PREMIÈRE PARTIE :
DES UNITÉS D'ÉLITE COMPLÉMENTAIRES
ASSURANT EFFICACEMENT L'EXERCICE
D'UN LARGE SPECTRE DE MISSIONS

Le ministère de l'Intérieur, dispose depuis plusieurs décennies, de trois unités dites communément d'« élite » ou, officiellement, d'« intervention spécialisée » (UIS). Il s'agit du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (« GIGN »), du « RAID »9(*) et de la Brigade de recherche et d'intervention de la préfecture de police de Paris (« BRI-PP »).

Insérées dans un continuum de sécurité, elles assurent efficacement et de façon complémentaire l'exercice de leurs nombreuses missions sur l'ensemble du territoire10(*), ainsi qu'à l'étranger. Elles doivent être distinguées des forces spéciales rattachées au ministère des armées et essentiellement destinées à mener des opérations dans le cadre de conflits11(*), aujourd'hui à l'étranger.

I. DES UNITÉS AUX MISSIONS NOMBREUSES ET COUVRANT L'ENSEMBLE DU TERRITOIRE, EN DÉPIT D'EFFECTIFS DEMEURANT MODESTES

Les missions des trois unités d'élite sont multiples et vont bien au-delà de l'intervention spécialisée. Collectivement, elles couvrent l'intégralité du territoire, sur la base d'effectifs variables, dont la croissance globale résulte principalement de la mise en place d'antennes territoriales et de l'intégration de services initialement extérieurs à ces unités.

A. DES MISSIONS NOMBREUSES ET PROTÉIFORMES AU SERVICE D'UN CONTINUUM DE SÉCURITÉ

Les unités d'élite se voient confier des missions nombreuses et variées, les intégrant dans un système global de sécurité intérieure.

1. Des missions d'intervention spécialisée, de concours à la police judiciaire, de protection et de rétablissement de l'ordre public

Si un large éventail de missions est confié aux trois unités, celles-ci peuvent être regroupées en quatre catégories principales, en dépit d'un poids variable en fonction des unités12(*) :

- l'intervention spécialisée, définie comme la capacité à résoudre les situations les plus complexes et dangereuses ;

- le concours au travail des services de police judiciaire, à savoir ceux compétents - principalement au sein de la police et de la gendarmerie nationales - pour constater les infractions à la loi pénale, en rassembler les preuves et en rechercher les auteurs13(*) ;

la protection, l'évacuation et le transfèrement de personnes présentant un fort degré de sensibilité, ainsi que la sécurisation d'évènements d'ampleur ;

le rétablissement - voire le maintien - de l'ordre dans les situations très dégradées.

Au total, ces unités apportent une contribution de très haut niveau à la lutte contre toutes les formes de criminalité ou de danger significatif portant sur l'ordre public, la population ou encore les personnes ou intérêts essentiels. Par ailleurs, elles concourent à la formation des services des forces de sécurité intérieure.

a) Les missions d'intervention spécialisée

Les missions d'intervention spécialisée consistent à répondre à des troubles graves à l'ordre public présentant un niveau de complexité et de gravité élevé et nécessitant l'utilisation de techniques et de moyens spécialisés. Il peut en aller ainsi notamment des prises d'otage, des forcenés armés et des actions terroristes, qu'elles soient résolues par la négociation ou, si nécessaire, par l'intervention.

Ces missions, dont la réalisation est parfois spectaculaire, ont fortement contribué à la notoriété de ces unités, à l'image de l'intervention du GIGN à l'aéroport de Marignane lors de la prise d'otage d'un avion de la compagnie Air France en 1994, et celle du RAID et de la BRI-PP à l'occasion des attentats du 13 novembre 2015.

Surtout, la transformation de la BRI-PP (en 1972) et la création du GIGN (en 1974) et du RAID (en 1985)14(*) ont largement résulté d'une volonté d'être en capacité de répondre efficacement à des situations de crise. Le revers de la résolution de la prise d'otages intervenue à l'occasion des jeux Olympiques de 1972 à Munich a joué, de ce point de vue, un rôle de déclencheur.

La prise d'otages lors des jeux Olympiques de Munich

Début septembre 1972, des terroristes de l'organisation palestinienne « Septembre noir » prennent en otage la délégation israélienne dans le cadre des jeux Olympique organisés à Munich. Ils exigent notamment la libération de militants palestiniens détenus en Israël. 11 athlètes et encadrants de la délégation olympique israélienne, 1 policier et 5 terroristes décèdent à cette occasion.

