- INTRODUCTION : COMPRENDRE LA
RÉALITÉ DU BLANCHIMENT ET DE LA CRIMINALITÉ
ORGANISÉE
- A. LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ
ORGANISÉE ET LA DELINQUANCE FINANCIÈRE : ÉTAT DES
LIEUX
- 1. Mieux appréhender la criminalité
organisée pour mieux l'éradiquer
- 2. Mettre les criminels hors d'état de
nuire : l'approche pénale classique à l'aune de la
pensée économique
- 3. « No place to
hide » ? : Le sursaut nécessaire de la
coopération internationale et la mise en lumière de l'origine des
fonds
- 1. Mieux appréhender la criminalité
organisée pour mieux l'éradiquer
- B. DE L'ÉCONOMIE SOUTERRAINE À
L'ÉCONOMIE RÉELLE : DES PROBLÈMES PRATIQUES
- C. LA MÉCANIQUE DU BLANCHIMENT
- D. QUELQUES EXEMPLES DE TRAFICS
- A. LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ
ORGANISÉE ET LA DELINQUANCE FINANCIÈRE : ÉTAT DES
LIEUX
- PREMIERE PARTIE :
LE BLANCHIMENT, UN PHÉNOMÈNE ÉVOLUTIF, PROTÉIFORME ET SOUS-ESTIMÉ
- I. LES SCHÉMAS DU BLANCHIMENT
- A. LA PERMANENCE DE MÉTHODES ANCIENNES DE
BLANCHIMENT SUR LE TERRITOIRE NATIONAL
- 1. Rester sous les radars : consommer sans
flamber
- 2. L'argent sale se lave en famille :
l'autofinancement des organisations criminelles par l'argent des trafics
- 3. Gagner sans jouer : le rachat de tickets
de loterie gagnants
- 4. L'achat de vrais commerces de proximité
par les organisations criminelles pour masquer leurs revenus illicites rend
difficile de séparer le bon grain de l'ivraie
- 5. Où noir et blanc se rencontrent :
la zone grise du travail dissimulé
- 6. Le blanchiment par l'achat de biens à
forte valeur spéculative
- 1. Rester sous les radars : consommer sans
flamber
- B. LES SOCIÉTÉS
ÉPHÉMÈRES : LE CHEVAL DE TROIE DE LA
CRIMINALITÉ ORGANISÉE
- C. LE BLANCHIMENT À L'INTERNATIONAL
CONSTITUE LA PLUS GRANDE PART DU PHÉNOMÈNE
- 1. Small is beautiful : traverser la
frontière pour un aller simple vers les paradis
- 2. Transférer la valeur tout en conservant
les espèces
- 3. La situation des Émirats arabes
unis
- a) L'organisation de la lutte contre la
criminalité organisée et la délinquance financière
aux EAU
- (1) Un cadre légal
fédéral
- (2) Dans ce contexte, qu'en est-il de
l'application des standards internationaux en matière de LCB ?
- b) Face aux avancées incontestables, il
reste des failles dans les dispositifs
- a) L'organisation de la lutte contre la
criminalité organisée et la délinquance financière
aux EAU
- 1. Small is beautiful : traverser la
frontière pour un aller simple vers les paradis
- D. LA FRONTIÈRE TECHNOLOGIQUE D'UN
PHÉNOMÈNE EN PERPÉTUELLE MUTATION : L'ENJEU DE
L'USAGE DES CRYPTOACTIFS PAR LES ORGANISATIONS CRIMINELLES
- A. LA PERMANENCE DE MÉTHODES ANCIENNES DE
BLANCHIMENT SUR LE TERRITOIRE NATIONAL
- II. PRENDRE LE CONTRÔLE DE L'ÉCONOMIE
LÉGALE : LE BLANCHIMENT PAR L'INVESTISSEMENT ET LA NORMALISATION DE
L'ACTIVITÉ DES ORGANISATIONS CRIMINELLES
- A. INTÉGRER L'ÉCONOMIE : LA
PÉNÉTRATION DES ORGANISATIONS CRIMINELLES DANS L'ÉCONOMIE
RÉELLE
- 1. La captation des ressources publiques par
l'obtention d'aides et l'entrée sur des marchés publics
- 2. L'effet d'éviction des entreprises dans
certains secteurs particulièrement propices au blanchiment
- a) La contrefaçon comme porte
d'entrée des entreprises criminelles dans l'économie
légale
- b) Les entreprises du bâtiment, de la
construction et des travaux publics : pénétrer un
marché propice au blanchiment
- c) Les entreprises de la logistique :
fluidifier les flux de marchandises illégales
- d) La manne du secteur des jeux de hasard
- e) L'investissement dans les petits commerces
crée une concurrence déloyale
- e) L'inventivité au service d'une
hybridation de l'économie
- a) La contrefaçon comme porte
d'entrée des entreprises criminelles dans l'économie
légale
- 3. La création de zones grises de
l'économie par le brouillage entre activité légale et
illégale
- 4. Le rôle clé des autorités
pour empêcher, en amont, la formation d'entreprises
« légales criminelles »
- 1. La captation des ressources publiques par
l'obtention d'aides et l'entrée sur des marchés publics
- B. ASSEOIR UNE EMPRISE : VERS LA
CRÉATION D'UN ÉCOSYSTÈME MAFIEUX
- 1. Le triomphe de l'apparence : la recherche
d'une honorabilité locale par l'investissement légal
- 2. Le détournement du droit de
propriété et ses conséquences sur le fonctionnement de
l'économie
- 3. La prise de contrôle géographique
de certains lieux clés
- 4. La nécessité de nommer,
repérer et agir en amont contre les entreprises
« légales-mafieuses »
- 1. Le triomphe de l'apparence : la recherche
d'une honorabilité locale par l'investissement légal
- C. MAINTENIR ET ACCENTUER LE CONTRÔLE SUR
L'ÉCONOMIE : LA DURABILITÉ DE L'ENTREPRISE MAFIEUSE REPOSE
SUR LA GÉNÉRALISATION DES ATTEINTES À LA
PROBITÉ
- 1. Les atteintes à la probité, dont
la corruption est la forme la plus courante, constituent souvent l'origine de
l'intégration des criminels dans l'économie légale
- 2. La pérennité des activités
légales criminelles dépend de l'efficacité du
système d'atteinte à la probité mis en oeuvre
- 3. Les conséquences multiformes des
atteintes à la probité et de la corruption
- 4. La nécessité de renforcer les
mesures de lutte contre les atteintes à la probité et
anticorruption
- a) Le développement d'une approche par les
risques
- (1) L'analyse géographique fait ressortir
une spécificité des territoires insulaires face à la
corruption
- (2) La vulnérabilité de certains
employés du secteur privé
- (3) Le risque est différencié selon
les échelons de la sphère publique
- b) Développer une culture de la
prévention et accroître la formation
- c) Les ajustements possibles du volet
répressif
- a) Le développement d'une approche par les
risques
- 1. Les atteintes à la probité, dont
la corruption est la forme la plus courante, constituent souvent l'origine de
l'intégration des criminels dans l'économie légale
- A. INTÉGRER L'ÉCONOMIE : LA
PÉNÉTRATION DES ORGANISATIONS CRIMINELLES DANS L'ÉCONOMIE
RÉELLE
- I. LES SCHÉMAS DU BLANCHIMENT
- DEUXIÈME PARTIE :
LE DÉFI D'UNE LUTTE REDYNAMISÉE, AGILE ET CENTRALISÉE
- I. PRÉVENIR LE MAL SANS TUER LE
MALADE : LES DÉFIS DE LA RÉGULATION ET DE LA SIMPLIFICATION
EN AMONT
- A. RÉGULER SANS ÉTRANGLER
L'ÉCONOMIE : LE DISPOSITIF PRÉVENTIF DE LUTTE CONTRE LE
BLANCHIMENT
- 1. Le développement d'une approche par les
risques en matière de LCB-FT
- 2. Le volet préventif du dispositif LCB-FT
se traduit concrètement par une responsabilisation des acteurs
économiques des secteurs à risque
- a) La lutte contre le blanchiment correspond
à un continuum de précautions, dont l'aboutissement constitue les
déclarations de soupçons à Tracfin
- b) Des organes de supervision différents
selon les secteurs, dont les moyens pourraient être renforcés
voire mutualisés
- (1) Une supervision du secteur financier
assurée par l'ACPR et l'AMF
- (2) Une supervision du secteur non financier
assurée par diverses autorités aux compétences
sectorielles et la Commission nationale des sanctions
- a) La lutte contre le blanchiment correspond
à un continuum de précautions, dont l'aboutissement constitue les
déclarations de soupçons à Tracfin
- 1. Le développement d'une approche par les
risques en matière de LCB-FT
- B. LE DISPOSITIF PRÉVENTIF DE LUTTE CONTRE
LE BLANCHIMENT DOIT GAGNER EN MATURITÉ
- 1. L'appropriation de la réglementation
LCB-FT par les professions assujetties est encore trop
hétérogène
- a) Le secteur financier s'est relativement bien
approprié ses obligations en matière de LCB-FT mais est toutefois
exposé à des fragilités liées à
l'émergence des actifs numériques et de nouveaux services de
paiement
- (1) Les déclarations de soupçons
à Tracfin sont en grande majorité issues du secteur
financier
- (2) L'émergence des cryptoactifs et des
« néo-banques » est un facteur de fragilisation du
dispositif LCB-FT dans le secteur financier
- b) Un nombre de déclaration de
soupçon à Tracfin relativement faible pour le secteur non
financier
- a) Le secteur financier s'est relativement bien
approprié ses obligations en matière de LCB-FT mais est toutefois
exposé à des fragilités liées à
l'émergence des actifs numériques et de nouveaux services de
paiement
- 2. Les fragilités du dispositif
préventif plaident pour des obligations LCB-FT renforcées
à l'égard des professions non financières assujetties, et
en particulier pour certains secteurs à risque
- a) Une culture LCB-FT à améliorer
pour certaines professions assujetties
- (1) Une meilleure appropriation de l'obligation
d'évaluation et de gestion des risques est nécessaire
- (2) Des obligations de formation à
renforcer
- b) Une attention particulière à
accorder à certains secteurs dont la régulation est
défaillante
- (1) La régulation des
sociétés de domiciliation : un angle mort du dispositif qui
favorise la prolifération de sociétés
éphémères
- (2) Les failles de la régulation du
secteur de l'immobilier : un boulevard pour les fraudeurs
- c) L'art et la manière de blanchir :
focus sur le marché de l'art et de l'antiquité
- a) Une culture LCB-FT à améliorer
pour certaines professions assujetties
- 3. Mieux détecter les signaux faibles pour
cibler les contrôles des assujettis et détecter les flux
financiers frauduleux en amont
- a) Un accès aux fichiers des comptes
bancaires (FICOBA) récemment élargi mais qui doit
désormais s'étendre à une échelle européenne
compte tenu du caractère transnational des schémas
frauduleux
- b) Favoriser la montée en gamme
technologique des autorités de contrôle et de renseignement
- a) Le renforcement des échanges
d'information entre professions assujetties peut également leur
permettre de mieux mettre en oeuvre leurs obligations de vigilance
- a) Un accès aux fichiers des comptes
bancaires (FICOBA) récemment élargi mais qui doit
désormais s'étendre à une échelle européenne
compte tenu du caractère transnational des schémas
frauduleux
- 1. L'appropriation de la réglementation
LCB-FT par les professions assujetties est encore trop
hétérogène
- C. TRACFIN : UNE CELLULE DE RENSEIGNEMENT
FINANCIER AU CARREFOUR DES VOLETS PRÉVENTIF ET RÉPRESSIF DU
DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
- 1. Tracfin dispose de caractéristiques
hybrides, à la frontière entre les volets préventif et
répressif du dispositif de lutte contre le blanchiment
- 2. Le dispositif de détection des
mouvements financiers frauduleux par Tracfin repose sur une démarche
partenariale avec les professionnels assujettis
- 3. Des mécanismes de coopération
avec d'autres autorités nationales et internationales qui sont
essentiels à l'activité de Tracfin
- 1. Tracfin dispose de caractéristiques
hybrides, à la frontière entre les volets préventif et
répressif du dispositif de lutte contre le blanchiment
- A. RÉGULER SANS ÉTRANGLER
L'ÉCONOMIE : LE DISPOSITIF PRÉVENTIF DE LUTTE CONTRE LE
BLANCHIMENT
- II. UN ARSENAL RÉPRESSIF AMBITIEUX MAIS
DONT LA MISE EN oeUVRE EST PERFECTIBLE
- A. LE CLOISONNEMENT DES SERVICES ENTRAVE LA
POTENTIALITÉ DES TEXTES RÉPRESSIFS
- 1. L'arsenal législatif que le monde nous
envie...
- 2. ... mis en oeuvre par des forces encore trop
cloisonnées
- a) La pluralité des services judiciaires
s'articule bien mais son défi réside dans la bonne diffusion de
l'information relative à la criminalité financière.
- b) Les services d'enquête sont
également très nombreux, et répartis entre deux
ministères, ce qui pose le défi de la circulation de
l'information et la concurrence de compétences.
- c) Des structures de coordination
inachevées
- d) Une structure cloisonnée et
dépassée
- e) Diffuser la culture de la lutte contre le
blanchiment : les CODAF et leurs dérivés
- f) L'exemple réussie des GIR : les
antennes interministérielles locales d'un office central qui n'existe
pas ?
- a) La pluralité des services judiciaires
s'articule bien mais son défi réside dans la bonne diffusion de
l'information relative à la criminalité financière.
- 1. L'arsenal législatif que le monde nous
envie...
- B. RECRUTER, FORMER, FIDÉLISER,
SANCTUARISER, DES SPÉCIALISTES DE LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ
FINANCIÈRE
- C. UNE STRATÉGIE DE LUTTE CONTRE LA
CRIMINALITÉ ORGANISÉE À REDÉFINIR AUTOUR DE
L'INVESTIGATION FINANCIÈRE
- A. LE CLOISONNEMENT DES SERVICES ENTRAVE LA
POTENTIALITÉ DES TEXTES RÉPRESSIFS
- I. PRÉVENIR LE MAL SANS TUER LE
MALADE : LES DÉFIS DE LA RÉGULATION ET DE LA SIMPLIFICATION
EN AMONT
- TROISIÈME PARTIE :
L'ENJEU DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE
- I. LES INSTANCES DE COOPÉRATION
INTERNATIONALE EN MATIÈRE FINANCIÈRE
- A. LE GROUPE D'ACTION FINANCIÈRE
(GAFI) : POINTER DU DOIGT LES MAUVAIS ÉLÈVE DE LA LUTTE
CONTRE LE BLANCHIMENT
- B. LA FUTURE AGENCE EUROPÉENNE
ANTI-BLANCHIMENT : LA PROMESSE D'UNE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT MIEUX
COORDONNÉE AU NIVEAU EUROPÉEN DONT LA CONCRÉTISATION SE
FAIT ATTENDRE
- 1. La création d'une autorité
entièrement dévolue à la problématique LCB-FT en
Europe à la suite de plusieurs scandales de blanchiment impliquant
le secteur financier
- 2. La création d'une communauté du
renseignement intégrée au niveau européen
- 3. Un mécanisme de supervision directe et
indirecte du secteur financier
- 4. La montée en puissance de l'AMLA prendra
plusieurs années, ce qui doit inciter les pouvoirs publics à ne
pas relâcher les efforts de la lutte contre le blanchiment
- 1. La création d'une autorité
entièrement dévolue à la problématique LCB-FT en
Europe à la suite de plusieurs scandales de blanchiment impliquant
le secteur financier
- A. LE GROUPE D'ACTION FINANCIÈRE
(GAFI) : POINTER DU DOIGT LES MAUVAIS ÉLÈVE DE LA LUTTE
CONTRE LE BLANCHIMENT
- II. LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET
DOUANIÈRE
- III. LA COOPÉRATION JUDICIAIRE
- IV. LE CONTOURNEMENT DES SANCTIONS
INTERNATIONALES
- I. LES INSTANCES DE COOPÉRATION
INTERNATIONALE EN MATIÈRE FINANCIÈRE
- EXAMEN EN COMMISSION
- TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
(TEMIS)
- ANNEXES
N° 757
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Rapport remis à M. le Président du Sénat le 18 juin 2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission d'enquête (1) aux fins
d'évaluer les outils
de la lutte contre la délinquance
financière, la criminalité
organisée et le contournement des
sanctions internationales, en
France et en Europe,
et
de proposer des mesures
face aux nouveaux défis,
Président
M. Raphaël
DAUBET,
Rapporteur
Mme Nathalie GOULET,
Sénateurs
Tome I - Rapport
(1) Cette commission est composée de : M. Raphaël Daubet, président ; Mme Nathalie Goulet, rapporteur ; M. Marc-Philippe Daubresse, Mme Nadine Bellurot, MM. André Reichardt, Hussein Bourgi, Patrice Joly, Mme Sylvie Vermeillet, MM. Dominique Théophile, Pascal Savoldelli, Dany Wattebled, Grégory Blanc, vice-présidents ; Mme Catherine Belrhiti, MM. Étienne Blanc, Olivier Cadic, Guislain Cambier, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Christophe Chaillou, Christian Klinger, Stéphane Le Rudulier, Stéphane Piednoir, Didier Rambaud, Hervé Reynaud.
L'ESSENTIEL
I. LE BLANCHIMENT, AU CENTRE DE TOUS LES CRIMES
Si la criminalité financière est un crime contre la démocratie, l'économie et la société, le blanchiment constitue en réalité le crime qui permet tous les autres. En effet la réinjection de l'argent de la criminalité organisée dans l'économie réelle est le but ultime des trafiquants, quelle que soit leur « activité ». Par conséquent, lutter contre le blanchiment est la seule manière efficace de priver la criminalité de sa raison d'être et de l'empêcher de contaminer l'ensemble de l'économie et de la société.
Aujourd'hui, le compte n'y est pas. La commission d'enquête a donc cherché à comprendre la réalité d'un phénomène trop méconnu et négligé par les pouvoirs publics.
A. ÉVALUER LES MONTANTS BLANCHIS POUR COMPRENDRE L'AMPLEUR DU FLÉAU
Il n'existe pas d'évaluation précise des montants blanchis chaque année en France. Néanmoins, au plan mondial, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estime que le blanchiment de capitaux représenterait entre 2 % et 5 % du PIB mondial, soit 1 600 à 4 000 milliards de dollars. Rapporté au PIB français de 2024, cela représenterait un ordre de grandeur d'au moins 58 milliards d'euros.
Une proportion de |
Près de |
Un montant en France de |
du PIB mondial serait blanchie chaque année |
des avoirs blanchis ne sont pas saisis |
qui reviendrait aux criminels selon la méthodologie de l'ONU |
Le rapport spécial de 2021 de la Cour des comptes européenne indique que le blanchiment de capitaux représenterait 1,3 % du PIB de l'Union européenne soit, rapporté au PIB français de 2024, près de 38 milliards d'euros par an.
Environ 30 % de ces montants sont prélevés par les réseaux criminels spécialisés dans le blanchiment.
La fleur du mal : évaluation du chiffre d'affaires des réseaux criminels spécialisés dans le blanchiment d'avoirs criminels en France selon les résultats de la commission d'enquête
Source : commission d'enquête, données Commission européenne, Ministère des comptes publics et E-L Blondes
B. AU CoeUR DE LA LOGISTIQUE CRIMINELLE : BLANCHIR À TOUT PRIX
60 000 euros à blanchir, très souvent en argent liquide et en petites coupures représentent, en billets de 10 euros, un volume de 6 litres et de 5 kilogrammes de billets. Pour un petit trafiquant, il est possible de réinvestir en améliorant son train de vie, mais pour un semi-grossiste, des moyens de réintégration de l'économie légale doivent être mis en oeuvre.
Une tonne de cocaïne vendue apporte à un réseau criminel 5 tonnes de billets de 10 euros, soit 125 valises de 40 kilogrammes : le blanchiment est un défi logistique.
Pour les réseaux criminels, la réponse à ce défi passe par trois étapes : la « bancarisation » des avoirs, c'est-à-dire la pénétration du système financier par des techniques parfois très innovantes ; la « superposition », qui consiste à effectuer des opérations nombreuses pour dérouter les enquêteurs ; la réinjection, par laquelle les avoirs blanchis reviennent sous forme légale dans le patrimoine des criminels.
Schéma du processus de blanchiment
Source : commission d'enquête
D'après Europol, 96 % des réseaux criminels les plus menaçants blanchissent eux-mêmes le produit de leurs activités. Cette pratique est communément désignée sous le terme d'« autoblanchiment ». Elle permet d'internaliser les coûts du blanchiment, au prix d'une diversification de l'activité initiale du réseau criminel. Plusieurs réseaux proposent cependant cette activité en tant que service à d'autres acteurs criminels.
II. UNE ABSENCE DE STRATÉGIE COHÉRENTE DANS LA LUTTE
La commission d'enquête a cherché à comprendre concrètement l'enjeu et la mécanique du blanchiment pour plusieurs trafics dont l'ampleur financière est souvent méconnue, le trafic de migrants, la contrefaçon, le trafic de plaques d'immatriculation et le trafic de tabac. Cependant, l'approche sectorielle par les trafics est insuffisante : il faut une approche holistique et concertée.
Le développement de l'emprise criminelle en France est facilité par le manque de coordination des instruments de lutte.
Le droit français permet, notamment depuis l'entrée du terme de blanchiment dans le code pénal par la loi du 13 mai 1996 relative à la lutte contre le blanchiment et le trafic des stupéfiants, de lutter efficacement contre les criminels. Les instruments dont dispose le pays sont cependant sous-utilisés et les services manquent de cohésion dans la lutte. Ce constat a déjà été formulé lors des travaux antérieurs du Sénat sur le narcotrafic mais se trouve démultiplié dès lors que l'on se penche sur l'ensemble des activités de la criminalité organisée.
A. DU CRIME ORGANISÉ À LA MAFIA, LA PÉNÉTRATION DE L'ÉCONOMIE RÉELLE
Le blanchiment continue à s'appuyer sur des méthodes classiques comme le rachat de tickets de loterie gagnants ou la captation d'aides publiques et de marchés publics. Néanmoins, l'ensemble des failles législatives sont utilisées : absence de contrôle des fonds dans la reprise de petits commerces, incapacité de l'administration à empêcher l'action des sociétés éphémères ou encore diversité des législations nationales. Les moyens technologiques et innovants sont aussi utilisés, comme les cryptoactifs.
La pénétration dans
l'économie réelle des avoirs criminels :
la mobilisation
de méthodes diverses et innovantes.
Les méthodes traditionnelles |
Les failles juridiques |
Le recours à la technologie |
- rémunération en liquide de travail non déclaré ; - vente de contrefaçon ; - candidature à des marchés publics et captation d'aides publiques ; - rachat de tickets gagnants et de casinos. |
- absence de contrôle des fonds dans le rachat de commerces ; - utilisation des sociétés éphémères ; - instrumentalisation des divergences de législations entre pays. |
- utilisation des crypto-actifs pour brouiller les circuits financiers ; - utilisation systématique de messageries cryptées ; - recours à des plateformes numériques pour la vente de produits contrefaisants. |
Source : commission d'enquête
L'ensemble des mécanismes présentés servent l'hybridation entre l'économie légitime et l'économie criminelle. Si elle évolue dans un écosystème qui lui est favorable, la criminalité se mute en mafia : elle contrôle les secteurs clés de l'économie, exerçant une emprise sur les décisions publiques et maintient ainsi son pouvoir.
B. DES MÉCANISMES DE LUTTE A PRIORI ET A POSTERIORI PERFECTIBLES
1. Réguler sans étrangler l'économie : le défi de la lutte contre le blanchiment en amont
Les normes destinées à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) imposent aux professions susceptibles de servir d'intermédiaire dans une opération de blanchiment la connaissance de l'origine des fonds qu'elles collectent et de signaler tout soupçon à un service de renseignement dédié, Tracfin. Son efficacité repose sur un équilibre parfois difficile à trouver entre d'une part, l'importance pour les services d'enquête de disposer de renseignements de qualité, et d'autre part, le souci de ne pas entraver la liberté d'entreprendre en imposant des contraintes trop lourdes pour les professionnels assujettis.
Il ressort de travaux de la commission d'enquête que ce dispositif manque encore de maturité. L'appropriation par les professions assujetties de leurs obligations est encore trop lacunaire, en particulier au sein des professions non financières. Les déclarations de soupçons transmises par ces professionnels à Tracfin sont soit peu nombreuses, soit peu qualitatives. Le faible nombre de déclarations de soupçon transmises chaque année par les avocats est une parfaite illustration des réticences exprimées certains professionnels à l'égard de leurs obligations LCB-FT.
En 2024 |
Près de |
Seulement |
déclarations de soupçon reçues par Tracfin |
des déclarations de soupçon sont
transmises |
déclarations de soupçon transmises par les avocats à Tracfin |
Les travaux de la commission d'enquête ont également mis en lumière la régulation défaillante de certains secteurs et activités pourtant particulièrement exposés au risque LCB-FT. C'est notamment le cas du secteur de l'immobilier, qui constitue un vecteur de blanchiment important. Autre exemple : le recours aux sociétés de domiciliation, qui constitue souvent la première étape dans la création d'entreprises éphémères.
2. Des armes trop peu utilisées faute de combattants suffisamment nombreux, formés et habitués à travailler ensemble
Nous bénéficions d'outils qui nous permettent de frapper plus fort, notamment grâce à des modalités de preuve allégées lorsque sont utilisés des stratagèmes destinés à l'évidence à tromper les autorités sur l'origine ou la destination des fonds. Les possibilités de confiscation des avoirs criminels sont immenses, mais trop peu utilisées. Il nous manque peut-être la conscience de la gravité de la situation qui nous donnerait la conviction de devoir agir plus, mais surtout mieux.
La matière économique et financière, souvent perçue comme technique et fastidieuse, souffre d'un manque d'attractivité auprès des enquêteurs. Ce désamour est d'autant plus problématique que cette filière joue un rôle central dans la lutte contre la criminalité organisée.
Les conditions de travail des enquêteurs sont fréquemment citées comme un facteur de démotivation majeur : il leur faut composer avec des logiciels obsolètes, mal adaptés à la complexité des dossiers et, surtout, qui manquent d'interopérabilité entre administrations, freinant les possibilités pourtant essentielles de recoupements.
Les réseaux de blanchiments se jouent des compétences et périmètres limités de chaque cadre administratif. Ils frappent les campagnes comme les métropoles, mêlent le territorial et l'international, utilisent les fraudes les plus complexes et le travail dissimulé, les cryptoactifs ou l'import-export. Face à eux, l'État organisé en silos répond en encourageant la coordination des services impliqués. Il faut aller plus loin, vers une vision d'ensemble du phénomène criminel, par la diffusion de la culture de la lutte contre le blanchiment et par une véritable intégration de policiers, gendarmes, douaniers, agents du fisc au sein de structures pérennes appuyés sur une capacité de renseignement renforcée.
3. L'enjeu de la coopération internationale
Les travaux de la commission d'enquête l'ont clairement mis en évidence : la criminalité financière ne s'arrête pas à nos frontières. Ce constat a naturellement invité le rapporteur à se questionner sur l'efficacité des mécanismes de coopération interétatiques existant pour lutter contre ce phénomène.
L'action du Groupe d'action financière (GAFI) est centrale dans le dispositif de lutte antiblanchiment au niveau international. Elle se traduit notamment par une évaluation des différents dispositifs en existant en matière de LCB-FT et l'élaboration de listes « grise » et « noire » 1(*) d'États défaillants. Ce mécanisme de name and shame constitue un levier efficace pour faire évoluer la réglementation de certains États sensibles au dommage réputationnel que l'inscription sur les listes du GAFI implique. Cependant, les conditions de sortie de la liste grise sont trop souples et souvent en décalage avec l'évolution des vulnérabilités auxquelles les État défaillants sont exposés.
Par ailleurs, la création de la nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC) par le paquet anti-blanchiment de 2024 a suscité beaucoup d'enthousiasme de la part des personnes entendues par la commission d'enquête. Cette entité permettra, d'une part, d'approfondir les mécanismes de supervision LCB-FT au niveau européen, et d'autre part, de renforcer la coordination de l'action des cellules de renseignements financiers des États membres. Toutefois, l'ALBC ne sera pas pleinement opérationnelle avant plusieurs années. Les perspectives associées à sa montée en puissance ne sauraient donc justifier une forme d'inaction des pouvoirs publics à court-terme sur la question de la lutte contre le blanchiment.
La France doit aussi valoriser son réseau à l'étranger en matière de coopération policière et judiciaire. Au travers d'instruments comme Interpol et Europol, la coopération multilatérale en matière policière est ancienne et doit continuer à se développer de manière efficace par l'échange d'informations. La coopération bilatérale entre services au travers des attachés de sécurité intérieure dans les ambassades de France est également très opérationnelle.
La commission d'enquête a été particulièrement intéressée par le développement de l'activité du parquet européen, exemple d'articulation réussie entre les compétences de l'Union et les juridictions nationales. Au regard des succès de cet organe en matière de protection des intérêts financiers de l'Union, elle préconise d'étendre ses compétences aux sanctions relatives au contournement des sanctions internationales.
La commission d'enquête estime également important d'appuyer le développement du réseau des magistrats de liaison. Créés en 1993, ces postes au sein des ambassades, sont aujourd'hui au nombre de 20, dont 11 ayant une compétence régionale s'étendant à au moins deux pays. Le réseau couvre ainsi 61 pays sur quatre continents. La France dispose du réseau de magistrats de liaison le plus étendu au monde qui lui permet de constituer un réseau de personnes susceptible de faciliter l'entraide judiciaire internationale en surmontant notamment les difficultés de procédure et en limitant les délais de transmission. Les moyens dont disposent les magistrats de liaison doivent être mieux adaptés et évidemment il faut en accroître le nombre, pour resserrer la maille de leur couverture territoriale.
AVANT PROPOS
Sur la piste de ces dizaines milliards volés aux contribuables.
De nombreux travaux menés sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale2(*) comme sur le financement du terrorisme ont montré clairement une très grande porosité entre la délinquance financière, la criminalité organisée, le financement du terrorisme3(*) et la violation des sanctions internationales.
Tous les délinquants usent des mêmes circuits, des mêmes failles dans la réglementation, des mêmes zones de non-droit que sont par exemple les territoires non coopératifs ou les ports francs.
Face à une petite musique « rassurante » - qu'il vaudrait mieux qualifier d'inconsciente - qui voudrait faire passer la fraude et l'évasion fiscale pour un crime sans victime, il faut rappeler l'existence du délit de blanchiment de fraude fiscale, crime social, économique politique et démocratique.
Il faut bien comprendre que la délinquance financière, la criminalité organisée, comme les violations des sanctions internationales, ne peuvent se développer que dans un écosystème permissif qui est celui de la fraude fiscale, des zones de non-droit et de la corruption. Les affaires successives au Parlement européen : le Qatargate révélé en 2022 avec des accusations portées contre le Qatar et le Maroc, puis une nouvelle affaire révélée en mars 2025 impliquant semble-t-il la société Huawei, ont mis au jour des pratiques anciennes de corruption dans un environnement insuffisamment contrôlé.
Nicolas Sarkozy, le 23 septembre 2009, avait déclaré « les paradis fiscaux c'est fini » ; la réalité est bien différente.
Ces dernières années ont été marquées par de très nombreuses affaires mises à jour par un consortium de journalistes venus du monde entier réunis autour de la lutte contre la délinquance financière, l'ICIJ4(*), dont le remarquable travail doit être transformé en réglementation, ce qui n'est pas encore le cas. Panama papers, Swiss leaks, Paradise papers, FinCEN Files, Offshore leaks, Luxleak et plus récemment les Pandora Papers, à chaque scandale son annonce, qui rapidement tombe dans l'oubli.
La multiplication de nouveaux produits financiers, notamment les cryptoactifs, ainsi que l'extrême rapidité, voire l'immédiateté des échanges, appellent un état des lieux des outils nationaux et internationaux en place pour lutter contre une menace protéiforme.
L'existence d'un travail international et d'une coopération entre de nombreuses institutions luttant contre la délinquance financière et l'évasion fiscale doit rassurer, mais la route est encore longue pour endiguer cette criminalité.
Parallèlement, la société civile et des ONG se sont mobilisées pour alerter sur ces phénomènes, comme OXFAM, Tax Justice Network ou Transparency international, de même que des parlementaires très investis sur ces sujets comme les frères Bocquet (auteurs de deux ouvrages sur le sujet : « Sans domicile fisc » et « Milliards en fuite »), ou le juge Van Ruymbeke avec son ouvrage « Offshore ».
La délinquance financière est évaluée à 5 000 milliards de dollars, qui échappent ainsi à l'impôt et aux politiques de solidarité dans le monde, selon l'EUTAX Observatory (Global Tax Evasion Report 2024). Les pertes fiscales liées à l'évasion des multinationales sont estimées à 600 milliards de dollars dans le monde, dont 200 milliards pour l'Union européenne.
Il en est de même des pratiques douteuses dans les territoires non coopératifs, aussi appelés paradis fiscaux, qui semblent inspirer une crainte révérencielle de la part des gouvernements qui hésitent à agir concrètement pour les faire disparaître.
Et que dire de l'inertie incompréhensible à l'égard des ports francs comme il en existe en Suisse ou au Luxembourg, ou de pays aux capacités d'investissement telles qu'elles freinent les tentatives de critiques, même les plus courtoises.
Alors que la dette de la France explose (3 228,4 milliards d'euros au deuxième trimestre 2024), la lutte contre la délinquance financière sous toutes ses formes constitue un enjeu prioritaire. En novembre 2023, la Cour des comptes rappelait, dans son rapport sur la détection de la fraude fiscale des particuliers, l'absence regrettable et persistante d'estimation de la fraude et soulignait un écart fiscal compris entre 30 et 100 milliards d'euros tous impôts confondus.
La guerre contre le blanchiment d'argent doit être ouverte !
Les criminels ont tous un point commun : l'appât du gain. Les sommes collectées à travers différentes activités illégales doivent ensuite pouvoir être utilisées, pour leur profit personnel ou pour financer d'autres activités illicites.
Pour ce faire, cet argent sale issu des activités délictueuses doit être blanchi dans des lessiveuses situées dans des territoires peu regardants, ou sous notre nez...
Lutter contre la criminalité organisée et la délinquance financière, c'est en comprendre les rouages et la créativité et c'est frapper les criminels au portefeuille.
C'est le principe « suivre l'argent », « follow the money » selon la formule de Deep Throat, l'informateur secret des journalistes du Watergate popularisée par le film Les hommes du Président5(*), qui a constitué la base de l'action des juges anti-mafia italiens dans les années 1980, avec en mémoire le souvenir qu'Al Capone était tombé pour un problème de fraude fiscale !
D'après les chiffres officiels de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le blanchiment d'argent est évalué entre 3 et 5 % du PIB mondial, soit entre 2 200 et 5 000 milliards de dollars, somme astronomique d'argent sale, blanchi pour être réintroduit dans l'économie...
Cette somme échappe donc à l'économie réelle, aux écoles, aux hôpitaux, au développement, bref aux citoyens qui en sont privés en raison de la criminalité organisée, de la délinquance financière ou de la violation des sanctions internationales
Cette criminalité, très souvent dotée de ramifications internationales, a des conséquences économiques, sociales et politiques et affecte la sécurité des citoyens au point que l'on parle de « gangstérisation6(*) » de la société, non seulement en France mais en Europe et dans le reste du monde.
Les actes de violence recensés explosent. Une note de la direction nationale de la police judiciaire datée de mars 2025 et révélée par la presse dresse un état glaçant de la situation : « Les assassinats et tentatives d'assassinat entre délinquants recensés par l'Office central de lutte contre le crime organisé - dont une très large part en lien avec le trafic de stupéfiants - sont en hausse depuis 2021 (+ 33 % entre 2021 et 2024) ». Avec 418 faits et 598 victimes dont 139 sont décédées, l'année 2023 a connu un pic sans précédent, essentiellement en raison d'une « succession exceptionnelle d'affrontements mortels entre trafiquants à Marseille dans le cadre du conflit opposant les groupes DZ Mafia et Yoda » »7(*).
Le remarquable travail de la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, dont le rapporteur était Etienne Blanc et le Président Jérôme Durain, ainsi que la proposition de loi qui en a découlé, ont permis de sortir d'une sorte de non-dit pour enfin affronter le fléau du narcotrafic, provoquant réveil et sursaut.
Le trafic de drogue est bien entendu le plus visible dans nos rues et nos quartiers, le plus pointé dans les rapports des organismes internationaux, celui qui porte une criminalité de voisinage qui atteint les plus jeunes sans qu'aucun milieu ne soit épargné.
Mais ce n'est malheureusement pas le seul trafic qui sévit dans le monde et en France. Et c'est précisément parce que la criminalité organisée va bien au-delà du narcotrafic qu'il est apparu important, comme une évidence, d'en dresser un état des lieux, en y associant la délinquance financière et la violation des sanctions internationales en raison des porosités des méthodes et des acteurs.
C'est pour mieux comprendre ce phénomène d'ampleur dans son inquiétante globalité que la commission d'enquête a entendu les meilleurs experts, dressé un état des lieux sans complaisance et élaboré quelques propositions.
Une vision globale à 360° est un impératif, pour le citoyen, le législateur, le gouvernement et les services de police, de justice, et des douanes. C'est l'ambition de ce rapport.
Remerciements
Je tiens à remercier mes collègues du groupe de l'Union Centriste pour avoir choisi ce sujet dans le cadre du droit de tirage annuel, l'ensemble des personnes auditionnées et notamment l'ensemble des services pour leur implication et leur forte contribution à nos travaux, qui nous ont renforcés dans la conviction qu'ils étaient utiles, et remercier les administrateurs qui nous ont accompagnés ; enfin je remercie le président Raphaël Daubet de sa brillante et efficace présidence.
Je tiens également à remercier l'ambassadeur des Émirats Arabes Unis en France, S. E. Fahad Saeed Al Raqbani, ainsi que S.E. Dr. Ali Al Nuaimi, Président de la commission de Défense, de l'Intérieur et des Affaires étrangères du Conseil fédéral national pour avoir facilité notre mission.
Je remercie enfin l'ambassadeur de France aux Pays-Bas M. François Alabrune et l'ensemble de ses services pour leur assistance efficace, de même que les services de l'ambassade de France à Abu Dhabi et du consulat de France à Dubaï.
LISTE DES RECOMMANDATIONS
Première partie :
Un
phénomène évolutif, protéiforme et
sous-estimé
Recommandation n° 1 de la commission d'enquête : disposer d'évaluations régulières des montants des revenus des principaux trafics et du blanchiment en France et en Europe en consolidant les données des services répressifs des États membres de l'Union.
Recommandation n° 2 de la commission d'enquête : avoir une approche consolidée au plan interministériel du montant des saisies, des confiscations, ou des recouvrements fiscaux ou sociaux réalisés sur les revenus de la criminalité organisée.
Recommandation n° 3 de la commission d'enquête : disposer de données fiables relatives au blanchiment par le commerce international ainsi qu'à l'hawala, via des études à réaliser avec nos partenaires européens et internationaux.
Recommandation n° 4 de la commission d'enquête : supprimer l'anonymat et limiter le nombre de cartes prépayées pouvant être détenues par une même personne.
Recommandation n° 5 de la commission d'enquête : mieux réguler les cryptoactifs et notamment anticiper la transposition de la future directive européenne instaurant un FICOBA des cryptoactifs.
Recommandation n° 6 de la commission d'enquête : pour une identification précoce des entreprises créées à des fins frauduleuses, élargir les prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce :
- Permettre aux greffiers de tribunaux de commerce de croiser les données du RBE et du RCS avec celles du répertoire national d'identification des personnes physiques ;
- Donner les moyens aux greffiers de contrôler effectivement la conformité des pièces d'identité des dirigeants étrangers au moment de leur inscription au RCS ;
- Créer un fichier central diffusé entre les greffiers de tribunaux de commerce contenant l'identité des prête-noms ou des faux papiers d'identité utilisés pour la création de sociétés éphémères.
Recommandation n° 7 de la commission d'enquête : développer des unités d'enquête spécialisées dans la contrefaçon pour accélérer les enquêtes en les dotant de capacités d'investigation numérique afin de détecter et supprimer plus rapidement les annonces de produits contrefaits sur les plateformes en ligne.
Recommandation n° 8 de la commission d'enquête : durcir les peines encourues en cas de contrefaçon et publier une circulaire de politique pénale appelant à leur application plus stricte et systématique.
Recommandation n° 9 de la commission d'enquête : engager avec les industriels, l'Union des fabricants (Unifab) et nos partenaires européens une campagne d'ampleur de sensibilisation du consommateur aux risques sanitaire, sécuritaire et pénal auquel il s'expose par l'achat de biens contrefaits.
Recommandation n° 10 de la commission d'enquête : renforcer les moyens de contrôle des petits commerces par le ciblage des quartiers les plus exposés, une analyse financière accrue de ces entreprises et une meilleure association des maires.
Recommandation n° 11 de la commission d'enquête : rendre systématique la vérification de l'origine des fonds avant la reprise d'une entreprise, en particulier dans les secteurs ciblés par les investissements de la criminalité organisée.
Recommandation n° 12 de la commission d'enquête : pour mieux lutter contre la corruption :
- diminuer les seuils de nombre de salariés et de chiffre d'affaires prévus par l'article 17 de la loi Sapin II et revenir sur la condition tenant à la localisation en France du siège social de la société mère afin d'assujettir un plus grand nombre d'acteurs aux obligations de lutte contre les atteintes à la probité ;
- publier le Plan national de lutte contre la corruption pour les prochaines années dans les plus brefs délais, afin de favoriser le développement des réflexes de prévention dans toutes les organisations, et associer les élus et les associations en charge de la lutte contre la corruption à son élaboration et à sa mise en place.
Recommandation n° 13 de la commission d'enquête : alourdir les peines encourues en matière de corruption privée.
Recommandation n° 14 de la commission d'enquête : exiger une habilitation pour les organismes autorisés à dispenser des formations au risque d'atteinte à la probité, en s'appuyant par exemple sur les diplômes d'université (DU) et les masters déjà existants.
Recommandation n° 15 de la commission d'enquête : intégrer aux formations dispensées par l'AFA les recommandations suivantes :
- le scellement des ports USB des ordinateurs professionnels ;
- le déploiement de logiciels de contrôle des ouvertures de postes de travail numérique ;
- l'exercice d'une vigilance renforcée sur la rotation des personnes dont les postes sont très exposés ;
- la diffusion des informations relatives à la protection des lanceurs d'alertes.
Recommandation n° 16 de la commission d'enquête : créer un fonds de concours au budget de l'État, alimenté par une fraction du produit des CJIP et affecté au programme 176 « Police nationale », qui serait utilisé pour fidéliser et former des enquêteurs financiers.
Deuxième partie :
Le défi
d'une lutte redynamisée, agile et centralisée
Recommandation n° 17 de la commission d'enquête : confier aux collèges de supervision de l'ACPR et de l'AMF un pouvoir d'injonction sous astreinte actionnable en cas de non-respect, par les professionnels assujettis dont elle assure la supervision, de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment.
Recommandation n° 18 de la commission d'enquête : consolider les moyens des organes de sanction en matière de LCB-FT et renforcer l'effectivité des sanctions prononcées :
- Augmenter le montant des sanctions pécuniaires à l'encontre des professionnels assujettis ne respectant pas leurs obligations en matière de LCB-FT ;
- Renforcer les moyens de la Commission nationale des sanctions ;
- Engager des travaux de réflexion sur une éventuelle fusion des commissions des sanctions de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution avec la Commission nationale des sanctions, en veillant à ce que l'expertise sectorielle de chacune de ces entités soit préservée.
Recommandation n° 19 de la commission d'enquête : consolider la supervision des professionnels assujettis autorégulés en matière de LCB-FT :
- Envisager la désignation d'une instance indépendante de supervision des professions assujetties qui sont actuellement contrôlées par un organisme professionnel d'autorégulation ;
- Fixer pour l'ensemble des professionnels soumis à l'autorégulation en matière de LCB-FT le niveau de supervision au niveau des instances nationales, afin de mettre fin aux écueils en matière d'indépendance et d'efficacité des contrôles impliqués par la supervision au niveau local.
Recommandation n° 20 de la commission d'enquête : accentuer la sensibilisation des professionnels assujettis sur l'importance de la qualité des déclarations de soupçons, afin de renforcer leur pertinence et leur exploitabilité pour Tracfin.
Recommandation n° 21 de la commission d'enquête : clarifier les dispositions réglementaires relatives à l'obligation d'évaluation et de gestion des risques LCB-FT applicables aux professionnels assujettis.
Recommandation n° 22 de la commission d'enquête : sensibiliser davantage les professionnels assujettis sur les conséquences néfastes des pratiques de derisking sur l'efficacité du dispositif LCB-FT.
Recommandation n° 23 de la commission d'enquête : poursuivre la dynamique de renforcement des obligations de formation en matière de LCB-FT applicables aux professionnels assujettis et instaurer un dispositif de labellisation des organismes de formation en matière de LCB-FT.
Recommandation n° 24 de la commission d'enquête : afin de lutter contre la prolifération des entreprises éphémères par le recours à des sociétés de domiciliation, modifier la réglementation applicable à la profession de domiciliataire :
- Conditionner l'obtention de l'agrément accordé aux sociétés de domiciliation par la préfecture à une formation en matière de LCB-FT ;
- Renforcer les exigences en matière de vérification d'identité à distance pour les domiciliataires opérant en ligne et des contrôles périodiques physiques, même pour les relations d'affaires initiées en ligne.
Recommandation n° 25 de la commission d'enquête : confier à des professionnels assujettis aux obligations LCB-FT la mission de certification des actes de cessions de parts de sociétés civiles immobilières.
Recommandation n° 26 de la commission d'enquête : engager une initiative au niveau de l'Union européenne pour remettre à plat la réglementation applicable aux ports francs.
Recommandation n° 27 de la commission d'enquête : renforcer l'efficacité du dispositif de prévention en matière de LCB-FT sur le marché de l'art :
- Mieux communiquer auprès des professionnels du marché de l'art et de l'antiquité sur la possibilité de réaliser des déclarations de soupçon en fonction de l'origine des oeuvres et non uniquement en fonction de l'origine des fonds ;
- En cas de suspicion d'opération frauduleuse lors d'une vente d'oeuvre d'art, prolonger le délai entre le paiement par l'acquéreur et le transfert de fonds aux vendeurs par le commissaire-priseur.
Recommandation n° 28 de la commission d'enquête : faire du respect de l'obligation pour les États membres de l'Union européenne de créer un registre centralisé des comptes bancaires une priorité dans les travaux d'actualisation des recommandations du GAFI et favoriser les coopérations techniques entre États membres pour aider à la mise en place de ce registre.
Recommandation n° 29 de la commission d'enquête : créer une obligation pour les sociétés commerciales de déclarer auprès de l'administration fiscale l'ensemble des comptes bancaires qu'elles détiennent à l'étranger.
Recommandation n° 30 de la commission d'enquête : améliorer le ciblage des contrôles par les autorités de supervision des professionnels assujettis aux obligations LCB-FT :
- Renforcer le ciblage des contrôles par la DGCCRF en ce qui concerne les agences immobilières spécialisées dans l'immobilier de luxe en fonction de la cartographie établie par les services d'enquête ;
- Créer une base de données nationale des sociétés de domiciliation, élaborée à partir des données recueillies lors de l'agrément préfectoral qui leur est attribué, afin d'obtenir une meilleure connaissance et un meilleur ciblage des contrôles ;
- Encourager le recours à l'intelligence artificielle au sein des autorités de supervision et de renseignement financier.
Recommandation n° 31 : renforcer les dispositifs d'échanges d'informations entre professionnels assujettis dans le respect du droit aux données personnelles :
- Encadrer le recours par les professions assujetties aux bases de données privées sur les clients à risque en matière de LCB-FT (ou watchlists) ;
- Envisager la création d'une plateforme sécurisée permettant la mutualisation de données « know your customer » KYC « connaitre son client » ;
- Engager une réflexion au niveau du comité européen de la protection des données pour identifier des pistes d'amélioration des échanges de données en matière de LCB-FT.
Recommandation n° 32 de la commission d'enquête : intégrer la présomption de blanchiment dans la stratégie d'enquête pour l'ensemble des procédures policières ou douanières de lutte contre la criminalité organisée.
Recommandation n° 33 de la commission d'enquête : créer auprès de chaque JIRS une cellule d'assistants spécialisés, d'enquêteurs ou de douaniers spécialisée en criminalité financière.
Recommandation n° 34 de la commission d'enquête : étendre le champ de compétence du PNF à l'ensemble de la criminalité financière.
Recommandation n° 35 de la commission d'enquête : créer au niveau national une structure interministérielle d'enquête spécialisée en matière financière, à l'image des groupes interministériels de recherche (GIR) à l'échelon territorial.
Recommandation n° 36 de la commission d'enquête : organiser la formation commune gendarmerie, douanes, police, fisc sur l'open source, le cyber et les cryptoactifs.
Recommandation n° 37 de la commission d'enquête : accorder un pouvoir d'initiative à l'Office national anti-fraude.
Recommandation n° 38 de la commission d'enquête : assurer sans délai l'interopérabilité des bases de données entre les différents acteurs de la lutte contre la criminalité organisée :
- réaliser un état précis des bases de données utiles à la lutte contre la criminalité organisée gérées par les différentes administrations impliquées ;
- créer un « passenger name record » (PNR) des vols privés ;
- évaluer les possibilités d'accès automatisé au profit des autres administration et notamment des OPJ au regard des principes de protection de la donnée (hit/no hit, accès direct...) ;
- face au constat de choix non coordonnés entre les différents logiciels utilisés par les enquêteurs des différents ministères au détriment de la cohérence opérationnelle, unifier au niveau interministériel les appels d'offres relatifs aux logiciels d'enquête.
Recommandation n° 39 de la commission d'enquête : permettre l'activation plus rapide de techniques de renseignement au profit des services judiciaires lorsque le comportement de la cible fait présumer son appartenance à un réseau criminel.
Recommandation n° 40 de la commission d'enquête : renforcer la lutte territoriale contre l'économie souterraine :
- mieux intégrer les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) dans le circuit de centralisation de l'information judiciaire et généraliser les pratiques des comités territoriaux dédiés à la lutte contre le blanchiment ;
- mieux orienter le renseignement territorial sur la lutte contre l'économie souterraine ;
- recentrer les GIR sur la lutte contre l'économie souterraine dans le cadre d'une nouvelle doctrine ;
- systématiser l'appui de services spécialisés en enquêtes financières et cryptoactifs dans les perquisitions relatives à la criminalité organisée.
Recommandation n° 41 de la commission d'enquête : pour redynamiser les structures d'enquête spécialisée dans la criminalité organisée et la délinquance financière :
- mettre en urgence à disposition des enquêteurs des outils d'analyse de données hétérogènes, engager des travaux sur la mise en place d'un système obligeant les établissements financiers à communiquer sous un format dématérialisé et facilement exploitable les réponses aux réquisitions qui leur sont adressées, et harmoniser les formats de lecture des portefeuilles de cryptoactifs ;
- recruter des profils spécialisés par concours dédié ou par contrat pour les structures d'enquête ;
- créer une école interministérielle de type « école de guerre », intégrée en milieu de carrière et destinée à alimenter les postes de direction et de commandement des services spécialisés en lutte contre la criminalité organisée ;
- conditionner l'accès à certains postes dédiés à la lutte contre la criminalité organisée à un passage en service spécialisé dans la lutte contre la délinquance financière ou l'économie souterraine, ou du moins valoriser les profils pouvant attester d'un passage dans une structure dédiée à cette criminalité.
Recommandation n° 42 de la commission d'enquête : généraliser à l'ensemble des parquets les procédures dites « circuit court » en matière de gel et de saisie des flux financiers.
Recommandation n° 43 de la commission d'enquête : prendre en compte la dimension financière dès l'ouverture des enquêtes :
- inscrire la présomption de blanchiment dans la stratégie d'enquête pour l'ensemble des procédures policières ou douanières de lutte contre la criminalité organisée, et pour cela créer des services spécialisés ;
- intégrer systématiquement l'aspect financier aux enquêtes dirigées contre les trafics initiaux.
Recommandation n° 44 de la commission d'enquête : anticiper la transposition pleine et entière de la directive 2024/1260 du 24 avril 2024 relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs, notamment en prévoyant les cas d'usage des enquêtes patrimoniales post-sentencielles et en désignant le service chargé de mener ces enquêtes.
Troisième
partie :
L'enjeu de la coopération internationale
Recommandation n° 45 de la commission d'enquête : promouvoir au niveau du GAFI un durcissement des conditions de sortie de la liste grise qu'il élabore.
Recommandation n° 46 de la commission d'enquête :
- favoriser un usage plus systématique de SIENA : remontées systématiques des DS de Tracfin, augmentation des demandes des services judiciaires d'enquête via une semi-automatisation des remontées de données ;
- transférer des données contenues dans les affaires jugées après présélection.
Recommandation n° 47 de la commission d'enquête : afin de développer et de faciliter l'action des magistrats de liaison :
- Assurer un suivi des traités bilatéraux en matière fiscale et financière afin d'intégrer les dispositions favorisant la coopération en matière de lutte contre la délinquance financière ;
- Doter les magistrats de liaison d'assistants sur l'ensemble des postes ;
- Mieux former les ambassadeurs et les diplomates aux enjeux de la coopération judiciaire et spécialement de la lutte contre le blanchiment.
Recommandation n° 48 de la commission d'enquête : faire de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales un axe de travail prioritaire des instances de coopération interétatique.
Recommandation n° 49 de la commission d'enquête : ériger le ministre chargé des affaires étrangères en tant que chef de file de la désignation des personnes visées par les sanctions internationales.
Recommandation n° 50 de la commission d'enquête : étendre le champ de compétence du parquet européen aux sanctions relatives au contournement des sanctions internationales.
La commission d'enquête souhaite par ailleurs que soit assuré un suivi méticuleux de la mise en place de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
Elle considère important d'engager une réflexion sur les questions suivantes qui ont été abordées lors de ses auditions :
- créer un régime de protection des lanceurs d'alerte entre le signalement et l'octroi du statut de témoin protégé, qui n'intervient en l'état qu'avec l'ouverture d'une enquête judiciaire ;
- encager une réflexion sur la réglementation applicable aux associations en matière de LCB-FT ;
- organiser un meilleur contrôle des voies navigables en sensibilisant l'opérateur Voies navigables de France (VNF) et nos partenaires européens ;
- renforcer l'arsenal répressif relatif à la fraude au système d'immatriculation d'un véhicule (SIV) ;
- engager au niveau européen une démarche visant à imposer aux opérateurs de messageries cryptées une réponse obligatoire aux réquisitions judiciaires ;
- inciter les magistrats du siège à davantage procéder aux confiscations en valeur ;
- créer une annexe numérique afin de faciliter la consultation de documents intéressant l'enquête lors de l'exploitation de éléments issus de scellés numériques (informatiques ou téléphonie) ;
- encourager l'accès à SIENA pour les services d'enquête des douanes et de la DGFip ;
- améliorer le recours aux fonds européens pour le soutien des enquêtes en matière de lutte contre la criminalité organisée ;
- engager un travail avec les professionnels du marché de l'art pour mieux encadrer la profession d'expert, notamment pour les indépendants ;
- engager, avant la discussion budgétaire, un contrôle technique et financier sur la mise en place du fichier administration numérique des étrangers en France (ANEF) et sur le fonctionnement de l'administration générale des étrangers en France (AGREF) qui marquent des signes de dysfonctionnement.
Lors des auditions, la question de la fraude documentaire est revenue à de multiple reprises comme vecteur idéal de multiples fraudes, sociales en réseaux, aides publiques, sociétés éphémères, moyens de payement.
La commission souhaite donc attirer l'attention du gouvernement sur cette problématique transversale et souhaite que le projet évoqué par le ministère de l'Intérieur de refonte de la CNI en carte unique d'identification soit relancé sur le modèle belge ou estonien.
INTRODUCTION : COMPRENDRE LA RÉALITÉ DU BLANCHIMENT ET DE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE
La commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, issue du droit de tirage du groupe de l'Union Centriste du Sénat, résulte du constat de plusieurs paradoxes.
Le premier est l'ambiguïté de la notion même de délinquance financière. Particulièrement large, elle va de l'escroquerie sur Internet au blanchiment de l'argent du narcotrafic, en passant par la fraude fiscale et sociale et la manipulation des cours boursiers8(*). Son articulation avec celle de « criminalité financière », couramment utilisée, s'avère complexe9(*).
Reprenant la terminologie anglo-saxonne, dans laquelle toute infraction est un « crime », Interpol n'hésite pas à parler de criminalité financière pour décrire toutes les infractions financières. En France en revanche, la criminalité financière, qui relève de la sous-direction de la police judiciaire, vise semble-t-il le « haut du spectre » des infractions économiques et financières : le terme est généralement associé aux infractions les plus graves, soit par l'ampleur des sommes en cause, soit par leur association à la « criminalité organisée ». A l'inverse, les infractions les plus nombreuses seraient le fait de délinquants et non de criminels et relèveraient plutôt du « bas du spectre ».
Or la distinction entre haut et bas du spectre des infractions est en partie artificielle, reposant notamment sur des contraintes organisationnelles de la police et de la justice et sur la nécessité d'avoir une clef de répartition des moyens disponibles pour enquêter et juger ; la distinction, mal définie en droit pénal10(*), est en fait plutôt liée aux procédures d'enquête. Les services enquêteurs en sont pleinement conscients, comme l'ont montré les auditions de la commission d'enquête. En dehors de cas évidents, la distinction entre délinquance financière et criminalité financière repose sur l'attention portée à l'infraction par les pouvoir publics.
Ceci est particulièrement vrai pour les trafics et les fraudes. La commission d'enquête a pu mesurer que derrière la multiplication de faits mal identifiés ou peu connus du grand public se trouvent des réseaux organisés nationaux et internationaux. Le général Hubert Bonneau, directeur général de la gendarmerie nationale, a ainsi souligné que « la criminalité organisée s'appuie sur la délinquance traditionnelle [...]. Les petits ruisseaux font les grandes rivières et [...] il convient d'agir dès l'échelon local ». Les exemples du trafic de déchets et des vols de carburant et de matériel agricole, voire de civelles11(*), attestent de la créativité des réseaux de criminalité organisée dès lors qu'il y existe une opportunité de profit.
L'expression « délinquance financière » tend à masquer la gravité du phénomène et à en relativiser l'importance.
Si la fraude fiscale et la délinquance financières sont parfois considérées comme un crime sans victime, la commission d'enquête a évidemment fait sienne la position inverse. Car l'impact de la criminalité financière est double : cela a été rappelé avec force par les personnes auditionnées et spécialement par les représentants de la société civile, journalistes et associations. Tout d'abord, les fraudes sont un crime contre la démocratie dont les fonds sont détournés au profit de criminels. Ensuite, l'acquisition et la circulation des sommes issues de la fraude et des trafics vicient le fonctionnement de l'économie libérale en incitant la corruption des agents publics et privés et la constitution d'écosystèmes mafieux.
La réalité de la situation doit être rapportée avec transparence pour provoquer le sursaut nécessaire à la mise en place d'une politique publique cohérente et efficace. C'est pourquoi la commission d'enquête, tout en traitant les enjeux liés à la fraude et au contournement des sanctions internationales, a concentré ses travaux sur le blanchiment et le financement de la criminalité organisée. Le blanchiment est en effet au coeur de tous les trafics et de toutes les fraudes. La criminalité organisée repose d'abord sur l'appât du gain, lequel ne peut être utilisé que s'il est réinjecté dans l'économie légale, ne serait-ce que pour acheter directement des biens et service.
Or, et c'est un autre paradoxe, le blanchiment est un phénomène connu, objet d'une intense activité normative nationale et internationale, mais pour lequel les résultats obtenus sont, de l'avis de ceux qui se dévouent à la lutte contre ce phénomène, sans proportion avec son ampleur. Entre 2 % et 5% du PIB mondial seraient blanchis chaque année, estimation remontant à plus de sept ans mais reprise régulièrement par les instances internationales et européennes. Ce seraient donc entre 1 600 à 4 000 milliards de dollars par an issus des activités criminelles qui seraient réintroduits dans l'économie légale. Sur ces montants, seuls entre 1 % et 2 % seraient saisis, laissant 98 % de leurs profits aux mains des criminels.
Pourquoi un tel décalage ? Un premier élément de réponse réside dans l'intérêt relativement nouveau pour ce phénomène et son association trop exclusive au narcotrafic.
Notons que le dictionnaire de l'Académie française connaît le sens du terme blanchiment comme « action de blanchir des capitaux d'origine illégale, des profits frauduleux » et donne comme exemple « le blanchiment de l'argent de la drogue », mais considère encore qu'il s'agit d'un usage « familier ». Le niveau de langue du code pénal s'en trouve quelque peu remis en cause, dont l'article 324-1 dispose que : « Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. »
L'appréciation portée par l'Académie résulte en fait du caractère récent de l'apparition du terme dans le langage politique et plus encore dans celui du droit. La loi n° 87-1157 du 31 décembre 1987 relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants et modifiant certaines dispositions du code pénal, qui a introduit l'infraction en droit pénal pour les revenus tirés du trafic de drogue, n'utilise pas le terme12(*), bien qu'elle s'inspire de la législation américaine et du Money Laudering Control Act de 1986, qui introduit la métaphore du blanchissement, dont la raison historique se perd dans les approximations du folklore criminel. Cela fait moins de vingt ans que le terme de blanchiment a été inscrit dans le code pénal par la loi n° 96-392 du 13 mai 1996 relative à la lutte contre le blanchiment et le trafic des stupéfiants et à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation des produits du crime13(*). C'est ce texte qui a élargi la notion de blanchiment à toutes les infractions.
L'inscription du terme de « blanchiment » dans le code pénal marque l'aboutissement d'un mouvement qui a profondément remodelé la lutte contre la criminalité organisée depuis les années 1970 et qui se fonde sur l'expression populaire « follow the money ». La recherche des avoirs criminels, la volonté d'atteindre le coeur des structures illégales par la confiscation de leur butin et d'enrayer leur pouvoir de corruption émerge dans ces années aux Etats-Unis avant de devenir la base de l'action anti-mafia du juge Giovanni Falcone14(*). Ce mouvement trouvera son aboutissement international en 1989 avec le sommet du G7 à Paris dit « Sommet de l'Arche », qui crée le Groupe d'action financière (GAFI)15(*) pour examiner et élaborer des mesures de lutte contre le blanchiment d'argent commune à plusieurs pays. Ce mouvement international sera prolongé par l'adoption de la Convention de Palerme16(*) en décembre 2000 en hommage au juge Falcone, assassiné en 1992.
La notion de blanchiment, si elle a une dimension médiatique voire familière, introduit une rupture méthodologique et intellectuelle dont il apparaît à la commission d'enquête que toutes les implications n'ont pas encore été tirées. La comparaison avec une notion classique en matière criminelle, « à qui profite le crime », est de ce point de vue intéressante. Venue de Cicéron, l'adage cui bono entend permettre de déterminer le coupable (et de protéger l'innocent). Il lie le crime à celui qui en tire profit. Mais le profit, s'il est la cause du crime, n'est ici vu que comme une preuve. Il ne fait pas l'objet d'une attention en soi. La notion de blanchiment place au contraire le profit au centre de l'activité criminelle : le criminel est celui qui cherche à profiter de son crime.
La notion de blanchiment permet également de dépasser la vision de la confiscation comme une peine accessoire. Infraction spécifique, le blanchiment montre qu'agir sur les profits du crime, c'est agir sur le crime lui-même, et non pas simplement un moyen d'entraver la jouissance des biens mal acquis.
En suivant l'argent, en cherchant à comprendre concrètement les circuits de financement criminels et les mécanismes du blanchiment pour mieux les entraver, la commission d'enquête a abouti à une série de constats.
Tout d'abord les réseaux criminels utilisent le produit de leur trafic dans trois buts principaux :
- La consommation personnelle : les espèces ou « cash » générées permettent d'accroître le train de vie. Pour cela, aucune opération particulière n'est nécessaire : l'argent généré peut dans la plupart des cas être directement utilisé grâce à la valeur libératoire de la monnaie fiduciaire, tant que le train de vie reste « sous les radars » des autorités ;
- Le paiement de la « logistique criminelle » : l'argent sale le reste et sert à rémunérer les travailleurs du réseau ou à corrompre des intermédiaires, qui par exemple permettent d'acheminer la drogue du lieu de production vers le consommateur d'un pays tiers. Concernant les agents corrompus, suivant les montants concernés et le pays, il est éventuellement nécessaire de blanchir l'argent au préalable afin de laisser le moins de traces possibles. La majeure partie du prix de la drogue proposée au consommateur correspond ainsi aux coûts de cette logistique (et non à celui de la production) ;
- L'investissement : moyennant blanchiment, le cash pourra être intégré dans l'économie réelle et légale afin de générer un profit déclaré, par exemple en investissant dans un projet industriel, commercial ou immobilier, qui pourra générer lui-même des revenus ou des plus-values à la revente. Dans ce cas, l'organisation criminelle profite d'un avantage indu par rapport à ses concurrents. Elle s'implante dans les territoires, y compris les territoires ruraux, et devient beaucoup plus difficile à déstabiliser.
Il convient de mettre fin au décalage de perception dans l'opinion publique entre le crime organisé et la délinquance financière par une prise de conscience des enjeux, de l'impact de la délinquance financière et de son lien organique avec toute la criminalité organisée. En effet l'approche par type de criminalité est nécessairement partielle, car elle ne tient pas compte des phénomènes d'hybridation des criminalités : certains groupes ont en effet une activité diversifiée, tandis que d'autres, spécialisés, sont en relation étroite avec d'autres groupes de trafiquants, d'armes mais aussi de personnes et de biens, dans le cadre d'achats et d'échanges.
Or, les mécanismes de blanchiment, la nécessité de faire passer les produits du crime dans l'économie réelle pour en jouir, sont les mêmes - parfois avec les mêmes acteurs - pour tous les trafics et même pour les fraudes. Ainsi l'argent liquide généré par les trafics sert à financer la rémunération du travail illégal. Agir sur ces mécanismes et sur les acteurs permet donc d'agir de manière efficace et surtout cohérente par rapport à la réalité de la criminalité organisée au niveau mondial.
Par nature, les activités liées au financement de la criminalité et au blanchiment de ses gains se glissent dans les interstices de la réglementation, partout où un défaut de surveillance est détecté par les délinquants.
Il n'y a donc pas de lutte efficace contre le blanchiment sans mobilisation des acteurs privés dits « assujettis », car appelés à respecter les normes de « compliance » destinée depuis la fin des années 198017(*) à lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) et chargés de signaler les flux financiers suspects (banques, intermédiaires financiers, comptables...). Il n'y a pas non plus de lutte efficace sans focalisation des services d'enquête sur la question précise du blanchiment et sans les services de douane pour identifier les flux physiques incohérents qui signent le blanchiment, qu'il s'agisse de flux d'espèces ou de marchandises.
Les réseaux et leurs blanchisseurs ne cessent d'évoluer en fonction des modifications législatives, et s'infiltrent partout où ils détectent une faille. Ces failles peuvent être de différentes natures allant du défaut de connaissance des autorités sur le fonctionnement d'instruments comme les cryptoactifs, à la volonté de simplification de la vie économique par l'allègement des démarches déclaratives, mais aussi à l'accommodement des acteurs privés à des pratiques lucratives, à la corruption et jusqu'à la complicité, ou encore résulter de l'éloignement géographique ou de la politique inadaptée ou accommodante de certains États.
Les risques posés par les organisations criminelles sont multiples et dépassent la seule question, qui reste prioritaire, de la sécurité publique. L'argent des trafics viendra par exemple fausser le jeu de l'économie en permettant à des sociétés contrôlées par ces organisations et dopées par ces fonds, qui seront mêlés à la comptabilité de la société, de remporter des marchés publics ou plus simplement d'évincer progressivement tous les concurrents honnêtes dans tel secteur d'activité, comme par exemple le BTP. Ces sociétés pourront par ailleurs contaminer des acteurs privés ou publics via la corruption. Enfin, elles posent un réel problème de modèle social, les territoires étant pollués par la présence pesante de commerces notoirement affiliés à des organisations criminelles, où une véritable économie souterraine vient saper l'économie réelle et se présenter comme un véritable modèle social alternatif, à l'image des mafias italiennes.
À long terme, le risque est celui d'une implantation pérenne dans les territoires qui permettra à ces organisations un contrôle territorialisé qui rendra leur éradication encore plus ardue.
Les moyens procéduraux, les incriminations pénales, les capacités techniques et la compétence d'enquête existent, même s'ils doivent sans cesse se renouveler en réponse à l'inventivité criminelle. Les mécanismes de coopération internationale sont anciens et, dans le cadre d'instances comme le GAFI, efficaces pour inciter à la prise de mesures opérationnelles pour lutter contre le blanchiment en utilisant à bon escient le risque réputationnel d'être mis sur une liste noire. La France fait figure d'État en pointe sur ces questions, comme l'a montré l'évaluation conduite par le GAFI et publiée en 2022. Pourtant, depuis les prisons françaises, les délinquants peuvent recycler leur argent dans l'immobilier émirien. La véritable question est donc moins celle des normes que la priorisation de cette lutte.
De même que la législation en matière de blanchiment est issue de la lutte contre le narcotrafic, la commission d'enquête a inscrit ses travaux dans la suite de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, dont le rapporteur était Etienne Blanc et le Président Jérôme Durain. Dans le prolongement de ces travaux, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic a été adoptée par le Parlement. Elle comporte des mécanismes destinés à lutter contre le blanchiment et contre la criminalité organisée dans son ensemble, au travers notamment de deux mesures majeures : la création d'un parquet dédié et la mise en place d'un état-major au sein du Ministère de l'Intérieur. C'est pour permettre la réussite de ces initiatives nécessaires et structurantes que la commission d'enquête sur la délinquance financière formule plusieurs propositions. Elle se permet d'insister sur leur urgence, notamment pour que les mécanismes récemment votés et en cours de mise en oeuvre prennent pleinement en compte les enjeux financiers et que la mise en place de nouvelles structures ne se substitue pas à la mise en oeuvre d'une politique de lutte cohérente.
La commission d'enquête a été confrontée d'emblée à une question lourde, spécialement dans le contexte budgétaire actuel, celle des moyens de la police judiciaire et de la Justice. Le ministre de l'Intérieur a fait état de la souffrance de la filière de police judiciaire, spécialement en matière économique et financière. La commission d'enquête partage le constat qu'il n'existe pas de solution simple à cette difficulté, mais sera amenée à souligner à maintes reprises dans son rapport l'importance de cet enjeu et à dessiner des pistes pour y répondre.
Sans s'engager dans des préconisations à destination parfois plus politique que pratique, comme la fin de l'argent liquide, la commission d'enquête a également dû prendre position dans des débats complexes afin de trouver l'équilibre entre liberté économique désirable et contrôle nécessaire pour le maintien de l'économie libérale et de la démocratie. Elle est animée par une conviction : face à la pression des réseaux criminels et au risque d'implantation mafieuse, la France et l'Europe disposent de tous les moyens juridiques et des compétences. Il s'agit donc d'abord de provoquer une prise de conscience et un sursaut vital permettant aux femmes et aux hommes remarquables qui luttent au quotidien contre l'emprise des réseaux et la captation des richesses d'exercer pleinement leurs missions.
A. LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE ET LA DELINQUANCE FINANCIÈRE : ÉTAT DES LIEUX
1. Mieux appréhender la criminalité organisée pour mieux l'éradiquer
Si les chiffres de la criminalité et de la délinquance font l'objet d'un suivi attentif, ceux du blanchiment sont rarement connus. Ils sont, quand on les trouve, particulièrement imprécis, avec des estimations variant du simple à plus du double. Au niveau mondial, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estime entre 2 et 5 % du revenu mondial les produits d'activités criminelles blanchis chaque année. Malgré les incertitudes, l'ampleur du phénomène conduit Interpol, l'agence de coopération policière internationale, à identifier le blanchiment parmi les cinq menaces les plus graves pesant sur nos sociétés, aux côtés du crime organisé, des trafics, des crimes cyber et du terrorisme.
Les sommes blanchies sont le produit des infractions que délinquants et criminels décident de réintroduire dans l'économie légale pour pouvoir en jouir durablement. La réflexion sur l'argent du crime est donc indissociable de celle sur les criminels et leur mode de fonctionnement. Il est devenu habituel de comparer les grandes organisations criminelles à des États contrôlant des territoires, des populations et générant de revenus comparables à certains produits nationaux. Mais la commission d'enquête a surtout entendu parler des grandes organisations criminelles comme de prédateurs internationaux organisés en réseaux interconnectés au travers du globe.
Les experts auditionnés ont apparenté les organisations situées dans le haut du spectre à des sortes de multinationales du crime, certaines déterritorialisées, parfaitement agiles et prêtes à tirer avantage de telle ou telle faille réglementaire susceptible de favoriser leurs activités.
Europol, l'agence européenne de coopération policière, identifie 821 réseaux particulièrement menaçants pour l'Europe18(*). Tous opèrent sur le territoire d'au moins deux États membres, et 24 % d'entre eux sont actifs dans plus de sept pays européens ; 20 % exercent plusieurs activités criminelles.
Ces éléments fondent une approche qui s'éloigne du droit, pour considérer les têtes de réseaux criminels comme des sortes de chefs d'entreprise du crime et propose d'appréhender, et de résoudre, la question du crime et des profits qu'il génère par le recours aux instruments de l'analyse économique.
L'approche économique du crime lucratif aujourd'hui dominante19(*) est issue des travaux de l'économiste américain Gary Becker, qui propose dès les années 1960 de lui appliquer l'approche micro-économique rationnelle de l'homo economicus développée initialement pour l'analyse des mécanismes de marché 20(*) : à l'instar de celle d'un chef d'entreprise cherchant à maximiser son profit, le modèle suppose que toute décision humaine, y compris criminelle, est soumise à un arbitrage bénéfices-risques. Dans cette approche, la question de savoir si la décision soumise à arbitrage est légale ou non n'entre pas en tant que telle : elle n'est prise en compte par un individu qu'en tant qu'elle augmente le risque de conséquences pénales. Suivant cette approche, l'agent (de même que l'argent) est amoral et l'investissement criminel dépend d'un arbitrage : tant que le résultat (bénéfice criminel - risque criminel) est supérieur à un autre (bénéfice légal - risque légal), l'agent choisira l'orientation criminelle.
