C. UN ÉCART ENTRE LA RÈGLEMENTATION ET LES SEUILS DE RISQUE POUR LA SANTÉ HUMAINE DÉFINIS PAR L'ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (OMS)

L'OMS a défini des seuils au-delà desquels l'exposition au bruit est nocive pour la santé. Elle utilise, pour réaliser les courbes dose-effet, les indicateurs énergétiques Lden et Lnight.

Pour le trafic routier, l'OMS, dans ses lignes directrices de 2018 relatives au bruit dans l'environnement pour la région Europe, recommande de réduire les niveaux sonores produits par le trafic routier à moins de 53 dB Lden, car un niveau sonore supérieur à cette valeur est associé à des effets néfastes sur la santé, et même à moins de 45 dB Lnight la nuit, car un niveau sonore nocturne supérieur à cette valeur est associé à des perturbations du sommeil. Pour le trafic ferroviaire, ces valeurs sont de 54 dB Lden, et de 44 dB Lnight. Pour le trafic aérien, les niveaux à ne pas dépasser sont de 45 dB Lden, et 40 dB Lnight.

Dans son rapport annuel 2023, l'AE s'est inquiétée d'un « écart préoccupant entre la réglementation nationale et le consensus scientifique ». Pour l'AE, en effet, « les niveaux de bruit constatés et les plafonds réglementaires sont très supérieurs aux valeurs au-delà desquelles des effets néfastes pour la santé humaine sont désormais amplement documentés dans le cadre d'un consensus scientifique international ». L'AE considère donc que « ces plafonds devraient être ramenés, selon des modalités et calendriers engageants, aux niveaux recommandés par l'OMS. Ces niveaux devraient être pris en compte (et non simplement identifiés) comme des objectifs à ne pas dépasser en matière d'incidences sur la santé humaine dans les évaluations environnementales ».

Cette préconisation est partagée par la Société française d'acoustique (SFA), qui a fait valoir auprès des rapporteurs la nécessité d'une mise à jour des recommandations de l'OMS qui « montrent que les valeurs réglementaires d'exposition en France doivent être révisées. Il faut mener les efforts pour tendre vers les valeurs d'exposition aux bruits des transports recommandés par l'OMS ».

Les rapporteurs partagent les inquiétudes de l'AE sur l'insuffisante prise en compte du bruit et de ses impacts sur la santé dans le cadre de la réalisation d'infrastructures de transport.

Toutefois, l'application stricte des normes de l'OMS aux nouveaux projets d'infrastructures de transport est, pour le moment, difficilement envisageable. Elle pourrait paralyser la réalisation des projets indispensables pour assurer le report modal et le respect de nos engagements climatiques. En effet, comme le rappelle le Cerema, « ces seuils portent sur l'environnement sonore (et non pas sur le niveau sonore à l'intérieur d'une habitation). L'exposition au bruit est donc évaluée différemment. Cela engendre de très grandes variations dans les seuils, qui ne sont finalement pas comparables : le seuil de la réglementation française s'entend en complément de niveaux d'isolement phonique, notamment des logements, contrôlés fenêtres fermées, tandis que le seuil de l'OMS concerne le bruit perçu dans les espaces extérieurs ou intérieurs fenêtres ouvertes ».

Actuellement, le respect de la réglementation française peut en effet être atteint par des actions complémentaires de réduction du bruit à la source, de limitation de sa propagation et d'isolation des bâtiments. L'application des seuils de l'OMS, qui mesurent le bruit fenêtres ouvertes, exigerait donc de ne pas pouvoir utiliser l'isolation des bâtiments pour respecter la réglementation et de n'avoir recours qu'à des mesures de réduction du bruit à la source. Ainsi, selon le Cerema, « pour passer par exemple de 60 dB (A) pour le LAeq (22 h 00-6 h 00) en façade extérieure d'un logement avec fenêtre fermée, issu de la réglementation française, à 45 dB (A) qui est la valeur limite recommandée par l'OMS en extérieur, il faudrait diviser par 16 le trafic. On peut préciser que la perception auditive de l'oreille humaine n'évolue pas de manière linéaire, et que, pour que l'oreille humaine ait la sensation qu'il y a deux fois moins de bruit, il faut une baisse de 10 dB (A), ce qui revient à diviser le trafic par 10 ».

L'exemple du transport ferroviaire en Île-de-France est éclairant. Selon IDFM, en effet, « la part de la population concernée par un dépassement des seuils au sein de la zone dense francilienne passerait d'environ 0,4 % à environ 10 % ».

