EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 2 juillet 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Bruno Belin, rapporteur spécial, sur les unités d'élite de la gendarmerie et de la police nationales.
M. Claude Raynal, président. - Nous passons à la communication de notre collègue Bruno Belin, rapporteur spécial des programmes « Police nationale », « Gendarmerie nationale » et « Sécurité et éducation routières », sur les unités d'élite de la gendarmerie et de la police nationales.
M. Bruno Belin, rapporteur spécial. - Je commencerai par un bref rappel historique. La prise d'otages de la délégation israélienne survenue aux jeux Olympiques de Munich en 1972 - les premiers à être organisés en Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale - a provoqué une prise de conscience. La République fédérale d'Allemagne ne souhaitait pas montrer de forces de sécurité ; les agents chargés d'assurer la sécurité de l'événement n'étaient donc ni en uniforme ni armés. En a résulté un fiasco dans la gestion de la prise d'otage.
À la même période, les Brigades rouges sévissaient en Italie et la bande à Baader en Allemagne, et la France était frappée par l'affaire Mesrine et celle du baron Empain.
Cela a conduit les autorités à créer d'abord une brigade « antigang », surnom donné à compter de 1972 à la brigade de recherche et d'intervention de la préfecture de police (BRI-PP), puis deux unités spécialisées de la gendarmerie et de la police nationale : le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) en 1974, d'un côté, et le Raid, de l'autre, en 1985.
Le budget général du GIGN s'élève, hors compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » à environ 90 millions d'euros, pour un effectif d'un millier de personnes. Le Raid dispose quant à lui d'un budget d'environ 40 millions d'euros, pour un effectif de 500 personnes. Enfin, la BRI présente un budget d'environ 10 millions d'euros, pour un effectif d'une centaine de personnes.
Il y a peu de femmes dans les groupes d'intervention de ces unités. Ce phénomène ne découle évidemment pas d'une volonté des unités. Certaines femmes se présentent aux tests, mais l'une des difficultés est le poids de l'équipement. Pour une petite sortie, l'équipement pèse 25 kilos, et parfois 45 kilos pour une grande sortie. Vous imaginez la contrainte physique que cela représente.
Au total, les unités d'élite emploient donc environ 1 600 personnes, pour un budget total avoisinant les 140 millions d'euros, hors CAS « Pensions ».
Elles s'appuient sur une répartition territoriale spécifique. La BRI-PP est compétente à Paris et dans les départements de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne, le Raid dans le reste de la zone « police » en France et le GIGN en zone « gendarmerie ».
Qu'est-ce qui justifie la séparation entre la BRI-PP et le Raid au sein de la police ? Pourquoi cette subtilité ? C'est le fruit de l'histoire. La première est sous l'autorité du préfet de police et la seconde sous celle du directeur général de la police nationale. Mais il n'y a pas de conflit ni de guerre de polices. Lorsqu'un besoin se présente, ce sont les premiers disponibles qui interviennent. Cela ne pose pas de difficultés.
Serait-il plus pertinent de n'avoir qu'une seule unité d'élite, pour gagner en efficacité, en performance et en moyens budgétaires ? Je pense qu'il faut tenir compte des différences entre les zones police et gendarmerie. De plus, chaque unité d'élite a ses spécificités complémentaires, l'investigation pour la BRI-PP par exemple, et la piraterie aérienne et maritime pour le GIGN.
La BRI-PP a son siège à la préfecture de police, le Raid à Bièvres, dans l'Essonne, et le GIGN à Versailles, dans les Yvelines. En outre, le RAID et le GIGN disposent aussi d'antennes en métropole et en outre-mer, ce qui constitue une véritable force. Le GIGN dispose ainsi de sept antennes en métropole et de sept autres en outre-mer.
