».

L'inspection devait également « qualifier l'état des ressources utilisées et de l'eau en cours de production ; expertiser la justification de l'utilisation de tels traitements non autorisés dans ces usines ; évaluer l'impact des pratiques ; évaluer l'impact d'un arrêt soudain de ces pratiques ; identifier les solutions ».

Nous étions donc dans une phase de compréhension et de diagnostic, et non de mise en oeuvre d'une régulation. Il n'était pas possible de saisir les autorités européennes : nous n'aurions pas su quoi leur demander.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Tout de même, Nestlé a évoqué la question de son plan de transformation lors de cet échange. Le passé - et le passif - du groupe n'était pas le seul objet de cet entretien avec vous.

M. Laurent Burgoa, président. - Avec votre cabinet : soyons précis !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Ce plan de transformation a été évoqué dans son principe, mais il n'avait pas été formellement élaboré.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourtant, la microfiltration à 0,2 micron a été évoquée dès le début.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Ce n'est pas un plan de transformation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est le coeur du plan de transformation !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - C'est l'un des éléments mis en avant. Cependant, le compte rendu de ce rendez-vous montre bien que nous n'en étions pas là. Nous avions d'ailleurs un doute sur la réalité des pratiques, au regard de la présentation favorable émise par Nestlé sur son propre dossier.

Nous savions qu'une enquête visait l'un des concurrents du groupe, sur la base de constats laissant penser que les traitements allaient plus loin que ce qui était avancé. Nous avons donc mis en oeuvre tous les moyens à notre disposition pour connaître la réalité.

Le recours aux compétences de la DGCCRF en formait l'une des dimensions, puisque cette direction joue ce rôle de police en matière de loyauté : elle a assisté à l'entretien. En outre, après discussion avec le cabinet du ministère de la santé, nous avons demandé l'intervention de l'Igas. En effet, je n'avais pas connaissance d'une solution de substitution et, étant moi-même issue d'un corps d'inspection, j'ai eu pour réflexe de commander cette enquête afin d'obtenir un diagnostic et un éclairage précis. L'Igas pouvait en effet se rendre sur place pour exercer son pouvoir de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourtant, l'usine de Vergèze n'a pas été inspectée dans le cadre de cette enquête. Et c'est Nestlé qui a alerté les autorités locales, quatorze mois plus tard, au prétexte qu'il fallait attendre l'autorisation des ministères pour échanger avec les ARS. Cette explication, que nous ne comprenons pas, a été apportée par Nestlé lors de son audition par le Sénat. Et enfin, le Grand Est n'a été informé que huit mois plus tard.

Je comprends, d'après vos propos, que tout cela ne ressemble pas au fonctionnement normal d'une mission d'inspection...

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je n'ai absolument pas dit cela.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Trouvez-vous donc cela normal ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - N'ayant pas eu à connaître des travaux de l'Igas...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez eu ce rapport par la suite. Je vous en donne les éléments les plus importants : les autorités locales de contrôle ont été informées respectivement huit mois et quatorze mois plus tard ! Avez-vous un avis à formuler sur ce point ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - N'ayant pas eu à connaître les travaux de l'Igas, je ne peux vous en parler.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez jamais lu le rapport depuis lors ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je n'ai pas lu ce rapport, qui a été pris en charge par d'autres que moi. Compte tenu de mon agenda de travail, vous comprendrez que je manque de temps pour me distraire par de telles lectures.

M. Laurent Burgoa, président. - Je veux bien vous croire, madame la ministre ! Cependant, si vous n'avez pas eu accès à ce rapport, vous avez bien signé la lettre de commande : n'en attendiez-vous donc pas un retour ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Non, car j'ai ensuite changé de portefeuille.

M. Laurent Burgoa, président. - Certes, mais il y a bien une continuité de l'État, quels que soient les ministres, et même s'ils se succèdent parfois rapidement ! Le ministre chargé de l'industrie a bien dû recevoir le rapport de l'Igas que vous aviez commandé.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - En effet, les signataires commandent une mission au titre de leur décret d'attribution. A fortiori, les personnes exerçant les attributions relevant de la saisine récupèrent le rapport. C'est la règle : pour autant, j'ignore dans quelles conditions les conclusions de l'enquête ont été livrées.

M. Laurent Burgoa, président. - Il est vrai qu'au moment de la publication du rapport vous n'étiez plus ministre déléguée chargée de l'industrie.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Et je n'avais pas à en prendre connaissance.

M. Laurent Burgoa, président. - Le rapporteur s'est peut-être mal exprimé : il souhaitait seulement savoir si le rapport avait bien été remis au ministère en charge de l'industrie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ma question était de savoir si vous trouviez les délais de huit mois et de quatorze mois normaux et si vous trouviez normale également l'absence de contrôle dans la principale usine concernée. Je vois que vous ne voulez pas répondre et j'en prends acte.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je réponds à votre question. Je ne sais pas, parce que je ne connais pas la complexité du dossier et ne peux donc émettre un jugement sur les travaux de l'Igas permettant de dire si elle a eu tort ou raison. Sur la base des informations dont je dispose, je ne suis pas en mesure de juger l'Igas, positivement ou négativement.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez fait le choix de la DGCCRF, qui vous semblait le chemin le plus naturel, car elle avait la police de ces sujets. Quand nous avons entendu un représentant de la direction des affaires juridiques des ministères sociaux en audition, il nous a dit que son service avait considéré, en réponse à une question de Monsieur Jérôme Salomon, qu'il ne revenait pas aux services du ministère de la santé d'émettre un signalement au procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Au nom de ce qu'il a appelé « la théorie du bouchon », il incombait donc forcément au premier intéressé, c'est-à-dire vous-même et vos services, d'effectuer ce signalement.

En dépit de l'existence de l'enquête de la DGCCRF, Mme Virginie Cayré, ancienne directrice générale de l'ARS Grand Est, a cru bon d'émettre un signalement au procureur de la République au titre de l'article 40. Pourquoi n'avez-vous pas fait ce choix ?

Nous avons dû attendre mars 2025 pour que la DGCCRF effectue un signalement.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce signalement a été fait le 19 février.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De 2021 à 2025, le délai est très long, sachant que les infractions ont perduré durant toutes ces années.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La DGCCRF assure la police de la loyauté : elle transmet un dossier au procureur à la suite de ses investigations, quand elle arrive au terme de son enquête. Dans le cas présent, dès le premier jour, la police de la loyauté était dans la place. Le service national d'enquête (SNE) était par ailleurs mobilisé sur une autre enquête, concernant Alma. Ces éléments étaient traités dès le premier jour de connaissance du dossier par Nestlé.

Pour ce qui concerne les faits qui ne relèvent pas de la question de la loyauté, je prendrai un exemple caricatural, qui aura le mérite d'être éclairant et de frapper les esprits. Si, au cours de son enquête, la DGCCRF détecte par hasard une fraude fiscale, elle doit émettre un signalement au procureur au titre de l'article 40, car ce sujet ne relève pas de sa responsabilité. Si, en revanche, son enquête ne porte que sur des faits de loyauté, elle est dans le cadre de son travail de police et transmet donc, naturellement, les éléments au procureur au terme de son dossier.

Faute d'avoir connaissance des qualificatifs des faits précis et dans la mesure où ces derniers sortaient de la loyauté commerciale, la question de savoir qui devait être à l'initiative d'un signalement au titre de l'article 40 pouvait donc se poser, si un tel signalement devait être effectué. Je ne peux pas vous répondre sur ce point. Je vous le redis, mais je pense que vous l'avez bien en tête : mon rôle a consisté à mettre la police de la loyauté dans la pièce, dès le premier jour, sur les aspects commerciaux, et à faire en sorte qu'une investigation et une inspection soient lancées sur la partie sanitaire par le service chargé de cette mission sur tout le portefeuille « santé, social, emploi », à savoir l'Igas.

N'ayant pas été destinataire des rapports ni même du détail des investigations, je ne suis pas en mesure de vous dire ce qui en est ressorti, ce qu'il aurait fallu faire, ni ce qui a été fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été informée du fait que l'enquête concernant Alma était terminée et que le procureur avait été saisi ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je ne m'en souviens plus. Je ne suis même pas sûre que la saisine du procureur ait été faite sous ma juridiction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est-à-dire ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Quand j'étais à Bercy.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En général, êtes-vous informée en cas de saisine du procureur ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Oui, je suis prévenue en cas de transmission au procureur. Par exemple, je l'ai été au moment de l'amende imposée à Leclerc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette information pourrait être importante pour nous. Si une transmission du dossier au procureur avait été effectuée sous votre autorité, seriez-vous allée devant les Français pour leur dire ce qui s'est passé ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - C'est ce que j'avais fait pour Leclerc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous l'information concernant le moment de la saisine du procureur ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La DGCCRF procède à de nombreuses enquêtes. Ce corps mène ses investigations jusqu'au bout, mais elles ne font pas systématiquement l'objet d'une communication politique. J'avais une pratique particulière, qui diffère sans doute d'un cabinet à l'autre : j'avais l'habitude de voir la patronne de la DGCCRF toutes les deux semaines. Je bénéficiais donc d'une information régulière sur les grosses affaires en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En l'occurrence, vous ne vous souvenez plus du moment où le procureur a été saisi.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La responsable de mon cabinet avait été avertie du lancement de l'enquête sur Alma, mais nous étions le 15 décembre 2020, en pleine dernière ligne droite sur les vaccins contre le Covid-19. Autant vous dire que ce n'était pas ma priorité du moment. Je n'ai pas de souvenirs ni d'éléments à ma disposition permettant de dire que la saisine du procureur a été faite quand j'étais à Bercy.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous retrouver cette information, pour les travaux de la commission ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Il faudrait demander à Bercy. À partir du moment où l'on change de portefeuille, on n'a plus accès à ce genre d'élément.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous n'êtes effectivement plus à Bercy.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si vous en aviez trace dans vos échanges, vous pourriez nous communiquer cette information. Telle était ma question.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Non, je n'ai eu aucun échange de courriels de cette nature.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci.

M. Hervé Gillé. - Ce dossier, c'est l'éloge de la lenteur. Heureusement que la DGCCRF est plus rapide sur certains dossiers !

L'industriel est donc venu vous trouver pour vous dire qu'il appliquait certains traitements, de toute évidence non conformes. Vous dites qu'il fallait vérifier s'ils l'étaient ou non. Mais à ce moment-là, le seul paradigme en vigueur était le suivant : une eau minérale ne devait pas être traitée, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) considérant qu'une microfiltration à 0,8 micron pouvait être tolérée. Il n'existait rien d'autre. C'est ce qui faisait alors règlement. Pour la Commission européenne, une eau minérale ne devait pas être traitée du tout.

L'industriel est donc venu vous dire qu'il appliquait d'autres traitements que ceux dont je viens vous parler, manifestement non conformes. Vous le reconnaissez d'ailleurs, puisqu'en septembre-octobre vos services vous ont signalé qu'il ne s'agissait manifestement plus d'eaux minérales. Pourtant, on a continué à dire qu'il fallait vérifier. Ce n'était pas compliqué, il n'était pas nécessaire de prendre des mois et des mois. Il suffisait de vérifier auprès de l'industriel les traitements mis en oeuvre, qui ne respectaient manifestement pas les règles en vigueur pour les eaux minérales.

Je ne comprends donc toujours pas pourquoi vous avez laissé Nestlé Waters commercialiser cette eau.

Reconnaissez-vous que Nestlé Waters a commercialisé en toute illégalité des eaux sous l'étiquette « eaux minérales » avant la mise en oeuvre du plan de transformation chargé de régulariser son processus industriel ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nestlé nous a indiqué avoir des difficultés et a mentionné la découverte de traitements qui ne seraient pas conformes. Vous pensez bien que ses représentants ne sont pas arrivés en disant qu'ils faisaient des « trucs » illégaux depuis des années ! C'était présenté de manière très sibylline. Ils nous ont alors dit qu'ils avaient besoin de clarifications sur la réglementation européenne. Vous pouvez voir d'ailleurs dans mes notes que j'ai demandé ce qu'il se passait dans les autres pays, car ils semblaient sous-entendre qu'il existait une marge d'interprétation. C'est pourquoi nous avons sollicité la DGCCRF pour faire la lumière sur ce sujet.

Lorsque la DGCCRF nous a dit qu'il y avait manifestement un problème, nous ne sommes pas allés dans les usines. Nous avons ouvert ce chapitre en demandant à la police de la DGCCRF de regarder ce qu'il fallait faire. Or sa directrice nous a dit expressément - dans l'une des pièces qui vous ont été transmises - au moment où le lancement de l'enquête de l'Igas a été décidé, qu'elle souhaitait disposer des pièces et du rapport de l'Igas avant de lancer des investigations complémentaires. Je cite son mail du 27 octobre : « En ce qui concerne les enquêtes, le SNE termine l'enquête en cours qui se déroule sous l'autorité du procureur, mais il n'y a pas lieu d'en engager d'autres pour l'instant. Il vaut mieux attendre les conclusions de la mission Igas. » Mettez-vous dans ma position : je suis alors ministre, mais pas spécialiste du droit européen ni du droit français concernant la législation sur l'eau ; ma directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes mène une enquête et me dit qu'elle recommande d'attendre les conclusions de la mission de l'Igas avant de mener d'autres investigations. Par ailleurs, j'ai signé une lettre de mission demandant que l'on se rende sur place pour faire, sur pièces, toute la lumière sur les traitements réalisés dans chacune des usines.

M. Hervé Gillé. - La question était : reconnaissez-vous maintenant, au vu de tous les éléments qui vous ont été transmis et de votre connaissance du dossier, que Nestlé Waters a, objectivement, commercialisé de manière illégale des eaux minérales, dans l'attente de l'avis de la DGCCRF ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je comprends que c'est ce qui a été mis à jour par les enquêtes dont j'étais à l'origine.

M. Hervé Gillé. - Sans doute, mais cela a pris vraiment beaucoup de temps.

Comme je l'ai toujours dit, vous n'avez pris aucune mesure conservatoire de précaution. Le processus industriel n'a pas été arrêté.

Au regard de vos responsabilités de l'époque, du droit du travail et des responsabilités de l'entreprise Nestlé Waters, cette dernière aurait dû mener une enquête interne, ce qui aurait paru naturel dans une entreprise de ce type. L'avez-vous exigé et, sinon, pourquoi ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Concernant les mesures conservatoires, la sécurité et le suivi des eaux en bouteille relèvent de la direction générale de la santé (DGS). Des analyses de laboratoire ont été faites régulièrement, qui n'ont donné lieu à aucune alerte.

M. Hervé Gillé. - Il reste qu'il ne s'agissait plus d'eaux minérales.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Il y a deux choses : l'aspect sanitaire, sur lequel aucune alerte n'a été émise alors que des mesures régulières étaient effectuées ; et l'aspect de la loyauté. Sur ce dernier point, la police de la loyauté a mené l'enquête. Je ne peux pas dire le résultat de l'enquête avant qu'elle soit terminée. Je rappelle que l'enquête concernant Alma a démarré dix mois auparavant et que nous n'en avons toujours pas le résultat.

M. Hervé Gillé. - Un industriel, comme toute structure, doit mener une enquête interne dès qu'un problème est constaté. Cette enquête interne aurait dû vous être communiquée, logiquement, pour voir quand les faits ont été avérés et déterminer le niveau de responsabilité de chacun. Vous ne l'avez pas demandée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - C'est ma police qui mène l'enquête et qui demande communication des différentes pièces. Ce n'est pas la ministre qui est officier de police. Dès lors que j'ai demandé à la police de démarrer les investigations, je ne vois pas à quel titre je m'interposerai entre cette dernière et l'entreprise pour demander des pièces annexes. Je n'ai pas cette mission. Je n'ai d'ailleurs pas le droit de le faire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous déclenché une enquête administrative auprès de la DGCCRF ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La DGCCRF assure la police de la loyauté commerciale. C'est sa mission.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'est-ce que cela veut dire ? Soyons précis.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - C'est sa mission, au même titre que l'inspection générale des affaires sociales inspecte. Je ne suis pas intervenue dans l'enquête. Je n'interviens pas dans le travail de la DGCCRF, que j'ai saisie pour suivre ce dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez parlé des enquêtes dont vous étiez à l'origine. Pouvez-vous nous expliquer quelle enquête administrative vous avez déclenchée ? Avez-vous des éléments montrant que vous avez déclenché une enquête de la DGCCRF ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je redis ce que j'ai fait : le premier jour où Nestlé a franchi les portes de mon cabinet, la DGCCRF se trouvait dans la pièce. La DGCCRF assure la police et le contrôle de la loyauté commerciale. Toute une série d'échanges et de notes nous montre qu'elle a fait des recommandations et nous a proposé de faire ou de ne pas faire un certain nombre de contrôles, recommandations que nous avons systématiquement suivies. Elle a proposé de ne pas relancer d'investigations avant d'avoir le rapport de l'Igas, et j'ai suivi sa recommandation.

Que ce soit sur le volet commercial, où la DGCCRF a été saisie dès le premier jour, ou sur le volet santé, où nous avons fait le choix, avec le ministère de la santé, de confier une enquête à l'Igas, ce sont ces différents éléments d'investigation qui ont permis d'assembler des faits contradictoires rendant possibles des recours devant le procureur. Ce n'est pas autre chose.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends mieux. Du fait de l'existence de la mission Igas, vous avez suivi votre administration qui proposait d'arrêter les investigations le temps de celle-ci. C'est ce que vous venez de nous expliquer. Or l'Igas n'a pas conduit d'investigations chez Nestlé en Occitanie. Nous en revenons donc à ce que je soulignais au début, sur lequel vous ne vouliez pas vous prononcer. Le rapport de l'Igas a conduit en réalité à différer l'objectivation des faits au sein des deux usines du groupe Nestlé Waters. Vous sembliez remettre en cause ma parole quand je vous disais tout à l'heure qu'il avait fallu attendre huit mois, puis quatorze mois, pour que les autorités de contrôle de proximité, les ARS, soient informées. Il y a bien un problème dans l'effet qu'a eu votre décision.

Je ne remets pas en cause votre intention. Je constate que ce qui a été fait n'a pas eu l'effet utile recherché.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La difficulté est qu'il y a une asymétrie d'information entre vous et moi. Vous inférez, à partir d'éléments qui sont aujourd'hui à votre disposition, un certain séquencement, alors que ce sont des éléments auxquels je n'ai pas accès.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous les donne maintenant.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Pour avoir entendu la manière dont vous posez vos questions sur la partie que je connais, je vois bien que nous pourrions avoir une lecture différente de la situation.

Il y a une asymétrie d'information. Pour la qualité des débats, il me semble difficile de m'interroger sur des faits dont je n'ai pas eu connaissance.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons nous-mêmes des difficultés pour accéder aux informations de la DGCCRF. Elle ne peut nous les communiquer, nous dit-elle, car ces informations relèvent du judiciaire. Or, selon vos propos, il semblerait plutôt qu'il s'agisse de police administrative. En ce cas, nous devrions avoir accès aux éléments. L'enquête de la DGCCRF relève-t-elle de la police administrative ou de la police judiciaire ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La DGCCRF est officier de police et, à ce titre, mène l'enquête et fournit les pièces au procureur. Faute d'avoir les éléments en ma possession, je ne peux pas vous répondre. Il semblerait avéré que nous nous trouvions ici dans un registre judiciaire. Si la DGCCRF vous répond que son enquête relève du judiciaire, je n'ai aucune raison de penser le contraire. L'enquête concernant Alma était d'ailleurs bien une enquête judiciaire.

Mme Marie-Lise Housseau. - Pourriez-vous nous en dire plus sur les problèmes à régler évoqués par Nestlé la première fois que ses représentants sont venus dans votre cabinet, au-delà du fait que l'entreprise utilisait des procédés interdits, comme les traitements ultraviolets et les filtres à charbon ? Ont-ils explicité les raisons d'utilisation de ces procédés ?

Qu'attendaient-ils par ailleurs en venant vous voir, au plus haut niveau ? Attendaient-ils de vous une dérogation spécifique sur les filtres à 0,2 micron en présentant leur plan de transformation ? Nos auditions avec Nestlé ne nous ont apporté aucune réponse à ces questions.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je ne peux malheureusement que vous renvoyer au compte rendu de ce premier rendez-vous, puisque je n'y ai pas assisté.

J'ai eu quelques échanges avec mon directeur de cabinet. Dans mon souvenir, ils n'étaient pas entrés dans le détail. Ils évoquaient une « clarification de la réglementation ». Que met-on derrière ces mots ? Est-ce un premier pas pour obtenir une dérogation, ou la question était-elle posée ingénument parce que l'entreprise estimait que la réglementation, telle qu'elle la connaissait, la lisait ou nous la laissait entendre, était d'application différente selon les États membres de l'Union européenne ?

N'ayant plus eu d'interaction avec Nestlé ensuite, je suis en difficulté pour vous répondre.

Mme Marie-Lise Housseau. - Nous n'arrivons pas à élucider la chose suivante : depuis quand ces méthodes étaient-elles utilisées ? Depuis longtemps, ou était-ce sporadique ? On se demande si cela ne durait pas depuis que Nestlé Waters avait racheté le site.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Vous le voyez dans le compte rendu de la réunion : nous n'avons pas eu de réponse précise à cette question. Le premier rendez-vous ne s'est pas caractérisé par la précision de chaque agissement de Nestlé dans chacune de ses usines.

M. Laurent Burgoa, président. - Lors de l'audition de votre ancien directeur de cabinet, il a été indiqué que Nestlé avait reconnu avoir recours à des traitements assimilables à la désinfection - filtres à charbon et ultraviolets -, qui posaient des problèmes de conformité avec la directive européenne relative à l'exploitation et à la commercialisation des eaux minérales naturelles, laquelle autorise une liste limitative de traitements et interdit explicitement la désinfection de l'eau. Nestlé souhaitait également faire valider le recours à la microfiltration à 0,2 micron comme traitement de substitution et vous aurait demandé un agenda européen à ce sujet, arguant du fait que l'Espagne et l'Allemagne y avaient recours. Voilà ce dont votre directeur de cabinet nous a fait part lors de son audition. La question de Mme Housseau est donc très pertinente. Pourriez-vous réagir ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - C'est ce que je vous dis : Nestlé a présenté cela comme une clarification du droit européen, en laissant entendre que plusieurs lectures seraient possibles, ce qui a conduit à demander à la DGCCRF de clarifier ces propos.

Mme Antoinette Guhl. - Après avoir été informée de l'existence d'un problème chez Nestlé, vous avez élargi le périmètre de la mission de l'Igas à l'ensemble des minéraliers. N'était-ce pas un moyen de noyer le poisson ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Non. C'était un moyen d'avoir une vision claire de la situation des minéraliers, une première enquête ayant été menée chez Alma. Nous avons toujours cherché à aller au plus loin de ce que nous proposaient nos administrations en matière de sécurisation et de connaissance des sujets. Étendre l'enquête au-delà de Nestlé pour protéger les Françaises et les Français nous semblait plutôt une bonne décision.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il reste que cela a conduit à l'arrêt de l'enquête spécifique de la DGCCRF sur Nestlé.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je vous renvoie une nouvelle fois au message de la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes : le SNE était allé assez loin dans ses investigations et elle avait besoin des conclusions de la mission Igas pour poursuivre. Au stade où nous avons pris cette décision, nous avions lancé toutes les investigations, mobilisé des moyens et élargi le spectre. Si nous ne l'avions pas fait, on nous l'aurait reproché. Je me trouverais peut-être devant une commission qui me demanderait pourquoi nous n'aurions regardé que Nestlé.

Mme Antoinette Guhl. - Au moment où vous avez appris les faits, vous avez donc lancé une enquête sur tous les minéraliers pour voir s'il n'y avait pas de problème sanitaire. Vous avez demandé à l'Igas d'y travailler. Vous saviez par ailleurs qu'il y avait un problème d'étiquetage - donc de loyauté à l'égard du consommateur -, puisque Nestlé vous l'avait dit. Vous pensiez qu'il y avait peut-être un problème sanitaire. Pourtant, vous avez laissé commercialiser les eaux Nestlé.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je vais me répéter. Nous avons lancé les enquêtes pour faire émerger la vérité et pour savoir très exactement quelles difficultés se présentaient. Je veux bien condamner sans avoir des éléments factuels, mais cela ne me paraît pas très rigoureux comme approche. Le premier jour de contact entre mon cabinet et Nestlé, la DGCCRF, qui a la responsabilité de la police de la loyauté, a été informée et a fait ce qu'elle avait à faire, avec le soutien plein et entier de la ministre de l'industrie et de tous les ministres de Bercy. Moins de quinze jours après la note de position de la DGCCRF, la DGS s'est saisie de ce sujet, car elle a, dans ses attributions, la responsabilité de la qualité de l'eau en bouteille. C'est au titre de cette responsabilité qu'elle s'est saisie, non sur la question de l'étiquetage. Nous avions donc bien dans la pièce les deux administrations responsables de la loyauté à l'égard du consommateur et de la qualité de l'eau en bouteille. Je ne sais pas ce qu'il aurait fallu faire de mieux.