Toutefois, pour certains économistes se désignant comme « hétérodoxes », ce modèle ne permet de comprendre qu'un des aspects de la logique à l'oeuvre dans l'orientation criminelle des agents. Par exemple, il est indéniable que pour bon nombre de personnes exposées à un choix entre une action légale et une autre illégale, l'illégalité entrera en soi dans le processus décisionnel, comme un frein moral à l'entrée dans le processus criminel, au-delà des conséquences pénales auxquelles l'agent s'exposerait. Symétriquement, au sein de grandes organisations criminelles, notamment mafieuses, d'autres mécanismes favorisent l'entrée ou le maintien dans la sphère de l'illégalité (volonté de pouvoir, pression sociale visant à maintenir la cohérence du groupe criminel...). Cette approche institutionnaliste permet de saisir l'emprise du phénomène mafieux dans tous ses aspects, comme l'ont rappelé l'économiste Clotilde Champeyrache, spécialiste de la mafia, ou Nicolas Jacquemet, économiste spécialiste de l'économie comportementale, lors de leur audition.
Les approches micro-économique et institutionnaliste sont complémentaires. En première analyse, le modèle économique permettant de mieux d'apprécier le raisonnement des têtes de ces réseaux paraît être celui de l'approche micro-économique. Cela est d'autant plus vrai s'agissant du contournement des sanctions internationales, qui voient intervenir des acteurs privés souhaitant importer depuis ou exporter vers des pays placés sous sanctions et qui tendent à raisonner selon une balance bénéfice-risque fondée sur la recherche du profit. En revanche, en termes d'impact social de ces réseaux et de prévention à long terme de leur formation, l'approche institutionnaliste apparait comme un utile enrichissement.
Il est par ailleurs inacceptable que les criminels soient vus ou puissent se vivre comme des hommes d'affaires qui auraient seulement choisi un secteur plus risqué que les autres : de telles complaisance, auxquels participent tant une certaine culture populaire venue initialement des États-Unis et de l'industrie cinématographique qu'un relativisme moral aujourd'hui largement diffusé, signent l'échec de notre politique répressive.
Le flou autour des revenus des trafics, des fraudes et du blanchiment
Il n'existe pas d'évaluation précise des montants blanchis chaque année en France. Les chiffres les plus souvent cités donnent des fourchettes très larges et concernent des zones bien plus étendues que notre territoire.
L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) estime que le blanchiment de capitaux représenterait entre 2 % et 5 % du PIB mondial, soit 1 600 à 4 000 milliards de dollars. Rapporté au PIB français de 2024, cela représenterait un ordre de grandeur d'au moins 58 milliards d'euros.
Dans son rapport spécial de 2021, « L'UE et la lutte contre le blanchiment de capitaux dans le secteur bancaire : des efforts fragmentés et une mise en oeuvre insuffisante », la Cour des comptes européenne indique que le blanchiment de capitaux représenterait 1,3 % du PIB de l'Union européenne. Rapporté au PIB français de 2024, cela correspondrait à environ 38 milliards d'euros par an. Ces montants donnent une idée du montant de l'argent généré chaque année par les diverses activités criminelles.
Europol évalue les montant des confiscations réalisées en Europe à une somme comprise entre 1 et 2% des produits du crime21(*). Croisé avec les chiffres des confiscations en France en 2024, soit 255 millions d'euros, cela établirait le montant total des revenus de la criminalité organisée en France à une fourchette comprise entre 13 et 25 milliards d'euros par an.
L'évaluation des revenus annuels de chaque trafic se heurte à de pareilles approximations. La commission européenne a toutefois proposé une synthèse de travaux d'économistes dans son étude de 2021 intitulée Mapping the risk of serious and organised crime infiltrating legitimate businesses.
Les principaux chiffres concernant la France, parfois datés et contestés, sont les suivants (en euros) :
- Narcotrafic : 3,5 milliards. Les travaux les plus récents considèrent toutefois que le revenu pourrait s'établir à 6 milliards22(*) ;
- Trafic des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle : 78 millions, mais certains travaux évaluent le revenu de la prostitution à 3,2 milliards23(*). Ce dernier chiffre doit être relativisé, même si Europol évalue le revenu de ce trafic à 23,5 milliards à l'échelle de l'UE en 2015. Compte tenu de ce chiffre global, il apparait raisonnable de fixer le bas de la fourchette autour d'un milliard pour la France ;
- Atteintes à l'environnement (notamment le trafic illégal de déchets et le trafic d'espèces protégées) : 1,3 milliard ;
- Commerce illicite de tabac : 2 milliards ;
- Contrefaçons : 5,7 milliards ;
- Fraudes à la TVA : 6 milliards.
D'après le ministère des comptes publics, 20 milliards d'euros de fraudes ont été détectés en 2024 (fraude fiscale, sociale, douanière et aux aides publiques). Le chiffre de la fraude est toutefois inconnu, puisque la ministre a annoncé le 14 mars 2025 l'objectif de doublement des fraudes détectées d'ici à 2029. Du moins est-il supérieur à 40 milliards d'euros pour la ministre.
Les spécialistes interrogés, magistrats ou enquêteurs, ont indiqué ne pouvoir ni confirmer, ni infirmer l'estimation du produit des trafics et des fraudes qui résulte de ces études, et dont il résulte que le montant de flux blanchis serait chaque année compris entre 38 et 58 milliards d'euros.
Si on applique au blanchiment le montant régulièrement indiqué par les experts, d'une commission d'environ 30 % sur les sommes blanchies, ce crime génèrerait lui-même entre 12 et 20 milliards d'euros par an, le plaçant en tête des trafics les plus lucratifs.
La fleur du mal
Le blanchiment au coeur de la criminalité
organisée
prélève 30 % du produit des trafics et
des fraudes,
qui s'élève à environ 50 milliards d'euros
en France
Source : Commission d'enquête à partir des données de la Commission européenne, le Ministère des comptes publics et E.L. Blondes.
2. Mettre les criminels hors d'état de nuire : l'approche pénale classique à l'aune de la pensée économique
a) Augmenter le risque
La politique répressive s'est d'abord attachée à rendre défavorable l'arbitrage bénéfice - risque des organisations criminelles, en augmentant le risque pénal pour leurs membres : les peines de prison et d'amende encourues sont de plus en plus sévères, de même que la probabilité d'être interpellé augmente, grâce à la montée en compétence des services d'enquête et à l'amélioration des moyens techniques mis en oeuvre. De plus, les opérations policières peuvent mener à des saisies d'espèces ou des produits interceptés ou découverts lors des perquisitions (contrefaçons, produits stupéfiants...).
Concrètement, plutôt que de confronter les grands criminels à des services d'enquête généralistes, on choisit de leur opposer des policiers et des gendarmes spécialisés, rompus à leurs pratiques et détachés de la lutte contre d'autres formes de crimes et délits. Ainsi, sont créés des brigades spécialisées dans les territoires, et jusqu'à des services nationaux de lutte contre telle ou telle activité criminelle : Office anti-stupéfiant (OFAST), Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO), Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC), Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) etc. De plus des techniques spéciales d'enquêtes, plus intrusives qu'en droit commun, sont autorisées afin de caractériser ces infractions (écoutes téléphoniques, sonorisation de lieux privés, géolocalisation...). Le risque pénal augmentant, un certain nombre d'agents rationnels devraient, d'après l'approche micro-économique, se détourner de la voie du crime lucratif.
b) Diminuer le bénéfice
Il résulte de l'équation criminelle classique qu'une action visant à diminuer le bénéfice attendu de l'activité sera aussi efficace qu'une politique visant à augmenter les risques personnels du criminel.
Une politique de lutte efficace doit donc s'attacher à minimiser le bénéfice des trafics pour les organisations criminelles. Cela passe notamment par deux grands pans :
- l'approche préventive, par laquelle les contrôles mis en oeuvre et les différents obstacles légaux qui seront opposés vont augmenter les coûts logistiques des organisations criminelles.
Cela va des contrôles sur les importations des produits illégaux destinés à la consommation nationale (drogues, contrefaçons...) aux obligations de vigilance que l'État fait peser sur certains acteurs privés qui peuvent intervenir dans le cadre d'un processus de blanchiment (typiquement les intermédiaires financiers comme les banques).
La nécessité de contourner ces règles génère des coûts supplémentaires pour les organisations criminelles qui viennent grever leur bénéfice final. Par exemple, si la réglementation interdit aux banques françaises de créditer les comptes de leurs clients de fonds d'origines frauduleuses, les organisations criminelles générant un profit en France chercheront à l'étranger des réglementations moins regardantes. Ceci impliquera pour ces organisations des coûts supplémentaires d'ordre logistique et notamment la traversée de frontières avec l'argent de leurs trafics, ce qui peut se révéler complexe (voir infra I B).
- l'approche répressive vise à confisquer le maximum du bénéfice de l'activité criminelle dans le patrimoine du criminel, y compris sur les biens sans lien direct avec cette activité mais qui auraient été acquis indirectement grâce aux profits criminels.
Cette approche, qui vient en complément de la peine de prison ou d'amende, et les saisies qui ont été réalisées dans le cadre de l'action répressive, vise le stock du profit criminel, alors que l'approche classique ne visait que le flux. Elle s'attaque au bilan et non seulement au résultat.
D'après la logique économique classique, l'augmentation des confiscations pénales, qui constitue du point de vue économique une diminution du profit criminel, doit conduire à un détournement de certains agents de ce champ d'activité. En effet, en comparaison, la sphère de l'économie légale devient plus intéressante, et le deviendra définitivement dès que le taux de profit d'une activité légale sera supérieur à celui des activités illégales. En théorie, la certitude de se voir confisquer un bien mal acquis conduira à un assèchement des activités criminelles puisque n'étant plus lucratives, elles n'attireront plus aucun agent rationnel au sens de l'économie classique. C'est sans compter avec le niveau de profit généré par les activités illégales.
c) L'efficacité économique de la norme et les limites de la répression, des organisations criminelles devenues « too rich to fail »
Selon Bertrand Monnet, économiste spécialiste du crime, les taux de rentabilités de certaines activités criminelles, comme celle des semi-grossistes de cocaïne, se situent entre 1 000 et 6 000 %. L'appréciation exacte est difficile mais comme l'ont fait remarquer les services d'enquête auditionnés, la saisie de près de 10 tonnes de cocaïne dans le port de Dunkerque en mars 2025 n'a eu aucun impact sur le prix de vente au détail en France, qui est resté autour de 65 euros le gramme. Comme l'a souligné le Ministre d'État, ministre de l'Intérieur, devant la commission d'enquête, ceci montre que les fournisseurs ont pu absorber une perte d'environ 300 millions d'euros de marchandise, et de plus d'un milliard d'euros de profits attendus, sans répercussion sur les prix pour les consommateurs. De tels taux de marges sont inconnus dans la sphère légale.
Ces chiffres doivent être mis en perspective avec le taux de confiscation des produits du crime en Europe, évalué à seulement 2 % par Europol24(*). Autrement dit, 98 % du produit du crime restent aux mains des criminels. Avec un taux de rentabilité de plus de 1 000 %, les saisies sont encore loin d'être dissuasives pour les grandes organisations criminelles.
Si, en valeur absolue, les saisies s'élèvent en France à 1,3 milliards d'euros en 2024 d'après la Plateforme d'Identification des Avoirs Criminels (PIAC) et l'Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués (AGRASC), en croissance continue et forte depuis 2012, ces montants restent anecdotiques comparés à la force de frappe financière des criminels. Le montant des confiscations l'est encore plus (255 millions en 2024). Ces chiffres ne prennent toutefois pas en compte l'ensemble des fonds retirés aux organisations criminelles, par exemple le taux de recouvrement des fraudes aux finances publiques (13 milliards d'euros sur 20 milliards de fraude d'après le ministère des comptes publics) ou sociales (1,6 milliard de redressement prononcé par les URSSAF en 2024). La commission d'enquête regrette l'absence d'une approche consolidée au plan interministériel de la part concernant la criminalité organisée et préconise que celle-ci soit mise en place.
Recommandation de la commission d'enquête : avoir une approche consolidée au plan interministériel du montant des saisies, des confiscations, ou des recouvrements fiscaux ou sociaux réalisés sur les revenus de la criminalité organisée.
Il convient par ailleurs de noter que les chiffres des confiscations définitives, celles qui viennent alimenter le budget de l'État, ne s'établissent qu'à environ 20 % de ces saisies25(*).
Compte tenu des chiffres d'Europol, le constat est amer : le crime organisé génèrerait en France 50 milliards d'euros par an, dont 49 milliards échappent à la justice et au contribuable ou au budget de l'État.
Améliorer nos performances en la matière présenterait un « double dividende » : sur le plan des finances publiques, en réintégrant les sommes issues du crime au budget de l'État ; et sur les missions régaliennes et la santé publics. Ces sommes seraient distraites du budget des organisations criminelles, qui verraient leur modèle économique et leur force de frappe fortement déstabilisés.
Valeur des biens saisis ou confisqués
Source : données PIAC et AGRASC
Avec une économie du crime qui génère un profit comparable au budget français de la défense, et dépassant de loin ceux des ministères de l'intérieur et de la justice réunis26(*), on comprend que les moyens mis en oeuvre ne permettent pas aux services d'enquête de lutter à armes égales contre leurs adversaires, qui sont aussi les plus dangereux pour notre ordre public et risquent à terme de porter atteinte à notre pacte social.
De plus, compte tenu de tels profits, les magistrats et les services d'enquête entendus sont unanimes à constater que la prison n'est plus dissuasive. Les services enquêteurs ont confirmé, mais le fait est malheureusement de notoriété publique, que les têtes de réseau incarcérées continuent même de gérer depuis leur cellule leurs affaires criminelles ou immobilières.
Les peines ne sont que modérément dissuasives, elles ne permettent pas de mettre totalement hors d'état de nuire les personnes concernées, les profits générés sont gigantesques et conservés à l'abri jusqu'à la sortie de prison.
3. « No place to hide » ? : Le sursaut nécessaire de la coopération internationale et la mise en lumière de l'origine des fonds
Un saut qualitatif dans la lutte est nécessaire pour détourner les organisations criminelles du territoire national ou prévenir leur implantation. Les multinationales du crime se retireraient d'un marché devenu trop difficile. Les experts interrogés ont donné l'exemple des grands ports français qui, du fait de l'augmentation des taux de contrôles, ont vu une partie du flux de marchandises, dont les marchandises illégales, se reporter vers d'autres grands ports de Belgique ou des Pays-Bas afin d'entrer dans le marché européen. La mise à niveau de ces derniers a entrainé à son tour le report des organisations criminelles vers d'autres points d'entrée.
Mais à l'évidence un pays comme la France, inséré dans l'économie mondiale, carrefour de l'Europe et puissance indo-pacifique, dont la frontière terrestre la plus longue est avec le Brésil, ne peut s'ériger en forteresse. En matière de flux financiers, la sécurité de notre pays repose sur l'action coordonnée entre États. La présence à nos frontières ou dans notre espace économique de pays privilégiant la recherche d'avantages économiques au détriment des mesures de contrôle est un risque avéré tant pour ces États que pour la France. Une prise de conscience salutaire semble néanmoins avoir eu lieu, comme la commission d'enquête a pu le constater lors de son déplacement aux Pays-Bas. Les commissaires ont pris connaissance avec intérêt des efforts accomplis par les autorités policières mais aussi commerciales et portuaires néerlandaises pour tenter d'endiguer la capacité des réseaux de criminalité organisée qui menaçaient de mettre en péril les institutions mêmes du pays.
Dans le cadre de structures internationales, comme le GAFI et l'Union européenne, la France a adopté un arsenal normatif particulièrement riche en matière de confiscation du patrimoine criminel et de lutte contre le blanchiment. Initialement destiné à la lutte contre le trafic de stupéfiants, il a été progressivement étendu à l'ensemble des crimes et délits lucratifs commis en bande organisée27(*).
La diversité des modes de blanchiment et l'ingéniosité des organisation criminelles rend souvent complexe, voire impossible, pour les magistrats et enquêteurs, de rétablir les liens entre l'argent généré par les trafics ou les fraudes financières d'une part, et l'utilisation qui en est faite par leurs bénéficiaires d'autre part. Certains mécanismes permettent toutefois de briser les murs du labyrinthe financier créé par les blanchisseurs.
Ceci implique parfois de renverser la charge de la preuve et de forcer le bénéficiaire de biens qui ne correspondent pas à ses capacités financières officielles à justifier la légalité de leur origine28(*). Depuis la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, lorsqu'une personne physique ou morale procède à des opérations de dissimulation d'espèces ou de virements multiples sans explication économique apparente, l'infraction de blanchiment peut être présumée29(*). Il lui revient alors de justifier la légitimité de ces opérations, sans quoi, par exception aux principes classiques de la procédure pénale, elle pourra être convaincue de blanchiment. Ces mesures exceptionnelles paraissent adaptées aux personnes visées, qui savent jouer des incohérences juridiques et des failles réglementaires. Elles sont la preuve que le législateur peut réagir face à des organisations qui, à l'inverse de l'État et à l'instar de sociétés multinationales, sont déterritorialisées. Elles doivent être renforcées dans leur usage par les enquêteurs et les juges.
De l'avis de tous les experts interrogés, le cadre légal pour mener les investigations et les poursuites et obtenir les condamnations existe et fait figure de modèle sur le plan international ; on ne peut donc que partager l'étonnement du Ministre de l'Intérieur qu'il ne soit pas mieux mis en oeuvre. La commission d'enquête considère que c'est la volonté de lutter contre le blanchiment qui est mal partagée, et ce à tous les niveaux. Chacun doit comprendre que sans la capacité de jouir de ses profits et d'intégrer durablement l'économie légale, la criminalité organisée perdra sa substance même.
Il en résulte une conviction : la lutte contre le blanchiment, ce coeur vers lequel tous les flux criminels convergent, doit être intégrée à la lutte contre les réseaux criminels eux-mêmes. Il en résulte que la myriade d'acteurs que ce rapport va présenter, et dont la liste n'est peut-être pas exhaustive, peut et doit agir contre la criminalité organisée en agissant contre le blanchiment de façon coordonnée. Certains de ces acteurs n'ont d'ailleurs pas conscience du rôle qu'ils pourraient jouer dans la lutte contre ce cycle criminel.
En bref, il s'agit de faire entrer la France dans la culture de la lutte contre le blanchiment. Cela commence par bien définir ce crime qui brasse 50 milliards d'euros générés tous les ans sur notre territoire, d'autant que ce crime n'est pas sans victime : c'est un crime contre la démocratie, la société et l'économie.
Source : ONUDC
B. DE L'ÉCONOMIE SOUTERRAINE À L'ÉCONOMIE RÉELLE : DES PROBLÈMES PRATIQUES
Le blanchiment est d'abord une infraction de conséquence. Elle suppose qu'un crime ou délit ait été commis.
L'article 324-1 du code pénal définit l'infraction. Il dispose que :
« Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.
Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. »
Une peine de cinq ans de prison et de 375 000 euros d'amende est prévue.
L'alinéa 1er de l'article 324-1 du code pénal vise la notion d'aide ou assistance, laquelle s'interprète largement dans la mesure où la facilitation peut être faite par tous moyens (fausses factures, faux bulletins de salaires, écritures bancaires fictives, faux témoignages, attestations de complaisance notamment). Si le mode opératoire est indifférent, la « justification mensongère » implique une action positive de l'auteur du blanchiment pour justifier la provenance des fonds.
L'alinéa 2 de l'article 324-1 du code pénal vise, quant à lui, trois types d'opérations (placement, dissimulation et/ou conversion) qui ont pour finalité le blanchiment du produit de l'infraction. L'acte de blanchiment peut porter sur l'une ou l'autre de ces opérations. Le concours apporté à l'une de ces trois opérations peut être matériel ou intellectuel30(*).
Le blanchiment est également incriminé par le code des douanes, ce qui permet aux services judiciaires douaniers d'intervenir dans sa répression, notamment lorsque les mécanismes passent par des pays étrangers en infraction à ce code, mais aussi en cas de transports de fonds sur le territoire national, d'infraction à la législation sur les stupéfiants, ou encore d'atteintes aux finances publiques européennes (ce qui inclut notamment la fraude à la TVA)31(*).
Avant de présenter les typologies du blanchiment, on doit d'abord le ramener à son objet : permettre aux trafiquants et fraudeurs un usage de leurs gains illicites sans éveiller les soupçons des autorités.
1. Le cash ou Comment s'en débarrasser
a) L'argent sale ne paye pas (ni tout ni partout)
Le blanchiment vise à permettre à un délinquant de pouvoir utiliser l'argent généré par son crime. Du fait des conditions de vente, qu'il s'agisse de drogue, de contrefaçon, de prostitution, le produit des trafics est massivement récolté en espèces (billets de banque), et le plus souvent en petites coupures du fait des prix de vente (billets de 10, 20 ou parfois 50 euros).
A priori, cet argent récolté sous forme de cash présente un avantage indéniable pour les trafiquants : l'argent liquide est intraçable. Rien ne permet d'identifier ses porteurs précédents, ni d'assurer qu'il n'a jamais été utilisé dans le cadre d'un quelconque trafic. D'ailleurs, d'après la gendarmerie nationale, 90 % des billets de banque en circulation comportent des résidus de drogue32(*). Les billets de banques de 10 euros ne sont pas différenciables les uns des autres et tous ont même cours légal, quel que soit leur parcours.
En théorie, cette monnaie fiduciaire présente un pouvoir libératoire immédiat, c'est-à-dire une capacité à être acceptée comme moyen de paiement, qui libère instantanément son porteur de l'obligation correspondante. Par exemple, aucun commerçant de la zone euro ne peut refuser un paiement en euros. Ainsi, dans un pays sans règles relatives à l'utilisation des espèces, les trafiquants peuvent non seulement réutiliser les billets récoltés illégalement pour régler l'achat de biens de consommation courante, mais aussi de biens immobiliers d'une valeur de plusieurs millions d'euros voire investir dans des sociétés. L'émirat de Dubaï semble faire figure d'eldorado, les dispositifs de limitation de l'usage du cash n'ayant pas encore trouvés leur pleine application.
Dans la plupart des pays toutefois, les législations limitent les montants autorisés de transactions en espèces. Par exemple en France, le paiement en espèces d'un particulier à un professionnel ou entre professionnels est autorisé jusqu'à 1 000 €. De même, le maximum autorisé pour le versement de salaire en espèces est fixé à 1 500 €. De plus, sous l'impulsion du GAFI, la France et l'Union européenne ont adopté de nombreuses réglementations visant à obliger les professionnels les plus exposés au blanchiment à déclarer aux autorités les soupçons que l'action de leurs clients ou certaines transactions auraient pu faire naître, en fonction de critères définis en collaboration avec Tracfin. Par exemple, un banquier dont un client souhaiterait déposer sur son compte une somme de 5 000 euros sans en justifier la provenance devra remplir une déclaration de soupçons à Tracfin voire refuser l'opération (voir partie II). La liste des professionnels assujettis à ces obligations est complétée au fur et à mesure des connaissances de nouveaux modes opératoires du blanchiment. Ainsi en est-il des banques, des experts-comptables, des notaires, des commissaires-priseurs ou même des agents sportifs.
Les ministres entendus partagent ce constat du danger que représente l'argent liquide intraçable. La ministre chargée des Comptes publics a ainsi indiqué que le maximum de dépenses en espèces des non-résidents français, aujourd'hui fixé à 15 000 euros, pourrait être interrogé et pourrait être ramené à 3 000 euros. Le garde des Sceaux s'est montré plus radical en indiquant à la commission d'enquête qu'il fallait discuter de l'éventualité de mettre fin à l'argent liquide, comme si casser le thermomètre permettait de faire tomber la température, sans évoquer les problèmes que cela poserait au niveau des liberté individuelles.
Les jours du cash sont-ils comptés ? Peut-être la question de la traçabilité pourrait-elle être intégrée au projet d'euro numérique, pensé comme un complément aux espèces et devant entrer en circulation d'ici à la fin 2025, mais ceci se situe hors du champ de la commission d'enquête.
b) L'embarras des richesses
Dans la mesure où le produit du trafic de drogue est principalement composé de petites coupures, les criminels font face à un problème logistique inimaginable pour le commun des mortels : par exemple, un million de d'euros en billet de 20 euros pèse environ 40 kg et tient dans une grande valise de voyage. Il en faut donc deux du même poids en billets de dix euros. Un kilogramme de cocaïne génère environ 60 000 euros à la revente, soit, toujours en billets de 20 euros, un volume de trois litres et environ 2,5 kg. Autrement dit, lorsque des dizaines de tonnes de drogue sont importées en France, ils génèrent également des tonnes de billets qu'il faut « traiter ».
Il faut pour les réseaux criminels organiser une réelle logistique des espèces, dont le premier maillon est le collecteur, membre du réseau dont la mission consiste à récupérer ces espèces sur les points de deal et à les rassembler dans un lieu sécurisé avant qu'ils soient « traités ».
On comprend qu'un trafiquant générant quelques milliers d'euros par mois pourra tenter de les écouler en améliorant son train de vie, mais qu'un semi-grossiste de drogue générant plusieurs centaines de millions d'euros par an en petites coupures devra trouver des moyens d'intégration s'il veut pouvoir profiter du produit de son crime. D'après la police judiciaire et Europol, les affaires Encrochat et Sky ECC, visant les utilisateurs de ces deux messageries cryptées, principalement des criminels du haut du spectre, ont révélé l'existence de pièces entières remplies de palettes de billets aux mains des criminels. Les billets de banque deviennent alors une marchandise inutilisable en tant que telle et encombrante, dont il faut pouvoir se défaire.
L'argent sale accumulé à un tel niveau peut être regardé du point de vue économique comme une monnaie étrangère qui n'aurait pas cours légal en France ; le taux de change sera de 1 pour 1 moins la commission du blanchisseur, dont le travail consistera à légitimer l'entrée de cet argent dans le patrimoine du criminel. Cette mise en perspective concrète permet de comprend l'un des principaux avantages que représente le paiement en cryptoactifs pour les réseaux criminels, dont on verra par ailleurs les avantages en termes de rapidité des fuites des capitaux.
À ce stade de la logistique criminelle, d'après les chiffres indiqués par les magistrats entendus par la commission, les trafiquants sont prêts à payer jusqu'à 30 %, voire parfois 50 % de commission pour le blanchiment, soit qu'ils y procèdent eux-mêmes, soit qu'ils aient recours à un tiers spécialiste. Autrement dit, le billet de 10 euros d'argent sale détenu n'en vaudra que 7 une fois blanchi.
Cependant eu égard aux taux de profits, le coût du blanchiment est loin de compromettre la rentabilité économique du crime.
2. Le marché noir des changes
S'ajoutent à ces problèmes purement logistiques des questions de change qui sont loin d'être anecdotiques vu le niveau de profits générés le plus souvent à partir d'une marchandise importée. Pour prendre l'exemple de la cocaïne, qui est principalement produite en Amérique Latine, et notamment en Colombie, ses importateurs en France doivent la payer en pesos alors qu'ils ont été payés eux-mêmes en euros par leurs clients. Il leur faut alors d'une manière ou d'une autre changer ces euros en pesos. Le même mécanisme s'applique dès lors que le producteur souhaite se faire payer dans une autre monnaie que l'euro, c'est-à-dire dans la plupart des cas. Le coût de change est difficile à évaluer, mais il se compte à coup sûr en milliards d'euros par an pour les réseaux opérant en France.
Identifié aux États-Unis dès les années 1970, ce marché parallèle désigné comme le « marché noir du peso33(*) », représente là-bas plusieurs milliards de dollars par an. Dans ce système, les trafiquants rémunérés en dollars font appel à des intermédiaires (des brokers de monnaie), afin de trouver des entreprises colombiennes qui souhaitent importer des biens depuis les États-Unis, et qui ont besoin pour réaliser l'opération d'achat de se procurer des dollars avec les pesos qu'ils détiennent. Le broker va leur proposer un cours plus favorable que le cours légal, ce qui explique l'attractivité du système pour ces entreprises. Les pesos sont virés au broker qui ensuite les transfère au cartel colombien via des techniques qui permettent d'en légitimer l'origine (cf. infra). Les services américains ont révélé que plusieurs grandes entreprises américaines étaient impliquées, peut-être malgré elles, dans ce marché noir des changes.
D'autres techniques relativement proches, qui actionnent des mécanismes de compensation et de transferts internationaux, tels que l'hawala ou le blanchiment fondé sur le commerce international (TBML)34(*), permettent de compenser les dettes des importateurs français vis-à-vis de leurs producteurs étrangers.
C. LA MÉCANIQUE DU BLANCHIMENT
Les criminels procèdent à des opérations plus ou moins élaborées suivant leurs besoins et leurs capacités techniques.
On distingue classiquement trois phases, qui ne sont pas toujours consécutives dans les faits mais permettent de comprendre la mécanique du blanchiment. L'opération peut être réalisée par l'organisation criminelle elle-même ou cette dernière peut avoir recours à un tiers spécialisé dans cette pratique, un prestataire de service qui traite des fonds venant de toutes sortes de trafics et qui se rémunère par une commission, souvent de l'ordre de 20 à 30 %35(*).
1. Les trois phases classiques
Ce modèle, développé à partir des expériences de terrain mais à visée d'abord pédagogique, n'est que rarement mis en oeuvre dans toute sa « pureté ».
a) La « bancarisation »
L'argent sale récolté en espèces doit d'abord être injecté dans le système financier, le plus souvent un compte en banque ; les économistes parlent de « placement », ou de « bancarisation ». Il s'agit de l'opération la plus déterminante du processus, car elle permet de se défaire du problème logistique que représente une grande quantité d'espèces. À partir de là, l'argent peut être déplacé d'un compte en banque à un autre en quelques minutes.
Une grande partie du succès de la lutte contre le blanchiment dépend de la capacité des autorités à empêcher ce placement, à partir duquel la fuite de l'argent vers l'étranger peut être organisée très facilement. Afin de prévenir cette situation, les autorités françaises et européennes ont imposé aux banques de ne procéder à de telles opérations qu'après avoir acquis des informations sur leurs clients et sur l'opération, leur permettant de d'assurer de leur légitimité et de leur cohérence (parmi lesquelles les obligations KYC pour « know your customer »). Toutefois, de tels mécanismes de vigilance ne sont déclenchés que sur le fondement de certains critères de risque, comme par exemple les montants en jeu. Suivant le niveau de vigilance du pays, ce montant sera plus ou moins élevé. La Pologne ou la Hongrie ont été évoquées par les services d'enquête comme particulièrement recherchées par les trafiquants.
Franklin Jurado a été l'un des blanchisseurs du cartel de Cali (Colombie) dans les années 1980-1990, permettant de blanchir environ 36 millions de dollars issus du trafic de cocaïne. Le système repose sur deux étapes :
La « kennedyfication »36(*), visant à rendre l'argent sale difficilement traçable en multipliant les opérations et en traversant plusieurs juridictions bancaires.
Les fonds étaient d'abord disséminés pour passer sous les radars et déposés sur des comptes bancaires ouverts au nom de prête-noms dans différents pays (Allemagne, Monaco, Luxembourg, Suisse, Autriche). À chaque transfert entre comptes et sociétés écrans, l'argent devenait de plus en plus « européen », perdant ses liens apparents avec sa source criminelle.
La « sanctification » : une fois l'argent légitimé, il est réintégré dans l'économie légale par des investissements, notamment en Colombie.
b) La « superposition »
La seconde étape théorique, qu'on désigne sous le terme d' « empilement » ou de « superposition » (« layering » en anglais), est destinée à égarer les enquêteurs ou du moins leur faire perdre un temps à jamais perdu.
À partir du compte en banque initial, les blanchisseurs ordonnent une quantité d'opérations successives destinées à perdre les autorités qui voudraient suivre l'argent. Ils constituent en quelques minutes ou jours un labyrinthe dont ils sont les seuls à connaître le plan.
La rapidité de l'opération contraste avec le rythme que doivent suivre les enquêtes judiciaires. Imaginons qu'un juge réussisse à identifier un compte bancaire français sur lequel l'argent d'un trafic aurait été déposé. Il pourra d'abord demander à la banque concernée l'identité du titulaire du compte, puis demander à l'ensemble des banques françaises de lister les comptes de cette personne (via le fichier FICOBA). Le juge aura une vue globale sur la situation bancaire de ce blanchisseur potentiel, qui sera le plus souvent un quidam sans lien apparent avec le trafic en lui-même. Le magistrat pourra demander aux banques de dresser la liste des opérations menées à partir de ces comptes. Si un virement apparait douteux, il pourra interroger la banque du compte de destination pour connaître l'identité de son client, ainsi que les mouvements depuis ou vers ce compte. Si un autre virement douteux est opéré depuis ce second compte, le juge devra opérer de même et ainsi de suite. Le juge pourra ainsi retracer les mouvements et espérer identifier le bénéficiaire final, qui devrait être la tête du réseau criminel et dont les biens pourront être confisqués.
Or si les ordres de virements sont instantanés, les réponses des banques aux juges peuvent prendre plusieurs jours voire semaines. En quelques minutes, un blanchisseur est en mesure de passer de multiples virements, dont les itinéraires ne pourront être retracés qu'en plusieurs mois par les enquêteurs ou les magistrats. Une organisation criminelle pourra ordonner des dizaines d'ordre de virement rendant ce traçage impossible dans un temps raisonnable : le temps du blanchisseur n'est pas celui de la justice.
Si les virements sont effectués à destination d'un compte domicilié à l'étranger, le problème change de dimension. Le juge français devra faire une demande d'entraide internationale. Si le pays est coopératif, la réponse peut arriver en quelques semaines, mais l'attente peut durer plusieurs mois, voire éternellement, la réponse n'arrivant jamais. Comme l'ont indiqué les magistrats de liaison ainsi que les services français chargés de faire l'interface avec les services étrangers de police ou de justice lors de leur audition37(*), à l'intérieur de l'Union européenne, les mécanismes de coopération plus intégrés peuvent améliorer les délais, mais pour les pays tiers, la réponse dépend d'une part de la capacité du juge de ce pays à obtenir ce type d'informations, et d'autre part de l'état des relations diplomatiques de la France avec ce pays. L'existence d'un accord bilatéral aide à la fluidité des échanges. À l'inverse, il a été précisé par exemple à plusieurs reprises que les autorités de la région administrative spéciale de Hong-Kong ne répondaient plus aux demandes françaises depuis l'adoption de la loi de sécurité nationale le 30 juin 2020.
Parfois, l'exigence de « double incrimination », c'est-à-dire que les faits de même nature que ceux poursuivis soient constitutifs d'une infraction et donc réprimés dans l'État dont la coopération est demandée, constitue un obstacle insurmontable.
Comme le souligne Jean-François Bonhert, procureur national financier, « nous retrouvons les mêmes mécanismes pour le blanchiment des produits de la criminalité financière et de la criminalité organisée. Cela inclut l'utilisation d'hommes de paille, de sociétés écrans, l'exploitation des failles de la législation nationale, et le profit tiré d'une coopération internationale à géométrie variable, notamment en investissant dans des pays réputés non coopératifs »38(*). Céline Guillet, procureur adjoint, rappelle par exemple que certaines sociétés sont délibérément immatriculées dans des pays dépourvus de registre centralisé des sociétés, ou que les criminels déploient des stratégies tirant profit de failles dans les traités fiscaux bilatéraux. Pour ce magistrat, « ces situations sont clairement utilisées à la fois par les délinquants en col blanc et par des organisations criminelles ayant mis en place des processus de dissimulation et des actions très sophistiqués ».
Dans son roman « Mes nuits sont plus belles que vos jours », Raphaëlle Billedoux dépeint une relation amoureuse en ces termes : « Ils vivaient les jours comme maris et femmes les années ». C'est un peu le décalage qui existe entre le temps judiciaire et le temps des criminels.
Si rien n'est en soi impossible à un enquêteur méticuleux formé à retracer les flux financiers, la réalité pénale rappelée par les magistrats impose en règle générale de ne pas prolonger les enquêtes au-delà de deux ans. Ces vingt-quatre mois laissés aux enquêteurs et aux magistrats seront largement dépassés avant que le lien puisse être établi entre le crime initial et le gain final. Il existe à l'évidence un décalage entre le fait et le droit dès lors que des virements internationaux sont possibles à destination de pays ne répondant pas aux réquisitions judiciaires françaises.
Le choix logique de politique pénale semble consister à laisser de côté ces enquêtes trop longues voire impossibles en l'état des relations diplomatiques, au profit de la caractérisation de procédés moins chronophages. Ceci est compréhensible, mais n'est pas acceptable : ce faisant on laisse subsister les réseaux les mieux organisés et donc les plus dangereux qui deviennent finalement « too big to jail ».
Source : Tracfin
Paradis fiscaux, paradis bancaires, paradis judiciaires, paradis cryptos
Les paradis fiscaux privilégient la fiscalité avantageuse et l'opacité financière pour attirer les capitaux.
Les paradis bancaires misent sur le secret bancaire pour protéger l'identité des déposants et la provenance des fonds (secret bancaire, ou absence de centralisation des données bancaires).
Les paradis judiciaires sont des pays non-coopératifs, qui offrent une protection contre les enquêtes et poursuites judiciaires étrangères, facilitant notamment la dissimulation d'actifs illicites.
Ces trois caractéristiques peuvent être mêlée au sein d'un même État, ce qui en fera un lieu particulièrement recherché des blanchisseurs.
De plus, les pays concernés peuvent intégrer des dispositifs permettant de masquer les bénéficiaires effectifs de sociétés. C'est notamment le cas des trusts, qui permettent d'investir anonymement dans des actifs à l'étranger.
S'ajoutent à ces paradis classiques de nouveaux paradis « crypto », juridictions dans lesquelles ces actifs sont moins réglementés et ainsi les détenteurs de portefeuilles moins facilement identifiables, fautes notamment de l'équivalent d'un FICOBA des cryptos.
c) La réinjection
Dernier temps du blanchiment, l'argent apparemment légalement acquis est réinjecté dans le patrimoine du criminel ou du moins dans sa sphère d'influence.
L'argent sera remis à disposition du criminel quand l'origine illégale sera suffisamment diluée. Le plus souvent, une opération réalisée à l'étranger et dont le contrôle est impossible viendra justifier des versements sur le compte qu'il aura choisi. Par exemple, un bien immobilier sera acheté dans une juridiction étrangère n'opérant pas de contrôle dissuasif sur l'origine des fonds. De cette manière, les loyers qui seraient générés par ces biens, ou le produit de leur vente, pourront apparaîtres comme légitime en France.
Afin de demeurer plus discret, l'argent pourra abonder le compte d'un prête-nom situé dans son entourage et qui agira à sa convenance (proche, homme de paille rémunéré pour ce faire...).
2. « Crime as a service » contre « auto-blanchiment »
D'après Europol39(*), 96 % des réseaux criminels les plus menaçants blanchissent eux-mêmes le produit de leurs activités. Cette pratique est communément désignée sous le terme d' « autoblanchiment »40(*). Elle permet d'internaliser les coûts du blanchiment, au prix d'une diversification de l'activité initiale du réseau criminel. On verra que ces techniques sont utilisées à la fois dans le bas du spectre mais aussi dans les organisations mafieuses les plus abouties, qui peuvent s'appuyer par exemple sur leur propre réseau d'entreprises légales pour masquer leurs revenus illicites.
Néanmoins, comme le rappelle Europol, pour plusieurs des « réseaux criminels les plus menaçants, le blanchiment d'argent est leur seule activité criminelle, et ils proposent également cette activité en tant que service à d'autres acteurs criminels [...] Ces réseaux criminels font de l'offre de crimes à d'autres réseaux leur activité principale »41(*). Toujours d'après Europol, seuls 4 % des réseaux les plus menaçant auraient recours à ces prestataires de service de blanchiment, mais il convient de nuancer ces chiffres qui ne portent pas sur les sommes en jeu.
Les magistrats français auditionnés ont pu donner des exemples de réseaux communautaires spécialisés dans le blanchiment, notamment en région parisienne, agissant pour d'autres réseaux, et dont les sommes brassées se chiffrent en centaines de millions d'euros par mois, représentant des sommes bien plus importantes que celles suggérées par Europol. Ces réseaux développent des compétences spécifiques qui ont tendance à sécuriser les organisations criminelles les plus lucratives, qui ne peuvent utiliser tel quel tout le cash accumulé.
Source : Cour des comptes européennes, L'UE et la lutte contre le blanchiment de capitaux dans le secteur bancaire : des efforts fragmentés et une mise en oeuvre insuffisante, 2021
D. QUELQUES EXEMPLES DE TRAFICS
Au cours de ses travaux, la commission d'enquête a eu à connaître de plusieurs exemples de trafics qui appellent une réaction déterminée des pouvoirs publics.
Leur impact financier est souvent mal connu. Christophe Perruaux, directeur de l'Office national anti-fraude (Onaf), a ainsi indiqué à la commission d'enquête que le trafic de civelles rapporte autant que celui de cocaïne aux réseaux qui s'y livrent. Il s'agit de véritables organisations criminelles, capables de mettre en place l'infrastructure et les réseaux de transport nécessaire pour acheminer vivantes les civelles jusqu'au marché asiatique, parfois en passant par l'Afrique.
Le rapporteur estime nécessaire de faire l'analyse de plusieurs situations.
1. Le trafic de migrants
Le trafic de migrants, un drame humain et une source de revenus croissante pour les réseaux criminels.
50 millions de personnes sont touchées dans le monde par le trafic de migrant et le trafic d'êtres humains, dont 27,6 millions en situation de travail forcé et 22 millions de personnes en situation de mariage forcé en 2021 (rapport OIT 2022), pour « un chiffre d'affaires estimé » à plus de 150 milliards de dollars, dont 5,5 à 7 milliards par an pour le trafic de migrants et 99 milliards tirés de l'exploitation sexuelle42(*).
La commission d'enquête n'a pas pu se pencher sur l'ensemble de la chaine de l'horreur des trafics d'êtres humains, qui va du travail forcé jusqu'aux trafics d'organes en passant par les mariages forcés.
Elle s'est concentrée sur le trafic de migrants, en fonction d'opérations en cours ou passées d'Interpol mais aussi d'Europol, cette question étant par nature internationale et d'une importante actualité judicaire.
Différentes définitions, différentes infractions...
L'ONU définit le trafic illicite de migrants comme « le fait d'assurer, afin d'en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l'entrée irrégulière dans un État partie d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État ».
En France le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) réprime le trafic de migrants au travers de trois articles.
L'article L. 823-1 du CESEDA punit de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait, pour toute personne, de faciliter ou de tenter de faciliter, par aide directe ou indirecte, l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France. Cette disposition s'applique même si les faits sont commis depuis un autre État partie à la convention de Schengen.
L'article L. 823-2 du CESEDA prévoit la même sanction pour les infractions visant à faciliter l'entrée ou la circulation illégale sur le territoire d'un État signataire des accords de Schengen ou du protocole contre le trafic illicite de migrants.
L'article L. 823-3 du CESEDA prévoit des circonstances aggravantes (notamment dans les cas de bande organisée), portant les peines à dix ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende. Si les faits exposent directement les migrants à un risque immédiat de mort ou de blessures graves, la peine peut aller jusqu'à quinze ans de réclusion criminelle et un million d'euros d'amende.
Le code pénal (article 225-4-1) définit la traite des êtres humains comme le fait de « recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation ».
... pour une réalité sordide et lucrative
Le lien entre le trafic de migrants et les réseaux criminels, dont les réseaux de narcotrafic, est établi par les services de police sur l'ensemble des continents, la logistique de transport de la drogue servant aussi à transporter les candidats à l'immigration illégale. Plus de 90 % des migrants pénétrant illégalement dans l'Union européenne utiliseraient ces réseaux criminels43(*).
Le lien est aussi avéré entre cette criminalité et le financement du terrorisme44(*).
En avril 2024, par le bénéfice d'une collaboration conjointe entre le parquet national polonais et l'Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust), un vaste trafic de migrant soupçonné de financement du terrorisme a été démantelé, marquant une étape dans la collaboration internationale. Cette collaboration a aussi été ponctuée par l'appui des forces de police allemande et néerlandaise. Le communiqué du parquet polonais précisait : « Le procédé consistait à organiser une migration illégale d'Irakiens, de Syriens et de Palestiniens via la frontière polono-biélorusse, en direction de la frontière allemande ».
De plus, des flux importants de cryptoactifs chiffrés à plusieurs millions de dollars, provenant de ce trafic en direction de l'organisation terroriste Hezbollah ont été identifiés par le parquet45(*).
Les sommes récoltées font du trafic de migrants la deuxième activité criminelle la plus lucrative après le trafic de drogue. Le trafic de migrants générerait 5 à 7 milliards d'euros de blanchiment par an à l'échelle européenne46(*).
Au total en 2024, l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM) a démantelé 269 filières, dont 66 filières d'entrée sur le territoire national et 132 filières d'aide au maintien sur le territoire, les autres se répartissant entre les filières d'aide au transit et celles de traite des êtres humains. Les filières fournissent de la main-d'oeuvre illégale dans les secteurs du BTP (60 % des cas), de l'agriculture et de l'hôtellerie-café-restauration.
En parallèle, les réseaux de passeurs prennent en otages un certain nombre de personnes qui les ont payés, notamment dans la région des Balkans. Ils déclarent aux familles des intéressés qu'il s'est passé quelque chose de très grave et que, pour obtenir leur libération, il faut payer encore plus. Certains États faillis, dont les forces spéciales et les services de renseignement sont devenus de quasi-armées, encadrent aujourd'hui tel ou tel mouvement et créent eux-mêmes des difficultés pour que les migrants et leurs familles paient plusieurs fois.
Comme le reconnaît la ministre, nous sommes au coeur des mécaniques que détaille la commission d'enquête : des flux financiers qui vont de pair avec des trafics.
Ce trafic est d'autant plus immonde qu'il exploite la misère humaine.
Dans le cadre de son plan d'action 2021-2025 contre le trafic de migrants, la Commission européenne a proposé des partenariats sur mesure avec les pays et les régions se situant sur les routes migratoires menant à ses pays membres.
Ce dispositif a été complété, en novembre 2023 par l'augmentation des moyens financiers et humains d'Europol, et un alourdissement des peines prévues pour les trafiquants.
L'année 2024 marque l'intensification de la lutte contre les réseaux de passeurs.
En France, une enquête menée par la police aux frontières de Roissy a permis en novembre 2024 le démantèlement d'un réseau de trafic de migrants du sous-continent indien incluant passeurs, blanchisseurs et financeurs avec une tête de réseau résidant à Dubaï. Les sommes demandées aux migrants se situaient entre 15 000 et 26 000 dollars par personne, permettant le brassage de sommes considérables. La saisie des actifs du réseau s'est élevée à 11 millions d'euros.
En novembre 2024 un réseau indo-pakistanais d'immigration clandestine a été démantelé par l'Oltim à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Il aurait généré des centaines de millions d'euros. 26 personnes ont été interpellées, 11 millions d'euros d'avoirs criminels (voitures de luxe, espèces et cryptoactifs, neuf maisons et quatre commerces, or et bijoux).
En mars 2025 un trafic international de migrants a été démantelé entre l'Afrique et la France depuis l'Espagne. On estime qu'environ 1700 personnes sont passées en un an.
En avril 2025, l'aboutissement d'une enquête menée depuis plus de deux ans par la Section de recherches (S.R.) de Strasbourg concernant un trafic de migrants a permis d'exposer un réseau international opérant en France et en Italie. Les logisticiens du trafic ont notamment été localisés en Alsace. Les chauffeurs amenant les migrants pouvaient être rémunérés jusqu'à 25 000 euros par trajet, pour des convoyages concernant parfois plus de trente migrants entassés dans une même camionnette47(*). En mars, c'est un réseau opérant des allers-retours de migrants entre la France et l'Espagne qui a été démantelé. Celui-ci facturait entre 150 et 200 euros pour un trajet entre Barcelone et Perpignan.
En mai 2025 l'Espagne a également démantelé un réseau sino-arabe de blanchiment d'argent, accusé d'avoir blanchi 19 millions d'euros entre juin 2022 et septembre 2024, provenant du trafic d'êtres humains et de drogue. Les transferts de fonds étaient opéré par l'« hawala ». En trois mois, cette « banque clandestine » a déplacé 5,5 millions d'euros lors de 32 transactions.
Lors des perquisitions, les autorités ont saisi 205 000 euros en liquide, 183 000 euros en cryptoactifs, 18 véhicules, des fusils de chasse, des biens immobiliers, des appareils électroniques et des cigares de contrebande d'une valeur de plus de 600 000 euros destinés à la Chine.
L'organisation criminelle avait deux branches distinctes : l'une arabe pour recevoir l'argent, et l'autre chinoise pour faciliter les transferts en Espagne. Elle était impliquée dans le transport illégal de migrants syriens entre l'Algérie et l'Espagne, et dans le narcotrafic utilisant des bateaux de drogue pour transporter environ 1000 migrants, en échange de 800 à 1000 euros par personne.
Des mesures à mettre en oeuvre au niveau international et en France
La coopération internationale est évidemment indispensable dans une activité dramatiquement mondialisée.
La commission d'enquête a eu l'occasion d'échanger avec les services d'Interpol sur l'opération Turquesa qui vise le trafic de migrants et la traite d'êtres humains dans la région Amériques.
Dans le cadre de l'opération Turquesa V les migrants ont fait savoir qu'ils payaient entre 2 700 et plus de 20 000 dollars selon le voyage.
En février 2025, Bruno Retailleau a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre les réseaux de passeurs :
- Création du Certim : Cellule de renseignement pour mieux coordonner les efforts de sécurité. Elle associera les services de renseignement de plusieurs ministères et aura des « déclinaisons territoriales ». La ministre chargée des Comptes publics a annoncé une « convention entre Tracfin et les services du ministère de l'Intérieur » pour « remonter les circuits de financement » ;
- Développement de l'usage de drones et de systèmes de vidéosurveillance ;
- Développement de la coopération internationale en créant de nouvelles unités de recherche avec le Royaume-Uni et l'Italie.
La commission d'enquête se félicite donc du nouveau plan de lutte contre les passeurs annoncé par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau et la ministre des Comptes publics, qui institutionnalise les échanges entre Tracfin et les services du ministère de l'Intérieur en charge de la lutte contre l'immigration clandestine et permettra d'atteindre les revenus des trafiquants. Comme le soulignait lors de son audition la ministre des Comptes Publics : « Il nous faut connaître les réseaux de financement des passeurs et la manière dont cet argent est réutilisé, sachant qu'il existe de nombreux croisements entre trafics de stupéfiants et trafics de migrants.
Certains flux de stupéfiants sont parfois oubliés, notamment ceux qui vont vers les pays du nord de l'Afrique, en provenance, parfois, des pays du nord de l'Europe. En sens inverse, les mêmes réseaux organisent des flux de migrants : ils ont mis en place cette logistique pour ne pas repartir à vide, comme Tracfin a pu le mettre au jour récemment. Or, en s'en tenant au seul prisme financier ou au seul prisme des stupéfiants, on passe à côté de ces sujets. »
La commission propose que ce sujet fasse l'objet d'une attention particulière non seulement en raison de l'aspect humain, voie humanitaire, et de la nécessaire protection des victimes mais aussi parce que la question migratoire est au coeur des débats politiques clivant et qu'il est vain voir absurde de penser les régler sans s'attaquer aux filières qui alimentent ces trafics.
Source : MENAFAFT (GAFIMOAN), Money Laundering Resulting from the Human Trafficking and Migrant Smuggling Crimes, août 2021, p. 1548(*).
2. La contrefaçon : un fléau à bas bruit
a) La contrefaçon, un délit sans victime apparente mais aux conséquences économiques et sociales majeures
La contrefaçon, définie à l'article L.33-2 du code de de la propriété intellectuelle consiste en la reproduction ou l'utilisation d'une marque, d'un brevet, d'un dessin, d'un modèle ou d'une oeuvre, sans l'autorisation du titulaire des droits. L'article L.335-3 précise que la contrefaçon s'entend aussi des violations du droit d'auteur, de réalisateur cinématographique et d'éditeur de logiciel. La contrefaçon concerne enfin les brevets : le titulaire du brevet peut en effet exercer une action en contrefaçon, conformément aux dispositions de l'article L. 615-2 du code de la propriété intellectuelle.
Les sanctions encourues dans le droit commun sont 300 000 euros d'amendes et 3 ans de prison. Néanmoins, plusieurs cas particuliers viennent alourdir cette sanction :
- lorsqu'elle est commise en bande organisée, la contrefaçon expose à 750 000 euros d'amende et sept ans d'emprisonnement ;
- lorsqu'elle consiste à vendre, fournir, offrir à la vente ou louer des marchandises présentées sous une marque contrefaisante, la contrefaçon expose à 400 000 euros d'amendes et 4 ans d'emprisonnement.
Alors que l'achat d'une marchandise contrefaite est souvent présenté comme une aubaine commerciale, il convient de mettre en garde les consommateurs qui se rendent, en achetant des produits contrefaits, coupables de l'encouragement d'un système aux graves conséquences.
En premier lieu, la contrefaçon entraîne des pertes fiscales importantes et déséquilibre ainsi le bon fonctionnement des services publics. En France, chaque année, ces pertes liées à la contrefaçon sont estimées à 2 milliards d'euros, selon la société de conseil en opérations douanières Customs Bridge49(*).
En deuxième lieu, la contrefaçon pèse sur l'économie et l'emploi, car elle a une incidence très directe sur le chiffre d'affaires des sociétés qui en souffrent. En effet, face à un produit en apparence similaire, le critère prix joue fortement et peut inciter des consommateurs à choisir la contrefaçon plutôt que les produits d'origine. Selon l'Office européen pour la propriété intellectuelle50(*) (EUIPO), l'industrie de l'habillement a perdu près de 12 milliards d'euros de ventes en moyenne annuelle entre 2018 et 2021, soit 5,2 % des ventes de vêtement dans l'Union européenne. En raison de la contrefaçon, cette industrie a employé 160 000 personnes de moins chaque année dans l'UE. La contrefaçon se déploie de façon aussi massive dans d'autres secteurs, comme les produits cosmétiques, les jouets, voire des domaines plus technologiques comme les pièces détachées d'avion.
Au niveau français, d'après les estimations de l'EUIPO, 38 000 emplois auraient été perdus chaque année à cause de la contrefaçon.
En troisième lieu, la contrefaçon a une incidence directe sur les droits des personnes qui travaillent : elle tire à la baisse les coûts de production car la plupart des organisations qui en vivent exploitent des travailleurs. Ces usines clandestines emploient souvent des personnes vulnérables, employées illégalement dans le cadre de travail dissimulé. Dans les marchés illicites, les vendeurs de contrefaçon sont majoritairement sans-papiers et sont postés dans des lieux de vente choisis, mais sans connaissance du réseau qui les emploie.
Enfin, la contrefaçon a un impact non négligeable dans le domaine sanitaire et fait courir un risque pour les clients. Jürgen Stock, Secrétaire général d'Interpol, indiquait en octobre 2021 que la pandémie de Covid-19 avait favorisé l'émergence de réseaux de contrefaçon de grande ampleur dans le domaine de la santé. Ces organisations prétendaient vendre « des équipements de protection et des fournitures médicales [et étaient allées] jusqu'à la fabrication et à la distribution de faux vaccins »51(*).
L'achat d'articles contrefaits a donc des conséquences à tous les niveaux, tant pour les entreprises que pour les consommateurs, et permet aux organisations criminelles de réaliser des profits très conséquents avec des risques réduits de poursuites.
b) Une activité renforcée par la mondialisation et le développement du commerce international
Encouragée par le démembrement des lignes de production et le déploiement du commerce international, la contrefaçon s'insère aujourd'hui dans l'économie mondialisée avec facilité.
En effet, la production a souvent lieu dans des pays où les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de la contrôler, puis les produits confectionnés inondent les marchés en profitant de l'aspect massif du commerce international.
Par exemple, la douane française a saisi, en août 202452(*), près de 100 000 faux timbres, notamment à Marseille. Les deux colis contrôlés, en provenance de Hong-Kong et à destination d'un particulier, contenaient en réalité des carnets de timbres autocollants portant le logo et la marque La Poste. Les marchandises ont été retenues le temps de confirmer le caractère contrefaisant des timbres. Les timbres postes étaient déclarés comme des « décalcomanies ». Il apparaît ainsi clairement que la stratégie des organisations criminelles repose sur la production à l'étranger de biens contrefaits, avant de saturer les services douaniers par l'envoi sous de fausses catégories.
L'accélération de la contrefaçon constitue un fait documenté que reflètent notamment les saisies de la douane en France, qui ne cessent de croître.
Nombre d'articles de contrefaçon retirés du marché par la douane
(en millions)
Source : commission d'enquête, données direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)
Entre 2021 et 2024, on constate ainsi près d'un quadruplement des biens contrefaisants retirés du marché par la douane. Le développement du commerce international permet ainsi une infiltration des marchés plus efficace. La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) recense ainsi une massification du trafic maritime mondial, passé de 225 millions de conteneurs en 2000 à 840 millions de conteneurs en 2022.
Le développement de la contrefaçon provient aussi du développement du commerce électronique, qui facilite la distanciation entre le producteur, le vendeur et le client et permet plus facilement de tromper les consommateurs. Le fret postal et express, qui constitue le mode d'acheminement privilégié de la contrefaçon vendue sur internet, devient ainsi le lieu d'un nombre très important de saisies : plus de 3 millions d'articles y ont été interceptés en 2024.
La particularité du marché de la contrefaçon est qu'il s'étend à tous les domaines. Ainsi, des boîtes de Lego aux filtres à huile Peugeot, des compléments alimentaires au maquillage, des copies de logiciels aux sacs de luxe, rien n'échappe au phénomène.
Répartition par secteur des objets contrefaisants saisis par la douane en 2024
(en pourcentage)
Source : commission d'enquête, données DGDDI
Plus du quart des produits saisis sont ainsi des jouets et les vêtements et accessoires ne représentent que 3% du total, ce qui semble peu par rapport à l'imaginaire prégnant des faux habits de marque.
Les réseaux de la contrefaçon sont, à l'image de l'activité, mondialisés. Les grandes mafias mondiales, qu'il s'agisse des triades chinoises, de la Camorra italienne ou des Yakuzas japonais, profitent alors de leurs capacités de production dans tous les pays et de leurs emprises dans des lieux parfois très éloignés sur le globe pour développer le commerce de produits contrefaits. Cette activité est en effet très attractive pour les réseaux criminels, qui construisent une activité rentable et relativement peu risquée sur le plan judiciaire.
Si les activités de production avaient plutôt lieu dans des pays éloignés, la prégnance croissante du phénomène pousse les organisations à rapprocher les lieux d'écoulement des produits et d'assemblage. Ainsi, le Bilan annuel de la douane en 2024 indique ainsi qu'ont été repérés des ateliers de contrefaçons au sein même du territoire de l'Union européenne, y compris en France.
c) Les services douaniers combattent ce fléau avec professionnalisme mais se heurtent à sa croissance non maîtrisée
Face à cette menace croissante, les douanes françaises intensifient leur action et montent en gamme de façon très efficace. Ce sont en effet les services douaniers qui sont chefs de file dans la mise en oeuvre de la politique gouvernementale contre la contrefaçon. La croissance très forte des saisies confirme cette montée en puissance des services d'enquête.
Le dispositif de contrôle mis en oeuvre recherche une approche holistique : l'ensemble du territoire et l'ensemble des vecteurs d'introduction de produits contrefaits sont surveillés. Les pouvoirs d'investigations des équipes permettent de remonter certains réseaux et d'effectuer des saisies importantes. Certaines techniques de renseignement poussées sont utilisées comme l'utilisation de scanners mobiles. Ainsi, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) a été mobilisée en février 2024 et a effectué une saisie de 600 jouets contrefaisant la marque « Jeux Olympiques de Paris 2024 ».
La douane coopère en outre avec les entreprises et en fait un point central de sa stratégie de lutte. Avec le développement du commerce électronique, les grandes plateformes de marchés en ligne sont ainsi particulièrement clé pour mettre à mal le trafic. Le 26 mars 2025, la douane française a ainsi signé un protocole avec la plateforme Amazon, afin de favoriser l'échange d'informations et de renforcer la coopération opérationnelle entre les deux entités.
Des techniques de pointes sont mises en oeuvre dans la supervision des points de vente numérique, en collaboration parfois avec les plateformes. Certains outils d'intelligence artificielle, de cybersurveillance sont ainsi utilisés. La douane peut aussi utiliser un pouvoir d'injonction numérique afin de demander le retrait de la mise en vente de certains produits.
La douane est aussi tributaire, dans son action, des demandes d'intervention déposées par les marques lorsqu'elles repèrent des produits contrefaisants qui usurpent leur identité. Ceci conditionne l'efficacité de la réponse des services.
D'un point de vue plus large et prospectif, enfin, un second plan national anti-contrefaçons 2024-202653(*) a été publié, qui se concentre sur l'identification et le démantèlement des réseaux de fraude organisée. Une coopération accrue avec l'OLAF, Europol, et les titulaires de droits de propriété intellectuelle doit en outre être mise en oeuvre.
Le rapporteur regrette que la proposition de loi visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon54(*) par Christophe Blanchet, Olivier Becht et Pierre-Yves Bournazel n'ait toujours pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat alors que sa transmission par l'Assemblée nationale, alors que sa transmission a eu lieu en novembre 2021. Cette absence de volontarisme est étonnante. Il conviendrait en tout état de cause de mettre à jour les dispositions qu'elle contient.
3. Le trafic de plaques d'immatriculation
Il s'agit d'un aimant à fraudeurs. Depuis 2009, L'État a confié la gestion des plaques d'immatriculation des véhicules à des sociétés avec un double objectif : réduire les dépenses publiques et simplifier les démarches administratives. Le processus d'habilitation est accessible en ligne et largement ouvert. Les professionnels de l'automobile, garagistes, concessionnaires, mais aussi de simples autoentrepreneurs, peuvent désormais délivrer des cartes grises, sans contrôles a posteriori de la préfecture depuis 2017. Ces tiers que l'on dit de confiance ont, pour beaucoup, ouvert la porte à une fraude massive et à des réseaux structurés pour blanchir de l'argent et dissimuler des activités criminelles.
Selon le Service central de renseignement criminel, pas moins de 29 formes de fraude ont été identifiées : usurpation d'identité, fausses déclarations de véhicules handicapés, fraude à la revente, contournement du malus écologique ou encore immatriculation fantôme de taxis55(*). Autant de moyens pour les délinquants de maquiller des véhicules, d'échapper à des contrôles, de ne pas payer les amendes et de faire circuler des biens issus d'activités illégales. Ce qui est certain, c'est que l'Administration a perdu le contrôle d'un système dont elle a délégué une grande partie à des acteurs insuffisamment contrôlés.
Le chef d'escadron Vincent Pautrat, en poste en Haute-Savoie, le résume sans détour : « Il y a quinze ans, ce genre de fraudes n'existait pas. Elles sont apparues avec l'ouverture du SIV aux professionnels »56(*). Si certains n'y voient que de l'opportunisme, la criminalité organisée s'est elle aussi engouffrée dans la brèche. Réimmatriculations de véhicules volés, blanchissement de voitures de luxe importées illégalement, création de faux garages... Ces sociétés écrans deviennent des stations de lavage pour véhicules douteux : une fois réimmatriculés, la revente peut s'organiser, sans que l'origine illicite ne soit détectable.
Pour 40 euros, il est possible d'écraser la carte grise du précédent propriétaire ; pour 80 euros, l'assurance peut être mise en règle ; et pour 100 euros, il est possible de créer une nouvelle fiche d'identification pour le véhicule57(*).
Un exemple en Île-de-France, rapporté par le journal Le Monde, est révélateur des faiblesses du système actuel : entre 2020 et 2024, un « siveur », professionnel habilité à utiliser le SIV par la préfecture, a permis à un réseau d'échapper à des dizaines de milliers d'euros de taxes à l'importation et de malus écologique en immatriculant des voitures de luxe achetées à l'étranger. D'autres dans les Outre-mer ont enregistré plus de 10 000 fausses déclarations d'achat en moins d'un mois vers des garages fictifs58(*).
Le blanchiment par le biais de cette fraude aux plaques d'immatriculation est un outil redoutable pour ces réseaux. En maquillant l'identité d'un véhicule ou en effaçant son historique, on rend intraçable une partie des flux criminels. Certaines entreprises sont créées uniquement pour obtenir l'habilitation préfectorale. Et pour une centaine d'euros, elles offrent une nouvelle immatriculation à un véhicule volé, passant au-delà des contrôles rigoureux des pièces d'identité et pièces justificatives.
En somme, un véritable marché noir où des véhicules volés sont blanchis, où les automobilistes échappent aux amendes et aux retraits de points, parfois au détriment d'individus voyant leur identité usurpée59(*), et où des taxes sont évitées en toute tranquillité.
Les autorités le reconnaissent, le système est largement hors de contrôle. Chaque année, près de 30 millions d'opérations sont enregistrées dans le SIV et la délégation à la sécurité routière estime à 250 000 le nombre de véhicules concernés chaque année par une affaire de fraude aux immatriculations. La sécurité routière affirme également avoir exclu 15 000 sociétés de la plateforme et a annoncé suspendre l'accès à près de 4 000 sociétés par an, soit environ 10 % des 34 000 professionnels ayant accès au SIV. Les fraudes se multiplient plus vite que les sanctions et la mise à jour du logiciel ne sera pas finalisée avant 2027.
Pendant ce temps, les fraudes touchent même les aides publiques. Une enquête du journal Le Monde a récemment révélé comment des escrocs ont utilisé des bus fictifs pour détourner des subventions destinées à l'électrification des transports en commun. Plus de la moitié des 600 bus électriques enregistrés entre novembre 2022 et janvier 2023 n'existaient tout simplement pas. Chaque véhicule donnait droit à une prime pouvant atteindre 30 000 euros pour un total de 100 millions d'euros débloqués par l'État. Résultat : des millions d'euros ont été versés par l'État pour des véhicules fantômes60(*).
Derrière ce scandale de fraude aux plaques d'immatriculation, il y a une réalité plus inquiétante encore : la procédure administrative a été confiée à des « tiers de confiance » qui ne font plus les contrôles. Des pans entiers de la politique publique, transition écologique, sécurité routière, fiscalité, sont sapés par un système d'immatriculation trop permissif. La logique du tiers de confiance a permis à des acteurs sans scrupules de se faire passer pour des professionnels du secteur en toute légalité. Et dans l'ombre, le crime organisé continue de prospérer, profitant d'un système que l'État a laissé sans contrôle suffisant.
4. Le trafic de tabac : un trafic en croissance
Comme tout marché parallèle, celui des produits du tabac est complexe à analyser et à quantifier avec précision. Depuis 2018, aucune étude publique récurrente visant à approfondir l'analyse de ce marché parallèle n'a été menée.61(*) En outre, des différences méthodologiques rendent difficiles les comparaisons directes et la mise en perspective des résultats des études existantes.62(*)
Le développement d'une capacité publique souveraine d'estimation et d'analyse de ce trafic apparait pourtant d'autant plus nécessaire que les données existantes démontrent l'essor préoccupant de ce marché parallèle en France. Tandis que 40% des buralistes rapportent une baisse de chiffre d'affaires d'au moins 2% sur 3 ans, qu'ils attribuent unanimement à l'essor du marché parallèle63(*), les quantités de tabac saisies par les douanes connaissent une hausse tendancielle.
Quantité de tabac saisie par les douanes (en tonnes)
Source : Bilan annuel des douanes 2024
Un rapport de mars 202564(*), réalisé par le cabinet EY-Parthenon en collaboration avec la Confédération de commerçants de France (CDF), l'Union des fabricants pour la protection internationale de la propriété intellectuelle (Unifab) et l'Ifop, estime que le marché parallèle constitué par les achats de produits du tabac hors du réseau des buralistes représente désormais 38 % de la consommation annuelle de cigarettes en France, contre 23 % en 2019. La croissance rapide de ce marché parallèle (+ 13 % par an en moyenne depuis 2019) est multifactorielle mais s'explique notamment par l'essor du trafic : la forte augmentation de la fiscalité du tabac en France a encouragé les achats à l'étranger (15 % du marché total des cigarettes consommées en France), la croissance des flux logistiques résultant de la mondialisation a favorisé l'émergence de nouvelles voies de contrebande, tandis que les réseaux sociaux ont facilité la vente en ligne et l'accessibilité des produits tout en complexifiant le travail des autorités. Ainsi, 23 % des cigarettes consommées en France proviennent de trafic de contrebande ou de contrefaçon.
Si les ventes issues du monopole légal des buralistes représentent encore près de 20 milliards d'euros, le marché parallèle est désormais estimé à 8 milliards d'euros, dont 2,3 milliards d'euros proviennent des trafics. À titre de comparaison, dans leur rapport sur l'impact du narcotrafic en France, les Sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain estimaient à au moins 3,5 milliards d'euros le chiffre d'affaires généré par le trafic de drogue.65(*) Lors de son audition, Mme Emma Louise Blondes, doctorante en criminologie, a également souligné les revenus significatifs résultants des différents marchés illicites, qu'elle estimait à 2 milliards d'euros en 2019 pour le tabac.
Le marché parallèle du tabac en France
Source : EY-Parthenon, Étude des trafics de produits du tabac en France, mars 2025.
Le trafic de tabac peut en effet se révéler particulièrement lucratif. Dans son étude, le cabinet EY-Parthénon estime ainsi qu'avec un chiffre d'affaires estimé à environ 19 millions d'euros en 3 mois, et un investissement fixe pour une grande ligne de production de 800 000 euros en moyenne, l'installation d'une usine clandestine est rentable en à peine quelques jours.
L'essor du trafic de cigarettes ne doit donc pas être interprété isolément, mais s'inscrit dans le contexte d'une professionnalisation et d'un renforcement de réseaux de criminalité dont la finalité est l'argent.
Lors des auditions, les services enquêteurs ont mis en exergue l'imbrication du trafic de tabac avec d'autres types de criminalités et les réseaux de blanchiment. L'Office national anti-fraude a ainsi partagé le cas d'une enquête visant à l'origine une fraude au chômage partiel évaluée à 140 000 euros impliquant une société fictive et un gérant de paille. Après recoupements, l'Office a mis au jour une véritable toile d'araignée de trois cents sociétés animées par une seule personne résidant à l'étranger. Celle-ci proposait ses sociétés à des organisations criminelles pour toutes sortes de trafics - cocaïne, méthamphétamine, tabac, etc. Par ailleurs, la DGDDI a souligné la porosité entre les organisations criminelles de stupéfiants et le trafic de tabac avec une augmentation du niveau d'agressivité et de violence des organisations.
Comme pour les autres trafics, l'action répressive la plus efficace sera donc celle qui sera au plus près de l'argent, car s'attaquer au produit de l'infraction, c'est rendre l'infraction source peu intéressante et déstabiliser l'équilibre entre les différents acteurs de la criminalité organisée.
PREMIERE PARTIE :
LE BLANCHIMENT, UN
PHÉNOMÈNE ÉVOLUTIF, PROTÉIFORME ET
SOUS-ESTIMÉ
La commission d'enquête a été confrontée à la réalité du blanchiment lors de son déplacement aux Émirats Arabes Unis. La démonstration de l'ampleur du phénomène a été pour elle un choc. Il lui a en effet été exposé le cas d'un agent immobilier français à Dubaï recrutant les investisseurs par l'intermédiaire d'un de ses parents, incarcéré à la prison des Baumettes à Marseille et proposant ses services à ses codétenus. Emprisonnés mais libres de disposer des profits de leurs infractions et de penser à leur avenir, les criminels et délinquants faisaient et font peut-être encore l'objet d'un démarchage au sein de leur lieu d'incarcération, leur offrant la possibilité par virement bancaire ou transfert de cryptoactifs d'acheter dans la plus grande ville émirienne des appartements de petite ou moyenne taille pour un budget moyen de 150 000 euros. Usant de prête-noms parfois familiaux, les transactions immobilières s'effectuaient en toute légalité. Évidemment, les autorités dubaïotes ne sauraient être tenues pour responsables de la circulation de téléphones dans les prisons françaises ni du marketing de certains agents immobiliers par ailleurs français.
La situation est révélatrice, jusqu'à la caricature, des failles dans les dispositifs de lutte contre le blanchiment. C'est bien le sujet de la commission d'enquête.
L'ampleur du phénomène de blanchiment à la fois international et ouvert à tous les échelons de la délinquance et du crime depuis les prisons françaises et jusqu'à Dubaï, mais aussi au Maroc, en Israël aux Seychelles et dans d'autres États ou territoires non coopératifs, se trouve ici illustrée sur le mode tragi-comique. L'échec des politiques de lutte contre le blanchiment est patent. Il faut donc frapper au portefeuille, alors que la prison n'est plus dissuasive, voire intégrée dans le cursus honorum des criminels et ne constitue même plus une entrave à leurs activités.
I. LES SCHÉMAS DU BLANCHIMENT
Suivant la situation du propriétaire de l'argent et les montants en jeu, les stratégies de blanchiment peuvent grandement différer. Elles coexistent souvent de manière complémentaire de façon à favoriser la discrétion.
Les principaux procédés ou les nouvelles variantes font l'objet d'une typologie réalisée par la cellule française de renseignement financier Tracfin66(*). Il ne s'agit ici que d'en présenter les grandes caractéristiques, afin d'illustrer les principes sans risquer de fournir un manuel de blanchiment.
A. LA PERMANENCE DE MÉTHODES ANCIENNES DE BLANCHIMENT SUR LE TERRITOIRE NATIONAL
1. Rester sous les radars : consommer sans flamber
La première manière de profiter du produit du crime est l'utilisation directe dans l'économie des billets qui, on l'a vu, ont la caractéristique d'être intraçables. On se situe alors en dehors de la définition pénale de blanchiment, mais il parait utile de le mentionner car les criminels vont alors jouer avec les autorités chargées de la LCB-FT en restant en deçà de leurs radars. Ils peuvent également utiliser la corruption d'agents privés ou publics pour éviter l'application stricte des règles anti-blanchiment.
