CONTRIBUTIONS DES GROUPES

Groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky

Introduction - Libéralisme et service public : une incompatibilité éprouvée sur la durée

Revenir aux origines de l'« agencification », c'est d'abord s'intéresser à la naissance de ce mouvement, porté par une influence, celle du New Public Management appliqué au modèle administratif français.En important dans la sphère publique des méthodes et des référentiels issus de l'entreprise privée, cette logique a diffusé une culture de la performance, fondée sur une séparation de principe : d'un côté, des agences autonomes, cantonnées à des missions d'exécution ; de l'autre, une administration centrale, supposée assurer le pilotage stratégique et la tutelle.

Pourtant, cette ligne de partage, loin de clarifier l'action publique, a le plus souvent conduit à une prolifération d'entités, sans vision d'ensemble ni cohérence doctrinale. La diversité des statuts, l'hétérogénéité des missions et la complexité des financements -- relevées par la commission d'enquête -- traduisent ce morcellement des responsabilités qui rend illisible la place de l'Etat dans l'action publique. Citoyens comme parlementaires se trouvent confrontés à une constellation d'organismes, sans jamais pouvoir saisir la stratégie nationale. L'autonomie affichée des agences devient alors trop souvent un paravent commode à la déresponsabilisation.

??Le rapport met également en exergue l'absence de transparence et de lisibilité des flux budgétaires, liée notamment à une hétérogénéité des statuts de ces agences et opérateurs et à leur multitude. Or, il s'agit là d'une exigence démocratique élémentaire. Le rapport souligne utilement l'intérêt de publier et d'enrichir le « jaune budgétaire Opérateurs » sous format numérique et en open data, en élargissant son périmètre à l'ensemble des organismes publics nationaux et en affinant les données, afin de garantir un contrôle parlementaire effectif.

Plus largement, le groupe CRCE-K partage le constat de la commission : la banalisation de l'agencification « à la française » s'est trop souvent faite au détriment de l'égalité territoriale et de l'efficacité du service public. Renouer avec une doctrine d'ensemble devient donc indispensable : clarifier les missions, responsabiliser les acteurs, et réinternaliser chaque fois que cela est pertinent et plus cohérent. C'est à cette condition que l'État pourra redevenir pleinement ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : le garant exigeant et attentif de l'intérêt général, au service de toutes et tous, sur l'ensemble du territoire.

I- L'État brille par son absence : de l'affectation des moyens humains à sa doctrine d'agencification

Si l'on pousse jusqu'au bout la logique décrite précédemment, il apparaît clairement que le morcellement de l'action publique s'accompagne d'un pilotage lacunaire des moyens humains mobilisés. Tout encadrant, à quelque niveau hiérarchique que ce soit, ne peut que constater combien les constats dressés par la commission sont, à cet égard, aussi édifiants qu'inquiétants : l'État est aujourd'hui incapable de définir une doctrine cohérente de gestion de ses ressources humaines au sein de ces agences, opérateurs et organismes consultatifs qu'il a pourtant lui-même multipliés.

À sa décharge, la confusion qui entoure encore la définition du périmètre exact de ces entités n'est pas étrangère aux difficultés rencontrées. Mais derrière cette confusion administrative, c'est bien un déficit de volonté politique qui transparaît. Les auditions ont mis au jour une réalité pour le moins paradoxale : l'État ignore combien d'agents travaillent sous sa responsabilité, et ne sait pas davantage en mesurer le coût global. L'aveu de la ministre de la Fonction publique devant la commission est, de ce point de vue, sans appel : « L'ignorance du nombre d'agents publics travaillant dans les agences et opérateurs [...] ou encore l'incapacité de la DGAFP à connaître la part de fonctionnaires effectuant une mobilité au sein d'une agence ou d'un opérateur sont à ce titre symptomatiques du manque de vision unifiée de la part de l'État de l'ensemble de ses agents. »

Cette absence de pilotage se traduit, très concrètement, par des choix de gestion souvent contre-productifs. Sous la pression d'objectifs croissants, mais sans marges de manoeuvre adaptées, certaines agences se voient contraintes d'empiler des solutions précaires pour maintenir leurs missions. L'exemple de l'ADEME est, à cet égard, emblématique : pour répondre à l'extension de ses missions, l'agence a dû recourir à 93 équivalents temps plein en intérim, à un coût unitaire pourtant supérieur à celui d'un CDD, pour des missions limitées dans le temps -- alors même que le plan de relance s'étalait sur deux ans.

En outre, faute de doctrine claire et partagée, certaines agences n'hésitent pas à abandonner unilatéralement certaines missions, sans réelle concertation avec leur ministère de tutelle. Sans vision globale, sans stratégie de recrutement ni politique d'affectation lisible, l'État continuera à naviguer à vue, exposant ses agences et opérateurs à des impasses managériales aussi coûteuses qu'inefficaces.

Dans cette perspective, la question de l'attractivité de la fonction publique, bien qu'elle dépasse le seul cadre de la commission d'enquête, apparaît comme un corollaire incontournable. Revaloriser les carrières, fidéliser les compétences et sécuriser les parcours professionnels doivent redevenir des priorités stratégiques si, comme le préconise la commission, l'on entend réinternaliser certaines missions et les effectifs qui les portent. À défaut, la fragmentation actuelle continuera de masquer l'ampleur réelle des disparités entre services centraux, agences et opérateurs, faute de disposer de données consolidées, comparables et réellement exploitables pour le pilotage public.

