C. UNE HIÉRARCHIE DES MODES DE TRAITEMENT DES DÉCHETS À RÉAFFIRMER
La hiérarchie des modes de traitement, consacrée au niveau national par la loi du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux et au niveau européen par la directive-cadre de déchets de 2008, implique de préférer la réparation, puis le réemploi et la réutilisation au recyclage, pour préserver davantage les ressources matières (le recyclage entraînant une dégradation inéluctable), l'énergie, l'environnement (le recyclage génère des émissions de gaz à effet de serre) et l'emploi (le réemploi, la réutilisation et la réparation génèrent des emplois locaux difficilement délocalisables).
Pour les rapporteurs, il est crucial de réaffirmer au niveau européen l'attachement de la France à cette hiérarchie mise en cause par certains États membres, comme la mission a pu le constater lors d'un déplacement auprès des institutions européennes.
1. La réutilisation, le réemploi et la réparation restent les laissés pour compte de l'économie circulaire
a) La loi Agec de 2020 a entamé un virage à confirmer en faveur de la réparation, du réemploi et de la réutilisation
L'article 62 de la loi Agec de 2020 a placé la hiérarchie des modes de traitement au coeur des filières REP en prévoyant la création par chaque éco-organisme de deux nouveaux fonds :
- le fonds réparation, prévu à l'article L. 541-10-4 du code de l'environnement ;
- le fonds réemploi et réutilisation, prévu à l'article L. 541-10-5 du même code, qui finance des structures de l'économie sociale et solidaire (ESS) et qui doit être doté d'au moins 5 % du montant des écocontributions perçues.
Le bilan de ces deux dispositifs apparaît, à ce stade, mitigé.
S'agissant du fonds réparation, leur mise en place de ces fonds dans les différentes filières REP a permis la labellisation au 31 décembre 2024 de 9 864 réparateurs éligibles au dispositif, ce qui est supérieur à l'objectif fixé par le Gouvernement de 7 500 réparateurs labellisés100(*). Les premiers résultats sont également visibles : fin 2024, 1,5 million d'opérations de réparation ont été soutenues via un « bonus réparation », pour un montant de 63 millions d'euros.
Nombre de réparateurs labellisés par filière REP
Filière REP |
Nombre de réparateurs |
Équipements électriques et électroniques (DEEE) |
7 261 |
Textiles, linge de maison et chaussures (TLC) |
1 546 |
Articles de sport et loisirs (ASL) |
756 |
Articles de bricolage et de jardinage (ABJ) |
243 |
Éléments d'ameublement (DEA) |
58 |
Jouets |
0 |
TOTAL |
9 864 |
Source : à partir des données de la DGPR
Le lancement de ces fonds réparation, qui doivent être mis en place dans 6 filières REP101(*), s'est fait de manière échelonnée selon les filières :
- pour la filière REP DEEE, les fonds réparation sont opérationnels depuis décembre 2022 ;
- pour la filière REP TLC et DEA, le fonds réparation n'est opérationnel que depuis novembre 2023 ;
- pour la filière REP ABJ depuis janvier 2024 avec seulement 39 réparations soutenues entre janvier et avril 2025 ;
- pour la filière REP ASL depuis juillet 2024 avec 25 000 réparations soutenues fin avril 2025102(*) ;
- pour la filière REP Jouets, le fonds réparation a débuté en 2023 avec un montant symbolique de 100 000 euros, mais aucun réparateur n'a souhaité obtenir le label. De ce fait, aucun bonus n'a pu être distribué103(*).
La mise en oeuvre de ces fonds est ainsi apparue laborieuse : à l'exception des filières REP DEEE et TLC, aucune filière REP n'a respecté le calendrier de mise en place fixé par le cahier des charges104(*).
Les premiers retours d'expérience mettent en avant une sous-utilisation généralisée des fonds : de 2022 à 2024, seuls 30 % de l'enveloppe des fonds de réparation a ainsi été dépensée, entraînant un report massif d'enveloppes : sur 2025, plus de 140 millions d'euros sont budgétés pour l'ensemble des filières, mais, avec le report des années précédentes, le total atteint 350 millions d'euros105(*).
L'insuffisante mobilisation des fonds réparation s'explique tout d'abord par le nombre insuffisant de réparateurs labellisés : selon l'association HOP, près de 75 % des réparateurs d'équipements électriques et électroniques (EEE) restent à labelliser, tout comme environ 90 % des artisans de la filière REP TLC ou 85 % des réparateurs de cycle REP ASL. Les causes invoquées par les réparateurs pour ne pas se labelliser sont, selon une étude de la même association106(*), le coût trop élevé de la labellisation, la complexité du processus et le remboursement tardif des bonus avancés.
