N° 812
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juillet 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la politique de l'État en faveur de la filière du livre,
Par M. Jean-Raymond HUGONET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
I. LE SOUTIEN À LA FILIÈRE DU LIVRE : UNE POLITIQUE DE PROXIMITÉ CENTRÉE SUR LES ENTREPRISES INDÉPENDANTES
Le montant total consacré par l'État au livre et à la lecture s'élevait en 2024 à 1,1 milliard d'euros, dont 600 millions d'euros de pertes de recettes liées au taux réduit à 5,5 % de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour la vente de livre. Les bibliothèques représentent ensuite le premier poste de dépense, de sorte que la politique économique du livre proprement dite s'élève en 2024 à 50,7 millions d'euros, soit seulement 6,8 % des crédits consacrés au livre et à la lecture.
Montants consacrés par l'État au soutien au livre et à la lecture en 2024
(en millions d'euros et en %)
Dépense budgétaire ou incidence fiscale |
Montant |
Proportion du soutien total accordé par l'État |
|
Mission Médias, livre et industries culturelles Programme 334 |
Bibliothèque nationale de France |
243,0 |
22,07 % |
Politique économique du livre |
50,7 |
6,85 % |
|
Dont Centre national du livre |
28,5 |
2,52 % |
|
Développement de la lecture et des collections |
23,7 |
2,15 % |
|
Dont Bibliothèque publique d'investissement |
10,1 |
0,92 % |
|
Total |
317,4 |
28,83 % |
|
Mission Culture |
Achats de livres sur les crédits du Pass Culture (part individuelle) |
89 |
8,09 % |
Compensation partielle par l'État d'exonération de cotisation d'assurance vieillesse pour les artistes auteurs |
nc1(*) |
nc |
|
Mission relations avec les collectivités territoriales |
Concours particulier relatif aux bibliothèques au sein de la dotation générale de décentralisation (DGD) |
94,4 |
8,58 % |
Taux réduit de TVA sur le livre |
600 |
54,51 % |
|
Total |
1 100,8 |
100,00 % |
|
Total soutien économique à la filière du livre |
740 |
67,22 % |
|
Total dépenses budgétaires |
500,8 |
45,5 % |
|
Total dépenses budgétaires - soutien économique à la filière du livre |
139,7 |
12,69% |
Source : commission des finances
1. Un marché fragile confronté à de nombreux enjeux, mais dont la rentabilité reste stable
Le marché du livre est actuellement confronté à un effet de ciseaux entre, d'une part, la baisse structurelle du nombre de lecteurs, et d'autre part, une production de livres toujours plus abondante : Le nombre de livres non numériques disponibles a augmenté de 21 % en dix ans, alors même que le lectorat s'effondre.
Nombre d'éditeurs en 2025 |
Nombre de librairies en 2025 |
Source : Sénat d'après les données transmises par le Ministère de la Culture
2. Un pilotage de la politique économique qui ne relève que marginalement de l'administration centrale
Le suivi économique de la filière n'est effectué que par 10 agents en administration centrale. Celle-ci ne déploie aujourd'hui aucune activité de guichet et exerce une activité de contrôle et de régulation. L'administration déconcentrée a un rôle de répartition des aides (4,8 millions d'euros pour l'ensemble des directions régionales des affaires culturelles), en complémentarité avec les collectivités territoriales. Le pilotage économique et l'attribution des aides directes à la filière relèvent pour l'essentiel du centre national du livre (CNL).
Répartition des crédits de la politique économique du livre
(en %)
Source : commission des finances d'après les données du ministère de la culture
II. LES AIDES DIRECTES À LA FILIÈRE DU LIVRE : UN EFFET LEVIER FORT, DES MONTANTS LIMITÉS
Le centre national du livre est le principal acteur à intervenir directement auprès des entreprises de la chaîne du livre. Les aides du CNL prennent la forme de 28 dispositifs, qui bénéficient à l'ensemble des professionnels de la chaîne du livre. Près de 3 000 aides ont été attribuées en 2023 par le CNL, pour un montant total de 22 millions d'euros. Les modalités d'attribution des aides du CNL sont perfectibles mais globalement satisfaisantes.