Mme Antoinette Guhl. - Nous avons une petite idée de la réponse, mais ce n'est pas à nous de vous répondre là-dessus...

Vous aviez bien un doute sur la qualité sanitaire des eaux, puisque vous avez lancé l'étude de l'Igas ! Pourquoi ne pas avoir pris des mesures préventives ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je n'ai pas de doute sur la qualité sanitaire de l'eau, pour une raison simple : l'eau en bouteille fait régulièrement l'objet de tests en laboratoire et la direction générale de la santé ne nous a indiqué aucune difficulté à cet égard, pour l'eau qui a été embouteillée.

Nous avons saisi l'Igas pour une raison simple : la DGS a, dans ses attributions, la responsabilité de la qualité de l'eau. Nous parlons ici des attributions de chaque administration et de son périmètre d'intervention. En moins d'un mois, toutes les administrations responsables, les inspections et les services de police compétents ont été informés et pouvaient mener pleinement leurs investigations. C'est cela qui s'est passé.

Sur la suite, je suis désolée, mais je suis désarmée pour vous répondre, car je n'ai pas, comme vous, eu accès aux pièces du dossier. Le fait que j'ai changé de délégation m'a rendue, par nature, aveugle sur toute la suite du dossier.

Mme Antoinette Guhl. - Il s'agissait non pas de condamner, mais d'agir de façon préventive.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Aucun test d'aucun laboratoire ne semblait matérialiser une difficulté dans la qualité de l'eau proposée aux consommateurs. À quel titre pouvais-je agir ?

Mme Antoinette Guhl. - Si vous avez lancé des centaines et des centaines de contrôles sanitaires, c'est bien parce que vous aviez un doute sur la qualité de l'eau, sinon vous ne l'auriez pas fait !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je pense que l'on confond la qualité des sources et la qualité de l'eau embouteillée. Cette dernière fait l'objet de tests réguliers, qui relèvent du périmètre de la DGS. La qualité des sources a pu donner lieu quant à elle à des interrogations manifestées par Nestlé, notamment concernant les méthodes de microfiltration ou d'utilisation de charbon actif. Ce sont deux sujets différents. De même, l'eau potable que vous buvez est traitée.

Mme Antoinette Guhl. - Je sais bien, mais ce n'est pas de l'eau minérale.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - D'où la nécessité de mettre au jour les problèmes de loyauté concernant l'eau.

Mme Antoinette Guhl. - Me confirmez-vous que la DGCCRF était bien sur la piste de Nestlé quand Nestlé est venu avouer ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nestlé n'a rien avoué, sinon cela nous aurait facilité la vie.

Je n'ai pas la réponse à cette question. Ce n'est pas ce qui ressort des notes que j'ai retrouvées ou de celles de mon directeur de cabinet. Nous savions en revanche que la DGCCRF était sur la piste d'Alma. Ce n'est pas le même groupe.

M. Jean-Pierre Corbisez. - Le plus grand des hasards a voulu qu'avant de mal tourner et d'entrer en politique je sois assermenté à la répression des fraudes, au sein de la brigade « fruits et légumes ». Il y avait d'un côté la répression des fraudes, assise sur des procédures judiciaires, de l'autre, le service des consommateurs. Les deux entités ont ensuite fusionné pour produire la DGCCRF. Déjà, à l'époque, les enquêtes de la répression des fraudes prenaient des mois. Or, à partir du moment où les deux services ont fusionné, les délais ont encore augmenté entre le rapport du contrôleur et sa transmission à la justice.

Si je comprends bien, vous avez cosigné une demande d'enquête auprès de l'Igas. Quand ses conclusions sont parues, vous n'étiez plus aux manettes du ministère de l'industrie. Quand nous avons reçu votre directeur de cabinet, M. François Rosenfeld, il a bien rappelé qu'il existait aussi un ministre de tutelle, M. Bruno Le Maire. Il a précisé également qu'à la première réunion rassemblant Nestlé et la DGCCRF, l'inspecteur qui était présent n'était pas un spécialiste de l'eau et qu'il avait dû produire une note interne pour demander qu'un deuxième inspecteur spécialiste revienne, vers la fin du mois d'août, pour produire une note. Il a ajouté enfin que votre cabinet avait envoyé cette note à votre ministre de tutelle. Que contenait-elle ? Quand a-t-elle été envoyée à Bercy ? Qui l'a réceptionnée au cabinet de M. Bruno Le Maire ? Quelle suite lui a-t-elle été donnée, puisque vous êtes partie ensuite ? Si je ne me trompe pas, votre successeur, M. Roland Lescure, n'est pas arrivé immédiatement.

M. Laurent Burgoa, président. - Il nous a confirmé qu'il n'y avait pas eu de passation, puisque vous étiez déjà à un autre poste au moment de sa nomination. Il y a eu une vacance de poste d'environ un mois et demi.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - J'ai effectivement quitté le ministère le 20 mai et Roland Lescure a été nommé le 4 juillet. J'ai un doute sur la période intermédiaire, mais je crois qu'il n'y a pas eu d'occupant du portefeuille durant celle-ci.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous étiez difficile à remplacer !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La note de la DGCCRF du 14 septembre était adressée au ministre. J'ignore qui l'a réceptionnée. Quand on m'écrit, on écrit à « la ministre ». Je voudrais retravailler sur ce sujet, car j'ai vu que cela faisait l'objet de questions. À l'époque, nous étions trois ministres à Bercy susceptibles de nous occuper de ce dossier : notre ministre de tutelle, le ministre des PME, Alain Griset, qui était aussi chargé de la consommation, et la ministre que j'étais, chargée de l'industrie. Notre cabinet a été saisi le premier, puis le cabinet chargé de suivre la consommation. Pour que la lettre de mission de l'Igas ait été signée par Bruno Le Maire, son cabinet a nécessairement été saisi également, mais je n'ai pas d'éléments précis dans ma mémoire concernant la date de cette saisine. Mais les cabinets fonctionnaient bien et l'information circulait bien entre eux.

La note du 14 septembre 2021 donne plusieurs indications.

Premièrement, l'enquête conduite chez Alma est probablement ce qui a motivé la demande d'entretien de Nestlé auprès du cabinet.

Deuxièmement, plusieurs groupes produisant des eaux naturelles achetaient des filtres sans qu'il soit démontré que ce soit pour produire des eaux naturelles.

Troisièmement, l'hypothèse selon laquelle les traitements seraient courants est possible, au vu des premiers résultats de l'enquête menée chez un concurrent, ce qui nécessiterait peut-être de réinterroger la pertinence de la réglementation de l'Union européenne sans que l'hypothèse inverse soit exclue : ce serait alors de la concurrence déloyale.

Même cette note des spécialistes chargés des sujets relatifs à la loyauté commerciale émettait donc des hypothèses. Nous n'étions pas face à un jugement évident et direct disant que Nestlé avait fait ceci et cela, et que cela appelait telle action. Nous étions encore au stade du diagnostic.

Quatrièmement, la situation exposée par Nestlé posait un problème en matière de loyauté de l'information délivrée aux consommateurs, en particulier sur les eaux naturelles vendues à un prix plus élevé.

Cinquièmement, il paraissait important d'approfondir cette question et de définir des suites appropriées, en concertation avec le ministère de la santé, chef de file sur le traitement des eaux.

Sixièmement, enfin : la DGS devrait expertiser la demande de Nestlé concernant la possibilité d'utiliser la microfiltration en lieu et place des filtres utilisés pour garantir la sécurité des eaux mises sur le marché.

Voilà les éléments contenus dans la note du 14 septembre, que nous avions commandée à la DGCCRF pour comprendre ce qu'il se passait, ou traduire la pensée de Nestlé.

M. Hervé Gillé. - Nous avons le sentiment que vous avez essayé de construire une jurisprudence qui ne respectait pas le paradigme initial du cadre réglementaire national. À l'époque, je le rappelle, une eau minérale ne devait pas être traitée ou, si elle l'était, l'Afssa limitait la microfiltration à 0,8 micron. Au niveau européen, les eaux minérales ne devaient pas être traitées.

Un discours tendait à dire qu'il existait des pratiques différenciées dans d'autres pays européens. Vous avez donc voulu construire une jurisprudence, en laissant la situation perdurer. Le cadre réglementaire initial n'a donc pas été posé au préalable comme une injonction à respecter, dans l'attente d'une clarification du règlement.

Comment comprenez-vous qu'à ce jour il n'y ait toujours pas de clarification du cadre réglementaire, sur le plan tant national qu'européen ?

Les différents gouvernements auxquels vous avez participé n'ont pas saisi l'Europe sur ce point.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je vous répondrai très clairement, dans le droit fil de ce que je vous ai dit. Sur la base des éléments dont je disposais, je ne cherchais pas à faire une jurisprudence quelconque. Je cherchais à faire la lumière sur la réalité de ce qui était fait dans les usines Nestlé et à donner les suites appropriées, en fonction de ce qui aurait été remonté par la DGCCRF, d'un côté, et l'Igas, de l'autre. Point barre ! Ni plus ni moins.

M. Hervé Gillé. - Nous l'avons bien compris, mais comment comprenez-vous qu'il n'y ait toujours pas de cadre réglementaire ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Comment voulez-vous que je vous réponde, dès lors que je n'ai pas accès, contrairement à vous, à l'ensemble des dossiers et que je suis aveugle depuis le 20 mai 2022, il y a presque trois ans maintenant ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous demandiez tout à l'heure ce qu'il aurait fallu faire de mieux.

À mon sens, la manière immédiate de traiter le sujet, c'était d'informer les ARS et de leur demander un contrôle. Les représentants de Nestlé ne sont pas venus voir votre cabinet pour dire qu'ils avaient fraudé, dites-vous. Mais ils ont dit qu'ils avaient un problème important et qu'ils allaient lancer un grand plan de transformation pour le régulariser. Vous l'avez dit comme moi, et c'est d'ailleurs retracé dans votre note, tout cela ne sentait pas très bon. Ce qu'il y avait d'immédiatement efficace, c'était les ARS, le contrôle sur place, la cessation de l'infraction, la mise en demeure. Cela n'empêchait pas d'ailleurs de lancer la mission de l'Igas sur l'ensemble du secteur. Mais cela permettait la cessation immédiate des infractions et évitait la mise en pause de l'enquête de la DGCCRF, que vous avez vous-même évoquée.

Vous pourrez me dire, peut-être à bon droit, que cette analyse rétrospective est assez facile à faire. Mais quel est votre regard là-dessus ?

Il a fallu attendre le mois de février 2025 pour que des actions soient menées sur ce sujet. À l'heure où je vous parle, le flou artistique perdure sur les traitements mis en oeuvre dans les usines du groupe Nestlé. La question de savoir si la microfiltration à 0,2 micron permet d'obtenir ou non de l'eau minérale est toujours débattue. Aucun autre État en Europe n'a ce type de réglementation. Nous en sommes toujours là, c'est un peu l'histoire sans fin ! Nous sommes désormais en avril 2025.

Quand vous regardez tout ce qu'il s'est passé, que vous dites-vous ? Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné au point que, pendant de nombreuses années, de l'eau minérale naturelle a été vendue sous cette appellation alors qu'elle n'en était plus et que le consommateur a payé 120 fois le prix de l'eau du robinet une eau qui était traitée comme l'eau du robinet - soit un montant total de 3 milliards d'euros, selon l'évaluation de la DGCCRF ? Quel est votre regard là-dessus ?

Que devons-nous changer et améliorer pour qu'un tel scandale ne se reproduise plus ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Premièrement, concernant les ARS, à aucun moment, dans la discussion dont j'étais partie prenante, ce sujet n'est remonté. Je n'ai pas eu de recommandation d'une quelconque administration à ce sujet. Les ARS ne relevant pas de mon administration, il ne m'appartenait pas de les saisir. J'ai saisi la DGCCRF, et mes équipes l'ont relancée à plusieurs reprises - c'est également dans le dossier - pour demander des compléments ou avoir des avis. Tout cela est parfaitement retracé.

Sur la loyauté, nous avons appuyé sur le bouton. Concernant la réglementation relative à la qualité des eaux minérales, nous avons aussi appuyé sur le bouton.

Deuxièmement, un débat s'est fait jour sur la question de savoir ce qu'était une eau minérale dans un contexte de dérèglement climatique : une eau minérale se qualifie-t-elle par sa richesse ou sa composition en minéraux, ou par l'absence de traitement ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les deux !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Vous mentionnez une note de l'Afssa. Ce n'est ni un règlement, ni une loi, ni un décret, ni un arrêté, ni même une circulaire. C'est une recommandation. La valeur juridique d'une telle note est limitée : c'est un cadre, une référence. Ce n'est pas une réglementation au sens propre du terme.

M. Hervé Gillé. - La réglementation disait qu'il ne fallait pas de traitement.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Concernant l'Union européenne, l'interprétation du texte fait débat. Il ne fallait aucun traitement, mais des dérogations étaient possibles. Or qui dit possibilité de dérogation dit possibilité de déroger. Il existe donc bien une zone grise.

Les deux lignes qui m'ont tenue sont les suivantes. D'abord, la loyauté à l'égard du consommateur. J'ai mis la police sur le coup. Ensuite, le sujet ayant, de près ou de loin, un contact avec la santé, j'ai mis la santé sur le coup. Comme c'était le deuxième minéralier qui présentait manifestement un problème, nous avons voulu éviter d'attendre que le troisième « tape au carreau » ; c'est pourquoi nous avons élargi le périmètre de l'enquête tout de suite.

J'invite enfin chacun à se méfier des illusions rétrospectives. Les enquêtes sur Leclerc ont pris vingt-quatre mois, pour un dossier qui n'était pas d'une complexité absolue. Aller enquêter sur pièces, sur un site industriel, pour matérialiser la nature des contrôles qui sont réalisés, sans qu'il y ait peut-être une volonté de transparence totale de la part de l'industriel, ce n'est pas d'une simplicité absolue.

Merci d'ailleurs au sénateur Jean-Pierre Corbisez d'avoir rappelé qu'une enquête de la DGCCRF prend du temps. J'ai été inspecteur des finances, les enquêtes prennent du temps, non parce que les gens ne font rien, mais parce qu'ils font leur travail de manière rigoureuse et que cela prend du temps, d'autant plus si les gens concernés n'ont pas envie de montrer ce qu'ils n'ont pas intérêt à montrer. Je le dis très simplement. Cela étant, peut-être que les choses auraient pu être plus rapides.

Je crois comprendre que les premiers signalements faits au procureur datent de 2022, non de 2025.

M. Laurent Burgoa, président. - Je tiens à vous remercier, madame la ministre, de cet échange franc et direct.

Audition de Mme Yasmine Motarjemi, ancienne directrice monde
de la sécurité alimentaire chez Nestlé
(Mercredi 2 avril 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Madame Yasmine Motarjemi, experte scientifique de la sécurité alimentaire et lanceuse d'alerte. Elle a été directrice de la sécurité alimentaire à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1990 à 1998, date à laquelle elle a rejoint l'entreprise Nestlé pour devenir vice-présidente adjointe en charge de la sécurité sanitaire des aliments. À la suite de différends avec son employeur, elle a été licenciée en 2011. Au terme d'un procès de treize ans, l'entreprise Nestlé a été condamnée par la Cour d'appel du canton de Vaud en janvier 2022.

Madame, je suis tenu de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Yasmine Motarjemi prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous invite également à indiquer vos éventuels liens ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Mme Yasmine Motarjemi, ancienne directrice monde de la sécurité alimentaire chez Nestlé. - Je n'ai pas de liens d'intérêts, sauf que je suis en conflit avec Nestlé.

M. Laurent Burgoa, président. - Cette audition a pour objectif de faire la lumière sur le mode de fonctionnement de l'entreprise Nestlé face aux enjeux de sécurité alimentaire.

Madame, vous connaissez bien la question de la sécurité alimentaire ainsi que le groupe Nestlé. Votre témoignage et vos analyses nous intéressent donc à double titre. Par ailleurs, votre entretien sur France Inter, à l'occasion de la sortie de votre livre Ce que l'empire Nestlé vous cache, et au moment même où nous annoncions la convocation du secrétaire général de la présidence de la République, le 27 mars dernier, a frappé les esprits.

Comment était assurée la sécurité alimentaire chez Nestlé et qu'est-ce qui, en la matière, posait problème ? Comment le management y était-il associé ? Les rares réponses de Nestlé, devant notre commission d'enquête, en particulier sur les conditions de découverte et la finalité des traitements interdits vous paraissent-elles crédibles ?

Avant de céder la parole à notre rapporteur, je vous propose, madame, de commencer cette audition par une présentation liminaire.

Mme Yasmine Motarjemi. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de contribuer à cette enquête. Je ne dispose pas d'informations précises sur la fraude dont Nestlé Waters est soupçonnée, mais j'espère pouvoir expliquer le contexte de cette affaire, qui me semble important pour déterminer les responsabilités et prévenir la répétition de telles situations à l'avenir, au sein du groupe Nestlé ou ailleurs.

Je travaillais à l'Organisation mondiale de la santé lorsqu'on m'a proposé le poste de directrice mondiale de la sécurité des aliments au siège international de Nestlé, à Vevey, en Suisse. Pour être parfaitement précise, j'ai rejoint le groupe en l'an 2000.

Malgré mes demandes répétées pendant les dix années que j'ai passées chez Nestlé, je n'ai jamais reçu de description de poste ni de définition précise de mes responsabilités. J'ai dû définir mon propre plan de travail, qui consistait à renforcer la gestion de la sécurité des aliments, à élaborer un plan d'action pour les dangers émergents ou négligés, à aider dans la gestion des crises et à suivre les évolutions scientifiques et réglementaires pour mettre à jour notre politique interne.

Cette absence de définition de mes responsabilités et de leurs limites m'a causé de nombreux problèmes. Lors du procès que j'ai intenté contre Nestlé en Suisse, le directeur des ressources humaines du groupe de l'époque, Monsieur Jean-Marc Duvoisin, a confirmé cette absence de définition des responsabilités des cadres supérieurs chez Nestlé. À l'entendre, ces derniers décident eux-mêmes de leur travail.

Or ce n'est pas un détail sans importance. Il permet aux managers de transférer plus facilement un problème d'une personne à une autre, ou d'empêcher le responsable concerné d'intervenir. Il peut aussi avoir pour effet de ralentir le suivi des dossiers, la prise de décision et les rappels de produits. Enfin, en cas d'enquête, les vrais responsables peuvent être épargnés et un bouc émissaire plus facilement sanctionné. J'ai connu toutes ces situations.

Peu après mon arrivée chez Nestlé, la direction a entrepris de restructurer les activités pour transformer le paquebot que nous étions en une « flottille de petits bateaux », plus souple et plus rapide, selon les mots de Monsieur Brabeck, le PDG de l'époque. Sont alors nées Nestlé Petfood, Nestlé Nutrition, Nestlé Waters et Nestlé Professional, des entreprises qui géraient leurs opérations de manière indépendante et sur lesquelles je n'avais aucun contrôle. Ces différentes entreprises étaient toutefois reliées par une structure centrale, située à Vevey, qui définissait les lignes directrices, veillait au respect des lois et règlements internes et intervenait en cas d'incident ou de crise susceptible d'affecter la sécurité des produits, d'entraîner des coûts supérieurs à 100 000 francs suisses ou d'avoir un impact sur la réputation de l'entreprise.

Notre département avait au moins un dossier par semaine à gérer. En revanche, durant mes années chez Nestlé, on ne m'a jamais signalé de problème avec nos sources d'eau ni demandé l'autorisation d'appliquer des traitements illégaux. Cela ne veut pas dire pour autant que ces pratiques n'ont pas eu lieu : en effet, comme je préconisais la transparence avec les autorités, beaucoup d'informations m'ont été cachées.

Si ces traitements ont eu lieu, c'est sans doute qu'ils étaient nécessaires pour assurer la sécurité sanitaire des eaux et leur surveillance. Pour autant, figuraient-ils dans notre système d'analyse et de gestion des risques - Hazard Analysis Critical Control Point ou HACCP dans notre jargon ? Si tel n'est pas le cas, on peut considérer qu'il s'agit d'un manquement à la réglementation sur la sécurité des aliments. Une telle mention aurait permis aux inspecteurs ou aux auditeurs, internes comme externes, d'être informés de ces traitements et de s'assurer de leur bon usage.

Nous pouvons ensuite nous demander pourquoi personne chez Nestlé n'a dénoncé ces pratiques. Certains employés ont-ils protesté ? Leurs voix ont-elles été étouffées ? Cette fraude semble mettre en évidence le dysfonctionnement du système d'alerte chez Nestlé, d'autant qu'elle ne constitue pas un incident isolé. Nous pouvons citer, avant cela, l'affaire Codilait au Cameroun, où Nestlé avait trompé les consommateurs et fraudé les services douaniers, ainsi que la toxi-infection alimentaire provoquée par les pizzas Buitoni, des signaux d'alarme auxquels vous n'aviez prêté que peu d'attention en France.

Il me semble que tous ces incidents trouvent leur racine dans la culture organisationnelle de Nestlé, une culture que je qualifierais de « pathogène ». Comme je l'ai prouvé dans le cadre de mon procès en Suisse, il s'agit d'une culture où l'on promeut ceux qui font passer le profit avant la santé des consommateurs et le respect de la loi, où l'on achète le silence des employés par l'argent ou la peur, où l'on n'hésite pas à harceler, voire à licencier un employé pour une simple question posée ou une divergence d'opinions, où l'on punit ceux qui sont intègres tandis que l'on accorde l'impunité à ceux qui ont le goût du risque, où l'on préfère nier ses erreurs plutôt que de les reconnaître et d'en tirer les leçons, où l'on joue sur plusieurs tableaux, où l'on dit une chose pendant qu'on en fait une autre.

En 2014, Paul Bulcke, l'actuel président du groupe, qui était alors directeur général de Nestlé, déclarait au Forum des Nations unies sur les entreprises et les droits humains que la confiance et la transparence étaient les pierres angulaires des affaires. Pourtant, dans les nombreux cas que je dénonce dans le livre que je viens de publier, Ce que l'Empire Nestlé vous cache, la direction de Nestlé viole non seulement la loi, mais aussi son propre règlement intérieur et son code de conduite professionnel. Par son comportement et le modèle qu'elle représente, la direction crée un climat et une culture où il est permis d'enfreindre la loi au nom du profit.

Plus directement, cette fraude résulte d'une chaîne de défaillances internes, comme dans l'affaire Buitoni. Mais d'autres défaillances sont également à chercher du côté des autorités publiques. Durant mes dix ans chez Nestlé, les autorités réglementaires n'ont jamais cherché à savoir comment la sécurité alimentaire était gérée ni à nous interroger sur les incidents que nous connaissions. Et lorsque j'ai voulu témoigner de mon expérience professionnelle auprès des différentes autorités françaises, elles n'ont pas souhaité enquêter sur cette culture organisationnelle du groupe Nestlé et les potentielles violations des directives européennes qu'elle pouvait engendrer. C'est pourquoi j'ai choisi de m'adresser au public en publiant un livre.

Pour conclure, je veux dire que c'est à contrecoeur que je m'exprime en ces termes sévères envers mon ancien employeur, car la plupart des employés de Nestlé font de leur mieux pour assurer la sécurité des aliments.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie de ces propos introductifs. Si nous avons pris l'initiative de vous entendre, c'est d'abord parce qu'il nous a été très difficile d'obtenir des réponses de la part des représentants de Nestlé, qui se sont murés dans une forme de silence. Nous nous sommes dit que vous pourriez nous aider à mieux comprendre la culture de cette entreprise.