Nous pourrions nous demander si la distance d'intervention ne pourrait pas poser problème dans certaines zones. Il est vrai qu'un certain manque d'implantations s'observe notamment dans le Massif central. Mais il faut tenir compte de la rapidité de mobilisation de ces unités. Lors de notre visite dans l'unité du GIGN de Tours, nous avons ainsi pu constater qu'il lui fallait une heure et demie pour aller de Tours au Puy-de-Dôme. Ces unités disposent aussi d'hélicoptères basés à Villacoublay. De Bièvres ou de Versailles, il est donc possible de déplacer des moyens humains en très peu de temps.
S'agissant de leurs activités, les unités d'élite ne gèrent pas seulement des prises d'otages, même si nous avons tous en tête les interventions sur l'Airbus à Marignane en 1994 ou à l'Hyper Cacher en 2015. Elles interviennent également beaucoup dans la protection rapprochée, par exemple lors de la Conférence des Nations unies sur l'océan qui s'est tenue à Nice, et à l'occasion d'interpellations difficiles, à domicile ou sur la voie publique. Ces moments particulièrement tendus requièrent un savoir-faire spécifique.
S'agissant de la sélectivité des personnels de ces unités, l'intégration au GIGN nécessite par exemple plusieurs mois d'observation, après des tests sur dossiers, physiques et d'intervention. Nous avons pu participer à plusieurs mises en scène qui montrent combien ses membres ont une formation physique et morale à toute épreuve.
Le GIGN est également mobilisé pour les transfèrements, très consommateurs de moyens, qui sont organisés pour un certain nombre de clients - si j'ose dire - au curriculum vitae « élogieux », pour un procès, par exemple, ou pour un entretien avec le juge d'instruction. Les prisonniers les plus ciblés changent en outre de prison tous les quatre mois. Or ces opérations nécessitent parfois la mobilisation de 15 à 35 gendarmes du GIGN, hélicoptère compris. Elles requièrent donc des moyens humains et un savoir-faire.
Outre-mer, certaines zones sont dépourvues d'unités d'élite : Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin - ce qui soulève des interrogations compte tenu de sa nature binationale particulière et de son aéroport international, sachant que le trafic de stupéfiants est très important dans la région -, Saint-Barthélemy et Wallis-et-Futuna. Ce sont les seules zones où il faudrait des déplacements aériens pour pouvoir faire intervenir les unités d'élite.
Certaines de mes recommandations concerne les effectifs. Posons les termes du débat : le coût d'un équivalent temps plein (ETP) au sein d'une unité d'élite est d'environ 90 000 euros par an. C'est pourquoi je propose de renforcer le recours aux réservistes au sein des trois unités d'élite en vue de traiter un certain nombre de prestations spécialisées. Mais il faudra malgré tout garantir des moyens humains suffisants.
Lors de mes différents déplacements, mes interlocuteurs ont beaucoup insisté sur un autre sujet : les véhicules utilisés par les unités d'élite. On m'a fait comprendre qu'il était tout simplement impensable d'utiliser des véhicules électriques pour les missions opérationnelles, et ce compte tenu de la nature de ces dernières et de l'indispensable efficacité dont ces unités doivent faire preuve en intervention ; en bref, au nom du principe de réalité. Aussi, je propose - c'est ma recommandation n° 3 - que l'on déroge à l'application du malus écologique pour les véhicules opérationnels des unités d'élite.
La recommandation n° 6 porte sur les marchés publics. Si le GIGN est soumis à des règles spécifiques en la matière, les unités du Raid et de la BRI peinent parfois à accéder à certains matériels pourtant essentiels - munitions, gilets pare-balles -, parce qu'elles doivent suivre les modalités classiques de passation des marchés publics, malgré des besoins de niche. Il conviendrait de simplifier ces procédures.