Au-delà de cet enjeu de la labellisation, le nombre de réparateurs apparaît trop faible selon l'Institut national de l'économie circulaire (Inec) et selon les éco-organismes Ecomaison pour la filière REP DEA et Refashion pour la filière REP TLC. Dans la filière REP DEEE, 2 900 techniciens dans la réparation sont à recruter d'ici 2027 selon l'association Orée, en raison de 400 postes non pourvus, de 1 750 départs à la retraite et de 750 créations de postes nécessaires.
Le coût trop lourd des réparations, parfois supérieur au prix d'un produit neuf, est également identifié par les éco-organismes Ecomaison et Refashion comme un facteur limitant la mobilisation du dispositif, alors que le bonus réparation apparaît bien souvent trop faible pour être incitatif, comme l'ont évoqué notamment les associations HOP et Zero Waste France.
Les fonds réemploi et réutilisation ont également été mis en oeuvre dans les 6 filières REP concernées, définies à l'article L. 541-10-5 du code de l'environnement107(*).
Répartition des montants versés dans
le cadre du fonds réemploi
et réutilisation et des tonnages
concernés en 2023
Filière REP |
Montant versé |
Tonnage réemployé/réutilisé |
DEEE |
16,2 M€ |
39 941 tonnes |
TLC |
4,5 M€ |
4 134 tonnes |
DEA |
3,2 M€ |
42 124 tonnes |
ASL |
1,3 M€ |
3 067 tonnes |
Jouets |
0,5 M€ |
680 tonnes |
ABJ |
0,1 M€ |
440 tonnes |
TOTAL |
25,8 M€ |
90 385 tonnes |
Source : données Ademe
La filière REP « Emballages ménagers papiers graphiques » (EMPG), dans laquelle les éco-organismes financent la gestion des déchets via des contributions versées aux collectivités locales, mais ne gèrent pas directement la collecte, n'est pas concernée par l'obligation de création d'un fonds de réemploi et de réutilisation. Des objectifs de réemploi sont toutefois fixés dans le cahier des charges et les éco-organismes doivent apporter un soutien financier au développement de solutions de réemploi et de réutilisation et au fonctionnement des opérateurs du réemploi et de la réutilisation, selon une logique d'appel à projets.
Pour 2023, le taux de réemploi devait atteindre 5 %. Les éco-organismes de la filière ont mobilisé 36 millions d'euros de soutien, ce qui a permis d'atteindre un taux de réemploi de 1,1 %108(*). Comme le relève l'éco-organisme Citeo109(*), « le secteur des emballages ménagers n'a pas pu bénéficier, comme c'est le cas dans d'autres filières, d'un tissu économique national pratiquant déjà le réemploi des emballages et sur lequel les éco-organismes auraient pu construire ou s'appuyer, comme cela peut être le cas avec certaines structures ESS dans d'autres secteurs. » Dans cette filière REP, le syndicat Elipso souligne que le réemploi nécessite « une transformation profonde des chaînes logistiques et industrielles »110(*) selon une logique de boucle fermée, avec le développement de solutions de collecte, de lavage, de contrôle qualité et de redistribution.
Le développement du réemploi, initialement axé sur les structures de l'ESS, est toutefois aujourd'hui en crise, en raison de la montée en puissance d'une offre concurrente de reprise par les plateformes de seconde main et par les distributeurs. À première vue, l'essor de nouveaux acteurs sur le marché du réemploi paraît positif. En pratique toutefois, comme le relève le Medef, « l'intérêt que les consommateurs portent au réemploi fragilise paradoxalement les acteurs historiques de l'ESS »111(*). En effet, comme le dénonce également la Fnade, les distributeurs comme les plateformes de vente d'occasion ne se concentrent que sur des produits de marque à forte valeur ajoutée. « Le gisement naturel de qualité échappe donc à l'ESS », comme le note L'Ameublement français. Le reste du gisement perd de fait de son attractivité, ce qui remet en cause l'équilibre économique des structures de l'ESS, qui prennent en charge, comme l'a rappelé au cours de son audition l'Union pour un Réemploi Solidaire, l'ensemble des flux et non pas uniquement les flux à forte valeur ajoutée.