C'est aussi parce que vous avez dénoncé plusieurs scandales sanitaires : en 2002, des biscuits pour bébés qui provoquaient des étouffements ; en 2005, la contamination d'un lait infantile par l'encre de son emballage en Chine et en Europe ; en 2009, une épidémie de diarrhée aux États-Unis causée par l'ingestion d'une pâte à cookies contaminée ; enfin, en mars 2022, la contamination des pizzas Buitoni, à l'origine d'une cinquantaine d'hospitalisations en France.

Nous avons été surpris, lors de l'audition de Madame Lienau, d'apprendre que, dans l'affaire du traitement des eaux en bouteille, aucune enquête interne n'avait été diligentée, aucune sanction interne prise, aucune responsabilité établie.

Que pensez-vous de ce mode de fonctionnement ? Avez-vous déjà vu, chez Nestlé, après des scandales ou des crises, des enquêtes internes, des licenciements ?

Mme Yasmine Motarjemi. - C'est en effet conforme à la culture de Nestlé. Quand il y a un problème, on ne fait pas d'enquête. Dans l'affaire des biscuits pour bébés, le responsable n'a pas été sanctionné, il a même été promu au poste de directeur mondial de la qualité et a continué à commettre de graves erreurs qui ont provoqué d'autres incidents.

J'ai demandé un audit de sécurité de mon propre service qui m'a été refusé par la direction. Je leur ai dit que je souhaitais être licenciée s'il n'était pas réalisé. Plus tard, lorsque j'ai signalé les représailles qui étaient prises en interne contre moi, une enquête fictive a été menée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Qu'entendez-vous exactement par « enquête fictive » ?

Mme Yasmine Motarjemi. - Le tribunal suisse a estimé qu'il s'agissait d'un simulacre d'enquête, constitutif, en tant que tel, d'un acte de harcèlement. Mon témoignage n'avait même pas été recueilli, aucune enquête n'avait été réalisée.

Dans l'affaire de l'intoxication des animaux de compagnie, on a licencié le responsable de la sécurité des aliments avant même d'avoir enquêté sur l'origine de la contamination.

Dans l'affaire de la contamination du lait par l'isopropylthioxanthone (ITX), les responsables de la gestion de crise ont été épargnées, mais mon chef, qui avait à juste titre retiré les produits du marché, a été démis de ses fonctions.

Dans un autre cas, qui concernait la violation de normes réglementaires en Chine, la personne qui avait autorisé la mise sur le marché des produits a été épargnée. C'est elle qui m'a ensuite harcelée en tant que supérieur hiérarchique.

Il y a un vrai dysfonctionnement dans la gestion de ces incidents. On ne remonte jamais à la source. J'ai parfois eu l'impression qu'on ne disait pas la vérité à la direction.

Il aurait donc été préférable, selon moi, d'établir une stricte séparation entre, d'une part, la gestion de la sécurité alimentaire et, d'autre part, les enquêtes relatives aux incidents, le traitement des alertes ou encore les audits. Mais lorsque j'ai émis une telle proposition, on s'est moqué de moi...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez déclaré qu'au début des années 2000, Nestlé avait décidé de lier les bonus des managers au retrait des produits. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Mme Yasmine Motarjemi. - Cette politique a été instaurée en décembre 2005. C'est en rassemblant des documents dans le cadre de mon procès que j'ai appris son existence : à l'époque où je travaillais chez Nestlé, je l'ignorais. Cela m'a d'ailleurs permis de comprendre pourquoi j'avais été harcelée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En quoi consistait cette politique ?

Mme Yasmine Motarjemi. - Pour le comprendre, il faut revenir un peu en arrière.

La contamination de lait infantile produit par Nestlé à l'isopropylthioxanthone (ITX), une substance issue de l'encre de l'emballage des produits, a donné lieu à deux crises. Lors de la seconde, après que les autorités italiennes ont demandé le retrait de l'ensemble de ces produits sur son sol, mon directeur a décidé d'étendre la mesure à l'ensemble du marché européen. Cela a entraîné une grande crise médiatique, ce que Monsieur Brabeck n'a pas du tout apprécié. À la suite de cet incident, en décembre 2005, celui-ci a donc décidé de lier le bonus au retrait des produits : les directeurs techniques ayant retiré leurs produits de la vente auraient droit à un moindre bonus. Or les bonus jouent un rôle très important chez Nestlé.

L'une de mes expériences dans cette entreprise le montre bien : lorsque je travaillais sur la crise de la vache folle, au lieu d'avancer dans l'atteinte de mes objectifs annuels, sur lesquels je touchais des bonus, mes collègues m'avaient fait part de leur étonnement. Je leur avais répondu qu'il m'importait davantage de participer à la gestion des crises que de toucher mon bonus : ils m'avaient conseillé d'éviter de tenir de tels propos au sein de l'entreprise.

Imaginons qu'un allergène ne figure pas sur l'emballage d'un produit : cela peut mettre en danger certains consommateurs, sans toutefois donner lieu à une intoxication alimentaire généralisée. Dans ce cas, le directeur technique évitera de retirer le produit de la vente.

Dans mon livre, je décris un exemple similaire. Un directeur adjoint de Nestlé Australie avait laissé un produit sur le marché quand bien même un allergène n'apparaissait pas sur l'étiquette. J'ai conseillé à l'entreprise de transmettre le cas aux autorités : cela n'a pas plu à ma direction. Quand c'est possible, on met le problème sous le tapis pour éviter tout retrait. Les employés qui appellent à prévenir les autorités sont donc mal perçus, car celles-ci risquent d'exiger une telle mesure.

Étant donné que Nestlé n'a jamais été interpellé pour s'expliquer sur la sécurité des aliments et qu'aucune enquête n'a été menée par les autorités, je ne présente ici que ma propre interprétation des faits. Dans certains cas, les directeurs techniques évitent de chercher à identifier des contaminants dans un produit, car si le test se révèle positif, il pourra donner lieu à un retrait et le bonus ne sera pas perçu. C'est le cas de la contamination à la mélamine : cette substance avait été identifiée aux États-Unis dans des produits destinés aux animaux de compagnie en 2007. Cet incident aurait dû conduire Nestlé à enquêter sur la présence de ce contaminant dans d'autres produits, notamment ceux qui sont fabriqués en Chine, où il était souvent ajouté au lait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La commission d'enquête a entendu un certain nombre de personnes ayant travaillé chez Nestlé : Monsieur Luc Desbruns, directeur de l'usine Nestlé des Vosges depuis 2023, Monsieur Philippe Fehrenbach, directeur de l'usine Nestlé dans le Gard de février 2021 à janvier 2025, ainsi que Madame Muriel Liénau, présidente de Nestlé France de mars 2023 à janvier 2025, responsable de la zone EMENA (Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord) de Nestlé Waters entre janvier 2020 et avril 2023.

Tous ont indiqué avoir pris connaissance de l'existence de traitements interdits - filtres à charbon et UV - des eaux minérales naturelles lors de leur prise de fonction et aucun ne s'est posé la question de savoir pourquoi et depuis quand ces pratiques avaient été mises en place.

Ce comportement surprend la commission d'enquête. Est-il courant chez les responsables de Nestlé ? Pensez-vous qu'il est crédible que ces responsables n'en aient pas été informés ?

Mme Yasmine Motarjemi. - Personnellement, j'ai du mal à le croire.

Pour gérer un problème, on doit en connaître l'historique ; or on ne peut pas simplement mettre des filtres sans savoir pourquoi. Est-ce qu'il y a contamination des sources ? Les installations sont-elles vétustes ? En réalité, je dis cela pour défendre l'entreprise !

La direction de Nestlé a tenu des propos invraisemblables à l'occasion du procès qui m'a opposé au groupe. Il n'est pas impossible qu'ils n'aient pas dit toute la vérité à l'occasion de cette commission d'enquête.

Dans le cas de mon procès, lorsque mon avocat a demandé au PDG de l'entreprise, Monsieur Paul Bulcke, pourquoi le groupe m'avait laissée occuper mon poste pendant dix ans si mon travail ne lui donnait pas satisfaction, il a répondu que, chez Nestlé, on accumulait les problèmes avant de les traiter. Pour un groupe qui prétend faire de la sécurité alimentaire sa priorité, ces propos sont lourds de sens...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 27 mars, lors d'une interview sur France Inter, vous avez directement mis en cause Mark Schneider et Paul Bulcke dans le scandale des eaux minérales naturelles. Pouvez-vous expliciter votre propos ?

Par ailleurs, avec du recul, au vu de l'ampleur qu'ont prise ces révélations, que pensez-vous de la façon dont l'affaire des eaux minérales naturelles a été gérée par Nestlé ?

Mme Yasmine Motarjemi. - Je n'ai pas de preuves pour mettre en cause Messieurs Schneider et Bulcke, mais j'ai des raisons de croire qu'ils étaient au courant. En effet, tout le groupe Nestlé s'organise de manière concentrique autour du siège. Au sein de la gouvernance d'entreprise, les directeurs chargés de la conformité s'assurent que le fonctionnement respecte le règlement interne et les lois nationales. Or Monsieur Brabeck et ses successeurs tenaient à ce que le siège soit informé du moindre problème.

C'est une entreprise qui est allée jusqu'à m'espionner : j'ai donc du mal à croire que de tels problèmes n'aient pas été évoqués auprès du siège, que ce soit par le directeur des opérations, le directeur technique ou encore les auditeurs qui visitent les usines. Et tout ce qui est rapporté au siège revient aux oreilles du PDG ! Celui-ci valide généralement toute décision prise par un directeur. J'ai donc de bonnes raisons de croire que Messieurs Schneider et Bulcke avaient connaissance des faits.

Durant cette interview, mon propos consistait surtout à dire que toute enquête doit remonter jusqu'à la direction de l'entreprise. Au vu de l'envergure de l'affaire, je ne peux pas croire que les auditeurs aient contrôlé des usines pendant des années sans s'en apercevoir. Ils auraient dû vérifier les plans de gestion du risque, et les traitements auraient dû y figurer.

Une fois encore, si je tiens de tels propos, c'est dans l'intérêt de l'entreprise ! S'ils ne savaient pas, c'est encore pire : dans ce cas, quelle autre violation pourrait avoir lieu sans que l'ensemble de ces acteurs chargés du contrôle s'en rendent compte ?

M. Laurent Burgoa, président. - Ces propos sont graves, et vous vous exprimez au sein d'une commission d'enquête. Êtes-vous entièrement sûre que des faits illégaux se soient produits, ou s'agit-il d'une simple suspicion ?

Mme Yasmine Motarjemi. - Je ne peux pas être entièrement sûre que Messieurs Schneider et Bulcke étaient au courant. Cependant, ils doivent aussi être interrogés. La directive européenne sur la culture de la sécurité alimentaire souligne la nécessité de faire circuler l'information. Nestlé dispose aussi un système d'alerte : si la direction n'était pas au courant, cela veut dire que ce système n'a pas fonctionné.

M. Hervé Gillé. - Ce sujet soulève des questions relatives à la responsabilité morale et juridique de l'entreprise, mais aussi au respect du droit du travail. En effet, tout salarié exposé à une situation préoccupante doit bénéficier d'un droit d'alerte au sein même de l'entreprise. En outre, lorsqu'un incident ou un accident survient, l'entreprise met en oeuvre tous les moyens lui permettant de mener des investigations, ce qui passe généralement par une enquête interne, dont les conclusions doivent être partagées afin d'identifier les différents niveaux de responsabilité. Je reste donc toujours dans l'attente d'une clarification de la position de Nestlé sur ces sujets.

Étant donné que l'entreprise n'a pas mené de telles investigations, elle apparaît en défaut sur le plan juridique.

Disposez-vous d'éléments complémentaires en la matière ?

Mme Yasmine Motarjemi. - En Suisse, le droit du travail n'interdit pas les représailles contre les employés lanceurs d'alerte. Il n'existe pas de véritable sanction pour le harcèlement ou le licenciement abusif d'un employé lanceur d'alerte, ce qui est fortement dissuasif.

De ce fait, le système d'alerte ne fonctionne pas en Suisse. Or c'est là que se trouve le siège de l'entreprise, où sont prises les décisions concernant les accidents survenant dans tous les pays du monde !

D'après moi, il n'y a pas eu d'investigation sur la sécurité alimentaire. Quant à l'enquête pour harcèlement, elle était bidon !

Je n'accuse pas la direction de Nestlé en Suisse d'avoir eu connaissance de l'intégralité des faits, mais je remets en cause sa gestion de la sécurité alimentaire. La culture de l'entreprise rend Nestlé responsable de cette fraude. Qui plus est, la manière dont j'ai été traitée a dissuadé tous les employés de lancer la moindre alerte à l'avenir.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je vous vois très émue de témoigner devant nous.

Le système de bonus que vous avez évoqué me stupéfait. Une entreprise comme Nestlé, qui met en avant la qualité de ses produits et la sécurité alimentaire, devrait faire preuve d'une démarche qualité très forte, garantissant que tout incident fasse l'objet d'une remontée et d'un correctif. Or ce que vous nous décrivez, c'est tout l'opposé ! Les directeurs préfèrent mettre les problèmes sous le tapis pour que le produit continue à être commercialisé et que leur bonus ne soit pas remis en cause.

La politique relative aux bonus était-elle précisée par écrit dans un document ?

Mme Yasmine Motarjemi. - Avant toute chose, il ne faut pas faire de ces failles une généralité. On peut comparer le système de gestion de la sécurité alimentaire de Nestlé à un gruyère : il y a des lacunes. Dans certains cas, des enquêtes sont menées. Les problèmes ne sont pas systématiquement ignorés.

La politique relative à l'attribution des bonus est précisée dans un document du conseil d'administration qui a été transmis au tribunal. D'ailleurs, lors du procès, Nestlé n'a pas nié l'existence d'une telle règle, mais en a seulement présenté une autre interprétation.

Mme Marie-Lise Housseau. - Avez-vous toujours ce document en votre possession ? Pouvez-vous nous le transmettre ?

Mme Yasmine Motarjemi. - Oui, je possède ce document. Je l'avais d'ailleurs joint à une lettre envoyée à Marisol Touraine en 2016, lorsqu'elle était ministre de la santé. Je l'avais également adressé à la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDASPE). J'ai évoqué cette politique dès que j'en ai eu l'occasion.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous sommes très intéressés par ce document.

Avez-vous d'autres informations à porter à notre connaissance ?

Mme Yasmine Motarjemi. - Très souvent, la question du harcèlement et des représailles contre les employés est reliée au droit du travail. La sécurité alimentaire, quant à elle, relèverait du domaine de la santé. Mais dès lors que des employés sont harcelés, la sécurité des produits est menacée : soit les salariés ne peuvent pas effectuer correctement leur travail, soit ils craindront de rapporter les dysfonctionnements observés au sein de leur entreprise. Il serait donc préférable de mieux associer les questions relatives au harcèlement au travail et à la sécurité alimentaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame, je vous remercie pour vos propos.

Communication du rapporteur sur les documents reçus
de la présidence de la République
(Mardi 8 avril 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, je vais à présent pour la parfaite information de nos concitoyens rappeler la situation dans laquelle nous nous trouvons.

À la lecture des documents transmis par le secrétaire général de la Présidence, Alexis Kohler, il est apparu que :

- la présidence de la République, au travers de la personne du secrétaire général, avait été approchée à plusieurs reprises par le groupe Nestlé ;

- le secrétaire général avait rencontré les dirigeants du groupe ou été en contact téléphonique avec eux sur la question des eaux en bouteille jusqu'à une date très récente, c'est-à-dire même pendant les travaux de notre commission d'enquête ;

- le secrétaire général de l'Élysée avait suivi au moins une partie du dossier et ménagé des facilités de contact à Nestlé au sein de l'administration de l'État.

Nous avons donc souhaité que M. Kohler s'explique sur ces documents devant notre commission. M. Kohler vient de nous indiquer qu'il refusait de déposer.

Nous nous sommes interrogés avec le rapporteur sur la pertinence d'une saisine de la Justice. Notre souci depuis le début de cette affaire et de nos travaux est d'établir une véritable transparence sur un dossier qui n'a cessé de faire l'objet de dissimulations au public, à certaines administrations, voire à la représentation nationale.

Dans ce cadre, il nous a semblé que la meilleure réponse à apporter face à la dérobade du secrétaire général de l'Élysée était de rendre publics les documents sur lesquels il refuse de s'expliquer. Notre commission d'enquête vient de décider à l'unanimité de suivre cette proposition.

Notre rapporteur va donc vous donner communication des documents les plus significatifs. Ces documents seront ensuite insérés en annexe dans le rapport et mis à disposition des internautes sur la page Internet de la commission.

Nous aurons fait oeuvre de vérité et de transparence jusqu'au bout.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie, monsieur le président. Notre commission d'enquête a un mandat : faire la vérité sur le scandale des pratiques des industriels des eaux en bouteille, et en particulier analyser la réponse des pouvoirs publics face aux agissements de la société Nestlé Waters.

Nous avons demandé cette commission d'enquête avec mes collègues du Groupe Socialiste, car nous défendons une idée simple : les Français ont le droit de savoir ce qu'ils boivent.

Nous constatons aujourd'hui qu'Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence de la République, n'est pas venu à la convocation que nous lui avons fait parvenir. L'Élysée a décidé de jouer la chaise vide. Cette décision est lourde. Elle instille le poison du doute et constitue un affront à la représentation nationale, et surtout un refus d'aller au bout de la vérité devant les Français.

Cette décision est pour nous incompréhensible.

Tout d'abord, M. Kohler nous oppose la séparation des pouvoirs pour ne pas venir répondre à nos questions. Or, s'il y avait une difficulté de cette nature, l'Élysée ne nous aurait pas transmis les documents, les mails, les notes et les échanges de collaborateurs de la présidence de la République sur cette affaire.

De plus, Victor Blonde, conseiller partagé entre Matignon et l'Élysée où il était chargé de ce dossier, est venu répondre à nos questions sans invoquer à aucun moment le principe de la séparation des pouvoirs.

Je le dis donc solennellement : il n'y a pas de dispense pour Alexis Kohler. L'Élysée n'est pas une cité interdite.

Monsieur le président, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, nous allons faire toute la transparence sur ce que nous savons de la présence de l'Élysée dans cette affaire.

Nous avons donc pris une décision inédite. Je vais vous présenter le contenu des documents les plus significatifs qui sont issus de la présidence de la République, mais surtout, tous les documents en notre possession seront publiés dans leur intégralité en ligne et annexés à notre rapport, et nous venons, comme le président l'a dit, d'en délibérer avec les membres de notre commission.

Je précise que nous avons reçu un total de 74 pages de documents, ce qui démontre d'ailleurs la densité des échanges entre Nestlé et l'Élysée. Je vais vous présenter les principaux points qui nous avaient conduits à demander l'audition d'Alexis Kohler.

Le 11 juillet 2022, le secrétaire général de l'Élysée, accompagné de Victor Blonde, conseiller Matignon-Élysée, rencontre Marc Schneider, directeur général de Nestlé dans le cadre du sommet Choose France. Selon Victor Blonde, deux sujets de préoccupation sont abordés : les suites de l'affaire Buitoni et le dossier Nestlé Waters. Je cite : « Remise d'un rapport IGAS cette semaine après enquête DGCCRF mettant en évidence un usage trop important de filtration pour corriger la qualité des eaux Vittel, Contrex et Hépar, avec de potentiels impacts sur les sites concernés et un enjeu de com pour bien gérer la séquence ».

Tout y est ou presque : l'Élysée sait qu'il y a un problème de qualité des eaux et Nestlé a mis les pouvoirs publics sous pression à propos des risques pour les sites.

Le 26 septembre 2022, l'Élysée reçoit des cabinets Industrie et Santé une note conjointe destinée à préparer une rencontre entre Nestlé Waters et la présidence de la République. Cette note propose notamment :

- d'autoriser Nestlé Waters, au-delà de toute réglementation, à utiliser une filtration à 0,2 micron ;

- d'autoriser la production d'Hépar « à titre transitoire » sur « tous les forages », alors que certains de ces forages ont des « vulnérabilités », euphémisme pour parler de contaminations régulières.

En février 2023, l'Élysée reçoit le projet de « bleu » interministériel, autorisant Nestlé Waters, par une interprétation très contestable des textes, à pratiquer la microfiltration à 0,2 micron, puis le « bleu », tel que validé par Matignon.

Le 23 janvier 2024, M. Kohler est sollicité par le lobbyiste de Nestlé Waters, Nicolas Bouvier, pour un échange « dès que possible dans la journée », avec Mark Schneider, directeur général de Nestlé. Manifestement, il y a urgence. Nous apprenons, par un courrier de Victoire Vandeville du 23 janvier 2024, que le directeur général de Nestlé s'inquiète de l'enquête en cours menée par Le Monde et Radio France qui va sortir une semaine plus tard.

Je note le 1er février 2024 un courriel de Victor Blonde, toujours conseiller à l'Élysée et à Matignon, indiquant à la Présidence, au cabinet Industrie et au cabinet Santé : « Même si la pression [de l'enquête de presse] diminue, voilà une version reformatée des éléments de langage sur l'affaire Nestlé Waters. »

Ces éléments de langage visent à dédouaner l'exécutif et accumulent les imprécisions. Par exemple, ils affirment que la justice est saisie, alors que ce n'est le cas qu'à Épinal, mais pas sur les affaires Alma dans l'Allier, ni dans l'affaire Perrier dans le Gard. Autre exemple, d'élément de langage : « Il n'existe pas de risque sanitaire lié à la qualité des eaux embouteillées. De fait, la mise en place de ces traitements renforce plutôt la sécurité sanitaire. » Cette présentation est parfaitement spécieuse, car si des traitements sont interdits, c'est précisément parce qu'il y a des risques sanitaires.

Le 10 octobre 2024, alors que la proposition de commission d'enquête au Sénat existe déjà, le secrétaire général de l'Élysée reçoit le nouveau directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, accompagné de Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters. Dans la note qui lui est fournie par ses services à cette occasion, nous lisons : « Pendant de nombreuses années, des eaux vendues comme “de source” ou “minérales” ont subi des techniques de purification interdites pour traiter des contaminations d'origine bactérienne ou chimique. En juillet dernier, la Commission [européenne] a publié un rapport d'audit ciblant l'incapacité des autorités françaises à enrayer les fraudes de l'entreprise. »

Le 14 octobre 2024, Nicolas Bouvier, lobbyiste de Nestlé Waters, relance le secrétariat de M. Kohler, celui-ci ayant indiqué à Laurent Freixe, directeur général de Nestlé, lors de leur entretien du 10 octobre, qu'il fournirait les bons contacts à solliciter au sein des ministères. Le jour même, Alexis Kohler recommande de contacter Matignon et les directeurs de cabinet des ministres de la Santé et de l'Industrie, alors respectivement Geneviève Darrieussecq et Marc Ferracci.

Le 17 décembre 2024, notre commission est lancée depuis presque un mois. Nicolas Bouvier, lobbyiste de Nestlé Waters, sollicite à nouveau Alexis Kohler pour un entretien avec Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters, « le plus rapidement possible ». Une mention manuscrite nous indique que le secrétaire général de l'Élysée l'a rappelé le lendemain, le 18 décembre 2024.

Ce jour-là, le 18 décembre 2024, le secrétaire général de l'Élysée reçoit de Benoît Faraco, conseiller énergie, environnement, transport et agriculture à la présidence de la République, un courriel vraisemblablement destiné à cadrer la situation pour l'entretien qui se prépare. Dans ce courriel figure notamment un chapitre intitulé « Problème de Perrier » : « Les nappes dont dépendent les sources sont de plus en plus régulièrement polluées, notamment de sources bactériologiques et en partie de matières fécales. Cela disqualifie donc régulièrement les eaux qui doivent être traitées pour être rendues propres à la consommation, ce qui constitue une grosse perte de valeur pour les entreprises (...). Le cadre réglementaire a évolué un peu, mais reste complexe et l'administration a été plutôt allante, mais in fine cela créera des problèmes entre les marques. (Ceux qui ont une eau pure n'ont pas intérêt à ce que leurs concurrents puissent utiliser des techniques de purification) ».