Enfin, la recommandation n° 7 a trait à l'immobilier- c'est un sujet qui me tient à coeur, puisque j'ai consacré mon précédent contrôle budgétaire à l'immobilier de la gendarmerie nationale. La situation n'a guère changé : il faut réaliser davantage d'efforts d'investissement. Je pense plus particulièrement au projet immobilier de reconstruction de l'échelon central du GIGN à Versailles, le projet CapSatory, qu'il importe, malgré son coût de 600 millions d'euros, de lancer au plus vite. Enfin, sur ce sujet, il me revient de vous alerter sur l'état problématique de la caserne de l'unité du GIGN de Saint-Herblain.
Je terminerai en évoquant, en manière de clin d'oeil, l'importance des chiens au sein de nos unités d'élite. Ces animaux sont très impressionnants : ils ont un odorat exceptionnel et sont capables de détecter explosifs comme stupéfiants à une vitesse record. Ils sont considérés comme faisant partie prenante des effectifs. La preuve en est que, lorsqu'ils décèdent en opération, ils sont par la suite enterrés près des casernes - c'est le cas d'un dénommé Diesel, un ancien chien du Raid, qui est aujourd'hui enterré à Bièvres.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Mon cher collègue, à mon tour de vous adresser un clin d'oeil amical à propos des chiens qui servent dans nos unités d'élite : j'ai une pensée en cet instant pour un chien très renommé, un certain Rintintin, qui s'est distingué au cours de la Première Guerre mondiale. Ce chien était employé par l'armée américaine, stationnée alors en Meurthe-et-Moselle, dans la petite commune de Flirey, et est par la suite devenu très célèbre. Cette parenthèse étant fermée, j'en reviens aux différents sujets qui viennent d'être abordés.
Concernant l'immobilier, une problématique pourtant éminemment régalienne, on ne peut, hélas, que regretter ces difficultés récurrentes, auxquelles nous devons rester particulièrement attentifs. Je me suis moi-même rendu à Champigneulles, petite bourgade près de Nancy, pour rendre visite aux policiers de l'antenne locale du Raid : ils m'ont alerté sur les difficultés qu'ils rencontraient pour disposer de suffisamment de terrains et de lieux d'entraînement, notamment en zone urbaine, malgré l'existence de vastes friches. Vous a-t-on fait part de telles difficultés, monsieur le rapporteur spécial ? Comment les expliquer ? Le problème est-il d'ordre financier ou est-ce une problématique de conventionnement ?
Vous avez par ailleurs parlé de la couverture du territoire par nos unités d'élite. Dispose-t-on d'une cartographie de leurs principales zones d'intervention ? Cela nous permettrait de nous faire une idée sur les territoires les plus exposés et de suivre de plus près l'évolution de la situation.
Enfin, vous préconisez une accélération de la procédure de passation des marchés publics : les difficultés identifiées résultent-elles uniquement de lourdeurs administratives ? Cela implique-t-il une simplification et un allègement des règles ? Quelles améliorations sont-elles envisageables dans ce domaine ?
M. Thierry Cozic. - Je remercie Bruno Belin de cet éclairage sur un sujet que tout le monde connaît, mais que peu d'entre nous maîtrisent.
Alors que la majorité sénatoriale est très attachée à l'efficacité des politiques publiques et, partant, à la rationalisation des dépenses publiques, d'autant plus dans le contexte actuel, est-il encore pertinent de maintenir trois unités d'élite ? Un rapprochement est-il envisageable ? À défaut, ne devrait-on pas améliorer leur complémentarité et les échanges d'informations ?
M. Stéphane Sautarel. - Permettez-moi à mon tour de remercier le rapporteur spécial.
Pour ma part, je formulerai deux observations. D'abord, je découvre avec un grand étonnement les très faibles moyens - 140 millions d'euros ! - consacrés à nos unités d'élite. Ensuite, je considère qu'il s'agit d'une raison supplémentaire pour faire en sorte, y compris financièrement, d'apporter les réponses que l'on doit à ces personnels, qu'elles aient trait aux véhicules ou aux conditions de logement.