Aides directes totales attribuées par le CNL
(en millions d'euros et en nombre d'aides)
Source : commission des finances d'après le CNL. Les aides figurent sur l'échelle de gauche
Si, en nombre d'aides, les librairies ne représentent que 16 % des aides accordées, les aides aux librairies sont en moyenne d'un montant deux fois supérieur aux aides aux auteurs et aux éditeurs.
1. Un ciblage des aides sur les librairies et les éditeurs les moins rentables
Les librairies qui perçoivent des aides sont, en moyenne, structurellement moins rentables que les autres, ce qui semble indiquer que les aides sont bien ciblées sur les commerces les plus en difficulté. S'agissant des éditeurs, les aides versées par le CNL ont un impact plus faible que pour les librairies : les montants sont globalement plus faibles et se répartissent sur un marché plus étendu que celui des librairies.
Évolution de la proportion d'entreprises de
la filière du livre
recevant des aides de l'État
(en %)
Source : Sénat, d'après base de données FARE et Ministère de la Culture. Pour les librairies, les ETI et GE sont exclues
2. Comment tourner la page de la crise sanitaire ? Une sur-rentabilité temporaire des librairies en 2020
Les acteurs de la filière du livre ont pu, pour la plupart, bénéficier des dispositifs généraux d'aides aux entreprises mis en place dès le début de la crise sanitaire. S'y sont ajoutées des aides spécifiques au secteur du livre : le montant total des aides accordées par le CNL a doublé en 2020 par rapport à 2019. Au total, entre 2020 et 2022, 43 millions d'euros d'aides exceptionnelles auront été accordées à la filière du livre par le CNL.
Les mécanismes d'aide à la filière ont été mis en place, comme pour l'ensemble des secteurs, dans la précipitation et dans une période de grande crainte de la filière du livre sur les perspectives. Or les résultats de la filière ont été nettement meilleurs qu'anticipés, de sorte qu'une part non négligeable des fonds d'urgence n'ont pas été consommés et ont été redéployés. L'année 2020 est une année de très forte hausse du taux de marge pour les librairies, leur permettant même d'obtenir un taux de marge moyen plus élevé que pour le reste du commerce de détail. Les aides d'urgence de l'État ont donc entraîné une sur-rentabilité temporaire des librairies, avec un retour à la normale rapide dès 2021.
Impact des aides versées par l'État sur le taux de marge des librairies
(en %)
Source : Sénat, d'après la base de données FARE et le ministère de la Culture. Les entreprises de taille intermédiaire et grandes entreprises sont exclues
III. AU-DELÀ DES AIDES BUDGÉTAIRES, UN APPUI MULTIFORME DE L'ÉTAT AU LIVRE
1. Le taux réduit de TVA : un manque à gagner pour l'État de 600 millions d'euros dont la moitié bénéficie au dernier décile de revenus
La vente et la location de livres bénéficient d'un taux réduit de TVA à 5,5 %. La dernière évaluation faite par la direction de la législation fiscale chiffrait son coût autour de 600 millions d'euros par an. Comme pour de nombreux taux réduits de TVA, le taux de 5,5 % applicable au livre ne constitue pas un instrument pertinent en termes de redistribution. En effet, le Conseil des prélèvements obligatoires considère dans un rapport de 20222(*) que le décile de population le plus riche achète des livres à hauteur de 294 millions d'euros par an, contre 84 millions d'euros pour le premier décile.
Ni le ministère de la culture ni celui des comptes publics ne suivent précisément ce taux réduit de TVA, dès lors que celui-ci n'est pas considéré comme une dépense fiscale. Au vu du coût de ce dispositif, qui est sans commune mesure avec les soutiens directs à la filière du livre, il est impératif de disposer d'une analyse plus fine.