Le 18 décembre 2024, Mathias Ginet, conseiller agriculture à la présidence, indique : « Je pense qu'elle [Muriel Lienau] veut parler du sujet Perrier à la suite de la fuite du rapport de l'ARS avant-hier [Il s'agit du rapport d'inspection du site de Vergèze, inspection intervenue à l'été 2024]. Le sujet est le maintien de l'appellation « eau minérale naturelle » (...). Par dérogation, en 2023, le site avait été autorisé à utiliser des techniques de microfiltration. L'ARS considère que ce n'est pas aligné avec l'appellation et que cela ne règle que partiellement le sujet de la qualité sanitaire de l'eau (forte présence de virus de manière régulière qui ne sont pas éliminés par la filtration). »

Toujours ce 18 décembre 2024, Claire Vernet-Garnier, conseillère industrie, innovation et numérique à l'Élysée, transmet un courriel à Alexis Kohler qui évoque plusieurs sujets : « Pendant plusieurs années, sur de nombreux sites, NW a usé de traitements de désinfection de ses eaux minérales pour éviter toute contamination bactérienne ou virale, tout en continuant à vendre les bouteilles sous l'appellation eau de source ou eau minérale naturelle. Sur les forages de Vergèze dans le Gard (marque Perrier), des contaminations bactériennes et/ou virologiques épisodiques se produisent. Par conséquent, Nestlé doit recourir à des filtrations, ce qui a un rôle de désinfection en contradiction avec la directive UE de 2009, et ces filtres étant inopérants sur les virus, n'a pas de solution évidente aux contaminations virologiques épisodiques. Un rapport de l'Igas de l'été dernier estime que l'entreprise doit donc envisager un arrêt de la production d'eau minérale naturelle sur le site de Vergèze. »

Il me semble, à la lecture de ces documents, que les choses sont assez claires : la présidence de la République était loin d'être une forteresse inexpugnable à l'égard du lobbying de Nestlé. Au contraire, les contacts sont fréquents et l'Élysée ouvre les portes de certains ministères au groupe suisse.

Par ailleurs, la présidence de la République savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis plusieurs années.

Elle avait également conscience que cela créerait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers.

Enfin, elle avait connaissance des contaminations bactériologiques, voire virologiques, sur certains forages.

Voici à présent les questions que j'aurais souhaité que nous puissions poser à M. Kohler s'il avait saisi l'occasion de faire la lumière sur la part d'ombre de ce dossier.

Pourquoi ne pas avoir donné des instructions simples de respect de la loi au ministère, lesquelles auraient évité les palinodies de la concertation interministérielle de février 2023 ? Celle-ci a tout de même abouti à ce que le gouvernement autorise à un industriel hors des clous, Nestlé, une microfiltration qui, de surcroît, ne règle pas vraiment le problème des contaminations.

Pourquoi personne au sein de l'exécutif, et surtout de la Présidence, ne prend-il ce dossier à bras-le-corps pour en dégager le véritable enjeu : protéger nos ressources en eau minérale naturelle ainsi que les droits du consommateur et aboutir à une réglementation européenne davantage harmonisée ?

Enfin, pourquoi avoir donné tant de place à Nestlé dans les discussions, alors que les autres groupes minéraliers, comme Danone ou Alma, pourtant français, ne font l'objet d'aucune sollicitude particulière, et ne sont même pas consultés lorsqu'il s'agit de modifier la réglementation ? Pourquoi cette position de Nestlé, alors que l'Élysée sait que ce groupe triche depuis des années ?

Tout au long de cette commission d'enquête, la société Nestlé Waters n'a eu de cesse de remettre en cause notre légitimité. Il ne s'est pas passé un mois sans que nous ne recevions un courrier qui questionnait jusqu'à notre existence.

Aujourd'hui, c'est le secrétaire général de l'Élysée qui a refusé de déposer devant nous.

Il faut, je le crois, d'urgence, conforter les pouvoirs des commissions d'enquête parlementaires. L'Assemblée nationale et le président de la commission des finances, Éric Coquerel, ont choisi de porter devant la justice cette question. Je considère cela comme légitime.

Nous voulons, quant à nous, aller plus loin et apporter notre pierre à l'édifice en portant le sujet devant le Parlement. Nous proposerons, dans le cadre de ce rapport de notre commission d'enquête, une modernisation de l'ordonnance du 17 novembre 1958 pour que les pouvoirs du Parlement soient respectés. Le fait de rendre des comptes est au fondement de notre légitimité démocratique depuis au moins la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Nous allons remettre le Parlement au milieu du village.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons choisi de ne pas suivre l'approche de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. L'expérience montre que le dépôt de plainte peut aboutir à un classement sans suite après six mois. Il est préférable, pour le Sénat et nos concitoyens, de faire la transparence sur les éléments dont nous disposons plutôt que de créer une agitation médiatique éphémère. Notre rôle de contrôle parlementaire est mieux servi par la divulgation des faits que par une action en justice dont l'issue pourrait rester confidentielle.

M. Olivier Jacquin. - J'approuve votre proposition concernant la réaction à adopter face au secrétaire général de l'Élysée. Pourriez-vous rappeler à la commission les risques encourus en cas de non-comparution devant une commission d'enquête ?

M. Laurent Burgoa, président. - Selon le Code pénal, la non-comparution devant une commission d'enquête est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Bien entendu, l'application de ces sanctions dépend de l'interprétation du juge.

Mme Antoinette Guhl. - Depuis le début de cette commission d'enquête, et même avant, lors de la mission d'information, nous nous sommes concentrés sur deux aspects essentiels.

Premièrement, l'existence ou non d'un risque sanitaire. Or celui-ci existe bel et bien. Un risque virologique a été identifié, notamment durant les périodes où les traitements interdits ont été suspendus et où seule la microfiltration était en place. Cela implique une mise en danger potentielle de la santé humaine, ce qui aggrave considérablement la nature de cette fraude, la faisant passer d'une simple tromperie sur l'étiquetage à une menace sérieuse pour la santé publique.

Deuxièmement, ces éléments corroborent les affirmations antérieures de Marie Dupin concernant l'information des plus hautes instances.

Ces révélations permettent de conclure cette commission d'enquête avec tous les éléments nécessaires. Il est désormais évident que les décisions ont été prises au plus haut niveau de l'État, impliquant ministres et directeurs de cabinet. Cette clarification explique les difficultés rencontrées pour obtenir des réponses. Nous sommes maintenant face à la confirmation de ce que nous soupçonnions.

M. Laurent Burgoa, président. - Je souhaite apporter une nuance concernant le risque sanitaire. Il est important de préciser qu'à ce jour, aucune contamination avérée de nos concitoyens n'a été constatée.

Mme Antoinette Guhl. - Permettez-moi d'apporter une précision à votre remarque. Effectivement, aucune contamination n'a été formellement identifiée comme résultant directement de la consommation des eaux incriminées. Cependant, il est tout à fait possible que la propagation de certaines maladies ait été liée à la présence de ces virus sans que le lien avec l'eau consommée ait été établi. Ainsi, s'il est indéniable qu'un risque a été pris, nous ne pouvons affirmer avec certitude s'il est avéré ou non.

M. Hervé Gillé. - Un aspect particulièrement troublant dans cette affaire réside dans le refus, par une seule et même personne, de participer aux auditions d'une commission d'enquête face aux deux chambres du Parlement. Cette situation est pour le moins inhabituelle. Il serait intéressant d'examiner les précédents historiques.

La situation est d'autant plus préoccupante que la personne en question est secrétaire général de l'Élysée. Sa fonction même aurait dû l'inciter à faire preuve de transparence, ce qu'elle a refusé.

À mon sens, ces deux points constituent des facteurs aggravants.

Mme Florence Lassarade. - Les débats auxquels j'ai pu assister se sont révélés passionnants. Nous avons acquis de nombreuses informations, et je pense que ce n'est que le début en matière de connaissance sur la qualité de l'eau. Nous avons abordé la question des eaux en bouteille, mais il sera également crucial d'examiner la qualité de l'eau du robinet. Il faut savoir que les eaux recyclées peuvent contenir des résidus de médicaments, d'hormones, d'antibiotiques, de traitements anticancéreux et de particules plastiques, parfois liés aux filtres en nylon utilisés.

Ce sujet ouvre donc un champ d'investigation très intéressant et, si l'occasion se présente, je ne manquerai pas de participer activement à ces enquêtes.

M. Jean-Pierre Grand. - Depuis 1958, l'Élysée a toujours fait preuve de retenue dans la mise en avant des secrétaires généraux. Leur rôle n'est pas d'être sous les projecteurs, mais d'assurer une fonction de conseil et d'administration auprès du président de la République.

En convoquant le secrétaire général ici, nous encourons le risque que ce sujet se retrouve à la une de tous les journaux télévisés, déplaçant ainsi le centre de gravité de notre commission d'enquête.

Bien que je comprenne l'importance de son témoignage, il faut aussi considérer la position de l'exécutif, surtout dans le contexte actuel où le secrétaire général de l'Élysée est perçu par toutes les chancelleries du monde comme le numéro deux de la République, même si ce n'est pas constitutionnellement le cas.

Je pense qu'il faut bien mesurer les implications pour notre commission et pour nous-mêmes. Sur le principe, vous avez raison, mais la réalité du moment est différente. Ici, au Sénat, nous savons faire preuve d'élégance tout en maintenant une certaine fermeté, comme l'a démontré le président. Mais à l'Assemblée nationale, la situation a changé. L'institution est devenue, à mon grand regret, un lieu qui ne permet plus des débats sereins ni l'exercice serein de toutes les ambitions possibles.

Je peux comprendre la position de l'exécutif. Si j'étais conseiller du Président de la République et collaborateur du secrétaire général, je lui aurais probablement déconseillé de venir dans le contexte actuel.

Mme Marie-Lise Housseau. - Je trouve satisfaisant que ces documents nous aient été transmis, car ils éclairent la gestion de cette affaire. Cela explique également le manque de communication entre les ministères, les préfets et les ARS. Nous comprenons mieux pourquoi la circulation de l'information n'a pas été aussi fluide qu'elle aurait dû l'être dans un tel cas.

Je me demande cependant depuis combien de temps ces pratiques étaient en vigueur. Les responsables de Nestlé se sont murés dans un silence obstiné. Laurent Freixe n'est arrivé à la direction générale qu'en 2024. Je suis persuadée qu'il affirmera ne pas avoir été au courant lors de son audition. En définitive, nous risquons de ne jamais obtenir de réponse à cette question cruciale : quelle a été l'ampleur réelle de cette fraude et quels risques ont été pris par les consommateurs ?

Mme Audrey Linkenheld. - Je tiens à réagir en tant que sénatrice du Nord, mais aussi ancienne membre de l'Assemblée nationale. Le rapport de force politique au sein d'une institution ne saurait, à mon sens, justifier la présence ou l'absence d'une personne convoquée devant une commission d'enquête.

Nos institutions sont régies par des règles et des règlements auxquels chaque citoyen doit se soumettre, indépendamment de la configuration politique de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Si les règles prévoient l'audition d'une personne, il est de son devoir de se présenter.

C'est pourquoi nous avons eu raison de demander au secrétaire général de l'Élysée de s'expliquer sur certains documents. Bien que nous ayons rendu ces documents publics et que notre rapporteur nous en ait fait lecture, rien ne remplace une explication directe de la part du responsable concerné. Il est essentiel d'entendre ceux qui ont exercé des responsabilités spécifiques. Nous avons d'ailleurs constaté que même certains responsables en fonction tentent d'échapper à leur devoir de répondre aux questions.

Audition de M. Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé
(Mercredi 9 avril 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Monsieur Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé, que je remercie de sa présence malgré un agenda chargé.

Monsieur le directeur général, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui prévoient notamment cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Freixe prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je rappelle que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille, à la suite des révélations par la presse des pratiques illégales de certaines entreprises du secteur, notamment le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et des eaux de source.

Notre commission d'enquête vise à faire toute la lumière sur ces faits, dans le respect des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Dans ce cadre, l'objet de cette audition est de clarifier les relations entre le groupe Nestlé et les institutions ainsi que les services de l'État.

Monsieur Freixe, vous êtes directeur général du groupe Nestlé depuis le 1er septembre 2024, date à laquelle vous avez succédé à Mark Schneider. Vous avez accompli l'ensemble de votre carrière au sein de Nestlé et vous êtes membre de son comité exécutif depuis seize ans.

Monsieur Freixe, ne jouons pas au chat et à la souris. Notre commission d'enquête s'efforce, depuis décembre 2024, de faire la lumière sur le scandale qui a touché le secteur des eaux minérales en France. Il s'agit d'informer et de rassurer les consommateurs, en rompant avec l'esprit de dissimulation qui a prévalu jusqu'alors. Il s'agit aussi, en définitive, de conforter un secteur industriel sérieusement mis à mal par les traitements interdits révélés par la presse l'an passé.

À cette fin, nous avons sollicité tous les groupes du secteur, qui ont tous joué le jeu, à l'exception de Nestlé, dont les dirigeants n'ont cessé de se dérober à nos questions, jusqu'à remettre en cause la légitimité de notre commission.

Nous n'ignorons pas l'existence de procédures judiciaires en France, en Belgique et en Suisse.

Notre objectif est non pas d'incriminer Nestlé, mais de faire la lumière sur une affaire qui entache tout le secteur et qui, à terme, ne peut que porter préjudice au groupe Nestlé. À cet égard, la stratégie adoptée par les dirigeants de Nestlé Waters, consistant à refuser de répondre à nos sollicitations, apparaît comme la pire des réponses possibles. Elle n'empêchera nullement les procédures judiciaires d'avancer, mais elle prive Nestlé de la possibilité de purger cette affaire et, surtout, elle donne à voir, tant à la représentation nationale qu'à nos concitoyens, l'image d'un groupe qui aurait beaucoup à cacher.

Nous espérons donc que vous saisirez pleinement l'occasion que représente cette audition pour fournir aux consommateurs, à nos concitoyens, à vos concitoyens, les informations qu'ils sont en droit d'attendre.

Je vais vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une quinzaine de minutes. Monsieur le rapporteur prendra ensuite le relais pour vous poser les questions qu'il souhaite, à la suite de quoi nos collègues, que je remercie de leur présence nombreuse et assidue, interviendront également. Je précise qu'il s'agit de la dernière audition de notre commission d'enquête avant celle de l'ancien ministre Aurélien Rousseau, qui se tiendra dans quelques jours.

J'espère - et je pense que votre fonction vous y engage - que nous obtiendrons enfin les éclaircissements que nos concitoyens attendent de votre groupe.

M. Laurent Freixe, directeur général du groupe Nestlé. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous.

Depuis septembre dernier, j'exerce les fonctions de directeur général du groupe Nestlé, groupe suisse aux activités multiples en France. J'y ai exercé différentes responsabilités depuis près de quarante ans, dont la plus récente fut la direction de la zone Amérique latine. Je suis, comme vous l'avez rappelé, membre du comité exécutif du groupe depuis 2008.

Je suis français et j'ai toujours nourri un profond respect pour les institutions de notre pays, la France, qui m'a permis de bénéficier d'un système éducatif performant et de construire une longue carrière professionnelle dans ce grand groupe international. Mes dix-sept premières années professionnelles se sont déroulées en France. Je suis honoré de diriger aujourd'hui ce groupe et je remercie les équipes de Nestlé de leur soutien.

Ce respect que je porte aux institutions françaises s'applique naturellement à votre commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités, ainsi que dans la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires. Ces sujets constituent un enjeu sectoriel qui dépasse le seul cas de Nestlé Waters.

Bien que votre invitation n'ait pas tout à fait respecté les formes prévues par le droit international, j'ai pris la décision de venir m'exprimer devant vous, désireux de clarifier ce qui peut l'être. Je ne suis pas un technicien et je n'ai suivi ce dossier que récemment, mais je suis ici pour assumer toutes les responsabilités qui sont les miennes.

Notre volonté de coopération s'est manifestée concrètement : vous avez été accueillis sur notre site du Gard en février dernier et les dirigeants, collaborateurs et conseils de Nestlé Waters sont venus témoigner devant vous à huit reprises au cours des dernières semaines. Nestlé Waters vous a communiqué un grand nombre d'éléments, allant des données techniques des choix opérés aux modalités des interactions avec les autorités françaises, en passant par les détails des plans de protection de la ressource en eau mis en place autour des sites. Cela témoigne de notre volonté de clarifier les aspects techniques du dossier et de coopérer avec vous.

Cela dit, j'ai bien compris que certaines de nos réponses sur le passé ne vous ont pas pleinement satisfaits. Vous m'accorderez toutefois le crédit de reconnaître que les représentants de Nestlé Waters, ainsi que leurs conseils, ont alerté dès le début de vos travaux sur l'enjeu que représente l'existence d'une information judiciaire ouverte devant le tribunal de Paris.

Ce débat juridique ne m'appartient pas, mais je tiens à souligner que je respecte cette approche, notamment pour tout ce qui pourrait être couvert par l'instruction en cours. Si je respecte profondément le Sénat et la représentation nationale, je respecte tout autant la séparation des pouvoirs et l'importance de l'institution judiciaire.

Cela étant, je suis déterminé à répondre à vos questions et je souhaite également vous exposer quelques éléments clés : d'abord sur Nestlé Waters, ensuite sur son projet de transformation, enfin sur les enjeux de gouvernance à l'échelle du groupe Nestlé et les décisions que j'ai prises à cet égard.

Nestlé est la société d'alimentation et de boisson la plus importante et la plus diversifiée au monde. Chaque jour, nos 277 000 collaborateurs s'efforcent, avec responsabilité et professionnalisme, de proposer à nos consommateurs des produits sûrs et de qualité, issus de nos 337 sites de production et commercialisés dans 185 pays. Cette mission constitue une responsabilité immense pour chacun d'entre nous : garantir la sécurité alimentaire de nos produits exige une vigilance constante.

Nous produisons et commercialisons sept grandes catégories de produits, par ordre d'importance : le café ; les aliments pour animaux de compagnie ; la nutrition infantile et clinique ; les plats préparés et ingrédients culinaires ; les produits laitiers et glaces ; le chocolat et la confiserie ; enfin, les eaux embouteillées, qui représentent environ 4 % de notre chiffre d'affaires.

Cette dernière activité est, par nature, très différente de toutes les autres : elle implique un ancrage territorial fort dans les Vosges et le Gard, un impératif de préservation de la ressource naturelle, l'absence de transformation et une logistique particulière. Ces spécificités expliquent pourquoi l'activité de minéralier a toujours été opérée de manière autonome au sein du groupe.

Par sa proximité géographique et culturelle avec la Suisse, la France a toujours représenté un marché important pour Nestlé. Son poids relatif s'est malheureusement réduit ces dernières années, mais cette tendance n'est pas irréversible. Nous souhaitons au contraire y renforcer notre présence, qui se caractérise déjà par quatorze usines ainsi que quatre centres de recherche et développement qui rayonnent dans le monde entier. Nous y comptons 10 000 emplois directs, qui sont autant de collaborateurs passionnés et engagés, dont 2 000 dans notre activité eaux.

Nestlé a été récemment très caricaturé en France et je mesure l'émotion que cela a suscitée parmi nos collaborateurs. Nous sommes une entreprise humaine et donc imparfaite par définition. Admettre que la situation n'est pas ce qu'elle doit être est la première condition pour s'améliorer. Nous avons montré notre détermination à affronter les défis qui se posent à nous.

Nous souhaitons contribuer, en tant qu'acteur responsable, à la résolution des grands enjeux de notre époque : la malnutrition, la sécurisation des chaînes d'approvisionnement, le changement climatique, l'agriculture régénératrice et la mobilisation des générations futures.

S'agissant de Nestlé Waters, j'ai été informé de la situation relative aux eaux minérales naturelles en France lors de ma prise de fonctions, en septembre dernier. Auparavant, en tant que membre du comité exécutif chargé de la zone Amérique latine, j'ai appris qu'un plan de transformation était en cours, sous la supervision de mon prédécesseur. Ce sujet ayant fait couler beaucoup d'encre, je souhaite partager avec vous mes réflexions a posteriori.

Premier point : la sécurité alimentaire de nos eaux n'a jamais été remise en cause. Tous les témoignages internes et externes en attestent. De même, la minéralité unique de nos eaux a toujours été préservée. Ces deux éléments sont essentiels pour nos consommateurs.

Oui, des traitements non conformes ont été appliqués. Cela n'était pas admissible et n'aurait jamais dû se produire. La décision, prise en 2021, d'y mettre fin, d'informer les autorités de manière volontaire et transparente et de présenter un plan de sortie constitue un choix juste, conforme aux valeurs de notre groupe.

Le plan de transformation mis en oeuvre sous le contrôle des autorités françaises a été significatif, tant sur le plan industriel qu'environnemental. Ceux qui l'ont piloté l'ont fait avec détermination et courage, dans un contexte parfois hostile, et je les en remercie. Cette transformation était la priorité, et ils y ont consacré toute leur énergie.

Lorsque j'affirme que ce plan a été réalisé sous le contrôle des autorités, je pèse mes mots : depuis 2021, rien n'a été entrepris sans leur consentement ou en dehors de leurs directives. Tous les acteurs auditionnés l'ont confirmé, qu'il s'agisse des ministres, préfets, directeurs de cabinet, conseillers ou représentants des agences régionales de santé (ARS). Nous avons répondu à l'ensemble de leurs questions, transmis une grande quantité de données, sans jamais exercer de pression ou solliciter un traitement de faveur.

Depuis août 2023, plus aucun traitement non conforme aux réglementations existantes ne subsiste dans nos sites des Vosges et du Gard. Tous les dispositifs en place sont sous le contrôle des autorités.

Le cadre final, issu de l'arbitrage interministériel de février 2023 et des arrêtés préfectoraux qui en découlent, reste toutefois en suspens. Nestlé Waters a investi plus de 50 millions d'euros dans ce plan de transformation sur la base des directives reçues. Les experts et autorités effectuent leur travail de manière approfondie et documentée et ils doivent être salués.

Cette activité est fragile, car elle est exposée aux enjeux environnementaux et climatiques, mais elle est essentielle. Nous avons la responsabilité collective de préserver les eaux minérales naturelles pour les générations futures. Le secteur tout entier doit y faire face avec responsabilité et détermination. Nestlé Waters a investi dans la préservation des ressources, notamment au travers du programme Agrivair dans les Vosges ou des dispositifs analogues dans le Gard.

Malheureusement, nous venons de prendre connaissance de l'avis défavorable rendu par les hydrogéologues sur la poursuite de l'exploitation des puits du site de Vergèze pour la production d'eau minérale naturelle. Nestlé Waters est en désaccord avec certaines de leurs conclusions, mais il s'agit d'un débat technique dans lequel je n'entrerai pas. Les équipes concernées se tiennent à la disposition de l'ARS d'Occitanie et du préfet du Gard quant aux suites qu'ils entendent donner à cet avis. Je mesure l'inquiétude des équipes concernées. Nous sommes tous déçus, mais pleinement déterminés à trouver des solutions permettant de préserver à la fois ce patrimoine unique et l'activité économique et sociale qui en dépend.

S'agissant enfin de la gouvernance du groupe Nestlé, je souhaite être très clair : la situation passée n'est absolument pas en adéquation avec nos valeurs. Il fallait en sortir et je salue les décisions prises à cet égard par la direction de Nestlé Waters et mon prédécesseur, de même que les regrets qui ont été publiquement exprimés.

Au nom du groupe Nestlé, je réitère ici nos regrets les plus sincères pour cette situation, qui n'était pas en phase avec les valeurs de notre groupe. Nous sommes résolus à rétablir une relation de confiance avec nos consommateurs, nos clients, les autorités de tutelle, les communautés d'implantation, notamment celles des Vosges et du Gard, et bien sûr, l'ensemble de nos collaborateurs.

Nestlé Waters a pris les mesures qui s'imposaient pour mettre un terme à ces pratiques. La justice s'est en partie prononcée et continuera de le faire. Nous poursuivrons notre coopération avec la justice pour clarifier ce qui doit l'être.

Enfin, je souhaite vous présenter trois décisions prises pour améliorer notre gouvernance.

Premièrement, le groupe a décidé de lancer une revue interne en France sur les pratiques passées. Les équipes de Nestlé Waters y contribueront. À mes yeux, elle fournira des enseignements essentiels, dont je tirerai toutes les conséquences.

Deuxièmement, notre code de conduite professionnelle a été renforcé, assorti d'un engagement fort de tous les dirigeants du groupe. Je me suis personnellement engagé à ce que cette nouvelle version soit rapidement déployée.

Troisièmement, nous avons renforcé notre dispositif d'alerte interne et externe, Speak Up. Toute personne identifiant un problème de conformité, de qualité ou autre peut le faire remonter instantanément et anonymement pour ceux qui le souhaitent.