Les soutiens financiers apportés par les éco-organismes aux structures de l'ESS sont également limités, en dépit de la création des fonds réemploi et réutilisation, comme l'a dénoncé la Fondation Envie au cours de son audition. Selon l'Union pour un Réemploi Solidaire, ils représentent « entre 1 et 6 % maximum des recettes globales d'une structure de réemploi, alors que ces financements devraient permettre de soutenir massivement le développement du réemploi »112(*), en raison notamment de propositions de financement des éco-organismes à la fois insignifiantes et contraignantes. Aucune des filières REP n'a atteint la cible de 5 % des contributions reçues, pourtant fixée par la loi Agec de 2020113(*). Il convient par ailleurs de noter, comme l'ont souligné les acteurs de l'ESS au cours de leur audition commune, que cette cible de 5 % n'est pas un montant maximal, mais une cible minimale qui peut être dépassée par les éco-organismes.
b) Une évolution nécessaire de la gouvernance de ces fonds, pour dépasser le conflit d'intérêts inhérent à une gestion par les éco-organismes
Pour les rapporteurs, les difficultés dans le déploiement des fonds réemploi et réparation sont inhérentes à leur gouvernance : la gestion des fonds réemploi et réparation par les éco-organismes, contrôlés par les producteurs, crée un conflit d'intérêts évident.
Comme le relève la DGCCRF114(*), « un risque de conflits d'intérêts voire de pratiques anticoncurrentielles semble exister du fait même du rôle dévolu aux éco-organismes en matière d'économie circulaire alors que ceux-ci ont par construction dans leur conseil d'administration des fabricants et vendeurs de produits neufs. » En effet, le gisement de produits réemployables et de déchets réutilisables concurrence directement les produits neufs.
Le syndicat de traitement des déchets ménagers rencontré au cours d'un déplacement dans les Yvelines a partagé ce sentiment d'un soutien parfois ambivalent des éco-organismes au réemploi et à la réparation, constat également partagé par la Fnade et par Zero Waste France.
Une évolution de la gouvernance des fonds réemploi et réparation est donc nécessaire. Pour les rapporteurs, il est souhaitable de fusionner les fonds des différents éco-organismes d'une même filière REP puis d'en confier la gestion aux régions, comme l'appelle de ses voeux l'association Régions de France entendue.
En effet, la région serait chargée de décliner territorialement la stratégie industrielle d'économie circulaire. Cette collectivité est l'échelon le plus adapté pour répartir ces fonds sans risque de conflits d'intérêts.
Afin de renforcer la demande en faveur du réemploi et de la réutilisation, l'article 58 de la loi Agec imposait aux services de l'État ainsi qu'aux collectivités territoriales et leurs groupements d'acquérir annuellement des biens issus du réemploi, de la réutilisation ou qui intègrent des matières recyclées, dans des proportions de 20 % à 100 % selon le type de produit. La commande publique représente 10 % du PIB. Sa mobilisation est donc cruciale pour soutenir l'économie circulaire. La mise en oeuvre de l'obligation reste embryonnaire : selon ESS France, trop peu de collectivités avaient déclaré la part de leurs achats concernés en 2025, ce qui rend impossible l'obtention de chiffres consolidés et représentatifs.
Les rapporteurs proposent d'envisager un soutien financier incitatif pour les collectivités territoriales qui remplissent leurs obligations relatives à l'article 58 de la loi Agec, instaurant par exemple une réduction de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour ces collectivités territoriales.
Proposition n° 4 : Réaffirmer la priorité donnée à la réparation, au réemploi et à la réutilisation.
Pour faire de ces pratiques le coeur opérationnel de l'économie circulaire :
- confier aux régions la gestion des fonds réemploi et réparation, afin de renforcer leur efficacité, d'assurer un meilleur ancrage territorial des soutiens, et de prévenir les conflits d'intérêts inhérents à la gestion actuelle par les metteurs en marché via les éco-organismes ;
- introduire un levier fiscal incitatif, en prévoyant une réduction de TGAP pour les collectivités respectant leurs obligations en matière d'achats circulaires (biens issus du réemploi, produits intégrant des matières recyclées), afin de récompenser les démarches exemplaires et d'amplifier leur diffusion.
- prioriser l'accès au gisement pour les acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS), dont la plus-value sociale et environnementale est essentielle dans les territoires, pour éviter la monopolisation de la « crème » du réemploi par d'autres acteurs.
2. Le recyclage : des investissements nécessaires, pour assurer le développement en France de capacités industrielles adéquates
En dépit du développement de la réparation, du réemploi et de la réparation, qui doivent être priorisés, l'augmentation des capacités nationales de recyclage est impérative pour atteindre les objectifs nationaux.
L'absence de capacités nationales suffisantes a en effet un impact environnemental -- en ralentissant l'augmentation de la part des biens exportés -- mais également un impact économique : les éco-organismes sont contraints d'exporter leurs déchets pour atteindre leurs objectifs de recyclage -- comme c'est par exemple le cas dans la filière REP PMCB ou la filière REP TLC -- tandis que les producteurs, pour atteindre leurs objectifs d'incorporation de matière recyclée, doivent importer de la matière.
