N° 730

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juin 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le remplacement des enseignants,

Par M. Olivier PACCAUD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Le remplacement des enseignants constitue un enjeu majeur de l'Éducation nationale aujourd'hui, en particulier au vu de la baisse des résultats scolaires des élèves. Olivier Paccaud, rapporteur spécial des crédits de l'enseignement scolaire, a présenté à la commission des finances le 11 juin 2025 les conclusions de son travail de contrôle sur cette problématique forte pour les familles.

I. UN NOMBRE CROISSANT D'HEURES D'ENSEIGNEMENT NON REMPLACÉES

A. DES ABSENCES EN HAUSSE DES ENSEIGNANTS

Dans le premier degré, 7,5 millions de demi-journées d'absence ont été comptabilisées en 2023-2024, en augmentation de 17,4 % par rapport à 2018. Dans le second degré public, on compte 17,4 millions de journées d'absence de longue durée, c'est-à-dire d'une durée de plus de 15 jours, en augmentation de 15,6 % par rapport à 2018.

Les absences des enseignants sont liées dans une très large mesure aux raisons de santé. Dans le premier degré, près de 41,5 % des demi-journées d'absence sont dues à des congés de maladie ordinaire en 2024. Dans le second degré, 61,2 % des enseignants absents sont en congé maladie ordinaire.

Évolution des motifs d'absence des enseignants affectés en établissement
dans le premier degré (à gauche) et dans le second degré (à droite)
entre 2018 et 2024

Note : dans le graphique de gauche, les absences dans le premier degré sont exprimées en demi-journées d'absence et dans le graphique de droite, en équivalents temps pleins (ETP).

Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale

Les absences des enseignants en raison de congés de maladie ordinaire ont augmenté depuis 2018, à hauteur de 28 % de demi-journées d'absence dans le premier degré et de 32 % d'enseignants absents dans le second degré.

La hausse des absences pour raisons de santé correspond à une évolution globale de la société. Ainsi, le nombre d'absences pour raison de santé a augmenté de 39 % dans le public et de 25 % dans le privé depuis 2018.

Le taux moyen d'absence des enseignants reste moins élevé de 13 % que celui des salariés du secteur privé.

B. EN CONSÉQUENCE, UNE CROISSANCE DES ABSENCES NON REMPLACÉES...

La hausse du nombre d'absences a un effet à la hausse sur la proportion d'heures de cours non remplacées.

Un taux d'efficacité du remplacement de

de

et de seulement

 
 
 

dans le premier degré,

pour les absences de longue durée1(*) dans le second degré

pour les absences de courte durée dans le second degré.

Les difficultés de remplacement des enseignants sont contrastées territorialement. Ainsi, dans le premier degré, elles sont fortes dans les académies franciliennes (Versailles, Créteil, Paris), ultramarines en Corse ou encore à Strasbourg. Les départements ruraux en particulier rencontrent des difficultés de remplacement dans le premier degré, dans l'Orne, dans la Creuse ou encore dans le Gard.

Le nombre d'absences non remplacées a augmenté de 49 % dans le premier degré et de 93,2 % dans le second degré entre 2018 et 2024.

Nombre de demi-journées d'absence non remplacées dans le premier degré
et de journées d'absence de longue durée non remplacées dans le second degré

(en pourcentage)

Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale

C. ... QUI PRÉOCCUPE LES FAMILLES

Le non remplacement des heures de cours constitue une source importante d'irritant pour les familles, qui considèrent qu'il s'agit d'un manquement à la continuité du service public. Le Conseil d'État (Conseil d'État, Lebon, 1988) leur a donné raison. Le juge administratif2(*) a ainsi accédé aux demandes des parents d'élèves concernant le remplacement des enseignants dans certaines affaires récentes.

En raison des absences non remplacées des enseignants :

une classe perd en moyenne

dont

et

 
 
 

de temps scolaire

dans le premier degré

dans le second degré

II. DES DÉPENSES REPRÉSENTANT 4,7 % DE LA MISSION « ENSEIGNEMENT SCOLAIRE »

A. UN COÛT BUDGÉTAIRE DE PRÈS DE 4 MILLIARDS D'EUROS

Les crédits dédiés au remplacement dans la mission « Enseignement scolaire » s'élèvent à 4,216 milliards d'euros (LFI pour 2025), en hausse de 33 % par rapport à 2017. Nette de l'inflation, la hausse est de 10,5 %, soit 442 millions d'euros supplémentaires en huit ans. Toutefois, le budget consacré au remplacement reste stable et représente 4,7 % en 2025.

La prévision des crédits n'est par ailleurs pas fiable. Au total, les crédits dédiés spécifiquement au remplacement dans la programmation budgétaire ont été sur-consommés de 9 % en 2024, représentant 371 millions d'euros.

Évolution des crédits dédiés au remplacement
dans la mission « Enseignement scolaire » entre 2017 et 2025

(en millions d'euros et en crédits de paiement)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

B. LE COÛT RÉEL DES ABSENCES DES ENSEIGNANTS SOUS-ESTIMÉ

Le coût réel du remplacement des absences des enseignants pour la mission « Enseignement scolaire » est toutefois largement sous-estimé dans la programmation budgétaire.