II- Sur la sincérité et la faisabilité des économies annoncées par le gouvernement

Au-delà de ce constat, le groupe CRCE-K interroge la sincérité et la pertinence des modalités de réduction de la dépense publique exposées par la ministre chargée des Comptes publics devant la commission d'enquête. Comme le rappelle la page 207 du rapport :

« Le Gouvernement souhaite réaliser 40 milliards d'euros d'économies, dont la moitié environ sur l'État. Or, en comptabilité générale, les opérateurs ont reçu 77 milliards d'euros de financements publics (53 milliards hors établissements universitaires et de recherche), alors que la somme des produits régaliens de l'État était de 323 milliards d'euros. Un effort des opérateurs identique à celui de l'État représenterait donc une diminution de leurs financements de 4,8 milliards d'euros (ou 3,3 milliards hors universités et recherche). »

La commission d'enquête a d'ailleurs mis en évidence le mirage que constituerait une économie fondée exclusivement sur des fusions ou des suppressions d'entités, lesquelles, selon le rapport, ne représenteraient qu'environ 540 millions d'euros. Les économies ainsi brandies par le gouvernement ne pourraient donc être réalisées qu'au prix d'un rétrécissement assumé du périmètre des politiques publiques portées par l'État et ses agences. Le groupe CRCE-K s'y oppose résolument et tient à rappeler qu'il n'est pas dupe des tentatives de détourner ce rapport pour justifier de nouvelles coupes budgétaires ou des reculs du service public.

Certes, certaines pistes d'économies existent. Mais encore faut-il poser une question centrale : l'État dispose-t-il aujourd'hui des moyens réels de réinternaliser les missions concernées ? Et surtout, le gouvernement est-il prêt à créer les conditions pour que cette réinternalisation ne se fasse pas à moyens constants ou, pire, décroissants ?

Sans anticipation sérieuse, une telle stratégie risquerait de se traduire par une perte de compétences au sein de l'État et des collectivités, une vacance accrue de postes et, in fine, une dégradation du service rendu aux usagers. Il n'est pas inutile de rappeler que les ministères connaissent déjà un taux de vacance supérieur à celui de nombreux opérateurs.

En outre, depuis la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) et la loi La Modernisation de l'action publique (MAP) , la trajectoire des services déconcentrés -- marquée par un recul tendanciel des effectifs, l'érosion de réseaux techniques spécialisés et une perte d'attractivité statutaire -- a fragilisé la capacité de l'État à exercer les fonctions d'accompagnement. Dans de nombreux territoires, la raréfaction de l'ingénierie publique a favorisé le recours à des prestations privées, coûteuses et parfois déconnectées des réalités locales, accentuant ainsi les inégalités d'accès à l'expertise.

Ainsi, si la commission évoque la piste d'un moratoire sur la création d'agences, nous tenons à souligner qu'un tel gel ne saurait devenir un dogme intangible. La création de nouveaux services publics ou de nouvelles missions doit rester possible chaque fois que l'intérêt général l'exige. Nous mettons donc en garde : les opérations de fusions, suppressions ou redéfinitions de missions ne doivent jamais servir de cheval de Troie à une privatisation rampante .En d'autres termes, le besoin de rationalisation ne peut en aucun cas justifier que des pans entiers de missions de service public soient transférés au secteur privé sous couvert de simplification.

De même, le diagnostic sans appel du rapport engendre une autre question : Faut-il, pour autant, condamner en bloc tout recours aux agences ? L'impératif de cohérence ne saurait conduire à nier la fonction critique que certaines agences remplissent pour la République. L'ADEME en est l'illustration : c'est précisément grâce à son autonomie qu'elle exerce un rôle de «checks and balances républicain », produisant une expertise indépendante, établissant des diagnostics parfois à rebours des urgences politiques du moment et formulant des stratégies inscrites dans le temps long.

Ainsi le groupe rappelle qu'il ne souscrit pas à toutes les recommandations formulées : certaines recommandations visant l'ANRU, les agences environnementales et du logement ne semblent pas faire l'unanimité des élus locaux. De même, chacun s'accorde sur l'impératif de bifurcation écologique qui doit primer sur toute réorganisation de l'Etat.

Aussi, pour le groupe CRCE-K, le cap est clair : préserver durablement la capacité d'intervention publique, garantir la lisibilité budgétaire et restaurer la transparence de la dépense, sans céder à aucune dérive qui reviendrait à proscrire par principe le maintien ou la création de nouveaux opérateurs publics, dès lors que l'intérêt général l'impose.

Pour illustrer cette ligne de crête : s'agissant de la gestion du patrimoine immobilier de l'État, nous partageons l'objectif de sobriété foncière, particulièrement à l'heure des transitions écologiques, mais nous nous opposons à la recommandation visant à créer une foncière d'État, dont la logique patrimoniale court le risque de déposséder durablement l'État de ses leviers fonciers. À l'inverse, nous assumons notre engagement pour une politique industrielle et sanitaire ambitieuse, qui s'incarne notamment dans notre proposition de loi visant à instituer un pôle public du médicament et des produits médicaux, par la création d'un établissement public national capable de garantir, dans la durée, la souveraineté sanitaire et l'accès effectif aux traitements pour toutes et tous.

Ainsi, l'analyse oblige à refuser tout simplisme : les agences ne sont ni « bonnes » ni « mauvaises » dans l'absolu. Tout dépend des missions qui leur sont confiées, de leur mode de pilotage, de leur rattachement institutionnel, de leur transparence, et surtout du sens politique que l'on donne à leur action. Ce que révèle en creux la prolifération des agences, c'est l'absence d'une doctrine cohérente et assumée de l'État..

C'est bien là que le débat doit être replacé : non dans l'inventaire comptable de doublons ou dans le mirage d'économies mécaniques, mais dans l'exigence de refonder une architecture républicaine de l'action publique. Le groupe CRCE-K ne revendique pas une recentralisation dogmatique, mais bien une repolitisation de l'action publique, c'est-à-dire une redéfinition assumée des finalités collectives de l'État, fondée sur les principes d'égalité, de solidarité, de planification démocratique, de justice sociale et de transition écologique..

Conclusion : quelle nouvelle organisation pour des services publics, en cohérence avec les besoins des Français ?