Les criminels vont alors « flamber » en payant leurs produits de consommation courante en espèces (achat de produits de luxe, véhicules, vacances...). Toutefois, cette méthode doit rester modérée pour être durable, car un différentiel manifeste entre le train de vie et les revenus finit par déclencher un contrôle, notamment fiscal, qui pourra ensuite lui-même mener à une enquête pénale67(*).
Potentiel de blanchiment : quelques milliers d'euros par mois.
Services impliqués dans la détection : fisc, services d'enquête ou de renseignement.
2. L'argent sale se lave en famille : l'autofinancement des organisations criminelles par l'argent des trafics
L'argent du crime peut être directement réinjecté dans le réseau criminel afin de rémunérer certains aspects de la logistique criminelle : dans ce cas, aucun procédé actif de blanchiment n'est nécessaire, du moment que les bénéficiaires, payés en espèces, comme par exemple les « salariés » de l'organisation, restent dans les limites acceptables évoquées au a) ci-dessus.
Cet argent peut être utilisé pour payer les « salaires » de membres du réseau, la logistique criminelle (achats d'armes, location de véhicules, de lieux d'entrepôts...) ou la corruption d'agents privés ou publics, qui par exemple peut être nécessaire à l'importation via les ports.
Potentiel de blanchiment : quelques milliers d'euros par personne pour les salaires, dizaines de milliers d'euros par an pour la logistique.
Services impliqués : tous.
3. Gagner sans jouer : le rachat de tickets de loterie gagnants
D'une manière loin d'être anecdotique, les services enquêteurs ont été nombreux à aborder une technique aussi simple que déroutante, qui illustre l'importance pour les réseaux criminels de quadriller le territoire : le rachat de tickets gagnants des jeux de hasard dans les lieux de type Paris Mutuels Urbains (PMU) ou d'un jeu de hasard de la Française des jeux (FDJ).
Le principe, très simple, est fondé sur le fait que les tickets de loterie ne sont pas nominatifs : le ticket est dit « au porteur ». Une personne disposant d'espèces qu'il ne peut utiliser va proposer à une personne qui vient de gagner une certaine somme (de quelques milliers à quelques dizaines de milliers d'euros, voire plus) de lui « racheter » son ticket pour un montant supérieur au gain, par exemple 15 000 euros pour un ticket gagnant de 10 000 euros. L'intérêt pour le gagnant véritable consiste en cette marge, censée compenser pour lui l'inconvénient de devoir dépenser cet argent en espèces de façon discrète. Le faux gagnant pourra ainsi, sur seule présentation du ticket, se faire virer l'argent sur un compte de son choix par le buraliste et profiter du produit de son crime sans éveiller aucun soupçon puisqu'il est censé l'avoir gagné au jeu. Une fois sur le compte en banque, la phase de placement est accomplie. Il peut également monnayer ce ticket gagnant auprès d'autres personnes : il s'agit d'un actif au porteur comme un autre.
Le procédé peut être porté à un niveau industriel. Une organisation criminelle structurée et territorialisée aura la capacité de placer dans ces PMU des personnes, clients ou gérants corrompus ou membres de l'organisation, missionnés pour faire remonter l'information lorsqu'un gagnant se déclare. Ces vigies seront rémunérées ainsi que des apporteurs d'affaires. Plus la structure sera puissante, plus le maillage sera serré. Précisons qu'il n'est pas rare que le gagnant initial se fasse détrousser des espèces qu'il vient de récupérer par l'organisation avec laquelle il avait conclu le marché.
Les montants en jeu sont colossaux : en 2023, 21 milliards d'euro ont été misés à la FDJ par 27 millions de joueurs.
Ainsi que le souligne le service central des courses et jeux (SCCJ), service de police judiciaire mais aussi de contrôle des PMU, ces points de jeu sont d'un grand intérêt pour les organisations criminelles, ce qui justifie un souci accru dans le contrôle des demandes d'autorisation d'exploitation. Ce service procède à des enquêtes préalables à la délivrance de ces autorisations, qui portent sur la personne, son entourage et l'origine des fonds, dans le but de détecter les environnements ou les financements suspects. En 2024, ce service a mené 10 439 enquêtes administratives relatives aux demandes d'agrément, visant 14 539 personnes.
Un exemple : une jeune femme voulait racheter un point de vente dans le sud de la France, en justifiant ses revenus par le fait qu'elle aurait gagné beaucoup d'argent au poker en ligne.
Le SCCJ a remarqué qu'elle ne jouait pas véritablement, que son compte était alimenté par les gains de son compagnon, incarcéré pour trafic de stupéfiants et qui était aussi un joueur habitué du poker en ligne.
Le service constatait des versements de 50 à 150 euros toutes les minutes sur son compte sans justification, accumulant plusieurs centaines de milliers d'euros qu'elle destinait à l'investissement dans le point de vente. Une telle acquisition lui aurait permis d'autres perspectives de blanchiment et le service a bloqué l'opération.
Des enquêtes comparables sont réalisées à propos des personnes qui souhaitent acquérir des casinos, activité également réglementée, et permettent régulièrement de déjouer des tentatives d'investissements suspects.
Potentiel de blanchiment : plusieurs centaines de milliers d'euros par an par réseau criminel.
Services impliqués : SCCJ, services d'enquête judiciaire, Tracfin, fisc.
4. L'achat de vrais commerces de proximité par les organisations criminelles pour masquer leurs revenus illicites rend difficile de séparer le bon grain de l'ivraie
Le principe consiste à faire passer aux yeux des autorités le flux d'espèces récoltés par le criminel comme le chiffre d'affaires d'un commerce légal. Intégré à la comptabilité de l'entreprise, cet argent sera ainsi soumis aux prélèvements obligatoires, notamment l'impôt sur les sociétés.
Les organisations criminelles vont donc racheter des fonds de commerce et y placer des prête-noms qui les « gèreront » (dans les faits on ne leur demande pas de gérer quoi que ce soit puisqu'ils n'ont pas besoin de réaliser un chiffre d'affaires réel).
Pour que le processus reste crédible aux yeux des tiers, et notamment du comptable ou des autorités de contrôle comme le fisc, il convient d'intégrer ces sommes dans des commerces qui eux-mêmes se font majoritairement payer en espèces par leurs véritables clients. Les commerces principalement visés sont donc les restaurants, la restauration rapide, les coiffeurs ou barber shop, les épiceries de quartier, salons de massage etc.
Deuxième condition, le surplus de chiffre d'affaires doit rester cohérent avec l'activité réelle. À défaut, les autorités seront immanquablement amenées à s'intéresser à cette enseigne jamais ouverte et qui pourtant génère plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois. L'exemple caricatural a par exemple été donné d'une boucherie de quartier dont le chiffre d'affaires déclaré atteignait 4 millions d'euros alors que la moyenne des établissement comparables ne dépassait pas la centaine de milliers d'euros. Une organisation du haut du spectre, fortement territorialisée et visant sur le long terme pourra développer un maillage très serré, posséder plusieurs centaines d'enseignes et ainsi blanchir de l'ordre d'un million d'euros par an en se contentant de n'intégrer que quelques milliers d'euros par mois et par commerce68(*).
Deuxième avantage du rachat de commerces, ou de la corruption de commerçant, c'est qu'il permet l'emploi fictif d'un membre de l'organisation, ce qui permettra à ce dernier de justifier en partie son train de vie et donc de « rester sous les radars » comme vu plus haut (cas typique d'emploi fictif utilisé dans d'autres types de criminalité).
D'après les autorités auditionnées, dans les grandes métropoles, des rues entières sont concernées par cette gangrène. Les petites villes sont également concernées.
Potentiel de blanchiment : de quelques milliers d'euros par mois et par commerce. Une organisation structurée de type mafieuse pourra blanchir en millions d'euros par an.
Services impliqués : fisc, services d'enquête.
5. Où noir et blanc se rencontrent : la zone grise du travail dissimulé
Pour comprendre ce type de blanchiment, il faut avoir à l'esprit que certains agents licites peuvent souhaiter dissimuler une partie de leurs activités ou de leurs revenus. Par exemple, une société de BTP ou de sécurité privée peut être tentée de ne pas déclarer certains de ses employés afin de ne pas payer de cotisations sociales sur leurs salaires. Une telle dissimulation lui permet de diminuer ses coûts et donc de se montrer plus compétitive que la concurrence. Une société peut également prévoir des compléments de rémunération non déclarés. Dans tous les cas, il lui faut d'une façon ou d'une autre payer ces salaires ou compléments non déclarés sans que ces sommes n'apparaissent dans sa comptabilité. Cette société a donc besoin d'une caisse noire alimentée par de l'argent magique, des espèces intraçables.
Or, comme on l'a déjà vu, l'organisation criminelle se trouve, elle, avec un surplus d'espèces dont elle cherche à se débarrasser. Tout se passe donc comme si les trafiquants d'une part, et la société pratiquant le travail dissimulé d'autre part, faisaient partie d'un même marché, celui de l'argent sale, où les premiers représentent l'offre qui cherche un débouché et les seconds la demande qui cherche un fournisseur.
Reste à régler la question des modalités concrètes de la transaction : il va falloir pour l'entreprise faire sortir de l'argent de son actif afin d'acheter cet argent sale. Un tel mouvement à partir de l'actif est généralement justifié en comptabilité par le paiement d'une charge. Par exemple, l'achat de marchandises entrant dans le processus de l'entreprise, ou bien de services destinés à former des employés.
L'organisation criminelle va donc devoir se faire passer pour un fournisseur de l'entreprise. Elle crée une société via un homme de paille sans lien avec le trafic et qu'elle rémunère pour cela, ou bien crée une société à partir de faux papiers, ou encore rachète les parts d'une société inactive, le plus souvent dans le secteur du conseil ou de la formation, ou d'un autre service. Elle lui facturera une prestation fictive (les fameuses « fausses factures »), ce qui justifiera un mouvement officiel de fonds depuis la comptabilité de la société vers le compte de la fausse prestataire. La contrepartie officielle est une prestation de service, alors que la contrepartie réelle est la fourniture d'espèces. Ces espèces n'existent pas dans la comptabilité de la société acheteuse, elles alimentent la caisse noire qui servira à payer tout ce que l'entreprise souhaite rémunérer en sous-main (salaires, corruption...).
Les trafiquants doivent donc créer ou reprendre une société, ou corrompre les dirigeants d'une société existante afin de procéder à la transaction. La situation la plus caricaturale est celle d'une société de conseil en entreprise créée de toute pièce, qui ne déclare aucun salarié, et qui dans le mois de sa création présente un chiffre d'affaires de plusieurs centaines de milliers d'euros. Tout ce chiffre d'affaires est issu de fausses prestations de conseil. Certaines organisations criminelles « gèrent » de l'ordre du millier de telles sociétés dites éphémères, car leur activité dure rarement plus de dix-huit mois.
Les espèces issues du trafic ont été échangées contre un flux bancaire représentant le prix que l'entreprise était prête à payer pour alimenter sa caisse noire (parfois le prix sera favorable aux trafiquants, comme dans l'exemple donné par le schéma ci-dessous, et parfois favorable à l'entreprise réelle). Le flux bancaire est à destination du compte de la société dirigée par les trafiquants. La première étape du blanchiment, le placement ou la bancarisation est donc effectuée. Il ne reste plus qu'à virer cet argent à destination d'autres comptes, par exemple à l'étranger afin de faire échec aux enquêtes pénales qui pourraient être menées (deuxième phase, dite d'empilement).
Potentiel de blanchiment : plusieurs centaines de milliers d'euro par société éphémère créée.
Services impliqués : services d'enquête, Tracfin, inspection du travail, URSSAF.
6. Le blanchiment par l'achat de biens à forte valeur spéculative
Le marché de l'art est particulièrement exposé au blanchiment, notamment du fait du poids de la subjectivité dans la valeur d'une oeuvre et des difficultés d'identification. L'usage détourné des ventes aux enchères permet par exemple à un trafiquant de vendre à un prix exagérément élevé une oeuvre qu'il aura acquise à un faible prix. L'astuce réside dans le fait que l'acquéreur sera complice, et payera avec les fonds du trafic. Ces fonds sont remis par l'acquéreur au commissaire-priseur, dont l'intermédiation permet de les blanchir, avant d'être remis au trafiquant propriétaire de l'oeuvre vendue. D'après certaines études, le marché de l'art moderne serait surévalué de 20 % du fait des pratiques de blanchiment69(*) ; les transactions illicites pourraient représenter jusqu'à 30 % de la totalité du marché, représentant 70 milliards de dollars70(*).
Source : Éric Vernier, op.cit.
Perspective de blanchiment : plusieurs centaines de milliers d'euros par vente.
Services impliqués : commissaires-priseurs.
Toutes ces formes de blanchiment, notamment lorsqu'elles sont combinées et multipliées par les organisations criminelles, qui peuvent s'appuyer sur un réseau territorial parfois dense notamment de petits commerces, permettent le blanchiment de sommes importantes, pouvant aller jusqu'à plusieurs millions d'euros par an. Toutefois, pour les activités les plus lucratives, le blanchiment le plus efficace passe par la sortie des valeurs du territoire national afin de rejoindre des paradis bancaires ou judiciaires.
B. LES SOCIÉTÉS ÉPHÉMÈRES : LE CHEVAL DE TROIE DE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE
1. Des schémas de fraude difficiles à détecter...
Lors de son audition par la commission d'enquête71(*), Victor Geneste, président du Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce, définissait les sociétés éphémères comme « des entités juridiques qui, sous couvert d'un objet social licite et d'une activité économique réelle ou fictive, poursuivent des objectifs frauduleux dont la réalisation repose sur leur brève durée d'existence et sur des manoeuvres destinées à tromper la vigilance des administrations et des services publics ».
Les schémas classiques de blanchiment impliquent en effet bien souvent la participation de ces sociétés, qui collectent des fonds et opacifiant les opérations au moyen de virements multiples vers des comptes « taxis » à l'étranger. Un réseau de sociétés éphémères est constitué de plusieurs niveaux72(*) :
- niveau 1 : en amont de la chaîne se trouvent les sociétés clientes disposant de capitaux à blanchir ;
- niveau 2 : un premier étage est constitué de sociétés-taxis installées en France, ayant ouvert des comptes bancaires en France ;
- niveau 3 : un second étage, dit « relais » ou « rebond », est constitué de sociétés-taxis immatriculées dans des pays européens, le plus souvent en Europe de l'Est. Ces sociétés détiennent des comptes bancaires dans leur pays d'immatriculation et plusieurs pays voisins ;
- niveau 4 : les flux peuvent enfin être dirigés vers d'autres destinataires ou zones géographiques.
Ces réseaux ne font pas appel à des produits financiers complexes. Leur efficacité repose sur la qualité d'exécution des actions conduites aux divers niveaux :
- multiplication des sociétés intermédiaires et des comptes bancaires ;
- recrutement des gérants de paille, d'où l'importance d'un accès aux informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés (voir infra) ;
- fractionnement et croisement des flux.
Les sociétés de premier et de second niveau procèdent entre elles à de nombreux virements croisés pour donner l'impression d'une activité économique réelle et rendre le phénomène d'évasion des fonds moins détectable. Le renouvellement permanent des entités juridiques et des comptes bancaires ainsi que le nombre et la rapidité des transferts de fonds rendent ces réseaux difficiles à cartographier. En outre, l'ampleur et la plasticité de ces réseaux rendent leur traitement judiciaire complexe.
Ces entreprises sont également régulièrement impliquées dans les mécanismes de fraudes aux aides publiques de type « MaPrimeRénov' » ou de fraude fiscale, et notamment, la fraude carrousel, qui consiste à créer des droits fictifs au remboursement de la TVA, grâce à l'émission de fausses factures par des sociétés dites « taxis ».
Illustration du schéma de fraude « carrousel » :
Étape 1 : la société fournisseur, située dans un autre État membre, vend une marchandise hors taxe (les livraisons intercommunautaires sont exonérées) à une société fictive et/ou éphémère « taxi » en France ;
Étape 2 : la société « taxi », en France, est fiscalement défaillante et ne dispose d'aucun moyen matériel ou humain. Elle est simplement chargée de créer, facture par facture, une créance sur le Trésor, qui représente la TVA soi-disant facturée, mais jamais reversée au Trésor ;
Étape 3 : l'entreprise déductrice, installée en France et « en bout de chaîne » finalise le schéma. Elle peut demander le remboursement de la TVA déductible à partir des (fausses) factures émises par la société « taxi », et/ou bénéficier d'une rétention abusive de TVA (la société « taxi » a refacturé le produit à un coût inférieur au prix d'achat tel qu'inscrit sur les factures du fournisseur). Il est par ailleurs possible que la marchandise revienne à son point de départ, à un prix inférieur (d'où le nom de carrousel).
Le bénéfice de cette fraude à la TVA est partagé entre tous les intervenants. Dans les faits, de nombreuses autres entreprises peuvent s'insérer dans ce schéma frauduleux.
Source : commission des finances du Sénat, Fraude et évasion fiscales : faire les comptes et intensifier la lutte Rapport d'information n° 72 (2022-2023), déposé le 25 octobre 2022
2. ...Faute de fiabilisation des données des registres du commerce et des bénéficiaires effectifs
Force est aujourd'hui de constater que les sociétés éphémères continuent de proliférer. La lutte contre ce phénomène devrait être facilitée par la transparence des flux financiers et de leurs bénéficiaires effectifs. En la matière, la France fait figure de précurseur, ceci en raison du développement ancien de bases de données centralisées et mises à la disposition des acteurs et de la création plus récente de plusieurs registres visant à les compléter73(*). Le registre des bénéficiaires effectifs (RBE), créé en 2017, et le registre du commerce et des sociétés (RCS), instauré en 1919, sont en effet des outils fondamentaux.
La tenue des registres centralisés par les greffiers de tribunaux de commerce
Le registre du commerce et des sociétés (RCS), dont la gestion et le contrôle a été confiée en France aux greffiers des tribunaux de commerce, comporte l'ensemble des déclarations relatives aux immatriculations, modifications et radiations des entreprises. Il comprend également les actes liés à la vie sociale de ces entreprises.
Le registre des bénéficiaires effectifs (RBE) est censé recenser l'ensemble des personnes qui détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote d'une société cotée, d'un groupement d'intérêt économique ou d'une autre personne morale inscrite au registre du commerce et des sociétés (RCS). L'obligation de tenir un registre des bénéficiaires effectifs a depuis été consacrée au niveau de l'Union européenne par la directive européenne du 30 mai 2018.
En dehors du RCS et du RBE, les greffiers ont pour mission la tenue du registre spécial des agents commerciaux (RSAC) et du registre spécial des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (RSEIRL).
Source : Conseil national des greffes, Livre blanc : 15 propositions pour lutter contre la criminalité financière
Toutefois ces registres sont aujourd'hui incomplets, ce qui favorise les montages opaques. D'après Transparency International France, en juin 2023, plus de cinq ans après la création du registre français des bénéficiaires effectifs, seules 69 % des personnes morales ont déclaré un bénéficiaire effectif, soit 3,3 millions sur un total de 4,9 millions.
Les principales structures défaillantes seraient les sociétés civiles, et plus particulièrement les sociétés civiles immobilières (SCI). Or les SCI constituent un vecteur privilégié impliquée dans un schéma de blanchiment du produit de diverses d'infractions (cf. infra). Maxime Vaudano, journaliste au Le Monde, a confirmé devant la commission d'enquête que sa profession constate « régulièrement qu'un grand nombre de sociétés possédant de l'immobilier en France n'ont pas de bénéficiaires effectifs déclarés.74(*) » Dans son rapport de 2022, la mission d'information de la commission des finances du Sénat relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales avait également regretté cet état de fait et plaidait pour un renforcement des sanctions en cas de défaut de renseignement du registre des bénéficiaires effectifs.
Lors de son audition, Charlotte Palmieri, chargée de plaidoyer pour Transparency International France, soulignait que, « depuis la création du RBE, plusieurs enquêtes ont été menées et quasiment aucune condamnation n'a été prononcée.75(*) » En effet, les sanctions en cas d'absence de renseignement des informations au sein du RBE ne sont pas suffisamment dissuasives.
À cet égard, le rapporteur se félicite de l'introduction au sein de la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic de mesures telles que la radiation d'office d'une entreprise en cas de non-déclaration des bénéficiaires effectifs suite à une mise en demeure à l'expiration d'un délai de trois mois76(*) ou à la suite d'une injonction du tribunal77(*) ou en cas de non-régularisation des divergences sur les bénéficiaires effectifs78(*), qui permettront assurément d'améliorer la complétude de cet outil.
Le projet de loi de simplification de la vie économique s'inscrit dans cette logique en prévoyant d'augmenter sensiblement les amendes en cas de non-déclaration, de 7 500 euros à 200 000 euros pour les personnes physiques et de 37 000 euros à près d'un million d'euros pour les personnes morales. Dans la perspective d'une commission mixte paritaire à venir sur ce projet de loi, le rapporteur plaide pour que ces dispositions soient maintenues dans le texte final. L'instauration de telles amendes seraient en effet bien plus dissuasives et leur application permettrait d'améliorer grandement le niveau de complétude du registre.
Par ailleurs, si les déclarations relatives aux bénéficiaires effectifs permettent en principe d'identifier les véritables personnes qui contrôlent la société, l'information sur l'identité communiquée est purement déclarative, ce qui ouvre la voie à de fausses déclarations. Cette situation plaide pour un renforcement des moyens de contrôle de greffiers. Or, l'open data, qui se traduit par une diffusion large et gratuite des données sur internet, facilite d'autant plus la falsification des documents et l'usurpation des identités et qualités, particulièrement utilisés dans la constitution de sociétés éphémères. Pour Victor Geneste, président du Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce, « cet open data insuffisamment régulé (...) constitue un terreau propice à la fraude ».
À titre d'illustration, il arrive que certaines personnes décédées continuent de figurer dans les registres tenus par les greffiers. Or, ces derniers n'ont pas la possibilité de croiser les données de ce registre avec celles du répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP). Dès lors, pour créer une société éphémère, il suffit tout simplement de prendre l'identité de l'une de ces personnes décédées, sans qu'aucun soupçon ne soit éveillé. Il serait utile de permettre aux greffiers, sous réserve d'une consultation de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), d'accéder au RNIPP afin de croiser les données de ce registre avec celles du RBE et du RCS.
Par ailleurs, la commission d'enquête a été sensibilisée par les greffiers de tribunaux de commerce sur les difficultés qu'ils rencontrent pour le contrôle des pièces d'identité de dirigeants étrangers lors de leurs demandes d'inscription aux RCS. Les greffiers ne disposent aujourd'hui pas des moyens techniques permettant de vérifier la cohérence et la validité des pièces d'identité étrangères, ce qui ouvre la voie à une fraude documentaire massive et à une opacification des flux financiers transitant vers des comptes étrangers. À cet égard, le rapporteur regrette que son amendement79(*) visant à donner plus de pouvoir aux greffes pour réaliser le contrôle de ces documents d'identité ait été rejeté lors de l'examen de la proposition de loi visant à lutter contre le narcotrafic en séance publique au Sénat en janvier 2025, avec un double avis défavorable de la commission des lois et du Gouvernement80(*).
Enfin, le rapporteur estime qu'il serait utile que les greffiers de tribunaux de commerce puissent disposer d'un fichier central contentant l'identité des prête-noms ou des faux papiers d'identité utilisés pour la création de sociétés éphémères, afin de prévenir les comportements récidivistes.
Recommandation de la commission d'enquête : pour une identification précoce des entreprises créées à des fins frauduleuses, élargir les prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce :
- Permettre aux greffiers de tribunaux de commerce de croiser les données du RBE et du RCS avec celles du répertoire national d'identification des personnes physiques ;
- Donner les moyens aux greffiers de contrôler effectivement la conformité des pièces d'identité des dirigeants étrangers au moment de leur inscription au RCS.
- Créer un fichier central diffusé entre les greffiers de tribunaux de commerce contentant l'identité des prête-noms ou des faux papiers d'identité utilisés pour la création de sociétés éphémères.
En tout état de cause, pour que l'exploitation des données de ces registres soit efficace, il est essentiel que les acteurs impliqués dans les mécanismes de détection des sociétés éphémères s'accordent sur des critères d'alerte partagés. À cet égard, l'exemple de la Banque-Carrefour des entreprises en Belgique est particulièrement pertinent. Ce modèle permet, par la mutualisation de plusieurs bases de données81(*) et la définition de critères objectifs, une détection précoce d'entreprises suspectées d'être des lessiveuses ou des sociétés fictives créées dans le seul but de bénéficier indument d'aides publiques.
S'il ressort des travaux de la commission d'enquête que, dans les faits, les retours d'expérience des administrations de contrôle permettent déjà de cibler les contrôles sur la base d'un faisceau d'indices, il n'en demeure pas moins qu'une définition des sociétés éphémères pourrait être formalisée, afin de s'assurer que ces critères soient partagés par l'ensemble des acteurs impliqués dans la détection des mouvements frauduleux. Ce constat est partagé par Carole Maudet, qui estime qu'il « pourrait être pertinent que les administrations de contrôle disposent d'une définition commune82(*) » des sociétés éphémères.
À cet égard, le Sénat a déjà adopté, lors des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 et 2025 un amendement du rapporteur de la commission d'enquête83(*) visant à consacrer au niveau législatif une présomption d'existence d'une entreprise éphémère basée sur la combinaison des critères suivants :
- une date de création de l'entreprise datant de moins de douze mois ;
- une fin d'activité datant de moins de six moins après la création de l'entreprise ;
- le recours aux services d'une société de domiciliation (voir infra) ;
- un siège situé hors d'un État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'espace économique européen ;
- une augmentation rapide du nombre de salariés, et plus particulièrement, le fait que l'entreprise comptait plus de dix associés ou salariés dès le premier mois suivant sa création ou plus de vingt salariés dès le deuxième mois.
Pris isolément, ces éléments peuvent paraître anodins, mais leur cumul peut constituer une présomption d'existence d'une société créée à des fins frauduleuses. L'auteur de ces propositions s'est toutefois systématiquement heurté au manque de volontarisme du Gouvernement, mais aussi de la commission des affaires sociales du Sénat. Cet amendement, qui avait reçu un double avis défavorable en séance publique, avait finalement été supprimé du texte final lors du PLFSS 2023 et du PLFSS 2025.
C. LE BLANCHIMENT À L'INTERNATIONAL CONSTITUE LA PLUS GRANDE PART DU PHÉNOMÈNE
Sans que l'on puisse chiffrer exactement le montant de l'argent blanchi, ce sont plusieurs milliards d'euros qui chaque année quittent le territoire national de façon occulte. De nombreuses techniques existent, qui là aussi peuvent se cumuler. Le but est toujours d'atteindre une juridiction moins avancée en termes de lutte contre le blanchiment, notamment où la bancarisation des espèces illicites est moins risquée, ou non coopérative sur le plan judiciaire, c'est-à-dire où les demandes des juges français visant à interpeller ou saisir les biens des criminels resteront lettres mortes.
1. Small is beautiful : traverser la frontière pour un aller simple vers les paradis
On l'a vu, la traversée de frontière la plus simple est celle qui procède d'un virement bancaire d'un établissement français vers un compte domicilié dans une banque étrangère. Il n'y a pas lieu d'y revenir, car elle est aussi simple qu'un ordre fait à la banque de dépôt. À partir du compte étranger, la phase d'empilement peut s'opérer très rapidement et simplement, sans grand espoir pour les enquêteurs français qui chercheraient à en retracer le chemin.
Lorsque la bancarisation est impossible en France, il faut traverser la frontière à destination d'une juridiction moins regardante en termes de LCB-FT pour y alimenter directement un compte bancaire à partir des espèces.
Nous n'aborderons ici que les traversées physiques de frontières, soit par les espèces elles-mêmes, soit par des vecteurs plus discrets acquis grâce à ces espèces.
Une grande partie des espèces doit traverser les frontières pour être blanchie ; or, au-dessus de 10 000 euros, les porteurs d'argent liquide doivent effectuer une déclaration en douane. Plusieurs techniques existent pour tenter de contourner cette restriction à la liberté de circulation des capitaux...
Les mules ne sont pas seulement utilisées pour le narcotrafic.
La première consiste à confier des valises ou des sacs d'espèces à des personnes rémunérées pour franchir la frontière pour le compte des trafiquants. Les organisations criminelles utiliseront des personnes dont le voyage est apparemment justifié pour ne pas éveiller les soupçons des autorités. Ce sont également elles qui porteront le risque pénal personnel, l'organisation criminelle se contentant d'assumer le risque financier qui peut être conséquent : les services des douanes ont par exemple indiqué avoir interpellé au premier trimestre 2025 à la Gare du Nord un individu transportant sur lui 460 000 euros en espèces. Cette méthode rudimentaire demande un réseau interpersonnel dense, qui peut être par exemple de type communautaire, afin de solliciter efficacement un grand nombre de personnes pouvant servir de mules. Elle est particulièrement utilisée par les blanchisseurs chinois.
Une variante consiste pour les réseaux à faire voyager des individus pour de prétendus motifs touristiques à Paris. Une fois sur place ils achètent des produits de luxe ... souvenirs de vacances ...)84(*). Cette méthode est un classique pour blanchir de l'agent sale : le passage de frontière aidant, le mode de paiement initial est oublié et l'objet de luxe revendu, même au prix fort, sur le marché de l'occasion y compris en ligne. Ni vu ni connu !
Le même procédé est appliqué aux montres de marque et bijoux. La masse de cash en circulation est tellement importante que la « décote » ou plutôt la vente à perte est intégrée au processus, la différence entre le prix d'achat et le prix de vente étant assimilé à des frais de transaction.
Dans le même ordre d'idées, afin de répondre au défi logistique que représente le volume d'espèces, les trafiquants peuvent se tourner vers l'achat de biens moins encombrants, de type joaillerie, pierres précieuses, or, oeuvres d'art85(*). Ils peuvent également charger des cartes prépayées, cartes de débit pouvant être créditées de quelques milliers d'euros chez un buraliste contre la présentation d'une simple carte d'identité sans contrôle particulier, ce qui favorise les fraudes. Toutes ces techniques, qui permettent de réduire le volume tout en conservant la valeur, facilitent une traversée plus discrète de la frontière. Lorsqu'elle implique une profession soumise à la LCB-FT, elle nécessite une certaine négligence de l'agent, qui peut être culturelle face à des professions peu habituées à devoir mener les contrôles sur leurs clients, voire éventuellement sa corruption86(*).
Dans tous les cas, que les délinquants aient recours à un vecteur intermédiaire ou non, une valeur excédant un certain montant attirerait l'attention : on peut porter quelques bijoux en or, mais une malle remplie de bijoux occasionnerait de gênantes questions si elle venait à être découverte par des douaniers. Afin de prévenir cette situation, les valeurs peuvent être cachées dans des véhicules, particuliers ou professionnels. Dans le cas du trafic de stupéfiants, les cachettes utilisées pour les produits à l'importation peuvent servir dans l'autre sens à rapatrier des espèces. Lors des auditions, les magistrats ont indiqué à la commission que le fait de transporter de l'argent dans des caches pouvait suffire à caractériser le délit de blanchiment, ou du moins à activer la présomption de blanchiment. Ceci permet d'obtenir des condamnations allant au-delà de la simple saisie du produit ou d'ouvrir des enquêtes plus approfondies.
Perspectives de blanchiment : de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers d'euro par trajet.
Services impliqués : douanes, services des transports.
Recommandation de la commission d'enquête : supprimer l'anonymat et limiter le nombre de cartes prépayées pouvant être détenues par une même personne.
2. Transférer la valeur tout en conservant les espèces
La commission d'enquête s'est penchée sur l'inquiétant défi des chambres de compensation87(*) occultes et du blanchiment par le commerce international. En pratique, certaines personnes ayant des relations d'affaires avec l'étranger peuvent offrir aux trafiquants un service de transfert de valeur moyennant commission. Ce phénomène est aussi ancien sans doute que les échanges internationaux et s'appuie parfois sur des réseaux communautaires comme l'hawala. Il offre une facilité d'action pour le blanchiment et entrave les procédures d'enquête car il est difficile de suivre un argent qui ne bouge pas.
a) Le principe
Le cas typique est celui d'une personne gérant une société d'export située en France et ayant une relation d'affaires avec une autre située à l'étranger, par exemple une société d'export de textiles depuis la France à destination du Maroc. À chaque livraison, l'importateur marocain règle en euros les marchandises achetées à son exportateur français.
Un importateur français de produits stupéfiants doit réciproquement, à chaque livraison, régler en dirhams son producteur marocain. Ce trafiquant français peut par ailleurs souhaiter réaliser des investissements immobiliers au Maroc avec le produit de la vente de stupéfiants en France.
Comme on l'a vu, le trafiquant français ayant vendu son produit se retrouve avec de nombreuses espèces en euros qu'il est complexe de transférer tels quels au Maroc.
Il peut solliciter l'exportateur de textiles français afin qu'il récupère ces espèces, charge pour ce dernier de transférer la somme correspondante à la personne qui lui sera indiquée au Maroc. L'exportateur ayant récupéré les espèces en euros pourra à la prochaine expédition de textiles donner ordre à son importateur marocain non pas de payer la transaction en euros sur le compte de sa société, mais de transférer une somme correspondante en dirham à la personne située au Maroc indiquée par le trafiquant (voir schéma infra).
Il s'agit d'un système de chambre de compensation prenant appui sur le commerce international. Il peut être raffiné afin d'apparaitre moins détectable : dans l'exemple donné, le comptable de l'importateur marocain ou la banque de sa société pourrait interroger le flux de dirhams qui iraient sans raison à un tiers à la relation d'affaires. Une telle incohérence devrait faire l'objet d'une déclaration de soupçons de Tracfin si elle était soumise à un expert-comptable en France, compte tenu de la législation LCB-FT.
Afin de renforcer la discrétion, les deux sociétés peuvent se mettre d'accord pour organiser un flux de marchandises réel mais sous- ou sur-déclaré. Par exemple, s'il s'agit de transférer au Maroc l'équivalent de 1 000 euros de produits d'un trafic, l'exportateur français les ayant récupérés exportera 2 000 euros de marchandise tout en n'en déclarant que 1 000. De cette façon, le paiement officiel du Maroc vers la France correspondra à la marchandise officielle, et les 1 000 euros de marchandise non déclarée seront payés non pas en euros à l'exportateur français mais en dirhams au destinataire de l'argent blanchi désigné par le trafiquant français.
Les comptes sont alors équilibrés : l'exportateur français de 2 000 euros de marchandise a reçu 1 000 euros de son importateur correspondant à la facture de marchandise, et 1 000 euros en espèces du trafiquant français ; l'importateur marocain a réglé les 1 000 euros de facture officielle et réglé l'équivalent de 1 000 euros en dirham à la personne désignée par le trafiquant en France.
Du point de vue du trafiquant en France, la valeur a été transférée au Maroc sans que les espèces le soient. Cela lui a coûté la commission prise par les intermédiaires (environ 30 %), qui jouent le rôle d'une banque occulte.
L'OCRGDF a indiqué avoir démantelé un tel réseau reposant sur l'exportation de cartes de téléphone prépayées par des intermédiaires pakistanais établis en région parisienne et à destination du Maroc. Les flux ont été estimé à 70 millions d'euros entre 2018 et 2021, correspondant notamment aux bénéficie d'un trafic de stupéfiants. Le montant des saisies prononcées dans ce dossier s'est élevé à 1,5 millions d'euros.
Le blanchiment par les relations commerciales
Il reste à l'exportateur français à blanchir les 1 000 euros en espèces récupérés. Ils peuvent être utilisés comme vu plus haut pour rémunérer illégalement ses salariés, ou expédiés vers un paradis bancaire ou judiciaire via son propre réseau, par exemple de bateaux qui peuvent permettre de dissimuler de grandes quantités de cash au milieu des marchandises.
Les sociétés d'import-export présentent deux avantages du point de vue du blanchiment :
- Elles possèdent un réseau international de relations d'affaires qui peuvent être utilisées à des fins de compensation avec de nombreux États ;
- Elles entretiennent des flux légaux de marchandises parmi lesquels des flux illégaux stupéfiants à l'aller, espèces au retour, peuvent être mêlés.
En 2020, le think tank américain Global Financial Integrity (GFI) a cherché à déterminer l'ampleur réelle de la fausse facturation commerciale. Dans son rapport, le GFI illustre le problème avec l'exemple suivant : si l'Équateur déclare avoir exporté pour $20 millions de bananes vers les États-Unis, mais que les États-Unis ne déclarent que $ 15 millions d'importation, alors cet écart de $ 5 millions pourrait signaler une pratique de de blanchiment par le commerce international (TBML). En comparant les données officielles des gouvernements, le GFI a ainsi identifié un écart total de 8 800 milliards de dollars entre 135 pays en voie de développement et 36 économies développées, sur la période 2008-2017.
Si ces chiffres sont exacts, c'est un nouveau continent de blanchiment qui reste à découvrir.
Perspectives de blanchiment : centaines de millions d'euros par an.
Services impliqués : douanes (contrôle) et services d'enquête (répression).
Le blanchiment par les relations commerciales
Dans cet exemple, l'importateur en France doit rembourser son producteur au Maroc (1 000). L'une des nombreuses possibilités consiste à utiliser la surfacturation dans le cadre de relations d'import-export. Il versera 1 300 (les 1 000 dus plus une commission de 30%) à un exportateur de textiles en lien avec le Maroc. Ce dernier envoie à son importateur 2 000 de marchandises tout en ne déclarant que 1 000 en douanes. L'importateur paye 1 000 à l'exportateur en France, correspondant à la facture, et les 1 000 restants au producteur de produits stupéfiants, soit en produits textiles, soit en monnaie après avoir revendu ces derniers.
Source : commission d'enquête à partir des données DNPJ.
b) Le cas spécifique de l'hawala
Ce système communautaire pluricentenaire, probablement d'origine indienne, et aujourd'hui répliqué partout dans le monde est un dérivé du mécanisme précédent. Les montants concernés se chiffrent en milliards d'euros par an à destination de l'Inde, du Pakistan ou de la Chine mais aussi du continent africain. Cette pratique est assimilée en France au délit d'exercice illégal de la profession de banquier88(*).
Il permet à l'origine de transférer des fonds à destination de pays où le système bancaire n'est pas suffisamment dense pour atteindre toute la population. Concrètement, une personne travaillant en France et souhaitant transférer une partie de son salaire à sa famille qui ne dispose pas d'un compte bancaire, ne peut par définition pas opérer via le système bancaire.
La réponse à cette absence d'offre bancaire a été de créer un système interpersonnel parallèle, fondé sur la confiance des membres d'une même communauté, avec à sa tête dans chaque pays un saraf, banquier occulte/agent de change chargé d'assurer les transferts et se fondant sur un système de compensation avec l'étranger. Plus le réseau de ce saraf sera diversifié, plus ses services seront précieux.
Lui-même dirige un réseau de collecte d'espèces sur son « territoire », par exemple à travers un réseau de petits commerces, et à chaque somme correspond un ordre de virement à destination de l'étranger. Les sommes sont centralisées auprès du saraf, qui va alors prendre attache avec ses correspondants étrangers, autres sarafs, afin que les transferts de fonds ordonnés depuis la France soient réalisés.
Le saraf du pays B ayant reçu un ordre de transfert depuis le pays A et à destination de son pays, va donc prendre sur ses fonds pour transférer les sommes aux personnes indiquées, par le biais d'un réseau interpersonnel. Son compte est crédité dans la comptabilité du saraf du pays A. Il se peut qu'à l'inverse, le saraf du pays B demande à celui du pays A de remettre une somme à une personne située dans le pays A. Dans ce cas, les flux peuvent se compenser au moins partiellement.
À la fin du mois ou d'une autre période convenue entre les parties, les deux sarafs équilibrent leurs comptes, ainsi que le font les banques commerciales entre elles89(*). Le transfert physique ou scriptural entre les deux chambres de compensation pourra être très inférieur au montant total des flux réalisés dans les deux sens sur la période. La seule limite est la surface financière des deux sarafs qui leur permet d'« avancer » les montants demandées par leurs correspondants étrangers.
Principes de fonctionnement du système hawala
Source : Ismael Mahamoud. Comprendre le fonctionnement des hawalas : pour une meilleure régulation. Techniques Financières et Développement, 2014, n° 114, pp 49 à 54.
Par exemple, un saraf disposant d'une trésorerie d'un million d'euros pourra réaliser 1 000 versements de 1 000 euros sur son territoire. Tant que le montant des transferts demandés par ses correspondants étrangers à destination de la France reste dans cette limite, il pourra y procéder sans nécessité de transferts de fonds effectifs depuis l'étranger. De plus, il faut garder en tête que ses comptes sont alimentés en continu par la collecte qu'il réalise lui-même sur son territoire. Cette présentation avec deux sarafs peut être multipliée : le saraf en France peut être à la fois en lien avec le Maroc, Dubaï, le Pakistan etc. Un tel réseau multiplie les possibilités de compensation sans transfert physique d'argent, alors que les sarafs sont tous en dette les uns vis-à-vis des autres, tels les banquiers lombards des Rois maudits90(*).
La compensation à plusieurs acteurs
Dans ce schéma, l'approche « follow the money » rate sa cible, puisque l'argent n'a fait que transiter entre des personnes sans lien entre elles présentes sur le même territoire ; seule sa valeur a bien traversé les frontières. Repérer ce type de mécanisme nécessite une spécialisation très particulière des enquêteurs.
D'après les enquêteurs, les plus importants saraf, qui peuvent se retrouver au coeur de tous les trafics, traitent plus d'un milliard d'euros par an.
Les mécanismes d'hawala et de blanchiment international peuvent être utilisés de manière complémentaire. Par exemple, un saraf en situation de débiteur non compensée devra d'une manière ou d'une autre transférer de la valeur vers son créditeur à l'étranger. De même l'hawala peut être utilisé pour bancariser le produit du trafic dans un pays où la bancarisation est moins encadrée.
Dans ce cas, il peut par exemple utiliser une société d'import-export afin de sous-déclarer une marchandise à destination de ce dernier. Celui-ci se retrouvera donc avec une compensation en valeur correspondant à la différence entre la marchandise qu'il a payée et celle qu'il reçoit réellement. Il pourra ensuite revendre ce surplus de marchandise sur place pour récupérer ses fonds.
D'après les magistrats entendus, les méthodes utilisées sont très difficiles à déceler, notamment par les douaniers dont les contrôles se révèlent primordiaux. On comprend également toute la sensibilité que représentent les ports de ce point de vue. Les montants peuvent se chiffrer en milliards d'euros transférés par an.
On comprendra aisément que les pays en lien commerciaux forts avec la France et dans lesquels la LCB-FT ou la coopération judiciaires sont déficientes présentent un fort risque de blanchiment : plus les flux commerciaux sont élevés, moins les « erreurs » de facturation ou les dissimulations de produits seront décelables. Lors des auditions, l'exemple emblématique a été celui de la Chine et des réseaux d'import-export de région parisienne. Dans certains pays comme les Émirats arabes unis, le système de l'hawala est légal et réglementé. Il serait sans doute intéressant d'établir une coopération avec ces pays sur ce point en vue d'échanges de données et de pratiques.
3. La situation des Émirats arabes unis
Si plusieurs pays dont Israël, le Maroc ont été évoqués lors des auditions de la commission d'enquête comme étant des destinations choisies par les criminels et les réseaux pour blanchir leurs fonds, les Émirats arabes unis l'ont été systématiquement, c'est la raison pour laquelle la commission y consacre un focus.
Soucieuse de juger sur place de la situation et de mieux comprendre celle-ci, une délégation de la commission, composée du Président et du Rapporteur, s'est rendue aux Émirats arabes unis du 23 au 26 mars 2025, à Abou Dhabi et Dubaï, et y a rencontré des autorités et des acteurs économiques.
Le sujet est d'actualité : dans un document en date du 5 juin 2025, la commission européenne prévoit de retirer ce pays de sa liste des pays tiers présentant un risque élevé de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, signe de la prise en considération de la décision du GAFI91(*) en février 2024 de sortir les Émirats de la liste grise. De nombreux pays européens, dont la France, soutiennent cette initiative.
a) L'organisation de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière aux EAU
(1) Un cadre légal fédéral
Le cadre légal aux Émirats est récent, à l'image du pays lui-même, et marqué par le caractère fédéral. Il a été développé dans les années 1980 pour accompagner le développement économique et résoudre les difficultés au fur et à mesure de leur apparition. La crise de 2008 a ainsi entraîné la mise en place d'un nouveau régime juridique plus moderne.
Le cadre légal et réglementaire est généralement copié ou inspiré de modèles étrangers, retenus à partir d'une étude comparative ou benchmark destinée à doter le pays du système le plus efficace et reconnu internationalement. Singapour et l'Australie ont ainsi souvent été choisis comme modèles pour le droit des affaires.
Parallèlement à la volonté de doter l'État émirien du régime normatif le plus moderne, deux considérations déterminent l'élaboration des textes et leur mise en oeuvre. Tout d'abord, le choix fait par l'État émirien est celui d'un cadre légal souple, composé de lois courtes comportant de nombreux points ouverts à interprétation et permettant donc une interprétation ad hoc. Par ailleurs, les non-nationaux étant largement majoritaires dans le pays, les régimes de sanction reposent, plus que sur la prison, sur l'expulsion avec gel ou confiscation des avoirs détenus sur place.
On peut enfin noter que les Émirats disposent d'une grande capacité à la mise en oeuvre du changement et à l'application des normes. Le pays dispose en effet du réseau 5G le plus rapide au monde et d'un taux de pénétration de l'Internet supérieur à 99 %. L'adoption rapide de solutions technologiques facilite les évolutions et constitue l'un des fondements de l'appareil de sécurité émirien. L'opinion commune des interlocuteurs de la commission d'enquête était que les services de sécurité émiriens disposent de la capacité de suivre les communications et l'activité de l'ensemble des résidents du territoire.
(2) Dans ce contexte, qu'en est-il de l'application des standards internationaux en matière de LCB ?
Il faut constater les très nombreux efforts accomplis par les EAU pour se conformer aux standards internationaux. C'est ainsi qu'ils sont sortis de la liste grise du GAFI en février 2024, deux ans après y avoir été placés.
Cette décision fait suite aux progrès significatifs réalisés par le pays dans l'amélioration de son dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT).
Le GAFI a notamment salué le renforcement de l'efficacité du régime émirien, en particulier l'augmentation des demandes d'entraide judiciaire, l'amélioration de la supervision des professions non financières désignées, la montée en puissance des enquêtes et poursuites en matière de blanchiment, ainsi que l'adoption de mesures de transparence sur les bénéficiaires effectifs et les propriétaires de biens immobiliers.
Des efforts ont également été constatés en matière d'analyse financière, de coopération internationale et de mise en oeuvre des sanctions financières ciblées. Les Émirats poursuivent leur collaboration avec le GAFI MENA, dont ils assurent désormais la présidence, afin de consolider ces avancées.
La commission d'enquête a constaté la volonté des autorités émiriennes d'assurer la conformité de leurs normes aux standards internationaux de lutte contre le blanchiment et a pu avoir accès à l'ensemble des autorités qu'elle a souhaité entendre, toujours avec le plus haut niveau d'interlocuteurs. Le président et le rapporteur remercient sincèrement ces autorités de leur accueil et soulignent que ces auditions ont eu lieu pendant le Ramadan, attestant de la volonté concrète de répondre à leurs sollicitations.
Reçue par le Secrétaire général du Comité national de lutte contre le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme et des organisations illégales (NAMLCFTC), en présence de représentants de l'ensemble des administrations émiriennes en charge de la lutte contre le blanchiment, la commission d'enquête a pu noter l'engagement du pays pour demeurer hors de la liste grise du GAFI.
Les Émirats ont en effet mis en place de nombreuses réformes :
Les Émirats Arabes Unis (EAU) ont fait de la sortie de la liste grise du Groupe d'Action Financière (GAFI) une priorité nationale, déployant une stratégie complète et rigoureuse pour aligner leur dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) sur les standards internationaux.
Le rapport, adopté par le GAFI et le GAFIMOAN92(*), qui s'appuie sur les quarante recommandations et ses neuf recommandations spéciales, note les progrès significatifs réalisés par les Émirats arabes unis dans l'amélioration de leur régime de LBC/FT et précise :
« Les Émirats arabes unis ont renforcé l'efficacité de leur régime de LBC/FT afin de respecter les engagements de leur plan d'action concernant les déficiences stratégiques identifiées par le GAFI en février 2022, notamment en :
- augmentant les demandes d'entraide judiciaire sortantes pour faciliter les enquêtes sur le BC/FT ;
- améliorant la compréhension des risques de BC/FT des superviseurs des EPNFD, appliquant des sanctions efficaces et proportionnées en cas de non-conformité à la LBC/FT impliquant les IF et les EPNFD, et augmentant le nombre de déclarations de soupçons pour ces secteurs ;
- développant une meilleure compréhension du risque d'abus des personnes morales et mettant en oeuvre des mesures d'atténuation fondées sur les risques pour prévenir ces abus ;
- fournissant des ressources supplémentaires à la CRF pour accroître sa capacité à fournir des renseignements financiers aux services répressifs et en utilisant davantage les renseignements financiers, y compris ceux provenant d'homologues étrangers, pour poursuivre les menaces de BC à haut risque ;
- augmentant les enquêtes et les poursuites pour BC ;
- assurant une mise en oeuvre efficace des TFS en sanctionnant les non-conformités des entités déclarantes et en démontrant une meilleure compréhension du contournement des sanctions de l'ONU au sein du secteur privé. Les Émirats arabes unis ne sont donc plus soumis au processus de surveillance renforcée du GAFI ».
Les Émirats Arabes Unis ont également constitué un pôle dédié, véritable task force contre la corruption et la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), incarné par The Executive Office of Anti Money Laundering and Counter Terrorism Financing93(*). Cette structure centralisée regroupe 11 départements spécialisés, chacun en charge d'un aspect clé des « Résultats Immédiats » définis par le GAFI.
Dotés d'une large autonomie et de pouvoirs étendus, ces départements forment une force opérationnelle agile et efficace, capable de coordonner des actions ciblées et de mener des interventions rapides pour corriger les insuffisances du dispositif national.
Sur le plan opérationnel, les Émirats ont renforcé la coordination nationale et internationale, notamment à travers des partenariats stratégiques visant à améliorer les échanges d'informations et la coopération transfrontalière. Cette collaboration s'étend au secteur privé, particulièrement aux entreprises et professions non financières désignées (EPNFD) comme les agents immobiliers ou les maisons de ventes aux enchères, historiquement vulnérables aux risques de blanchiment. Un contrôle renforcé de ces acteurs, associé à des formations et programmes de conformité obligatoires, contribue à instaurer une culture de vigilance et de responsabilité partagée.
La lutte contre les flux financiers illicites s'appuie également sur un renforcement du régime de sanctions : entre mars et juillet 2023, plus de 329 millions d'euros d'actifs ont été saisis et confisqués. Par ailleurs, le montant des amendes infligées aux contrevenants a été multiplié par 25 en trois ans, témoignant d'une politique coercitive stricte visant à responsabiliser les institutions financières et les acteurs économiques.
Par ailleurs, les Émirats Arabes Unis ont amorcé une transition vers la digitalisation des paiements, limitant les transactions en espèces au profit de moyens électroniques plus traçables. Cette modernisation passe par le développement de technologies avancées comme la blockchain, garantissant la sécurité et la transparence des échanges financiers, et par un cadre réglementaire renforcé pour anticiper les risques émergents, notamment liés aux actifs virtuels et à la cybercriminalité.
Enfin, les EAU ont déployé une diplomatie économique active, multipliant accords et collaborations avec des acteurs internationaux tels que TRACFIN, et alignant leurs normes sur celles des États-Unis et du GAFI. Cette orientation stratégique s'illustre par des mesures concrètes, comme l'interdiction d'entrée sur leur sol du yacht sanctionné « Flying Fox », confirmant leur engagement à respecter les exigences internationales.
Les EAU disposent aussi d'une Financial Intelligence Unit (FIU)94(*), équivalent émirati de TRACFIN depuis 1998. Cette cellule de renseignement financier est chargée de recueillir, analyser et transmettre les déclarations de soupçon émanant des acteurs bancaires, financiers et non financiers. Un accord de coopération a été signé entre TRACFIN et la FIU émirienne en février 202495(*), témoignant d'un renforcement des échanges d'informations et de la coopération opérationnelle entre les deux pays en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Enfin, les Émirats ont récemment accueilli l'ouverture d'un bureau régional du GAFI à Abou Dabi96(*), confirmant leur volonté de jouer un rôle actif dans l'architecture internationale de lutte contre les flux financiers illicites et de devenir un pôle régional de référence.
L'ensemble de ces dispositifs est la preuve de la volonté forte de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
Ces efforts doivent maintenant être transcrits dans les faits pour convaincre de la réalité des efforts produits.
Il faut bien comprendre que cette volonté de remplir les standards internationaux en matière de LCB-FT, dont on a noté qu'il s'agissait d'une politique prioritaire pour le pays, constitue un tsunami au plan des pratiques, et ce, dans un pays fédéral.
La commission a pu constater que le modèle économique de Dubaï, fondé sur la liberté de circulation des flux internationaux de marchandises, de personnes et de capitaux, présentait un attrait pour les criminels qui y investissent leur argent et pensent, pour certains, y trouver un lieu où jouir des produits de leurs trafics.
Dubaï est aussi une place de choix pour les investissements iraniens, les autorités émiriennes ne faisant aucun mystère des relations commerciales avec ce pays voisin dans le cadre d'une diplomatie régionale.
b) Face aux avancées incontestables, il reste des failles dans les dispositifs
La presse nationale et internationale s'est faite l'écho de nombreuses affaires portant notamment sur le secteur immobilier à Dubaï.
La commission a ainsi appris, pétrifiée, qu'il était possible d'acquérir des biens immobiliers à Dubaï depuis sa cellule des Baumettes en crypto et cash97(*).
D'autres affaires, telles le « Dubaï unlocked98(*) », attestent que le système tarde encore à être régulé et permet le blanchiment des profits de différentes mafias, et permet aux kleptocrates (Angola, Gabon) de se procurer des biens « mal acquis ».
En effet, l'émirat de Dubaï a fondé son développement sur les flux économiques en tant que hub de transport de personnes et de marchandises, lieu de tourisme et d'investissement, spécialement dans un secteur immobilier en pleine expansion depuis plus de dix ans.99(*) Plusieurs autres émirats ont suivi ce modèle, ainsi celui de Ras el-Khaïmah qui a accueilli un investissement de plusieurs milliards de dollars pour construire, sur l'île artificielle Al-Marjan, le plus grand casino du monde, actuellement en cours de construction.
La valorisation des flux financiers est donc au coeur de la croissance économique de ces émirats et peut expliquer une divergence de volontarisme entre Abou Dhabi et Dubaï en matière d'acceptation des contraintes liées à la lutte contre le blanchiment.
Les zones destinées à faciliter les flux internationaux sont particulièrement développés, et les Émirats arabes unis comptent 45 zones franches, dont la plus grande est située dans le port de Jebel Ali.
Le président et le rapporteur ont visité les installations et ont été impressionnés par la technologie mise en place pour les contrôles et la lutte contre la corruption. En matière de lutte contre le contournement des sanctions internationales les autorités du port ont affirmé consulter régulièrement les listes des entités sanctionnées publiées.
Néanmoins, l'ampleur des mouvements de marchandises et l'évolution constante des différentes entités conduit à s'interroger sur le caractère effectif des mesures prises.
Par ailleurs, les auditions ont montré qu'il n'existait a priori aucune limite réelle au recours à l'argent liquide ou à l'or. L'achat de biens immobiliers, parfois d'immeubles entiers, en argent liquide transporté par avion, a été attesté par plusieurs acteurs du secteur. Malgré le plafond de paiement en espèces mis en place par certains promoteurs plus rigoureux, la pratique n'est pas encore généralisée.
Par exemple, il a été indiqué à la commission d'enquête qu'une part importante des paiements faits aux ouvriers du bâtiment l'était en argent liquide.
Le marché de l'or peut aussi s'avérer problématique, les Émirats n'en produisent pas mais en commercialisent beaucoup, Dubaï étant le troisième exportateur au monde. C'est pourquoi un département spécifiquement destiné au contrôle de ce marché a été ouvert au sein de Comité national de lutte contre le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme et des organisations illégales (NAMLCFTC). La décision de s'attaquer à l'« or sale » remonte à 2021 100(*).
Il n'est pas douteux que cette situation sera régulée dans un avenir proche, car hormis l'image du pays, elle porte en elle des sujets sécuritaires pour l'émirat de Dubaï qui en abritant une population criminogène, n'est pas à l'abri de voir des règlements de compte et autre délinquance, dans un pays où le taux de délinquance est parmi les plus faible du monde.
D. LA FRONTIÈRE TECHNOLOGIQUE D'UN PHÉNOMÈNE EN PERPÉTUELLE MUTATION : L'ENJEU DE L'USAGE DES CRYPTOACTIFS PAR LES ORGANISATIONS CRIMINELLES
Le blanchiment prend des formes diverses, il tire prospère en raison des besoins d'argent liquide et des incohérences de réglementation entre pays. Il peut emprunter des formes rudimentaires, mais les blanchisseurs savent également saisir les opportunités que leur offrent les nouvelles technologies. L'exemple de la blockchain, et notamment des cryptoactifs tels que le Bitcoin, est à cet égard édifiant.
1. Ampleur du phénomène
En France en 2024, environ 12 % de la population possédait un portefeuille de cryptoactifs, dont 57 % avaient moins de 35 ans et 24 % de 18 à 24 ans101(*). La France tend à rattraper les autres pays européens où les taux ont tendance à stagner : au Pays-Bas le taux de détenteurs s'établit à 17 %, 16 % au Royaume-Uni, 12 % Allemagne et 11 % en Italie. D'après la Banque centrale européenne (BCE), en 2022, seuls 18 % des détenteurs français de cryptoactifs les utiliseraient comme moyen de paiement.
Selon un chiffre partagé par plusieurs personnes auditionnées, en 2024, les flux illicites en cryptoactifs oscillaient entre 40 et 60 milliards de dollars, soit entre 0,1 % et 0,4 % de l'ensemble des transactions en cryptoactifs. Ces chiffres incluent les fraudes, les contournements des sanctions internationales, et d'autres flux illicites et ne se limite pas au blanchiment. Les services d'enquête auditionnés ont tous indiqués que la part des cryptoactifs dans les trafics devenait inquiétante.
Le Bitcoin, dont la capitalisation très fluctuante avoisine les 1 900 milliards de dollars en 2025, représente environ 50 % du marché des cryptoactifs. Chaque jour, l'équivalent d'environ 50 milliards d'euros s'échangent en Bitcoin.
2. Une technologie qui présente des limites en matière de blanchiment
Les cryptoactifs permettent un transfert décentralisé de la valeur : la transaction se fait directement d'un portefeuille de crypto à un autre, sans passage par un intermédiaire. Ils reproduisent de ce point de vue les avantages de l'argent liquide, l'échange peut être réalisé à distance, éventuellement de manière transfrontalière, et sur un montant illimité, libérant les trafiquants des problèmes logistiques propres aux liquidités. Comme pour les espèces, les cryptoactifs peuvent être conservées sur un support physique, sorte de coffre-fort portable le plus souvent équivalent à une clef USB, un ledger, dont l'achat n'est pas régulé. Ils peuvent également être achetés et conservés en ligne sur une plateforme d'échange régulée (PSAN). Dans ce dernier cas, on se rapproche du fonctionnement d'une banque classique.
Dans la mesure où il n'existe pas encore d'équivalent du FICOBA pour les cryptoactifs, les autorités n'ont pas les moyens de connaître l'ensemble des portefeuilles détenus par une personne. Les méthodes classiques d'investigations, fondées sur des réquisitions à des intermédiaires privés se révèlent donc inadaptées. De plus, les portefeuilles de cryptos sont « pseudonymisés » : leur propriétaire ne révèle pas sa véritable identité, mais uniquement un pseudonyme. En revanche, s'il souhaite convertir une partie des cryptoactifs en espèces, il lui faudra les convertir sur une plateforme d'échange à destination d'un compte bancaire. Le nom du bénéficiaire pourra alors être obtenu auprès de la banque de domiciliation.
De plus, les transactions réalisées en cryptoactifs sont conservées indéfiniment dans l'historique de la blockchain, lui-même libre d'accès. Elles sont donc potentiellement intégralement retraçables, contrairement à celles réalisées en espèces. Ceci ne signifie toutefois pas qu'elles puissent être facilement lisibles par tout un chacun, ainsi que l'illustre l'utilisation des « mixeurs de crypto », dont l'usage est considéré comme un blanchiment présumé en France depuis l'entrée en vigueur de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic102(*). Certaines compétences techniques, voire technologiques sont nécessaires, ainsi que l'ont rapporté les services d'enquête spécialisés de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des douanes ou d'Europol.
Les domaines des espèces et des cryptoactifs ne sont pas indépendants ou étanches : un détenteur de cryptoactif pourra vouloir les changer en espèces et inversement. Par exemple, un collecteur d'espèces travaillant sur un trafic pourra charger un portefeuille crypto à partir d'espèces via ce que les enquêteurs de l'Office français anti-cybercriminalité (OFAC) appellent des « distributeurs de crypto », machines qui permettent la conversion pseudonymisée de l'ordre de milliers d'euros d'espèces par jour vers un actif et inversement. Ces machines, interdites en France, sont parfois placées discrètement dans des petits commerces. Situés à proximité de points de deal, elles permettent aux trafiquant de régler quotidiennement leur problème logistique. L'OFAC a indiqué avoir démantelé un réseau de 14 de ces distributeurs en région parisienne et dans le Nord. Un portefeuille de cryptoactifs peut également être alimenté via une carte prépayée, laquelle peut être chargée de plusieurs milliers d'euros d'espèces.
Les services d'enquête spécialisés en cryptoactifs sont nombreux : la gendarmerie, la police nationale et la préfecture de police de Paris possèdent chacune un service centralisé, qui eux-mêmes dirigent des antennes territoriales, parallèlement à l'existence, au sein des services territoriaux, d'enquêteurs spécialisés qui d'ailleurs peuvent servir d'interface avec ces services centraux. Chacun déplore le peu de moyens mis à leur disposition pour attirer les profils d'enquêteurs spécialisés dans ces types d'investigations qui, toujours d'après les mêmes sources, se rencontrent de plus en plus souvent dans les enquêtes dirigées contre la criminalité organisée et les réseaux de blanchiment. Les compétences vont de questions pratiques telles que le repérage de portefeuille crypto lors des perquisitions à des formations spécifiques au retraçage d'un flux sur la blockchain.
Perspectives de blanchiment : aucune limite si les paiements se font en crypto ; quelques milliers d'euros par jour s'il faut passer par un distributeur automatique de cryptos.
Services concernés : services d'enquête, Tracfin.
Recommandation de la commission d'enquête : mieux réguler les cryptoactifs et notamment anticiper la transposition de la future directive européenne instaurant un FICOBA des cryptoactifs.
En résumé, dans son rapport de 2023 consacré à la criminalité financière, Le Revers de la Médaille, Europol rappelle quelques chiffres édifiants :
- 70 % des groupes criminels ont recours à des techniques basiques de blanchiment d'argent ;
- 71 % ont recours à la corruption ;
- 30 % sont engagés avec des réseaux de blanchiment professionnalisés ou ont recours au système de banques occultes ;
- 80 % des groupes criminels détournent l'activité d'entreprises légales.
L'ensemble des techniques de blanchiment des espèces vus plus haut peut être synthétisé dans l'infographie suivante, qui montre la complémentarité des techniques ainsi que leur territorialité, en France ou à l'étranger.
Source : DNPJ
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Les développements qui précèdent décrivent la facilité avec laquelle les criminels se jouent des réglementations en vigueur pour disposer librement du profit de leurs crimes. Comme on l'a vu, certains réseaux de blanchiment proposent leurs services à tous les trafiquants et ne s'intéressent pas à l'origine des fonds. Leur profit vient de la commission qu'ils demandent, représentant de l'ordre de 30 % des sommes blanchies. S'attaquer à ces réseaux spécialisés permet de frapper plusieurs trafics par ricochet. D'autres réseaux criminels ont intégré la fonction « blanchiment » dans leur organisation interne, notamment en investissant dans la sphère légale.
Le blanchiment peut prendre plusieurs formes d'intensité variable, et plus le réseau sera structuré plus les signaux seront discrets, perdus au milieu de l'économie légale. Il est à cet égard important de réagir au plus vite afin de développer une culture de la lutte contre le blanchiment, phénomène criminel qui peut être territorial, commercial, bancaire, international.
La lutte est d'autant plus efficace qu'elle touche des acteurs souvent déterritorialisés, qui à l'instar de multinationales du crime, arbitrent constamment entre les différentes zones pour cibler les plus propices au développement de leurs activités.
S'attaquer à ces réseaux demande une approche globale, mêlant services d'enquêtes judiciaires, douaniers, agents de Bercy, des URSSAF ou de l'inspection du travail, mais aussi des remontées de terrain. C'est une culture de la lutte contre le blanchiment, une sorte d'hygiène de base qu'il s'agit de diffuser en priorité dans la classe politique, et les élus, mais aussi parmi les citoyens qui seront les premières vigies.
L'or, valeur refuge des trafiquants et instrument de blanchiment
L'attention de la commission d'enquête a été attirée à de nombreuses reprises sur l'importance que représente le trafic d'or pour les réseaux internationaux de blanchiment.
La thématique a fait l'objet de nombreux rapports d'organismes internationaux, dont celui du GAFI en 2015103(*) ou d'Interpol en 2021 concernant l'Afrique centrale104(*).
D'après Interpol, le stock d'or extrait mondialement s'élève à 216 000 tonnes (soit l'équivalent de 22 m3), et le stock restant à extraire est évalué à 182 000 tonnes. Les flux extraits chaque année sont difficilement évaluables, compte tenu du poids des extractions clandestines. On considère que les données internationales officielles représentent environ 10% de la production réelle.
Concernant la production aurifère d'Afrique centrale, Dubaï représente le principal point de passage avant le transfert du métal vers le reste du monde, puisqu'on considère que l'émirat draine 95% de la production de la zone, soit l'équivalent de 3 milliards de dollars par an.
Source : Interpol
D'après l'ONG Swiss Aid105(*), 66,5 % (405 tonnes) de l'or importé aux E.A.U. en provenance d'Afrique a été exporté en contrebande des pays africains. Entre 2012 et 2022, 2 596 tonnes d'or africain importé aux E.A.U. n'ont pas été déclarées à l'exportation dans les pays africains. Au prix moyen de l'or sur ces onze années, cela correspond à une valeur totale de 115,3 milliards de dollars.
Source : Swiss aid, op. cit. à partir des données UN Comtrade HS7108
L`analyse des données comparatives entre les données d'exportation des pays d'Afrique centrale d'une part, et des données d'importation de Dubaï d'autre part, laisse voir la part massive que représente la fraude dans ces pays de production.
Source : Interpol
Compte tenu des montants en jeu, le secteur de l'extraction illégale d'or se révèle très lucratif pour les organisations criminelles. Il implique souvent des réseaux très organisés en termes logistiques ainsi qu'un haut niveau de corruption d'agent publics.
Comme l'a rappelé la DGDDI à la commission d'enquête, l'or est une ressource particulièrement précieuse aux yeux des organisations criminelle.
Il constitue :
- un instrument monétaire, parfois utilisé pour remplacer la monnaie courante dans certaines transactions ;
- une valeur d'investissement, souvent une valeur refuge - particulièrement en temps de crise, compte tenu de la hausse régulière et continue des cours sur le moyen/long terme ;
- un minerai convoité, dont l'extraction illégale produit 15 à 20 % de l'or disponible sur le marché ;
- une matière première nécessaire dans la fabrication d'instruments et de matériels de haute technologie, dans les domaines de la santé, de l'informatique/robotique ;
- un produit de luxe, une fois transformé en bijoux, montres et autres articles, parfois utilisé comme un signe extérieur de richesse.
Ces différents attributs de l'or entraînent des facteurs de vulnérabilité, en en faisant un véhicule attrayant pour le blanchiment, et qui ont été identifiés dans l'analyse sectorielle des risques des négociants de pierres et métaux précieux publiée en 2023 par la DGDDI.
Plus particulièrement, ce marché est d'abord caractérisé par la forte circulation de l'argent liquide.
Il existe dans tout pays un marché d'achat-vente d'or aux particuliers, que ce soit sous forme de bijoux, de pièces ou de lingots. Le dynamisme de l'offre et de la demande y dépend de facteurs économiques (évolution des cours, instabilité) et culturels (rôle social de l'or, confiance dans sa valeur refuge, affichage de la richesse).
Dans plusieurs pays, ce marché fonctionne dans une économie caractérisée par de faibles taux d'inclusion financière et une forte circulation d'argent liquide, ce qui implique que la plupart des transactions y sont réalisées sous cette forme. Dans certains pays, l'absence de seuil sur le paiement en espèces, ou des seuils élevés, permettent une forte circulation de l'argent liquide sur le marché de l'or. Couplée à la difficulté de s'assurer de la traçabilité de l'or acheté et vendu, le secteur est ainsi vulnérable à l'intégration et au placement de revenus illicites comme d'or illégal.
L'activité d'achat-vente d'or à des particuliers peut également présenter en elle-même un intérêt pour des groupes criminels cherchant à falsifier l'origine de leurs revenus illicites ou à les mêler à une activité économique légitime.
L'or peut être échangé de manière anonyme et il est très compliqué d'assurer la traçabilité des transactions.
Dans de nombreux pays, l'absence d'obligation d'identifier les parties à la transaction de vente d'or rend impossible la traçabilité des opérations. De plus, il est très difficile d'identifier singulièrement l'or vendu ou acheté sauf à ce qu'il soit précisément décrit, doté d'une caractéristique spécifique ou accompagné d'une documentation. Une fois l'or transformé (par exemple de l'or cassé fondu en lingot), la traçabilité devient impossible.
De plus, peu encombrant, dissimulable, convertible et fongible, l'or présente des caractéristiques favorisant sa dissimulation et sa contrebande. L'or recyclé représente un tiers du nouvel or entrant chaque année sur le marché. La collecte de l'or recyclé intervient principalement sur les marchés de consommation finale. Fondu, affiné puis raffiné, l'or réintègre le marché sans perte de valeur provoquée par une dégradation de sa qualité.
Enfin, l'entrée en vigueur le 3 juin 2021 du Règlement dit « Cash Control » ainsi que la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, ont permis d'homogénéiser la réglementation applicable aux mouvements transfrontaliers d'or, en l'incluant dans la définition de l'argent liquide soumis à déclaration en cas de franchissement de frontière d'un montant supérieur à 10 000 euros.
L'or fait l'objet de nombreuses infractions, dont les plus courantes sont les trafics internationaux (contrebande, import/export sans déclaration), les extractions illégales en Amérique du Sud (Guyane) et en Afrique, ou encore les vols sous différentes formes (braquages, à l'arraché pour les bijoux, à domicile, etc.) etc. Ces infractions engendrent elles-mêmes d'autres infractions de conséquence, nécessaires au stockage et à l'écoulement sur le marché de l'or obtenu illégalement, comme, par exemple, le recel et la détention en vue de la fonte illégale.
C'est pourquoi, ce métal précieux fait l'objet d'une attention et d'une surveillance particulières de la part des autorités publiques et singulièrement de la douane. À ce titre, la réglementation de la garantie des métaux précieux concourt aux objectifs de surveillance du marché, par diverses mesures comme la déclaration de profession, la tenue du registre de police, etc. Elle permet, en outre, de lutter efficacement contre les fonderies illégales et participe notamment à la lutte contre le recel. De plus, l'ensemble des acteurs du marché de l'or (et, à titre général, des métaux précieux et pierres précieuses), que sont les négociants, les fondeurs, les importateurs, mais aussi les officines de rachat d'or, les joailliers et autres bijoutiers, et encore le secteur financier et bancaire, est soumis au dispositif préventif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et d'application des mesures de gel des avoirs. Les administrations comme la DGDDI, la DGCCRF et l'ACPR, se répartissent le contrôle de la correcte application par les opérateurs du secteur, de ces mesures préventives.
L'extraction en zone de guerre comme au Soudan doit attirer la vigilance des autorités internationale.
Il y a eu les diamants de sang, l'or peut-être aussi souillé du sang de victimes innocentes.
Le cours astronomique de l'or 95 euros le gramme, et une législation facilement contournable peut expliquer ce tropisme .
Les pierres précieuses : mieux comprendre les enjeux
Lors de son audition, Bertrand Monnet a fait état à la commission d'enquête d'informations relatives au commerce des pierres précieuses qui appellent une analyse approfondie. « J'observe également un phénomène récent que je souhaite étudier en me rendant sur place en juin prochain : l'implication croissante de narco-organisations dans le commerce des pierres précieuses, notamment des émeraudes. Dans ce cas, deux schémas existent : le premier consiste simplement en l'achat de pierres ; le second, également ancien, consiste à acquérir des parts d'entreprises légales, payées en cash, dans un secteur faiblement régulé, à savoir des mines ou des entreprises de transformation. Enfin, différentes organisations de narcotrafiquants présentes depuis longtemps à Anvers et connaissant parfaitement ce secteur m'ont déclaré investir dans les pierres précieuses à travers de joint-ventures montées avec des organisations européennes et de la corruption de certains acteurs locaux. Ce sont leurs mots, issus de conversations que j'ai pu avoir avec eux, mais je n'ai absolument pas vérifié ni documenté ce phénomène ; ce schéma aurait toutefois du sens. »
Mme Bernadette Pinet-Cuoq, présidente exécutive de l'Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles (UFBJOP). A constaté que les menaces sont bien établies, notamment « les réseaux de blanchiment professionnels, la fraude fiscale et le recel liés à l'or, ainsi que le recel et l'intégration de pierres précieuses d'origine illicite. Il convient également de souligner les mesures transversales telles que le recours à des professionnels complices ou encore l'utilisation de ces actifs comme avoirs criminels. »
Depuis 2001, les négociants en métaux précieux et pierres précieuses sont assujettis à la réglementation LCB FT, qui impose le seuil de vigilance de 10 000 euros. Les professionnels doivent également tenir un livre de police indiquant la nature, les caractéristiques et la provenance des biens vendus. La réglementation douanière impose l'obligation, en vertu de l'article 215 du code des douanes, de détenir et de pouvoir présenter à tout moment les preuves de l'importation légale des bijoux, perles ou pierres précieuses.