2. Le Pass Culture, un impact fondamental sur la filière du livre
Le livre est, depuis la création du Pass culture en 2019, le produit le plus consommé. Au total, 28 millions de livres ont ainsi été achetés à travers le Pass culture, soit 359 millions d'euros cumulés depuis 2019.
Les achats de livres par le Pass culture représentaient 89 millions d'euros en 2024, soit près de trois fois le montant des aides directes du CNL à la filière du livre. L'impact économique du Pass culture sur la filière du livre peut donc s'apparenter à une aide d'État massive : le Pass culture a représenté 2,6 % des livres achetés en 2023, mais cette part peut représenter jusqu'à 15 % du chiffre d'affaires de certaines librairies indépendantes.
3. Les aides transitant par des organismes privés financés par des fonds publics
Plusieurs structures aident les entreprises du secteur du livre, généralement plus fragiles économiquement, à accéder au financement bancaire. L'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), « banque des industries culturelles » détenue pour moitié par l'État, a garanti et octroyé pour la seule filière du livre un total de 39,3 millions d'euros en faveur de 411 bénéficiaires sur la période 2014-2024.
Par ailleurs, le CNL et le ministère versent un certain nombre de subventions à des structures et associations représentatives du secteur, qui peuvent à leur tour redistribuer une part de ces financements sous forme d'aides.
IV. UN SOUTIEN GLOBAL SANS COMMUNE MESURE AVEC CELUI APPORTÉ PAR L'ÉTAT À D'AUTRES INDUSTRIES CULTURELLES
Le livre représente le premier secteur en termes de chiffres d'affaires parmi les industries culturelles. Il est pourtant de très loin le secteur le moins directement aidé.
Si les aides du CNL représentent entre 1 % et 2 % du chiffre d'affaires de l'édition et de la librairie indépendantes, elles ne représentent que 0,23 % du chiffre d'affaires total du secteur du livre.
Ce taux d'intervention est très largement inférieur à celui des autres industries culturelles : il est de 0,8 % pour le secteur du spectacle vivant et jusqu'à 15,1 % pour les secteurs soutenus par le Centre national du cinéma, dont le budget est sans commune mesure avec les moyens des autres opérateurs.
Poids des dépenses fiscales dans le secteur
des industries culturelles
par rapport à leur chiffre d'affaires en
2024
(en millions d'euros et en %)
Secteur |
Dispositif |
Coût des dépenses fiscales |
Part de la dépense fiscale par rapport au chiffre d'affaires du secteur |
Presse |
Taux réduit de TVA applicable aux publications de presse |
57 |
0,5 % |
Audiovisuel |
Taux réduit de TVA applicable aux services de télévisions |
150 |
13 % |
Cinéma |
Crédits d'impôts « cinéma » |
621 |
35 % |
Jeux vidéo |
Crédit d'impôt « jeux vidéo » |
66 |
2 % |
Spectacle vivant |
Taux réduits de TVA pour le spectacle vivant |
360 |
5 % |
Crédit d'impôt « spectacle vivant » |
42 |
||
Livre |
Taux réduit de TVA sur l'achat et la location de livre |
600 |
6 % |
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires et les données du Département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation (DEPS)
Même si les aides directes sont complétées par un ensemble de dispositifs, et si le soutien de l'État est multidimensionnel, le livre apparaît comme un secteur relativement indépendant des financements publics.
* 1 Le coût total de la compensation partielle par l'État d'exonération de cotisation d'assurance vieillesse pour les artistes auteurs s'élevait à 21 millions d'euros sur la mission « Culture » en loi de finances initiale pour 2025. Toutefois, les documents budgétaires ne permettent pas de retracer la part de ces compensations qui est liée à des exonérations d'auteurs de livres et non d'autres oeuvres intellectuelles.
* 2 La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comme outil de politique économique, CPO, décembre 2022.