III. LES POLITIQUES PUBLIQUES DE PRÉVENTION DES RISQUES NE S'APPUIENT PAS SUR DES LEVIERS EFFICACES POUR LUTTER CONTRE LE BRUIT
A. LES POLITIQUES DE PRÉVENTION DE L'EXPOSITION À LA POLLUTION SONORE SOUFFRENT D'UN MANQUE DE PILOTAGE
1. Le bruit : une pollution traitée par plusieurs administrations insuffisamment coordonnées
L'exposition des populations au bruit émis par les transports est un enjeu qui fait intervenir une dizaine d'administrations centrales et opérateurs de l'État ainsi qu'une autorité administrative indépendante.
La direction générale de la prévention des risques (DGPR), responsable de la politique de lutte contre le bruit, définit les actions de prévention et de limitation de la pollution sonore. Au sein de cette direction, cette fonction est assurée par la mission du bruit et des agents physiques.
Plusieurs autres administrations sont concernées.
· La DGAC est compétente sur les enjeux de bruit aérien, notamment pour la mise en oeuvre des PEB et des PGS, ainsi que des PPBE aéroportuaires. Elle vient en appui aux préfets compétents pour réaliser les études d'impact selon l'approche équilibrée (EIAE). L'Acnusa, autorité administrative indépendante, est chargée de sanctionner le non-respect des restrictions d'exploitation sur les plus grands aéroports français.
· La DGITM a pour mission de veiller à ce que les infrastructures de transport terrestre majeures aient la capacité de supporter des services de transport dans des conditions optimales de fluidité, de sécurité et d'efficacité. Au-delà des missions de supervision, elle intervient dans la lutte contre le bruit généré sur le réseau routier national non concédé. Comme elle l'a indiqué aux rapporteurs, s'agissant des opérations d'aménagement (construction de nouvelles routes, élargissements, etc.), elle apporte un appui aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), maîtres d'ouvrage déconcentrés, dans la prise en compte des enjeux environnementaux, dont le bruit, pour les projets les plus structurants ou les plus complexes. Elle participe également au traitement des points noirs de bruit sur le réseau national concédé en partenariat avec les concessionnaires et non concédé en partenariat avec les régions dans le cadre des CPER. La DGITM intervient également dans la lutte contre les PNB ferroviaires sur le réseau existant.
· La direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) est compétente en matière de réglementation technique véhicules.
· La délégation à la sécurité routière (DSR) du ministère de l'intérieur est compétente en matière de sécurité routière.
· La direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) est compétente en matière de respect des règles d'insonorisation des logements.
Si la direction générale de la santé (DGS) a un rôle en matière de bruit de voisinage, elle n'est pas impliquée dans les politiques de lutte contre la pollution sonore liée aux transports. Le ministère de la santé a ainsi déclaré aux rapporteurs que « les projets concernant les transports ne sont pas soumis au ministère chargé de la santé par les ministères qui portent les projets d'infrastructures ».
Parmi les opérateurs de l'État, deux ont des compétences en matière de bruit :
- En application de l'article L. 131-3 du code de l'environnement, l'Ademe exerce des actions, notamment d'orientation et d'animation de la recherche, de prestation de services, d'information et d'incitation dans le domaine de la lutte contre les nuisances sonores. Toutefois, elle a indiqué aux rapporteurs qu'elle « ne travaille plus sur les sujets de nuisances sonores liées aux transports ».
- Le Cerema est le relais technique de l'action publique de l'État en matière de pollution sonore liée aux transports. Il accompagne les directions de l'administration centrale dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Il calcule les cartes de bruit stratégique pour les grandes infrastructures de transport terrestre (53 000 km de voies routières et 6 000 km de voies ferroviaires), et réalise le rapportage des cartes produites par l'ensemble des acteurs concernés par la directive européenne de 2002 sur le bruit (43 agglomérations, sociétés concessionnaires d'autoroutes). Il effectue également ce travail pour le compte de différentes métropoles françaises. Il établit des classements sonores des infrastructures de transports terrestres sur sollicitation des directions départementales des territoires (DDT) et des collectivités. Il pilote les groupes de travail portant sur les expérimentations de construction d'indicateurs prenant en compte les pics sonores et des problématiques vibratoires lors des passages de train.
L'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) est une autorité administrative indépendante dotée d'un pouvoir de sanction relatif au respect de la réglementation sonore par les aéronefs effectuant un mouvement sur l'un des 11 principaux aéroports français ou l'un des 4 aérodromes dont l'exploitation est restreinte pour des raisons environnementales par arrêtés ministériels.
Elle a aussi un rôle consultatif : elle rend des avis sur les plans et programmes d'actions traitant des nuisances aéroportuaires sur et autour des principaux aéroports français, les projets de modification de la circulation aérienne et les projets de textes réglementaires visant à assurer la protection de l'environnement des aérodromes.