Par ailleurs le « processus de Kimberley », vise à mettre un terme au commerce des « diamants de la guerre », aussi appelés les « diamants de conflits », afin d'empêcher que le profit issu de leur vente ne soit utilisé pour financer des guerres ou des mouvements de rébellion contre les gouvernements. Soutenu par un mandat des Nations unies, ce processus regroupe quatre-vingt-deux pays, représentant la quasi-totalité de la production mondiale de diamants. Le certificat KP, délivré dans ce cadre, accompagne les ventes de diamants bruts et atteste qu'ils ne sont pas utilisés pour soutenir des conflits armés. De plus, les participants doivent fournir un rapport annuel et mettre en place des législations et des contrôles concernant l'exportation, l'importation et le commerce intérieur des produits.
Les entreprises membres de l'UFBJOP appliquent le dispositif légal ainsi que des diligences spécifiques renforcées. Des audits et des visites sont menés par des collaborateurs, qui s'appuient sur une cartographie des flux de production afin de valider la traçabilité des pierres. Des audits complémentaires sont également réalisés et comportent des tests de réconciliation entre les factures d'achat de brut et celles de vente de diamants taillés, et l'examen des fichiers mensuels.
La commission d'enquête a cependant été alertée sur la possibilité pour un professionnel du secteur de contourner les obligations LCB-FT et les contrôles ne serait-ce qu'au travers de filiales en Suisse par exemple. Les pierres précieuses sont très facilement transportables.
La pression exercée sur le secteur des pierre précieuses, notamment au Pays Bas doit donc faire l'objet d'une analyse plus fine tendant à identifier les facteurs de vulnérabilité du secteur.
Dans le prolongement des travaux de l'UFBJOP, le rapporteur propose un suivi de ce secteur avec les professionnels.
Les cartes prépayées, une limitation nécessaire
L'utilisation de cartes prépayées constitue une méthode à laquelle ont recours certains groupes criminels dans le cadre d'opérations de blanchiment de capitaux. Ces instruments de paiement, assimilables à des cartes de débit et le cas échéant rechargeables, permettent de disposer d'un moyen de paiement électronique sans nécessiter l'ouverture d'un compte bancaire ni aucun engagement contractuel. En 2021, le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB) dénombrait 64 millions de transactions effectuées par le biais de cartes prépayés délivrées par des établissements agréés en France pour une valeur totale d'un peu plus d'un milliard d'euros.
L'attrait pour ces cartes s'explique notamment par la faculté d'en faire un usage anonyme, bien que celle-ci ait été progressivement restreinte par les législations récentes. L'anonymat qu'elles confèrent permet une utilisation discrète, susceptible de contourner les dispositifs de contrôle et d'échapper à toute surveillance financière.
N'exigeant pas de compétences techniques spécifiques, ce type de carte a notamment été utilisé par les auteurs des attentats du 13 novembre 2015 à Paris dans le cadre de la phase préparatoire de leurs actions. Depuis, différentes réglementations ont renforcé l'encadrement du recours aux cartes prépayées. Parmi elles, la cinquième directive LCB-FT 2018/843, adoptée le 30 mai 2018 à la suite de scandales financiers tels que les Panama Papers et des vagues d'attentats du milieu des années 2010 en France, a accru la lutte contre leur utilisation anonyme en abaissant les montants de recharge, de stockage, de remboursement et de paiement permettant de s'affranchir des mesures de vigilance, notamment d'identification. Dès lors, le plafond des cartes non rechargeables et anonymes est désormais fixé à 150 euros au lieu de 250 euros auparavant (article R. 561-16-1 du code monétaire et financier). Au-delà de ce montant, les émetteurs sont tenus de demander une copie d'une pièce d'identité ainsi qu'un justificatif de domicile, suivant le principe de la procédure de connaissance du client (KYC, Know Your Customer, en anglais).
Si les plafonds d'utilisation de ces cartes sont strictement encadrés, le nombre de cartes qu'un même individu peut acquérir demeure, en pratique, peu contrôlé. Le secteur demeure relativement peu régulé, et les distributeurs de ces cartes, insuffisamment formés et sensibilisés aux enjeux du blanchiment, font généralement l'objet de contrôles aléatoires. Dès lors, une partie des réseaux de narcotrafiquants recourent à cette technique de blanchiment, notamment grâce à la corruption - consentie ou contrainte - des gérants des commerces qui délivrent ces cartes.
Le recours aux cartes prépayées peut également constituer un moyen de contournement des plafonds limitant le paiement en espèces et permet de procéder à un paiement au-delà du plafond de 1 000 euros. À ce jour, il est possible de recharger sa carte en achetant des coupons avec des espèces à condition de ne pas dépasser un plafond global de recharge qui s'établit à 10 000 euros, a indiqué la directrice générale du Trésor. Dans ce cas de figure, si l'anonymat de la carte n'est plus possible, la provenance des fonds ayant permis l'achat de coupons au moyen d'espèces ou moyens de paiement non traçables, n'est pas ou peu contrôlée.
Par ailleurs, le secteur des jeux en ligne constitue également un vecteur de risque en matière de blanchiment par le biais de l'utilisation de cartes prépayées. Si le cadre réglementaire est plutôt satisfaisant puisqu'il n'est pas possible de jouer en ligne sans disposer d'un compte joueur, c'est-à-dire sans s'identifier préalablement, les enquêtes révèlent que certains utilisateurs approvisionnent ces comptes au moyen de cartes prépayées dont l'origine des fonds est difficilement traçable. Pour cela, il convient d'acheter des cartes en grand nombre, de les utiliser pour alimenter un compte de jeu, puis de transférer les gains sur un compte bancaire, permettant ainsi d'injecter dans le circuit économique légal des fonds potentiellement issus d'activités illicites.
Source : Rapport du COLB, « Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France », janvier 2023
Les cryptoactifs, préciser la
réglementation :
une nécessaire pédagogie, une
indispensable formation
Les cryptoactifs présentent plusieurs caractéristiques attractives pour les réseaux criminels. Ils permettent d'effectuer des échanges transfrontaliers instantanés, sans contrainte géographique ni plafond et 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Par ailleurs, les cryptoactifs assurent aux utilisateurs non pas un anonymat total, mais un pseudonymat : l'identification des utilisateurs par le biais de clés numériques publiques rend particulièrement difficile la découverte de leur identité réelle. Il s'avère complexe d'obtenir l'identité réelle du détenteur, sauf à disposer d'outils spécialisés et d'une analyse d'experts particulièrement avertis.
De plus, les cryptoactifs présentent l'avantage de pouvoir être conservés dans des portefeuilles numériques autonomes, soit physiques à l'instar de ceux proposés par Ledger (qui prennent la forme de petites clés USB) soit accessibles en ligne ou par le biais d'un logiciel comme Metamask, ces derniers étant toutefois moins sécurisés que les portefeuilles physiques. Ces portefeuilles numériques permettent ainsi aux utilisateurs d'échapper aux institutions financières traditionnelles et aux obligations réglementaires de vigilance auxquelles celles-ci sont soumises.
Les cryptoactifs peuvent également être conservés sur des plateformes dénommées PSAN106(*) (prestataire de services sur actifs numériques), dont les services proposés sont similaires à ceux des établissements bancaires classiques. Comme ces derniers, les PSAN sont enregistrés auprès de l'Autorité des marchés financiers107(*) (AMF) et sont soumis à des mesures de vigilance anti-blanchiment, en vertu du décret du 2 avril 2021, et doivent désormais identifier et vérifier l'identité de leurs clients dès le premier euro. Enfin, aux termes de l'article R. 561-16-1 du code monétaire et financier, la monnaie électronique pour laquelle l'identité du détenteur n'a pas été vérifiée « ne peut servir, notamment, à l'achat d'actifs numériques ».
Les méthodes de blanchiment au moyen des cryptoactifs
Le blanchiment par compensation en cryptoactifs :
Les groupes criminels, en particulier les narcotrafiquants, transforment leurs espèces en cryptoactifs soit dans un objectif de blanchiment, soit dans le but de payer en cryptoactifs leurs futures importations. C'est notamment le cas depuis l'avènement des stablecoins, des cryptoactifs indexés sur une monnaie ayant cours légal, généralement le dollar (95 % des stablecoins sont adossées au dollar américain) et dont les risques de volatilité sont très faibles.
Les réseaux criminels utilisent, comme pour la compensation internationale classique, un réseau de blanchiment dédié, à ceci près que les fonds ne sont pas récupérés en espèces à l'étranger mais sous forme de cryptoactifs.
Cybercriminalité et rançongiciels :
Bien que les revenus provenant des attaques par rançongiciel aient diminué de 35 % en 2024 par rapport à 2023, les cybercriminels continuent de recevoir des rançons en cryptoactifs (813,55 millions de dollars de paiements de la part des victimes, contre 1,25 milliard de dollars en 2023 ). Ces fonds sont ensuite blanchis :
- Soit via des marchés clandestins : des applications comme Telegram (avec des bots chiffrés), Discord ou encore le Darknet, où des acteurs offrent des prestations de blanchiment (« money laundering as a service ») contre rémunération. La différence avec un banquier occulte traditionnel réside dans leur capacité à blanchir, non pas des espèces, mais des cryptoactifs. Dans le cadre des attaques par rançongiciel, il existe un système d'affiliation avec une véritable distribution des rôles comprenant des individus spécialisés dans la préparation des programmes, l'infiltration des systèmes d'information, le contournement des antivirus, la confection d'outils de chiffrement, la récupération et la vente de données, ainsi que le blanchiment. Les échanges de services s'effectuent sur des forums privés, accessibles uniquement par cooptation.
- Soit via un mécanisme de compensation croisée : les cybercriminels détenteurs de cryptoactifs collaborent avec des réseaux de narcotrafiquants, détenant des liquidités par l'intermédiaire de « sarafs » ou de « brockers » qui animent des réseaux bancaires occultes.
Recours aux cryptoactifs anonymes et aux mixeurs :
En 2024, 24 % des fonds transitant par des mixeurs provenaient d'activités illicites.
Interdits en France depuis la loi du n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, les mixeurs (aussi appelés mélangeurs ou « tumblers ») sont des outils cryptographiques qui mélangent des flux licites et illicites, pour en masquer l'origine, complexifiant le suivi des transactions sur la blockchain. Sans pour autant constituer un obstacle insurmontable, ils constituent une contrainte supplémentaire pour les enquêteurs et exigent l'analyse méticuleuses de spécialistes. Dans cet exercice, l'intelligence artificielle peut permettre de repérer le « pattern », c'est-à-dire un modèle ou une structure qui trahissent l'origine des fonds mélangés. Cette méthode correspond à la deuxième phase du blanchiment, l'empilement.
Autre méthode utilisée pour brouiller l'origine des fonds et ralentir voire empêcher le travail des enquêteurs : le recours à des cryptoactifs anonymes. Ces cryptoactifs, bien qu'interdits sur les plateformes réglementées (PSAN), tels que Monero ou ZCash, fonctionnent à partir de blockchain privées et comportent une fonction d'anonymisation intégrée. Ils sont très fréquemment utilisés comme moyen de paiement pour acquérir des marchandises illicites. À ce titre, l'Agrasc refuse de revendre ces cryptoactifs lorsqu'ils sont saisis afin d'éviter leur réintroduction sur le marché.
Blanchiment par les distributeurs automatiques de cryptoactifs :
Non autorisés et par conséquent non enregistrés en France, les distributeurs de cryptoactifs se trouvent en général dans de petites épiceries de quartier, situées à proximité des points de deal. Ces appareils permettent la conversion instantanée de sommes issues du trafic de drogues en cryptoactifs, transférables partout dans le monde. Des actions de contrôle et de sanctions sont régulièrement menées en partenariat avec l'autorité des marchés financiers (AMF) sur ces distributeurs automatiques de cryptoactifs.
Échanges sur des plateformes non régulées :
Si en France, les plateformes permettant d'échanger des monnaies « fiat » (monnaie ayant un cours légal) en cryptoactifs sont soumises à des mesures de vigilance strictes de lutte contre le blanchiment, nombre de plateformes étrangères échappent à ces exigences réglementaires. Dans cette optique, elles ne procèdent pas aux vérifications d'identité (KYC) et bénéficient d'hébergements « bulletproof » qui refusent de coopérer avec les autorités judiciaires et les services d'enquête.
Par ailleurs, des méthodes visant à casser ou brouiller, à dessein ou non, la traçabilité des flux, comme les services de « swap » ou de « bridges » entre blockchains, sont également utilisées.
Lors de la récupération des fonds blanchis, les comptes incriminés sont généralement, par précaution, enregistrés au nom de sociétés-écrans ou de prête-noms, dissimulant ainsi l'identité réelle des trafiquants derrière une façade juridique en apparence légale.
Les obstacles organisationnels auxquels sont confrontés les services anti-blanchiment
La coopération internationale et le renforcement de la régulation au niveau mondial :
D'après les services d'Europol et d'Interpol 100% des dossiers de criminalité organisée comportent en tout ou partie un volet cryptoactifs d'où l'impérieuse nécessité de bien appréhender le sujet, et ses impératifs de formation des agents et de tous ceux ayant à connaître y compris les parlementaires.
La régulation en matière de cryptoactifs doit être appréhendée différemment selon les zones : par exemple, les pays du Golfe et de l'Asie, mettent en place des réglementations plus souples, rendant difficile la coopération sur des dossiers internationaux. En Europe, y compris au sein de l'Union européenne, Malte et l'Irlande proposent un corpus réglementaire allégé, favorisant ainsi l'implantation des principaux opérateurs de cryptoactifs.
Les Seychelles sont devenues l'une des plus grandes places d'installation des opérateurs de cryptoactifs internationaux.
Par ailleurs, les services de recouvrement, en premier lieu l'Agrasc, rencontrent des difficultés à saisir les actifs numériques hors du contrôle des juridictions françaises, en particulier lorsque les plateformes d'achat ou d'échanges de cryptoactifs établissent leur siège dans des États peu coopérants et associés à un risque élevé de BC/FT.
Failles dans les obligations des prestataires :
Les PSAN --au même titre que d'autres secteurs assujettis-- sont vecteurs des défaillances dans leurs contrôles. Certains d'entre eux ne procèdent pas à une vérification rigoureuse de leurs clients et des bénéficiaires effectifs, ce qui favorise des montages opaques, lesquels facilitent les opérations de blanchiment.
Aussi, la formation insuffisante des équipes constitue une autre difficulté dans l'observation des mesures de vigilance. Le personnel de certains établissements ne bénéficie pas de formations régulières sur les techniques de blanchiment et sur la détection des transactions suspectes.
En finir avec le mythe de l'intraçabilité : les outils et techniques à disposition des enquêteurs
Analyse forensique de la blockchain et outils spécialisés :
L'analyse forensique de la blockchain constitue une méthode essentielle pour les enquêteurs. Elle permet aux services d'investigation cyber de tracer et cartographier les flux financiers numériques, d'identifier les bénéficiaires effectifs et de démanteler des plateformes impliquées dans la couverture d'opérations de blanchiment.
Pour cela, les enquêteurs utilisent des logiciels tels que ceux développés par Chainalysis, TRM Labs, CipherTrace, permettant de cartographier les transactions, suivre les flux financiers, identifier les adresses suspectes et retracer les enchaînements par rebond grâce à des techniques de traitement de données de masse.
Ces outils présentent toutefois deux limites : le coût important et les enjeux de souveraineté. D'une part, une licence TRM coûte près de 10 000 euros et plus de 20 000 euros pour une licence Chainalysis. D'autre part, à moins d'acquérir en totale souveraineté, les services sont contraints de recourir à une infrastructure de sociétés américaines, lesquelles disposent d'une visibilité sur les requêtes et connaissent par conséquent les sujets traités par les services d'investigation.
Transparence de la blockchain et traçabilité des flux :
Hormis l'hypothèse des cryptoactifs anonymes et intraçables (Monero, ZCash, etc.) interdits en France, les transactions effectuées sont publiques, c'est-à-dire consultables par tous, et peuvent être retracées et suivies. L'impossibilité de fausser des opérations grâce à des protocoles cryptographiques extrêmement puissants rend d'autant plus opérante cette transparence. La blockchain étant par construction immuable et infalsifiable, une traçabilité rétroactive des transactions est toujours possible.
À titre d'illustration, à la suite de l'invasion russe, l'Ukraine, dont le système bancaire a présenté des failles, a effectué un appel aux dons de cryptoactifs. Toutes les dépenses réalisées par l'Ukraine à partir de ces dons sont accessibles et une rapide enquête permet d'en suivre l'utilisation.
Dès lors, bien exploitée, la transparence de ce secteur constitue un levier d'action et un atout majeur pour les enquêteurs. Dans la continuité des mesures prévues par le sixième paquet, adopté en 2024, et dont la transposition sera effective au plus tard le 10 juillet 2027, il convient de renforcer l'encadrement juridique en matière de cryptoactifs.
II. PRENDRE LE CONTRÔLE DE L'ÉCONOMIE LÉGALE : LE BLANCHIMENT PAR L'INVESTISSEMENT ET LA NORMALISATION DE L'ACTIVITÉ DES ORGANISATIONS CRIMINELLES
Jusqu'ici, ce rapport s'est attaché à éclairer sur l'ingéniosité déployée par les organisations criminelles pour blanchir l'argent issu de leurs activités illicites. Mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un moyen pour atteindre leur objectif ultime : l'intégration dans l'économie légale de leurs avoirs afin de pérenniser leur emprise.
Les économies libérales, dans le contexte de la mondialisation, sont particulièrement vulnérables à des tentatives d'introduction de capitaux d'origine criminelle dans l'économie légale. La compétition économique entre les États demande une facilitation de la circulation des investissements et une réduction du contrôle lors de la création d'entreprises. Ce contexte facilite la tendance à la subversion des économies par les organisations criminelles : un moindre contrôle de l'origine des sommes investies provoque le recyclage des bénéfices du crime.
Cette symbiose entre l'économie illégale et l'économie légale se construit dans le temps long et sape non seulement le fonctionnement de l'économie mais aussi la confiance des citoyens dans les institutions. En effet, le déploiement de l'emprise des organisations criminelles sur l'économie légale repose sur un usage constant de la corruption, tant d'agents publics que d'agents privés.
La France, en tant qu'elle est l'une des grandes économies ouvertes de la planète et qu'elle fait partie du marché commun européen, subit de plein fouet ces tentatives de prise de contrôle de certains pans de son économie par des groupes criminels. Cette hybridation entre l'économie légale et celle du crime permet, à terme, une emprise géographique de plus en plus visible dans certains territoires comme l'ont indiqué lors de leur audition les préfets de police de Paris et de Marseille. Il convient alors, avant que ne se déploie un véritable écosystème mafieux, de renforcer les outils de lutte contre cette pénétration de l'économie par des entreprises possédées par organisations criminelles. Concrètement, cela implique un meilleur contrôle des flux de capitaux et une action déterminée contre les atteintes à la probité et la corruption.
A. INTÉGRER L'ÉCONOMIE : LA PÉNÉTRATION DES ORGANISATIONS CRIMINELLES DANS L'ÉCONOMIE RÉELLE
1. La captation des ressources publiques par l'obtention d'aides et l'entrée sur des marchés publics
La méthode qui consiste à verser des aides publiques sans évaluation préalable, ni étude d'impact et sans contrôle en aval constitue un véritable aimant à fraudeurs. C'est pourtant celle qui est souvent retenue en France pour mettre en oeuvre des dispositifs d'aides, au détriment de l'outil fiscal.
L'ouverture des vannes de l'argent public par la mise en oeuvre de guichets d'aides publiques constitue une cible particulièrement visée par les organisations criminelles. Les aides frauduleusement acquises sont versées de façon directe par les pouvoirs publics sur des comptes bancaires français. Par conséquent, il s'agit d'un argent dont l'origine n'est pas susceptible d'éveiller les soupçons des intermédiaires financiers et qui est facilement réemployable pour des investissements légaux.
La naïveté des pouvoirs publics en termes de modalités de prévention de la captation des aides par les criminels est surprenante. En effet, alors qu'il est certain que les aides versées ne sont jamais recouvrées, la mise en place de moyens de contrôle a priori susceptibles de prévenir la fraude n'est toujours pas automatique lors de la création d'une nouvelle aide. Ceci est d'autant plus incompréhensible que la fraude aux aides publiques est, d'après l'ensemble des services enquêteurs et magistrats entendus par la commission d'enquête, le fait de réseaux criminels nationaux et internationaux organisés pour détecter les nouvelles primes et organiser leur détournement.
Cette naïveté est d'autant plus étonnante que de nombreuses affaires récentes ont prouvé que les services devraient faire preuve d'anticipation vis-à-vis des méthodes que les organisations criminelles et frauduleuses mettent en oeuvre pour éluder l'impôt ou capter des aides publiques.
Par exemple, la fraude à la TVA sur les quotas carbone a permis de détourner entre 1,6 milliard d'euros et 1,8 milliard d'euros entre 2008 et 2009. La réponse avait été la suppression tardive et la fermeture du marché de la TVA sur ces quotas, signe de l'incapacité des services à résorber cette fraude massive108(*).
Plus récemment, durant la pandémie de Covid-19, la fraude au chômage partiel a explosé. Au pic du confinement, le nombre de salariés inscrits en activité partielle s'était élevé à 8,4 millions pour un coût total, entre mars 2020 et juin 2022, estimé à 35 milliards d'euros, selon la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares). L'accroissement des contrôles n'a permis de récupérer que 217 millions d'euros d'indus et de rejeter 329 millions d'euros de demandes109(*).
Le rapporteur fait remarquer que son amendement 535110(*), présenté le 15 juillet 2020, sur le projet de loi de finances rectificative qui mettait en oeuvre le dispositif du chômage partiel, avait reçu un avis défavorable de la commission et du gouvernement alors qu'il permettait justement de renforcer les contrôles en amont du versement des aides au chômage partiel. Il est inutile ensuite de s'étonner des fraudes quand les mesures de lutte ad hoc ne sont pas adoptées.
Enfin, la situation de MaPrimRénov' est un dernier exemple plus récent : Tracfin, en 2023, estimait à 398 millions d'euros le montant des mouvements financiers suspects sur cette aide à la rénovation énergétique. Il aura fallu attendre l'adoption de la loi de finances pour 2025 pour que l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), chargée de la distribution de cette aide, puisse contrôler que les demandeurs de l'aide soient bien les titulaires du compte bancaire qui était associé à la demande.
L'article 170 de la loi de finances initiale donne accès à l'ANAH au fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA), fichier tenu par l'administration fiscale et qui associe à chaque compte une identité. Sachant qu'entre 2020, date de création de ce guichet, et 2025 les organisations criminelles ont pu, sans difficulté, effectuer des demandes d'aides factices, par usurpation d'identité, sans être inquiétées.
La captation d'aides publiques constitue un moyen malheureusement trop aisé pour les organisations criminelles de capter la ressource publique. Parallèlement, de manière classique, la criminalité organisée se positionne pour remporter des marchés publics.
La commission d'enquête salue ainsi le travail sénatorial engagé sur l'évaluation de la commande publique111(*) par le groupe Les Indépendants- République et Territoires, qui devra permettre de mieux contrôler ex ante les potentiels criminels qui utilisent les marchés publics pour s'enrichir. Les poursuites ex post sont en effet inefficaces. La loi contre « toutes les fraudes aux aides publiques112(*) » récemment adoptée en commission mixte paritaire ne permettra pas, en outre, de dissuader les fraudeurs tant notre système restera poreux et attractif pour les fraudeurs.
Les marchés publics sont une cible privilégiée car ils garantissent des ressources et permettent de légitimer de façon accélérée les entreprises qui sont détenues par les criminels. Pour les organisations criminelles, la possession d'entreprises auxquelles sont confiées la réalisation de contrats publics constituent un viatique.
Comme l'indique Bertrand Monnet113(*), les entreprises détenues par des criminels tendent à investir systématiquement les secteurs qui sont susceptibles de se voir confier des marchés publics. On compte ainsi, bien entendu, le bâtiment et les travaux publics, mais aussi le traitement de déchets, le transport ou la sécurité privée : ils font partie des « secteurs économiques qui permettent aux organisations criminelles de valoriser le contrôle qu'elles ont de l'agent public ou administratif de haut niveau » à des fins de captation illicite de marchés publics.
Une commission d'enquête créée par le gouvernement québécois114(*) a produit en 2015 un travail d'investigation poussé qui éclaire sur les motivations et les mécanismes utilisés par les organisations criminelles pour obtenir l'adjudication d'un marché public.
Les travaux mettent ainsi en évidence que les marchés publics du bâtiment, notamment, demandent un niveau de qualification relativement faible, ce qui facilite la mise en oeuvre d'entreprises frauduleuses à peu de frais : la main-d'oeuvre ne nécessite pas d'être formée, ce qui encourage le recours au travail dissimulé.
En outre, la taille du secteur est un avantage pour les entreprises frauduleuses : il est clair que les organisations criminelles ont compris le potentiel rémunérateur de la commande publique.
La même commission met enfin en évidence les mécanismes qu'utilisent les organisations criminelles pour que les entreprises qu'elles contrôlent obtiennent les marchés publics ciblés. La collusion, la corruption, l'intimidation et la violence sont autant de moyens utilisés. Cette commission pointe aussi, dans le secteur de la construction, des vulnérabilités qui peuvent venir du manque de transparence des procédures de passation de marchés ou encore de l'absence d'expertise interne dans les collectivités pour estimer le montant des travaux et surveiller la bonne réalisation du marché public.
Si ces résultats concernent en premier chef le Québec, lieu d'étude de la commission précitée, ils sont pour une bonne partie applicables à la France.
L'importance du secteur des travaux publics est en effet considérable en France. En 2023, il a généré 49 milliards d'euros de chiffre d'affaires selon la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), ce qui nourrit l'appât des criminels pour ce marché.
Même si la loi Sapin II115(*) a considérablement renforcé l'obligation, pour les personnes publiques et certaines entreprises, d'adopter des mesures de prévention et de détection des atteintes à la probité, il n'en demeure pas moins que le secteur des marchés publics demeure une porte d'entrée d'entreprises criminelles dans le tissu économique.
La publication d'un guide de l'achat public116(*) par l'Agence française anticorruption (AFA) et la direction des achats de l'État (DEA), en juin 2020, montre combien le risque de corruption se déploie tout au long du cycle de l'achat public.
Ce guide propose des solutions auxquelles la commission d'enquête souscrit :
- une organisation efficace des achats publics, notamment par la programmation et l'analyse documentée des besoins ;
- la communication large des marchés pour élargir l'accès à la commande publique et favoriser l'égalité de traitement des opérateurs économiques ;
- la mise en oeuvre d'une transparence des données qui facilitent le contrôle externe ;
- l'engagement des instances dirigeantes et la réalisation d'une cartographie des risques d'atteintes à la probité tout au long du cycle de l'achat public.
Cette mise en oeuvre d'une méthode, dans chaque entité, est nécessaire pour éviter la contamination des marchés publics par des entreprises détenues par des criminels. En effet, comme le rappelait Catherine Prébissy-Schnall en 2020117(*), « à toutes les époques de l'histoire, le marché public a constitué un support privilégié du développement de la corruption ». La France n'échappe pas à cette difficulté.
In fine, la commission d'enquête précise ainsi qu'elle sera attentive aux conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur la commande publique, qui devrait ouvrir des voies pour mieux contrôler en amont les procédures de passation de marchés publics et ainsi éviter l'entrée de criminels dans l'économie légale.
2. L'effet d'éviction des entreprises dans certains secteurs particulièrement propices au blanchiment
Si les marchés publics constituent la manne la plus lucrative et la plus évidente pour les entreprises détenues par des organisations criminelles, certains secteurs d'activité sont particulièrement propices à l'infiltration de l'économie par les criminels.
Un rapport de décembre 2024 d'Europol118(*) indique ainsi que l'ensemble des secteurs de l'économie sont concernés par cette problématique. Néanmoins, certains sont particulièrement visés : les entreprises de la logistique, notamment de l'import-export, celles dans lesquels l'argent liquide reste fortement utilisé, notamment l'hôtellerie, et les entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP).
La commission d'enquête, au cours de ses auditions, a pu retrouver dans le contexte spécifiquement français une similarité avec les conclusions d'Europol. Les secteurs à risque sont ceux dans lesquels les entreprises sont les plus à même de candidater à des marchés publics, ou dont l'activité facilite le blanchiment. Enfin, les entreprises qui, par leur taille, permettent d'éviter le contrôle des autorités, sont aussi parfois ciblées : ce sont elles qui ont le plus recours à l'argent liquide.
La conséquence de l'infiltration des entreprises criminelles dans le marché est un effet d'éviction des autres entreprises privées du même secteur. En effet, les premières ne maintiennent parfois qu'une activité de façade et font du dumping, que l'entreprise ne soit destinée qu'à blanchir de l'argent sale ou qu'elle n'ait jamais eu l'intention des réaliser les travaux.
Les entreprises respectueuses des lois subissent une concurrence déloyale à laquelle elles ne peuvent faire face, présentant le risque que certains secteurs deviennent des monopoles tenus par des entreprises criminelles ; avec pour conséquence la baisse de qualité des travaux rendus, avec un risque d'incidents accru en lien avec une mauvaise durabilité des infrastructures livrées.
a) La contrefaçon comme porte d'entrée des entreprises criminelles dans l'économie légale
La contrefaçon, au sens de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI), se définit comme la reproduction, l'imitation ou l'utilisation totale ou partielle d'un droit de propriété intellectuelle sans l'autorisation de son propriétaire.
Le contexte actuel pousse les organisations criminelles à y avoir recours de façon massive, dans des domaines très divers : biens de consommation courante, produits de luxe, produits agroalimentaires, produits de santé, pièces détachées dont pièces d'avion ou encore plaquettes de frein. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la contrefaçon représenterait 2,5 % du commerce mondial. Dans l'Union européenne, jusqu'à 5,8 % des biens importés seraient contrefaisants.
La France n'échappe pas à ce phénomène : en 2024, 21,5 millions de produits contrefaisants y ont été interceptés pour un montant de 645 millions d'euros.
Les chiffres clés de la contrefaçon
Source : commission des finances, données OCDE et Unifab
Cette explosion de la contrefaçon dans le mode de financement des organisations criminelles est le signe de leur capacité à exploiter toutes les opportunités de délinquance.
L'essor des achats en ligne, avec une hausse de 150 % du transport de colis entre 2016 et 2022 a permis d'accroître fortement le recours à la contrefaçon : les douanes ne peuvent contrôler l'ensemble des petits colis envoyés. Ainsi, 77 % des saisies mondiales de produits contrefaisants entre 2017 et 2019 ont eu lieu sur des envois postaux.
Ainsi, selon Europol119(*), sur les 821 réseaux criminels les plus importants dans l'Union européenne, 31 étaient engagés dans des activités de contrefaçon et 13 d'entre eux avaient pour principale activité la contrefaçon. Le rapport indique, en outre, que la France et la Belgique sont les pays les plus affectés et que les groupes qui pratiquent la contrefaçon sont majoritairement composés de personnes venant de Grèce ou de Moldavie.
Il apparaît donc nécessaire d'harmoniser les législations à l'échelle européenne et internationale pour limiter l'exploitation de failles juridiques par les contrefacteurs qui leur permet de déployer une activité mondialisée.
En outre, les sanctions prononcées sont relativement faibles pour les contrefacteurs en France. Selon un rapport120(*) de l'Union des fabricants (Unifab) publié concomitamment aux travaux de la commission d'enquête, la majorité des procédures engagées se soldent par de simples sanctions administratives, ignorant les infractions connexes comme le travail illégal ou le blanchiment d'argent. Pourtant, les contrefacteurs encourent jusqu'à trois ans de prison121(*), voire sept ans en cas de participation à un réseau criminel organisé ou si les contrefaçons présentent un risque pour la santé ou la sécurité.
Il est par conséquent nécessaire de rehausser les peines encourues et de développer une politique pénale qui mette mieux en application l'article L.335-2 du code de la propriété intellectuelle et de s'assurer de leur prononcer.
Recommandation de la commission d'enquête : durcir les peines encourues en cas de contrefaçon et publier une circulaire de politique pénale appelant à leur application plus stricte et systématique.
Les délinquants qui se livrent à des actes de contrefaçon semblent moins que d'autres attirer l'attention des services d'enquête qui, à tort, pourraient considérer qu'il s'agit d'un délit « sans victime », ce qui, on l'a vu, est loin d'être le cas. Par exemple, en matière de vente de produits contrefaisants sur les plateformes en ligne, la détection et la suppression des annonces de produits contrefaisants doit être très rapide pour empêcher que ces derniers n'irriguent l'économie. La commission d'enquête est par conséquent favorable à la création d'unités spécialisées dans la lutte contre la contrefaçon.
Recommandation de la commission d'enquête : développer des unités d'enquête spécialisées dans la contrefaçon pour accélérer les enquêtes en les dotant de capacités d'investigation numérique afin de détecter et supprimer plus rapidement les annonces de produits contrefaisants sur les plateformes en ligne.
L'absence de risque réel pour les organisations criminelles rend très attractif le recours à la contrefaçon pour blanchir leur activité criminelle et développer le blanchiment par le commerce. En effet, l'activité est extrêmement lucrative : l'Unifab indique qu'un logiciel contrefaisant coûte 20 centimes d'euros à produire mais peut se revendre aux alentours de 45 euros.
La lutte contre cette submersion de l'économie par les produits contrefaisants est nécessaire car ses impacts socio-économiques sont majeurs.
En effet, la mise sur le marché de produits contrefaits entraine une concurrence déloyale qui tend à assécher l'économie légale. Cela pose une difficulté aux commerçants honnêtes qui pâtissent de la concurrence déloyale de produits contrefaits destinés à tromper le consommateur et logiquement proposés à des prix réduits. En France, les puces de Saint-Ouen sont un exemple emblématique du déploiement à grande échelle des marchés de contrefaçon : selon Claire Laclau, commissaire de police à Saint-Ouen, plus de 5 millions de visiteurs s'y rendent chaque année.
En outre, les produits contrefaisants présentent des dangers environnementaux et sanitaires souvent ignorés par les consommateurs bernés ou complices. Les cosmétiques contrefaits, notamment, contiennent parfois des substances chimiques qui sont nocives pour les consommateurs et pour l'environnement. De même, les médicaments contrefaits sont susceptibles de contenir des principes actifs nocifs et sont, pour certains, conservés et transportés dans des conditions qui sont loin de respecter les normes en vigueur.
La sécurité des usagers de certains services est aussi remise en cause par la présence des produits contrefaits sur les marchés. Par exemple, en décembre 2023, une enquête du Serious Fraud Office (SFO) au Royaume-Uni avait montré que l'entreprise AOG Technics vendait des pièces aéronautiques contrefaisantes destinées à des moteurs d'avions commerciaux. 126 appareils avaient ainsi dû être mis en retrait immédiatement.
Enfin, les entreprises criminelles emploient une main-d'oeuvre souvent très précaire. Les entreprises de contrefaçon ignorent souvent le droit du travail et ont recours à la traite d'êtres humains pour leurs activités. On se trouve ici devant un cas flagrant de pluridisciplinarité des criminels.
À tous niveaux, donc, la criminalité organisée infiltre l'économie légale au moyen de la contrefaçon.
La commission d'enquête estime que les consommateurs européens en sont pas suffisamment sensibilisés, aujourd'hui, aux risques qu'ils encourent lorsqu'ils achètent de la marchandise contrefaisante. Elle recommande ainsi le déploiement d'une campagne concertée entre les différents acteurs pour informer les citoyens sur les dangers de la contrefaçon.
Recommandation de la commission d'enquête : engager avec les industriels, l'Union des fabricants (Unifab) et nos partenaires européens une campagne d'ampleur de sensibilisation du consommateur aux risques sanitaire, sécuritaire et pénal auquel il s'expose par l'achat de biens contrefaisants.
b) Les entreprises du bâtiment, de la construction et des travaux publics : pénétrer un marché propice au blanchiment
Plusieurs caractéristiques du secteur du bâtiment, de la construction et des travaux publics (BTP) le rendent propices à l'intégration des organisations criminelles.
Comme indiqué, le BTP est l'un des secteurs les plus à même de répondre à la commande publique. Plusieurs exemples ont ainsi été porté à la connaissance de la commission d'enquête. L'un des plus intéressants est celui rapporté par le coordinateur national des groupes interministériels de recherche (GIR), M. Thierry Pezennec.
Exemple de la prise de possession, par des entreprises du BTP acquises aux criminels, de marchés publics
Lors de la pandémie de Covid-19, une mairie francilienne désigne une société pour installer un mur antibruit le long d'une route. Cette société est ensuite évincée par des individus se présentant comme mandataires de la société, qui imposent un nouveau chef de chantier. Ce dernier, ayant récupéré le marché, propose à des sociétés du BTP d'Île-de-France de décharger leurs terres non dépolluées, issues de chantiers locaux, contre rémunération. Près de 142 000 tonnes de terre, soit un talus de 500 mètres de long sur 20 mètres de haut, ont été ainsi déposées sauvagement.
Les investigations du GIR, du commissariat et de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports (DRIEAT) ont conduit à l'identification de plusieurs sociétés liées au donneur d'ordre de ce dépôt sauvage. L'analyse des multiples comptes des sociétés et des personnes mises en cause a permis d'identifier les structures utilisées pour recevoir le montant des « prestations » encaissées.
Source : auditions de la commission d'enquête
Sans jeter le discrédit sur un secteur important de l'économie, il apparaît que le BTP est propice à la pénétration d'entreprises détenues en tout ou partie par des membres de réseaux criminels qui tirent avantage de leur situation pour encourager la commission d'autres infractions et métastaser le secteur. Comme l'indique le rapport d'activité de Tracfin en 2015 avec un schéma qui reste d'actualité, le BTP est un secteur qui facilite fortement l'emploi de main-d'oeuvre non déclarée, avec une concentration en Île-de-France, qui représente plus de la moitié des dossiers. La rémunération du travail non déclaré constitue l'un des principaux moyens d'écouler des espèces d'origine illicite : il en résulte que les organisations criminelles sont particulièrement attirées par la prise de contrôle d'entreprises de ce secteur. L'entreprise paye ses salariés en tout ou partie avec de l'argent sale et récupère de l'argent public lié au marché en toute impunité. Dans l'Analyse nationale des risques proposée par le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB)122(*), plusieurs cas attestent que cette vulnérabilité du secteur.
L'existence de montages frauduleux
destinés à fournir des espèces aux
sociétés du BTP
Entre 2016 et 2018, 133 sociétés différentes du BTP ont bénéficié de la complicité de deux bars de Seine-Saint-Denis pour transformer massivement des chèques et virements reçus en argent liquide. Ainsi, pour des montants allant de 500 euros à 440 000 euros et en contrepartie d'une commission, les gérants des bars encaissaient au nom de ces sociétés les chèques ou virements et remettaient des espèces en échange.
Les investigations, menées entre 2020 et 2021, ont montré que les sociétés du BTP créditrices étaient souvent éphémères, radiées, ou en cours de liquidation. La plupart avaient manqué à leurs obligations déclaratives et certaines n'avaient établi aucune comptabilité.
Le nombre de sociétés concernées a permis de mettre en lumière plusieurs manières d'utiliser cet argent liquide. Une configuration repérée, qui concernait une société de rénovation, permettait à cette dernière de collecter les fonds de nombreux clients avant de les transférer dans les bars et de ne récupérer que de l'argent liquide, moyennant une commission de 7 %.
D'autres entreprises recrutaient des ouvriers dans lesdits bars puis les employait en tant que sous-traitants. La rémunération était alors effectuée avec des chèques sans ordre qui étaient remis aux sous-traitants, qui les faisaient ensuite encaisser par les bars.
Source : commission d'enquête, d'après l'Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France, janvier 2023
De même, Corinne Simon, préfète déléguée auprès du préfet de police des Bouches-du-Rhône, indiquait lors de son audition que la fausse facturation concernait souvent, en bout de chaîne, des entreprises du BTP. Ce procédé consiste à créer une entreprise qui n'existe pas en tant que telle - une « coquille vide » - mais peut justifier des opérations commerciales avec une société réelle. Il s'avère que, souvent, les entreprises du BTP se trouvent émettrices ou réceptrices de ces fausses factures : les prestations demandées portent alors essentiellement sur la fourniture de services, de conseils et de tout type de prestations intellectuelles difficilement évaluables.
L'inventivité des schémas repérés montre combien le secteur du BTP est propice à une infiltration des organisations criminelles, car il facilite à la fois le blanchiment et l'intégration dans les appels d'offre liés aux marchés publics.
c) Les entreprises de la logistique : fluidifier les flux de marchandises illégales
La criminalité organisée est aujourd'hui un phénomène mondialisé. Le rapport d'Europol123(*) sur les réseaux criminels les plus menaçants dans l'Union européenne (UE), en octobre 2024, montre que, sur les 821 réseaux étudiés, on retrouve 112 nationalités représentées parmi leurs membres. Plus des deux tiers de ces réseaux, soit 68 %, sont composés de membres de plusieurs nationalités et 68 % d'entre eux sont actifs à la fois dans l'UE et en dehors.
État des lieux de l'internationalisation
des réseaux criminels européens
les plus dangereux
Source : commission d'enquête, données Europol
Dans ce contexte, il est particulièrement intéressant, pour les réseaux criminels, de prendre le contrôle d'entreprises chargées du transport, de l'importation et de l'exportation de marchandises. Ceci leur donne une assise logistique utile pour maîtriser l'ensemble de la production et de la distribution de marchandises illégales ainsi que les revenus qui en résultent.
L'enjeu est en effet de taille pour les organisations criminelles : la sous-traitance de la distribution de produits illégaux, comme de la drogue ou des objets contrefaits, expose les criminels à ce que le sous-traitant soit peu vigilant et soit repéré par les services d'enquête ou, pire, qu'il trahisse afin de négocier une réduction de peine.
L'exemple du CIFA d'Aubervilliers : des procédures en cours contre l'un des plus grands centres de blanchiment par le commerce de gros
En France, le Centre international de commerce de gros France-Asie (CIFA), situé à Aubervilliers, constitue un bon exemple de cette prise de pouvoir des organisations criminelles sur les flux d'import-export.
Le Centre International de Commerce de Gros France-Asie (CIFA) est un centre de grossistes de commerce de gros spécialisé dans le prêt à porter féminin et masculin. Il a été ouvert à la fin de l'année 2006 et s'est peu à peu spécialisé dans l'importation de textile d'origine chinoise. Il est devenu un nouveau « Sentier chinois », en référence au quartier du sud du 11ème arrondissement de Paris qui abritait, dans les années 1990, de nombreux grossistes en textile d'origine asiatiques.
Tracfin a ainsi mis en relation à partir de 2021 de nombreuses sociétés-écrans qui opéraient depuis la région parisienne, l'Italie et l'Allemagne et auraient permis de blanchir près de 60 millions d'euros via des banques chinoises et hongkongaises.
L'enquête menée a révélé que des sociétés importaient des marchandises en minorant leur quantité, ce qui diminue le montant des taxes perçues. De même, leur origine peut être tronquée afin d'échapper à des droits de douane : des vélos venant de Chine, du jour au lendemain, devenaient originaires du Vietnam ou de Taïwan pour échapper à la mise en oeuvre de droits de douane renforcés sur les vélos chinois. L'activité, légale, est doublée d'une fausse facturation afin de permettre le blanchiment.
Dans le contexte du CIFA, certaines entreprises d'import-export déploient souvent une activité réelle mais minorée et une activité de services facilitant la fausse facturation. Leurs clients, des entreprises demandeuses d'espèces, souvent dans le secteur du BTP ou de la restauration, leur paient ces prestations par virement bancaire et reçoivent, en contrepartie, de l'argent liquide minoré d'une commission. Cet argent bancarisé est ensuite transmis jusqu'en Chine ou à Hong-Kong, où les fournisseurs peuvent renvoyer des conteneurs à l'entreprise d'import-export afin de rendre apparente la légalité de l'activité.
La difficulté à laquelle sont confrontés les enquêteurs est la multiplicité d'entreprises impliquées - près de 250 boutiques sont recensées au CIFA - et la complexité des réseaux et des schémas mis en oeuvre pour le blanchiment. Il n'en demeure pas moins qu'aucune impunité n'est laissée aux criminels et que des enquêtes sont encore en cours.
Le 20 septembre 2024, le parquet de Bobigny a ainsi requis 7 ans de prison contre l'un des principaux responsables, ainsi que 2,5 millions d'euros d'amendes et une interdiction de quitter le territoire français pendant cinq ans. Des peines de prison ferme et des amendes importantes ont aussi été requises pour 19 autres prévenus.
Source : auditions de la commission d'enquête
Il ressort que des fonds pouvaient transiter par les sociétés sans qu'il n'y ait de flux réel de marchandises, des flux inférieurs et parfois même supérieurs à ce à quoi correspondaient les sommes envoyées à l'étranger ou, à l'inverse, mises en circulation en France.
La prise de pouvoir sur les lieux de transits de marchandises est ainsi une priorité pour les organisations criminelles, tant pour sécuriser les flux des produits illégaux qu'elles souhaitent faire transiter que pour bénéficier d'un écran utile au blanchiment massif d'argent sale.
d) La manne du secteur des jeux de hasard
Les informations communiquées à la commission d'enquête lors de l'audition du service central des courses et jeux (SCCJ) de la police judiciaire ont permis de mettre en évidence l'appétence des criminels pour la prise de contrôle de clubs de jeux ou de casinos. En effet, la technique du « baronage », qui consiste à ce qu'un employé du jeu se laisse « acheter » et participe à une fraude ou une triche est aujourd'hui peu efficace à grande échelle. L'activité dans les clubs de jeu est aujourd'hui souvent filmée et vidéosurveillée : cette pratique ne peut donc être que locale et ponctuelle.
Au lieu de chercher à corrompre des salariés de casinos ou de clubs de jeux, les organisations criminelles cherchent désormais à entrer au capital des entreprises organisant des jeux. Comme l'indiquait Stéphane Piallat124(*) lors de son audition, « un exploitant de casino très connu disait qu'il fallait être propriétaire pour s'enrichir dans le casino - je dirais que pour blanchir, il faut l'être aussi ».
Un tel constat est partagé par Corinne Simon, préfète déléguée auprès du préfet de police des Bouches-du-Rhône, qui faisait remarquer de nombreux lien entre la criminalité organisée et le secteur du jeu et des casinos.
Pour lutter contre ce phénomène, le SCCJ, seul service du ministère de l'intérieur chargé du contrôle anti-blanchiment pour les casinos et les clubs de jeu, mène près de quarante audits de casinos chaque année. À cette occasion, le service vérifie les mesures prises en matière de lutte contre le blanchiment et de financement du terrorisme.
Une douzaine d'inspections par an sont aussi réalisées. Ces dernières ont lieu sur site et permettent un contrôle plus approfondi de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En cas de manquement avéré, les casinos et clubs de jeu sont renvoyés devant la Commission nationale des sanctions (CNS).
La nécessité de prévenir l'acquisition des casinos par des organisations criminelles pousse le SCCJ à effectuer une étude préalable systématique à tout projet de prise de contrôle d'un établissement de jeu. Lorsqu'une demande d'autorisation pour l'acquisition d'un casino est étudiée, le principal travail est l'examen de l'origine des fonds.
L'exemple d'une tentative de prise de contrôle de casino
En 2020, une demande de reprise d'un casino placé depuis plusieurs mois en liquidation judiciaire est adressée au SCCJ. Les fonds destinés au rachat sont alors passés en revue par le service.
L'enquête permet de mettre en évidence que les fonds proviennent d'une holding située aux îles Caïmans et approvisionnée depuis la Chine, ce qui déclenche un examen plus poussé de l'opération. En effet, jusqu'au 6 octobre 2020, les îles Caïmans étaient situées sur la liste des territoires non coopératifs de l'Union européenne.
En réponse aux demandes du service pour obtenir la justification de l'origine de ces fonds, la personne qui souhaitait acquérir le casino a retiré sa demande et n'a plus donné signe de vie. Cette personne était localisée en Allemagne.
Source : auditions de la commission d'enquête
Le travail en amont réalisé par le SCCJ peut ainsi se révéler très efficace : une simple demande de l'origine des fonds permet de décourager un projet d'investissement potentiellement criminel. Il convient alors de maintenir une grande rigueur dans l'analyse des projets de reprise de casinos pour éviter une mainmise des organisations criminelles sur ces établissements. La complexification des schémas de financement, qui reposent souvent sur l'existence de plusieurs entreprises écran, demande aussi une formation accrue des enquêteurs.
e) L'investissement dans les petits commerces crée une concurrence déloyale
Outre les entreprises du bâtiment ou du secteur des jeux de hasard, il apparaît que l'interpénétration entre l'économie légale et l'économie criminelle passe massivement par l'investissement dans des petits commerces.
Ce recours aux petites échoppes répond en effet à de nombreux critères qui incitent les organisations criminelles à en prendre le contrôle :
- les petits commerces permettent un blanchiment d'argent de basse intensité sur un modèle réplicable de façon très aisée, ce qui permet par l'accumulation d'intégrer dans l'économie réelle des avoirs criminels massifs sans éveiller l'attention des autorités ;
- les petits commerces - souvent des barbiers, des ongleries, des épiceries, des enseignes de restauration rapide - sont des entreprises qui ne nécessitent pas d'avoir un personnel très formé, ce qui facilite leur ouverture rapide ;
- les organisations criminelles qui investissent dans les petits commerces bénéficient, au-delà d'une plateforme de blanchiment, d'un atout pour exercer une domination territoriale sur un quartier et gagner en honorabilité.
Les auditions de la commission d'enquête ont montré à quel point ces trois atouts des petits commerces avait un avantage pour les organisations criminelles.
La facilité du blanchiment et son ampleur, déjà mis en évidence dans la première partie de ce rapport, a été rapportée aux membres de la commission d'enquête et plusieurs exemples concrets ont été donnés.
Les petits commerces : une structure de
blanchiment efficace
qui permet aux organisations criminelles
d'intégrer l'économie légale
L'audition de Thierry Pezennec, coordinateur national des groupes interministériels de recherche (GIR), a permis à la commission d'enquête de réaliser combien la prise de contrôle des petits commerces se révélait une opportunité pour les groupes criminels.
Un contrôle réalisé par plusieurs membres du comité opérationnel départemental anti-fraude (CODAF) dans un salon de coiffure de type barber shop appartenant à une fratrie connue dans différentes procédures pour trafic de stupéfiants avait relevé plusieurs infractions. En particulier, l'emploi de travailleurs étrangers sans titre qui n'avaient pas fait l'objet de déclarations à l'Urssaf avaient été repéré.
Ce contrôle a permis l'ouverture d'une enquête pour des faits de travail dissimulé, blanchiment et infraction à la législation sur les étrangers. Les enquêteurs de la brigade mobile de recherche de la police aux frontières, ont alors investigué, en co-saisine avec le GIR local.
Les résultats de l'enquête ont montré l'ampleur que peut prendre l'intégration dans l'économie réelle de ces petits commerces :
- la fratrie détenait plusieurs salons de coiffure dans la région, dont une dizaine ont été perquisitionnés et fermés ;
- une douzaine d'étrangers sans titre de séjour, employés dans les salons, ont été interpellés ;
- plus de 100 000 euros en espèces et sur les comptes bancaires ont été saisis ;
Lors des perquisitions la découverte d'un registre des transactions réalisées par l'un des salons de coiffure a permis de reconstituer le chiffre d'affaires annuel d'un de ces salons, qui avoisinait les 600 000 euros, en contradiction avec le volume de clients journaliers, la masse salariale du salon et ses horaires d'ouverture. En moyenne, un tel salon a un chiffre d'affaires autour de 80 000 euros : une grande partie du chiffre d'affaires avait donc probablement une origine illicite.
Source : auditions de la commission d'enquête
L'exemple cité montre combien il peut être lucratif et facilitant pour une organisation criminelle d'investir dans de nombreux commerces.
La possibilité d'engager des personnes sans titre de séjour, a priori peu formées, prouve que ce type d'investissement est aisé pour les organisations criminelles, qui peuvent ainsi asseoir une domination sur certaines personnes vulnérables.
Enfin, comme l'indiquait Corinne Simon, préfète déléguée auprès du préfet de police des Bouches-du-Rhône, les investissements des criminels servent aussi à assurer le contrôle d'un territoire. Ainsi, l'argent sale n'est pas seulement envoyé à l'étranger, mais il est aussi très souvent facteur de prise de possession de l'économie légale de proximité. Ce constat est partagé par Frédéric Malon, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance spécialisée à la direction nationale de la police judiciaire. Selon lui, la prégnance de la criminalité organisée sur un territoire se mesure à la présence plus ou moins forte de tels commerces. Ces derniers sont souvent localisés dans les quartiers difficiles avec une clientèle composée pour une large part de délinquants.
L'absence d'activités permettant le maintien normal d'un commerce ou la nature atypique de sa clientèle qui signale ces établissements aux habitants et aux élus de proximité que sont les maires. Le retard pris à fermer les commerces signalés par les populations et les élus nuit à la crédibilité de l'action de l'État contre le blanchiment. Comme elle l'a signalé lors de l'audition du préfet de Police de Paris, la commission d'enquête souhaite une association plus étroite des maires aux actions menées contre les « lessiveuses » présentes sur le territoire de leurs communes.
La difficulté à repérer ces petits commerces provient de leur zone d'activité très localisée et de leur apparence tout à fait légale. Par conséquent, il semble nécessaire de renforcer l'analyse financière de ces commerces de proximité à faible valeur ajoutée, peut-être à l'aide de moyens automatisés de traitement de l'information.
À défaut, l'emploi d'enquêteurs est nécessaire pour observer l'absence ou la faible présence de clients dans ces structures, afin d'estimer le chiffre d'affaires effectivement réalisé.
Recommandation de la commission d'enquête : Renforcer les moyens de contrôle des petits commerces par le ciblage des quartiers les plus exposés, une analyse financière accrue de ces entreprises et une meilleure association des maires.
e) L'inventivité au service d'une hybridation de l'économie
L'hybridation de l'économie recherchée par les organisations criminelles, si elle touche en particulier certains secteurs, peut cependant s'étendre à l'ensemble des activités.
Ainsi, la commission d'enquête a pu connaître des cas de créations de sociétés dans le traitement de déchets : la mainmise sur cette activité permet aux organisations criminelles de s'adjuger un fort pouvoir de chantage vis-à-vis des autorités publiques comme ce fut le cas dans le sud de l'Italie.
De même, le gang corse du Petit Bar avait pris le contrôle du club de football d'Ajaccio : les masses financières qui circulent dans le milieu de sport professionnel ainsi que la gestion d'infrastructures coûteuse était un moyen de permettre l'entrée d'argent à blanchir tout en facilitant la porosité entre économie légale et criminelle.
L'immobilier et l'art ainsi que l'ensemble des secteurs dans lesquels le prix des biens vendus peut être atypique et dans lequel l'uniformisation ne peut, par essence, pas avoir lieu, sont enfin propices à attirer l'appétit des groupes criminels. Cela concerne ainsi, comme le rappelait Corinne Simon, les prestations intellectuelles : il est plus aisé de gonfler la facture de services immatériels, qui parfois ne sont jamais réalisés, que de surfacturer une production concrète.
Dans les faits, l'ensemble de l'économie peut ainsi être soumise à l'emprise des organisations criminelles qui prennent le contrôle d'entités légales, sous couvert d'un investissement tout à fait anodin.
3. La création de zones grises de l'économie par le brouillage entre activité légale et illégale
La menace représentée par l'entrée des organisations criminelles dans l'économie légale, sous couvert d'entreprises légales, produit ses effets dans le temps. En effet, l'interpénétration entre sphères légale et illégale produit des conséquences qui s'accroissent à mesure que cette évolution symbiotique devient inhérente au marché.
Dans un premier temps, la présence d'entreprises légales criminelles dans un marché tend à décorréler le prix facturé de la qualité du service fait. Le recours à des personnes peu qualifiées peut limiter la qualité des prestations fournies. Les infrastructures construites dans le cadre de marchés publics peuvent être défectueuses. Par exemple, dans le contexte italien, l'infiltration par la mafia des services de traitements de déchet en Campanie ont provoqué un affaissement de la qualité de la gestion des déchets, qui ne répond pas aux normes de sécurité environnementales et sanitaires.
Dans un second temps, les entreprises légales criminelles tendent à évincer les entreprises concurrences du secteur dans lequel elles sont intégrées, ce qui provoque des situations de monopole artificiel qui permet un renchérissement du coût de la prestation proposée et une opacification du marché. Les méthodes utilisées sont pour une partie celles de l'intimidation et de la violence. Il est aussi possible voire aisé, pour les entreprises légales criminelles, de provoquer le dépôt de bilan leurs concurrents avec la proposition de services à des prix qui cassent le marché : la manne de l'argent sale peut participer à rémunérer les employés qui proposent le même service que leurs concurrents à un moindre prix. Le ciblage de secteurs où le niveau de formation est réduit ainsi que le recours au travail dissimulé favorise cette pratique.
La contamination de l'économie légale par des entreprises liées à la criminalité organisée crée donc, outre un marchepied pour pérenniser le blanchiment de proximité, de fortes frictions économiques qui mettent à mal les secteurs concernés.
4. Le rôle clé des autorités pour empêcher, en amont, la formation d'entreprises « légales criminelles125(*) »
La difficulté consiste, pour les services administratifs et de contrôle, à empêcher en amont la formation des entreprises « légales criminelles ». En effet, on constate qu'il est difficile, une fois que de telles entreprises sont intégrées au marché, de les repérer efficacement. En outre, les externalités négatives qu'elles produisent, sur les plans économique et social, s'accentuent avec le temps, à mesure que le secteur concerné est désorganisé et perd en capacité de production.
Il convient donc, pour lutter efficacement contre l'interpénétration de l'économie légale et de l'économie criminelle, de favoriser une action des services en amont, pour empêcher la création de ces entités. La régulation du secteur des jeux de hasard, de ce point de vue, semble bien fonctionner.
L'exemple de la régulation ex ante des points de vente de jeux de hasard
Le service central des courses et jeux (SCCJ) de la police judiciaire a la responsabilité d'accorder les autorisations pour tous les demandeurs d'exploitation des points de vente de la Française des Jeux et du Pari mutuel urbain (PMU).
Les contrôles réalisés permettent de prévenir l'acquisition de ces points de vente par des organisations criminelles. En amont de l'autorisation, le service réalise une enquête administrative sur le demandeur ainsi que sur les fonds destinés à financer l'acquisition du commerce. L'objectif est ainsi double : repérer les falsifications éventuelles d'identité et réduire le blanchiment permis par la prise de possession du point de vente.
Par exemple, lorsqu'un particulier présente un plan de financement dans lequel les donations d'un tiers sont d'un montant supérieur à celui du plan de crédit ou du crédit bancaire obtenu, il est probable que le demandeur ne soit pas le vrai propriétaire du point de vente. L'enquête peut alors aboutir au refus de la demande d'acquisition, en particulier si le donateur est connu des services de police.
En 2024, 10 439 enquêtes administratives relatives aux demandes d'agrément ont eu lieu, ciblant 14 539 personnes. Il s'agit donc d'un travail de grande ampleur mais qui connait des limites. En particulier, le temps laissé aux services pour mener à bien certaines enquêtes sur l'origine des fonds n'est pas toujours suffisant. Il a été signalé à la commission d'enquête que des cabinets d'avocat dédiés permettent à des organisations criminelles de monter des dossiers qui ont une apparence parfaitement légale : les services d'enquête ont ainsi besoin de temps pour réussir à mener à bien leurs investigations.
Malgré cette vigilance en amont, des points de vente agréés tombent aux mains d'organisations criminelles. Il revient alors au service de suspendre et de retirer les autorisations d'exploitation lorsque des dysfonctionnements sont constatés.
Source : auditions de la commission d'enquête
Cet exemple illustre que la priorité est de dissuader autant que faire se peut et au plus tôt les organisations criminelles, en amont, de prendre le contrôle d'entreprises, dans la mesure où plus l'économie est gangrénée par la présence d'entreprises légales criminelles, plus il est difficile de rétablir un marché fonctionnel.
Il faut bien admettre que les services dédiés au contrôle en amont des changements de propriétaires d'entreprises font face à des injonctions contradictoires : ils doivent repérer les tentatives des criminels, tout en faisant en sorte que leur travail ne ralentisse pas l'activité économique. Or, comme le montre l'exemple du secteur des points de vente de jeux de hasard, on constate une montée en gamme des organisations criminelles, qui gagnent en compétence pour maquiller l'origine des fonds, le voleur court toujours plus vite que le gendarme.
Les secteurs les plus ciblés par la criminalité organisée sont néanmoins des activités souvent peu propices à l'innovation et donc peu soumises à une nécessité de fluidité des capitaux très forte : un petit commerce, un point de vente de jeux d'argent ou une entreprise de travaux sert souvent une clientèle locale et captive et n'est pas véritablement exposé à une course à l'innovation ou à une concurrence mondialisée. Il serait par conséquent possible de mieux contrôler les reprises d'entreprises dans certains domaines propices au recyclage des fonds de la criminalité organisée.
Recommandation de la commission d'enquête : rendre systématique la vérification de l'origine des fonds avant la reprise d'une entreprise, en particulier dans les secteurs ciblés par les investissements de la criminalité organisée.
B. ASSEOIR UNE EMPRISE : VERS LA CRÉATION D'UN ÉCOSYSTÈME MAFIEUX
L'infiltration de l'économie légale par l'économie criminelle, lorsqu'elle perdure dans le temps et devient structurelle, transforme peu à peu les organisations criminelles en organisations de type mafieux. Il s'agit là, alors, d'une situation qui devient très difficile à gérer pour les autorités, d'où la nécessité d'une action en amont.
En effet, la prise de contrôle de plusieurs entreprises de proximité et le bénéfice de l'obtention de marchés publics permettent aux organisations criminelles de bâtir dans le temps une honorabilité locale et renforce leur ancrage territorial. Par l'emprise sur certaines zones stratégiques comme les ports, les aéroports et toutes les zones de transit des marchandises, ces mêmes organisations deviennent maîtresses de l'ensemble de l'activité, légale et illégale, dans un lieu donné, jusqu'à concurrencer l'État.
Les services de lutte sont alors en difficulté pour distinguer ce qui est légal de ce qui ne l'est pas et à rétablir un fonctionnement habituel de l'économie, qui est fortement pénalisée par le développement de ces phénomènes.
Ce phénomène d'enracinement en profondeur des organisations mafieuses est bien connu en Italie, où de nombreux travaux ont été entrepris et où la législation a tenté de répondre à ces questions d'intrications entre sphère légale et sphère criminelle.
Néanmoins, les auditions de la commission d'enquête conduisent à penser que la France semble sur une pente qui, dans certains territoires, peut mener à l'établissement d'une criminalité mafieuse. C'est le cas par exemple de la Corse, ce qui justifie le maintien d'un pôle économique et financier à Bastia, au sein de la police judiciaire. La chercheuse Clotilde Champeyrache, lors de son audition par la commission d'enquête, indiquait ainsi qu'en Corse « le nombre de centres commerciaux semble dépasser les capacités de consommation de la population » et n'hésitait pas à parler de « mafisation » de la France.
1. Le triomphe de l'apparence : la recherche d'une honorabilité locale par l'investissement légal
La justification du déploiement de l'entreprise non plus légale criminelle, mais légale mafieuse, est de permettre en premier chef à ses possesseurs, habituellement connus pour leurs activités illégales, de gagner une honorabilité locale.
Les criminels cherchent à obtenir l'adhésion et l'inféodation de leur entourage local et de leurs proches. Corinne Simon, préfète déléguée auprès du préfet de police des Bouches-du-Rhône, indique ainsi que les créations de société ayant une vitrine légale, comme des studios de rap ou des sociétés de sécurité privée, sont des outils que se donnent les criminels pour permettre l'emploi de certains membres de leur entourage.
Cette quête d'honorabilité ne doit cependant pas faire perdre de vue que l'intégration des organisations criminelles dans l'économie légale n'a pas pour conséquence la fin de l'activité illégale. Au contraire, il s'agit du développement d'une assise qui permet à l'enrichissement accéléré par des pratiques contraires au droit de se perpétuer tout en gagnant une image d'entrepreneur ordinaire.
Le développement de logiques d'assujettissement local doit interpeler les services d'enquête. En particulier, la surveillance des marchés publics et des entreprises qui répondent aux appels d'offre doit être renforcée : il s'agit du marchepied idéal pour les entreprises légales mafieuses. En effet, l'obtention d'un marché public permet de légitimer l'entreprise dans un écosystème local tout en facilitant le blanchiment de l'argent de l'organisation criminelle qui la détient.
Le phénomène de « mafisation » à l'oeuvre repose ainsi sur cette logique de normalisation du produit des activités criminelles et de l'activité des délinquants. Ces derniers affirment leur pouvoir non seulement par le biais de la contrainte et de la violence mais se déploient par une prise de pouvoir sur l'économie privée comme publique.
2. Le détournement du droit de propriété et ses conséquences sur le fonctionnement de l'économie
La prise de pouvoir sur l'économie des organisations criminelles tend à être présentée, en théorie économique, comme neutre pour le fonctionnement du marché.
La thèse défendue en 2001126(*) par Clotilde Champeyrache montre au contraire comment, théoriquement comme empiriquement, les processus d'infiltration mafieuse de l'économie invalident l'idée d'une neutralité des droits de propriétés.
Cette analyse, partagée avec la commission d'enquête, montre à quel point il est clé pour les autorités d'agir en amont de l'entrée des criminels sur les marchés légaux. Cela permet d'éviter des phénomènes de création de monopoles artificiels, de captation des ressources publiques ou encore de développement d'intermédiaires néfastes au bon fonctionnement du marché par les organisations criminelles.
3. La prise de contrôle géographique de certains lieux clés
Les organisations criminelles, dans une logique de pérennisation de leurs activités, cherchent à prendre le contrôle géographique de lieux clés de la même façon qu'elles cherchent à prendre possession ou à créer des entreprises légales.
En effet, la mainmise territoriale permet, peu à peu, de faire muter l'organisation en une véritable mafia, stade ultime de l'hybridation entre la criminalité et la domination économico-institutionnelle. Rares sont les organisations qui parviennent à atteindre cet état, et la France en est jusqu'à présent relativement épargnée. Néanmoins, la tendance est favorable à l'installation d'une domination territoriale de certains groupes criminels.
Deux principaux types de lieux sont pris pour cible par les organisations, dans une double logique d'honorabilité et de pérennisation de leur activité illégale.
En premier lieu, les organisations criminelles sont en quête d'honorabilité locale, afin que la violence ne soit plus nécessaire à leur domination sur les lieux de trafics illégaux. Les organisations rachètent des commerces, parfois après intimidation des propriétaires, en ciblant les activités intensives en main-d'oeuvre afin de maximiser le nombre de personnes qui dépendent économiquement de l'organisation criminelle.
Le gain de territoire se fait notamment par la croissance des affaires de racket. L'audition de Frédéric Malon, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance spécialisée à la direction nationale de la police judiciaire, indique ainsi qu'à Marseille, la DZ Mafia élargit son périmètre peu à peu en agissant par le racket de boîtes de nuit, de bars ou de certains commerces. Les propriétaires voient alors d'un oeil favorable la proposition qui leur est faite de rachat. À force d'intimidation, il devient préférable pour les citoyens honnêtes d'accepter de rentrer dans la logique de domination territoriale pour éviter le racket. On voit ici l'illustration de l'échec du marché, seul, à faire obstacle à l'entrée de la criminalité organisée dans l'économie légale.
En second lieu, les organisations criminelles visent des zones de transit particulièrement sensibles pour les marchandises qu'elles vendent, importent ou exportent.
Les points de passage aux frontières (PPF) sont ainsi particulièrement visés. La France, qui en possède 123, soit 50 % des PPF de l'espace Schengen, est surdotée de petits aéroports ouverts au trafic international par rapport aux autres pays européens. Comme l'indiquait Florian Colas, directeur général des douanes et droits indirects, lors de son audition devant la commission d'enquête, il s'agit d'un défi opérationnel pour les équipes qui, souvent, ne sont pas localisées dans ces petits aéroports. Il faut, pour réaliser un contrôle, le déplacement de l'équipe de douane la plus proche.
Exemple de vols réguliers internationaux dans certains aéroports français
Aéroport |
Exemples de vols internationaux réguliers |
Bergerac Dordogne Périgord |
Rotterdam, Londres, Porto |
Dole |
Marrakech, Fez, Porto |
Metz-Nancy Lorraine |
Héraklion, Alger, Casablanca, Constantine, Oran |
Brest |
Dublin, Londres, Porto, Barcelone, Rome, Palerme, Athènes, Héraklion, Marrakech, Agadir |
Figari |
Francfort, Bruxelles, Londres, Milan, Genève |
Source : commission d'enquête, données issues des sites internet des aéroports présentés
Les criminels ont parfaitement intégré la difficulté pour les services de l'État de maintenir une vigilance constante sur l'ensemble des PPF. Outre les aéroports, les ports sont aussi la cible des criminels, qui utilisent notamment le moyen de la corruption pour obtenir l'accès à des terminaux, le passage sans contrôle de conteneurs ou d'autres contreparties. Face à ces menaces, l'Agence française anticorruption (AFA), créée par la loi Sapin II127(*), a mené un travail de fond sur les ports qui devrait être publié au début du mois de juillet 2025.
Par ailleurs de grandes quantités de produits illicites transitent par les grands ports des Pays-Bas et de la Belgique, dont les installations portuaires présentent des failles dans les procédures de contrôle. Il est ainsi louable que la France mène un travail de fond sur le sujet, d'autant que l'emprise criminelle y est probablement forte. Le port de Marseille, en février 2025, a ainsi mis en ligne un communiqué de presse128(*) indiquant que les conclusions de l'AFA permettraient au port de se mettre en conformité pleine avec la loi Sapin II. Le communiqué indique que « l'année 2025 s'annonce chargée mais essentielle pour renforcer la conformité du Grand port maritime de Marseille » : cela semble prouver, avant même que les conclusions soient rendues, que les marges de progression sont importantes.
4. La nécessité de nommer, repérer et agir en amont contre les entreprises « légales-mafieuses129(*) »
La difficulté principale face au phénomène d'emprise mafieuse sur des territoires tient à ce qu'une fois intégrée à l'économie locale, l'organisation criminelle devient de moins en moins détectable.
Par conséquent, la commission d'enquête rappelle à quel point il est nécessaire de lutter en amont contre la prise de contrôle des entreprises par les organisations criminelles. La tendance à la sous-estimation de la menace est en effet réelle. Il peut être aisé de croire que la présence des organisations criminelles dans l'économie légale n'est qu'une partie subsidiaire de leurs activités. Or, il s'agit bien au contraire du coeur et de l'objectif final de leur action. La prise en main d'une partie de l'économie permet de pérenniser le parasitisme de l'activité légale par les organisations criminelles tout en leur assurant la pérennité des trafics illégaux.
C. MAINTENIR ET ACCENTUER LE CONTRÔLE SUR L'ÉCONOMIE : LA DURABILITÉ DE L'ENTREPRISE MAFIEUSE REPOSE SUR LA GÉNÉRALISATION DES ATTEINTES À LA PROBITÉ
1. Les atteintes à la probité, dont la corruption est la forme la plus courante, constituent souvent l'origine de l'intégration des criminels dans l'économie légale
La France s'est dotée de définitions juridiques de six délits d'atteintes à la probité, définis dans le code pénal au titre III - Des atteintes à l'autorité de l'État - du livre IV - Des crimes et délits contre la nation, l'État et la paix publique : la corruption, le trafic d'influence, la concussion, le favoritisme, la prise illégale d'intérêts et le détournement de fonds publics. Ces différents délits correspondent à la compétence matérielle de l'Agence française anticorruption (AFA)130(*).
Représentation et définition des
différentes atteintes à la probité
entrant dans le
champ de compétence de l'AFA
Source : commission d'enquête, données AFA
L'usage d'atteintes à la probité est, au stade avancé de la pénétration des criminels dans l'économie légale, le moyen le plus efficace de faire perdurer et de renforcer leur présence. Les groupes criminels en usent tout au long du processus de prise de pouvoir sur un marché et notamment aux premiers stades d'entrée sur un marché.
La corruption est particulièrement prisée pour son efficacité et la facilité de mise en oeuvre de ses schémas.
Répartition des condamnations pour atteintes à la probité par type d'infractions pour 504 décisions de justice en 2021 et 2022
Source : commission d'enquête, données AFA et ministère de la justice
La définition de la corruption retenue dans les atteintes à la probité qui relèvent du champ matériel de l'AFA ne concerne que les agents publics. Néanmoins, la corruption peut être privée ou publique et repose sur un même schéma : l'octroi d'un avantage quelconque à une personne en échange de l'accomplissement ou du non accomplissement par cette dernière d'un acte qui relève de sa fonction.
Le droit français distingue deux cas :
- la corruption active, qui réprime le fait de proposer à une personne un avantage en échange de l'accomplissement ou non d'une action ;
- la corruption passive, qui réprime le fait d'accepter une proposition d'avantage en échange de l'accomplissement ou non d'une action.
Dans les faits, il arrive souvent que la distinction ne soit pas aisée à effectuer : la notion de « pacte de corruption » est alors employée par le juge pour indiquer que les deux parties prenantes consentaient, ensemble, à nouer un accord à l'encontre de la probité.
La corruption, active et passive, des personnes n'exerçant pas de fonction publique est définie aux articles 445-1 à 445- 2-1 du code pénal et est réprimée par cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction.
La corruption des personnes exerçant une fonction publique est plus lourdement réprimée : dix ans d'emprisonnement et une amende d'1 million d'euros, sans distinction entre la corruption passive - article 431-11 du code pénal - et la corruption active - article 433-1 du code pénal.
L'obtention de marchés publics, qui constitue un moyen privilégié d'entrée dans la sphère légale pour les organisations criminelles, fonctionne souvent par la corruption des fonctionnaires décisionnaires. La commission québécoise131(*) mentionnée plus haut estimait ainsi qu'entre 2000 et 2005, près de 97 % des contrats de constructions attribués par la ville de Montréal avaient été artificiellement gonflés et octroyés à des entreprises amies, en échange de quoi l'un des fonctionnaires décisionnaires bénéficiait d'une commission de 0,5 % à 1 % du montant.