En outre, une évolution éventuelle de la réglementation ne peut être décidée sans intégrer les contraintes d'adaptation qui en résulteraient pour les gestionnaires d'infrastructures et leurs partenaires industriels. Ainsi, pour le transport ferroviaire, la FIF a mis en avant que « le cycle d'évolution actuel des réglementations pose des défis majeurs pour la filière industrielle. Le rythme soutenu des modifications réglementaires, notamment au travers de l'évolution rapide et continue des STI, rend la stabilité et la prévisibilité réglementaire difficiles. Cette situation engendre des coûts de conformité très élevés, qui pèsent sur les entreprises du secteur et limitent leur capacité à innover et à rester compétitives face à d'autres industries ». Pour les acteurs industriels, il est donc indispensable de trouver « un équilibre entre exigence sanitaire, acceptabilité sociale et soutenabilité économique, afin de garantir une évolution maîtrisée des normes tout en préservant la dynamique industrielle et le développement du transport ferroviaire ». Alstom a en outre indiqué aux rapporteurs que des limites techniques ont été atteintes pour le bruit émis par les trains à grande vitesse, et que les progrès à réaliser sont donc limités.

À la lumière de cet écart peu satisfaisant entre la réglementation française et les recommandations de l'OMS, la DGITM a chargé le Cerema d'une étude d'impact sur la prise en compte des seuils OMS dans les projets d'infrastructures de transport. Cette étude analyse notamment l'impact financier d'une telle évolution de la réglementation et les enjeux de faisabilité opérationnelle de son éventuelle application.

Les premiers résultats de ces travaux, menés sur quatre projets routiers, montrent qu'il n'est pas encore réaliste de transformer les recommandations de l'OMS en indicateurs réglementaires. Le Cerema a en effet indiqué aux rapporteurs que « les recommandations OMS impliqueraient une augmentation de la surface impactée d'un facteur entre 2 et 4 ». Par conséquent, « l'application des seuils OMS imposerait donc l'utilisation massive d'écrans acoustiques, dont la taille et le coût augmenteraient considérablement, sans toutefois garantir la protection de l'ensemble des bâtiments sensibles, la hauteur des murs n'étant pas infinie. Cette approche poserait donc des problèmes d'intégration paysagère et engendrerait des contraintes techniques et financières importantes ». Pour le Cerema, « compte tenu du surcoût engendré par la prise en compte systématique des seuils OMS, une réponse graduée pourrait être d'envisager ponctuellement le respect d'un seuil intermédiaire en priorité dans les zones où un nombre important de populations impactées ».

Pour les rapporteurs, ces résultats ne doivent pas pour autant justifier une inaction réglementaire. Si la définition immédiate de nouveaux seuils réglementaires au niveau des seuils OMS n'est pas techniquement envisageable à ce stade, cette étude d'impact pourrait mettre en lumière les évolutions possibles de la réglementation, selon deux orientations. D'une part, une diminution des seuils en vigueur pourrait être envisagée pour les nouveaux projets d'infrastructures si les conditions opérationnelles et financières sont réunies. D'autre part, une meilleure prise en compte du bruit de façade, fenêtres ouvertes, pourrait être étudiée. Comme l'a en effet indiqué BruitParif aux rapporteurs, le réchauffement climatique, de plus en plus source d'une augmentation de la fréquence, de l'intensité et de la durée des épisodes caniculaires, devrait inciter la population à ouvrir les fenêtres de leurs habitations la nuit dans les grandes agglomérations.

L'une des possibilités envisageables pour abaisser au cas par cas les indicateurs applicables pourrait être de mieux distinguer les zones en fonction de l'ambiance sonore préexistante lors de la création d'une infrastructure nouvelle. À titre d'exemple, pour le transport ferroviaire, SNCF Réseau a indiqué aux rapporteurs que « les principales difficultés vis-à-vis de l'impact sur le cadre de vie des riverains concernent l'implantation d'une ligne nouvelle dans des secteurs particulièrement calmes ». Pour le gestionnaire d'infrastructure, il serait donc intéressant de définir une zone d'ambiance sonore préexistante très modérée, avec des objectifs de maîtrise du bruit plus stricts. Une expérimentation est d'ailleurs menée en ce sens depuis 202241(*). Sa généralisation pourrait ainsi être étudiée à court terme. Il pourrait également être envisagé d'introduire un seuil réglementaire applicable en soirée (18 h - 22 h), qui serait intermédiaire entre les seuils applicables le jour et la nuit, comme l'a suggéré Acoucité. Une expérimentation est aussi menée sur ce sujet depuis 2022.

Pour les rapporteurs, guidés par le légitime souci de garantir la sécurité juridique des projets en cours, ces nouvelles exigences ne pourraient s'appliquer qu'aux nouvelles infrastructures et aux modifications significatives des infrastructures existantes.

Proposition n° 7 : Mettre en cohérence les seuils réglementaires de niveaux de bruit des transports par référence aux seuils de l'OMS sur la base des résultats d'études d'impact de faisabilité

En complément :

- introduire des zones d'ambiance sonore très modérée avec des seuils de bruit plus exigeants à respecter pour les nouvelles infrastructures de transport ;

- introduire un seuil de bruit pour la soirée, intermédiaire entre les seuils applicables le jour et la nuit pour les nouvelles infrastructures de transport.


* 41 Arrêté du 29 septembre 2022 fixant à titre expérimental les modalités de détermination et d'évaluation applicables à l'établissement d'indicateurs de gêne due au bruit événementiel des infrastructures de transport ferroviaire.

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