Les conséquences délétères de la pornographie : résultats des recherches sur les conséquences sociétales et psychologiques de la pornographie

Intervention de Gemma Kelly, responsable des politiques et des affaires publiques au CEASE (Centre to End All Sexual Exploitation), Royaume-Uni

Je suis honorée d'être ici aujourd'hui pour participer à cette discussion d'une importance cruciale.

À CEASE, nous considérons que la pornographie est, par essence, une forme de violence à l'encontre des femmes et des filles. Dans la pornographie mainstream, les femmes et les filles sont déshumanisées, dégradées, torturées et dépouillées de toute humanité.

Les femmes sont la cible d'agressions physiques et verbales dans 90 % des scènes de contenu pornographique, et la majorité du temps, les agresseurs sont des hommes.

D'autres études montrent que, dans ces scènes de violences sexuelles, 95 % du temps, les femmes dans les vidéos réagissent soit positivement, soit avec indifférence. Ce point est très important car cela apprend aux personnes qui regardent ces vidéos pornographiques qu'il y a consentement, qu'elles ne disent pas non. Mais nous le savons, si elles ne disent pas non, c'est qu'elles ne le peuvent pas.

En 2021, des chercheurs ont analysé plus de 130 000 titres de vidéos recommandées aux nouveaux utilisateurs sur Pornhub, XVideos et XHamster, qui sont trois grands sites pornographiques. Ils ont constaté que :

- un titre sur huit décrivait des actes sexuels correspondant à une forme de violence sexuelle, telle que définie par l'Organisation mondiale de la santé ;

- le mot « teen » (adolescente) était le terme le plus fréquent dans l'ensemble des titres analysés ;

- les trois mots les plus courants dans les vidéos impliquant de la coercition et de l'exploitation étaient « schoolgirl » (écolière), « girl » (fille) et « teen » (adolescente) ;

- l'activité sexuelle entre membres d'une même famille, c'est-à-dire l'inceste, était la forme de violence sexuelle la plus fréquemment représentée ;

- la deuxième catégorie la plus courante concernait les agressions physiques et les violences sexuelles.

Ces vidéos étaient proposées à des primo-utilisateurs de sites pornographiques, y compris des enfants.

En 2023, la Children's Commissioner for England a révélé que l'âge moyen auquel les enfants britanniques regardent pour la première fois de la pornographie est désormais de 13 ans, avec 27 % d'entre eux y ayant été exposés dès 11 ans et 10 % dès l'âge de 9 ans. Cela correspond à ce que nous voyons dans d'autres études à travers le monde.

La consommation de pornographie en ligne banalise les agressions sexuelles, les pratiques sexuelles à risque et la domination sexuelle violente des hommes sur les femmes. Elle réduit les femmes et les filles à de simples objets sur lesquels sont exercés des actes sexuels et violents.

Ainsi, la pornographie violente et misogyne façonne profondément les comportements sexuels, aussi bien chez les adultes que chez les enfants.

Les femmes, en particulier les plus jeunes, se sentent sous pression pour reproduire les « scripts » que leurs partenaires masculins ont appris dans la pornographie. Elles sont poussées à accepter des pratiques sexuelles douloureuses et dangereuses, comme l'étranglement ou la sodomie, que les hommes et les garçons sont conditionnés à désirer par la pornographie.

Une enquête menée en 2019 auprès d'un échantillon représentatif de 2 000 femmes britanniques âgées de 18 à 39 ans a révélé que :

- 38 % d'entre elles avaient subi des gifles, des étranglements, des bâillonnements ou des crachats pendant un rapport sexuel - autant de pratiques qui sont courantes dans la pornographie ;

- 42 % avaient ressenti de la pression, avaient été contraintes ou forcées à accepter ces actes sexuels violents.

Au Royaume-Uni, les professionnels de santé rapportent que des femmes souffrent d'incontinence fécale due à des rapports anaux violents - une situation qu'ils disent n'avoir jamais rencontrée auparavant. Ils constatent également une augmentation des blessures liées à des étranglements non mortels.