La corruption apparaît ainsi comme le moyen le plus direct pour les entreprises légales criminelles d'intégrer des marchés publics et est l'infraction la plus courante parmi les atteintes à la probité définies en droit français. On constate cependant l'existence de nombreux autres schémas d'atteinte à la probité qui permettent à des entreprises légales criminelles de pénétrer l'économie. Ces atteintes concernent autant des agents privés que des agents publics.
2. La pérennité des activités légales criminelles dépend de l'efficacité du système d'atteinte à la probité mis en oeuvre
Si les atteintes à la probité sont fortement utilisées pour l'intégration des entreprises légales criminelles sur les marchés, il n'en demeure pas moins que la pérennisation de leur action repose sur le déploiement dans le long terme d'une stratégie de corruption - au sens étymologique132(*) - des liens économiques, juridiques et sociaux à leur profit.
a) Un phénomène difficile à repérer et quantifier, en hausse en France
La difficulté principale de la lutte contre les atteintes à la probité et la corruption réside dans le fait que ce phénomène reste par définition difficile à repérer et quantifier précisément, justement parce qu'il est conçu pour demeurer caché.
La France, avec la création de l'AFA en 2016, a franchi un cap dans la prise de conscience de la nécessité de documenter les atteintes à la probité pour mieux repérer les risques. Néanmoins, comme le rappelait Fabrice Arfi lors de son audition devant la commission d'enquête, « peu d'études précises, notamment universitaires, sont menées en France sur le coût de la corruption, à l'inverse d'autres pays. On s'y intéresse aux États-Unis depuis la crise de 1929 ».
Or, les atteintes à la probité enregistrées par la police ou la gendarmerie sont en hausse depuis 2016 et ont bondi, en 2024, de 8,2 %. Il s'agit donc d'un sujet préoccupant pour le pays.
Évolution du nombre d'infractions d'atteinte à la probité entre 2016 et 2024
Source : commission d'enquête, Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), base statistique des infractions enregistrées ou élucidées par la police et la gendarmerie de 2016 à 2024
En lien avec cette hausse et certainement avec la médiatisation de certaines affaires de corruption, mais aussi en lien avec l'incertitude économique et les difficultés budgétaires de la France, le pays a régressé dans l'indice de perception de la corruption en 2024 publié par Transparency International. La France atteint la 25ème position, dix rangs derrière l'Allemagne, et perd 5 rangs.
Le renforcement de la documentation de la corruption pourrait être en partie responsable de ce ressenti français d'une augmentation du phénomène. Les rapports annuels de l'AFA, mais aussi un travail réalisé par l'OCLCIFF133(*) en 2024, montrent que les enjeux de détection sont absolument clé pour lutter efficacement contre la corruption.
Les principaux constats de l'état des lieux de la corruption liée au crime organisé réalisé par l'OCLCIFF en 2024
Le travail réalisé s'est fondé sur la réalisation d'un état des lieux du traitement des enquêtes sur la corruption en France, tant en termes de stock que de mode opératoire. L'objectif était de dresser un tableau d'ensemble des infractions portant atteinte à la probité en cherchant à éviter le biais cognitif consistant à considérer qu'elles sont toutes liées à la criminalité organisée.
Trois constats principaux ont été portés à la connaissance de la commission d'enquête :
- la détection de la corruption est un enjeu fondamental sur lequel les services doivent progresser, aidés des lanceurs d'alerte. La corruption est en effet par essence un contrat secret qui n'est révélé qu'en cas d'accident ou de rétractation d'une des parties du pacte corruptif ;
- certains « champs vides », sur lesquels les services manquent d'information, demeurent : la corruption dans le secteur privé est ainsi trop peu documentée ;
- il apparaît nécessaire d'accroître l'activité des services d'enquête sur ce champ très spécifique de la corruption liée à la criminalité organisée, dans la mesure où il s'agit d'un des moyens de pérennisation des activités criminelles les plus efficaces.
Source : auditions de la commission d'enquête
Lors de son audition, Charlotte Palmieri134(*) indiquait que 70 % des affaires de corruption impliquaient des sociétés qui sont détenues de manière anonyme. La difficulté pour les enquêteurs réside alors dans l'impossibilité, dans de nombreux cas, de remonter jusqu'au véritable propriétaire.
b) Un processus efficace et vital pour pérenniser l'action des groupes criminels
Le déploiement de stratégies de corruption par les organisations criminelles est vital pour l'enracinement dans la durée de leurs activités, en particulier leur hybridation avec l'économie légale.
Les auditions menées par la commission d'enquête ont confirmé ce constat. Comme l'indique Chantal Cutajar, maître de conférences à l'université de Strasbourg, spécialiste en prévention et répression de la criminalité organisée, « les organisations acquièrent l'influence politique par la corruption d'élus et de fonctionnaires, ce qui leur permet d'avoir un accès privilégié aux marchés publics, de s'assurer une protection judiciaire et de peser sur les décisions gouvernementales ».
Les travaux d'Europol de décembre 2024135(*) montrent à quel point la pénétration des marchés légaux permet aux organisations criminelles d'obtenir une couverture pour pratiquer la corruption : les relations économiques que créent les entreprises légales criminelles permettent d'établir un lien direct entre les autorités de régulation et les organisations criminelles.
Le même rapport indiquait que 86 % des réseaux criminels européens les plus dangereux avaient recours à des sociétés légales à des fins de blanchiment et de pénétration du système économique. Comme l'indiquait une personne auditionnée par la commission d'enquête, « en France, la criminalité financière n'est pas marginalisée, secrète, lointaine : elle est intégrée à notre économie, à notre société ». Selon lui, la corruption, lorsqu'elle se généralise, transforme le corps social en une « société de complices ».
Le Parquet national financier (PNF) fait le constat de l'aspect stratégique, pour les groupes criminels, de bénéficier de réseaux de corruption étendus et efficaces. Jean-François Bonhert, procureur de la République financier, indiquait ainsi que les méthodes étaient très diversifiées mais concouraient à un même but d'emprise sur les marchés légaux. Ainsi, le PNF a pu documenter :
- la corruption d'agents publics de haut niveau, par exemple un responsable d'Interpol à Lyon qui avait été corrompu pour neutraliser des notices rouges de personnes liées au crime organisé ;
- la corruption d'agents privés pour obtenir des informations financières privilégiées permettant l'investissement en bourse de sommes issus d'activités criminelles ;
- la corruption de basse intensité de certains fonctionnaires, par exemple dans les prisons, qui permettent aux détenus d'obtenir des téléphones portables en soudoyant des gardiens.
L'ensemble de ces exemples révèle à quel point la corruption et les atteintes à la probité sont structurels de l'activité des groupes criminels. Comme le rapportait Patrick Lefas, président de Transparency International France, 60 % des réseaux criminels opérants dans l'Union européenne utilisent des méthodes de corruption pour atteindre leurs objectifs illicites.
3. Les conséquences multiformes des atteintes à la probité et de la corruption
On peine à dresser un état des lieux des faits de corruption et des atteintes à la probité, par essences dissimulés, et de leurs conséquences difficilement quantifiables.
Pourtant, les effets de ces infractions impactent plusieurs domaines, notamment l'économie, le lien social et les rapports entre les citoyens et les institutions. C'est sans doute en lien avec ce dernier point que la France a régressé dans l'indice de perception de la corruption en 2024 publié par Transparency International et atteint le 25ème rang.
a) Un dérèglement et une perte de fluidité de l'économie
Le travail sur le coût de la corruption pour l'économie est difficile à effectuer. Il n'empêche que les travaux sur le sujet tendent vers la même conclusion d'un ralentissement de l'activité et d'une perte de confiance dans les liens entre les acteurs.
Une enquête de Transparency international France est en cours auprès d'associations de consommateurs pour interroger le coût de la corruption et tenter de mieux documenter cette question.
Comme on l'a vu, un premier dérèglement de l'économie lié à la corruption est la perte de la notion de prix juste. Qu'il s'agisse d'un gonflement de facture ou du versement de pots-de-vin, la conséquence est la même : la corruption engendre des coûts supplémentaires pour une même prestation, ce qui empêche d'en connaître la valeur réelle.
Dans les marchés publics, un deuxième dérèglement consécutif à la corruption est la tentation, pour les entreprises bénéficiaires de ces marchés par voie corruptive, de réduire la qualité des travaux rendus. En effet, une entreprises légale criminelle qui obtient grâce à une action de corruption un marché public n'est pas incitée à répondre à la commande qui lui a été faite de façon qualitative. Il en ressort un coût supplémentaire lié aux malfaçons, mais aussi une dangerosité accrue pour les utilisateurs.
Enfin, la corruption implique la multiplication des intermédiaires et des obstacles et tend à réduire les investissements dans l'innovation ou la recherche, les fonds éventuellement consacrés à cet effet sont provisionnés à d'autres fins, et notamment pour avoir accès au marché.
b) Le creusement des inégalités sociales
Malgré la difficulté à obtenir des données fiables, il apparaît que les effets de la corruption sur l'économie tendent à avoir comme effet collatéral l'accroissement des inégalités sociales.
L'Italie, qui souffre d'une interpénétration très profonde de son économie par la mafia dans le Sud, est ainsi un exemple parlant des effets de la corruption sur le développement économique : en 2017, le PIB par habitant des cinq régions d'Italie méridionale représentait 78 % de la moyenne de l'Union européenne, quand les groupes de régions du centre, du nord-est et du nord-ouest atteignaient respectivement 109 %, 128 % et 129 % de cette moyenne. Le sous-développement, dans un contexte mafieux, implique en outre une captation très forte des richesses par les organisations criminelles, ce qui renforce les inégalités sociales.
PIB par habitant dans plusieurs groupements de
région en Italie en 2017
et moyenne dans l'Union
européenne
Source : commission d'enquête, données Commission européenne
L'audition par la commission d'enquête de Patrick Lefas, président de Transparency International France, a permis de rappeler que la corruption, dans le cadre de la prédation des ressources naturelles, menait un accroissement des inégalités : les personnes les plus pauvres sont aussi les plus vulnérables à l'accaparement de ressources naturelles. Patrick Lefas mentionnait qu'une enquête de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) avait montré que la corruption était un facteur-clé dans 75 % des cas de déforestation illégale qui affectent la biodiversité. Les populations qui subissent la captation des ressources naturelles se voient déclassées économiquement et dépossédées de leurs moyens de subsistance par les corrupteurs.
c) La perte d'efficacité de l'action publique et l'affaissement de la confiance dans les institutions
Le troisième domaine dans lequel la corruption a des conséquences directes est l'affaissement de la confiance dans les institutions et dans l'action publique.
En France, l'indice de perception de la corruption est haut, particulièrement en 2024, signe d'une rupture de confiance assumée avec les responsables politiques. Les résultats du baromètre du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) publiés le 11 février 2025136(*) sont à ce titre très marquants : 74 % des Français interrogés indiquent ne pas avoir confiance dans la politique et la même proportion estime que le personnel politique est corrompu. En guise de comparaison, en Allemagne, seul 49 % de la population estime que le personnel politique est corrompu.
La répétition d'affaires de corruption, la hausse de la détection et du nombre d'atteintes à la probité attise ainsi le climat de défiance des citoyens envers le système institutionnel et la classe politique. La perception des relations entre les secteurs public et privé est aussi entachée d'une méfiance : dans un climat corruptif, il devient suspect d'obtenir un avantage issu d'une autorité publique. En particulier, dans le contexte budgétaire contraint, l'obtention d'arbitrages favorables pour un marché public ou une subvention peut donner l'impression que cela résulte d'une action de corruption.
4. La nécessité de renforcer les mesures de lutte contre les atteintes à la probité et anticorruption
a) Le développement d'une approche par les risques
Le travail de l'Agence française anticorruption (AFA), depuis 2016, permet de cartographier les risques auxquels les organisations font face dans le domaine de l'atteinte à la probité. Il en ressort des tendances qui permettent d'orienter la vigilance des services d'enquête.
(1) L'analyse géographique fait ressortir une spécificité des territoires insulaires face à la corruption
La publication par l'AFA et le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) de l'analyse des atteintes à la probité enregistrées par les services de sécurité en 2024137(*) fait apparaître une tendance marquée des différentes îles du territoire français à subir plus fortement les atteintes à la probité.
En Corse, ceci est lié à la structure presque mafieuse du fonctionnement du territoire : la défiance envers les institutions y est importante et la criminalité organisée est fortement hybridée avec l'activité légale. Il en ressort un nombre moyen d'infractions d'atteinte à la probité, entre 2016 et 2024, de plus de 6,3 pour 100 000 habitants dans les deux départements de Corse, contre 2,3 à Paris et une moyenne dans le pays à moins de 1,1.
Nombre moyen d'infractions d'atteinte à la probité par an pour 100 000 habitants entre 2016 et 2024
Source : Sources : Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), bases des crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie entre 2016 et 2024. Base 2024 provisoire ; Insee, populations légales (recensement de la population : 2020 pour France Métropolitaine et les DROM hors Mayotte, 2017 pour Mayotte, 2022 pour la Polynésie Française, 2018 pour Wallis-et-Futuna et 2019 pour les autres COM)
Les territoires insulaires d'outre-mer sont de même particulièrement touchés par les atteintes à la probité. Les milieux insulaires sont plus vulnérables à ces problématiques, du fait d'un écosystème économique plus propice aux schémas monopolistiques et de caractéristiques sociologiques spécifiques.
Les grands pôles économiques comme les agglomérations parisienne ou marseillaise sont aussi plus fortement exposés.
(2) La vulnérabilité de certains employés du secteur privé
Plusieurs auditions de la commission d'enquête ont fait ressortir l'existence de différents profils d'employés, dans le secteur privé, qui faisaient face à des risques plus grands de corruption et d'atteinte à la probité. Ces derniers sont ciblés en raison de leur jeunesse ou en raison des fonctions qu'ils occupent malgré leur faible niveau hiérarchique.
Ainsi, Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF), faisait état d'une recrudescence des tentatives de corruption auprès de jeunes collaborateurs dans des métiers de la finance. Ainsi, les jeunes avocats d'affaires, les juniors des banques d'investissement ou des cabinets d'audit, relativement moins bien rémunérés, peuvent être sollicités par des personnes qui veulent obtenir des informations confidentielles. Il s'agit alors de cas de corruption en vue de la commission d'un délit d'initié, par exemple pour l'investissement en bourse d'avoirs criminels.
Les auditions de la direction générale des douanes et des droits indirects ou celle du préfet de police de Paris insistaient aussi sur la corruption des employés de banque. Ces derniers sont particulièrement exposés car ils ont la capacité d'ouvrir des comptes ou de consentir des prêts, parfois uniquement pour des motifs d'enrichissement personnel. Selon Laurent Nuñez, ces employés prêtent assistance aux réseaux de criminalité organisée dans un cas sur cinq. La latitude laissée par la hiérarchie est propice à ce genre de pratiques qui favorise la corruption des agents, voire leur facilite la tâche lorsqu'ils sont complices de circuits de blanchiment.
(3) Le risque est différencié selon les échelons de la sphère publique
Au niveau de la sphère publique, le travail de l'AFA138(*) permet de cartographier de façon assez précise la localisation des risques. Il apparaît que les collectivités territoriales concentrent plus de la moitié des décisions de justice relatives aux atteintes à la probité impliquant le secteur public.
Répartition des affaires par type d'employeur dans le secteur public
Note : les résultats se fondent sur l'analyse de 504 décisions de justice de première instance des années 2021 et 2022 transmises à l'AFA par les juridictions pénales et relatives aux infractions d'atteintes à la probité. Au sein de l'échantillon étudié, 51,6 % des décisions concernent le secteur public.
Source : commission d'enquête, données AFA
Le bloc communal est ainsi le premier touché par les atteintes à la probité - 41,3 % des affaires - puis les départements et enfin les régions. Ceci est paradoxal car c'est dans le bloc communal que les Français conservent la plus grande confiance139(*).
Au sein de l'État, ce sont les services qui assurent des fonctions régaliennes qui sont les plus touchés : forces de sécurité intérieure, justice, finances publiques notamment. Les administrations déconcentrées n'échappent pas à ce fléau.
Des exemples de faits d'atteintes à la probité dans les fonctions régaliennes de l'État qui montrent la nécessité de renforcer la prévention
Le Parquet national financier remarque, dans certains cabinets d'instruction, des retards suspects et répétés dans le traitement des dossiers, notamment les demandes de mise en liberté. Ces retards peuvent entraîner des libérations d'office.
Ces situations demandent une attention particulière et poussent à la réflexion. En effet, les personnels concernés sont en général rémunérés à des niveaux relativement modestes. Par conséquent, un pot-de-vin de quelques centaines d'euros peut être tentant pour eux. Le PNF commence à s'y intéresser fortement, dans le cadre d'un effort global de lutte contre le crime organisé qui implique une vigilance jusque dans les rangs des services de lutte.
Dans un autre domaine, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, rappelait que des agents, même dans les services les plus intègres, peuvent être soumis à la corruption. Ainsi, un agent de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a été, en 2017 ou 2018, été arrêté pour revente d'informations inscrites sur les fichiers du service à des groupes criminels. Ces derniers avaient pu, grâce à cette transaction, commettre des faits extrêmement graves.
Si ces cas sont rares, le risque existe toujours demande une attention constante. Plus les réseaux prennent de l'importance et plus ils ont les moyens et un intérêt à corrompre des agents, même à un haut niveau hiérarchique, pour obtenir des informations ou éviter des contrôles.
Source : auditions de la commission d'enquête
Le type d'infraction diffère en outre selon le type d'employeur dans la fonction publique. L'AFA indique ainsi que les faits de favoritisme, de prise illégale d'intérêt et de détournement de bien public sont surreprésentés parmi les atteintes à la probité du bloc communal. Les faits de corruption sont en revanche plus prégnants dans les administrations de l'État.
b) Développer une culture de la prévention et accroître la formation
La loi Sapin II, en son article 17, a considérablement modifié l'approche française face à la corruption, en assujettissant un nombre important d'acteurs à des obligations de mesures internes de lutte contre la corruption. Sont ainsi concernées :
- les sociétés employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l'effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros ;
- les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe public dont l'effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d'affaires ou le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions d'euros.
Les obligations reposent sur trois piliers140(*) :
- l'engagement de l'instance dirigeante, qui devient responsable de la mise en oeuvre ou de la délégation à un responsable de la conformité anticorruption ;
- la cartographie des risques qui doit être mise à jour, opérationnelle et adaptée à l'ensemble des métiers des acteurs concernés ;
- la gestion des risques, avec un code de conduite à tenir qui liste, en fonction des situations, les comportements à proscrire et les dispositifs d'alerte interne.
Les acteurs assujettis peuvent être contrôlés par l'AFA. Pour les sociétés, ces contrôles portent à la fois sur la société mère, ses filiales et les sociétés qu'elle contrôle. En cas de manquement, l'AFA peut adresser un avertissement aux dirigeants, ou bien saisir la commission des sanctions pour enjoindre les dirigeants à se conformer, voire infliger une sanction pécuniaire.
Plusieurs travaux ont montré que cet article 17 était cependant insuffisant.
Comme le montre Marc Segonds, professeur à l'Université Toulouse Capitole, spécialiste en droit privé et sciences criminelles entendu par la commission d'enquête, le champ d'assujettissement de l'article est assez arbitraire. Plusieurs travaux antérieurs ont ainsi été faits sur le sujet, auquel la commission d'enquête se joint :
- une mission d'information de l'Assemblée nationale141(*) sur la mise en oeuvre de la loi Sapin II ;
- des recommandations142(*) de chercheurs de la Chaire de droit des contrats publics de l'université Jean Moulin Lyon 3 et de l'Observatoire de l'éthique publique en septembre 2023.
Ces travaux soulignent deux lacunes de cet article : d'une part, l'assujettissement uniquement des filiales dont la société mère a son siège en France, alors que l'ensemble des filiales de groupes internationaux devraient y être soumises ; d'autre part, qu'il serait pertinent d'élargir le champ d'assujettissement au-delà des seuils prévus. Les entreprises non assujetties ne sont que 50 % à s'être dotées d'un dispositif de prévention, contre 95 % pour les entreprises assujetties.
La révision des seuils pourrait renvoyer à un décret certaines modalités d'assujettissement de plus petites structures en fonction de leur secteur d'activité, de leur exposition aux risques et de leur taille.
La commission d'enquête salue en outre le projet de directive européenne143(*) en cours de négociation entre les institutions européennes. Son article 3 promeut une approche préventive de la corruption et notamment des activités de sensibilisation et la rédaction d'une évaluation nationale des risques par les États membres. La France, dont le dernier plan national pluriannuel de lutte contre la corruption date de 2022, doit ainsi se doter rapidement de son prochain plain, qui devait courir les années 2024 à 2027.
Recommandation de la commission d'enquête :
- pour mieux lutter contre la corruption, diminuer les seuils de nombre de salariés et de chiffre d'affaires prévus par l'article 17 de la loi Sapin II et revenir sur la condition tenant à la localisation en France du siège social de la société mère afin d'assujettir un plus grand nombre d'acteurs aux obligations de lutte contre les atteintes à la probité ;
- publier le Plan national de lutte contre la corruption pour les prochaines années dans les plus brefs délais, afin de favoriser le développement des réflexes de prévention dans toutes les organisations, et associer les élus et les associations en charge de la lutte contre la corruption à son élaboration et à sa mise en place.
Recommandation de la commission d'enquête : alourdir les peines encourues en matière de corruption privée.
Les auditions de la commission d'enquête ont fait valoir la nécessité de renforcer et de clarifier les obligations de formation pour les personnes exposées à la corruption et aux atteintes à la probité.
Le Directeur général de la police national, Louis Laugier, rappelait ainsi que « des rappels relatifs à la déontologie sont à effectuer dès la formation initiale, puis dans le cadre de la formation continue ». La question du management est aussi clé : les jeunes agents, les agents isolés ou ceux laissés très longtemps sur un même poste sont les plus exposés aux risques.
Marc Segonds, dont l'activité de consultant le mène à constater le niveau de certaines formations dispensées dans les entreprises sur la corruption, relève que « faute de cadre réglementaire, les pratiques sont extrêmement différentes et plus ou moins sérieuses d'une entité à une autre » et que notamment, dans les établissements bancaires « la formation se résume le plus souvent à une session d'e-learning au moment de l'embauche ».
L'Agence française anticorruption (AFA) communique déjà des contenus pour les formations à réaliser, il pourrait être nécessaire de déployer une véritable certification de ces formations. Ceci est d'autant plus important que se développe un véritable marché de la formation à la conformité en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Recommandation de la commission d'enquête : exiger une habilitation pour les organismes autorisés dispenser des formations au risque d'atteinte à la probité, en s'appuyant par exemple sur les diplômes d'université (DU) et les masters déjà existants.
En outre, la commission d'enquête souhaiterait que les formations de l'AFA intègrent certaines dispositions qui lui semblent importantes à mentionner pour les entreprises et les administrations.
Recommandation de la commission d'enquête : intégrer aux formations dispensées par l'AFA les recommandations suivantes :
- le scellement des ports USB des ordinateurs professionnels ;
- le déploiement de logiciels de contrôle des ouvertures de postes de travail numérique ;
- l'exercice d'une vigilance renforcée sur la rotation des personnes dont les postes sont très exposés ;
- la diffusion des informations relatives à la protection des lanceurs d'alertes.
La commission d'enquête salue, en lien avec l'enjeu de la formation, les mesures prises par l'École nationale de la magistrature (ENM), qui permet aux magistrats qui souhaitent se spécialiser de bénéficier d'un catalogue de formation large et détaillé. Laureline Peyrefitte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, indiquait que la corruption faisait partie des sujets couverts.
c) Les ajustements possibles du volet répressif
Au plan répressif, la commission d'enquête a pu constater que de nombreux professionnels considéraient ce volet comme suffisamment adapté.
Le procureur de la République financier, faisait ainsi remarquer que les sanctions qui pouvaient être infligées, notamment par le biais des conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP), s'élevaient à bien plus que les amendes encourues en cas de renvoi classique en correctionnel. Il rappelait ainsi que Airbus s'était vu imposer « une amende de 18 milliards d'euros pour corruption d'agents publics, alors qu'un renvoi classique en correctionnel n'aurait permis qu'une amende maximale de 5 millions d'euros ».
Une partie des bénéfices des CJIP pourrait être, selon le PNF, fléché vers la formation et la fidélisation des enquêteurs financiers par un fonds de concours. En effet, la question est plutôt de permettre l'accroissement des moyens humains pour les enquêtes plutôt que des modifications législatives.
Recommandation de la commission d'enquête : créer un fonds de concours au budget de l'État, alimenté par une fraction du produit des CJIP et affecté au programme 176 « Police nationale », qui serait utilisé pour fidéliser et former des enquêteurs financiers.
En outre, plusieurs évolutions récentes ont permis ou vont permettre de rendre plus robuste l'arsenal de sanction existant.
En premier lieu, comme le rappelait Alexandra Felzines, cheffe de la plateforme d'identification des avoirs criminels (PIAC), la loi du 24 juin 2024144(*) a récemment inclus la corruption et le trafic d'influence parmi les infractions rendant possible la confiscation de tout ou partie du patrimoine. Elles rejoignent ainsi le blanchiment et d'autres d'infractions relevant de la criminalité organisée comme le trafic de stupéfiants, le trafic d'armes, la traite des êtres humains, le proxénétisme et l'association de malfaiteurs aggravée.
En second lieu, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, dont les conclusions de commission mixte paritaire ont été adoptées dans les deux chambres, a intégré l'infraction de corruption publique ou privée à l'article 706-73 du code de procédure pénal. Ceci permettra d'utiliser, dans la lutte contre la corruption, la procédure particulière applicable à la criminalité, à la délinquance organisées et aux crimes.
DEUXIÈME PARTIE :
LE DÉFI D'UNE
LUTTE REDYNAMISÉE, AGILE ET CENTRALISÉE
I. PRÉVENIR LE MAL SANS TUER LE MALADE : LES DÉFIS DE LA RÉGULATION ET DE LA SIMPLIFICATION EN AMONT
A. RÉGULER SANS ÉTRANGLER L'ÉCONOMIE : LE DISPOSITIF PRÉVENTIF DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
Plusieurs personnes auditionnées par la commission d'enquête ont mis en évidence l'importance de lutter contre les comportements frauduleux le plus précocement possible, et ce, quels que soient les schémas de fraude utilisés.
Ce constat est particulièrement vrai en ce qui concerne la lutte contre la fraude fiscale, qui a constitué de longue date un sujet d'attention du rapporteur. La complexité et la fugacité de certains schémas de fraude nécessitent une réactivité et une agilité importante des services de contrôles. Cela implique de leur donner les outils, notamment juridiques, pour accomplir leurs missions efficacement.
Or, la multiplication des scandales dévoilés dans la presse ces dernières années, tels que les Cum Ex Files, Pandora Papers, Panama Papers, montrent que, lorsqu'il s'agit de détecter les fraudeurs, l'État arrive trop souvent après la bataille. A l'heure où des efforts sont demandés aux contribuables pour rétablir les finances publiques, la lutte contre la fraude fiscale devrait pourtant constituer une priorité. Or, le rapporteur constate avec une certaine lassitude le manque de volontarisme des gouvernements successifs sur ce sujet. Les ministres qui se sont succédés au banc ces dernières années lors de l'examen au Sénat des différents projets de loi de finances se sont systématiquement montrés hermétiques aux nombreuses propositions émanant de parlementaires pour renforcer notre dispositif de lutte contre la fraude fiscale.
À titre d'exemple, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025 au Sénat, plusieurs amendements adoptés ont été, à l'initiative du Gouvernement, supprimé du texte en seconde délibération et plus particulièrement :
- un amendement visant à taxer les entreprises établies dans des États ou territoires non coopératifs (ETNC), c'est-à-dite, les paradis fiscaux ;
- deux amendements visant à lutter contre les abus en matière de prix de transfert145(*), en instaurant, d'une part, un accord préalable obligatoire de l'administration sur la politique de prix de transfert des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions d'euros, et d'autre part, un principe d'opposabilité de la documentation relative aux prix de transfert des entreprises dans le but de sanctionner les écarts déclarés.
Le rapporteur relève le caractère particulièrement lacunaire des motivations invoquées par le Gouvernement pour écarter ces amendements, dont l'adoption aurait constitué une avancée intéressante pour lutter plus efficacement contre la fraude fiscale.
1. Le développement d'une approche par les risques en matière de LCB-FT
En matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, l'approche fondée sur les risques constitue la première des 40 recommandations du Groupe d'action financière (GAFI). Selon cette recommandation, « les pays devraient identifier, évaluer et comprendre les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme auxquels ils sont exposés et devraient prendre des mesures (...) afin de s'assurer que les risques sont efficacement atténués. Sur la base de cette évaluation, les pays devraient appliquer une approche fondée sur les risques pour s'assurer que les mesures de prévention et d'atténuation du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme sont à la mesure des risques identifiés ».
Le système français de lutte contre le blanchiment s'inscrit pleinement de cette logique. Lors de son audition devant la commission d'enquête, Marc Segonds146(*), professeur à l'Université Toulouse Capitole, et spécialiste en droit privé et sciences criminelles, a souligné que « le choix du législateur a été de prévoir des obligations de vigilance, non pas pour tout le monde, mais pour un certain nombre de professionnels du chiffre et du droit. Et ces professionnels sont assujettis à la hauteur du risque qu'ils représentent. »
L'analyse par les risques présente plusieurs intérêts. Elle répond tout d'abord à une logique d'efficience, puisqu'elle permet aux autorités engagées dans la lutte contre blanchiment de cibler leurs contrôles afin d'user efficacement de leurs ressources. Elle permet également d'adopter une approche proportionnée entre d'une part, la nécessité pour les services de renseignement et contrôle d'intercepter des flux frauduleux le plus précocement possible pour faire échec à des schémas de fraudes souvent fugaces, et d'autre part, la volonté légitime de ne pas entraver la liberté d'entreprendre, en évitant d'imposer des contraintes trop lourdes pour les professionnels assujettis aux obligations LCB-FT. Ainsi, comme l'a souligné Marc Segonds, « dans la mesure où il est question de réguler - et non pas d'étrangler - l'économie, une approche de ce type a le mérite d'être proportionnée en fonction des acteurs et des secteurs économique147(*) ».
Cette approche répond également à un enjeu d'acceptabilité de la réglementation LCB-FT par les professionnels assujettis, mais aussi par leurs clients, qui sont particulièrement sollicités148(*) du fait des obligations de vigilance imposées à ces professionnels. Une personne auditionnée par la commission d'enquête a parfaitement résumé cet enjeu en affirmant que « si le consentement à l'impôt s'effondre, les recettes [fiscales] s'effondrent. De la même façon, si le consentement aux obligations déclaratives LCB-FT s'effondre, la lutte contre le blanchiment en pâtira directement ». Par ailleurs, la question de la réglementation LCB-FT entre naturellement en tension avec le mouvement de simplification des normes applicables aux entreprises qui est dans l'air du temps.
L'approche par les risques s'est traduite concrètement au niveau européen par l'adoption de directives anti-blanchiment successives. Elle a été introduite en 2005 par la troisième directive anti-blanchiment149(*) et précisée en 2015 par la quatrième directive anti-blanchiment150(*), qui prévoit, d'une part, la réalisation d'analyses bisannuelles par la Commission européenne à l'échelle de l'Union européenne (UE), d'autre part, par les États membres à l'échelle nationale.
En France, cette approche est formalisée par l'adoption de l'analyse nationale des risques (ANR), qui constitue un guide visant à promouvoir une meilleure compréhension des risques de blanchiment et de financement du terrorisme. Ce document est défini par le conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB), qui réunit l'ensemble des autorités et administrations françaises concernées par la LCB-FT, mais aussi, les représentants des professions assujetties. Il a récemment fait l'objet d'une actualisation, en 2023.
Le Conseil d'orientation de la lutte contre le
blanchiment des capitaux
et le financement du terrorisme (COLB)
Le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB) est l'organe de coordination et de concertation des acteurs du dispositif français de lutte contre la criminalité financière. Il réunit à ce titre non seulement les services répressifs mais également les acteurs de la prévention du blanchiment. Ses missions sont définies à l'article D. 561-51 du code monétaire et financier.
Le COLB contribue à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme :
- en pilotant les exercices d'analyse nationale des risques, qui donnent lieu à la mise à jour du document de référence s'agissant des infractions génératrices de profit en France, des méthodes mises en place par les criminels pour blanchir leurs gains, du niveau de risque auxquels sont exposés les différents secteurs de notre économie et les mesures d'atténuation de ces risques mises en place ;
- en organisant le partage d'information entre acteurs du dispositif ;
- en animant les échanges entre les volets répressif et préventif du dispositif LCB-FT français, la majorité des réunions du COLB comprennent la présentation d'enquêtes anonymisées par les acteurs du volet répressif ;
- en discutant des mesures devant permettre de renforcer l'action des autorités publiques contre la criminalité financière, qu'il s'agisse de mesures législatives, règlementaires, organisationnelles, ou de nouvelles coopérations à mettre en place.
- en coordonnant la production statistique relative à l'action de la France contre la criminalité financière, centralisée au sein des rapports annuels du COLB.
Source : réponses au questionnaire du rapporteur
L'ANR procède pour chaque secteur d'activité, opération ou produit exposé au risque de blanchiment, au recensement et à la cotation dudit risque. Conformément à la méthodologie du GAFI, le niveau de risque (« élevé », « modéré » ou « faible ») est apprécié en croisant les menaces auxquelles le secteur est exposé et les faiblesses identifiées (« vulnérabilités » susceptibles de faciliter leur commission, après prise en compte de « mesures d'atténuation » prises pour en limiter l'impact.
Les principales menaces identifiées au niveau national dans l'ANR concernent la fraude (fiscale, sociale et douanière), le trafic de stupéfiants et les vols et escroqueries. Les vulnérabilités ont trait aux possibilités d'anonymat, d'opacification, de fraude documentaire, de paiement en espèces ou au caractère rapide, complexe ou transfrontalier de l'objet analysé151(*).
Aperçu du classement des secteurs en
fonction de l'intensité de la menace
et de la
vulnérabilité
Note : OBNL = organisme à but non lucratif
Source : Analyse nationale des risques LBC-FT (ANR) publiée le 14 février 2023
2. Le volet préventif du dispositif LCB-FT se traduit concrètement par une responsabilisation des acteurs économiques des secteurs à risque
La prévention du blanchiment repose sur la mise en oeuvre d'obligations de vigilance, de déclaration et d'information par des professions relevant du secteur financier mais aussi non financier. Le respect de ces obligations est contrôlé et sanctionné par des autorités de supervision telles que sont l'ACPR et l'AMF, mais aussi divers administrations, organismes d'autorégulation liés aux ordres professionnels et ainsi que la Commission nationale des sanctions (CNS - voir infra).
a) La lutte contre le blanchiment correspond à un continuum de précautions, dont l'aboutissement constitue les déclarations de soupçons à Tracfin
L'article L. 561-2 du code monétaire et financier (CMF) liste l'ensemble des professions assujetties aux obligations LCB-FT. La France a fait le choix d'un modèle reposant sur un assujettissement large, dépassant et parfois précédant les normes internationales et européennes. Comme le souligne le rapport de la Cour des comptes de 2023 sur l'évaluation du dispositif LCB-FT français, « cet assujettissement large est destiné à procurer une vision sur toute la chaîne d'une opération financière, impliquant à chaque étape un acteur, y compris non financier, afin d'être en capacité de détecter une tentative de blanchiment d'argent dans l'économie légale. »
Champ des professions assujetties aux obligations LCB-FT
Sont concernées par les obligations LCB-FT :
- les établissements financiers et de crédit, les établissements de paiement, les établissements de monnaie électronique ;
- les entreprises d'assurance, les institutions de prévoyance, les mutuelles, les fonds, mutuelles et institutions de retraite ;
- les intermédiaires en opérations de banque, services de paiement et d'assurance ;
- les intermédiaires en financement participatif ;
- la Banque de France, l'institut d'émission des départements d'outre--mer et l'institut d'émission d'outre-mer ;
- les entreprises d'investissement, les entreprises de marché, les dépositaires centraux et gestionnaires de systèmes de règlement et de livraison d'instruments financiers, les conseillers en investissements financiers, les prestataires de services de financement participatif ainsi que les placements collectifs et les sociétés de gestion de placements collectifs ;
- les changeurs manuels, prestataires de services et les émetteurs de jetons ;
- les personnes qui, d'une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives à l'achat, la vente, la recherche, l'échange, la location ou sous-location, saisonnière ou non, en nu ou en meublé d'immeubles bâtis ou non bâtis ;
- les opérateurs de jeux ou de paris, c'est-à-dire les casinos, cercles de jeux et opérateurs de jeux en ligne ;
- les personnes qui négocient des oeuvres d'art et des antiquités ou agissent en qualité d'intermédiaires dans le commerce des oeuvres d'art et d'antiquités ;
- les commerçants de métaux et de pierres précieuses et commerçants de biens pour un montant payé en espèce supérieur à 10 000 € ;
- les experts-comptables et commissaires aux comptes ;
- les avocats, notaires, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et commissaires-priseurs judiciaires ;
- les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ;
- les personnes exerçant l'activité de domiciliation ;
- les agents sportifs ;
- les personnes intervenant dans la mise aux enchères des quotas d'émission de gaz à effet de serre ;
- les caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) ;
- les greffiers des tribunaux de commerce.
Le champ des professions assujettis a par ailleurs été enrichi par la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Seraient désormais concernés par ces obligations :
- les marchands de biens et les promoteurs immobiliers ;
- les loueurs et marchands de véhicules automobiles, de navires de plaisance et d'aéronefs privés152(*) ;
- les clubs affiliés à la Fédération française de football153(*).
Source : commission d'enquête d'après l'article L. 561-2 du code monétaire et financier
Les personnes assujetties doivent se conformer aux obligations suivantes :
- la mise en place d'un système d'identification et d'évaluation des risques LCB-FT et la mise en oeuvre d'une politique adaptée à ces risques154(*) ;
- de mesures de vigilance vis-à-vis de la clientèle155(*), qui se traduisent notamment par une obligation de vérification de l'identité du client avant l'établissement d'une relation d'affaires ou l'exécution d'une transaction, couramment appelées opérations « Know your customers » (KYC). Cette vigilance doit être constante156(*), ce qui implique pour les professionnels assujettis une obligation d'actualisation de leur connaissance client pendant toute la durée de la relation d'affaires ;
- les déclarations de soupçon qui désigne l'obligation pour les professions assujetties de déclarer à Tracfin (voir infra), toutes les opérations suspectes qu'ils constatent. Comme le souligné, Maxime Vaudano, journaliste au pôle « Enquêtes » du quotidien Le Monde lors de son audition devant la condition d'enquête, « ces déclarations constituent en effet la première digue contre le blanchiment157(*) ».
b) Des organes de supervision différents selon les secteurs, dont les moyens pourraient être renforcés voire mutualisés
(1) Une supervision du secteur financier assurée par l'ACPR et l'AMF
Les entreprises du secteur bancaire et financier sont soumises au contrôle :
- d'une part, de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), pour les entreprises d'investissement ;
- d'autre part, de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour les sociétés de gestion et les placements collectifs qu'elles gèrent, sur les conseillers en investissement financier, les conseillers en investissement participatif, certains prestataires de services de financement participatif158(*) (PSFP), certains prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) et prestataires de services sur cryptoactifs (PSCA) mais également la surveillance des opérations réalisées sur les marchés financiers aux fins de poursuite et sanction des infractions financières sous-jacentes.
Ce mécanisme de supervision se traduit concrètement par un contrôle et un accompagnement des assujettis dans la mise en oeuvre de leurs obligations par un collège de supervision. Pour chacune de ces deux entités, le collège de supervision est complété par une commission des sanctions. Ces commissions indépendantes peuvent sanctionner les professionnels assujettis lorsque les contrôles de l'AMF ou de l'ACPR mettent en évidence des défauts de mise en oeuvre des dispositifs de contrôle internes ou des défauts de déclaration de soupçon à Tracfin.
Cette procédure de sanction s'inscrit dans un cadre quasi-juridictionnelle, ce qui implique un délai de traitement des dossiers particulièrement long. Toutefois, ce mécanisme est utilement complété par les mesures de police qui sont en mesure d'actionner les collèges de supervision de l'AMF et de l'ACPR, et notamment, des mises en demeure à l'attention des professionnels qui ne respectent pas leurs obligations.
Il serait utile d'assortir ces mises en demeure de mécanismes d'astreinte pour garantir le caractère dissuasif et l'affectivité de ces sanctions. Cette évolution s'inscrirait dans la droite ligne des dispositions de la 6ème directive anti-blanchiment du 31 mai 2024159(*), qui prévoit l'établissement d'un pouvoir d'astreinte pour les autorités nationales. Ainsi, le considérant 106 de cette même directive indique que « lorsque les entités assujetties ne se conforment pas aux mesures administratives dans les délais impartis, il est nécessaire que les superviseurs soient en mesure d'exercer une pression accrue sur l'entité assujettie pour qu'elle rétablisse la conformité sans délai. À cette fin, les superviseurs devraient avoir la possibilité d'imposer des astreintes à partir de la date limite fixée pour rétablir la conformité, y compris avec effet rétroactif lorsque la décision imposant l'astreinte est prise à un stade ultérieur »
Un tel mécanisme pourrait ainsi être introduit à l'article L. 612-31 du CMF en ce qui concerne l'ACPR160(*), et à l'article L. 621-14 du CMF en ce qui concerne l'AMF. Une telle disposition renforcerait l'effectivité du volet préventif du dispositif LCB-FT en incitant davantage les professionnels à exécuter les demandes de se conformer à leurs obligations en matière de LCB-FT.
Recommandation de la commission d'enquête : confier aux collèges de supervision de l'ACPR et de l'AMF un pouvoir d'injonction sous astreinte actionnable en cas de non-respect, par les professionnels assujettis dont elle assure la supervision, de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment.
Il convient toutefois de rappeler qu'il ne revient pas à l'AMF et à l'ACPR de sanctionner directement les actes de blanchiment en tant que tel. La poursuite des infractions en la matière relève en effet de la seule compétence des juridictions pénales. L'ACPR et l'AMF ont néanmoins la possibilité de transmettre aux juridictions compétentes et, le cas échéant, à Tracfin, les informations dont elles disposent dans le cadre de l'exercice de leurs missions, que ce soit dans le cadre de contrôles engagés à l'encontre des professionnels qu'elles supervisent ou du fait de signalements qui leur sont adressés.
(2) Une supervision du secteur non financier assurée par diverses autorités aux compétences sectorielles et la Commission nationale des sanctions
En ce qui concerne le secteur non financer, le contrôle du respect des par les entités assujetties de leurs obligations en matière de LCB-FT est réalisée par des diverses autorités aux compétences sectorielles :
- la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour les agents immobiliers, sociétés de domiciliations et professionnelles du luxe ;
- la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) pour les négociants en métaux précieux et pierres précieuses, ainsi que le commerce d'antiquités et d'oeuvres d'art ;
- le service central des courses et jeux (SCCJ) de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) pour les casinos et cercles de jeux ;
- l'autorité nationale des jeux (ANJ) pour les opérateurs de jeux et de paris en ligne ;
- la Haute autorité de l'audit161(*) (H2A), autorité publique indépendante, pour les commissaires aux comptes ;
- les fédérations sportives pour les agents sportifs ;
Pour l'ensemble de ces professions susmentionnés, les sanctions sont décidées par une entité indépendante, la Commission nationale des sanctions (CNS), à l'exception des commissaires aux comptes pour lesquels la H2A dispose d'une « double casquette » de superviseur et d'organe de sanction.
La Commission nationale des sanctions
La Commission nationale des sanctions (CNS) a été créée par la loi en 2009 mais ses opérations n'ont réellement commencé qu'en 2014. Elle est saisie par le ministre chargé de l'économie, le ministre chargé du budget, le ministre de l'intérieur, l'Autorité nationale des jeux et les fédérations sportives des rapports établis par les autorités chargées du contrôle des professionnels concernés.
La CNS est composée de douze membres (deux conseillers à la Cour de Cassation, deux conseillers-maîtres à la Cour des Comptes, huit personnalités qualifiées) et est présidée par un Conseiller d'État.
De 2014 à 2023, la CNS a été saisie de 442 dossiers impliquant généralement une ou plusieurs personnes morales et une ou plusieurs personnes physiques. Ces dossiers concernaient principalement des professionnels des secteurs de l'intermédiation immobilière et de la domiciliation. Le ministre de l'intérieur a saisi la Commission de 12 dossiers relatifs au secteur des jeux et paris. Elle s'est réunie 226 fois et a rendu 317 décisions.
Sources : réponses de la CNS au questionnaire du rapporteur
La CNS prononce des sanctions disciplinaires ou pécuniaires à l'encontre de ces professionnels lorsque les dossiers qui lui sont transmis mettent en lumière des lacunes dans l'application de leurs obligations en matière de LCB-FT. Les sanctions décidées par la CNS sont publiées, ce qui contribue à renforcer la sensibilisation des secteurs concernés. Ces sanctions peuvent prendre la forme de sanctions pécuniaires, blâme, avertissements, interdiction d'exercer, voire, de retrait de la carte professionnelle162(*).
Le rapporteur constate le montant relativement faible des sanctions prononcées par la CNS. Pour l'année 2023, les sanctions financières varient en effet entre 500 euros et 50 000 euros, alors que le montant maximal des sanctions est fixé à 5 millions d'euros.
Montant moyen des sanctions pécuniaires
prononcées par la CNS
en fonction des secteurs
d'activités
Source : Commission nationale des sanctions
La faiblesse de ces sanctions s'expliquerait, d'après les éléments transmis par la CNS au rapporteur, par la taille souvent modeste de ces entreprises dans l'application des sanctions. Si le rapporteur comprend la volonté de la CNS de préserver une approche proportionnée dans l'application des sanctions à l'égard des professionnels, il n'en demeure pas moins que les sanctions qu'elles prononcent sont beaucoup trop faibles pour être réellement dissuasives.
La commission d'enquête a par ailleurs été alertée par plusieurs personnes auditionnées dans le cadre de ses travaux sur la faiblesse des moyens de la CNS, qui seraient aujourd'hui insuffisants pour assurer ses missions. Le dimensionnement des moyens de la CNS n'a pas été réévalué entre sa création en 2014 et 2023, alors que dans le même temps, le nombre de dossiers dont elle a été saisie est passé de 7 à 68.
Sanctions prononcées par la CNS par secteur d'activité *
* En principe, la décision rendue par la Commission sur un dossier comprend les sanctions prononcées à l'encontre de la personne morale ainsi que celles prononcées à l'encontre de la personne physique mise en cause, qui est généralement le dirigeant (gérant, président, directeur général de la société). Le nombre de sanctions prononcées est donc supérieur au nombre des décisions rendues par la Commission.
Source : Commission nationale des sanctions
Pour remédier à ce manque de moyens, l'idée d'une fusion de la Commission nationale des sanctions et les commissions des sanctions de l'AMF et de l'ACPR, a plusieurs fois été évoquée dans le cadre des travaux de la commission d'enquête. La création d'une instance de sanction unique permettrait ainsi une mutualisation des moyens entre ces trois entités.
La création de cette instance présenterait en outre plusieurs intérêts. Tout d'abord, le dispositif gagnerait en lisibilité, puisque les « sanctions seraient référencées, constituant ainsi une forme de jurisprudence » et les « décisions seraient harmonisées ». Par ailleurs, l'existence elle permettrait d'éviter les écueils liés aux liens entre les commissions des sanctions de l'AMF et l'ACPR avec l'autorité de supervision à laquelle elles sont rattachées. Comme l'indiquait une personne auditionnée par la commission d'enquête, « les commissions des sanctions de l'ACPR et de l'AMF sont certes indépendantes, mais dans les esprits, elles sont liées à leur autorité respective, ne serait-ce que par leur nom. Si une décision de la commission des sanctions de l'ACPR ne retient pas les griefs identifiés par l'ACPR dans le cadre de ses contrôles, cela serait interprété par la place comme un désaveu de l'ACPR. Le risque est donc que l'ACPR se censure dans ses saisines. Avec une commission unique, tous les organes de contrôle pourraient faire remonter les manquements sans craindre de tels désaccords. »
Si une telle fusion venait à se concrétiser, il conviendrait naturellement de veiller à ce que l'expertise sectorielle propre à chacun de ces commissions soit préservée.
En tout état de cause, les moyens de la CNS semblent devoir être renforcés à court terme pour lui permettre de faire face à l'afflux croissant de saisines. La CNS s'appuie actuellement sur un secrétariat général composé uniquement de deux agents. La présence d'un secrétaire général adjoint est prévue par les dispositions de l'article R. 561-45 du code monétaire et financier. Son recrutement effectif, demandé par la CNS depuis le printemps 2024, permettrait de faire face à l'augmentation du nombre de saisines de cette commission.
Recommandation de la commission d'enquête : consolider les moyens des organes de sanctions en matière de LCB-FT et renforcer l'effectivité des sanctions prononcées
- Augmenter le montant des sanctions pécuniaires à l'encontre des professionnels assujettis ne respectant pas leurs obligations en matière de LCB-FT ;
- Renforcer les moyens de la Commission nationale des sanctions ;
- Engager de travaux de réflexion sur une éventuelle fusion des commissions des sanctions de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution avec la Commission nationale des sanctions, en veillant à ce que l'expertise sectorielle de chacune de ces entités soit préservée.
Enfin, certaines professions163(*) réglementées sont contrôlées par un organisme professionnel d'autorégulation, ce qui, du point de vue du GAFI164(*), est de nature à fragiliser leur bonne appropriation du dispositif LCB-FT, comme l'illustre le faible nombre de déclarations de soupçons réalisé par ces professions.
Le législateur européen a rappelé, dans le considérant n° 100 de la directive (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024 dite « 6ème directive anti-blanchiment », que si la 4ème directive anti-blanchiment autorisait « les États membres à confier la surveillance de certaines entités assujetties à des organismes d'autorégulation », force est de constater que « la qualité et l'intensité de la surveillance exercée par ces organismes se sont avérées insuffisantes et n'ont fait l'objet d'aucun contrôle public ou presque. » Ce même considérant ouvre la voie à la possibilité pour les États membres « de désigner une autorité publique chargée de superviser les activités de cet organisme afin de veiller à ce que l'exercice de ces activités soit conforme à la présente directive. »
Le rapporteur souscrit à cette proposition, qui ne doit évidemment pas viser à faire peser un climat de suspicion sur les professionnels soumis à l'autorégulation, mais plutôt à garantir une certaine harmonisation dans la supervision de ces professionnels.
À défaut d'une instance indépendante de supervision pour ces professions, le mode de supervision particulier des avocats et des notaires, devrait a minima être réformé à court terme. En effet, ce mode de supervision repose aujourd'hui sur un contrôle des obligations LBC-FT effectué par les chambres interdépartementales pour ce qui est des notaires, et par les barreaux locaux s'agissant des avocats. D'après la DG Trésor, cette organisation « pose question s'agissant de l'indépendance des contrôleurs, ainsi que du ciblage des contrôles en fonction des risques afin d'utiliser le plus efficacement possible les ressources disponibles ». Lors de son audition par la commission d'enquête, la ministre des comptes publics Amélie de Montchalin a abondé en ce sens, en affirmant qu'il « serait bon d'obtenir une harmonisation des pratiques sur le territoire national, faute de quoi les criminels sauront très bien dans quel département ou dans quel ressort il est plus facile de sévir. »
Des échanges entre la DG Trésor et ces professions seraient actuellement en cours pour rehausser les prérogatives de supervision au niveau des instances nationales, en particulier, du Conseil supérieur du notariat et Conseil national des barreaux. Le rapporteur souhaite que ces discussions aboutissent et relève que cette formalisation du rehaussement nécessitera une modification de l'article L. 561-36 du code monétaire et financier (CMF), qui définit les organes de supervision des différentes professions assujetties.
Recommandation de la commission d'enquête : consolider la supervision des professionnels assujettis autorégulés en matière de LCB-FT
- Envisager la désignation d'une instance indépendante de supervision des professions assujetties qui sont actuellement contrôlées par un organisme professionnel d'autorégulation ;
- Fixer pour l'ensemble des professionnels soumis à l'autorégulation en matière de LCB-FT le niveau de supervision au niveau des instances nationales, afin de mettre fin aux écueils en matière d'indépendance et d'efficacité des contrôles impliqués par la supervision au niveau local.
Organisation du volet préventif en matière de LBC-FT
Source : Cour des comptes, L'évolution du dispositif français de lutte contre le blanchiment, 23 février 2023
B. LE DISPOSITIF PRÉVENTIF DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DOIT GAGNER EN MATURITÉ
1. L'appropriation de la réglementation LCB-FT par les professions assujetties est encore trop hétérogène
a) Le secteur financier s'est relativement bien approprié ses obligations en matière de LCB-FT mais est toutefois exposé à des fragilités liées à l'émergence des actifs numériques et de nouveaux services de paiement
(1) Les déclarations de soupçons à Tracfin sont en grande majorité issues du secteur financier
Dans son évaluation mutuelle du dispositif LCB-FT français de 2022, le GAFI a souligné la robustesse du dispositif au sein du secteur financier, qui est par ailleurs le principal pourvoyeur de déclarations de soupçons à Tracfin.
En effet, parmi les 215 410 déclarations de soupçons reçues par Tracfin en 2024, 93 % proviennent du secteur financier.
Évolution du nombre de déclarations de soupçons du secteur financier entre 2020 et 2024
Source : commission d'enquête d'après les données de Tracfin
D'après le rapport d'activité pour l'année 2024 de Tracfin, les banques et établissements de crédit, ainsi que les établissements de paiement sont les principaux déclarants. Toutefois d'autres acteurs financiers contribuent à l'augmentation du nombre de déclarations de soupçons, notamment les compagnies d'assurance, dont le nombre de déclarations a augmenté de 20 % entre 2023 et 2024, ou les prestataires de Services sur actifs numériques (PSAN), dont le nombre de déclarations a doublé sur cette même période.
Comme le soulignait une personne auditionnée par la commission d'enquête, cette situation s'explique par le caractère dissuasif du dispositif de supervision, avec des montants élevés de sanctions, ce qui a incité les banques à déployer « un dispositif LCB-FT assez solide ». Le secteur financier a en effet consenti des investissements conséquents dans les nouvelles technologies, ce qui a permis d'améliorer la détection des opérations atypiques, en utilisant par exemple « le croisement des risque « opération », géographique et du profil de risque du client ». D'après une étude du cabinet Forrester datée de novembre 2023, le coût total de la mise en conformité face aux délits financiers représente 25,3 milliards de dollars pour le secteur financier en France165(*).
Si le nombre de déclarations de soupçon constitue un bon indicateur de l'appropriation par une profession de ces obligations LCB-FT, il doit néanmoins être relativisé. Un nombre de déclarations de soupçon dynamique peut à la fois traduire une meilleure appropriation par un secteur de ses obligations LBC-FT, mais elle peut également s'expliquer la quasi-automatisation des déclarations de soupçons induites par le développement du recours par les professionnels de ce secteur. Une des personnes auditionnées par la commission d'enquête a alerté sur le fait que cette situation peut se traduire par une forme de déresponsabilisation de ces professionnels « car ils ne sauront pas dans le fond ce qu'ils ont déclaré ! »
Dans son rapport d'activité pour l'année 2023, Tracfin insiste par ailleurs sur l'importance pour les professionnels assujettis de faire primer la qualité des déclarations de soupçons sur leur quantité. Une telle approche permet d'assurer leur pertinence et leur exploitabilité par les agents. Ce rapport souligne que Tracfin « est encore destinataire de trop nombreuses déclarations, en particulier de la part du secteur non financier, dont l'analyse est inexistante ou insuffisante pour caractériser un soupçon. Les faits et les opérations suspicieuses doivent être décrits puis analysés dans un raisonnement étayé. » S'agissant de la description des opérations, les éléments essentiels à la compréhension d'une déclaration sont parfois trop peu renseignés. Par ailleurs, l'analyse des faits est aussi importante et ne doit pas être négligée celle-ci favorisant un traitement efficace de l'information transmise. Ainsi, les éléments qui permettent d'expliquer la naissance du soupçon sont primordiaux et permettront à l'enquêteur d'orienter ses analyses. Si possible, l'analyse doit ainsi mentionner et expliciter les infractions pénales suspectées à l'origine des transactions soupçonnées.
Pour le rapporteur, l'enjeu est moins de multiplier le nombre de déclarations que de s'assurer que les informations soient suffisamment qualitatives et étayées, pour permettre son exploitation efficace et une plus grande réactivité du volet répressif, même si le recours à l'intelligence artificielle par les services de renseignement permet aujourd'hui à ce service de traiter un flux de dérations toujours plus important. Lors de son audition devant la commission d'enquête Alban Genais, directeur adjoint de Tracfin, lors de l'audition, s'est montré rassurant quant à la capacité du service à traiter ce flux : « Je m'inscris en faux contre cette idée que Tracfin serait noyé sous le flux déclaratif. C'est moins une question de volume que d'orientation des capteurs. C'est parce que la relation des déclarants avec Tracfin est une relation exigeante et de confiance que nous arrivons à orienter les capteurs. »
Recommandation de la commission d'enquête : accentuer la sensibilisation des professionnels assujettis sur l'importance de la qualité des déclarations de soupçons, afin de renforcer leur pertinence et leur exploitabilité pour Tracfin.
(2) L'émergence des cryptoactifs et des « néo-banques » est un facteur de fragilisation du dispositif LCB-FT dans le secteur financier
La commission d'enquête a toutefois été alertée sur les risques que représente l'essor de certaines innovations au sein du secteur financier, et notamment, des prestataires de services sur actifs numériques dits « cryptoactifs », dont le niveau de risque LBC-FT est considérable. La plupart des personnes auditionnés par la commission d'enquête ont fait le constat d'une utilisation croissante des cryptoactifs par les organisations criminelles. Leur caractère opaque et l'anonymat qu'il peuvent offrir à leurs utilisateurs, favorisent les montages frauduleux complexes. Les cryptoactifs permettent ainsi de masquer davantage les flux financiers réels, au même titre que les sociétés écrans ou le recours à de multiples virements transfrontières. L'exemple du la prestataire de cryptoactif Monero, qu'une des personnes auditionnées par la commission d'enquête a présenté comme une véritable « boîte noire » est régulièrement été évoqué, cet actif se caractérisant par une une garantie d'anonymisation des montants de transaction et de l'identité des parties. Le groupe Chainalysis estime qu'en 2024, le volume de cryptoactifs envoyés à des adresses identifiées comme illicite a atteint au minimum de 40,9 milliards de dollars166(*).
Dans le contexte de montée en puissance de ce type d'actifs dans les schémas de blanchiment, il est essentiel que l'ensemble des entités de supervision et de renseignement soit davantage formé sur ce sujet émergent. À cet égard, il a été confirmé à la commission d'enquête que Tracfin travaillait à la montée en expertise de ses agents sur l'appréhension des cryptoactifs.
Recommandation de la commission d'enquête : Favoriser la montée en expertise des services de contrôle et de renseignement sur les enjeux liés à l'essor des cryptoactifs dans les schémas de blanchiment
Par ailleurs, il ressort des travaux de la commission d'enquête que l'émergence des entreprises de FinTech, et plus particulièrement des néo-banques, présent également un risque important en matière de LCB-FT. Ces acteurs se concentrent principalement sur l'offre d'applications mobiles, n'ont pas de succursales physiques, et opèrent généralement dans plusieurs États. Selon l'Agence bancaire européenne (ABE) « les néo-banques nécessitent une intégration rapide des clients, ce qui peut souvent laisser insuffisamment de temps aux systèmes et contrôles LCB-FT pour être suffisamment robustes et performants167(*) ».
Dans la droite ligne des observations de l'ABE, l'ACPR, estime que « le secteur des paiements est particulièrement concurrentiel, ce qui conduit les acteurs, d'une part, à chercher à enrôler très rapidement le plus grand nombre possible de clients, en mettant tous leurs efforts sur la fluidité du parcours client, possiblement au détriment de la qualité des contrôles nécessaires lors d'une entrée en relation, essentiellement à distance, et d'autre part en consacrant parfois peu de moyens, dans cette phase de développement de l'activité, aux fonctions de conformité. 168(*) » Ces entreprises tendent ainsi à privilégier le développement commercial à leurs obligations de vigilance. La conformité à la LCB-FT risque ainsi de passer au second plan, comme l'ont montré différentes sanctions administratives et pécuniaires imposées par les autorités de surveillance compétentes à l'égard de ces acteurs récemment.
b) Un nombre de déclaration de soupçon à Tracfin relativement faible pour le secteur non financier
Comme le souligne le rapport d'évaluation mutuelle du GAFI sur la France, le dispositif de prévention contre les risques LCB-FT doit plus particulièrement gagner en maturité dans le secteur non-financier. Pour ces professions, dont l'assujettissement aux obligations LCB-FT est plus récent, les déclarations de soupçon sont beaucoup moins nombreuses, en premier lieu parce qu'elles ne s'inscrivent pas dans leur culture professionnelle. La difficile appropriation par les professions non financières de leurs obligations en matière de LCB-FT se traduit par un nombre de déclarations de soupçons relativement faibles transmises à Tracfin, qui s'élèvent à seulement 6,9 % du nombre total en 2024. Certaines professions, comme les agents sportifs, n'en ont à ce jour jamais transmis, ce qui a suscité le scepticisme de certains auditionnés, et en particulier, de la ministre des comptes publics Amélie de Montchalin lors de son audition par la commission d'enquête.
Ces professionnels peuvent même parfois exprimer une certaine réticence à coopérer avec Tracfin. Ce constat fait écho aux propos tenus par Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux, qui a rappelé devant la commission d'enquête qu'il « il y a une quinzaine d'années, certains avocats manifestaient des réticences, jurant qu'ils ne feraient jamais la moindre déclaration de soupçon. Cette attitude était, reconnaissons-le, contraire à notre ADN. » Ce constat rejoint la question de l'acceptabilité par les professionnels des obligations de déclaration, et de la mise en cohérence de celles-ci avec d'autres obligations déontologiques comme le secret professionnel. Interrogé par le Gouvernement pour un avis consultatif sur la portée des obligations de déclaration de soupçon à Tracfin, le Conseil d'État a estimé le 23 janvier 2025 que « l'obligation déclarative portait aussi bien sur les sommes obtenues par la commission d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an, quelle que soit la nature de cette infraction, que sur les opérations portant sur ces sommes ». Cette interprétation extensive implique une obligation pour les professionnels assujettis de dénoncer toute suspicion d'infraction pénale pouvant avoir été commise par son client. Le barreau de Paris, qui estimait que cette interprétation contrevenait au secret professionnel, a contesté cette interprétation169(*) par un courrier adressé au ministre de la justice Gérald Darmanin le 15 avril 2025.
Le cas des avocats est ainsi une des meilleurs exemples des difficultés rencontrées par Tracfin dans sa coopération avec les professionnels assujettis aux obligations LCB-FT. Le nombre particulièrement faible de déclarations de soupçons transmis par cette profession à Tracfin en 2024170(*) en est la parfaite illustration.
Nombre de déclarations de soupçon
transmises par les professions
non financières
entre 2021 et 2024
Professions |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Part |
Notaires |
1 837 |
2 670 |
3 242 |
4 024 |
27,8 % |
Greffiers de tribunal de commerce |
1 095 |
1 957 |
1 431 |
2 335 |
16,1 % |
Jeux en ligne et sous droits exclusifs |
731 |
1 164 |
1 643 |
2 306 |
15,9 % |
Casinos et clubs de jeux |
1 238 |
1 918 |
2 179 |
2 175 |
15 % |
Administrateurs et mandataires judiciaires |
1 056 |
1 272 |
1 172 |
1 486 |
10,3 % |
Experts-comptables |
614 |
676 |
713 |
720 |
5 % |
Professionnels de l'immobilier |
341 |
440 |
505 |
514 |
3,5 % |
Opérateurs de ventes volontaires |
61 |
58 |
81 |
287 |
2 % |
Commissaires de justice |
126 |
253 |
248 |
227 |
1,6 % |
Commissaires aux comptes |
133 |
105 |
127 |
141 |
1 % |
Sociétés de domiciliation |
105 |
76 |
118 |
120 |
0,8 % |
CARPA |
16 |
17 |
27 |
68 |
0,5 % |
Commerçants de métaux et pierres précieuses |
10 |
3 |
11 |
37 |
0,3 % |
Commerçants de biens |
13 |
10 |
17 |
27 |
0,2 % |
Avocats |
6 |
11 |
8 |
15 |
0,1 % |
Négociants ou intermédiaires dans le commerce d'oeuvres d'arts et d'antiquités |
4 |
4 |
3 |
5 |
0,1 % |
Sociétés de transport |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 % |
Agents sportifs |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 % |
Personnes autorisées au titre du I de l'article L. 621-18-5 du CMF171(*) |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 % |
TOTAL |
7 386 |
10 635 |
11 525 |
14 487 |
6,2 % |
Sources : Tracfin, LCB-FT : activité des professions déclarantes Bilan 2024
2. Les fragilités du dispositif préventif plaident pour des obligations LCB-FT renforcées à l'égard des professions non financières assujetties, et en particulier pour certains secteurs à risque
a) Une culture LCB-FT à améliorer pour certaines professions assujetties
(1) Une meilleure appropriation de l'obligation d'évaluation et de gestion des risques est nécessaire
La plupart des acteurs auditionnés par la commission d'enquête ont fait le constat d'une appropriation hétérogènes des obligations LCB-FT en fonction des différents secteurs, avec des fragilités particulières en ce qui concerne les professions non financières, mais aussi, dans certains secteurs financiers émergents.
Lors de son audition devant la commission d'enquête, Chantal Cutajar a souligné le fait que « les cartographies des risques qu'il revient aux entités assujetties d'élaborer afin de répondre à leur obligation de vigilance, sont souvent incomplètes ou obsolètes172(*) ». Certains établissements ont été sanctionnés pour n'avoir pas mis à jour leurs évaluations des risques et n'avoir pas tenu compte des nouvelles typologies de blanchiment, comme les cryptoactifs, les plateformes de la fintech, l'immobilier ou les oeuvres d'art.
D'après plusieurs personnes auditionnées par la commission d'enquête ces lacunes dans l'application des obligations d'évaluation et de gestion des risques s'explique par un défaut de compréhension de ces obligations par les professionnels, en particulier les petites et moyennes entreprises. Celles-ci connaitraient des difficultés à donner à ces obligations « la traduction que la loi exige dans les documents internes qu'elles doivent partager avec l'ensemble des agents et collaborateurs concernés ». Cette incompréhension proviendrait souvent « d'une confusion entre l'évaluation ex ante des risques auxquels la société peut être exposée et l'évaluation de chaque client pris individuellement ».
Le rapporteur souscrit à la recommandation de la CNS d'une clarification des dispositions règlementaires relatives à cette obligation, afin de rendre cette obligation plus aisément compréhensible.
Recommandation de la commission d'enquête : clarifier les dispositions réglementaires relatives à l'obligation d'évaluation et de gestion des risques LCB-FT applicables aux professionnels assujettis.
Par ailleurs, Tracfin insiste auprès des professions assujetties sur le fait que leurs obligations de vigilance ne doivent pas les inciter à pratiquer le derisking, c'est-à-dire, à refuser systématiquement d'entrer en relation d'affaire avec un client à risque au regard de la réglementation LCB-FT. Cette pratique présente en effet plusieurs autres conséquences néfastes sur l'efficacité du dispositif LCB-FT :
- elle nuit à la remontée d'information aux services de renseignements financiers. Il est en effet préférable de réaliser une transaction même risquée, tout en réalisant une déclaration de soupçon à Tracfin. Ses agents pourront ensuite approfondir leurs enquêtes, ce qui n'aurait pas été possible si le professionnel avait refusé d'entrer en relation d'affaire ;
- elle peut impliquer l'exclusion financière de certains acteurs et de certaines activités, considérés comme trop risqués mais pas forcément impliqué dans une opération frauduleuse ;
- elle peut impliquer de déplacer le risque vers d'autres entités ou d'autres territoires moins régulés, réduisant in fine la gestion du risque à l'échelle internationale ;
- enfin, cette pratique peut en réalité témoigner de défaillances dans le dispositif LCB-FT des établissements concernés.
Recommandation de la commission d'enquête : sensibiliser davantage les professionnels assujettis sur les conséquences néfastes des pratiques de derisking sur l'efficacité du dispositif LCB FT.
(2) Des obligations de formation à renforcer
Par ailleurs, plusieurs acteurs auditionnés par la commission d'enquête ont fait état d'une formation insuffisante des équipes de certains établissements sur les enjeux liés au blanchiment. D'après Chantal Cutajar « le personnel de nombreux établissements ne bénéficie pas de formations régulières sur les techniques de blanchiment et sur la détection des transactions suspectes.173(*) »
À cet égard, le rapporteur salue notamment l'introduction dans la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic174(*), à l'initiative du Sénat, une disposition introduisant à l'article L. 561-34 du CMF, une obligation de formation professionnelle pour les personnes assujetties aux obligations de LCB-FT. Il conviendra par la suite de déterminer le contenu exact des connaissances attendues ainsi que l'autorité chargée du contrôle de la réalisation des formations.
En tout état de cause, le rapporteur appelle de ses voeux à poursuivre le renforcement des obligations des formations à l'égard des professions assujettis. Plusieurs pistes d'amélioration ont été esquissées par Chantal Cutajar devant la commission d'enquête, et notamment la création d' « un agrément spécifique LCB-FT pour les fintechs et les plateformes de paiement, avec des sanctions renforcées en cas de manquement aux obligations de vigilance.175(*) », eu égard aux risques particuliers induits par ces secteurs.
Recommandation de la commission d'enquête : poursuivre la dynamique de renforcement des obligations de formation en matière de LCB-FT applicables aux professionnels assujettis et instaurer un dispositif de labellisation de organismes de formation en matière de LCB-FT.
b) Une attention particulière à accorder à certains secteurs dont la régulation est défaillante
(1) La régulation des sociétés de domiciliation : un angle mort du dispositif qui favorise la prolifération de sociétés éphémères
Le problème de l'absence de « culture LCB-FT » se pose avec une acuité particulière pour la profession de domiciliataire. La domiciliation commerciale est l'attribution, via une société de domiciliation, d'une adresse administrative et fiscale constituant le siège social d'une entreprise, à une société donnée, une association ou autre activité d'entrepreneur176(*).
Il ressort des auditions de la commission d'enquête que le recours au service d'un domiciliataire constitue souvent la première étape dans la création d'entreprises éphémères qui jouent le rôle de « lessiveuses » dans le cadre d'opérations de blanchiment, ou qui sont créées dans le but de percevoir indument des aides publiques avant de disparaitre.
De nombreux domiciliataires exercent cette activité de manière accessoire, souvent attirés par la perspective de revenus passifs apparemment faciles. Cette situation conduit à un manque de professionnalisme et de compréhension des enjeux réglementaires. Par ailleurs, le faible taux de syndicalisation des domiciliataires ne facilite pas l'appropriation par ces professionnelles de ses obligations LCB-F. D'après la CNS, seuls 10 % de ces professionnels sont affiliés à un syndicat, laissant la majorité d'entre eux sans structure représentative.
Surtout, l'exercice de l'activité de domiciliataire est conditionné à l'obtention d'un agrément préfectoral177(*). Toutefois, le rapporteur a constaté avec étonnement que cet agrément est accordé et renouvelé sans qu'aucune obligation de formation en matière de LCB-FT ne soit exigé à l'égard des domiciliataires. Cela conduit là encore à une situation où des professionnels exercent sans réelle compréhension de leurs obligations légales en matière de LCB-FT. Il conviendrait donc de conditionner l'obtention cet agrément à la réalisation effective de cette formation.
La commission d'enquête a également été alertée sur la problématique spécifique des plateformes de domiciliation. En effet certaines plateformes virtuelles contactent des domiciliataires physiques pour leur proposer des clients potentiels. Cette pratique soulève de sérieuses inquiétudes quant à la vérification de l'identité des créateurs de société. En effet, le domiciliataire physique ne dispose pas souvent directement des pièces justificatives, censées être détenues par la plateforme. Du point de vue du rapporteur, cette situation est particulièrement préoccupante et s'apparente à un détournement du dispositif de domiciliation. Les contrôles deviennent extrêmement complexes dans ce contexte, car les documents nécessaires ne sont pas immédiatement disponibles sur place. Ainsi, certaines entreprises de domiciliation sont elles-mêmes domiciliées de manière douteuse, créant un système opaque propice aux infractions.
Recommandation de la commission d'enquête : afin de lutter contre la prolifération des entreprises éphémères par le recours à des sociétés de domiciliation, modifier la réglementation applicable à la profession de domiciliataire
- Conditionner l'obtention de l'agrément accordé aux sociétés de domiciliation par la préfecture à une formation en matière de LCB-FT ;
- Renforcer les exigences en matière de vérification d'identité à distance pour les domiciliataires opérant en ligne et des contrôles périodiques physiques, même pour les relations d'affaires initiées en ligne.
(2) Les failles de la régulation du secteur de l'immobilier : un boulevard pour les fraudeurs
Le secteur de l'immobilier, et en particulier l'immobilier de luxe, a été identifié par la commission d'enquête comme un vecteur de blanchiment important.
Exemples de schémas de blanchiment par le secteur immobilier de luxe
Plusieurs schémas de blanchiment caractéristiques peuvent être identifiés, en particulier dans le secteur immobilier de luxe :
- par des montages complexes visant à opacifier l'identité du bénéficiaire réel : mécanisme reposant sur l'utilisation de sociétés civiles immobilières (SCI) ou de structures étrangères comme écrans, interposition de multiples sociétés pour dissimuler le bénéficiaire effectif, recours à des prête-noms figurant sur les actes d'acquisition ;
- par des transactions avec manipulation des prix : sous-évaluation des prix de vente avec dessous de table en espèces, transactions rapides sur un même bien avec variations importantes de prix, incohérence entre le prix payé et la valeur réelle du marché ;
- par des circuits de financement douteux : il s'agit ici de recourir à des prêts entre particuliers à conditions atypiques, à l'utilisation de fonds provenant de juridictions à faible réglementation LBC-FT, ou au financement par des sociétés tierces sans lien apparent avec l'acquéreur ;
- par une utilisation de l'immobilier par les propriétés par étages (PPE) : acquisition de biens de luxe par des PPE étrangères avec des fonds d'origine douteuse, recours à des membres de la famille comme propriétaires apparents, utilisation de virements entre notaires étrangers et français pour masquer l'origine des fonds
- par des acquisitions via des structures professionnelles : blanchiment à des fins professionnelles (immobilier commercial, bureaux, entrepôts), utilisation des promoteurs immobiliers ou marchands de biens comme intermédiaires, rénovations avec des entreprises du BTP permettant l'injection d'espèces d'origine illicite.