En premier lieu, le coût des heures supplémentaires d'enseignement (HSE) et du Pacte enseignant dans le public n'est pas comptabilisé dans les actions dédiées au remplacement. Il s'élève pourtant à 130 millions d'euros pour 2023-2024 et a été multiplié par 5,5 entre 2018 et 2024 depuis la mise en oeuvre du Pacte enseignant.

Par ailleurs, les enseignants absents, rémunérés également par le ministère de l'éducation nationale, représentent un coût qui s'ajoute au budget consacré au remplacement. En appliquant une méthode identique à celle utilisée par l'Inspection3(*) générale des finances, il est possible d'estimer leur coût à 1,58 milliard d'euros en 20224(*).

Le coût global des absences des enseignants est estimé à 5,42 milliards d'euros en 2022, en hausse de 35 % en 5 ans.

C. UN POTENTIEL NET DE REMPLACEMENT STABLE ET INSUFFISANT

Le potentiel net de remplacement, soit la part d'enseignants titulaires ou contractuels de longue durée véritablement mobilisables pour des missions de remplacement, est stable dans le premier et le second degré depuis 2018. Elle représente environ 10,9 % des enseignants du premier degré et 2,5 % des enseignants du second degré.

Les contractuels représentent une part importante et croissante du vivier d'enseignants remplaçants. Ainsi, ils comptent pour 17 % des enseignants remplaçants dans le premier degré et 46 % dans le second degré en 2023-2024.

Évolution de la part d'enseignants mobilisables pour des missions
de remplacement dans le premier et le second degré public entre 2018 et 2025

(en ETP)

Source : commission des finances d'après le ministère de l'éducation nationale

III. UN IMPÉRATIF : DIMINUER LES HEURES PERDUES DE SCOLARITÉ

A. 1ER AXE : LIMITER LES ABSENCES DES ENSEIGNANTS

La diminution des absences des enseignants implique d'améliorer significativement leurs conditions de travail et de revaloriser leurs missions.

Les absences liées à la formation des enseignants peuvent par ailleurs être limitées, en créant des temps dédiés à la formation, pouvant être anticipés par les enseignants. Ces absences représentent 10,3 % des heures d'absence de courte durée dans le second degré, dont 86,5 % n'ont pu être remplacées.

La hausse des absences des enseignants est également liée à l'essor du temps partiel thérapeutique, rémunéré à taux plein depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 25 novembre 20205(*). Près de 10 % des absences de longue durée des enseignants dans le second degré y sont liées, contre seulement 3,4 % des absences en 2018-2019.

Une réflexion sur la prise en charge du temps partiel thérapeutique pourrait être engagée.

B. 2E AXE : OPTIMISER L'ORGANISATION DU REMPLACEMENT

La baisse démographique entrainera une diminution du besoin d'affectations à l'année dans les classes. Une partie des enseignants ainsi libérés pourraient se consacrer à des missions de remplacement.

Il est urgent de procéder à une hausse du potentiel net de remplacement des enseignants.

Dans le premier degré, quelle que soit la durée de l'absence, le remplacement est pris en charge par le département, qui dispose de brigades de remplacement, souvent décentralisées au niveau de la circonscription. Une centralisation de la gestion du remplacement du premier degré au niveau des départements serait d'ailleurs pertinente.

Dans le second degré, le remplacement des absences de plus de 15 jours est pris en charge par le rectorat, tandis que celui des absences de moins de 15 jours sont gérées par le chef d'établissement. Pour renforcer les possibilités de remplacement de courte durée, dans un contexte budgétaire contraint, il pourrait être envisagé d'augmenter le service obligatoire des enseignants d'une heure supplémentaire par mois, qui serait dédiée au remplacement de courte durée.

C. 3E AXE : AMÉLIORER L'ATTRACTIVITÉ DE LA FONCTION DE REMPLAÇANT

La mission de remplacement est associée à des conditions de travail difficiles. La satisfaction moyenne au travail des enseignants remplaçants est de 5,4 sur 10 dans le premier degré et de 5,3 dans le second degré, contre 6,1 pour l'ensemble des enseignants.

Afin de reconstituer des viviers de remplaçants, il est indispensable d'augmenter l'attractivité de la mission de remplacement. En particulier, il pourrait être opportun d'attribuer aux enseignants concernés un « bonus » dans le barème utilisé par les académies lors du traitement des demandes de mutation. Une telle mesure, sans coût budgétaire, constituerait une reconnaissance des difficultés associées à la mission de remplacement.

Par ailleurs, il est regrettable qu'aucun dispositif ne soit dédié aux enseignants du premier degré, quand ils accueillent des élèves supplémentaires dans leur classe pour pallier l'absence d'un collègue. Une rémunération via le Pacte enseignant serait possible, sans toutefois augmenter l'enveloppe sous-consommée.


* 1 Une absence de longue durée correspond à une absence d'une durée supérieure à 15 jours.

* 2 Tribunal administratif de Paris, 17 septembre 2024, n° 2224096, Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 3 avril 2024, n° 2211429.

* 3 Revue de dépenses relative à la réduction des absences dans la fonction publique et les opérateurs, 4 septembre 2024, Inspection générale des finances.

* 4 Cette estimation doit toutefois être interprétée avec précaution, au vu de ses limites méthodologiques.

* 5 Ordonnance n° 2020-1447 du 25 novembre 2020 portant diverses mesures en matière de santé et de famille dans la fonction publique.

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