La pornographie a complètement banalisé l'étranglement pendant les rapports sexuels. Bien qu'il soit souvent qualifié de « breath play » (jeu respiratoire) ou de « choking » (étranglement) pour minimiser sa dangerosité, l'étranglement non mortel peut en réalité entraîner de graves séquelles médicales : arrêt cardiaque, accident vasculaire cérébral, fausse couche, incontinence, crises d'épilepsie, paralysie, troubles de la parole et autres lésions cérébrales irréversibles. Dans le pire des cas, il peut conduire à la mort.

Pourtant, une simple recherche sur un seul site pornographique a permis d'identifier 26 millions de vidéos mettant en scène des actes d'étranglement pendant un rapport sexuel.

Il n'est donc pas surprenant que le rapport de la Children's Commissioner mentionné plus tôt ait révélé que :

- 47 % des jeunes interrogés pensent que les filles s'attendent à ce que les relations sexuelles impliquent de l'agression physique ;

- 42 % estiment que les filles apprécient les actes sexuels physiquement agressifs.

Il n'est pas non plus surprenant que les jeunes interrogés dans cette étude aient eux-mêmes exprimé leurs inquiétudes sur l'impact de la pornographie violente sur leur compréhension de la frontière entre plaisir sexuel et violence.

La consommation de pornographie est également associée à une probabilité accrue de commettre des actes d'agression sexuelle, qu'ils soient verbaux ou physiques.

Comme dans d'autres pays, la violence à l'encontre des femmes et des filles a atteint des proportions épidémiques au Royaume-Uni. Nous sommes à un point critique, et de nombreuses preuves indiquent que l'un des principaux facteurs de cette recrudescence des violences sexistes et sexuelles est l'accès libre et illimité à la pornographie en ligne.

Un rapport du gouvernement britannique de 2020 a reconnu qu'il existe « des preuves substantielles d'une association entre la consommation de pornographie et l'adoption d'attitudes et de comportements sexuels préjudiciables envers les femmes ».

Ce même rapport a révélé que la plupart des personnes interrogées estiment que « l'augmentation de la pornographie violente a conduit à une hausse du nombre de personnes acceptant des actes sexuels violents et à une augmentation des agressions sexuelles ».

D'autres études indiquent que les consommateurs de pornographie sont :

- plus susceptibles d'exprimer une intention de violer ;

- moins enclins à intervenir lors d'une agression sexuelle ;

- plus enclins à blâmer les victimes d'agression sexuelle ;

- plus susceptibles de soutenir les violences faites aux femmes ;

- plus enclins à diffuser des « sextos » sans consentement ;

- plus susceptibles de commettre des violences sexuelles.

L'industrie pornographique n'est pas neutre dans cette prolifération des violences sexuelles. Bien au contraire, elle en est le fondement même. C'est la base de son modèle économique : comme toutes les plateformes en ligne, elle repose sur le principe du « contenu roi », avec pour objectif ultime d'augmenter son trafic. Plus un site attire de visiteurs, plus il est rentable. L'industrie pornographique vend la violence sexuelle comme un divertissement et représente aujourd'hui un marché estimé à 97 milliards de dollars dans le monde.

Cette industrie a prouvé à maintes reprises qu'elle ne sacrifiera jamais ses profits pour protéger les femmes et les enfants. Elle fait tout pour éviter toute forme de la régulation.

C'est pourquoi une réponse forte et coordonnée des gouvernements à travers le monde est indispensable. Je me réjouis donc d'être ici et de voir un public aussi nombreux et enthousiaste.

Malgré les ravages déjà causés par la pornographie, il n'est pas trop tard pour protéger les adultes et les enfants de ses effets dévastateurs. J'ai hâte d'échanger avec vous sur la manière dont nous pouvons agir ensemble pour demander des comptes à cette industrie dangereuse.

Laurence Rossignol : Je passe maintenant la parole à Maïna Cerniawsky de l'ONG française Osez le féminisme, qui va nous livrer un témoignage des violences subies par les victimes de l'industrie pornographique.

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