Source : réponses de la Commission nationale des sanctions au questionnaire du rapporteur
Plus particulièrement, le recours aux sociétés civiles immobilières SCI comme méthode d'acquisition d'un bien immobilier a été présenté comme un moyen de blanchiment privilégié par Tracfin dans un rapport de 2019.
Blanchiment de fonds illégalement acquis transitant par une SCI
Source : Tracfin, rapport « Tendance et analyse des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en 2017-2018.
Par ailleurs, plusieurs personnes auditionnées ont souligné le fait que l'achat d'un bien immobilier par l'intermédiaire d'un notaire nécessite de produire des centaines de pages de documents, alors que dans le cadre de l'acquisition par l'intermédiaire d'un rachat de part dans une SCI, la simple signature d'un contrat entre acheteur et vendeur est suffisante. Cette faille a été soulignée par Maxime Vaudano, journaliste au Monde, qui a indiqué devant la commission d'enquête « des techniques simples continuent d'être utilisées en France, comme transmettre un bien immobilier en cédant les parts d'une société civile immobilière (SCI) plutôt que le bien lui-même, ce qui permet d'éviter une déclaration au greffe et le déclenchement de l'obligation de déclaration du propriétaire auprès du fisc. Ces techniques pourraient faire l'objet d'une attention du régulateur afin de lutter contre le blanchiment.178(*) »
Cette fragilité du dispositif a également été parfaitement résumée par Pierre-Jean Meyssan, premier vice-président du Conseil supérieur du notariat lors de son audition devant la commission d'enquête : « Nous avons mis en place un dispositif de contrôle sur une route départementale, quand l'autoroute des cessions de parts de SCI reste ouverte pour les go fast, sans que personne regarde ! Un responsable de l'administration du Trésor a reconnu qu'il y avait un trou dans la raquette ; on peut plutôt dire qu'il n'y a pas de tamis ! 179(*) »
Une solution à cette lacune de la réglementation pourrait être de confier l'authentification de l'acte de cession de parts à une personne assujettie aux obligations du code monétaire et financier.
Recommandation de la commission d'enquête : confier à des professionnels assujettis aux obligations LCB-FT la mission de certification des actes de cessions de parts de sociétés civiles immobilières.
Le rapporteur souhaite également alerter sur les risques impliqués par les cessions de cessions de parts de SCI dites « en blanc ». Cette opération consiste à signer un acte de cession de parts sans remplir certains champs essentiels, comme le nom de l'acquéreur, la date effective de la cession, le prix de vente exact. C'est donc un acte non daté ou incomplet, qui peut être utilisé plus tard au bon vouloir du détenteur. Cette pratique permet d'opacifier l'identité réelle du propriétaire des parts, ce qui ouvre la voie à des comportements frauduleux. Le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les obstacles au contrôle de la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe du 11 avril 2002 avait en effet décrit le schéma suivant : « le cédant inscrit son nom, le cessionnaire est en blanc, on lui remet le document et les virements se font par des paradis fiscaux ; de ce fait plus aucun contrôle n'est exercé. Des immeubles de plusieurs millions de francs sont ainsi cédés sur la Croisette, la Promenade des Anglais ou les Champs-Elysées.180(*) »
Enfin, le rapporteur relève que le risque induit par les SCI en matière de LCB-FT a déjà fait l'objet d'une attention particulière de la part du législateur. Lors de l'examen en séance publique du, il avait été adopté, à l'initiative du rapporteur de la commission d'enquête, un amendement181(*) visant à inclure les parts de SCI parmi les avantages et ressources soumis à l'obligation de déclaration en matière de financements étrangers des associations. Cet amendement n'avait toutefois pas été retenu dans le texte adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, faute de volontarisme de la majorité gouvernementale sur ce sujet.
c) L'art et la manière de blanchir : focus sur le marché de l'art et de l'antiquité
Le marché de l'art et des antiquités est identifié par des acteurs criminels comme pouvant être utilisé soit pour maquiller l'origine illégale des biens vendus, soit pour dissimuler l'origine illicite des fonds servant à l'opération. Dans son analyse sectorielle des risques LBC-FT spécifique aux marchands d'art et d'antiquités publiée en 2023, la direction nationale du renseignement douanier (DNRED) identifie plusieurs schémas possibles, telles que :
- la conversion de fonds d'origine criminelle par l'acquisition d'oeuvres d'art ;
- l'utilisation de constructions juridiques complexes de type trust, fondations ou sociétés écrans, et de biens culturels comme moyen de paiement pour des activités criminelles ;
- le recel et blanchiment de biens culturels volés ou pillés ;
- la manipulation de ventes aux enchères, c'est-à-dire, le recours à des « ventes montées » ;
- ou encore l'utilisation des ports francs et entrepôts spécialisés.
Les ports francs : des zones de non-droit
susceptibles d'abriter
tous les trafics du monde
L'opacité qu'offrent les ports francs constitue un risque de blanchiment, en particulier dans le secteur de l'art. Une fois l'oeuvre stockée dans un port franc, des transactions peuvent être conclues à l'extérieur de ces zones, sans nécessairement que celle-ci quitte l'entrepôt. Ce mécanisme permet le déplacement transfrontalier de valeur sans mouvement physique de l'objet.
Les ports francs favorisent également le risque de fraudes douanière (droits de douane) et fiscale (TVA et taxe forfaitaire sur les objets précieux), une oeuvre pouvant faire l'objet de ventes successives tout en restant au sein du port franc et ainsi ne pas faire l'objet d'une déclaration aux administrations douanières et fiscales. Le propriétaire final peut ainsi dissimuler le montant de la dernière transaction et déclarer la valeur initiale de l'oeuvre lors de sa sortie du port franc qui servira à déterminer le montant de la taxation applicable à l'oeuvre.
Source : commission d'enquête d'après les auditions et les réponses aux questionnaires du rapporteur
Le rapporteur regrette le contexte d'immobilisme absolu des pouvoirs publics sur le sujet des ports francs, alors qu'ils constituent pourtant un véritable angle mort de notre dispositif de lutte contre la criminalité financière. Pourtant, ce phénomène n'est pas nouveau et a largement été documenté, notamment dans le rapport de notre ancien collègue Éric Bocquet réalisé au nom de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales en 2012.
Recommandation de la commission d'enquête : engager une initiative au niveau de l'Union européenne pour remettre à plat la réglementation applicable aux ports francs.
Lors de son audition par la commission d'enquête, Vincent Michel, professeur des universités en archéologie de l'antiquité classique d'Orient à l'université de Poitiers, a montré à quel point les enquêteurs des douanes sont confrontés à une grande créativité de la part de certains criminels, qui ont par exemple recours, pour empêcher aux services de contrôles de remonter à l'origine des objets, à des méthodes consistant à porter atteinte à l'objet lui-même « en le transformant, en l'estropiant, par exemple en enlevant un bras à une statue, ou encore en modifiant les documents accompagnant l'objet ».
En outre, plusieurs autres facteurs font du marché de l'art un secteur particulièrement à risque en matière de blanchiment : le paiement en espèces qui reste très répandu, la dimension internationale du marché, la recherche de provenance qui n'est pas systématique, le développement des plateformes de vente en ligne et la facilité de transférer les oeuvres d'un point à l'autre du globe. Comme le résumait parfaitement Vincent Michel « si rien n'est plus simple que de piller, rien n'est plus simple non plus que de blanchir. »
Surtout, ce secteur est caractérisé par une très faible appropriation par les professionnels de leurs obligations LBC-FT, comme le montre le nombre tout aussi faible de déclarations de soupçons, qui s'élevait à seulement 3 en 2023. Des lignes directrices à destination de ces professionnels ont pourtant été élaborées par la DGDDI et Tracfin en 2020182(*), pour leur permettre une meilleure appropriation de leurs obligations. Force est de constater que la publication de ces lignes directrices n'a pour l'instant par eu l'effet escompté. Le secteur peine encore à structurer des processus interne d'identification des risques et de vigilances.
Il ressort des travaux du rapporteur que les professionnels du marché de l'art pourraient davantage procéder à des déclarations à Tracfin sans se focaliser uniquement sur l'origine des fonds qui sont en cause dans la transaction, mais aussi en fonction de l'origine de l'oeuvre. En effet les lignes directrices conjointes de la DGDDI et de Tracfin ont défini des critères relatifs aux biens inventoriés ou vendus. Ainsi, des biens vendus qui ont une « provenance inconnue ou douteuse » devrait pouvoir faire l'objet d'une déclaration de soupçon quasi-systématique de la part des marchands d'art, d'autant plus qu'Interpol a mis à disposition de ces professionnels une base de données des objets volés. L'application ID-Art leur permet en effet d'accéder à cette base de données qui récence 54 426 objets d'arts déclarés. Toutefois, Vincent Michel estimait qu'il y aurait en France près de 520 000 objets pillés, c'est-à-dire les oeuvres qui n'ont pas fait l'objet d'une déclaration de vol et qui ne sont donc pas répertoriée.
Outre le nécessaire renforcement de la sensibilisation des professionnels de l'art, il serait utile que les commissaires- priseurs puissent rallonger le délai entre le paiement par l'acheteur et le transfert de fonds au vendeur, normalement fixé à 2 mois183(*), dès lors qu'ils soupçonnent l'existence d'une opération frauduleuse.
Recommandation de la commission d'enquête : renforcer l'efficacité du dispositif de prévention en matière de LCB-FT sur le marché de l'art
- mieux communiquer auprès des professionnels du marché de l'art et de l'antiquité sur la possibilité de réaliser des déclarations de soupçon en fonction de l'origine des oeuvres et non uniquement en fonction de l'origine des fonds ;
- en cas de suspicion d'opération frauduleuse lors d'une vente d'oeuvre d'art, prolonger le délai entre le paiement par l'acquéreur et le transfert de fonds aux vendeurs par le commissaire-priseur.
3. Mieux détecter les signaux faibles pour cibler les contrôles des assujettis et détecter les flux financiers frauduleux en amont
a) Un accès aux fichiers des comptes bancaires (FICOBA) récemment élargi mais qui doit désormais s'étendre à une échelle européenne compte tenu du caractère transnational des schémas frauduleux
L'ANR publiée par le COLB en 2023 a souligné l'importance du fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) dans le dispositif LCB-FT. Créé en 1970 en France, ce fichier, tenu par l'administration fiscale et alimenté par les banques, liste tous les comptes ouverts en France (comptes courants, comptes de paiement, comptes d'épargne, comptes-titres, etc.) ainsi que la location de coffres-forts depuis 2020. L'ANR indique que ce fichier « atténue également les vulnérabilités du secteur bancaire ».
Lors de l'examen de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, ce fichier a utilement été élargi à plusieurs autorités de impliquées dans la lutte contre la fraude aux aides publiques et le blanchiment, et plus particulièrement, à la DGCCRF, à l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et à l'Agence des services et de paiement (ASP). Il a également été ouvert. Le rapporteur se félicite de ce mouvement d'ouverture qui permettra une meilleure réactivité de autorités de contrôle, et matière de lutte contre le blanchiment, mais aussi, en matière de fraude aux aides publiques.
Du point de vue du rapporteur, la création d'un FICOBA européen serait particulièrement utile, au regard du caractère transnational des schémas frauduleux étudiées par la commission d'enquête. Elle permettrait aux autorités de contrôles de chaque États membres d'accéder les registres de leurs homologues, sans devoir interroger individuellement chaque établissement bancaire pour savoir si tel ou tel individu détient un compte dans cette banque.
Les tentatives de relancer cette question se heurtent en effet à la lenteur des États membres de l'application des dispositions européennes anti-blanchiment. La création d'un tel FICOBA européen, prévue avant 10 juillet 2029 par la directive du 31 mai 2024 dite 6ème directive anti-blanchiment, semble en effet très lointaine. L'obligation pour chaque État membre de disposer d'un registre des compte bancaires, n'est à ce jour toujours pas effective. Outre la France, seuls 14 États membres avaient mis en place un tel registre à l'été 2019184(*). Pourtant cette exigence, réaffirmée dans la 6ème directive anti-blanchiment de 2024, était déjà prévue par la 3e directive anti-blanchiment de 2015185(*), et constitue un préalable à la concrétisation d'un FICOBA européen.
Dans ce contexte, la matérialisation du FICOBA européen à l'horizon 2029 apparait plus qu'incertaine et on ne peut que le regretter. Le rapporteur encourage toutes les initiatives qui pourraient être prises pour accélérer la mise en place dans les pays européens non dotés d'un FICOBA de ce système rappelant que des fonds européens sont disponibles pour de tels projets. Le rapporteur encourage aussi les pays déjà dotés de FICOBA ou de points de contacts à multiplier les échanges en anticipant la date limite fixée par la directive. Il s'agit, de son point de vue, d'une question prioritaire non seulement budgétaire mais sécuritaire.
Recommandation de la commission d'enquête : faire du respect de l'obligation pour les États membres de l'Union européenne de créer un registre centralisé des compte bancaires une priorité dans les travaux d'actualisation des recommandations du GAFI et favoriser les coopérations techniques entre États membres pour aider à la mise en place de ce registre.
Sur un sujet connexe, le directeur du contrôle de l'Urssaf Île-de-France, Pierre Gallet, qui a souligné qu'il était en l'état actuel du droit impossible pour les autorités de contrôle d'« obtenir un quelconque relevé bancaire sur un compte détenu à l'étranger, puisqu'une entreprise n'est pas tenue de déclarer à l'administration fiscale ou à l'Urssaf qu'elle dispose d'un compte bancaire à l'étranger186(*). Or L'Urssaf est souvent confrontés à des dossiers dans lesquels les sociétés disposent d'un compte bancaire français, parce qu'elles y sont tenues sur les plans professionnel et fiscal, mais ce compte ne sert que d'intermédiaire pour quelques jours, avant que les sommes ne soient transférées à l'étranger. Il convient de remédier à cette lacune qui a suscité l'étonnement du rapporteur et des commissaires présents.
Recommandation de la commission d'enquête : créer une obligation pour les sociétés commerciales de déclarer auprès de l'administration fiscale l'ensemble des comptes bancaires qu'elles détiennent à l'étranger.
b) Favoriser la montée en gamme technologique des autorités de contrôle et de renseignement
Il ressort des travaux de la commission d'enquête qu'une montée en gamme technologique et des autorités de supervision et de renseignement est nécessaire pour un meilleur ciblage des contrôles et une détection précoce de la fraude.
Comme le soulignait une personne auditionnée par la commission d'enquête « si nous voulons être efficaces dans tous ces secteurs, il est crucial d'avoir accès à davantage de données ». Le principal défi des autorités de contrôle « réside dans la gestion d'un grand nombre de dossiers avec des moyens limités. Il est impératif d'informatiser et de systématiser la collecte d'informations. » Ce constat est partagé par Sonia Sbaa, cheffe de la cellule de renseignement anti fraudes économiques (CRAFE) à la DGCCRF. Elle « la faiblesse [des] effectifs [de la DGCCRF] affecte nécessairement l'exécution de [leurs] missions. Toutefois, elle peut être regardée comme une chance, car elle nous oblige à faire preuve d'agilité et à définir certaines priorités. En matière de supervision, le décalage entre le nombre d'enquêteurs et de contrôles est encore plus significatif. » Le recours à ces données, en permettant un meilleur ciblage des contrôles, est une, si ce n'est la solution à cette problématique des moyens limités de ces services.
En ce qui concerne par exemple le secteur de la domiciliation, l'absence d'un registre national consolidé et d'une vérification approfondie des demandes d'agrément par les préfectures favorise la prolifération de schémas frauduleux. La création d'un tel registre pourrait par exemple permettre aux préfectures d'opérer un suivi des sanctions infligées à ces sociétés, en évitant notamment qu'un domiciliataire ayant fait l'objet d'un retrait d'agrément dans un département de s'installer dans un autre, faute de suivi national efficace.
Le rapporteur plaide en outre pour des modes de contrôles plus ciblés par le recours à l'intelligence artificielle et le traitement de données de masse, sur le modèle de ce que pratiquent déjà différents services engagés dans la lutte contre la criminalité financière :
- la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui a connu ces dernières années une transformation profonde de ses outils avec un recours accru à l'exploitation des données de masse par le biais de du datamining, du textmining, ou encore du web scrapping187(*) par le service du de la sécurité juridique et contrôle fiscal (SJCF) ;
- la DNRED, dont le projet « Valorisation de la donnée » s'appuie également sur l'exploitation de données de masse ;
- ou encore Tracfin qui, grâce au recours à l'intelligence artificielle, parvient à traiter de manière industrialisée. Le recours à cette technologie est d'autant plus essentiel que le nombre de déclarations de soupçons a augmenté en moyenne de 15 % par an depuis une quinzaine d'années. Par ailleurs, le traitement automatisé de cette information est en grande partie facilité par le développement de la plateforme dématérialisée ERMES, à laquelle les professionnels assujettis doivent obligatoirement recourir depuis le 1er juin 2024.
En résumé, la commission d'enquête considère que face à des criminels qui recourent à des techniques sophistiquées de blanchiment, le recours accru aux outils d'intelligence artificielle (IA) et traitement de données de masse par les services de renseignement et de contrôle est nécessaire, afin de réussir à détecter les transactions financières anormales et les montages opaques de manière précoce. Cela est particulièrement vrai dans le secteur des cryptoactifs ou des fintechs, au regard du volume d'opérations en jeu.
Recommandation de la commission d'enquête : améliorer le ciblage des contrôles par les autorités de supervision des professionnels assujettis aux obligations LCB-FT :
- Renforcer le ciblage des contrôles par la DGCCRF en ce qui concerne les agences immobilières spécialisées dans l'immobilier de luxe en fonction de la cartographie établie par les services d'enquête ;
- Créer une base de données nationale des sociétés de domiciliation, élaborée à partir des données recueillies lors de l'agrément préfectoral qui leur est attribué, afin d'obtenir une meilleure connaissance et un meilleur ciblage des contrôles ;
- Encourager le recours à l'intelligence artificielle au sein des autorités de supervision et de renseignement financier.
Le rapporteur relève par ailleurs que le croisement entre les différentes bases de données reste encore trop limité. Des progrès ont été récemment été réalisées, avec la signature de plusieurs de conventions d'échange d'informations entre administrations de contrôle, ainsi que l'introduction dans la loi de finances pour 2025 et la proposition de loi contre toute les fraudes aux aides publiques de dispositions favorisant les échanges d'informations entre Tracfin, l'administration fiscale ou divers organismes de sécurité sociale notamment.
La concrétisation de dispositifs de croisement efficace de données est freinée par la législation sur la protection des données individuelles. Carole Maudet, cheffe du SJCF, soulignait lors de son audition devant la commission d'enquête que « l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale doit être concilié avec la logique, compréhensible, de protection des données personnelles ». Toutefois, le rapporteur estime que le droit à la protection des données ne doit pas conduire à limiter les administrations et services de contrôle dans leur exploitation d'informations qui sont à portée de main et qui constituent une mine d'or dans la lutte contre le blanchiment. La ministre Amélie de Montchalien a elle-même « le règlement général sur la protection des données (RGPD) est souvent mal compris et mal interprété : manifestement, un grand travail de doctrine doit être mené à l'égard des administrations et de beaucoup d'autres acteurs. Il faut le dire et le répéter, le RGPD ne s'applique pas à l'État, qui peut invoquer des raisons supérieures pour agir.188(*) »
a) Le renforcement des échanges d'information entre professions assujetties peut également leur permettre de mieux mettre en oeuvre leurs obligations de vigilance
Dans son rapport d'évaluation de 2023, la Cour des comptes soulignait que « l'assujettissement d'un grand nombre de professions ne peut contribuer à une vision large des chaînes financières que si les informations sont partagées entre les acteurs sur les personnes ou les opérations suspectes qu'elles pourraient détecter. » Elle regrettait que les moyens conséquents déployés dans la prévention du blanchiment ne soient pas mutualisés.
L'article L. 561-21 du CMF permet certes le partage du contenu des déclarations de soupçon entre professionnels du crédit ou entre professionnels du droit ou du chiffre « lorsqu'elles interviennent pour un même client et dans une même opération ou lorsqu'elles ont connaissance, pour un même client, d'une même opération ». Toutefois les conditions posées pour opérer un tel échange sont trop réduites pour être effectives et reposent sur un cloisonnement complexe des professions assujetties par catégorie. Lors de son audition devant la commission d'enquête, une personne auditionnée par la commission d'enquête a plaidé pour la création la mise en place d'un registre partagé KYC, ce qui du point de vue du rapporteur, serait particulièrement utile pour détecter plus précocement les flux frauduleux, bien que cette proposition soulève des interrogations au regard du droit au respect des données personnelles.
Faute de dispositif d'échange d'informations sur les clients à risque abouti, certaines entités ont recours à ces watchlists, qui sont des bases de données éditées le plus souvent par des entreprises anglo-saxonnes, qui mettent à disposition des assujettis des informations sur des personnes à risque. Ces outils peuvent présenter un intérêt pour les professions assujettis, en particulier sans le secteur financier, et favorisent le respect de leurs obligations de vigilance. Toutefois, ces bases de données soulèvent plusieurs interrogations. Toutefois d'abord, les données sont collectées à partir de sources dont la fiabilité n'est pas toujours avérée, ce qui peut causer des fragilités dans le dispositif LCB-FT. Par ailleurs, lors de son audition par le rapporteur, Thomas Dautieu, directeur de l'accompagnement juridique de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), a souligné le très faible encadrement de l'activité de ces watchlist, dont la compatibilité avec le droit à la protection des données personnelles pose question.
Recommandation de la commission d'enquête : renforcer les dispositifs d'échanges d'informations entre professionnels assujettis dans le respect du droit aux données personnelles :
- Encadrer le recours par les professions assujetties aux bases de données privées sur les clients à risque en matière de LCB-FT (ou watchlist) ;
- Envisager la création d'une plateforme sécurisée permettant la mutualisation de données KYC ;
- Engager une réflexion au niveau du comité européen de la protection des données pour identifier des pistes d'amélioration des échanges de données en matière de LCB-FT.
C. TRACFIN : UNE CELLULE DE RENSEIGNEMENT FINANCIER AU CARREFOUR DES VOLETS PRÉVENTIF ET RÉPRESSIF DU DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
La lutte contre le blanchiment correspond à un continuum d'obligations dont l'aboutissement sont les déclarations de soupçons à Tracfin. Situé entre le volet préventif et répressif, ce service de renseignement joue en effet un rôle central au sein du dispositif LCB-FT.
1. Tracfin dispose de caractéristiques hybrides, à la frontière entre les volets préventif et répressif du dispositif de lutte contre le blanchiment
Tracfin est le service de renseignement financier français, placé sous l'autorité des ministères en charge de l'Économie, des Finances et des Comptes publics. En tant que service d'investigation et d'analyse financière, Tracfin dispose de capteurs financiers lui permettant aujourd'hui de contribuer à trois missions :
- la lutte contre la criminalité économique et financière, et notamment la lutte contre le blanchiment ;
- la lutte contre la fraude aux finances publiques ;
- la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, notamment en matière de lutte contre le financement du terrorisme et les ingérences criminelles.
Tracfin est à la fois la cellule de renseignement financier (CRF) française depuis 1990 et, depuis 2008, l'un des six services189(*) de renseignement dit du « premier cercle », qui s'inscrivent au sein de la communauté nationale du renseignement.
L'action de Tracfin se situe ainsi au carrefour entre le volet préventif et le volet répressif du dispositif LCB-FT. Il s'agit d'un CRF aux compétences hybrides.
Les différents modèles de CRF
Au niveau international, il existe trois modèles différents de CRF.
1. Les CRF de type judiciaire : la CRF est établie au sein des services de justice, de sorte que les pouvoirs judiciaires peuvent être plus directement exercés (saisie de fonds, interrogatoire ou détention de personnes) (exemple du Luxembourg).
2. Les CRF de type policier : la CRF est établie comme un organisme de nature policière, chargé d'appliquer la loi, disposant des compétences d'investigation et d'intelligence appropriées (exemple de l'Irlande).
3. Les CRF de type administratif : la CRF est établie au sein d'une administration ou d'un organisme en dehors de la sphère des autorités répressives ou judiciaires, par exemple au sein d'une banque centrale ou du ministère des Finances. Elle constitue une interface entre le secteur déclaratif et le secteur répressif (exemple de l'Italie et de l'Australie).
Si Tracfin est catégorisé comme une CRF administrative au sens du GAFI, il convient de noter que ce service exerce également des missions relevant davantage du volet répressif que la seule enquête administrative.
Source : L'activité de Tracfin, Bilan 2023
Doté de 230 agents, ce service a vu ses effectifs augmenter de 30 % en 5 ans, traduisant une mobilisation croissante à mesure de l'intensification du risque LCB-FT. En effet, entre 2020 et 2024, le nombre de déclarations de soupçons reçues par Tracfin est passé de 111 000 à 215 410, soit une augmentation de près de 94 %.
L'activité d'investigation de Tracfin est alimentée par les remontées d'informations dont ce service bénéficie de la part des acteurs de la sociétés civile assujettis et administrations publiques en charge de leurs supervisions. Une fois les informations recueillies, Tracfin les analyse, les enrichit et exploite tout renseignement propre à établir l'origine ou la destination délictueuse ou criminelle d'une opération financière. Pour cela, le service dispose de plusieurs prérogatives :
- les appels à vigilance qui sont adressées aux professions déclarantes. Tracfin a par exemple récemment eu recours à cet outil pour alerter certains professionnels sur des exemples de faux documents (papiers d'identité, factures, etc.) utilisés pour les démarches administratives de sociétés lessiveuses, afin de mieux les détecter, et de les neutraliser aussitôt en les signalant de Tracfin via la déclaration de soupçon.
- les droits de communication ;
- la consultation de diverses bases de données ;
- la mobilisation de diverses techniques de renseignement ;
- l'échange d'informations avec les CRF étrangères (voir infra) ;
- ou encore les droits d'opposition, qui leur permet de reporter la réalisation d'une opération financière portée à sa connaissance par un assujetti jusqu'à deux jours ouvrables. Ce dernier outil est notamment utilisé comme un moyen de lutte contre les sociétés éphémères ou « lessiveuses ». Le recours à ce droit d'opposition s'est intensifié ces dernières années et a permis au service, entre 2023 et 2024 d'entraver le fonctionnement des comptes bancaires de plus de 400 sociétés éphémères et de les signaler à la justice dans un délai court afin de permettre la saisie pénale de leurs avoirs.
Les données que les agents de Tracfin récoltent grâce à l'utilisation de ces différentes prérogatives sont cruciales puisqu'elles permettent ensuite à ce service de transmettre à l'autorité judiciaire et à d'autres entités impliquées dans la lutte contre la criminalité financière des informations qui permettront d'activer l'arsenal répressif du dispositif LCB-FT. En fonction de la finalité poursuivie, Tracfin transmet ensuite le résultat de ses investigations, soit à l'autorité judiciaire, soit aux administrations partenaires, soit à ses homologues étrangers. En 2023, Tracfin a transmis 387 informations à l'autorité judiciaire en matière de blanchiment de capitaux d'origine criminelle, contre 251 en 2022.
Cartographie des interlocuteurs auxquels Tracfin
est susceptible
de signaler des opérations de blanchiment de fonds
d'origine criminelle
Source : L'activité de Tracfin, Bilan 2023
2. Le dispositif de détection des mouvements financiers frauduleux par Tracfin repose sur une démarche partenariale avec les professionnels assujettis
Tracfin est notamment chargée de collecter et d'analyser les renseignements qui lui sont communiqués par les professions assujetties aux obligations en matière LCB-FT. Ses agents reçoivent et exploitent les déclarations de soupçons émises par ces professions assujetties ainsi que les communications systématiques qui concernent chaque versement d'espèce ou de monnaie électronique qui dépasse un seuil de montant par opération ou de montant mensuel cumulé. Comme le soulignait la journaliste Anne Michel lors de son audition devant la commission d'enquête, « tout le travail d'enquête de Tracfin se fonde sur les déclarations de soupçons que lui remettent les professionnels assujettis, l'agence ne disposant ni de pouvoir d'enquête propre ni de pouvoir de coercition ». Sans cette remontée d'informations absolument cruciale, Tracfin n'aurait en effet pas la capacité de capter seul un tel volume de données. Ce service n'est en revanche pas habilité à recevoir et traiter les informations transmises par des particuliers.
Lors de l'audition par la commission d'enquête de la ministre des comptes publics Amélie de Montchalin, le directeur adjoint de Tracfin, Alban Genais, a qualifié ce mécanisme de coopération avec les professions assujetties comme un véritable « partenariat public-privé ». Tracfin mène d'ailleurs régulièrement des actions de sensibilisation auprès des professionnels assujettis, dans le cadre du COLB notamment, qui se traduisent notamment par l'élaboration de lignes directrices pour leur permettre une meilleure appropriation de leurs obligations.
3. Des mécanismes de coopération avec d'autres autorités nationales et internationales qui sont essentiels à l'activité de Tracfin
L'activité de Tracfin en matière de LCB-FT repose également sur une logique partenariale avec une multitudes de partenaires publics, par l'intermédiaire de dispositif d'échanges d'informations bilatéraux, mais aussi, par sa participation à des instances supranationales.
Tout d'abord, Tracfin peut également être destinataire des informations de soupçons transmises par les administrations, services de renseignement, autorités judiciaires, collectivités territoriales, établissements publics, autorités de contrôle et ordres professionnels et instances représentatives au titre des articles L. 561-27 et L. 561-28 du code monétaire.
Par ailleurs, Tracfin siège dans plusieurs organes de coordination interministérielle visant à lutter contre la criminalité financière, et plus particulièrement, du COLB. Ce service a également signé des conventions avec d'autres services de renseignement du premier cercle sur des thématiques diverses, et notamment, avec la police nationale de manière renforcer l'information sur le trafic de migrants, ou encore avec les services de renseignement pénitentiaires, ou encore, avec la direction nationale du renseignement douanier (DNRED). Tracfin s'appuie sur son expertise découlant de sa compréhension des flux financiers afin de compléter les analyses dans l'ensemble des compétences, des sujets et des priorités de sécurité nationale traités par les services de renseignement.
Tracfin a également vocation à participer à des mécanismes de coopération supranationaux, en participant notamment aux réunions du Groupe d'action financière (GAFI), en représentant la France au sein de la futur Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC ou Anti money laundering authority - AMLA. Par ailleurs, dans le cadre de son audition devant la commission d'enquête, le directeur de Tracfin Antoine Magnant a également insisté sur l'importance de l'approfondissement la coopération bilatérale de Tracfin avec ses homologues internationaux, au regard de l'internationalisation des schémas frauduleux.
II. UN ARSENAL RÉPRESSIF AMBITIEUX MAIS DONT LA MISE EN oeUVRE EST PERFECTIBLE
La commission d'enquête considère nécessaire d'assumer une nouvelle doctrine stratégique en matière de répression du haut du spectre en s'attaquant aux ressources financières pour frapper la criminalité organisée.
Le but doit être d'ajouter une nouvelle dimension financière à l'approche globale de la lutte contre la criminalité organisée, en s'attaquant directement aux réseaux de blanchiment. L'arsenal législatif le permet, mais les équipes sont trop cloisonnées, spécialisées, alors qu'elles traitent un même ennemi. Le risque est celui, bien connu dans l'art militaire, d'une dispersion au lieu d'une concentration des forces. Pour le surmonter, il faut que l'information circule mieux, verticalement pour permettre une vue globale des phénomènes de criminalité organisée, mais aussi horizontalement depuis le plus fin des maillages territoriaux. Il faut aussi développer une culture commune, un réflexe des investigations financières et patrimoniales, y compris au niveau international.
A. LE CLOISONNEMENT DES SERVICES ENTRAVE LA POTENTIALITÉ DES TEXTES RÉPRESSIFS
1. L'arsenal législatif que le monde nous envie...
Les techniques de blanchiment, ont pour but de faire disparaître les traces du produit de l'infraction ou de perdre les enquêteurs dans un chemin trop long à explorer, une sorte de labyrinthe truffé d'impasses et de longs détours. Dans les deux cas, la preuve est alors quasiment impossible à apporter devant un tribunal de l'origine illégale des fonds, de telle sorte que les biens d'une personne condamnée pour trafic ne pourront pas être confisqués sur ce fondement.
Afin de répondre à ce problème, le législateur a incriminé le fait même de blanchir le produit d'un trafic de stupéfiants, puis de tout crime ou délit puni de plus de cinq ans d'emprisonnement190(*). Mais, pour constituer cette infraction, les magistrats et enquêteurs doivent établir que l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion porte sur l'argent généré par le trafic. Concrètement, les enquêtes doivent démontrer que l'argent qui entre dans le labyrinthe provient d'un trafic, ou de toute infraction dite « sous-jacente », ce qui nécessite de monter des surveillances du point de deal où l'argent est généré, de prouver qu'il s'agit bien d'un trafic (ce qui constitue une enquête en soi), et le suivre jusqu'à la remise de cet argent dans le circuit de blanchiment. Ainsi, deux infractions distinctes seront caractérisées : les trafiquants seront condamnés pour trafic et leur biens confisqués, et les blanchisseurs pour blanchiment191(*).
L'un des éléments constitutifs de l'infraction de blanchiment est ce lien entre l'infraction « sous-jacente » et le mécanisme de dissimulation. C'est pourquoi classiquement, les services d'enquête et les magistrats déjà saisis d`une infraction sous-jacente, sont également chargés des enquêtes dirigées contre le blanchiment qui en résulte : l'office central chargé de la lutte contre tel trafic, de stupéfiants, d'êtres humains, de contrefaçons ou de déchets, sera également chargé de caractériser le blanchiment des sommes générées afin de saisir puis confisquer les biens acquis grâce à elles192(*). Du fait de ce lien, les services se spécialisent également en lutte contre le blanchiment : l'office chargé de la lutte contre les stupéfiants mènera des enquêtes pour blanchiment de trafic de stupéfiants, et l'office central de la douane mènera des enquêtes pour blanchiment d'infractions au code des douanes.
Mais le chemin des enquêteurs est semé d'embuches. Ainsi, lorsqu'un enquêteur s'attache à remonter l'origine des fonds qui ont permis l'achat de tel bien immobilier luxueux, il suffit que l'argent provienne d'un pays non coopératif, c'est-à-dire qui ne répond pas aux questions des magistrats français, pour que l'enquête achoppe, qu'on ne puisse pas remonter à l'infraction qui a généré l'argent. Les autorités françaises, dans les cas de refus de coopération, sont dépourvues de moyens de contraindre les intermédiaires à révéler les circuits financiers frauduleux.
Autrement dit, les services d'enquête se trouvent dans l'impossibilité d'établir le lien entre les fonds qui sont sortis du circuit de blanchiment au bénéfice du trafiquant et un crime et un délit et l'infraction sous-jacente, alors qu'il s'agit là d'un des éléments constitutifs du délit de blanchiment. Les biens du trafiquant ne peuvent être saisis et la personne ayant construit le labyrinthe ne peut pas être condamnée pour ce seul fait.
Face à cette preuve en pratique quasi impossible à obtenir puisqu'elle dépasse les moyens juridiques de l'État, le législateur a créé en 2013 une présomption simple de blanchiment193(*), qui consiste d'une part à délier la caractérisation du délit de blanchiment de la preuve de toute infraction sous-jacente, et d'autre part, face à un mécanisme qui ne présente aucune raison économique a priori légitime, à mettre la personne concernée dans l'obligation de s'expliquer sur son objet.
Ainsi, aux termes de l'article 324-1-1 du code de procédure pénale, « les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ».
Cette présomption se révèle particulièrement utile lorsque les enquêteurs rencontrent des mécanismes qu'une personne agissant « normalement » ne monterait pas. Par exemple, lorsque le contrôle d'un véhicule révèle que des centaines de milliers d'euros sont dissimulés dans des caches aménagées (conditions matérielles), ou que des fonds sont disséminés sur une multitude de comptes puis virés à de multiples reprises (conditions financières), ou bien envoyés à destination de pays non coopératifs (conditions juridiques). Dans ces types de cas, la personne en cause devra expliquer les raisons qui l'ont conduit à adopter ce comportement, raisons qui peuvent être légitimes (par exemple afin de préserver le secret des affaires, ou pour un réfugié d'échapper à une répression politique portant sur son patrimoine) auquel cas l'enquête est classée sans suite, ou refuser de s'expliquer et dans ces conditions l'infraction de blanchiment est caractérisée, ce qui permet la saisie et la confiscation de ce qui est considéré comme le produit d'une infraction sous-jacente. Le lien est alors juridiquement établi alors qu'il n'est pas matériellement démontré.
Autrement dit, d'une part, le simple fait qu'une personne ait fait transiter des fonds par un labyrinthe ayant pour effet (et non nécessairement pour objet) de piéger ou de retarder les enquêteurs suffit à présumer que ces fonds proviennent d'un crime ou d'un délit ; d'autre part, si la personne concernée ne s'explique pas, le droit brise les murs du labyrinthe monté par les trafiquants et les blanchisseurs autour des enquêteurs : l'infraction de blanchiment est caractérisée.
Toute la question est de déterminer à partir de quel moment un mécanisme de dissimulation permet de déclencher les conditions d'application de cette présomption à l'encontre des personnes qui y participent, présomption qui a pour effet de renverser la charge de la preuve en matière pénale. Il appartient à la jurisprudence de le définir au cas par cas. Après plusieurs années de frilosité des magistrats, le mécanisme, qui a été vu comme une révolution de notre droit pénal, est aujourd'hui de plus en plus utilisé mais ses potentialités ne sont pas encore atteintes, ainsi que l'ont souligné les magistrats mais aussi le ministre de l'intérieur lors de leurs auditions.
Source : JUNALCO
Le même mécanisme a été étendu aux enquêtes menées par les officiers de douane judiciaire par la création d'une présomption de blanchiment douanier à l'article L. 415-1 du code des douanes194(*). Cette évolution, qui coupe le lien avec le délit douanier, fait que les agents de cette administration peuvent enquêter sur les réseaux de blanchiment dans les mêmes conditions que les agents du ministère de l'intérieur. Vu le recours quasi systématique au transfert ou compensations internationales, l'apport des douaniers est bienvenu.
Il convient de préciser que contrairement à une idée reçue, les mécanismes d'inversion de la charge de la preuve ne sont pas inédits dans notre droit pénal. Ils sont mêmes communs lorsqu'il s'agit de lutter contre les organisations criminelles à but lucratif ou de frapper le réel bénéficiaire d'une activité criminelle dont l'organisation ne peut pas être caractérisée par les autorités.
Ainsi dès 1946 et l'adoption de loi n° 46-685 du 13 avril 1946 dite « Marthe Richard » tendant à la fermeture des maisons de tolérance et au renforcement de la lutte contre le proxénétisme, est considérée comme proxénète la personne qui, vivant sciemment avec une personne se livrant habituellement à la prostitution, ne peut justifier de ressources suffisantes pour lui permettre de subvenir seul à sa propre existence195(*). Un dispositif comparable a été d'abord appliqué en matière de trafic de stupéfiants196(*) ainsi qu'aux parents d'un mineur délinquant197(*). Il a été étendu en 2006 à toute personne étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes auteurs d'un crime ou d'un délit lucratif puni de plus de cinq ans d'emprisonnement.
Par ailleurs du point de vue des peines prononcées à l'encontre des personnes condamnées pour un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et leur ayant procuré un profit direct ou indirect, le sixième alinéa de l'article 131-21 du code pénal autorise la confiscation des biens lui appartenant au condamné dont il n'a pu justifier l'origine. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic va plus loin en fixant le principe de la confiscation obligatoire pour les personnes entrant dans le champ de l'article 321-6 du code pénal.
Ces mécanismes remplissent les plus hauts standards internationaux en termes de lutte contre le blanchiment, ainsi que l'a relevé le GAFI lors de son évaluation de 2022, à telle enseigne que les magistrats français se heurtent parfois aux réticences de leur homologues étrangers à répondre à leur demande d'entraide, considérant que les textes d'incrimination français sont trop sévères198(*). Il convient toutefois de les assumer clairement.
En miroir de la présomption introduite à l'article 324-1 du code pénal, dont il faut comprendre la révolution qu'elle opère en libérant l'infraction de blanchiment de l'infraction sous-jacente, les structures judiciaires et d'enquête n'ont que peu évolué, ne voyant pour la plupart le blanchiment que comme un accessoire d'une autre infraction. Pourtant, potentiellement, un magistrat et le service d'enquête saisi peuvent dorénavant, et certains le font, se concentrer uniquement sur l'infraction de blanchiment, puisqu'il n'est plus nécessaire de démontrer l'infraction sous-jacente. D'ailleurs, le simple fait de le commettre en bande organisée suffit à porter les peines encourues à 10 ans d'emprisonnement et les peines peuvent encore être renforcées suivant les circonstances199(*).
L'incrimination du blanchiment d'une part, et la procédure pénale d'autre part, sont suffisamment dissuasifs pour attaquer les réseaux de blanchiment eux-mêmes, ce qui permettrait de s'en prendre à la fonction support de tous les réseaux de trafics. Se pose donc la question d'une montée en gamme des stratégies et de structures d'enquêtes visant le blanchiment en lui-même, détaché de toute infraction sous-jacente pour mieux frapper ces dernières.
Les magistrats spécialisés déplorent que les circuits financiers, le blanchiment de manière générale, ne soit traité que comme une infraction accessoire ou secondaire et n'entre pas toujours dans la stratégie initiale des enquêteurs. Ceci s'expliquerait par le fait qu'il n'y aurait pas assez d'enquêteurs financiers qui participeraient à la définition de la stratégie d'enquête lorsqu'elle débute. Certes, Tracfin et les dénonciations sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale par diverses administrations alimentent les magistrats en renseignement, mais le travail d'initiative policière et douanière devrait être renforcé en matière économique et financière.
D'ailleurs, l'expérience, tant des services d'enquête que des juridictions spécialisées, montrent que les condamnations pour blanchiment dans les enquêtes uniquement consacrées à cette infraction sont plus sévères que lorsque l'enquête comporte également la répression du trafic source du profit.
La pleine mobilisation de ces outils nécessite avant tout une formation accentuée des magistrats en la matière, notamment des juridictions de jugement.
Texte |
Peine d'emprisonnement |
Peine d'amende |
Confiscation |
Articles 324-1 Code pénal et suivants (général) |
5 ans (10 ans si aggravé, notamment en bande organisée) |
375 000 € ou la moitié du montant blanchi |
Confiscation de l'objet et du produit ayant servi à commettre l'infraction, des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction |
Article 222-38 Code pénal (stupéfiants) |
10 ans (plus en fonction de l'infraction sous-jacente) |
750 000 € |
|
Article 415 Code des douanes |
10 ans |
1 à 5 fois le montant blanchi (10 fois si B.O.) |
2. ... mis en oeuvre par des forces encore trop cloisonnées
La répression du blanchiment ne nécessite plus de caractériser une infraction sous-jacente, y compris en matière douanière, et cela justifie des enquêtes autonomes sur cette infraction. Par ailleurs, on l'a vu dans la première partie, les moyens du blanchiment sont multiples : il fait appel à des collecteurs, des passages de frontières, des montages comptables, financiers, ou juridiques complexes, des fraudes aux importations, des rachats de commerces etc. Cela signifie que ce phénomène échappe en partie au champ de compétence de chacune des administrations chargées de sa répression, à savoir la police, la gendarmerie, le douanes, le fisc, chapeautées par la justice qui dirige les enquêtes. De plus, au sein même de l'intérieur et de la justice, le partage entre l'économique et le financier d'une part, et les autres pans de la criminalité organisée d'autre part est dépassé puisque l'économique et financier est mis au service des trafics. Enfin le phénomène déterritorialisé appelle un pilotage nécessairement national des services répressifs.
Autrement dit, la structuration de nos outils en silos doit être interrogée. Le futur PNACO et le nouvel EMCO ne sont pas la réponse à tout. Ils ne pourront effectivement fonctionner sans une révolution culturelle.
a) La pluralité des services judiciaires s'articule bien mais son défi réside dans la bonne diffusion de l'information relative à la criminalité financière.
Pour rappel, six niveaux judiciaires sont susceptibles d'intervenir en matière de blanchiment :
- les tribunaux judiciaires non spécialisés de droit commun dont certains, en fonction de leur taille, disposent de sections dédiées à la délinquance économique et financière ;
- les pôles économiques et financiers, qui ne sont plus qu'au nombre de deux aujourd'hui, à Bastia et à Nanterre ;
- les huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) qui sont compétentes également en matière économique et financière, chargé de la lutte contre la délinquance d'une grande complexité. Ces juridictions comportent des parquetiers, des juges d'instruction ainsi que des chambres de jugements spécialisées ;
- la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée de très grande complexité (JUNALCO) qui à l'instar des JIRS voient leurs affaires instruites et jugées par des magistrats également spécialisés ;
- le parquet national financier (PNF) chargé d'infractions spécialement énumérées à l'article 705 du code de procédure pénale (probité, fiscalité, atteintes au marché financier et infractions concurrentielles) ;
- le parquet européen compétent dans la poursuite contre les atteintes aux finances publiques européennes.
Les cinq premiers niveaux ont le plus souvent des compétences concurrentes qui nécessitent une bonne circulation d'informations et une bonne coordination, pour que chaque affaire soit traitée à l'échelon le plus approprié.
Sur la base des éléments et des informations qu'elle recueille, la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice (DACG) adresse aux magistrats du parquet des circulaires générales de politique pénale, thématiques ou territoriales qui encadrent leur action, afin d'harmoniser le traitement des infractions, d'apporter des outils techniques et juridiques ainsi que de diffuser ces bonnes pratiques à l'ensemble des juridictions.
Plusieurs circulaires ont été diffusées afin de coordonner l'action des différents parquets : par exemple celle du 31 janvier 2014, relative au procureur de la République financier, qui prévoit l'articulation des compétences entre les différentes juridictions spécialisées en matière économique et financière, ou à la circulaire du 17 décembre 2019 qui a accompagné la création de la JUNALCO, circulaire qui constitue l'un des piliers de l'articulation des juridictions de droit commun. Un certain nombre de circulaires thématiques ou territoriales ont également été diffusées, qui rappellent et déclinent ces principes d'articulation. La récente circulaire du 5 mars 2025 vient renforcer quant à elle la coordination judiciaire en matière de lutte contre la criminalité organisée dans son ensemble, intégrant l'aspect de la délinquance économique et financière.
Certains mécanismes de coordination sont par ailleurs prévus dans le code de procédure pénale (ex : l'article 705-4 CPP qui prévoit que le procureur général près la cour d'appel de Paris anime et coordonne, en concertation avec les autres procureurs généraux, la conduite de la politique d'action publique pour l'application de l'article 705 CPP relatif aux crimes économiques et financiers les plus complexes).
Globalement, les magistrats auditionnés ont indiqué que les mécanismes de coordination de ces différents niveaux fonctionnaient bien et qu'il n'y avait pas de réels conflits de compétence lorsqu'ils entraient en concurrence. Le futur PNACO devrait donc s'insérer dans un ensemble déjà bien rodé, certainement en remplacement de la JUNALCO.
L'un des facteurs de réussite du PNACO sera pour lui de pouvoir s'appuyer sur une connaissance fine du terrain, ce qui implique une remontée d'informations bien calibrée avec deux écueils qu'il faudra éviter : l'aveuglement d'une juridiction trop éloignée ou à l'inverse le risque d'embolisation d'une structure sous un flot indiscriminé d'informations.
À l'heure actuelle, les juridictions de droit commun, celles du premier niveau, doivent informer les JIRS de toute affaire significative pour permettre à ces dernières d'avoir un diaporama de la délinquance au niveau régional et d'envisager, le cas échéant, une saisine en fonction des critères et des doctrines d'emploi qui auront été préalablement fixés. Une redescente de l'information est également indispensable pour le traitement local de la délinquance par les juridictions de droit commun.
Il convient à cet effet de renforcer les JIRS dans leur capacité à produire de manière autonome leur propre analyse criminelle dans cette direction verticale ascendante, mais aussi de façon horizontale au sein du réseau JIRS ainsi que dans la dimension verticale descendante à destination des parquets de droit commun ou des administration partenaires. [À cet égard l'élargissement aux JIRS, de la faculté aujourd'hui uniquement ouverte au parquet de Paris de communiquer aux services de renseignement les données d'enquête nécessaires à l'exercice des missions de ces services au titre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées doit être envisagée200(*)].
Recommandation de la commission d'enquête : créer auprès de chaque JIRS une cellule d'assistants spécialisés, d'enquêteurs ou de douaniers spécialisée en criminalité financière. ?
Le PNF a indiqué qu'une extension de ses compétences en matière de blanchiment d'une certaine complexité quelle que soit l'infraction source201(*) permettrait de s'appuyer sur ses expertises acquises dans son domaine de spécialité.
Il est vrai que les experts ont indiqué que les réseaux criminels ont recours à tout un panel d'infractions, dans le cadre de leur logistique criminelle ou dans celui de leur diversification d'activité, dont certaines relèvent du domaine partagé ou exclusif du PNF : ainsi en est-il des procédés de corruption ou de délits d'initiés. De même, les connexions qui existent entre criminalité en col blanc et criminalité organisée remettent en question la distinction structurelle entre le PNACO d'une part et le PNF d'autre part. Il faudra certainement imaginer des mécanismes de coordination particulièrement intégrés (co-saisine systématique PNACO-PNF). Quoi qu'il en soit, à l'inverse des juridictions de droit commun, le PNF en est rendu à devoir caractériser l'infraction sous-jacente, ce qui dans les faits l'empêche souvent de pouvoir mobiliser l'infraction de blanchiment contre les réseaux spécialisés dans cette infraction, ce qui le contraint de classer l'affaire, ou de se dessaisir au profit d'autres parquets.
Recommandation de la commission d'enquête : étendre le champ de compétence du PNF à l'ensemble de la criminalité financière ou lui permettre du moins de mobiliser la présomption de blanchiment ?
b) Les services d'enquête sont également très nombreux, et répartis entre deux ministères, ce qui pose le défi de la circulation de l'information et la concurrence de compétences.
La présentation des services impliqués dans la lutte contre le blanchiment passe par une revue des offices centraux et des services territoriaux du ministère de l'intérieur (police nationale, préfecture de police, gendarmerie nationale) et du ministère des finances (direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), et de la direction générale des finances publiques (DGFip)).
Concernant la police, le niveau central comporte des offices dédiés à la plupart des infractions lucratives : l'Office antistupéfiants (OFAST), l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), l'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM), et enfin l'Office anti-cybercriminalité (OFAC). Chacun peut traiter le volet blanchiment ou avoirs criminels des affaires, particulièrement l'OFAST qui dispose d'un groupe dédié, mais pour l'essentiel, ces aspects sont traités par les services spécialisés co-saisis lorsque la complexité l'impose.
Concernant les infractions financières, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF) de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) est en première ligne.
En son sein, l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) est constitué de 63 fonctionnaires, spécialisés dans la lutte contre le blanchiment, les fraudes, les escroqueries complexes ou de grande ampleur.
L'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), armé de 76 enquêteurs spécialisés qui luttent contre la corruption nationale et internationale, les atteintes à la probité, les infractions au droit des affaires, la fraude fiscale complexe et le blanchiment de ces infractions.
Une section de la preuve numérique, constituée d'officiers de police judiciaire dotés d'une expertise forensique en investigations financières et chargée de la recherche et de l'analyse des preuves numériques pour les deux offices.
Elle comprend également la plateforme d'identification des avoirs criminels (PIAC), qui centralise le suivi des avoirs criminels saisis par la police et la gendarmerie nationale sur le territoire national.
Le service d'information de renseignement et d'analyse stratégique de la criminalité organisée en charge du renseignement financier (Sirasco financier), point de contact des services de renseignement et des partenaires financiers, est également rattaché à la SDLCF. Ce service est dédié aux recoupements opérationnels ainsi qu'à la caractérisation de phénomènes criminels émergents à partir des enquêtes réalisées.
Enfin, la SDLCF assure la coordination nationale des groupes interministériels de recherche (GIR), qui eux échappent à la compétence seule de la DNPJ.
Les GIR
Structure interministérielle de lutte contre la délinquance financière sous toute ses formes, les GIR comptent, au 1er février 2025, 436 personnels, provenant à 51 % de la police nationale, à 30 % de la gendarmerie nationale, à 17 % du ministère de l'économie et des finances et à 2 % d'autres administrations, telles que l'Urssaf, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ou la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Cette diversité de personnels met à disposition plusieurs armes : code pénal, mais aussi à celui des douanes, des impôts, du travail et de la concurrence. Les GIR élaborent leur stratégie opérationnelle en s'appuyant ses les différentes cultures et les différents pouvoirs de leurs agents, afin de lutter de manière administrative ou judiciaire contre leurs cibles.
Leur action est dirigée contre les réseaux d'économie souterraine, les affaires de fraudes sociales, ou de fraudes aux aides Covid, le travail illégal, le travail clandestin, la dissimulation de fonds, le blanchiment d'argent, la fraude fiscale, l'évasion fiscale. De nombreux exemples ont été donnés à la commission d'enquête, de l'apport des GIR dans le démantèlement de réseaux de délinquance et de saisies patrimoniales.
La SDLCF abrite également une brigade nationale d'enquêtes économiques (BNEE), composée d'agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP), et dont les 24 antennes sont implantées dans les services centraux et territoriaux de la DNPJ et de la direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris. Cette brigade participe aux enquêtes des services de police judiciaire sur l'ensemble du territoire national et favorise la sanction financière des faits criminels dans le cadre des procédures pénales ou fiscales.
Enfin, deux officiers de liaison de la sous-direction sont en poste auprès de Tracfin.
Au plan territorial, le service interdépartemental de police judiciaire (SIPJ) s'appuie sur deux divisions opérationnelles, la division de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS), dédiée au traitement des réseaux criminels d'envergure supradépartementale et des affaires criminelles complexes, et la division de la criminalité territoriale (DCT), dédiée au traitement des affaires sensibles, graves ou complexes dépassant les compétences de la circonscription de police nationale.
Enfin, chaque département dispose d'un groupe d'identification des avoirs criminels ou d'un référent. L'action de tous ces services est pilotée par la SDLCF, qui organise un bureau de liaison mensuel.
Au total, la PJ traite d'après le DGPN 85 % des affaires relevant de la criminalité organisée et les services de la SDLCF contribuent à hauteur de 40 % les chiffres de saisie de la police nationale dans son ensemble.
Concernant la gendarmerie nationale, son directeur général (DGGN) a rappelé qu'elle s'organise suivant un principe de subsidiarité : si la brigade territoriale (au nombre de 3 000) est dépassée, il est fait appel à la brigade de recherches d'arrondissement (367), puis aux sections de recherches au niveau régional (44)202(*), et enfin au niveau national.
Ce niveau national regroupe actuellement plusieurs offices centraux en lien avec la criminalité organisée : l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), l'office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP).
Le niveau national sera grandement modifié par la création d'une unité nationale de police judiciaire (UNPJ), qui comptera plus de 1 000 enquêteurs et sera composée de trois grands pôles. Le premier consacré au rapprochement des renseignements administratifs et judiciaires, le deuxième dédié aux enquêtes, notamment capable de renforcer les groupes d'enquête des unités territoriales, et le troisième dédié à l'appui spécialisé (notamment cyber).
Au sein de la préfecture de police de Paris, compétente sur la région parisienne, les unités de lutte contre la criminalité financière sont regroupées par la sous-direction cyber et financière, qui comprend la brigade de recherches et d'investigations financières (Brif), qui compte notamment 6 agents de la DGFip.
Au sein du ministère des finances, les douanes sont au premier chef concernées par la lutte contre le blanchiment, dont les formes internationales sont récurrentes. Ainsi sont-ils compétents par exemples pour la répression des mécanismes de blanchiment via des importations, exportations, compensation, transport de fonds. De plus, les douanes ont vu leurs compétences étendues au-delà de leurs compétences historiques, par exemple en matière de protection des intérêts financiers de l'UE, même lorsque celles-ci ne sont pas de nature douanière, ou bien dans le transport de fonds au sein même du territoire national203(*).
La direction générale s'appuie notamment sur la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), service de renseignement à compétence nationale qui met en oeuvre la politique du renseignement, des contrôles et de la lutte contre la grande fraude douanière. Ce service est par exemple chargé de la mission de collecte du renseignement fiscal sur la fraude fiscale.
En 2024, 2709 faits de manquement à l'obligation déclarative et de blanchiment ont été constatés par les services douaniers français (2393 en 2023). 469 constatations relatives au blanchiment douanier, pour un montant total de 19,8 millions d'euros, ont été relevées en 2024(204 constatations en 2023 pour un montant total de 12,3 millions d'euros).
L'office national anti-fraude (ONAF), placé sous la double tutelle des douanes et de la DGFip, constitue l'arme judiciaire de ces directions générales.
Composé de douaniers et d'agents de l'administration fiscale, sa compétence est large mais limitée à des infractions spécifiquement énumérées : infractions douanières, escroqueries à la TVA, vols de biens culturels, fraudes aux accises ou aux intérêts de l'Union européenne204(*), blanchiment205(*). Il compte 345 agents, dont 260 officiers de douane judiciaire (ODJ), et devrait intégrer 67 nouveaux officiers fiscaux judiciaires (OFJ) actuellement en formation. Une unité fiscale et une unité douanière - la plus importante, avec 80 enquêteurs - sont implantées à Paris. Les 8 autres unités sont réparties sur l'ensemble du territoire, principalement composées d'ODJ, sauf à Marseille où un groupe mixte d'OFJ et d'ODJ sera constitué du fait de l'importance des affaires fiscales dans cette zone.
L'ONAF ne bénéficie pas du pouvoir d'initiative : il doit être saisi par les magistrats, principalement le PNF (qui à lui seul concentre 85 % des missions des OFJ), le Parquet européen, les JIRS et la JUNALCO206(*). Il intervient sur toutes formes de blanchiment des fraudes aux finances publiques et douanières, ce qui en fait un acteur incontournable de la lutte contre le blanchiment. Sa position concurrente avec les offices centraux de la PJ pose toutefois la question de la déperdition des forces. Néanmoins, son action a permis la saisie de 597 millions d'euros d'avoirs criminels en 2024.
Avoirs criminels saisis ou identifiés par l'ONAF en millions d'euros
Année |
Montant (en millions d'euros) |
2021 |
125,1 |
2022 |
175,5 |
2023 |
159 |
2024 |
597 |
Recommandation de la commission d'enquête : Organiser la formation commune gendarmerie, douanes, police, fisc sur l'open source, le cyber, les cryptoactifs.
Recommandation de la commission d'enquête : accorder un pouvoir d'initiative à l'ONAF.
c) Des structures de coordination inachevées
Chacun s'accorde à souligner la qualité des services d'enquête spécialisés en matière financière. Toutefois, la multiplication des acteurs pose la question du risque de déperdition de l'information.
Afin de répondre notamment à ce défi, une Task force narco-blanchiment (TF-NB) pilotée par la DNPJ a été formée à l'automne 2024.
Elle consiste en une réunion mensuelle de toutes les structures centrales de la DNPJ susceptibles de disposer d'information ayant trait au blanchiment. Les informations sont partagées sur une boite mail commune. Surtout, à ceci s'ajoute un format TF-NB élargi qui associe les partenaires (PP, TRACFIN, GN, ONAF, DNRED...). Son rythme sera semestriel, la première réunion s'est tenue courant février 2025.
La création d'un état-major de lutte contre la criminalité organisée (EMCO), installé par le président de la République en mai 2025, visera à centraliser et coordonner, au service du futur PNACO, l'action des principaux services de renseignement et d'enquête pour lutter plus efficacement contre les réseaux criminels, notamment dans les domaines du narcotrafic, du blanchiment, des règlements de comptes et des trafics internationaux.
Les mécanismes de coordination existent, mais il convient d'interroger la pertinence de la multiplication des acteurs lorsqu'ils visent au même but. Les états-majors divers, conventions interservices ou d'équipes mixtes d'enquête207(*) n'apparaissent pas suffisants pour assurer l'efficacité opérationnelle. De même les instances de coordination nationale telles que la MICAF ou le COLB sont intéressant au niveau tactique, mais non pas opérationnel.
Plusieurs services concourent à la lutte contre le blanchiment, sans qu'on comprenne l'intérêt réel de cette multiplicité, notamment au niveau central, qui s'explique pour des raisons historiques.
De plus, dans la mesure où la plupart des techniques de blanchiment du haut du spectre utilisent des mouvements de fonds internationaux, l'intégration du travail policier et douanier apparait comme essentiel. Il en est de même des agents de la DGFip lorsque des mécanismes financiers entre en jeux. La coordination n'est qu'un pis-aller : elle produit nécessairement une dispersion des forces et une déperdition d'informations qui conduiront à des fautes stratégiques face à des réseaux qui restent, eux, très concentrés et structurés208(*).
Des exemples d'intégration existent, souvent poussés par l'international.
Ainsi la PIAC est le chef de file du dispositif de recherche d'avoirs criminels au sein du ministère de l'intérieur, pour le compte de la police ou de la gendarmerie nationales. Elle est également point de contact unique pour l'ensemble des services, police, gendarmerie, douanes, magistrats, en cas de demande de recherches de biens à l'étranger.
d) Une structure cloisonnée et dépassée
L'économique et le financier constituent historiquement un pan à part de la structuration des services judiciaires et d'enquêtes : les escroqueries, les fraudes, le travail dissimulé, les abus de bien sociaux sont traités à part. Les enquêteurs dédiés sont habitués à des enquêtes sur pièces visant des cols blancs plutôt qu'à des surveillances de points de deal. La logique doit être différente pour lutter contre les montages financiers complexes mis au service d'une criminalité organisée qui monte en gamme et a recours à des méthodes basiques de blanchiment telles que l'hawala.
Le succès de la lutte contre le blanchiment qui finance les organisations criminelles passe par un partage d'informations efficace, la remontée de renseignements au bon niveau et l'interministérialité du travail d'enquête. Il nécessite également de pouvoir prendre en compte des organisations criminelles organisées sur l'ensemble du territoire national voire international209(*).
Au plan national, deux entités traitent du blanchiment spécifiquement des produits de la criminalité organisée : l'OCRGDF de la police nationale d'une part, l'ONAF des douanes d'autre part. Mais à leur manière via les recouvrements qu'elles prononcent, les URSSAF et la DGFip contribuent à reprendre le produit des trafics aux organisations criminelles210(*).
Dans la mesure où le blanchiment ne conduit pas en général à un dépôt de plainte (de ce point de vue au moins on peut concéder qu'il s'agit d'un crime sans victime), le succès de la lutte contre ce phénomène repose d'abord sur la capacité des services d'enquête à obtenir des renseignements susceptibles de justifier l'ouverture d'une enquête pénale211(*), notamment une enquête dite « préliminaire », dont l'objet est justement de rassembler des éléments afin de caractériser une infraction qui à ce stade n'est que suggérée.
Les types d'informations susceptibles d'intéresser ces services sont innombrables. Travail dissimulé, sociétés éphémères, commerces inactifs étrangement bénéficiaires, faux documents, corruption, fraudes sociales, aides publiques détournées, tous ces phénomènes connus des territoires sont nécessairement le signe d'un blanchiment plus ou moins élaboré, d'une surface plus ou moins importante. Les services ont donné des exemples particulièrement frappants d'enquêtes portant sur plusieurs dizaines de millions d'euros qui sont parties des données d'un simple contrôle d'un lieu d'activité réalisé sur réquisition du procureur212(*).
De plus l'usage des fichiers étanches propres à chaque administration empêche des recoupements efficaces, autrement dit un partage horizontal de l'information, crucial pour lutter efficacement contre la criminalité organisée.
De l'aveu des magistrats, le Système Informatisé de Recoupement, d'Orientation et de Coordination des procédures de Criminalité Organisée (SIROCCO), pensé dans ce but, ne fonctionne pas. Les services enquêteurs ont quant à eux insisté sur le nombre élevé de fichiers qu'il fallait interroger, ainsi que les informations qui ne peuvent être consultées que par les administrations partenaires. Ainsi que l'a souligné le commandant de l'unité nationale cyber de la gendarmerie nationale, sans permettre un accès direct et complet des enquêteurs et des magistrats à l'ensemble des fichiers gérés par les forces de sécurité, un système de « hit/no hit » centralisé, à l'image des services espagnols, permettrait au moins de savoir si tel ou tel fichier, dont la consultation devra ensuite être spécifiquement autorisée ou arbitrée, contient des données intéressantes pour les enquêtes en cours. Son alimentation automatique devrait regrouper les enquêtes menées par les officiers de police judiciaire ainsi que les magistrats eux-mêmes. L'usage pourrait être développé au-delà des seules forces de sécurité, par exemple lorsque les services d'enquête cherchent l'adresse de leur cible : les fichiers des URSSAF, ou de la CAF se révèlent souvent plus à jour que les autres. Un simple hit permettrait à l'enquêteur de demander l'information qu'il sait présente dans le fichier concerné. Comme l'ont indiqué les journalistes et les enquêteurs entendus, l'impression donnée est celle d'une lutte artisanale face un phénomène industriel. Les chefs d'investigation cyber ont même indiqué à la commission d'enquête que certains recoupements opérationnels entre services français étaient réalisés par Europol ! Le respect du principe de subsidiarité voudrait qu'au moins nos services français puissent dialoguer sur leurs affaires sans nécessité l'intermédiation, par ailleurs très riche comme on le verra, de cette agence européenne de coopération policière. Le réflexe de l'argument des contraintes liées à la CNIL doit être sérieusement questionné, puisque certains pays européens soumis aux mêmes exigences en termes de protection des données personnelles l'ont fait.
Les mêmes erreurs sont reproduites dans de nouveaux domaines : ainsi en est-il du recours à différents acteurs de l'analyse de la blockchain. Des marchés publics dispersés sont autant de chances en moins de permettre l'interopérabilité entre les bases. À cet égard le rapporteur et la commission souhaitent que les acteurs de ce secteur soient mieux expertisés, notamment pour ce qui concerne leurs actionnaires. Ce sujet est un sujet aussi un sujet de souveraineté.
C'est une myriade d'acteurs publics et privés qui sont concernés, qu'il s'agit de coordonner afin que la bonne information soit traitée au bon niveau vie une remontée d'informations bien calibrée avec deux risques pour le PNACO : l'aveuglement d'un service trop éloigné ou à l'inverse le risque d'embolisation d'une structure sous un flot indiscriminé d'informations.
La place du « renseignement criminel », capacité offerte aux services d'enquête de recourir au cadre administratif pour mettre en place certaines techniques de surveillance en amont des procédures judiciaires, bien connue en matière de lutte anti-terroriste, doit être renforcée en matière de lutte contre la criminalité organisée. Cela passe par exemple par l'activation plus rapide des techniques de renseignement utilisées en phase de criblage, en amont de l'enquête judiciaire par les services de lutte contre la criminalité organisée. En effet, les services d'enquête ont souligné le décalage entre les délais d'activation des techniques de renseignement et les habitudes des criminels, qui par exemple peuvent changer de téléphone chaque semaine. Certains comportements des cibles pourraient laisser présumer une appartenance à un réseau criminel permettant de raccourcir les délais habituels de mise en place de ces techniques.
Recommandation de la commission d'enquête : permettre l'interopérabilité des bases de données entre les différents acteurs de la lutte contre la criminalité organisée :
- réaliser un état précis des bases de données utiles à la lutte contre la criminalité organisée gérées par les différentes administrations impliquées ;
- créer un PNR des vols privés ;
- évaluer les possibilités d'accès automatisé au profit des autres administration et notamment des OPJ au regard des principes de protection de la donnée (hit/no hit, accès direct...) ;
- en l'état actuel de choix non coordonnés entre les différents logiciels utilisés par les enquêteurs des différents ministères au détriment de la cohérence opérationnelle, unifier au niveau interministériel les appels d'offres relatifs aux logiciels d'enquête.
Recommandation de la commission d'enquête : permettre l'activation plus rapide de techniques de renseignement au profit des services judiciaires lorsque le comportement de la cible fait présumer son appartenance à un réseau criminel.
e) Diffuser la culture de la lutte contre le blanchiment : les CODAF et leurs dérivés
Office centraux dédiés à la lutte contre les trafics, offices purement financiers qui luttent également contre les organisations criminelles, office douanier traitant du blanchiment, brigades économiques et financières de la préfecture de police ou des services territoriaux de police judiciaire (de la police ou de la gendarmerie nationales), douanes, services cyber, direction générale des finances publiques, inspection du travail, URSSAF, services de renseignement policiers ou économiques, tous ces services peuvent détecter des signes d'un réseau de blanchiment. L'enjeu est donc de diffuser une certaine culture au sein des agents les moins en prise avec le phénomène et qui pourtant peuvent détenir d'importantes informations. D'ailleurs, la commission d'enquête salue l'inclusion dans la lutte contre la délinquance financière dans la stratégie nationale du renseignement.
Cela passe d'abord par un renforcement du rôle des Comité Opérationnel Départemental Anti-Fraude (CODAF), réunions opérationnelles trimestrielles réunissant, sous la coprésidence du préfet de département et du procureur de la République, les services de l'État (police, gendarmerie, administrations préfectorale, fiscale, douanière, du travail, etc.) ainsi que les organismes locaux de protection sociale (France Travail, URSSAF, CAF, CPAM, MSA, etc.).
Le but est de partager des vues sur un phénomène de fraude propre au territoire, mais aussi de déclencher des contrôles et mettre en oeuvre toute la panoplie de sanctions possibles de premier niveau, administratives ou judiciaires, à l'encontre des établissements problématiques.
Cela est d'autant plus crucial que de plus en plus d'administrations peuvent désigner des officiers de police judiciaire spécialisées, dotés de pouvoirs d'enquête judiciaires, qui peuvent être menées en autonomie ou en co-saisine avec des officiers de police judiciaire généralistes. Il s'agit par exemple, aux agents de contrôle compétents en matière de travail illégal, aux inspecteurs de l'environnement affectés à l'Office français de la biodiversité (OFB), ou encore aux fonctionnaires habilités du ministère de l'économie et de l'Autorité de la concurrence.
Un échelon national, la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF), reproduit cette organisation au niveau national, et permet de définir une stratégie de prévention et de détection des fraudes notamment aux aides publiques.
Ces structures sont nécessaires à une meilleure connaissance des phénomènes touchant les territoires et doivent en complément déboucher sur des partages opérationnels en continus entre leurs membres.
Mais ces comités opérationnels doivent également assurer la remontée d'informations vers un échelon plus centralisé, capable d'enrichir ces dernières et de solliciter l'autorité judiciaire au bon niveau afin de d'arbitrer la meilleure stratégie de lutte (entrave administrative immédiate ou répressive, et le cas échéant via un service local ou national).
Des initiatives locales ont pu être déclinées sur ce mode dans des domaines spécifiques, tels que la lutte contre le blanchiment. Ainsi en est-il du comité opérationnel de lutte contre le blanchiment et les avoirs criminels en stupéfiants (Colbac « S ») créés à Marseille, et visant à partager de l'information et du renseignement et essayer de définir des cibles communes (modes opératoires, familles ou clans). De même, la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille anime un GONEF, comité opérationnel de détection des flux financiers suspects, sorte de COLB territorial aux potentialités intéressantes. L'objectif étant de dépasser le seul objectif de faciliter un engagement précoce des contrôles par les administrations, pour aller jusqu'à favoriser un décloisonnement entre les administrations et un changement stratégique afin de travailler à l'appréhension des avoirs criminels.
Toutes les initiatives visant à partager les données judiciaires avec des administrations confrontées à des fraudes doivent être encouragés. La MICAF a donné l'exemple d'un protocole mis en place sous son égide initialement entre la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF), et les organismes de protection sociale permettant de vérifier si des pièces d'identité usurpées apparaissant dans les procédures judiciaires ont été utilisées pour toucher des prestations indues. Une mission pourrait être confiée à la MICAF afin de déterminer quels mécanismes comparables doivent être mis en place afin de prévenir les fraudes aux finances publiques.
Il faut instaurer une organisation plus structurée et donc pérenne pour permettre une meilleure efficacité. Les auditions ont montré que le succès de la lutte contre la criminalité devait beaucoup à des initiatives individuelles d'acteurs de terrain.
Il convient donc d'envisager une généralisation de ces bonnes pratiques. Surtout, ces initiatives reposent sur la coordination de services distincts, aux formations, aux cultures et aux objectifs différents et parfois antagonistes, ce qui pose la question de l'intégration d'agents issus de toutes ces administrations au sein de structures de lutte contre la délinquance financière.
Il faut avoir conscience que les réseaux criminels sont mobiles, qu'ils recherchent les meilleures opportunités de profits. Ils peuvent cibler un département moins en avance en termes de détection des délits financiers pour y commettre un très grand nombre de faits et disparaître avant d'être détecté en tant que réseau. La question est ensuite celle du croisement des données entre les départements, afin de caractériser les infractions dans leur globalité sans devoir nécessairement passer par Europol.
Recommandation de la commission d'enquête : renforcer la lutte territoriale contre l'économie souterraine
- mieux intégrer les CODAF dans le circuit de centralisation de l'information judiciaire ou généraliser les pratiques comités territoriaux dédiés à la lutte contre le blanchiment ;
- recentrer le renseignement territorial sur la lutte contre l'économie souterraine ?
- recentrer les GIR dans la lutte contre l'économie souterraine dans le cadre d'une nouvelle doctrine ;
- systématiser l'appui de services spécialisés en enquêtes financières et cryptoactifs dans les perquisitions relatives à la criminalité organisée.
f) L'exemple réussie des GIR : les antennes interministérielles locales d'un office central qui n'existe pas ?
L'interministérialité n'est pas inconnue en matière de lutte contre le blanchiment et la délinquance financière, comme le montre de façon édifiante l'action des 41 GIR que compte le territoire national213(*).