Notre groupe est un acteur industriel responsable, animé de valeurs fortes. Nous ne sommes pas infaillibles et cet épisode en témoigne, mais nous sommes totalement déterminés à travailler conformément à nos valeurs et à la réglementation. Depuis quatre ans, tous nos efforts ont été dirigés vers cet objectif.

Je crois au futur de notre activité de minéralier et je réaffirme ici notre engagement en France. C'est pourquoi j'ai décidé, il y a quelques mois, de faire de Nestlé Waters une entité autonome, dont le siège international est en France.

Je me tiens désormais à votre disposition pour répondre à vos questions, dans les limites des réserves exprimées.

M. Laurent Burgoa, président. - Au regard des auditions précédentes, je tiens à saluer le courage et la transparence dont vous avez fait preuve en annonçant les conclusions du rapport d'hydrogéologie, que nous avons apprises très récemment. Ce n'était pas facile à faire, et c'est tout à votre honneur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, le changement d'attitude est manifeste. Il est marqué, d'abord, par l'absence d'avocat à vos côtés aujourd'hui, mais aussi par les différentes annonces que vous venez de formuler, ainsi que par le regard, quelque peu critique, que vous portez sur la manière dont cette affaire a été gérée par le passé. C'est totalement nouveau, disons-le clairement, et je ne peux que le saluer également.

Vous êtes directeur général du groupe Nestlé depuis le 1er septembre 2024. Votre audition n'était pas initialement prévue dans le cadre de cette commission d'enquête, mais nous avons pris la décision de vous entendre, avec la célérité que la situation exigeait, en raison d'un certain nombre de rendez-vous manqués...

M. Laurent Burgoa, président. - Nous voulions donner une dernière chance à Nestlé. Je pense que vous venez de la saisir et j'espère que vous continuerez dans cette voie. Je crois que nous ne nous sommes pas trompés en décidant, avec Monsieur le rapporteur, de vous entendre aujourd'hui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur Freixe, vous avez indiqué avoir accompli l'ensemble de votre carrière chez Nestlé, être membre de son comité exécutif depuis seize ans. Vous connaissez donc parfaitement l'organisation et la culture de ce groupe.

Je vous propose que nous abordions à présent les questions qui, à ce stade, demeurent en suspens. J'ai bien entendu ce que vous avez dit sur le cadre judiciaire, mais je vais m'efforcer de trouver une voie de passage afin que nous puissions, malgré tout, mener nos travaux à leur terme de la manière la plus efficace possible.

Je souhaite, dans un premier temps, revenir sur les traitements interdits mis en oeuvre dans les usines de Nestlé Waters. Il me semble important de rappeler que notre objectif est non pas d'incriminer un groupe industriel, mais d'avoir des réponses à plusieurs questions : quelle était l'utilité des traitements interdits ? Comment ont-ils pu perdurer ? Ces fraudes ont-elles été ponctuelles ou, au contraire, structurelles ? Le cas échéant, cela soulève également des interrogations sur les responsabilités de l'État et sur la manière dont la gestion des ressources naturelles a été encadrée et celles-ci protégées.

Par ailleurs, ce que vous avez indiqué à propos du rapport d'hydrogéologie mérite d'être explicité pour que chacun puisse bien comprendre les éléments en jeu. Ce rapport, mandaté par les services de l'État, conclurait, si j'ai bien compris, à l'absence de pureté originelle de la ressource sur le site de Vergèze, dans le Gard.

Or ce critère de pureté originelle est essentiel dans la définition réglementaire de l'eau minérale naturelle. Aussi, nous vous interrogerons sur les conséquences éventuelles de ce rapport.

Pour éviter l'écueil de l'audition de Madame Muriel Lienau, je vous poserai une question simple : depuis quand ces traitements illégaux, à savoir ceux qui utilisent les ultraviolets, le charbon actif et la microfiltration, ont-ils été appliqués par Nestlé Waters en France ?

Je suppose que cette information, de toute manière, sera partagée avec la justice, si elle vous interroge à ce sujet, d'autant plus que vous avez fait la démarche proactive de vous adresser aux autorités administratives et judiciaires.

M. Laurent Freixe. - Vous êtes constant dans votre interrogation, mais je n'ai pas la réponse. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai décidé de diligenter une revue interne, qui apportera toute la clarté sur les événements passés.

Il faut comprendre que, depuis 2021, toute l'organisation a concentré ses efforts sur le présent et la préparation de l'avenir, et donc moins sur l'analyse du passé. Cela dit, le moment est venu d'y remédier, et cela s'inscrit aussi dans le cadre de l'instruction judiciaire en cours. Il est désormais impératif d'éclairer ce passé.

Aussi, je n'ai pas la réponse à votre question, mais nous menons une enquête interne et nous en partagerons naturellement les conclusions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous engagez-vous à partager ces conclusions avec notre commission d'enquête ou avec la justice ?

M. Laurent Freixe. - Dans le respect de la séparation des pouvoirs et de l'enquête judiciaire en cours, nous partagerons ces informations avec les autorités judiciaires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vos collaborateurs du site des Vosges ont indiqué que certains traitements remontaient à 1992, d'autres à 2000. Pouvez-vous confirmer ces dates ou non ?

M. Laurent Freixe. - Je n'ai pas plus d'éléments que ce que vous évoquez.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous disposez donc de ces éléments ?

M. Laurent Freixe. - Non, je n'ai pas consulté ces éléments.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si vous n'êtes pas en mesure de nous dire depuis quand ces traitements étaient en place, j'entends néanmoins, et je le salue à titre personnel, que vous avez engagé une revue interne sur ce point.

Pouvez-vous à tout le moins nous expliquer pourquoi ces traitements ont été mis en place ? Si on lance un plan de transformation, c'est que l'on a, au préalable, une idée claire des objectifs de tels dispositifs.

M. Laurent Freixe. - Les objectifs de ces traitements sont relativement évidents : il s'agissait d'assurer la sécurité et la qualité sanitaires des produits. Cette exigence a toujours été respectée, ce que d'ailleurs tout le monde, en interne comme en externe, a reconnu.

À partir du moment où la non-conformité de ces traitements a été clairement établie, l'attitude immédiate de Nestlé Waters a été de chercher une solution systémique, en lien avec les autorités. Un plan d'action a été défini pour revenir à une situation conforme. C'est, selon moi, la bonne attitude, celle qui correspond à l'esprit de notre groupe.

Vous devez comprendre que toute notre énergie, et je pèse mes mots, a été consacrée à la mise en conformité. Cela a demandé beaucoup d'investissements. Le temps est venu, désormais, de faire la lumière sur le passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est beaucoup d'investissements, en effet, mais cette activité représente une source de revenus importante pour Nestlé.

Si vous nous dites que ces traitements visaient la sécurité sanitaire, cela implique, en creux, que la pureté originelle des eaux n'était pas assurée, alors même que vous contestez les résultats du rapport des hydrogéologues. Si un plan de transformation a été nécessaire, c'est bien parce que la qualité originelle des eaux était en cause. Confirmez-vous cette lecture ?

M. Laurent Freixe. - C'est une question qui appelle une réponse technique, et je ne suis pas technicien. Je crois que les techniciens de Nestlé se sont déjà exprimés de manière détaillée sur ce sujet. Je n'ai aucun éclairage complémentaire à vous apporter à cet égard.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Justement, le site de Mediapart a rendu publique ce matin une note confidentielle intitulée Confidentiel Note One, rédigée par un hydrogéologue de Nestlé et son équipe, qui résume les résultats d'autosurveillance de la qualité de l'eau issue des captages de Nestlé Waters dans les Vosges entre le 13 juin et le 30 juin 2022.

Cette note a été transmise à la hiérarchie, notamment à Mesdames Lienau et Dubois qui figurent parmi les destinataires. Elle confirme ce que nous avons appris par l'ARS Grand Est, et non par Nestlé, ce que nous regrettons, à savoir la contamination de plusieurs forages par des bactéries coliformes d'origine fécale, et ce, bien au-delà des seuils réglementaires.

Cette contamination a touché principalement les forages Essar et HP Nord, commercialisés sous la marque Hépar, ainsi que les forages Thierry Lorraine, Belle Lorraine et Contrex. Le forage Essar, qui représente la moitié de la production d'Hépar, était contaminé à hauteur de 85 %, selon les termes mêmes de la note.

Ces analyses ont été transmises à l'ARS Grand Est en novembre 2022, qui a, en conséquence, décidé de suspendre certains forages Thierry Lorraine et Belle Lorraine les 22 novembre et 28 novembre 2022. L'un des quatre forages Essar a, lui aussi, été suspendu en mai 2023 à la demande du ministère de l'industrie, et non sur l'initiative de Nestlé ou de Matignon.

Ainsi, alors qu'une note interne constatait cette situation dès juin 2022, les autorités sanitaires n'en ont été informées qu'en novembre. Pourquoi avoir attendu cinq mois pour transmettre une information aussi cruciale en matière de qualité et de sécurité sanitaire des eaux ? Disposez-vous d'éléments pour nous en donner l'explication ?

M. Laurent Freixe. - Non, je n'ai pas d'éléments ou d'éclairages à apporter sur ce point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous l'attitude adoptée jusqu'à présent par les représentants de Nestlé ?

Vous opérez aujourd'hui un changement de ton salutaire, mais jusqu'à présent, la ligne défendue devant nous consistait à ne pas reconnaître ces éléments. Madame Dubois, par exemple, nous a affirmé n'avoir été au courant de rien. Or nous découvrons qu'elle figurait parmi les destinataires de cette note dès 2022.

Pourquoi les auditions précédentes ont-elles été l'inverse de l'exercice démocratique auquel vous vous livrez aujourd'hui ?

M. Laurent Freixe. - J'ai une perspective différente. Vous devez comprendre que les équipes de Nestlé Waters, qui gèrent cette activité, sont mobilisées depuis plusieurs années pour résoudre une situation complexe, laquelle a nécessité un plan de transformation d'envergure.

Toute leur énergie s'est concentrée sur la mise en oeuvre de ce plan, en collaboration avec les autorités locales, dans un contexte complexe, puisque de nombreuses administrations ont été impliquées à différents niveaux. Leur priorité a été de résoudre les problèmes, de se mettre en conformité et d'avancer. Voilà pourquoi les équipes ont sans doute préféré parler du présent, se projeter, plutôt que de revenir dans le passé, qui est l'objet de votre préoccupation, à juste titre.

Néanmoins, le moment est venu de faire la lumière sur les faits passés, de comprendre ce qui s'est produit et de veiller à ce que cela ne puisse plus se reproduire, et nous nous sommes engagés dans une telle démarche. Il faudra toutefois patienter quelques mois.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous un calendrier précis de la durée nécessaire à la réalisation de l'audit interne que vous avez lancé ?

M. Laurent Freixe. - Non, mais il s'agira de quelques mois, pas davantage.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ne pas avoir partagé certaines informations et affirmer ne pas les avoir reçues sont deux choses différentes ; or c'est bien ce qu'ont déclaré Madame Dubois et Madame Lienau. Comment l'expliquez-vous ?

M. Laurent Freixe. - Je n'ai pas d'explication précise à ce sujet. Je peux seulement indiquer que ces personnes ont eu à gérer de lourdes responsabilités et un agenda chargé. Toute leur attention, à l'époque, était tournée vers la mise en oeuvre de solutions pour une activité importante, tant pour Nestlé que pour ses collaborateurs. C'est là que leur énergie a été concentrée, peut-être au détriment des aspects liés au passé.

M. Laurent Burgoa, président. - Je l'entends, mais Madame Lienau et Madame Dubois ont déclaré sous serment devant notre commission d'enquête qu'elles n'avaient pas connaissance de ces informations, alors que nous avons la preuve qu'elles ont été destinataires de cette note confidentielle. Dans un tel cadre, il peut s'agir d'une infraction : l'affaire est grave. Madame Dubois nous a affirmé n'avoir rien su, alors qu'elle était directrice générale. Madame Lienau, présidente, s'est montrée mutique.

Mme Audrey Linkenheld. - Ce n'était pas très Speak Up...

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie malgré tout pour le changement de stratégie que vous avez décidé d'opérer. Il donne une image plus positive du groupe Nestlé et je tiens à le saluer. C'est une démarche qui va dans le bon sens.

Pour autant, il est grave que deux personnes aussi haut placées aient dissimulé la vérité devant une commission d'enquête parlementaire ; c'est de l'ordre du parjure !

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - D'ailleurs, l'attitude qu'elles ont adoptée répondait-elle à une consigne du groupe ?

M. Laurent Freixe. - Non. Je n'ai pas été impliqué dans la préparation de leurs interventions, si c'est le sens de votre question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce qu'il y avait néanmoins une stratégie de groupe concertée ?

M. Laurent Freixe. - Non. Il faut comprendre l'importance de cette activité pour le groupe et ses implications. Madame Lienau et Madame Dubois étaient concentrées sur la nécessité d'agir rapidement pour préparer l'avenir, tandis que vos questions portaient sur le passé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les avocats qui ont accompagné certaines auditions précédentes ont-ils été mandatés par le groupe ?

M. Laurent Freixe. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous venez pourtant d'affirmer que le groupe n'avait pas défini de stratégie...

M. Laurent Freixe. - Oui, ils ont été mandatés par le groupe, mais ils n'ont pas été gérés par les équipes de Nestlé Waters.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Se sont-ils concertés ou chacun est venu avec sa propre stratégie ?

M. Laurent Freixe. - Je ne peux pas répondre à cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Peut-être ne le voulez-vous pas...

M. Laurent Freixe. - Non ! Si je le pouvais, j'y répondrais.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dont acte.

Le niveau de la microfiltration à 0,2 micron a été longuement débattu dans le cadre de notre commission d'enquête. Nestlé a défendu l'idée que ce niveau était conforme à la réglementation. Or les documents qui nous ont été transmis révèlent qu'il existait, en interne, une conscience aiguë des limites réglementaires de cette pratique.

Dans le même temps, il nous a été affirmé que la solution adoptée par Nestlé était identique à celle utilisée par d'autres industriels. Pourtant, vous avez opté pour un procédé qui posait un problème de conformité réglementaire.

Pourquoi ce système a-t-il été choisi ? Est-il utilisé dans l'ensemble des usines de Nestlé en Europe ?

M. Laurent Freixe. - Je ne suis pas technicien ; du reste, notre direction technique a déjà répondu à cette question. À ma connaissance, le choix des dispositifs techniques se fait site par site.

Il m'a été rapporté qu'en France dix-sept arrêtés préfectoraux autorisent l'utilisation de filtres à 0,2 micron, dont un dans le Gard. Cela montre que ce choix technique a été fait en concertation avec les autorités, pour assurer la conformité et la sécurité sanitaire des eaux, tout en respectant leur minéralité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, les filtres à 0,2 micron, dits technologiques, sont utilisés pour séparer le fer ou le manganèse de l'eau, et non pour des raisons d'hygiénisation, comme cela a pu être le cas chez Nestlé.

Je souhaite vous soumettre maintenant les hypothèses que la commission d'enquête a formulées au fil de ses travaux, afin de mieux comprendre les logiques qui ont présidé au plan de transformation et au choix de la microfiltration à 0,2 micron.

Première hypothèse : il ressort de l'ensemble de nos auditions, ainsi que de certains documents, que les ouvrages de captage constitueraient une source de contamination des eaux. Dans plusieurs cas, leur vétusté aurait justifié le recours à la microfiltration.

Deuxième hypothèse : la microfiltration, comme l'ont expliqué d'anciens directeurs opérationnels de votre groupe, permettrait de réduire les temps de nettoyage des tuyauteries et des cuves, c'est-à-dire d'interrompre moins souvent la production, ce qui permettrait à la fois de produire davantage d'eau et de dégager une marge supérieure.

Troisième hypothèse : la fragilité croissante de certains aquifères, qui n'offrent plus une pureté originelle constante, comme l'ont indiqué les hydrogéologues dans leur rapport. Vous avez de vous-même évoqué cette hypothèse, qui demeurait jusqu'alors taboue. Dès lors, l'appellation « eau minérale naturelle » attribuée à certains de vos produits est menacée.

Parmi ces trois hypothèses, laquelle vous paraît la plus déterminante ? Faut-il plutôt considérer qu'il s'agit d'une combinaison des trois ?

M. Laurent Freixe. - Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur ce point. Je crois que les réponses techniques ont été apportées.

Le site de Vergèze est moderne ; il bénéficie des meilleurs équipements, d'importants investissements y ont été réalisés. Aussi, l'argument de la vétusté ne me semble pas sérieux.

Vous avez parlé de déviations ponctuelles : c'est le coeur du débat. L'activité humaine, on le sait, a un impact, bien sûr. Malheureusement, je ne peux pas vous apporter davantage d'éléments sur les choix techniques que ceux qui ont été apportés par notre direction technique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors de notre déplacement in situ, en présence de Monsieur le président et de Madame Guhl, nous avons échangé avec plusieurs salariés. Ils nous ont dit qu'ils avaient le souci de la transparence et qu'ils suivaient avec attention les auditions de notre commission d'enquête. Que pouvez-vous leur dire pour les rassurer ?

Les faits sont là : la protection de la ressource n'a pas été suffisante pour que l'eau puisse encore être commercialisée sous l'appellation « eau minérale naturelle ». Quelle part de responsabilité assumez-vous dans cette dégradation de la qualité de la ressource ?

Quelle est, désormais, la stratégie du groupe Nestlé ? Est-ce que la marque Maison Perrier va être développée ? Est-ce encore trop tôt pour répondre ?

Il est important que vous adressiez un message aux salariés des sites concernés, qui sont sans doute, à juste titre, inquiets après les révélations que vous venez de faire.

M. Laurent Freixe. - Je partage d'autant plus votre préoccupation qu'il s'agit de nos collaborateurs.

Les conclusions du rapport des hydrogéologues doivent encore être intégrées par les autorités régionales et aucune décision définitive n'a encore été prise.

Mon message est clair : nous voulons continuer à opérer sur le site de Vergèze, dans la conformité, quel que soit le scénario.

M. Laurent Burgoa, président. - C'est un message fort, monsieur le directeur général, et la commission d'enquête en prend acte.

Je crois que nous avons eu raison de vous auditionner : vous avez, en quelque sorte, saisi la dernière chance qui était donnée à Nestlé de s'exprimer dans notre cadre.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Selon vous, mais peut-être est-ce trop tôt pour le dire, sera-t-il possible de restaurer la qualité des aquifères, afin de répondre à nouveau au critère de pureté originelle ?

Quelle part de responsabilité le groupe Nestlé estime-t-il avoir dans la dégradation de cette ressource ? Vous êtes les exploitants de cette eau ; aussi, selon vous, qu'est-ce qui a conduit à cette remise en cause de la pureté originelle de l'eau ?

M. Laurent Freixe. - L'activité humaine et les effets du changement climatique, que nous constatons sur l'ensemble de nos activités à travers le monde, nous posent de véritables défis.

Le rapport des hydrogéologues donne des pistes pour améliorer la qualité de la ressource. Nous n'avons pas encore eu le temps d'engager une discussion approfondie sur ces perspectives, mais nous sommes prêts à appliquer toutes les mesures nécessaires, comme nous l'avons déjà fait dans le Gard, mais aussi dans les Vosges, pour renforcer la protection de la ressource naturelle.

La seule question, désormais, est de savoir si nous aurons le temps et les moyens de le faire ; mais notre détermination est totale.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons auditionné Madame Yasmine Motarjemi, qui a exercé des responsabilités en matière de sécurité alimentaire au sein du groupe Nestlé.

Nous savons qu'elle a connu un long conflit avec l'entreprise, qui a donné lieu à un procès de treize années, qu'elle a remporté devant la cour d'appel du canton de Vaud, en janvier 2022.

Madame Motarjemi nous a notamment indiqué que, depuis le début des années 2000, Nestlé aurait pris la décision d'indexer les bonus des managers à l'absence de retrait de produits du marché. Pouvez-vous nous confirmer cette information ?

M. Laurent Freixe. - Au sein des directions techniques, les critères pris en compte dans les systèmes de bonus sont des critères non seulement de performance des lignes de production ou de l'activité productive, mais aussi de qualité. Cela dit, le critère de qualité n'est pas mesuré par le nombre de produits rappelés.

Les critères de qualité font partie de l'ADN du groupe ; ils figurent donc dans les systèmes de bonus des équipes de management.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous préciser vos critères de qualité ?

M. Laurent Freixe. - Les critères de qualité peuvent revêtir des formes diverses, que je n'ai pas toutes en tête. Par exemple, il peut s'agir des déviations de qualité détectées sur les lignes de production, qui peuvent avoir un impact économique significatif : arrêt d'une ligne, destruction de lots non conformes, etc. C'est heureux que de telles non-conformités soient identifiées avant la commercialisation des produits, même si cela affecte les opérations. L'objectif de ces critères est de tendre le plus possible vers la perfection.

Ces exigences sont intégrées dans les critères de performance et sont également prises en compte dans les dispositifs de motivation des équipes.

En revanche, il n'a jamais été question d'intégrer l'absence de rappels dans les critères de performance. Si un rappel de produit doit être effectué, il l'est, sans aucune hésitation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Existe-t-il un moyen, selon vous, de valoriser le fait qu'un rappel ait été effectué ?

M. Laurent Freixe. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sans suggérer que les critères que vous évoquez sont un pousse-au-crime, la prise en compte de la sécurité alimentaire est-elle valorisée ?

M. Laurent Freixe. - Absolument. Un rappel bien exécuté constitue une mesure essentielle pour éviter tout risque. Dans la majorité des cas, les rappels sont dus à des déviations ponctuelles, comme des erreurs d'étiquetage - par exemple, un allergène non mentionné - ou d'autres anomalies de ce type.

Mettre en oeuvre un rappel de produit et s'assurer que nos produits sont conformes aux exigences fait pleinement partie de notre dynamique de sécurité et de notre pratique. Nous opérons dans 185 pays : de tels rappels sont parfois nécessaires et bien sûr ils sont valorisés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci pour cette précision. Vous êtes porteur d'un nouvel esprit d'entreprise. Mais la preuve, ce sont les actes. Votre prédécesseur à ce poste, c'est Monsieur Paul Bulcke, il me semble...

M. Laurent Freixe. - Mon prédécesseur, c'est Mark Schneider. Paul Bulcke était son prédécesseur et il est l'actuel président du groupe.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous portez un nouvel élan avec Monsieur Bulcke, qui est toujours à tête de l'entreprise. Avez-vous échangé avec lui ? Partage-t-il cette nouvelle culture ?

M. Laurent Freixe. - Il préside le conseil d'administration, qui est là pour contrôler les activités, définir la stratégie et s'assurer que le comité exécutif travaille en conformité avec nos valeurs, nos principes et opère dans le cadre stratégique défini.

Paul Bulcke est un vétéran de Nestlé. Il a quasiment fait toute sa carrière chez Nestlé. Je crois qu'il a fait deux ans dans une autre entreprise avant de rejoindre Nestlé, travaillant sur différents continents. Il partage absolument les mêmes valeurs et les mêmes principes. Je n'ai pas eu l'occasion d'en discuter souvent avec lui, mais il m'a toujours encouragé dans cette direction : d'abord la qualité, les consommateurs, la conformité. Il est dans cette logique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous dites cela, alors que nous avons l'impression que vous passez de l'ombre à la lumière. Même s'il est très agréable de vous avoir devant nous, nous ne pouvons pas effacer tout ce que nous avons vécu dans cette commission : les réponses robotiques, l'absence totale d'éléments apportés à la commission.

Je repense au rapport d'information de Madame Guhl : on lui disait, la veille, qu'il n'y avait aucune raison pour que le forage ferme et, le lendemain, le forage était fermé... Nous-mêmes, nous n'en avons jamais rien su et nous apprenons désormais par voie de presse qu'en réalité, on savait beaucoup de choses... Voilà ce qui m'inquiète. Monsieur Bulcke a joué un rôle très important dans l'histoire de Nestlé. Partage-t-il, en tout cas, le changement que vous êtes en train d'opérer dans la culture d'entreprise ?

M. Laurent Freixe. - Oui, il est tout à fait en ligne. C'est lui qui a décidé, avec le conseil d'administration, du changement de direction générale.

Concernant la dynamique des auditions précédentes, je pense que le fait qu'il y ait une procédure judiciaire en cours a influencé le contenu des réponses et retenu les intervenants. Cela fait partie du contexte et n'est pas habituel. Nous essayons d'apporter le maximum de réponses.

