B. LA COLLECTE : SOUTENIR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, PAR UNE PLUS GRANDE DIFFÉRENCIATION TERRITORIALE ET UN FINANCEMENT ADAPTÉ
1. Les objectifs nationaux et européens obligent les collectivités territoriales à faire évoluer la collecte des déchets ménagers
La collecte des déchets ménagers assurée par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) auxquels a été transféré le service public de gestion des déchets (SPGD) constitue un levier d'action majeur de la transition vers une économie circulaire.
La loi TECV de 201591(*), qui prévoit l'extension des consignes de tri d'ici 2022, et la loi Agec de 2020, qui fixe des objectifs de collecte et prévoit la généralisation du tri à la source des biodéchets, ont ainsi eu un impact majeur sur le SPGD. La mise en oeuvre de ces mesures a conduit les collectivités territoriales à engager des investissements importants, comme ont pu notamment le constater les rapporteurs à l'occasion d'un déplacement auprès d'un syndicat de traitement des déchets ménagers dans les Yvelines.
L'atteinte des objectifs nationaux est d'autant plus indispensable qu'au niveau européen, une contribution sur le plastique non recyclé a été créée en 2021, dans le cadre du Plan de relance européen92(*) : chaque pays doit s'acquitter d'une contribution fixée à 0,8 euro par kilogramme de déchets d'emballages en plastique non recyclés. La France est, en 2023, le premier contributeur pour cette ressource propre de l'Union européenne, qui s'élève à 1,564 milliard d'euros, contre 1,423 milliard d'euros pour l'Allemagne. Elle assume donc à elle seule 21,7 % du produit total de la contribution.
Les auditions des associations d'élus locaux concernées par le SPGD (AMF, Intercommunalités de France, Amorce) tout comme les déplacements, dans le Bas-Rhin et dans les Yvelines, auprès de syndicats de traitement des déchets ménagers ont permis de constater à la fois les efforts menés par des collectivités volontaires pour atteindre ces objectifs, mais aussi le besoin d'adaptation du cadre réglementaire et de mise en place d'un accompagnement adapté par l'État.
Ces travaux ont également permis de conforter la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable dans sa conviction exprimée avec constance que la consigne pour recyclage plastique est une fausse solution, qui aurait en effet pour inconvénient de focaliser le débat sur une partie très minoritaire du gisement.
La consigne pour recyclage plastique :
une fausse solution aux nombreux effets pervers
La consigne pour recyclage des bouteilles plastiques est un dispositif par lequel les consommateurs paient un montant supplémentaire lors de l'achat d'une bouteille en plastique, qu'ils peuvent récupérer en la rapportant après usage dans un point de collecte spécifique. Des dispositifs de consigne pour recyclage des bouteilles en PET sont utilisés dans plusieurs pays européens, en particulier en Allemagne depuis 2003.
Ce système est toutefois moins pertinent qu'il n'y paraît : la consigne concerne uniquement les bouteilles en PET, alors que l'objectif fixé en droit européen et national de collecte de 90 % des bouteilles en 2026 concerne l'ensemble des résines. Si la consigne était mise en place, deux systèmes parallèles coexisteraient (captation via le SPGD des autres résines).
De plus, la consigne pour recyclage est porteuse d'effets environnementaux pervers : loin de lutter contre le plastique, elle pérennise la production et la consommation et ne fait en réalité que prolonger la durée de vie d'une matière qui restera in fine un déchet à éliminer. Elle complexifie de plus le geste de tri, alors même que la loi Agec de 2020 visait à le simplifier.
La consigne centre le débat sur une partie très minoritaire du gisement : les bouteilles en plastique pour boisson représentent 1 % des déchets ménagers, 2,8 % des déchets d'emballages et 15,4 % des déchets d'emballages en plastique. C'est déjà une part des emballages particulièrement bien recyclée : ces bouteilles sont collectées pour recyclage à hauteur de 60,3 % en 2022, contre 21,4 % pour l'ensemble des emballages plastiques.