N'intervenant qu'en co-saisine, il est difficile d'évaluer précisément la part spécifiquement due aux GIR dans les montants saisis d'avoirs criminels, mais leur apport est unanimement souligné. En 2022 par exemple, ils ont contribué à la saisie de 280 millions d'euros. Cette actionl se révèle efficace, y compris pour les ministères qui détachent leurs fonctionnaires dans ces structures. En 2023, 48 millions d'euros de droits nets et de pénalités ont été identifiés par la DGFiP à la suite d'informations fiscales transmises par leurs agents mis à disposition au sein d'un GIR. Au cours de l'année 2024, l'action des agents des douanes a permis le recouvrement de plus de 4,5 millions d'euros. Une action commune avec les antennes de l'ONAF apparaitrait bienvenue.
Les renseignements analysés par le GIR ont vocation à nourrir l'action judiciaire, en étant destinés à l'ouverture d'une enquête. De nombreux exemples ont été donnés dans le domaine du trafic de déchets214(*) à partir d'informations données par la direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports (Drieat), ou bien des barber shop en lien avec le trafic de drogues, contrôlés dans le cadre d'un CODAF, avec à chaque fois la saisie de l'équivalent de plusieurs centaines de milliers d'euros d'avoir criminels.
Toutefois, les services d'enquête ont indiqué que le champ des GIR est devenu de plus en plus patrimonial, autrement dit qu'ils interviennent pour l'annexe patrimoniales des enquêtes portant sur des infractions sources, et non sur la délinquance financière elle-même ce qui pose question.
Recommandation de la commission d'enquête : création au niveau national d'une structure interministérielle d'enquête spécialisée en matière financière, à l'image des GIR à l'échelon territorial.
B. RECRUTER, FORMER, FIDÉLISER, SANCTUARISER, DES SPÉCIALISTES DE LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE
1. Le recrutement avant tout
Tous les services d'enquête, les magistrats, et les ministres entendus ont souligné le problème des effectifs dédiés à la lutte contre le blanchiment avec chacun des problématiques particulières.
Les magistrats spécialisés auditionnés ont moins insisté sur le nombre de magistrats que sur celui des enquêteurs. Les journalistes ont cependant remontée certaines situations locales qui interpellent. Ainsi, en Corse, le pôle économique et financier reposerait en mars 2025 sur l'équivalent d'un seul magistrat à temps plein.
La commission d'enquête constate qu'il n'existe pas de chiffres consolidés des effectifs des forces de sécurité intérieure dédiés spécifiquement à la lutte contre le blanchiment et encore moins concernant les évolutions de ce chiffre. On compte les agents formés, les agents éventuellement mobilisables s'ils ne sont pas pris par d'autres priorités, mais pas les personnes qui effectivement sont en capacité de traiter ces affaires car formés et affectés à des services spécialisés, sanctuarisés. Un chiffre du temps enquêteur passé aux affaires économiques et financières quel que soit sa structure, centrale ou territorialisée, constituerait un utile indicateur de l'évolution des pratiques et de la réalité des priorités des différents ministères. D'après Frédéric Ploquin, journaliste spécialisé dans la matière, 860 policiers enquêteurs sont suffisamment compétents pour comprendre les systèmes de blanchiment contemporains, chiffre qui apparait dérisoire compte tenu des enjeux.
Dans l'attente de données plus précises et signifiantes, les remontées du terrain, appréciées par la commission d'enquête, permettent de dresser un constat alarmant215(*) : la filière investigation de police judiciaire est exsangue, en particulier en matière économique et financière. Au sein de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) par exemple, la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière ne parvient pas à recruter. Le chiffre de 30 % de postes vacants dans les offices centraux dédiés à la criminalité financière, avancés par les journalistes entendus par la commission d'enquête, n'a pas été démenti par les agents de ces services. Or ces faits sont connus et dénoncés depuis des années, sans que l'on sache de quoi sont suivies les envolées trop générales des plus hautes autorités sur le mal-être en PJ. Le rapporteur ne peut croire la thèse avancée par les journalistes, d'une volonté politique de ne pas renforcer des services financiers qui pourraient gêner certaines pratiques de financement d'un autre âge. Le temps du constat, rappelé par le ministre de l'intérieur, d'une filière peu attractive, est dépassé.
Il est primordial de rappeler qu'à ce jour, 85 % des faits de criminalité organisée commis sur notre territoire sont très majoritairement traités par la DNPJ216(*), ce qui permet de supposer une situation de surexposition de ses services. Il serait intéressant de bénéficier d'indicateurs clairs afin d'objectiver la situation tel par exemple que le nombre de garde-à-vue par an traitées par enquêteur, de même pour les écoutes, les saisies, les commissions rogatoires, voir les évolutions sur plusieurs années et comparer ce qui peut l'être avec d'autres services d'enquête de la gendarmerie nationale et la douane. Le mal-être de la PJ est souvent déploré, mais n'est pas suffisamment objectivé. Or, il s'agit de notre premier outil face à la criminalité organisée. Le perdre, c'est nous perdre.
L'échelon central n'est pas le seul touché et le mal s'étend à la gendarmerie nationale. Les magistrats du PNF déplorent également l'atrophie des services régionaux de police judiciaire. D'après eux par exemple, la section de recherche de la gendarmerie de Marseille est passée de huit à deux enquêteurs ECO-FI en quelques années. Face à cette situation, le PNF a dû internaliser 10 % des 768 affaires en cours, sans recourir à un service d'enquête de la gendarmerie.
La commission d'enquête constate donc qu'il y a une réalité que les plus hautes autorités de la police et de la gendarmerie nationales semblent ignorer.
Au contraire l'ONAF, rattaché aux douanes, et lui aussi spécialisé dans la lutte contre le blanchiment, parait être l'exemple même de la structure qui parvient à attirer les enquêteurs. Preuve qu'il n'y a pas de fatalité, son directeur a indiqué à la commission d'enquête qu'il n'avait pas de peine à recruter dans cet office national en plein expansion, un poste ouvert voyant de nombreuses candidatures de douaniers ou d'agent des finances publiques. La gendarmerie nationale ne parait pas non plus soumise à la désaffection subie par la filière investigation de la PJ. La question de l'attractivité de la PJ, qui traite 80 % des affaires liées à la criminalité organisée, doit figurer au premier rang des priorités du ministre de l'intérieur sans quoi l'État perdra sa principale force de frappe. Le temps est désormais à l'action.
Cela d'autant que les filières financières ne pèsent pas sur les finances publiques. L'ONAF, composé de 312 enquêteurs, a saisi près de 600 millions d'euros d'avoirs criminels durant l'année 2024, fonds destinés à alimenter le budget de l'État, et tout indique que la filière est loin d'avoir atteint son plafond. Autrement dit, le recrutement d'agents, mais aussi de magistrats spécialisés, représente un investissement immédiatement rentabilisé.
2. La formation à repenser vers une plus grande interdisciplinarité
Les travaux de la commission d'enquête ont révélé que des outils de formation en matière économique et financière existent et seront renforcés, que ce soit au niveau des ministère de la justice, de l'intérieur ou de Bercy.
Les magistrats qui souhaitent se spécialiser en matière économique et financière bénéficient d'un catalogue de formation continue très détaillé fourni par l'École nationale de la magistrature (ENM), notamment en matière de blanchiment, droit des marchés publics, corruption, ou l'étude des pièces comptables. Toutefois, si les magistrats du parquet et instructeurs paraissent acculturés à la législation relative aux enquêtes financières, notamment l'usage de la présomption de blanchiment, ainsi qu'à la saisie des avoirs criminels, cela n'est pas suffisant chez les membres des juridictions de jugement, ce qui peut se traduire par des peines qui restent en deçà des enjeux, notamment en matière de confiscation.
Au ministère de l'intérieur, la plupart de ces formations interviennent dans le cadre de la formation continue, chez des personnes parfois en reconversion professionnelle après un début de carrière en sécurité publique ou d'autres services spécialisés.
Pour professionnaliser encore ses agents, en 2024, la DGPN a refondu intégralement la formation de ses policiers à l'investigation financière, qui s'adresse à tous les enquêteurs nationaux ou territoriaux, avec trois niveaux « investigateur en criminalité financière » (ICF) qui : la sensibilisation, l'approfondissement et la spécialisation.
Le niveau 1 s'adresse prioritairement aux enquêteurs des services locaux de police judiciaire et se déroule en deux étapes : un module de vingt heures en distanciel et un module d'une semaine en présentiel dans les territoires. Le niveau 2, d'une durée de cinq semaines, vise à former les policiers se trouvant dans les brigades de lutte contre la criminalité financière et les policiers des offices spécialisés. Enfin, le niveau 3 regroupe différents modules de spécialisation thématique (corruption, blanchiment, avoirs criminels).
Sur des enjeux aussi fondamentaux, la question de l'intégration de formations dédiés à la lutte contre le blanchiment dès la formation initiale, par exemple pour des profils sélectionnés, voire recrutés dans cette optique, doit être posée. À défaut, seules des mesures ambitieuses de recrutement de profils issus du privé, ayant par exemple exercé dans les cabinets d'audit ou d'expertise comptable sera seule de nature à apporter la compétence nécessaire. Les services judiciaires réussissent par exemple à s'adjoindre le précieux concours d'assistants spécialisés, représentant des profils d'experts qui permettent d'assister les magistrats dans certains actes d'enquête complexe. Le recours aux contractuels dans les services d'enquête est une piste déjà utilisée, mais il conviendrait également envisager une solution plus pérenne d'accès à la fonction publique par concours, à la manière par exemple de ce qui existe pour les techniciens et ingénieurs de police technique et scientifique.
À l'ONAF, la greffe inverse parait mieux prendre : les agents du fisc recrutés dans cet office sont formés au maniement des armes et aux techniques d'intervention afin de rejoindre les compétences des douaniers. La formation continue apparait mieux adaptée à l'apprentissage de ces techniques plutôt qu'une formation théorique en matière économique et financière.
D'une manière générale, l'éclatement des formations au sein même du ministère de l'intérieur interroge : on comprend que les formations de gendarmerie et de police nationales ne soient pas entièrement mutualisées, mais lorsqu'il s'agit de techniques d'enquête économique et financière, d'analyse cyber et en crypto ou de recherches en source ouverte, autant de secteurs communs et déterminants d'une lutte efficace contre la criminalité organisée, on ne peut que déplorer une grande perte de fonds et d'occasions gâchées de décloisonner les pratiques en les regroupant. D'ailleurs, pourquoi ne pas rajouter les agents du fisc et les douaniers à la mutualisation des formations ?
Dans un monde idéal, il conviendrait d'envisager une formation initiale en partie commune à des profils sélectionnés de douaniers, de policiers, gendarmes, agents du fisc, ou une véritable formation spécifique d'un an minimum intervenant dans un deuxième temps de carrière, et dédiée au blanchiment sous toutes ses formes, y compris international217(*). Les lauréats de cette école interministérielle de lutte contre la criminalité financière auraient vocation à diriger les services et brigades spécifiquement dédiés. Pourquoi ne pas y mêler également des magistrats ?
Quoi qu'il en soit, une réflexion profonde doit être menée entre les services des ministères impliqués sur la définition des qualités requises pour mener à bien des enquêtes en matière économique et financière et notamment en matière de blanchiment, et définir ensuite une manière de créer une filière répondant à ces attentes.
3. Valoriser les carrières dans l'économique et le financier
De façon plus immédiate, puisqu'il correspond à la priorité affichée par les ministres de l'intérieur et de la justice devant la commission d'enquête, le principal axe d'amélioration réside dans la valorisation des carrières économiques et financières.
Pourtant, au moins dans les services du ministère de l'intérieur, là aussi le constat est connu. Trop souvent, les agents qui tentent l'expérience en GIR le font au détriment de leur promotion à leur retour dans leur administration d'origine. Afin de rompre avec cette logique, un passage dans de telles structures pourrait constituer un prérequis à l'accession aux postes dédiés à la lutte contre la criminalité organisée, que ce soit du côté des enquêteurs ou des magistrats.
Le PNF plaide d'autre part pour la création d'un fonds de concours qui permettrait de réinvestir un pourcentage des amendes d'intérêt public issues des CJIP (actuellement 5,5 milliards d'euros) dans la formation et la fidélisation des enquêteurs financiers.
4. Doter les services de moyens techniques adéquats.
La commission d'enquête a pu constater la frustration des services d'enquête, dont les moyens n'ont pas suivi les évolutions technologiques. Cet état de rend le combat avec les délinquants particulièrement déséquilibré.
L'amélioration des conditions de travail des enquêteurs, afin d'attirer les profils et les conserver les meilleures recrues, représente un premier axe. Cela passe par des considérations très concrètes, telles que le développement d'outils permettant d'analyser des données hétérogènes218(*) ou à défaut l'harmonisation par voie législative ou réglementaire des formats de réponses, par exemple des banques, aux réquisitions des officiers de police judiciaire afin d'en faciliter l'exploitation. Les réponses aux réquisitions judiciaires, notamment lorsqu'elles concernent d'autres administrations publiques doivent être automatisées au maximum afin de permettre une connaissance rapide219(*). L'usage de l'intelligence artificielle doit être développé, de même que la simple consultation de sources ouvertes, dont les journalistes d'investigation ont révélé à la commission d'enquête de nombreuses potentialités ignorées des enquêteurs et des magistrats.
Par ailleurs, les services spécialisés devraient systématiquement intervenir dans toute perquisition susceptible de révéler des éléments économiques et financiers (livres de comptes, clef ou code de cryptoactifs).
Recommandation de la commission d'enquête : redynamiser les structures d'enquête spécialisée dans la criminalité organisée et la délinquance financière :
- mettre en urgence à disposition des enquêteurs des outils d'analyse de données hétérogènes, engager des travaux sur la mise en place d'un système obligeant les établissements financiers à communiquer sous un format dématérialisé et facilement exploitable les réponses aux réquisitions qui leur sont adressées, et harmoniser les formats de lecture des portefeuilles de cryptoactifs ;
- recruter des profils spécialisés par concours dédié ou par contrat ;
- créer une école interministérielle de type « école de guerre », intégrée en milieu de carrière et destinée à alimenter les postes de direction et de commandement des services spécialisés en lutte contre la criminalité organisée ;
- conditionner l'accès à certains postes dédiés à la lutte contre la criminalité organisée à un passage en service spécialisé dans la lutte contre la délinquance financière ou l'économie souterraine, ou du moins valoriser les profils pouvant attester d'un passage dans une structure dédiée à cette criminalité ;
- création d'un fonds de concours destiné à valoriser les rémunérations des enquêteurs spécialisés dans la lutte contre la délinquance financière à partir des fonds confisqués ;
- fusionner certaines formations transversales des enquêteurs, notamment en matière cyber, crypto, recherches en sources ouvertes.
C. UNE STRATÉGIE DE LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE À REDÉFINIR AUTOUR DE L'INVESTIGATION FINANCIÈRE
La collecte, la non déperdition puis la remontée organisée de l'information financière est la première étape du processus permettant à une autorité centralisée, sans doute le PNACO, de décider de la meilleure stratégie à suivre pour orienter les enquêtes dirigées contre la criminalité organisée. Le volet financier doit être l'une des pistes systématiquement envisagées. La stratégie parait devoir s'articuler autour de deux temporalités : le temps court, celui en général de l'ordre public, et le temps long, qui est celui de la préservation de l'ordre social. Or aujourd'hui les enquêtes financières prennent de l'avis de tous trop de temps. Il faut pouvoir frapper vite quand on peut.
Dans d'autres cas, les magistrats doivent avoir entre les mains le plus de renseignements afin de pouvoir définir la meilleure stratégie d'enquête.
1. Frapper vite quand on peut...
Pour Damien Brunet, magistrat spécialiste de la lutte contre la criminalité organisée, mais aussi pour l'ensemble des magistrats spécialisés en matière économique et financière, une approche plus décloisonnée de la criminalité organisée permettrait à l'autorité judiciaire travaillant sur une organisation de ne pas s'interdire de poursuivre, par exemple, une fraude sociale révélant du travail illicite à grande échelle qui pourrait servir au blanchiment d'une activité de produits stupéfiants, ou inversement.
Dans certains cas il est choisi de frapper le réseau de blanchiment lui-même plutôt que l'infraction source. Cette méthode connue aujourd'hui des juridictions spécialisées et de certains parquets doit être généralisée car elle permet de frapper une fonction support de plusieurs trafics, notamment lorsqu'il s'agit de méthode de type hawala ou d'usage des sociétés éphémères. Cette option permet une réponse rapide fondée sur l'infraction présumée de blanchiment. Elle peut être utilisée aussi bien par les enquêteurs du ministère de l'intérieur que des douanes ou directement par les magistrats.
Ainsi la section financière du tribunal judiciaire de Paris, suivie par d'autres depuis, a mis en oeuvre, en 2023, un protocole de saisie pénale directe sur les comptes bancaires des sociétés éphémères pour recevoir et faire transiter des fonds d'origine frauduleuse, sur le fondement du blanchiment présumé. Appuyée par les greffiers de tribunaux de commerce, les services des fraudes de la préfecture de police et Tracfin à partir des déclarations de soupçons reçues des établissements financiers, cette procédure dite « circuit court » peut être menée en quelques procès-verbaux et permettre la saisie des sommes conservées sur les comptes bancaires de ces sociétés. À défaut de réclamation dans un délai de six mois, réclamation qui n'arrive jamais du fait de l'origine illicite des fonds, ces derniers sont confisqués et l'affaire classée sans suite. La première expérimentation de cette méthode a permis la saisie de cibler 40 sociétés et de saisir 40 millions d'euros entre septembre et décembre 2024. Cette expérience doit être généralisée à l'ensemble des parquets.
Recommandation de la commission d'enquête : généraliser à l'ensemble des parquets les procédures dites « circuit court ».
Sous l'impulsion en ce sens de la procureure de la République de Paris, la JUNALCO a vu les saisies effectuées passer de 11 millions d'euros saisis en 2021 à 329 millions d'euros en 2024.
L'outil de la CJIP est intéressant, permettant de conclure une convention débouchant sur des amendes de plusieurs centaines de millions voire de plusieurs milliards d'euros sans condamnation à l'encontre de personnes morales éventuellement impliquées dans le blanchiment. Il convient toutefois de bien circonscrire leur usage, car le risque de sa généralisation pourrait être la banalisation de cette infraction. De plus, leur usage ne doit pas se faire à l'exclusion de la poursuite pénale des personnes physiques auteurs. Attention donc au risque de dépénalisation qu'elles représentent.
Rappelons également que le temps court peut être aussi celui de l'action administrative lorsque cela apparait préférable à l'action pénale.
2. ...frapper fort quand il faut
La remontée de renseignement doit permettre aux juridictions spécialisées dans la lutte contre la criminalité organisée, et demain au PNACO d'arbitrer les situations qui doivent être attaquées sur un aspect plus global. Dans ce cas, la co-saisine du service spécialisé dans la répression de l'infraction source, ainsi que d'un service dédié au réseau de blanchiment doit être privilégiée. La co-saisine de la PIAC par l'ensemble des forces de sécurité intérieures, police, gendarmerie et douanes doit être encouragée afin d'augmenter les saisies dans les trafics les plus lucratifs. 220(*)
L'action d'envergure peut également porter sur le réseau de blanchiment lui-même de façon autonome. On ne peut que répéter tout l'intérêt qu'il y aura alors de faire travailler ensemble, sur ces enquêtes des spécialistes policiers ou gendarmes, douaniers, agents du Fisc, analystes en cryptoactifs, et ce au plan central et territorial compte tenu des ramifications très fines des réseaux concernés. Les initiatives de créations de cellules dédiées composées d'effectifs mixtes, ainsi que la JIRS de Bordeaux l'a porté auprès de la DNPJ, entre enquêteurs « infraction sous-jacente » et enquêteurs « purement financiers » sont un bon début et doivent être encouragés.
Les enquêtes patrimoniales sont encore trop souvent pensées comme des accessoires aux enquêtes principales, et destinées à alourdir les peines, alors que le délit de non-justification de ressource permettrait de partir des biens pour remonter vers un possible blanchiment. Là aussi, un renseignement criminel animé par la PIAC, plateforme interministérielle, pourrait être renforcée afin de développer encore les enquêtes d'initiatives dirigées contre la criminalité organisée.
Enfin, une réelle stratégie d'ampleur passe par le recours systématique, instinctif, aux instruments de coopération internationale.
Recommandation de la commission d'enquête : prendre en compte la dimension financière dès l'ouverture des enquêtes :
- inscrire la présomption de blanchiment dans la stratégie d'enquête pour l'ensemble des procédures policières ou douanières de lutte contre la criminalité organisée, et pour cela créer des services spécialisés ;
- intégrer systématiquement l'aspect financier aux enquêtes dirigées contre les trafics initiaux.
3. Les perspectives offertes par de futurs outils
Les outils prévus par la directive 2024/1260 du 24 avril 2024 relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs aet devant être transposée avant le 23 novembre 2026 comporte deux outils de nature à augmenter les saisies patrimoniales au niveau de l'Union européenne.
Inspirée de l'exemple Belge, la directive prévoit la création d'une enquête patrimoniale post-sentencielle, visant à permettre la saisie en valeur sur les éléments de patrimoines qui n'auraient pas été recensés au moment du jugement de condamnation221(*). De cette manière, la temporalité de l'enquête patrimoniale sera décorrélée du jugement de condamnation. Le temps, dont on a vu qu'il jouait contre les enquêteurs, pourrait ainsi se retourner contre les condamnés, notamment lorsqu'un État non coopératif à l'instant « t » changerait de position, ou si toute nouvelle possibilité de recherche patrimoniale devait s'ouvrir pendant le temps de cette seconde enquête222(*). Il sera donc encore plus important de procéder à des évaluation encore plus précises et exhaustives du produit de chaque infraction.
Il convient toutefois d'insister sur le fait que l'ouverture de ce nouveau cadre d'enquête ne devra pas se faire au détriment de l'enquête principale elle-même, dont le but doit demeurer de frapper aussi fort que possible dès le premier jugement. Se posera par ailleurs la question du service saisi de cette enquête patrimoniale. Une PIAC renforcée pourrait être mobilisée sur les affaires aux plus grands enjeux.
Le second outil prévu par cette directive est la confiscation sans condamnation, ce qui présente un intérêt notamment lorsque la personne est en fuite ou décédée en cours d'instance, ou encore en cas d'irresponsabilité pénale de l'auteur. C'est un mécanisme prévu dans de nombreuses législations, notamment Italienne, mais pas encore France.
Certains, comme la conférence nationale des procureurs, ont pu aller plus loin, abordant avec l'exemple italien la possibilité de création d'un nouveau cas de confiscation pour fortune inexpliquée des personnes en lien avec des organisations mafieuses, et qui serait décorrélée de toute condamnation pénale.
Recommandation de la commission d'enquête : anticiper la transposition pleine et entière de la directive 2024/1260 du 24 avril 2024 relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs, notamment en prévoyant les cas d'usage des enquêtes patrimoniales post-sentencielles et en désignant le service chargé de mener ces enquêtes.
TROISIÈME PARTIE :
L'ENJEU DE LA
COOPÉRATION INTERNATIONALE
I. LES INSTANCES DE COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE FINANCIÈRE
Les travaux de la commission d'enquête l'ont clairement mis en évidence : la criminalité financière ne s'arrête pas à nos frontières hexagonales. Le caractère transnational des schémas de fraude a naturellement invité le rapporteur à se questionner sur l'efficacité des mécanismes de coopération interétatiques existant pour lutter contre ce phénomène.
À cet égard, le rapporteur souhaite brièvement s'attarder sur la fraude et de l'évasion fiscales internationales, qui constitue de longue date un de ses sujets de prédilection. Panama papers, Pandora papers, CumEx Files... la multiplication des « grandes affaires » révélés par la presse ces dernières années illustrent la systématisation de montages financiers transnationaux visant à échapper à l'impôt. Si ces scandales parviennent souvent à ébranler l'opinion dans l'immédiat, l'indignation retombe systématiquement comme un soufflé après quelques semaines, sans que le législateur et les instances de coopération internationale ne se saisissent efficacement du sujet. On ne peut que déplorer l'immobilisme de la part des pouvoirs publics sur cette question.
Recommandation de la commission d'enquête : faire de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales un axe de travail prioritaire des instances de coopération interétatique.
A. LE GROUPE D'ACTION FINANCIÈRE (GAFI) : POINTER DU DOIGT LES MAUVAIS ÉLÈVE DE LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
1. Un mécanisme de coopération qui repose sur une évaluation par les pairs des législations LCB-FT
Le Groupe d'action financière est un organisme intergouvernemental dédié à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Crée en 1989 sur décision du G7, il fixe des normes internationales visant à prévenir ces activités illégales et les dommages qu'elles causent à la société.
Le siège du GAFI est à Paris, dans les locaux de l'Organisation de coopération de développement économique (OCDE), ce qui traduit le rôle moteur de la France dans cette institution.
Le GAFI n'étant pas une organisation internationale, ses membres ne disposent pas de délégation ou de représentation permanente, avec un personnel dédié, auprès de l'institution. Lors des trois réunions plénières annuelles du GAFI, la délégation française, pilotée par le DG Trésor est constituée d'une dizaine d'agents, qui regroupe notamment des experts de l'ACPR et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. De manière plus ponctuelle, la délégation française peut également être composée par d'autres administrations compétentes223(*).
Le GAFI édicte régulièrement un corpus de 40 recommandations qui sont autant de commandements à respecter pour lutter contre les délits financiers et connexes. Sur la base de ces recommandations, il procède régulièrement à l'analyse des dispositifs LCB-FT de plus de 200 juridictions, et plus particulièrement :
- des évaluations mutuelles régulières des 40 juridictions membres. La dernière évaluation de la France, en date de 2022, juge le dispositif français comme étant satisfaisant, et fait même partie des pays les mieux notées ;
- des évaluations moins fréquentes des autres juridictions non membres224(*) .
Les cycles d'évaluation comportent deux volets principaux :
- la conformité technique, c'est-à-dire, la mise en place dans chaque État des instruments juridiques et institutionnels requis ;
- l'efficacité du dispositif, c'est-à-dire, l'opérationnalité des outils et les résultats obtenus.
2. Une absence de pouvoir contraignant mais un mécanisme de name and shame plutôt efficace
Les évaluations du GAFI donnent lieu à l'identification de juridictions dont les mesures de LCB-FT sont insuffisantes. Si ces évaluations n'emportent par de mesures contraignantes, elles peuvent toutefois conduire à rétrograder certains pays par une inscription sur la liste noire225(*), qui recense l'ensemble des pays dits « à haut risque », ou la liste grise226(*), qui recense les pays soumis à une « surveillance renforcée ».
Un pays est placé sur liste grise à l'issue de son évaluation mutuelle par le GAFI en fonction de la conformité de son cadre juridique aux standards du GAFI, et de sa capacité à les traduire opérationnellement.
Au niveau national, le placement d'un pays sur liste grise ou liste noire a pour conséquence l'obligation pour les entités assujetties d'appliquer des mesures de vigilance complémentaires à l'égard de leur client lorsque l'opération est effectuée avec des personnes physiques ou morales enregistrées ou établies dans l'État en question. Le ministre de l'économie et des finances peut prendre un arrêté imposant aux entités assujetties la mise en oeuvre de contre-mesures, pouvant aller jusqu'à l'interdiction de toute relation d'affaires, à l'égard d'établissements situés dans un pays placé sur liste noire. Dans les faits, aucun arrêté de ce type n'a été pris à date, ce qui traduit une certaine frilosité de la part des autorités nationales à prendre des mesures de sanction à l'égard de leurs homologues hors de cadre multilatéral.
Dans la pratique, les entités assujetties, en particulier des banques, rehaussent systématiquement le niveau de risque inhérent aux pays faisant l'objet d'un listing LBC-FT. Cela peut les conduire à accentuer leur vigilance, mais aussi à procéder à des ruptures ou des refus d'entrée en relation d'affaires avec les ressortissants des pays listés. Ces pratiques s'apparentent alors à un phénomène de derisking, c'est-à-dire une exclusion du risque plutôt qu'une prise en charge, ce qui nuit à l'efficacité du dispositif. Cette pratique présente des effets néfastes pour l'efficacité du dispositif LCB-FT (voir supra).
Lorsqu'un pays est inscrit sur liste grise, un groupe d'experts du GAFI lui assigne un plan d'action dont la mise en oeuvre doit lui permettre de remédier à ses défaillances stratégiques et ainsi d'envisager sa sortie de liste. Un suivi régulier est ensuite réalisé entre chaque réunion plénière du GAFI. Les examinateurs en charge du suivi de chacun des axes du dispositif émettent, sur cette base, des recommandations quant au niveau d'avancement du plan d'action, qui doivent ensuite être approuvées formellement par le GAFI.
Toutefois, la sortie de liste ne signifie pas pour autant que le pays concerné a remédié à l'ensemble de ces défaillances, mais seulement aux plus importantes d'entre elles. Dans les faits, les critères de sortie de la liste grise sont donc plutôt souples puisqu'il suffit que des progrès soient constatés, quand bien même de nombreuses lacunes dans la législation LCB-FT de ce pays perdurerait. En outre, il ressort des travaux de la commission d'enquête En outre, la décision de levée parfois désynchronisée, car entre le plan d'action et la levée de la sanction, d'autres facteurs de risques ou failles dans la législation et les pratiques LCB-FT peuvent émerger.
Il semble assez clair que cette souplesse dans les conditions de sortie de la liste grise est guidée par une volonté de ne pas stigmatiser à outrance des États dont l'adhésion au GAFI n'est pas irréversible. Comme le soulignait Chantal Cutajar lors de son audition227(*) devant la commission d'enquête ce problème est « inhérent à la nature juridique du Gafi, organisme intergouvernemental dépourvu de pouvoir normatif » et les évaluations par les pairs « aboutit à un jeu diplomatique » pouvant atténuer certaines conclusions.
Cette approche suscite le scepticisme du rapporteur, d'autant plus que ce mécanisme reposant sur le name and shame, c'est-à-dire le fait de « nommer et pointer du doigt » les acteurs défaillants, semble plutôt efficace. L'impact de ces mesures est réel sur la réputation d'un État, a fortiori pour les États émergents ayant l'ambition de modifier leur perception par le grand public à l'international en paraissant comme des États raisonnables et vertueux sur le plan de la lutte contre la délinquance financière. Il est donc regrettable que la portée de cet outil soit limitée par une approche trop conciliante à l'égard des « mauvais élèves » de la lutte contre le blanchiment.
Recommandation de la commission d'enquête : promouvoir au niveau du GAFI un durcissement des conditions de sortie de la liste grise qu'il élabore.
À noter que l'Union européenne (UE) dispose en parallèle, depuis la 4ème directive anti-blanchiment de 2015, de sa propre liste de pays tiers à haut risque, c'est-à-dire, des pays dont les dispositifs LBC-FT présentent des carences stratégiques. Si, de façon générale, l'UE se conforme aux listes du GAFI, elle n'en effectue pas moins des évaluations indépendantes. En témoigne l'annonce par la Commission européenne début juin 2025 de l'inscription sur la liste des pays tiers à haut risque de la principauté de Monaco, qui ne figure pourtant pas sur les listes du GAFI.
B. LA FUTURE AGENCE EUROPÉENNE ANTI-BLANCHIMENT : LA PROMESSE D'UNE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT MIEUX COORDONNÉE AU NIVEAU EUROPÉEN DONT LA CONCRÉTISATION SE FAIT ATTENDRE
1. La création d'une autorité entièrement dévolue à la problématique LCB-FT en Europe à la suite de plusieurs scandales de blanchiment impliquant le secteur financier
La création de la nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC, ou AMLA en anglais) est une des mesures phare du paquet anti-blanchiment de 2024228(*). Elle constitue une réponse directe à une série de scandales impliquant des établissements bancaires, et notamment, l'affaire de la Danske Bank lors de laquelle le Danemark a découvert fin 2018 que sa principale banque était au coeur d'un circuit de blanchiment de 200 milliards d'euros via sa filiale estonienne. En réaction à ces scandales, la commission a procédé à une communication en 2019, qui a mené à une proposition législative en 2021 prévoyant notamment la création de cette nouvelle autorité.
L'AMLA, qui est basée à Francfort, succéde à l'Autorité bancaire européenne (ABE), instance de supervision macro prudentiel du secteur financier en Europe qui, en réaction aux scandales de 2019, avait obtenu une mission élargie de contrôle des obligations LCB-FT du secteur financier. L'élargissement du champ de compétence de l'ABE avait ainsi vocation à préparer une transition vers la mise en place de l'AMLA.
La future articulation des compétences de l'AMLA et de l'ABE
La création de l'AMLA signifie que le mandat et les compétences qui avait été conférés à l'ABE en matière de LCB-FT seront transférés à la fin de l'année 2025. Pour faciliter la période transitoire qui mènera au transfert effectif des compétences de l'ABE en matière de LCB-FT, l'ABE travaille étroitement avec l'équipe mise en place par la Commission Européenne pour piloter la mise en place de l'AMLA.
Après avoir transféré à l'AMLA les pouvoirs spécifiques à la LCB-FT, l'ABE restera responsable de la gestion des risques LBC-FT dans le cadre de son mandat prudentiel. L'ABE veillera notamment à ce que le risque de LBC-FT soit pris en compte dans l'ensemble du secteur financier, notamment dans le cadre du paquet bancaire, des services de paiement et du nouveau règlement sur les marchés des cryptoactifs (MiCA). Cela inclut :
Le renforcement de la sensibilisation à l'impact des risques de LBC-FT sur la sécurité et la solidité des établissements financiers relevant de son champ d'action ;
S'assurer que les autorités compétentes en matière prudentielle et LCB-FT disposent des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre le LBC-FT de manière coordonnée.
Veiller à ce que le secteur bancaire de l'Union devienne un environnement véritablement hostile aux criminels.
Source : réponse de l'ABE au questionnaire du rapporteur
L'AMLA aura pour mission :
- d'une part : d'assurer la supervision directe et indirecte du secteur financier ;
- et d'autre part, de coordonner l'action des cellules de renseignement financier (CRF) des États membres en matière de LCB-FT.
Elle sera donc composée de deux board, c'est-à-dire deux conseils d'administration, au sein desquels chacune des 27 autorités nationales seront représentées. Concernent le volet « supervision », l'ACPR représentera la France, tandis que pour le volet « CRF », Tracfin sera le représentant français. Ces deux board ont vocation à travailler de façon intégrée.
2. La création d'une communauté du renseignement intégrée au niveau européen
La création d'une communauté du renseignement intégrée au niveau européen n'est pas sans susciter certaines interrogations, au regard de la sensibilité des informations dont disposent les services de renseignement des États membres. La création d'un cadre propice à l'échange d'informations entre CRF sera donc un véritable défi pour l'AMLA. Comme le soulignait une personne auditionnée par la commission d'enquête, « il existait déjà un premier réseau appelé FAU.net, qui avait une structure informatique qui leur permettait d'échanger des informations et de se réunir régulièrement. Mais c'est la première fois que cette communauté se voit intégrée dans une autorité européenne et qu'il y a une forte incitation par le règlement fondateur d'aller plus loin dans les échanges d'information. » Néanmoins, les échanges d'informations demeureront strictement encadrés. Les CRF qui doivent donner leur accord sur les échanges d'information sensible, et il faut qu'il y ait un need to know, « un besoin d'en connaitre » clairement établi de la part des autres pays, pour permettre ce partage. Ainsi la culture de la confidentialité devrait rester préservée.
Une deux principales innovations de ce nouveau dispositif intégré de coopération des CFU réside dans la possibilité pour ces derrières de mener des joint analysis ou « analyses conjointes », qui permettront aux différentes CRF concernées par un cas s'appliquant à plusieurs États membres de mettre en place des équipes d'analyse conjointes. Cela impliquera nécessairement l'échange d'informations sensibles et confidentielles sur de possibles suspicions relatives à des acteurs privés. Dans ce cadre, la mise en place infrastructures informatiques permettant, notamment par le recours à l'IA, les échanges de données est un des principaux chantiers de la nouvelle autorité.
3. Un mécanisme de supervision directe et indirecte du secteur financier
L'AMLA supervisera par ailleurs 40 entités du secteur financier sélectionnées sur la base de leur profil de risque et qui seront identifiées d'ici 2026. La supervision sera en revanche indirecte, c'est-à-dire plus légère, sur les professions non financières. En cas de violations graves, systématiques ou répétées des exigences directement applicables, l'AMLA aura le pouvoir d'infliger des sanctions pécuniaires aux entités directement supervisées.
Initialement, la commission européenne avait proposé de limiter à 40 le nombre d'entités directement supervisées, mais le Parlement européen a souhaité doubler ce nombre lors des négociations. Si on peut se féliciter de l'extension du périmètre d'action de l'AMLA, qui permet d'afficher un certain volontarisme au niveau européen sur la question de la lutte contre le blanchiment, l'élargissement de ce spectre conduit mécaniquement à complexifier la méthodologie d'évaluation du risque sur la base de laquelle seront déterminées les entités supervisées. Il est en tout état de cause légitime de s'interroger sur la pertinence de ce nombre de 40 entités, qui semble avoir été fixé davantage pour des raisons politiques que techniques.
4. La montée en puissance de l'AMLA prendra plusieurs années, ce qui doit inciter les pouvoirs publics à ne pas relâcher les efforts de la lutte contre le blanchiment
La création de l'AMLA a été actée en juillet 2024 au moment de l'adoption du paquet anti-blanchiment, mais elle n'a été créée officiellement que depuis février 2025. Les 40 entités sélectionnées n'entreront ensuite sous la supervision directe de l'autorité qu'à compter du 1er janvier 2028. En effet certaines règles ont été établies dans le règlement fondateur adopté en juin 2024, mais de nombreux éléments précis n'ont pas encore été clarifiés. À titre d'exemple, les « suspicion transactions reports » (STR), c'est-à-dire les rapports que les banques doivent transmettre lorsqu'elles soupçonnent que certains opérateurs font du blanchiment d'argent doivent faire l'objet d'une harmonisation qui dans le cadre d'un processus décisionnel à 27, qui implique un processus long et complexe. La « méthodologie du risque » qui implique que la lutte contre le blanchiment doit être basée sur le niveau de risque que représentent les différentes entités assujetties, mais qui implique la définition de critères de détermination de ces niveaux de risques, est une autre illustration de la lenteur de ce processus.
Le rapporteur s'étonne du décalage entre les discours de plusieurs personnes auditionnées qui semblent donner un satisfecit global au dispositif anti-blanchiment en renvoyant vers la montée en puissance supposée imminente de l'AMLA. La création de cette autorité constitue certes une promesse enthousiasmante, mais, comme l'ont mis en évidence les auditions de la commission d'enquête, ses effets ne seront pas perceptibles avant plusieurs années. Les perspectives liées à la montée en charge de l'AMLA ne doivent pas servir d'alibi pour justifier une forme d'inaction des pouvoirs publics sur la question de la lutte contre la criminalité financière.
II. LA COOPÉRATION POLICIÈRE ET DOUANIÈRE
Comme l'a rappelé avec son humour Frédéric Ploquin, « considérer qu'il peut être mis fin au blanchiment de l'argent sale à l'échelle de la France, c'est comme croire que le narcotrafic peut se régler en se concentrant sur Champigny-sur-Marne ». La commission d'enquête a tenu à se rendre à Interpol et à Europol, car les schémas de blanchiment font appel dans la plupart des cas à des mécanismes internationaux.
La coopération policière et douanière, qui permettent notamment un partage d'informations directes de services à services sans intervention de magistrats, apparaissent donc primordiaux pour la bonne conduite des enquêtes. Ils passent d'abord et historiquement par des relations bilatérales, via le réseau d'attachés de sécurité intérieure et d'attachés douaniers, rattachés aux ambassades, et qui couvrent environ 160 pays (83 pour les douanes). De plus, la France partage avec ses pays frontaliers dix centres de coordination policière et douanière installés à proximité des frontières de l'hexagone, permettant des échanges directs avec ces pays dans le cadre des accords de Schengen ainsi que d'accords de coopération bilatérales. Ils sont notamment compétents en matière de délinquance transfrontalière, d'immigration irrégulière et de falsification de documents d'identité.
Les coopérations opérationnelles passent en France par un point de contact unique, la section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL), structure interministérielle placée au sein du département de la coopération internationale opérationnelle (DCIO) de la DNPJ, et qui regroupe, sur une même plateforme, les trois principaux canaux institutionnels de coopération (Europol, Interpol, Schengen) par lesquels transitent les échanges d'informations opérationnelles entre les services répressifs français et internationaux. 5 800 dossiers relevant de la matière économique et financière ont été traités par la SCCOPOL en 2024. Dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive européenne 977/2023 du 10 mai 2023 relative à l'échange d'informations entre les services répressifs des États membres, ainsi que du règlement 2024/982 (Prüm II), la France mettra prochainement en oeuvre un « Case Management System », système de gestion des flux d'informations massifs qui à terme sera relié à Europol et Interpol afin de gagner en performance dans les recoupements de données.
Enfin, la mission Justice du bureau d'entraide pénale internationale du ministère de la justice (BEPI), composée de 3 greffiers, est intégrée au SCCOPOL afin de fluidifier le traitement des mandats d'arrêts européens (MAE), des notices, les demandes d'arrestation en vue d'extradition des fugitifs.
Apportant son appui aux services français et étrangers, composée de policiers, de gendarmes, de douaniers et de greffiers et personnels administratif, elle est un exemple de réussite de l'intégration interministérielle.
A. EUROPOL : LE PARTAGE ENRICHI
Europol, l'agence européenne de coopération policière, met à disposition des États membres, une messagerie sécurisée SIENA229(*), par laquelle chaque service français, via la SCOOPOL, peut solliciter des recoupements aux services étrangers uniquement pour les affaires de criminalité organisée230(*). Cela peut par exemple concerner un numéro de téléphone, une plaque d'immatriculation, un compte en banque que le service français a retrouvé au cours de son enquête et dont il souhaite savoir s'il est connu pour des affaires judiciaires à l'étranger231(*).
Europol pourra au passage consulter sa base de données contenant l'ensemble des messages SIENA et le cas échéant indiquer au service demandeur si de telles informations ont déjà été demandées par un service d'un autre État, afin d'enrichir les enquêtes de tous les États membres. Chaque service demeure propriétaire de la donnée, c'est-à-dire qu'il peut indiquer des restrictions à l'usage qui pourrait être fait par des États tiers. Il faut rappeler qu'Europol regroupe les services des 27 États membres de l'Union européenne ainsi que 24 pays tiers ayant signé un accord de coopération opérationnelle (Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Israël...). Les services judiciaires et douaniers français doivent donc être encouragés à faire des demandes de recoupement de manière systématique en matière de criminalité organisée.
Au-delà de ces apports purement opérationnels, SIENA permet un échange de vues plus stratégiques, sur des phénomènes de délinquance émergents.
Le rôle d'Europol consiste également à appuyer les enquêtes internationales, dès lors que deux pays membres sont concernés. Cela consiste en un appui logistique, financier, ou opérationnel, ou le concours d'analystes spécialistes, par exemple dans le domaine des cryptoactifs, ou dans l'analyse massives de données232(*). Europol a créé un centre dédié à la criminalité financière et économique en 2020.
L'appui d'Europol aux enquêtes nationales se traduit par exemple par la création de task-forces opérationnelles (OTF). Dans le domaine du blanchiment, les OTF TOKEN et HORIZON, dirigées contre des réseaux bancaires occultes opérant respectivement depuis les Émirats Arabes Unis et la Chine ont révélé tous les bénéfices opérationnels de la coopération policière, à laquelle la France a participé via l'OCRGDF.
Par ailleurs, Europol fournit les infrastructures permettant des opérations ciblées réunissant plusieurs services travaillant sur des cibles communes. Ainsi l'opération ASSET (Asset Seach and Seize Enforcement Taskforce) menée sur une semaine en janvier 2025 a permis l'identification de l'équivalent de 60 millions d'euros d'avoirs criminels.
Europol joue également un rôle important en termes d'analyse des phénomènes criminels les plus menaçants, qui traduit par la publication de remarquables rapports thématiques.
Certains pays membres voient leurs cellules de renseignement financier, l'équivalent de Tracfin, alimenter automatiquement la base SIENA des déclarations de soupçons qu'elles reçoivent des professions assujetties. Tracfin n'a pas adopté une telle mesure, apparemment du fait de sa qualité de service de renseignement, qui présente des difficultés en terme de partage d'information. La possibilité pour se service de transmettre plus d'informations à Europol, actuellement à l'étude, doit être encouragée.
Recommandation de la commission d'enquête :
- favoriser un usage plus systématique de SIENA (remontées systématiques des DS de Tracfin, augmentation des demandes des services judiciaires d'enquête judiciaires via une semi-automatisation des remontées de données judiciaires ;
- transférer les données contenues dans les affaires jugées après présélection.
B. INTERPOL, LE PARTAGE ÉLARGI
Interpol suit la même logique, mais compte 196 États membres233(*). Au-delà de la coopération opérationnelle permise par une messagerie sécurisée, Interpol gère 19 bases de données accessibles par les pays membres (personnes recherchées et notices, les fameuses notices rouges concernant par exemple les demandes d'arrestation et d'extradition), les documents de voyage, les objets volés (véhicules, oeuvres d'art,...), ainsi que des données biométriques (empreintes digitales, ADN, photographies,...).
La dernière innovation en la matière est l'expérimentation de la notice Argent, qui vise spécifiquement l'identification, le traçage et le recouvrement des avoirs criminels à l'échelle mondiale. Elle permet aux pays membres de demander et d'échanger des informations sur des avoirs financiers ou matériels (comptes bancaires, biens immobiliers, véhicules, entreprises) soupçonnés de provenir d'activités criminelles.
Autre exemple d'avancée notable en termes de lutte contre la criminalité financière, les experts de la criminalité financière ont collaboré avec des enquêteurs de police et des institutions financières de plus de 80 pays en vue de renforcer l'utilisation du mécanisme mondial d'INTERPOL pour le blocage rapide des paiements (I-GRIP), permettant l'interception rapide des fonds transférés illégalement à l'étranger234(*).
C. LES RÉSEAUX INFORMELS DE PARTAGE
L'OCRGDF est ainsi membre du réseau informel AMON (Anti Money Laundering Operational Network), dont il assure la présidence en 2025, qui connecte les unités nationales chargées de la lutte contre le blanchiment d'argent. Ce réseau permet une coopération « police-to-police » fluide et opérationnelle, un travail en commun sur des affaires complexes (coordination et/ou enquêtes conjointes) et de faciliter le déroulé des investigations en finançant du matériel, des déplacements ou des formations. A ce titre, l'OCRGDF s'est récemment déplacé en Turquie sur des fonds AMON.
La PIAC est membre du réseau du réseau européen des bureaux de recouvrement des avoirs et du réseau CARIN (Camden Asset Recovery International Network), dédié au dépistage, à l'identification et à la saisie des avoirs criminels, dont elle est l'un des points de contact nationaux français avec l'AGRASC. La PIAC a assuré la présidence du réseau CARIN en 2024, année pour laquelle elle a traité 716 demandes sortantes et 430 demandes entrantes d'identification d'avoirs criminels.
Tracfin est quant à lui membre du groupe « Egmont », qui réunit les cellules de renseignement financier (CRF) de plus de 170 États. Créé en 1995, il vise à renforcer la coopération et l'échange d'informations entre les CRF afin de lutter plus efficacement contre le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme et les infractions financières connexes.
D'une manière générale, la commission recommande un recours accru aux fonds européens disponibles pour lutter contre la criminalité organisée, qui sont nombreux et insoupçonnés. À cet égard, le DCIO se présente comme l'interlocuteur des services d'enquête.
Les financements européens
Source : DNPJ
III. LA COOPÉRATION JUDICIAIRE
La coopération judiciaire internationale en matière de lutte contre la délinquance financière est à la fois plus intégrée et moins intégrée que la coopération policière. En effet depuis 2021 un organisme commun aux États membres de l'Union européenne est en fonction, le Parquet européen chargé de défendre les intérêts financiers de l'Union. Pour autant le système Eurojust est bien moins intégré que ne l'est Europol. Les initiatives bilatérales menées par la France restent donc déterminantes au travers de la mise en place des magistrats de liaison.
A. EUROJUST
Le pilier justice et affaires intérieur destiné à promouvoir la coopération policière et judiciaire en matière pénale de l'Union européenne a, en seize ans d'existence (de l'entrée en vigueur du traité de Maastricht à celle du Traité de Lisbonne) produit des résultats dont la commission d'enquête a pu mesurer l'efficacité quotidienne. Au premier rang de ceux-ci figure le mandat d'arrêt européen, créé en 2002235(*), qui crée un mécanisme purement judiciaire entre États membres pour les arrestations et met fin aux procédures d'extradition.
La coordination des actions judiciaires en matière pénale est aujourd'hui assurée par Eurojust, l'Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale. Cette plateforme unique basée à La Haye permet les échanges entre les magistrats des différents États membre et la mise en place d'actions judiciaires coordonnées.
Particulièrement intéressant pour la commission d'enquête Eurojust a étendu son mécanisme de coopération aux États hors de l'Union dont douze ont signé des accordés et envoyé au sein de l'agence des magistrats de liaison. Souvent candidats à l'adhésion à l'Union, ces États font preuve de leur volonté de participation à la lutte commune en matière pénale et notamment contre la délinquance financière et la criminalité organisée. L'approfondissement de ces relations paraît essentiel à la commission d'enquête.
B. LE PARQUET EUROPÉEN
Entré en fonction le 1er juin 2021, le Parquet européen a pu en quatre ans faire la preuve de son efficacité. Comme l'a souligné lors de son audition le procureur européen Frédéric Baab « lorsqu'un parquet spécialisé est créé dans un domaine, cela crée de fait une nouvelle priorité d'action publique, comme cela s'était produit avec le Parquet national financier (PNF). » La création du Parquet européen a donc fait de la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l'UE une priorité d'action publique à part entière. Les magistrats européens ont su se saisir de la mission de lutte contre la fraude au intérêts financiers de l'Union européenne et traite aujourd'hui 114 dossiers en France contre quatre en 2021.
Au 1er janvier 2025, l'activité globale du Parquet européen recouvre 2 666 enquêtes en cours, pour un préjudice global au budget européen estimé à près de 25 milliards d'euros. En 2024, il a procédé à des gels d'avoir à hauteur de 2,4 milliards d'euros.
Les 24 procureurs européens, travaillant ensemble au sein de 15 chambres permanentes qui constituent les cellules décisionnelles du Parquet ont ainsi fait la preuve de la capacité de l'institution à mener un travail qui soit à la fois collégial, opérationnel et respectueux du cadre judiciaire de chacun des États membres participants. Le parquet soumet en effet ses affaires aux juges du siège de chaque État, en France le tribunal judiciaire de Paris.
Les dossiers ouverts par les procureurs européens délégués sont attribués, à tour de rôle, aux chambres permanentes, lesquelles prennent les principales décisions d'action publique. Bien que les enquêtes soient conduites sur le terrain par les procureurs européens délégués, ceux-ci doivent régulièrement - tous les six ou neuf mois, selon l'importance ou la sensibilité du dossier - remettre un rapport d'action publique à la chambre permanente saisie. Ce mécanisme assure un contrôle effectif, depuis le niveau central à Luxembourg, sur les enquêtes locales.
Il s'agit donc d'un véritable mécanisme de lutte contre la fraude organisée aux finances de l'Union et ce à l'échelon pertinent au niveau pour espérer atteindre le fonctionnement des réseaux transnationaux.
C. LES MAGISTRATS DE LIAISON, DES RELAIS INDISPENSABLES DONT LES MOYENS DOIVENT ÊTRE DÉVELOPPÉS.
Créés en 1993 à la suite d'une initiative du juge Falcone qui avait souhaité le développement de postes de magistrats susceptibles de faciliter la coopération entre les pouvoirs judicaires nationaux pour lutter contre la mafia, les magistrats de liaison ont fait en trente ans la preuve de leur remarquable dévouement pour empêcher que criminels et délinquants puissent rechercher l'impunité hors des frontières de la France. Le ministère français de la Justice possède le plus vaste réseau de magistrats déployés à l'étranger. Ces magistrats de liaison, nommés sur la base d'un accord avec un ou plusieurs États, ont pour objectif premier de faciliter l'entraide judiciaire internationale, que ce soit en matière pénale ou en matière civile, même si le pénal, dans la plupart des postes, constitue la majorité de leurs activités. Les magistrats de liaison sont des magistrats judiciaires mis à disposition du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Ils sont aujourd'hui au nombre de 20, dont 11 ayant une compétence régionale s'étendant à au moins deux pays. Le réseau couvre ainsi 61 pays sur quatre continents. La délégation aux affaires européennes et internationales, la DAEI du ministère de la Justice, cible les États à l'origine des trafics et les lieux de blanchiment pour implanter deux nouveaux postes de magistrats de liaison.
C'est ainsi que récemment ont été créés des postes à Dubaï, aux Émirats arabes unis, à Sainte-Lucie, pour les Caraïbes, et prochainement, en Colombie. Par réciprocité, la Délégation aux affaires européennes et internationales accueille à Paris et à Lille - un magistrat de liaison du Royaume-Uni est en poste à Lille - 13 magistrats de liaison étrangers. Mis à disposition et non détaché par le ministère de la Justice, le magistrat de liaison est soumis à l'autorité de l'ambassadeur français installé dans le pays d'accueil. Il est donc placé sous la double tutelle du ministère de la Justice et du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Outre les ambassadeurs et les numéros 2 des ambassades, les premiers interlocuteurs des magistrats de liaison sont généralement les attachés de sécurité intérieure, commissaires de police ou lieutenants-colonels de gendarmerie, en charge notamment de la coopération pénale, mais également les attachés douaniers ou les officiers de liaison. Ils peuvent aussi être sollicités pour leur conseil et leur réseau par les différents services de l'ambassade. Le magistrat est épaulé par un assistant administratif, souvent à temps partiel, donc une très petite équipe. Pour étoffer un peu l'équipe autour de ce magistrat, la chancellerie envisage depuis peu de recruter des assistants dans le cadre du volontariat international administration, comme le font déjà le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, le ministère de l'Économie et des Finances, pour étoffer les équipes des services économiques au sein des ambassades, par exemple. Un premier poste de VIA a été créé aux côtés du magistrat de liaison aux États-Unis. Le magistrat de liaison dispose parfois d'un bureau secondaire au sein du ministère de la Justice du pays d'accueil, mais c'est assez marginal, c'est surtout en Europe et aux États-Unis.
Outre les difficultés de moyens il convient de relever la lenteur des négociations de nouveaux accords bilatéraux de coopération pénale, plus modernes et donc plus efficaces : par exemple, après négociation en automne 2022 avec le Kosovo, qui a manifesté sa volonté de signer avant les élections générales de 2025, la France n'a toujours pas donné de réponse positive en ce sens.
La toute première mission des magistrats de liaison est de faciliter l'entraide judiciaire internationale « active » (demandes adressées par la France) en matière pénale : commissions rogatoires internationales adressées par les juges d'instruction, demandes d'entraide pénales internationales émises par les procureurs, dénonciations officielles transmises par les parquets français aux juridictions étrangères, demandes d'extradition, de transfèrement de condamnés... Ils peuvent conseiller les magistrats français dans la rédaction de leurs demandes en fonction des spécificités locales, répondre aux questions des magistrats locaux sur ces dossiers, activer leur réseau pour assurer le suivi et faciliter l'avancement des demandes, tenir informés l'administration centrale du ministère de la justice et les parquets qui les saisissent et, de façon plus générale, faciliter les relations avec tous les acteurs qui comptent dans le ou les pays de leur zone de compétence.
Cette mission qui nécessite donc de développer et d'entretenir un solide réseau local. Les magistrats se trouvent ainsi en position de cheville ouvrière permettant de surmonter par leur connaissance de l'environnement juridique et leur réseau les difficultés procédurales. Cette action qui favorise l'intercompréhension et donc la coopération est nécessaire, utile et efficace mais se heurte parfois aux enjeux politiques et diplomatiques qui freine l'entraide judiciaire.
Les ministres entendus par la commission d'enquête ont assuré leur engagement pour favoriser l'action des magistrats de liaison et la commission d'enquête les encourage à poursuivre en ce sens et à s'assurer que les magistrats disposent des moyens matériels d'assumer les lourdes fonctions qui leur sont confiées.
Recommandation de la commission d'enquête : Afin de développer et de faciliter l'action des magistrats de liaison :
- Assurer un suivi des traités bilatéraux en matière fiscale et financière afin d'intégrer les dispositions favorisant la coopération en matière de lutte contre la délinquance financière ;
- Doter les magistrats de liaison d'assistants sur l'ensemble des postes ;
- Mieux former les ambassadeurs et les diplomates aux enjeux de la coopération judiciaire et spécialement de la lutte contre le blanchiment.
D. LA COOPÉRATION JUDICIAIRE ENTRE LA FRANCE ET LES ÉMIRATS ARABES UNIS... METTRE LES DÉLINQUANTS ENFIN À L'OMBRE
Depuis un accord avec le garde des sceaux Pascal Clément la coopération avec les Émirats constituent une croisade en terre de droit anglo-saxon, néanmoins les progrès sont importants et les relations bâties sur la confiance d'un partenariat très large.
Les Émirats ont multiplié les mécanismes de coopération et les occasions de présenter leurs efforts pour répondre aux critères fixés par le Groupe d'action financière (voir supra).
Les ministres entendus par la commission d'enquête ont considéré que l'extradition, en avril dernier, de deux ressortissants français qui figuraient parmi une liste de 27 noms transmise en janvier par le ministre de la Justice constituait la preuve d'une amélioration de la coopération, résultant à l'évidence des multiples déplacements et rencontres. Il faut noter une accélération des procédures. Ainsi entre le 14 et le 27 mai 2025, cinq décisions d'extradition ont été prononcées dont deux définitives visant des individus figurants parmi les « objectifs prioritaires ».
De multiples contacts de haut niveau
Au cours des derniers 24 mois les contact de haut niveau entre les deux pays se sont multipliés, comme le montre la liste suivante élaborée par l'ambassade de France aux Émirats.
Année 2025
- 20 et 21 février : Visite de M. Laurent Saint Martin, Ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et des Français de l'étranger, aux Emirats arabes unis.
- 18 février : Entretien téléphonique entre M. Jean-Noël Barrot et son homologue émirien, Son Altesse Abdallah bin Zayed Al Nahyane.
- 17 février : Visite de M. Sébastien Lecornu, Ministre des Armées, aux Émirats arabes unis.
- 6 février : Visite de travail de Son Altesse Cheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyane, Président des Émirats arabes unis, à Paris. Signature d'un accord-cadre de coopération entre la France et les Emirats arabes unis dans le domaine de l'intelligence artificielle.
- 20 et 21 janvier : Visite de Gérald Darmanin, Ministre d'État, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, aux Émirats arabes unis.
Année 2024
- 19 novembre : Visite de Sébastien Lecornu, Ministre des Armées, aux Émirats arabes unis.
- 20 et 21 mai : Visite de M. Bruno le Maire, ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, aux Emirats arabes unis. Entretien avec S.A. Cheikh Mohamed bin Zayed, Président des EAU. Signature d'un accord de partenariat stratégique sur l'intelligence artificielle.
- 26 avril : Visite de M. Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, aux Émirats arabes unis.
- 25 - 27 février : Visite de M. Franck Riester, Ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité, de la Francophonie et des Français de l'étranger, aux Émirats arabes unis à l'occasion de la 13ème conférence interministérielle de l'OMC à Abou Dabi.
- 15 février : Visite de Mme Rachida Dati, Ministre de la culture, à Abou Dabi, à l'occasion de la conférence mondiale sur l'éducation culturelle et artistique de l'UNESCO, organisée par les Émirats arabes unis.
Année 2023
- 1er et 2 décembre : Visite du Président de la République, M. Emmanuel Macron, aux Émirats arabes unis, dans le cadre de la COP28.
Mais le climat encore propice au refuge doré des délinquants constitue un sujet de préoccupation pour les autorités françaises.
1. Quelques éléments de contexte
Bien identifiés à Dubaï, où leurs habitudes, notamment au Café de Paris, sont de notoriété publique, les délinquants et criminels pourraient voir leur immunité de fait remise en cause dès lors qu'ils enfreignent les règles de vie locale, en attendant la coopération se construit pour leur offrir un avenir ... à l'ombre ...
Le fait que, identifiés, ils ne soient pas extradés s'explique par plusieurs facteurs.
La mise en place de normes LCB-FT sur les transactions suspectes est en fait particulièrement difficile dans un contexte où l'apport d'argent liquide de l'étranger a longtemps constitué un schéma économique pour certains des émirats fédérés. De plus, la très faible fiscalité émirienne crée une forte tolérance au blanchiment de fraude fiscale, y compris au sein de la communauté française. Il semble que l'évasion fiscale paraisse une stratégie normale pour bénéficier du produit de son travail en évitant l'impôt .
2. Takes 2 to tango
Si les autorités françaises ont des raisons de trouver que la coopération avec les Émirats a tardé à s'améliorer, elles doivent aussi, d'après la commission se monter plus pro-actives.
Les autorités émiriennes interrogent légitimement sur le fait que des individus dangereux et recherchés pour des faits graves aient pu sans problème quitter le territoire français ou européen, ou que des individus incarcérés bénéficient librement d'un téléphone pour activer un portefeuille de crypto actifs.
À cet égard une mise en place d'un échange de liste des personnes recherchées pourrait être améliorée.
De la même façon pour les dirigeants d'entreprises.
Les autorités du port de Jebel Ali ont souligné qu'elles n'avaient aucun contact ou aucune information sur des personnes recherchées ou suspectées d'appartenir à un réseau mafieux.
Elles affirment que leur contrôle de conformité est en place, et régulier notamment pour exclure les entités sous sanction.
Elles se disent ouvertes à une coopération plus pratique avec les autorités françaises sur ce point.
3. Propositions :
- une meilleure maîtrise, par les autorités françaises, des instruments déjà disponibles, comme le cadastre de Dubaï, disponible en ligne, et déjà exploité par les journalistes pour identifier le patrimoine de trafiquants ou de kleptocrates ;
- une meilleure information donnée sur ces instruments à l'ensemble des services concernés comme aux professions réglementées, avocats, notaires, huissiers de justice ;
- un renforcement des moyens de coopération existants. La commission d'enquête a appris avec intérêt que la coopération en matière de sécurité intérieure fonctionne bien dans plusieurs domaines. Elle souhaite que cette coopération s'étende en matière de blanchiment ;
- un meilleur accompagnement de l'action essentielle conduite par le magistrat de liaison sur place. Les difficultés procédurales sont un élément essentiel des refus d'extradition opposés par les autorités émiriennes, et l'action du magistrat de liaison permet de trouver les bons interlocuteurs et d'aplanir ces difficultés.
La commission d'enquête insiste sur l'appui qui doit lui être fourni par la Chancellerie, notamment pour résoudre d'incompréhensibles difficultés de droits d'auteur conduisant à devoir solliciter à chaque fois une traduction en arabe des dispositions du code pénal utilisées à l'appui des demandes d'extradition.
Au regard de l'ampleur des tâches qui sont les siennes, la création d'un poste d'assistant, auprès du magistrat de liaison apparaît également comme une nécessité
La commission d'enquête a constaté, enfin, la difficulté pratique pour les services de la France sur place à nouer des relations opérationnelles avec tous les interlocuteurs nécessaires à la lutte contre le blanchiment. Elle regrette que les attachés français (Trésor, douane, magistrat de liaison notamment), présents à l'ambassade et au consulat, n'aient pas été associés à ses déplacements, qui auraient pu permettre l'obtention directe d'informations utiles et surtout l'établissement de contacts susceptibles de favoriser les liens de coopération.
La commission d'enquête est en effet convaincue que les efforts faits par la France pour mettre fin au flux de capitaux issus de la fraude et des trafics et à l'exil doré des criminels peuvent porter leurs fruits et rejoignent les intérêts des Émirats eux-mêmes.
IV. LE CONTOURNEMENT DES SANCTIONS INTERNATIONALES
L'ONU, le Conseil de l'Union européenne et les États peuvent décider de mesures restrictives financières ou commerciales à l'encontre d'un État, d'une personne physique ou morale ou d'une entité. Il peut s'agir d'interdictions et de restrictions au commerce de biens, de technologies ou de services ciblés avec certains pays, de mesures de gel des fonds et ressources économiques et de restrictions à l'accès aux services financiers. Le contournement de ces sanctions constitue un délit douanier réprimé par l'article 459 du code des douanes et l'article 574-3 du code monétaire et financier.
En France, le ministre chargé des Affaires étrangères conduit la politique extérieure de la France et la politique de sanctions. Le ministère chargé de l'économie est associé en tant que de besoin, s'agissant de mesures économiques et financières qui peuvent avoir un impact économique et financier sur l'emploi, la croissance et les finances des entreprises. Il est également compétent pour sa mise en oeuvre à titre principal, notamment la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects et la direction Générale du Trésor.
36 régimes, 4 122 individus et 1 243 entités font actuellement l'objet de sanctions européennes. Près de la moitié de ces sanctions concernent le conflit ukrainien236(*). Les mesures restrictives, en particulier les sanctions commerciales, représentent un important manque à gagner pour les secteurs concernés. Les sanctions financières se chiffrent également en milliards d'euros : ainsi, la totalité des avoirs russes gelés au sein de l'UE représentent environ 210 milliards d'euros à l'heure actuelle238(*).
Récemment, l'Union européenne a renforcé le cadre juridique s'appliquant au contournement des sanctions avec la directive (UE) 2024/1226 relative à la définition des infractions pénales et des sanctions en cas de violation des mesures restrictives. La France, qui avait déjà érigé ce contournement en délit, a procédé à cette transposition par l'adoption du décret du 28 mai 2025239(*) qui confie au COLB la mission de veiller à l'application de ces mesures.
Les méthodes utilisées par les pays et entités visées par les sanctions pour les contourner présentent d'importantes similarités, avec celles utilisées dans le cadre du blanchiment.
Le recours à des intermédiaires off-shore, à des sociétés-écrans, à des pays tiers... Le recours à des intermédiaires ou de comptes rebonds dans des paradis bancaires rendent complexe l'identification des avoirs des personnes sous sanction par la DG Trésor.
En France, les enquêtes relatives au contournement des sanctions internationales relèvent de la DGDDI et de l'ONAF.
Concernant les sanctions relatives au commerce, plusieurs mécanismes de contournement ont été mis en oeuvre par la Russie pour faire face aux sanctions européennes, avec des enjeux chiffrés en milliards d'euros. Des sociétés russes ont par exemple recours à des « flottes fantômes » et des sociétés-écrans pour organiser des transbordements de pétrole et ainsi contourner les sanctions sur le pétrole russe. Les douanes allemandes ont ainsi saisi en mars 2025 un navire présumé appartenir à cette « flotte fantôme », qui contenait l'équivalent de 40 millions d'euros de pétrole240(*).
Exemple de trajectoire d'une cargaison de
pétrole russe acheminé
en Corée du Sud après
transbordement au large de la Grèce
Source : enquête Le Monde
En outre, les restrictions d'exportations et d'importations sont contournées à l'aide de pays limitrophes rebonds des biens à exporter ou importer. Dans le cas russe par exemple, même si les données doivent être relativisées241(*), les exportations de l'UE vers la Turquie, le Kazakhstan, l'Arménie, la Géorgie, les E.A.U. ou la Chine ont fortement augmenté depuis 2022, laissant présager un contournement des sanctions. En particulier, les exportations d'appareils électroménagers ont permis à la Russie de s'approvisionner en composants électroniques sont ensuite utilisés pour du matériel militaire.
La subite augmentation des exportations de l'UE vers les pays proches de la Russie à partir à partir de l'adoption des sanctions UE en février 2022
Source: site Statista à partir de données Eurostat.
Le parquet européen a indiqué à la commission d'enquête qu'il pourrait utilement voir son champ de compétence étendu à ces infractions afin de décharger les parquets nationaux de ces enquêtes par essence internationales et complexes, et de l'ériger en véritable priorité de politique pénale.
Recommandations de la commission d'enquête :
- ériger le ministre chargé des affaires étrangères en tant que chef de file de la désignation des personnes visées par les sanctions internationales ;
- étendre le champ de compétence du parquet européen aux sanctions relatives au contournement des sanctions internationales.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 18 juin 2025, la commission d'enquête a examiné le rapport présenté par Mme Nathalie Goulet, rapporteur.
M. Raphaël Daubet, président. - Nous nous réunissons pour examiner le rapport de notre commission d'enquête, dont les pouvoirs s'arrêtent aujourd'hui.
Permettez-moi, pour restituer nos travaux, de commencer par quelques éléments statistiques. En un peu moins de cinq mois de travail intensif, nous avons mené 57 auditions, dont 52 plénières, ce qui représente 77 heures et 22 minutes d'échanges. Nous avons entendu 68 personnalités, 39 représentants des administrations et 3 ministres, soit 110 personnes en tout. Nous avons aussi effectué quatre déplacements que nous avons faits aux Pays-Bas, à Interpol, aux Émirats arabes unis et à Nanterre.
Ce nombre d'auditions important nous a permis, je pense, d'aborder tous les aspects d'un sujet large : l'évaluation des outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe. Nous formulons à cet égard des recommandations.
Nous avons examiné en détail les défis auxquels sont confrontés les services, qu'il s'agisse de ceux de Bercy, des services d'enquête de la police et de la gendarmerie, ou des services judiciaires. Nous avons étudié précisément l'efficacité, pour les professions assujetties, du cadre normatif relatif à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Nous avons aussi cherché à comprendre ce qui fait obstacle à la mobilisation de certaines professions du secteur non financier - je pense par exemple aux avocats ou aux antiquaires.
Nos auditions nous ont également permis de prendre connaissance de plusieurs trafics, dont les enjeux sont souvent méconnus ou minimisés. Je pense aux trafics d'or, de pierres précieuses ou d'espèces sauvages protégées, ou à la contrefaçon. Comme toujours, nos auditions nous ont conduits à faire des découvertes, comme celle de l'ampleur du trafic d'immatriculations. Surtout, nous avons pris le temps d'étudier de manière approfondie la question des cryptoactifs, qui méritait que l'on s'y attarde, car, comme souvent, le défi posé n'est pas celui que l'on croit. Nous n'avons pas négligé les autres aspects de la question qui nous a été posée. Je pense notamment au contournement des sanctions internationales.
Sur tous ces points, nous avons été guidés par notre rapporteur, et je tiens à rendre hommage à sa ténacité, à son aisance et à sa force de travail, qui ont placé haut la barre de notre exigence et ont garanti l'excellence de nos travaux. Le rapport que vous avez pu consulter en témoigne.
Nous avions, d'un commun accord, décidé de nous concentrer sur la question du blanchiment et du financement de la criminalité organisée qui irrigue tous les trafics. Mais nous n'avons pas négligé les autres aspects de la question qui nous a été posée. Je pense notamment au contournement des sanctions internationales.
Je tiens également à remercier les vice-présidents et l'ensemble des membres de la commission pour leur intérêt et leur implication. Leurs interventions ont toujours été avisées, pertinentes et enrichissantes pour nos travaux.
Je soutiens pleinement le rapport qui nous est présenté, qui reflète exactement nos travaux et me paraît très riche. Je soutiens également les préconisations concrètes de notre rapporteur qu'il inclut.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Nous avons travaillé en harmonie avec le président de cette commission. Je m'en réjouis.
Tous les services de police, de gendarmerie, de justice, des douanes ou diplomatiques qui nous ont reçus se sont montrés extrêmement intéressés par les travaux de notre commission d'enquête. Ces derniers s'inscrivent parfaitement dans la continuité du travail qui a été réalisé par la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Le narcotrafic ne constitue en effet qu'une partie de la criminalité organisée. Sur ces sujets, il est important de développer une vision à 360 degrés. C'est ce que nous nous sommes efforcés de faire, en prenant en compte d'autres types de criminalités, telles que le trafic de migrants ou le trafic d'or. Les membres des services que nous avons rencontrés étaient extrêmement contents que l'on ne se concentre pas uniquement sur le narcotrafic, car les criminels et les délinquants sont pluridisciplinaires.
La criminalité organisée se nourrit des failles de notre système, car celles-ci permettent la fraude et l'évasion fiscale. Ceci dans un contexte international. J'ai souhaité que nous allions aux Émirats Arabes Unis qui a été cité dans toutes nos auditions comme un pays utilisé pour le blanchiment. Nous avons ainsi découvert en auditionnant des marchands de biens qu'à Dubaï, des Français achetaient de l'immobilier très régulièrement, en payant en espèces ou en cryptoactifs, et ce depuis la prison des Baumettes où ils sont incarcérés. Certes, ce n'est pas la faute des Émirats arabes unis si les détenus ont un téléphone en prison, mais cela est révélateur des limites de notre système.
Il existe également des ports francs, aux Émirats comme au coeur de l'Europe. Ces lieux doivent être étroitement contrôlés. En fait, la criminalité organisée utilise tous les réseaux de la délinquance financière.
Les sommes provenant du blanchiment d'argent se situent dans une fourchette située entre 2 000 et 5 000 milliards de dollars par an, ce qui représente entre 2 % et 5 % du PIB mondial. Tout cet argent manque à l'économie réelle. Il est utilisé pour alimenter des activités illicites.
Tout commence avec la production d'argent sale. Celui-ci provient de différents trafics : trafic de migrants, trafic d'or, trafic de plaques d'immatriculation, trafic de drogue, etc.
Il faut ensuite blanchir cet argent sale. Les méthodes de blanchiment sont variables. Il existe une forme de blanchiment de basse intensité, qui repose sur le recours à des entreprises éphémères. Ces dernières sont constituées uniquement pour frauder et ont une durée de vie limitée. Le Conseil national des greffes regrette de ne pas avoir plus de pouvoirs et de moyens pour contrôler les pièces d'identité, pour vérifier comment fonctionne une entreprise avant de délivrer un Kbis, qui est finalement le permis de conduire d'une entreprise et, à très court terme, le permis de frauder. Ces entreprises éphémères font du dumping social sur le territoire où elles sont installées. Elles paient leurs salariés partiellement ou totalement en espèces. Elles ne paient ainsi pas de charges.