Le rapport souligne pour réfuter l'idée d'économies réalisables à périmètre constant, que « l'enjeu véritable, en termes d'économie, porte sur le périmètre des politiques publiques portées par des opérateurs et agences d'intervention ». Autrement dit, faire des économies reviendrait, in fine, à réduire ou supprimer des missions essentielles de service public. Pour le groupe CRCE-K, si cette logique portée par le gouvernement Bayrou venait à prévaloir, elle serait totalement inacceptable : notre pays n'a pas besoin d'abaisser ses ambitions collectives, mais au contraire de mobiliser des investissements massifs pour construire l'avenir.

La moitié des effectifs employés dans les agences et opérateurs se trouvent dans les universités et les centres de recherche publics : or, comme le rappelle François Ecalle, président de l'association Fipeco, auditionné par la commission d'enquête, « les dépenses affectées à l'enseignement supérieur et à la recherche ne sont pas particulièrement élevées en France ». Ces dépenses sont par ailleurs des dépenses d'avenir, essentielles au développement de la France de demain. De même, le choix d'envisager de réduire le périmètre de l'Ademe doit être bien pesé. Cette décision est-elle compatible avec les conclusions du rapport Pisani-Ferry/Mahfouz, qui estime les investissements en matière de transition écologique à hauteur de 66 milliards d'euros, dont 25 à 34 milliards de dépenses publiques ?

Le groupe CRCE-K propose également qu'il soit mis fin à la politique de démembrement de l'État. L'agence, l'opérateur, ne doit plus être la réponse systématique au moindre problème rencontré au plus haut niveau de l'État. « L'essentiel est de ne pas créer une agence pour régler le moindre problème : c'est malheureusement l'un des travers de notre administration et de l'État français » comme l'a rappelé Christian Charpy, haut fonctionnaire qui a conduit la fusion entre l'ANPE (Agence nationale pour l'Emploi) et l'Assédic (Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce).

Par ailleurs, le groupe CRCE-K note que le renforcement de la tutelle du préfet sur les agences dans les territoires constitue une avancée. Il faut toutefois faire attention à ne pas aller trop loin, au risque de produire une nouvelle tutelle centralisatrice de l'État.

Enfin, le groupe CRCE-K affirme son attachement à un État décentralisé, fort et stratège, qui planifie, régule, aménage et prend soin de toutes et tous. Cet État est le garant de l'égalité républicaine. Les dernières lois de décentralisation ont toutefois contribué à éloigner les représentations de l'État des citoyens, en renforçant les dynamiques de régionalisation et de métropolisation. Les sénateurs du groupe défendent au contraire des services publics partout et pour toutes et tous.

La logique comptable s'est désormais imposée partout. Pourtant, contrairement à la doxa libérale, la croyance dans la réduction des dépenses publiques a des conséquences néfastes sur la vie de nos concitoyens. Elle se couple à un désengagement de l'État, qui se défausse de certaines de ses responsabilités sur les collectivités territoriales. Se faisant, comment assurer un développement équilibré sur tous les territoires ? L'État met au contraire en concurrence les collectivités entre elles, en multipliant les appels à projets, comme constaté lors de certaines auditions d'agences et opérateurs. Aujourd'hui, les appels à projets écrasent tout. Comme l'explique le sociologue Renaud Epstein, ils sont devenus « l'instrument banalisé de distribution des crédits dans les territoires ». « L'Etat alloue ces ressources exceptionnelles par le biais d'appels à projets concurrentiels. Pour l'Etat, il y a de multiples intérêts : cela respecte le principe d'autonomie proclamé par les lois décentralisatrices, cela permet à l'Etat d'être sélectif, d'éviter le saupoudrage pour ne soutenir qu'un nombre réduit de projets ». Il ajoute que « l'appel à projet a radicalement changé les logiques de territorialisation ». Cependant, toutes les collectivités territoriales n'ont pas les ressources pour y répondre. L'échelon communal et l'échelon départemental sortent donc très affaiblis et menacés par ces évolutions. Dès lors, le groupe CRCE-K soutient la sauvegarde d'échelons de proximité. Il appelle aussi à substituer à une logique purement comptable une logique de solidarité territoriale.

Il est ainsi urgent de renforcer la place des communes et des départements. Les sénateurs du groupe rappellent par ailleurs leur attachement à la clause de compétence générale des communes et des départements. Ce couple est un pilier de la République de proximité, qu'il faut préserver et développer. Les communes ne doivent pas devenir des sortes de « territoires de seconde zones », loin des régions ou des métropoles qui concentreraient elles tous les pouvoirs.

Le groupe CRCE-K demande au gouvernement de travailler à la mise en place d'une nouvelle organisation de l'État. L'État doit redevenir un véritable partenaire des élus locaux. La décentralisation, pour tenir ses promesses démocratiques et d'efficacité, doit donc impérativement s'appuyer sur une déconcentration sincère et ambitieuse de l'État. Une telle articulation est la condition pour garantir aux collectivités locales des marges de manoeuvre réelles, tout en préservant la cohésion nationale et l'égalité entre les territoires.

Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

Contribution de Ghislaine Senée, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

Agences et opérateurs de l'Etat : le thermomètre n'est pas la maladie !

Introduction

La commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, présidée par Pierre Barros et rapportée par Christine Lavarde, a mené un travail rigoureux, autour de nombreuses auditions et demandes de données. Le rapport final objective la réalité des conditions d'organisation et de financement des agences. Il permet notamment de lever nombre de fantasmes sur les viviers d'économies possibles. Si nous partageons certains constats et propositions faites sur le pilotage, l'évaluation et la nécessité de renforcer la culture de la tutelle, nous déplorons que le rapport final amendé cède aux demandes démagogiques du groupe LR de suppression d'un certain nombre d'agences, couplées à des suppressions de postes dans les fonctions support, dans le seul but de faire des économies.