Cette communication comporte des éléments intéressants qu'il nous reviendra d'exploiter dans la perspective du prochain projet de loi de finances.
M. Pierre Barros. - Mon observation portera sur le parcours professionnel de nos unités d'élite. Dans mon département notamment, le Val-d'Oise, j'ai remarqué que les patrons de la gendarmerie sont tous passés par le GIGN : cette unité fait office de quasi-passage obligé pour les officiers de l'encadrement supérieur. Je trouve cela intéressant : le GIGN permet d'apprendre un métier certes spécifique, mais il est ensuite possible de faire fructifier cette expérience au plus près des territoires. Un tel parcours professionnel qui concilie compétences très pointues et pratiques de terrain est à préserver. La logique managériale qui le sous-tend est d'autant plus pertinente qu'elle contribue à maintenir l'attractivité de ces métiers.
M. Claude Raynal, président. - La remarque de Stéphane Sautarel sur la faiblesse des moyens alloués à nos unités d'élite est fort pertinente. En revanche, je m'étonne que notre collègue n'ait pas relevé l'absence de ces unités dans les départements du centre de la France... Ce « vide » est pourtant notable !
M. Bruno Belin, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, il n'existe aucune cartographie des interventions des unités d'élite. Cela étant, sans trop m'avancer, je dirai que beaucoup de ces interventions ont lieu notamment à proximité des grandes villes, dans les territoires criminogènes et sur les routes, dans le cadre de missions tenant à la protection de personnalités, à la lutte contre les trafics - je pense aux convois de type go fast -, à des interpellations ou à diverses interventions sensibles.
Je vous confirme par ailleurs que le Raid et la BRI sont confrontés à de vraies difficultés lors de la passation des marchés publics. Le degré de détail et le volume des commandes exigés par les services centraux du ministère en charge de la commande publique rendent la procédure particulièrement complexe. Au vu du nombre élevé d'interpellations que l'on m'a faites à ce sujet, s'il n'y avait qu'un problème à résoudre, ce serait celui-ci, outre les véhicules.
M. Claude Raynal, président. - Comment se fait-il que le rapprochement opéré entre la police et la gendarmerie au sein du ministère de l'Intérieur ne se soit pas traduit par des commandes publiques communes ? Un tel carcan est véritablement dommageable.
M. Bruno Belin, rapporteur spécial. - Si c'était faisable, ce serait effectivement une bonne chose.
Vous m'interrogez également sur les difficultés auxquelles seraient confrontées nos unités d'élite pour obtenir des terrains d'entraînement : pour ce que j'en ai vu, à Tours, Satory ou Bièvres, je vous répondrai que de tels problèmes n'empêchent toutefois pas la bonne réalisation des entraînements. Les opportunités, quand il y en a, sont saisies, tout cela en accord avec les élus locaux, les propriétaires et les riverains.
Je répondrai à Thierry Cozic que nos unités d'élite ont certes chacune une histoire et une culture différentes, mais qu'elles sont parfaitement complémentaires. On l'a observé lors des attentats de novembre 2015 en France : une coordination a été effectivement assurée. Ces services travaillent ensemble en bonne intelligence ; il existe même des passerelles entre unités pour les personnels.
Pour clore le débat, je constate aussi que les économies tirées d'une potentielle fusion ou réorganisation de ces unités d'élite ne rapporteraient pas grand-chose, étant donné le budget modeste - 140 millions d'euros hors CAS « Pensions » - qui leur est alloué.
Enfin, la remarque de Pierre Barros sur le GIGN me semble judicieuse. Il faut savoir que, pour intégrer le GIGN, un militaire doit au préalable avoir passé un certain nombre d'années de service dans la gendarmerie. La durée de service au sein de cette unité d'élite peut atteindre 20 ans, ce qui est particulièrement remarquable. En plus de leurs qualités physiques, ces hommes et ces femmes possèdent des qualités mentales exceptionnelles.
La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.