Les importants écueils ayant marqué l'intervention des forces de l'ordre, dans un contexte plus général de multiplication des prises d'otage et des attentats (bande à Baader, brigades rouges, etc.), ont souligné la nécessité de disposer d'unités spécialisées pour résoudre ces crises, qui ne soient ni les forces de sécurité intérieure traditionnelles, ni les forces armées.

Source : commission des finances

b) Le concours matériel au travail des services de police judiciaire, voire de police administrative

Les trois unités assurent un nombre important de missions au profit des services de police judiciaire.

En premier lieu, ils procèdent à des interpellations jugées dangereuses, complexes et/ou sensibles en raison des personnes concernées ou de leurs modalités, à l'image de certaines arrestations programmées et réalisées sur des véhicules en mouvement sur la voie publique.

En deuxième lieu, s'y ajoutent, surtout pour la BRI-PP et le GIGN15(*), des missions relevant de l'investigation et consistant dans l'observation et la surveillance de personnes recherchées ; elles recouvrent notamment la réalisation de filatures et peuvent emporter l'utilisation de techniques spéciales d'écoute et de traçage.

Il convient de noter que ces missions et moyens peuvent également être mises au profit de la police dite « administrative »16(*), notamment dans le cadre de la prévention des actes de terrorisme.

c) Les missions de protection et de sécurisation

Les trois unités d'élite sont chargées d'assurer des missions de protection, d'évacuation ou d'escorte de personnes présentant un fort degré de sensibilité.

Tout d'abord, elles ont la charge, de manière institutionnalisée ou dans le cadre de missions ponctuelles, de la protection d'autorités françaises essentielles. Une quarantaine des effectifs du GIGN est ainsi affectée à temps complet au sein du groupe de sécurité de la présidence de la République17(*). En outre, les trois unités sont régulièrement chargées de protéger différentes personnalités, françaises (Président de la République en complément du GSPR, Premier ministre, ministres, magistrats, etc.) ou étrangères (en particulier à l'occasion de visites). Enfin, le GIGN et le RAID assurent la sécurité des ambassadeurs et des postes diplomatiques dans les pays dans lesquels ils sont exposés à de forts risques de violence.

La protection par le GIGN et le RAID des ambassadeurs
et des postes diplomatiques exposés à des risques significatifs de violence

La sécurité des postes diplomatiques est, en vertu d'un décret de 200618(*), assurée par les services de sécurité intérieure qui leur sont rattachés et qui sont dirigés par l'attaché de sécurité intérieure, placé sous l'autorité de l'ambassadeur. L'attaché peut appartenir à la police ou à la gendarmerie nationale ; il dirige l'ensemble des personnels placés sous son autorité, qu'ils soient policiers ou gendarmes.

En fonction de l'intensité du risque de sécurité auquel sont exposées les missions diplomatiques et l'ambassadeur, une mobilisation de membres du GIGN ou du RAID au sein de ces services est possible, pour tout ou partie19(*).

À ce jour, le GIGN assure la sécurité de postes diplomatiques dans 9 pays (dans trois villes en Irak, au Pakistan, en Ukraine, en Libye, au Tchad, en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso et en Haïti), mobilisant 48 opérateurs. Le RAID est quant à lui présent dans deux postes diplomatiques, en Syrie (8 opérateurs) et au Liban (4 et bientôt 8 opérateurs).

Ces personnels peuvent également être amenés, le cas échéant, à organiser l'évacuation du personnel diplomatique, comme ce fut le cas pour le GIGN en Ukraine en 2022.

Source : commission des finances

Par ailleurs, ces unités ont également vocation à contribuer à l'évacuation de ressortissants français situés à l'étranger dans des contextes de crise. En 2021, le RAID a ainsi joué un rôle central dans leur évacuation d'Afghanistan, en dépit d'un niveau de danger considérable.

En outre, les unités d'élite sont régulièrement sollicitées pour assurer le transfèrement de criminels particulièrement dangereux, depuis l'étranger ou en France (notamment pour leur transfert des prisons aux tribunaux).