Pour les rapporteurs, le pouvoir de sanction reconnu à l'Acnusa afin d'assurer le respect de la réglementation sonore aux abords des aéroports est stratégique pour lutter contre le bruit. Il pourrait donc être opportun d'étudier la possibilité d'envisager son renforcement pour permettre à cette autorité de s'imposer comme un véritable « gendarme du bruit des transports ».
Le Conseil national du bruit (CNB) :
une
instance consultative sans rôle stratégique
Créé en 1982, Conseil national du bruit est une instance consultative placée auprès du ministre chargé de l'environnement dont le secrétariat est assuré par la DGPR. Il comprend quarante-huit membres, dont des représentants des différentes administrations centrales et déconcentrées concernées, des parlementaires, des représentants des collectivités territoriales, des partenaires sociaux, des organisations professionnelles, des entreprises concourant à la lutte contre les nuisances sonores ou développant des activités bruyantes, des représentants d'associations oeuvrant notamment en faveur de l'amélioration de la qualité de l'environnement sonore, ainsi qu'un représentant des observatoires du bruit en agglomération, et dix personnalités qualifiées.
Le CNB est saisi pour avis des textes réglementaires relatifs au bruit. Il peut également être saisi pour avis par le ministre chargé de l'environnement de toute question concernant la lutte contre les nuisances sonores et à l'amélioration de la qualité de l'environnement sonore.
Il peut, à son initiative et après en avoir informé le ministère chargé de l'environnement, examiner toute question relative à l'amélioration de l'environnement sonore et proposer les mesures propres à prévenir les nuisances sonores ou à en réduire les effets. Il contribue à l'information et à la sensibilisation de l'opinion dans le domaine de la lutte contre le bruit.
À l'échelle nationale, les moyens humains qui sont alloués à la mission bruit et agents physiques de la DGPR sont modestes, trois agents en équivalent temps plein. Eu égard à la diversité des missions, à la technicité des enjeux, et au nombre d'acteurs en présence, cet organe ne semble pas suffisamment étoffé pour s'acquitter de sa mission stratégique de pilotage dans de bonnes conditions. Redéployer des moyens humains au profit de cette mission afin qu'elle puisse jouer son rôle de pilotage serait judicieux. Elle pourrait ainsi définir les orientations stratégiques de l'action des autres administrations concernées, valider les plans d'actions qu'elles définiraient et assurer un suivi des résultats de cette politique publique. Dans la mesure où l'Ademe a indiqué aux rapporteurs ne plus assurer de missions au titre de sa compétence de lutte contre les nuisances sonores, un gisement potentiel de moyens existe donc. Le rôle trop limité de la DGS à l'échelle nationale et des Agences régionales de santé (ARS) dans les territoires est également à revoir, la pollution sonore étant un enjeu de santé publique majeur.
Proposition n° 8 : Redéployer des moyens humains au profit de la DGPR pour renforcer l'efficacité du pilotage de la politique de lutte contre le bruit.
Lutte contre le bruit : les ménages, principaux contributeurs financiers
Selon le ministère de l'aménagement du territoire et de la transition écologique, en 2021, les dépenses allouées à la lutte contre le bruit représentent 2,4 milliards d'euros. L'isolation acoustique des bâtiments représente l'essentiel des dépenses dédiées à la gestion du bruit. Les ménages contribuent de manière prépondérante au financement de ces dépenses (76 %) suivies par les entreprises (17 %), et les administrations publiques (7 %).
2,3 Md€ ont été alloués à la construction de dispositifs de protection, notamment dans le secteur du bâtiment (achat de fenêtres à isolation acoustique renforcée dans les logements neufs et existants). Ces actions visent à protéger principalement les logements contre le bruit extérieur, y compris celui provoqué par les transports.
Les dépenses allouées à la mise en oeuvre de dispositifs de prévention visant à réduire le bruit à la source représentent 68 M€ en 2021. Elles concernent notamment le remplacement des silencieux des véhicules légers et des deux-roues ou la mise en place de revêtements silencieux sur les voies urbaines et périurbaines.
Les opérations de surveillance, de mesure et de contrôle du bruit, comme les réseaux de mesure du bruit des aéroports, représentent une part marginale des dépenses (1 %).
À long terme, les dépenses allouées à la lutte contre le bruit augmentent en moyenne de 2,9 % chaque année, et de 1,5 % par an hors inflation. Cependant, après une période de forte augmentation entre 2004 et 2008 (+ 15,6 % par an en moyenne), imputable notamment aux mesures engagées pour réduire les points noirs du bruit (PNB) et à la mise en oeuvre des plans de prévention du bruit, le montant de ces dépenses s'est stabilisé autour de 2 Md€ jusqu'en 2018. La crise sanitaire a entraîné un recul des dépenses en 2020 avant qu'elles ne repartent à la hausse en 2021.
Source : Ministère de l'aménagement du territoire et de la transition écologique, données et études statistiques Pour le changement climatique, l'énergie, l'environnement, le logement, et les transports « La dépense de lutte contre le bruit en 2021 ».
2. La région : un échelon adapté pour mener les politiques de bruit dans les territoires
À l'échelle des territoires, la gouvernance des enjeux liés au bruit est également complexe.