1. Apports du rapport : des constats partagés sur la gouvernance et une objectivation des données sur les coûts

1.1. Renouer avec une tutelle de confiance

L'Etat doit s'atteler à renforcer le pilotage de ces structures et à re-développer la culture de la tutelle. Si l'élaboration de contrats d'objectifs et de performance (COP) ou de contrats d'objectifs et de moyens (COM) sur une période de 5 ans doit bien être systématisée, ces contrats doivent s'établir dans le cadre de relations de tutelle interne, sans recours à des cabinets de conseil. Une fois ceux-ci signés, l'Etat doit respecter le cadre adopté et ne peut abandonner ses engagements financiers en cours de programmation. Le respect de ces engagements financiers est de nature à redonner confiance aux agents, dans un contexte de défiance vis-à-vis de leur travail.
Ainsi, l'Agence Bio - dont l'objet est de promouvoir l'agriculture biologique et d'accroître les débouchés des agriculteurs et paysans labellisés - a signé un COP avec son ministère de tutelle pour la période 2024-2028. Pourtant, dès 2025, soit à peine un an après la signature du COP, le gouvernement a fait le choix de supprimer 64% des crédits, en cours d'exercice, pour des raisons strictement politiciennes. Outre les effets climatiques et sanitaires d'une telle décision, cela remet en cause la crédibilité de l'Etat dans la capacité de pilotage et de gestion de l'ensemble des agences.

Sur le plan méthodologique, nous souscrivons aux orientations générales proposées, qui visent à redonner de la cohérence à la gouvernance des agences et opérateurs de l'État. Le retour de la culture de la tutelle doit être fondé sur une relation de confiance, mais exigeante, appuyée sur des outils d'évaluation rigoureux et réguliers. Cela suppose la généralisation de documents stratégiques pluriannuels adossés à des échéances de réexamen, voire de date d'extinction, permettant de réinterroger périodiquement l'utilité et la performance des dispositifs.

La comptabilité analytique constitue un levier essentiel pour apprécier la soutenabilité et la pertinence des actions menées ; elle permet également d'objectiver les débats et de répondre de manière argumentée aux critiques formulées à l'encontre des agences.

2.2. L'efficience réelle des agences, loin des fantasmes budgétaires

La résolution du groupe Les Républicains tendant à la création de cette commission d'enquête insistait sur deux points : le vivier possible d'économies et la lutte contre le surcroît de normes générées par ces agences et opérateurs. Après 6 mois de travail dense, le rapport démontre l'invalidité de ces deux hypothèses.

Les élus Les Républicains invoquent depuis plusieurs années les “nombreuses économies” potentielles sur les agences, ne serait-ce qu'en termes de ressources humaines. Pourtant, le rapport démontre que ces structures ne sont pas des gouffres financiers en fonctionnement - c'est-à-dire en coûts de personnel et de structure - et font preuve, au contraire, d'une réelle efficience dans la gestion des crédits d'intervention. Ces agences mettent en oeuvre les politiques publiques décidées et cadrées par le gouvernement, validées par le parlement. Les économies de fonctionnement apparaissent comme très modérées et ne sauraient, contrairement à ce qu'on peut entendre dans les débats autour des agences de l'Etat, résoudre le problème de déficit de l'Etat français.

Dans le cas de l'ADEME, avec le fonds chaleur, l'agence est chargée d'instruire les demandes, en appliquant les règles fixées par le législateur. Le rapport de la commission d'enquête confirme la bonne gestion des dispositifs délégués à l'ADEME et son rôle indispensable dans le conseil aux collectivités sur les actions en matière de politique climatique.

Le groupe Les Républicains considérait que les agences “génèrent une complexité normative toujours croissante, voire une insécurité juridique, dont la charge finale repose généralement sur le citoyen, l'usager ou encore les acteurs des activités régulées”. Le rapport final ne permet pas d'étayer la création de normes nouvelles par les agences. Leur rôle est de mettre en oeuvre, pour l'Etat, les politiques publiques et souvent de manière territorialisée. Si un acteur n'obtient pas la subvention qu'il sollicite, cela s'explique davantage par le non-respect des critères fixés par le législateur que par une surproduction de normes définies par l'agence gestionnaire.

2) Réserves et mises en garde : quand la rationalisation devient un prétexte à l'affaiblissement

2.1. La recentralisation préfectorale : une fausse bonne idée

Le transfert de compétences des agences vers la préfecture renforce les pouvoirs des préfets et le spectre de leurs missions. Si cette centralisation vise une meilleure lisibilité administrative, voire parfois une plus grande efficacité, celle-ci s'accompagne d'une pression croissante sur les services préfectoraux, déjà fortement mobilisés. Depuis les réorganisations engagées à partir de 2010, les services déconcentrés ont connu un affaiblissement progressif : diminution des moyens humains lors des réformes successives et complexification des chaînes de décision. Ce mouvement, loin d'être neutre, est le reflet d'un phénomène plus large de recentralisation, dans un contexte de montée en charge considérable du rôle du préfet.

Ce dernier se retrouve aujourd'hui à la croisée des injonctions, en situation de devoir arbitrer, instruire, déroger et parfois trancher seul, sous forte contrainte temporelle et politique.

Il est illusoire de penser que le transfert des agents et de leurs compétences au niveau des préfectures et sous-préfectures des départements se fasse sans encombre ni perte. Il est à déplorer un risque de perte d'expertises, alors même qu'il est déjà difficile de pourvoir les postes d'experts techniques dans la fonction publique du fait du manque d'attractivité des salaires. La stabilité de l'emploi, dont on voit ici qu'elle est passablement mise à mal, n'est plus un critère déterminant. Reconstituer des services déconcentrés experts dans des domaines techniques - transition écologique, développement rural, expertise technique en matière d'aménagement - apportant une ingénierie de proximité et une capacité d'analyse, dans tous les départements de France, n'est pas garanti.