Il y a beaucoup de débats techniques sur ce sujet qui n'est pas facile à comprendre pour des non-experts. À ma connaissance, toutes les réponses ont été apportées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je me permets, sur ce point, d'avoir un point de divergence avec vous. Durant toutes les auditions, Nestlé nous a dit que la pureté originelle des eaux était assurée, garantie. Et aujourd'hui, vous venez nous annoncer que le rapport de plusieurs hydrogéologues mandatés conteste la pureté originelle des eaux.

Pourriez-vous nous détailler un peu ce Speak Up, la manière dont vous voulez détailler cet audit, puisque ceux qui vous ont précédé devant nous nous ont dit : « Non, il n'y a eu aucun audit interne, aucune responsabilité établie. On a continué ainsi. » Les différentes personnes en place aux différents postes, à notre connaissance, ont toutes été promues dans de nouvelles usines. En tout cas, il n'y a eu aucune mesure disciplinaire, tandis qu'Alma a procédé à des formes de mise à la retraite anticipée et que, dans votre situation, elle a répondu aux questions. J'entends qu'il y ait une pression judiciaire, mais chez Alma, cela n'a pas eu la même conséquence...

J'aimerais évoquer le rapport à vos concurrents : Nestlé est sorti de la Maison des eaux minérales naturelles, mais quand il se présente devant nous, il prétend qu'il porte une demande de l'ensemble du secteur, à savoir la clarification réglementaire, et que, sur cette affaire de 0,2 micron, il porte tout le secteur sur ses épaules. Or aucun des principaux industriels ne porte la même demande que Nestlé.

Comment voyez-vous, d'un point de vue concurrentiel, la demande que vous avez faite ? Vous n'avez pas demandé un changement de réglementation. Vous n'avez pas suivi la voie européenne, classique, réglementaire. Vous êtes allé devant les autorités françaises pour obtenir un « bleu », c'est-à-dire une décision individuelle d'accompagnement du plan de transformation de Nestlé.

Comment voyez-vous cela, d'autant qu'il y a eu des précédents ? Je pense à une affaire qui nous est remontée durant les auditions, celle de Nespresso contre l'Ethical Coffee Company. Vous avez fait devant l'Autorité de la concurrence une reconnaissance de culpabilité de vos actions vis-à-vis d'un concurrent. Quelle vision avez-vous de l'égalité des armes et de vos concurrents dans cette affaire ?

M. Laurent Freixe. - Nous croyons à la libre concurrence, principe fondateur d'une économie de marché. Nous la respectons dans de nombreux aspects. On pourrait parler des sujets environnementaux. Nous aimerions parfois qu'il y ait plus de réglementation pour créer un « level playing field ». Les principes de la concurrence sont fondamentaux. J'ai des relations personnelles, très bonnes, avec certains dirigeants d'entreprises concurrentes.

Concernant les solutions techniques, tous les sites sont différents. Les nappes, les ressources naturelles sont toutes différentes, ce qui peut conduire à choisir des solutions techniques variées. Des choix techniques ont été faits et on m'a expliqué qu'ils reposaient aussi sur une solution normée, vérifiable, avec différents fournisseurs. Ils paraissaient être la meilleure solution pour nos sites.

Avoir une concurrence loyale est un principe fondamental. Nous ne demandons pas à être traités différemment des autres, mais nous cherchons à être conformes à la réglementation.

Des contacts ont été pris au niveau gouvernemental, parce qu'il y a beaucoup d'intervenants au niveau ministériel. Il y a différentes autorités de tutelle impliquées et il y avait un besoin de coordination sur le sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans votre affaire, l'Élysée est-il une autorité de tutelle ?

M. Laurent Freixe. - Ce n'est pas l'autorité de tutelle directe, mais évidemment, c'est une autorité de tutelle des pouvoirs publics par définition. Elle détient le pouvoir exécutif avec le cabinet du Premier ministre. Je crois qu'il n'y a rien d'inhabituel de ce point de vue.

Avoir des contacts au plus haut niveau dans tous les pays où nous opérons fait absolument partie de notre pratique. Nous sommes la première entreprise agroalimentaire au monde, la première entreprise de grande consommation. L'activité économique, les investissements, le commerce, l'environnement, l'emploi sont autant de sujets qui justifient des discussions régulières. Ce ne sont pas des discussions permanentes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je note que le ministre de l'industrie, Monsieur Roland Lescure, n'a jamais eu de contact direct avec Nestlé, tandis que l'Élysée a été approché à plusieurs reprises...

Vous engagez-vous à ce que l'évolution de la structure capitalistique de Nestlé Waters que vous venez de décrire ne soit pas le faux-nez d'une vente, comme on a pu le lire directement ou en filigrane dans la presse ? Êtes-vous en train de vous défaire de votre activité Eaux face aux différentes difficultés et aux scandales dont vous faites l'objet et dont vous êtes en partie la cause ?

M. Laurent Freixe. - Je vous remercie, car cela me permet de clarifier, une fois de plus, une question qui m'a souvent été posée. Nous sommes engagés sur cette activité, nous croyons à son potentiel. Nous cherchons un partenaire, mais il n'est pas question, en aucune façon, d'une vente à 100 % et de sortir de l'activité. Nous cherchons un partenaire avec lequel nous pourrons investir pour développer l'activité. Tel est notre état d'esprit.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous êtes arrivé en septembre et avez découvert la situation, mais vous connaissiez l'existence du plan de transformation.

M. Laurent Freixe. - Oui.

Mme Marie-Lise Housseau. - Pouvez-vous nous dire ce que vos deux directeurs de site et vos deux directrices générales ont refusé d'avouer : pour quelles raisons ces traitements ont-ils été utilisés ? Vous avez répondu au rapporteur que vous ne saviez pas. Combien de temps ces traitements ont-ils duré ?

L'absence de réponse nous fait imaginer un scénario... La réalité n'est-elle pas que, depuis le rachat du site de Vergèze en 1992, il y a plus de vingt ans, il y a un problème récurrent soit dû à la qualité de l'eau, soit à la qualité des installations - vétustes ou défectueuses ? Que vous avez essayé par tous les moyens, y compris des traitements interdits - filtres à UV, microfiltration avec des filtres à charbon - de le résoudre, mais que vous n'y êtes pas arrivés ? Donc que vous avez engagé un plan de transformation et que la seule solution trouvée était une microfiltration à 0,2, raison pour laquelle vous êtes allés jusqu'au plus haut niveau, à l'Élysée, pour obtenir ces 0,2, parce que vous ne pouviez pas, sans cet accord, avoir une qualité d'eau nécessaire pour que ce soit considéré comme de l'eau minérale ?

M. Laurent Freixe. - À partir du moment où, dans le cadre de ma prise de fonctions, j'ai été informé des enjeux et des projets en cours, évidemment les échanges avec les équipes de Nestlé Waters et sa direction ont été extrêmement fréquents : il y a un comité de suivi du plan de transformation, auquel je participe. La focalisation a été permanente et je me suis assuré que les choses avancent telles qu'elles doivent le faire.

Je souligne de nouveau un point : à aucun moment, la qualité minéralière et la qualité sanitaire n'ont été remises en cause. Nous sommes contrôlés. Il n'y a aucune déviation de ce point de vue. Les produits ont toujours été conformes à la promesse et à la qualité sanitaire.

Mme Marie-Lise Housseau. - Certes, mais au prix de traitements interdits...

M. Laurent Freixe. - Au prix de traitements non conformes. Je ne suis pas un spécialiste technique, mais la réglementation européenne définit une fin et non les méthodes pour y arriver. C'est la pratique ou les autorités qui ont accepté, au fur et à mesure, certains processus. Tout le monde, à ma connaissance, utilise la microfiltration. Reste à savoir si cette microfiltration respecte les qualités naturelles et le microbisme de l'eau, éléments devant être respectés dans le produit final.

Des choix techniques ont été faits à différentes étapes. Nous pensons que les choix de la dernière étape sont bons, mais nous ne pouvons décider tout seuls : nous avons besoin des autorités pour les valider, nous avons fourni les éléments techniques pour ce faire et nous attendons les réponses, quelles qu'elles soient. C'est un débat technique sur lequel je ne peux apporter beaucoup plus...

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous ne niez pas que le problème dure depuis longtemps, et peut-être depuis le rachat du site de Vergèze ?

M. Laurent Freixe. - Je sais qu'il y a des déviations, mais je pense qu'il y en a partout. Ce n'est pas spécifique à Vergèze. C'est ce qui s'est passé sur le site des Vosges et certains puits dans le Gard : si les déviations ne permettent pas d'assurer une stabilité suffisante, évidemment ces puits sont écartés. Cela fait partie des décisions que les pouvoirs publics prennent et sur lesquelles nous nous engageons. C'est un enjeu. Nous voulons préserver la qualité de la ressource naturelle et, s'il faut faire plus, nous le ferons. Nous devons absolument préserver ce patrimoine et cette ressource précieuse.

M. Laurent Burgoa, président. - Je passe la parole à Madame Guhl. Soyez la plus sénatoriale possible, ma chère collègue !

Mme Antoinette Guhl. - J'ai appris à devenir sénatoriale au cours de cette commission d'enquête et précédemment au cours de ma mission d'information. Je vais devoir cela à Nestlé, qui nous a donné à tous un peu de fil à retordre.

Monsieur le directeur, merci de vos réponses, qui pour beaucoup sont des non-réponses. Nous n'avons toujours pas de réponses aux questions que nous avons posées, mais il est beaucoup plus agréable de vous entendre que vos collaborateurs - c'est beaucoup moins agressif et fuyant.

Ma première question porte sur l'article publié ce matin sur la pollution de vos eaux. Nous savons que les eaux Nestlé Waters - Perrier, Vittel, Hépar ou Contrex - contiennent des bactéries fécales issues d'excréments, des pesticides, des PFAS, des microplastiques.

Nous apprenons aujourd'hui grâce aux journalistes, qui ont fait un travail exceptionnel, que certaines de vos sources étaient contaminées aux matières fécales 85 semaines sur 116. Vous déteniez ces informations, qui émanent de rapports internes à Nestlé Waters. Nous n'avions pas ces éléments. Vous ne pouvez pas nier aujourd'hui que vos eaux ont été contaminées, et très fortement, aux matières fécales.

Vous voulez qu'on parle de l'avenir et de la qualité de vos eaux. Ces matières fécales sont-elles d'origine humaine ou animale ? S'il s'agit de débordements de stations d'épuration, cela peut être pris en compte. Si ce sont des déjections animales, un traitement est peut-être possible... Comment avez-vous fait pour répondre à cette pollution ? Vous avez mis en place un plan de transformation, mais avez-vous seulement changé les tuyaux ? Si c'est le cas, il y a un problème...

M. Laurent Freixe. - Je n'ai pas toutes les réponses techniques. Il y a deux éléments. D'une part, la ressource naturelle est une chose et elle peut avoir des déviations. D'autre part, il y a le produit fini embouteillé, qui a toujours été impeccable et pur dans sa minéralité, bon pour la consommation. Personne ne le conteste. Je veux rassurer les consommateurs. Je ne dispose pas de tous les éléments. Nous pourrons essayer de vous apporter les réponses.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'eau minérale naturelle, c'est à la fois la minéralité et la pureté originelle. Les hydrogéologues, dans les conditions d'exploitation actuellement en vigueur pour les captages R4, R4 bis, R7 et R8, ont émis un avis sanitaire défavorable pour une exploitation en tant qu'eau minérale naturelle. C'est un élément tangible.

M. Laurent Freixe. - Oui, mais nous attendons aussi les conclusions de l'ARS et du préfet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ils ont été mandatés par ces autorités. Vous contestez ce rapport ?

M. Laurent Freixe. - Je ne dispose pas de tous les éléments techniques et n'ai pas eu le temps de discuter en détail avec les responsables techniques. Ce qu'on m'a dit, c'est que certaines déviations sont un cas sur trois ans, ou sur dix-huit mois, qui a justifié cette classification. C'est l'un des points de discussion et d'évaluation. Je ne suis pas un expert technique et je respecte l'avis des hydrogéologues.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous nous avez dit que, quoi qu'il arrive, vous opériez en conformité avec la réglementation ? Si ce n'est plus de l'eau minérale naturelle, ce n'en est plus...

M. Laurent Freixe. - Je peux vous assurer que nous opérons en conformité avec la réglementation. Et je souligne encore que la qualité sanitaire et la minéralité ont toujours été respectées.

Mme Antoinette Guhl. - Vous affirmez depuis longtemps que la qualité sanitaire est respectée. Mais je le dis clairement : puisque vos eaux contiennent à la source des bactéries fécales, nous ne sommes pas à l'abri qu'elles aient pu contenir des virus, quand vous avez retiré des filtres.

L'État, sur la partie des eaux du Gard, n'a pas réalisé de tests virologiques pendant au moins six mois - de novembre 2023 à juillet 2024 - pour s'assurer de la qualité des eaux. Les analyses virologiques ont été mises en place en juillet 2024. Vous allez me dire que nous n'avons qu'à faire confiance à Nestlé. Mais non, nous ne vous faisons pas confiance, car vous avez triché sur des analyses de qualité des eaux pendant si longtemps ! Il y a une fenêtre de six mois durant laquelle nous ne pouvons pas être certains de la qualité sanitaire des eaux.

M. Laurent Burgoa, président. - Je ne suis pas totalement d'accord. À ce jour, il ressort qu'il n'y a pas eu de contamination avérée de nos concitoyens. Soyons plus sénatoriaux...

Mme Antoinette Guhl. - Nous ne sommes pas certains de la qualité sanitaire des eaux.

M. Laurent Burgoa, président. - Oui, mais il n'y a pas eu de contamination avérée.

Mme Antoinette Guhl. - Nous ne savons pas.

M. Laurent Burgoa, président. - Faisons attention. Quelles que soient nos auditions, notamment celles concernant le ministère de la santé, tout le monde a confirmé, en prêtant serment, qu'il n'y avait pas eu de contamination sanitaire avérée.

Mme Antoinette Guhl. - Je dis qu'il y a un risque sanitaire.

M. Laurent Freixe. - Je confirme vos propos, monsieur le président. Par transparence, nous sommes disposés à partager tous nos résultats d'analyses. Aucun cas n'a été avéré. La sécurité sanitaire a été parfaitement respectée à tout instant. C'est une priorité pour nous et les autorités sanitaires sont là pour contrôler que c'est bien le cas.

Mme Antoinette Guhl. - Une question me taraude depuis que nous avons entendu Madame Lienau, qui a changé de fonctions pour se consacrer entièrement à Nestlé Waters, dont vous avez fait une filiale autonome. Dans le cadre de ce changement de fonctions, quel est l'ordre de grandeur du bonus qu'elle a obtenu ?

M. Laurent Freixe. - Madame Lienau avait déjà un poste très important. Elle cumulait en fait deux fonctions : patronne des eaux pour l'Europe et patronne de Nestlé France. C'était probablement trop pour une seule personne, aussi forte soit-elle. Elle a laissé Nestlé France et s'occupe maintenant des eaux au niveau mondial. Sa rémunération a augmenté légèrement, mais pas conséquemment.

Mme Audrey Linkenheld. - Je vais essayer de synthétiser ma pensée et mes questions en fonction de ce qui a déjà été dit.

Évidemment, je suis assez tentée de préférer votre posture à celles de vos prédécesseurs devant cette commission. J'avais fait part de ma déception par rapport à l'attitude de vos collaboratrices.

M. Laurent Burgoa, président. - Notre déception ! Je l'ai exprimée aussi dans mon intervention.

Mme Audrey Linkenheld. - Je ne voulais pas impliquer mes collègues... J'étais déçue par rapport à l'image que j'avais de votre groupe et d'une filière entière, qui concerne un grand nombre de salariés, auxquels nous pensons, de même qu'aux consommateurs. Il est ici question non seulement de qualité des eaux, mais aussi de tromperie commerciale.

Je préfère votre attitude. Il n'en reste pas moins qu'on a l'impression que, chez Nestlé, faute avouée est à moitié pardonnée. Vous avez triché quelques années, mais vous allez voir le Gouvernement et les autorités, vous leur avouez, ensuite il n'y a plus de problème : vous réalisez un plan de transformation et on oublie tout ce qu'il y avait avant...

J'ai peur que votre attitude actuelle relève un peu de cela aussi. Vos collaboratrices sont venues, leur attitude ne nous a pas plu, elles sont venues avec des avocats, n'ont pas répondu aux questions, ont été fermées... Vous pensez que vous auriez dû agir différemment et vous venez, vous, directeur général, corriger un peu le tir et reconnaître que vous auriez dû faire autrement, et la commission d'enquête pardonne...

Je recherche la chaîne de responsabilités. Tant mieux s'il y a des aveux de votre part, mais nous n'avons pas pour autant la réponse à nos questions sur ce point. Nous attendons avec impatience votre revue interne, l'audit, pour savoir ce qui s'est passé avant.

Selon vous, depuis août 2023, il n'y a plus aucun traitement interdit dans les Vosges et dans le Gard. Quid avant, quid après, quid ailleurs ? La revue interne y répondra...

Vous avez cité Speak Up, c'est très bien, mais cela signifie-t-il qu'avant, il y avait don't speak up ?

Nous ne lâcherons pas sur la chaîne de responsabilités, ni avant ni aujourd'hui. J'ai beaucoup de mal à croire que vos deux directrices sont venues ici sans aucun accompagnement de la part du groupe ni aucune consigne. Ce sujet est sensible, complexe, médiatique. Nous ne sommes pas totalement ignares du monde de l'entreprise. J'ai du mal à croire qu'on les ait laissé aller seules dans la fosse aux lions, juste avec des avocats, et que tout d'un coup ce serait différent.

Pouvez-vous nous garantir de nouveau que, lorsque vos deux directrices sont venues ici, vous n'en avez pas parlé avec elles, vous n'avez pas donné de consignes ? Vous êtes en poste depuis septembre 2024, elles sont venues en avril 2025... Ont-elles fait cela de leur propre chef, sans aucun échange avec vous sur la stratégie à mener ?

Si des responsabilités sont établies après la revue interne, une fois que tout le monde aura fait un Speak Up, si des responsabilités apparaissent, avez-vous prévu - au-delà de saisir, le cas échéant, la justice - des mesures disciplinaires, des sanctions ? Nous avons posé ces questions, mais pas obtenu de réponses.

Vous avez indiqué combien le plan de transformation n'était pas simple pour les équipes et avez parlé d'un « contexte hostile » pour sa mise en oeuvre. Qu'est-ce que ce contexte hostile ?

M. Laurent Freixe. - J'ai noté cinq points.

Sur le dernier point, je faisais plutôt référence au contexte médiatique accompagnant ce sujet depuis quelques mois et qui a créé beaucoup de pression interne et externe, rien d'autre.

Sur les consignes : nous avons effectivement discuté de la manière dont il fallait se positionner dans un contexte où une procédure judiciaire a été ouverte. Peut-être que la posture visant à respecter la procédure judiciaire et à lui donner la primauté a fait que leur attitude a pu paraître fermée par rapport aux questions du Sénat ?

M. Laurent Burgoa, président. - J'ai essayé d'être le plus sénatorial et pédagogique possible...

M. Laurent Freixe. - Je sais.

M. Laurent Burgoa, président. - Je n'ai pas toujours eu le succès escompté et je le regrette. Nous apprécions que cette audition soit aujourd'hui beaucoup plus ouverte, même si sur certains points vous n'avez pas pu apporter toutes les précisions, pour des raisons qui vous sont propres. On sent une meilleure confiance entre vous et nous. Nous pouvons échanger, nous ne sommes pas devant un mur. J'ai essayé, mais cela a été compliqué...

M. Laurent Freixe. - J'ai aussi peut-être une perspective différente, n'étant pas au coeur du sujet, mais au-dessus... Cela traduit la posture de l'entreprise. C'est de cette façon que nous souhaitons travailler et opérer.

Sur le premier point, nous allons tout faire pour que cela ne se reproduise pas et que nous ne nous retrouvions pas dans la même situation, à devoir mettre sur la table quelque chose que nous devons corriger... Je ferai tout pour que cela ne se reproduise pas. Je veux être très clair par rapport à cela. C'est pour cela que la revue interne sera importante.

Speak Up fonctionne depuis très longtemps. Cela a fait débat au moment de le mettre en oeuvre dans le groupe, car il y a des cultures différentes. Dans certains pays, cela paraissait évident de le faire. Dans d'autres, la dénonciation était plus sensible. Le système fonctionne depuis des années. Nous recevons chaque année plus de 3 000 alertes : elles donnent lieu, systématiquement, à une enquête et nous permettent parfois de détecter des fraudes ou des problèmes de conformité, ce qui nous permet de nous améliorer. Tel est l'esprit : soyons à l'écoute. Nous souhaitons être parfaits, mais nous ne le sommes pas.

Si les équipes, les fournisseurs ou l'environnement permettent de détecter un problème, cela nous permet de le résoudre. Nous ferons tout pour l'éviter en amont afin de ne pas passer notre temps à corriger des problèmes du passé. La meilleure posture est de faire les choses bien, par définition. Telle est notre posture. C'est pour cela que je souhaite tirer les leçons du passé. C'est ce que nous faisons et nous en tirerons les conséquences si des mesures sont à prendre.

Je comprends vos questions, elles sont légitimes. Soyez assurés que notre état d'esprit est de faire les choses d'emblée dans la conformité. Je ne veux pas que les équipes passent leur temps à corriger des choses réalisées non conformes à nos valeurs, à nos principes ou à la réglementation.

M. Olivier Jacquin. - Madame Linkenheld suppose que votre attitude actuelle est d'avouer une faute pour qu'elle soit à moitié pardonnée. Vous n'avez pas réagi sur ce point.

Vous avez répondu à Madame Housseau que la qualité sanitaire des produits a toujours été garantie et respectée, ce que je crois. Vous ajoutez que « la promesse a été tenue ». Vous évoquez la promesse commerciale : derrière l'eau minérale naturelle, il n'y a pas de filtration. Comment pouvez-vous l'affirmer, alors qu'il y a eu plusieurs décennies de fraudes aux eaux minérales naturelles ?

M. Laurent Freixe. - Je comprends. C'est tout le débat technique. Je faisais référence aux dernières années où nous avons opéré dans la conformité, en accord avec les arrêtés préfectoraux, permanents ou temporaires, à tout moment.

Sur l'idée de la faute à moitié pardonnée : notre état d'esprit est de mettre les choses sur la table, de reconnaître que nous ne sommes pas parfaits, mais qu'en faisant face aux problèmes, on peut les résoudre. C'est un premier pas, critique, pour nous améliorer et nous assurer que nous sommes en conformité avec nos valeurs, nos principes et la réglementation. C'est davantage cela que faute avouée à moitié pardonnée.

M. Olivier Jacquin. - J'apprécie ce nouvel état d'esprit. Ce n'est pas ce que nous avons eu devant nous ces dernières semaines.

M. Laurent Freixe. - C'est l'état d'esprit Nestlé. Je regrette que nous n'ayons pas su le faire passer avant. Je peux vous assurer que c'est le Nestlé que je connais, que j'aime et que je souhaite que tout le monde ait en face de lui comme interlocuteur. C'est l'état d'esprit avec lequel nous allons travailler, je peux vous l'assurer.

Mme Antoinette Guhl. - Vous parliez d'hostilité médiatique. Est-il vrai que vous avez réuni l'ensemble des patrons de presse il y a quelque temps en interdisant aux enquêteurs, qui pourtant ont beaucoup travaillé sur votre sujet, d'être présents à ce rendez-vous médiatique ?

M. Laurent Freixe. - Je suis Français et j'ai travaillé longtemps en France, mais en fait je suis assez peu connu du microcosme et de l'environnement national. Dans mes responsabilités, et c'est normal, comme je l'ai fait en Suisse, en Angleterre, en Chine, j'essaie de rencontrer des personnes pour expliquer ma vision, ma perspective sur Nestlé - en l'occurrence ici, Nestlé en France : les enjeux, notre vision, de façon très ouverte et très informelle. Tous les médias ont été invités, y compris ceux qui sont les plus critiques vis-à-vis de Nestlé. Chacun fait son travail. Les médias font le leur et nous n'avons exclu personne. Il est vrai qu'il n'y avait qu'un représentant de chaque média, mais personne n'a été exclu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comme certains de vos prédécesseurs, vous avez finalement des mots peu aimables pour la presse. Or la presse a réalisé un travail formidable : sans elle, personne n'aurait jamais rien su de ce qui se nouait chez vous. Les quelques mesures de transformation que vous évoquez sont aussi dues au travail de la presse.