En outre, comme elles ne respectent pas les normes, elles réalisent des travaux de mauvaise qualité. Dès qu'elles ont engrangé suffisamment d'argent, elles le virent sur des comptes à l'étranger. Les entreprises, en effet, à la différence des particuliers, ne sont pas obligées de déclarer à l'administration fiscale leurs comptes à l'étranger. Nous l'avons appris incidemment à l'occasion d'une audition de l'Urssaf...
Notre système qui semble a priori robuste comporte ainsi des failles, qui permettent de réaliser un blanchiment de basse intensité. Nous formulons un certain nombre de recommandations pour lutter contre les entreprises éphémères.
Les réseaux communautaires constituent un autre vecteur de blanchiment. Je pense, par exemple, au réseau chinois.
Une autre méthode de blanchiment consiste à racheter à leurs propriétaires des tickets gagnants de jeux ou de loterie, en espèces, avec de l'argent sale, en octroyant une plus-value au propriétaire. Même si les sommes en jeu sont modestes à chaque fois, si l'opération est répétée de nombreuses fois, on obtient des montants astronomiques. Le même phénomène se produit avec les tickets-restaurant.
Il existe donc un blanchiment de basse intensité, qui repose sur une multiplication de petites opérations. Selon les services de police, il n'y a jamais eu autant d'argent en espèces en circulation. Les agents des douanes ont arrêté à la gare du Nord une « mule » qui transportait 400 000 euros en espèces. Ils arrêtent couramment des personnes transportant des sommes de 10 000, 20 000, voire 40 000 euros. Lorsque l'on arrête une personne qui transporte 40 000 euros, cela signifie statistiquement qu'il y a 150 personnes qui passent avec 20 000 euros pendant ce temps-là ! Cela soulève la question des effectifs des services. Nous formulons des recommandations sur le sujet.
Les méthodes de blanchiment sont multiples et extrêmement créatives. Nous les décrivons dans le rapport. Les auditions que nous avons réalisées étaient toutes plus surprenantes les unes que les autres. Nous avons découvert le trafic de civelles ou le trafic d'oeuvres d'art, dont on connaît le rôle dans le financement du terrorisme et dont on a découvert le rôle dans le blanchiment. Une méthode consiste à se procurer une pièce archéologique, par exemple une statue antique parfaitement intacte lors d'une fouille, et à la détériorer pour pouvoir la vendre sur le marché sans qu'elle soit reconnue. Des statues, des sculptures voire des peintures ou des fresques, sont ainsi altérées afin d'être vendues sur le marché sans être repérées. Nous devons nous saisir de ce sujet, car ce trafic porte atteinte au patrimoine de l'humanité, à notre bien commun.
Nous proposons d'imposer aux experts ou aux marchands d'art l'obligation de faire une déclaration à Tracfin lorsqu'ils ont des doutes sur l'origine des fonds, mais aussi sur l'origine du bien qui est en vente. En cas de doute, le transfert de propriété serait différé pour vérifier la situation.
L'utilisation des cryptoactifs est un autre moyen de blanchiment bien connu. Nous avons ainsi auditionné un expert à l'Agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol). On entend souvent que les cryptoactifs sont techniquement intraçables et anonymes grâce à la blockchain. Mais en réalité, il est possible de « détricoter » la blockchain pour retracer les opérations, même si cela prend du temps. Nous consacrons ainsi un chapitre au mythe de l'intraçabilité des cryptoactifs.
Ces enjeux soulèvent la question de la compréhension des phénomènes et celle de la formation des personnels des services de police, de justice, et des parlementaires qui vont devoir, un jour ou l'autre, légiférer sur ces questions complexes. Le problème de la formation est global.
J'ai indiqué qu'il était possible de retracer les opérations sur la blockchain, en utilisant certains logiciels et outils informatiques. Toutefois, les ministères français passent des appels d'offres séparés en la matière. Les différents services, parfois même au sein d'un même ministère, ont des prestataires distincts, qui sont souvent incompatibles entre eux. Il conviendrait de prévoir un appel d'offres global, afin que, a minima, les systèmes soient compatibles entre eux.
Une fois que l'argent sale est entré dans l'économie, nos services de police et de justice rencontrent les mêmes difficultés. Ils travaillent en silo. Il y a un manque de formation et un manque d'effectifs. Je vous renvoie à cet égard au rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic.
Les douaniers qui luttent contre le trafic de migrants, qui est structuré en filières puissantes, lesquelles permettent de blanchir 7 milliards d'euros par an, ne peuvent pas s'occuper de la contrefaçon, qui est un blanchiment de basse intensité. Ils n'ont pas le don d'ubiquité !
Sur le problème des douanes et des contrôles, nous formulons plusieurs propositions, qui peuvent être déclinées dans les territoires, afin de renforcer la police des transports, d'améliorer la surveillance des gares et de mieux contrôler les voies fluviales, mais aussi l'aviation privée, qui est actuellement en dehors de tout contrôle et permet à des individus de partir avec des valises de billets partout où ils le veulent. Nous proposons des mesures très concrètes en la matière, dont la mise en oeuvre nous semble particulièrement urgente. Certaines sont législatives, d'autres sont réglementaires. Il s'agit de nous donner les moyens de lutter contre des délinquants pluridisciplinaires, qui font du trafic de drogue, du trafic de migrants, du proxénétisme, de la contrefaçon, etc.
Des réseaux d'une puissance extraordinaire se forment, qui parviennent, grâce à la corruption, à contrôler des territoires entiers, qui sont parfois insulaires, mais pas toujours. Nous avons eu connaissance de cas de corruption absolument extraordinaires.
Pour mieux lutter contre la corruption, nous formulons plusieurs propositions, parfois très simples. Actuellement les entreprises de moins de 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros sont soumises à des obligations de déclaration auprès de l'Agence française anticorruption (AFA) sur leur programme de lutte anticorruption. Nous proposons d'abaisser ces seuils. Il conviendrait aussi de prendre des mesures pratiques comme verrouiller les ports d'accès USB aux ordinateurs des services de police ou de justice, afin d'éviter que des personnes non habilitées n'interrogent les bases de données et que l'on puisse savoir précisément qui les consulte et à quelle heure. Il faudrait aussi prévoir un turn-over des personnels pénitentiaires pour que les détenus ne puissent pas nouer de contacts avec les surveillants.
Lors de notre déplacement aux Émirats nous nous sommes rendus sur le port de Jebel Ali. Son trafic est un des plus importants au monde. Les autorités nous ont indiqué qu'elles étaient très vigilantes. Toutefois, il est impossible de tout surveiller, y compris les mouvements des sociétés soumises à des sanctions.
Les Émirats arabes unis sont un État fédéral. Il y a des différences entre les émirats. Abou Dabi a fait beaucoup d'efforts en la matière, sous l'effet du développement du name and shame. Les Émirats arabes unis ne souhaitent pas apparaître comme de mauvais élèves en la matière. Ils ne sont d'ailleurs plus sur la liste de l'Union européenne des pays et territoires non coopératifs. Ils ont mis en place de nombreux dispositifs pour se conformer aux règles internationales. Toutefois, leur mise en oeuvre est lente. Il existe encore des lacunes dans les dispositifs, notamment à Dubaï, en matière de coopération judiciaire. Il est pourtant important de mettre les délinquants installés là-bas « à l'ombre », pour reprendre le titre d'un chapitre de notre rapport.
La coopération s'est améliorée, mais des difficultés persistent.
La coopération judiciaire est essentielle. Nos magistrats de liaison jouent un rôle crucial, malheureusement leur nombre est insuffisant et ils ne sont guère aidés. Nous proposons d'augmenter les effectifs, en ciblant les pays les plus importants en matière de trafics.
Telle est l'architecture globale de notre apport. Nous avons constaté que la société se gangrène et que, corollaire de cette situation, l'insécurité se développe. Notre système de lutte contre la délinquance financière semble robuste sur le papier, mais il n'est pas complètement efficace dans les faits. Les services de police, de gendarmerie et des douanes sont débordés. Il en va de même des services judiciaires et des magistrats, qui ne sont pas toujours bien formés sur ces enjeux. Les membres du parquet national financier (PNF), du parquet européen et de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) sont compétents et souhaitent que tous les parquets en province soient formés sur ce sujet. Mais il faut bien reconnaître, permettez-moi l'expression, que tous les services sont « à l'os » : c'est aussi une question de moyens.
Enfin, je note l'absence manifeste de volonté de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale. Lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, nous avions adopté deux mesures pour lutter contre les territoires non coopératifs et pour réguler les prix de transfert : ces dernières ont finalement été repoussées à la suite d'une seconde délibération ! Leur adoption n'aurait pourtant pas ruiné le pays !
Tant que nous ne mettrons pas le turbo, de manière déterminée, sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, nous ne pourrons pas lutter contre le blanchiment, car celui-ci est facilité par les failles de notre système en la matière. Et tant que nous ne lutterons pas contre le blanchiment, nous ne pourrons pas arrêter la criminalité, car celle-ci se nourrit de ce dernier.
Les sommes en jeu sont considérables. On estime que le chiffre d'affaires des réseaux de blanchiment s'élève à plus de 5 milliards d'euros pour la contrefaçon - celle-ci concerne aussi bien les chemises Lacoste ou les sac Vuitton, que les faux médicaments, les pièces détachées de voitures, d'avions, etc. Les conséquences peuvent être graves pour la santé des consommateurs. Le blanchiment lié au narcotrafic se situerait dans une fourchette entre 3,5 et 6 milliards d'euros. De même, les montants seraient de 2 milliards d'euros pour la contrebande de tabac, de 1à 3 milliards pour l'exploitation sexuelle, de plus de 20 milliards pour la fraude aux finances publiques, de 1 milliard en ce qui concerne les atteintes à l'environnement, etc.
Les sommes sont vertigineuses et s'élèvent globalement, selon nos estimations, à plus de 50 milliards d'euros. C'est pourquoi je voulais intituler notre rapport : « 50 milliards volés aux contribuables » ou « 50 milliards qui gangrènent la société », mais nous vous proposerons, en application du principe de précaution, d'employer l'expression « des dizaines de milliards », car on ne peut pas procéder à un chiffrage précis de ces activités occultes. En tout cas, les sommes en jeu sont extrêmement importantes et manquent à l'économie française et à l'économie européenne.
Notre rapport est complémentaire de celui de la commission d'enquête sur le narcotrafic. Notre démarche a l'intérêt de s'inscrire dans une vision à 360 degrés. On se rend ainsi compte de la pluralité des enjeux. Tant que l'on n'aura pas mis en place des outils pour y répondre, nous n'y arriverons pas. Certes, l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent (Amla) vient d'être créée, mais celle-ci n'est pas encore installée. Elle ne sera vraiment opérationnelle que dans deux ou trois ans.
Le temps des voleurs n'est pas le temps judiciaire ni le temps de l'administration. Le roman de Raphaële Billetdoux Mes nuits sont plus belles que vos jours relate une histoire d'amour merveilleuse. L'auteure dit que ses personnages « vivaient les heures comme mari et femme les années ». Je cite cette phrase dans le rapport, car elle me semble résumer parfaitement la situation. Pendant que les voleurs courent, nous mettons des années à nous doter des outils nécessaires.
Nous avons réalisé un état des lieux très précis. Nous formulons de nombreuses recommandations. Nous proposons des évolutions réglementaires ou législatives ainsi que des mesures de bon sens. Je vous invite à adopter ce rapport et à devenir les avocats de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à chaque occasion, et notamment durant l'examen du projet de loi de finances.
M. Raphaël Daubet, président. - Le rapport compte cinquante recommandations qui figurent au début du rapport.
M. André Reichardt. - Les auditions auxquelles j'ai pu assister étaient très intéressantes. Le rapport est très instructif. J'ai beaucoup appris en participant à cette commission. Il faudra bien expliquer, dans notre communication, que le travail que nous avons mené est complémentaire de celui qui a été réalisé par la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic et qu'il n'y a pas de concurrence entre les deux.
Lorsque cette commission a été créée, je ne voyais pas le lien entre la délinquance financière, la criminalité organisée et la problématique du contournement des sanctions financières, mais on comprend le lien en lisant le rapport.
M. Patrice Joly. - Je salue la qualité du travail de notre rapporteur. Celle-ci a une connaissance approfondie des sujets et elle a su animer les auditions en conséquence, en posant des questions pointues aux personnes interrogées afin d'obtenir le maximum d'informations. Notre commission a travaillé à un rythme effréné et les auditions ont été très nombreuses.
Nous avions une petite idée des enjeux financiers liés à la délinquance financière et à la criminalité organisée, même si les montants exacts sont difficiles à chiffrer. En revanche, ce que nous mesurions peut-être un petit peu moins, c'est à quel point la société est imprégnée par la question de la délinquance financière sous ses différents aspects. C'est dangereux et inquiétant pour notre démocratie. La question du contournement des sanctions mérite une réflexion approfondie.
M. André Reichardt. - Le terme de « gangrène », qui a été employé, est tout à fait approprié. Sans doute devrait-il être employé dans notre communication. Il avait déjà été utilisé dans les travaux sur le narcotrafic. Différents trafics se développent très vite, mais à bas bruit.
M. Raphaël Daubet, président. - Le terme de gangrène devrait figurer dans le titre de notre rapport.
Mme Nadine Bellurot. - Je salue à mon tour la qualité du travail de notre rapporteur et de notre président. Il faut bien insister sur le fait que ce rapport est complémentaire du rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic. Toutefois, alors que cette dernière s'était intéressée à la question du narcotrafic dans une optique française, notre commission met davantage l'accent sur la dimension internationale des enjeux. Nous cherchons à avoir une vision globale de la délinquance financière. J'ai appris beaucoup durant les auditions. Les recommandations sont très intéressantes. Peut-on envisager que notre travail aboutisse au dépôt d'une proposition de loi ?
M. Grégory Blanc. - Je remercie à mon tour notre rapporteur et notre président, qui ont su nous guider dans notre réflexion. J'ai beaucoup appris durant nos travaux. J'ai découvert l'ampleur du problème. Nous avons réalisé un grand nombre d'auditions qui nous ont ouvert des pistes de réflexion : à mesure que nous avancions et que déroulions la pelote, on s'apercevait qu'il fallait aller encore plus loin. Ce rapport fournit une synthèse précise, à la fois dense et concise, agréable à lire sur le sujet. Il devrait faire référence. Nous avions besoin d'un tel document. Il faudra poursuivre le travail engagé, en déposant une proposition de loi ou en demandant la création d'une nouvelle commission d'enquête pour approfondir certains aspects.
Je voudrais mettre quatre points en avant.
Premièrement, la faiblesse des études et de l'information disponible sur le terrain. Ce que nous disons ici à l'échelle nationale doit être connu dans les territoires.
Deuxièmement, l'interpénétration entre réseaux licites et illicites. Cela rejoint les travaux que nous avons réalisés sur le narcotrafic et les dépasse même d'un certain point de vue, parce que les acteurs du blanchiment sont souvent dans une zone grise, en particulier en cas de basse intensité.
Troisièmement, l'importance de certaines professions, notamment marchandes, pour aboutir à des montages complexes. La question se pose alors de la manière de réguler ces professions. Le législateur devra certainement intervenir pour ne pas nous en remettre à la seule autorégulation.
Quatrièmement, la faiblesse en nombre et en compétences de l'appareil policier et judiciaire, que ce soit au niveau national ou local.
M. Pascal Savoldelli. - Le champ d'investigation à 360 degrés me convient.
Je crois que nous devons nous-mêmes regarder ce qui relève d'une évolution législative ou d'autre chose, par exemple un simple laxisme - si je puis me permettre ce terme. Dire, c'est faire ! Si nous disons des choses fortes, nous devons aussi agir de notre côté.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Pour moi, chaque membre de la commission d'enquête est un ambassadeur des mesures que nous allons approuver et je dis oui à une proposition de loi et oui à la poursuite de notre travail.
Je veux prendre un autre exemple : en 2021, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon ; on attend toujours son inscription à l'ordre du jour du Sénat et, de fait, le texte est devenu obsolète vu l'évolution des trafics ! Cela montre bien que ces sujets sont souvent hors des radars...
Je crois que nous avons des opportunités à saisir. Cet argent est volé aux contribuables et, dans le contexte difficile actuel, il manque cruellement à l'économie française, aux collectivités locales, aux hôpitaux, aux écoles, etc.
Nous devons par ailleurs avoir des liens plus sérieux avec des instances comme Europol ou Interpol. Alors que cette dernière organisation est basée à Lyon, la délégation de notre commission d'enquête était seulement la seconde délégation du Sénat à rencontrer ses responsables - je faisais déjà partie de la première délégation... On le voit, des choses fonctionnent mal, alors que ces institutions sont essentielles dans de très nombreuses affaires.
S'agissant des sanctions internationales il faut avouer que le législateur et l'administration ont peu de pouvoir. Pour autant, les circuits sont les mêmes, qu'il s'agisse de contourner des sanctions internationales ou de blanchir un trafic. Sachez qu'en ce moment il existe un énorme mouvement sur les cryptomonnaies, parce qu'il faut savoir que, sur les 51 milliards placés illégalement en cryptomonnaies, 39 milliards appartiennent à des Iraniens... Vu le contexte, je peux vous dire que beaucoup de personnes communiquent leurs clés, parce que, s'ils meurent, tout cela est perdu !
M. Raphaël Daubet, président. - Nous en venons à l'examen des propositions de modification.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je suis très favorable à la proposition de modification n° 1 de Grégory Blanc qui vise à envisager une révision du code pénal pour alourdir les sanctions pénales en matière de corruption privée.
La proposition de modification n° 1 de M. Grégory Blanc est adoptée.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je suis également favorable à la proposition n° 2 de Grégory Blanc, sous réserve d'une modification rédactionnelle. Il s'agit d'étendre la protection des lanceurs d'alerte ; ce sujet a souvent été évoqué lors de nos auditions.
La proposition de modification n° 2, ainsi modifiée, de M. Grégory Blanc est adoptée.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je suis en revanche défavorable à la proposition de modification n° 3 de Grégory Blanc : il me semble trop compliqué de créer une présomption de corruption, alors même qu'existe déjà la présomption de blanchiment qui marche très bien. Je propose toutefois de continuer à travailler sur ce sujet.
La proposition de modification n° 3 de M. Grégory Blanc n'est pas adoptée.
M. Raphaël Daubet, président. - Nous en venons à deux propositions de modification présentée par notre rapporteur.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Il ressort de nos auditions que certaines banques transmettent aux services d'enquête des fichiers difficilement exploitables, ce qui représente une perte de temps importante pour les enquêteurs financiers dans la mise en forme ou la récupération des données. Dans un contexte où la donnée irrigue de plus en plus les dossiers d'enquête, il est essentiel de réfléchir à une modernisation des modalités de transmission des réponses des établissements financiers aux réquisitions qui leur sont adressées.
La proposition de modification n° 4 du rapporteur est adoptée.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'audition du conseil des maisons de vente a montré des failles dans le dispositif de contrôle de l'activité des experts sur le marché de l'art. Ces derniers sont parfois seuls responsables de la certification de l'authenticité des oeuvres. Or tout le monde peut se déclarer expert sans devoir présenter des qualifications spécifiques. Il convient donc de réfléchir à des modalités d'habilitation de ces professionnels.
La proposition de modification n° 5 du rapporteur est adoptée.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Après de nombreux échanges entre nous, nous voulions mettre l'accent sur la « gangrénisation » de la société, si bien que je vous propose le titre : « Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société ! »
M. Hervé Reynaud. - Je crois que le terme gangrène est important, parce qu'on voit bien dans le rapport que le résultat de ces trafics se retrouve dans nos commerces, dans nos rues.
M. André Reichardt. - Nous pourrions aussi dire : « 50 recommandations pour récupérer 50 milliards ».
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - La difficulté est que la somme de 50 milliards fait partie d'une fourchette d'évaluation qui est assez large. Qui plus est, nous mettons justement l'accent dans le rapport sur les difficultés d'une telle évaluation...
Le titre du rapport est adopté.
La commission d'enquête adopte le rapport ainsi modifié, ainsi que les annexes, et en autorise la publication.
Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.
M. Raphaël Daubet, président. - Mes chers collègues, une conférence de presse aura lieu vendredi 20 juin à 14 h 30. Vous y êtes tous conviés.
Je veux tous vous remercier pour votre contribution et saluer l'implication de notre rapporteur.
LISTE DES
PERSONNES ENTENDUES
PAR LA COMMISSION D'ENQUÊTE
Jeudi 6 février 2025
Table ronde sur les aspects économiques du blanchiment et le financement de la criminalité organisée
- Mme Clotilde CHAMPEYRACHE, maître de conférences en économie à lUniversité Paris 8 et au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) ;
- Mme Emma Louise BLONDES, doctorante en criminologie à la London School of Economics and Political Science (LES).
Table ronde sur les aspects juridiques du blanchiment et le financement de la criminalité organisée
- Mme Eliane HOULETTE, ancienne procureur de la République financier ;
- Mme Raphaële PARIZOT, professeur à lUniversité Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialité droit privé et sciences criminelles ;
- M. Marc SEGONDS, professeur à lUniversité Toulouse Capitole, spécialité droit privé et sciences criminelles ;
- Mme Chantal CUTAJAR, maître de conférences à lUniversité de Strasbourg, spécialité prévention et répression de la criminalité organisée.
Mercredi 12 février 2025
Audition commune de spécialistes des cryptoactifs
- Mme Claire BALVA, entrepreneure, spécialiste des cryptoactifs ;
- M. Alexandre STACHTCHENKO, entrepreneur, spécialiste des enjeux relatifs aux cryptoactifs.
Jeudi 13 février 2025
Parquet national financier
- M. Jean-François BONHERT, procureur de la République financier ;
- Mme Céline GUILLET, procureur de la République adjoint.
Audition commune
Parquet de Paris
- M. Damien BRUNET, substitut général, adjoint au chef du département de lutte contre la criminalité organisée, cyber et environnementale.
Université Paris I Panthéon-Sorbonne
- M. Nicolas JACQUEMET, professeur.
Jeudi 20 février 2025
Direction générale de la Police nationale
- M. Louis LAUGIER, préfet, directeur général ;
- Mme Magali CAILLAT, sous-directrice de la lutte contre la criminalité financière à la direction nationale de la police judiciaire du ministère de lintérieur ;
- Mme Estelle DAVET, contrôleuse générale des services actifs de la police nationale.
Direction générale de la gendarmerie nationale
- M. Hubert BONNEAU, général darmée, directeur général ;
- M. Dominique LAMBERT, général de division, sous-directeur de la police judiciaire ;
- M. Ronan LELONG, colonel, chef du bureau de la synthèse budgétaire.
Préfecture de police de Paris
- M. Laurent NUÑEZ, préfet de police ;
- M. Jérôme MAZZARIOL, contrôleur général, conseiller technique chargé des affaires de police ;
- M. Denis COLLAS, sous-directeur chargé des affaires économiques et financières à la direction de la police judiciaire ;
- Mme Juliette de CLERMONT-TONNERRE, conseillère stratégies et relations publiques.
Mardi 4 mars 2025
Table ronde de journalistes
- M. Fabrice ARFI, journaliste Médiapart ;
- M. Frédéric PLOQUIN, journaliste Marianne.
Audition de journalistes (Le Monde)
- M. Jérémie BARUCH ;
- M. Abdelhak EL IDRISSI ;
- Mme Anne MICHEL ;
- M. Maxime VAUDANO.
Table ronde des services enquêteurs cyber
- M. Denis COLLAS, sous-directeur chargé des affaires économiques et financières à la direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris ;
- M. Nicolas GUIDOUX, chef de lOffice nationale anticybercriminalité (OFCA) ;
- M. Hervé PÉTRY, commandant de lUnité nationale cyber de la gendarmerie nationale.
Mercredi 5 mars 2025
Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)
- M. Florian COLAS, directeur général ;
- Mme Corinne CLÉOSTRATE, sous-directrice des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude.
Jeudi 6 mars 2025
Tracfin
- M. Antoine MAGNANT, directeur.
Ministère de l'économie et des finances
- M. Éric BELFAYOL, chef de la mission interministérielle de coordination anti-fraude du ministère de l'économie et des finances ;
- Mme Christine FOURNIER, cheffe de projet « Enjeux numériques » de la mission interministérielle de coordination anti-fraude du ministère de l'économie et des finances ;
Ministère de lintérieur
- Mme Magali CAILLAT, sous-directrice de la lutte contre la criminalité financière à la direction nationale de la police judiciaire du ministère de lintérieur ;
- M. Frédéric MALON, sous-directeur de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance spécialisée à la direction nationale de la police judiciaire du ministère de lintérieur ;
- M. Stéphane PIALLAT, chef du service central des courses et des jeux du ministère de lintérieur.
Mardi 11 mars 2025
Direction générale du Trésor
- Mme Claire CHEREMETINSKI, directrice générale adjointe.
Jeudi 13 mars 2025
Office national anti-fraude (ONAF)
- M. Christophe PERRUAUX, directeur.
Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)
- M. Sébastien TIRAN, directeur.
Table ronde ayant pour thème les « sociétés éphémères »
Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce :
- M. Victor GENESTE, président ;
- Mme Karla AMAN, conseillère affaires publiques.
Direction générale des finances publiques (DGFIP) :
- Mme Carole MAUDET, sous-directrice du contrôle fiscal, du pilotage et de lexpertise juridique.
Jeudi 20 mars 2025
Table ronde dorganismes bancaires, dassurance et dexperts-comptables
Fédération bancaire française :
- Mme Maya ATIG, directrice générale.
France Assureurs :
- Mme Florence LUSTMAN, présidente.
Conseil national de lordre des experts-comptables :
- Mme Florence HAUDUCOEUR, présidente de la commission des Normes professionnelles, en charge du Secteur Exercice professionnel ;
- M. Jean- Marc JAUMOUILLÉ, vice-président du Conseil, en charge du Secteur Exercice professionnel.
Jeudi 27 mars 2025
Autorité des marchés financiers (AMF)
- Mme Marie-Anne BARBAT-LAYANI, présidente ;
- M. Sébastien RASPILLER, secrétaire général.
Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)
- Mme Evelyne MASSÉ, première secrétaire générale adjointe ;
- M. Marc BARAN, directeur de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Transparency International France
- M. Patrick LEFAS, président ;
- Mme Sara BRIMBEUF, responsable du pôle flux financiers illicites (FFI) ;
- Mme Charlotte PALMIERI, chargée de plaidoyer et contentieux au sein du pôle FFI
Table ronde
- M. Bertrand MONNET, professeur à lEDHEC Business School et spécialiste de l'économie du crime ;
- M. Nicolas BELLION, président de lassociation LCB-FT.
Jeudi 3 avril 2025
Ministère de la Justice - Direction des affaires criminelles et des grâces
- Mme Laureline PEYREFITTE, directrice.
Audition de journalistes
- Mme Jeanne COLONNA, journaliste (Corse Matin) ;
- M. Abdelhak El Idrissi, journaliste (Le Monde).
Conseil dorientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB)
- M. Didier BANQUY, président.
Groupe dAction Financière (GAFI)
- M. Pierre ALLEGRET, chef de la délégation française auprès du GAFI, sous-directeur des sanctions et lutte contre la criminalité financière du Trésor.
Mardi 8 avril 2025
Conseil national des barreaux
- Mme Julie COUTURIER, présidente ;
- M. David LÉVY, membre élu.
Commission nationale des sanctions
- Mme Cécile CHADUTEAU-MONPLAISIR, conseillère d'État, présidente.
Jeudi 10 avril 2025
Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)
- M. Romain ROUSSEL, sous-directeur industrie, santé et logement ;
- Mme Sonia SBAA, cheffe de la cellule de renseignement anti-fraudes économiques.
Table ronde sur limmobilier
Conseil supérieur du notariat (CSN)
- Maître Pierre-Jean MEYSSAN, premier Vice-président ;
- M. Jérôme FEHRENBACH, directeur général.
Fédération nationale de limmobilier (FNAIM)
- M. Loïc CANTIN, président.
Table ronde tribunaux et Juridiction nationale de lutte contre la criminalité financière (JUNALCO)
- Mme Laure BECCUAU, procureure de la République près le tribunal judicaire de Paris ;
- Mme Marie-Aude FAIVRE, vice-procureure près le tribunal judiciaire de Paris ;
- M. Éric SERFASS, procureur adjoint à la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée ;
- M. Nicolas BARRET, chef de la section de la criminalité financière de la JUNALCO.
Lundi 14 avril 2025
Union française de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, des Pierres et des Perles (UFBJOP)
- Mme Bernadette PINET-CUOQ, président exécutive ;
- M. Joey LAGER, directeur des achats et du développement commercial de la société Rubel & Ménasché.
Table ronde « Arts »
- M. Vincent MICHEL, professeur des Universités en archéologie de lAntiquité classique dOrient à lUniversité de Poitiers (HeRMA/CelTrac) ;
- Mme Marie-Charlotte PILLON, courtier en oeuvre d'art.
Mardi 15 avril 2025
Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC)
- M. Philippe VINCENT,président.
Autorité bancaire européenne
- M. François-Louis MICHAUD, directeur exécutif ;
- Mme Solène ROCHEFORT, expert dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Table ronde des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisée
- Mme Carole ÉTIENNE, procureure de la République, près le tribunal judiciaire de Lille ;
- Mme Virginie GIRARD, procureure adjointe près le tribunal judiciaire de Lille ;
- M. Bertrand ROUÈDE, premier vice-procureur de la République près la juridiction interrégionale spécialisée de Bordeaux ;
- M. Vincent RAFFRAY, vice-président chargé de linstruction JIRS de Bordeaux.
Mardi 29 avril 2025
Parquet européen
- M. Frédéric BAAB, procureur européen ;
- M. Emmanuel CHIRAT, procureur européen délégué ;
- Mme Anaïs TAIBI-LECOEUR, procureure européenne déléguée.
Table ronde du Département de la coopération internationale opérationnelle et de magistrats de liaison
- Mmes Corinne BERTOUX, cheffe du département de la coopération internationale opérationnelle de la Direction nationale de la police judiciaire ;
- Mme Aurélie BESANÇON, cheffe de la section centrale de coopération opérationnelle de police ;
- Mme Émilie MOREAU, cheffe du service de la stratégie, de linfluence et de la gouvernance ;
- Mme Emmanuelle ROBINSON, magistrat de liaison auprès des autorités judiciaires du Royaume du Maroc ;
- Mme Frédérique DUBOST, magistrat détaché, ancienne magistrate de liaison en Europe du Sud-Est ;
- M. Jean-François REDONNET, magistrat honoraire juridictionnel, ancien magistrat de liaison régional Asie du Sud-Est et ExtrêmeOrient.
Conférence nationale des procureurs de la République
- M. Damien SAVARZEIX, président ;
- M. Nicolas BESSONE, procureur de Marseille.
Mercredi 30 avril 2025
Préfecture de police des Bouches-du-Rhône
- Mme Corinne SIMON, préfète déléguée auprès du Préfet de police des Bouches-du-Rhône.
Mardi 13 mai 2025
URSSAF Île-de-France
- M. Emmanuel DELLACHERIE, directeur de la réglementation, du recouvrement et du contrôle (DIRREC) ;
- M. Pierre GALLET, directeur du contrôle.
Mercredi 14 mai 2025
Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (ALBC)
- M. Olivier SALLES, directeur exécutif par intérim.
Mercredi 21 mai 2025
Ministère de l'Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
- Mme Amélie de MONTCHALIN, ministre chargée des comptes publics.
Jeudi 22 mai 2025
Ministère de la Justice
- M. Gérald DARMANIN, ministre d'État.
Agence française anti-corruption
- Mme Isabelle JÉGOUZO, directrice.
Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC)
- Mme Vanessa PERRÉE, directrice générale ;
- Mme Sylvie MARCHELLI, sous-directrice opérationnelle.
Mercredi 28 mai 2025
Ministère de l'Intérieur
- M. Bruno RETAILLEAU, ministre d'État.
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LE
RAPPORTEUR
Mardi 15 avril 2025
Maison Bottazzi-Blondeel
- Mme Rosanna BOTTAZZI RANGER, chef dentreprise et gemmologue.
Mercredi 7 mai 2025
Commission nationale de linformatique et des libertés (CNIL)
- M. Thomas DAUTIEU, directeur de laccompagnement juridique ;
- Mme Nacéra BEKHAT, cheffe du service des affaires économiques ;
- Mme Chirine BERRICHI, conseillère pour les questions parlementaires et instutionnelles.
Lundi 12 mai 2025
Association CrimHalt
- M. Fabrice RIZZOLI, président.
Collectif antimafia Massimu Susini
- M. Jean-Jérôme MONDOLONI, avocat honoraire et membre de la direction collégiale du collectif.
Chainalysis
- M. François VOLPOET, directeur général Europe du sud, Israël, Afrique.
Institut Art & Droit
- M. Gérard SOUSI, président.
Mardi 10 juin 2025
Conseil des maisons de vente
- M. Édouard DE LAMAZE, président.
LISTE DES DÉPLACEMENTS
La Haye- Europol (13 et 14 mars 2025)
- M. François ALABRUNE, ambassadeur de France auprès du Royaume des Pays-Bas ;
- M. Jean-Philippe LECOUFFE, directeur exécutif adjoint des opérations ;
- M. Gilles WEINTZ, chef de l'unité « criminalité mobile et transnationale » ;
- M. Lucien ARLERI, chef de service du bureau de liaison français.
Lyon - Interpol (17 mars 2025)
Abu Dhabi - Dubaï (23 au 26 mars 2025)
- Son Excellence Ali Faisal AL BAALAWI, directeur du Financial Intelligence Unit (FIU) ;
- Son Excellence Dr. Ali AL NUAIMI, président de la commission de défense, de l'intérieur et des affaires étrangères du conseil fédéral national ;
- Son Excellence Hamid Saif AL ZAABI, secrétaire général du comité national de lutte contre le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme et des organisations illégales (NAMLCFTC) ;
- Son Excellence M. Nicolas NIEMTCHINOW, ambassadeur de France auprès des Émirats arabes unis.
Nanterre (26 mai 2025)
Sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF)
- Mme Judith KHELIFA, commissaire à l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGF) ;
- M. le Commandant Pierre METAIRIE, enquêtes effectuées par la Section anti blanchiment à l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGF) ;
- M. Laurent ALLIOT, commandant divisionnaire fonctionnel de police à la Brigade de recherche et d'intervention financière (BRI FN) ;
- M. le capitaine Olivier FRIBOURG, enquête criminalité financière et crypto actifs.
Département de la coopération internationale opérationnelle (DCIO)
- Mme Corinne BERTOUX, cheffe du département de la coopération internationale opérationnelle (DCIO) ;
- M. le Lieutenant-colonel de gendarmerie Emmanuel MONGE ROFFARELLO, adjoint à la cheffe de la section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL).
LISTE DES SIGLES
A |
|
ABE |
Agence bancaire européenne |
ACPR |
Autorité de contrôle prudentiel et de résolution |
AFA |
Agence française anticorruption |
AGRASC |
Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués |
AMF |
Autorité des marchés financiers |
AMLA/ALBC ANR |
Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme Analyse nationale des risques |
B |
|
BNEE |
Brigade nationale d'enquêtes économiques |
C |
|
CAF |
Caisse d'allocations familiales |
CARIN |
Camden Asset Recovery International Network |
CESEDA |
Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile |
CIFA |
Centre International de Commerce de Gros France-Asie |
CJIP |
Conventions judiciaires d'intérêt public |
CNIL |
Commission nationale de l'informatique et des libertés |
CNS |
Commission nationale des sanctions |
CODAF |
Comité opérationnel départemental anti-fraude |
COLB |
Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme |
CRAFE CRF |
Cellule de renseignement anti fraudes économiques Cellule de renseignement financier |
D |
|
DCIO |
Département de la coopération internationale opérationnelle de la DNPJ |
DNPJ |
Direction nationale de la police judiciaire |
DGCCRF |
Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes |
DGDDI |
Direction générale des douanes et droits indirects |
DGGN |
Direction générale de la gendarmerie nationale |
DGPN |
Direction générale de la police nationale |
DGFip |
Direction générale des finances publiques |
DNRED |
Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières |
DU |
Diplômes d'université |
E |
|
EMCO |
État-major de lutte contre la criminalité organisée |
ENM |
École nationale de la magistrature |
EPNFD |
Entreprises et professions non financières désignées |
ETNC |
États ou territoires non coopératifs |
EUIPO /OEPI |
Office européen pour la propriété intellectuelle |
F |
|
FICOBA |
Fichier des comptes bancaires |
FDJ |
Française des jeux |
G |
|
GAFI |
Groupe d'action financière |
GIR |
Groupe interministériel de recherche |
GFI |
Global Financial Integrity |
H |
|
I |
|
ICF |
Investigateur en criminalité financière |
J |
|
JIRS |
Juridiction interrégionale spécialisée |
JUNALCO |
Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée de très grande complexité |
K |
|
KYC |
« know your customer » « connaitre son client » |
L |
|
LCB-FT |
Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme |
M |
|
MICAF |
Mission interministérielle de coordination anti-fraude |
N |
|
NAMLCFTC |
Comité national de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et des organisations illégales |
O |
|
OCBC |
Office central de lutte contre le trafic de biens culturels |
OCLAESP |
Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique |
OCLCIFF |
Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales |
OCLCO |
Office central de lutte contre le crime organisé |
OCLTI |
Office central de lutte contre le travail illégal |
OCRGDF |
Office central pour la répression de la grande délinquance financière |
OCRTEH |
Office central pour la répression de la traite des êtres humains |
OFAC |
Office anti cybercriminalité |
OFAST |
Office anti stupéfiant |
OLTIM |
Office de lutte contre le trafic illicite de migrants |
ONAF |
Office national anti-fraude |
ONUDC |
Office des Nations Unies contre la drogue et le crime |
OPJ |
Officier de police judiciaire |
OTF |
Task force opérationnelle |
P |
|
PIAC |
Plateforme d'Identification des Avoirs Criminels |
PMU |
Paris Mutuels Urbains |
PNACO |
Parquet national anti-criminalité organisée |
PNF |
Parquet national financier |
PNR |
« passenger name record » |
PPF |
Points de passage aux frontières |
Q |
|
R |
|
RBE |
Registre des bénéficiaires effectifs |
RCS |
Registre du commerce et des sociétés |
RSAC |
Registre spécial des agents commerciaux |
RNIPP |
Répertoire national d'identification des personnes physiques |
RSEIRL |
Registre spécial des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée |
S |
|
SCCJ |
Service central des courses et jeux |
SCI |
Sociétés civiles immobilières |
SCCOPOL |
Section centrale de coopération opérationnelle de police |
SDLCF |
Sous-direction de la lutte contre la criminalité financière de la direction nationale de la police judiciaire |
SIENA |
Secure Information Exchange Network Application |
Sirasco financier |
Service d'information de renseignement et d'analyse stratégique de la criminalité organisée en charge du renseignement financier |
SIV |
Système d'immatriculation d'un véhicule |
S.R. |
Section de recherches |
T |
|
TBML |
« Trade Based Money Laundering » blanchiment fondé sur le commerce international |
U |
|
UFBJOP |
Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles |
Unifab |
Union des fabricants |
URSSAF |
Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales |
V |
|
VNF |
Voies navigables de France |
W |
|
X |
|
Y |
|
Z |
|
TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)
N° de la proposition |
Proposition |
Acteurs concernés |
Calendrier prévisionnel |
Support |
2 |
Avoir une approche consolidée au plan interministériel du montant des saisies, des confiscations, ou des recouvrements fiscaux ou sociaux réalisés sur les revenus de la criminalité organisée |
Gouvernement, administrations centrales des Ministères en charge des finances publiques, de l'Intérieur et de la Justice |
2026 |
Circulaire du Premier ministre |
6 |
Pour une identification précoce des entreprises créées à des fins frauduleuses, élargir les prérogatives des greffiers des tribunaux de commerce. |
Législateur, greffiers de tribunaux de commerce |
2025 |
Loi |
8 |
Durcir les peines encourues en cas de contrefaçon et publier une circulaire de politique pénale appelant à leur application plus stricte et systématique. |
Gouvernement, ministre de la justice |
Immédiat |
Circulaire de politique pénale |
12-1 |
Pour mieux lutter contre la corruption, diminuer les seuils de nombre de salariés et de chiffre d'affaires prévus par l'article 17 de la loi Sapin II et revenir sur la condition tenant à la localisation en France du siège social de la société mère afin d'assujettir un plus grand nombre d'acteurs aux obligations de lutte contre les atteintes à la probité |
Gouvernement |
2026 |
Loi |
16 |
Créer un fonds de concours au budget de l'État, alimenté par une fraction du produit des CJIP et affecté au programme 176 « Police nationale », qui serait utilisé pour fidéliser et former des enquêteurs financiers. |
Gouvernement |
1er janvier 2026 |
Loi de finances pour 2026 |
19 |
Consolider la supervision des professionnels assujettis autorégulés en matière de LCB-FT. |
Gouvernement, Législateur, organes de supervision des professions autorégulées |
2025 |
Loi ou décret |
34 |
Étendre le champ de compétence du PNF à l'ensemble de la criminalité financière |
Législateur |
2025 |
Loi |
45 |
Promouvoir au niveau du GAFI un durcissement des conditions de sortie de la liste grise qu'il élabore. |
Gouvernement, GAFI |
Immédiat |
Négociations internationales |
47-1 |
Assurer un suivi des traités bilatéraux en matière fiscale et financière afin d'intégrer les dispositions favorisant la coopération en matière de lutte contre la délinquance financière. |
Parlement |
Immédiat |
Contrôle parlementaire |
47-2 |
Doter les magistrats de liaison d'assistants sur l'ensemble des postes |
Gouvernement |
2026 |
Loi de finances |
50 |
Étendre le champ de compétence du parquet européen aux sanctions relatives au contournement des sanctions internationales |
Union européenne |
2026 |
Règlement européen |
ANNEXES
CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES
* 1 La liste noire recense l'ensemble des pays dits « à haut risque », et la liste grise recense les pays soumis à une « surveillance renforcée ».
* 2 Cf. le rapport n° 87 (2013-2014) de M. Éric Bocquet, « Évasion des capitaux et finance : mieux connaître pour mieux combattre », fait au nom de la Commission d'enquête sur le rôle des banques, déposé le 17 octobre 2013.
* 3 Le rapporteur se permet de renvoyer à ses travaux publiés sur le sujet.
* 4 International Consortium of Investigative Journalists
* 5 1976 Alan J.Pakula.
* 6 Cf. « La gangstérisation du monde », Questions internationales n° 125-126 Juin-septembre 2024, La Documentation française.
* 7 « La police judiciaire décrit la « dissémination » inquiétante et la « violence exacerbée » du crime organisé en France », Antoine Albertini, Le Monde, 14 mai 2025.
* 8 Lors de son audition par la commission d'enquête, Mme Laureline Peyrefitte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, en a donné la définition suivante : « La délinquance financière renvoie en réalité à un champ infractionnel particulièrement étendu, qu'il faut à mon sens entendre comme englobant toutes les formes d'escroquerie et les infractions voisines que sont l'abus de confiance, le faux, l'usage de faux, certaines infractions au droit de la consommation, la fraude fiscale, les infractions à la probité, les infractions au code de commerce, les abus de biens sociaux, les infractions aux moyens de paiement, à la réglementation douanière, à celle des marchés financiers et boursiers, enfin, évidemment, les infractions de blanchiment ».
* 9 Complexité qui se retrouve notamment sur la page du site internet de la Direction générale du Trésor consacrée à la criminalité financière, dont le chapeau indique : « La lutte contre la criminalité financière est une priorité forte des autorités françaises. Pour combattre cette délinquance, la France dispose d'un arsenal juridique conséquent et sans cesse perfectionné aux niveaux national, européen et international. Découvrez le rôle et l'actualité de la direction générale du Trésor dans la lutte contre le blanchiment, la corruption et le financement du terrorisme ». https://www.tresor.economie.gouv.fr/tresor-international/lutte-contre-la-criminalite-financiere
* 10 La notion de criminalité financière ne se limite en effet pas aux infractions punies de 15 ans de réclusion criminelle ou plus qui sont des crimes au sens du code pénal.
* 11https://www.ouest-france.fr/mer/peche/un-reseau-de-trafiquants-de-civelles-demantele-des-pecheurs-professionnels-mis-en-examen-497088ba-0895-11f0-83ba-bcc6e19ee859
* 12 Le rapport du sénateur Jean-Marie GIRAULT (Rapport n° 257 (1986-1987) au nom de la commission des lois) y recourt pour l'analyse du dispositif mais hésite entre « blanchissement » et « blanchiment ».
* 13 Destinée à adapter la législation française aux dispositions de la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et tendant à améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants, ce texte aura connu un parcours législatif heurté du fait des échéances électorales. Déposé en août 1994, il n'aura été publié que près de deux ans plus tard.
* 14 Cf. Giovanni Falcone de Roberto Saviano, paru en février 2025 chez Gallimard et Cosa Nostra, de Giovanni Falcone et Marcelle Padovani, paru en octobre 1991 aux Edition n°1/Austral.
* 15 Il comprenait à l'origine les pays du G7, la Commission européenne et huit autres pays.
* 16 Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
* 17 Loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants.
* 18 Décoder les réseaux criminels les plus menaçants de l'UE, Europol, 2024
* 19 On ne s'attache ici qu'aux crimes destinés à générer un profit, par opposition par exemple aux atteintes aux personnes qui elles répondent à d'autres mécanismes.
* 20 Voir Crime and Punishment: An Economic Approach. Gary Becker - Journal of Political Economy, 1968, vol. 76., issue 2, 169.
* 21 Europol (2025), L'ADN en mutation de la grande criminalité organisée - Évaluation de la menace que représente la grande criminalité organisée dans l'Union européenne 2025
* 22 Commission d'enquête du Sénat, Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic, Rapport de commission d'enquête N° 588 (2023-2024), déposé le 7 mai 2024
* 23 Prostcost, « Estimation du coût économique et social de la prostitution en France », mai 2015,
Mouvement du Nid - Psytel.
* 24 Europol (2025), L'ADN en mutation de la grande criminalité organisée - Évaluation de la menace que représente la grande criminalité organisée dans l'Union européenne 2025
* 25 Toutefois, certaines des saisies ne donnent pas lieu à confiscation pour des raisons légitimes. C'est le cas par exemple des saisies qui permettent d'indemniser les victimes. Par ailleurs, les confiscations de biens situés à l'étranger sont soumises au bon vouloir des juridictions de ce pays. Toutefois, chacun s'accorde à dire que l'écart entre saisies et confiscations doit être amélioré, notamment par la formation de toute la chaîne pénale.
* 26 Dans le budget 2025, les crédits affectés à la mission « justice » représentent 12,7 milliards d'euros, ceux affectés à la mission « sécurités » représentent 25 milliards. Au sein de ces missions, la part de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière est loin d'être majoritaire.
* 27 Article 131-21 du code pénal concernant la confiscation, Articles 324-1 et suivants concernant le blanchiment
* 28 Article 321-6 du code pénal.
* 29 Article 321-1-1 du code pénal.
* 30 L'article 222-38 du code pénal incrimine spécifiquement le blanchiment de trafic de stupéfiants mais cette spécificité ne parait déterminante les peines encourues se rejoignant (voir II).
* 31 Article 415 du code des douanes.
* 32 D'après un rapport du laboratoire de toxicologie de la Gendarmerie nationale, voir Antoine Albertini in Le Monde, 26 avril 2023, Trafic de stupéfiants : des études montrent que la quasi-totalité des billets de banque comportent des résidus de drogue.
* 33 Les autorités américaines parlent de « Black Market Peso Exchange ».
* 34 « Trade Based Money Laundering » (TBML) en anglais.
* 35 Pour l'essentiel, on pourra se reporter à l'ouvrage d'Éric Vernie (2023), « Techniques de Blanchiment et Moyens de Lutte » (5ème édition), Dunod, et de Noël Pons, « La Corruption comment ça marche ? », Seuil, 2021.
* 36 « Appellation fondée sur le nom du Joseph Kennedy, père de l'ancien président américain, qui avait fait fortune avec le trafic d'alcool », Jean-Guy Degos, ERCCI IAE Montesquieu - Bordeaux IV, Pôle universitaire des sciences de gestion, in « Le blanchiment de l'argent sale et de l'argent noir : un risque à cerner et à anticiper par les entreprises de toutes tailles », https://fraudmeshs.hypotheses.org/82.
* 37 Le département de la coopération internationale opérationnelle (DCIO), rattaché à la direction nationale de la police judiciaire est le seul point d'entrée.
* 38 Voir audition du 13 février 2025.
* 39 « Décoder les réseaux criminels les plus menaçants de l'UE » précité.
* 40 Cass. Crim.14 janvier 2004 n° 03-81.165 : l'infraction « est applicable à l'auteur du blanchiment du produit d'une infraction qu'il a lui-même commise ».
* 41 Ibid.
* 42 https://www.ihemi.fr/articles/blanchiment-de-la-traite-des-etres-humains-reflexions-generales-sur-la-complementarite-des-deux-approches
* 43 « MIGRANTS : QUI SONT LES TRAFIQUANTS ? », Gaëtan GORCE, IRIS, décembre 2020.
* 44 https://www.iom.int/sites/g/files/tmzbdl486/files/country/docs/mauritania/OIM-Mauritanie-Lutter-contre-la-migration-irreguliere-le-crime-organise-et-le-terrorisme.pdf
* 45https://www.sudouest.fr/international/europe/pologne-un-reseau-international-de-trafic-de-migrants-demantele-des-millions-de-dollars-detectes-19616705.php
* 46 Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargée des Comptes publics, par la commission d'enquête.
* 47 https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/criminalite-organisee-et-enquetes/2025/un-reseau-international-de-trafic-de-migrants-demantele-par-la-section-de-recherches-de-strasbourg
* 48 Disponible sur : https://www.menafatf.org/sites/default/files/Newsletter/ML%20Resulting%20from%20the%20HT%20and%20MS.pdf (consulté le 9 octobre 2024).
* 49 Bulletin d'information de Customs Bridge, Trade Observer, juin 2023
* 50 EUIPO, Economic impact of counterfeiting in the clothing, cosmetics, and toy sectors in the EU, janvier 2024
* 51 Interpol, Pour une action mondiale contre les atteintes à la propriété intellectuelle, 12 octobre 2021.
* 52 Douanes, Contrefaçons et prolifération de faux timbres-poste : plus de 100 000 faux timbres saisis, 15 novembre 2024.
* 53 Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Plan national anti-contrefaçons 2024 - 2026, 1er mars 2024.
* 54 Proposition de loi n°222 rectifié (2021-2022) visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon transmise au Sénat le 25 novembre 2021.
* 55 https://www.franceinfo.fr/economie/fraude/immatriculations-comment-les-fraudeurs-ont-profite-de-la-privatisation_7116090.html
* 56 Ibid.
* 57 https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/12/25/scandale-des-immatriculations-derriere-les-garages-fictifs-des-fraudeurs-par-milliers-et-un-etat-defaillant_6466250_3224.html?search-type=classic&ise_click_rank=3
* 58 Ibid.
* 59 https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/12/25/avec-300-voitures-a-son-nom-une-victime-du-scandale-des-immatriculations-a-vecu-un-cauchemar_6466386_3224.html
* 60 https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/12/25/scandale-des-immatriculations-comment-de-faux-bus-electriques-ont-permis-de-detourner-des-millions-d-euros-de-primes-ecologiques_6466385_3224.html?search-type=classic&ise_click_rank=4
* 61 Plan national de lutte contre les trafics illicites de tabacs pour la période 2023-2025.
* 62 Audition de Mme Emma Louise Blondes, doctorante en criminologie.
* 63 EY-Parthenon, Étude des trafics de produits du tabac en France, mars 2025.
* 64 EY-Parthenon, Étude des trafics de produits du tabac en France, mars 2025.
* 65 Commission d'enquête du Sénat, Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic, Rapport de commission d'enquête N° 588 (2023-2024), déposé le 7 mai 2024.
* 66 Pour se reporter à cette typologie réalisée annuellement : LCB-FT : état de la menace 2023-2024.
* 67 Via information du procureur de la République par les agents du fisc conformément à l'article 40 du code de procédure pénale.
* 68 Pour blanchir un million d'euros en un an, il suffit par exemple de gérer 17 commerces à raison de 5 000 euros blanchis par mois et par commerce.
* 69 Voir Éric Vernier, op.cit.
* 70 Ibid.
* 71 Table ronde du 13 mars 2025.
* 72 Tracfin, Rapport annuel 2023.
* 73 Cour des comptes, L'évolution du dispositif français de lutte contre le blanchiment, 23 février 2023.
* 74 Table ronde du 4 mars 2025.
* 75 Audition du 27 mars 2025.
* 76 Article L.561-47 du CMF.
* 77 Article L.561-48 du CMF.
* 78 Article L.561-47-1 du CMF.
* 79 Amendement n° 39 rect. de Mme Goulet.
* 80 Ce même amendement avait été déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution, c'est-à-dire, n'entrant pas dans le périmètre du texte, lors de l'examen en séance publique de la proposition de loi contre la lutte contre toutes les fraudes aux aides publiques en avril 2025.
* 81 La Banque-Carrefour des Entreprises (BCE) reprend les données du registre national belge des personnes morales, du registre du commerce, de la TVA, de l'office national de la sécurité sociale (ONSS).
* 82 Table ronde du 13 mars 2025.
* 83 Amendement n° 325 déposé par Nathalie Goulet lors de l'examen en séance publique sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
* 84 Cette technique est favorisée par la circonstance que les non-résidents français peuvent régler en espèces jusqu'à 15 000 euros, au contraire des résidents français qui ont sont limités à 1 000 euros (D. 112-3 du code monétaire et financier). Toutefois, ainsi que le souligne le directeur de l'ONAF, cette limitation apparait artificielle dès lors que les achats par cartes prépayées, qui sont elles-mêmes alimentées par des espèces, certes dans un montant plafonné, mais qui peuvent être détenues en grand nombre, n'entrent pas dans le champ d'application de ces limitations.
* 85 C'est ainsi qu'à l'instar des banques, les marchands d'or et de pierres précieuses ou les commissaires-priseurs sont assujettis aux obligations de contrôle LCB-FT, notamment la déclaration de soupçon.
* 86 Voir infra.
* 87 La compensation internationale se définit comme une méthode de règlement visant à simplifier les procédures de paiement par le calcul d'une position nette pour chaque participant au système, seuls les règlements relatifs aux soldes nettes étant effectués. Cette méthode est utilisée de longue date dans de nombreux systèmes de paiement nationaux. Voir Nathalie Aufauvre, La compensation internationale, Revue d'économie financière, 1993, n°25, pp. 171-191.
* 88 Articles L. 511-5 et L. 571-3 du code monétaire et financier.
* 89 Les banques utilisent le même système entre elles : chaque opération de virements entre banques ne donne pas lieu à un transfert effectif des fonds entre ces banques : les banques font les comptes entre elles, par exemple à la fin de chaque journée, afin de déterminer le solde de toutes les opérations ordonnées entre elles sur la journée et ne règlent le compte que par une opération finale. Ainsi, les flux entre elles peuvent représenter des millions d'euros par jour et le solde final être équilibré. Dans ce cas, aucun transfert réel n'est nécessaire.
* 90 Voir Maurice Druon, Les Rois maudits, 7 vol., Paris, Del Duca, 1955-1977.
* 91 https://www.euractiv.fr/section/economy-jobs/news/lue-va-retirer-les-emirats-arabes-unis-de-la-liste-des-pays-a-haut-risque-de-blanchiment-dargent/
* 92 https://www.fatf-gafi.org/fr/publications/Evaluationsmutuelles/Evaluationmutuelledesemiratsarabesunis.html.
* 93 https://amlctf.gov.ae/en/about-us.
* 94 https://www.uaefiu.gov.ae/en/
* 95 https://presse.economie.gouv.fr/accord-de-cooperation-entre-tracfin-et-eau-fiu/
* 96 https://www.amlintelligence.com/2025/04/news-fatf-secretariat-retreat-launched-in-abu-dhabi/.
* 97 Voir supra page 67
* 98 https://www.occrp.org/en/project/dubai-unlocked.
* 99 La Direction générale du Trésor indique qu'en 2022, le secteur de la vente en gros et détail (wholesale and retail) représentait 24,1 % du PIB de Dubaï, suivi par les transports et la logistique (11,7 %, boosté par le commerce de réexportation de biens qui transitent via le port de Jebel Ali), les services financiers (10,7 %), l'immobilier (9,1 %) ou encore le tourisme (5,1 %). La part de l'hôtellerie et de la restauration, liée de près au tourisme, représente 26% de la croissance du PIB.
* 100 https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/les-emirats-arabes-unis-se-decident-enfin-a-sattaquer-au-probleme-de-lor-sale-1373987.
* 101 Source : Sondage IPSOS KPMG.
* 102 Article 324-1-1 du code pénal modifié par l'article 7 de la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
* 103 Money laundering /terrorist financingrisks and vulnerabilities associated with gold, GAFI, 2015.
* 104 L'exploitation aurifère illégale en Afrique Centrale, Interpol, 2021.
* 105 Voir étude « Sur la piste de l'or africain. Quantifier la production et le commerce afin de lutter contre les flux illicites » (2024).
* 106 Statut de droit français remplacé par les PSCA (Prestataires de services sur cryptoactifs) et qui deviendra caduc à partir de juin 2026.
* 107 En vertu de la loi PACTE du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
* 108 Fabrice Arfi, D'Argent et de Sang, 2018, Seuil.
* 109 Ministère du Travail, communiqué de presse : « Activité partielle : Olivier Dussopt présente le bilan des actions de contrôle et de lutte contre la fraude menées par les services de l'État depuis 2020 », mai 2023.
* 110 Amendement n° 535 rect., projet de loi de finances rectificative pour 2020, présenté le 15 juillet 2020 par Nathalie Goulet.
* 111 Sénat, commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française, juin 2025.
* 112 Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, adoptées le 14 mai 2025 à l'Assemblée nationale et le 21 mai 2025 au Sénat. Le texte attend actuellement son examen par le Conseil constitutionnel, qui a été saisi le 26 mai 2025 par au moins soixante députés.
* 113 Professeur à l'EDHEC Business School et spécialiste de l'économie du crime, auditionné par la commission d'enquête le 27 mars 2025.
* 114 France Charbonneau et Renaud Lachance, Rapport final de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, novembre 2015.
* 115 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
* 116 AFA, DEA, Guide de l'achat public, juin 2020.
* 117 Catherine Prébissy-Schnall, « Les marchés publics resteront-ils le domaine privilégié de la corruption politico-administrative ? », Revue française d'administration publique no 175, 2020, p. 693-706.
* 118 Europol, Leveraging legitimacy: How the EU's most threatening criminal networks abuse legal business structures, décembre 2024.
* 119 Europol, Decoding the EU's most threatening criminal networks, 2024.
* 120 Unifab, Contrefaçon et crime organisé, juin 2025.
* 121 Article L.335-2 du code pénal.
* 122 COLB, Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en France, janvier 2023.
* 123 Europol, Decoding the EU's most threatening criminal networks, 2024.
* 124 Chef du service central des courses et jeux, auditionné le 6 mars 2025.
* 125 L'universitaire Clothilde Champeyrache développe depuis sa thèse en 2001 la notion d'entreprise légale mafieuse : légale par son activité, mafieuse par sa propriété. La France étant peu touchée, à l'exception de la Corse, par des structures réellement mafieuses, la commission d'enquête propose la terminologie d'entreprise « légale criminelle » : légale par son activité mais propriété d'une organisation criminelle.
* 126 Clotilde Champeyrache, L'entreprise légale-mafieuse : contribution critique à la théorie des droits de propriété, 2001.
* 127 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
* 128 Grand port maritime de Marseille, Le port s'engage dans un dispositif anticorruption, 10 février 2025.
* 129 Terminologie issue des travaux de l'universitaire Clothilde Champeyrache. Cette dernière développe depuis sa thèse en 2001 la notion d'entreprise légale mafieuse : légale par son activité, mafieuse par sa propriété.
* 130 Article 1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
* 131 France Charbonneau et Renaud Lachance, Rapport final de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, novembre 2015.
* 132 « Corrompre » vient du mot latin « corrumpere », qui signifie « mettre en pièce, détruire, anéantir, ou altérer, détériorer ».
* 133 Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, créé en 2013. Ce service de la direction centrale de la police judiciaire est compétent dans les domaines de corruption, atteintes à la probité, infractions au droit des affaires, fraude fiscale complexe et blanchiment de ces infractions.
* 134 Chargée de plaidoyer et contentieux au sein du pôle Flux financiers illicites de Transparency International France.
* 135 Europol, Leveraging legitimacy: How the EU's most threatening criminal networks abuse legal business structures, décembre 2024.
* 136 CEVIPOF, Baromètre de la confiance politique 2025, 11 février 2025.
* 137 AFA et SSMSI, Info Rapide n° 51 - Les atteintes à la probité enregistrées par les services de sécurité en 2024, 24 avril 2025.
* 138 AFA, Observatoire des atteintes à la probité, Note d'analyse 2024 de décisions de justice de première instance en matière d'atteinte à la probité en 2021 et 2022, décembre 2024.
* 139 CEVIPOF, Baromètre de la confiance politique 2025, 11 février 2025.
* 140 AFA, Recommandations aux entreprises assujettis à l'article 17 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, 12 janvier 2021.
* 141 Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, Rapport d'information sur l'évaluation de l'impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II », juillet 2021.
* 142 Livre blanc de L'Observatoire de l'Éthique Publique et de la Chaire de droit des contrats publics pour une « Loi Sapin III » visant à renforcer la lutte contre la corruption et les autres atteintes à la probité, septembre 2023.
* 143 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre la corruption, remplaçant la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil et la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne, et modifiant la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil.
* 144 Loi n° 2024-582 du 24 juin 2024 améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
* 145 Philipe Escande avait notamment montré dans une chronique publiée dans le Monde le 10 juin 2013, que le recours aux prix de transfert avait permis à l'île anglo-normande de Jersey d'être un des premiers producteurs mondiaux de bananes, en dépit d'une météo peu propice à la culture de ce fruit tropical.
* 146 Audition plénière du 6 février 2025.
* 147 Ibid.
* 148 Sur ce point, voir le rapport de 2025 du Comité consultatif du secteur financier, Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme : quelle réception des obligations règlementaires par les clientèles des institutions financières.
* 149 Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.
* 150 Directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
* 151 Cour des comptes, L'évolution du dispositif français de lutte contre le blanchiment, 23 février 2023.
* 152 À l'exception des constructeurs et des importateurs d'aéronefs privés commercialisés auprès d'un distributeur ou d'un concessionnaire, lorsque le prix de vente, de revente ou de location de l'aéronef privé est supérieur à un seuil déterminé par décret.
* 153 Dans des conditions définies par décret.
* 154 Article L. 561-4-1 du CMF.
* 155 Article L. 561-5 du CMF.
* 156 Article L. 561-6 du CMF.
* 157 Table ronde du 4 mars 2025.
* 158 Plus communément désignés comme plateformes de financement participatif ou plateformes de crowdfunding.
* 159 Directive (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant la directive (UE) 2019/1937, et modifiant et abrogeant la directive (UE) 2015/849.
* 160 Cette disposition figure actuellement dans le texte en discussion sur le projet de loi de simplification de la vie économique.
* 161 Qui a remplacé le Haut-commissariat aux commissaires aux comptes (H3C) en 2024.
* 162 L'article L. 561-40 du code monétaire et financier.
* 163 Il s'agit des experts-comptables, des notaires, des huissiers de justice, des avocats, des con caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), des greffiers de tribunaux de commerce et des commissaires-priseurs judiciaires.
* 164 Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme France, Rapport d'évaluation mutuelle, mai 2022.
* 165 Forrester : Étude sur le coût réel de conformité en matière de criminalité financière Europe, Moyen orient et Afrique.
* 166 Chainalysis, Crypto Crime Report 2025.
* 167 Réponses au questionnaire du rapporteur.
* 168 Réponses de l'ACPR au questionnaire du rapporteur.
* 169 Lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, le législateur s'était déjà heurté à la réticence des avocats vis-à-vis de la proposition du rapporteur du Sénat Philippe Bonnecarrère d'exclure du champ du secret professionnel du conseil la fraude fiscale, la corruption et le trafic d'influence.
* 170 15 déclarations de soupçon en 2024, soit à peine 0,1 % du nombre total de déclarations de soupçon (voir infra).
* 171Entreprises autorisées par l'AMF à opérer sur le marché des quotas carbone.
* 172 Table ronde du 5 février 2025.
* 173 Table ronde du 5 février 2025.
* 174 Article 4 de la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
* 175 Table ronde du 5 février 2025.
* 176 Rapport d'activité de la Commission nationale des sanctions pour l'année 2023.
* 177 Décret n° 2009-1695 du 30 décembre 2009 relatif à l'agrément des domiciliataires d'entreprises soumises à immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers.
* 178 Table ronde du 4 mars 2025.
* 179 Table ronde du 10 avril 2025.
* 180 M. Jean-Paul Decorps, Président du Conseil supérieur du Notariat, lors de son audition par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les obstacles au contrôle de la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe.
* 181 Amendement n° 297 sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République.
* 182 Lignes directrices conjointes entre la direction générale des douanes et droits indirects et Tracfin relatives à la mise en oeuvre, par les personnes qui négocient des oeuvres d'art et des antiquités ou agissent en qualité d'intermédiaires dans le commerce des oeuvres d'art et d'antiquités visées à l'article L.561-2 10° du code monétaire et financier, de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
* 183 Article L321-14 du code de commerce.
* 184 Rapport de la Commission européenne du 24 juillet 2019, présenté au Parlement européen en application de l'article 32 bis de la directive 2015/849.
* 185 Sur ce point, voir les développements du rapport n° 310 (2024-2025) de M. André Reichardt et Mme Florence Blatrix Contat, déposé le 6 février 2025 sur la proposition de résolution n° 171 (2024-2025) de Mme Nathalie GOULET, déposée au Sénat le 28 novembre 2024.
* 186 L'article 1649 A du code général des impôts ne fixe cette obligation que pour les personnes physiques, les associations, les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France.
* 187 Sur ce point, voir les développements du rapport.
* 188 Audition du 21 mai 2025.
* 189 Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), direction nationale du renseignement douanier (DNRED), direction du renseignement militaire (DRM) et direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD).
* 190 Le législateur a ensuite créé une infraction spécifique de blanchiment liée au trafic de stupéfiants (article 222-38 du Code pénal). Il y a donc eu dans l'histoire législative une compréhension distincte du blanchiment selon qu'il était d'infraction financière ou d'infraction relevant de la criminalité organisée.
* 191 D'ailleurs, alors que certains universitaires soutenaient que l'infraction de blanchiment ne pouvait être caractérisée qu'à l'encontre de tiers au produit de l'infraction sous-jacente, la Cour de cassation a reconnu l'incrimination de l'auto-blanchiment, soit le blanchiment de sommes provenant d'un crime ou d'un délit qu'on a soi-même commis (Cass. crim.,14 janvier 2004, 03-81.165).
* 192 Toutefois, le droit pénal n'exige pas nécessairement que les faits de l'infraction sous-jacente aient donné lieu à condamnation pour permettre une condamnation pour blanchiment. Les infractions sont liées mais les condamnations sont distinctes.
* 193 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, s'inspirant notamment du 6 de l'article 9 de la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et du financement du terrorisme signée à Varsovie le 16 mai 2005.
* 194 Le lien entre le caractère douanier de l'infraction source et le blanchiment est ainsi rompu.
* 195 Article 334 de l'ancien code pénal, repris aujourd'hui à l'article 225-6 du code pénal.
* 196 Ancien article 222-39-1 du code pénal.
* 197 Article 321-6 du code pénal.
* 198 Par exemple, les autorités allemandes, mais ce ne sont pas les seules, ne coopèrent judiciairement que lorsque l'infraction de blanchiment peut être reliée à une infraction sous-jacente clairement identifiée.
* 199 Voir les articles 324-2 et suivants du code pénal.
* 200 Voir le II de l'article 706-105-1 du code de procédure pénale.
* 201 Ce qui appellerait une modification du champ de compétence défini à l'article 705 du code de procédure pénale en y incluant la criminalité financière en bande organisée, permettant un usage plus large de la présomption de blanchiment.
* 202 170 procédures en lien avec la criminalité économique et financière organisée étaient en cours dans les sections de recherches en février 2025.
* 203 L'article 30 de la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces a réformé le délit de blanchiment douanier afin de permettre notamment à la Douane de sanctionner pour délit de blanchiment douanier les fonds transportés par des « mules » entre le territoire métropolitain et les Antilles ou la Guyane, territoires exposés aux importations de stupéfiants.
* 204Le service s'est notamment fait connaître pour son implication dans le démantèlement de réseaux liés à la fraude à la taxe carbone.
* 205 Voir articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale.
* 206 Près de 40 % des affaires traitées sont confiées par des parquets spécialisés.
* 207 Constituées sur le fondement du troisième alinéa de l'article 28 du code de procédure pénale.
* 208 Il a par exemple été souligné que les procédures judiciaires traitées par l'ONAF n'alimentent pas le fichier « traitement des antécédents judiciaires » (TAJ, consultable par les services de police et de gendarmerie, et qui est très utile dans le déroulé des enquêtes de ces services.
* 209 Il s'agira dans un premier temps de ne traiter que de l'échelon national.
* 210Alors même que les montants de ces administrations n'entrent pas dans les saisies confiscations judiciaires. La consolidation des chiffres de la délinquance financière permettrait d'ailleurs d'avoir une idée plus précise de l'efficacité de notre lutte contre ce phénomène. Plus curieux, les chiffres des saisies initiées par l'ONAF ne sont pas consolidées au niveau de l'AGRASC. On manque de chiffres permettant d'avoir une vision claire de la situation.
* 211 Ainsi, la BRIF de la préfecture de police a indiqué que ses enquêtes étaient ouvertes soit sur information recueillie auprès de ses sources, soit sur information de Tracfin.
* 212 Sur le fondement de l'article L. 78-2-1 du code de procédure pénale, sorte d'équivalent pour les entreprises du contrôle d'identité.
* 213 Comme vu plus haut, au niveau central, les services spécialisés en blanchiment de la police nationale et la préfecture de police intègrent également des agents des finances publiques.
* 214 Trafic qui consiste par exemple pour une société à se faire rémunérer pour prendre en charge des déchets, et notamment des terres polluées issues de chantiers de construction, et qui finalement les décharger dans la nature. Les affaires peuvent porter sur plusieurs centaines de milliers d'euros.
* 215 Qui corrobore les constats de la Cour des comptes de 2019 et de 2023, qui alertaient alors sur la crise de la filière économique et financière.
* 216 Les DGPN et DGGN n'avancent pas les mêmes chiffres : le premier annonce que 80 % des faits de criminalité organisée traitée par la police nationale, quand la DGGN soutient que selon les chiffres du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), 30 % de la criminalité organisée est aujourd'hui traitée par la gendarmerie. Cela laisse bien peu à la préfecture de police.
* 217 Et intégrant un passage par Europol.
* 218 Un outil est en cours de développement.
* 219 L'exemple a été donné à la commission d'enquête de service de la publicité foncière dont les délais de réponse pouvaient aller de quelques jours à plusieurs mois.
* 220 La part des saisies effectuées dans des affaires d'infraction à la législation sur les stupéfiants est relativement faible : entre 9 % et 16 % du total des saisies d'avoirs criminels, du fait que les saisies effectuées dans ces affaires sont des saisies d'opportunité.
* 221 Aujourd'hui, lorsqu'une confiscation est ordonnée en valeur, elle ne porte que sur les seuls biens identifiés pendant l'enquête, et n'est exécutée que sur ces seuls biens. Par exemple, si le produit de l'infraction est estimé à un million d'euros et que le montant des biens identifiés lors de l'enquête s'élève à 700 000 euros, la confiscation en valeur est aujourd'hui cantonnée à 700 000 euros. Si l'enquête post-sentencielle était mise en oeuvre, il serait possible d'identifier et de saisir des avoirs qui n'auraient pas été identifiés et de prononcer une confiscation sur le delta de 300 000 euros.
* 222 Du fait de la création de nouveaux outils, tels qu'un FICOBA des cryptoactifs, ou bien de possibilités technologiques nouvelles.
* 223 Notamment, l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) ou l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).
* 224 Au total, le GAFI évalue plus de 200 juridictions.
* 225 Corée du Nord, Iran, Myanmar.
* 226 Afrique du Sud, Algérie, Angola, Bulgarie, Burkina Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire, Croatie, Haïti, Kenya, Laos, Liban, Mali, Monaco, Mozambique, Namibie, Népal, Nigeria, République démocratique du Congo, Soudan du Sud, Syrie, Tanzanie, Venezuela, Vietnam, Yémen.
* 227 Table ronde du 5 février 2025.
* 228 Règlement (UE) 2024/1620 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 instituant l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et modifiant les règlements (UE) no 1093/2010, (UE) no 1094/2010 et (UE) no 1095/2010.
* 229 Secure Information Exchange Network Application.
* 230 SIENA devrait prochainement concerner tous types de délinquance.
* 231 Plus de 62 000 messages par an sont échangés avec nos partenaires d'Europol.
* 232 Comme ce fut le cas dans le cadre des enquêtes EncroChat et Sky ECC.
* 233 216 000 messages par an traités par la SCCOPOL.
* 234 Ce mécanisme a permis par exemple dans le cadre d'une opération menée en 2024 le gel de 42 millions de dollars de fonds provenant d'escroqueries aux faux ordres de virement dont avait été victime une société singapourienne.
* 235 Décision-cadre du conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres.
* 236 Les premières sanctions adoptées par l'UE à l'égard de la Russie du fait de l'invasion du territoire ukrainien ont été prises le 24 février 2022 : Règlement d'exécution (UE) 2025/389 du 24 février 2025
237 Source : Commission européenne.
* 238 Source : Commission européenne.
* 239 Décret n° 2025-470 du 28 mai 2025 relatif à la coordination et à la coopération entre les autorités chargées d'appliquer les mesures restrictives de l'Union européenne et les autorités répressives.
* 240 https://fr.euronews.com/my-europe/2025/03/21/les-douanes-allemandes-saisissent-un-navire-de-la-flotte-fantome-russe
* 241 Voir Agathe Demarais, « Le contournement des sanctions par la Russie : mythes et réalités », in A. de Tinguy (dir.), Regards sur l'Eurasie. L'année politique 2024/Les Etudes du CERI, n° 277-278, février 2025