Enfin, la consigne est un dispositif économiquement irrationnel, socialement et territorialement injuste. Le surcoût des scénarios avec consigne pour les citoyens-contribuables est évalué par l'Ademe à un montant compris entre 181 et 229 millions d'euros par an à partir de 2029, sans compter les pertes liées aux investissements élevés des collectivités territoriales pour augmenter leurs capacités de collecte et leurs centres de tri, qui s'avéreraient inutiles faute de gisement. Le consommateur sera également pénalisé puisqu'il supportera le montant des consignes non rapportées, estimé entre 161 et 252 millions d'euros en 2029 par l'Ademe.
Source : Rapport d'information n° 850 (2022-2023) du 5 juillet 2023 de Mme Marta de Cidrac fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable relatif à la consigne pour réemploi et recyclage sur les emballages
Le règlement « Emballages » de 2025 impose pourtant une consigne obligatoire pour le recyclage des bouteilles plastiques et canettes d'ici le 1er janvier 2029, sauf si un taux de collecte de 80 % est atteint dès 2026, afin d'atteindre l'objectif d'un taux de collecte séparée de 90 % en 2029, comme le souligne l'étude de législation comparée annexée au présent rapport.
Les rapporteurs insistent sur l'inopportunité d'un tel dispositif et appellent à la suppression de l'objectif intermédiaire de taux de collecte pour 2026 tout en maintenant l'objectif final de 2029, pour laisser le temps aux efforts des collectivités territoriales de porter leurs fruits.
2. Une transition à accompagner, en adaptant le cadre légal et le soutien de l'État à la diversité des territoires
Les auditions des rapporteurs tout comme les déplacements effectués ont démontré le bienfait de la tarification incitative pour améliorer la performance de collecte sur un territoire, en faisant payer les usagers en fonction de la quantité de déchets qu'ils produisent, afin de les encourager à trier davantage et à réduire leurs déchets résiduels.
Un rapport de la Cour des comptes de 202293(*) étaye l'efficacité de ce type de tarification : en moyenne, sa mise en place permet de réduire de 41 % la quantité d'ordures ménagères résiduelles (OMR). 97 % des intercommunalités qui produisent moins de 150 kg d'OMR et 100 % de celles qui produisent moins de 100 kg d'OMR par habitant ont recours à une tarification incitative.
Comme l'avait déjà souligné la commission en 202394(*), le cadre réglementaire trop rigide est aujourd'hui un frein au développement de cette tarification. En particulier, pour les rapporteurs, la tarification incitative doit pouvoir être appliquée sur une partie seulement de la commune, conformément au souhait des associations d'élus locaux Amorce et Intercommunalités de France. Il faut en effet tenir compte des communes comportant à la fois des quartiers d'habitat vertical, dans lesquels la mise en place d'une telle tarification est moins aisée, ainsi que des quartiers pavillonnaires.
Enfin, l'association Amorce entendue a appelé à une campagne de communication massive de l'État autour de l'extension du geste de tri simplifié à tous les emballages, pour accroître globalement les performances de collecte sélective des emballages en accompagnant l'évolution du geste de tri.
3. Tri à la source des biodéchets : une dynamique territoriale à soutenir par un cadre réglementaire stabilisé et un accompagnement préservé
Le développement de solutions de tri à la source de biodéchets se poursuit en 2025, en dépit du retard pris par rapport à l'objectif initial de la loi Agec de 2020 de généralisation en 2024.
Il convient de prendre en compte dans cette appréciation la répartition des solutions mises en place par les collectivités95(*) :
- des solutions de gestion de proximité (bornes d'apports volontaires) sont mises en place dans trois quarts des collectivités identifiées actives, en majorité mixtes et rurales, couvrant près de 30 % de la population française, qui sont toutefois, selon France Biodéchets, bien souvent trop éloignées pour encourager au geste de tri96(*) ;
- La collecte séparée en porte à porte est mise en place dans seulement un quart des collectivités identifiées actives, en majorité de grandes agglomérations, couvrant ainsi près de 20 % de la population française.