Vous parlez de culture Nestlé. Avec le groupe socialiste, nous avons tenu à créer cette commission d'enquête justement en raison de la mauvaise réputation de Nestlé sur certains sujets. Nestlé, pour nous en France, c'est aussi Buitoni. Cela veut dire quelque chose en matière de sécurité sanitaire.

J'entends ce que vous avez dit à Madame Linkenheld : il n'y aura plus d'impunité chez Nestlé. Dans cette affaire, ceux qui ont été en responsabilité ne verront pas leur carrière continuer comme si de rien n'était, ou ne subir aucune mesure disciplinaire qui s'impose devant une telle fraude.

Il est aussi question du consommateur : nous apprenons aujourd'hui que la pureté originelle de l'eau dans le Gard n'est pas au rendez-vous, selon les hydrogéologues mandatés. Que dites-vous à vos consommateurs ? Allez-vous faire un geste ? Jusqu'à aujourd'hui, ce qui est encore vendu comme de l'eau minérale naturelle n'en est plus, selon les hydrogéologues. Or la dénomination commerciale est toujours en vigueur. L'usine ultramoderne que nous avons visitée fait sortir chaque seconde des dizaines de bouteilles de Perrier. Que dites-vous aux consommateurs ?

Que ce serait-il passé si nous ne vous avions pas convoqué pour cette audition ? Qu'est-ce qui a été mis en place pour préparer cette audition ? Ce Speak Up, ce cadre de conduite professionnelle, cette revue interne étaient-ils programmés auparavant ou est-ce la perspective de venir au Sénat qui vous a « stimulé » ?

M. Laurent Freixe. - Vous m'avez convoqué il y a deux semaines. Ce plan d'action était mis en oeuvre depuis quelques mois déjà, même plusieurs années pour certains aspects. Rien n'a été défini dans le cadre de cet entretien. Nous avons décidé de vous donner cette visibilité sur ce que nous avons décidé pour renforcer nos systèmes de contrôle, comprendre ce qui s'est passé précédemment et éviter que cela ne se répète.

La posture de l'entrepreneur et du dirigeant est d'agir dans le présent pour préparer le futur, mais il est aussi important de comprendre le passé pour en tirer les leçons et éviter que cela ne se répète. Telle est notre posture depuis quelques mois.

Je suis absolument d'accord avec vous sur les médias. Je lis, en tant que lecteur, ces médias qui nous critiquent. La critique fait partie du jeu médiatique. Elle nous amène à nous interroger et à nous améliorer. Je n'ai jamais critiqué les médias, et vous ne m'entendrez jamais les critiquer. Je les soutiens. Je faisais juste référence au fait que le bruit médiatique n'a pas été facile à gérer pour les équipes. J'ai le plus profond respect pour les médias.

L'affaire Buitoni est une affaire malheureuse, douloureuse, tragique ; elle est en particulier très douloureuse pour les familles. Nous en assumons aussi toutes les conséquences. Elle a été très douloureuse pour l'entreprise, mais c'est une affaire disjointe.

Concernant les eaux minérales, je rappelle qu'il n'y a aucun problème sanitaire et que la minéralité a été respectée. Le rapport des hydrogéologues, qui fait référence à des déviations, émet des recommandations pour l'ARS et les autorités préfectorales qui devront en tirer les conclusions. Je ne veux pas les anticiper.

Certes, le devoir du dirigeant est d'anticiper tous les scénarios possibles ; nous nous y préparons, dans l'esprit de maintenir l'activité. Vous pouvez compter dessus. Nous ne fermons pas la porte. Nous restons engagés, mais nous cherchons un partenaire pour investir et valoriser ce patrimoine exceptionnel du Gard.

M. Laurent Burgoa, président. - Il y a quelques semaines, nous avons pris avec le rapporteur la bonne décision, celle de vous inviter. Face au mutisme ou à l'absence de réponse des responsables de Nestlé Waters France et Nestlé Waters Europe, nous avons tenté de laisser une dernière chance à Nestlé. Il était beaucoup plus agréable d'échanger avec vous. Nous vérifierons vos annonces. Je vous remercie de ces échanges.

Nous recevrons encore, pour une dernière audition, Monsieur Aurélien Rousseau, avec sa double casquette d'ancien directeur de cabinet de la Première ministre, Élisabeth Borne, et d'ancien ministre de la santé.

Le rapport sera examiné et soumis au vote le 15 mai et nous le présenterons ensemble le 19 mai.

Audition d'Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet
de la Première Ministre (Élisabeth Borne)
(Mercredi 30 avril 2025)

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, cette audition est la dernière de notre commission d'enquête. Le rapport sera présenté, à huis clos, le mercredi 14 mai à 16 heures 30, puis à l'occasion d'une conférence de presse, le 19 mai, à 11 heures.

Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête en auditionnant M. Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de la Première ministre Élisabeth Borne de mai 2022 à juillet 2023, ancien ministre de la santé et de la prévention de juillet à décembre 2023.

Monsieur le ministre, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Aurélien Rousseau prête serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. En effet, au début de l'année 2024, plusieurs médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition a pour objectif d'analyser la façon dont ont été gérés, au niveau du cabinet du Premier ministre et en interministériel, les développements de l'affaire Nestlé Waters, plus particulièrement à partir de votre arrivée à la direction du cabinet de la Première ministre, c'est-à-dire à compter de mai 2022, mais également dans les fonctions que vous avez occupées par la suite en tant que ministre de la santé et de la prévention.

Quand et comment avez-vous pris connaissance pour la première fois du dossier Nestlé Waters, c'est-à-dire de l'utilisation par cette entreprise de traitements illégaux - charbon actif et UV - sur ses eaux minérales naturelles et ses eaux de source dans les Vosges et le Gard ?

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le cabinet de la Première ministre, que vous dirigiez à l'époque, a autorisé la filtration à 0,2 micron en février 2023, alors que cette décision paraît en contradiction totale avec les informations dont vos collaborateurs et vous-même disposiez, assimilant ce niveau de traitement à une forme de désinfection ?

Que répondez-vous à ceux qui estiment que le cabinet de la Première ministre a rendu un arbitrage biaisé en faveur de Nestlé Waters et que l'État a cédé au lobbying de cette entreprise ?

Comment avez-vous suivi ce dossier en tant que ministre de la santé et de la prévention ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de nous faire une présentation liminaire d'une quinzaine de minutes, qui sera suivie d'une série de questions-réponses avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.

Monsieur le ministre, je vous remercie d'être présent parmi nous, car, en dépit de vos problèmes de santé récents, vous avez néanmoins souhaité être auditionné par notre commission d'enquête. Nous sommes donc conscients que vous n'avez peut-être pas eu le temps nécessaire pour préparer votre intervention.

M. Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de la Première ministre Élisabeth Borne, ancien ministre de la santé et de la prévention. - Permettez-moi de formuler trois remarques liminaires.

Premièrement, lorsque j'ai été saisi de ce dossier, dans des circonstances sur lesquelles je reviendrai, je n'ai jamais douté qu'il s'agissait d'un sujet d'une extrême sensibilité. Vous n'y verrez peut-être qu'une figure de style, mais ce n'est pas le cas. Aussi, le travail de votre commission d'enquête, qui a suivi le rapport d'information d'Antoinette Guhl, me paraît indispensable : en vérité, avec un peu de recul, il me semble qu'une partie des décisions qui ont alors été prises, et auxquelles vous vous intéressez, pourraient être répétées à l'identique. Vos conclusions seront donc indispensables.

Je précise par ailleurs que j'ai été durant trois ans directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France. Je connais donc les prérogatives de ces fonctions. À plusieurs reprises, il m'est arrivé, y compris dans ces murs, de justifier de mon administration sur des enjeux de santé publique. Presque paradoxalement, donc, je n'ai fait preuve d'aucune désinvolture par rapport au sujet sanitaire, qui, dans le même temps, est quelque peu passé au second rang derrière la question de la tromperie.

Deuxièmement, mes témoignages au sein de nombreuses missions d'information (MI) et commissions d'enquête (CE), en particulier la mission d'information sur le suivi de l'application de la loi du 29 juillet 2019 pour la conservation et la restauration de Notre-Dame de Paris et les structures temporaires sur la gestion de la crise du covid, m'ont permis de conclure que ces travaux peuvent parfois prêter à l'anachronisme, puisqu'il s'agit d'étudier, avec les éléments dont on dispose aujourd'hui, le déroulement de faits passés. Ainsi, au-delà des circonstances personnelles que vous avez mentionnées, j'ai préféré me replacer dans la situation qui était la mienne lorsque j'ai pris des décisions. Je n'ai donc pas regardé l'intégralité des auditions que vous avez menées ni cherché à reconstituer l'ensemble du dossier. Pour autant, il aurait été dangereux de m'en remettre à ma seule mémoire. J'ai donc essayé de me replonger dans les documents que j'avais eu à connaître. N'y voyez en rien une formule exonératoire de responsabilité : au contraire, tout problème dans la transmission d'informations à l'autorité que je représentais, en tant que directeur de cabinet de la Première ministre ou que ministre, mettait en jeu ma propre responsabilité.

Troisièmement, je veux réagir à certains propos que j'ai lus dans la presse, plus que je ne les ai entendus au sein de votre commission. Permettez-moi donc quelques remarques relatives à l'exercice de l'État, au cadre de fonctionnement de l'interministérialité, au rôle de Matignon et aux successions de prises de décisions.

Si je me risquais à une typologie des sujets qui remontent à Matignon, que je qualifie volontiers de « terminus des emmerdes », je les classerais de la sorte : les sujets qui font l'objet d'un désaccord entre les ministères, pour que soit pris un arbitrage interministériel, ceux dont la sensibilité est identifiée en amont et qui nécessitent une prise de position interministérielle, ceux qui relèvent de la gestion de crise, quelle que soit sa nature, et enfin ceux qui sont considérés comme des priorités politiques, par exemple pour fixer un projet de loi avant qu'il ne soit transmis au Conseil d'État.

J'ignore quel est l'effectif actuel du cabinet du Premier ministre. Lorsque je dirigeais celui d'Élisabeth Borne, une quarantaine de conseillers étaient chargés d'instruire ces sujets et d'opérer un filtrage successif pour qu'une position interministérielle soit finalement arrêtée. Ainsi, « Matignon » peut désigner un, deux ou trois conseillers, que personne ne connaît réellement - même si, pour un élu, être reçu par un conseiller de Matignon a déjà bien de la valeur !

Chaque conseiller prend donc des décisions, sur des centaines de sujets. Il revient à la direction de cabinet de ne pas passer à côté d'un dossier majeur. En 2023, 1 200 réunions interministérielles, en présentiel ou à distance, se sont tenues. Il est donc évident que le directeur de cabinet ne peut avoir connaissance de l'intégralité des décisions prises.

Ma responsabilité était donc de procéder à des carottages réguliers pour vérifier que les conditions de prise d'une décision par des conseillers ne masquaient pas un désaccord irrésolu entre deux ministères. Tout cela passe donc par des notes de saisine du directeur de cabinet, des comptes rendus d'activité de chaque pôle et des points avec les cabinets ministériels. En outre, lorsqu'Élisabeth Borne a succédé à Jean Castex, mon prédécesseur, Nicolas Revel, m'a fait une passation sur certains sujets sensibles : celui que vous étudiez n'en faisait pas partie.

Sans prétendre vous fournir de données scientifiques, il y a presque trente ans, j'ai le souvenir d'avoir entendu Olivier Schrameck, alors directeur de cabinet de Lionel Jospin, dire dans une émission qu'il était amené à prendre une centaine de décisions par jour. Je n'ai pas sa force de travail, aussi je minorerai quelque peu ce volume, qui devait cependant atteindre plusieurs dizaines. À terme, il en ressort peut-être cinq sujets qui font l'objet d'une discussion avec le Premier ministre, dont un ou deux nécessiteront un échange avec le Président de la République, ou une mention au cours des réunions préalables entre le directeur de cabinet et le secrétaire général de l'Élysée, qui se tiennent, du moins hors période de cohabitation, toutes les semaines. Dans la période où j'étais directeur de cabinet, je n'ai jamais évoqué ce sujet avec la Première ministre ni avec le secrétaire général de l'Élysée. A fortiori, il n'a jamais fait l'objet d'échanges entre la Première ministre et le Président de la République. Bien entendu, je n'ai pas assisté à l'intégralité de leurs entretiens, mais Alexis Kohler et moi-même étions présents aux discussions relatives aux affaires de l'État.

Un ministère ne peut agir qu'une fois la ligne politique fixée et la responsabilité politique asssumée au niveau de Matignon dans un bleu. Ni en tant que directeur de cabinet ni en tant que directeur adjoint du cabinet dans une période précédente, il ne m'a jamais semblé qu'un circuit parallèle de prise de décision, en particulier sur un sujet engageant la responsabilité de l'État comme l'est la sécurité sanitaire, ait pu exister. Cela ne signifie pas que l'Élysée n'a pas, quelquefois, à connaître de sujets. Cependant, y compris lorsqu'il y a un désaccord, l'Élysée demande un bleu à Matignon, qui peut lui-même susciter des divergences de vues. En l'espèce, cela n'a pas été le cas. Mon travail consistait aussi à vérifier que les bleus, souvent lapidaires dans leur rédaction, mentionnant un accord entre les ministères, ne cachaient pas un désaccord qui aurait été écrasé par le rapport de force. Cela n'a pas non plus été le cas.

J'en viens aux questions de M. le président.

J'ai eu à connaître de ce dossier le 13 octobre 2022, par une note qui m'a été adressée par deux conseillers, l'un chargé des participations publiques, de la consommation et de la concurrence, l'autre de la santé, au visa de leur chef de pôle respectif et du directeur adjoint du cabinet. Cette note exposait le cadre général en proposant des éléments globaux également présents dans le bleu de février 2023.

À ce propos, monsieur le président, vous le savez parfaitement : ce bleu ne validait pas la filtration à 0,2 micron, mais autorisait à descendre sous le seuil de 0,8 micron - c'est différent. Bien entendu, nous pourrons revenir sur l'éventualité d'un accord tacite derrière ces mots. Mais l'arbitrage de Matignon ne validait en rien le seuil à 0,2 micron.

J'ai donc été saisi par une note du 6 octobre, dont j'ai pris connaissance le 13 octobre. Ma remarque écrite a été la suivante : « Accord sur les préconisations. Signaler sans délai la grande sensibilité aux ARS et aux préfectures. » Cela pourra vous éclairer sur les délais de transmission entre les autorités nationales, les services déconcentrés et les agences régionales de santé d'Occitanie et du Grand Est.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Monsieur le ministre, la vision transversale dont vous bénéficiez est très utile pour notre commission.

Revenons sur le « terminus des emmerdes » qu'est Matignon. Vous évoquez des conseillers que personne ne connaît, qui prennent des décisions qui engagent la Nation sur des sujets suscitant parfois des désaccords entre les ministères. Comment expliquez-vous le choix de remonter ou non une information à la Première ministre ? Pourquoi, dans cette affaire, alors même que la sensibilité du sujet a mené les industriels de Nestlé à avoir des contacts avec le secrétaire général de l'Élysée, n'avez-vous pas estimé judicieux de la prévenir ? Avez-vous, vous-même, eu des contacts avec Nestlé Waters ?

M. Aurélien Rousseau. - Je n'ai jamais eu de contacts avec Nestlé Waters, ni dans mes fonctions de directeur de cabinet - qui avaient une dimension quelque peu monacale, de ce point de vue ! - ni en tant que ministre.

Il est difficile d'apporter une réponse définitive à la première partie de votre question. Tout directeur de cabinet doit gérer la granularité de ses remontées auprès de son autorité politique. Celle-ci, selon son profil, souhaite parfois prendre connaissance de tous les dossiers, parfois des plus importants seulement.

Aujourd'hui, au vu des développements de l'affaire et de l'ampleur de la fraude, évaluée à 3 milliards d'euros, me semble-t-il, il est évident que j'aurais pu décider d'en parler à la Première ministre - mais cela aurait fait l'objet d'une information plus que d'une demande d'arbitrage. En effet, le dossier qui m'avait été transmis ne faisait pas l'objet d'un désaccord entre les ministères. En outre, le sujet n'apparaissait pas dans les comptes rendus d'activité de quatre ou cinq pages que me transmet chaque pôle en fin de semaine, et que je lis pour identifier d'éventuels dossiers à reprendre à mon niveau. Enfin, alors que j'ai, tous les quinze jours, un entretien de deux heures avec les directeurs de cabinet de chaque ministre, il ne m'a jamais été remonté.

La question se situait donc plus en amont. Avais-je accès au niveau d'information suffisant, notamment sur les conditions dans lesquelles Nestlé Waters était allé voir le cabinet de Mme Pannier-Runacher ou sur le déclenchement de l'inspection conjointe ? À ce moment, il ne m'est pas apparu qu'il y avait un sujet de sécurité sanitaire. Il me semblait que nous devions surtout pousser les industriels à se remettre sur le droit chemin. Il y a du tacite dans tout cela : je sais, par ailleurs, la situation de ces grandes entreprises, qui peuvent accumuler beaucoup de bénéfices et qui font toujours pression sur l'emploi.

La question du risque sanitaire ne semblait donc pas préoccupante. Par ailleurs, nous n'avions pas réellement de certitude sur le seuil à partir duquel une filtration affecterait le microbisme de l'eau - à 0,2 micron, bien entendu, cela ne fait pas de doute. La note du conseiller m'informait que c'était le seuil demandé par Nestlé. Le ministère de la santé considérait qu'il n'était pas admissible, puisqu'il revenait à une forme de désinfection. C'est pour cette raison que la compétence technique a été transférée aux ARS au moment de leur création, il y a une douzaine d'années : il ne s'agit pas seulement d'une patate chaude que l'on renvoie aux préfets et aux directeurs généraux des ARS... Nous leur avons donc suggéré de descendre sous le seuil de 0,8 micron. Dans certaines auditions, l'idée qu'un accord tacite aurait été passé avec Nestlé Waters a été évoquée. Il n'y a jamais eu d'arbitrage en ce sens, mais il est vrai que j'ai pondéré beaucoup plus fortement la mise à l'écart d'un risque sanitaire par rapport à un risque - désormais avéré - de tromperie du consommateur quant au fait de boire une eau minérale naturelle, ou une eau sans danger pour la santé, mais qui ne pouvait pas être qualifiée d'eau minérale naturelle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous avons un écart d'interprétation sur ce que disait précisément ce bleu. Il préconisait en effet de descendre en dessous de 0,8 micron, mais également « d'accompagner le plan de transformation de Nestlé Waters », qui prévoyait explicitement, comme le savaient les services de l'État, la microfiltration à 0,2 micron.

Je reviens sur la note du 13 octobre 2022.

Je comprends donc que, lorsque vous arrivez à Matignon le 17 mai 2022, votre prédécesseur ne vous laisse rien sur ce sujet, et que vous le découvrez par la note du 13 octobre 2022. Pouvez-vous me le confirmer ?

M. Aurélien Rousseau. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette note est intéressante... Cela dit, je suppose que vous avez découvert énormément de sujets en même temps.

M. Aurélien Rousseau. - En effet, les notes que j'ai eues lors de mon échange avec mon prédécesseur portaient tant sur l'enquête relative à l'assassinat en prison d'Ivan Colonna que sur de grands arbitrages à réaliser en matière de politique énergétique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur cette note du 13 octobre 2022, votre retour manuscrit est clair : « accord pour préconisations », « signaler grande sensibilité aux ARS et préfectures ». Parmi ces préconisations, il en est une que nous trouvons importante : « demander à l'industriel de fournir sous un mois aux ARS toutes les données permettant d'évaluer l'effet du filtrage à 0,2 micron sur la qualité microbiologique de l'eau », ce qui signifie bien que vous aviez en tête que ce plan de transformation impliquait la filtration à 0,2 micron...

Avez-vous, à un moment ou un autre, eu un retour sur cette évaluation ?

M. Aurélien Rousseau. - Non, je n'en ai pas eu à mon niveau.

Vous avez raison, et d'ailleurs la note le mentionne, d'une certaine manière : de ce que je comprends a posteriori, l'industriel avait dit, en gros, que, dans le plan qu'il pouvait mettre en oeuvre, il allait retirer les filtres à charbon. Mais il était nécessaire de garder le filtrage à 0,2 micron, et il fallait en évaluer les conséquences.

En tout état de cause, je comprends que cela n'a pas été fait dans le délai d'un mois, et je ne sais pas dire à quelle date cela a été fait.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À notre connaissance, cela n'a toujours pas été fait.

Cette information est essentielle dans le processus de décision de l'État. Dès lors que vous n'avez pas eu, au bout d'un mois, cette évaluation de l'effet du filtrage à 0,2 micron sur le microbisme de l'eau, vous vous êtes engagé dans un processus d'autorisation en marge de la légalité, puisqu'il s'agissait bien, au départ, d'eau minérale naturelle.

Partagez-vous l'idée que cette information, que vous avez d'ailleurs demandée à raison, était essentielle à la prise de décision publique, et que le fait qu'elle ne vous revienne pas a posé un certain nombre de difficultés qui ont biaisé la prise de décision de l'État ?

M. Aurélien Rousseau. - Oui, je la partage.

Ce que j'ai cru, à la lecture de la note, et j'en prends l'entière responsabilité - j'ai compris depuis que ce n'était pas le cas -, c'est que Nestlé n'avait pas encore mis en oeuvre ce filtrage à 0,2 micron.

Dans la note, il est dit : « l'industriel a indiqué être en mesure de suspendre le traitement Hépar UV s'il était autorisé alors à continuer une filtration à 0,2 micron. » J'aurais sans doute dû comprendre. J'ai demandé à l'industriel de fournir sous un mois toutes les données permettant l'évaluation du filtrage à 0,2 micron. Pour moi, c'était le plan qui était proposé par l'industriel - je ne connaissais pas le contexte local. Je comprends que, en fait, ils filtraient déjà à 0,2 micron et qu'ils avaient sans doute commencé à le faire bien avant.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, de ce que nous en comprenons nous-mêmes, c'était en complément des filtres à charbon et des lampes à UV.

Vous avez dit tout à l'heure que vous faisiez un « carottage » en cas d'oppositions entre ministères. Dans cette note transparaît le fait que le directeur général de la santé, M. Salomon, n'était absolument pas aligné avec le ministère de la santé, et il me semble que c'est sa position qui est défendue.

Comment expliquez-vous que ce qu'a dit le directeur général de la santé, qui n'est pas peu de choses - ayant ensuite été ministre de la santé, vous êtes bien placé pour le savoir -, ait été écarté de cette manière ? M. Salomon préconisait de dire non à la filtration à 0,2 micron, qui remet en cause l'appellation eau minérale naturelle et pouvait conduire à l'arrêt de production sur un certain nombre de sites. Comment expliquer que, dans le processus de décision ou dans votre appréciation du dossier, sa position ait été écartée au profit de l'approche de l'industrie et du soutien à la solution Nestlé ?

M. Aurélien Rousseau. - Tout d'abord, je ne vois pas de référence à l'avis du professeur Salomon dans la note.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Mais sommes-nous d'accord pour dire que l'opposition à 0,2 micron y figure ?

M. Aurélien Rousseau. - Oui, elle est très clairement formulée. Je ne le conteste en rien. Mais je ne vois pas l'avis de Jérôme Salomon.

Du reste, Jérôme Salomon et moi-même nous écrivions très régulièrement. Nous avons travaillé ensemble jour et nuit pendant la crise du covid, et il me signalait tout problème. Il en allait de même pour les ministres, que ce soit M. Braun ou Mme Firmin-Le Bodo. C'est inhérent à la fonction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Et vous n'avez jamais eu d'alerte de sa part à ce sujet ?

M. Aurélien Rousseau. - Non, jamais.

Par ailleurs, peut-être ai-je été myope, mais, pour moi, l'étape après l'autorisation de descendre sous 0,8 micron n'était pas 0,2 micron. Du reste, même si c'est forcément discutable, le directeur général de la santé actuel, Grégory Emery, que vous avez entendu, considérait que l'on ne pouvait pas aller en dessous de 0,45 micron.