Dans le cadre du bruit routier et ferroviaire, l'organisation territoriale des services de l'État est fixée par la circulaire du 12 juin 2001 relative à l'Observatoire du bruit des transports terrestres - Résorption des points noirs du bruit des transports terrestres qui prévoit la mise en place d'un observatoire du bruit des transports terrestres aux niveaux départemental, régional et national et la résorption des points noirs du bruit des réseaux routiers et ferroviaires nationaux.
Cette circulaire prévoit un comité de pilotage départemental fédérant l'ensemble des acteurs concernés par la lutte contre le bruit des transports terrestres ayant notamment vocation à inciter l'ensemble des gestionnaires à agir, y compris les collectivités. Elle précise en particulier que le préfet de département propose au préfet de région, chaque année, une liste hiérarchisée des opérations des points noirs du bruit des réseaux routiers et ferroviaires qui lui paraissent devoir être engagées rapidement.
Selon la DGPR, de nombreux départements ont conservé de tels observatoires, animés par les services des DDT. Il s'agit d'instances de concertation et de coordination des acteurs disposant de compétences en matière de bruit à l'échelle locale. En outre, on compte deux grands observatoires régionaux Bruitparif (l'observatoire du bruit en Île-de-France) et Acoucité (l'observatoire de l'environnement sonore de la Métropole de Lyon, qui accompagne de nombreuses agglomérations sur l'ensemble du territoire français).
La lutte contre le bruit mobilise des connaissances scientifiques et juridiques de haut niveau d'expertise. À cet égard, la DGPR a souligné que « La dispersion des compétences (au sein de l'État mais aussi des collectivités) pose également la question du maintien des compétences au sens métier du terme : la compétence bruit ne représente parfois que quelques dixièmes d'ETP au sein d'une structure, avec des enjeux forts en matière de formation et de maintien des compétences métiers critiques ».
Les collectivités territoriales ont également des obligations relatives à la lutte contre le bruit, notamment dans le cadre des infrastructures de transport qu'elles réalisent ainsi que dans la rédaction des PPBE. Le Cerema a d'ailleurs souligné aux rapporteurs que « en collectivités, les pilotes d'opérations et instructeurs d'autorisations d'urbanisme manquent de ressources pour la prise en compte du bruit dans leurs projets, à la fois par un manque de temps de leurs équipes, et par un manque de données simples d'utilisation et actionnables ». Elles ont donc fréquemment recours à une expertise extériorisée coûteuse pour remplir leurs obligations.
Pour les rapporteurs, regrouper les moyens humains de l'État dans les services déconcentrés à l'échelle régionale est donc pertinent, afin d'éviter un émiettement des compétences, source de perte d'efficacité de son action. Comme l'a d'ailleurs souligné BruitParif, « l'échelon régional apparaît bien adapté pour permettre la mutualisation de moyens techniques et faire des économies d'échelle ». Cette nouvelle organisation pourrait aussi faciliter les échanges avec les agences régionales de santé (ARS) sur la question des enjeux sanitaires posés par le bruit.
En particulier, les observatoires du bruit pourraient être organisés à l'échelle régionale, plutôt que départementale. Les rapporteurs jugent opportun de généraliser les observatoires comme BruitParif et Acoucité. Ce modèle, qui implique l'État, les collectivités territoriales, les acteurs des activités bruyantes et des associations de riverains permettrait de mettre en commun les compétences entre les départements, mais également entre l'État et les collectivités territoriales. Une collaboration entre observatoires régionaux pour mutualiser les coûts serait également pertinente. Dans certains cas, afin d'assurer une maîtrise efficace des coûts, ces observatoires pourraient être créés au sein des Associations Agréées Surveillance Qualité de l'Air (AASQA). Ces observatoires régionaux fourniraient un appui technique aux collectivités qui auraient ainsi moins besoin d'avoir recours à une expertise externe.
Ces observatoires sont également un moyen pertinent d'impliquer de façon participative les habitants, représentés au sein de leur gouvernance, dans les politiques relatives au bruit. Or, comme l'ont souligné les chercheurs de l'Université Gustave Eiffel entendus « des recherches participatives sur le bruit montrent l'intérêt d'une meilleure implication des habitants dans les processus décisionnels. ».
Ils pourraient ainsi devenir les points de contact de référence sur le bruit avec le Cerema, qui pourrait apporter également un appui technique et scientifique aux collectivités territoriales. Ce dernier a ainsi créé l'outil Diagbruit afin de « développer et diffuser une expertise acoustique vulgarisée auprès des instructeurs d'autorisations d'urbanisme, leur permettant de guider efficacement les porteurs de projets dans l'intégration de critères acoustiques dès la conception de leurs projets ».
Proposition n° 9 : Regrouper les moyens humains et techniques de lutte contre le bruit à l'échelle régionale et généraliser la mise en place d'observatoires régionaux du bruit afin de renforcer et mutualiser les compétences territoriales.