À cela s'ajoute une instabilité liée au renouvellement fréquent des préfets, parfois dicté par le rythme politique national, qui peut engendrer une perte de connaissances du terrain et des acteurs, des changements de méthodes, des pertes en efficacité et des incompréhensions avec, in fine, un risque d'immobilisme pour certains territoires.

En outre, la volonté de renforcer le pouvoir dérogatoire du préfet engage sa responsabilité de façon inédite, et ne doit en aucun cas devenir un prétexte pour les élus locaux afin de se protéger de leurs propres responsabilités. Il est impératif de clarifier les chaînes de responsabilité et de doter les préfets de moyens humains et techniques à la hauteur des missions qui leur sont confiées. Par ailleurs, la mise en place d'outils de régulation et d'une instance de médiation entre niveaux de décision apparaît nécessaire pour préserver l'équilibre institutionnel et garantir la continuité de l'action publique.

2.2. Fusions précipitées, le mythe de la simplification : des restructurations coûteuses et contre-productives

Fusionner pour fusionner est rarement efficace et la réduction de coûts de structure attendue n'a jamais été démontrée dans les faits. De nombreuses agences sont nées de fusions ces dernières années. De tels processus entraînent des restructurations importantes qui perturbent le travail des opérateurs dans leur mission première, qui doit rester la conduite des politiques publiques. Non seulement ces fusions s'exercent sur un temps très long mais elles forment également un détournement de moyens, qui devraient être dédiés à la mise en oeuvre de politiques publiques. Multiplier ces fusions pourrait conduire à une grande désorganisation, à l'heure où nous avons, au contraire, besoin que les différents opérateurs de l'Etat exercent leurs compétences pleinement.

S'il est évident que les doublons ne peuvent perdurer dans un contexte budgétaire contraint, force est de constater que la commission d'enquête a peiné à en identifier.

Nous ajoutons notre grand étonnement face à la proposition d'indemniser les élus siégeant dans des conseils d'administration des différents organismes d'Etat, les élus percevant déjà une indemnité pour exercer leur mandat.

Une telle mesure apparaît non seulement contraire à l'objectif de maîtrise des dépenses publiques, mais également susceptible d'être porteuse de dérives.

3) Dérives démagogiques et trumpisme sénatorial

3.1. Le populisme budgétaire comme masque du climato-négationnisme

La qualité du rapport est dénaturée par les recommandations, ajoutées en dernière minute, qui répondent à une commande politique claire : affaiblir, voire démanteler, les agences qui interviennent sur les questions environnementales. Nous, groupe écologiste, regrettons que le seul domaine d'action publique qui fasse l'objet d'une réorganisation intégrale soit celui des politiques de transition écologique et de lutte contre la crise climatique. Symboliquement, le fait que la première annexe soit dédiée à ce sujet n'est pas un bon signal.

Face aux effets de plus en plus concrets des dérèglements climatiques dans les territoires pour les citoyens, une attaque très claire contre les agences dont l'objet même est d'agir pour en atténuer les effets et de lutter contre les multiples précarités sociales (de logement, alimentaire, énergétique...) est incompréhensible et inacceptable. La droite française démontre une fois encore qu'elle cède à la montée des populismes de droite radicale et d'extrême droite, qui par calcul politique sombrent dans le climato-négationnisme et dans le rejet de la science.

L'explosion de cancers, dont le lien est incontestablement établi avec les pesticides chimiques, est une réalité. La suppression de l'Agence Bio est un renoncement pour la santé publique.

La précarité énergétique - illustrée par un froid insupportable l'hiver et une chaleur suffocante l'été - est une réalité. Comment comprendre la suppression de l'ANAH, qui oeuvre au contraire pour l'amélioration de la qualité du logement pour tous et partout, avec notamment une action très forte sur la rénovation thermique des logements ?

Notre société est fracturée. Les inégalités explosent. La suppression de l'ANRU, seule réelle politique publique efficace en matière de logements dans les quartiers de la politique de la ville, est scandaleuse.

A l'heure des extinctions de masse de la biodiversité, la dislocation de l'Office Français de la Biodiversité (OFB) - à qui le Sénat veut faire perdre son pouvoir de police administrative - sous prétexte que ses agents font leur travail, contrôlent et font respecter les règles, est intolérable.

3.2. Affaiblir les agences, c'est (aussi) désarmer les territoires

Les collectivités territoriales, particulièrement celles du bloc communal, sont les plus à même de transformer leur territoire, pour l'adapter au changement climatique et pour protéger les populations des multiples risques. L'Etat affaiblit leurs moyens d'action en baissant à la fois leurs dotations et leur autonomie fiscale.

Plusieurs agences les accompagnent utilement dans leur mission, telle l'Agence Nationale de la Cohésion des Territoires - ANCT. Les affaiblir, c'est un coup supplémentaire porté à la capacité d'agir des collectivités. Comme le souligne l'Association des Maires Ruraux de France, les élus locaux ont besoin de continuité et ne supportent plus les changements incessants dans l'organisation des agences d'Etat avec qui ils travaillent.

Conclusion : un vote contre le renoncement

Le travail mené par la commission d'enquête pose des jalons utiles pour améliorer le pilotage, la lisibilité et l'évaluation des agences de l'État. Nous partageons l'exigence d'un renforcement de la tutelle, d'une meilleure articulation entre les acteurs, et d'une rationalisation des fonctions support visant à renforcer la lisibilité ainsi que l'efficacité de l'action de l'Etat. Ces éléments peuvent contribuer à clarifier les responsabilités et à améliorer la qualité du service public.

Mais ce travail a été largement dévoyé par dogmatisme et par des amendements de dernière minute, guidés par des considérations strictement politiciennes. La focalisation des attaques sur les agences environnementales révèle une stratégie délibérée : celle d'affaiblir les instruments publics qui structurent la réponse de l'État face à la crise climatique, aux fractures sociales et aux inégalités territoriales.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à une dérive inquiétante : celle d'un populisme qui feint la rationalité budgétaire pour mieux masquer un projet politique. À rebours des urgences climatique, sanitaire et sociale, certaines forces politiques instrumentalisent le débat sur les agences pour jouer sur les peurs d'une opinion inquiète, en désignant des boucs émissaires supposés inutiles, coûteux, voire nuisibles. Ce discours est un écho dangereux aux rhétoriques climato-négationnistes qui prospèrent dans les courants de la droite radicale et de l'extrême droite. Nous pouvons déplorer que la chambre haute du parlement français ne s'en distingue pas.