Selon moi, le bleu, que j'ai dû recevoir par mail, mais que je n'ai pas décortiqué, montre que l'avis du ministère de la santé a été pris en compte, puisque l'on ne s'aligne pas sur 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez raison, le ministère de la santé a changé de position. Ce qui reste assez énigmatique pour nous à ce stade de nos travaux, c'est qu'il y a eu une opposition claire entre le cabinet et la direction générale de la santé et que la ministre semble assumer le fait que la solution qui a été retenue est celle que proposait le cabinet.

J'avance un peu dans le temps. En janvier 2023, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui a été saisie par le DG santé, rend son avis sur la question de la microfiltration à 0,2 micron. Celui-ci indique clairement qu'une telle microfiltration est assimilable à une désinfection - c'est écrit noir sur blanc dans le rapport. Nous sommes un mois avant la décision interministérielle qui bleuit la décision prise. Avez-vous été informé de cet avis ?

M. Aurélien Rousseau. - Non, je n'en ai pas été informé, mais je pense que c'est pour cela que le 0,2 micron n'est pas dans le bleu.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous expliquer ?

M. Aurélien Rousseau. - Compte tenu de la note et de mon annotation, il n'aurait pas été surprenant que le bleu comprenne le chiffre de 0,2 micron, ce qui aurait été une erreur. S'il n'y est pas, je pense que c'est parce que l'avis de l'Anses est intervenu avant la concertation interministérielle dématérialisée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -C'est l'hypothèse que vous faites, si je vous comprends bien ?

M. Aurélien Rousseau. - Oui.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En même temps, le bleu dit accompagner le plan de Nestlé, qui prévoit 0,2 micron. Cela peut me donner l'impression que l'on joue un peu sur les mots, que l'on use de syllogismes.

M. Aurélien Rousseau. - Il ne dit pas qu'il prévoit 0,2 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En effet, mais il parle d'accompagnement de Nestlé.

M. Aurélien Rousseau. - Vous avez raison : il y a une ambiguïté.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le ministère de l'industrie, notamment, avait bien compris que le plan d'accompagnement signifiait 0,2 micron. Mais ce que je comprends aujourd'hui, c'est que vous, vous ne le saviez pas. Lorsque vous prenez votre décision, vous ne savez pas que plan d'accompagnement de Nestlé signifie alignement sur la proposition de 0,2 micron de Nestlé.

M. Aurélien Rousseau. - Absolument. Surtout, ce que je ne sais pas, c'est qu'ils filtrent déjà à 0,2 micron.

Un délai supplémentaire d'un, de deux ou de trois mois n'aurait pas posé problème si l'on était toujours dans le cadre l'arrêté, toujours en vigueur, qui fixe une filtration à 1 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je veux que ce soit bien clair. Tout à l'heure, vous nous avez lu la note, nous disant qu'il y était écrit « maintien à 0,2 ». Vous n'avez donc pas compris que « maintien à 0,2 » voulait dire que c'était déjà en place ?

M. Aurélien Rousseau. - Oui, tout à fait. Je n'ai pas compris que c'était déjà à l'oeuvre.

C'est en cela que j'évoque une alternance trop rapide : sans doute aurais-je mieux compris ces éléments si j'avais eu une connaissance approfondie du sujet, si j'avais lu le rapport...

Cela dit, je veux, en toute modestie, préciser un point de sociologie administrative. Le directeur général de la santé alerte. Le ministre doit trancher. C'est absolument normal. J'ai écouté l'audition de l'actuel directeur général de la santé. Je m'interroge : comment cette décision a-t-elle pu être prise alors que le ministère de la santé y était radicalement opposé ? Je n'en sais strictement rien, et je me demande, y compris en tant que professionnel, comment j'ai pu passer à côté d'un tel sujet. J'en déduis que, si ce que dit Jérôme Salomon est manifestement juste, à savoir que ce ne serait plus de l'eau minérale naturelle, puisqu'il y aurait désinfection, cela n'entraînerait pas pour autant un risque sanitaire, bactériologique, virologique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il apparaît, au fil de nos auditions et de nos découvertes - cela figurait déjà en creux dans le rapport de ma collègue Antoinette Guhl -, que l'enjeu sanitaire est permanent.

À partir du moment où vous enlevez les filtres, vous êtes face à une eau dont des hydrogéologues disent qu'elle n'est plus originellement pure, une eau qui appelle des traitements. Or, comme le dit, cette fois, le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), le traitement à 0,2 micron pose un risque ou, en tout cas, soulève une question virologique.

Et nous constatons que, si l'ARS Grand Est a pris très tôt des mesures de contrôle sanitaire renforcé, en Occitanie, la confiance et l'autocontrôle ont perduré longtemps.

La question qui se pose est donc plutôt celle de la gestion de ce risque. Quand l'eau n'est plus originellement pure, on détruit ex post et on fait des analyses pour vérifier la pureté originelle de l'eau. C'est ce qui s'est passé il y a encore un mois sur le site de Vergèze.

Il y a donc bien au coeur de cette affaire un enjeu sanitaire, même si, à notre connaissance, il ne s'est pas matérialisé. Dès lors qu'il y a un problème de pureté originale, nous sommes dans une zone un peu délicate.

M. Aurélien Rousseau. - J'en ai parfaitement conscience. Je ne dis pas du tout qu'il n'y a pas d'enjeu sanitaire. Il y a un enjeu sanitaire. Cependant, y a-t-il un risque sanitaire ?

Parce qu'elle détruit des mauvaises, mais aussi des bonnes bactéries, la filtration - Antoinette Guhl l'a expliqué - change, d'une certaine manière, la qualité, raison pour laquelle l'eau n'était plus exploitable avec cette appellation. Mais, globalement, cet enjeu sanitaire ne s'est pas transformé en risque sanitaire, risque que j'ai toujours eu à l'esprit, y compris quand j'étais ministre.

Vous évoquez la différence de traitement entre l'ARS Grand Est et l'ARS Occitanie. Oui, la première recourt à l'article 40, et pas la seconde, mais, simultanément, deux puits sont fermés. Le dispositif de contrôle fonctionne et continue à fonctionner. Il a nettement été renforcé depuis, et je crois comprendre que c'est tout l'enjeu des prochains mois : quand on nous annonce que l'eau qui sera commercialisée ne s'appellera plus eau minérale naturelle sur deux puits, nous pouvons considérer que c'est une modification substantielle des conditions de l'autorisation d'exploitation qui a été accordée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - De ce point de vue, avez-vous ou non joué un rôle dans la décision Maison Perrier ?

M. Aurélien Rousseau. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À un moment, apparaît, dans les échanges, le besoin de bleuir la décision. Pourquoi est apparu ce besoin, alors que vous avez dit que les positions s'étaient rapprochées et qu'il y avait eu convergence ? D'après votre expérience, quand bleuit-on une décision ?

Le rapport de l'Igas dit qu'il faut faire plus de transparence dans le secteur, mais a lui-même été tenu secret. Savez-vous quel ministre a tenu à ce que le rapport reste confidentiel et qu'il ne paraisse qu'une fois que la presse en a révélé le contenu - après, d'ailleurs, que mon collègue Hervé Gillé l'eut demandé lors d'une question au Gouvernement ? Nous avons le plus grand mal à obtenir cette information.

M. Aurélien Rousseau. - C'est là, si je puis dire, qu'il faut entrer dans le vif.

Il ne fait pas de doute que le fait que l'on prenne un bleu est lié à une incertitude. Est-il certain, pour tous les acteurs de la concertation interministérielle dématérialisée, que l'on serait en contradiction avec les termes de la directive ? Je ne sais pas si tous ont ce sujet en tête, mais ce dernier figure bien dans le bleu.

Il y a bien un sujet. Les Espagnols sont allés à 0,45 micron, me semble-t-il. On demande au secrétariat général des affaires européennes (SGAE) d'aller voir ce qui a pu être fait ailleurs. Ce qui est sûr, c'est que l'on est en train de valider un dispositif de retour à la norme. Moi, je comprends de la note qu'il n'y a pas de risque sanitaire, que l'on peut retourner à la norme, que les industriels s'y engagent, qu'on leur demande de la transparence et, oui, qu'on leur donne du temps. À cet égard, si, demain, la norme à 1 micron était respectée, les sources seraient empêchées tous les deux jours de mettre l'eau en bouteille !

C'est pour cela que la décision remonte à Matignon. Comme souvent, le privé fonctionne de manière plus simple que le public. Son objectif est de faire du fric. Le public en a deux, même s'ils ne sont pas de même poids : la préoccupation sanitaire, qu'il faudrait peut-être surpondérer, et la nécessité de laisser aux industriels un peu de temps - nous leur en avons manifestement trop laissé - pour revenir à la norme. Par ailleurs, est-on absolument certain que la Commission, si elle devait donner un avis, validerait 0,8, voire 0,45, ou s'en tiendrait à 1 micron ? Je n'en sais strictement rien.

Si cette affaire remonte à Matignon, c'est par ailleurs parce qu'elle met en cause des marques et des entreprises extrêmement importantes, et qu'il faut trouver une voie de sortie. La voie de sortie alternative aurait pu être de vérifier le respect du décret, ce qui aurait sans doute conduit à une accélération de la fermeture de ces puits - les choses se termineront peut-être ainsi.

Sur le volume de fraude que cela pouvait représenter, je vous le dis comme je l'ai pensé, monsieur le rapporteur : je me suis dit, postérieurement - quand j'étais ministre - que, en cas de saisine de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), il était possible de recourir à l'article 40, même si le procureur des Vosges n'est pas un procureur national ; que, si les autres grands minéraliers attaquaient, Nestlé serait condamné et que, s'ils n'attaquaient pas, c'est sans doute parce qu'ils faisaient tous la même chose.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vous remercie de votre honnêteté.

M. Aurélien Rousseau. - Pour ce qui est du rapport de l'Igas, je ne sais pas quel ministre a pris la décision. Je ne l'ai pas eu entre les mains, et n'ai pas cherché à l'avoir depuis. Mais je pense que, si ce rapport avait été rendu public, il aurait réglé la question.

Manifestement, la volonté, que j'assume avoir validée, était celle d'un retour sur la norme. Mais, encore une fois, la pratique à 0,2 micron, que l'on peut probablement qualifier tout de suite d'illicite, était sans doute déjà en place - encore une fois, je ne l'avais visiblement pas mesuré.

Mme Antoinette Guhl. - En réalité, cette décision interministérielle n'est pas le « terminus des emmerdes » : c'est bien le début de l'affaire Nestlé. De fait, c'est bien cette validation à 0,2 micron qui a été l'élément déclencheur. Nestlé nous dit aujourd'hui avoir réalisé 50 millions d'euros d'investissements dans l'usine du Gard - nous l'avons visitée. Ces investissements ont été faits avec une filtration à 0,2 micron. Le fait de valider ce plan de transformation a donc eu des impacts importants pour Nestlé.

Si je conçois, à la limite, que cette décision n'ait pas été connue de vous - peut-être n'avez-vous pas su lire entre les lignes d'une note synthétique -, comment expliquez-vous que les conseillers de votre cabinet ne vous aient pas donné cette information ? Pensez-vous que quelqu'un ait eu la volonté de la cacher pour permettre à Nestlé d'effectuer l'ensemble des travaux souhaités ?

Je ne parviens pas à comprendre le mécanisme de décision. J'entends que vous n'ayez pas tout compris, et je vous accorde que le sujet est compliqué, mais comment se fait-il que vos collaborateurs, qui eux sont outillés, ne vous aient pas mis en garde ?

M. Aurélien Rousseau. - D'abord, je me permets de redire que ce bleu cite des chiffres, mais ne valide pas le 0,2 micron.

L'argument de Nestlé, aujourd'hui, est de dire qu'ils étaient couverts, parce qu'ils avaient toujours dit que la filtration était 0,2 micron. Sauf que l'arrêté du préfet était à 1 micron et que le bleu a autorisé à aller en dessous de 0,8 micron ! Permettez-moi donc d'être en désaccord assez profond avec l'idée que l'autorisation du filtrage à 0,2 micron marque le début de l'affaire Nestlé : leurs pratiques étaient lancées.

Mme Antoinette Guhl. - Je rappelle que le premier paragraphe, qui autorise à aller en dessous de 0,8 micron, ne concerne que les Vosges. Le second concerne Vergèze et parle d'accompagner le plan de transformation.

M. Aurélien Rousseau. - Non, madame la sénatrice. Le bleu parle de prendre en compte l'autorisation d'aller en dessous de 0,8 micron concernant le site de Vergèze et « de définir une démarche d'accompagnement et de contrôle de la qualité de l'eau aux différentes émergences ».

M. Laurent Burgoa, président. - Prenons acte de la position de M. Rousseau, dont je rappelle qu'il a prêté serment, et de la vérité du bleu.

Mme Antoinette Guhl. - On ne saurait contester la lecture du bleu...

M. Aurélien Rousseau. - Sans doute aurait-il été plus pertinent de faire figurer le chiffre dans le bleu.

Enfin, je constate une erreur collective au sujet de la concertation interministérielle dématérialisée. Dans la gradation des dispositifs interministériels, cette dernière correspond au niveau le plus faible. Les parties prenantes ne se sont pas vues ; une proposition de bleu a été envoyée par e-mail, avec deux jours pour y répondre, le secrétariat général du gouvernement étant dans la boucle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pensez-vous, avec le recul, que c'était une erreur ?

M. Aurélien Rousseau. - Avec le recul, je pense en effet qu'il aurait sans doute fallu procéder autrement. En tout état de cause, il y a bien eu un accord formel du ministère de la santé sur cette rédaction - je l'ai vérifié.

Madame la sénatrice, vous avez raison, par construction, Nestlé, qui n'est pas prolixe dans cette affaire, défend l'idée qu'il y a eu un accord tacite entre tous sur le 0,2 micron. Pour ma part, ce que j'affirme, c'est que ce 0,2 micron n'a jamais été validé en droit positif, notamment par un arrêté du préfet du Gard.

Et je ne crois pas que Nestlé ait adressé au préfet un quelconque plan de transformation du site ! Je suis même à peu près certain du contraire, puisque cela aurait voulu dire qu'une nouvelle demande d'autorisation d'exploitation lui aurait été adressée.

Mme Antoinette Guhl. - Et ma question sur vos collaborateurs ?

M. Aurélien Rousseau. - Non, madame la sénatrice, par construction et par conviction, je ne crois pas un instant que mes collaborateurs aient cherché à cacher quelque chose. Je le répète, le dispositif interministériel global a sous-estimé l'ampleur de cette affaire. Je le dis de nouveau et sous serment, si les services du ministère de la santé avaient considéré qu'un risque majeur existait, j'en aurais été alerté.

M. Hervé Gillé. - Je suis en désaccord avec vos propos sur le seuil de 0,8 micron. Vous avez une formation juridique, donc vous le savez, en droit, dès lors que l'on autorise un niveau de filtration inférieur à 0,8 micron sans fixer de valeur minimale expresse, cela signifie que l'on peut ensuite descendre où l'on veut sous ce seuil. Par conséquent, l'entreprise peut se sentir tout à fait légitime d'abaisser son niveau de filtration à 0,2 micron. Si vous aviez autorisé un niveau de filtration inférieur à 0,8 micron, mais supérieur à, par exemple, 0,45 micron, les choses eurent été claires, on connaissait la marge de tolérance.

À mes yeux, il s'agit d'une erreur majeure. Compte tenu de la qualité de la rédaction du bleu, une telle mention a nécessairement été pesée au trébuchet, ce qui signifie que l'on a bien mesuré la situation et que, pour ne pas autoriser expressément une filtration à 0,2 micron, on a autorisé une filtration inférieure à 0,8 micron. J'aimerais avoir une explication claire sur ce point. Pourquoi n'avoir pas fixé une valeur minimale ? Êtes-vous d'accord avec mon raisonnement ?

M. Aurélien Rousseau. - Je ne suis pas d'accord avec votre raisonnement, même si je le comprends.

Vous avez absolument raison, dire qu'on peut aller en deçà de 0,8 micron n'interdit pas de descendre jusqu'à 0,2 micron. Néanmoins, je réfute votre conclusion : ce n'est pas symétrique, cela ne signifie pas que l'on autorise de descendre à 0,2 micron.

M. Hervé Gillé. - On peut le faire, mais cela ne signifie pas que c'est autorisé ?

M. Aurélien Rousseau. - Non, puisqu'il est demandé aux ARS et aux préfets d'analyser le seuil à partir duquel la microfiltration change la qualité microbiologique.

M. Hervé Gillé. - Mais vous n'avez pas indiqué qu'il fallait attendre l'avis des ARS ! Le bleu autorise un niveau inférieur à 0,8 micron.

M. Aurélien Rousseau. - Oui, on permet aux ARS et aux préfets d'autoriser, s'ils le jugent possible, un niveau inférieur à 0,8 micron, mais, s'il avait été question d'autoriser une filtration à 0,2 micron, ça aurait été écrit tel quel. Le directeur général de la santé vous a dit sous serment - pour ma part, je n'en sais strictement rien, je n'ai pas de compétence en la matière - que 0,45 micron serait un niveau admissible. Il vous a en outre dit avoir signifié par courrier aux ARS qu'il ne fallait pas descendre sous ce seuil.

M. Hervé Gillé. - Il fallait l'indiquer dans le bleu.

M. Aurélien Rousseau. - C'est là que le message du directeur général de la santé, que j'ai moi-même nommé à ce poste, intervient un an plus tard.

Je conteste en tout état de cause que la formulation permettant de descendre sous le seuil de 0,8 micron valide implicitement, mais nécessairement selon vous, le fait de descendre à 0,2.

M. Hervé Gillé. - Votre explication ne tient pas juridiquement.

M. Aurélien Rousseau. - Vous vous exprimez comme vous le souhaitez, mais, pour ma part, je pense que cela se tient juridiquement. Ne pas interdire, ce n'est pas autorisé. Et cela se tient parfaitement.

Mme Marie-Lise Housseau. - Le groupe Nestlé a dû faire face à d'énormes problèmes quand il s'est rendu compte que ses eaux n'étaient plus conformes aux critères d'une eau minérale. Son but a dès lors été d'obtenir une autorisation de filtration à 0,2 micron et il a fait le siège des ministères jusqu'à obtenir ce bleu et, parallèlement, Ulf Mark Schneider a rencontré le secrétaire général de l'Élysée.

Avez-vous eu des échos de ce qui s'est dit entre lui et Alexis Kohler ? Ce dernier devait savoir que Nestlé avait sollicité le Gouvernement et, lors de son audition, Mme Muriel Lienau nous a dit que son plan de restructuration et de remise à niveau se fondait sur le seuil de 0,2 micron et elle semblait sûre d'avoir une autorisation. Ainsi, si ce n'est pas vous qui l'avez donnée, ne pourrait-on imaginer que cet accord ait été donné au plus haut niveau ?

M. Laurent Burgoa, président. - Vous faites référence, ma chère collègue, à la partie très courte pendant laquelle Mme Lienau a parlé, ce qu'elle a très peu fait devant notre commission d'enquête...

M. Aurélien Rousseau. - Cette question est évidemment légitime.

Néanmoins, je ne crois pas un instant que le secrétaire général de l'Élysée ait pu toper avec le patron de Nestlé sur 0,2 micron, pas un instant ! Et je le dis au regard du nombre de fois où j'ai eu des désaccords avec lui. En effet, le Président de la République n'a pas de responsabilité administrative. Au bout du compte, c'est le Premier ministre qui dirige l'administration ; c'est pourquoi tout passe par un bleu.

Je peux imaginer - je ne fais ici que supputer - qu'Alexis Kohler reçoive le patron de Nestlé et lui dise avoir conscience du problème industriel et l'étudier, mais permettez-moi de remarquer que, dans tout ce que Nestlé raconte, ce qui est le plus clair est une validation du seuil de 0,2 micron, obtenue peut-être même du secrétaire général de l'ONU lui-même ! Cette clarté me paraît trop vive et ressemble furieusement à des éléments de langage. En tout état de cause, je n'ai aucune trace d'un document de l'administration qui valide ce plan d'investissement et le seuil de 0,2 micron qui en serait le sous-jacent. Nestlé s'est mis dans une position dans laquelle aucun de ses dirigeants que vous avez entendus n'a pu vous dire qu'ils avaient une validation explicite du seuil de 0,2 micron.

Du reste, quand bien même le secrétaire général de l'Élysée écrirait sur un papier à en-tête qu'il valide 0,2 micron, cela n'aurait aucune valeur. De même, le directeur général de la santé a écrit aux directeurs généraux d'ARS qu'ils pouvaient valider des filtrations à 0,45 micron, mais, à ce jour, l'arrêté du préfet du Gard est toujours fixé à 1 micron.

D'ailleurs, Nestlé est suffisamment outillé en affaires publiques pour savoir par où passe une décision administrative dans ce pays ; la responsabilité individuelle d'un préfet ou d'un directeur d'ARS peut être engagée si, par exemple, on retrouve demain des bactéries Escherichia coli un peu partout. En aucun cas, cela ne remontrait au Président de la République ; la chaîne de responsabilité s'arrêterait au directeur général d'ARS et au préfet.

M. Alexandre Ouizille, président. - D'abord, votre interprétation de l'autorisation du seuil de 0,2 micron est remise en cause par l'interprétation qu'en fait le ministère de l'industrie ; pour les personnes entendues en audition, les choses étaient claires. Je note cet écart d'interprétation et je comprends que l'information qui est parvenue jusqu'à vous ne vous a pas permis de prendre la décision en toute connaissance de cause.

Ensuite, pendant de nombreuses années, le consommateur a bu de l'eau minérale traitée en pensant boire de l'eau minérale naturelle et il a appris cette situation par la presse, en janvier 2024. N'était-ce pas le rôle de l'État que de révéler cette information au grand public à partir du moment où il la connaissait, c'est-à-dire en juillet 2021 ? Vous-même, vous êtes-vous posé la question de l'information du public ?

Enfin, Alexis Kohler n'est pas venu devant la commission d'enquête. Qu'en pensez-vous en tant qu'ancien haut fonctionnaire, ancien ministre et élu de la Nation ?

M. Aurélien Rousseau. - La première question est fondamentale. Que le ministère de l'industrie pense avoir validé 0,2 micron et autorisé Nestlé à mettre en oeuvre cette filtration, pour rester en bons termes avec cette entreprise, soit, mais, in fine, cela ne relève pas de sa compétence, car, au bout du compte, la responsabilité relève du directeur général de l'ARS et du préfet, sur avis ou visa du premier. Je devine bien ce qu'il s'est passé, c'est de la sociologie administrative de base : « On aurait bien voulu vous aider, mais ce sont ces cons du ministère de la santé qui nous en empêchent. » En réalité, en vertu de l'architecture ministérielle, les ARS sont sous l'autorité du ministre de la santé.

Peut-être existait-il des échanges entre, d'une part, les cabinets des ministres Lescure et Pannier-Runacher ou les ministres eux-mêmes et, d'autre part, les industriels, mais je ne sache pas qu'il y ait de canal direct avec le directeur général de l'ARS d'Occitanie ou avec le préfet du Gard, lesquels, je le répète, engagent leur responsabilité personnelle.

Deuxièmement, je l'ai dit tout à l'heure et je n'ai rien à y ajouter, je considérais que la décision prise permettrait de revenir à la norme et de préserver un site industriel majeur, en n'accroissant pas le risque de fermeture de ce site. J'ai sans doute sous-estimé l'ampleur de la fraude que cela constituait. En outre, j'ai indiqué précédemment de la manière la plus transparente possible ce que je me suis dit à propos des concurrents, qui pourraient intervenir.

Je ne commenterai pas la décision d'Alexis Kohler.

Toutefois, je précise que j'ai moi-même été amené à plusieurs reprises à opposer à des commissions d'enquête le fait que, si les ministres, directeurs d'administration centrale, directeurs d'agence ou directeurs de cabinet du Premier ministre travaillent bien sous le contrôle du Parlement, je n'avais pas à rendre compte d'instructions ou d'échanges avec le Président de la République, lequel n'est pas constitutionnellement placé sous le contrôle du Parlement.

En tout état de cause, ce qui est certain - cela fera le lien avec la question de Mme Housseau -, c'est qu'il ne peut pas y avoir eu, selon moi, de circuit parallèle de décision ou de validation. Je pense qu'il y a eu une ambiguïté sciemment entretenue par Nestlé sur son plan et son caractère intangible. Cette société affirme que son plan était ontologiquement fondé sur une filtration à 0,2 micron. Pour ma part, d'après tous les éléments que j'ai eus, je ne l'ai pas compris ainsi.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie de votre participation, monsieur Rousseau.

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