Enfin, ces unités peuvent se voir confier des missions consistant à sécuriser des évènements de nature à générer des enjeux de sécurité importants pour la population ou un groupe de personnes (Coupe du monde de rugby de 2023, jeux Olympiques et Paralympiques - JOP - de 2024, procès des attentats du 13 novembre 2015 en 2021 et 2022), ou des autorités (80e anniversaire du débarquement en 2024, conférence des Nations Unies sur l'Océan organisé à Nice en juin 2025 - UNOC -, etc.)

d) Le rétablissement - voire le maintien - de l'ordre en situation dégradée

La mission de rétablissement de l'ordre public dans des situations très dégradées, notamment dans des contextes d'émeutes, y compris dans les prisons, de manifestations violentes ou de guérilla urbaine est régulièrement confiée aux unités d'élite. Lors de l'accomplissement de ces missions, ces unités coopèrent de façon très approfondie avec d'autres services de la police et de la gendarmerie nationales. Le GIGN et le RAID sont ainsi intervenues très récemment en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte.

Face à certains troubles à l'ordre public ne présentant pas la gravité de ceux constatés par exemple en Nouvelle-Calédonie mais caractérisés notamment par leur grande ampleur, les trois unités d'élite peuvent également participer au maintien de l'ordre. Elles ont ainsi été mobilisées à la suite des émeutes consécutives à la mort de Nahel Merzouk, en juin et juillet 2023. De telles missions, nécessitent de mener une réflexion sur les équipements utilisés à cet effet20(*).

2. Des unités d'élite intégrées dans un système de sécurité intérieure

Si les trois unités sont dites d' « élite », elles ne présentent un intérêt systémique qu'en ce qu'elles sont pleinement intégrées à un écosystème de forces de sécurité intérieure, dont elles ne représentent qu'une faible part en termes d'effectifs et d'activités.

Les trois unités ont ainsi vocation à intervenir pour les cas les plus dangereux, complexes, techniques et sensibles21(*), quel que soit le type de missions concernées (intervention, concours à la police judiciaire, protection et maintien de l'ordre). Elles ont, en outre, la particularité de pouvoir mobiliser des techniques (d'effraction, d'écoute, de traçage, etc.) et moyens spécifiques, notamment en termes d'armes. Elles constituent ainsi une forme d'ultima ratio22(*) au sein des forces de sécurité intérieure, la tête d'une pyramide en trois étages, dont la formalisation est la plus forte s'agissant de l'intervention, conformément au schéma national d'intervention (SNI) de 2016.

Le schéma national d'intervention (SNI)

Le SNI a été conçu à la suite des attentats du 13 novembre 2015 et présenté en avril 2016. Il vise à améliorer la qualité de la réponse des forces de l'ordre aux situations de crises de nature terroriste.

Il s'articule autour de trois idées principales : une meilleure couverture du territoire, une optimisation des moyens et une réduction des délais d'intervention, pour limiter le nombre de victimes. Il organise les unités d'intervention selon différents niveaux capacitaires :

l'intervention élémentaire, rôle dévolu à tous les policiers et gendarmes ;

l'intervention intermédiaire, qui correspond en principe à la première intervention (« primo-intervention »), dans les meilleurs délais. Pour la police nationale, ce niveau correspond principalement aux brigades anti-criminalité (BAC), aux brigades de recherche et d'intervention (BRI23(*)), aux compagnies départementales d'intervention (CDI) et de sécurisation et d'intervention (CSI) et aux sections de protection et d'intervention de 4e génération des CRS24(*) (SPI4G). Pour la gendarmerie, sont notamment concernés les pelotons de surveillance et d'intervention (PSIG), les pelotons d'intervention (PI) de la gendarmerie mobile et de la garde républicaine et les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG) ;

l'intervention spécialisée, qui survient après la primo-intervention, et est assurée par les trois unités d'élite.

La répartition géographique des unités d'intervention intermédiaire et spécialisée répond, tout en maillant le territoire, à la nécessité de couvrir les zones où le risque est le plus élevé, afin d'intervenir dans les délais les plus réduits.

Le SNI pose, par ailleurs, le principe « menant-concourant » des unités d'intervention. Est « menante » l'unité qui intervient dans sa zone de responsabilité habituelle ou au titre d'une compétence particulière en matière de contre-terrorisme25(*). Par exception à ces principes, le SNI instaure une procédure d'urgence absolue (PUA) prévoyant, en cas de crise majeure ou de crise multiple, la suspension ponctuelle des critères de compétence26(*) au bénéfice de la proximité et de la disponibilité immédiate des unités.

Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial

Une telle organisation permet d'utiliser rationnellement les différentes ressources de la police et de la gendarmerie nationales, en évitant deux écueils : surcharger ou sous-utiliser les unités d'élite.