Nous refusons de cautionner cette instrumentalisation. En s'attaquant aux agences qui oeuvrent concrètement pour la transition écologique, la santé environnementale, la justice sociale ou la cohésion des territoires, c'est la capacité même de l'État à répondre aux défis du XXIe siècle que l'on affaiblit. La suppression ou la fragilisation de ces opérateurs n'est pas une réponse aux crises que nous vivons : c'est un aveuglement, un recul, voire un renoncement.

A l'heure où les conditions d'habitabilité de notre planète pour les générations futures, mais aussi pour toutes celles et ceux qui y vivent déjà, sont plus que jamais menacées, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires ne peut que voter contre ce rapport et luttera contre les recommandations qui affaiblissent, selon nous, la capacité d'agir des territoires.

Valérie Masson-Delmotte déclarait en juin 2025 : « Le climat change très vite. Nous avançons lentement derrière ». Autant dire que ce n'est pas le moment de casser le thermomètre.

Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Contribution du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Si les auditions de la commission d'enquête relative aux missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État ont eu le mérite de rétablir la vérité sur le rôle de ces structures dans un contexte marqué par la multiplication des discours offensifs à leur égard et par des projections d'économies souvent hasardeuses et politiquement ciblées, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain regrettent que la ruralité ait été la grande oubliée de ces travaux. Représentants de ces espaces à faible densité où l'intervention quotidienne de l'État s'avère déterminante et où le sentiment d'abandon prospère, les auteurs de cette contribution tiennent à réaffirmer sans ambiguïté le caractère essentiel des politiques publiques déployées par les agences de l'État. Alors que le coup de rabot gouvernemental avance masqué, la critique de l'organisation de l'appareil d'État ne saurait être utilisée comme prétexte pour remettre en cause les moyens affectés à des dispositifs de premier plan, indispensables dans le soutien à nos territoires fragilisés, dans la réponse apportée aux besoins de nos concitoyens les plus vulnérables et dans le déploiement d'actions concrètes destinées à affronter la crise climatique. Les différentes auditions ont d'ailleurs démontré l'utilité des actions menées par la très grande majorité des agences, certains scénarios de suppression, de fusion, de rapprochement ou encore de réinternalisation de ces structures étant en total décalage avec la réalité des politiques publiques qu'elles portent, avec le volume réel d'économies qu'une éventuelle réorganisation pourrait générer et avec l'approche plus fine défendue par les sénateurs socialistes tout au long de ces travaux.

À l'heure où le redressement des comptes publics et la réduction du déficit s'imposent à tous, la compression des moyens budgétaires alloués aux agences de l'État implique déjà une remise en cause de leurs objectifs et, mécaniquement, une limitation ou une rationalisation de leurs modes d'intervention. Les collectivités territoriales représentées au Sénat sont les premières victimes de ces diminutions d'effectifs et de moyens, le recours aux appels à projets, unanimement contesté par les élus locaux, étant l'un des symptômes de ce contexte déjà fortement dégradé. Ainsi, la remise en cause, plus assumée encore, d'agences jouant un rôle clé dans les territoires ruraux ne correspond en aucun cas aux attentes exprimées sur le terrain. Les sénateurs socialistes manifestent leur opposition à l'égard de plusieurs propositions de suppressions et s'interrogent sur les raisons pour lesquelles la rapporteure n'a pas cherché à concentrer ses efforts sur la suppression, à titre d'exemple, du Haut-Commissariat au Plan, qui n'a pas su démontrer son efficacité sur une période large allant de 2020 à 2025 et dont la mission de prospective pourrait légitimement être redirigée vers le Conseil économique, social et environnemental (CESE), organe représentatif des corps intermédiaires et en proximité immédiate avec les préoccupations des Françaises et des Français.

I. Une commission d'enquête qui aura eu pour effet de rétablir la vérité budgétaire sur les agences, loin des discours offensifs qui ont suscité sa création

La question du poids budgétaire des agences a constitué l'un des fils conducteurs des travaux de la commission d'enquête, dans un contexte marqué par l'exigence de sobriété des finances publiques. Dès l'exposé des motifs, la commission a été chargée d'identifier de potentiels « gisements potentiels d'économies », tandis que le Gouvernement annonçait en parallèle la suppression ou la fusion d'un tiers des opérateurs d'ici fin 2025 avec une économie de 2 à 3 milliards d'euros à la clef. Les auditions ont permis de nuancer ce diagnostic, en démontrant que le coût des agences reste globalement maîtrisé et que les marges d'économies réelles demeurent limitées.

Les travaux ont mis en évidence un écart significatif entre les effets d'annonce initiaux et la réalité des structures étudiées. À mesure que les auditions ont avancé, il est apparu que certaines agences contribuent directement à une meilleure performance de l'action publique. L'Agence de la transition écologique (Ademe), dont l'action est saluée par l'Inspection générale des finances (IGF), a accru sa productivité de 155 % en quatre ans grâce à des mutualisations réussies. La préconisation consistant à restreindre fortement son format suscite donc des interrogations. Les agences de l'eau disposent de systèmes de recouvrement efficaces et peu coûteux, selon un rapport de ce même service d'inspection qui n'invitait pas à remettre en cause le pouvoir d'initiative de ces agences en matière de lancement de programmes de recherche, comme le mentionne pourtant le présent rapport. L'Office français de la biodiversité (OFB), pour sa part, parvient à mobiliser des financements européens et privés qui échapperaient à une administration reconcentrée. Cette souplesse et sa liberté d'action et d'initiative lui permettent de mener à bien ces missions sur le territoire et d'apporter un service aux territoires que l'administration centrale ne serait pas en mesure de produire.