La politique de soutien au recyclage doit être conçue comme une véritable politique industrielle, ce d'autant plus que, comme le note la Banque des territoires dans sa contribution écrite, « les capacités de recyclage ne diffèrent pas des sites industriels et sont soumises aux mêmes impératifs de compétitivité drastiques pour affronter une concurrence mondiale. »115(*)
Dans ce contexte, les rapporteurs saluent les annonces récentes du Gouvernement de soutien au développement d'une industrie nationale du recyclage : dans le cadre du salon Choose France de 2025, l'implantation d'une usine de recyclage chimique des fibres mélangées et d'une usine de recyclage textile a été annoncée. Le Plan plastique 2025-2030116(*), présenté par le Gouvernement en juin 2025, témoigne également d'une prise de conscience salutaire du soutien industriel nécessaire au développement d'implantations industrielles de recyclage en prévoyant la « massification du soutien des éco-organismes à l'investissement industriel » tout comme « le déploiement de l'appel à projet Objectif Recyclage MATières (ORMAT) ».
En complément de ces implantations souhaitables, la stratégie industrielle doit permettre à ces nouvelles usines de disposer à la fois de la matière et des débouchés nécessaires. Comme le relève la Fnade, cet équilibre entre intrants et incorporation apparaît à ce stade loin d'être atteint pour les déchets plastiques : 4 millions de tonnes de déchets plastiques devraient être recyclées en France pour atteindre l'objectif fixé par la loi Agec de 100 % de plastique recyclé, mais la demande de plastique recyclé pour incorporation ne représente, à ce stade, qu'un million de tonnes117(*).
Il convient donc de soutenir une augmentation rapide et durable de la demande de matière recyclée. La généralisation dans les différentes filières REP des primes en fonction de l'incorporation de matières recyclées apparaît ainsi souhaitable pour les rapporteurs, qui insistent également sur l'opportunité d'y adjoindre, comme c'est par exemple le cas dans la filière REP TLC, une clause de proximité : seule l'incorporation de matière recyclée à proximité, par exemple à moins de 1 500 kilomètres, permettrait de bénéficier de la prime.
Enfin, au niveau européen, la mise en oeuvre de « clauses miroirs » dans les accords internationaux relatifs au traitement des déchets devra être systématique pour éviter que les capacités nationales de recyclage ne subissent la concurrence déloyale d'autres États aux règles environnementales moins-disantes alors que, selon l'association Orée, l'importation de matières reste peu contrôlée, posant des risques sanitaires118(*). L'acte européen pour l'économie circulaire, présenté en 2026, pourrait opportunément permettre à l'Union européenne d'inscrire cette généralisation.
* 100 Source : réponse de la DGPR au questionnaire des rapporteurs.
* 101 Article R. 541-46 du code de l'environnement.
* 102 Source : réponse d'Ecologic au questionnaire des rapporteurs.
* 103 Source : Ademe, Bilan annuel de la filière des jouets -- Données 2023.
* 104 Rapport IGF-Igedd-CGE, 2024, « Performance et gouvernance des filières REP ».
* 105 Source : réponse de Halte à l'obsolescence programmée au questionnaire des rapporteurs.
* 106 HOP, Janvier 2024, Bonus réparation, Retour d'expérience de consommateurs et réparateurs sur le fonds réparation des équipements électriques et électroniques (EEE).
* 107 Les autres filières REP se voient tout de même fixer des objectifs de réemploi dans leur cahier de charges, les éco-organismes doivent donc mobiliser des moyens financiers adéquats destinés à atteindre ces objectifs.
* 108 Source : Ademe.
* 109 Source : réponse de Citeo au questionnaire des rapporteurs.
* 110 Source : réponse d'Elipso au questionnaire des rapporteurs.
* 111 Source : réponse du Medef au questionnaire des rapporteurs.
* 112 Source : réponse de l'Union pour un Réemploi Solidaire au questionnaire des rapporteurs.
* 113 Rapport IGF-Igedd-CGE, 2024, « Performance et gouvernance des filières REP ».
* 114 Source : réponse de la DGCCRF au questionnaire des rapporteurs.
* 115 Source : contribution écrite de la Banque des territoires.
* 116 Ministère de la transition écologique, 2025, « Réduire nos usages du plastique : la France s'engage ».
* 117 Source : réponse de la Fnade au questionnaire écrit des rapporteurs.
* 118 Source : réponse de l'association Orée au questionnaire écrit des rapporteurs.