Elle est mise en oeuvre dans un esprit de complémentarité des différents niveaux de force, la complexité de la réalité, qui ne peut être aisément répartie en trois niveaux étanches, empêchant un fonctionnement en silos. Il est ainsi fréquent qu'une même mission, par exemple de nature de police judiciaire, soit confiée pour certaines tâches à une unité d'élite (par exemple l'arrestation dans un véhicule en marche), tandis que d'autres volets (notamment l'observation préalable) sont confiés à des services de niveau intermédiaire. De même, s'agissant des missions d'intervention, il est usuel que lors de son arrivée sur les lieux de la zone de crise, l'unité d'élite relève les effectifs des primo-intervenants et sollicite les unités locales de premier ou deuxième niveau pour assurer des missions de soutien ou de protection périmétrique.

En outre, l'intégration des unités d'élite dans un continuum de sécurité se matérialise dans le rôle rassurant que leur mobilisation permet auprès des forces de sécurité de niveau inférieur. Il est ainsi fréquent que leur présence favorise le fonctionnement optimal de l'ensemble des forces impliquées, non seulement d'un point de vue matériel et opérationnel mais également du point de vue de la dimension psychologique, dont l'importance ne doit pas être sous-estimée pour la bonne réalisation des missions dans les contextes dégradés. Récemment, la mobilisation du RAID et du GIGN dans les outre-mer, et notamment en Nouvelle-Calédonie, en a été un exemple flagrant.

Enfin, l'intégration des unités d'élite dans un système de sécurité global se traduit également par le rôle de formation dévolu à ces unités au profit des autres services des forces de l'ordre, notamment en matière d'intervention ou de formation au tir. Ces unités procèdent aussi à des études et essais techniques de matériels susceptibles de bénéficier à toutes les forces et mettent régulièrement à leur disposition certains matériels spécialisés.

3. Des missions réalisées pour le compte et en partenariat avec de nombreux acteurs de la sécurité

Les missions des trois unités d'élite sont réalisées au bénéfice ou en partenariat avec de nombreux services relevant de différents ministères.

Au sein du ministère de l'Intérieur, les trois unités ont vocation à répondre notamment aux sollicitations des services de la police et de la gendarmerie nationales, mais également d'autres acteurs, parmi lesquels la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dans ses missions de police judiciaire.

Ces unités apportent également leur concours au ministère de la Justice, à l'occasion notamment du rétablissement de l'ordre en cas d'émeute dans les établissements pénitentiaires, de l'escorte lors des transfèrements, ou encore de la protection de magistrats mis en danger et de la sécurisation de procès sensibles.

Elles collaborent également avec les services de la communauté du renseignement, pour mettre en oeuvre des mesures concrètes (arrestations, filature, écoutes, etc.), en particulier le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) relevant du Premier ministre, la DGSI (dans sa fonction de service de renseignement), la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) du ministère des armées, et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Dans leur fonction de protection, elles collaborent également avec les services de la présidence de la République, du Premier ministre et des différents ministères, ainsi qu'avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères s'agissant de la sécurisation des postes diplomatiques et l'évacuation des ressortissants français en situation de crise.


* 9 Acronyme de l'unité « Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion ».

* 10 La BRI-PP n'a toutefois pas une compétence nationale, voir infra.

* 11 Qu'ils soient classiques (entre États) ou non conventionnels, par exemple contre des groupes armés.

* 12 Voir infra.

* 13 Selon la définition posée par l'article 14 du code de procédure pénale. Ces missions sont accomplies sous la direction du procureur de la République, en vertu de l'article 12 du même code.

* 14 Voir infra.

* 15 Voir infra.

* 16 La police administrative ayant vocation à prévenir les troubles à l'ordre public, la police judiciaire se chargeant de les réprimer, une fois réalisés.

* 17 Le GSPR est une entité du service de la protection de la direction générale de la police nationale, composée de gendarmes du GIGN et de policiers du service de la protection.

* 18 Décret n° 2006-1088 du 30 août 2006 relatif à l'organisation des services de sécurité intérieure au sein des missions diplomatiques à l'étranger.

* 19 En vertu de l'organisation du GIGN, la granularité dans le choix des effectifs concernés est accrue par le fait qu'en cas de risque très élevé, ce sont les effectifs de l'échelon central du GIGN qui sont mobilisés, tandis que le sont ceux des antennes si le risque est légèrement moindre.

* 20 Voir infra.

* 21 Ces critères n'étant pas nécessairement cumulatifs.

* 22 « Dernier recours », en latin.

* 23 Hors BRI-PP.

* 24 Compagnies républicaines de sécurité.

* 25 Voir infra.

* 26 Idem.

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