Les agences génèrent également des ressources, certes atténuées par l'inflation mais qui ne sauraient être négligées. Ainsi, Pascal BERTEAUD, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), a-t-il pu souligner une hausse de production de 10 % réalisée par la structure qui a parallèlement procédé à un amenuisement de ses effectifs de 20 %. Lorsqu'il est entré en responsabilités au Cerema en 2018, les recettes externes s'élevaient à environ 20 millions d'euros, tandis qu'elles oscillent aujourd'hui entre 70 et 80 millions d'euros, générant ainsi un gain significatif pour l'État, tant en matière d'efficacité que de ressources financières. Ces exemples ne doivent pas masquer les ajustements nécessaires, mais ils rappellent qu'une réforme menée à l'aveugle peut affaiblir des leviers utiles.


Les auditions ont mis en lumière un angle mort préoccupant : celui des territoires ruraux. Préfets, maires et élus locaux ont souligné combien des structures comme l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) constituent des leviers essentiels de déploiement des politiques publiques, d'ingénierie locale et d'accès aux aides. Supprimer ou affaiblir ces acteurs et les outils qu'ils déploient reviendrait à priver les collectivités territoriales les plus fragiles d'un appui de proximité, dans un contexte où les services déconcentrés ont déjà vu leurs moyens se réduire drastiquement. Réduire les moyens des agences de l'État, c'est mécaniquement réduire les ressources dont peuvent bénéficier les communes notamment rurales, déjà fragilisées. En prétendant faire des économies immédiates par des fusions ou des suppressions indistinctes, on risque surtout de limiter les moyens pour les territoires. Ce discours, porté par souci de visibilité politique, confine parfois au populisme budgétaire : il flatte les attentes sans en mesurer les conséquences pratiques.

Enfin, plusieurs intervenants ont rappelé que les agences ne doivent pas être perçues comme un échelon de trop, mais comme un maillon nécessaire de l'action publique, en interface avec les collectivités et les acteurs économiques. Elles permettent d'agir plus vite, de structurer des politiques complexes, de sécuriser l'accès à des financements externes et d'éviter une concentration excessive des moyens dans les seules administrations centrales. À l'heure où les défis exigent de la proximité, de l'expertise et de la stabilité, c'est cette intelligence collective qu'il convient de préserver.

La virulence des attaques contre les agences chargées de l'application des politiques environnementales semble par ailleurs démontrer que le problème de ces structures est moins d'ordre budgétaire ou lié à un souci d'efficacité et de lisibilité de l'action publique qu'il ne découle d'une remise en cause détournée des politiques publiques elles-mêmes, dont ces opérateurs ont la charge.

La droite sénatoriale appelle ainsi à la suppression de l'Agence bio au budget pourtant modeste, sans concertation avec les acteurs de la filière, illustrant une volonté de revenir sur l'engagement de l'État en faveur de la transition agroécologique.

La suppression des onze parcs nationaux qui assurent la préservation d'une patrimoine naturel exceptionnel et dont les compétences seraient transférées à l'OFB envoie également un très mauvais signal. Les agences qui ne sont pas supprimés perdent leur liberté d'action et leur pouvoir d'initiative en soutien aux territoires.

La quasi-totalité des missions des agences tels que l'Ademe ou l'OFB seront transférées aux ministères, lesquels pourront plus aisément réduire le soutien à des politiques d'intérêt général sous la pression de certains acteurs socio-économique. Fragilisés, il sera facile d'exiger, dans un second temps, la suppression de ces agences et, dans le même mouvement, d'enterrer les politiques qu'elles portaient, dont, entre autres, la protection de la ressource en eau, la préservation de la biodiversité ou encore l'accès du plus grand nombre à des énergies vertes.

En supprimant ces opérateurs, la droite sénatoriale signe le désengagement de l'Etat en faveur d'une transition écologique construites en partenariat avec les acteurs locaux. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'opposera donc avec vigueur à toute tentative de saper la mise en oeuvre de ces politiques d'intérêt général en fragilisant la liberté d'action des agences, en restreignant leurs champs de compétences et leurs missions ou en diminuant les moyens dédiés à ces opérateurs.

À titre d'exemple, les prévisions formulées par l'agence Météo-France contribuent à la sécurité des Françaises et des Français, à l'accompagnement de professionnels travaillant en extérieur et à une meilleure compréhension des enjeux liés au climat. Afin d'éviter de reproduire les erreurs du passé, les auteurs de la présente contribution rappellent que la suppression de postes au sein de Météo-France et la mise en place d'un algorithme chargé de pallier ces licenciements ont conduit à de nombreuses erreurs de prévision, lesquelles ont eu des répercussions directes sur de nombreux citoyens et activités économiques.

II. Les agences, un instrument perfectible mais indispensable de partenariat entre l'État et les collectivités territoriales

Si le fonctionnement des agences appelle très certainement des ajustements, ceux-ci doivent davantage reposer sur l'exigence de clarté et de pilotage stratégique que sur la défiance.

Les travaux de la commission d'enquête ont en effet révélé que ce sont moins les agences elles-mêmes qui font défaut que leur coordination, parfois, avec l'administration centrale et leur ancrage territorial. Au fil des auditions, il est apparu en filigrane une difficulté structurelle, en partie liée à la compression des moyens budgétaires et humains affectés à ces structures : sur le terrain, les agences peinent à affirmer leur réelle utilité et leur légitimité devant les élus locaux et les collectivités.