Les données manquent à ce stade pour estimer les résultats des différents modes de collecte : selon la DGPR97(*), une étude de l'Ademe sur ce sujet serait souhaitable.
Comme l'ont souligné l'association Compostplus ainsi que la DGPR, le « moteur » de la mise en place de ces solutions est avant tout la volonté politique d'élus locaux, qui souhaitent améliorer la gestion des déchets sur le territoire de leur collectivité. Le soutien par l'État, s'il n'est pas suffisant pour déclencher une action chez ceux qui ne souhaitent pas s'engager, reste toutefois souhaitable pour aider une collectivité volontaire à sauter le pas.
Les crédits du fonds vert ont contribué au déploiement des solutions du tri à la source des biodéchets. L'association Régions de France déplore toutefois un arrêt de l'éligibilité au fonds des projets de tri à la source des biodéchets après l'échéance légale de déploiement. L'association Intercommunalités de France98(*) plaide également pour « un plan de rattrapage soutenu, territorialisé, et adapté à la diversité des contextes locaux, afin d'atteindre les objectifs fixés tout en tenant compte des réalités de terrain. »
Pour les rapporteurs, conserver le soutien de l'État au déploiement du tri à la source des biodéchets, comme le demande aussi l'association France Biodéchets, pour ne pas enrayer une dynamique bien engagée sur les territoires est essentiel.
Un deuxième frein majeur est l'absence de stabilisation du cadre réglementaire sur les matières fertilisantes et supports de culture, qui devait être fixé par un décret et un arrêté dit « socle commun ». Identifiée par une enquête de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP)99(*) comme un des freins au déploiement du tri à la source, cette absence de cadre réglementaire sécuriserait l'exutoire des biodéchets utilisés à des fins de méthanisation. Cette lacune est également dénoncée par les associations Compostplus, France Biodéchets et la fédération nationale de l'agriculture biologique (Fnab).
Proposition n° 7 : Adapter le cadre légal de la collecte aux réalités des territoires et améliorer l'accompagnement à la transition des collectivités.
Pour mieux tenir compte de la diversité des situations locales et mieux accompagner les collectivités territoriales, l'État doit :
- assouplir les conditions de mise en oeuvre de la tarification incitative, afin de permettre un déploiement progressif, y compris sur une partie seulement du territoire communal ;
- proposer, au niveau européen, la suppression de l'objectif intermédiaire de collecte des bouteilles plastiques, pour laisser le temps aux mesures engagées par les collectivités territoriales de produire leurs effets ;
- déployer des campagnes régulières nationales de communication co-validées avec les représentants des collectivités territoriales ;
- encourager le déploiement du tri à la source des biodéchets, en rendant les collectivités territoriales éligibles aux soutiens financiers, y compris après l'entrée en vigueur de l'obligation légale, et en clarifiant le cadre légal de valorisation des biodéchets.
* 91 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
* 92 Décision (UE, EURATOM) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l'Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE.
* 93 Cour des Comptes, septembre 2022, Prévention, collecte et traitement des déchets ménagers : une ambition à concrétiser.
* 94 Rapport d'information n° 850 (2022-2023) de Mme Marta de Cidrac fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable relatif à la consigne pour réemploi et recyclage sur les emballages, du 5 juillet 2023.
* 95 Source : réponse de la DGPR au questionnaire des rapporteurs.
* 96 Source : réponse de France Biodéchets au questionnaire des rapporteurs.
* 97 Source : réponse de la DGPR au questionnaire des rapporteurs.
* 98 Source : réponse d'Intercommunalités de France au questionnaire des rapporteurs.
* 99 Source : réponse de la DGPR au questionnaire des rapporteurs.