À ce titre, de nombreuses personnalités et experts auditionnés ont mis en avant un certain niveau d'opacité dans la gestion des agences, notamment au moment de la crise liée au covid-19. La plupart des hauts-fonctionnaires entendus ont ainsi indiqué que les préfets de départements avaient, lors de cette crise sanitaire, sous couvert de rationalisation administrative, reçu très peu d'informations de la part des délégations territoriales de l'Agence régionale de la santé (ARS). La centralisation de l'information et des ressources au niveau régional a naturellement affecté la réactivité des échelons départementaux, fragilisant ainsi la coordination locale en pleine crise.

Dans ce contexte, le renforcement de la transparence sur l'action des agences apparaît non seulement comme un impératif démocratique, mais également comme une condition essentielle d'efficacité et de confiance dans l'action publique.

Les auteurs de la présente contribution réaffirment leur attachement au rôle structurant des agences, relais de proximité, indispensables à la mise en oeuvre des politiques publiques dans les territoires. À titre d'illustration, les agences peuvent, par exemple, accompagner les collectivités territoriales dans leur transition écologique. Le Cerema aide ainsi les collectivités à atteindre l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) grâce à différents outils, comme la plateforme Cartofriches ou encore le service de revalorisation des friches via UrbanVitaliz, avec plus de 375 projets de recyclage foncier. Le Cerema accompagne également les collectivités littorales dans la réutilisation des eaux usées, comme cela a été le cas à Granville. Ces initiatives démontrent la valeur ajoutée des agences en matière d'ingénierie, de conseil et de soutien opérationnel aux collectivités.

Par ailleurs, les auteurs de cette contribution, en tant qu'anciens élus locaux, reconnaissent que l'accès, la lisibilité et la répartition des dotations demeurent souvent complexes pour les collectivités territoriales, qui expriment régulièrement le besoin d'un appui préfectoral pour lever certains blocages. C'est dans cette perspective que la rapporteure a proposé de reconnaître au préfet un rôle d'interlocuteur transversal, assumant une fonction de guichet-unique - une orientation qui aurait pu être accueillie favorablement, si elle n'avait pas été accompagnée de préconisations délétères pour l'avenir de bon nombre d'agences. Une décentralisation pleinement opérationnelle suppose une déconcentration claire et assumée, capable d'apporter des réponses rapides, lisibles et coordonnées aux besoins des territoires. Plus généralement, le modèle de l'État stratège doit reposer sur une double priorité : décentralisation et déconcentration, des principes que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain considère comme des fondements historiques de son engagement.

La suppression de l'ANCT envoie un signal alarmant. Les discussions autour de son efficacité ne doivent pas remettre en cause la légitimité de sa mission. Au contraire, les besoins d'ingénierie, d'appui territorial et de coordination ont été expressément mentionnés par les élus locaux auditionnés. Pour ces raisons, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain expriment à nouveau leur profond désaccord avec cette orientation et plaident pour une réforme ambitieuse de la structure qui permette de réaffirmer sa vocation territoriale et d'en renforcer l'impact. Inspirée de l'esprit et des missions de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), cette réforme viserait à lui conférer une réelle capacité de pilotage stratégique à l'échelle régionale, en lien direct avec les élus locaux. Redonner à l'ANCT un cap clair et des moyens adaptés, c'est faire le choix d'un outil rénové, pleinement mobilisé au service des élus locaux et de l'aménagement du territoire.

De la même manière, la recommandation de non-renouvellement de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) qui assure le renouvellement urbain dans les quartiers prioritaires, signe le désengagement total de l'Etat en soutien aux territoires. L'ANRU finance des projets portés par les collectivités territoriales, impliquant l'ensemble des acteurs du renouvellement urbain : collectivités, bailleurs, aménageurs et autres parties prenantes. Les projets sont portés par les intercommunalités, en collaboration étroite avec les maires et l'ensemble des acteurs locaux. Cette proposition est d'autant plus surprenante que nous soutenons collectivement au Sénat la mise en place de la mission de préfiguration « ANRU 3 » annoncée par la ministre en charge du logement et de la rénovation. Vingt ans après le premier programme de renouvellement urbain, le bilan sur les territoires est largement positif : le NPNRU c'est 50 milliards d'euros investis dans les territoires, pour seulement 1,2 milliard d'euros dépensés par l'État, 80 % des ménages sortis de la précarité énergétique, une réduction de la concentration des pauvretés. Dans un contexte de crise du logement, de multiplication d'habitat dégradé, de « passoires » et de « bouilloires » thermiques ainsi que le recul de la mixité sociale, le renouvellement urbain est une politique prioritaire et une question de justice sociale. Au vu de ces éléments, le groupe Socialiste écologiste et républicain juge les propositions de suppression de l'ANRU et de l'ANCT inacceptables et s'oppose fermement aux recommandations du présent rapport.

Conclusion

Adaptée dans de très nombreux cas, l'agencification de l'État traduit les difficultés de l'appareil d'État à agir de manière réactive face aux crises ou à conjuguer les volets stratégiques et opérationnels de l'action publique. Le recours à ces structures spécialisées très diversifiées - du point de vue de leur statut, de leurs missions et de leur mode de financement - et dotées de compétences spécifiques ne permet pas systématiquement de dépasser les effets induits par une organisation technocratique de l'État, ni de répondre aux impératifs d'efficacité et de transparence de la dépense publique. Ainsi, l'opportunité de créer de nouvelles agences, à laquelle les auteurs de ce rapport ne sont pas fondamentalement opposés au regard de l'apport de certaines de ces structures, doit donc être limitée, conditionnée, encadrée et soumise à des critères stricts définis par le Parlement, qui doit par ailleurs être appelé à jouer un rôle renforcé dans le contrôle et l'évaluation des agences, au titre de sa mission constitutionnelle de contrôle de l'action du Gouvernement. Plus généralement, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologistes et Républicains appellent à ce que la réflexion engagée autour de la réforme de l'État puisse se poursuivre dans un climat dépassionné, indépendamment des polémiques qui ont suscité la création de cette commission d'enquête et dans le seul objectif de poursuivre l'intérêt général.

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